Revue Annales du patrimoine Université de Mostaganem, N° 12 - 2012
LABORATOIRE DE CRÉATION D OUTILS …2 EDITIONS ANWAR EL MAÂRIFA *** Dépôt légal : 2480-2013...
Transcript of LABORATOIRE DE CRÉATION D OUTILS …2 EDITIONS ANWAR EL MAÂRIFA *** Dépôt légal : 2480-2013...
LABORATOIRE DE CRÉATION D’OUTILS
PÉDAGOGIQUES EN LANGUES ÉTRANGERES
PASSERELLE
N° 5
DIScOURS ET CONTEXTE
Réseau avec le projet PNR
Analyse du Discours et des Objets Signifiants
Edition ANWAR EL MAARIFA
MARS 2013
2
EDITIONS ANWAR EL MAÂRIFA
***
Dépôt légal : 2480-2013
ISSN1112-6337 Cité du 20 Août «Ex Cia»
BT 100 A Bis N°: 40 Mostaganem – Algérie Tél :045 30 71 84 / fax : 045 30 84 93 GSM : 0770 37 45 97
Email : [email protected]
3
LABORATOIRE DE CRÉATION D‘OUTILS
PÉDAGOGIQUES EN LANGUES ÉTRANGERES
PASSERELLE
N° 5
Discours ET contexte
Réseau avec le projet PNR
Analyse du Discours et des Objets Signifiants
MARS 2013
Les opinions émises dans les articles publiés n‘engagent que la
responsabilité de leurs auteurs
4
Comité Scientifique : Chiali Lalaoui Fatéma-Zohra, Benmoussat Boume-
diène, Driss Ablali, Dominique Maingueneau, Tabet
Aoul Zoulikha, Michel Bernard, Moussaoui Meriem,
Moulfi Leïla, Jean-François Jandillou, Khelladi Zou-
bida, Bensalah Mohamed, Belkhenchir Khadoudja,
Bary Osmane, Mehadji Rahmouna, Hamidou Nabi-
la, Hendels Ralph, Lakhdar Barka Ferida, Bey Omar
Rachida, Miri Benabdellah Imèn, Kheira Merine.
5
LABORATOIRE DE RECHERCHE CREATION
D’OUTILS PEDAGOGIQUES EN LANGUES
ETRANGERES
LOAPL Université d’Oran
Faculté des Langues, des Lettres et des Arts
Directrice du Laboratoire Pr. Chiali Fatima-Zohra Objectifs du Laboratoire
Ce laboratoire se compose de chercheurs appartenant à
différentes sections de la Faculté des Langues, des Lettres,
et des Arts, plus particulièrement : Français, Anglais et Es-
pagnol. Notre collaboration s‘explique par le fait que, à partir
des axes sélectionnés, nous poursuivons le travail sur les pro-
grammes universitaires par la mise en route de manuels pour
l‘enseignement supérieur, ainsi qu‘une réflexion sur les ap-
ports des théories nouvelles.
Axes de Recherches
- Didactique des Langues Etrangères :
Français/Anglais/Espagnol),
- Linguistique appliquée, Analyse du Discours, Numérisation
- Littérature Arabe, Hispanique, Française, Anglaise
6
Avant-propos
Dans ce numéro, il s‘agit de sélectionner parmi les mu-
tiples articles issus de rencontres scientifiques portant sur le
Discours et son Contexte, celles qui ont interrogé de manière
innovante la/les relations qui relie(nt) le Contexte avec ses ma-
nifestations discursives sous forme d‘images, de paratexte, de
texte, d‘espaces circonscrits…
Autant d‘objets signifiants qui deviennent des « mo-
ments » localisés d‘analyses et d‘approches croisées. Croiser
analyse du discours et contexte, dégager en particulier la pesée
du contexte sur la notion de matérialité discursive, tel est
l‘objectif de ce numéro édité par notre laboratoire. La notion
d‘analyse de discours est ici abordée de façon large, en
l‘ouvrant à la théorie des actes de langage, la sociolinguistique
des interactions, l‘ethnographie de la communication, la prag-
matique, l‘analyse conversationnelle, la praxématique, les théo-
ries de l‘énonciation, la linguistique textuelle appliquée au texte
littéraire et non littéraire.
La notion de contexte, quant à elle, est comprise comme
l‘ensemble des éléments nécessaires à l‘interprétation/ produc-
tion du discours oral ou écrit. Cette définition permet
d‘envisager le contexte dans des dimensions variées, qu‘il
s‘agisse- de façon non exclusive- du cotexte (environnement
discursif), de la situation de communication externe ‗cadre par-
ticipatif, cadre spatio-temporel et finalité(s) du discours), des
connaissances encyclopédiques, culturelles et discursives (no-
tamment la maitrise des genres de discours). Le contexte de-
vient un environnement discursif qui intéresse tout un chacun :
- Sciences du langage,
- Littérature,
- Didactique appliquée.
