L’homme expliqué aux femmes · 2018. 4. 12. · Du même auteur I Loft You, Mille et Une Nuits,...

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  • L’homme expliquéaux femmes

  • Du même auteur

    I Loft You, Mille et Une Nuits, 2001.La Cerise sur le béton. Violences urbaines et libéralisme sauvage,

    Flammarion, 2002.Sinistrose. Pour une renaissance du politique, Flammarion, 2002.Je t’aime. Une autre politique de l’amour, Flammarion, 2003.Maraboutés (roman), Fayard, 2004.Mélangeons-nous. Enquête sur l’alchimie humaine, Maren Sell,

    2006.Contre-Dico philosophique, Milan, 2006.Mot pour mot. Kel ortograf pr 2m1 ?, Flammarion, 2007.Mai 68 : la philosophie est dans la rue !, Larousse, coll. « Philosopher »,

    2008.Tous philosophes ! 40 invitations à philosopher, Albin Michel,

    2008.J’aime, donc je suis. À la découverte de votre philosophie amoureuse,

    Larousse, 2009.Magique Étude du Bonheur, Larousse, coll. « Philosopher », 2010.

  • Vincent Cespedes

    L’homme expliquéaux femmes

    L’avenir de la masculinité

    Flammarion

  • © Flammarion, Paris, 2010.ISBN : 978-2-0812-1703-4www.VincentCespedes.net

    http://www.VincentCespedes.net

  • Avoir une belle femme qu’il pourramontrer, jouir d’un métier où l’ondécide des choses : telles sont les obli-gations qu’il a remplies. Il a eu tout cequ’il voulait, tout ce qu’il avait apprisà vouloir. Et maintenant, quoi. Main-tenant, rien. Il ne lui reste plus qu’àgagner encore plus de bons points àl’école : brillante carrière, belle desti-née. Il n’imagine pas d’autre vie quecelle-là, qu’il édifie avec amertume, envue de l’amertume. Une plénitudemalheureuse.

    Christian BOBIN,La Femme à venir

    Tout avait l’air comme avant, et pour-tant tout avait changé en profondeur.

    Richard RUSSO,Un homme presque parfait

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    La flemme d’aimer

    La vie véritable, […] on ne peut pass’y « entraîner » comme aux sports ouà l’étude des langues étrangères. Elleest enracinée dans les choses fonda-mentales, et avant tout dans les rela-tions étroites, constantes, intéressanteset importantes entre hommes etfemmes.

    Edith WHARTON,Les mœurs françaises

    et comment les comprendre.

    Où sont les hommes ? Les vrais, ceux qui se tien-nent droit, parlent en connaissance de cause, saventcombler une femme et bercer un enfant ?

    Où sont ces êtres denses et courageux, prompts àentrer dans la bagarre pour qu’elle cesse, dans la dis-cussion pour qu’elle porte, dans les méandres dusens, dans le vif de l’amour ? Où sont ces athlètes de

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    l’espoir, à l’optimisme contagieux ? Où sont cesdoux rêveurs à la voix grave, ces découvreursd’issues, ces guides étincelants, ces crieurs de joieslentes ? Des hommes qui rient, tombent sous lescharmes, bâtissent, inventent, s’enflamment et lais-sent déborder d’eux de nouveaux mondes, des tré-sors d’émotions et d’ingéniosité.

    Il paraît que les hommes, les vrais, sont desbipèdes en voie de disparation et que leur extinctionest programmée par les suppôts de notre société« maternante » : féministes, homosexuels, gauchistes,antiracistes, bien-pensants castrateurs, papas mièvreset « pisse-assis ». Il paraît que les femmes ont eu rai-son de l’homme ; qu’elles ont réussi à en faire unmollasson efféminé en lui volant diaboliquement sesgosses, en lui coupant méthodiquement les couilles.

    Hommes, où en sommes-nous avec nous-mêmes ?Femmes, que comprenez-vous encore de nous ?

