L'Actualité de la pensée keynésienne

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1 Conférence prononcée à l’Université de Dschang le 14 Juin 2016 Thème : L’actualité de la pensée keynésienne Par LeProfesseur TOUNA MAMA

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Conférence prononcée à l’Université de Dschang

le 14 Juin 2016

Thème : L’actualité de la pensée keynésienne

Par

LeProfesseur TOUNA MAMAChef du Département d’Analyse et Politiques Economiques

à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestionde l’Université de Yaoundé II

Président dela Chambre Economie et Gestion de la Société Camerounaise des Agrégés

Membre de l’Académie des Sciences du Cameroun.

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Plan

Introduction Générale

La Révolution Keynésienne

I – Crise financière internationale et actualité

du rôle économique de l’Etat

II – Crise de la dette souveraine et actualité

de la problématique Keynésienne des transferts internationaux

III – L’efficacité de la politique économique

Conclusion Générale

KEYNES for ever.

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Introduction Générale : La Révolution Keynésienne

John Maynard KEYNES, né en 1883 et mort en 1946, 10 ans après la parution de son maître-ouvrage La Théorie Générale, est considéré comme le plus grand économiste du XXe siècle, au-delà des controverses doctrinales.

Auteur de la plus grande révolution en économie après Karl MARX, KEYNES continue au XXIe siècle à faire planer sa pensée sur des problèmes économiques contemporains en général et sur le plus lancinant de la crise économique en particulier.

KEYNES était conscient du caractère révolutionnaire de son oeuvre en général et de son maître – ouvrage,La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, en particulier.

En effet, le 1er Janvier 1905, dans une lettre adressée à son ami G.B. SHAW, KEYNES lui dit « je suis en train d’écrire un livre de théorie économique qui révolutionnera, peut-être pas immédiatement, mais dans le courant des dix prochaines années, la façon dont le monde pense les problèmes économiques »(1).

C’est la découverte en 1932 du principe fondamental selon lequel l’épargne n’est pas le fruit de « vertueuses décisions » d’abstinence, comme l’enseignait l’économie classique, mais le résultat de l’investissement, l’investissement entraînant toujours l’épargne après lui, au même rythme que

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lui, qui sera le fondement théorique de la révolution keynésienne.

En clair, c’est l’égalité, voire l’identité entre l’investissement et l’épargne qui est le fondement théorique de la révolution keynésienne.________________(1) cité par POULON (F.) (2000), La pensée économique de KEYNES, Paris, Dunod, les Topos, p. 49.

Dès lors, il est clair pour KEYNES que l’investissement déterminant l’épargne, la demande de crédits des entreprises aux banques détermine l’offre de dépôts des ménages aux banques et d’une façon générale, la demande globale détermine l’offre globale. C’est ce que KEYNES appelle le principe de la demande effective qui fait l’objet des développements du chapitre 3 de sa Théorie générale.

La macroéconomie est créée. Et KEYNES est désormais outillé pour expliquer ce que n’arrivait pas à expliquer l’économie classique, le chômage involontaire.

Le chômage involontaire s’explique tout simplement par une insuffisance de la demande effective qui gouverne le fonctionnement de l’économie monétaire de production, qui est différente de l’économie classique dans laquelle les produits s’échangent contre les produits selon la célèbre loi de J.B SAY ; mais qui est une économie de salaires monétaires dans laquelle les incertitudes sur l’avenir et les anticipations des entrepreneurs déterminent l’état de l’économie, la monnaie jouant le rôle de pont entre le présent et le futur.

Montrer l’actualité de la pensée keynésienne aurait consisté à revisiter la révolution keynésienne pour montrer comment les problèmes soulevés en

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son temps par KEYNES sont toujours d’actualité aujourd’hui : l’explication du chômage involontaire, la place du crédit ou de la monnaie dans l’économie monétaire de production, le rôle "des esprits animaux" des entrepreneurs dans le cycle économique, la spirale inflation – chômage ou l’explication de la stagflation, le rôle des anticipations, etc…

Mais nous limiterons à montrer l’actualité de la pensée keynésienne en examinant successivement :

- la crise financière internationale et l’actualité

du rôle économique de l’Etat dans sa gestion-la crise de la dette souveraine et

l’actualité de la problématique keynésienne des transferts internationaux-l’efficacité de la politique économique.