7
Cette simple définition montre la diversité des configu-
rations pouvant être obtenues à partir du croisement de deux
notions mises en relation dans le titre : analyse du discours,
contexte ; ce que tente de signifier leur mise en pluriel. La rela-
tion entre analyse du discours et contexte mérite d‘être obser-
vée, décrite et discutée, eu égard à la variété des configurations
possibles.
Ainsi, les auteurs des articles présents dans ce numéro
Discours et Contexte ont confrontés leurs réflexions sur des
problématiques multiples :
- Comment utilise-t-on le contexte et quelle place lui réserver
dans l‘analyse du discours ?
- Le contexte, outil méthodologique ou réalité extérieure à
l‘analyse ?
- Le contexte est-il dynamique ? quelles peuvent être ses li-
mites ?
- Quel contexte choisir et quelle validité en attendre ?
- Quel est le degré de prise en charge par l‘analyste ?
- Quelle est la relation entre le contexte et
l‘interdiscours/dialogisme ?
- Quelle est la place de l‘analyste dans l‘interprétation du
contexte ?
- Le contexte est-il sujet à variation interculturelle ?
8
SOMMAIRE
CHIALI F.Z
L‘imaginaire linguistique : Décrire et comprendre ................... 11
KALINA YANEVA
Importance du contexte en didactique des langues : Application
en aphasiologie. ......................................................................... 23
TABET AOUL ZOULIKHA
L‘extrême contemporain dans le paysage littéraire algérien :
Parcours d‘auteurs et de sujets. ................................................. 44
AZOUZI AMAR
Le contexte, les mots et le sens ou de la définition au discours
dictionnarique ............................................................................ 56
DR DONALD VESSAH NGOU - LABORATOIRE
MODYCO -
Le pronom nous dans la trilogie de Léonora Miano, esquisse
d‘une interprétation modulée du discours. ............................... 77
KHELLADI- HAMZA ZOUBIDA
Les proverbes de Don Quichotte dans le discours .................... 93
9
BAGHADID-MAATI HALIMA
El contexto desde un punto de vista didàctico ........................ 102
MELIANI MOHAMED
حوخؿ١ش حيحه١ش حؿؼ١خص ح١خق حض ........................................ 108
BENSALAH MOHAMED
Discours filmiques, mémoires et contextes révolutionnaires :
Eléments pour un débat ........................................................... 123
HAOUAS-LAZREG KHEIRA ZOHRA
Yasmina Khadra : De la paratopie familiale à la Paratopie
créatrice ................................................................................... 149
MAHDI FATÉMA-ZOHRA
La sémiotique dans l‘œuvre dramatique Eloisa esta debajo de un
almendro .................................................................................. 160
SELKA NADJIBA
La littérature de l‘émigration comme contexte d‘émergence .. 172
HAMMOUCHE- BEY OMAR RACHIDA
L‘Espagne des années 50 et 60 à travers deux romans de Luis
Pérez Romero : La Noria et La Corriente ............................... 182
10
SAHBI FAYÇAL
Réception et contexte dans le cinéma : De la sémiotique à la
sémiopragmatique ................................................................... 197
KAZDARLI KHADIDJA
Le contexte introducteur du discours raconté dans le rocher de
tanios d‘Amin Maalouf ........................................................... 212
HAOUAM LEÏLA
Communiquer analyser le rôle du contexte dans l‘interprétation
du vêtement ............................................................................. 231
HARIG-BENMOSTEFA FATIMA ZOHRA
L‘importance des savoirs socio-culturels dans la traduction et la
construction du sens : L‘actualisation de l‘emprunt lexical dans
le discours ................................................................................ 256
BELKHOUS DIHIA
Contexte historique et discours de la dénonciation dans Le
dernier été de la raison de Tahar Djaout ................................. 283
11
CHIALI F.Z.
Pr.Université d’Oran
L’imaginaire linguistique : Décrire et comprendre
Résumé
Souvent au centre de conflits idéologique, culturel
et même spatial, les rapports de la langue française
avec la langue, la société, l‘individu algérien n‘ont ces-
sé d‘évoluer. Nous proposons une réflexion, non pas
sur ces rapports mais sur la représentation de la langue
française en tant que variété algérienne de par sa pré-
sence dans l‘institution officielle comme dans la cons-
truction identitaire nationale. En venant alors à se de-
mander quel rôle joue-t-elle au niveau des représenta-
tions comme des conduites langagières? Et enfin quels
rapports entretient-elle avec les différentes langues al-
gériennes?
Mots clés
Langue nationale/étrangère, représentation de la
langue/variété « français/algérien »
Ce bilan tente de décrire en l‘analysant les repré-
sentations des locuteurs algériens dans l‘univers des
imaginaires linguistiques qui les a façonnés avant,
pendant et après le régime colonial français.
