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CHAMP LIBRE Avec la participation de Denys Arcand Constantin Costa-Gavras Deepa Mehta Renzo Rossellini Paolo et Vittorio Taviani Margarethe von Trotta l histoire à l écran Bruno Ramirez

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CHAMPLIBRE

Avec la participation de

Denys Arcand

Constantin Costa-Gavras

Deepa Mehta

Renzo Rossellini

Paolo et Vittorio Taviani

Margarethe von Trotta

l’histoire à l’écran

B r u n o R a m i r e z

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L a rencontre entre le cinéma et l’histoire a toujours fasciné :

du Cuirassé Potemkine à Hannah Arendt, en passant par

Autant en emporte le vent, Barry Lyndon, Le retour de Martin

Guerre et Little Big Man, la plupart des gens découvrent le

passé en regardant des films. De fait, la fréquentation des

salles de cinéma façonne davantage la culture historique

du citoyen moyen que celle des salles de cours. En partant

de ce constat, Bruno Ramirez explore en parallèle les repré-

sentations savantes de l’histoire et celles, « profanes », que

nous offrent les artisans du septième art.

Comment le cinéma enrichit-il notre compréhension

du passé et de quelle façon scénaristes et réalisateurs le

transforment-ils en langage filmique ? Quels sont leurs

modèles, leurs sources, leurs motivations ?

Les plus grands cinéastes actuels — Denys Arcand,

Constantin Costa-Gavras, Deepa Mehta, Renzo Rossellini,

les frères Taviani et Margarethe von Trotta — s’entretiennent

avec l’auteur sur ces questions, en seconde partie d’un ouvrage

indispensable à tous les passionnés d’histoire et de cinéma.

Bruno Ramirez est historien, scénariste de plusieurs films historiques

et professeur titulaire à l’Université de Montréal.

isbn 978-2-7606-3415-234,95 $ • 31 eCouverture : © habrda / Dollarphotoclub.com

Aussi disponible en format numérique

www.pum.umontreal.ca

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L’HISTOIRE À L’ÉCRANAvec la participation de

Denys Arcand Constantin Costa-Gavras

Deepa Mehta Renzo Rossellini

Paolo et Vittorio TavianiMargarethe von Trotta

Les Presses de l’Université de Montréal

Bruno Ramirez

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Ramirez, Bruno, 1942-

[Inside the historical film. Français]

L’histoire à l ’écran

(Champ libre)Comprend des références bibliographiques.

isbn 978-2-7606-3415-2

1. Films historiques – Histoire et critique. 2. Cinéma et histoire. 3. Producteurs et réalisateurs de cinéma – Entretiens. I. Titre. II. Titre : Inside the historical film. Français. III. Collection : Champ libre (Presses de l ’Université de Montréal).

pn1995.9.h5r3614 2014 791.43’658 c2014-942107-9

Cet ouvrage paraît en anglais sous le titre de Inside the Historical Film aux Éditions McGill-Queen’s University Press, 2014.

Dépôt légal : 4e trimestre 2014Bibliothèque et Archives nationales du Québec

© Les Presses de l’Université de Montréal, 2014

isbn (papier) 978-2-7606-3415-2isbn (ePub) 978-2-7606-3416-9isbn (PDF) 978-2-7606-3417-6

Les Presses de l ’Université de Montréal reconnaissent l ’aide financière du gouvernement du Canada par l ’entremise du Fonds du livre du Canada pour leurs activités d’édition et remercient de leur soutien financier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l ’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

imprimé au canada

Mise en pages : Yolande Martel

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L’histoire à l’écran est dédié à mes étudiants d’au-jourd’hui et d’hier, dont la quête de connaissances

– authentique ou simplement utilitaire – m’a poussé à donner le meilleur de moi-même pour trouver avec eux le sens du passé dans nos vies.

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avant-propos

À la différence de la plupart des ouvrages savants, mon livre n’est pas l ’aboutissement d’un projet de recherche pour lequel j’aurais obtenu des subventions, l’aide d’assistants ou des dégagements de ma tâche d’enseignement. Il a plutôt pris forme au fil des ans, grâce aux nombreuses discussions que j’ai eues avec divers interlocuteurs dans des salles de cours, à des conférences universitaires et dans d’autres forums publics à l’occasion de la projection de films.