I – Crise financière internationale et actualité

du rôle économique de l’Etat

Le 15 Septembre et le 06 Octobre 2008 auront été des lundis noirs respectivement pour les Etats-Unis et l’Europe, et le point de départ pour le premier et de contagion pour le second d’une crise financière qui, déclenchée à New-York, s’est

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propagée en Europe et n’a pas épargné les pays émergents.

De l’avis de nombreux observateurs, c’est la plus grave crise financière que le monde ait connu, après celle de 1929.

En effet, le 15 Septembre 2008, la bourse de New-York a connu une baisse brutale de son indicateur de santé, le Dow Jones et le 06 Octobre, c’était le tour du Cac 40, l’indice boursier de la place de Paris qui a connu sa plus forte baisse depuis sa création.

L’économie mondiale s’est donc trouvée brusquement sous la menace d’une grave crise systémique, dont le danger a été mal perçu par les autorités américaines d’alors, d’idéologie néolibérale, avec Georges W. Bush comme Président et Henry Paulson comme Secrétaire d’Etat au Trésor (ie Ministre des Finances). Prisonnier de l’idéologie du marché auto régulateur, Henry Paulson a laissé couler la première banque américaine en difficultés de trésorerie,Lehman and Brothers. Ce qui a déclenché une grave crise financière aux Etats-Unis, qui s’est transformée en crise financière internationale par effet de contagion, les banques des pays européens et des pays émergents détenteurs des produits toxiques des banques américaines, étant également touchées.

J’ai montré, avec le Professeur TSAFACK NANFOSSO, que les banques africaines ont été épargnées parce que non suffisamment intégrées à la finance internationale(2).

Cette crise aurait été plus grave encore si Gordon Brown, alors Premier ministre et ancien Ministre des Finances de la Grande Bretagne n’avait

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pris le contre-pied des Etats-Unis en injectant immédiatement des liquidités dans des banques britanniques en difficultés.

La crise financière internationale de 2008, il faut le rappeler, a pour origine lointaine l’éclatement de la bulle internet en 2000 et l’abaissement des taux d’intérêt des fonds fédéraux par la FED , la Banque Centrale américaine, de 6,5 % à 3,5 % et l’attaque terroriste de la bande à Ben Laden le 11 Septembre 2001, qui a amené le FED à baisser encore le taux d’intérêt des mêmes fonds de 3,5 % à 1 % en 2003, taux le plus bas depuis un demi-siècle. C’est précisément ce taux d’intérêt très faible, à la limite négatif si l’on prend en considération le taux d’inflation, qui est à l’origine des crédits très bon marché qui ont engendré la bulle immobilière dont l’éclatement a produit la crise financière internationale qu’on a qualifiée de crise de subprimes.

________________(2) TOUNA MAMA et TSAFACK NANFOSSO (R.), (2009) « la crise financière internationale et ses conséquences sur les économies africaines », AERC Senior Policy Seminar XI, LUSAKA, Avril.

Cette crise s’explique par le développement des crédits hypothécaires qui étaient faits à tour de bras même à des ménages dont la solvabilité n’était pas garantie, le cas extrême étant les prêts dits « ninja », comme no income no job, no assets, c’est-à-dire des prêts accordés aux gens n’ayant ni revenu, ni travail, ni bien.

Les banques d’affaires et les courtiers ont fait montre d’une imagination sans bornes pour ficeler des produits financiers qui étaient devenus des

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produits synthétiques ou dérivés en prenant d’autant plus de risques, que ces risques étaient assurés.

C’est donc la spéculation à outrance dans les marchés financiers qui est la cause immédiate de cette crise financière internationale qui a été d’autant plus retentissante que les agences de notation qui auraient dû alerter le public avaient accordé de bonnes notes à des produits "toxiques" et à des banques aux bilans douteux.

Avec la faillite de Lehman and Brothers, les banquessont devenues méfiantes les unes vis-à-vis des autres et ont arrêté de se faire confiance, c’est-à-dire de se faire crédit.

La faillite de Lehman and Brothers a entraîné la quasi-faillite d’autres banques, les banques étant dans l’incapacité de prêter ou ne souhaitant plus le faire.

La crise des subprimes aux Etats-Unis s’explique par le fait que non seulement les faibles taux d’intérêt enregistrés entre 2000 et 2006 tendaient à accroître la demande des logements et donc les prix immobiliers, mais aussi les institutions de crédit immobilier ont fait de plus en plus de prêts à des emprunteurs présentant des risques importants de non remboursement.

