L’ADMINISTRATION FISCALE ET LE CONTRIBUABLE · GAJA Grands arrêts de la jurisprudence...

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1 Thèse pour obtenir le grade de docteur en droit Discipline : Finances publiques et fiscalité Céline WRAZEN FISCALITÉ ET RÉCIPROCITÉ VERS UNE MUTATION DES RELATIONS ENTRE L’ADMINISTRATION FISCALE ET LE CONTRIBUABLE Soutenue le 25 novembre 2011 à 14h30 Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Luc ALBERT JURY M. Le Doyen Jean-Luc ALBERT, Professeur à l’Université d’Auvergne M. Martin COLLET, Professeur à l’Université Paris XI – Sud, Rapporteur Mme Marie-Christine ESCLASSAN, Professeure à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne M. Marc LEROY, Professeur à l’Université de Reims-Champagne Ardennes, Rapporteur M. Le Doyen Olivier NÉGRIN, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2 M. Le Doyen Luc SAÏJD, Professeur émérite à l’Université Jean Moulin Lyon 3

Transcript of L’ADMINISTRATION FISCALE ET LE CONTRIBUABLE · GAJA Grands arrêts de la jurisprudence...

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    Thse pour obtenir le grade de docteur en droit

    Discipline : Finances publiques et fiscalit

    Cline WRAZEN

    FISCALIT ET RCIPROCIT

    VERS UNE MUTATION DES RELATIONS ENTRE

    LADMINISTRATION FISCALE ET LE CONTRIBUABLE

    Soutenue le 25 novembre 2011 14h30

    Sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Luc ALBERT

    JURY

    M. Le Doyen Jean-Luc ALBERT, Professeur lUniversit dAuvergne

    M. Martin COLLET, Professeur lUniversit Paris XI Sud, Rapporteur

    Mme Marie-Christine ESCLASSAN, Professeure lUniversit Paris I Panthon-Sorbonne

    M. Marc LEROY, Professeur lUniversit de Reims-Champagne Ardennes, Rapporteur

    M. Le Doyen Olivier NGRIN, Professeur lUniversit Lumire Lyon 2

    M. Le Doyen Luc SAJD, Professeur mrite lUniversit Jean Moulin Lyon 3

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    FISCALIT ET RCIPROCIT

    VERS UNE MUTATION DES RELATIONS ENTRE

    LADMINISTRATION FISCALE ET LE CONTRIBUABLE

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    LUniversit Jean Moulin Lyon 3 nentend donner

    aucune approbation ni improbation aux opinions mises

    dans les thses ; ces opinions devront tre considres

    comme propres leurs auteurs.

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    AAVVAANNTT--PPRROOPPOOSS

    Mes premires penses sont adresses mon directeur, M. le Doyen Jean-Luc ALBERT. Sa

    confiance, sa tnacit, ses encouragements, ses conseils et son aide perptuels ont t de

    prcieux relais, rendant notre coopration toujours plus fructueuse, et mon chemin

    lUniversit toujours plus riche.

    Je pense bien videmment au Prsident Daniel RICHER, Magistrat et ancien Professeur,

    source originelle du thme de ce travail, intarissable de conseils et de soutien.

    Je tiens galement remercier M. Jean-Jack EMSALEM, Inspecteur des impts et Matre de

    confrences associ lUniversit Jean Moulin Lyon 3, pour son aide continuelle, quil

    sagisse de ce travail ou bien de mon parcours lUniversit. Il a notamment permis ma

    rencontre avec Alain BELLE, Inspecteur la Mission Communication de la Direction

    Rgionale des Finances Publiques de la rgion Rhne-Alpes et du Rhne, rencontre riche tant

    sur le plan fiscal que culturel. Quil soit ici vivement remerci, ainsi que plusieurs agents de

    lAdministration fiscale qui se reconnatront pour leurs confidences et anecdotes.

    Jexprime toute ma gratitude au Doyen Luc SADJ, Professeur mrite de lUniversit Jean

    Moulin Lyon 3, qui a rvl la dynamique du sujet de cette tude, grce ses remarques

    innovantes et indulgentes, fcondes et rigoureuses.

    Je remercie M. le Doyen Olivier NGRIN, Professeur la Facult de Droit de lUniversit

    Lumire Lyon 2, qui ma donn le got du droit fiscal et qui a enrichi ce travail de sa raison.

    Je remercie galement lensemble des intervenants de la Socit Franaise de Finances

    publiques pour les changes raliss, placs sous le signe du partage et du progrs.

    Je remercie enfin toute lquipe du Centre dtudes et de Recherches en Finances publiques et

    Fiscalit (CERFF), tour tour, pour leur disponibilit et leurs encouragements.

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    Mon conjoint et ma fille, pour leur amour et leur confiance,

    Mes proches, pour leur soutien et leur patience.

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    Les changes entre les humains sont

    dirigs par un principe fondamental : la

    rciprocit. Lquilibre des relations en

    dpend. 1

    La rciprocit est donc, quil sagisse de

    cooprer ou de lutter, dans lessence

    mme des rapports sociaux, donc du

    droit. 2

    1 Isabelle FILLIOZAT, Fais-toi confiance ou comment tre laise en toutes circonstances, Marabout, Psy,

    2008, p. 71. 2 Paul REUTER, Prface , p. I, in Emmanuel DECAUX, La rciprocit en droit international, L.G.D.J.,

    Bibliothque de droit international, 1980, 371 p.

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    TTAABBLLEE DDEESS PPRRIINNCCIIPPAALLEESS AABBRRVVIIAATTIIOONNSS

    AJDA Actualit juridique Droit administratif

    aff. Affaire

    al. Alina

    AMR Avis de mise en recouvrement

    art. article

    ATD Avis tiers dtenteur

    BA Bnfices agricoles

    BDCF Bulletin des conclusions fiscales

    BF Bulletin fiscal Francis Lefebvre

    BGFE Bulletin de gestion fiscale des entreprises Francis Lefebvre

    BIC Bnfices industriels et commerciaux

    BNC Bnfices non commerciaux

    BOCP Bulletin officiel de la comptabilit publique

    BOI Bulletin officiel des impts

    Bull. Bulletin

    c./ contre

    CA Cour dappel

    CAA Cour administrative dappel

    CAD Comit de labus de droit

    Cass. Civ. Chambre civile de la Cour de cassation

    Cass. Com. Chambre commerciale de la Cour de cassation

    Cass. Crim. Chambre criminelle de la Cour de cassation

    CCRAD Comit consultatif de la rpression des abus de droit

    CIF Commission des infractions fiscales

    CIJ Cour internationale de justice

    Cons. const. Conseil constitutionnel

    C. comptes Cour des comptes

    C. douanes Code des douanes

    CE Conseil dtat

    CE Ass. Assemble du Conseil dtat

    CE sect. Section du Conseil dtat

    CEDH Cour europenne des droits de lHomme

    CESDH Convention europenne de sauvegarde des droits de lHomme et

    des liberts fondamentales

    CET Contribution conomique territoriale

    Cf. Confer, se reporter

    CGI Code gnral des impts

    chron. chronique

    CJCE Cour de justice des Communauts europennes

    CJUE Cour de justice de lUnion europenne

    CNIL Commission nationale de linformatique et des liberts

    coll. collection

    comm. commentaire

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    Concl. Conclusions

    CPO Conseil des prlvements obligatoires

    CRDS Contribution pour le remboursement de la dette sociale

    CSG Contribution sociale gnralise

    CSP Contrle sur pices

    D. Recueil Dalloz

    DC Dcision du Conseil constitutionnel

    DDFiP Direction dpartementale des Finances publiques

    DDHC Dclaration des Droits de lHomme et du Citoyen

    DEFP Dictionnaire encyclopdique des finances publiques

    DF Revue de droit fiscal

    DGCP Direction gnrale de la comptabilit publique

    DGDDI Direction gnrale des douanes et des droits indirects

    DGE Direction des grandes entreprises

    DGFiP Direction gnrale des finances publiques

    DGI Direction gnrale des impts

    DRFiP Direction rgionale des Finances publiques

    sous la dir. de sous la direction de

    DUDH Dclaration Universelle des Droits de lHomme

    d. ditions

    ESFP Examen contradictoire de la situation fiscale personnelle

    FONDAFIP Association pour la Fondation Internationale de Finances

    publiques

    GAJA Grands arrts de la jurisprudence administrative

    GAJFin. Grands arrts de la jurisprudence financire

    GAJFis. Grands arrts de la jurisprudence fiscale

    Gaz. Pal. Gazette du Palais

    GFP Gestion et Finances publiques

    HT Hors taxes

    Ibidem Au mme endroit

    IFA International Fiscal Association

    IFU Interlocuteur fiscal unique

    IGF Inspection Gnrale des Finances

    in dans

    instr. instruction

    IR Impt sur le revenu

    IS Impt sur les socits

    ISF Impt de solidarit sur la fortune

    J. Cl. Fis. Jurisclasseur Fiscal

    JCP G Semaine juridique, dition gnrale

    JO Journal officiel de la Rpublique franaise

    L.G.D.J Librairie gnrale de droit et de jurisprudence

    LPA Les petites affiches

    LPF Livre des procdures fiscales

    LRAR Lette recommande avec accus de rception

    MEDEF Mouvement des entreprises de France

    MPR Mmorial des percepteurs et des receveurs (devenu Revue de

    Finances locales)

    M Million(s) deuro

    Md Milliard(s) deuro

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    MOA Comit fiscal de la mission dorganisation administrative

    n numro

    NB Notes bleues de Bercy, Ministre des Finances

    NF Nouvelles fiscales

    NIR Numro dinscription au rpertoire national didentification des

    personnes physiques ou numro INSEE

    NTIC Nouvelles technologies de linformation et de la communication

    ou TIC, Technologies de linformation et de la communication

    OCDE Organisation de coopration et de dveloppement conomiques

    op. cit. opere citato, ouvrage prcit

    p. page(s)

    PAD Ple des agents en difficult

    Pln. Arrt du Conseil dtat toutes chambres runies

    PME Petites et moyennes entreprises

    PRS Ple de recouvrement spcialis

    PUF Presses universitaires de France

    QPC Question prioritaire de constitutionnalit

    RDP Revue du droit public et de la science politique

    Rec. Recueil officiel des dcisions du Conseil dtat (Lebon)