J’ai bénéficié notamment des invitations de l’Université de Paris Diderot (Institut Charles V), du Collège Glendon (Université York), de l’Université de Trèves, et de l’Univer-sité de Bologne, où j’ai donné des cours et des cycles de conférences en histoire nord-américaine et en histoire des migrations, en me servant comme ressources didactiques principales des films que j’avais écrits ou coécrits. À bien des égards, ces cours et conférences ont servi de laboratoire où il m’a été possible d’interagir avec des collègues et des étudiants provenant de divers horizons linguistiques et culturels autour de narrations filmiques de l’histoire.

Les cours d’histoire des États-Unis et de l’Italie, que j’ai donnés régulièrement à l ’Université de Montréal, m’ont offert l’occasion de tester la valeur des films historiques en tant que mode d’interprétation plus nuancé et dynamique du passé. Cependant, j’hésitais à transformer en livre mes multiples réflexions. Maintenant que ce projet a été réalisé,

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10 n l’histoire à l’écran

je peux faire remonter sa genèse à la fin des années 1990, lorsque David Thelen – à l ’époque rédacteur en chef du Journal of American History – m’a invité à traiter des rapports entre cinéma et histoire transnationale, en insistant pour que mon article soit ancré dans ma double pratique d’his-torien et de scénariste de films historiques. Malgré les contraintes d’espace qu’impose un tel article, cet exercice m’a obligé à systématiser ma pensée et m’a aidé à mieux comprendre les enjeux – intellectuels et éthiques – inhé-rents à la scénarisation de films historiques. Les commen-taires que j’ai reçus de plusieurs lecteurs m’ont encouragé à poursuivre plus avant l’étude des films historiques.

Quelques années plus tard, mes conversations avec les réalisateurs Paolo et Vittorio Taviani autour de leurs films historiques ont beaucoup contribué à définir mon approche de la conception et de la rédaction de mon livre. En effet, contrairement aux ouvrages le plus souvent théoriques pro-duits dans le cadre des études cinématographiques, ma recherche se fonde principalement sur la pratique de l’his-toire et du cinéma. Le lecteur le remarquera dès la première page. La participation de cinq autres réalisateurs de renom-mée internationale, qui ont accepté de discuter avec moi de leurs films historiques, a également joué un grand rôle dans la réalisation de ce projet. Outre les frères Taviani, il s’agit de Denys Arcand, de Constantin Costa-Gavras, Deepa Mehta, Renzo Rossellini et Margarethe von Trotta, à qui j’exprime ici toute ma gratitude pour le temps qu’ils m’ont consacré, pour leurs commentaires judicieux et enrichis-sants et pour l’intérêt qu’ils ont exprimé à l’égard de mon projet.

Plusieurs amis ont lu une version préliminaire du cha-pitre introductif et m’ont offert des commentaires fort perti nents et surtout leur soutien : Claus Bredenbrock, Catherine Collomp, Antoine Del Busso, Greg Robinson,

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avant-propos n 11

Matteo Sanfilippo, Roberto Silvestri, et Paul Tana. Je les remercie de nouveau. L’intérêt que m’a exprimé Antoine à titre de directeur des Presses de l’Université de Montréal m’a convaincu de poursuivre mon projet alors qu’il en était à sa phase initiale. J’espère que le livre correspond à ce que j’avais annoncé dans ce chapitre introductif.

Je remercie mes étudiantes Marie Belisle et Paula Lebrasseur pour l’aide qu’elles m’ont apportée dans la pré-paration d’une première version française. Je dois beaucoup à Judith Ramirez qui a lu la totalité de la version anglaise du manuscrit et corrigé plusieurs italianismes. Ma gratitude envers Christiane Bée Teasdale va de soi. Tout comme pour mes deux derniers livres, elle a assisté à la naissance et au développement de celui-ci. Son enthousiasme et son regard critique ont été des ingrédients essentiels à sa réalisation.

Je tiens aussi à remercier Nadine Tremblay et Sylvie Brousseau – respectivement directrice de l’édition et char-gée de projet aux PUM – pour avoir pris en main l’édition française du livre et en avoir assuré la production avec professionnalisme et dynamisme. Merci également à Janine Thériault qui m’a dépanné en traduisant, dans un délai très court, deux nouvelles sections des chapitres 1 et 3.

