L’acide zolédronique et métastases osseuses : revue systématique de la littérature

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SYNTHÈSE Médecine palliative 118 N° 3 – Juin 2005 Med Pal 2005; 4: 118-124 © Masson, Paris, 2005, Tous droits réservés L’acide zolédronique et métastases osseuses : revue systématique de la littérature Roger Ladouceur (photo), Médecin de famille et en soins palliatifs, Centre Hospitalier de Verdun, Clinique de Médecine Familiale, Québec, Canada. Introduction De nombreuses personnes souffrant d’un cancer ont des métastases osseuses. Dans le myélome multiple, par définition, presque toutes en développent [1]. Dans le can- cer du sein, au moment même où la maladie est décou- verte, 30 % des femmes ont déjà des métastases osseuses et éventuellement 80 % en auront [2, 3]. Dans le cancer de la prostate, le phénomène est semblable [4, 5]. Et plu- sieurs autres cancers, comme le cancer du poumon, le cancer du rein, les cancers oro-pharyngés et faciaux, ten- dent à se propager aux os. Le cancer du rein, par exemple, est actuellement en nette progression en Amérique et en Scandinavie : aux États-Unis, chaque année, quelque 30 000 nouveaux cas sont découverts et de ce nombre, près de 30 % développeront des métastases osseuses [6, 7]. Vingt-deux pour-cent (22 %) des cancers de la vessie envahissant le détrusor se manifestent par des métastases osseuses, découvertes souvent même avant même que le primaire ne soit identifié [8, 9]. Dans le cancer du pou- mon, 30 à 40 % des patients auront des métastases os- seuses [10, 11]. Non seulement ce phénomène est fréquent, mais en- core engendre-t-il une morbidité significative et compro- met-il sérieusement la qualité de vie des patients qui en sont atteints [12]. Les métastases osseuses sont responsa- bles de fractures pathologiques, de compressions médul- laires et d’hypercalcémie maligne qui nécessitent des in- terventions spécifiques. Par exemple, dans le cancer rénal avec métastases osseuses, 81 % des patients auront besoin de radiothérapie, 42 % subiront des fractures des os longs, et 28 % nécessiteront une chirurgie orthopédique ou ma- nifesteront une hypercalcémie au cours de leur maladie [13]. Les biphosphonates constituent le traitement usuel des métastases osseuses associées au cancer du sein et au myélome multiple. Ces médicaments empêchent la ré- sorption osseuse médiées par les ostéoclastes. Les bis- phosphonates, particulièrement le pamidronate intravei- neux, ont été abondamment utilisés pour le traitement des métastases osseuses associées au cancer du sein mé- tastatique et le myélome multiple dans le but de réduire la morbidité squelettique, les fractures pathologiques, les besoins de radiothérapie palliative ou préventive, les chi- rurgies orthopédiques et l’incidence d’hypercalcémie [14, 15]. Actuellement, en Amérique du Nord et en Europe, ils représentent le traitement standard des patients avec métastases ostéolytiques. Cependant, ce médicament est peu efficace pour les métastases osseuses prostatiques [16]. Peu d’études ont évalué sont efficacité dans les tu- meurs solides autres que les cancers du sein ou le myé- lome multiple. Or, voilà qu’au Canada, depuis le 4 février 2003, une nouvelle bisphosphonate, l’acide zolédronique (Zometa ® ), est reconnue pour le traitement des métastases osseuses provenant de tumeurs solides et le traitement de l’ostéo- lyse du myélome multiple, de concert avec un traitement de base pour prévenir ou retarder les complications pos- sibles provenant de lésions osseuses [17]. Auparavant, l’acide zolédronique était réservé au traitement de l’hy- percalcémie d’origine tumorale et le traitement des mé- tastases osseuses (de type ostéoblastique ou mixte, à la fois ostéoblastique et ostéolytique-) associées au cancer de la prostate. C’est donc dire que dorénavant, cette bis- phosphonate pourra être prescrite pour le traitement d’un large éventail de métastases osseuses : myélomes multiples, cancer du sein, cancer de la prostate, cancer du poumon non à petites cellules, adénocarcinome à cel- lules claires du rein et tout autre type de tumeurs solides. Néanmoins, ce médicament est dispendieux : il coûte 519,75 $ pour 4 mg [18]. Selon la monographie du pro- duit, il est recommandé de l’administrer toutes les 3 à 4 semaines, ce qui signifie que le coût annuel du traite- ment oscillera autour de 8 000 $ par personne (ou plus précisément, 6 756 $ ou 9 009 $ selon que le médica- ment est donné à 3 ou 4 semaines). La question est donc de savoir si ce médicament est vraiment efficace et si, comme société, nous avons les moyens de nous l’offrir. Cet article tâche de répondre à ces questions. Ladouceur R. L’acide zolédronique et métastases osseuses : revue systématique de la littérature. Med Pal 2005; 4: 118-124. Adresse pour la correspondance : Roger Ladouceur, Centre Hospitalier de Verdun, Clinique de Médecine Familiale, Québec, Canada, H4G 2A3. e-mail : [email protected]