On peut se demander pourquoi des prêteurs ont accordé des crédits qui présentaient des risques de défaut importants. La raison est à trouver dans les développements de la finance au cours des années 2000, c’est-à-dire dans les innovations financières, et notamment dans l’ampleur prise par la titrisation.

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Avant la titrisation apparue dans les années 1990, les établissements bancaires étaient les principaux initiateurs de prêts qu’ils conservaient dans leurs bilans et suivaient jusqu’à échéance. Avec la titrisation, les établissements bancaires ont la possibilité de ne plus faire apparaître le risque de crédit dans leurs bilans, mais de transférer ce risque à d’autres investisseurs.

La baisse des prix de l’immobilier a engendré des pertes importantes pour de nombreuses banques. Certaines sont devenues insolvables, et la solvabilité d’autres a été mise en doute par les marchés et entraîné des problèmes de liquidités du fait de la méfiance à leur égard.

A la mi-Septembre 2008, le système financier était paralysé. Les banques avaient arrêté de se prêter entre elles et de prêter à qui que ce soit.

Lorsque l’ampleur de la crise est apparue clairement, les décideurs politiques ont réagi avec des mesures financières, monétaires et budgétaires. 

On assiste alors à ce que j’appelle la résurrection de Keynes(3) plus de vingt ans après la proclamation de sa mort par la Reaganomie et le Thatchtérisme de la décennie 1980 qui, avec l’économie de l’offre, ont célébré les obsèques des politiques économiques d’inspiration keynésienne.Le ton est donné par le gouvernement de Gordon BROWN qui annonce dès le 08 Octobre une injection massive de capitaux dans les banques britanniques, accompagnée de

________________(3) TOUNA MAMA, 2008, « La crise financière internationale et la résurrection de KEYNES », Cameroon Tribune, 27 Octobre.

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garanties de leurs dettes, ce qui devait relancer les prêts inter-bancaires.

Après avoir rejeté cette voie, préférant un rachat par le gouvernement fédéral des titres "toxiques" adossés aux crédits hypothécaires, le Ministre américain des finances, Henry Paulson s’est fait pratiquement désavouer par le Président Georges W. BUSH qui avait décidé d’injecter 250 milliards dans les banques américaines pour les rendre à nouveau liquides et crédibles.

L’Union européenne, par contre, sans hésiter, avait décidé lors de son sommet extraordinaire du 12 Octobre 2008 de suivre la voie britannique.

En effet, sous la présidence française de Nicolas SARKOZY, ses 27 membres d’alors avaient adopté un plan de 1700 milliards d’euros pour sauver le système bancaire européen.

Dans tous les cas, avec la crise financière internationale, les pays touchés ont mis en berne le paradigme du marché auto-régulateur et au centre de gravité de leur action l’Etat régulateur.

L’idée d’une meilleure coordination des politiques nationales et d’une exigence de plus de transparence des marchés financiers est revenue dans la recherche de solution, faisant penser au Plan KEYNES de 1944 contre le Plan WHITE ; celui-ci ayant eu le dessus à Bretton Woods grâce à la suprématie des Etats-Unis par rapport à la Grande Bretagne.

Avec la crise de la dette souveraine, on peut encore montrer l’actualité de la pensée keynésienne.

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II – Crise de la dette souveraine et actualité

de la problématique Keynésienne des transferts internationaux

Dans son ouvrage de 1919 intitulé The Economic Consequences of the Peace, John Maynard KEYNES démontre que l’Allemagne ne peut pas payer les réparations que les alliés lui ont infligées en le tenant coupable de la première guerre mondiale 1914-1918, parce que sa capacité de transfert était plus faible que le montant des réparations que les alliés lui réclamaient.

Dans sa controverse sur le problème des transferts dans l’Economic Journal en 1929, KEYNES revient sur cette Thèse en discutant avec OHLIN et RUEFF sur la capacité de transfert de l’Allemagne, ces derniers étant optimistes et KEYNES pessimiste.

En procédant à la décomposition du revenu national que la Théorie générale de KEYNES de 1936 permet de faire à partir de la comptabilité nationale, en revenu des ménages et revenus des entrepreneurs (ou profit), nous avons démontré dans notre Thèse de Doctorat d’Etat soutenue à l’Université de Bordeaux I en France le 11 Décembre 1985, intitulée le seuil d’endettement supportable pour un pays en développement, nous avons démontré que la capacité maximale de transfert d’un pays à l’étranger est son revenu non distribué aux ménages, c’est-à-dire le profit des entreprises.

