L'accès à l'énergie et la précarité énergétique

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CHERCHEURS D’éNERGIES Cahier spécial réalisé avec le soutien de la direction scientifique de ACCèS à L’éNERGIE Un problème, plusieurs solutions PRéCARITé éNERGéTIQUE Entre urgence et prévention Un enjeu sanitaire, économique et social 16. L’accès à l’énergie et la précarité énergétique Tous les deux mois, ce cahier La Recherche vous permet de comprendre les défis technologiques, économiques et environnementaux des énergies. Carte du monde composée à partir des images prises par le satellite de la NASA, Suomi NPP.

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Un problème,plusieurs solutions. Ouvrir l’accès à une énergie moderne et durable dans les pays en voie de développement semble aujourd’hui essentiel, non seulement au bien-être des populations, mais aussi à l’essor de l’économie locale.

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Cahier spécial

réalisé avec le soutien

de la direction scientifique de

accès à l’énergieUn problème, plusieurs solutions

précarité énergétiqueEntre urgence et préventionUn enjeu sanitaire, économique et social

16. l’accès à l’énergie et la précarité énergétique

tous les deux mois, ce cahier La Recherche vous permet de comprendre les défis technologiques, économiques et environnementaux des énergies.

Carte du monde composée à partir des images prises par le satellite de la NASA, Suomi NPP.

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ACCès à l’énergie

Dans le monde, près d’une personne sur cinq n’a pas accès à l’électricité et plus d’une sur trois ne dispose même pas d’une installa-tion de cuisson propre et

sûre. « La question est sans doute tout aussi épineuse en ce qui concerne les problématiques de la réfrigération et de la mobilité. Mais la cuisson et l’éclairage apparaissent vraiment comme deux enjeux prioritaires en termes de développement humain. Pour les populations dites de la base de la pyramide*, celles qui vivent avec moins de 1,5 € par jour, ces deux postes comptent pour quelque 30 % du budget (moins de 10 % pour les popu-

lations des pays de l’OCDE) », précise Thomas Thivillon, responsable des programmes Énergie chez Entrepre-neurs du monde. « Pour plus de 1,3 milliard de personnes qui s’éclairent encore à la bougie ou aux lampes au kérozène, quand le soleil se couche, c’est la vie qui s’arrête. Les enfants ne peuvent plus étudier. Les commerces doivent fermer leurs portes. Et même les discussions entre voisins prennent fin par soucis d’économie », explique Momar Nguer, directeur Afrique/Moyen-Orient de Total Marketing & Services.

L’Afrique et l’Asie rurales sont les plus sérieusement touchées. D’autant que la croissance de la

Un problème, plusieurs solutions Ouvrir l’accès à une énergie moderne et durable dans les pays en voie de développement semble aujourd’hui essentiel, non seulement au bien-être des populations, mais aussi à l’essor de l’économie locale.

population y est plus rapide que celle des réseaux électriques. Un premier rapport rendu dans le cadre de l’initiative « Sustainable Energy for All » lancée par l’ONU avec pour objectif d’offrir à tous, un accès à une énergie moderne, efficace et renouvelable, souligne l’importance d’une implication de l’ensemble des acteurs. Aux côtés des pouvoirs pu-blics et de leurs programmes d’élec-trification à grande échelle, les ONG et leur connaissance du terrain et le secteur privé, son expertise techno-logique et parfois aussi sa puissance financière, ont beaucoup à offrir en la matière.

Des technologies adaptéesLe programme « Rassembleurs d’énergies » (GDF SUEZ) a ainsi permis, par exemple, de soutenir une ONG indonésienne et de finan-cer des études et la construction de microcentrales hydroélectriques sur l’île de Java. De quoi, alimenter 50 000 personnes. Le programme « Bip Bop » (Business, innovation & People at the Base of the Pyra-mide, Schneider Electric), lancé en 2009, quant à lui, a déjà apporté de l’électricité dans près de 2 millions de foyers.