12
Introduction
Contrairement à une idée largement partagée, la
société algérienne n'est pas une société bilingue ou bi-
culturelle, comme le soutiennent les thèses officielles.
Le bilinguisme ou le biculturalisme officiels et par cer-
tains aspects académiques, nourrissent une occultation
dont l'objectif principal consiste à ‗‘rendre insigni-
fiant‘‘ l'existence d'autres langues minoritaires ou ré-
gionales, coexistant et pour certaines préexistant à
l'arabe conventionnel et au français.
La volonté de nier le multilinguisme ou plus pré-
cisément la multilinguité et partant la multiculturalité
de la société algérienne, c'est rendre plausible son ho-
mogénéisation linguistique par un procédé politique
dénommé arabisation.
Ceux qui connaissent l'Algérie savent qu'il existe
dans cette société une configuration linguistique qua-
dridimensionnelle, se composant fondamentalement de
L'arabe algérien, la langue de la majorité, de l'arabe
classique ou conventionnel, pour l'usage de l'officialité,
de la langue française pour l'enseignement scientifique,
le savoir et la rationalité et de la langue amazighe, plus
communément connue sous l'appellation de langue
berbère, pour l'usage naturel d'une grande partie de la
population confinée à une quasi clandestinité.
Des segments importants de la société algérienne
auxquels on reconnaît officieusement une identité eth-
nique tout en leur déniant officiellement toute identité
linguistique et plus globalement toute identité cultu-
relle. La langue amazighe ou le berbère en Algérie, il
13
faut le rappeler, se compose elle-même d'une constella-
tion de parlers et de langues locales ou régionales et
donc minoritaires par rapport aux trois langues domi-
nantes en Algérie que sont l'arabe algérien, l'arabe con-
ventionnel et le français.
Ces langues régionales et minoritaires sont princi-
palement le kabyle, le chaoui, le m'zabi, le targui et
plusieurs poches linguistiques utilisant l'une ou l'autre
forme plus ou moins altérées, ou plus ou moins accli-
matées comme le tachalhit, et se situant dans diffé-
rentes régions d'Algérie du nord comme du sud (Bou-
semghoun, Ouakda, Lahmar, Boukaïs au sud-ouest ou
encore aux confins de l'Ahaggar dans l'extrême sud du
pays et qui maintiennent toutes leurs traditions linguis-
tiques dans des régions entièrement arabisées), tout en
entretenant des rapports constants avec les langues
dominantes l'arabe et le français en l'occurrence.
1. Problématique
C'est précisément cet aspect et notamment les
rapports avec la langue et la culture française qu‘il
s'agit d'explorer. Ce qui revient à reformuler, à travers
ces rapports, les questions de la place réelle de la
langue et la culture française dans la société algérienne
aujourd'hui. A se demander quel rôle joue-t-elle au ni-
veau des représentations comme des conduites langa-
gières? Et enfin quels rapports entretient-elle avec les
différentes langues algériennes?
De façon générale, le rapport des locuteurs algé-
riens à la langue française repose constamment et par-
fois bruyamment, la question de la place et de la pré-
gnance de la culture française dans la société algé-
rienne. Ce n'est donc pas tant le système linguistique
14
en lui-même et le statut des locuteurs à l'intérieur de ce
système qui pose problème, mais bien l'attitude politi-
co-idéologique face à ce que la langue charrie comme
culture, qui soulève souvent de lancinantes interroga-
tions et parfois de brutales passions. En d'autres
termes, la question qui se pose est de savoir si l'accès à
une culture donnée par une société, a pour passage
obligé la maîtrise et l'usage de la langue correspon-
dante ou si l'acquisition d'une langue suffit à lui ouvrir
les portes à la culture de celle-ci. Et de se demander à
contrario, si la baisse de la présence ou de l'usage d'une
langue donnée, comme le laisse supposer "l'arabisa-
tion" officielle en Algérie pour la langue française, in-
duit une baisse de la culture qui y est afférente ?
Dans "l'anthropologie structurale", Claude Levi-
Strauss considérait "le langage, à la fois comme le fait
culturel par excellence et celui par l'intermédiaire du-
quel toutes les formes de la vie sociale s'établissent et
se perpétuent" (Levi-Strauss 1958, p.392). Si l'on con-
sidère la situation linguistique en Algérie, à la lumière
de cette observation, il devient alors difficile de savoir
où s'arrête l'inter-culturalité et où commence l'accultu-
ration. Il devient ardu de savoir comment démêler
l'écheveau de l'inter, l'intra et le transculturel dans des
situations concrètes et spécifiques d'émergence d'un
processus culturel et linguistique, lui-même en cons-
tante reconstruction. Processus qui ne saurait se réduire
à un quelconque recouvrement d'une mémoire linguis-
tique mythique, comme le laisse entendre le volonta-
risme politique, qui est à la base du réaménagement du
linguistique en Algérie par l'arabisation. La question du
rapport de la société algérienne à la langue et à la cul-
15
ture française, a précisément pour avantage, de casser
la relation duale d'une langue à une autre, en explici-
tant l'enchevêtrement des cultures linguistiques, les
unes dans les autres.