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Jusqu’à un passé récent, disons pour être précis que jusqu’en 2007-2008, lorsqu’on parlait de la crise de la dette, l’on pensait spontanément à la situation qu’ont vécue les pays en développement dans la décennie 80.

En effet, le point de départ de la crise de la dette de la période contemporaine peut être situé au mois d’Août 1982, lorsque le Mexique, l’un des trois poids lourds de l’endettement d’alors, les deux autres étant le Brésil et l’Argentine, a annoncé à ses créanciers qu’il n’était plus en mesure de continuer à payer le service de sa dette extérieure évaluée alors à 80 milliards de dollars.

L’Argentine et le Brésil lui ont emboîté le pas respectivement en Septembre et en Décembre de la même année.

A la mi - 1983, ce sont 25 pays en développement débiteurs concentrant les 2/3 de l’endettement extérieur qui frappent à la porte du Fonds Monétaire International, pour demander le rééchelonnement de leur dette.

En Décembre 1985, l’endettement extérieur des pays en développement, qui était de 130 millions de dollars avant le 1er choc pétrolier de 1973, s’approche de 1000 milliards de dollars.

On parle alors de crise généralisée d’endettement dans le Tiers Monde.

Aujourd’hui, si la crise de la dette n’est pas définitivement jugulée dans les pays en développement, comme l’atteste le nombre de pays intéressés par l’initiative pour pays pauvres très endettés, initiative PPTE, l’on peut dire que la crise de la dette s’est déplacée du Sud au Nord.

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En effet, avec la faillite de la banque américaine Lehman and Brothers en 2008 aux Etats-Unis, et ses conséquences sur le système financier américain en termes de panique et menace d’effets de contagion, c’est-à-dire menace de crise systémique, ce sont les Etats-Unis qui vont déclencher la première grande crise financière internationale après celle de 1929.

Cette crise financière qui est née des subprimes aux Etats-Unis, c’est-à-dire de la distribution des crédits hypothécaires sans garantie aux citoyens américains moyens voire pauvres qui n’ont pas pu rembourser les crédits, s’est répandue à la faveur de la globalisation financière en Europe, en Amérique Latine et dans une moindre mesure en Afrique, l’Afrique du Nord et du Sud étant plus touchée que l’Afrique Noire.

L’on a alors assisté à une véritable internationalisation de la crise d’abord financière qui s’est ensuite transformée en crise économique avec une menace de récession économique mondiale. Le pire a été évité grâce à l’intervention musclée des différents gouvernements, les Etats occidentaux rangeant momentanément dans les tiroirs leur idéologie sacro-sainte de l’auto-régulation du marché.

Si l’on doit indiquer non pas le coupable mais le responsable de cette crise, c’est sans doute le gouvernement finissant de Georges W. BUSH dont le Ministre des Finances, ou si vous préférez le Secrétaire d’Etat au Trésor, Henry Paulson a déclaré qu’il ne fallait surtout rien faire, ou si vous préférez, qu’il fallait laisser faire.

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Le salut viendra encore d’un concitoyen de J.M. Keynes, Cordon Brown, pour ne pas le nommer, ancien Ministre des Finances et alors Premier Ministre Britannique qui a montré au monde la voie à suivre, en procédant à une injection de liquidités dans des banques en difficultés pour permettre aux banques de continuer à avoir la confiance des clients et à leur accorder des crédits pour que la machine économique ne s’arrête.

C’est à ce moment qu’on va assister à l’arrivée à la maison blanche, d’un Démocrate, 1er

Président Noir, Barack OBAMA…Mais la situation économique dont hérite le

Président Barack OBAMA en 2008 est :- 10 000 milliards de dollars de Dette extérieure -700 milliards de déficit budgétaire- 700 milliards de déficit commercial- 700 milliards de dépenses militaires dans la

guerre d’Irak - 700 milliards pour financer le plan anti-crise.

Le Président OBAMA n’aura pas d’état de grâce au regard de l’ampleur de la crise qu’il trouve comme premier dossier sur sa table.

Malgré les efforts colossaux déployés par les Etats-Unis et l’Europe, si la crise financière est apparemment jugulée, les tensions persistent dans les budgets des Etats et les marchés financiers restent très nerveux.