Des expériences riches en en-seignements. Pour électrifier l’en-semble de la planète, il faudra faire coïncider les solutions techniques avec les particularités de chaque région du globe. Laisser les modèles basés sur des réseaux de distribu-tion d’énergie classiques aux zones à forte densité de population, même si des difficultés liées à un manque de moyens de production fiables et à un déficit de maintenance existent. Adopter des systèmes de production et de distribution décentralisés dans les régions plus rurales ou isolées. Et Bernard Saincy, directeur Respon-sabilité sociétale chez GDF SUEZ, de citer l’exemple tout particulier des îles fluviales du nord du Ban-gladesh. « Le solaire photovoltaïque individuel semble tout indiqué dans ce cas-là, compte tenu de l’instabilité de ces îlots. Il a déjà permis d’électrifier

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Longtemps plébiscitée par les grands groupes, la philanthropie pure montre aujourd’hui quelques signes de faiblesse. Alors que les dons se font plus rares, ils continuent de placer ceux qui en bénéficient dans une situation de dépendance. « Et parfois, les actions caritatives desservent même la cause. Par souci d’économie, les produits proposés ne sont pas toujours de bonne qualité et les populations s’en détournent rapidement », raconte Thomas Thivillon, responsable des programmes Énergie chez Entrepreneurs du monde. Alors, « en matière d’accès à l’énergie, il est temps de penser durable », affirme Manoelle Lepoutre, directeur Développement durable et Environnement chez Total. En misant notamment sur l’entreprenariat social, un business model apparu dans les années 1990. « Il s’inscrit dans une logique de pérennité. Des structures sont créées, soutenues et financées avec pour objectif, à moyen terme, d’acquérir leur autonomie puis de porter de nouvelles activités économiques », explique Thomas Thivillon. Pour exemple, les microfranchises énergie mises en place par l’association. Une fois formés à l’utilisation des produits et aux techniques commerciales, les détaillants du réseau bénéficient entre autres d’un appui marketing et logistique et d’avances de stocks. « Ce type de circuit de distribution est, d’autre part, particulièrement adapté aux populations visées. Il permet d’atteindre le consommateur jusqu’au “last mile” sans que les prix des produits n’explosent », conclut Momar Nguer, du groupe Total.

De lA philAnthropie Au DurAble

5 Md d’eurosc’est la somme que Barack Obama allouera sur 5 ans à son programme « Power Africa » destiné à « dou-bler l’accès à l’électricité en Afrique subsaha-rienne ».

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4 villages, et l’objectif est d’apporter ainsi de l’énergie à une population to-tale estimée à 6 millions de personnes. Ces technologies sont nouvelles et le défi qui se présente à nous est de les rendre accessibles aux plus démunis. »

À une échelle encore plus petite, les grands fabricants de systèmes d’éclairage proposent de nou-velles générations de technologies hautement efficaces. Philips, par exemple, installera d’ici à 2015, sur le continent africain, une centaine de « Light Centres » collectifs, équi-pés de systèmes d’éclairage solaire LED dernière génération. Le groupe Schneider Electric propose, de son côté, une lampe LED basse consom-mation conçue pour fonctionner à partir de 3 sources d’énergie diffé-rentes (réseau électrique, solaire, batterie rechargeable) selon la si-tuation. Elle consomme 2 fois moins d’électricité qu’une ampoule basse consommation classique.

Écouter et innover« Elle nous a été inspirée par les re-tours que nous avions de premiers produits mis sur le marché. Tout comme c’est le cas de la solution d’électrification rurale que nous venons de lancer », précise Alban Jacquin, directeur Performance et Communautés chez Schneider Electric. Alimenté par une micro-

centrale solaire qui sert aussi à fournir de l’électricité aux infrastruc-tures (écoles, dispensaires, etc.) et aux petites entreprises locales, un système de pompage de l’eau évite désormais aux populations un fas-tidieux pompage manuel.

