L’alimentation crétoise, du concept à l’assiette · par semaine ont un risque de morta- ......

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L es syndromes coronaires aigus représentent dans notre pays, par an, 50 000 hospitalisations pour angor instable et plus de 120 000 cas d’infarctus du myocarde, dont environ 42 000 hospitalisés en unités de soins intensifs. Par le far- deau qu’elles entraînent (pertes humaines, complications et invalidi- tés), les MCV ont un coût individuel et social considérable et représentent le poste le plus important (12,6 %) de la consommation de soins et de biens médicaux, soit 13,6 milliards d’euros sur un total de 107,6 mil- liards d’euros de soins « hors préven- tion ». Le vieillissement de la popula- tion est une des causes de l’augmen- tation de fréquence des MCV. L’approche épidémiologique car- dio-vasculaire est amplifiée, dès 1948, par des études d’observation de la population générale ; elle permet de déterminer la mortalité et certains facteurs de risque (tabagisme, acides gras saturés…) des MCV. Des fac- teurs de protection existent aussi, par exemple le mode de vie et l’alimenta- tion des Crétois et des Japonais d’Okinawa des années 1950. Nous allons voir comment le régime méditerranéen, plus précisé- ment l’alimentation crétoise, s’est progressivement construit. Cette première partie d’article montrera quelles furent les premières études épidémiologiques et les avancées du régime crétois ; la seconde analysera les études récentes, les bénéfices de la consommation de poisson et de l’alimentation crétoise et leur appli- cation en pratique. Premières grandes études d’observation L’étude d’observation de Framing- ham, petite ville des Etats-Unis, est initiée en 1948. Elle porte sur plus de 5 000 hommes et femmes, âgés de 30 à 60 ans, suivis pendant seize ans. Deux conclusions émergent. Les aci- des gras saturés et un cholestérol san- guin élevé sont des facteurs impor- tants de mortalité cardio-vasculaire. L’étude suivante, dite des sept pays, entamée en 1958, explore sur quinze ans la relation entre certains facteurs de risque et la mortalité coronaire dans sept pays : Etats-Unis, Finlande, Grèce, Italie, Japon, Pays-Bas, Yougo- slavie. Elle porte sur plus de 15 500 hommes âgés de 40 à 59 ans. La mortalité coronaire est environ trois fois plus faible dans les pays méditerra- néens (Grèce, Italie, Yougoslavie) que dans les pays nordiques (Etats-Unis, Finlande). Le cas de la Crète est tout particulier : la mortalité coronaire est encore plus faible que celle du Japon, grand consommateur de poisson. Simultanément, des données interna- tionales montrent que le Japon est davantage protégé que les pays du Nord. Certains facteurs de risque apparaissent liés à la mortalité coro- naire : âge, tabagisme, pression arté- rielle, cholestérol sanguin, acides satu- rés (dans les produits laitiers et la viande). Des facteurs de protection émergent : fruits et légumes et consommation modérée d’alcool. Serge Renaud, en 1992, confirmera, chez des paysans français, le rôle pro- tecteur de l’alcool, sous forme de vin pris modérément, contre les MCV : il sera à l’origine du concept de « french paradox », le fameux paradoxe français. Dans les années 1970, Dyerberg et Bang constatent que les Esquimaux du Groenland ont un taux de morta- lité coronarienne trois fois moindre que celui des Esquimaux émigrés au Danemark, lesquels ont une ten- dance à faire plus d’hémorragies et d’accidents cérébraux. Les Esquimaux consomment peu de glucides et beaucoup de graisses et 20 Savoir La Revue de la MTRL juin 2010 numéro 66 (1 re partie) L’alimentation crétoise, du concept à l’assiette Actuellement en France, les maladies cardio-vasculaires (MCV) constituent la première cause de décès devant les cancers : MCV, 32 % ; cancers, 26 %. Elles provoquent 170 000 décès par an L’alimentation crétoise, du concept à l’assiette L’alimentation crétoise, du concept à l’assiette L’alimentation crétoise, du concept à l’assiette L’alimentation crétoise, du concept à l’assiette