    REP Recours pour excs de pouvoir

    Rev. Tr. La Revue du Trsor, devenue Gestion et Finances publiques

    RFAP Revue franaise dadministration publique

    RFFP Revue franaise de finances publiques

    RFL Revue de Finances locales

    RGPP Rvision gnrale des politiques publiques

    RJEP Revue juridique de lconomie publique

    RJF Revue de jurisprudence fiscale

    RSF Revue de science financire

    RSLF Revue de science et de lgislation financires

    S. Recueil Sirey

    SIE Service des impts des entreprises

    SIP Service des impts des particuliers

    SIPE Service des impts des particuliers et des entreprises

    s. suivant(e)(s)

    St Socit

    TA Tribunal administratif

    TFPB Taxe foncire sur les proprits bties

    TFPNB Taxe foncire sur les proprits non bties

    TGI Tribunal de Grande Instance

    TH Taxe dhabitation

    TP Taxe professionnelle

    TPG Trsorier-payeur gnral

    TVA Taxe sur la valeur ajoute

    UE Union Europenne

    URSSAF Union de recouvrement des cotisations de scurit sociale et des

    allocations familiales

    Vol. Volume

    ZFU Zone franche urbaine

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    SSOOMMMMAAIIRREE

    PREMIRE PARTIE LA RCIPROCIT SYSTMATIQUE : VERS

    UNE UNILATRALIT RDUITE

    Titre 1 Labsence prsume de la rciprocit

    Chapitre 1 La rciprocit objective inhrente au systme fiscal

    Chapitre 2 La rciprocit subjective acquise par le systme fiscal

    Titre 2 La prgnance avre de la rciprocit

    Chapitre 1 La rciprocit dialogique fonde sur les acteurs

    Chapitre 2 La rciprocit institutionnelle fonde sur les outils

    SECONDE PARTIE LA RCIPROCIT TOPIQUE : VERS UN

    QUILIBRE RENOUVEL

    Titre 1 La rciprocit-protection dans la procdure dimposition

    Chapitre 1 Un commencement de scurit : les instruments rciprocitaires

    Chapitre 2 Laboutissement de la scurit : des dispositifs contractualistes ?

    Titre 2 La rciprocit-proportion dans la procdure contentieuse

    Chapitre 1 Un mode de rsolution du gracieux et du prcontentieux : la rciprocit

    asymtrique

    Chapitre 2 Un mode dorganisation du contentieux juridictionnel : la rciprocit

    symtrique

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    IINNTTRROODDUUCCTTIIOONN GGNNRRAALLEE

    Donnez, ladministration fiscale vous le rendra ! 3. Cette illustration de la

    rciprocit issue du lien existant entre le don et la rduction dimpt pourrait tre transpose

    la relation unissant le contribuable lAdministration fiscale. La rciproque serait tout autant

    valable : donnez (sous-entendus les agents de lAdministration fiscale), le contribuable vous

    le rendra ! . Cest sur ce postulat de dpart que se fonde le prsent travail, la recherche de

    rciprocit dans les relations unissant lAdministration fiscale au contribuable, dont la

    difficult est aisment explicite par une formule de Maurice COZIAN, savoir, la rciprocit

    dans les relations Administration fiscale/contribuable, Vritable antinomie ou apparente

    oxymore 4 ?

    Vritable antinomie car le principe de lgalit de limpt ou encore le pouvoir

    discrtionnaire de lAdministration5, affuble de divers qualificatifs, que ce soit dans la

    presse6 ou au sein de nombreux ouvrages juridiques ou non juridiques - : dictature

    7,

    inquisition8, Gestapo

    9 et autres pamphlets, ne semblent pas faire prsider la rciprocit au sein

    de ces relations.

    3 Tel est le titre dun article de Rmi GOUYET paru aux Petites Affiches, 10 octobre 2001, n 202, p. 4 et s. Il

    traite des dons effectus par les contribuables qui ouvrent droit une rduction dimpt offerte par

    lAdministration fiscale conformment la loi fiscale. 4 Expression emprunte Maurice COZIAN, Propos dsobligeants sur une tarte la crme : lautonomie et

    le ralisme du droit fiscal , DF 1999, n 13, p. 530 et s. Loxymore est une figure de style qui consiste

    placer lun ct de lautre deux mots opposs (antonymes). 5 Pour plus de dtails sur ce point, cf. la thse de Stphane BUFFA, Le pouvoir discrtionnaire de

    ladministration fiscale, (sous la dir. de) Bernard CASTAGNDE, Universit Paris 1, 2011, 491 p. 6 Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale , in Psychologie et science

    administrative, PUF, CURRAP, 1985, p. 104. Lauteur donne les rfrences darticles du Figaro-Magazine, du

    Point et du Monde. 7 Robert MATTHIEU, chec la dictature fiscale, Albin Michel, Jean MONTALDO prsente, 1991, 392 p.

    8 Edgard ALLIX, Linquisition fiscale , Revue politique et parlementaire, 1922, p. 30, in Sophie

    RAIMBAULT DE FONTAINE (sous la dir. de), Doctrines fiscales, la redcouverte des grands classiques,

    LHarmattan, Finances publiques, 2007, p. 58.

    Marc LEROY utilise galement cette expression d inquisition fiscale dans son ouvrage, La sociologie de

    limpt, PUF, Que sais-je ?, 2002, p. 34 : Le juge intervient aussi pour prciser la porte des textes et viter les

    drives ou linquisition fiscale. 9 Andr FIGURAS, La Gestapo fiscale, d. A. FIGURAS, 1977, 222 p.

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    Apparente oxymore car ne lit-on pas dj en 1926, dans une note interne de

    lAdministration fiscale, que Les rapports entre contribuables de toutes catgories et agents

    de lAdministration tous les degrs doivent tre empreints de confiance rciproque 10

    ?

    Cette volont de rciprocit devait entraner de facto la constatation, dans un des

    domaines fondamentaux de lactivit de la Puissance publique, savoir lever limpt, de cette

    notion attache, en gnral, tantt au droit international, tantt au droit des obligations. En

    effet, la richesse intrinsque de ce concept pourrait permettre lapplication de celui-ci la

    matire fiscale le cas chant.

    Toutefois, ses caractres polysmique et polymorphe, intemporel et universel, ont fait

    crire au Professeur Emmanuel DECAUX qu un clair-obscur trompeur baigne la

    rciprocit. Intuitivement chacun croit la connatre, avec cette force de lvidence qui exclut

    toute dfinition. Mais, sagit-il de lanalyser, la rciprocit devient floue11

    , incertaine,

    vanescente. Lambigit est accrue par la richesse mme de la notion qui chappe au

    monopole dune discipline. La rciprocit simpose comme un grand principe social, dautant

    moins connu quil semble aller de soi, dautant moins prcis quil joue partout 12

    .

    Dlicate circonscrire, il a paru intressant de savoir si elle pouvait sappliquer en

    fiscalit, et plus particulirement travers le prisme des relations quentretiennent

    lAdministration fiscale et le contribuable.

    Un constat sest tout naturellement impos : terme juridique, la rciprocit ne semble

    pas a priori tre un caractre inhrent cette matire, encore moins un qualificatif prsidant

    aux relations unissant lAdministration fiscale au contribuable. Il napparat dans aucun des

    ouvrages relatifs la fiscalit, pas mme au sein de ceux traitant des procdures fiscales. Sil

    apparat dans les codes Code gnral des impts, Livre des procdures fiscales, Code des

    douanes ce nest principalement que sous langle du droit international. Il ne sagirait

    finalement pas dun terme courant du vocabulaire fiscal13

    .

    10

    Ministre des finances, Nouvelles taxes ; recommandation au service , note n 892, 12 avril 1926, cf.

    Annexe 1. 11

    Le mme constat est fait en sociologie puisque le Professeur Luc RACINE, de lUniversit de Montral, a pu

    crire que : Depuis une dizaine dannes, on a suggr que la notion de rciprocit tait devenue si floue quil

    valait mieux labandonner ou encore quelle tait si partielle et statique quon devait, pour la conserver,

    lintgrer au sein de concepts plus vastes , in Luc RACINE, Les Formes lmentaires de la rciprocit ,

    LHomme, 1986, tome 26, n 99. p. 97. Lauteur nuance toutefois rapidement son propos puisquune telle vision

    lui semble respectivement excessive et prmature . 12

    Citation du Professeur Emmanuel DECAUX, La rciprocit en droit international, L.G.D.J., Bibliothque de

    droit international, 1980, 371 p., in Denis ALLAND, Stphane RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de la

    culture juridique, PUF, Lamy, Quadrige, Dicos poche, 2003, p. 1299, terme rciprocit . 13

    Le terme rciprocit napparat pas dans lindex labor par Laure AGRON dans sa thse, Histoire du

    vocabulaire fiscal, L.G.D.J, Bibliothque de science financire, tome 36, 2000, 536 p. Il apparat trs rarement

  • 21

    La rciprocit constitue toutefois lun des quatre points cardinaux dfinissant les

    relations humaines, comme le souligne Philippe CHANIAL14

    , ct du pouvoir, de la

    violence et de la gnrosit. Le terme relation a donc son importance puisque lessence des

    choses devant nous rester toujours ignore, nous ne pourrons connatre que les relations de

    ces choses 15

    .

    La relation se dfinit comme le caractre de deux ou plusieurs choses ou personnes

    entre lesquelles existe un rapport, un lien. Elle est ce lien de dpendance ou dinfluence

    rciproque entre des personnes, un lien moral entre des groupes 16

    . Il sagit donc de mettre

    en vidence le ou les types de relations qui unissent lAdministration fiscale au contribuable,

    relation frquemment envisage comme un face--face. Si la locution face place

    demble les partenaires sur un pied dingalit [puisque] lun doit obligatoirement se placer,

    se situer vis--vis de lautre 17

    , elle nempche pas la rciprocit de sexprimer.

    Lgalit nest quune facette de celle-ci.