Enfin, mon manuscrit a bénéficié de la lecture de quatre évaluateurs anonymes qui ont apprécié sa valeur pour les études historiques et cinématographiques. Leurs commen-taires critiques ont contribué considérablement à améliorer la qualité du livre.

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partie 1

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chapitre 1

Des archives à l’écran

Il n’est pas facile d’exprimer pleinement l’émotion que j’ai ressentie en voyant pour la première fois à l’écran des per-sonnages historiques que j’avais créés, en les voyant jouer et révéler leurs sentiments par des mots et des actions que j’avais soigneusement écrits ou coécrits. Cette émotion se combinait au fait que des milliers de spectateurs allaient regarder ces scènes et ces séquences dans les semaines et mois à venir et qu’ils en tireraient une certaine compréhen-sion du passé dont il était question dans ce film.

J’étais en même temps conscient que ces personnages, les événements qu’ils vivaient et les pulsions qui les faisaient agir étaient l’aboutissement du long processus de recherche historique que j’avais entrepris à partir de diverses sources documentaires, dont les résultats avaient finalement été transmués en film. Grâce au talent créateur du réalisateur et de son équipe de production, le film en question (Caffè Italia, Montréal) avait été chaleureusement accueilli à la fois par les critiques de cinéma et les historiens. Après une longue vie sur des chaînes de télévision, dans des programmes de répertoire et des salles de cours, il est aujour d’hui considéré comme un classique de la filmographie canadienne.

Je me demandais pourtant si, en tant qu’historien, je ne contribuais pas à simplifier l ’histoire en empruntant le

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16 n l’histoire à l’écran

raccourci de la narration filmique, et si en mélangeant la fiction et les faits, je ne manipulais pas la perception du passé chez les spectateurs. À l’époque, je reléguais ce genre de question à l’arrière-plan, heureux de pouvoir profiter de l’occasion (peut-être la seule) d’utiliser mes recherches dif-féremment et par l’intermédiaire d’un média qui me per-mettait de m’adresser à un public plus vaste. Pourtant, quand j’étais encore étudiant, je me questionnais déjà sur la manipulation ou l’altération du passé par le cinéma. Par la suite, ce questionnement a refait surface, parfois sous la forme de simples arrière-pensées, d’autres fois de façon directe et troublante, quand je regardais un film historique.

J’ai gardé un souvenir très vif de la première fois où j’ai vu le film de David W. Griffith, La naissance d’une nation, dans un club universitaire. Ce film raconte la guerre civile aux États-Unis et la montée, présentée comme héroïque, du Ku Klux Klan. Il s’agit aussi de l ’un des premiers longs métrages. La personne qui présentait le film avait souligné son importance centrale dans l’histoire du cinéma, surtout pour l ’usage de la caméra et du montage, et nous avait simple ment avertis qu’il était raciste. Les séquences inter-minables de batailles, d’intrigues politiques et de gestes héroïques ne laissaient aucun doute sur le fait que, en dépit de son génie artistique, Griffith avait tenu à ce que son film soit en même temps une leçon d’histoire.

Outre le contenu ouvertement raciste, Griffith avait assorti les scènes filmées de plusieurs citations provenant de personnalités historiques et d’historiens contemporains (d’Abraham Lincoln à Woodrow Wilson), et il s’était assuré que les spectateurs puissent constater que les divers sites étaient historiquement authentiques. L’un de ces sites était l’Assemblée législative de la Caroline du Sud où, lors d’une séance, on voit des députés noirs fraîchement élus (dont plusieurs sont d’anciens esclaves) assis, leurs pieds nus posés

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des archives à l’écran n 17

sur la table, d’autres qui sommeillent, d’autres encore qui dévorent des cuisses de poulet. Aucun d’eux ne semble prendre au sérieux les affaires de l’État pour lesquelles ils ont été élus. Et comment le pourraient-ils dans un film qui les représente comme des êtres humains non civilisés ?

Plusieurs auteurs se sont intéressés aux raisons qui ont conduit un artiste aussi talentueux à choisir ce thème his-torique et à le traiter de cette manière ; d’autres se sont penchés sur les répercussions immédiates du film sur les relations raciales aux États-Unis. Ce que je veux souligner ici, c’est qu’en plus d’impressionner par son style cinémato-graphique grandiose, La naissance d’une nation a marqué l’en-trée définitive du film historique dans le monde du cinéma américain. Et il l ’a fait en corroborant et en poussant à l’extrême l’interprétation raciste de la Reconstruction des États sudistes qui prévalait à l’époque chez les historiens.