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Médecine palliative

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N° 3 – Juin 2005

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© Masson, Paris, 2005, Tous droits réservés

L’acide zolédronique et métastases osseuses : revue systématique de la littérature

Roger Ladouceur (photo), Médecin de famille et en soins palliatifs, Centre Hospitalier de Verdun, Clinique de Médecine Familiale, Québec, Canada.

Introduction

De nombreuses personnes souffrant d’un cancer ontdes métastases osseuses. Dans le myélome multiple, pardéfinition, presque toutes en développent [1]. Dans le can-cer du sein, au moment même où la maladie est décou-verte, 30 % des femmes ont déjà des métastases osseuseset éventuellement 80 % en auront [2, 3]. Dans le cancerde la prostate, le phénomène est semblable [4, 5]. Et plu-sieurs autres cancers, comme le cancer du poumon, lecancer du rein, les cancers oro-pharyngés et faciaux, ten-dent à se propager aux os. Le cancer du rein, par exemple,est actuellement en nette progression en Amérique et enScandinavie : aux États-Unis, chaque année, quelque30 000 nouveaux cas sont découverts et de ce nombre,près de 30 % développeront des métastases osseuses [6,7]. Vingt-deux pour-cent (22 %) des cancers de la vessieenvahissant le détrusor se manifestent par des métastasesosseuses, découvertes souvent même avant même que leprimaire ne soit identifié [8, 9]. Dans le cancer du pou-mon, 30 à 40 % des patients auront des métastases os-seuses [10, 11].

Non seulement ce phénomène est fréquent, mais en-core engendre-t-il une morbidité significative et compro-met-il sérieusement la qualité de vie des patients qui ensont atteints [12]. Les métastases osseuses sont responsa-bles de fractures pathologiques, de compressions médul-laires et d’hypercalcémie maligne qui nécessitent des in-terventions spécifiques. Par exemple, dans le cancer rénalavec métastases osseuses, 81 % des patients auront besoinde radiothérapie, 42 % subiront des fractures des os longs,et 28 % nécessiteront une chirurgie orthopédique ou ma-nifesteront une hypercalcémie au cours de leur maladie[13].

Les biphosphonates constituent le traitement usueldes métastases osseuses associées au cancer du sein etau myélome multiple. Ces médicaments empêchent la ré-sorption osseuse médiées par les ostéoclastes. Les bis-phosphonates, particulièrement le pamidronate intravei-neux, ont été abondamment utilisés pour le traitement

des métastases osseuses associées au cancer du sein mé-tastatique et le myélome multiple dans le but de réduirela morbidité squelettique, les fractures pathologiques, lesbesoins de radiothérapie palliative ou préventive, les chi-rurgies orthopédiques et l’incidence d’hypercalcémie [14,15]. Actuellement, en Amérique du Nord et en Europe,ils représentent le traitement standard des patients avecmétastases ostéolytiques. Cependant, ce médicament estpeu efficace pour les métastases osseuses prostatiques[16]. Peu d’études ont évalué sont efficacité dans les tu-meurs solides autres que les cancers du sein ou le myé-lome multiple.

