L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

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UNIVERSITÉ DE NANTES Faculté de Sciences Économiques et de Gestion ______________________________________________________________________ MÉMOIRE DE MASTER 1 « Economie et Gestion du Développement Durable » Parcours Économie ÁLVARO LA PARRA PEREZ Nantes, mai 2006 Sous la direction de DENIS BOUGET L’allocation universelle et ses impacts sur le travail

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UNIVERSITÉ DE NANTES Faculté de Sciences Économiques et de Gestion ______________________________________________________________________

MÉMOIRE DE MASTER 1 « Economie et Gestion du Développement Durable »

Parcours Économie

ÁLVARO LA PARRA PEREZ

Nantes, mai 2006

Sous la direction de

DENIS BOUGET

L’allocation universelle et ses impacts sur le travail

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REMERCIEMENTS

Je voudrais commencer par remercier mon directeur de mémoire Denis Bouget

pour ses conseils toujours très opportuns et par l’aide bibliographique et documentaire

fournie qui ont constitué la base à partir de laquelle j’ai pu construire mon analyse.

Je suis très reconnaissant également au professeur Philippe Van Parijs pour

l’extrême amabilité et rapidité avec laquelle il a satisfait ma demande d’articles.

Ce travail doit également beaucoup aux correcteurs. En effet plusieurs amis ont

eu le courage de se battre contre la rédaction, pas toujours facile, d’un espagnol qui

essaie d’écrire en français. Ainsi, Frédéric Gérard a mené à bien un travail impeccable

pour l’introduction et la conclusion du présent travail, en laissant de côté ses multiples

obligations pour avoir le résultat à temps. Denis Lebot a révisé la première et deuxième

partie en me permettant de bénéficier en même temps de son mordant point de vue

sociologique. Ses commentaires m’ont permis d’avoir une vision plus complète de la

problématique tout en contribuant à accroître mon intérêt pour ce sujet d’étude

(l’allocation universelle) pour lequel les voies de recherche me semblent passionnantes

et illimitées. Simon Leduc, quant à lui, a apporté sa méticulosité et sa ténacité pour la

troisième partie du travail. Il est difficile d’imaginer un correcteur si infatigable et

efficace que lui. Enfin, Christophe Lasserre a mis à ma disposition sa logique

implacable pour solutionner les problèmes concernant les annexes. Les imprécisions ou

erreurs qui peuvent malgré tout subsister ne sont que le fruit de mes propres limites.

Je voudrais dédier ce modeste travail à mes parents. En effet, de part leur

constant soutien psychologique et financier j’ai pu comprendre l’importance de la

responsabilité, de la rigueur et de la persévérance comme des vertus étant à la base d’un

bon étudiant et d’un bon chercheur. Dans la mesure où certaines des ces qualités

peuvent se retrouver dans mon travail, je leur dois beaucoup. J’en suis sûr.

Nantes, 15 mai 2006

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SOMMAIRE

INTRODUCTION 4

PREMIÈRE PARTIE. L’ALLOCATION UNIVERSELLE : CONCEPT ET

SPÉCIFICITÉ

Chapitre 1. L’Allocation Universelle 10

Chapitre 2. L’allocation universelle face à d’autres mécanismes

de revenu minimum et d’aide aux bas salaires 19

DEUXIÈME PARTIE. LE TRAVAIL. CONCEPT DE TRAVAIL ET DROIT AU

TRAVAIL

Chapitre 3. Concept de travail et droit au travail 29

Chapitre 4. Travail et revenu 40

TROISIÈME PARTIE. ALLOCATION UNIVERSELLE ET OFFRE DE

TRAVAIL RÉMUNÉRÉ

Chapitre 5. Allocation universelle et incitations au travail rémunéré 51

Chapitre 6. Allocation universelle, flexibilité et salaires 66

CONCLUSION 79

ANNEXES 84

BIBLIOGRAPHIE 100

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INTRODUCTION

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L’idée d’un revenu inconditionnel versé à tous n’est pas nouvelle.

Effectivement, Vanderborght et Van Parijs (2005) soulignent qu’elle est déjà présente

dans les écrits de l’anglais Thomas Paine (1737-1809) qui prône le versement d’une

modeste dotation forfaitaire ainsi qu’une pension de retraite à tous les hommes et

femmes d’âge adulte. L’idée continue à apparaître de manière plus ou moins régulière

tout au long du XVIIIème et XIXème siècle. Pour ne citer que quelques exemples, elle est

défendue par Thomas Spence (1750-1814), Charles Fourier (1772-1837) ou Joseph

Charlier (1816-1896) qui formule la première proposition d’allocation universelle pour

l’Europe.

Au XXème siècle il existe deux moments clé pour le développement de l’idée qui

nous occupe. Premièrement, aux États Unis, le prix Nobel Milton Friedman, un des

pères intellectuels du néolibéralisme, propose en 1962 l’instauration d’un impôt négatif

(mesure qui, nous le verrons, peut être assimilée à l’allocation universelle même si

quelques différences subsistent). L’impôt négatif est vu comme un moyen de rendre

plus simple le système d’aides et transferts sociaux et de réduire l’intervention de

l’État. Toujours aux États-Unis des années 60, James Tobin, aussi prix Nobel mais

éloigné des postulats néolibéraux friedmaniens, défend une véritable allocation

universelle qu’il baptise demogrant. En tout état de cause, ces deux idées tombent dans

l’oubli tout au long des années 70. Ce n’est qu’en 1986 lors de la création du Basic

Income European Network (BIEN) où on a mis en relation tous les défenseurs

européens de l’idée que le débat sur l’allocation universelle fut relancé. C’est ainsi que

l’idée d’allocation universelle se dessine en atteignant un relatif consensus pour la

définir comme « un revenu versé à tous sur base individuelle, sans contrôle des

ressources ni exigence de contrepartie » (définition du BIEN, cf. Bibliographie en fin

d’ouvrage).

L’allocation universelle se définit comme une mesure très ambitieuse quant à ses

objectifs qui, par conséquent, nous ouvre un grand éventail de possibilités en ce qui

concerne son étude et ses répercussions. Cela étant, nous avons décidé de cibler notre

analyse sur la relation entre allocation universelle et travail. Notre but est donc de traiter

les impacts qu’une allocation universelle aurait sur les différentes activités qui

composent le concept de travail et plus particulièrement sur le travail rémunéré -activité

sur laquelle les économistes ciblent le plus souvent leur analyse. Ce choix nous apparaît

pertinent car c’est dans le domaine du travail que l’allocation universelle pose un certain

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nombre d’interrogations qui doivent être élucidées. En effet, l’idée semble contenir

quelques postulats implicites extrêmement provocateurs en ce qui concerne la place du

travail dans notre système économique et de protection sociale. Parfois elle provoque

même une interrogation face aux effets désincitatifs qu’elle pourrait avoir en ce qui

concerne l’offre de travail.

On pourrait nous reprocher qu’il est inutile de traiter une problématique comme

la relation entre allocation universelle et travail si on ne démontre pas la faisabilité

économique de cette mesure. Certes, la question du financement de l’allocation

universelle a une grande importance mais nous sommes aussi d’accord avec

l’économiste espagnol Daniel Raventós qui nous dit que « s’il n’existe pas des bons

fondements normatifs (…) il n’est pas nécessaire de dépasser l’étude technique de sa

viabilité » (Raventós, 2002 : 25-26). Autrement dit, si on montre que l’allocation

universelle peut avoir des effets positifs, on aura intérêt à étudier les moyens de la

mettre en place. Notre tâche sera donc de montrer dans quelle mesure l’allocation

universelle est capable de donner des réponses satisfaisantes aux problèmes qui se

posent concernant le travail ainsi qu’aux critiques qui lui sont adressées dans ce

domaine (non respect du principe de réciprocité, manque d’incitations au travail, etc.).

Nous sommes conscients que notre analyse admet deux limites. Il existe d’abord

le problème de l’instabilité et de la complexité de l’environnement étudié, or cette limite

est inhérente à toutes les recherches dans le domaine des sciences sociales. En effet,

l’analyse des impacts d’une mesure jamais appliquée (sauf pour le cas peu extrapolable

de l’Alaska Permanent Fund) doit prendre en compte une grande quantité d’information

et d’interactions extrêmement complexes. Raventós (2001) nous apprend qu’il est

impossible de traiter des processus qui dépassent un certain plafond d’information qui

est appelé limite de transcomputabilité (ce plafond a été démontré et quantifié par le

physicien allemand H. J. Bremermann). De ce point de vue, on ne peut pas fournir des

réponses définitives pour la plupart des questions posées sans données empiriques

découlant de la mise en place d’une véritable allocation universelle. Telle est la

première limite insurmontable à laquelle on doit faire face. Quoi qu’il en soit, il est clair

que ces questions constituent un des principaux défis auxquels le chercheur en

économie est confronté. En effet, on doit se rapprocher de la réalité avec des outils

d’approximation forcément imparfaits et simplificateurs tout en ayant un objet d’étude

(l’homme et les relations humaines) très complexe et imprévisible. Par conséquent, il

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est au lecteur d’évaluer le degré de pertinence, d’exhaustivité et d’objectivité des

aspects que l’on traitera et des réponses fournies.

La deuxième limite tient à la portée du travail lui-même. En effet, on est

conscient que notre analyse sur le travail et, en particulier, sur le travail rémunéré est

loin d’offrir une vision de l’ensemble des effets d’une allocation universelle sur tous les

mécanismes qui agissent sur ces activités. En ce sens, il serait intéressant d’étendre

l’analyse de ses effets sur des aspects tels que la demande de travail. Ou bien voir son

impact sur des groupes sociaux différents comme les travailleurs qualifiés et non

qualifiés. En tout état de cause, même si il faut garder à l’esprit le caractère

certainement partiel de notre approche, nous espérons donner réponse de la manière la

plus complète et claire possible aux principales interrogations en ce qui concerne la

relation entre allocation universelle et travail.

On a décidé d’aborder notre problématique en divisant le travail en trois parties

qui vont des questions les plus générales aux plus concrètes.

La première partie est une introduction au concept de l’allocation universelle qui

présente ses traits fondamentaux et sa seule application pratique à l’Alaska (Chapitre 1)

ainsi que les différences entre les dispositifs de revenu minimum et d’aide aux travaux à

basse rémunération déjà existants (Chapitre 2).

La deuxième partie est déjà plongée dans la relation allocation universelle et

travail, le travail étant pris dans sa conception la plus large. Ainsi, le Chapitre 3 se

penchera dans un premier temps sur la re-conceptualisation du travail que l’allocation

universelle peut favoriser grâce au développement des activités non marchandes. Dans

un deuxième temps on abordera les impacts d’une telle re-conceptualisation en ce qui

concerne l’apparition d’un nouveau secteur d’activité (secteur quaternaire) et le débat

autour du droit au travail. Le Chapitre 4 traitera ensuite la question de la dissociation

entre travail et revenu provoqué par l’allocation universelle en analysant dans quelle

mesure cette proposition est capable de respecter le principe de réciprocité et en

présentant une possible explication d’une telle dissociation travail/revenu à travers la

théorie du capitalisme cognitif.

Une fois traité la relation entre allocation universelle et le travail dans une

conception large, la troisième partie offrira une analyse des impacts de cette allocation

sur un type de travail bien précis c’est à dire le travail rémunéré (plus concrètement on

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verra l’impact qu’elle aura sur l’offre de travail rémunéré). Ainsi, le chapitre 5 présente

les différentes opinions concernant les effets de l’allocation universelle sur l’incitation

au travail. On verra que la réponse à une telle question est moins intuitive de ce qui peut

paraître quand on prend en compte des facteurs tels que les trappes à chômage.

Finalement, le Chapitre 6 analyse les possibilités de flexibilisation du travail ainsi que

les effets sur les salaires et le pouvoir de négociation des travailleurs qui pourraient

découler de la mise en place d’une allocation universelle.

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PREMIERE PARTIE

L’Allocation Universelle : concept et spécificité

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« (…) versez chaque mois à chaque citoyen une somme

suffisante pour couvrir les besoins fondamentaux d’un

individu vivant seul. Versez-la lui qu’il travaille ou qu’il

ne travaille pas, qu’il soit pauvre ou qu’il soit riche (…).

Faites tout cela et puis observez ce qui se passe. »

Collectif Charles Fourier (cité dans Vanderborght et Van Parijs, 2005 : 24)

Chapitre 1

L’allocation universelle

Il existe un grand nombre de manières d’appeler l’idée d’un revenu de base

cumulable et inconditionnel versé à tous les membres d’une société. Allocation

universelle, revenu minimum garanti, revenu d’existence, dividende social, revenu de

base, revenu citoyen… sont quelques unes des dénominations existantes selon l’idée

qu’ont à l’esprit les différents défenseurs de cette mesure. Il faut souligner que cette

hétérogénéité conceptuelle est étroitement liée aux différentes caractéristiques

constitutives de ce revenu de base. Dans cette étude, la dénomination utilisée sera celle

la plus répandue en français, c'est-à-dire, « allocation universelle ».

Ce chapitre commence avec une définition de l’allocation universelle qui vise à

décrire les caractéristiques propres au concept qui le rendent original au regard de

l’ensemble des transferts et minima sociaux déjà existants (§1.1). En effet, malgré

l’existence de quelques projets d’allocation universelle au Brésil ou des études dans ce

sens en Catalogne (Espagne), l’originalité d’une telle mesure est évidente quand on

constate que la seule application pratique d’un tel revenu est l’Alaska Permanent Fund

(§1.2). Une fois bien ciblé le concept d’allocation universelle, une brève dérive

philosophique pour présenter un des débats les plus intéressants sur l’idée même

d’allocation universelle, celui concernant l’œcuménisme de cette mesure, sera faite

(§1.3).

1.1. Le concept d’allocation universelle

On prendra comme définition «d’allocation universelle» celle présentée par Van

Parijs (2003, et Vanderborght et Van Parijs, 2005: 6) : l’allocation universelle est un

« revenu versé par une communauté politique à tous ces membres, sur base individuelle,

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sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie ». Cette définition a la vertu de

présenter les traits fondamentaux de l’allocation universelle en restant suffisamment

générale pour traiter des différences qui se posent devant l’étude des propositions plus

concrètes.

Par conséquent, analysons maintenant plus soigneusement les traits constitutifs

ébauchés dans le concept. Cette analyse, largement inspirée du schéma proposé par Van

Parijs (2003), portera successivement sur le revenu en lui-même, l’organisme émetteur

(une communauté politique) et sur les caractéristiques des bénéficiaires.

1.1.a. Un revenu…

L’allocation universelle est un revenu versé en espèce. Malgré, comme le

préconisent certains auteurs, la possibilité de donner un revenu universel en nature ou en

utilisant des numéraires non thésaurisables, qui ne peuvent donc pas être épargnés, ou

encore des coupons alimentaires, on retiendra ici la conception la plus répandue: celle

d’une allocation universelle versée en espèce et sans limitations quant à la date de son

usage.

Ce revenu doit être versé d’une manière périodique (une fois par semaine, une

fois toutes les deux semaines, mensuellement…). A l’opposé de cette conception, on

trouve la proposition de Thomas Paine ou d’Ackerman et Alstott qui proposent une

sorte de dotation universelle; autrement dit, un versement unique fait à la majorité.

Même si on peut envisager des formules qui rapprochent cette dotation universelle de

l’allocation universelle (par exemple en plaçant la dotation de telle manière qu’elle

donne des rentes périodiques avec une valeur actualisée équivalente à celle de

l’allocation), les différences restent suffisamment grandes (cf. Vanderborght et Van

Parijs 2005 ; et Pateman, 2005) et on retiendra ici les versements réguliers comme

caractéristique la plus répandue. On a parfois justifié cette décision en soulignant que de

cette manière on protège l’individu face au risque de gaspillage que pose l’inexpérience

(voire, l’irresponsabilité) des jeunes (Van Parijs, 1996a ; Vanderborght et Van Parijs,

2005). La logique de ce raisonnement est simple : Pourquoi la vieillesse devrait-elle

pâtir de ces folies de jeunesse ? Un revenu versé chaque mois permet donc de s’assurer

contre ce risque.

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Bien évidemment, l’implantation d’un tel revenu pose quelques questions : quel

sera son montant ? Doit-il s’ajouter aux dispositifs sociaux déjà existants ou, par contre,

doit-il les substituer entièrement ? Il n’existe pas d’unanimité pour répondre à ces

questions.

Concernant la question relative au montant, les uns argumentent en faveur d’une

allocation universelle la plus grande possible et compatible avec l’efficience

économique (Van Parijs, 1996a) ou, tout simplement, au-dessus du seuil de pauvreté

(Pateman, 2005). D’autres, comme Yoland Bresson, durant les mouvements de

chômeurs en 1998 en France, conçoivent l’allocation universelle comme un revenu

devant être plus modeste (Bresson parlait de 1.800F par mois) qui se substituerait à

toutes les autres formes d’aide sociale. Il est important de ne pas être obséder avec cette

question. En effet, «en fonction du mode de financement et des autres mesures

d’accompagnement, une allocation universelle de montant plus faible peut améliorer

sensiblement la situation des plus pauvres, tandis qu’une allocation universelle stipulant

un montant plus élevé peut la détériorer» (Vanderborght et Van Parijs, 2005 : 29). Cette

citation nous offre une transition parfaite pour répondre à la deuxième question posée,

concernant l’implantation de l’allocation universelle, la complémentarité ou la

substitution par rapport aux transferts sociaux déjà existants.

L’instauration d’un tel revenu comporte dans la plupart des analyses la

disparition de certains transferts comme les allocation familiales ou celles adressées aux

chômeurs. Les propositions les plus extrêmes, à savoir l’addition de l’allocation

universelle à tous les transferts existants ou sa substitution complète, pèchent par trop

de radicalité (voire par un manque d’adéquation à la réalité) rendant très difficile leurs

faisabilité. Même s’il est vrai qu’à l’origine l’allocation universelle visait à une

complète substitution de toutes les allocations existantes, d’après les propositions qu’on

a eu l’opportunité d’étudier, cette question a été très nuancée jusqu’au point de

reconsidérer complètement la proposition de démanteler tous les transferts de l’état

providence moderne (cf., par exemple: Sanzo et Pinilla, 2004). Ainsi, quelques fois la

solution envisagée passe par la suppression des transferts d’un montant inférieur à celui

de l’allocation universelle. Si l’ancien dispositif était plus élevé, l’allocation universelle

serait complémentée avec le transfert additionnel correspondant (ce fait aura des

implications importantes quand on traitera les conséquences de l’allocation universelle

sur le travail). Van Parijs (1996a: 55-56) écrit à propos de cette question que « ceux qui

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proposent de tels plans de revenus garantis inconditionnellement pourraient, mais en

général ne le font pas, les proposer comme des substituts complets des transferts

conditionnels déjà existants. Par exemple, la plupart d’entre eux veulent maintenir (…)

la sécurité sociale à la charge de l’État et les plans de compensation d’handicapés qui

complémentent le revenu inconditionnel».

1.1.b. …versé par une communauté politique…

« Une allocation universelle est par définition versée par une communauté

politique et donc financée par des ressources publiquement contrôlées » (Vanderborght

et Van Parijs, 2005 : 29). Malgré la possibilité d’une allocation universelle gérée à

l’échelle mondiale, défendue par certains, on considère le plus souvent son implantation

au niveau de l’Etat comme la possibilité la plus faisable et réaliste (cf. Van Parijs,

2002b). Néanmoins, il existe des modèles alternatifs à l’Etat nation comme cadre

d’application de l’allocation universelle. Voyons quelques exemples.

Dans l’Etat fédéral d’Alaska (Etats-Unis) on trouve le seul exemple

d’application d’une véritable allocation universelle (l’Alaska Permanent Fund). Elle est

financée à travers les ressources obtenues avec le pétrole. En effet, on utilise ces

ressources pour élaborer un portefeuille financier dont les revenus constituent le

montant à distribuer à parts égales parmi tous les citoyens de l’état (cf. §1.2).

Il y a d’autres exemples d’initiatives à une échelle plus réduite que celle de

l’Etat nation : en Catalogne, le gouvernement de Pasqual Maragall a demandé l’étude de

la faisabilité d’une allocation universelle qui serait appliquée au niveau de cette région

autonome de l’Espagne. Dernièrement, il y a eu une proposition dans ce sens pour

étudier la proposition au niveau national qui a été débattue au parlement espagnol.

D’autres auteurs se montrent partisans de l’idée d’allocation universelle à

l’échelle d’une entité supranationale comme l’Union Européenne (Ferry, 1996). L’idée

est que l’Union Européenne (UE), étant dotée d’institutions telles que la Banque

Centrale, est à même de minimiser le danger de la création monétaire et les effets

inflationnistes qui pourraient éventuellement découler de l’instauration d’une allocation

universelle. De plus, pour Ferry, il y aurait d’autres effets positifs tels que la relance du

sentiment de la citoyenneté européenne, qui est aujourd’hui un des talons d’Achille le

plus remarquable quant aux projets futurs de l’UE.

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1.1.c. …à tous ces membres, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni

exigence de contrepartie

Les bénéficiaires de l’allocation universelle sont tous les individus de la

communauté politique. Le versement est donc réalisé sur une base individuelle et

inconditionnelle : peu importe que le bénéficiaire soit riche ou pauvre, travailleur ou

chômeur, marié ou célibataire, grand ou petit, supporter du F.C. Barcelone ou du Real

Madrid… La dernière caractéristique énoncée, l’absence d’exigence de contrepartie,

renforce cette idée d’inconditionnalité. Il existe deux types de problèmes liés à

l’inconditionnalité de l’allocation universelle : ceux d’ordre distributif et ceux

concernant le travail. La question du travail étant l’objet des chapitres suivants, on

commentera sommairement les objections dans le domaine distributif. Il est clair qu’au

moins en dehors de l’Espagne, le fait de supporter Madrid ou Barcelone n’est pas trop

important quand on considère l’allocation universelle, mais, par contre, il n’en va pas de

même pour l’inconditionnalité par rapport au statut économique de l’individu. Il ne faut

pas tirer des conclusions trop précipitées : on doit avoir en compte l’importance du

système de financement de l’allocation universelle. En effet, dans tous les modèles que

nous avons étudié -que ce soit en considérant la possibilité d’un impôt négatif ou de

l’impôt sur le revenu-, les personnes les plus riches doivent financer leur allocation

universelle et une partie de celle des autres, leur bilan est donc négatif. Même si les

couches les plus aisées percevront régulièrement leur allocation universelle, elles

devront contribuer dans une plus grande mesure à la financer. Par conséquent, la

proposition ne contredit pas nécessairement les notions de justice les plus basiques

propres aux systèmes de redistribution modernes. Ce fait est très important pour

comprendre pourquoi l’allocation universelle ne comporte pas nécessairement un

maintien de la polarisation d’une société (Noguera et Raventós, 2002 ; pour une vision

critique de cette question cf. Aguiar, 2002). Néanmoins, on verra que la question

normative se heurte à d’autres problèmes comme celui du passager clandestin ou free-

rider (cf. §4.1.c).

Bien évidemment, si on ne prend en compte que l’aspect de la lutte contre la

pauvreté, on peut critiquer la double inefficience d’un tel dispositif universel (Creedy,

1996) : premièrement, il est octroyé à des personnes qui de toutes façons ont des

revenus bruts au-dessus du seuil de pauvreté et, deuxièmement, les personnes qui sont

placées en dessous de ce seuil de pauvreté reçoivent parfois un transfert excessive qui

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les place clairement au dessus (cf. Annexe 1 pour une présentation graphique et plus

formelle qui utilise les concepts présentés au Chapitre 2). Notons que, de ce point de

vue, le mécanisme le plus efficient est celui du revenu minimum [cf. §2.1]). On peut

opposer à ce constat le fait que le transfert universel peut s’avérer être un outil plus

efficace contre les inégalités que le revenu minimum (Creedy, 1996).

Face à ces critiques, on peut souligner d’autres avantages de l’inconditionnalité

du transfert (Van Parijs, 2003) :

- On atteint un plus grand nombre de bénéficiaires : personne ne sera exclue à

cause de la méconnaissance du droit de bénéficier de cette aide ou de l’horreur

provoqué par la complexité des démarches administratives nécessaires pour

l’obtenir. Il ne s’agit pas d’une question banale : d’après une enquête de

l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale une personne sur

cinq parmi celles en situation de précarité ont renoncé à faire valoir ses droits à

une aide à cause de l’extrême complexité du système français (Blais et al, 2001 :

152).

- On élimine la perception des aides sociales comme stigma ou humiliation pour

les plus pauvres.

- Le fait que l’allocation universelle soit complètement cumulative avec les autres

revenus de la personne élimine le problème de la trappe du chômage (cf. §5.2) :

tous les travaux « paient » immédiatement.

