L'alfaxalone, un agent anesthésique encore peu connu · du thiopental et ne contient pas d'agent...

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Le contexte La récente diminution de disponibilité du propofol et la vague d'appels de vétérinaires qui a suivi ont fait resurgir l'importance de la diversification des protocoles anesthésiques dans un contexte de pénurie toujours menaçant. Bien qu'il existe plusieurs agents anesthésiques, l'alfaxalone est une excellente alternative au propofol et probablement la plus sécuritaire parmi les molécules actuellement disponibles au Canada pour l'anesthésie des animaux. Historique et mécanisme d'action L'alfaxalone, dans sa formulation moderne solubilisée par une cyclodextrine (Alfaxan-CD, pour CycloDextrine), est présente au Canada depuis le printemps 2011. Cette molécule, dont l'usage initial (mais sous une autre formulation) remonte au début des années 1970, est un stéroïde analogue structural de la progestérone ayant des effets neurologiques, d'où le nom de neurostéroïde. Comme tout stéroïde, l'alfaxalone est une molécule hydrophobe, ce qui justifie l'emploi d'une cyclodextrine comme excipient. Une cyclodextrine est un oligosaccharide formant une molécule-cage avec un centre hydrophobe pour stabiliser le stéroïde et un extérieur hydrophile pour permettre la solubilisation. Le mécanisme d'action de l'alfaxalone est toutefois différent de celui des stéroïdes classiques, qui doivent pénétrer la cellule cible afin d'agir sur son noyau et moduler l'expression génique. L'alfaxalone n'exerce pas d'action nucléaire mais agit plutôt en augmentant la perméabilité de la membrane cellulaire aux ions chlorure, causant un influx de ces anions, ce qui a pour conséquence l'hyperpolarisation cellulaire et par le fait même l'hypoexcitabilité des neurones. L'alfaxalone se lie à un site localisé sur le canal ionique et modulant l’activité du GABA (l'acide γ-aminobutyrique, l'un des principaux neurotransmetteurs inhibiteurs du système nerveux central). Donc, bien qu'étant un stéroïde, l'alfaxalone a un mode d'action similaire à celui d'autres molécules plus familières utilisées couramment en anesthésie, telles que les benzodiazépines, les barbituriques et le propofol. Utilisation clinique Tout comme le propofol, l'alfaxalone est un agent anesthésique qui est principalement utilisé pour l'induction de l'anesthésie générale, à la dose de 2 mg/kg IV chez le chien prémédiqué et 5 mg/kg IV chez le chat prémédiqué, toujours par injection lente à effet. À l'instar du propofol, l'alfaxalone peut être utilisée pour l'entretien d'une anesthésie générale L'alfaxalone, un agent anesthésique encore peu connu Par Dr Jean-Jacques Kona-Boun, DMV, MSc, Dipl. ACVAA

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Le contexteLa récente diminution de disponibilité du propofol et la vague d'appels de vétérinaires qui a suivi ont fait resurgir l'importance de la diversi�cation des protocoles anesthésiques dans un contexte de pénurie toujours menaçant. Bien qu'il existe plusieurs agents anesthésiques, l'alfaxalone est une excellente alternative au propofol et probablement la plus sécuritaire parmi les molécules actuellement disponibles au Canada pour l'anesthésie des animaux.

Historique et mécanisme d'actionL'alfaxalone, dans sa formulation moderne solubilisée par une c y c l o d e x t r i n e (Alfaxan-CD, pour CycloDextrine), est présente au Canada depuis le printemps 2011. Cette molécule, dont l'usage initial (mais sous une autre formulation) remonte au début des années 1970, est un stéroïde analogue structural de la progestérone

ayant des e�ets neurologiques, d'où le nom de neurostéroïde. Comme tout stéroïde, l'alfaxalone est une molécule hydrophobe, ce qui justi�e l'emploi d'une