Or, voilà qu’au Canada, depuis le 4 février 2003, unenouvelle bisphosphonate, l’acide zolédronique (Zometa

®

),est reconnue pour le traitement des métastases osseusesprovenant de tumeurs solides et le traitement de l’ostéo-lyse du myélome multiple, de concert avec un traitementde base pour prévenir ou retarder les complications pos-sibles provenant de lésions osseuses [17]. Auparavant,l’acide zolédronique était réservé au traitement de l’hy-percalcémie d’origine tumorale et le traitement des mé-tastases osseuses (de type ostéoblastique ou mixte, à lafois ostéoblastique et ostéolytique-) associées au cancerde la prostate. C’est donc dire que dorénavant, cette bis-phosphonate pourra être prescrite pour le traitementd’un large éventail de métastases osseuses : myélomesmultiples, cancer du sein, cancer de la prostate, cancerdu poumon non à petites cellules, adénocarcinome à cel-lules claires du rein et tout autre type de tumeurs solides.Néanmoins, ce médicament est dispendieux : il coûte519,75 $ pour 4 mg [18]. Selon la monographie du pro-duit, il est recommandé de l’administrer toutes les 3 à4 semaines, ce qui signifie que le coût annuel du traite-ment oscillera autour de 8 000 $ par personne (ou plusprécisément, 6 756 $ ou 9 009 $ selon que le médica-ment est donné à 3 ou 4 semaines).

La question est donc de savoir si ce médicament estvraiment efficace et si, comme société, nous avons lesmoyens de nous l’offrir. Cet article tâche de répondre àces questions.

Ladouceur R. L’acide zolédronique et métastases osseuses : revue systématique

de la littérature. Med Pal 2005; 4: 118-124.

Adresse pour la correspondance :

Roger Ladouceur, Centre Hospitalier de Verdun, Clinique de Médecine Familiale,

Québec, Canada, H4G 2A3.

e-mail : [email protected]

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Roger Ladouceur

et al.

Revue de la littérature

Pour faire le point sur l’efficacité de l’acide zolédro-nique, nous avons procédé à une revue de la littératureen utilisant les mots-clés suivants : «

Zoledronic Acid

»«

Palliative Care

» « Biphosphonates » «

Bone Metastasis

».Les banques de données

Medline PubMed

et

Cancerlit

ontété mises à contribution. Nous n’avons retenu pour cetteanalyse que les études comparatives contrôlées.

Cancer de la prostate

Acide zolédronique

vs

placebo

En 2002, Saad et al. [19] comparent l’acide zolédroni-que au placebo chez 643 patients souffrant d’un cancerde la prostate hormono-résistant avec métastases osseu-ses. Les participants ont un bon statut clinique (ECOG de0, 1 ou 2), ne reçoivent pas de chimiothérapie et ne re-quièrent pas de fortes doses de narcotiques. L’étude estcontrôlée, à double insu, randomisée et dure 15 mois.L’acide zolédronique est administrée à raison de 4 ou8 mg (cette dose sera subséquemment réduite à 4 mg parcrainte des conséquences rénales) données intraveineuxen 15 minutes à toutes les 3 semaines.

Les auteurs s’intéressent à l’effet du médicament surles évènements squelettiques et leur délai d’apparition. Cescomplications «

Squeletal-related events »

comprennenttoute fracture pathologique, vertébrale ou non, compres-sion médullaire, chirurgie orthopédique, radiothérapie os-seuse y compris les radio-isotopes ou traitement anti-néo-plasique antalgique.

Les résultats montrent que l’acide zolédronique est gé-néralement plus efficace que le placebo : les incidents os-seux surviennent plus fréquemment chez ceux ayant reçule placebo que chez ceux ayant pris l’acide zolédronique4 mg ou 8/4 mg : les taux d’incidents osseux sont respec-tivement de 44,2 %, 38,5 % et 33,2 % ; toutefois, la dif-férence n’est cependant statistiquement significative quepour la posologie de 4 mg. De même manière, le délai mé-dian avant l’apparition d’un premier incident osseux estsupérieur avec 4 mg par rapport à la posologie 8/4 mg ouavec placebo ; ici encore, la différence n’est statistique-ment significative que pour la posologie de 4 mg.