Cette inconditionnalité est également en consonance avec le respect d’un des

principes qui, d’après Guy Standing (2005), doit guider le choix des politiques

redistributives : il s’agit du test du principe de paternalisme (« the paternalism test

principle »). Selon ce principe, une politique ou un changement institutionnel n’est pas

juste s’il impose des contrôles sur un certain groupe alors que ces mêmes contrôles ne

sont pas réalisés sur les groupes les plus libres de la société.

Par conséquent il peut être préférable pour les plus démunis que les riches

perçoivent l’allocation universelle.

Il existe néanmoins quelques exceptions au cas général d’inconditionnalité de

l’allocation universelle. Ainsi, on pourrait par exemple justifier aisément l’exclusion des

délinquants emprisonnés. Laissant de côté les arguments d’ordre éthique, on peut

invoquer des raisons économiques pour cela : le coût de l’entretien des emprisonnés est

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à coup sûr supérieur au montant d’une allocation universelle modeste (Van Parijs 2003,

Vanderborght et Van Parijs 2005).

En ce qui concerne l’absence de contrepartie, une des exceptions la plus

remarquable est celle du revenu de participation proposé par Atkinson (1996).

L’économiste anglais développe une idée très proche de celle de l’allocation universelle

mais avec une petite différence : on doit mener à bien une participation sociale pour

devenir bénéficiaire. Cette notion de participation sociale est tellement large chez

Atkinson que presque tout le monde pourrait recevoir ce revenu de participation.

La portée de l’allocation universelle, concernant les bénéficiaires, peut être

également restreinte aux membres ayant atteint la majorité de la population. Une autre

possibilité est de moduler le montant octroyé selon le groupe d’âge auquel appartient le

bénéficiaire.

La dernière remarque porte sur le caractère individuel de l’allocation universelle.

En effet, les dispositifs traditionnels du revenu minimum tels que le Revenu Minimum

d’Insertion (RMI) sont modulés en fonction de la taille du ménage : on considère que la

vie en couple permet de bénéficier d’économies d’échelle grâce au partage des coûts

fixes. C’est pour cela qu’un bénéficiaire du RMI vivant seul touche plus qu’un autre

vivant en couple. En revanche, l’allocation universelle est identique pour tous

indépendamment de sa situation familiale. L’argument le plus convaincant en faveur de

cette attitude est celui exprimé par Rey (2004) qui explique qu’il n’existe pas

d’économies d’échelle pour les aliments. Pourquoi alors pénaliser si fortement les

familles les plus nombreuses comme c’est le cas par exemple pour les Rentes

Minimales d’Insertion mises en place dans certaines régions d’Espagne ?

1.2. La seule application pratique : L’Alaska Permanent Fund

Malgré le fait qu’il s’agisse d’un cas extrêmement particulier, le cas de l’Alaska

Permanent Fund mérite notre attention en tant que seul exemple pratique actuelle

d’allocation universelle d’après notre définition précédente.

Les conditions d’application sont tout à fait singulières : L’état d’Alaska (Etats-

Unis) présente une économie fortement basée sur l’exploitation du pétrole. De plus, le

gouvernement a enlevé en 1980 les impôts sur le revenu et l’impôt sur la vente et tous

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les revenus gouvernementaux proviennent essentiellement des redevances des

compagnies pétrolières.

L’approbation en 1976 par 66% de la population de la création du Permanent

Fund visait à faire en sorte que les revenus obtenus grâce à l’exploitation du pétrole

servent à financer les dépenses publiques tout en bénéficiant également à toute la

population (cela incluait les générations futures qui ne pourront probablement pas jouir

de cette ressource non renouvelable). Le Permanent Fund est un portefeuille

d’investissements géré par une corporation publique formée par les résidents d’Alaska

spécialistes dans la matière. Bien entendu, ils sont redevables devant le pouvoir public

et la population.

Les redevances payées par les compagnies pétrolières ont donc deux destins : la

dépense gouvernementale ou l’investissement dans le fond qui rapportera des

dividendes. Le gouvernement de l’Alaska est contraint à placer dans le Permanent Fund

au moins le 25% des recettes des redevances payées par les grandes compagnies

pétrolières installées sur le territoire.

Le calcul pour la répartition des dividendes est très simple : il suffit de prendre

les 10,5% des rendements du Permanent Fund pendant les cinq dernières années et les

diviser par le nombre total de bénéficiaires. Il n’y a aucun type de contrôle de ressources

ou exigence de prestation de travail : les bénéficiaires sont tous les résidents légaux en

permanence sans distinction d’âge ni de temps de résidence. Les personnes incarcérées

pour un crime majeur (viol, meurtre…) perdent leur droit à toucher l’allocation

universelle.

L’année 2000, chaque habitant d’Alaska a bénéficié d’une allocation universelle

de 1963,86$ (Blais et al. 2001 : 222).

Bien évidemment, un tel modèle d’allocation universelle est difficilement

transposable à d’autres pays étant donné les spécificités de l’économie de l’Alaska et de

sa faible population (environ 630 000 habitants). Néanmoins, cela peut se considérer un

bon exemple de la faisabilité politique de l’allocation universelle étant donné

l’excellente acceptation de cette mesure. En effet, en 1999, 83% s’est prononcé contre la

diminution du montant accordé à l’allocation universelle en faveur des revenus de

l’Etat.

Page 18: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

18

1.3. Une proposition œcuménique ?

Le dernier aspect du concept d’allocation universelle nous oblige à nous

aventurer sur un terrain parfois gênant chez les économistes : il s’agit de l’œcuménisme

de l’allocation universelle, autrement dit, dans quelle mesure peut-on dire que la

proposition s’inscrit dans une théorie normative concrète ? Est-elle œcuménique, c’est-

à-dire, acceptable indépendamment de l’approche normative qu’on utilise ? La question

mérite d’être posée étant donné que cette mesure pourrait gagner en faisabilité s’il était

prouvé qu’elle était œcuménique

La réponse à cette question n’est pas tranchée. Les défenseurs de l’œcuménisme

essayent de centrer le débat sur la voie déontologique (Domènech, 2002). De ce point de

vue, l’allocation universelle se veut une mesure inscrite dans le cadre des droits des

citoyens (à travers la garantie du « droit à l’existence »). Il est difficile d’imaginer une

théorie normative contraire à un tel principe. Néanmoins, d’autres auteurs prennent un

point de vue conséquentialiste qui efface le caractère œcuménisme d’une telle mesure.

En effet, on considère que la mise en place d’une allocation universelle implique très

probablement un compromis avec une théorie normative en particulier : pour De

Francisco (2002a ; 2002b) il s’agirait plus concrètement d’un compromis avec une

idéologie de gauche. Est-ce que les libertaires réels de Van Parijs seraient d’accord avec

une allocation universelle fixée à un niveau dérisoire et qui substituerait tous les

transferts existants en faisant le régal des studieux de Chicago et une bonne partie de ses

collègues de l’école autrichienne ? Sûrement pas : l’application pratique résulterait donc

d’une incompatibilité avec l’œcuménisme.

En définitive, la problématique tourne autour de l’adoption d’une de ces deux

voies (déontologique ou conséquentialiste) pour traiter la question de l’œcuménisme de

l’allocation universelle. Il revient au lecteur de décider si la mesure est en effet

dissociable des conséquences de sa mise en œuvre pratique tout en restant dans le

terrain des droits de la citoyenneté.

Page 19: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

19

Chapitre 2

L’allocation universelle face à d’autres mécanismes de revenu

minimum et d’aide aux bas salaires

Le propos de ce chapitre est de cibler d'une manière plus précise les

particularités de l’allocation universelle face aux dispositifs de revenu minimum les plus

répandus aujourd’hui. Autrement dit, on comparera l’allocation universelle au revenu

minimum (§2.1), à l’impôt négatif (§2.2) et au crédit d’impôt (§2.3).

Quelques remarques préliminaires s’imposent en ce qui concerne l’analyse

qu’on développera à présent. Premièrement, il faut souligner que notre comparaison

utilise quelques hypothèses simplificatrices implicites qui n’affectent pas à la

conclusion finale. Ainsi, on considérera que l’Etat n’a pas d’autres dépenses que le

paiement de ces dispositifs de revenu minimum garanti et qu’il utilise un impôt linéaire

pour les financer.

Deuxièmement, au regard de ce qu’on a déjà abordé précédemment, une des

différences fondamentales de l’allocation universelle par rapport à n’importe quel autre

dispositif est qu’elle agit ex-ante tandis que les mécanismes de revenu minimum

conditionnel, le crédit d’impôt ou l’impôt négatif sont des dispositifs ex-post. En effet,

l’allocation universelle ne présuppose aucun calcul préalable des ressources de

l’individu pour vérifier s’il remplie ou non les conditions de bénéficiaire ou pour fixer

la quantité du transfert. Les autres dispositifs, par contre, impliquent un calcul du

revenu brut des bénéficiaires pour fixer le transfert auquel ils ont droit.

Plongeons nous maintenant sur les différences plus spécifiques relatives à

chacun des minima sociaux considérés.

2.1. Les dispositifs de revenu minimum

Les dispositifs de revenu minimum garanti conventionnel visent à assurer un

niveau minimum de revenu aux bénéficiaires en versant la différence entre le revenu de

l’individu et le seuil fixé par la loi (cf. Figure 1).

Page 20: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

20

Figure 1. Revenu minimum garanti conventionnel

Source : Creedy (1996 : 63)

On voit que les efforts redistributifs dans notre exemple sont concentrés sur les

revenus au-dessus du seuil a. En effet, tous les individus avec un revenu brut inférieur à

a reçoivent un transfert qui les place au niveau B (droite BC). Les individus au-delà de

a sont contribuables nets. Ainsi, la droite de revenu des contribuables nets (CT) est

placée en dessous de la bissectrice, autrement dit, en dessous de ce qui serait son revenu

en cas d’absence de redistribution (dans ce cas le revenu brut serait égale au revenu net).

On est en mesure d’exprimer de manière générale les revenus nets (z) sous un tel

dispositif (Creedy, 1996) :

zi = yi + (a-yi) si yi < a (1)

zi = yi - t(yi-a) si yi > a (2)

Où :

zi = Revenu net de l’individu i.

yi = Revenu brut de l’individu i.

a = Seuil fiscal (revenu brut à partir duquel on passe de bénéficiaires à contribuables).

t = Taux d’imposition sur le revenu

En France, le Revenu Minimum d’Insertion (RMI) est un bon exemple du

mécanisme qu’on vient de décrire. Bien évidemment, notre explication utilise un certain

nombre d’hypothèses simplificatrices qui l’écartent légèrement des applications

pratiques. En effet, laissant de côté l’hypothèse plus générale d’absence d’autres

dépenses étatiques, on a considéré qu’il n’existe pas une modulation en fonction de la

taille du ménage. Dans la réalité, comme l’on a déjà vu, les dispositifs tels que le RMI

prennent en compte les économies d’échelle de la vie en couple en réduisant le transfert

par tête pour deux bénéficiaires vivant ensemble. De la même manière, le graphique

suppose le financement de cette mesure à travers un impôt linéaire sur le revenu (avec

Revenu net

Revenu brut

B

a

C

T

Page 21: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

21

un taux constant qu’on a appelé t). Dans la réalité, on peut avoir recours à un impôt

progressif mais cela ne changerait pas les conclussions de notre analyse.

D’après cela qu’on a vu, on est en mesure de repérer quelques différences entre

un dispositif de revenu minimum tel que le RMI et l’allocation universelle :

- Tout d’abord, l’allocation universelle ne prend pas en compte les économies

d’échelle de la vie en couple : le transfert est le même pour tous. Premier

problème : pourquoi dépenser plus si les avantages de la vie en couple

permettent un moindre transfert par individu ? Les partisans de l’allocation

universelle considèrent ce fait comme un avantage : on réussit à encourager les

gens à la possibilité de vivre en couple et jouir des économies d’échelle (les

dispositifs actuels pourraient la décourager) tout en s’épargnant les contrôles

pour vérifier qui vit avec qui (cf. Van Parijs, 2003).

- Deuxièmement, la figure 1 expose un problème qui peut passer inaperçu pour les

non initiés aux questions de la fiscalité : il s’agit des taux marginaux

d’imposition. En effet, les dispositifs tels que le RMI sont qualifiés de

différentiels étant donné que leur but n’est que de pourvoir la différence entre le

revenu de l’individu et le revenu minimum. Cela veut dire que toute

augmentation « x » du revenu, impliquera une réduction « x » du transfert dont

on bénéficie. C’est pour cela qu’on dit que la taxation marginale est de 100% :

pour chaque euro qu’on gagne tout en restant au dessous du seuil a, on perd un

euro du RMI. Ce phénomène aura des implications importantes quand on

étudiera les incitations au travail (cf. §5.2.a). L’allocation universelle, de son

côte, n’a pas ce problème : elle est cumulative, autrement dit, chaque euro gagné

ne fait pas diminuer le montant perçu de l’allocation universelle.

- La troisième différence est liée à la conditionnalité du RMI. En effet, la

perception du RMI précise d’avoir plus de 25 ans et oblige un engagement de la

part des individus dans des actions ou activités pertinentes pour son insertion

dans le milieu professionnel. Comme on l’a déjà vu, l’allocation universelle est

complètement dissociée de toute obligation d’insertion ou d’acceptation d’un

emploi. C’est pour cela qu’on peut dire que le RMI, à la différence de

l’allocation universelle, ne respecte pas le principe du test de paternalisme

évoqué par Guy Standing (cf. §1.1.c). Pour la question concernant l’âge, il

existe, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent (cf. §1.1.c), des

Page 22: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

22

propositions où l’allocation universelle ne serait perçue qu’à partir de la majorité

tandis que d’autres pensent que même ceux qui n’ont pas atteint la majorité

peuvent la percevoir (dans la plupart de cas d’un moindre montant).

2.2. L’impôt négatif sur le revenu

En général on attribue, de manière erronée, au prix Nobel de l’école de Chicago

Milton Friedman l’idée d’un impôt négatif sur le revenu (cf. Friedman, 1971). Certes,

Friedman conçoit l’impôt négatif comme une combinaison des modalités les plus

simples de prélèvement et transfert pour faire en sorte que la distribution menée à bien

interfère le moins possible dans les mécanismes du marché, mais il n’était pas le

premier à s’être penché sur cette question. Ainsi pendant les années 60, l’économiste

américain James Tobin était un défenseur encore plus enthousiaste que Friedman de

cette mesure, même si il ne partageait pas par ailleurs les postulats néolibéraux de

Friedman. Et ce n’est pas tout : en ce qui concerne la paternité du concept, on retrouve

déjà l’idée dans les écrits de Cournot aux XIXème siècle. Le mépris d’une partie de la

gauche au regard de l’idée d’impôt négatif à cause de ses hypothétiques connotations

idéologiques n’est pas bien fondé. Tout comme l’allocation universelle, l’impact d’un

impôt négatif dépend du contexte économique auquel il est appliqué, le degré de

substitution avec les autres dispositifs sociaux étant un des facteurs clé à prendre en

compte.

Figure 2. Impôt négatif sur le revenu et allocation universelle avec impôt linéaire

Source : Creedy (1996 : 58)

En ce qui concerne l’idée d’impôt négatif, on peut le définir comme une

combinaison d’un transfert égal pour tous en enlevant ultérieurement une quantité

Revenu net

Revenu brut

B

a

A

C

O

Page 23: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

23

proportionnelle à chacun si la différence entre la base imposable et le transfert est

positive. Autrement dit, il s’agit simplement d’un système ou le taux d’imposition sur le

revenu est constant (impôt linéaire) avec un transfert accordé pour chacun: quand les

impôts dus sont inférieurs au transfert accordé, on reçoit la différence, c'est-à-dire, on

bénéficie d’un impôt négatif.

Plus formellement, le revenu net sous un système d’impôt négatif sur le revenu

est donné par l’expression (Creedy, 1996) :

zi = yi – t·(y-a) = yi·(1-t) + a·t (3)

Où :

zi = Revenu net de l’individu i.

yi = Revenu brut de l’individu i.

a = Seuil fiscal (revenu brut à partir duquel on passe de bénéficiaires à contribuables).

t = Taux d’imposition sur le revenu.

On entend souvent que Friedman est un des précurseurs modernes de l’allocation

universelle : cela est dû à la confusion entre l’idée de l’impôt négatif est celle

d’allocation universelle. En effet, les similitudes ne sont pas négligeables : dans un

cadre d’allocation universelle financée à travers un impôt linéaire, la répartition du

revenu serai exactement celle de la Figure 2. Néanmoins, il n’est pas insensé de prendre

l’impôt négatif sur le revenu « à la Friedman » comme une sorte de version libérale

d’allocation universelle. De ce point de vue, la seule différence est l’ampleur de cette

dernière (Piketty, 2004). À l’inverse, Van Parijs (2002a) souligne quelques différences

importantes subsistantes qu’il faut maintenant évoquer.

Premièrement, on a vu que le paiement de l’allocation universelle est réalisé ex-

ante. Tout le monde touche l’allocation même si sa contribution fiscale est nettement

plus onéreuse. L’impôt négatif réalise les transferts ou les prélèvements pertinents après

le calcul des revenus de l’individu ou du ménage pendant la période considéré (cf.

équation (3)). En d’autres termes, les revenus nets avec un système d’allocation

universelle financée à travers un impôt linéaire sur le revenu sont donnés par

l’expression

zi = b + yi – t·yi (4)

Où :

zi = Revenu net de l’individu i.

Page 24: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

24

yi = Revenu brut de l’individu i.

b = Allocation universelle.

t = Taux d’imposition sur le revenu.

On note que, quand b = a·t, les équation (3) et (4) sont équivalentes.

Pour les défenseurs de l’allocation universelle le paiement ex-ante n’est pas une

différence banale : un système tel que celui de l’impôt négatif présuppose un lourd

calcul préalable pour transférer à chaque ménage au-dessous du seuil fiscal (a dans la

figure 2) le montant auquel il a le droit. On doit mettre en œuvre un mécanisme

bureaucratique conséquent pour assurer que ces ménages à bas revenu bénéficieront du

transfert. Cela est d’autant plus vrai qu’on peut penser que les bénéficiaires de cet impôt

négatif ont vraiment besoin de ce revenu pour pourvoir à leurs besoins les plus basiques.

Le pari de l’allocation universelle est clair : « donnons à tous et ajustons par l’impôt »

(Van Parijs, 1996b : 10). Pas besoin donc de subir des lourds coûts administratifs de

contrôle des revenus.

La deuxième différence tient au fait que l’impôt négatif est appliqué dans la

plupart des cas en prenant le ménage comme bénéficiaire tandis que l’allocation

universelle est payée sur une base strictement individuelle. Ainsi, même si la

distribution des revenus était identique avec les deux systèmes, le paiement individuel

de l’allocation universelle est censé bénéficier aux femmes dépendantes

économiquement de leur mari. En effet, « [l’impôt négatif sur le revenu] a tendance à

octroyer à celui qui a le revenu le plus élevé au moins une partie du crédit d’impôt de

son copain qui a un revenu moindre ou nul » (Van Parijs, 2002a : 49).

Finalement, l’allocation universelle a l’avantage d’être un flux de revenu stable

et sûr pour le bénéficiaire indépendamment de si on travaille ou pas. On développera

ultérieurement cet aspect pour montrer son importance en ce concernant le problème des

trappes du chômage (cf. §5.2).

On observe donc que, malgré les similitudes quant au résultat redistributif, les

partisans de l’allocation universelle réussissent à mettre en relief la spécificité de l’idée

face à l’impôt négatif.

Page 25: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

25

2.3. Le crédit d’impôt

Variante de l’impôt négatif sur le revenu, le crédit d’impôt introduit aux Etats-

Unis en 1975 sous la dénomination d’Earned Income Tax Credit (EITC), est devenu

pendant les dernières décennies « l’élément central du paysage fiscalo-social

américain » (Piketty, 2004 : 104). Même si ce dispositif n’est pas en mesure par lui-

même d’assurer un revenu minimum à tous les travailleurs (cf. figure 3), il a été conçu

pour des raisons similaires à celles qui sont souvent invoquées pour défendre

l’allocation universelle, à savoir renfoncer les incitations d’entrée au marché de travail

pour les bas revenus et améliorer la situation financière des travailleurs les plus

démunis. La France a adopté en 2001 un dispositif très similaire appelé Prime Pour

l’Emploi (PPE). Même si notre analyse est plutôt ciblée sur ce qu’on peut appeler le

dispositif phare dans le domaine des crédits d’impôt (l’EITC), les avantages et

problèmes qu’on va traiter sont tout à fait applicables à la PPE française.

Le mécanisme de l’EITC est illustré par la figure 3 : lors de la phase d’entrée les

bénéficiaires reçoivent un transfert qui augmente proportionnellement avec leur revenu

jusqu'à atteindre un premier seuil nommée y1. Ensuite, lors de la phase de plateau -entre

y1 et y3- le transfert est proportionnel au revenu brut gagné pour décroître entre y3 et y4

et, finalement, s’annuler lors de la phase de sortie quand le revenu brut est supérieur ou

égal à y4. On perçoit de cette manière une première différence entre le crédit d’impôt et

les autres allocations : avec un système comme l’EITC une augmentation du revenu

entraîne une augmentation du transfert, tandis qu’avec le revenu minimum garanti ou

l’impôt négatif la situation est contraire : plus on gagne, plus le transfert se réduit.

Figure 3. Le Crédit d’impôt

Revenu net

Revenu brut

B

y1 y2 y3 y+ y4 O

Source : Vanderborght et Van Parijs (2005 : 44)

Page 26: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

26

Il est clair que si on veut garantir un revenu minimum B dans la Figure 3, il faut

ajouter un dispositif extra pour tous les travailleurs pour lesquels le revenu brut est

inférieur à y2. Le crédit d’impôt par lui-même n’est pas capable d’assurer ce niveau de

revenu net pour tous. La combinaison d’un tel dispositif de revenu minimum avec le

crédit d’impôt peut être considéré comme un modèle prometteur de transition vers

l’instauration d’une allocation universelle (Vanderborght et Van Parijs, 2005). Il s’agit

de la stratégie adoptée par les Pays-Bas quand, en 2001, on a substitué une « réduction

d’impôt universelle » (algemene heffingstkorting) à l’ancien système du crédit d’impôt

forfaitaire. La nouveauté réside dans le droit « des conjoints sans emploi de personnes

au travail redevables d’impôt (…) au versement du montant du crédit universelle (…)

sans avoir aucunement à prouver qu’ils cherchent un emploi ou exercent une activité

d’utilité sociale » (Vanderborght et Van Parijs, 2005 : 95, nous soulignons ; cf. aussi

Blais et. al., 2001 : 112-114). Cet exemple illustre la faisabilité d’un passage d’un

système régi par le crédit d’impôt à une situation hybride entre l’impôt négatif et

l’allocation universelle.

Il convient toutefois de ne pas oublier que, malgré tout, l’idée du crédit d’impôt

par elle-même diffère de celle de l’allocation universelle. Ainsi, même si tout comme

l’allocation universelle le crédit d’impôt est censé permettre d’améliorer la situation des

travailleurs aux revenus les plus bas, Van Parijs (2003) remarque que l’avantage de

l’allocation universelle consiste à donner accès aux travailleurs aux postes les plus

« précieux ». De son point de vue cela serait possible grâce à la hausse du pouvoir de

négociation (cf. §6.2.b). D’ailleurs, une autre des différences la plus remarquable

concerne l’application restreinte du crédit d’impôt aux foyers dans lesquels au moins

une personne travaille (ceci étant vrai pour l’EITC et pour la PPE) : il s’agit donc d’un

transfert conditionnel. Finalement, tout comme la plupart des propositions d’impôt

négatif, il ne s’agit pas d’un transfert individuel. En général, on prend en compte la

taille du ménage pour moduler l’ampleur du crédit d’impôt auquel ont droit les

bénéficiaires.

Les différences soulignées dans ce chapitre peuvent être synthétisées dans le tableau

suivant

Page 27: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

27

TABLEAU 1 : DISPOSITIFS TRADITIONNELS ET ALLOCATION UNIVERSELLE

Revenu Minimum

conventionnel (RMI, etc.

Crédit d’impôt pour bas salaires

(PPE, etc.)

Impôt négatif sur le

revenu

Allocation universelle

Revenu de participation

[Atkinson]

Cotisation préalable ?

Non Non Non Non Non

Test de revenu ?

Oui Oui Oui Non Non

Individuel ? Non Non Non Oui Oui

Exigence de contrepartie ?

