L’édition itaLienne d’oLaus Magnus chez Les giunta de ... · L’Historia de gentibus...

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Biographie L’ Historia delle genti et delle cose settentrionali est la version traduite de l’œuvre en latin d’un écrivain suédois de la Renaissance tardive, Olof Månsson (1490-1557), latinisé en Olaus Magnus, qui a déjà fait l’objet d’une exposition particulière à la MRSH en 2012 [fig. 1]. L’ÉDITION ITALIENNE D’OLAUS MAGNUS CHEZ LES GIUNTA DE VENISE (1565) Fi g. 2 : C ar t a m ar i na, Veni se, 1539.

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Page 1: L’édition itaLienne d’oLaus Magnus chez Les giunta de ... · L’Historia de gentibus septentrionalibus (1555) La Carta marina et l’Historia de gentibus septentriona- libus

BiographieL’Historia delle genti et delle cose settentrionali est la version traduite de l’œuvre en latin d’un écrivain suédois de la Renaissance tardive, Olof Månsson (1490-1557), latinisé en Olaus Magnus, qui a déjà fait l’objet d’une exposition particulière à la MRSH en 2012 [fig. 1].

L’édition itaLienne d’oLaus Magnus chez Les giunta de Venise (1565)

Fig. 2

: Carta

marina, Venise, 1539.

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À Olaus Magnus revient le mérite d’avoir sorti des brumes, des préjugés et de l’ignorance un pan important du continent européen et de l’avoir présenté à un public « méridio-nal », de façon concrète à l’aide d’images accompagnant sa parole d’humaniste nor-dique, originaire de Linköping, dans le sud-est de la Suède où il était né en 1490.

Sa formation se déroula sur les rives de la Bal-tique, et en 1518-19, jeune chanoine, il ac-complit, en qualité de collecteur des dîmes pour le légat pontifical, un voyage dans les contrées les plus septentrionales et sauvages de la Suède, terres encore païennes où vi-vaient de petites communautés chrétiennes : trente ans après, les souvenirs de ce voyage vont nourrir son œuvre. Olaus continua de voyager à la suite de son frère aîné Johannes Magnus, forme latinisée de Johan Månsson, un ecclésiastique cultivé et éloquent qui fut nommé archevêque d’Uppsala par le roi de Suède et envoyé en mission à Rome en 1523. Les deux frères ne firent plus retour dans leur pays : la diffusion des doctrines luthériennes en Scandinavie, le triomphe de la Réforme à la Diète de Vesterås (1527), le conflit entre le roi et Johannes qui s’opposa au transfert des biens du clergé à la couronne, contraignirent ce dernier à s’exiler, suivi d’Olaus. En 1539 on retrouve les deux frères à Venise où Olaus pu-blia sa Carta marina, une description topo-graphique illustrée de la Scandinavie [fig. 2].

Par la suite, ils passèrent à Rome sous la pro-tection du pape Paul III qui attribua à Olaus d’abord l’église et le couvent de Sainte-Bri-gitte, fondatrice de l’ordre du Saint-Sauveur et protectrice de la Suède et ensuite, en 1544, à la mort de Johannes, le siège cardinalice d’Uppsala où Olaus ne mit jamais les pieds. Après la convocation du Concile de Trente, Olaus y participa activement à partir de 1545 et se consacra aussi à une activité d’éditeur en organisant un atelier d’impression dans le couvent de Sainte-Brigitte où il fit imprimer, entre autres, sa propre Historia de gentibus septentrionalibus en 1555. Il mourut deux ans plus tard à Rome où il fut enseveli.

Fig. 1 : Page de titre de l’Historia de gentibus sep-tentrionalibus, Rome, 1555.

Fig. 3 : Dédicace à Adolphe de Schauenberg, ar-chevêque de Cologne, de l’Historia de gentibus septentrionalibus, Rome, 1555.

Fig. 4 : Colophon de l’Historia de gentibus septen-trionalibus, Rome, 1555.

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L’Historia de gentibus septentrionalibus (1555)La Carta marina et l’Historia de gentibus septentriona-libus sont fondamentales pour la connaissance de la Scandinavie dans l’Europe de la Renaissance tardive [fig. 3]. Au-delà de son caractère ethnographique et presque pittoresque, plus qu’historique, l’Historia peut être lue comme le rêve mâtiné de nostalgie d’un humaniste du Nord que l’hérésie luthérienne a contraint à vivre au Sud de l’Europe. Ce n’est donc pas dû au hasard si les deux seules œuvres d’Olaus ont été éditées en Italie environ au milieu de la moitié du XVIe siècle : sa volonté de faire connaître son pays en en donnant une description complète – d’abord physique (la Carta) et ensuite anthropologique et ci-vilisationniste (l’Historia) –, son travail dans les sessions conciliaires et son engagement tardif et intense dans l’imprimerie sont étroitement liés à son expérience personnelle d’ecclésiastique brutalement éloigné de son lieu natal par l’essor de l’hérésie luthérienne et conscient du rôle de l’imprimerie dans la diffusion de ces idées corruptrices et néfastes, venues d’Alle-magne, donc, pour ainsi dire, d’un Sud géographique et idéologique. En d’autres termes, une des finalités de l’Historia relève sans doute d’un esprit d’orgueil national, qui consiste à mettre au jour les conditions des peuples habitant les immenses terres septentrio-nales et à montrer que ce monde, tout en étant « al-ter orbis » (« un autre monde »), était aussi « vagina sive officina gentium » (« une matrice et une fabrique des peuples »), et par conséquent qu’il méritait d’être connu et apprécié au moins pour son ancienneté.