2. Le renversement du cognitif par l'expressif
Au lendemain de l'indépendance politique le pay-
sage social, éducatif et culturel n'a fondamentalement
pas changé, tant sur le plan structurel que linguistique,
mais d'immenses besoins d'encadrement apparurent
dans les différents secteurs. Notamment dans l'ensei-
gnement considéré comme le lieu privilégié de repro-
duction des rapports d'acculturation. Et comme les
premières générations de l'indépendance devaient être
les premières à "re-culturer", on dédoubla l'enseigne-
ment en langue française par l'introduction massive
d'enseignement de la langue arabe, assuré notamment
par des enseignants du Moyen-Orient "coopérants eth-
niques" qui n'avaient, pour la plupart d'entre eux, reçu
aucune formation les prédestinant à ce type de fonc-
tion. Persuadés de remplir une mission de restauration
culturelle et morale, dont le point de départ et le sup-
port fondamental était la réhabilitation d'un - ou du –
Paradigme linguistique perdu.
Cette mission de restauration linguistique allait
configurer le paysage linguistique algérien en octroyant
paradoxalement à la langue française, la place durable
qu'elle occupe actuellement dans la société algérienne.
En effet, l'échec de cette entreprise de ré-
expressionalisation du système scolaire s'est en effet
révélé profitable à la consolidation sociale et culturelle
de la langue française, mais préjudiciable au système
16
éducatif algérien et à travers lui, à la société toute en-
tière. Cette première expérience qui était plus une pâle
"orientalisation" qu'une véritable arabisation du sys-
tème éducatif, s'est avérée incapable de répondre à une
attente linguistique solidement ancrée dans une exi-
gence de modernité d'une part et de satisfaire une de-
mande sociale d'expression de substitution, sous forme
de remplacement de l'usage de la langue française par
l'usage d'une langue arabe algérienne évoluée, d'autre
part. L'introduction d'un "arabe" scolaire décharné,
sans ancrages dans la réalité algérienne et aux cons-
tructions syntaxiques éloignées de l'arabe algérien en a
paradoxalement, accentué l'extériorité. La langue arabe
conventionnelle va se trouver dans une situation de
double extériorité par rapport au système éducatif, où
l'on distingue jusqu'à présent "l'arabe de l'école" de
"l'arabe de la maison" et par rapport à la société et donc
des langues locales qui n'ont fourni aucun effort pour
l'intérioriser. L'échec de cette première tentative de ré-
expressionalisation fut d'autant plus patent, que le sys-
tème scolaire se transforma progressivement de lieu
d'apprentissage de contenus scolaires, en lieu d'appren-
tissage de moyens de les exprimer ou encore de lieu
d'apprentissage du savoir en lieu d'apprentissage d'une
langue, consacrant ainsi un renversement du cognitif
par l'expressif. Ce renversement est jusqu'à présent dé-
signé par l'opposition dichotomique Langue nationale
/langue étrangère. Désignation-occultation des rapports
complexes d'une société à sa parole ou plus précisé-
ment à ses paroles c'est à dire à ses langues minori-
taires et minorées.
17
C'est donc durant cette période des premières an-
nées de l'indépendance, nous semble-t-il, que s'est for-
gée la sensibilité linguistique de l'Algérien. Une sensi-
bilité à mi-chemin entre un arabe algérien évolué et
enrichi par l'introduction de nombre de mots nouveaux
ou de néologismes acclimatés et une langue française
réappropriée et réadaptée à un environnement et à un
espace social en constante recomposition. Pour les lo-
cuteurs amazighophones également, s'est prolongé le
rapport avec le français et l'arabe algérien sous forme
d'échanges ininterrompus, puisque nombre de mots des
deux langues ont été intégrés dans les différents
idiomes des différentes régions (Kabylie, Aurès et
M'zab notamment). La langue arabe conventionnelle
demeurant quant à elle, circonscrite dans un espace
scolaire hybride, mais soumis aux épreuves et aux
pressions de la prégnance sociale de l'arabe algérien
conjugué au français. Prégnance sociale qui va à
contre-courant d'un volontarisme linguistique entêté,
ignorant la réalité du premier et chargeant de tous les
maux la présence du second. La destinée de la langue
française allait se trouver scellée par ou à cause des
moyens mis en œuvre pour la bannir. C'est l'arabisation
politique qui va conforter la francophonisation sociale.