Oui (disposition à travailler)

Oui (travail rémunéré)

Non Non Oui (activité reconnue)

Source : Vanderborght et Van Parijs (2005 : 48)

En conclusion, on constante que l’allocation universelle ne correspond à aucune

des propositions théoriques ou mises en place dans le domaine des dispositifs de revenu

minimum et aide aux travaux à basse rémunération. Néanmoins, l’allocation universelle

n’a pas non plus les caractéristiques d’une proposition remettant fondamentalement en

cause les différents modes de gestion des systèmes de protection sociale. Ainsi, le

maintien d’un engagement de l’Etat dans la lutte contre le chômage peut est préservé

tout comme le maintien de certaines politiques actives ou passives relatives au marché

de travail. L’allocation universelle n’intervient que comme un complément des

dispositifs déjà existants. En effet, « l’introduction d’un tel revenu inconditionnel doit

être vu non comme le démantèlement de l’État providence mais comme son point

culminant » (Van Parijs, 1992).

Page 28: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

28

DEUXIEME PARTIE

Le travail

Page 29: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

29

« Pour beaucoup (…) [le travail est] ce que les êtres humains

doivent faire, et même subir, pour avoir de quoi subsister »

John Kenneth Galbraith (2004 : 33)

Chapitre 3

Concept de travail et droit au travail

Le travail est une activité qui, logiquement, est très attachée au domaine d’étude

de l’économiste. En effet, souvent dans les modèles économiques on trouve la variable

L en représentant le facteur travail. Or, comme d’habitude, derrière cette notation

apparemment neutre se cache une importante hypothèse implicite. En effet, dans ces

mêmes modèles il y a une autre variable w (salaire) qui apparaît systématiquement

reliée à « L ». Autrement dit, quand on parle de travail en économie, on ne fait référence

qu’au travail rémunéré. Cette définition est-elle satisfaisante ? Etant donné que l’objet

de cette étude est de mettre en lumière les liens existants entre l’allocation universelle et

le travail, peut-on se contenter d’une telle définition du travail ?

D’un autre côté, les critiques de l’allocation universelle soulignent que la valeur

travail est une composante fondamentale de la vie, de la réalisation personnelle et de

l’intégration dans la société. D’après ce point de vue, l’allocation universelle oublierait

l’importance de garantir le droit au travail dont doit jouir chaque citoyen.

Quelle est la réponse des partisans de l’allocation universelle face ces attaques ?

Pour tenter de répondre à ces questions le chapitre sera structuré de la manière suivante.

On commence par définir le concept de travail (§3.1) en vérifiant qu’une définition

rigoureuse du concept élargit le travail à des activités en dehors de la sphère marchande,

telles que le bénévolat ou le travail domestique. Dans un deuxième temps on décrit les

caractéristiques d’un hypothétique secteur quaternaire d’activité qui pourrait découler

de ce développement des travaux non rémunérés (§3.2). Finalement, on analyse les

rapports entre l’allocation universelle et le droit au travail. On verra que ces rapports

sont drastiquement modifiés lorsqu’on prend en compte la re-conceptualisation du

travail ébauchée dans les sections précédentes. En effet, face à ceux qui pensent que le

droit au travail est opposé à l’allocation universelle, on verra que cette mesure peut

constituer une importante garantie à ce droit (§3.3).

Page 30: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

30

3.1. Le concept de travail

Le concept de travail dont on va se servir est celui énoncé par Raventós (2001)

qui, à son tour, l’emprunte à Van Parijs (1996a) en le modifiant légèrement. Ainsi, un

travail est défini comme « une activité qui produit un bénéfice, externe à l’exécution de

l’activité elle-même, dont les autres peuvent jouir » (Raventós, 2001 :2).

Un des avantages concernant notre définition de travail est qu’on laisse de côté

la question de l’utilité sociale du travail réalisé. On ne peut en effet pas assimiler le

travail à une activité socialement utile, par exemple dans le cas des producteurs d’armes

qui perçoivent un salaire tandis que ceux qui soignent des personnes âgées n’en

perçoivent pas toujours. Dans ces conditions et comme Raventós (2001) le souligne, le

fait de ne pas traiter la question de l’utilité sociale dans notre définition constitue plutôt

un avantage qu’un problème.

Une autre des caractéristiques de notre définition de travail concerne la largeur

du concept de travail. Ainsi il englobe le travail rémunéré mais aussi d’autres activités

telles que le travail domestique ou le bénévolat. Le fait de limiter le concept de travail

aux activités rémunérées soulèverait quelques difficultés rendant le concept peu

opérationnel. Par exemple, selon ce point de vue qui restreint le travail aux activités

avec rémunération, le fait de soigner les enfants d’autrui doit être considéré comme un

travail (on touche un salaire), mais, par contre, si cette même activité est faite avec nos

propres enfants, elle ne le serait pas étant donné l’absence de rémunération.

Même s’il est clair que nos sociétés sont basées sur le travail rémunéré, il n’est

pas difficile de trouver en France quelques partisans comme Gorz, Aznar, Laville ou

Lipietz d’un modèle ciblé sur des activités extra productives. L’allocation universelle

s’inscrit dans un tel courant de pensée entraînant l’idée qu’avec son instauration le

travail rémunéré perdrait une partie de sa prépondérance actuelle. Les individus auraient

donc la possibilité de se dédier aux activités qu’ils désirent même si elles n’ont pas une

rémunération de marché. Notons que cette conception de l’allocation universelle, très en

accord avec la notion de « liberté réelle » de Van Parijs (1996a), présuppose une

allocation universelle fixée au moins à un niveau égal au seuil de pauvreté de telle sorte

que la couverture des besoins les plus basiques pour vivre soit assurée.

Le moment est venu d’approfondir ce qui concerne les activités conformant le

travail tel qu’il a été présenté, ainsi que les éventuels effets qu’une allocation universelle

Page 31: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

31

aurait sur chacune de ces activités. On se servira pour cela du classement que Raventós

(2001) utilise pour diviser le travail en trois catégories : travail avec rémunération dans

le marché, travail domestique et bénévolat.

3.1.a. Travail avec rémunération dans le marché

Le premier type de travail -le travail avec rémunération ou emploi- est le type

majoritaire dans nos sociétés. On peut le définir comme une activité qui se réalise en

échange d’un salaire. Il faut préciser que dans cette catégorie on trouve des salariés mais

aussi d’autres travailleurs tels que les indépendants.

Etant donné que l’impact de l’allocation universelle sur ce type de travail fait

l’objet d’une analyse plus détaillée dans notre troisième partie, on se contentera de

commenter ici un des effets les plus notables relatif aux travailleurs indépendants : la

réduction vis-à-vis du risque (Raventós, 2001). En effet, les défenseurs de l’allocation

universelle considèrent qu’un tel revenu favoriserait la prise de risque des entrepreneurs

(en cas d’échec on peut toujours compter sur l’allocation universelle) et rendrait un peu

plus facile le remboursement des crédits contractés pour débuter l’activité. Néanmoins,

les études empiriques qui ont été faites sur les gagnants du Win For Life belge (loterie

qui donne le droit à percevoir un revenu individuel et inconditionnel de 1000€ par mois

à vie et qui, par conséquent, peut ressembler même imparfaitement à une allocation

universelle) mettent au jour un impact nul de ce revenu inconditionnel sur la mise en

route d’activités d’entrepreneur (Marx et Peeters, 2004). En tout état de cause, étant

donné les caractéristiques de cette étude empirique et les différences avec une allocation

universelle (les propositions d’allocation universelle sont toujours inférieures à 1000€

par mois, l’horizon temporel considéré pour évaluer les conséquences d’un tel revenu

est trop court étant donné que le Win For Life n’existe que depuis 1998, l’échantillon

n’est pas représentatif…), on ne peut pas exclure définitivement l’argument d’une plus

grande facilité pour entreprendre, découlant de l’instauration d’une allocation

universelle.

3.1.b. Le travail domestique

La deuxième activité qui intègre le concept de travail est le travail domestique.

On peut le définir comme « les activités non rémunérées, menées à bien par et pour les

Page 32: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

32

membres de la famille. Ces activités peuvent être substituées par des produits

marchands ou des services rémunérés quand des circonstances comme les revenus, la

situation du marché et les préférences permettent de déléguer ces services à une

personne n’appartenant pas à la famille » (Reid, 1934 ; cité dans Raventós, 2001 :13).

On retrouve dans cette définition des activités telles que le soin des personnes, le

ménage, la cuisine et les courses…

L’activité domestique échappe à la comptabilité nationale et par conséquent elle

n’est pas prise en compte dans les grands agrégats macroéconomiques. En effet, on

souligne dans bien de cas que le fait de ne pas prendre en compte ce type d’activités est

une des limites les plus importantes du Produit Intérieur Brut (PIB). On retrouve ici le

problème soulevé précédemment : dans la mesure où l’économie ne porte son attention

que sur les activités où il existe une rémunération, on à faire à une conception imparfaite

et réductionniste du travail où on ne prend en compte qu’une des modalités intégrant le

concept. Pourtant, le travail domestique n’est pas une activité mineure. Malgré les

difficultés pour mesurer son poids dans l’économie et l’hétérogénéité des résultats

obtenus, il existe un relatif consensus pour fixer le poids du travail domestique autour

d’un tiers du PIB (Raventós, 2001). Les méthodes employées pour la mesure de ces

activités sont très diverses. On distinguera celles basées sur les inputs et celles basées

sur l’output :

- Mesures basées sur les inputs (quantité et qualité du travail utilisé lors de la

production de biens et services). Dans cette catégorie on peut distinguer :

o Les coûts de remplacements (qu’est-ce qu’on devrait payer si le travail

domestique devrait être fourni par le marché ?).

o Les coûts des services (critère déjà utilisé en France pour comptabiliser

dans le PIB des activités qui n’ont pas un prix de marché comme c’est le

cas des services publics).

o Les coûts d’opportunité (revenu auquel on renonce pour mener à bien le

travail domestique).

- Mesures basées sur l’output (valeur du produit obtenu). Dans cette catégorie on

peut trouver les approches basées sur :

o Le produit total (valeur monétaire des biens et services produits).

Page 33: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

33

o La valeur ajoutée (valeur du produit total moins la valeur de tous les

biens intermédiaires utilisés).

L’impact d’une allocation universelle sur le travail domestique est étroitement

lié aux effets d’une telle mesure sur un groupe sociale en particulier : les femmes. En

effet, il est évident que l’organisation des sociétés de nos jours entraîne, dans bien des

cas la réalisation des tâches domestiques par les femmes même si cette tendance semble

actuellement en déclin. L’allocation universelle est vue par ses partisans comme un

moyen de « diminution de la dépendance [des femmes] à l’égard de la sphère de la

reproduction familiale (…) et de l’autorité de l’actif ou du chef de ménage » (Boutang,

2005). Il s’agit de sortir du schéma du white male breadwinner (littéralement, « homme

blanc gagneur du pain ») avec une femme confinée aux tâches domestiques et

subordonnée économiquement au mari. Par conséquent, les femmes seraient les grandes

gagnantes en termes de revenu et d’indépendance (Van Parijs, 2002a). En plus, certains

auteurs soulignent les liens existants, entre contribution à la communauté à travers le

travail, et prépondérance du point de vue productif et politique de l’homme (Pateman,

2005). C’est ainsi que la re-conceptualisation du travail imposé par l’allocation

universelle -en reliant le travail non rémunéré aux notions d’emploi et citoyenneté-

bénéficierait d’une manière spéciale aux femmes à travers le renforcement de leur statut

de citoyennes (Pateman, 2005 ; Robeyns, 2001).

Cette vision très optimiste qu’on vient de décrire doit être nuancée. En effet, les

critiques féministes à l’allocation universelle craignent un renforcement de la situation

actuelle dans le mauvais sens : enfermement des femmes dans le travail domestique,

absence d’implication du mari pour le soin des enfants… (Lerner, 2000). Cette critique

perçoit que le fait de recevoir un revenu inconditionnel et de ne pas être engagé dans un

travail rémunéré amènerait les femmes à réaliser davantage de travail domestique. En

effet, les partisans de l’allocation universelle sont obligés de reconnaître qu’il faut éviter

d’assimiler l’allocation universelle à un remède contre tous les maux sociaux (Ferry,

1996 ; Raventós, 2001 ; Pateman, 2005) : un revenu inconditionnel ne peut pas

bouleverser par lui-même les rapports de force et les structures sociales, les

déterminants de ceux-ci allant au-delà de facteurs purement économiques. L’allocation

universelle doit s’accompagner d’un compromis politique pour la mise en place d’autres

mesures qui assurent une effective égalité entre hommes et femmes dans tous le

Page 34: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

34

domaines. L’enjeu est d’éviter le renforcement de la division sexiste du travail que

l’allocation universelle pourrait provoquer (Robeyns, 2001)

Cela étant, les prescriptions du point de vue féministe en ce qui concerne

l’allocation universelle et son rapport avec le travail domestique et l’indépendance

économique des femmes se cristallisent dans deux points fondamentaux (Pateman,

2005):

- L’allocation universelle doit se fixer au-dessus du seuil de pauvreté pour garantir

dans la mesure du possible l’indépendance économique des femmes et éviter un

plus grand enfermement dans le travail domestique.

- Dans un but pragmatique on pourrait envisager une partie de l’allocation

universelle étant proportionnelle à la taille du ménage et qui s’ajouterait à la

partie de l’allocation strictement individuelle (Pinilla, 2002). Néanmoins, le

souci pour assurer l’effective indépendance des femmes impose de mettre

l’accent sur l’importance de l’existence de cette partie totalement individuelle et

égale pour tous. En effet, c’est seulement à travers le partage individuel du

revenu qu’on peut éviter les problèmes de répartition pouvant rendre difficile

l’équité du revenu entre hommes et femmes au sein du ménage.

3.1.c. Le bénévolat

Le troisième type de travail qu’on distingue est le bénévolat. On peut le définir

comme étant « l’occupation du temps propre dans des activités dédiées aux autres sans

rémunération et qui ne font pas partie du travail domestique tel qu’on l’a défini ci-

dessus » (Raventós, 2001 : 16). De la même manière qu’avec le travail domestique, on

retrouve des activités éminemment utiles du point de vue social (services sociaux, aide

sanitaire, soin d’handicapés et de malades…) mais pour lesquelles il n’existe pas une

rémunération –en dehors de la satisfaction interne qu’ils fournissent- ni une prise en

considération dans les agrégats macroéconomiques tels que le PIB. Néanmoins, encore

une fois, on se trouve face à un type de travail d’une importance considérable : en effet,

les études montrent qu’au début des années 90, 51% de la population des États-Unis

avait dédié une partie de son temps au bénévolat (Raventós, 2001 : 17). Les calculs en

heures de travail (20 500 millions) ou en postes de travail à temps complet (9 millions

de postes) rendent compte de l’importance de ce type d’activités.

Page 35: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

35

En ce qui concerne l’impact attendu d’une allocation universelle sur le travail

bénévole, les partisans de la mesure se montrent convaincus de l’impact positif du

temps consacré à de telles activités. Cela serait possible grâce à la réduction du temps de

travail dont jouiraient les personnes (cf. §6.1.b) et qui pourrait être dédié au bénévolat.

Comme dans le cas du travail indépendant et l’encouragement à la capacité

d’entreprendre, un tel effet reste dans le domaine de l’hypothétique et du probable.

Seule la mise en place d’une allocation universelle à un niveau suffisant permettrait de

vérifier la validité de cet argument. C’est au lecteur de décider du bon sens ou de la

naïveté de telles affirmations.

3.2. Vers un nouveau secteur d’activité ?

Cet ensemble des considérations sur le développement des activités en dehors du

travail rémunéré, amène certains chercheurs à évoquer sérieusement l’essor d’un

nouveau secteur d’activité qu’on appelle secteur quaternaire (Ferry, 1996; Sue, 1999) -

ou secteur tertiaire pour certaines auteurs (Lipietz, 1999; Gorz, 1999). Dans ce secteur

l’instauration d’un revenu inconditionnel jouerait un rôle primordial : il s’agit d’une des

visions les plus ambitieuses en ce qui concerne le pouvoir de réforme qu’on pourrait

atteindre à travers l’instauration d’une allocation universelle. D’après les théoriciens du

secteur quaternaire, il ne s’agirait ni plus ni moins que du dépassement de la société

salariale à travers l’apparition d’un secteur d’activités non-marchandes. Voyons quelles

sont les caractéristiques générales de ce secteur.

Les activités comprises dans ce secteur quaternaire présenteraient un caractère

personnel et non mécanisable. Ainsi, on rend possible l’intégration sociale à travers

d’autres types de travail que celui rémunéré. En effet, Gorz (1999) considère que

« l'activité citoyenne » ne peut être assujettie à des normes de rendement et de

rentabilité : elle est sociale, politique et/ou culturelle et non "productive" au sens

économique ». Ce souci par le développement d’activités alternatives au travail

rémunéré vient du fait que les auteurs adhèrent à une idée souvent cité parmi les

défenseurs de l’allocation universelle : la rationalisation induite par le progrès technique

conduisant les machines à se substituer de plus en plus au travail humain. Cela rend très

difficile l’accès au travail mais permet en même temps une plus grande production avec

moins de travailleurs. Néanmoins, du point de vue de la théorie économique, il faut

nuancer cette proposition qui, parfois, est trop rapidement acceptée. En effet, la relation

Page 36: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

36

entre progrès technique et chômage est ambiguë : tandis que dans certains postes le

capital doit se substituer au travail pour maintenir la compétitivité, on peut également

envisager un scénario où l’amélioration de la productivité du travail -résultat du progrès

technique- crée des nouveaux postes (Cahuc et Zylberberg, 2001). Quoi qu’il en soit, le

secteur quaternaire vise à offrir des débouchés aux travailleurs qui peuvent être exclus

du circuit productif et à tous ceux qui désirent développer des activités socialisantes,

personnelles et en marge des activités économiquement productives. D’après tout ce que

nous venons de décrire, il est facile de repérer la grande diversité d’activités se

déversant dans le domaine du secteur quaternaire. Ferry (1996) souligne deux

caractéristiques basiques caractérisant ces activités :

- Il s’agit d’activités personnelles qui peuvent avoir un caractère manuel (activités

artisanales ou artistiques), relationnel (activités de soutien, d’assistance…) ou

intellectuel (invention, recherche, critique, édition…).

- Elles sont des activités autonomes où « les agents de ces activités en sont en

même temps les auteurs » (Ferry, 1996).

C’est pour cela qu’on considère que le secteur quaternaire ne se superpose pas

aux autres trois secteurs de production classiques (il comprend activités intellectuelles et

services mais aussi celles productrices de biens comme l’artisanat). Par contre, ce

secteur est censé devenir une institution qui fait le lien entre la famille et l’Etat

(Lipietz, 1999) et dans lequel les jeunes auraient une opportunité pour développer ses

capacités créatrices et socialisantes telles que, par exemple, la création artistique. En

effet, plutôt que dans la nature industrielle ou immatérielle du travail fourni, on met

l’accent sur le renforcement du lien social, l’autoréalisation, et l’empreinte personnelle

des activités. Il est clair que, tant que ces activités se trouvent en dehors de la sphère

marchande, l’engagement à un tel modèle de société tend logiquement à demander

l’instauration d’un revenu inconditionnel permettant de se consacrer pleinement à de

telles activités si on le souhaite.

Bien évidemment, le dépassement de la société salariale qu’on vient de décrire

très sommairement à travers l’avènement d’un secteur quaternaire d’activités non-

marchandes correspond à une vision normative de la société qui n’est peut-être pas

partagée par le lecteur. D’accord ou pas avec le désirabilité d’un tel modèle ou d’un tel

changement social, il rend compte des espoirs fondés sur l’allocation universelle comme

levier d’action.

Page 37: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

37

3.3. Allocation universelle et droit au travail

Le droit au travail est souvent opposé à l’allocation universelle comme étant

fondés sur des principes opposés : le premier principe essaierait de garantir un travail

pour tous (à partir du partage du travail ou de l’offre de postes par l’État en dernière

instance, voire à travers l’obligation dans le cas du workfare le plus extrême) tandis que

le deuxième renoncerait à l’idée de garantir un travail pour tous.

Le droit au travail prend son essor lors du consensus keynésien des trente

glorieuses où l’État est en mesure de soutenir le plein emploi en protégeant tous ceux

qui se trouvent en dehors du marché de travail. Le gouvernement pouvait, à l’époque,

garantir le plein emploi dans un contexte dominé par le développement industriel et la

production tayloriste. La modération salariale était maintenue grâce à la mise en place

de politiques redistributives et d’une offre de services publics soutenue à travers un

système fiscal progressif très solide (Miravet, 2000). Tels étaient les traits généraux,

certes rapidement énoncés, de l’âge d’or de l’État providence. C’est dans ces

circonstances que le droit au travail prend une force telle allant même jusqu’à sa

reconnaissance dans certaines constitutions comme celle de l’Espagne dans son article

35.1.

D’après ce qu’on a vu jusqu’à présent, peut-on affirmer que l’allocation

universelle va contre le droit au travail ? Ces défenseurs se montrent convaincus qu’elle

n’est pas contraire à ce droit, mais qu’en plus, elle est une condition nécessaire pour le

garantir. En effet, d’après Noguera (2001) la seule incompatibilité qu’on peut repérer est

celle existante entre allocation universelle et obligation de travailler. Cette obligation de

travailler ne serait compatible qu’avec le revenu de participation proposé par Atkinson

(cf. §1.1.c) qui conditionne la perception du revenu à la réalisation d’un travail qui est

défini d’une manière suffisamment large. Or, une fois qu’on a bien défini le concept de

travail (cf. §3.1), le souci « workfariste » pour la recherche d’un travail rémunéré pour

tous apparaît comme un choix normatif trop réductionniste (il ne prend pas en compte

l’existence de travail non rémunéré) et présente quelques problèmes comme le non

respect de l’autonomie des individus ou la conception paternaliste de l’état de laquelle il

relève. Pourquoi doit-on fournir un travail rémunéré pour tous si on veut se dédier à des

activités non rémunérés qui sont également travail ?

Laissant de côté la question du réductionnisme conceptuel concernant le travail,

on s’intéressera du point de vue économique aux problèmes posés par un droit au travail

Page 38: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

38

rémunéré et garanti par un Etat devenant employeur en dernier ressort. Notre analyse ne

traitera pas pour l’instant de la garantie du droit au travail à travers le partage du travail

(on verra ultérieurement que ce partage est en fait facilité par l’allocation universelle,

[cf. §6.1.b]) ni la possibilité d’un « workfare state » où l’État oblige à réaliser certains

travaux puisque l’instauration d’un état autoritaire ne nous apparaît pas comme la

solution la plus souhaitable au problème. Nous ne verrons donc que les raisons

économiques auxquelles se heurte un État qui essaie de garantir le droit au travail

rémunéré pour tous.

Noguera (2001) démontre les difficultés de la viabilité économique d’un tel droit

à travers l’énonciation des conditions devant être remplies par les travaux fournis.

- Tout d’abord l’auteur défend que les travaux devraient garantir plus qu’une rente

(reconnaissance sociale, amour-propre…) étant donné que, si le but n’est que de

fournir une rente, il suffirait de mettre en place une allocation universelle.

L’auteur souligne que tout cela se heurte à un premier problème : la

reconnaissance sociale est difficilement susceptible d’être garantie comme un

droit légalement établi. En effet, il existe le risque que les personnes embauchées

par un Etat devenant employeur, en dernier ressort, soient stigmatisées et

classées comme des travailleurs « de second rang ».

- Les travaux doivent, en plus, respecter quelques principes:

o Le travail occupé doit être digne (salaire suffisant, horaires

« décents »…).

o Le travail doit être socialement utile.

o Le travail fourni par l’État doit être un vrai emploi (par contraposition

aux « emploi faux» ou artificiels qui pouvaient avoir lieu dans les

économies du socialisme réel).

- Finalement, ces travaux doivent être rémunérés et fournis à toute la population

apte au travail (pour l’instant on laissera de côte les problèmes posés par la

définition des personnes qui son aptes au travail).

Le problème qui se pose est évident : quel serait le coût pour l’Etat de la mise en

place d’un programme permettant de créer une quantité suffisante de postes en accord

avec ces caractéristiques ? Le problème dépasse les coûts salariaux étant donné qu’il

Page 39: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

39

faut prendre également en compte les coûts liés à la formation des travailleurs, les

installations, les infrastructures… et, en définitive, tous les éléments qui entourent une

relation professionnelle. Il apparaît que cette solution a de fortes chances d’être plus

onéreuse qu’un programme d’allocation universelle (Noguera, 2001).

Bien évidemment, les conditions qui ont été posées ci-dessus pour caractériser le

travail garanti sont critiquables étant donné qu’elles répondent à une approche de la

question éminemment normative. Néanmoins nous pensons que les hypothèses ne sont

pas totalement saugrenues et que, quoi qu’il en soit, le pari est clair : l’allocation

universelle ne nie à personne le droit à l’intégration sociale et à l’autoréalisation

personnelle à travers le travail. Tout simplement face à la douteuse viabilité économique

d’un droit au travail garanti par l’État et face à la difficulté de trouver des travaux

rémunérés « adéquats » pour tous, on propose l’instauration d’une allocation universelle

comme un premier pas pour garantir le droit au travail. C’est ainsi que la notion de droit

au travail est élargie à toutes ces activités qui n’ont pas une rémunération marchande.