    Il est vrai, cependant, que la relation existant entre le contribuable et lAdministration

    fiscale est bien oblige et il est juste de dire que cette dernire bnficie dune certaine

    situation de monopole, fondant une relation socialement ncessaire laquelle il est

    impossible et illusoire de prtendre chapper. 18

    Pourtant, elle ne serait pas aussi caricaturale que la prsentation en est

    gnralement faite. 19

    Si le fisc dispose dun pouvoir discrtionnaire20

    , lingalit pouvant

    au sein du Code gnral des impts, du Livre des procdures fiscales et du Code des douanes, si ce nest pour

    traiter de la rciprocit du droit international. 14

    Philippe CHANIAL, Gnrosit, rciprocit, pouvoir et violence. Esquisse dune grammaire des relations

    humaines en cl de don, ditions La Dcouverte, La Revue du M.A.U.S.S, fvrier 2008, n 32, p. 106. 15

    Claude BERNARD, Introduction ltude de la mdecine exprimentale, J. B. BAILLIERE et Fils, Libraires

    de lAcadmie impriale de mdecine, 1865, p. 114. La phrase se poursuit ainsi ; et les phnomnes ne sont

    que des rsultats de ces relations. 16

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,

    dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, version 2012, terme rciprocit . 17

    Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale , in Psychologie et science

    administrative, PUF, CURRAP, 1985, p. 102. 18

    Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La communication administration-

    administrs, PUF, CURRAP, 1983, p. 15. 19

    Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale , in Psychologie et science

    administrative, ibidem. 20

    La notion de pouvoir discrtionnaire peut recouvrer plusieurs acceptions possibles. Nous citerons les trois sens

    principaux retenus par Claudine PREZ-DIAZ, Lindulgence, pratique discrtionnaire et arrangement

    administratif , Dviance et socit, 1994, Vol. 18, n 4, p. 397-398. Selon cette auteure, un premier sens

    qualifie le pouvoir dapprciation, les normes respecter ne pouvant ltre automatiquement sans faire appel

    au jugement des autorits comptentes. Un deuxime sens fait rfrence au pouvoir dun organe de prendre

    une dcision en dernier ressort, sans recours et dans le contrle dune autre instance. Enfin, le troisime

    caractrise la prise de dcision dun organe qui nest pas li, en la circonstance, par des normes prexistantes,

    ce qui lui permet de crer ses propres normes. Ces trois sens pourraient trouver sappliquer

    lAdministration fiscale.

  • 22

    exister entre lAdministration fiscale et le contribuable ne serait pas, ipso facto, un obstacle

    la prsence de rciprocit dans leurs relations, car, si la rciprocit peut tre symtrique, elle

    peut aussi tre asymtrique, et par consquent trouver sappliquer pleinement en fiscalit.

    Enfin, une simple prsence ponctuelle de la rciprocit suffirait emporter ladhsion,

    peu importe quelle ne soit pas globale ou systmique, mme si au final, elle semble

    imprgner en filigrane les relations entre lAdministration fiscale et le contribuable, une

    modification de attributs de lun, pouvant entrainer une modification de ceux de lautre.

    Il convient de noter que le terme relation est au pluriel : ce sont les relations entre

    lAdministration fiscale et le contribuable qui seraient en pleine mutation. Lemploi de ce

    pluriel nest pas anodin, et traduit une autre richesse, celle de la diversit de situations

    pouvant exister entre ces deux protagonistes, sinon la diversit des rapports pouvant exister

    entre lAdministration fiscale et des contribuables diffrencis21

    . En effet, il ny a pas un

    seul et unique mode de relation ladministration mais des modes multiples, dont la diversit

    sest accrue au fil de lexpansion administrative 22

    .

    La mutation de ces relations nest toutefois pas un constat nouveau23

    puisque dj en

    1985, le Professeur Raphal DRA, crivait que Depuis une quinzaine dannes la France

    vit une vritable mutation de son systme administratif 24

    , lorigine de changements

    soprant dans ses relations avec les administrs, subissant au gr des textes juridiques, mais

    pas seulement, des transformations modifiant, plus ou moins brusquement, pour reprendre la

    dfinition biologique de la mutation25

    , les caractres hrditaires du pass. Que ces

    mutations soient spontanes ou provoques, elles semblent profondes, durables et dominantes

    faisant de lunilatralit un gne rcessif. Cest larchitecture mme de lAdministration

    21

    Sur ce point, il existerait une intensit des relations tablies avec lAdministration selon que les

    administrs qui ont une position sociale stratgique et des contacts privilgis ladministration a besoin de leur

    concours actif pour russir dans ses entreprises ; elle finit par nouer avec eux des relations rgulires et

    rversibles d'changes. Ce qui ne serait pas le cas des administrs " de base " qui ne disposent pas de

    ressources suffisantes pour forcer laccs de ladministration et tablir avec elle un vritable " dialogue " ,

    Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La communication administration-administrs,

    op. cit., p. 58. 22

    Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La communication administration-

    administrs, op.cit., p. 59. 23

    Le terme mutation apparat dans de nombreux ouvrages ou articles. Cf. par exemple B. DU MARAIS,

    Rgulation, service public et dmocratie : une dcennie de mutations , in Rgulation conomique et

    dmocratie, (sous la dir. de) M. LOMBARD, Dalloz, Coll. Actes 2006, p. 41 et s ; Pepper D. CULPEPPER,

    Peter A. HALL, Bruno PALIER (sous la dir.), La France en mutation, 1980-2005, Les Presses de Science Po,

    Gouvernances, 2006, 475 p. 24

    Raphal DRA, Lapproche psychologique des ralits administratives , in Psychologie et science

    administrative, op. cit., p. 9. Lauteur ajoute qu il apparat bien quune modification systmatique et radicale

    du systme administratif franais soit opre , p. 16. 25

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,

    dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, op. cit., terme mutation .

  • 23

    fiscale, son squelette, qui est modifie, subissant une vritable mutation de lintrieur -

    gnique, chromosomique influenant directement ses contacts extrieurs avec le

    contribuable26

    .

    De fait, il convient de sinterroger sur le type de relation qui unit lAdministration

    fiscale au contribuable (tout en dlaissant, de faon globale, lhtrognit de cette catgorie

    dindividus), sous langle de la rciprocit, trois hypothses tant envisages.

    Soit la rciprocit est insignifiante au sein de ces relations, et lorigine de leur

    mutation est par consquent lie dautres concepts, dautres volonts.

    Soit la rciprocit, sans tre caractrise, est prsente mais accessoire, et lon tentera

    alors de dceler son impact, aussi infime soit-il, au sein de ces relations.

    Soit enfin, la rciprocit est influente au point dentraner une vritable mutation des

    rapports entre lAdministration fiscale et le contribuable, moins quelle nait toujours exist.

    Dans cette hypothse, il sagit de tenter de mettre en exergue les diffrentes situations dans

    lesquelles elle semble apparatre, pour dterminer ensuite si cette influence, instigatrice de

    changement, est bnfique ou non au sein de ces relations.

    En effet, il est possible de noter que lAdministration fiscale volue et avec elle ses

    relations avec le public. Ainsi, de nombreuses dispositions en faveur du rquilibrage des

    devoirs et des droits de chacun ont t prises depuis plusieurs dcennies. Dabsence de

    relations un rapport dAdministration-administr, on assiste, depuis une cinquantaine

    dannes, lmergence de relations publiques27

    en matire fiscale. Auparavant, rien

    nexistait dans ce domaine, hormis le principe des fiscalistes dantan [tel le contrleur gnral

    des finances Jean-Baptiste COLBERT pour ne pas le citer] : toujours veiller plumer la

    volaille sans la faire crier 28

    .

    26

    Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La communication administration-

    administrs, op. cit., p. 38-39 : Limage ancienne dune administration tutlaire et lointaine, charge de veiller

    au maintien des quilibres sociaux n'a pas rsist lextension des tches administratives () ; la vision

    statique et dfensive du pass succde une approche dynamique et offensive . 27

    Le langage courant dfinit les relations publiques, terme issu de l'anglais public relations, dont la forme

    normale serait relations avec le public comme lensemble des mthodes et des techniques utilises par des

    groupements (entreprises, syndicats, partis, tats), et spcialement par des groupements dintrt, pour informer

    le public de leurs ralisations, promouvoir leur image de marque, susciter de la sympathie leur gard

    lextrieur et favoriser les bonnes relations lintrieur. Il renvoie lide de communication, Josette REY-

    DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT, dictionnaire alphabtique

    et analogique de la langue franaise, op. cit., terme relations .

    Thierry LAMBERT confirme cette ide : Ladministration fiscale dveloppe depuis quelques annes une relle

    politique de relations publiques en vue dtablir et de maintenir de bonnes relations avec les diffrents groupes,

    aux intrts particuliers, qui forment son environnement. , Le contribuable face ladministration fiscale , in

    Psychologie et science administrative, op. cit., p. 114. 28

    Jean DUBERG, Psychologie sociale de limpt et relations publiques en matire fiscale , RFFP,

    LAdministration fiscale, n 15, 1986, p. 85.

  • 24

    Par consquent, sil nexiste pas de rciprocit naturelle, ladaptation de lorganisation

    fiscale son environnement pourrait permettre la rciprocit ainsi introduite de sexprimer,

    au fil du temps. En effet, La relation organisation-environnement est () dans tous les cas

    une relation ambivalente, qui se caractrise par un mouvement contradictoire

    dattirance/rpulsion .29

    Pour ce faire, elle peut sincarner dans des instruments rciprocitaires, voire dessence

    contractualiste30

    , qui influencent, de faon plus ou moins croissante, lactivit administrative,

    et qui npargnent pas le droit fiscal, mais dont lessor est plutt novateur dans ce domaine.

    Ainsi, lassimilation de lAdministration fiscale un ogre dvorant ou croquant le

    contribuable selon les cas31

    naurait plus lieu dtre lheure actuelle.

    Mais quentend-on par Administration fiscale et contribuable, tous deux unis par un

    lien de crance/dette fiscales (I) ? Et quentend-on par rciprocit (II) ? Cest ces deux

    questions que nous tenterons de rpondre tout dabord, afin de mesurer lintrt de cette

    recherche ensuite.

    SECTION 1 UN LIEN VISIBLE ENTRE LADMINISTRATION FISCALE ET LE

    CONTRIBUABLE : LIMPT

    Limpt32

    va mettre en contact trois facteurs : le fisc, un contribuable, une richesse.

    Tout systme fiscal se dtermine par lamnagement des rapports entre ces trois

    facteurs 33

    . Seuls deux facteurs vont intresser cette tude : le fisc et le contribuable. Laissant

    ainsi de ct laspect conomique de limpt34

    , il sera davantage question de ses aspects

    29

    Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La communication administration-

    administrs, op. cit., p. 14. Lauteur ajoute, en illustrant une forme de rciprocit : : lorganisation est tenue

    de souvrir lenvironnement pour extraire linformation et obtenir lappui dont elle a besoin () mais les flux

    en provenance de lenvironnement sont dans le mme temps, endigus et canaliss de manire tre rendus

    compatibles avec la logique organisationnelle. 30

    Expression emprunte Marie-Christine ESCLASSAN, Mieux adapter la contrainte fiscale : lessor des

    dispositifs dessence contractualiste en droit fiscal franais , Mlanges en lhonneur de Robert HERTZOG,

    Rformes des finances publiques et modernisation de ladministration, Economica, 2010, p. 199 et s. 31

    Cette image ferait rfrence une citation de Paul MORAND qui aurait dit : Logre fisc a lapptit dun lion

    envers les uns, mais la sobrit du chameau lgard des autres . 32

    Limpt auquel il est fait rfrence est celui qui rpond cette dfinition classique selon laquelle il est une

    prestation individuelle de valeurs pcuniaires requise des personnes physiques et des personnes morales de

    droit priv, voire de droit public, par voie dautorit mais selon des rgles fixes, titre dfinitif et sans

    contrepartie dtermine, en vue de la couverture des charges publiques. , in Olivier NGRIN, Une lgende

    fiscale : la dfinition de limpt de Gaston Jze , RDP, 2008, n 1, p. 131. 33

    Louis TROTABAS, Les finances publiques et les impts de la France, Armand Colin, 1937, p. 117. 34

    Qui permet de mesurer le degr dintervention de ltat au sein de la socit.