En d'autres termes, la confirmation (sociale) de la
langue française s'est fondée sur les intentions (poli-
tiques) de son infirmation. L'évolution de l'usage ou
plus précisément des usages de la langue française en
Algérie va connaître les développements soumis aux
exigences contradictoires du processus de maturation
du tissu plurilinguistique encore en cours dans la socié-
té algérienne. A côté de l'arabe algérien et de la langue
amazighe, toutes variantes confondues, parlée par près
18
de la moitié de la population (kabyle, chaoui, m'zabi,
targui, tachalhit), la langue française va se développer
de façon parallèle à la langue arabe officielle, puisque
les deux avaient droit de cité dans les institutions sco-
laires et administratives. Avec cependant un avantage
prononcé pour le français qui conservait son statut de
langue de communication sociale et de canaux étendus
comme les chaînes satellitaires et Internet.
3. Une langue française algérienne
La semi-officialisation récente de la langue ama-
zighe en Algérie, son introduction à la télévision et son
enseignement dans certaines écoles à titre expérimen-
tal, va contribuer à re-configurer la place des usages, et
partant des langues sur l'échiquier idiomatique en re-
configurant les statuts et en redéfinissant les rôles aussi
bien de la langue arabe algérienne que de la langue
française en usage en Algérie et bien entendu, leurs
rapports avec les langues minoritaires de souche ama-
zighe.
De ce point de vue, l'imaginaire linguistique en
actes dans la sensibilité et l'expression du locuteur al-
gérien - arabophone ou amazighophone - échappe de
façon explicite aux codes conventionnels de la langue-
norme de référence, qu'elle soit arabe ou française. Par-
tie intégrante de la sensibilité linguistique vivante, la
langue française "algérienne" n'appartient plus à la
koïné de France. Elle prend et reprend constamment
corps dans la recomposition de l'imaginaire linguis-
tique social en Algérie en en exprimant son altérité in-
térieure. Et c'est sans doute pour cela que l'Algérie ne
peut pas être classée dans le bloc ou le groupe franco-
phone au même titre que les autres pays ayant la langue
19
française en partage. De même que les oppositions
usuelles telles que francophonie/arabophonie, souvent
mises en exergue pour appréhender les faits et les con-
duites langagières en Algérie, se révèlent fort réduc-
trices, pour ne pas dire frappées de caducité.
L'Algérie se caractérise, comme on le sait, par une
situation de quadrilinguité sociale: arabe conventionnel
/ français / arabe algérien / tamazight. Les frontières
entre ces différentes langues ne sont ni géographique-
ment ni linguistiquement établies. Le continuum dans
lequel la langue française prend et reprend constam-
ment place, au même titre que l'arabe algérien, les dif-
férentes variantes de tamazight et l'arabe conventionnel
redéfinit, de façon évolutive les fonctions sociales de
chaque idiome. Les rôles et les fonctions de chaque
langue, dominante ou minoritaire, dans ce continuum
s'inscrivent dans un procès dialectique qui échappe à
toute tentative de réduction. L'opposition duale par
exemple, entre l'arabe, langue d'identité et le français,
langue de modernité, est d'un degré de généralité tel,
qu'elle n'éclaire en rien la nature complexe des rapports
inter-linguistiques et encore moins le sens et la pré-
gnance symbolique de chacune des deux langues dans
les processus de construction(s) de l'identité comme de
la modernité.
La langue française participe d'un imaginaire lin-
guistique social en actes, qui mêle invariablement
usages et systèmes linguistiques dans un foisonnement
créatif qui ignore les frontières et les rigidités idioma-
tiques conventionnelles. Différant du rapport entre ara-
bisation et francophonie, la relation entre la société al-
gérienne et la langue française revêt une forme multi-
20
complexe qui ne saurait se réduire aux catégorisations
générales. En effet, la réalité empirique indique que la
langue française occupe en Algérie une situation sans
conteste, unique au monde. Sans être la langue offi-
cielle, elle véhicule l'officialité, sans être la langue
d'enseignement, elle reste une langue de transmission
du savoir, sans être la langue d'identité, elle continue à
façonner de différentes manières et par plusieurs ca-
naux, l'imaginaire collectif. Il est de notoriété publique
que l'essentiel du travail dans les structures d'adminis-
tration et de gestion centrale ou locale, s'effectue en
langue française. Il est tout aussi évident que les
langues algériennes de l'usage, arabe ou berbère, sont
plus réceptives et plus ouvertes à la langue française à
cause de sa force de pénétration communicationnelle.