Encore une fois, il faut souligner que nous supposons que les personnes ont le choix de

se dédier pleinement à des activités non rémunérées. Cela revient à dire que l’allocation

universelle devrait être fixée à un niveau tel qu’elle permet, au minimum, de couvrir les

besoins les plus basiques.

Page 40: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

40

« Si un homme ne travaille pas, il ne doit pas manger »

Paul de Tarse, seconde épître aux thessaliens, chapitre 3, vers 10

Chapitre 4

Travail et revenu

Quand on étudie la proposition de l’allocation universelle une des question

principales est celle qui est posée par la phrase de Paul de Tarse citée au début de ce

chapitre : est-ce qu’il est juste que ceux qui ne travaillent pas perçoivent une allocation

universelle ? Il s’agit en définitive du problème du respect du principe de réciprocité

(§4.1). Le souci du respect de la réciprocité a amené John Rawls à modifier sa liste de

biens premiers pour inclure le loisir et nier le droit des personnes oisives à recevoir un

revenu inconditionnel. Pas question pour le philosophe anglais que sa pensée puisse être

utilisée pour justifier le financement du loisir de ceux qui se dédient à faire du surf sur

les plages de Malibu ! C’est pour éviter le problème des free-riders (§4.1.a) que certains

défendent une conception plus modérée de l’allocation universelle qui prendrait la

forme d’un revenu de participation avec un certain degré de conditionnalité liée à la

perception du revenu. Néanmoins, nous verrons que cette idée n’est pas exempte de

problèmes en ce qui concerne sa mise en œuvre (§4.1.b). Cela étant, nous analyserons la

manière dont les partisans du revenu inconditionnel abordent la question de l’allocation

universelle et de la réciprocité. Nous montrerons que la réciprocité n’est pas toujours un

principe respecté dans nos sociétés et que, d’ailleurs, l’allocation universelle ne le remet

pas forcément en cause (§4.1.c). Le chapitre se conclue avec la présentation d’une des

théories qui essaie de rendre compte des changements actuelles bouleversant la relation

entre revenu et temps de travail : le capitalisme cognitif (§4.2). D’après cette théorie,

l’évolution capitaliste tend vers un stade ou la connaissance serait un des déterminants

fondamentaux de la production en modifiant drastiquement les schémas fordistes du

capitalisme industriel précèdent (§4.2.a). Ces mutations du système amèneraient

naturellement l’instauration d’un revenu naturel de type allocation universelle et

permettraient de donner une nouvelle approche à la question de la réciprocité et des

rapports entre travail et revenu (§4.2.b).

Page 41: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

41

4.1. La réciprocité

4.1.a. Le problème des free-riders

Le problème de la réciprocité face à la mise en place d’un revenu inconditionnel

relève d’une nature presque intuitive : est-ce qu’il est juste que certains puissent vivre

sans rien faire grâce à l’effort fourni par d’autres finançant l’allocation universelle ?

Pourquoi des personnes aptes au travail doivent-elles vivre grâce au travail d’autrui ? Ce

problème se pose d’une manière d’autant plus manifeste que, souvent, l’impôt sur le

revenu est considéré comme la voie de financement de l’allocation universelle la plus

souhaitable. Cela étant, une grande partie de la base imposable pour son financement est

constituée par les salaires provenant du travail rémunéré, autrement dit, les bénéficiaires

de l’allocation universelle qui ne réalisent aucun type de travail vivent grâce à un revenu

obtenu du travail d’autrui. Il s’agit de l’exploitation des travailleurs par les non

travailleurs. De plus, le fait de donner le revenu à toutes les personnes, même si elles ne

réalisent pas une activité socialement utile, pourrait mettre en question la

reconnaissance et la réévaluation du travail non rémunéré que l’allocation universelle

est censée de favoriser (Robeyns, 2001).

D’après notre définition précédente du travail (cf. §3.1), le problème de la

réciprocité se réduit à l’existence d’une catégorie bien cernée de free-riders : il s’agit de

ces personnes qui décident de ne se dédier qu’aux activités purement récréatives qui

sont en dehors du travail rémunéré, du travail domestique et du bénévolat. En définitive,

il s’agit de ces personnes qui ne réalisent pas d’activité pouvant être considérée comme

du travail. Même si la plupart des auteurs s’accordent à ce que ces free-riders ne

seraient pas très nombreux, tant que cette possibilité existe la barrière intellectuelle à

l’allocation universelle, relative au problème de la réciprocité, reste intacte.

4.1.b. Revenu de participation et réciprocité

Le souci pour le respect du principe de réciprocité est à l’origine de propositions

comme le revenu de participation d’Atkinson (1996). Cette idée prône la réalisation

d’un travail – qui est défini de manière suffisamment large- pour avoir le droit de

toucher le revenu. De cette manière on conjugue une réciprocité nommée « faible » (du

fait qu’on n’exige qu’un minimum de participation pour bénéficier de l’intégralité du

revenu) avec un égal respect de tous les types de travaux. Même si l’idée peut se révéler

Page 42: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

42

attirante pour le lecteur préoccupé par la question de la réciprocité, quelques problèmes

subsistent.

Premièrement, Noguera (2001) souligne que les limites pour fixer la contribution

en travail que chacun devrait fournir sont difficiles à définir. De plus ces limites sont

soumises à un certain caractère arbitraire. Ainsi, en poussant l’argument jusqu'au cas

extrême : pourquoi ne pas considérer que les surfers de Malibu fournissent un service

d’intérêt à la société étant donné le spectacle offert aux touristes ? D’autre part, en

pratiquant leur activité, ils contribuent pleinement à la consommation en acquérant les

biens nécessaires à la pratique de leur activité. L’allocation universelle serait ainsi

réintégrée dans le circuit économique ce qui peut s’apparenter à une relance par la

consommation.

Le deuxième problème porte sur la définition de ceux qui sont aptes pour le

travail et qui, par conséquent, sont censés contribuer à la société à travers son effort. La

réponse n’est pas tranchée étant donné que la distinction entre « aptes » et « non aptes »

pour le travail est une construction sociale soumise à des manipulations politiques

(Standing, 2005). En effet, on vérifie que dans la réalité les critères varient énormément

d’un pays à l’autre. Le cas des Pays-Bas est paradigmatique étant donné sa grande

facilité pour déclarer à une personne non apte pour le travail.

Finalement, Vanderborght et Van Parijs (2005) se préoccupent par les problèmes

de contrôle que le revenu de participation présuppose. En effet, les auteurs soulignent

que la vérification des activités domestiques ou du travail fourni par les bénévoles aurait

des coûts administratifs considérables du point de vue économique. Ils remarquent

également l’inacceptable intromission dans la vie privée qui pourrait découler d’une

telle mesure.

4.1.c. Allocation universelle et réciprocité

Après le constat des problèmes qui pose le revenu de participation, les partisans

de l’allocation universelle ne restent pas sur la défensive à propos du débat sur la

réciprocité et s’attaquent à démontrer un point de vue surprenant au premier abord :

l’allocation universelle ne fait que garantir le respect du principe de réciprocité. Son

argumentation se fait autour de deux grandes axes : on soulève d’abord quelques

exceptions au principe de réciprocité qui remettent en cause son application

Page 43: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

43

systématique dans nos sociétés et, ensuite, on aborde le problème de l’exploitation des

travailleurs par les non travailleurs (cf. §4.1.a).

4.1.c.1. Les exceptions au principe de réciprocité

Le raisonnement commence par mettre en question la réciprocité comme un des

principes guidant nos sociétés. On a déjà présenté un premier argument dans ce sens en

remarquant le problème du point de vue économique sur le concept de travail: si cette

approche ne prend en compte que le travail rémunéré, on risque de biaiser le problème

de la réciprocité en concluant que seules les personnes qui mènent à bien un travail

rémunéré apportent quelque chose à la société. Il faut prendre en compte également les

personnes qui réalisent un travail domestique ou de bénévolat sans aucune

contreprestation. On a montré que l’allocation universelle garanti une véritable

réciprocité en assurant une contreprestation à tous ceux qui réalisent un travail non

rémunéré dont l’importance n’est pas à négliger (cf. §3.1.b. et §3.1.c).

Deuxièmement, il est évident que -dans un contexte d’inégalité des chances, de

talents et des ressources- nos transferts sociaux remettent en cause un tel principe de

réciprocité proportionnelle en redistribuant en faveur de ceux qui sont dans une pire

situation. Dans le cas contraire, les transferts ne feraient que prolonger les inégalités de

départ (Noguera, 2001). Dans la mesure où nous optons par un tel modèle de

redistribution, on ne peut pas s’attacher à un principe de réciprocité forte.

Une troisième exception porte sur la réalité de l’affirmation de Paul de Tarse cité

au début de cette partie : faut-il travailleur pour manger ? Etant donné que toutes les

rentes n’ont pas leur origine dans le travail rémunéré, on peut s’imaginer aisément le cas

du rentier ou de l’héritier d’une personne extrêmement riche qui peut décider de vivre

sans travailler. Autrement dit, selon Widerquist (1999), le dilemme entre travailler ou ne

pas manger ne se pose pas pour ceux qui ont des ressources externes suffisants.

L’allocation universelle solutionne cette violation du principe de réciprocité : tout le

monde est sûr d’avoir le minimum pour sa subsistance (encore une fois on suppose

implicitement que l’allocation universelle est fixée au moins au niveau du seuil de

pauvreté). Les critiques argumentent que ces ressources externes dont disposent les

rentiers ne sont pas tombées du ciel : elles doivent provenir d’un travail ou d’une

activité de coopération sociale ! Même si ce cas est envisageable, qu’est-ce que se passe

avec ceux qui peuvent vivre seulement avec les intérêts du capital hérité ? Visiblement

ils ne sont pas productifs mais par contre ils ne sont pas soumis à la contrainte de la

Page 44: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

44

réciprocité. Cela étant, Widerquist (1999) affirme que l’allocation universelle assure la

réciprocité étant donné que tout le monde est soumis au même choix : le droit de

travailler ou de ne pas travailler. Les bénéficiaires d’une allocation universelle ne

jouissent que d’un droit qui est à la portée de tout ceux qui décident de ne pas travailler.

Dans ces conditions, dans un système avec l’allocation universelle, le fait de travailler

est une option qu’on prend volontairement : ceux qui la choisissent doivent accepter les

conséquences qui en découlent (Van der Veen et Van Parijs, 1986b).

La dernière réserve sur l’universalité du principe de réciprocité porte sur sa

validité comme un principe qui guide toujours le comportement humain. En effet, les

études menés à bien par des chercheurs comme Polanyi, Axelrod ou Frölich, &

Oppenheimer montrent que les personnes ont une tendance à la coopération -au moins

en ce qui concerne la satisfaction des besoins les plus basiques- beaucoup plus forte de

ce que le paradigme de l’homo oeconomicus laisserait penser (cf. Ramos, 2003).

4.1.c.1. L’allocation universelle implique-t-elle une exploitation des travailleurs ?

Après avoir constaté les cas où le principe de réciprocité ne se respecte pas dans

nos sociétés, nous porterons notre attention sur la question du préjudice subit par les

travailleurs et dont profitent les non travailleurs. Toujours d’après Widerquist (1999),

pour affirmer que la mise en place d’une allocation universelle implique l’exploitation

des travailleurs par les non travailleurs (au sens ou l’effort des travailleurs finance

l’allocation universelle des non travailleurs sans que les premiers en tirent aucun profit),

quatre conditions doivent être respectées. Il suffirait juste que l’une des conditions ne

soit pas vérifiée pour que l’exploitation n’ait pas lieu :

- Il doit être nécessaire de taxer les revenus des travailleurs étant donné

l’insuffisance de l’impôt sur les ressources externes (rentes de la terre et du

capital), pour fournir les ressources nécessaires maintenant une allocation

universelle au niveau souhaité.

- Les travailleurs ont le droit de détenir le produit total de son travail.

- Les salaires fixés par le marché reflètent parfaitement la valeur totale du travail

fourni.

- Les salaires après taxation sont moins importants dans une économie avec

allocation universelle que dans une économie où il n’y a pas. Ce point sera

Page 45: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

45

l’objet de notre analyse quand on traitera les implications de l’allocation

universelle sur le pouvoir de négociation des travailleurs (cf. §6.3).

En ce qui concerne le premier point, Widerquist (1999 : 12-13) fournit quelques

données qui montrent que pour les Etats-Unis il serait possible de financer un projet

d’impôt négatif avec une imposition sur les actifs externes ne provenant pas du travail.

En tout état de cause, c’est le troisième point (les salaires de marché reflètent-ils la

valeur totale du travail fourni ?) qu’on traitera de remettre en cause dans cette section à

travers la théorie du salaire d’efficience.

Ainsi, concernant la formation des salaires, Van Parijs (1996a), souligne

l’existence des salaires d’efficience qui placent les salaires au-dessus du niveau que

fixerait l’équilibre entre l’offre et la demande. En effet, même restant dans un cadre

néoclassique, on peut montrer que la prise en compte de l’incertitude sur l’effort fourni

par le travailleur peut amener l’entreprise à offrir des salaires au-dessus du niveau

d’équilibre du marché (cf. modèle de salaire d’efficience de Solow formalisé dans

l’Annexe 2 ou modèle du tire au flanc de Shapiro et Stiglitz [Cahuc et Zylberberg,

2001 : 276]). Cela étant, l’existence des salaires d’efficience nous amène à une situation

avec du chômage involontaire. Cet ajustement imparfait du marché est une des raisons

pour laquelle Van Parijs soutient que les travailleurs embauchés s’approprient une rente

découlant de la rareté de la ressource travail. Autrement dit, dans les sociétés

capitalistes actuelles, l’accès à un travail rémunéré peut être considéré comme un

privilège (Van der Veen et Van Parijs, 1986b). Ce phénomène offre une justification

pour la taxation du travail ayant pour but de financer une allocation universelle de haut

niveau.

L’argument qui prône la taxation du travail en soulignant la rente dont

bénéficient les travailleurs n’est pas exempt de critiques. En effet, on pourrait constater

avec White, que ces salaires soumis à imposition -même s’ils sont rares- découlent de la

réalisation d’un travail (cité dans Widerquist [1999]). De ce point de vue, les

bénéficiaires de l’allocation universelle ne devraient pas échapper à ce besoin de

contribution à la société.

Widerquist (1999) reconnaît que malgré tout ce qu’on vient de voir, les

travailleurs avec les salaires plus élevés devront financer le transfert vers les non

travailleurs. En effet, il est très difficile de dessiner un système fiscal qui soit capable de

distinguer parfaitement le revenu gagné de celui qui est « tombé du ciel ». L’idéal serait

Page 46: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

46

de financer l’allocation universelle avec ces derniers mais, comme Van Parijs (1996a) le

reconnaît, il ne faut pas rêver à une telle possibilité (au moins si on ne veut pas fixer

l’allocation universelle à un niveau dérisoire). Les salariés devraient donc contribuer,

avec le revenu de leur travail, au financement de l’allocation universelle.

D’un autre côté il subsiste d’autres problèmes à résoudre. Ainsi, Groot (1999)

souligne un dernier problème qui contribue au scepticisme concernant la justification

d’une allocation universelle. En effet, un tel revenu peut être vue comme une sorte de

subvention aux travaux non rémunérés et aux activités intensives en loisir au détriment

des activités avec une rémunération dans le marché qui, sont en plus, taxées. Il est

important de se poser la question de si d’un point de vue éthique, il est défendable de

privilégier un mode de vie particulier.

Ce problème n’est pas négligeable : tant que les doutes par rapport au respect du

principe de réciprocité existent et qu’on craint l’existence de free-riders, pouvant vivre

sans rien faire avec une allocation universelle, les défenseurs de celle-ci devront faire

face à une importante méfiance générée par cette mesure. Cette barrière intellectuelle

est un des plus grands obstacles auxquels l’allocation universelle doit faire face.

4.2. Le capitalisme cognitif comme justification théorique de la dissociation

travail-revenu

4.2.a. Un nouveau stade du capitalisme ?

Le capitalisme cognitif offre un cadre théorique intéressant pour justifier la

dissociation entre travail direct et revenu et offrir quelques réponses aux questions

posées par le problème de la réciprocité.

Selon les tenants de cette théorie, on serait, aujourd’hui, en train d’entrer dans un

stade ultérieur au capitalisme industriel, appelé capitalisme cognitif. Le phénomène est

donc présenté comme un résultat de l’évolution historique du système capitaliste. Cette

évolution pourrait être divisée en trois étapes successives: capitalisme mercantiliste,

capitalisme industriel et capitalisme cognitif.

Le point clé de la théorie du capitalisme cognitif est la prise en compte de la

connaissance comme force productive fondamentale dans le système économique de

nos jours. En reprenant un argument de Karl Marx, on souligne que la force humaine de

Page 47: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

47

travail devient secondaire dans le processus de production en faveur du travail

intellectuel et du savoir : la science et la technologie sont les facteurs qui jouent les

rôles principaux. C’est de cette manière que le « general intellect » marxien est présenté

comme une « intellectualité diffuse » qui est à la base du nouveau système productif.

Une première limite de la théorie vient du fait que ce concept d’intellectualité diffuse

ainsi que les raisons qui amènent à la prépondérance de la connaissance dans le

processus d’accumulation et de création de richesse restent assez flous (Hoang-Ngoc et

Tinel, 2003). On se limite à remarquer l’importance du savoir et des bien immatériels

dans cette nouvelle économie de la connaissance et de la production de biens

d’information (Boutang, 2005).

Cette prépondérance de la connaissance sert aux défenseurs du capitalisme

cognitif à remettre en cause le consensus fordiste qui a dominé nos sociétés pendant les

dernières décennies. En effet, certaines caractéristiques de notre système de protection

sociale étant basées sur le paradigme fordiste sont mises en question (Monnier et

Vercellone, 2006). Voyons dans un premier temps ces traits reposant sur des bases

fordistes pour, ensuite, montrer de quelle manière ils pourraient être remis en cause.

- Premièrement, le système de protection sociale français reposait initialement sur

le modèle de l’homme, chef de famille, avec un emploi stable et qui bénéficiait

d’un certain nombre de droits assurant la protection de l’ensemble de la famille.

- Deuxièmement, dans un cadre fordiste le temps de travail est censé répondre à

des critères nettement productivistes : le travailleur mène à bien sa formation et

fournit ensuite un travail qui est parfaitement identifié et classé selon une grille

de qualifications fixant des rémunérations pertinentes. En définitive, le modèle

est basé sur une organisation scientifique du travail qui vise à rendre l’activité la

plus objective possible.

- La troisième caractéristique découle de tout ce qu’on vient de voir : il s’agit du

clivage entre temps de travail et temps de loisir. Le seul temps véritablement

productif est celui dédié au travail direct, toutes les autres activités étant

considérés comme du loisir. Autrement dit, on ne considère comme temps de

travail que celui passé dans l’usine, le bureau, l’atelier…

La question maintenant est de savoir de quelle manière cette prise d’importance

du capital immatériel (connaissance, santé, information) modifie les bases sur lesquelles

reposaient les sociétés fordistes.

Page 48: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

48

Tout d’abord, la généralisation de la connaissance et l’éducation contribue à la

fin du modèle familial patriarcal du « white male breadwinner ». En effet, les femmes

sont de moins en moins dépendantes du mari et acquièrent un rôle actif dans le système

productif (Monnier et Vercellone, 2006).

Deuxièmement, et ceci est plus étroitement lié à la question qui nous occupe, le

processus productif n’est pas que le résultat du temps directement dédié au travail mais

il est tributaire d’un processus préalable d’échange de connaissances et d’informations.

Cela étant, le temps de travail réel serait de moins en moins synonyme de temps de

travail productif comme c’était le cas dans le cadre fordiste décrit précédemment. En

reprenant les thèses de Marx sur ce nouveau stade du capitalisme, la différenciation

temps de travail/loisir ne serait plus pertinente étant donné que la prépondérance du

travail immatériel et intellectuel font du temps libre une des forces productives les plus

importantes à travers l’échange de connaissances et d’information (Fumagalli, 2002).

En définitive, on considère que la conception du travail doit sortir du paradigme

tayloriste pour prendre en compte l’aspect immatériel et intellectuel devenant de plus en

plus important.

Étant donné que le marché n’est pas capable de rendre compte des externalités

positives qui découlent de la connaissance comme force de production en dehors du

temps de travail direct, le système salarial traditionnel devient caduc, tout comme la

figure du salarié comme moyen d’insertion dans le marché de travail (Boutang, 2005).

La solution envisagée passe par l’instauration d’une allocation universelle.

4.2.b. Capitalisme cognitif et allocation universelle

La mise en place d’un revenu inconditionnel s’inscrit donc dans la logique de la

rémunération de l’intelligence humaine : ainsi, « un tel revenu [garanti] rémunère la

coopération cognitive et le vivant comme vivant » (Boutang, 2005).

Les traits qu’on vient d’énoncer font de l’allocation universelle un revenu

primaire qui va au-delà de considérations purement redistributives. Du point de vue du

capitalisme cognitif, l’enjeu est la conservation de la production de connaissances, le

nouvel élément clé du système économique. C’est pour cela que le niveau du revenu

inconditionnel est censé être fixé à un niveau proche de celui du salaire minimum

(Boutang, 2005 ; Monnier et Vercellone, 2006).

Cette conception du revenu inconditionnel offre une réponse intéressante aux

problèmes de réciprocité qui nous occupent. En effet, le problème serait exactement le

Page 49: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

49

contraire de celui qu’on a décrit précédemment (cf. §4.1.c). Étant donné la coopération

sociale qui est à la base de la production de connaissances, l’apport au travail de tous les

membres de la société existe déjà via la création de ce substrat commun de savoir. Ce

qui n’existe pas est une rémunération pour une telle « économie non rémunérée

forcée » (Monnier et Vercellone, 2006). Autrement dit, le système productif repose sur

une connaissance qui est le résultat de l’action de tous les membres de la société. Or, il

n’existe pas de contrepartie monétaire reconnaissant un tel apport général.

Après tout ce qu’on vient de voir, l’allocation universelle apparaît comme un

moyen de garantir l’investissement dans le savoir, tout en reconnaissant sa production

sociale ainsi que le découplage entre travail et temps de travail direct.

Bien évidemment, les thèses présentées par les tenants du capitalisme cognitif ne

font pas l’objet d’un consensus général. Pour Michel Husson (2004), l’abandon du

système fordiste en faveur d’un système où l’intelligence humaine joue le rôle principal

est loin d’être vérifié dans la réalité. L’auteur défend l’idée d’un capitalisme de type

néotaylorien « qui intègre le savoir des travailleurs dans sa puissance productive »

(Husson, 2004). On peut de plus argumenter que l’évidence empirique semble

contredire les hypothèses de base du capitalisme cognitif. En effet, la croissance actuelle

est plus intensive en travail que pendant les trente glorieuses (la théorie économie rend

compte de ce phénomène –souligné déjà dans les années 50 par le paradoxe de Leontief-

en divisant le travail en travail qualifié et non qualifié : les pays développés seraient

donc spécialisés en ces activités intensives en travail qualifié). Il existe donc des doutes

raisonnables concernant l’hégémonie de la connaissance prônée par le capitalisme

cognitif dans les économies actuelles.

Page 50: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

50

TROISIEME PARTIE

Allocation universelle et offre de travail rémunéré

Page 51: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

51

« Rien, en vérité, ne pouvais être plus évident : le système

salarial exigeait impérativement l’abolition du "droit de

vivre" (…) : car, dans le nouveau régime de l’homme

économique, personne ne travaillerait pour un salaire s’il

pouvait gagner sa vie sans rien faire. »

Karl Polanyi, (1983 : 115 pour l’édition française)

Chapitre 5

Allocation universelle et incitations au travail rémunéré

« Mais, alors… qui va travailler ?! ». Invariablement, les défenseurs de

l’allocation universelle doivent faire face à une telle question du public quand ils

défendent un revenu inconditionnel pour tous. L’économie nous offre des outils pour

répondre plus précisément à cette intuition souvent exprimée par des « non

économistes » (§5.1). Loin de rester sur la défensive, les partisans de l’allocation

universelle essayent de convaincre du contraire : l’allocation universelle aurait des

effets positifs sur l’offre de travail étant donné qu’elle réduit les effets des trappes du

chômage (§5.2). De plus, en adoptant un point de vue plus provocateur, ils mettent en

doute le caractère de bien normal du loisir (§5.3). Le résultat est surprenant : au lieu de

décourager l’offre de travail, l’allocation universelle constituerait une mesure incitative

pour travailler !