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L es syndromes coronaires aigusreprésentent dans notre pays,par an, 50 000 hospitalisations

pour angor instable et plus de120 000 cas d’infarctus du myocarde,dont environ 42 000 hospitalisés enunités de soins intensifs. Par le far-deau qu’elles entraînent (perteshumaines, complications et invalidi-tés), les MCV ont un coût individuelet social considérable et représententle poste le plus important (12,6 %)de la consommation de soins et debiens médicaux, soit 13,6 milliardsd’euros sur un total de 107,6 mil-liards d’euros de soins « hors préven-tion ». Le vieillissement de la popula-tion est une des causes de l’augmen-tation de fréquence des MCV.

L’approche épidémiologique car-dio-vasculaire est amplifiée, dès1948, par des études d’observation dela population générale ; elle permetde déterminer la mortalité et certainsfacteurs de risque (tabagisme, acidesgras saturés…) des MCV. Des fac-teurs de protection existent aussi, parexemple le mode de vie et l’alimenta-tion des Crétois et des Japonaisd’Okinawa des années 1950.

Nous allons voir comment lerégime méditerranéen, plus précisé-ment l’alimentation crétoise, s’estprogressivement construit. Cettepremière partie d’article montreraquelles furent les premières étudesépidémiologiques et les avancées durégime crétois ; la seconde analyserales études récentes, les bénéfices de

la consommation de poisson et del’alimentation crétoise et leur appli-cation en pratique.

Premières grandes étudesd’observation

L’étude d’observation de Framing-ham, petite ville des Etats-Unis, estinitiée en 1948. Elle porte sur plus de5 000 hommes et femmes, âgés de 30à 60 ans, suivis pendant seize ans.

Deux conclusions émergent. Les aci-des gras saturés et un cholestérol san-guin élevé sont des facteurs impor-tants de mortalité cardio-vasculaire.

L’étude suivante, dite des sept pays,entamée en 1958, explore sur quinzeans la relation entre certains facteurs derisque et la mortalité coronaire dans

sept pays : Etats-Unis, Finlande,Grèce, Italie, Japon, Pays-Bas, Yougo-slavie. Elle porte sur plus de15 500 hommes âgés de 40 à 59 ans.La mortalité coronaire est environ troisfois plus faible dans les pays méditerra-néens (Grèce, Italie, Yougoslavie) quedans les pays nordiques (Etats-Unis,Finlande). Le cas de la Crète est toutparticulier : la mortalité coronaire estencore plus faible que celle du Japon,grand consommateur de poisson.Simultanément, des données interna-tionales montrent que le Japon estdavantage protégé que les pays duNord. Certains facteurs de risqueapparaissent liés à la mortalité coro-naire : âge, tabagisme, pression arté-rielle, cholestérol sanguin, acides satu-rés (dans les produits laitiers et laviande). Des facteurs de protectionémergent : fruits et légumes etconsommation modérée d’alcool.Serge Renaud, en 1992, confirmera,chez des paysans français, le rôle pro-tecteur de l’alcool, sous forme de vinpris modérément, contre les MCV : ilsera à l’origine du concept de « frenchparadox », le fameux paradoxe français.

Dans les années 1970, Dyerberg etBang constatent que les Esquimauxdu Groenland ont un taux de morta-lité coronarienne trois fois moindreque celui des Esquimaux émigrés auDanemark, lesquels ont une ten-dance à faire plus d’hémorragies etd’accidents cérébraux.

Les Esquimaux consomment peude glucides et beaucoup de graisses et

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Savoir

La Revue de la MTRL ! juin 2010 ! numéro 66

(1re partie)

L’alimentation crétoise,du concept à l’assiette

Actuellement en France, les maladies cardio-vasculaires (MCV)

constituent la première cause de décès devant les cancers :

MCV, 32 % ; cancers, 26 %. Elles provoquent 170 000 décès par an

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de cholestérol issus de la chair d’ani-maux marins (baleine, phoque etpoisson). Pour se protéger du froid,ces animaux sont riches en acides graspolyinsaturés à longues chaînes (aci-des eicosapentaénoïque, ou EPA, etdocosahexaénoïque, ou DHA) quiont des propriétés antiplaquettaires etantithrombotiques.