  • 25

    juridique mais galement sociologique, autre aspect qui claire () les relations souvent

    difficiles, entre ltat fiscal et le reste de la socit 35

    , a priori fond sur un jeu en trois

    manches pour reprendre lexpression de TROTABAS36

    , au sein duquel les deux facteurs que

    sont le fisc et le contribuable seront amens cooprer ou lutter.

    Ainsi nat une premire forme de rciprocit dans leur relation, leur relation oblige :

    le prlvement de limpt par lAdministration fiscale et le paiement de limpt par le

    contribuable. La rciprocit pourra galement sexprimer dans la faon de remplir leurs

    obligations par chacun.

    Dun ct, lAdministration fiscale rappelle son devoir de prsence et

    daccompagnement auprs du contribuable afin de lui rendre limpt plus facile 37

    . En

    effet, ce dernier ne peut y chapper38

    , vivant ainsi le combat de David contre Goliath 39

    ,

    en oubliant qu la fin de lhistoire cest David qui lemporte

    De lautre ct, le contribuable civique verse les droits et tarifs quil doit dans le

    respect des lois. Cette mme rciprocit peut se poursuivre au niveau de ltat et du

    contribuable puisque sil ny a pas de contrepartie au paiement de limpt, cest uniquement

    parce que celle-ci nest pas dtermine, et non pas parce quelle est inexistante, rappelant

    ainsi le statut de bnficiaire indirect attach au contribuable. On se rappelle que limpt peut

    tre considr comme tant une sorte d avance 40

    garantissant la protection de lordre

    social 41

    . Avance contre protection : voil bien les deux faces dun change. Mais quel

    prix ? Et que se passe-t-il quand les termes de ce pacte social ne sont pas respects ? Que se

    passe-t-il quand lun des deux contractants estime que le contrat a t rompu ? Le dbat sur

    les rapports entre le pouvoir, la socit et limpt est bien, on le voit, une constante, que lon

    35

    Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie, PUF, Quadrige Manuels, 2004, p. 330,

    citant Marc LEROY. Les auteurs ajoutent que Si la mise en place dune fiscalit rgulire a permis la

    constitution des tats modernes, elle a galement donn lieu de multiples tensions, suscitant des rvoltes et

    parfois mme des rvolutions. 36

    Louis TROTABAS, Les finances publiques et les impts de la France, ibidem. Lauteur fait rfrence aux

    trois phases de vie de limpt : lassiette, la liquidation et le recouvrement. 37

    DGFiP, La Charte du contribuable, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique,

    Septembre 2005, Mise jour en 2007, p. 11. 38

    Ceci a notamment fait dire aux directeurs des services fiscaux belges MM. TILLIET et VANDERCAPELLEN

    en 2002, que les liens qui unissent le contribuable et ladministration ne sont certes pas purement

    volontaires... Mais en tous les cas cette relation peut tre correctement gre ds lors que lun et lautre ont

    pour objectif commun le bien-tre de tous : le contribuable ne perdra pas de vue son devoir civique et ses

    obligations fiscales, ni ladministration sa mission de service public, savoir ltablissement de l'impt

    lgalement d dans le respect des droits du contribuable . 39

    Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale , in Psychologie et science

    administrative, op. cit., p. 103. 40

    Jol CORNETTE, Voyage au cur de ltat des finances , LHistoire, n 196, fvrier 1996, p. 28. 41

    Jol CORNETTE, Voyage au cur de ltat des finances , LHistoire, ibidem. Lauteur fait rfrence

    MIRABEAU, dans LAdresse aux Franais, propos de la contribution patriotique.

  • 26

    retrouve aujourdhui, plus que jamais, dactualit. 42

    Il ne va toutefois pas sagir de dfinir

    cette dernire facette de la rciprocit, ni de dfinir limpt43

    , mme si de mauvaises relations

    entre lAdministration fiscale et le contribuable sont lies, en grande partie, sa seule

    existence44

    et peut-tre aussi la dficience de lducation fiscale 45

    , il apparat plus

    opportun de dfinir plus prcisment ce que lon entend par Administration fiscale ( 1) et

    contribuable ( 2) au sein de la prsente tude.

    1 - Les Administrations fiscales, de la pluralit lunit ?

    Lexpression Administrations fiscales est juste titre employe au pluriel. En

    effet, Parler dadministration fiscale en France est presque un abus de langage. Ce

    constat est moins vrai aujourdhui puisquil existe lheure actuelle, en France, une seule

    structure charge de lassiette et du recouvrement des impts, procdures effectues

    auparavant par diffrents services indpendants.

    Si lon dcompose cette expression et que lon sintresse aux dfinitions offertes par

    le langage courant, le terme Administration , tel que consacr la fin du XVIIIme

    sicle, se

    dfinit comme la fonction consistant assurer lapplication des lois et la marche des

    services publics conformment aux directives gouvernementales . Elle est ainsi l ensemble

    des services et agents chargs de cette fonction. Plus prcisment, elle est le Service

    public [et regroupe l] ensemble des fonctionnaires qui en sont chargs. 46

    On peut cependant distinguer ltat de lAdministration comme le fait volontiers

    ladministr puisque le premier est cette instance mythique, entit mtaphysique

    42

    Jol CORNETTE, Voyage au cur de ltat des finances , LHistoire, ibidem.

    Le titre du dernier ouvrage de Marc LEROY est ce titre vocateur : Limpt, ltat et la socit. La sociologie

    fiscale de la dmocratie interventionniste, Economica, 2010, 391 p. 43

    Pour plus dlments, et notamment le moment o lon est considr comme tant contribuable - lors de

    lmission de lacte dimposition ou bien lors de la naissance de la crance fiscale posant ainsi la question de

    lidentification du fait gnrateur et de lexigibilit de limpt, cf. la thse de Cline BAS, Le fait gnrateur de

    limpt, LHarmattan, Finances publiques, 2007, 500 p. 44

    Les sentiments du citoyen-contribuable se confondent : il est, dune faon gnrale, contre limpt et contre

    les administrations charges de lasseoir et de le percevoir (), le plus souvent, ce rejet se rsume une attitude

    ngative lgard des impts. , Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale , in

    Psychologie et science administrative, ibidem. Lauteur confirme que le rejet de lAdministration fiscale ne

    serait que le prolongement du rejet de limpt, p. 106. 45

    Lucien MEHL et Pierre BELTRAME, Science et technique fiscales, PUF, Thmis Droit, 1984, p. 29. Selon

    ces auteurs, cette expression se dfinit comme la perception par lopinion de limpt comme un mal

    ncessaire plutt quun ciment dune organisation sociale dmocratique. 46

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,

    dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, op. cit., terme administration .

  • 27

    surplombant le corps social , tandis que la seconde est au sens strict, entendue comme un

    simple appareil, une machine investie de responsabilits de gestion et dexcution. 47

    LAdministration fiscale est le service charg de lassiette, de la liquidation et du

    recouvrement des impts. Elle est aussi lorigine de la norme fiscale48

    . Elle porte le nom

    dAdministration, terme induisant un service public ; pourtant, Jean LAMARQUE crit ce

    sujet que, dans lexercice desdites fonctions, elle ne serait une administration au sens

    tymologique du terme : elle nest pas au service du public. () Ladministration fiscale est

    voue exclusivement ltat-puissance publique et la dfense de lintrt du Trsor 49

    .

    Pourtant, elle se prtend tre au service de la collectivit nationale, cest--dire au service

    de chaque citoyen. 50

    En ce sens, le Professeur Thierry LAMBERT dfinit lAdministration

    fiscale comme tant une institution administrative qui remplit une mission de service public

    dans lintrt gnral. 51

    De cette ambivalence, on comprend le malaise du contribuable, pour qui la fiscalit

    demeure une contrainte parce quelle incarne ltat-spoliateur, qui puise dans les poches

    de ses sujets un argent que ceux-ci ont pniblement gagn et dment mrit 52

    .

    Cest notamment ce qui ressort avec le terme Fisc qui dsigne galement

    lensemble des Administrations publiques qui ont en charge limpt. Au sens tymologique,

    le terme fisc, ou fisque, apparu en 1278, est dfini par le langage courant comme reprsentant

    Ltat considr comme titulaire de droits de puissance publique, de pouvoirs de contrainte

    sur le contribuable. 53

    Cest galement lensemble des administrations charges de

    lassiette, de la liquidation et du recouvrement des impts. 54

    Il est issu du latin fiscus, qui signifie littralement panier pour recevoir largent . Il

    fait effectivement rfrence au panier quutilisaient les Romains pour percevoir leurs impts.

    On parle couramment des agents du fisc, de frauder le fisc... Mais cette dnomination heurte

    les sensibilits en raison de ltiquette qui lui est accole, savoir un pouvoir arbitraire,

    47

    Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La communication administration-

    administrs, op. cit., p. 33. 48

    Que cela soit au moyen de sa doctrine, mais galement avec la Direction de la lgislation fiscale de la DGFiP. 49

    Jean LAMARQUE, Prface , in Corinne BAYLAC, Le formalisme du droit fiscal, LHarmattan, Finances

    publiques, 2002, p. 11. 50

    DGFiP, La Charte du contribuable, 2005, mise jour en 2007, p. 3. 51

    Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale , in Psychologie et science

    administrative, op. cit., p. 112. 52

    Jacques GROSCLAUDE, Philippe MARCHESSOU, Droit fiscal gnral, Dalloz, 2009, p. 3. 53

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,

    dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, op. cit., terme fisc . 54

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,

    dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, ibidem.