cyclodextrine comme excipient. Une cyclodextrine est un oligosaccharide formant une molécule-cage avec un centre hydrophobe pour stabiliser le stéroïde et un extérieur hydrophile pour permettre la solubilisation. Le mécanisme d'action de l'alfaxalone est toutefois di�érent de celui des stéroïdes classiques, qui doivent pénétrer la cellule cible a�n d'agir sur son noyau et moduler l'expression génique. L'alfaxalone n'exerce pas d'action nucléaire mais agit plutôt en augmentant la perméabilité de la membrane cellulaire aux ions chlorure, causant un in�ux de ces anions, ce qui a pour conséquence l'hyperpolarisation cellulaire et par le fait même l'hypoexcitabilité des neurones. L'alfaxalone se lie à un site localisé sur le canal ionique et modulant l’activité du GABA (l'acide γ-aminobutyrique, l'un des principaux neurotransmetteurs inhibiteurs du système nerveux central). Donc, bien qu'étant un stéroïde, l'alfaxalone a un mode d'action similaire à celui d'autres molécules plus familières utilisées couramment en anesthésie, telles que les benzodiazépines, les barbituriques et le propofol.

Utilisation cliniqueTout comme le propofol, l'alfaxalone est un agent anesthésique qui est principalement utilisé pour l'induction de l'anesthésie générale, à la dose de 2 mg/kg IV chez le chien prémédiqué et 5 mg/kg IV chez le chat prémédiqué, toujours par injection lente à e�et. À l'instar du propofol, l'alfaxalone peut être utilisée pour l'entretien d'une anesthésie générale

injectable partielle (combinée avec un agent anesthésique volatil et éventuellement une ou plusieurs perfusions antinociceptives) ou totale (combinée avec une ou plusieurs perfusions antinociceptives), soit en bolus intraveineux répétés (1-1.2 mg/kg par 10 minutes chez le chien prémédiqué et 1.1-1.3 mg/kg par 10 minutes chez le chat prémédiqué), soit, idéalement, en perfusion intraveineuse continue (0.1-0.12 mg/kg/min chez le chien prémédiqué et 0.11-0.13 mg/kg/min chez le chat prémédiqué). Dans le cas d'un entretien anesthésique avec des médicaments injectables, de manière générale il faut s'attendre à un réveil de plus longue durée qu'avec un agent volatil, surtout si les débits des perfusions ne sont pas judicieusement ajustés au fur et à mesure que s'écoule le temps d'anesthésie. Chez le chat, cependant, l'alfaxalone pourrait être plus intéressante que le propofol pour les administrations prolongées et/ou répétées car il ne s'agit pas d'un dérivé phénolique et son élimination n'implique pas la glucuronoconjugaison, une voie métabolique relativement dé�ciente dans l'espèce féline.

Finalement, de la même manière que le propofol, l'alfaxalone peut aussi être utilisée, à plus faibles doses (par exemple 25% de la dose d'induction), comme agent sédatif pour des procédures très courtes et non douloureuses (à moins de la combiner avec un ou plusieurs médicaments antinociceptifs). La voie d'administration homologuée au Canada est la voie intraveineuse et, tout comme le propofol, l'alfaxalone ne cause pas d'irritation en cas d'injection périveineuse. L'alfaxalone ne possède pas les propriétés bactéricides du thiopental et ne contient pas d'agent conservateur, ce milieu favorise donc la croissance de certains micro-organismes, bien que ce soit moins marqué qu'avec le propofol (au moins sous sa forme émulsi�ée). Par conséquent, la recommandation du fabricant est de jeter toute portion inutilisée après l'ouverture. Dans la pratique, l'usage d'une bouteille d'alfaxalone pour la journée (le surplus étant jeté à la �n de la journée) est considéré acceptable pour autant que l'asepsie la plus stricte soit respectée dans les prélèvements.