En revanche, une analyse attentive des résultats mon-tre que, même si l’acide zolédronique semble générale-ment supérieur au placebo, la différence n’est statistique-ment différente que lorsqu’on regroupe « tous lesévénements squelettiques » ou « toutes les fractures sque-lettiques ». Prise individuellement, chaque variable – lesfractures vertébrales, les compressions médullaires, les in-dicateurs de douleur, les mesures de qualité de vie, l’évo-lution de la maladie – n’est pas statistiquement différente

dans le groupe sous acide zolédronique ou sous placebo.Le

tableau I

adapté de cette étude résume ces résultats.

Cancer du sein et myélome multiple

Acide zolédronique

vs

pamidronate

En 2001, Berenson et al. [20] publient une premièreétude de phase II comparant l’acide zolédronique au pa-midronate chez 280 patients souffrant d’un cancer du seinou d’un myélome multiple. L’acide zolédronique 4 mg serévèle tout aussi efficace que le pamidronate, et plusefficace que la posologie de 0,4 mg, pour réduire les évé-nements squelettiques, la radiothérapie et l’hypercalcémiemaligne.

Toujours en 2001, Rosen et al. [21] présentent uneétude semblable de phase III où l’acide zolédronique estcomparé au pamidronate chez 1 648 patients souffrantd’un myélome multiple de stade III ou d’un cancer du seinavancé, et au moins une métastase osseuse ; l’échantillonest composé majoritairement de patientes souffrant d’uncancer du sein (69 %) et conséquemment de femmes(82 %). Trois régimes sont utili-sés : l’acide zolédronique 4 mgou 8 mg (cette dose sera subsé-quemment réduite à 4 mg parcrainte des conséquences réna-les), administrée par voie intra-veineuse en 15 minutes, et lepamidronate 90 mg, i.v. en2 heures. Les traitements sont ad-ministrés toutes les 3 à 4 semai-nes pour 12 mois et les résultatsobservés pendant 13 mois. Icicomme précédemment, les auteurss’intéressent à l’effet des médica-ments sur les événements squelettiques et leur délai d’ap-parition. Ces événements «

Squeletal-related events »

comprennent toute fracture pathologique, compressionmédullaire, chirurgie orthopédique, radiothérapie osseuseet, dans ce cas-ci, l’hypercalcémie maligne.

Les résultats montrent que l’acide zolédronique et lepamidronate sont tout aussi efficaces. Il n’existe aucunedifférence significative entre les deux régimes, ni pour lafréquence des incidents osseux, ni pour la douleur, ni pourla progression de la maladie. De fait, la seule variable oùl’acide zolédronique surpasse le pamidronate est au ni-veau de la radiothérapie pour les événements squeletti-ques : les taux annuels sont respectivement de 0,47

±

3,83événements pour l’acide zolédronique comparativement à0,71

±

4,12 avec le pamidronate. Le

tableau II

, adapté decette étude, présente l’ensemble des résultats de cetteétude.

Une analyse attentive des résultats montre que la différence est statistiquement différente lorsqu’on regroupe tous les événements squelettiques.

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Cancers du poumon et autres tumeurs solides

Acide zolédronique

vs

placebo

En 2002, Rosen, à nouveau, s’intéresse cette fois à l’ef-ficacité de l’acide zolédronique pour le traitement des mé-tastases osseuses associées au cancer du poumon et autrestumeurs solides. Les données disponibles sont actuelle-ment très préliminaires et parcellaires [22-25]. De façongénérale, on retient que l’étude compte 773 patients ayantdivers cancers solides autres que les cancers de la prostate

ou du sein : approximativement 50 % ont un cancer dupoumon de type non-à-petites-cellules et 10 % ont uncancer rénal, et les autres arborent l’un ou l’autre des can-cers suivants : rénal, pulmonaire à petites cellules, colo-rectal, vésical, gastro-oesophagien, cervico-facial, méla-nome et thyroïdien ou autre.