Bien évidemment, le lecteur doit garder à l’esprit que, tout au long de cette

partie, l’analyse est ciblé sur le type de travail qui fait l’objet d’étude dans la plupart des

cas : le travail rémunéré. Par commodité, on parlera de « travail » pour faire référence

au travail de type rémunéré en laissant de côte les travaux domestiques ou bénévoles.

5.1. L’allocation universelle comme désincitation au travail

Comme on l’a déjà dit, l’économie est en mesure de nous fournir une élégante

démonstration au souci exprimé au début de ce chapitre : qui travaillera si on instaure

une allocation universelle ? Autrement dit, n’est-il pas vrai qu’avec une allocation

universelle on assisterait à une diminution de l’offre de travail ?

Page 52: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

52

Pour aborder cette question on doit analyser les deux effets auxquels l’analyse

économique traditionnelle fait référence pour évaluer l’impact des politiques sociales

sur l’offre de travail : l’effet substitution et l’effet revenu.

L’effet substitution est provoqué par la diminution de l’offre de travail qui

découle de la baisse de la rémunération du travail. Expliquons-le. Avec les minima

sociaux tels que le RMI, le taux marginal d’imposition sur l’aide par heure travaillé est

de 100%. Cela veut dire que pour chaque euro qu’on gagne en travaillant, le RMI

auquel on a droit tant qu’on reste au-dessous du seuil de revenu fixé, diminue d’un euro

aussi. En définitive, les rendements qu’on obtient grâce à une heure marginale de travail

diminuent (dans le cas extrême qu’on vient de décrire ces rendements sont nuls). On

analysera plus profondément cette question quand on traitera la question des trappes du

chômage (§5.2). Pour l’instant il suffit de comprendre que, face à une telle situation,

l’individu est amené à offrir moins de travail. Cela est dû au fait que le travail « paie

moins » et que par conséquent le loisir est moins cher (on considère que le prix du loisir

est égale à son coût d’opportunité, c'est-à-dire, aux rendements du travail). Tel est

l’effet substitution.

L’effet revenu, par contre, nous dit que, toutes choses égales par ailleurs, une

augmentation du revenu entraîne une augmentation de la consommation des biens

normaux. Le loisir étant pris comme un bien normal, face à l’augmentation du revenu

qui découlera de la mise en place d’une allocation universelle, notre consommateur

décidera de consommer plus de loisir et, donc, de travailler moins.

Néanmoins, l’allocation universelle présente un avantage par rapport aux

dispositifs traditionnels : elle n’a qu’un effet revenu. En effet, l’allocation universelle ne

diminue pas son montant au fur et à mesure que nos revenus du travail augmentent du

fait qu’elle a un caractère cumulatif avec tous les autres revenus. Par conséquent l’effet

substitution est nul. Cela étant, on peut démontrer à travers un exemple graphique le

mécanisme qui amène à une offre inférieure de travail à cause de l’effet revenu (Figure

4).

La Figure 4 représente le temps de travail choisit par l’individu sur l’axe

horizontale et la quantité de biens y sur l’axe verticale. Le temps qui n’est pas dédié au

travail est consacré au loisir. Notons que y peut être considéré comme l’ensemble de

biens privés que le consommateur peut acheter étant donné le salaire perçu pour le

temps dédié au travail.

Page 53: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

53

Avant de la mise en place de l’allocation universelle, notre consommateur

maximise sa fonction d’utilité U1 pour une contrainte budgétaire OO’. Il est facile de

comprendre la nature de cette contrainte : si on ne travaille pas, notre revenu est nul

(point O) et donc on ne peut acheter aucun bien. Au fur et à mesure qu’on dédie plus

d’heures au travail, notre revenu augmente. Bien évidemment, si on prend l’heure

comme unité de mesure du temps dédié au travail, la pente de la contrainte budgétaire

sera le salaire par heure de travail. Le résultat de la maximisation de l’utilité (point de

tangence entre la fonction d’utilité et la contrainte budgétaire) prend la forme d’un

temps de travail L0 qui donne accès à un panier de biens y0.

L’introduction d’une allocation universelle modifie la contrainte budgétaire. En

effet, même si l’individu décide de ne pas travailler, il aura un revenu OE (montant de

l’allocation universelle). Pour chaque heure travaillée son revenu augmentera d’une

quantité égale au salaire horaire. Le résultat est donc un déplacement vers le haut de la

contrainte budgétaire. La maximisation de l’utilité ne se fait plus par rapport à OO’ mais

par rapport à EE’. On est arrivé au résultat annoncé : notre individu maximise son utilité

avec la courbe U2 en choisissant la quantité de travail L1 (avec L1 < L0) qui donne accès

a une quantité de biens y1 (avec y1>y0). Par conséquent, l’offre de travail diminue du

fait de l’introduction d’une allocation universelle à cause de l’effet revenu qui en

découle. Le consommateur est en mesure de consommer plus en travaillant moins.

Les problèmes posés par cette désincitation au travail ne passent pas inaperçus

aux détracteurs de l’allocation universelle. Ainsi l’économiste de l’école autrichienne

L

y

y1

y0

E

E’

O

O’

L0 L1

Figure 4: Augmentation du loisir à cause de l’effet revenu

U1

U2

Page 54: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

54

Murray N. Rothbard (1978) dénonce plusieurs problèmes en relation avec la

désincitation. Malgré qu’il analyse le cas de l’impôt négatif sur le revenu, les

conclussions qu’il tire sont applicables au cas qui nous occupe. Le problème pour

Rothbard doit être abordé non seulement d’un point de vue statique (réduction de l’offre

de travail à un moment donné) mais aussi à travers une perspective dynamique

(conséquences ultérieures de cette réduction d’offre de travail). Si beaucoup de gens, la

plupart d’entre eux appartiendront vraisemblablement aux revenus les plus bas, décident

d’arrêter de travailler ou de réduire très sensiblement leur offre de travail, le

gouvernement devra taxer plus fortement aux riches pour être en mesure de continuer à

financer les dépenses sociales (dont l’allocation universelle). Cette augmentation de la

taxation sur les riches peut à son tour amener ce segment de la population à réduire

encore plus fortement leur offre de travail. On rentre dans une dynamique perverse où, à

la limite, personne ne travaille et, donc, le système de protection sociale n’est plus

soutenable.

L’évidence de cette critique ne la rend pas moins importante. Les défenseurs de

l’allocation universelle doivent essayer de démontrer qu’elle n’est pas une voie vers la

fainéantise généralisée et la destruction des bases du système économique. Les sections

suivantes sont dédiées aux arguments présentés en faveur de l’allocation universelle

comme outil d’incitation au travail.

5.2. Allocation universelle et trappes du chômage

5.2.a. Les mécanismes de la trappe du chômage

On peut définir les trappes du chômage comme un « mécanisme

multidimensionnel qui maintien les bénéficiaires d’allocations (…) dans une situation

d’exclusion de toute activité rémunérée déclarée » (Van Parijs, 1996b :5). Quels sont les

mécanismes qui provoquent cette exclusion ? Van Parijs (1996b) souligne deux sources

de chômage volontaire et une source de chômage involontaire qui sont à la base des

trappes du chômage. Il prend en compte également l’action de trois mécanismes qui

provoquent l’aggravation de cette trappe au fil du temps.

La première des sources de chômage volontaire vient de la faible (voire nulle)

différence de revenu existant entre le salaire obtenu avec le travail et l’allocation

Page 55: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

55

différentielle -tel que le RMI- qu’on perçoit sans travailler : le travail « ne paie pas » et

par conséquent il n’est pas attirant. Les études qui ont été réalisées montrent une

corrélation positive entre cette explication des conséquences des trappes du chômage et

le développement de mesures telles que la Prime Pour l’Emploi française ou l’EITC

américain pour favoriser le développement du travail à temps partiel (Gamel et al.,

2002). Le problème des allocations différentielles est dû aux taux d’imposition

marginaux effectifs élevés pour ceux qui passent du chômage à l’emploi. Expliquons-

nous à travers un exemple : Margot est une chômeuse qui perçoit un RMI de 500€

chaque mois. Un jour, Margot trouve un emploi à temps partiel avec un salaire de 350€

par mois. Le problème vient du fait que son RMI est une allocation différentielle que ne

vise qu’à assurer un revenu minimum (500€ dans notre exemple) et donc, quand Margot

commence à travailler, le RMI diminue de 350 €. Par conséquent, Margot continue à

gagner 500€ (350€ de son salaire et 150€ de son RMI). On dit que Margot a été soumise

à un taux marginal d’imposition de 100% étant donné que chaque euro gagné grâce à

son travail a provoqué un euro de diminution de l’aide à laquelle elle avait droit. Cela

étant, Margot a de fortes chances de faire le raisonnement suivant : « pourquoi

travailler si de toute façon mon revenu ne varie pas ? ».

On peut représenter graphiquement la situation qu’on vient de décrire en

reprenant la figure 1 présentée à la section 2.1.: toutes les personnes qui ont un revenu

brut inférieur à a subissent un taux marginal d’imposition de 100% sur son revenu. Ils

auront donc de fortes incitations à refuser le travail et à continuer à percevoir l’aide

publique (rappelons que dans notre exemple le revenu minimum est fixé à un niveau B).

Figure 1. Revenu minimum garanti conventionnel

Source : Creedy (1996 : 63)

Certes, les personnes ne répondent pas toujours à la logique de l’homo

oeconomicus rationnel et calculateur des revenus du travail et de l’allocation chômage.

Revenu net

Revenu brut

B

a

C

T

Page 56: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

56

Les personnes ont souvent des motivations différentes que celles d’ordre économique

pour décider d’accepter un travail (Ilkka, 2004). D’ailleurs, même le fait d’accepter un

travail qui ne paie pas dans un premier moment peut répondre à une logique purement

économique si l’individu pense que le fait de l’accepter peut lui donner dans le futur la

possibilité d’atteindre des postes avec une meilleure rémunération. C’est le modèle des

trappes de chômage dynamiques présenté par Laurent et L’Horty (2003).

La deuxième source de chômage volontaire, souvent négligée par les

économistes, est plus subtile et fait référence aux notions de sécurité et d’incertitude

(Van Parijs, 1996b : 5-6 ; Raventós, 2002). En effet, les personnes qui passent du statut

de chômeur à celui de travailleur subissent un changement drastique dans la structure

des revenus. On passe de la perception d’un revenu assuré par une organisation très

fiable comme l’est l’Etat à la dépendance vis-à-vis d’un patron qui peut retarder le

paiement du salaire ou, dans le pire des cas, ne pas payer. D’un autre côté, il est possible

que le salarié ne soit pas à la hauteur du travail et donc qu’il soit licencié. Le processus

pour retrouver alors à nouveau la condition de bénéficiaire des aides sociales peut

apparaître comme pénible, dénigrant ou trop difficile à suivre. L’arrêt du flux de revenu

qui pourrait en découler devient dramatique pour ceux qui ne disposent pas

d’économies suffisantes pour subsister. L’insécurité dans le cas de la dépendance vis-à-

vis d’un patron qui peut être un parfait irresponsable et l’incertitude (« Serai-je à

l’hauteur des exigences du poste ? ») se conjuguent pour inciter les personnes à se

maintenir sous la protection des minima sociaux. Cette décision est particulièrement

rationnelle pour ces personnes dans des situations très défavorables (ceux qui n’ont ni

les réserves financières suffisantes ni l’aide de proches) : dans ce cas l’interruption du

revenu peut provoquer une spirale fatale d’endettement. Impossible pour eux de jouer à

l’homo oeconomicus qui calcule les probabilités plus ou moins fortes de subir un

contretemps comme celui qu’on vient de décrire.

Le dernier des mécanismes qui nourrit la trappe du chômage est un facteur de

chômage involontaire. En effet, on considère que les entreprises auront peu d’incitations

à offrir des postes dont la rémunération diffère peu ou pas du tout du niveau des revenus

de remplacement (celui assuré par les minima sociaux). Ce fait est dû à deux raisons :

- D’un côté on peut s’attendre à ce que le travailleur ne soit pas suffisamment

motivé pour la réalisation du travail à cause du premier mécanisme des trappes

du chômage qu’on a commenté : pour le travailleur il est pratiquement

Page 57: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

57

équivalent de travailler que de percevoir les minima sociaux. C’est à cause de

cela que l’entreprise n’escomptera qu’une faible rentabilité en offrant le poste.

Historiquement, on trouve un exemple de baisse de la productivité du travail

comme conséquence de la mise en place de transferts différentiels lors de

l’instauration au XVIIIème siècle de la dernière législation anglaise sur la loi des

pauvres à Speenhamland (Polanyi, 2003 ; cf. §6.2.b)

- Le deuxième facteur qui rend compliquée l’offre de postes à faible rémunération

vient s’ajouter à l’escompte d’une faible rentabilité : il s’agit des coûts de

transaction. En effet, l’embauche exige un effort en termes de recherche et de

sélection de la personne adéquate. Ces coûts diminuent encore plus la rentabilité

attendue. En économie du travail on décrit ce fait comme l’opposition entre

insiders (personnes qui travaillent) et outsiders (personnes qui sont à la

recherche de travail). Les coûts d’embauche et de licenciement se conjuguent

avec la moindre productivité des outsiders par rapport à celle des insiders pour

rendre sans intérêt l’embauche des outsiders même à un salaire inférieur à celui

des insiders.

Que ce soit à cause du manque de motivation du travailleur, des coûts de

transaction ou de ces deux facteurs combinés, les résultats vont toujours dans la même

direction : on a de fortes chances que l’entreprise décide de ne pas offrir le poste. Par

conséquent, le travailleur, même s’il était disposé à accepter le poste, doit rester chez

lui : il devient donc chômeur involontaire.

Un des principaux problèmes de la trappe du chômage est son aggravation au fil

du temps : plus on y est confronté, plus il est difficile d’en sortir. On soulignera trois

facteurs pour expliquer ceci : la perte de savoir-faire, la recherche d’autres motivations,

et la discrimination vis-à-vis des chômeurs de longue durée.

D’abord la trappe s’aggrave avec le temps à cause de la dégénérescence des

capacités productives du travailleur. Effectivement, le travailleur reste plus longtemps

inactif ce qui provoque la perte de son savoir faire, ce fait pouvant être expliqué par la

faible incitation à accepter les travaux à faible rémunération (cf. ci-dessus). Cela étant,

le travailleur fait face à une situation où, de plus en plus, il n’aura le choix que parmi

des travaux à faible productivité qui lui apparaîtront moins attirants. On rentre dans un

cercle vicieux (refus de travail, perte de savoir faire, offres moins attirantes) auquel il

est très difficile d’échapper.

Page 58: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

58

Le deuxième facteur qui agit dans le temps et qui rend plus difficile la sortie de

la trappe du chômage est l’orientation progressive vers d’autres activités que la

recherche d’un travail rémunéré. Ce processus est le résultat du découragement

provoqué par un échec continu dans cette recherche. Dans ce sens, Van Parijs

(1996b :7) affirme que « ne fût-ce que pour survivre psychologiquement, ceux qui sont

coincés dans la trappe doivent réorienter leur conception de ce qui importe dans la vie

vers autre chose que le travail salarié déclaré ».

Finalement, on doit prendre en compte un troisième facteur qui peut être

considéré comme une conséquence de la diminution du savoir-faire et de la

démotivation pour le travail : les employeurs auront intérêt à mener à bien une

discrimination vis-à-vis des chômeurs de longue durée étant donné que c’est dans cette

catégorie de chômeurs que les effets négatifs sur les capacités productives et la

motivation sont les plus profonds. La longueur de la période de chômage devient alors

pour l’entreprise un indicateur assez confortable du degré d’employabilité du

travailleur.

Figure 5 : Mécanismes et permanence de la trappe du chômage

Maintien permanent au sein de la trappe

Faible ou nulle différence entre travail et minima sociaux

Insécurité et incertitude Pas d’offre des postes à faible rémunération

TRAPPE DU CHÔMAGE

Dégénérescence des habilités productives

Recherche d’autres motivations

Discrimination vis-à-vis les chômeurs de longue durée

Passage du temps

Source : Elaboration propre.

Page 59: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

59

La figure 5 résume les mécanismes de la trappe du chômage présentés ci-dessus en

mettant en relief un aspect très important : la rétroaction entre tous les mécanismes qui

explique pourquoi au fur et à mesure que le temps passe, la trappe du chômage devient

un obstacle difficilement surmontable.

5.2.b. L’allocation universelle comme outil contre la trappe du chômage

Quelle est l’avantage de l’allocation universelle face aux dispositifs

traditionnels de revenu minimum ? La réponse vient de son caractère cumulable. En

effet, chaque euro gagné grâce au travail n’implique aucune diminution de l’allocation

universelle perçue. Techniquement, l’allocation universelle offre un taux marginal

libératoire, c'est-à-dire, un taux marginal de 0%. L’action sur les trois mécanismes qui

sont à la base des trappes du chômage est manifeste : avec une allocation universelle ils

tendent à disparaître.

Tout d’abord le travail salarié dans ce cas paie immédiatement étant donné qu’il

n’existe aucun coût d’opportunité entre le travail choisi et l’allocation universelle.

Néanmoins, comme Piketty (2004) le souligne, si ce qu’on veut est diminuer le taux

marginal d’imposition pesant sur les bas revenus pour que les travaux « paient »

immédiatement, il suffit de permettre que des dispositifs déjà existants comme le RMI

deviennent partiellement cumulables. Il n’y a donc pas besoin de mettre en place un

dispositif qui verse un revenu aux plus riches pour ensuite prélever une quantité

supérieure à travers les impôts.

Ensuite, en ce qui concerne le deuxième mécanisme des trappes du chômage,

l’argument en faveur de l’allocation universelle est plus solide : l’insécurité et

l’incertitude face à des contingences telles qu’un patron particulièrement incompétent

ou l’incapacité d’être à la hauteur des exigences du poste, perdent en intensité. En effet,

tant que l’allocation universelle est au moins fixée au seuil de pauvreté, le retard dans

les paiements n’implique pas la privation des besoins les plus élémentaires et le fait

d’être licencié n’engendre pas le début d’interminables et pénibles démarches

administratives.

Finalement, en ce qui concerne les entreprises, la flexibilité qui peut découler de

la mise en place d’une allocation universelle rend possible l’offre de travail à plus faible

productivité (cf. §6.2.b).

Page 60: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

60

C’est ainsi que les défenseurs de l’allocation universelle développent leur

premier argument. En effet, avec une telle mesure, les individus qui autrement refusent

les travaux insuffisamment rémunérés dans le cas des transferts différentiels, ont de plus

fortes chances de les accepter. Donc, cet argument n’est que partiellement contrebalancé

par la possibilité de rendre le dispositif de revenu minimum partiellement cumulable tel

que Piketty le suggère. Cependant, il existe d’autres types de considérations qui

nuancent l’intérêt d’une telle diminution des taux marginaux d’imposition sur les bas

revenus. C’est le cas de la théorie de l’imposition optimale.

5.2.c. Systèmes fiscaux optimaux et trappes du chômage

La théorie de la taxation optimale vise à définir les caractéristiques du système

fiscal en essayant de rendre compatibles les critères de justice et d’efficience. Souvent,

en adoptant un critère rawlsien, on considère que le but doit être la maximisation des

recettes fiscales pour être en mesure de fournir le revenu le plus élevé possible aux plus

démunis (Piketty, 1997 ; Van der Veen et Van Parijs, 1986). Cette idée semble être à la

base de l’argumentation de Van Parijs (1996a) lorsqu’il défend une allocation

universelle la plus élevée possible et qui soit compatible avec l’efficience. Le but est de

maximiser le montant qui serait distribué parmi les citoyens.

La théorie de la taxation optimale exige une différenciation claire entre des

concepts de base tels que taux marginal d’imposition et taux moyen d’imposition. On a

déjà eu l’opportunité de se familiariser avec le concept de taux marginal d’imposition

quand on a traité les problèmes concernant l’incitation au travail à travers les transferts

différentiels (§5.2.a). Ainsi, on peut définir le taux marginal d’imposition entre deux

niveaux de revenu comme « la somme de tous les prélèvements et transferts

supplémentaires qu’un individu devra payer ou recevoir s’il passe de l’un à l’autre de

ces niveaux de revenu, exprimée en pourcentage de la différence de revenu brut »

(Piketty, 2004 : 96). Le taux moyen d’imposition, quant à lui, représente le pourcentage

du revenu brut qui est dédiée au paiement d’impôts et transferts. Une fois qu’on a

défini ces concepts, il faut se demander quelles sont les caractéristiques qui, d’après la

théorie économique, devraient être remplies par le système fiscal pour atteindre les

objectifs d’efficience et de justice.

Page 61: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

61

En prenant le cas d’un impôt progressif non linéaire -plus adéquat pour décrire la

réalité des systèmes fiscaux actuels dans la plupart des pays- Stiglitz (2000) signale les

trois principes basiques qui caractérisent les impôts progressifs et efficients :

1. On utilise des taux moyens d’imposition élevés face à des taux marginaux

effectifs peu élevés.

2. Le nombre de personnes soumises à des taux marginaux élevés doit être le plus

faible possible pour éviter les effets négatifs sur les incitations au travail.

3. Les taux marginaux effectifs élevés doivent s’appliquer sur la catégorie de

personnes pour lesquelles l’impôt crée moins d’inefficiences.

Ces recommandations sont assez intuitives (cf. Annexe 3 pour une

démonstration théorique des résultats). Tout d’abord la troisième caractéristique

implique une relation inverse entre le taux marginal d’imposition optimal et l’élasticité

de l’offre de travail (Piketty, 1997) : plus l’offre sera élastique, moins le taux marginal

d’imposition devra être élevé. Le but est d’éviter qu’une plus grande pression fiscale

décourage la recherche d’un emploi ou le passage à une tranche supérieur de revenu à

travers l’obtention d’un meilleur emploi.

D’un autre côté, l’augmentation des taux marginaux à partir d’un certain niveau

de revenu se traduit par une hausse des impôts pour les couches qui ont un revenu

supérieur à ce niveau et par une désincitation au travail pour les personnes qui sont en

dessous de ce niveau (l’accès à ce niveau « paie » moins du fait de l’élévation du taux

marginal d’imposition [Piketty, 1997]). C’est pour cela qu’on a intérêt à réduire la

quantité de personnes soumises à des taux marginaux d’imposition élevés (premier et

deuxième point ci-dessus). La mise en pratique de ce principe exigera donc que les taux

marginaux les plus élevés s’appliquent sur une couche de la population telle que la

quantité d’individus avec un revenu inférieur à celui des individus de cette couche soit

la plus réduite possible.

A partir de ces constats, on peut fournir une justification de la structure des taux

marginaux française qui est caractérisée par une forme en « U » (Piketty, 1997), c'est-à-

dire, les taux marginaux les plus élevés retombent sur les bas et les hauts revenus.

D’après ce qu’on vient de voir, ce choix est tout à fait justifié. En effet, à moins qu’on

fasse des hypothèses extrêmement optimistes sur les incitations au travail de l’allocation

universelle, la maximisation de la recette fiscale justifie un taux marginal d’imposition

Page 62: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

62

élevé lors du passage de l’inactivité à l’emploi étant donné que la densité d’agents est

moindre chez les chômeurs que chez les actifs (cf. Piketty, 1997 et Annexe 3). Cela

étant, la forme en « U » des taux marginaux d’imposition apparaît comme la forme la

moins coûteuse à fin d’aboutir à notre objectif rawlsien : la maximisation des recettes

fiscales (on suppose que l’élasticité de l’offre de travail ne varie pas avec le revenu).

Vanderborght et Van Parijs (2005 : 96) semblent adhérer à cette idée quand ils nous

disent que « les mesures imaginées pour éviter le coût prohibitif de l’instauration d’une

allocation universelle « complète » impliquent nécessairement un profil régressif des

taux marginaux effectifs d’imposition ».

Le problème qui se pose par rapport à notre explication précédente des trappes

du chômage est manifeste. En effet, on a constaté que les taux marginaux régressifs

posaient des problèmes en ce qui concerne l’incitation au travail des individus et qu’ils

contribuaient à l’apparition des trappes du chômage ! Il apparaît que la recherche de la

maximisation au moindre coût du montant de l’allocation universelle n’est pas

compatible avec le taux marginal d’imposition libératoire pour le passage du chômage à

l’emploi. Il existerait donc une contradiction entre l’optimalité pour le financement du

transfert et l’élimination d’un des mécanismes les plus importants à la base des trappes

du chômage.