    Car on a assez décrypté la Femme. On a projetésur son corps procréateur les mille fantasmes de ceuxqui n’engendrent pas. On l’a corsetée, psychologisée,disséquée, autopsiée sous tous les angles. On a ditqu’elle était faible donc perfide, coquette donc per-verse, insatiable donc perdue, hypersensible doncperdante. On lui a demandé de chérir son asservisse-ment, de ravaler ses impatiences, de contenir sesglandes. Les docteurs l’ont baladée de médecine enrégimes, d’injections pour pétrifier son âge en injec-tions pour faire grossir ses seins. On a théorisé saréserve, son manque d’Histoire, ses ambiguïtésd’amoureuse, ses failles de mère, la peur qu’elle

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    suscite, et même la façon avec laquelle on l’infério-rise et on la conditionne.

    Si bien qu’on ne peut que souscrire à la proposi-tion émise par la féministe Benoîte Groult en 1977 :« Il n’y a qu’une manière d’être féministeaujourd’hui pour un homme, c’est de se taire enfinsur la féminité. »

    Or qu’y a-t-il sur nous, les hommes ? Comparéaux millions d’acharnements pour décortiquer lesfemmes, quasi rien. La psychologie nous a taillé lapart du Père. La poésie a fait dans le stéréotype, ellequi, pour tous les autres sujets, transfigure nosvisions. Conçue par nous et pour nous, la philoso-phie n’a guère trouvé judicieux de nous placer sousses loupes et dans ses miroirs.

    Le courant dit « queer », fortement homocentré, aocculté le fait qu’être un homme, c’est d’abord unesensation : celle – merveilleuse et frustrante, angois-sante et jubilatoire – d’avoir besoin de s’enfoncer dansune altérité fantasmée ou réelle pour se soulager.

    Oui, nous devons prendre corps, à l’endroit mêmed’un désir que notre corps testostéroné à mort, quenotre vitalité, que notre société et notre éducationnous ont insufflé. Il paraît que ce désir-là est enberne. Il paraît – souvent d’ailleurs au dire desfemmes – que nous avons perdu la ferveur charnelleet que, malgré nos petites acrobaties avec ou sansViagra, avec ou sans âme, nous nous sommes vautrésdans la flemme d’aimer. Quelle est la part de véritéde cette rumeur ? Quelles sont les causes de cetteflemme étrange, ce manque d’appétit qui fait préférer

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    une branlette sous perfusion porno à une partie dechasse, de jambes en l’air et d’amour ?

    Pourquoi bandons-nous mou, passé la quaran-taine, avec une dysfonction érectile qui progresse de25 à 30 nouveaux cas pour 1 000 habitants par andans les pays occidentaux ? Pourquoi avons-nouspeur de nous engager dans une relation durable ?Pourquoi tant d’égoïsme et de lâcheté ? Commentconcilier la tendresse et la virilité ? la responsabilitéet la passion ? les fonctions de bon amant et de bonpère, de Prince charmant et de ménagère ?

    Au fil des pages de ce livre, j’essaierai de répondreà ces questions, révélatrices de la crise de la mas-culinité qui semble en perturber plus d’un, enconfondre plus d’une. Mais avant d’entrer enmatière, je dois faire un sort à l’explication la pluscommune concernant ladite crise, et qui consiste àimputer notre désorientation à des facteurs exclusi-vement circonstanciels.

    La marche des femmes pour leur indépendanceayant fait des pas de géant depuis les années 1970,nous, les hommes, serions totalement dépassés parles évènements. Elles votent, gagnent de l’argent,assument leur sexualité et choisissent quand ellesveulent un enfant ; un grand chambardement de noshabitudes millénaires, une grosse claque pour notre« supériorité ». C’était tellement mieux avant, quandnotre salaire leur clouait le bec et leur enchaînait lesjambes, quand elles accomplissaient leurs « devoirs »d’épouse et de mère sans revendiquer ni plaisir, ni viesociale, ni assistance à la maison, ni augmentation de

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    salaire, ni égalité de droits, ni liberté, ni cajolerie, niconsidération !

    Cependant, croire ce scénario de la révolution-féminine-déstabilisant-les-hommes, c’est se four-voyer dans une illusion historique. Car la révolutionen question était déjà loin derrière les générationsd’hommes devenus adultes, comme moi, dans lesannées 1990, or cela ne les a pas empêchés de traver-ser une crise de mâlitude aiguë, à ce qu’il paraît.