Le succès de l’Historia tient, par ailleurs, aux nom-breuses petites gravures sur bois représentant les peuples nordiques et leurs coutumes étranges qui étonnèrent l’Europe entière. Si Olaus arriva à propo-ser un produit typographique de ce niveau, ce fut aussi grâce à la maîtrise de son imprimeur, Giovanni Maria Viotti, qui effectua, en 1555 à Rome, l’édition sous la houlette d’Olaus même et dans les locaux de celui-ci [fig. 4]. On compte 476 gravures : 472 xylogra-phies dont 20 sont des répétitions. Le nombre effectif des figures différentes est de 461. Olaus savait bien que l’image était indispensable à sa démonstration et, avec beaucoup de pédagogie, il a fait illustrer son ouvrage par des gravures, souvent naïves, mais dont il a suivi de près la réalisation et qui sont proba-blement basées sur ses propres dessins.

Fig. 6 : Page de titre de la 1ère traduction ita-lienne, Storia de costumi de’ popoli setten-trionali, Francesco Bindoni, Venise, 1561.

Fig. 5 : Page de titre de l’Historia delle gen-ti et della natura delle cose settentrionali, Giunti, Venise, Giunti, 1565.

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L’édition giuntienne en langue vulgaire (1565)L’Historia est donc restée longtemps pour le reste de l’Europe la référence pour tout ce qui touchait la Suède, a joui d’une grande notoriété et connu une large diffusion aux XVIe et XVIIe siècles. L’ouvrage fit l’objet de plusieurs rééditions et de nombreuses ver-sions abrégées en latin ou de traductions en français, en hollandais, en allemand, en anglais, mais aussi en italien.

La BU de l’UCBN possède, aux côtés de l’editio princeps (cote 11052), plusieurs exemplaires du travail d’Olaus, en suédois, en anglais, ainsi qu’un exemplaire de l’édi-tion italienne parue en 1565 [fig. 5]. Cet exemplaire, qui a appartenu au monastère bénédictin de Praglia à côté de Padoue, provient du fonds Abel Bonnard et a rejoint les collections de la bibliothèque en 1947.

Le texte publié en 1565 par les Giunta à Ve-nise sous le titre Historia delle genti et della natura delle cose settentrionali, correspond à la 2e édition en langue vulgaire de l’œuvre d’Olaus. En effet, une pre-mière version, intitulée Storia de costumi de’ popoli settentrionali, parut en 1561 à Venise en format de poche (in octavo), sous les presses d’un imprimeur vénitien, Francesco Bindoni, et grâce au travail de traduc-tion du florentin Remigio Nannini (1518-1580), poète et éditeur qui colla-bora à l’imprimerie des Giolito [fig. 6]. Il s’agit d’une version abrégée du texte, où manquent la préface, nombre des 779 chapitres initialement répartis en 22 livres, ainsi que l’ensemble des gravures.

L’édition giuntienne, confiée aux presses de Domenico Nicolini, un ty-pographe actif à Venise auquel Lucantonio « il Giovane » attribuera de nombreux travaux, calque le texte de l’editio princeps en réintégrant la préface et les chapitres manquants. Publiée dans le large format in folio, l’Historia réintègre également les 461 différentes xylographies et rétablit ainsi le rapport texte/image qui avait fait le succès de l’œuvre. En témoigne, par exemple, la réinsertion de la carte de la Scandina-vie, une version simplifiée de la Carta marina, qui se présente sur les premiers feuillets comme une invitation à la lecture [fig. 7]. En ce sens, le projet éditorial élaboré par les héritiers de Lucantonio « il Vecchio », sans doute désireux de tirer profit du succès commercial de la traduc-tion parue quatre ans auparavant, peut probablement être envisagé comme une opération de restauration du texte.

par Silvia Fabrizio-Costa et Hélène Soldini

Fig. 7 : Carte de la Scandinavie in l’Historia delle genti et della natura delle cose settentrionali, Giun-ti, Venise, 1565.