Avec la professionnalisation croissante de l’entreprise cinématographique et la place centrale qu’Hollywood a occupée dans l’industrie du cinéma, les films historiques ont eu tendance à nuancer leurs représentations du passé. Comme la plupart des spectateurs, historiens ou non, je ne possédais pas les instruments critiques pour les analyser adéquatement. Tout en savourant le jeu des acteurs, les images et la « magie » particulière que seul le grand écran peut produire, je quittais le plus souvent la salle de cinéma sceptique quant à l’exactitude ou même la crédibilité des événements et des personnages mis en scène. À ce scepti-cisme s’ajoutait le fait que les films historiques adoptaient, et adoptent encore, une variété de formes stylistiques et de techniques narratives. Un film historique pouvait différer radicalement d’un autre en termes d’esthétisme des images, du style de jeu des acteurs, ou encore de la place accordée à l ’intrigue romanesque pour atteindre les effets narratifs voulus ou pour rendre le passé plus ou moins vivant aux

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yeux des spectateurs. Il n’est pas nécessaire d’être critique de cinéma ou spécialiste pour remarquer le contraste frap-pant entre la manière dont deux des films historiques les plus célèbres de l’histoire du cinéma représentent le passé : Autant en emporte le vent, de Victor Fleming, et Octobre, de Sergei Eisenstein, deux films qui traitent de tournants déci-sifs dans l ’histoire d’une nation. Certes, ma formation européenne m’avait exposé aux différents styles filmiques en dépit de l ’hégémonie qu’Hollywood exerçait sur les écrans du monde entier. Et sans être étudiant en cinéma, j’étais en mesure de distinguer une production typique-ment hollywoodienne d’un film d’auteur (le plus souvent tourné en Europe), où le réalisateur bénéficie d’une plus grande latitude artistique pour utiliser le langage filmique et interpréter le passé. Par ailleurs, malgré les bonnes inten-tions d’un réalisateur, la représentation du passé ne condui-sait-elle pas inévitablement à des distorsions, à cause des impératifs techniques que ce média impose ?

En réfléchissant à ces expériences passées, j’en viens à conclure que la frustration et l’ambivalence que je ressen-tais résultaient en grande partie de mon incapacité à conci-lier dans mon esprit la dualité inhérente à la plupart de ces films, c’est-à-dire le fait qu’ils soient à la fois des œuvres artistiques et des véhicules d’information historique desti-nés à rejoindre de larges auditoires.

Au cours des années suivantes, j’ai commencé à recon-naître les sources de ma frustration grâce, en partie, à une étude fondamentale de l’éminent philosophe et historien de l’art Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique1 ». Écrite en 1935, au moment où le

1. Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l ’époque de sa reproductibilité technique », trad. Maurice de Gandillac, dans Œuvres, tome III (Paris, Édi-tions Gallimard, 2000), p. 269-316.

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des archives à l’écran n 19

cinéma était un art relativement nouveau, cette analyse abor-dait les époques les plus importantes de l’histoire de l’art, sur-tout sur le plan du rapport entre l’objet d’art et le spectateur. Le cinéma y était présenté comme un art révolutionnaire. Le but de cet essai n’était pas d’élaborer une théorie du cinéma, mais plutôt de montrer les façons dont, grâce à des progrès technologiques sans précédent, le cinéma avait transformé radicalement le rapport traditionnel entre l’objet d’art et les spectateurs. À partir d’innovations techniques antérieures, le cinéma constituait l’aboutissement historique de la tendance à reproduire mécaniquement des œuvres d’art et à les rendre en même temps accessibles à de vastes auditoires.

Benjamin n’a pas approfondi cette question par la suite. Il a perdu la vie quelques années plus tard dans des circons-tances tragiques. Pourtant, à bien des égards, son analyse jetait une lumière critique sur une tendance qui s’affirmait déjà à l ’époque, et qui allait marquer de plus en plus le cinéma jusqu’à nos jours : en même temps qu’une forme d’art, le cinéma était un « produit » de consommation – sans doute le plus complexe sur les plans technique et esthétique, et le plus apte à alimenter la culture de masse en agissant sur l’imaginaire, voire sur les comportements de ses con-sommateurs. En effet, déjà en 1923 des données publiées aux États-Unis indiquaient qu’au cours de n’importe quelle semaine de janvier, cinquante millions d’Américains en moyenne avaient vu au moins un des films distribués dans les quinze mille salles de cinéma qui existaient au pays2.