Le premier vendredi du mois d’Août 2011, l’agence de notation Standard and Poor’s abaisse la

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notation des Etats-Unis d’un triple A ("AAA") à un double A ("AA"). La dette publique du pays avait alors dépassé les 14.500 milliards de dollars et le plan de redressement sur lequel le Congrès et l’exécutif s’étaient mis d’accord apparaissant insuffisant par rapport à ce qui était nécessaire de l’avis des experts de l’agence de notation pour stabiliser la dynamique à moyen terme de la dette publique américaine.

Ce qui est une grande première dans l’histoire de la première puissance économique du monde, les Etats-Unis ayant toujours été notés triple A depuis la création de l’agence en 1941.

En enlevant un A sur les trois aux Etats-Unis, Standard and Poor’s rejoignent l’agence chinoise – peu connue et moins puissante – Dagony qui avait déjà dégradé la note du pays de Barack OBAMA.

Avec cette dégradation de leur notation, les Etats-Unis ont rejoint le Japon, l’Espagne, l’Irlande et la Grèce qui avaient déjà perdu ce statut envié.

C’est que la dette publique américaine a dépassé le seuil de 100 % du PIB ! Les conséquences immédiates de l’abaissement de la note américaine ont été une chute brutale des titres sur les marchés financiers et une mobilisation de l’Union Européenne sous la direction du couple franco-allemand pour endiguer préventivement l’escalade.

C’est dans ce contexte qu’est élaboré le plan de sauvetage de la Grèce qui déroge pratiquement aux Traités de Maastricht et de Lisbonne, excluant le sauvetage d’un pays membre de la zone Euro par ses pairs.

En effet, l’Union Européenne doit choisir entre la peste et le choléra : ne pas intervenir en Grèce qui

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connaîtrait la cessation de paiement avec des effets de contagion sur l’ensemble de l’eurozone ou intervenir en faisant hara – kiri à ses fondements contractuels.

L’élection du socialiste François HOLLANDE à la tête de la République française, adepte du pacte européen de croissance et solidarité a facilité cette évolution.

De façon générale, à la suite de l’éclatement de la crise financière en 2008, les gouvernements de la plupart des pays ont mis en oeuvre des programmes de relance économique et des mesures de sauvetage d’établissements financiers et de grandes entreprises industrielles, ce qui a gonflé leurs dépenses. Ils ont réduit les impôts, souscrit au capital-actions de banques et d’entreprises en détresse, procédé à la nationalisation partielle ou complète de certaines d’entre elles, octroyé des garanties de prêts et de dépôts bancaires et racheté des titres de dette de mauvaise qualité. Les banques centrales ont réduit leurs taux d’intérêt directeurs, fourni les liquidités nécessaires à un marché monétaire qui s’était asséché, multiplié leurs moyens d’intervention extraordinaires pour soutenir le secteur financier et recouru à ce qu’il est convenu d’appeler l’« assouplissement monétaire quantitatif », c’est-à-dire à l’impression pure et simple (ou création ex nihilo) de monnaie pour l’achat de nouvelles obligations gouvernementales.

Il en est résulté un fort accroissement de l’endettement public, ce qui a acculé certains pays à la crise. De 2007 à 2009, l’endettement moyen des administrations publiques des pays avancés du G20 est passé de 78% à 97,5% du PIB et le FMI prévoyait

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qu’il atteindra 115% en 2016(4). En dépit de leurs interventions massives, gouvernements et banques centrales ne sont pas parvenus à relancer les économies avancées. Le chômage demeure à des niveaux très élevés et la croissance molle.

Sur le plan de la politique monétaire, les banques centrales ont réduit les taux d’intérêt à des niveaux voisins de zéro et ne peuvent plus les réduire. Elles ont augmenté les liquidités offertes aux banques en escomptant qu’elles soient mises à la disposition des entreprises et des particuliers et qu’une augmentation de leurs investissements et de leur consommation contribue à stimuler l’activité économique. Toutefois, les banques ont eu tendance, par volonté d’augmenter leurs profits, à ne pas prêter cet argent au public, mais à l’utiliser dans des opérations plus lucratives, comme les placements à l’étranger, ou plus sûrs, comme l’achat d’obligations gouvernementales.

Sur le plan de la politique budgétaire, c’est presque l’impasse.

______________(4) IMF Survey online, 1er septembre 2010, et Fiscal Monitor, Avril 2011, p. 127.

Alors que leurs dépenses ont été gonflées par les plans de relance et que leurs revenus étaient réduits par le ralentissement économique, les gouvernements ont réduit le fardeau fiscal des entreprises et des particuliers, souvent des plus riches comme aux États-Unis, tournant le dos à desrevenus essentiels.