C'est pour cela que La langue arabe imposée
comme Sur-norme, escamote ainsi les réalités linguis-
tiques qui prennent et reprennent quotidiennement
corps dans les usages qui composent une multi-
expressionalité vivante. Le projet originel d'une arabi-
sation du système éducatif qui a d'emblée écarté l'arabe
de l'usage, le français et les différentes variantes de la
langue amazighe, en focalisant sur l'arabe convention-
nel scolaire, a ouvert la voie à l'écart et par la suite, à la
distance entre intelligence linguistique sociale et intel-
ligence linguistique scolaire. Ce projet de substitution
de la langue arabe à la langue française, qui se pour-
suit, sous des fortunes diverses jusqu'à présent, est
donc essentiellement un processus d'apprentissage
d'une langue extérieure à la sensibilité linguistique al-
gérienne et c'est précisément ce qui pose problème, car
il s'agit de savoir dans quelles conditions s'effectue cet
21
apprentissage, dans quels types d'interactions linguis-
tiques et culturelles il s'effectue et si réellement il s'ef-
fectue, tant sur le plan éducatif que social. La question
des effets de l'inter culturalité linguistique dans le pro-
cès d'apprentissage social, soulève immanquablement
les aspects épistémologiques que cet apprentissage fait
surgir.
Si sur le plan politique l'arabisation apparaît
comme la manifestation de la volonté de substituer un
usage linguistique à un autre, sur le plan socioculturel,
il s'agit en fait de substituer à l'usage d'une langue, en
l'occurrence le français, l'apprentissage d'une autre
langue. L'apprentissage de la langue arabe convention-
nelle. Une approche de "l'arabisation" en termes d'ap-
prentissage collectif voire social, de la langue arabe nie
complètement la place et partant l'existence des
langues minoritaires dans cet apprentissage. Ce faisant,
elle nie également le rapport qu'entretiennent ces
langues à la langue et à la culture française, cultivant
par cette négation, la triple confusion dont procède gé-
néralement le traitement de la question linguistique en
Algérie : confusion entre langue française et franco-
phonie, confusion entre arabisation et algérianisation et
enfin confusion entre arabisation et islamisation ou ré-
islamisation.
Conclusion
A la lumière de cette description, il paraît signi-
fiant de contextualiser la notion de représentations dis-
cursives et de prendre en charge l‘attitude transversale
des langues en contact. Si la langue forge la culture
d‘un individu, les imaginaires linguistiques qui
22
l‘habitent déterminent les perceptions de l‘implicite et
leurs manifestations sémiotiques.
Bibliographie
Blanchet Ph., Moore D. & Asselah Rahal S.
(2008), Perspective pour une didactique des langues
contextualisée, Paris, Éditions des Archives Contempo-
raines.
Searle J.R. (1972), Les actes de langage : essai de phi-
losophie du langage (trad), [Paris], Hermann.
Charaudeau P. & Maingueneau D. (2002), Dictionnaire
d‘analyse du discours, Paris, Seuil.
Ambroise Queffélec, Le français en Algérie: lexique et
dynamique des langues, Bruxelles, De Boeck Supé-
rieur, 2002. Siblot P. (1994), "L'éloquence des silences.
D'une absence de nomination comme déni de réalité".
Cahiers de praxématique 23, pp. 2-26
23
Kalina YANEVA
Université Paris Ouest/CNRS
Importance du contexte en didactique des langues :
Application en aphasiologie.
Résumé
Cette étude est consacrée à la didactique des
langues, appliquée à la réadaptation du langage de su-
jets aphasiques (troubles du langage acquis que nous
définirons). Du point de vue de la linguistique et de la
communication, nous évoquerons le rôle du contexte,
lors de l‘apprentissage d‘une langue étrangère, ré-
flexion que nous transposerons à la rééducation du lan-
gage : contexte linguistique, situationnel, familial et
affectif. Compte tenu de ce sens élargi, quel est
l‘impact du contexte sur la communication altérée des
patients aphasiques, pour lesquels il faut adapter indi-
viduellement une remédiation cognitive ? À travers
cette acception du vocable contexte et après un bref
historique de la didactique des langues et de la notion
de préceptorat, le propos est de montrer l‘existence de
liens entre acquisition/apprentissage du langage et des
langues et la situation de re-acquisition/apprentissage.
La remédiation cognitive proposée concernera la réa-
daptation phonétique, par la méthode verbo-tonale de
Guberina (1965).
Mots clés
24
langage et langue, aphasie, contexte sémiologique,
didactique des langues, réadaptation du langage, mé-
thode verbo-tonale, acquisition/apprentissage.
Introduction
Quatre notions importantes retiennent d‘emblée
notre attention : le contexte, le discours, le rôle du con-
texte en didactique1 des langues et en rééducation du
langage. En effet, ce dernier occupe une place centrale
dans la relation à autrui et recouvre plusieurs disci-
plines des sciences humaines et sociales (philosophie,
psychologie, sciences de la cognition, sciences de
l‘éducation, etc.)