  • 28

    discrtionnaire et confiscatoire. Confiscatoire nenglobe-t-il pas le mot fisc ? Le recours ce

    dernier est par consquent juste, mais son utilisation, banalise lheure actuelle, est devenue

    familire, voire pjorative55

    . Il lui sera prfr lexpression Administration fiscale au sein de

    ce travail.

    Dun point de vue historique, lAdministration fiscale est issue des finances publiques

    envisages en tant que finances de guerre. Comme la dmontr le sociologue Rudolf

    GOLDSCHEID, il y aurait un lien trs troit entre limpt et la guerre. En effet, les empires

    se sont dots de moyens destins financer des campagnes militaires, notamment dune

    administration capable de centraliser les tributs, forme primitive de limpt 56

    .

    Au Moyen ge, cest lorganisation mme de la fiscalit des tats europens qui

    marque lavnement de la bureaucratie moderne de ces pays, fiscalit qui occupera une place

    non ngligeable dans la gense du champ bureaucratique 57

    . La hausse de cette fiscalit est

    justifie par le fait guerrier ds la Renaissance, que cela soit pour les campagnes militaires

    elles-mmes, le financement dune arme permanente ou encore le soutien des soldats

    retraits. Ainsi, au niveau local, lautonomie gagne par le souverain ncessite la mise en

    place dune Administration permanente.

    Gage de cohsion sociale, ltat devient donc un centre de collecte et de

    redistribution des richesses () dans la mesure o seul ltat fiscal peut sinterposer entre

    des classes sociales antagoniques 58

    . Selon Franois CUSIN et Daniel BENAMOUSIG, est

    ainsi mise en avant la fonction de mdiation de ltat. La guerre ntant pas le seul fondement

    de la fiscalit, lintervention de ltat dans des domaines autres que militaire lest aussi, selon

    Joseph SCHUMPETER, pouvant terme nuire ltat fiscal. Pour autant, lalourdissement

    de cette fiscalit na pas caus sa perte, malgr les quelques rvoltes fiscales qui ont pu avoir

    lieu dans diffrents pays et notamment aux tats-Unis, en Californie la fin des annes

    1970.

    Karl POLANYI a ainsi pu mettre en exergue diffrents types de relations

    conomiques respectivement fondes sur lchange, la rciprocit, la redistribution 59

    .

    55

    Pour illustration, un des derniers romans policiers de Patrick-Jrme LAMBERT, au nom vocateur, Morofisc,

    paru chez Plon, 2008, 270 p., illustre, dans une certaine mesure, cette ide puisquun des personnages principaux

    est un tueur en srie dinspecteurs des impts. 56

    Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie, PUF, Quadrige Manuels, 2004, p. 331. 57

    Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie, op. cit., p. 333. Les auteurs citent les

    travaux de BOURDIEU. 58

    Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie, op. cit., p. 331-332. 59

    Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie , op. cit., p. 333.

  • 29

    Dautres auteurs, comme Bruno THRET, voient dans la fiscalit un puissant rvlateur

    des relations conomiques, politiques et sociales liant ltat la socit 60

    .

    Dun point de vue organique, sous lAncien Rgime, le domaine fiscal est concd

    des receveurs gnraux (titulaires doffices) et des fermiers gnraux (particuliers organiss

    en compagnies). Il nexiste donc pas vritablement de relle Administration spcifique.

    Puis, la priode de 1790 1791 connat la fin de la Ferme gnrale puisquun grand

    nombre dimpts indirects bass sur la consommation disparaissent avec la Rvolution.

    Seules perdurent deux Administrations qui existaient dj : les Douanes et lEnregistrement.

    Les Administrations fiscales et douanire furent ainsi scindes en quatre institutions

    principales centralises, aux comptences bien dlimites et faonnes au fil du temps, et ce

    jusquen 1948, revtant la forme de rgies : la rgie des Contributions directes et le Cadastre,

    la rgie des Contributions indirectes, la rgie de lEnregistrement, des domaines et du timbre

    et la rgie des Douanes.

    Il faut attendre la Seconde guerre Mondiale, et notamment la loi du 6 janvier 1948, qui

    marque la premire tape de la centralisation du fonctionnement du systme administratif

    fiscal grce la cration du casier fiscal unique regroupant les divers documents et

    informations intressant la situation fiscale des redevables. 61

    Sont ensuite fusionnes,

    progressivement, les trois premires directions gnrales en une seule institution : la Direction

    gnrale des impts (DGI)62

    , cre par dcret le 16 avril 194863

    . Les services dconcentrs

    extrieurs ne commencent leur fusion que vingt ans aprs, de 1967 1970. Plus

    gnralement, la DGI se positionne par sa mission rgalienne de leve de limpt et par son

    appartenance au puissant ministre des Finances comme une administration dautorit

    charge dappliquer le droit fiscal 64

    .

    cette mme date65

    , la Direction gnrale de la comptabilit, dont lavnement tait

    ancien puisquelle tait dj prfigure ds 1814, excute, en tant que caissier, avec certains

    60

    Franois CUSIN, Daniel BENAMOUSIG, conomie et sociologie , op. cit., p. 334. 61

    Michel BOUVIER et Marie-Christine ESCLASSAN, Ladministration fiscale en France, PUF, Que sais-je ?,

    1988, p. 4. 62

    Elle est cre par le dcret n 48-689 du 16 avril 1948 relatif lorganisation de lAdministration centrale du

    Ministre des finances, JO, du 20 avril 1948 p. 3875. Le service des domaines lui est rattach le 31 dcembre

    1952. 63

    Frdric TRISTRAM, Une fiscalit pour la croissance. La direction gnrale des Impts et la politique fiscale

    en France de 1948 la fin des annes 1960, Le Comit pour lhistoire conomique et financire de la France,

    tudes gnrales, 2005, 740 p. 64

    Marc LEROY, Pourquoi la sociologie fiscale ne bnficie-t-elle pas dune reconnaissance institutionnelle en

    France ? , LAnne sociologique, PUF, 2003/1, Vol. 53, p. 254. 65

    Dcret n 98-977 du 2 novembre 1998 relatif la direction gnrale de la comptabilit publique, JO n 255, du

    3 novembre 1998, p. 16575.

  • 30

    services des Directions gnrales des impts, des douanes et des droits indirects, les

    ressources et les charges budgtaires de ltat.

    Enfin, le Dcret n 2008-310 du 3 avril 2008 a en effet cr au sein du Ministre du

    budget, des comptes publics et de la fonction publique une Direction gnrale des finances

    publiques (DGFiP), par la fusion de la Direction gnrale des impts et de la Direction

    gnrale de la comptabilit publique 66

    . Pour Jean ARTHUIS, Prsident de la commission

    des finances du Snat au moment de ces dires, cette rforme tait attendue depuis

    longtemps. Elle nest pas () sans retenir lattention, notamment au regard de ses difficults

    et des checs antrieurs. 67

    Elle est dcline au plan local en Directions rgionales et

    dpartementales des Finances publiques68

    . Lordonnance du 27 avril 2010 a tir les

    consquences de la fusion de la DGI et de la DGCP, en actualisant le vocabulaire li la

    suppression de certains grades de la fonction publique69

    .

    Il ne sagit pas ici de mettre en exergue les enjeux ni de relever les problmatiques que

    soulve ce nouveau rapprochement, mais il affiche plusieurs objectifs en lien direct avec la

    prsente tude, puisquil permet la cration dun guichet fiscal unique pour lensemble des

    contribuables sur tout le territoire franais70

    . Il propose de lutter contre la fraude fiscale et

    damliorer le recouvrement des recettes publiques par le biais de recoupements raliss entre

    les services. Enfin, les collectivits territoriales, qui sont galement des contribuables, peuvent

    bnficier de conseils financiers et fiscaux. Lalina 3 de larticle 2 du dcret prcit dispose

    cet effet que la DGFiP veille ltablissement de lassiette et la mise en uvre du

    contrle des impts, droits, cotisations et taxes de toute nature, ainsi qu leur recouvrement

    et celui des autres recettes publiques 71

    .

    66

    Article 1er

    du Dcret n 2008-310 du 3 avril 2008 relatif la Direction gnrale des finances publiques, JO n

    0080, du 4 avril 2008, texte n 92.

    . La DGFiP est compose de trois grandes directions : la direction charge du pilotage du rseau et des moyens,

    la direction charge de la gestion publique et la direction charge de la fiscalit. 67

    Confrence-dbat organise par la FONDAFIP, la Sorbonne le 19 janvier 2010, sur le thme La Direction

    gnrale des finances publiques, une rforme de ltat emblmatique ? , La lettre dactualit de la FONDAFIP,

    n 8, fvrier-mai 2010, p. 2. 68

    Cf. par exemple larrt du 11 dcembre 2009 portant cration de directions rgionales et dpartementales des

    finances publiques, MPR n 3, mars 2010, p. 150 et s. 69

    Ordonnance n 2010-420 du 27 avril 2010 portant adaptation de dispositions rsultant de la fusion de la

    direction gnrale des impts et de la direction gnrale de la comptabilit publique, JO n 0101 du 30 avril

    2010, p. 7839, texte n 19. Il en est de mme concernant la suppression du rgime des conservateurs des

    hypothques in Ordonnance n 2010-638 du 10 juin 2010 portant suppression du rgime des conservateurs des

    hypothques, JO n 0133, du 11 juin 2010 p. 10757, texte n 23, MPR n 6, juin 2010, p. 389 et s. 70

    Le terme casier est remplac, peut-tre rappelait-il trop trangement le casier employ en droit pnal ? 71

    Les missions de la DGFiP sont toutefois plthoriques puisquelle concentre en son sein les missions des deux

    anciennes directions, Il y a donc les missions de la Direction charge de la fiscalit : tablir et recouvrer les

    impts et contrler les dclarations des contribuables ; et celles de la Direction charge de la gestion publique

  • 31

    Mais les Administrations financires et fiscales de ltat, ont aussi dautres missions.

    Llaboration des textes fiscaux, si elle a pu relever dun service de la lgislation fiscale,

    autonome en 1977, a t confie une direction au sein de la DGI en 1998. Lactuelle

    Direction de la lgislation fiscale conoit et labore les textes lgislatifs et rglementaires

    relatifs la fiscalit ainsi que les instructions gnrales interprtatives ncessaires leur

    application 72

    . Il en est de mme en matire de recouvrement des recettes publiques, du

    cadastre et de la publicit foncire73

    . Ainsi, lorsque le contribuable consent limpt, par le

    truchement de ses reprsentants, il consent aux textes dabord rdigs par lAdministration

    fiscale ! Comme il est mentionn aux alinas suivants de larticle 2 du dcret du 3 avril 2008,

    elle labore, entre autres, un certain nombre de rgles et de procdures en matire de contrle

    et de paiement des dpenses publiques, de gestion financire et comptable des collectivits

    territoriales et de leurs tablissements Tout en veillant leur mise en uvre.