A la même époque, on constate quela mortalité cardio-vasculaire desJaponais de Californie est 2,8 fois plusélevée que celle des Japonais vivant auJapon. Les habitants d’Okinawa(Japon) ont le taux de maladie cardio-vasculaire le plus faible de la planète etl’espérance de vie la plus élevée ; ilsont quatre fois plus de centenairesqu’en Occident. Ils consomment enmoyenne 250 g de poisson par jour.

Des études d’observation ultérieu-res montrent que les populationsconsommant du poisson deux foispar semaine ont un risque de morta-lité coronarienne abaissé par rapportà celles ne mangeant pas de poisson.Ces travaux donnent naissance à lamode des « huiles de poisson », richesen acides polyinsaturés.

Essais d’interventionnutritionnelle

Pour tester les hypothèses acquises,les premiers essais d’intervention enprévention primaire (sujets sains) ouen prévention secondaire (malades)tentent de diminuer la mortalitétotale et coronarienne en réduisantles apports en cholestérol et en aug-mentant les acides polyinsaturés." Au début des années 1960, les pre-miers essais en prévention primairesont décevants. A la fin de la décen-nie, l’étude d’Oslo, un des premiersessais en prévention secondaire, testeles mêmes modifications sur les réci-dives de coronaropathies. En cinq eten onze ans, le groupe intervention aune incidence d’infarctus plus faibleque le groupe contrôle. La mortalitécoronarienne est corrélée à l’âge, aucholestérol sanguin, à la tension arté-rielle, au tabagisme." L’étude britannique DART, unevingtaine d’années plus tard, évalue,pendant deux ans, l’effet du poisson

ou des huiles de poisson et desconseils diététiques intensifs sur lesrécidives de maladie coronariennechez des survivants d’infarctus récent.Les patients, répartis en trois groupes,doivent ne pas fumer, ainsi que dimi-nuer les apports lipidiques à 30 % ouaugmenter la consommation de fibresà 18 g/j, ou consommer du poissongras au moins deux fois par semaine (àdéfaut, consommer 0,5 g/j d’huile depoisson). Dans ces essais et les sui-vants, les patients prennent les traite-ments nécessaires. Par rapport auxdeux autres groupes, le groupe pois-son a une réduction des morts subiteset des mortalités toutes causes et car-diaque de 29 %, malgré la stabilitédes cholestérols total et LDL. L’effetapparaît dans les trois premiers mois." L’étude italienne GISSI (1999) éva-lue l’effet de supplémentations simplesou combinées chez des Italiens survi-vants d’infarctus récent. Pendant qua-rante-deux mois, les patients reçoi-vent : ou 1 g/j d’EPA + DHA, ou300 mg/j de vitamine E, ou les deux,ou rien ; on leur demande aussi d’évi-ter le tabac et d’augmenter leurconsommation de poisson, fruits,légumes et huile d’olive. Les mortssubites, les mortalités toutes causes etcardiaque sont réduites respective-ment de 45 %, 20 %, 30 % et 45 %dans le groupe EPA + DHA. Il n’y apas davantage de bénéfices dans lesautres groupes. Les cholestérols total,HDL et LDL restent stables." L’étude de Lyon (années 1990) estétablie à partir du profil alimentaireprotecteur des Crétois. Elle évalue,chez des survivants d’infarctus récent,l’effet d’une alimentation de typeméditerranéen sur les taux d’infarctusmortels ou non, les morts subites et lamortalité toutes causes.

Le groupe expérimental reçoit unemargarine originale, dont la composi-tion proche de celle de l’huile d’oliveest riche en acide alpha-linolénique(ALA). Il doit consommer plus depain, de légumes secs, de légumesverts et de fruits, moins de viande, dupoisson, de la margarine au colza(supprimant beurre et crème), l’utili-sation exclusive d’huile de colza et

d’huile d’olive, un peu de vin pendantles repas. Le groupe contrôle doitconsommer un régime « prudent ».