L'alfaxalone exerce relativement peu d'e�ets dépresseurs cardiovasculaires (très peu d'altération des ré�exes autonomes cardiovasculaires, peu de

vasodilatation, peu d'e�et négatif sur la contractilité myocardique), ce qui est intéressant en particulier pour des patients instables au niveau hémodynamique. Les e�ets dépresseurs respiratoires sont également limités à condition d'injecter lentement (sur environ 60 secondes), un bolus rapide pouvant facilement entraîner de l'apnée. À cela s'ajoute l'avantage d'une action courte (associée à peu d'e�ets cumulatifs lors d'administration en bolus répétés ou en perfusion continue) et d'une bonne qualité d'induction et de réveil. Ceci fait de l'alfaxalone une alternative intéressante (voire plus avantageuse dans certains cas) aux agents anesthésiques traditionnels utilisés couramment en médecine vétérinaire. Toutefois, pour reprendre la citation célèbre du Dr Robert Smith:

" Il n'y a pas d'agent anesthésique sûr ni de procédure anesthésique sûre, il n'y a que des anesthésistes sûrs ".

Par conséquent, ce n'est pas tant le choix du médicament que l'habitude de l'utiliser et d'en faire un usage approprié qui augmente les chances de succès et diminue les risques de complications.

Pour davantage d'informations sur l'historique de l'alfaxalone et des neurostéroïdes, voir les notes de conférence sur le site internet du Centre DMV.

Voici le lienhttp://centredmv.com/ce-que-nous-faisons/anesthesiologie/

N’hésitez pas à communiquer avec Dr Kona-Boun au 514 633-8888.

L'alfaxalone, un agent anesthésique encore peu connuPar Dr Jean-Jacques Kona-Boun, DMV, MSc, Dipl. ACVAA

L'alfaxalone, un agent anesthésique encore peu connuPar Dr Jean-Jacques Kona-Boun, DMV, MSc, Dipl. ACVAA

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Le contexteLa récente diminution de disponibilité du propofol et la vague d'appels de vétérinaires qui a suivi ont fait resurgir l'importance de la diversi�cation des protocoles anesthésiques dans un contexte de pénurie toujours menaçant. Bien qu'il existe plusieurs agents anesthésiques, l'alfaxalone est une excellente alternative au propofol et probablement la plus sécuritaire parmi les molécules actuellement disponibles au Canada pour l'anesthésie des animaux.

Historique et mécanisme d'actionL'alfaxalone, dans sa formulation moderne solubilisée par une c y c l o d e x t r i n e (Alfaxan-CD, pour CycloDextrine), est présente au Canada depuis le printemps 2011. Cette molécule, dont l'usage initial (mais sous une autre formulation) remonte au début des années 1970, est un stéroïde analogue structural de la progestérone

ayant des e�ets neurologiques, d'où le nom de neurostéroïde. Comme tout stéroïde, l'alfaxalone est une molécule hydrophobe, ce qui justi�e l'emploi d'une

cyclodextrine comme excipient. Une cyclodextrine est un oligosaccharide formant une molécule-cage avec un centre hydrophobe pour stabiliser le stéroïde et un extérieur hydrophile pour permettre la solubilisation. Le mécanisme d'action de l'alfaxalone est toutefois di�érent de celui des stéroïdes classiques, qui doivent pénétrer la cellule cible a�n d'agir sur son noyau et moduler l'expression génique. L'alfaxalone n'exerce pas d'action nucléaire mais agit plutôt en augmentant la perméabilité de la membrane cellulaire aux ions chlorure, causant un in�ux de ces anions, ce qui a pour conséquence l'hyperpolarisation cellulaire et par le fait même l'hypoexcitabilité des neurones. L'alfaxalone se lie à un site localisé sur le canal ionique et modulant l’activité du GABA (l'acide γ-aminobutyrique, l'un des principaux neurotransmetteurs inhibiteurs du système nerveux central). Donc, bien qu'étant un stéroïde, l'alfaxalone a un mode d'action similaire à celui d'autres molécules plus familières utilisées couramment en anesthésie, telles que les benzodiazépines, les barbituriques et le propofol.