Rappelons brièvement trois notions essentielles en
linguistique : langage, langue et parole, définies par F.
de Saussure (1916). Il précise que cette réalité « multi-
forme et hétéroclite relève de plusieurs domaines, à la
fois physique, et psychologique et appartient au do-
maine individuel » (Saussure, 1969, p. 25).
Il considère la langue comme :
[…] celle d‘une communauté dans son contexte
social », et comme « un ensemble de conventions né-
cessaires, pour permettre l‘exercice de cette faculté
chez les individus » (Saussure, 1969, p. 25). Enfin, la
parole est perçue comme « une production individuelle,
acte volontaire. (Saussure, 1969, p. 38)
Le « sujet parlant » (Saussure, 1891) use de ce
code en y laissant les traces de sa personnalité et sa vi-
sion générale de la situation. Dans les années 1950,
Benveniste (1958, p. 259) discute la notion de langue, 1 Didactique ou « art d’enseigner » (Émile Littré, Dictionnaire de la langue
française, t. 2, p. 39).
25
comprise seulement comme un instrument de commu-
nication et il considère que : « C‘est dans et par le lan-
gage que l‘homme se constitue comme sujet ».
Le Cercle de Copenhague (Togeby, 1951) tend à
restreindre l‘explication des faits de langue aux faits
linguistiques et s‘intéresse plus au contexte proposi-
tionnel qu‘au contexte situationnel, au sens élargi de
l‘expression. Ce dernier émerge de la pragmatique en
linguistique qui puise aux sources de la philosophie et
de la psychologie ; nous faisons référence ici à W.
James (Harvard, années 1880), J. Austin (1955), P.
Grice (1961), J.R. Searle (1969). La définition la plus
ancienne de la pragmatique est celle de Morris (1938),
reprise et commentée par Armengaud (1985 : 5) : « La
pragmatique est une partie de la sémiotique qui traite
du rapport entre les signes et les usagers ».
2. Contexte et discours
D‘après Le Robert : 523.
[C‘est l‘] ensemble du texte qui entoure un mot,
une phrase, un passage et qui sélectionne son sens, sa
valeur. Exemples : « Éclaircir un mot ambigu par le
contexte. » « Citation isolée de son contexte. » « Se
reporter au contexte. » « Mots remis dans leur con-
texte. »
Selon Kerbrat-Orecchioni, le contexte est :
[…] donné à l‘ouverture de l‘interaction, mais il est
construit dans et par la façon dont celle-ci se déroule et
il est redéfini sans cesse par l‘ensemble des événe-
ments conversationnels (Kerbrat-Orecchioni, 1990, p.
109)
26
Il inclut le cadre : lieu, temps, finalité, rôles et objectifs
des interlocuteurs, durant l‘interaction.
2.1. Contexte en langage
Le vocable contexte est largement polysémique :
concordance ou « ensemble de circonstances dans les-
quelles s‘insère un fait », situation ou « contexte situa-
tionnel, politique, familial… », environnement de
communication ou « replacer un fait dans son contexte
». Selon Ducrot et Todorov (1972, p. 417), la notion de
contexte concerne donc la communication linguistique
à divers niveaux ; le contexte propositionnel est stric-
tement linguistique, alors que le contexte situationnel
se réfère à la langue, certes, mais aussi à l‘ensemble
des circonstances qui entourent le message proposi-
tionnel : contextes social, politique, historique, etc. Il
s‘agit là de paramètres fondamentaux de
l‘acquisition/apprentissage du langage et des langues
étrangères.
2.2. Contextualisation
La contextualisation est :
[…] l‘emploi par les locuteurs/auditeurs, des
signes verbaux et non verbaux qui relient ce qui se dit à
un moment donné et en un lieu donné à leurs connais-
sances du monde. (Gumperz, 1989, p. 9)
Elle inclut la prosodie qui, elle-même, comprend
l‘intonation, les changements de ton, les accents et les
pauses. L‘intonation englobe tous les éléments qui
jouent le rôle de signaux exprimant les sentiments et
les attitudes des interlocuteurs. Elle est essentielle pour
l‘analyse de la conversation et permet aux participants
de segmenter le flux verbal en unités de base, elle joue
27
sur le choix du code (langue et niveau de langue choi-
sis) ; l‘alternance codique ou stylistique ; les variables
morphosyntaxiques et sociolinguistiques y prennent
place également.
2.3. Contexte et discours
Le contexte fait partie du discours, unité linguistique
de dimension supérieure à la phrase. C‘est :
[…] la suite des phrases émises entre deux blancs
sémantiques, deux arrêts de la communication ; le dis-
cours, c'est l'énoncé considéré du point de vue du mé-
canisme discursif qui le conditionne (Guespin, 1971, p.
10)
C‘est aussi :
[…] un énoncé caractérisable certes par des pro-
priétés textuelles, mais surtout comme un acte de dis-
cours accompli dans une situation (participants, institu-
tion, lieu, temps), ce dont rend bien compte le concept
de « conduite langagière » comme mise en œuvre d‘un
type de discours dans une situation donnée. (Adam,
1990, p. 23).