L’alimentation crétoise recomman-dée est bien adoptée. Les effets s’enfont sentir en huit semaines. Il y ahuit morts subites par fibrillationventriculaire et arythmie dans legroupe contrôle et aucune dans legroupe expérimental. En vingt-septmois, la mortalité toutes causes dimi-nue de 70 %, les infarctus mortels etnon mortels de 76 et 73 %. Cesrésultats spectaculaires sont confir-més au bout de quarante-six mois." L’étude indo-méditerranéenne estréalisée sur des sujets avec des antécé-dents cardio-vasculaires ou des facteursde risque cardio-vasculaire (Singh2002). Le groupe d’expérimentationdoit consommer des fruits, légumes etnoix, des céréales et légumineuses, desgraines de moutarde (riches en ALA)ou de l’huile de soja. Le groupecontrôle doit consommer un régimeprudent. Tous les patients doiventmarcher vivement 3 à 4 km par jour.

Le groupe expérimental voit sonprofil métabolique amélioré, il estmoins sédentaire et prend moins demédications. On note des réductionsdes infarctus non mortels (51 %), desinfarctus mortels (29 %), des mortssubites (62 %), des événements car-diaques totaux (49 %).

Ainsi, les résultats sont éloquents :chez des survivants d’infarctus, lesapports en huiles de poisson, poissonet/ou acide alpha-linolénique indui-sent des baisses spectaculaires desmortalités totale et coronaire, indé-pendamment du cholestérol sanguin.Ces résultats vont susciter des essaisen prévention primaire. #

Mireille BernardIngénieur en biologie

Univ. Victor-Segalen Bordeaux-II

21La Revue de la MTRL ! juin 2010 ! numéro 66

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Q uelques études d’interven-tion par alimentationméditerranéenne ou par

supplémentation en acide alpha-linolénique (ALA) testent les mar-queurs intermédiaires de risque car-dio-vasculaire (poids, pression arté-rielle, glycémie et marqueurs inflam-matoires…) chez des sujets ayant unou plusieurs facteurs de risque car-dio-vasculaire (hypercholestérolé-mie, syndrome métabolique, hyper-tension artérielle…).

De quelques conclusionsprovisoires à partird’expériences nombreuses

Dans une étude française récente, onconstate que l’alimentation méditerra-néenne permet, en trois mois seule-ment, une réduction du risque cardio-vasculaire de 15 %, le régime « pru-dent » de 9 %. D’après une étude ita-lienne de 2004 sur des sujets ayant unsyndrome métabolique, dans legroupe « méditerranéen » les mar-queurs sont améliorés, et le nombre desyndromes métaboliques est diminuépar rapport au groupe « prudent ».

Certaines études testent la supplé-mentation des sujets à haut risquecardio-vasculaire avec de l’acidealpha-linolénique sous forme denoix, de margarine ou d’huile decolza. Les résultats sont inégaux :

Savoir

(2e partie)

dans un cas, on obtient seulementune hausse du HDL-cholestérol etune baisse du fibrinogène ; dans uneautre expérimentation, l’apport ennoix (riches en ALA) diminue lescholestérols total et HDL et améliorela vasodilatation endothéliale, tout enréduisant l’adhésion cellulaire.

Cependant, une étude espagnole,en 2006, montre les effets bénéfi-ques, en seulement trois mois, del’huile d’olive ou des noix par rapportà un régime hypolipémiant. Dansune étude américaine de 2007, l’ALAsemble « amortir » la réponse inflam-matoire des acides oméga-6. La baissedu fibrinogène est à noter car il esttrès actif sur les accidents corona-riens. Mais nous manquons toujoursd’études sur les apports en ALA afind’obtenir des conclusions sûres.