    Les trentenaires et quarantenaires d’aujourd’huiont toujours fréquenté des femmes libérées, avecpilule (et même préservatifs – sida oblige !), avec ins-truction (souvent meilleure que nous à l’école), avectravail (gagnant parfois plus que nous), avec voiture,ordi, vibro, divorce et tout le bataclan.

    Même si elles n’ont pas toutes fait Mai-68, nosmères ont largement profité de ses retombées éman-cipatrices, si bien que la femme ligotée-muselée desannées 1950 est pour nous un cliché sépia, un par-fum de grand-mère.

    À vingt-cinq ans, nos amours étaient modernes,libres autant que faire se peut, pleines d’ambition etde soif d’épanouissement, sportives, grandes gueules,frondeuses, professionnelles, chaudes et véhiculées.

    Et pourtant, nous serions bel et bien des naufra-gés dans une virilité démontée, des êtres déboussoléspar quelque chose de détraqué dans l’usine à fabri-quer du mâle. Qu’est-ce qui ne fonctionne plus, etpourquoi ? Peut-on le réparer, ou faut-il rénoverl’ensemble de fond en comble ? Va-t-on vers undépassement des genres, une apothéose unisexe, ou

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    au contraire vers un durcissement des différences, unrepli sur une masculinité antique et exacerbée ?

    Un mâle meilleur

    Un beau soir, tandis que je tchatais sur ces ques-tions avec une amie philosophe très au fait deserrances de la gent masculine, je reçus une réponse-couperet qui ne laisse pas de me faire sourire, etméditer : « Les hommes sont de pauvres créaturesqui ont besoin de leur maman, mais leur mamanveut qu’ils soient des héros. Et ils passent leur vie àprendre le désir des autres pour le leur. Plus ils ont,plus ils font, plus ils baisent, plus ils se décentrent etse perdent. Ils se vengent sur les femmes de celle quiles a aliénés pour toujours, et ils oublient de s’enlibérer… et d’aimer enfin. »

    Tout y est : la maman que nous ne voudrions paslâcher, le fourvoiement de notre désir, notre quêtede pouvoir et d’emprise qui nous rendrait malades,notre misogynie qui découlerait d’un encouplementinvivable, notre impuissance à aimer librement.

    À l’instar de beaucoup d’autres femmes, l’amie enquestion en avait gravement marre de nous. Denotre lâcheté, de notre égoïsme, de nos incohé-rences, de notre dépendance. De notre propension àjouer aux victimes pour faire les bourreaux. Denotre manque de poésie et d’ampleur.

    Que nous révèle ce diagnostic concentré, si onlui accorde le crédit des quatre vérités lancées auxvisages parce qu’on n’en peut plus ? Il dit :

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    « Réveillez-vous ! ». Il dit : « Vous n’êtes pas à lahauteur de vous-mêmes, en phase avec vos aspira-tions authentiques ! » Ce cri du cœur veut notrebien. Il déplore nos compromissions passées avec lafacilité, la tradition, la peur de vivre et de créer. Ilesquisse l’espoir d’un mâle meilleur.

    Si nous devons nous réveiller, nous devonsd’abord jauger la nature et la profondeur de notresommeil. Car à quoi bon ouvrir les yeux si c’estpour souffrir ou dormir davantage ? Il est en effetdes réveils difficiles, brusques, mal préparés, quinous font regretter l’oreiller dès qu’on le quitte parceque le sommeil était trop profitable, parce que leréel n’en vaut pas la chandelle.

    Il est aussi des rêves de réveil – pièges envoûtantsfaisant croire qu’un sursaut hors du lit a bel et bieneu lieu, alors qu’on ne fait que prolonger le sommeilen se donnant bonne conscience.

    Enfin, le pire scénario serait de comprendre, à tra-vers les songes, que le réveil signifierait la mort, etque la seule possibilité vitale consisterait à prolongernotre coma artificiel le plus longtemps possible, sansjamais regagner la vérité concrète, en tirant définiti-vement un trait sur le monde des faits, des femmeset des hommes.