Avec le même état d’esprit, le programme « Lighting Africa », ini-tié par la Banque mondiale et IFC en 2010, se concentre lui sur le déve-

loppement des marchés d’un éclai-rage hors réseau plus propre, plus sûr et de meilleure qualité. Objectif : atteindre quelque 250 millions de personnes d’ici à 2030. « Les lampes solaires qui intègrent ce programme sont spécialement conçues pour ré-pondre aux besoins spécifiques des populations de la base de la pyra-mide*. Dans leur design tout d’abord, puisqu’elles peuvent être suspendues au plafond, montées sur un support

ou encore utilisées comme lampes torches. Dans leurs fonctionnalités ensuite, puisqu’elles intègrent de plus en plus des dispositifs de recharge-ment de batteries de téléphones por-tables ou de variation des niveaux de luminosité », explique Russel Sturm, directeur de Lighting Africa.

L’offre « Awango by Total » fait partie du programme. Elle a déjà permis de vendre plus de

Les bénévoles d’Électriciens du monde partagent leurs compétences avec les populations de la base de la pyramide*. Ici, dans la mise en place d’un réseau aérien au Togo et la formation des locaux pour assurer la pérennité de l’action.

pour électrifier la planète, il faudra faire coïncider les solutions techniques avec les particularités de chaque région du globe.

POURCENTAGE DE LA POPULATION SANS ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ CHIFFRES ET PROJECTIONS AGENCE INTERNATIONALE DE L’ÉNERGIE

L’ACCÈS À L’ÉLECTRICITÉ DANS LE MONDE

6 %

9 %31 %

68 %25 %

AMÉRIQUE LATINE0 % EN 2030

AFRIQUESUBSAHARIENNE

INDE

MOYEN-ORIENT0 % EN 2030

PAYS ASIATIQUES EN VOIE DE

DÉVELOPPEMENT

48 % 10 %

14 %

19 %POPULATION

MONDIALE SANS ACCÈS À

L’ÉLECTRICITÉ EN 2010

12 %PROJECTION 2030

PROJECTION 2030

CHIFFRES 2010

*Terme couramment employé dans le secteur de l’entrepreneuriat social.

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>>> 300 000 lampes solaires sur les plus de 4,4 millions vendues dans le cadre de « Lighting Afri-ca ». « Une convergence de facteurs ont mené à une véritable innova-tion. D’une part, la baisse des coûts des batteries lithium-ion, des LED

et des panneaux solaires couplée à une hausse des performances. Et d’autre part, l’idée de penser l’énergie comme un bien de consommation. Avant la plupart des solutions “off grid” nécessitaient l’intervention d’un installateur spécialisé. Aujourd’hui, le consommateur peut acheter une lampe solaire comme il achèterait un ballon de foot. Notre ambition d’ici à 2015 est de vendre un million de lampes solaires qui faciliteront le quotidien d’environ 5 millions de personnes », raconte Emmanuel Léger, responsable du programme chez Total.

Mais ici, l’innovation n’est pas seulement technologique. Elle se cache aussi dans tous les autres mail-lons de la chaîne. Du côté du mar-keting, lorsque des foyers améliorés sont prêtés pour une période test à des restaurants. Du côté de la distri-bution, lorsqu’il s’agit de former et d’encadrer des revendeurs indépen-dants pour atteindre le client final. Ou du côté du financement, lorsque sont mis en place des systèmes de microcrédit. « Ce sont des marchés complexes car totalement différents de ceux dont nous avons l’habitude. Pour réussir, nous devrons rester attentifs à leurs besoins et respecter leurs modes de vie », conclut Alban Jacquin.