L’adhésion à un régime alimentairecrétois augmente l’espérance de vie desujets grecs âgés : au bout de 44 mois,on constate une diminution de lamortalité totale de 25 %. Un résultatsimilaire est obtenu dans les mêmesconditions d’étude en Espagne.

Le régime méditerranéen d’adultesgrecs est associé à une réduction de46 % du risque coronarien chez lessujets gros consommateurs de fruits.Constatation identique chez deshommes américains âgés, ayant desconsommations élevées de fruits, delégumes et de céréales : diminutiondes accidents cardio-vasculaires.

De même, un bon profil alimen-taire, antérieur à un accident corona-

rien, est associé à un meilleur pronos-tic à 30 jours chez des patients grecs.

Une méta-analyse enfin, en 2008,montre que l’adhésion à une alimen-tation méditerranéenne entraîne uneréduction respectivement de la mor-talité totale (9 %), cardio-vasculaire(9 %), par cancer (6 %) et des inci-dences des maladies de Parkinson(13 %) et d’Alzheimer (13 %).

Ainsi, des facteurs nutritionnelstrès actifs, présents dans le régime ali-mentaire crétois, protègent contre lamaladie coronarienne et se révèlenttout aussi positifs en présence d’au-tres affections.

Bénéfices et risques dela consommation de poissonet d’huiles de poisson

Les huiles de poisson montrent uneffet bénéfique, attribuable à l’activitéanti-arythmique, sur la mortalité, lamort cardiaque et la mort subite et surde nombreux autres facteurs de risque.

Seulement, certaines espèces de pois-sons peuvent contenir des taux élevésde contaminants, sans que l’on puisseaujourd’hui déterminer, faute d’étudessatisfaisantes, quelles sont les espèces lesplus contaminées. Il faut, cependant,que les populations puissent connaîtreces risques au regard des bénéfices reti-rés de la consommation de poisson, enparticulier pour les femmes enceintesou allaitantes et les enfants.

Les huiles de poisson, quant à elles,étant raffinées, leur sécurité ne sem-ble pas être un problème.

8 La Revue de la MTRL ! septembre 2010 ! numéro 67

Le plus vieil olivier du monde.

Dans ce second texte, nous présentons quelques études récentes

de régimes alimentaires, les bénéfices de la consommation de poisson

et de l’alimentation crétoise et leur application pratique

L’alimentation crétoise,du concept à l’assietteL’alimentation crétoise,du concept à l’assiette

Dans ce second texte, nous présentons quelques études récentes

de régimes alimentaires, les bénéfices de la consommation de poisson

et de l’alimentation crétoise et leur application pratique

L’alimentation crétoise,du concept à l’assiette

Dans ce second texte, nous présentons quelques études récentes

de régimes alimentaires, les bénéfices de la consommation de poisson

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Bénéfices de l’acide alpha-linolénique (ALA) et de l’alimentation crétoise

Certains auteurs sont de grandsdéfenseurs de l’ALA, d’abord SergeRenaud, puis Michel de Lorgeril etArtemis Simopoulos. Nous nous pro-posons, pour terminer, de résumerl’argumentation que Serge Renaud aprésentée à Paris en 2004.

Très tôt, Serge Renaud, promoteurde nombreuses études, comprendque, dans l’infarctus, l’important estdavantage le contenu (sang) que lecontenant (artères) ; il a l’intuitionque la faible mortalité coronaire desCrétois a un lien avec l’ALA, en dépitd’un cholestérol élevé. En effet, lesCrétois consomment trois fois plusd’ALA que les Hollandais.

L’organisme humain est capable, àpartir de deux acides gras essentielsfournis par l’alimentation, d’allongerleurs chaînes carbonées et d’y insérerdes doubles liaisons, afin d’obtenirdes dérivés supérieurs nécessaires auxprocessus cellulaires. Ces acides sontl’acide linoléique, précurseur de lafamille oméga-6, et l’acide alpha-linolénique, précurseur de la familleoméga-3 (EPA et DHA).