    Dormons-nous ?N’avons-nous pas conscience que quelque chose a

    changé chez les femmes, et que quelque chose doitdonc changer chez nous ? Une fatigue-d’être-des-hommes nous écraserait-elle ? Une perte de repèreset d’identité ? Une anesthésie de notre libido ?

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    On a par exemple répété que nous mettons nosémotions en sourdine, pour privilégier l’efficacitéfroide, le pragmatisme sans larmoiement. Des chefsd’entreprise en ont fait un argument d’embauche ;des groupes pharmaceutiques, des psys et des gou-rous, un commerce d’âmes épuisées de ne plus rienressentir. Notre refoulement émotionnel a mêmefait les délices de la philosophie.

    Le romancier de science-fiction Philip K. Dick yvoit une trop grande adhérence au réel, ce qu’ilappelle « paranoïa » : « Tu es pure logique. Tu ascomplètement évacué les émotions », fait-il dire à unmédecin, dans une nouvelle. « Tu es un paranoïaqueparfait, sans la moindre faculté d’empathie. » Puisvient l’explication : « On a toujours classé la para-noïa parmi les maladies mentales. Mais c’est uneerreur ! Elle n’entraîne pas de perte de contact avecla réalité – bien au contraire, le paranoïaque est enprise directe avec le réel. » Du moins, avec le réel despierres et des machines, mais pas avec celui de l’êtrehumain, dans sa complexité émotionnelle et mémo-rielle, dans sa profondeur.

    La masculinité d’hier entretenait un rapport étroitavec la paranoïa définie par l’auteur étatsunien.« Totalement incapable de chagrin, de pitié ou decompassion ; tu ne connais aucun des sentimentshumains normaux. » Même s’il relevait de la science-fiction, le modèle de la virilité inhospitalière et va-t-en-guerre en a désespéré plus d’un, naguère.

    Or, je pense que ce sommeil-là est précisémentarrivé à son terme.

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    Notre « crise » est d’abord ce moment où nousrenouons avec la sensibilité, où nous réapprenons lesvertus de l’empathie, où nous refusons de rompre lefil iridescent qui nous relie aux merveilles del’enfance.

    Nous ne nous dévirilisons pas : nous nous huma-nisons. Nous guérissons de notre « paranoïa ». Autre-ment dit, nous cessons de faire consister notremasculinité dans une ablation des affects, un rejet dela bonté franche. D’où vient ce revirement ? Oùnous mènera-t-il ?

    Désincarnation et frustration

    Voici venu le temps de nous interroger sur ce quenous voulons être, notre cadre spirituel ayant éclaté.J’emploie cet adjectif dans la mesure où ce qui nousconfortait dans le modèle agressif et conquérant dela virilité ne se réduisait pas simplement à uneconstruction sociale donnée, mais relevait surtoutd’un projet de vie, d’une voie prétracée pour accéderau sens de notre existence propre.

    Être un homme, jadis, c’était en effet suivre lechemin réservé aux hommes, de l’école pour garçonsaux responsabilités idoines, des vertus physiques àdévelopper (endurance, force, « instincts » protec-teurs) aux vertus morales (droiture, entregent, ambi-tion, loyauté).

    Dans notre civilisation, ce moule-là estaujourd’hui sérieusement déformé, et notre crise estspirituelle parce que ce récent flottement identitaire

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    L’homme expliqué aux femmes

    provoque un flottement de notre être, de ses aspira-tions, de sa destination.

    « Ne cherche pas de secours auprès d’un autre quetoi-même, conseille Rûmî, le mystique persan. Leremède de ta blessure est ta blessure elle-même. »Qui dit flottement dit « blessure » et angoisse, certes,mais aussi chance de se penser (panser) soi-même etliberté de se redéfinir. D’où la nécessité de saisir lestenants et les aboutissants des mutations de la mas-culinité telles qu’elles prolifèrent dans les pays occi-dentaux.

    La localisation, justement.De quels hommes parle-t-on ? À qui le « nous » se

    réfère-t-il ici ?À une population que des peuples aux rôles bien

    ancrés dans la tradition patriarcale qualifieraientvolontiers de « paumée » : les hommes des démocra-ties capitalistes contemporaines.