Se refusant à restaurer un niveau adéquat d’imposition, certains ont adopté de sévères

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politiques d’austérité en vue de rééquilibrer les budgets et de réduire l’endettement : tarification accrue et réduction des services publics et de l’aide sociale, réduction des salaires des fonctionnaires et licenciement de personnel, réduction des avantages des régimes de retraite, etc. La Grande-Bretagne, l’Irlande, la Grèce et le Portugal ont ouvert la voie à cet égard. Une voie dans laquelle le Québec s’est lui aussi engagé, avec les mesures de son budget de l’année 2010-2011 (recours accru à la tarification des services publics, imposition d’une contribution santé régressive, accroissement des taxes indirectes, etc.), même si la taille de sa dette en proportion du PIB est nettement inférieure à celle des principaux pays industrialisés(5).

Les mesures d’austérité qui ont été adoptées en 2010 en Grande-Bretagne par le nouveau gouvernement conservateur sont d’une rare sévérité, avec une réduction moyenne de 19% des dépenses des ministères au cours des quatre prochaines années et l’élimination de 490 000 emplois du secteur public.

_________________(5) Voir Louis Gill, L’heure juste sur la dette du Québec, juin 2010, document endossé par les centrales syndicales CSN, CSQ et FTQ, de même que par le collectif Économie Autrement, l’Institut de recherche en économie contemporaine et l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques, disponible sur les sites Internet de chacune de ces organisations, ainsi que sur celui des Classiques des sciences sociales.

En Grèce où l’endettement public a atteint 152% du PIB en 2011, au-delà des mesures d’austérité budgétaire, le gouvernement s’est engagé à privatiser des actifs publics d’une valeur de 50 milliards d’euros avant 2015, soit plus de 20% du PIB de 2010. Non seulement ces mesures

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d’austérité ont-elles pour effet de reporter sur la population travailleuse le coût de la réparation de manoeuvres financières dont elles ne sont pas responsables alors que les coupables jouissent de l’impunité, mais elles ont aussi

pour conséquence d’empirer la situation en bloquant la reprise économique et en maintenant le chômage à des niveaux historiquement élevés. La médecine imposée tue le malade au lieu de le remettre sur pied.

Tant au Portugal qu’en Irlande et en Grèce, face à l’incapacité de rembourser une dette devenue hors contrôle et sur laquelle pèsent des taux d’intérêt exorbitants, la restructuration de cette dette, c’est-à-dire le rééchelonnement de son remboursement sur une période plus longue et à un taux d’intérêt réduit, ainsi que son éventuelle radiation partielle, est désormais considérée comme un moindre mal aux yeux des financiers, même si cette perspective les effraie et menace les banques créancières. Inutile de dire qu’elle serait assortie de mesures encore plus sévères à imposer aux populations.

Aux États-Unis, le FMI prévoyait au printemps de 2011 que l’endettement public allait augmenter de son niveau de 92% du PIB en 2010 à 112% en 2016(6).

__________________(6) FMI, Fiscal Monitor, avril 2011, p. 127.

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Cette perspective menait l’agence de notation Standard &Poor’s à faire passer de « stable » à « negative » la perspective d’évolution de la note de la dette états-unienne, annonçant par le fait même qu’il y avait une chance sur trois qu’elle soit réduite si la situation devait ne pas s’améliorer dans un horizon de deux ans. Et cela, sur un fond de tensions sociales croissantes comme en témoigne notamment la volonté de la droite républicaine de radier les conventions collectives des syndiqués du secteur public de l’État du Wisconsin et d’autres États du Midwest et de rayer leurs syndicats de la carte. La France n’est pas épargnée.

En effet, après Standard &Poor’s qui avait abaissé le 13 Janvier 2012 de AAA à AA+, la note de la France enréaction à l’aggravation des problèmes politiques, financiers et monétaires de la zone euro, c’est l’Agence de notation Moody’s qui a abaissé le 19 Novembre 2012 la note de la France de TRIPLE A à AA1, justifiant ce déclassement par une perte de compétitivité graduelle et soutenue de l’économie française et des rigidités de ses marchés du travail, des biens et des services.