Ces deux familles donnent elles-mêmes naissance à des eïcosanoïdes(prostaglandines, thromboxanes, leu-cotriènes…) biologiquement actifsen très petite quantité : les dérivésoméga-6, qui sont pro-agrégants pla-quettaires, alors que les dérivésoméga-3 sont anti-arythmiques, anti-agrégants plaquettaires, anti-inflam-matoires et vasodilatateurs.

Pour Serge Renaud, un certain rap-port oméga-6/oméga-3 est fonda-

mental. Les effets bénéfiques d’unealimentation crétoise semblent dusaux faibles apports en acides saturéset cholestérol, aux apports modérésen oméga-6 (moins importants dansl’huile d’olive que de tournesol), auxapports relativement élevés enoméga-3 (pourpier, noix, légumes-feuilles…). La viande, les œufs, le laitet la « feta », provenant d’animauxconsommant des herbes sauvages,apportent davantage d’ALA que lesproduits américains. Tous ces ali-ments permettent un rapport oméga-6/oméga-3, pro-agrégant/anti-agré-gant, au moins dix fois plus faible enCrète qu’aux États-Unis.

La « tournesolisation »du monde…

Pour Artemis Simopoulos, un rapportoméga-6/oméga-3 égal à 2 a permis ànos ancêtres de survivre jusqu’à nosjours ; les recommandations indiscri-minées pour consommer des acidesoméga-6 (huile de tournesol, de soja,diverses margarines) afin de diminuerle cholestérol sérique sont responsablesde ce déséquilibre oméga-6/oméga-3.Serge Renaud parle de « tournesolisa-tion mondiale », et il suffit de regarderles linéaires des supermarchés pours’en convaincre.

L’AFSSA (Agence française de sécu-rité sanitaire des aliments) a publié desapports recommandés en ALA aux-quels Serge Renaud a contribué :1,6 g/j pour les femmes ; 2 g/j pour leshommes : 2 cuillères d’huile de colzapar jour couvrent 90 % des besoins.

Depuis quelques années, une huilede colza nouvelle existe : « fleur decolza ». Sa promotion est faible et elle

est bien timide sur les linéaires. Elleest étiquetée comme huile d’assaison-nement, ce qui limite son achat. Il estimportant qu’elle obtienne enfin lestatut d’huile tous usages commedans d’autres pays d’Europe ; eneffet, elle résiste très bien à la chaleuret son utilisation restreinte est tout àfait dommageable.

En pratiqueL’alimentation crétoise des années1950 contient davantage de pains etde céréales, de légumes secs (lentilles,fèves, pois cassés, pois chiches), delégumes verts (salades, choux), delégumes colorés (tomate, poivrons,citrouille), de légumes-feuilles, delégumes-racines ou tubercules (carot-tes, betteraves, oignons), pourpier,persil, avocat… Du poisson deux foispar semaine ; de la volaille ; moins deviande (bœuf, porc, agneau) ; pas dejour sans fruits, des abricots, agru-mes, noix, noisettes ; pas de beurre,pas de crème ; un peu de vin pendantles repas : et de l’huile d’olive à laplace de l’huile de tournesol. De plus,elle est associée à une activité physi-que régulière (travaux agricoles,déplacements…).

Elle est relativement facile à adop-ter et « goûteuse » grâce aux noix,fruits, salades et plats accommodéspar de l’huile de colza et d’olive.

ConclusionUn régime alimentaire (nombreuxnutriments actifs contenus dans cer-tains aliments) et un style de vie telsceux de Crétois des années 1950constituent la médecine naturelle laplus efficace pour abaisser le taux demaladies cardio-vasculaires. Lescontraintes sont faibles, comparative-ment à celles de la plupart des régi-mes qui encombrent – ou quiencombraient jusqu’à il y a peu – lespages des magazines féminins, et lesplaisirs gustatifs que cette alimenta-tion procure ne nécessitent pas d’ex-pertise culinaire particulière tant lessaveurs premières abondent. "

Mireille BernardIngénieur en biologie

Univ. Victor-Segalen Bordeaux II

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Savoir

Les prédateurs de grande taille concentrent dans leur chair de nombreux polluants.