Le devis de recherche est semblable aux études préci-tées, c’est-à-dire que les patients reçoivent de l’acide zolé-dronique 4 mg ou 8 mg, ou un placebo ; ici encore, on s’in-téresse aux complications squelettiques et leurs délaisd’apparition ; et comme précédemment, deux amende-ments au protocole de recherche font que la dose d’acide

Tableau I : Incidents squelettiques, qualité de vie et évolution de la maladie chez des patients avec cancer de la prostate hor-mono-résistants et métastases osseuses traités avec l’acide zolédronique ou le placebo*.Table I: Skeletal incidents, quality-of-life, and clinical course in patients with hormone-resistant prostate cancer with bone metastasis treated with

zoledronic acid or placebo*

Variables mesurées chez des patients avec cancer de la prostate hormono-résistant, suivi de 15 mois

Acide Zolédronique

4 mg

Placebo Signification statistique

% P

Incidents squelettiques

Tout événement squelettiqueDélai d’apparition 1er événementTous les fractures pathologiquesFractures vertébralesFractures non vertébralesRadiothérapie osseuseChirurgie osseuseCompression médullaireChangement de Rx antinéoplasiques

33,2> 420 jrs

13,13,710,322,92,34,24,7

44,2321 jrs22,18,215,929,33,46,76,7

0,0210,0110,015

0,053 (N.S)0,092 (N.S)0,130 (N.S)0,514 (N.S)0,256 (N.S)0,362 (N.S)

Qualité de vie

Changement de la douleur(Échelle de 0-10)Score analgésique(Échelle de 0-4)

Statut de performance ECOG

Indicateur de qualité de vie FACT-G

EURO-QOL

↑0,58

↑0,88

↑↑

0,134 (N.S)

N.S.

N.S.

N.S.

N.S.

Évolution de la maladie

Délai avant la progression de la maladie (jours)

84 84 N.S.

Changement de la PSA A. Zolédronique = Placebo N.S.

Survie (jours) 546 464 0,091 (N.S)

* Les résultats obtenus avec l’acide zolédronique 8/4 mg ne sont pas présentés, le protocole amendé et la monographie recommandent l’utilisation de la dose de 4 mg.

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zolédronique est réduite de 8 mg à 4 mg et le tempsd’infusion augmenté de 5 à 15 minutes, par crainte descomplications rénales. Les résultats obtenus avec la dosede 8 mg ne sont pas retenus. En médiane, le traitement estdonné pour 4 mois.

Les résultats dont seules les grandes lignes sont pu-bliées démontrent une supériorité de l’acide zolédronique4 mg sur le placebo : en incluant l’hypercalcémie maligne

dans l’analyse, l’acide zolédronique réduit significative-ment la proportion de patients subissant des événementssquelettiques (38 %

vs

47 % ; P = 0,039), les taux an-nuels de morbidité squelettique (2,2

vs

2,7 ; P = 0,017) etle délai avant la première fracture pathologique. De plusle médicament prolonge le temps avec l’apparition d’unpremier événement squelettique (230

vs

155 jours ;P = 0,007) et avant la première fracture (25

e

percentile,

Tableau II : Myélome multiple et cancer du sein avec métastases osseuses : Incidents squelettiques, douleur/qualité de vie, ré-ponse radiologique et évolution de la maladie chez des patients traités avec l’acide zolédronique* ou le pamidronate.Table II: Multiple myeloma and breast cancer with bone metastases: skeletal incidents, pain/quality-of-life, radiological response and clinical course

in patients treated with zoledronic acid* or pamidronate.

Variables mesurées chez des patients avec myélome multiple et cancer du sein avec métastases osseuses, suivi de 13 mois

Acide Zolédronique

4 mg

Pamidronate90 mg

Signification statistique

Taux événements/annuel P

Événements squelettiques

Tout événement squelettique(sans hypercalcémie)

1,13 1,40 N.S.

Délai d’apparition 1er événement 353 – 373 jours N.S.

Tout événement squelettique(avec hypercalcémie)

1,13 1,47 0,157 (N.S)

Fractures pathologiques 0,62 0,66 N.S.

Fractures vertébrales 0,27 0,27 N.S

Fractures non vertébrales 0,41 0,45 N.S

Compression médullaire 0,03 0,09 N.S.