    LAdministration fiscale en lien avec le contribuable est incontestablement celle qui

    agit en aval des procdures fiscales, cest--dire, non pas celle qui labore les textes, mais

    celle qui les appliquent en pratique, quil sagisse des contrles, de la juridiction gracieuse

    et du recours prcontentieux. Participant des Administrations fiscales au sens large du terme,

    lAdministration des douanes sera galement envisage, dans une moindre mesure, ds lors

    que son action, qui participe de lamlioration des relations entre lAdministration et ses

    usagers, sinscrit dans la continuit de celle tudie.

    Des Administrations fiscales clates aux Administrations fiscales unifies, voici une

    des rponses aux attentes et aux besoins des contribuables mise en place par le lgislateur,

    allant ainsi dans le sens dune meilleure adhsion de ces derniers au systme fiscal dans son

    ensemble, et lAdministration fiscale plus particulirement. Dans le mme temps, le

    statut des contribuables a t repens, subissant la mme transformation, passant ainsi du

    pluralisme au monisme.

    (ex-DGCP) qui relvent du contrle et de lexcution des dpenses publiques, de la production de linformation

    budgtaire et comptable, de lexpertise et du conseil financier, tout en mettant en place des stratgies visant

    amliorer la gestion des deniers publics (capitaux mobiliers, immobilier appartenant ltat). 72

    Article 2, 1 du dcret n 2008-310 du 3 avril 2008 relatif la Direction gnrale des finances publiques. 73

    Article 2 2 du Dcret du 3 avril 2008 prcit.

  • 32

    2 - Les contribuables, de limpersonnalit lindividualit

    Les contribuables sont apparus longtemps comme tant des tres multiples ne

    dpendant pas dune ralit absolue74

    , formant tout au plus un ensemble htrogne auprs de

    lAdministration fiscale. Ce nest que depuis ces dernires dcennies quelle recherche une

    relation responsable et personnalise entre le citoyen et le fonctionnaire 75

    . En effet, le

    terme contribuable recouvre plusieurs aspects dune mme ralit, savoir une

    Personne qui paie des contributions 76

    selon le langage courant. Il lui est prfr une

    dfinition plus exhaustive, la fois plus large et plus prcise et qui dfinit le contribuable

    comme toute personne, physique ou morale, prive ou publique, astreinte au paiement de

    contributions, impts, droits ou taxes dont le recouvrement est autoris par la loi.

    La dfinition du terme contribution du latin contributio, claire davantage sur le

    sens et lessence du mot contribuable puisquil le prcde chronologiquement pour

    reprendre lhistorique labor par Laure AGRON dans sa thse relative au vocabulaire

    fiscal77

    . Ce substantif est apparu pour la premire fois en 1317 et dsigne la fois la part

    payer dun impt, dun prlvement fait par lennemi et la participation une uvre

    commune 78

    . Selon cette auteure, contribution serait donc le terme gnrique englobant

    toutes sortes de prlvements79

    .

    Cest en 1401 que le terme contribuable apparat80

    , dabord comme un adjectif

    (dpenses ou rcoltes contribuables). Il faut attendre 1581 pour quil dsigne la personne

    74

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,

    dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, op. cit., terme pluralisme . 75

    DGFiP, La Charte du contribuable, Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique,

    Septembre 2005, Mise jour en 2007, p. 3. 76

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,

    dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, op .cit., terme contribuable . La dfinition du

    langage courant poursuit que le contribuable est la personne qui paie des impts directs. Pourtant cette dfinition,

    sans tre fausse, est toutefois rductrice et incomplte. 77

    Laure AGRON, Histoire du vocabulaire fiscal, op. cit., p. 161-166. 78

    Laure AGRON, Histoire du vocabulaire fiscal, op. cit., p. 161. 79

    De contribution publique en 1789 contribution patriotique en 1792, en passant par contributions

    conomiques en 1846, on parle plus gnralement de contribution fiscale aujourdhui. Laure AGRON ajoute que

    corrlativement se dveloppent lemploi de termes comme contributoire (1411), contributif (1594), la

    moderne expression facults contributives (1789) puis capacits contributives, et enfin contributoirement

    (1804). Lusage du terme contribution fut de tout temps rpandu puisque les principaux impts rels taient

    la contribution des patentes, la contribution mobilire, la contribution foncire Il connat aujourdhui un

    souffle nouveau en fiscalit grce la contribution sociale gnralise (CSG), la contribution pour le

    remboursement de la dette sociale (CRDS), la contribution sociale de solidarit des socits et contribution

    additionnelle (C3S) ou bien encore plus rcemment avec la feue contribution carbone et la contribution

    conomique territoriale (CET). 80

    Laure AGRON, Histoire du vocabulaire fiscal, ibidem. Il est issu du verbe contribuer .

  • 33

    mme assujettie limpt81

    . On lui prte volontiers de nombreux synonymes contemporains,

    tels quassujetti ou encore redevable, ou plus historiques tels que censitaire, corvable ou

    taillable au regard des impts dus82

    . Le citoyen a galement pu tre contribuant (1930) ou

    bien encore contributeur (1996)83

    .

    Selon Jacques CHEVALLIER, le terme contribuable serait donc un terme

    gnrique dcrivant un ensemble htrogne et clectique, compos de groupes diffrencis

    impermables et hirarchiss, dont les relations avec lAdministration fiscale sont

    ncessairement diffrentes, plus ou moins facilites selon le degr de proximit dans lequel

    elles sont appeles jouer. Si la qualit des relations dpend de la qualification des individus

    selon quils sont des assujettis, auxquels ladministration impose des obligations sans leur

    consentement 84

    - plus ou moins - ils peuvent tre galement des usagers et des relais.

    Le vocabulaire est donc dune importance capitale dans ce domaine, et le lgislateur et

    lAdministration lont bien compris. Son volution pourrait trouver sa source dans la volont

    de rciprocit de ces relations.

    Ainsi, le terme assujetti , signifiant littralement soumis et astreint pour une

    personne ou fix et maintenu pour un objet85

    , renvoie davantage au caractre hirarchique et

    autoritaire de la relation qui unit lAdministration fiscale au contribuable.

    Le terme redevable est plus neutre puisquil dsigne le dbiteur tenu certaines

    obligations, le redevable dun impt86

    . Mais cest aussi tre loblig de quelquun. On

    retrouve cette ide dans la distinction conomique opre entre le redevable lgal et le

    redevable rel, notamment en matire de taxe sur la valeur ajoute. En effet, le premier est le

    81

    Lexpression le feu contribuable , datant de lAncien Rgime, tait une unit dimposition comparable

    aux centimes additionnels , Laure AGRON, Histoire du vocabulaire fiscal, ibidem. 82

    Respectivement le cens, la corve et la taille. Si le cens a pu correspondre la quotit dimposition ncessaire

    pour tre lecteur ou ligible jusquen 1848, il nexiste plus aujourdhui de condition fiscale pour tre lecteur ou

    ligible, a contrario dautres conditions. Sur la citoyennet fiscale, cf. Emmanuel De CROUY CHANEL, La

    citoyennet fiscale , Limpt, Archives de philosophie du droit, tome 46, Dalloz, 2002, p. 39 et s. 83

    Laure AGRON, Histoire du vocabulaire fiscal, op. cit., p. 162. 84

    Jacques CHEVALLIER, Ladministration face au public , in La communication administration-

    administrs, op.cit., p. 25. En effet, le degr dassujettissement ou de dpendance impersonnelle est

    inversement proportionnel au niveau social, conomique et culturel. 85

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,

    dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, op. cit., terme assujetti . Lorsquon

    sintresse aux synonymes du terme assujettissant , on comprend plus aisment limportance du vocabulaire :

    asservissant, astreignant, pnible, pesant in mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR ,

    1863-1877, terme assujettisant . 86

    En mme temps, ce terme revt galement une signification positive, tre redevable de quelque chose

    quelquun, bnficier d'un avantage grce lui, tre son oblig (devoir) , Josette REY-DEBOVE et Alain REY

    (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT, dictionnaire alphabtique et analogique de la

    langue franaise, op. cit., terme redevable .

  • 34

    collecteur de limpt pour le compte des caisses de ltat (lentreprise venderesse par

    exemple) tandis que le second est le consommateur final, qui supporte effectivement limpt.

    A contrario, le terme usager pourrait illustrer la rciprocit. Mais si lon sintresse

    la dfinition de ce terme, on se rend compte quil ne peut qualifier parfaitement le

    contribuable, mme sil demeure au final le plus employ, par lAdministration fiscale elle-

    mme. En effet, il dsigne une personne bnficiant effectivement et directement de la

    prestation offerte par le service public, et utilisant, pour ce faire, les installations matrielles

    dont il est dot. 87

    Il nen est gnralement pas ainsi dans le domaine des Administrations

    rgaliennes, qui nont pas proprement parler, dusagers effectifs, mais plutt des

    bnficiaires indirects. 88

    Des bnficiaires indirects. Le langage courant ne satisfera peut-tre pas le

    contribuable puisquun bnficiaire correspond une personne qui bnficie dun avantage,

    dun droit, dun privilge. 89

    Il est en effet plus frquent dtre bnficiaire dune crance

    que dune dette. Lide sous-entendue est quau moyen des impts verss par le contribuable,

    celui-ci retire en contrepartie des bnfices indirects grce laccomplissement par ltat de

    ses fonctions rgaliennes ou non, parfois au frais du contribuable 90

    . Dans le mme temps,

    ils peuvent galement bnficier de services ou structures sans pour autant participer leur

    financement. Enfin, puisque Ce sont les services publics, rendus possibles par limpt, qui

    incarnent le mieux les valeurs de la Rpublique , par suite, Respecter la loi fiscale est lun

    des actes civiques essentiels. 91

    Ce qualificatif de bnficiaires indirects permet peut-tre la rciprocit de sexprimer

    pleinement en fiscalit puisque cette dernire, sous-tendant le fait de donner et de recevoir,

    sillustre particulirement dans le fait de rendre. Ainsi, lanthropologue Bronislaw Kasper

    MALINOWSKI92

    a-t-il tabli que la vie sociale [certes] primitive [est caractrise par

    un] systme de services et de droits rciproques dans lesquels les groupes jouent le jeu de "

    donnant donnant " 93. Luc RACINE fait galement rfrence Jean PIAGET94 qui a mis en

    87

    Renan LE MESTRE, Droit du service public, Gualino diteur, manuels, 2008, p. 424. 88

    Renan LE MESTRE, Droit du service public, ibidem. 89

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT, dictionnaire

    alphabtique et analogique de la langue franaise, op. cit., terme bnficiaire . 90

    Cette expression pjorative signifie : en gaspillant les deniers publics . Elle illustre lide selon laquelle le

    contribuable a limpression de donner plus quil ne reoit, ou bien que largent ainsi collect nest pas utilis de

    faon pertinente et rationnelle. 91

    DFGiP, La Charte du contribuable, 2005, mise jour en 2007, p. 3. 92

    Bronislaw Kasper MALINOWSKI (1880-1942) tait un anthropologue, ethnologue et sociologue polonais. 93

    Luc RACINE, Les Formes lmentaires de la rciprocit , LHomme, op. cit., p. 97. 94

    Jean William Fritz PIAGET (1896-1980) tait un psychologue, biologiste, logicien et pistmologue suisse.