Utilisation cliniqueTout comme le propofol, l'alfaxalone est un agent anesthésique qui est principalement utilisé pour l'induction de l'anesthésie générale, à la dose de 2 mg/kg IV chez le chien prémédiqué et 5 mg/kg IV chez le chat prémédiqué, toujours par injection lente à e�et. À l'instar du propofol, l'alfaxalone peut être utilisée pour l'entretien d'une anesthésie générale

injectable partielle (combinée avec un agent anesthésique volatil et éventuellement une ou plusieurs perfusions antinociceptives) ou totale (combinée avec une ou plusieurs perfusions antinociceptives), soit en bolus intraveineux répétés (1-1.2 mg/kg par 10 minutes chez le chien prémédiqué et 1.1-1.3 mg/kg par 10 minutes chez le chat prémédiqué), soit, idéalement, en perfusion intraveineuse continue (0.1-0.12 mg/kg/min chez le chien prémédiqué et 0.11-0.13 mg/kg/min chez le chat prémédiqué). Dans le cas d'un entretien anesthésique avec des médicaments injectables, de manière générale il faut s'attendre à un réveil de plus longue durée qu'avec un agent volatil, surtout si les débits des perfusions ne sont pas judicieusement ajustés au fur et à mesure que s'écoule le temps d'anesthésie. Chez le chat, cependant, l'alfaxalone pourrait être plus intéressante que le propofol pour les administrations prolongées et/ou répétées car il ne s'agit pas d'un dérivé phénolique et son élimination n'implique pas la glucuronoconjugaison, une voie métabolique relativement dé�ciente dans l'espèce féline.

Finalement, de la même manière que le propofol, l'alfaxalone peut aussi être utilisée, à plus faibles doses (par exemple 25% de la dose d'induction), comme agent sédatif pour des procédures très courtes et non douloureuses (à moins de la combiner avec un ou plusieurs médicaments antinociceptifs). La voie d'administration homologuée au Canada est la voie intraveineuse et, tout comme le propofol, l'alfaxalone ne cause pas d'irritation en cas d'injection périveineuse. L'alfaxalone ne possède pas les propriétés bactéricides du thiopental et ne contient pas d'agent conservateur, ce milieu favorise donc la croissance de certains micro-organismes, bien que ce soit moins marqué qu'avec le propofol (au moins sous sa forme émulsi�ée). Par conséquent, la recommandation du fabricant est de jeter toute portion inutilisée après l'ouverture. Dans la pratique, l'usage d'une bouteille d'alfaxalone pour la journée (le surplus étant jeté à la �n de la journée) est considéré acceptable pour autant que l'asepsie la plus stricte soit respectée dans les prélèvements.

L'alfaxalone exerce relativement peu d'e�ets dépresseurs cardiovasculaires (très peu d'altération des ré�exes autonomes cardiovasculaires, peu de

vasodilatation, peu d'e�et négatif sur la contractilité myocardique), ce qui est intéressant en particulier pour des patients instables au niveau hémodynamique. Les e�ets dépresseurs respiratoires sont également limités à condition d'injecter lentement (sur environ 60 secondes), un bolus rapide pouvant facilement entraîner de l'apnée. À cela s'ajoute l'avantage d'une action courte (associée à peu d'e�ets cumulatifs lors d'administration en bolus répétés ou en perfusion continue) et d'une bonne qualité d'induction et de réveil. Ceci fait de l'alfaxalone une alternative intéressante (voire plus avantageuse dans certains cas) aux agents anesthésiques traditionnels utilisés couramment en médecine vétérinaire. Toutefois, pour reprendre la citation célèbre du Dr Robert Smith:

" Il n'y a pas d'agent anesthésique sûr ni de procédure anesthésique sûre, il n'y a que des anesthésistes sûrs ".

Par conséquent, ce n'est pas tant le choix du médicament que l'habitude de l'utiliser et d'en faire un usage approprié qui augmente les chances de succès et diminue les risques de complications.

Pour davantage d'informations sur l'historique de l'alfaxalone et des neurostéroïdes, voir les notes de conférence sur le site internet du Centre DMV.

Voici le lienhttp://centredmv.com/ce-que-nous-faisons/anesthesiologie/

N’hésitez pas à communiquer avec Dr Kona-Boun au 514 633-8888.