Radiothérapie osseuse 0,47 0,71 P = 0,018

Chirurgie osseuse 0,05 0,10 N.S

Hypercalcémie 0,02 0,06 N.S

DouleursQualité de vie

Échelle de douleur (BPI)« Brief Pain Inventory » Score d’entrée : 3(0 – 10)

↓(≈0,5) ↓(≈0,5) N.S.

ECOGEastern Cooperative Oncology Group Cancer du sein ↓Myélome multiple =

N.S.

Réponse radiologiqueRéponse partielleAbsence de changementsProgression

17 %30 %40 %

18 %28 %43 %

N.S.N.S.N.S.

Évolution de la maladieDélai médian avant la progression de la maladie (jours)Survie (jours)

136

Non atteint

113

802

N.S.

N.S.

* Les résultats obtenus avec l’acide zolédronique 8/4 mg ne sont pas présentés, le protocole amendé et la monographie recommandent la dose de 4 mg.

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161 jours ; P = 0,031). Selon les auteurs, ce sontles patients qui souffrent des cancers autres que celui dupoumon qui bénéficient le plus des bienfaits de la médi-cation puisque chez ces derniers la différence avant l’ap-parition d’un événement squelettique n’est pas statisti-quement significative. À souligner, en revanche, que lesdonnées disponibles ne nous permettent pas de juger del’effet du médicament sur chaque variable prise isolé-ment, notamment sur la douleur, la qualité de vie et laprogression de la maladie.

Discussion

Cette analyse systématique de la littérature révèle quel’acide zolédronique ne possède qu’une faible valeur théra-peutique. Il est surprenant de noter la multitude de varia-bles spécifiques qui ne présentent aucune différence statis-tique. Dans le cancer de la prostate, aucune des variablesspécifiques observées n’est statistiquement différente duplacebo : la proportion de patients développant des fractu-res vertébrales ou non vertébrales, recevant de la radiothé-rapie, devant être opérés, subissant une compression mé-dullaire ou ayant un changement antalgique.

Dans le cancer du sein et le myélome multiple, aucunedes variables spécifiques mesurées, à l’exception d’uneseule, n’est statistiquement différente du pamidronate.Quant aux autres cancers solides, les données sont troprécentes pour pouvoir conclure sur l’efficacité ou l’ineffi-cacité de médicament sur chacune de ces variables.

Certes, le médicament permet de réduire et retarderl’apparition de l’ensemble des événements squelettiquesd’un large éventail de cancers, notamment ceux de laprostate, du sein, le myélome multiple et d’autres tumeurssolides – poumon, rein et autres. Cependant, ces bienfaitsdeviennent statistiquement significatifs uniquementlorsque l’on considère tous les événements squelettiquescombinés : les fractures vertébrales, les fractures non ver-tébrales, la radiothérapie osseuse, la chirurgie orthopédi-que, les compressions médullaires ou les changementsanti-néoplasiques ; parfois même l’hypercalcémie maligneest aussi incluse dans le calcul. De plus, dans le cancerde la prostate, l’acide zolédronique permet aussi de dimi-nuer significativement l’apparition de toutes les fracturesmais pas les fractures vertébrales ou non vertébrales prisesséparément. Ce phénomène s’explique par le faible effetexercé par le médicament : incapable de se démarquer duplacebo ou du pamidronate pour chaque variable consi-dérée individuellement, mais y arrivant lorsque toutes cessituations fortement intriquées sont combinées. Dans lesfaits, les pires complications pour une personne souffrant

d’un cancer avec métastases osseuses sont certainementles compressions médullaires avec plégies et les fracturesdes os longs, particulièrement les fractures de hanche. Or,dans le cancer de la prostate, l’acide zolédronique n’estpas plus efficace qu’un placebo pour les prévenir ou re-tarder alors que dans le cancer du sein et le myélome, ilne l’est pas davantage que le pamidronate. Par ailleurs, lemédicament n’améliore pas la qualité de vie et soulagepeu les douleurs. Contrairement à la croyance largementvéhiculée, les bisphophanates ont peu d’effet sur la dou-leur. Une revue systématique de la littérature publiée dansla Librairie Cockrane [26] démontre en effet qu’ils ont,tout au plus, un effet modeste, décrit comme «