Pour Moody’s « la prévisibilité de la résistance de la France à de futurs chocs dans la zone euro diminue au vu de la montée des risques pour la croissance économique, les performances budgétaires et les coûts de financement ». Par ailleurs, « les perspectives de croissance à long terme de la France sont défavorablement affectées par de multiples défis structurels, parmi lesquels sa perte graduelle et soutenue de compétitivité et les

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rigidités anciennes de ses marchés du travail, des biens et des services ».

Et ce ne sont pas les mouvements sociaux déclenchés contre la loi de EL KHOMI qui vont résoudre le problème.

Que conclure sur ce point?

Notre Thèse sur le Seuil d’endettement supportable soutenue le 11 Décembre 1985 devant l’Université de Bordeaux I en France reste d’actualité.

Dans cette Thèse, nous démontrâmes, après avoir défini le seuil d’endettement supportable, à la suite de KEYNES, comme la capacité maximale d’endettement d’un pays, nous démontrâmes, dis-je, que le dépassement de ce seuil plongeait inexorablement le pays dans un état de crise généralisée, avec érosion de la croissance et donc de l’emploi et donc des revenus et donc de la consommation et de l’épargne.

Nous démontrâmes que c’était le cas des pays en développement dans la décennie 80.

Nous venons de démontrer que c’est le cas des pays développés à l’heure actuelle.

Autant il était conseillé aux Etats des pays en développement en crise via les institutions de Bretton Woods de se retirer de l’économie et de mener des plans d’austérité, autant les pays développés ne semblent pas accepter des programmes d’austérité ; comme on peut le voir aujourd’hui avec les cas de la France et surtout de la Grèce.

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On peut dès lors se poser la question de savoir s’il y a une différence de nature ou simplement une différence de degré entre la crise de la dette des pays en développement et la crise de la dette des pays développés.

L’actualité de la pensée keynésienne peut enfin s’apprécier par rapport à la controverse sur l’efficacité de la politique économique.

III – L’efficacité de la politique économique

Père de la macroéconomie, John Maynard KEYNES est également le père de la politique économique en tant qu’intervention systématique de l’Etat pour réguler les cycles économiques et répondre aux imperfections du marché.

Mais peut-on garantir l’efficacité de la politique économique ou de façon générale de l’intervention de l’Etat ?

La pensée néo-classique a fait montre d’une ingéniosité débordante pour essayer de démontrer l’inefficacité des politiques économiques et de l’intervention de l’Etat.

Qu’il s’agisse de la théorie de l’incohérence temporelle développée à partir de l’article de KYDLAND & PRESCOTT de 1977, « Rules rather than discretion : the inconsistancy of optimal plans», qu’il s’agisse de la remise au goût du jour par R. BARRO du théorème d’équivalence ricardienne, qu’il s’agisse de la théorie des cycles politico-économiques, qu’il s’agisse des analyses des droits de propriété à partir du théorème de COASE pour

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gérer les externalités, qu’il s’agisse de l’école du Public Choice fondée par James Buchanan et Gordon Tullock pour stigmatiser la bureaucratie et discriminer l’agenda public des agendas privés, ou qu’il s’agisse de l’économie de l’offre magnifiant l’effet d’éviction de l’investissement privé par l’investissement public, toute cette armada théorique néoclassique(7) a pour ambition ultime de démontrer l’inefficacité des politiques économiques et de l’intervention de l’Etat, ou à tout le moins, la sous-optimalité au sens de______________(7) Voir, par exemple, MAYEUR (A.) (2011), Macroéconomie, Paris, Nathan Sup.

PARETO des interventions publiques.Et pourtant, sur le plan empirique, l’on ne

connait pas un seul pays dans le monde qui ne mène de politique économique ou fait l’économie de l’intervention de l’Etat.

Dans notre contribution intitulée « Pour la mort de l’Etat en Afrique, de quel Etat faut-il souhaiter la mort ? », à l’ouvrage collectif, co-dirigé avec les Professeurs BEKOLO EBE, TOUNA MAMA et Séraphin Magloire FOUDA, sur Mondialisation, Exclusion et Développement africain(8), nous soutenions, d’ailleurs à la suite de John Maynard KEYNES lui-même, que « l’important pour l’Etat n’est pas de faire ce que les individus font déjà et de le faire un peu mieux ou un peu moins mal, mais de faire ce que personne d’autre ne fait »(9).

Et, en ce qui concerne particulièrement les pays sous-développés, nous sommes d’accord avec l’économiste japonais WATANABE que « le rattrapage des pays en développement(…) nécessite une intervention active des pouvoirs publics. Il s’agit là d’une évidence que nous enseigne l’histoire »(10).