ACCès à l’énergie

Une récente étude menée par l’Université de Californie dans cinq pays d’Afrique subsaharienne révèle qu’un quart de la population connaît des problèmes de santé et de sécurité associés à l’éclairage au kérosène (plus fortes incidences de cas de tuberculose, problèmes de cataracte, empoisonnement par ingestion accidentelle, incendies, etc.). Dans le monde, quelque 2,6 milliards de personnes, beaucoup de femmes et d’enfants, seraient ainsi quotidiennement exposées à des fumées toxiques issues de leurs systèmes d’éclairage ou de cuisson. Des fumées qui provoqueraient chaque année environ 1,5 million de morts prématurées. C’est pourquoi l’initiative « Sustainable Energy for All » initiée par l’ONU n’a pas seulement pour objectif d’offrir un accès universel à l’énergie, elle se concentre aussi sur la qualité de cette énergie. « Nous devons remplacer bougies, générateurs diesel et lampes à pétrole par des produits plus propres », confirme Alban Jacquin, chargé du dossier chez Schneider Electric. « Le bénéfice de l’éclairage solaire est facilement perçu par les populations de la base de la pyramide, poursuit Thomas Thivillon, responsable des programmes Énergie chez Entrepreneurs du monde. Il est plus compliqué de les convaincre des bienfaits des foyers améliorés. Mais nous espérons que notre présence sur le terrain, aux côtés des acteurs et des prescripteurs locaux, portera bientôt ses fruits. »

De l’énergie oui, MAis De l’énergie propre

750 Md d’eurosc’est, selon l’Agence internationale de l’énergie, l’investissement qui permettrait d’offrir un accès universel à l’énergie.

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Au Burkina Faso, des enfants révisent leurs leçons à la lumière d’une lampe Awango by Total. Sur le marché des lampes solaires, le rapport perfor-mance (durée de vie des batteries augmentée de 20 % en 2 ans pour atteindre 6 h) et qualité (luminosité moyenne augmen-tée de 30 % en 2 ans pour atteindre 100 lu-mens)/prix (baisse de 30 % du prix des produits entrée de gamme en 2 ans) est aujourd’hui intéressant. De quoi permettre au marché africain de croître encore chaque année de quelque 60 %.

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30 000 c’est le nombre de contrats (électricité, gaz) résiliés en France par les fournis-seurs en 2012. Un chiffre en forte augmen-tation selon le médiateur de l’énergie.

près de 2,5 Md d’eurosc’est la somme affectée aux différents programmes de la stratégie bri-tannique de lutte contre la préca-rité énergétique depuis 2000.

préCArité énergétique

Entre urgence et préventionAugmentation de la pauvreté, logements trop peu performants, hausse des coûts de l’énergie et gaspillage. La problématique de la précarité énergétique est complexe et nécessite à la fois des mesures d’urgence et des programmes de prévention sur les moyen et long termes, mais toujours au plus près du terrain.

La précarité énergétique peut se définir comme la difficul-té pour un foyer à payer les factures d’énergie de son lo-ge ment et principalement celles liées à son chauffage.

Dans les années 1990, le Royaume-Uni a ainsi fixé un seuil de 10 % du budget consacré aux dépenses éner-gétiques au-delà duquel le ménage se trouve en situation de précarité. Un indicateur intéressant mais qui semble aujourd’hui insuffisant.

« Il existe un autre indicateur, ce-lui de la sensation de froid. Il est plus subjectif mais il permet de prendre en compte les personnes qui, pour ne pas dépasser les fameux 10 %, se placent dans une situation de privation de chauffage », explique Michel Gonord, responsable Solidarité chez EDF. Et aujourd’hui, l’Observatoire national de la précarité énergétique, dont le but est d’améliorer la connaissance du phénomène pour mieux orienter les politiques publiques, travaille à la définition d’autres critères. « Le seuil de 10 % inclut des ménages dont les ressources ne sont pas faibles, mais la consommation élevée, parfois parce qu’ils vivent dans des passoires ther-miques. Une réflexion est en cours pour déterminer un indicateur qui intègre mieux la dimension de préca-rité et de fortes dépenses d’énergie », précise Michel Gonord. « L’accès à la mobilité représente un autre aspect de la précarité énergétique, encore mal connu, qui constitue notamment, à lui seul, un frein majeur à l’insertion professionnelle », ajoute Damien Des-jonquères chef de projet Précarité énergétique chez Total.

Difficile donc, d’avancer des données précises. En France, les différentes sources s’accordent

toutefois sur un chiffre avoisinant les 4 millions de foyers.