some ef-fect

» par l’auteur : « There is evidence to support the ef-fectiveness of biphosphonates in providing

some

pain re-lief for bone metastases. There is insufficient evidence torecommand bisphosphonates for immediate effect; as firstline therapy; to define the most effective bisphosphonatesor their relative effectiveness for different primary neo-plasms. Bisphosphonates should be considered whereanalgesics and/or radiotherapy are inadequate for the ma-nagement of painful bone metastases ».

Cette revue de la littérature confirme que l’acide zo-lédronique n’a pas davantage d’effet analgésique : dansle cancer de la prostate, le médicament n’est pas statisti-quement différent du placebo et dans le cancer du sein etle myélome multiple [21], il permet tout comme le pami-dronate une diminution de la douleur d’à peine 0,5 unitéssur une échelle de 10.

Enfin, il s’agit d’un médicament très dispendieux dontle coût pour 4 mg est de 519,75 $ [18]. À titre comparatif,le pamidronate, maintenant générique, coûte 279,00 $pour 90 mg. Comme il est recommandé d’administrer lesmédicaments toutes les 3 à 4 semaines, les coûts annuelssont respectivement de 8 000 $ et 4 000 $ par personne(plus précisément 6 756 $ – 9 009 $ pour l’acide zolédro-nique et 3 627 à 4 836 $ pour le pamidronate, selon qu’ilssont donnés aux 3 ou 4 semaines). L’acide zolédroniqueest donc deux fois plus cher que le pamidronate. Il possèdel’avantage de pouvoir être administré en 15 minutes alorsque le pamidronate doit être donné en 120 minutes. AuQuébec, les coûts sociétaux associés à ce médicament ris-quent d’être faramineux. En effet, si tous les cancéreuxavec métastases osseuses répondant aux critères étaienttraités, il en coûterait quelques 50 millions par année (cal-culé d’après l’incidence annuelle des cancers de la pros-tate, du sein, du myélome multiple et des autres tumeurssolides, et de la proportion de métastases osseuses pourchacun). Ces coûts représentent 50 % des coûts actuels dechimiothérapie au Québec.

Finalement, et surtout, ce médicament ne prolonge pasla survie.

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et al.

Les avantages et inconvénients de l’acide zolédroniquesont repris dans le

tableau III

.

Conclusion

En fin de compte, l’acide zolédronique démontre unefaible valeur thérapeutique et un prix disproportionné, si-non excessif. Ce médicament devrait être utilisé de façonparcimonieuse. Le plus difficile pour les professionnels dela santé et pour les patients sera certainement d’accepterles faits démontrés par les données probantes et ne pas selaisser tenter par l’illusion d’un bénéfice quelconquemême minime, peu importe la valeur thérapeutique et leprix à payer.

Commentaire de la Rédaction :

Le Zometa

®

ne semble pas apporter d’avantages sur le plan clinique parrapport à l’Arédia

®

. Cependant, il présente l’intérêt de pouvoir être administrérapidement (15 minutes) et à domicile.

Références

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Tableau III : Sommaire des avantages et désavantages de l’acide zolédronique.Table III: Advantages and disadvantages of zoledronic acid.

Avantages Désavantages

• Diminue significativement la fréquence de tous les événements squelettiques et retarde leurs l’apparition, et diminue la fréquence de toutes fractures pathologiques dans le cancer de la prostate

• Se donne en 15 minutes

• N’est pas plus efficace que le placebo pour prévenir chaque événement squelettique considéré isolément (cancer de la prostate)

• N’apparaît pas plus efficace que le pamidronate pour réduire les événements squelettiques dans le myélome multiple et le cancer du sein

• Soulage peu la douleur• N’améliore pas la qualité de la vie• Ne prolonge pas la survie• Coûte cher• Coût sociétaux farimineux

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Médecine palliative

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N° 3 – Juin 2005

L’acide zolédronique et métastases osseuses : revue systématique de la littérature

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