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S’il faut donc souhaiter la mort de l’Etat, ce serait la mort de "l’Etat mou" que décriait le Prix Nobel Gunnar Myrdal dans le Drame de l’Asie, c’est-à-dire un Etat obstacle au développement, parce qu’incapable de vision et de stratégie, faible en leadership et finalement n’ayant ni la volonté ni la capacité de mener une politique économique crédible parce qu’ayant une mauvaise réputation.

_____________________(8) BEKOLO EBE, TOUNA MAMA et FOUDA Séraphin (2006), Mondialisation, Exclusion et Développement africain, Tome 2, Paris, Maisonneuve &Larose, p. 453 et ss.(9) J.M. KEYNES, (1924), The end of laissez-faire, The Collected Writings, Mac Millan.(10) WATANABE (S.) (1997), « Quo vadisAfrica ? La stratégie de développement de la Banque Mondiale vue par le Japon » Revue Tiers-Monde,Tome XXXVIII, n° 150, Avril-Juin.

Conclusion Générale : KEYNES for ever.

Que conclure en définitive ?

L’Université de Dschang m’a demandé de prononcer une Conférence sur « L’actualité de la pensée Keynésienne ».

J’ai montré dans une première partie l’actualité du rôle économique dévolue à l’Etat par KEYNES face à la crise financière internationale contemporaine.

J’ai montré dans une seconde partie l’actualité de la problématique keynésienne des transferts internationaux face à la crise contemporaine de la dette souveraine.

J’ai montré dans une troisième partie la nécessité d’une politique économique crédible face à la controverse sur l’efficacité de la politique économique.

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J’ai finalement le sentiment que plus que l’actualité de la pensée keynésienne, j’ai montré que KEYNES est « immortel ».

Je vous remercie, si je vous ai convaincus.

Bibliographie

1. Gill (L.) (2011),La crise financière et monétaire mondiale : Endettement, spéculation, austérité, Montréal, Méditeur, Collection Mobilisations.

2. KEYNES(J.M.)(1919),The economic consequences of the Peace, in Collected Writings of J.M. KEYNES, II, McMillan, 1971.

3. KEYNES (J.M.)(1929), in Economic Articles and correspondence Academic, The Collected Writings of John Maynard KEYNES, Vol XI, MacMillan, 1983.

4. KEYNES (J.M.) (1936), The general Theory of Employment, Interest and

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Money, The Collected Writings of John Maynard KEYNES, Vol. VII, McMillan, 1973.

5. MAYEUR (A.) (2011), Macroéconomie, Paris, Nathan, Sup.

6. POULON (F.) (1985), Les écrits de KEYNES, (Dir.), Paris, Dunod.

7. POULON (F.) (2000), La pensée économique de KEYNES, Paris, Dunod, les Topos.

8. POULON–LAFAYE (N.) (1988), « La controverse de 1929 entre KEYNES, OHLIN et RUEFF sur le problème des transferts internationaux est-elle anachronique ? », Economies et Sociétés n° 9.

9. TOUNA MAMA (1985),L’endettement supportable pour un pays en développement, Thèse de Doctorat d’Etat en Sciences Economiques, Université de BordeauxI. 11 Décembre.

10. TOUNA MAMA (2006), « Pour la mort de l’Etat en Afrique. De quel Etat faut-il souhaiter la mort ? », in BEKOLO EBE, TOUNA MAMA et FOUDA Séraphin Magloire, Mondialisation, exclusion et développement africain, Paris, Maisonneuve &Larose.

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11. TOUNA MAMA (2008), « La crise financière internationale et la résurrection de KEYNES », Cameroon Tribune, 27 Octobre.

12. TOUNA MAMA (2008), « Crise financière, triomphe de Barack OBAMA et fin de la Pensée Unique néo-libérale », Cameroon Tribune, 27 Novembre.

13. TOUNA MAMA (2009), « Le G20 au chevet de l’économie mondiale : Redéfinir les règles du jeu », Cameroon Tribune, 02 Avril.

14. TOUNA MAMA et TSAFACK NANFOSSO R. (2009), « La crise financière internationale et ses conséquences sur les économies africaines », AERC Senior Policy Seminar XI, Avril.

15. TOUNA MAMA (2011), « Crise de la dette : l’incertitude persiste », Cameroon Tribune, 10 Août.