Cependant, la réalité montre que l’hypothèse d’une élasticité d’offre du travail

indépendant du revenu n’est pas réaliste. En effet, Piketty (2004) remarque que

l’introduction de l’EITC aux États-Unis a permis de mettre en évidence une importante

incitation au travail des personnes à bas revenus du fait que les emplois « paient plus »

(l’EITC octroie un crédit d’impôt de 40% du salaire pour ceux qui touchent moins de

9000 dollars). L’élasticité de l’offre de travail des personnes à bas revenu s’est avérée

comme étant légèrement supérieure à 1 alors que les élasticités pour les niveaux de

revenu moyens et élevés étaient nettement plus faibles. Cela étant, l’aplatissement de la

première partie de la courbe en « U » des taux marginaux d’imposition retrouverait sa

légitimité grâce à la plus grande élasticité de l’offre de travail des bas revenus. En effet,

une forte élasticité de l’offre de travail rend peu désirable pour la puissance publique

l’application de taux marginaux d’imposition élevés du fait de la forte désincitation au

travail qui en découle. Cela étant, l’allocation universelle apparaît à nouveau comme un

outil effectif contre les trappes du chômage. Finalement, une dernière justification pour

éliminer les taux marginaux d’imposition élevés sur le passage du chômage à l’emploi

Page 63: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

63

peut être fournie si on abandonne le principe guide rawlsien de maximisation des

transferts en faveur d’une recherche de la création du plus grand nombre d’emplois

(Piketty, 1997).

5.3. Le loisir comme bien inférieur

Etant donné que l’allocation universelle n’a pas d’effet de substitution (cf. §5.1),

le fait de diminuer ou non l’offre de travail dépend entièrement de l’effet revenu. Cela

étant, l’indétermination habituelle entre les effets contraires de l’effet substitution et

l’effet revenu ne se pose pas pour le cas qui nous occupe. Autrement dit, si le loisir est

un bien normal, on est sûr que l’augmentation du revenu qui découle de la mise en place

d’une allocation universelle provoque ensuite une augmentation de la consommation du

loisir, c'est-à-dire, une baisse de l’offre de travail.

L’étude menée par Gamel, Balsan et Vero (2002) s’attaque à vérifier

empiriquement l’hypothèse contraire : peut-on dire que le loisir est un bien inférieur ?

La confirmation d’une telle supposition démontrerait que l’introduction d’une allocation

universelle n’aurait pas d’effets négatifs sur les incitations au travail étant donné que le

fait d’avoir plus de revenu se traduirait par une moindre consommation de loisir.

Les auteurs mettent en évidence quatre arguments qui expliquent pourquoi le

loisir peut être considéré comme un bien inférieur. Premièrement, le travail peut en lui-

même constituer une source de satisfaction pour l’individu. Un deuxième argument

souligne que l’inactivité peut être vécue difficilement étant donné le rôle prépondérant

et valorisant du travail dans nos sociétés. Dans un troisième temps on remarque

également que le travail peut devenir le principal moyen d’insertion sociale au détriment

du loisir quand d’autres institutions comme la famille ou les associations font défaut. En

fin, le travail peut être vu comme une opportunité pour accéder à des responsabilités

plus importantes dans le futur même si initialement il n’est pas très attirant (cette idée

est également présente dans la théorie des trappes du chômage dynamiques de Laurent

et L’Horty [2003]).

L’étude microéconométrique réalisée par Gamel, Balsan et Vero porte sur un

échantillon de jeunes de moins de 25 ans en 1994 avec une formation équivalente ou

inférieure au baccalauréat. Cet échantillon est jugé comme particulièrement pertinent du

Page 64: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

64

fait que les jeunes à faible qualification présentent des difficultés d’insertion

professionnelle (on présume, donc, que les effets désincitatifs pour le travail de

l’allocation universelle se feraient sentir plus fortement chez ce type d’individus). Pour

évaluer leur comportement en termes d’offre de travail, les interrogés sont placés dans

une situation où une allocation universelle de 2000 francs par mois (environ 300€ par

mois) leur serait versée.

Les résultats de l’étude sont assez concluants : pour deux tiers de l’échantillon

(68,4%) le loisir n’est pas un bien normal au sens strict étant donné que, même avec

l’instauration d’une allocation universelle, ils continueraient à travailler (55% ne

changeraient rien et 13% différerait leur offre de travail pour améliorer leur niveau de

formation). On observe que les personnes ayant le niveau de formation le plus élevé (en

l’occurrence le baccalauréat) et travaillant à temps plein sont les moins enclines à

modifier leur comportement. Par contre, les travailleurs moins qualifiés et ceux

embauchés à temps partiel ont une plus grande tendance à diminuer leur offre de travail

avec la mise en place d’une allocation universelle. Les auteurs expliquent ce fait en

remarquant que pour le cas des travailleurs à temps partiel « la situation risque d’être

plus souvent “subie” que “choisie” » (Gamel et al., 2002 : 19). Les jeunes avec le

baccalauréat, en revanche, auraient accès à des emplois plus satisfaisants et motivants

sur le marché primaire.

Si on cible les personnes qui choisissent de réduire leur offre de travail, on

trouve un comportement tout à fait logique : les personnes avec un emploi satisfaisant

décident de consommer plus de loisir tandis que celles qui jugent leur insertion mal

assurée décident d’investir dans une amélioration de leur capital humain ou d’opter pour

un changement d’emploi.

D’après ce qu’on vient de voir, il apparaît que l’identification du loisir comme

étant un bien normal n’est pas justifiée du point de vue empirique (au moins pour le cas

des personnes à moyenne ou faible qualification). Certes, il faut être prudent quand on

interprète les résultats des enquêtes portant sur des situations hypothétiques. En effet, le

comportement des agents face à une allocation universelle effective de 300€ pourrait

être bien différent de ce qu’ils déclarent a priori. Tels sont les limites des outils

d’analyse dont on dispose. En tout état de cause, la recherche de Marx et Peeters (2004)

sur les gagnants du W4L belge (cf. §3.1.a) offre des résultats semblables : parmi les 14

personnes gagnants du W4L vivant seules et travaillant avant de gagner le prix,

Page 65: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

65

seulement une personne a arrêté de travailler. Les auteurs soulignent que parmi le cas

des couples, les résultats sont moins transposables au cas de l’allocation universelle

étant donné les hypothèses qui sont à la base de leur étude.

En conclusion, on a introduit un certain nombre d’éléments –élimination des

trappes du chômage et mise en question du loisir comme bien normal- permettant de

nuancer le redoutable effet négatif de l’allocation universelle sur l’offre de travail.

D’ailleurs, nous avons souligné que le fait de travailler ne répond pas qu’à des

motivations économiques. Effectivement, la réalisation d’un travail peut également

répondre à une recherche d’un plus grand degré de reconnaissance sociale, à un désir

d’insertion dans un certain milieu, au besoin d’autoréalisation personnelle… Cela étant

on parvient à démontrer que la question de la relation entre allocation universelle et

incitations au travail n’est pas du tout tranchée. On devrait attendre la mise en place

effective de ce revenu inconditionnel pour connaître d’une manière précise ses impacts.

Page 66: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

66

« Les bas salaires sont pour ceux qui effectuent des tâches

pénibles, répétitives et monotones ».

John Kenneth Galbraith (2004 : 35)

Chapitre 6

Allocation universelle, flexibilité et salaires

Une des recettes préférées des économistes pour résoudre le problème du

chômage est la flexibilité du marché du travail. Pour aborder ce sujet nous nous

pencherons dans un premier temps sur les mutations du système économique qui

poussent vers un besoin croissant d’augmentation de la flexibilité du marché du travail

(§6.1.a). On analysera également les raisons selon lesquelles l’allocation universelle

serait un outil parfaitement adapté à ce nouveau besoin de flexibilité (§6.1.b). Nous

avons affirmé dans notre argumentaire sur le droit au travail que l’allocation universelle

n’était pas incompatible avec le partage du travail : ce chapitre y apporte une

justification. Ensuite, on étudiera les effets attendus d’une allocation universelle sur les

salaires (§6.2.a) en portant une attention particulière sur une éventuelle suppression ou

réduction du salaire minimum (§6.2.b). Ce dernier élément pourrait rendre possible

l’offre de travaux à faible rémunération intéressants. En fin, nous discuterons d’une

possible hausse du pouvoir de négociation du travailleur (§6.3) qui aurait un impact sur

les deux facteurs traités précédemment. D’un côté elle pourrait constituer un

contrepoids à la flexibilisation croissante du temps de travail puisque les travailleurs

seraient en mesure d’exiger de meilleures conditions. Le danger de précarisation du

travail serait donc réduit. D’ailleurs, l’augmentation du pouvoir de négociation pourrait

entraîner une hausse du salaire obtenu par les travailleurs lors des négociations

salariales. Dans la mesure où nous serons capables de montrer que l’allocation

universelle peut faire augmenter les salaires, nous appuierons donc une des conclusions

de nos chapitres précédents, à savoir que l’allocation universelle ne suppose pas une

exploitation des travailleurs par les non travailleurs puisque la situation des travailleurs

eux-mêmes s’améliore.

Page 67: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

67

6.1. Allocation universelle et flexibilité

6.1.a. Un nouveau contexte économique

La flexibilisation du temps de travail est souvent présentée comme une nécessité

face aux changement d’environnement économique et aux mutations dans les structures

sociales que nous vivons actuellement. Ainsi, on a déjà souligné que les conditions du

consensus keynésien dont on a bénéficié lors des trente glorieuses (le white male

breadwinner, CDI à temps complet…) sont de plus en plus remises en question. Même

si notre présentation risque d’être schématique, on peut rendre compte des principaux

mécanismes qui vont dans ce sens. Tout d’abord, les entreprises cherchent une plus

grande flexibilité dans leur production pour s’adapter à des marchés et à des flux de

demande très instables. Ainsi, la nouvelle organisation de la production postfordiste

cherche à éliminer les stocks et à optimiser les délais de livraison des produits à travers

le développement de méthodes comme le « just in time » (Miravet, 2000). Enfin, la

mondialisation, de son côté, intensifie la compétition entre les pays. Tous ces facteurs se

conjuguent pour faire du travail un coût variable dans le processus productif. Le résultat

est le développement des formes atypiques ou flexibles de travail (Vielle et Walthery,

2002) et l’apparition d’un chômage structurel et non conjoncturel (Rey, 2004).

Cette croissance du besoin de flexibilité du travail pose quelques problèmes

étant donné la structure des systèmes de protection sociale actuels. En effet,

« l'encouragement d'emplois assortis de salaires inférieurs aux minimums garantis, par

la création de statuts hybrides ensuite, à mi chemin entre chômage et emploi, qui ne

donnent pas lieu à cotisations, n’ouvrent pas nécessairement les droits à certaines

prestations sociales et sont privés de tout ou partie de la protection traditionnellement

assurée par le droit du travail » (Vielle et Walthery, 2002 : 6-7). Par conséquent, une

flexibilisation croissante présente le danger de détériorer la situation de certains

travailleurs qui ne bénéficient plus du système de protection sociale ce qui provoque des

résistances tout à fait compréhensibles de leur part. Il semble donc nécessaire de

maintenir un système de protection sociale minimum pour tous face aux transformations

économiques contemporaines.

Dans quelle mesure l’allocation universelle est-elle un outil qui permettrait un

accroissement de la flexibilité dans le travail tout en assurant une protection à travers la

couverture des besoins les plus basiques ? Une première réponse souligne que

Page 68: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

68

l’allocation universelle rend plus facile le développement du partage volontaire du

travail. Cette possibilité fait l’objet d’étude dans le paragraphe suivant.

6.1.b. Allocation universelle et développement du travail à temps partiel

L’allocation universelle tend à favoriser le développement du travail à temps

partiel, autrement dit, le partage du travail et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, la

forte réduction de la trappe du chômage dans sa double conception (aversion au risque

et taxation marginal à 100% des dispositifs de revenu garanti) permet d’après Van Parijs

(2003) de rendre possible l’apparition de travaux à faible rémunération comme ceux à

temps partiel. Néanmoins, cette possibilité ne devient envisageable que si l’allocation

universelle comporte une réduction –voire une suppression- du salaire minimum [cf.

§6.2.b.]. Or, Van der Veen et Van Parijs (1986b) soulignent que l’allocation universelle

pourrait être victime de son propre succès. En effet, face à l’augmentation des taux

d’imposition que peut provoquer la mise en place d’un tel revenu inconditionnel, les

individus ont de fortes chances de choisir les travaux plus agréables mais plus

faiblement rémunérés qui sont désormais offerts. Le résultat est une érosion des recettes

fiscales mettant en échec le financement des transferts.

Deuxièmement, on peut donner un exemple démontrant la logique de la

substitution de la part des individus du travail à temps partiel au travail à temps

complet. Imaginons que Yann travaille comme serveur pendant 7 heures par jour. Le

salaire horaire net étant de 10 euros, notre serveur touche 1400 euros nets par mois si il

travaille 35 heures par semaine. Imaginons qu’une allocation universelle de 500 euros

soit mise en place. Bien évidemment, le fait de disposer de 1900 euros par mois (1400

euros du travail et 500 euros de l’allocation universelle) provoquera alors

l’augmentation des impôts de Yann. Cela étant, il est possible qu’il opte pour un travail

de serveur à temps partiel avec, par exemple, 30 heures de travail par semaine et un

salaire net mensuel de 1000 euros (le salaire horaire est réduit à 8,33 euros). Par

conséquent, en prenant en compte le scénario avec l’allocation universelle, Yann peut

consommer 5 heures de loisir en plus par semaine tout en bénéficiant d’un revenu net

supérieur à ce qu’il avait précédemment (il gagne effectivement 1500 euros : 1000 du

travail et 500 de l’allocation universelle). Bien évidement, cet exemple est extrêmement

simple et dépend fortement du montant accordé à l’allocation universelle. Néanmoins, il

sert à exprimer une intuition qui a déjà été approuvée par la figure 4 : l’individu a intérêt

Page 69: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

69

à réduire son offre de travail en raison de l’effet revenu qui découle de la mise en place

d’une allocation universelle. Notons que cela ne veut pas dire que les individus décident

de ne plus travailler : tout simplement ils réduisent leur journée de travail en permettant

de cette manière le partage du travail. Les défenseurs de l’allocation universelle sont

convaincus que ce mécanisme est plus efficace que les mesures coercitives qui visent à

imposer le partage du travail.

6.2. Allocation universelle et salaires

6.2.a. Evolution des salaires avec allocation universelle

Quand on parle des effets de l’allocation universelle sur les salaires il est

habituel de se rapporter à l’article fondateur de Van der Veen et Van Parijs (1986). Dans

cet article, les auteurs prévoient que la mise en place d’un tel revenu inconditionnel

entraîne l’augmentation de la rémunération des travaux les plus désagréables tandis que

les salaires des travaux gratifiants diminuent. Cela étant, le maintien de la réalisation

des tâches les plus déplaisantes est rendu possible grâce à l’augmentation de leur

rémunération. Effectivement, sans cette augmentation, on peut penser que l’introduction

d’une allocation universelle inciterait les individus à ne plus effectuer les travaux les

plus ingrats et les moins rémunérateurs. Quant aux tâches excessivement désagréables

qui ne sont pas réalisées même si leur rémunération augmente, certains auteurs

suggèrent comme solution des options plus élaborées et empruntées aux démocraties de

la Grèce classique. On propose ainsi d’avoir recours au tirage au sort pour décider des

personnes qui réaliseront ces travaux (Raventós, 2001).

Or, en adoptant un point de vue critique, on peut soutenir que ce rééquilibrage

des salaires comporte un biais inflationniste. Imaginons qu’avec une allocation

universelle personne ne veuille décharger à l’aube les camions de fruits qui fournissent

les supermarchés parce qu’on préfère dormir. Alors, le salaire, initialement faible, des

personnes qui réalisent cette tâche augmentera du fait du manque d’offre de travail. Cela

étant, il y aura certainement des individus qui décideront de reprendre l’activité.

Néanmoins, la hausse du salaire sera répercutée sur le prix final du produit en le rendant

plus cher. L’allocation universelle risque donc d’engendrer une hausse des prix des

Page 70: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

70

produits qui résultent d’activités désagréables, provoquant ainsi une réduction de sa

valeur réelle et une perte de pouvoir d’achat chez le consommateur. Encore une fois, il

est clair que nous raisonnons dans l’abstrait. Néanmoins, sans résultats empiriques sur

les effets inflationnistes de l’allocation universelle, on ne peut pas évaluer la pertinence

de cette critique. De plus les produits peuvent être le résultat de plusieurs travaux

(agréables et désagréables) dont les salaires sont intégrés dans leur prix. Étant donné

que l’allocation universelle a des effets contraires sur les salaires (augmentation de la

rémunération pour les travaux désagréables et diminution pour ceux qui sont agréables),

l’effet final sur le prix est indéterminé.

D’autres opinions plus pessimistes considèrent que l’instauration d’une

allocation universelle provoquera une baisse générale des salaires puisque les

entreprises sauront que les besoins les plus basiques sont déjà couverts par un tel revenu

inconditionnel (Vanderborght, 2004). Le risque de baisse général des salaires nous fait

rentrer dans un des domaines où les tensions entre les différentes conceptions de

l’allocation universelle sont davantage manifestes, à savoir la relation entre allocation

universelle et salaire minimum. En effet, ce danger de baisse générale des salaires sera,

pour les bas salaires, plus évident si l’allocation universelle comporte une élimination

ou une réduction du salaire minimum. Le paragraphe suivant et la dernière section de ce

chapitre analysent le bien fondé de ces craintes. Commençons par traiter les différents

regards concernant le tandem allocation universelle/salaire minimum.

6.2.b. Allocation universelle et salaire minimum

Certains partisans de l’allocation universelle pensent que la mise en place d’une

telle mesure permettrait l’abrogation du salaire minimum. Bien évidemment, les effets

d’une telle suppression dépendent du montant accordé à l’allocation universelle. Deux

scénarios sont envisageables :

1. Le montant de l’allocation universelle est fixé au-dessus ou équivalent au niveau

du salaire minimum à temps complet (1286 euros en janvier 2005 pour la France

d’après l’INSEE). C’est l’option défendue par Boutang quand il réclame une

allocation universelle proche du salaire minimum, « nettement au-dessus du

niveau de pauvreté » (Boutang, 2005). Dans ce cas la suppression du salaire

minimum ne poserait aucun problème : la situation des travailleurs les moins

productifs ne se dégraderait pas.

Page 71: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

71

2. Le montant de l’allocation universelle est nettement inférieur à celui du salaire

minimum à temps complet. Dans ce cas nous considérons trois voies d’action :

2.1. Le salaire minimum est abrogé : certains travailleurs y perdent (dans un

cadre de concurrence pure et parfaite il s’agit des travailleurs à temps

complet dont la productivité marginale –désormais égale à leur salaire-

est tellement faible que le fait d’ajouter le montant de l’allocation

universelle ne leur permet pas d’atteindre les 1286 euros du SMIC

actuel) tandis que les autres travailleurs y gagnent financièrement avec ce

changement.

2.2. Le salaire minimum est diminué du montant de l’allocation universelle :

la situation des travailleurs reste, dans le pire des cas, inchangée.

2.3. Le salaire minimum reste au même niveau : La situation de tous les

travailleurs à faible productivité s’améliore.

Bien évidemment, pour bien cibler les « gagnants » et les « perdants », notre

analyse devrait considérer les effets après transfert du financement de l’allocation

universelle sur les travailleurs pour prendre en compte les contribuables nets et les

bénéficiaires nets. Néanmoins, étant donné qu’on raisonne à moyen de financement

indéterminé, on ne peut pas rendre compte de ce fait. Notons qu’on peut, d’ailleurs,

faire l’hypothèse que l’allocation universelle est financée avec les ressources externes

au travail comme, par exemple, le capital. En formulant une telle hypothèse on n’a plus

besoin de différencier travailleurs contribuables et travailleurs bénéficiaires.

En reprenant les impacts de l’allocation universelle sur le salaire minimum, la

plupart de propositions considèrent que par pragmatisme -et quelque part par réalisme-

le montant de l’allocation universelle doit se fixer au niveau du seuil de pauvreté (50%

du revenu équivalent médian national pour le cas de la France). Étant donné que,

d’après l’Observatoire des Inégalités en France, le seuil de pauvreté est égal à 645 euros

par mois pour un individu vivant seul en 2003, il est clair que le SMIC (1286 euros) est

bien au-dessus de ce niveau. Par conséquent, le scénario 1 (allocation universelle d’un

montant égal à celui du SMIC) apparaît comme peu envisageable et donc il faut se

concentrer sur les différentes opinions qui se développent au sein du scénario 2

(allocation universelle d’un montant inférieur à celui du SMIC).

Page 72: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

72

Les options 2.1 et 2.2 s’inscrivent dans une vision libérale qui considère que le

salaire minimum est une entrave au jeu du marché empêchant l’offre de certains postes

dont la rémunération serait inférieure. C’est pour cela que l’allocation universelle en

baissant le salaire minimum est vue comme une opportunité à fin de flexibiliser le

marché du travail. On argumente que ces mesures vont en faveur des travailleurs les

moins qualifiés étant donné qu’elles permettent l’offre de travaux attractifs mais à faible

rémunération qui avec un salaire minimum ne pouvaient pas être offerts. La troisième

voie qui préconise un maintien du salaire minimum au même niveau, craint par contre

que la suppression du SMIC ait des effets néfastes pour les travailleurs. Analysons plus

en détail chacune des ces trois possibilités.

6.2.b.1. Suppression du salaire minimum

La position la plus radicale parmi le courant libéral est celle qui prône la

complète disparition du salaire minimum. Cela paraît être le point de vue auquel adhère

Groot quand il nous dit que « dans le cadre d’une allocation universelle il n’y a pas

besoin d’avoir une législation de salaire minimum pour protéger les travailleurs parce

que tout le monde a accès à l’alternative réelle de ne vivre qu’avec l’allocation

universelle » (Groot, 1999). Néanmoins, il ne faut pas négliger la possibilité que Groot

puisse considérer que l’allocation universelle doit se fixer au moins au niveau du salaire

minimum. Si bien que cette dernière proposition, même si on a vu qu’elle est peu

réaliste (au moins sur le court et le moyen terme), ferait de Groot un partisan du premier

scénario envisagé ci-dessus.1

6.2.b.2. Réduction du salaire minimum du montant de l’allocation universelle

Quoi qu’il en soit, dans la plupart des cas le salaire minimum est censé coexister

avec l’allocation universelle. En effet, d’après Vanderborght et Van Parijs (2005 :61)

« pour tout niveau d’allocation universelle sensiblement inférieur au salaire minimum

(…) personne ne songe sérieusement à abroger celui-ci en corollaire de l’instauration de

celle-là ». Ainsi, à travers le maintien d’un salaire minimum réduit du montant de

l’allocation universelle, les auteurs développent une proposition moins radicale que

1 L’impossibilité rencontrée de trouver le texte intégral de Groot auquel on fait référence (Groot, 1999) nous oblige à prendre de telles précautions en ce qui concerne la pensée de l’auteur.

Page 73: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

73

l’élimination du SMIC tout en permettant de donner plus de flexibilité au marché du

travail. Hélas, Vanderborght et Van Parijs (2005) soulignent que le financement à

travers l’impôt sur le revenu peut rendre impossible l’offre de travaux intéressants à

faible rémunération. En effet, même si on peut envisager une baisse du salaire minimum

net équivalente au montant de l’allocation universelle, l’augmentation de l’imposition

sur les premières tranches de revenus ne permet pas une réduction substantielle des

salaires bruts versés par l’entreprise. Par conséquent, étant donné que le coût du travail

ne varie pas pour l’employeur, il ne sera pas incité à demander davantage de ce type de

travail.

6.2.b.3. Maintien du salaire minimum au même niveau

Le maintien du salaire minimum à son niveau initial est soutenu par les auteurs

pour lesquels le salaire minimum doit se maintenir au même niveau lors de

l’introduction d’une allocation universelle. Effectivement, ils craignent que cela

préfigure un désengagement progressif de l’Etat-Providence dans la lutte contre le

chômage, un affaiblissement de ses politiques sociales ainsi qu’une substitution des

transferts existants par un transfert unique (d’un montant soupçonné d’être, par ailleurs,

peu élevé).

Aussi, en ce qui concerne la flexibilisation extrême du marché du travail à

travers l’élimination du salaire minimum, il existe deux effets négatifs qui sont souvent

cités : la dualisation croissante du marché du travail et l’effet Speenhamland. Voyons

dans quelle mesure ces deux effets peuvent avoir lieu lors de la mise en place d’une

allocation universelle.