Payer la factureEn première ligne dans la lutte contre la précarité énergétique, qui est avant tout une lutte contre la précarité au sens global du terme, arrivent les mesures curatives, celles qui doivent permettre aux ménages en difficulté de régler leurs factures énergétiques. Elles se résument en général à la mise en place de tarifs sociaux. Au Royaume-Uni, un pays plutôt à la pointe sur la thématique globale de la précarité énergétique, ces tarifs sont financés directement par les fournis-seurs qui sont contraints de payer un « Warm Home Discount » de quelque 150 € par an (environ 12 % de la fac-ture totale) et par foyer vulnérable. Le tout dans la limite toutefois de 2,07 millions de foyers, ce qui réduit l’efficacité de la mesure puisque dans le pays, 4,75 millions de foyers sont considérés comme précaires.

En France, ce sont les consom-mateurs qui participent à l’effort de financement. Mais, « les tarifs sociaux sont insuffisants. Ils ne permettent pas de limiter les pratiques de privation et excluent une partie de la popula-tion », estime Bertrand Lapostolet, de la Fondation Abbé-Pierre. À l’occa-sion du débat sur la transition éner-gétique, c’est la mise en place d’un véritable bouclier énergétique qui a été proposée. Adaptation du forfait de charge des aides personnelles au logement, création d’un chèque énergie permettant l’achat de sys-tèmes plus efficaces, etc. Toutes les pistes d’amélioration ont été réunies dans un rapport réalisé par l’Ademe et remis au gouvernement au mois de juillet dernier. Un rapport qui estime

à 1 milliard d’euros par an le coût de ces évolutions. « Celui-ci pourrait être financé par une cotisation de solidarité sur l’ensemble des factures d’énergie », suggère Bertrand Lapostolet.

Consommer moinsMais sur le moyen ou le long terme, il semble évident que pour espérer venir à bout du problème de la précarité énergétique, outre les symptômes, il faudra traiter au moins certaines des causes du problème. Et en tête de liste, les performances énergétiques médiocres des logements. Ainsi, pour améliorer l’efficacité énergétique de son parc immobilier, le Royaume-Uni a, par exemple, imaginé un dispositif baptisé « Green Deal ». Lancé en 2013, il permet aux fournisseurs de financer les travaux d’optimisation thermique standards (isolation des combles ou des murs, pose de double vitrage, etc.) de leurs clients. Ils se remboursent ensuite sur la facture d’énergie, qui reste elle inchangée. L’objectif est de rénover ainsi 14 millions de loge-ments d’ici à 2020.

En France, le plan de rénovation thermique souhaité par le gouverne-ment vise, quant à lui, la rénovation de 500 000 logements par an d’ici à 2017. Il s’appuie notamment sur le programme « Habiter mieux » (aides financières de l’Agence nationale de l’habitat et des collectivités et accom-pagnement personnalisé pour la conduite des travaux, budget : 1,35 milliard d’euros), accessible à près de la moitié des propriétaires occupants mais aussi, depuis peu, aux proprié-taires bailleurs qui désirent entre-prendre des travaux permettant une amélioration significative (au moins 25 %) des performances énergétiques d’un logement.

En parallèle, il existe aussi d’autres mesures incitatives comme l’éco-prêt à taux zéro ou le crédit d’impôt développement durable. L’Ademe et les collectivités ont créé des « Espaces info énergie » dans lesquels tout un chacun peut venir chercher une information de proxi-mité sur la problématique du bâti-ment (conseils, adresse de profes-sionnels, etc.) « Au-delà des conseils destinés à l’ensemble des ménages, estime François Moisan de l’Ademe, il est nécessaire de mettre en place

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une filière spécifique de prise en charge des ménages à plus bas revenus avec une aide ciblée. » Notamment par le biais des ambassadeurs de la précarité énergétique. Les premiers d’entre eux devraient être recrutés d’ici à 2015 dans le cadre des emplois d’avenir et déployés sur l’ensemble du territoire. Avec l’aide de tous les acteurs du secteur, ils pourront iden-

La précarité énergétique en europePart de la population touchée par la précarité énergétique sur la base de trois indicateurs différents (chiffres European fuel poverty and energy efficiency, 2005).