  • 35

    exergue que dans la coopration constitutive de lchange, donner est lopration

    rciproque de recevoir. 95

    Pour transposer cette citation la matire fiscale, et plus

    particulirement lexpression de bnficiaires indirects , il serait possible de remplacer le

    terme donner par le terme sacrifier 96

    , et dajouter la troisime facette anthropologique

    de la rciprocit, celle de rendre.

    Certaines administrations fiscales trangres ont retenu le terme client pour

    dsigner leurs contribuables, terme qui appartient au march, dans lequel la concurrence et la

    libert de choix sont de rigueur. ce titre, la DGI a obtenu le premier prix dans la catgorie

    Services publics pour ltablissement dune relation client durable fonde sur la

    confiance97

    . Le terme client semble donc usit mais peu adapt et davantage employ par

    certains services industriels et commerciaux. Ainsi, par exemple, les anciens usagers de la

    Socit Nationale des Chemins de Fer (SNCF) sont aujourdhui des clients.

    Toutefois, si le terme client semble dlicat retenir pour qualifier le contribuable,

    il pourrait peut-tre arborer une des facettes du client, lorsquil est cocontractant. En effet, le

    recours plus systmatique la contractualisation des relations entre le secteur public et le

    secteur priv pourrait encourager lusage de ce terme dans certaines hypothses.

    Loffre des termes venant proposer une dfinition du contribuable est grande et a dj

    fait lobjet de nombreuses tudes, depuis Louis TROTABAS Pierre BELTRAME, en

    passant par Jean-Claude MARTINEZ98

    . Afin de soutenir la thse selon laquelle les relations

    entre lAdministration fiscale et le contribuable sont rgies par la rciprocit, gnratrice dun

    quilibre modifi, nous emploierons le terme gnrique de contribuable, en vitant les

    diffrents termes synonymes davantage connots et restreints certaines hypothses.

    ce stade de ltude, une question relative aux relations entre lAdministration fiscale

    et le contribuable mrite dtre pose. En effet, quelle image lAdministration fiscale renvoie-

    t-elle ses contribuables ? Et inversement, quelle image le contribuable renvoie-t-il son

    Administration ? Leur relation ntant pas rductible lapplication de dispositions

    95

    Luc RACINE, Les Formes lmentaires de la rciprocit , LHomme, ibidem. 96

    Pour reprendre ltude du Professeur Michel BOUVIER, Anthropologie et finances publiques : rflexions

    sur la notion de sacrifice fiscal, Etude , RFFP, Le contentieux fiscal, op. cit., p. 188 et s. 97

    DGI, Rapport Annuel de Performance, 2007, p 6, en vertu du Podium de la Relation Client 2007, TNS Sofres

    et Bearing Point.

    Franois ADAM, Olivier FERRAND et Rmy RIOUX, Finances publiques, op. cit., p. 601. 98

    Jean-Claude MARTINEZ, Le statut de contribuable, la thorie sur la situation gnrale et impersonnelle de

    contribuable : son degr deffectivit, 1976. Lauteur a abouti ltablissement dun vritable statut du

    contribuable, issu du principe de la lgalit de limpt, statut qui serait double, la fois juridique et moral.

  • 36

    lgislatives et rglementaires () [tant lAdministration] a une reprsentation symbolique

    spcifique aux yeux du public 99

    .

    Le vingtime rapport du Conseil des impts - relatif lamlioration des relations

    entre lAdministration fiscale et le contribuable, traitant la fois des questions de lgislation,

    dorganisation et de comportements administratifs - a permis de rpondre la premire

    question100

    . Limage qui en est ressortie est assez contraste. En effet, les contribuables ont

    une opinion plutt positive de leurs relations avec lAdministration fiscale mais gardent des

    motifs dinsatisfaction. lpoque, lanalyse du Conseil des impts avait mis en exergue

    certaines faiblesses - complexit des textes applicables, lourdeur des procdures et de

    lorganisation administrative, insuffisance du dialogue avec les contribuables - qui sont autant

    de points sur lesquels des progrs doivent tre raliss.

    Sur ces diffrents aspects, les pistes de rflexion proposes par ledit Conseil ont vis

    renforcer la qualit du consentement limpt, un des fondements du pacte rpublicain

    franais, car loin dtre antinomiques, la recherche de lefficacit administrative et celle de

    lamlioration des relations entre les contribuables et le fisc constituent des objectifs

    remarquablement complmentaires 101

    , empreints de rciprocit ?

    Pour rpondre la seconde question, il peut tre fait rfrence au statut du

    contribuable, tantt groupe rduit ses devoirs, tantt individu dot de droits. Rappelons que

    le terme individu ne relve pas du langage juridique, la diffrence du terme

    personne , cette dernire pouvant tre physique ou morale, de droit priv ou de droit

    public. Pourtant, l individu est un enjeu dans la philosophie du droit. Et lorsquon voque

    les droits individuels, cest souvent pour les affirmer contre les prtentions de la collectivit

    publique. 102

    Le contribuable-individu se voit donc reconnatre des garanties, voire des droits

    personnels, grce la doctrine des droits de lHomme, il peut opposer les prrogatives

    fondamentales dont il jouit tout groupe humain103

    . Il ne sagit pas de sattarder sur ces thses

    philosophiques mais de relever cette prise en compte actuelle des contribuables en tant

    99

    Thierry LAMBERT, Le contribuable face ladministration fiscale , in Psychologie et science

    administrative, op. cit., p. 103. 100

    Conseil des impts, Les relations entre les contribuables et ladministration fiscale, vingtime rapport au

    Prsident de la Rpublique, Paris, Les ditions de lImprimerie des Journaux Officiels, 2002, p. Depuis 2005, le

    Conseil des impts est devenu le Conseil des prlvements obligatoires. 101

    Conseil des impts, Les relations entre les contribuables et ladministration fiscale, XXme

    rapport au

    Prsident de la Rpublique, op. cit., p. 259. 102

    Denis ALLAND, Stphane RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, Lamy,

    Quadrige, Dicos poche, 2003, p. 819, terme individu . 103

    Denis ALLAND, Stphane RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de la culture juridique, ibidem.

  • 37

    quindividus, ou plus juridiquement, en tant que personnes, et de la reconnaissance de leurs

    droits primordiaux104

    et de leurs garanties, au moyen doutils toujours plus nombreux et

    sophistiqus. Cette individualisation possible en fonction de lge, du sexe, de la profession,

    du lieu dhabitation, des revenus ou de la situation de famille desdits contribuables105

    - permet

    la rciprocit de sexprimer, que les contribuables soient petits ou gros, quelle que soit

    leur activit, ceux qui paient rgulirement leurs impts, aux petits fraudeurs occasionnels,

    aux grands fraudeurs ou aux ennemis dclars du fisc 106

    , dans une proportion toutefois

    diffrencie selon leur comportement.

    Cest pourquoi lon a assist depuis quelques dcennies par exemple la mise en place

    de la mission de qualit de service au sein de lAdministration fiscale ou encore une

    meilleure organisation des contrles fiscaux. Des rformes plus approfondies sont galement

    proposes afin de toujours mieux rpondre aux nouvelles prrogatives accordes au

    contribuable, ressenties comme de vritables besoins par ce dernier. Aprs tout, BABEUF107

    ,

    ne comptait-t-il pas sur le droit pour mettre en place les moyens de satisfaire le plus

    compltement possible les besoins individuels, seule condition du bonheur gnral 108

    ?

    Participant de ce bonheur gnral, ou plus modestement, prservant lintrt gnral,

    lAdministration fiscale, lie au contribuable, par un impt aux formes multiples, pourrait tre

    lgitime, grce un lien moins visible, la forme tout aussi plurielle, mais galement

    singulire ds lors quil est appliqu la matire fiscale : la rciprocit.

    SECTION 2 UN LIEN INVISIBLE ENTRE LADMINISTRATION FISCALE ET LE

    CONTRIBUABLE : LA RCIPROCIT

    Dlicate apprcier car il est souvent difficile de distinguer ce qui est rciproque de

    ce qui ne lest pas 109

    , il sagit dexaminer tout dabord les dfinitions du terme

    rciprocit telles que proposes par le langage courant.

    Caractre de ce qui est rciproque 110

    , cest de ce dernier terme, adjectif et

    substantif qui existerait tel quon le connait aujourdhui depuis 1380, que la rciprocit est

    104

    Denis ALLAND, Stphane RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de la culture juridique, op.cit., p. 823, citant

    Grard CORNU. 105

    Jean DUBERG, Les Franais face limpt, Essai de psychologie fiscale, L.G.D.J, 1990, p. 3. 106

    Jean DUBERG, Les Franais face limpt, Essai de psychologie fiscale, op. cit., p. 4. 107

    Franois- Nol BABEUF, connu sous le nom de Gracchus BABEUF (1760-1797), tait un rvolutionnaire

    franais, dont la thorie, le babouvisme, est jug comme tant le mouvement prcurseur du communisme. 108

    Denis ALLAND, Stphane RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 820. 109

    Denis ALLAND, Stphane RIALS (sous la dir. de), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 1299.

  • 38

    issue. Reciprocus signifie en latin, et cette dfinition sera trs utile pour la suite, qui revient

    au point de dpart . Du bas latin reciprocitas, et employe au sens actuel depuis 1729, elle

    traduit ltat qui sexerce la fois dun premier terme un second et du second au

    premier 111

    . Cette dfinition112

    renvoie lide de symtrie, et tout naturellement lillustre

    par lexpression : relations rciproques .