L’effet Speenhamland prend son nom de la dernière poor law (loi des pauvres)

anglaise (1795-1836). Dans son essence, la législation de Speenhamland visait à assurer

aux travailleurs un minimum vital pour couvrir les besoins les plus basiques en

complétant les revenus du travail pour atteindre un seuil fixé. Le transfert était indexé

sur le prix du pain et fonction de la taille de la famille. Polanyi (2003) remarque que

cette mesure, en devenant une sorte de subvention aux employeurs, leur a permis de

diminuer les salaires versés. De plus, l’auteur remarque que ce caractère différentiel du

revenu s’est conjugué avec l’obligation pour les pauvres de travailler stipulée par les

lois élisabéthaines pour donner un résultat bien connu de nous tous (cf. §5.2.a): les

Page 74: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

74

travailleurs les moins productifs sont faiblement incités au travail étant donné que la

différence de revenu entre le fait de travailler ou de chômer est faible ou nulle. Polanyi

(2003) constate effectivement une baisse de la productivité des travailleurs anglais

résultat de leur démotivation qui a provoqué à son tour une nouvelle baisse des salaires.

Tel a été le cercle vicieux de Speenhamland. Or, l’analogie entre ce système et

l’allocation universelle n’est pas pertinente : en tant que transfert différentiel,

Speenhamland est plus proche du RMI actuel que de notre transfert inconditionnel et

cumulatif. En effet, nous avons vu qu’un des avantages de l’allocation universelle est de

réduire les désincitations au travail provoquées par les transferts différentiels (cf.

§5.2.a). De plus, Polanyi (2003) reconnaît que si les travailleurs anglais avaient pu

s’associer (possibilité niée par les lois anti-association de 1799-1800) il y a de fortes

chances pour que le résultat ait été une hausse des salaires. À ce stade, on retiendra que

l’exemple de Speenhamland ne semble pas très adéquat pour critiquer les éventuels

effets négatifs d’une diminution, voire d’une élimination, du SMIC lorsqu’on met en

place une allocation universelle.

La deuxième crainte concerne la polarisation de la société entre les salariés d’un

côté et les personnes sans emploi (chômeurs, jeunes et retraités) de l’autre. On souligne

l’importance du statut de salarié comme moyen d’intégration sociale et d’accès au

système de protection sociale. Au sein des travailleurs eux-mêmes, on redoute

l’aggravation des différences entre ceux qui bénéficient de « bons emplois » et ceux qui

se voient soumis aux nouvelles formes atypiques et précaires d’embauche qui peuvent

subir une baisse de ses salaires d’autant plus grande que la contraient du salaire

minimum est assouplie. Vanderborght (2004) semble être conscient de ce problème

quand il commente que l’allocation universelle peut amortir les effets d’une imposition

par les entreprises de travaux à temps partiel avec des horaires très flexibles. Encore une

fois, l’allocation universelle résiste assez bien à la critique concernant les effets négatifs

de la flexibilisation sur les travailleurs à bas revenus : Noguera et Raventós (2002)

montrent que la polarisation, au moins en termes de revenu, peut être évitée avec une

redistribution opérée soit à travers la combinaison d’une allocation universelle et d’un

impôt progressif sur le revenu soit à travers un impôt linéaire dont les bas revenus

seraient exemptés. De plus, l’allocation universelle viserait en principe à éviter ce type

de polarisation entre les personnes qui bénéficient des droits qui découlent de leur

travail et les personnes qui n’ont pas d’emploi : tout le monde aurait un revenu assuré

Page 75: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

75

sans pour autant être stigmatisé. Néanmoins, il ne faut pas oublier que le développement

de conditions de travail de plus en plus flexibles oblige à repenser le principe contributif

de certaines prestations comme les retraites, l’allocation universelle n’étant qu’un

revenu qui vise à couvrir les besoins les plus basiques. Mais, certaines propositions

d’alternative au principe contributif tel que le financement du système de protection

sociale à travers l’impôt suscitent déjà de vives résistances au sein des syndicats étant

donné leur rôle actif dans la gestion des pensions de retraite et des assurances chômage

(cf. Vanderborght, 2004).

Un dernier aspect concernant les effets de l’allocation universelle sur l’offre de

travail est celui du pouvoir de négociation des travailleurs. En effet, la prochaine section

analyse ce phénomène en soulignant les liens avec la question de la flexibilité et celle

l’évolution des salaires traités ci-dessus.

6.3. Pouvoir de négociation des travailleurs.

L’augmentation du pouvoir de négociation du travailleur est vu comme le

contrepoids aux tendances du marché du travail qui provoqueraient une diminution des

salaires et une détérioration des conditions de travail. Outre les besoins croissants de

flexibilité perçus par certains comme des facteurs de précarité, d’autres auteurs proches

de la théorie du capitalisme cognitif soulignent que la montée en puissance de la

connaissance (cf. §4.2.a) peut nuire au pouvoir de négociation du travailleur. En effet,

les technologies informatiques et de la communication permettent une diffusion de

qualité et à faible coût des compétences des travailleurs. Dès lors, dans la mesure où ces

compétences peuvent être efficacement répandues parmi un large segment de la

population, la substitution d’un travailleur par un autre peut se faire sans avoir à subir

une grande perte de savoir-faire (Fumagalli, 2002). Dans un contexte de chômage

structurel assez élevé comme c’est le cas des pays européens, ce fait se traduit par une

perte du pouvoir de négociation des travailleurs.

Face à ces constats, l’augmentation de certains salaires ou la possibilité de ne

pas travailler rendues possibles par l’allocation universelle sont perçues comme des

facteurs clé pour contrebalancer les problèmes posés ci-dessus. De ce point de vue, il

n’y a rien à craindre d’une plus grande flexibilité si les travailleurs sont en mesure de

Page 76: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

76

refuser les travaux trop indignes ou précaires : les employeurs sont donc obligés

d’améliorer les conditions de travail de ces postes.

Quelle est donc la justification économique pour fonder cette capacité de refus

de la part des travailleurs des postes peu attirants ? Dans le cadre d’une négociation

salariale entre travailleur et employeur, la réponse à une telle question passe par la

diminution de l’« impatience » du travailleur qui découle de la mise en place une

allocation universelle (cf. Annexe 4 pour une présentation plus complète et formalisée

des mécanismes microéconomiques qui affectent l’issue d’un jeu de négociation de

Nash). En effet, un des résultats basiques des jeux de négociation dynamiques montre

que les joueurs les plus impatients (ceux avec un taux d’escompte psychologique plus

élevé) sortent perdants de la négociation étant donné qu’ils ont tendance à conclure

précipitamment et prématurément la négociation. Il n’y a rien de surprenant à cela : plus

on est impatients, plus on veut conclure rapidement l’accord étant donné que le fait de le

prolonger dans le temps nous coûte davantage. Dans le cas de la négociation entre

travailleur et employeur, il est réaliste de penser que le travailleur sera plus impatient

que l’employeur. En effet, il est très probable que le travailleur ne disposera pas d’un

revenu qui lui assurera indéfiniment dans le temps sa subsistance (Casassas et Loewe,

2002). Cela étant, le revenu certain fourni par l’allocation universelle peut réduire

l’impatience du travailleur lors des négociations. Autrement dit, le travailleur est en

mesure de refuser les offres qui ne le satisfont pas et de prolonger la négociation. On

pourrait cependant argumenter qu’avec les dispositifs existants le travailleur n’est pas

sans défense quand il négocie avec l’employeur. Il peut toujours se replier sur un salaire

de réservation formé par les allocations chômage, le RMI ou d’autres aides prévues pour

les chômeurs. De ce point de vue, l’allocation universelle ne renforce le travailleur dans

la négociation que si son montant est fixé à un niveau supérieur à celui des allocations

dont les chômeurs bénéficient actuellement. Cet argument n’est pas complètement

valable. En effet, les Etats Providence modernes prévoient des aides pour les personnes

qui ne disposent pas d’emploi, mais, souvent, ces aides sont limitées dans le temps ou

obligent les bénéficiaires à accepter les offres qui leurs sont faites. Cela est

particulièrement vrai pour les pays anglo-saxons. Ainsi, en Grande Bretagne, à partir

d’un certain temps durant lequel les individus ont bénéficié de l’aide sociale (allocation

de recherche d’emploi), celle-ci ne leur est plus versée si ils n’acceptent pas les offres

qu’ils reçoivent (Clément, 1999). D’un autre côté, aux États-Unis chaque individu ne

Page 77: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

77

peut pas disposer pendant plus de cinq ans de sa vie de l’allocation chômage (Clément,

1999.). Étant donné que l’allocation universelle ne présente ni contraintes temporelles,

ni obligations d’acceptation des offres et qu’elle n’entraîne pas non plus de signature

d’un contrat d’insertion (comme c’est le cas du RMI français), elle permet d’accroître la

sécurité du travailleur et de diminuer son impatience lors des négociations. Or, encore

une fois, notre raisonnement suppose implicitement que le montant de l’allocation

universelle est fixé, au moins, à un niveau tel que les besoins les plus basiques sont

couverts.

Néanmoins, il existe un certain nombre d’éléments négatifs qui méritent d’être

considérés a fin de nuancer ces derniers effets de l’allocation en faveur du travailleur.

Tout d’abord il faut considérer la possible augmentation du chômage frictionnel (temps

nécessaire pour qu’un chômeur à la recherche d’un emploi trouve un emploi). Cela

pourrait avoir deux causes principales :

- Le montant de l’allocation universelle est fixé au-dessus du montant des

allocations chômage auxquelles elle pourrait se substituer. En effet, les modèles

dits de Search montrent que la période de recherche d’emploi présente une

relation positive avec le montant des allocations chômage.

- Même si la condition précédente n’est pas remplie, on a vu que l’existence d’un

revenu inconditionnel accroît la liberté des travailleurs pour refuser les emplois,

ce qui pourrait se traduire par l’allongement de la période de recherche

d’emploi.

Or, cet allongement n’est pas forcément négatif. Effectivement, du point de vue

de l’optimum social le but est de fixer un temps de recherche qui mette en mesure les

individus de trouver des emplois qui correspondent à leurs qualifications. Autrement dit,

à fin de définir l’optimum social il faut comparer les coûts induits par la période de

recherche d’emploi (principalement le versement des allocations chômage) avec les

bénéfices qui découlent du fait de profiter pleinement de la capacité productive des

travailleurs de l’économie. Pour comprendre cette idée il suffit d’imaginer une

économie où les ingénieurs au chômage doivent travailler comme livreur de pizzas

parce que les aides aux chômeurs sont si faibles qu’elles ne leur permettent pas de

chercher un poste adapté à leurs capacités. Loin de nous l’idée de déprécier le travail

des livreurs de pizza, mais il est clair néanmoins que cette économie n’utilise pas de

manière optimale le potentiel productif de ses travailleurs. L’évidence empirique semble

Page 78: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

78

corroborer les effets positifs sur la stabilité de l’emploi qui découle d’une aide élevée

permettant une recherche du travail adéquat (Ilkka, 2004).

Ensuite, la seconde critique concernant les effets de l’allocation universelle sur

le pouvoir de négociation du travailleur est soulevé par les syndicats. En effet, ils

craignent, non sans raison, que l’allocation universelle rende plus difficile pour le

travailleur la négociation salariale. Ils argumentent pour justifier cela que les

employeurs pourraient refuser toute augmentation des salaires en reportant sur l’Etat la

responsabilité d’accroître le pouvoir d’achat par l’augmentation de la valeur réelle de

l’allocation. Ainsi, ils contraindraient les syndicats à adresser leurs revendications aux

pouvoirs publics (Vanderborght, 2004). Face à cela, l’auteur répond qu’une allocation

universelle rend plus facile le financement des grèves lancées par les syndicats en

direction des employeurs. En effet, on assure un flux de revenu illimité dans le temps

aux travailleurs lors du conflit. Il y aurait donc des raisons pour que les syndicats ne

soient pas si hostiles à l’allocation universelle comme outil permettant d’améliorer le

pouvoir de négociation des travailleurs.

Page 79: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

79

CONCLUSION

Page 80: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

80

L’hétérogénéité des conceptions qui se cachent derrière la notion d’allocation

universelle ainsi que l’absence d’application réelles de cette mesure (avec l’exception,

hélas trop particulière, de l’Alaska Permanent Fund) rendent très difficile un bilan

unique de l’idée et de ses effets. Néanmoins, nous pouvons tirer quelques leçons de tout

ce que nous avons vu jusqu’à maintenant.

D’abord, en ce qui concerne le montant de l’allocation universelle, il apparaît

que l’option la plus souhaitable est de le fixer au moins au niveau du seuil de pauvreté.

Seulement en assurant la couverture des besoins les plus basiques, la mesure peut

parvenir à atteindre certains objectifs comme la re-conceptualisation du travail (à travers

l’option réelle de se dédier à des activités sans rémunération de marché et l’éventuelle

apparition d’un nouveau secteur d’activité quaternaires ou l’augmentation du pouvoir de

négociation des travailleurs pour contrebalancer les problèmes que pourrait poser la

hausse de la flexibilité dans le travail.

Bien évidemment les défenseurs de l’allocation universelle sont conscients dans

la plupart des cas que cette mesure ne peut pas se substituer à tous les transferts et

prestations publiques déjà existantes. En ce sens, l’option la plus plausible prône la

suppression des transferts de montant inférieur à celui de l’allocation universelle en

complétant celle-ci avec la différence par rapport aux transferts de montant plus élevé

qui pourraient exister. Il est clair qu’une allocation universelle qui impliquerait la

suppression des tous les services et prestations publiques en rendant pire la situation des

plus démunis provoquerait des réserves et des résistances tout à fait compréhensibles.

Une correcte articulation de l’allocation universelle avec tous ces transferts et services

apparaît donc comme un des points clés du débat contemporain concernant cette

proposition. De plus, nous avons rappelé à plusieurs reprises que l’allocation universelle

ne doit pas être considérée comme la solution à tous les maux de nos sociétés. Ainsi, par

exemple, l’instauration d’un tel revenu ne peut pas assurer par lui-même l’égalité des

sexes dans tous les domaines (par exemple dans la répartition du travail non rémunéré).

Par conséquent, l’État ne doit pas assumer un rôle passif comme simple fournisseur de

l’allocation universelle.

D’un autre côté, il est clair que la faisabilité politique de l’allocation universelle

serait nulle si les bénéficiaires de cette mesure -les citoyens- ne la prennent pas comme

un but vers lequel on doit tendre. C’est pour cela que les barrières intellectuelles qui

empêchent l’acceptation de l’allocation universelle apparaissent comme l’obstacle le

Page 81: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

81

plus important pour la mise en place de cette mesure. Dans ce sens, Groot (1999) fournit

quelques données empiriques qui montrent la méfiance du public vis-à-vis de l’idée

d’une allocation universelle et la préférence pour des dispositifs de type « workfariste »

qui exigent une contrepartie en termes de travail ou insertion dans le marché du travail.

Il est clair qu’après plus de cinquante ans d’Etat Providence basé sur la recherche du

plein emploi et la conséquente conditionnalité des transferts, il est difficile de changer

les représentations collectives en ce qui concerne le travail. La question de la réciprocité

constitue l’un des principaux problèmes dans ce sens. La même question d’acceptabilité

se pose concernant les bases philosophiques (le libéralisme réel) sur lesquelles se fonde

l’allocation universelle telle qu’elle est conçue aujourd’hui de manière majoritaire. En

effet, les postulats du libéralisme réel de Van Parijs justifiant l’instauration d’une

allocation universelle maximale ne seront pas acceptés du jour au lendemain et ils

précisent d’une explication et une discussion préalable. Or, il faut éviter la superbe

intellectuelle qui consisterait à nous faire penser que les résistances à l’allocation

universelle sont le fruit de l’ignorance des autres. Tout d’abord il est évident que les

fondements philosophiques ne sont pas être forcément partagés. Deuxièmement, même

en acceptant une conception large du travail qui nuance le problème de la réciprocité, on

a vu que l’allocation universelle pose des sérieux problèmes en ce qui concerne un tel

principe (par exemple la persistance d’un certain degré d’exploitation des travailleurs

par les non travailleurs). Finalement, on doit rappeler l’existence de dispositifs déjà en

place permettant d’atteindre des résultats similaires et parfois plus efficients que ceux

qui sont propres à l’allocation universelle (par exemple concernant la lutte contre la

pauvreté ou les incitations aux emplois à basse rémunération). Certes, nous avons

montré que les tenants de l’allocation universelle ne restent pas sur la défensive et sont

en mesure de fournir quelques réponses à ces problèmes. Cela étant, nous sommes

convaincus que seul un débat ouvert et libre de tous préjugés peut faire sortir

l’allocation universelle de son enfermement dans les cercles académiques et

intellectuels. Alors elle pourrait enfin faire connaître ses réelles possibilités pour gagner

un plus grand soutient.

L’acceptation de l’allocation universelle est menacée par d’autres problèmes

allant au-delà de la sphère du travail. Ainsi, une première critique porte sur

l’impossibilité d’appliquer l’allocation universelle en dehors des pays développés. En

effet, il est difficile de penser que les pays en voie de développement soient en mesure

Page 82: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

82

de respecter la condition d’ « abondance faible » (weak abundance) qui d’après Van der

Veen et Van Parijs (1986a ; cf. aussi Van Parijs, 1996a) doit être remplie pour garantir

une allocation universelle à un niveau suffisamment élevé pour couvrir les besoins

basiques de tous. La faiblesse des gouvernements d’une grande partie de ces pays ainsi

que le manque de conditions démocratiques rend la mise en place effective de

l’allocation universelle encore plus difficile. On pourrait ajouter à ce problème d’autres

questions d’ordre macroéconomique comme le risque de désincitation à l’épargne ou la

question de son financement. Paradoxalement ce dernier point concernant le

financement apparaît comme le moins préoccupant étant donné le grand nombre de

travaux qui montrent la faisabilité économique de l’allocation universelle à coûts

raisonnables. Quoi qu’il en soit, cette énumération non exhaustive de certaines critiques

et limites attribuées à l’allocation universelle montrent la diversité des voies de

recherche qui restent ouvertes.

Après les remarques générales sur l’allocation universelle et sa faisabilité, nous

sommes en mesure de réaliser quelques commentaires finaux plus spécifiques

concernant les impacts sur le travail. Ainsi, nous avons vu que d’un point de vue

économique les effets sur le chômage ne sont pas clairs. Pour synthétiser nos résultats il

est intéressant de rappeler que le chômage peut être divisé en trois catégories : le

chômage volontaire, le chômage frictionnel et le chômage involontaire non frictionnel :

- Le chômage volontaire n’est pas pris en compte dans les statistiques officielles

et par conséquent les effets sur les chiffres du chômage, au moins d’un point de

vue technique, seraient nuls. Quoi qu’il en soit, l’allocation universelle est

censée augmenter ce type de « chômage » si les personnes décident de se dédier

à des activités telles que le bénévolat ou le travail domestique, autrement dit, si

le travail non rémunéré se substitue à celui rémunéré. Bien évidemment, ce fait

ne serait pas préoccupant en soi (il ne serait pas du chômage proprement dit

étant donné qu’on réaliserait un autre type de travail) sauf dans le cas extrême où

la réalisation de travail rémunéré diminue de telle sorte que le financement de

l’allocation universelle à travers l’impôt sur le revenu est compromis. Dans ce

sens on a vu que, même si l’introduction d’un tel revenu inconditionnel joue

négativement sur les incitations au travail rémunéré à travers l’effet revenu, la

réduction des trappes du chômage et la possibilité de considérer le loisir comme

Page 83: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

83

un bien inférieur agissent dans le sens contraire. Les effets sur les incitations au

travail restent donc indéterminés.

- Le chômage frictionnel pourrait augmenter comme conséquence du flux de

revenu dont les chômeurs bénéficieraient avec une allocation universelle et qui

leur permettrait d’allonger la période de recherche d’emploi. De ce point de vue,

la mesure pourrait être porteuse d’une hausse du chômage même si cet

allongement de recherche d’emploi peut également comporter des retombées

positives.

- Finalement il existe le chômage involontaire non frictionnel. Étant donne que la

mise en place d’une allocation universelle pourrait favoriser l’offre d’emplois à

basse rémunération grâce à la baisse du salaire minimum et à la réduction des

trappes à chômage, le chômage involontaire pourrait diminuer tout en rendant

possible une plus grande flexibilité du marché du travail.

En conclusion, nous repérons que les effets sur les statistiques du chômage sont

indéterminés à cause des effets contraires que l’allocation universelle présente sur le

chômage frictionnel et sur le chômage involontaire non frictionnel. En ce qui concerne

le travail pris dans un sens large, on pourrait atteindre un élargissement des opportunités

des individus étant donné la possibilité réelle de se dédier aux activités non rémunérées.

Dans la mesure où l’allocation universelle pouvait se montrer capable de fournir

des réponses adéquates aux questions qui se posent dans le domaine du travail mais

aussi dans un cadre macroéconomique ou politique plus général, elle serait en mesure de

dépasser le stade d’utopie provocatrice et suggestive pour devenir une des voies de

réforme la plus intéressante pour l’État Providence du XXIème siècle.

Page 84: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

84

ANNEXES

Page 85: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

85

ANNEXE 1: DISPOSITIFS DE REVENU MINIMUM, TRANSFERTS UNIVERSELS ET EFFICIENCE DANS LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ______________________________________________________________________

Dans cette annexe nous démontrons que, si le but du transfert ne consiste qu’à

faire atteindre à tous les individus un revenu net au moins égal à la ligne de pauvreté, les

dispositifs de revenu minimum sont plus efficients que les transferts universels. Ce

résultat est tout à fait intuitif : si on veut faire atteindre à tous les individus un revenu

net (après impôts et transferts) au moins égal à B (niveau de la ligne de pauvreté) il

suffira de ne transférer qu’à ceux qui ont un revenu brut y au-dessous de B une quantité

égale à yB − . Telle est la logique des dispositifs de revenu minimum comme le RMI

(cf. §2.1).

Pour mieux saisir les inefficiences propres aux transferts universels, on reprend

la figure 2 qui montre la distribution de revenus avec une allocation universelle financée

à travers un impôt linéaire sur le revenu (rappelons que cette distribution est identique à

celle qu’on aurait avec un impôt négatif linéaire). Nous supposons que le montant de

l’allocation universelle est fixé au niveau du seuil de pauvreté. Cette hypothèse est

spécialement pertinente étant donné qu’elle reflète l’opinion la plus répandue parmi les

défenseurs de l’allocation universelle en ce qui concerne son montant et, en plus,

simplifie notre analyse ultérieure.

Allocation universelle avec impôt linéaire

Source: Creedy (1996)

On se ciblera sur l’étude des aires a1, a2 et a3.

Revenu net

Revenu brut

B

yu

A

C

O 45º

a1

a2 a3

yp

D

E

Page 86: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

86

- a1 (triangle OBE) correspond au transfert qui assure à ceux qui avaient un

revenu brut inférieur au seuil de pauvreté qu’ils atteignent ce niveau (B). A

priori, un système qui ne vise qu’assurer que tous les individus aient un revenu

au moins égal à B (seuil de pauvreté) devrait se limiter à transférer un montant

égal à l’aire a1, or, dans le graphique on trouve également les aires a2 et a3.

- L’aire a2 (triangle BDE) montre la première inefficience du transfert universel. Il

s’agit du montant transféré aux individus qui avaient un revenu brut inférieur à

B mais qui fait que son revenu net après transferts soit supérieur au seuil de

pauvreté.

- L’aire a3 (triangle ADE) montre le transfert net fait à ceux qui, même en ayant

un revenu brut supérieur à B, deviennent bénéficiaires nets de la mise en place

du transfert universel. Un mécanisme efficient de lutte contre la pauvreté

n’aurait rien transféré à ces individus.

Mathématiquement, en notant F(y) la fonction de distribution du revenu brut y et

t le taux d’imposition on trouve :

∫ −=++uy

ydFtyBaaa0321 )()( (1)

∫ −=py

ydFyBa01 )()( (2)

∫ −=+py

ydFtyBaa021 )()( (3)

Notons que a2 peut être trouvé en soustraient (2) de (3) :

∫ ∫∫∫ −=+−−=−−−=−=p ppp y yyy

ydFtyydFyBtyBydFyBydFtyBa0 0002 )()1()()()()()()()2()3(

De la même manière on peut déduire a3 grâce aux expressions (1) et (3). En

effet :

∫∫∫ −=−−−=−=u

p

pu y

y

yy

ydFtyBydFtyBydFtyBa )()()()()()()3()1(003

Cela étant, on est en mesure de présenter les indicateurs de mesure de

l’efficience décrits par Creedy (1996). Il faut rappeler que l’efficience dans ce cas est

mesurée par rapport à la sélection des bénéficiaires et des transferts versés dans le but

de réduire la pauvreté :

Page 87: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

87

- « Vertical expenditure efficiency » (efficience de dépense verticale) =

= (a1+a2)/(a1+a2+a3). Cet indicateur mesure la quantité de transferts adressée à

des personnes qui étaient pauvres avant de recevoir le transfert par rapport à la

quantité total de transferts qui a été versée. On aura intérêt à qu’il soit le plus

élevé possible. Dans le cas optimal il est égal à 1 (les transferts ne s’adressent

qu’aux personnes avec un revenu brut inférieur au seuil de pauvreté). Pour le cas

de l’allocation universelle qu’on vient de voir il sera inférieur à 1 puisque on

peut vérifier aisément que a1, a2 et a3 sont supérieurs à zéro.