Une sorte de compétition naissait entre deux pratiques filmiques. D’un côté, des artistes exploraient et expérimen-taient de nouvelles techniques et approches afin de créer et

2. William M. Seabury, The Public and the Motion Picture Industry (New York, MacMillan, 1926), dans Jacques Portes, De la scène à l’écran (Paris, Belin, 1997), p. 214.

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de raffiner un langage filmique capable de porter tout le potentiel narratif du média ; de l’autre, l’industrie du cinéma était résolue à adapter le plus possible ses produits aux goûts et aux besoins psychiques d’un public de plus en plus vaste, en adoptant des schèmes narratifs en phase avec l’humeur populaire, les tendances du marché et les styles de vie.

On sait quelle forme cette « compétition » a prise et com-ment, pendant une grande partie du xxe siècle, le cinéma a été le divertissement le plus populaire et le plus apte à façonner la culture de masse, y compris la culture histo-rique, car les cinéastes ont régulièrement puisé leurs sujets dans le passé. Les films de guerre en constituent probable-ment l’exemple principal, mais cette tendance s’est élargie pour inclure des films portant sur des personnalités histo-riques et des événements majeurs de l’histoire nationale. Il n’est pas exagéré de dire que pour de larges segments de nos sociétés, ce genre de films a été la principale source de connaissance du passé, tout comme les romans historiques et certaines productions théâtrales l’avaient été avant l’avè-nement du cinéma. Quand La naissance d’une nation a envahi les salles de cinéma et électrisé les spectateurs, qui aurait pu imaginer qu’une profonde transition dans la culture histo-rique s’amorçait, qu’une culture fondée sur l’écrit s’apprê-tait à passer à une autre, de plus en plus axée sur l’image mouvante ?

Et pourtant, ce n’est que dans les années 1960 et 1970 que le monde universitaire a commencé à prendre les films au sérieux. Les chercheurs sont devenus de plus en plus cons-cients du fait que, au-delà de l ’évolution technologique, institutionnelle et stylistique que représentait l’entreprise cinématographique, les films étaient aussi des « documents » ou des « textes » qui révélaient certaines des dynamiques sociales et culturelles prévalant à l’époque de leur produc-tion. Cette prise de conscience a rapidement mené à la créa-

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Armand Mattelart Pour un regard-monde

Catherine MavrikakisCondamner à mort. Les meurtres et la loi à l’écran

Éric MéchoulanLa culture de la mémoire ou comment se débarrasser du passé ?

Louise Nadeau et Marc Valleur (dir.)Pascasius ou comment comprendre les addictions suivi du Traité sur le jeu

Alain Noël et Jean-Philippe Thérien La gauche et la droite. Un débat sans frontières

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CHAMPLIBRE

Avec la participation de

Denys Arcand

Constantin Costa-Gavras

Deepa Mehta

Renzo Rossellini

Paolo et Vittorio Taviani

Margarethe von Trotta

l’histoire à l’écran

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passé en regardant des films. De fait, la fréquentation des

salles de cinéma façonne davantage la culture historique

du citoyen moyen que celle des salles de cours. En partant

de ce constat, Bruno Ramirez explore en parallèle les repré-

sentations savantes de l’histoire et celles, « profanes », que

nous offrent les artisans du septième art.

Comment le cinéma enrichit-il notre compréhension

du passé et de quelle façon scénaristes et réalisateurs le

transforment-ils en langage filmique ? Quels sont leurs

modèles, leurs sources, leurs motivations ?

Les plus grands cinéastes actuels — Denys Arcand,

Constantin Costa-Gavras, Deepa Mehta, Renzo Rossellini,

les frères Taviani et Margarethe von Trotta — s’entretiennent

avec l’auteur sur ces questions, en seconde partie d’un ouvrage

indispensable à tous les passionnés d’histoire et de cinéma.

Bruno Ramirez est historien, scénariste de plusieurs films historiques

et professeur titulaire à l’Université de Montréal.

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