22,7 17,2 13,4 12,214,8

9 6,4 3,3 0,1*5,3

INCAPACITÉ DES MÉNAGES À PAYER POUR UN CHAUFFAGE ADÉQUAT

14,6 10,9 6,2 5,79

MAUVAISE QUALITÉ DU LOGEMENT (FUITES, HUMIDITÉ, POURRITURE)

ARRIÉRÉS DE PAIEMENT DES FACTURES (ÉLECTRICITÉ, GAZ, EAU)

* Le régulateur anglais de l’énergie estime le niveau des factures impayées à quelque 12 % !

BELGIQUE ITALIE ESPAGNE FRANCE ROYAUME-UNI

BELGIQUEITALIE ESPAGNE FRANCEROYAUME-UNI

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préCArité énergétique

les nouveaux compteurs intelligents font aussi partie des innovations destinées à limiter les consommations.

tifier les personnes en situation de précarité énergétique, les sensibili-ser à la thématique de la rénovation thermique et, enfin, les informer sur les aides dont ils peuvent bénéficier.

Innover pour économiser Le programme Éco-Habitat, auquel sont associés la Fondation de France et EDF, ambitionne, de son côté, de proposer à des personnes en difficul-té, de travailler elles-mêmes, au côté d’experts conseils, à la réhabilitation de leur logement. Le tout en utilisant un maximum de matériaux verts et disponibles localement. « Les profils de population touchée par la précarité énergétique sont tellement différents que nous avons besoin de dispositifs innovants et complémentaires », assure Michel Gonord.

Y compris d’un point de vue stricte-ment technologique. « L’Ademe soutient des programmes de R & D, que ce soit dans des laboratoires publics ou dans des entreprises privées. Nous avons besoin de développer des technologies qui per-mettent d’optimiser les consommations ou qui soient elles-mêmes plus efficaces énergétiquement. Et pas seulement à des-tination des populations en situation de précarité énergétique », poursuit Fran-çois Moisan. D’autant qu’en la matière une difficulté subsiste. Les appareils les plus efficaces sont en effet généra-lement aussi les plus chers, ce qui les rend inaccessibles aux personnes en situation de précarité.

Les nouveaux compteurs intelli-gents font aussi partie des innovations destinées à limiter les consommations. Ils permettent de suivre les consom-mations, de repérer les gaspillages ou encore d’identifier les postes qui coûtent le plus cher. Les économies d’énergie sont réelles. « Elles s’appuie-ront sur une palette de possibilité : d’une simple information plus fréquente jusqu’à des services plus évolués. La clé pour faire des économies d’argent sera dans les comportements. Et c’est d’ores et déjà possible », indique Michel Gonord. Il préconise donc en premier lieu, et sans attendre la mise en place de compteurs intelligents, de travail-ler sur l’efficacité des programmes de conseil aux usages. « Nous proposons, à des clients en situation de précarité, des kits de maîtrise de la demande d’éner-gie qui incluent des ampoules basse consommation ou encore des systèmes coupe-veille. Ils nous permettent ensuite d’entamer la discussion et de convaincre les consommateurs de l’efficacité de ce que nous nommons les éco-gestes », conclut-il.

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Ce cahier spécial la été réalisé avec le soutien de la direction scientifique de

Comité éditorial : Jean-François Minster, Total - Olivier Appert, IFP Énergies nouvelles - François Moisan, ADEME - Bernard Salha, EDF - Bernard Tardieu, Académie des technologies - Marc Florette, GDF Suez.Rédaction : Nathalie MayerConception graphique et réalisation : A noir,Crédits photographiques : NASA Earth Observatory/NOAA NGDC, www.electriciensdumonde.free.fr/François Lambert, Patrick Sordoillet/TOTAL Retrouvez ce cahier spécial en français et en anglais sur le site

préCArité énergétique

Florence gilbert Directrice de Voiture & co, acteur associatif reconnu de la mobilité en France, qui a pour vocation d’accompagner tous les publics vers une mobilité durable, solidaire et respectueuse de l’environnement.