- « Poverty reduction efficiency » (efficience de réduction de la pauvreté) =

=a1/(a1+a2+a3). Cet indicateur montre la quantité des transferts qui va aux

personnes avec un revenu brut inférieur au seuil de pauvreté et qui ne font

qu’augmenter leurs revenus bruts jusqu’au seuil de pauvreté par rapport aux

transferts totaux versés. Encore une fois, on aura intérêt à qu’il soit le plus élevé

possible (dans le cas optimal il est égal à 1 : on ne fait qu’augmenter le revenu

brut des individus pauvres jusqu’à B) et on peut vérifier que pour l’allocation

universelle il est inférieur à 1 (puisque a1>0, a2>0 et a3>0).

Si on analyse maintenant les dispositifs de revenu minimum, on peut reprendre

la figure 1 pour montrer la distribution des revenus sous des telles mesures :

Dispositifs de revenu minimum garanti

Source : Creedy (1996 :63)

On vérifie aisément que les caractéristiques sont telles que :

Revenu net

Revenu brut

B

yu

C

T

O

a1

Page 88: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

88

a2 = a3 = 0

En effet, seulement les personnes avec un revenu brut inférieur à B reçoivent un

transfert qui leur permet d’atteindre exactement le seuil de pauvreté. Cela étant,

11

1

321

1

321

21 ==++

=++

+

a

a

aaa

a

aaa

aa

Autrement dit, les deux indicateurs d’efficience présentés ci-dessus sont

maximisés avec le dispositif de revenu minimum garanti. On parvient à démontrer ainsi

la supériorité de ce dispositif sur les transferts universels pour réduire la pauvreté d’une

manière plus efficiente.

Page 89: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

89

ANNEXE 2 : SALAIRE D’EFFICIENCE (Relation de Solow) ______________________________________________________________________

Pour présenter la théorie du salaire d’efficience on présente un modèle très simple

basé sur un des articles de Robert Solow (1979).

Dans ce modèle, l’employeur fait face à un problème d’aléa moral qui découle de

l’incertitude en ce qui concerne l’effort fourni par l’employé. L’enjeu pour l’employeur

est de fixer un salaire tel que le travailleur soit amené à fournir l’effort optimal. Pour

cela, on supposera que l’employeur connaît la fonction d’effort du travailleur qui est

égale à :

)(wee = (1) Avec 0>dw

de

Où :

e = Effort fourni.

w= Salaire.

En se donnant une fonction de production générale pour l’entreprise du type

)(eLFY = (2) Avec 0>∂

e

Y et 0>

L

Y

Où :

Y= Production.

L= Employés.

La firme fait face au programme de maximisation suivant

wLLweFLw

−= ))((max,

π (3)

Par conséquent les conditions du premier ordre sont:

0)( =−×∂

∂=

∂wwe

L

F

L

π (4) et 0

)(=−×

∂=

∂L

dw

wdeL

w

F

w

π (5)

En divisant (5) par L :

01)(

=−×∂

dw

wde

w

F (6)

Page 90: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

90

En utilisant les équations (4) et (6) on obtient

1)(

)(=×

we

w

dw

wde

Notons que

1)(

)(/ =×≡

we

w

dw

wdeweε (7)

C’est comme cela que nous obtenons la relation de Solow. La firme maximise son

profit avec un salaire tel que l’élasticité de l’effort par rapport au salaire est unitaire.

Par conséquent la firme détermine un salaire ŵ qui respecte la relation (7). Pour

obtenir la demande de travail on dérive l’expression (3) par rapport à L :

0w-)we(L))w(( =××∂

∂e

L

F (8)

En dégageant par rapport à L on obtient la demande de travail de la firme à

l’optimum ( −l ). Cela étant, si on considère que dans notre économie il y a N firmes

identiques, la demande totale de travail ( −L ) est égale à :

−− ×= lNL ˆˆ (9)

On a vu que dans notre raisonnement ŵ et −L ont été fixés par les firmes sans

prendre en compte l’équilibre entre l’offre et la demande. Ce fait peut avoir deux

résultats :

1. La demande ( −L ) est supérieure à l’offre de travail pour le salaire ŵ. Le salaire

doit se fixer à un niveau supérieur à sa valeur d’efficience. Le salaire résultant

de l’équilibre offre-demande s’impose.

2. La demande ( −L ) est inférieure à l’offre de travail pour le salaire ŵ : le salaire

d’efficience s’impose et il existe du chômage involontaire. On vérifie que la

prise en compte de l’effort peut amener la firme à fixer le salaire au-dessus du

niveau exigé par le marché étant donné que baisser le salaire n’est pas optimal

pour la firme.

Page 91: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

91

ANNEXE 3 : IMPOSITION OPTIMALE ET TAUX MARGINAUX

D’IMPOSITION

______________________________________________________________________

Piketty (1997) présente un modèle d’imposition optimale qui obtient des

résultats similaires au modèle classique de Mirrlees mais qui est ciblé sur « le choix de

la quantité d’effort et d’investissement personnel pour trouver un emploi ou pour être

promu à un taux de salaire plus élevé » (Piketty, 1997 : 166). Autrement dit, dans ce

modèle les agents feront varier l’effort et l’investissement personnel qui est réalisé pour

trouver un emploi ou pour passer à un groupe de revenu supérieur à travers la recherche

d’un emploi meilleur.

Dans le modèle il existe trois groupes de revenu (wi représente les salaires

bruts) : personnes sans emploi (sans revenu brut), personnes à bas salaire (w1) et

personnes à haut salaire (w2). Les revenus nets pour les trois groupes après imposition et

transferts seront représentés par y0, y1 et y2. On notera Ti le taux marginal d’imposition

pour le passage du niveau i de revenu au niveau i+1, et mi la quantité d’individus dans

le groupe de revenu i. Rappelons que i peut prendre les valeurs 0, 1 ou 2 selon le groupe

auquel on appartient. Finalement, e0 (resp. e1) représente l’élasticité de la probabilité de

transition de m0 vers m1 (resp. de m1 vers m2).

Notre modèle assume une élasticité de substitution infinie entre les deux types

d’emploi (1 et 2) et l’existence d’un marché de travail parfaitement compétitif.

Cela étant, les revenus nets de notre économie seront :

1001 )1( wTyy −+= (1)

2102 )1( wTyy −+= (2)

Les recettes brutes de l’Etat (R) viennent données par l’expression :

)12(211)21(0 wwmTwmmTR −++= (3)

Si on assume que l’Etat n’a comme dépense que le transfert forfaitaire (qui par

conséquent équivaut au revenu net des personnes sans emploi) :

2100

mmm

Ry

++= (4)

Page 92: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

92

On supposera que l’Etat se fixe un objectif rawlsien de maximisation de ce

transfert y0 à travers la maximisation de ses recettes fiscales R. Quels seront les niveaux

optimaux d’imposition marginal (T0* et T1*) qui devront être choisis pour chaque

tranche de revenu brut ?

Tout d’abord on peut vérifier que l’impact sur les recettes fiscales (dR) d’une

augmentation dTo du taux marginal d’imposition sur le passage du chômage à w1 sera

−⋅⋅⋅⋅−⋅⋅+=

0

000100121 1

)(T

dTemwTdTwmmdR (5)

Où :

- dTwmm ⋅⋅+ 121 )( = augmentation de recettes fiscales comme résultat de

l’augmentation des impôts dus par ceux qui restent avec un revenu brut égal à

w1 ou w2.

-

−⋅⋅⋅⋅

0

00010 1 T

dTemwT = Diminution des recettes fiscales comme conséquence

des désincitations à occuper un travail rémunéré à w1. Pour comprendre cette

expression il suffit de repérer que le pourcentage de personnes qui décident de

rester au chômage est donné par

−⋅

0

00 1 T

dTe par définition du concept

d’élasticité.

Cela étant, les recettes seront maximisées quand dR= 0 : la hausse des recettes

fiscales comme résultat de l’augmentation de T0 est égale à la perte des recettes qui

découle. Autrement dit, il s’agit d’atteindre le sommet de la courbe de Laffer :

En simplifiant pour obtenir T0*

−⋅⋅⋅=+

0*000

*

1

1)21(

TemTmm

*0

*0

00

21

1 T

T

em

mm

−=

+

−⋅⋅⋅⋅=⋅⋅+⇔=

0*

0*

0010*

0*

121 1)(0

T

dTemwTdTwmmdR

Page 93: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

93

Soit

21

00

*0

1

1

mm

emT

++

= (6)

En raisonnant de la même manière, l’impact sur les recettes fiscales d’une

augmentation dT1* du taux marginal d’imposition T1 est

1

1111211122 1

)()(T

dTemwwTdTwwmdR

−⋅⋅⋅−⋅−⋅−⋅= (7)

La seule différence est que l’augmentation du taux marginal T1 n’affecte que la

tranche de la population avec des salaires bruts supérieurs à w1.

La maximisation des recettes fiscales exige que

dR= 0 → 1

*

1*

11121*

1*

122 1)()(

T

dTemwwTdTwwm

−⋅⋅⋅−⋅=⋅−⋅

En simplifiant pour trouver T*1

1*111

*2 1

1

TemTm

−⋅⋅⋅=⋅

1*

1*

11

2

1 T

T

em

m

−=

Soit

2

11

*1

1

1

m

emT

⋅+

= (8)

En supposant que e0 = e1 et que m0 est inférieur à m1 et m2 (Piketty [1997] donne

les valeurs suivantes en millions de personnes pour le cas de la France : m0= 3, m1=6,

m2=6) et en les substituant dans les expressions (6) et (8), on démontre que la

maximisation des recettes fiscales à moindre coût justifie une plus grande imposition

marginale sur les bas revenus. En effet, pour les données de la France citées ci-dessus :

*1

2

11

21

00

*0

1

1

6

61

1

11

1

25,01

1

66

31

1

1

1T

m

emeeee

mm

emT =

⋅+

=⋅

+

=⋅+

>⋅+

=

+

⋅+

=

++

=

Page 94: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

94

ANNEXE 4 : MODÈLE DE NÉGOCIATION DE NASH ET ALLOCATION

UNIVERSELLE

______________________________________________________________________

Nous allons montrer les impacts de la mise en place d’une allocation universelle

sur le pouvoir de négociation des travailleurs à travers le modèle de négociation

développé par Nash. Cet auteur a démontré à travers une approche axiomatique que

l’issue d’une négociation entre deux agents rationnels a une solution unique qui peut

être calculée (Nash, 1950). Dans notre cas, on supposera que les négociations se font

entre un employeur et un travailleur qui doivent se repartir une quantité fixe d’unités

monétaires. On peut démontrer que la solution unique (un) de la négociation est définie

par (Cahuc et Zylberberg, 2001) :

γγ −−−= 12211 )()( duduArgMaxun (1)

s.c. ui ≥ di i = 1,2

Où :

u1 = Utilité du joueur 1 (en l’occurrence l’employeur).

u2 = Utilité du joueur 2 (en l’occurrence le travailleur).

d1= Situation de statu quo du joueur 1 (employeur). Utilité de l’employeur si les

négociations échouent.

d2= Situation de statu quo du joueur 2 (travailleur). Utilité du travailleur si les

négociations échouent.

γ = Pouvoir de négociation.

La formule montre que la solution du jeu maximise le produit des utilités en

prenant en compte la situation de statu quo de chaque joueur et leur pouvoir de

négociation.

La Figure 1 représente graphiquement la solution du jeu (u1*, u2*).

On étudiera l’impact de l’allocation universelle sur le pouvoir de négociation du

travailleur à travers les trois éléments qui déterminent l’issue de la négociation : la

situation de statu quo, la fonction d’utilité et le pouvoir de négociation du travailleur.

Page 95: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

95

Figure 1. Représentation graphique de l’issue de la négociation

Source : Casassas et Loewe (2002 : 214)

La situation de statu quo

La situation de statu quo représente les revenus des joueurs quand le processus

de négociation n’aboutit pas à un résultat, autrement dit, il s’agit du revenu des agents

lors des tours de négociation. On supposera que :

- d1 > d2

- ))1(()()1()( baubuau λλλλ −+<⋅−+⋅ ce qui implique 0)(')(

>= xudx

xdu et

0)('')('

<= xudx

xdu

On suppose donc que l’employeur bénéficie d’une situation de statu quo

supérieur à celle de l’employé et que les individus ont des fonction d’utilité de Von

Neumann et Morgenstern avec aversion vis-à-vis du risque (cf. Nash [1950] pour une

présentation sommaire des propriétés de ces fonctions d’utilité). Cela étant, on assumera

pour l’instant que les individus ont la même fonction d’utilité. Si on introduit une

allocation universelle d’un montant A, les utilités du statu quo deviennent

u(d1 + A) > u(d2 +A) avec u’(d1+A) < u’(d2+A) étant donné que u’’(x) < 0

Autrement dit, étant donné l’utilité marginale décroissante modélisée par

l’aversion vis-à-vis du risque, l’introduction d’une allocation universelle qui donne un

même montant A au travailleur et à l’employeur provoque une augmentation plus forte

de l’utilité du travailleur que de celle de l’employeur (u’(d1+A) < u’(d2+A)) même si

l’utilité de l’employeur reste supérieure. Cela revient à dire que, dans la Figure 1, d2

Utilité de l’employeur

Utilité du travailleur

d1

d2

u1*

u2*

Page 96: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

96

augmente plus que d1 grâce à l’introduction d’une allocation universelle. Etant donné

que le résultat de la négociation de Nash est limité aux résultats Pareto-efficients

(ui ≥ di), le résultat du travailleur à l’issue de la négociation est amélioré. Tel est le

premier effet positif de l’allocation universelle sur le pouvoir de négociation du

travailleur.

Aversion vis-à-vis du risque

En ce qui concerne les fonctions d’utilité des deux agents, on a supposé jusqu’à

maintenant qu’elles étaient identiques. Or, Casassas et Loewe (2002) suggèrent une

hypothèse plus réaliste selon laquelle le travailleur aurait une aversion vis-à-vis du

risque supérieur à celle de l’employeur. En effet, sans rester très précis sur ce point, les

auteurs considèrent qu’il est raisonnable de penser qu’il existe une relation négative

entre la situation de statu quo et la disposition à prendre des risques : plus la situation de

statu quo dont on bénéficie est élevée, plus on sera prêt à prendre des risques.

Pour montrer d’une manière graphique les implications de ces différences

d’aversion vis-à-vis du risque on a décidé de représenter une situation où le travailleur

(courbe rouge) est avers au risque tandis que l’employeur (courbe bleue) est neutre vis-

à-vis du risque. Cette hypothèse rend plus facile la démonstration graphique. Les

résultats ne seraient pas qualitativement différents si on aurait pris une courbe moins

concave pour l’employeur représentant une moindre aversion au risque.

Figure 2. Courbes d’utilité des agents

En effet, même si on ne fournit pas la démonstration mathématique, on vérifie

graphiquement que :

Travailleur

Employeur

x1 x2 Revenu

Utilité du revenu

ue(x1)

ut(x1)

ue(x2)

ut(x1)

Source: Elaboration propre

Page 97: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

97

ue(x2) - ue(x1) > ut(x2) - ut(x1)

Autrement dit, face un passage du revenu de x1 à x2 l’utilité de l’employeur

augmente davantage que celle du travailleur du fait de la concavité de la fonction

d’utilité de ce dernier. Etant donné que la solution de la négociation de Nash vise à

maximiser le produit des utilités, on aura intérêt à transférer des unités monétaires du

travailleur à l’employeur étant donné la moindre décroissance de l’utilité marginale du

revenu pour l’employeur (Casassas et Loewe, 2002). Dans la mesure où l’allocation

universelle est censée réduire l’aversion au risque des travailleurs, le résultat de la

négociation s’améliorerait pour les employés.

Le pouvoir de négociation

Les coefficients γ de l’expression (1) représentant le pouvoir de négociation du

travailleur sont interprétés par Rubinstein comme étant l’inverse des taux d’escompte

(ri) des individus (Casassas et Loewe, 2002). En effet, si δ représente le facteur

d’escompte,

t

i

t

ir

r)1(

1)1(

+=+= −δ i = 1,2 (2)

Par conséquent le pouvoir de négociation peut être représenté par

21

2

rr

r

+=γ (3)

On parvient ainsi à formaliser l’intuition présentée dans la section 6.3 : le joueur

le plus impatient (ri plus élevé, et, par conséquent, δ plus faible) aura un pouvoir de

négociation réduit. L’approche stratégique des processus de négociation à horizon infini

de Rubinstein s’avère très utile pour fournir une démonstration rigoureuse d’une telle

intuition. De plus, l’utilisation d’un jeu avec ces caractéristiques n’est pas déconnecté de

notre raisonnement précèdent : en effet, la solution du jeu donnée par (1) peut être

assimilée à une telle négociation à horizon infini où le délai entre deux offres

successives tend vers zéro (Cahuc et Zylberberg, 2001). Voyons donc le résultat d’un

jeu de négociation avec horizon infini où deux joueurs rationnels se répartissent une

quantité fixe de ressources qui sera considérée comme étant égale à 1. Notre analyse a

comme référence le modèle développé par Cahuc et Zylberberg (2001 : 318-320).

Page 98: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

98

Imaginons que le joueur 1 propose la partition (x, 1-x) au joueur 2 lors des dates

paires (le joueur 2 peut accepter ou refuser cette offre de répartition) et le joueur 2

propose une partition (y, 1-y) qui peut être acceptée ou refusée par 1 lors des dates

impaires. Etant donné que l’horizon du jeu est infini, on ne peut pas réaliser un

raisonnement à rebours pour trouver l’équilibre du jeu, mais on sait que les propositions

des joueurs seront toujours identiques. On supposera que le joueur 1 décide de proposer

(x*, 1-x*) à chaque date paire et que le joueur 2 décide de proposer une répartition (y*,

1-y*) à chaque date impaire. Cela étant, l’utilité de 1 s’il accepte l’offre y* à une date

quelconque sera donnée par l’expression

∑∞

=011 *)(

t

tyuδ (4)

S’il refuse, il obtient

∑∞

=

+1

1111 *)()(t

txudu δ (5)

Par conséquent, un équilibre parfait en sous jeu exigerait que la plus petite

valeur pour y* que le joueur 2 pourra offrir sera donnée par l’égalité entre (4) et (5),

autrement dit

∑∑∞

=

=

+=1

11110

11 *)()(*)(t

t

t

txuduyu δδ

En développant et en résolvant pour y*

11

11

1

1

1

*)()(

1

*)(δ

δδ⋅

−+=

xudu

yu

111111 *)()1()(*)( δδ ⋅+−⋅= xuduyu

11111111 *)()()(*)( δδ ⋅+⋅−= xududuyu

[ ]))(*)()(*)( 1111111 duxuduyu −+= δ Si on se donne une fonction d’utilité du type u1(x) = x on obtient

)(·*·)())(*(1* 111111111 duxduduxdy δδδ −+=−+=

)1)((*·* 1111 δδ −+= duxy (6)

En raisonnant de manière analogue pour le joueur 2 et en se donnant un fonction

d’utilité du type u2(1-x) = 1-x on obtient

Page 99: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

99

[ ])(*)1()(*)1( 2222222 duyuduxu −−+=− δ

[ ])(*1)(*1 22222 duydux −−+=− δ

[ ]1)(*)(1* 22222 −++−= duydux δ (7)

En supposant que u1(d1) = u2(d2) = 0 (hypothèse simplificatrice qui n’affecte pas

l’essence de notre résultat final), les expressions (6) et (7) forment un système

d’équations qui fournit les résultats suivants

21

2

1

1*

δδ

δ

−=x (8)

21

21

1

)1(*

δδ

δδ

−=y (9)

On trouve aisément que quand δ1 et δ2 sont inférieurs à 1 (les agents ont une

certaine préférence pour le présent)

( )0

1

1*2

21

2

1

>−

−=

δδ

δ

δ

x (10)

( ) ( )0

1

)()1(

1

))(1()1(*2

21

211212

21

1221

2

<−

−+−−=

−−−−−=

δδ

δδδδδ

δδ

δδδδ

δ

x (11)

( )0

1

))(()1)(1(*2

21

2112212

1

>−

−+−−=

δδ

δδδδδδδ

δ

y (12)

( )0

1

))(()1)((*2

21

2111211

2

<−

−+−−=

δδ

δδδδδδδ

δ

y (13)

Rappelons que, d’après (2), l’augmentation de δ équivaut à une diminution du

taux d’escompte psychologique (ri), ce qui revient à dire que l’individu devient moins

impatient. Cela étant, les expressions (10) et (13) montrent que la part du joueur 1 croit

lorsqu’il devient moins impatient (sa préférence pour le présent diminue à travers

l’augmentation de δ1). Etant donné que l’issue du jeu pour le joueur 2 est la différence

entre l’unité et x* ou y*, les dérivées négatives des expressions (11) et (13) vérifient

qu’une diminution de l’impatience du joueur 2 améliore son résultat.

Page 100: L'Allocation Universelle Et Ses Impacts Sur Le Travail (III)

100

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TABLE DE MATIÈRES

SOMMAIRE 3

INTRODUCTION 4

PREMIERE PARTIE. L’Allocation Universelle : concept et spécificité

Chapitre 1. L’allocation universelle 10

1.1. Le concept d’allocation universelle 10

1.1.a. Un revenu… 11

1.1.b. …versé par une communauté politique… 13

1.1.c. …à tous ces membres, sur base individuelle, sans

contrôle des ressources ni exigence de contrepartie 14

1.2. La seule application pratique : L’Alaska Permanent Fund 16

1.3. Une proposition œcuménique ? 18

Chapitre 2. L’allocation universelle face à d’autres mécanismes de

revenu minimum et d’aide aux bas salaires 19

2.1. Les dispositifs de revenu minimum 19

2.2. L’impôt négatif sur le revenu 22

2.3. Le crédit d’impôt 25

DEUXIEME PARTIE. Le travail.

Chapitre 3. Concept de travail et droit au travail 29

3.1. Le concept de travail 30 3.1.a. Travail avec rémunération dans le marché 31

3.1.b. Le travail domestique 31

3.1.c. Le bénévolat 34

3.2. Vers un nouveau secteur d’activité ? 35

3.3. Allocation universelle et droit au travail 37

Chapitre 4. Travail et revenu 40

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106

4.1. La réciprocité 40 4.1.a. Le problème des free-riders 40

4.1.b. Revenu de participation et réciprocité ? 41

4.1.c. Allocation universelle et réciprocité 42

4.1.c.1. Les exceptions au principe de réciprocité 43 4.1.c.1. L’allocation universelle implique-t-elle une exploitation des travailleurs ? 44

4.2. Le capitalisme cognitif comme justification théorique

de la dissociation travail-revenu 46

4.2.a. Un nouveau stade du capitalisme ? 46

4.2.b. Capitalisme cognitif et allocation universelle 48

TROISIEME PARTIE. Allocation universelle et offre de travail rémunéré

Chapitre 5. Allocation universelle et incitations au travail rémunéré 51

5.1. L’allocation universelle comme désincitation au travail 51

5.2. Allocation universelle et trappes du chômage 54 5.2.a. Les mécanismes de la trappe du chômage 54

5.2.b. L’allocation universelle comme outil contre la

trappe du chômage 59

5.2.c. Systèmes fiscaux optimaux et trappes du chômage 60

5.3. Le loisir comme bien inférieur 63

Chapitre 6. Allocation universelle, flexibilité et salaires 66

6.1. Allocation universelle et flexibilité 67 6.1.a. Un nouveau contexte économique 67

6.1.b. Allocation universelle et développement

du travail à temps partiel 68

6.2. Allocation universelle et salaires 69 6.2.a. Evolution des salaires avec allocation universelle 69

6.2.b. Allocation universelle et salaire minimum 70

6.2.b.1. Suppression du salaire minimum 72 6.2.b.2. Réduction du salaire minimum du montant de l’allocation universelle 72 6.2.b.3. Maintien du salaire minimum au même niveau 73

6.3. Pouvoir de négociation des travailleurs 75

CONCLUSION 79

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107

ANNEXES 84

ANNEXE 1: DISPOSITIFS DE REVENU MINIMUM, TRANSFERTS UNIVERSELS ET EFFICIENCE DANS LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ 85

ANNEXE 2 : SALAIRE D’EFFICIENCE (Relation de Solow) 89 ANNEXE 3 : IMPOSITION OPTIMALE ET TAUX MARGINAUX D’IMPOSITION 91

ANNEXE 4 : MODÈLE DE NÉGOCIATION DE NASH ET ALLOCATION UNIVERSELLE 94

BIBLIOGRAPHIE 100