    Plus spcifiquement, la rciprocit implique, entre deux personnes ou deux groupes,

    un change de sentiments, dobligations, de services semblables, etc. et renvoie cette fois-ci

    lide de mutualit, en lillustrant par les expressions telles que confiance, tolrance et

    amour rciproque, ou encore se faire des concessions rciproques, renvoyant ici davantage

    lide de partage.

    Enfin, un contrat, ou une convention peuvent tre rciproques, autrement dit bilatraux

    ou synallagmatiques, linverse dunilatraux.

    Prsente dans lensemble des sciences dures comme on les appelle parfois, la

    rciprocit se dfinit frquemment comme un processus bien tabli, en voici quelques

    exemples.

    En sciences physiques, elle fait office de thorme pour expliquer la thorie de

    llasticit reposant sur une constante qui relie la dformation la contrainte subie par un

    corps lastique 113

    . Elle dmontre son ampleur en matire de sensitomtrie photographique

    puisquelle est une loi, la loi de rciprocit liant le temps de pose la lumire114

    .

    Dans le domaine de la thermodynamique des systmes hors quilibre, il est fait

    rfrence aux relations de rciprocit de Lars ONSAGER, chimiste norvgien des annes

    1930, dcouverte qualifie de loi fondamentale115

    , qui lui valut le prix Nobel en 1968.

    110

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,

    dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, op. cit., terme rciprocit .

    Rciproque serait form de recus et de procus, qui signifient, qui va en arrire et en avant selon mile

    LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , op. cit., terme rciproque . 111

    Soit dune mme relation, dun mme rapport. 112

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,

    dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, op. cit., terme rciprocit . 113

    Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul ROBERT,

    dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, op. cit., terme rciprocit . 114

    La sensitomtrie est ltude, la mesure de la sensibilit des mulsions photographiques, de la sensibilit

    photographique selon Josette REY-DEBOVE et Alain REY (sous la dir. de), Le nouveau Petit Robert de Paul

    ROBERT, dictionnaire alphabtique et analogique de la langue franaise, op. cit., terme rciprocit . On

    parle aussi de phnomne de non-rciprocit. 115

    Lars ONSAGER a tabli, en 1931, une loi fondamentale qui relie ces nombres entre eux : les coefficients de

    transport obissent (en l'absence de champs magntiques) aux relations de rciprocit quil a t tabli (L = ij et

    L = ji), in Radu BALESCU, Irrversibilit , Encyclopdia Universalis, article disponible ladresse internet

    suivante : http://www.universalis-edu.com/recherche/sujet/29631/.

    http://www.universalis-edu.com/recherche/sujet/29631/

  • 39

    Enfin, en mathmatiques, quil sagisse dalgbre, danalyse mathmatique ou de

    gomtrie, elle est galement prsente. Par exemple, elle revt aussi la forme dune loi : loi de

    rciprocit quadratique ou biquadratique en matire de thorie des nombres116

    .

    Les sciences du langage ont galement recours cette notion pour dfinir des termes

    rciproques, qui ont la mme signification, et qui se peuvent prendre lun pour lautre 117

    .

    En grammaire, on dit dun verbe pronominal quil est rciproque, ou rflchi, quand il

    indique une action exerce par plusieurs sujets les uns sur les autres et dont laction est la

    fois accomplie et reue par chacun deux. 118

    De mme, en tant que terme de logique, la rciprocit, que lon retrouve dans

    lexpression propositions rciproques , induit que le sujet de lune peut devenir lattribut

    de lautre et inversement . Lexpression adverbiale et rciproquement traduit lide dune

    manire inverse, en retour. 119

    Enfin, il existerait mme ladjectif rciproquant , le verbe rciproquer ou encore

    le nom rciprocation .

    Le premier est spcifique puisquil est un terme utilis dans le domaine du chemin de

    fer pour qualifier un systme de traction employ sur les plans inclins automoteurs. Il

    provient de ce que les convois agissent rciproquement lun sur lautre pour monter et

    descendre 120

    .

    Le deuxime, plus ancien, a pu se rencontrer, en France au Nord notamment - mais

    galement ltranger comme en Belgique ou au Burundi. Il signifie dans ce cas changer,

    donner rciproquement, adresser en retour121

    , mais galement rendre la pareille 122

    . Le

    verbe se rciproquer a pu se rencontrer, signifiant tre dans un rapport rciproque 123

    .

    116

    En mathmatiques toujours, la fonction rciproque dune fonction [est la] fonction faisant correspondre

    toute valeur de cette fonction f la valeur prise par la variable. En gomtrie, les figures sont rciproques ds

    lors que chacune est la transforme de lautre selon une mme loi. Elle devient en loccurrence synonyme du

    terme inverse. Ces dfinitions nous rappellent galement le thorme de Pythagore et la rciproque du thorme. 117

    mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , op. cit., terme rciprocit . 118

    Par exemple : il saime, ils se frappent 119

    mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , ibidem. 120

    mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , op. cit., terme rciproquant . 121

    Et spcialement des vux. 122

    mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , op. cit., terme rciproquer . 123

    mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , ibidem.

  • 40

    Le dernier traduisait aussi l action par laquelle on reoit la pareille. 124

    En effet,

    dun point de vue plus familier, ne dit-on pas aujourdhui que la rciproque dsigne la

    pareille ?

    Ces quelques illustrations, loin dtre exhaustives, dmontrent clairement la richesse

    polysmique de la rciprocit dont lessence est chaque fois conserve, savoir

    linteraction, linfluence, lchange, le partage. Chacun de ces sens permet de mieux

    apprhender cette notion qui pourrait prsider aux relations unissant lAdministration fiscale

    au contribuable. Ce qui en ressort est lide selon laquelle il y aurait effectivement un change

    permable entre chacun des lments entre eux et vice-versa. Entre lAdministration fiscale et

    le contribuable, il y aurait donc un change, change de bons procds125

    , donnant cette

    relation unique en son genre, une caractristique nouvelle, au sein de laquelle, la rciprocit,

    plus que lgalit, dont elle serait une excroissance, moins que cela ne soit linverse, puisque

    la rciprocit peut sexprimer en dehors de toute galit, son corollaire dans certaines

    circonstances qui lexigent (la fonction rgalienne, le service public et lintrt gnral),

    jetterait les bases dun nouvel quilibre, sans toutefois que cela soit lquilibre. On ne saurait

    toutefois rduire la rciprocit ces premiers constats.

    En effet, cet clairage du langage courant, bien quintressant, nest pas suffisant pour

    circonscrire la notion de rciprocit. Il convient de se tourner vers les dfinitions que

    proposent la philosophie et les cultures religieuses.

    La premire traite de la rciprocit lorsquelle sintresse ltre, au moi et lautre.

    On la retrouve ainsi en matire daltrit, dengagement, de dialectique, de dialogue,

    dintersubjectivit, de personnalisme ou encore mme de violence. En matire dengagement

    par exemple, la philosophie part dune rflexion sur lexistence et propose un partage qui

    concerne non des choses mais le mouvement de la vie. Aussi est-elle marque [lexistence]

    par la rciprocit. 126

    En matire de dialectique, et plus particulirement damiti, Seule

    une relation de rciprocit peut instituer lautre comme mon semblable et moi-mme comme

    124

    mile LITTR, Dictionnaire de la langue franaise LITTR , op. cit., terme rciprocation . Cest

    galement un Ancien terme de physique. Rciprocation du pendule, mouvements que certains philosophes

    croyaient tre communiqus au pendule par le mouvement de la terre. 125

    Pour reprendre les termes employs par le Prsident Daniel RICHER lors de nos entretiens. 126

    Jean LADRIERE, Jacques LECARME, Christiane MOATTI, La problmatique de lengagement ,

    Encyclopdia Universalis, article disponible ladresse internet suivante : http://www.universalis-

    edu.com/encyclopedie/engagement/. Les auteurs font ici rfrence lengagement interpersonnel, notion qui

    nous claire mais qui ne peut servir de base pour dfinir la rciprocit que nous recherchons. Ils ajoutent : Ce

    qui rend possible la rciprocit, cest la dualit, au sein de lengagement, dun aspect actif et dun aspect passif

    dans lunit dun mme acte : cest parce que chacun est passif dans son opration mme quil peut se laisser

    absorber dans lopration de lautre, et cest par l que la rciprocit stablit. Cet aspect philosophique nest

    pas sans rappeler la rciprocit telle quelle est entendue en droit des obligations.

    http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/engagement/http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/engagement/

  • 41

    le semblable de lautre. () Une telle rciprocit suppose () quil faut tre ami de soi pour

    tre ami de lautre , lamiti sous-entendant galement lide de mutualit et son

    corollaire, lgalit, qui mne sur le chemin de la justice 127

    .

    La rciprocit en philosophie se retrouve ainsi mle des concepts moraux et

    porteurs de valeurs tels que la fidlit, le dvouement, lamiti, la mutualit, la reconnaissance

    de lautre, lestime de soi, etc., refltant ainsi une volont de partage gologique entre les

    tres. Ces quelques penses philosophiques nous permettent de toucher du doigt la profondeur

    de cette notion quest la rciprocit afin den capter lessence pour mieux en mesurer

    limportance au sein de ce travail puisque le systme fiscal, lorsquil est dclaratif, est par

    exemple fond sur des valeurs telles que la bonne foi, lhonntet, la confiance, la vrit, la

    justice En effet, par limpt, les citoyens devraient avoir le sentiment de contribuer

    qui contient en soi un sentiment de spontanit, dactivit et mme une certaine fiert. 128

    Vritable principe de la justice divine129

    par excellence, la rciprocit est galement

    consacre par les philosophies grecque et romaine o la justice apparat comme cette

    activit ayant pour but de mesurer la part de chacun, et le droit comme celle ayant pour objet

    de rpartir chacun le sien 130

    . Elle est aux cts de la justice, quelle soit corrective ou

    distributive, rgissant lconomique et le social : lchange fond sur un retour sur

    quivalence tant la base du lien social selon ARISTOTE, ou le fondement de la morale

    universelle selon KANT131

    .

    Pour les cultures religieuses, la rciprocit est une morale fondamentale. Elle est

    consacre par lensemble des grandes religions et cultures quelles soient bouddhiste,

    chrtienne, confucianiste, hindouiste, juive, musulmane - signifiant fais aux autres ce que

    tu aimerais quils te fassent , ou bien la forme ngative ne fais pas aux autres ce que tu

    ne voudrais pas quils te fassent . Elle est la manifestation concrte de lempathie, cette

    facult de sidentifier quelquun, de ressentir ce quil ressent 132

    , cette prise en compte de