Un enjeu sanitaire, économique et social

Que sait-on des impacts de la précarité énergétique sur la santé, d’une part, et sur l’insertion sociale et professionnelle, d’autre part ?Bertrand Lapostolet : Le premier constat que l’on peut facilement faire, c’est que l’utilisation de systèmes de chauffage d’appoint par des personnes qui se trouvent en situation de précarité énergétique (au moins 15 % des ménages en France) pose des problèmes de sécurité (incendies, brû-lures, intoxications, etc.). D’un point de vue social, se priver de chauffage a aussi des implications, comme la difficulté à recevoir des amis ou, pour les enfants, à faire leurs devoirs dans de bonnes conditions. Au-delà de cela, des travaux commencent à révéler que la privation de chauffage a de véritables impacts sur la santé publique. La Fondation Abbé-Pierre a ainsi pris l’initiative très récemment de lancer une étude sur la question sur deux territoires climatique-ment différents : l’Hérault et la région de Douai. Les résultats seront rendus le 12 décembre 2013 au CESE (Paris), mais nous pouvons déjà annoncer qu’elle révèle une véritable influence de la précarité énergétique sur un certain nombre de patholo-gies (maladies respiratoires chroniques et maladies cardio-vasculaires).

Florence Gilbert : En France, on s’aperçoit que de nom-breuses pertes d’emploi sont liées à des problèmes de mobilité, des problèmes qui eux-mêmes peuvent être rapprochés de situations de

précarité énergétique. Selon les premières conclusions d’une étude menée à l’ini-tiative de Total et Voiture & co et qui sera diffusée fin 2013, plus de 7 millions de personnes et 20 % de la popu-lation active souffriraient, dans notre pays, de difficultés à se déplacer.

Quelles solutions peut-on proposer ?B. L. : La première chose à faire, c’est d’apprendre à mieux connaître le phé-nomène. Nous savons que l’inaction a un coût mais encore faut-il savoir l’estimer pour convaincre les pouvoirs publics et les industriels qu’en matière de précarité énergétique il ne s’agit pas de dépenser mais plutôt d’inves-tir. Dans l’habitat, notam-ment. Une étude anglaise, par exemple, a montré que 1 € investi pour rendre un logement chauffable permet d’économiser 0,42 € sur les dépenses de santé. Pour aller plus loin, il faudra aussi prendre en compte la problématique de la mobilité. Aujourd’hui, la définition de la précarité énergétique n’en tient pas compte. Pourtant, pour une grande partie de la population, le budget trans-port est lui aussi grandissant, que ce soit dû au fait de l’éloi-gnement des centres urbains ou de la hausse du prix des carburants.

F. G. : Voiture & co a mis en place, sur tous les types de territoires (urbain, périur-bain et rural), une quinzaine de plates-formes de mobi-lité, des lieux d’accueil sur lesquels nous recevons des personnes en insertion ou des travailleurs en difficulté.

Selon le cas, nous pouvons proposer, de manière indépendante ou couplée, des offres de location, des solutions de covoiturage ou des accompagnements psy-chologiques. À l’avenir, nous espérons doubler le nombre de nos plates-formes et pou-voir nous ouvrir à d’autres publics, les personnes âgées ou les personnes en situation de handicap, par exemple. Nous travaillons aussi avec des constructeurs à la créa-tion de garages solidaires qui permettent aux per-sonnes en difficulté de faire réparer leurs voitures à moindre frais.

Avez-vous des résultats ?F. G. : Plus de la moitié des personnes (58 %) que nous accompagnons retrouvent un emploi. C’est pour nous la preuve de l’importance de la problématique de la mobilité. Et de plus en plus d’entre-prises s’adressent à nous afin de trouver des solutions pour leurs employés. Dans le sec-teur du service à la personne, par exemple, dans lequel être mobile est indispensable.

bertrand lapostoletResponsable de programme Précarité énergétique à la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des personnes défavorisées.