    Pour ce qui nous concerne, cela signifie d’aborddeux choses : l’accès facile aux exutoires technolo-giques comme la pornographie, l’ordinateur et lesjeux vidéo (et donc à l’évacuation virtuelle des ten-sions libidinales), et l’accès à une sexualité décon-nectée de la procréation (ce qui entraîne une crise del’encouplement, c’est-à-dire du pacte d’exclusivitéamoureuse). Ces deux éléments clés vont si peud’eux-mêmes qu’il convient d’en préciser la portée.

    Les hommes dont je parle ici appartiennent auxsociétés au top de la fabrication de la consommationcompulsive, avec ce que cela entraîne de dévaluationdes lenteurs et des histoires savoureusement tissées et

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    de ruées vers les satisfactions égoïstes et sanslendemain. Nous, ces hommes, plaçons le sexe à ladeuxième place des sources de notre plaisir, derrièreles nouvelles technologies ! En une année, nousdépensons 60 milliards de dollars dans les achats degadgets technologiques, soit grosso modo le chiffred’affaires du porno (sans compter l’économie souter-raine), c’est-à-dire deux fois les revenus ajoutésd’ABC, CBS et NBC, les trois plus grosses chaînesde télé. Le point commun de ces mirobolances ? Ledésintérêt vis-à-vis des relations réelles, le dégoûtgrandissant de l’aventure qu’elles offrent à vivre.

    Aux débuts de la popularisation d’Internet(1996), l’essayiste Mark Dery constate que « lacyberculture est hantée par le désir masculin déplacévers les machines ». Le geek d’alors – ce fondu detechnologie – entretient déjà une « relation de quasi-symbiose avec son ordinateur ». En quinze années,ce déplacement libidinal semble s’être démocratisé,la pornographie en ligne et le cybersexe aidant.

    Dans les années 1920, le mariage « tenait » enpartie grâce aux filles de joie qui soulageaient le mari(l’épouse préférant l’adultère, pratiqué avec uneincomparable discrétion) ; aujourd’hui, le couple« tient » grâce à la pornographie, livrée gratuitementà domicile, qui vidange l’encouplé d’un trop-pleind’orages. Sur le plan du désir, pas sûr que nous ensortions gagnants.

    Plus le drainage virtuel nous assagit, plus nouséprouvons l’énergie qui nous pousse à fricoter corpscontre corps, vie contre vie, comme une débauchede vitalité inutile et immature. La libido et la soif

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    d’implication sentimentale cessent peu à peu d’êtreles alliées de nos réjouissances : elles nous encom-brent. Elles nous détournent du confort virtuel, leconfort d’être soi sans l’autre (bien que « connectés »)– la nouvelle panacée.

    « Celui qui n’a besoin de personne peut éga-lement être de trop à lui-même », écrit NatalieClifford Barney, si lucide amazone. Sans l’autre,plus de problème. Sans l’autre, plus de désir. Sansl’autre, plus de métamorphose. Rien que du trop-Moi, de la super-idiotie. Une utopie autistique etsurcommunicante dans laquelle nous batifolons.

    Ne s’embrouiller qu’au téléphone, ne s’ennuyerqu’aux heures de pointe, ne draguer qu’avec del’écran dans les yeux. Utopie-cauchemar de la désim-plication affective et de la désincarnation prisescomme des preuves de liberté. Oui, nous, leshommes du virtuellement correct, nous souffrons dedésincarnation. Nous trions les aliments à donner ànotre corps, nous sélectionnons les émotions à vivreet nous entretenons moins de rapports étroits avecdes femmes qu’avec notre poste de télévision. Nousne vivons pas notre vie : nous la gérons, la consom-mons et la diffusons au tout-voyant.

    Nous tuons en elle ce qu’il y a d’imprévisible etd’impliquant, son cœur pulpeux de mélanges etd’érotisme, pour n’en garder que la gangue inerte,l’habillage agité, le clinquant de nos acquisitions etde nos mésaventures d’ego. Technologiquementassistées, nos vies ne sont plus que des coquillesvides, et l’on s’étonne que quelque chose dans notreêtre profond ne tourne pas rond ?!

  • N° d’édition : L.01EHBN000229.N001Dépôt légal : octobre 2010

    Introduction. La flemme d'aimer Un mâle meilleurDésincarnation et frustration