Les indices discursifs perçus par les locuteurs
« font le contexte du discours » ; ses différentes fonc-
tions sont : propositionnelle – ce que disent les mots ou
fonction locutoire et dénotative –, illocutoire ou illocu-
tionnaire – ce que l'on transmet en s‘adressant à un in-
terlocuteur (accuser, ordonner, demander, etc.) ; il
s‘agit ici du rapport social au sens large instauré entre
les locuteurs. Enfin, la fonction perlocutoire exprime le
28
but visé, dont l‘idée principale est d‘agir sur l'interlocu-
teur.
La notion de discours et ses niveaux d‘incidence
étant brièvement délimités, voyons comment ils
s‘insèrent dans la didactique des langues dont nous re-
prenons quelques concepts clés.
3. Didactique des langues : brève histoire
Jusqu'en 2000 avant J.C., le sumérien, la plus an-
cienne langue écrite connue, était parlé au sud de la
Mésopotamie. L'école sumérienne de « didactique des
langues » s‘intéressait surtout à l'étude des œuvres lit-
téraires et comportait un long travail de copie, de mé-
morisation et de récitation (Germain, 1993 ; Puren,
1996).
Dans l‘Égypte Ancienne, la didactique des
langues concernait aussi la langue écrite, le Ma'at
(doctrine de la vérité et de l'ordre), déjà très éloigné de
la langue parlée. Nous rejoignons ici la définition de la
pédagogie ou « l‘art d'éduquer » (Littré, 1959, t. 5,
p. 1612-1613).
De la Renaissance au XVIIe , quatre grands
préceptorats marquent l‘histoire de la didactique des
langues : Ascham et Montaigne , au XVIe , celui de J .
Locke, au XVIIe, et Comenius qui introduira l‘image ,
en 1638. A cette époque , tout enseignement était
d'abord éducation, autrement dit pédagogie, et l'objet
d‘étude était le latin littéraire. Montaigne, élevé (sens
littéral), éduqué par des précepteurs, commença à étu-
dier le latin avant l'âge de six ans ; son précepteur al-
29
lemand ignorait le français, aussi dialoguait-il unique-
ment en latin avec son élève. À la réflexion, la théorie
de Montaigne s‘avère fort proche des orientations di-
dactiques les plus actuelles :
A [= pour] cette cause, le commerce des hommes
y est merveilleusement propre, et la visite des pays
étrangers [...] pour en rapporter principalement les hu-
meurs de ces nations et leurs façons ... Je voudrais
qu'on commençast a le promener dès sa tendre enfance ,
et [...] par les nations voisines ou le langage est le plus
esloigné du nostre, et auquel, si vous ne la formez de
bon‘heure, la langue ne se peut plier. (Montaigne, Es-
sais, conforme a l 'exemplaire de Bordeaux 1580-1588,
livre I, Chap. XXIV).
Il suffit de lire cette citation pour y reconnaître les
bases d‘une didactique prenant en compte les quatre
compétences : expression orale (EO), expression écrite
(EE), compréhension orales et écrite (CO & CE) et, en
particulier, la notion de contexte élargi, grâce à la dé-
couverte des sociétés étrangères, etc.
Le contexte linguistique est considéré comme dé-
terminant pour l‘apprentissage d‘une langue dont il
nourrit fortement les options méthodologiques. Une
façon d‘apprendre serait de proscrire la langue pre-
mière des apprenants : éviter de passer par la traduction
(Besse, 1992, p. 65-66). Cependant, cette conception
reste très discutée aujourd‘hui car la langue maternelle
apporte des renseignements sur comment enseigner la
langue cible.
30
L'approche communicative et interactive (Jacquet-
Andrieu, 2008/2012) est un apprentissage fondé sur le
sens et le contexte de l'énoncé dans une situation de
communication. La séance devient interactive et le
contexte de la communication est mis en relief. Les
apprenants peuvent acquérir des mots incidemment,
même si le contexte ne suffit pas toujours pour en cer-
ner le sens, et les apprenants ne repèrent pas toujours
les clés contextuelles avec succès (Morrison, 1996).
Les apprenants débutants procèdent par inférence
et s‘appuient beaucoup plus sur le contexte situation-
nel, pour comprendre et acquérir du lexique ; l‘emploi
réitéré de mots et de formes idiomatiques usuels favo-
rise la mémorisation. L‘inférence est un processus cog-
nitif naturel de la quête de compréhension, il est long à
acquérir et peut conduire à des interprétations erronées
du sens, ce qui ralentit l‘acquisition/apprentissage du
vocabulaire en L2 (Harley, Howard & Roberge, 1996).
Certains apprenants s‘appuient plus sur des stratégies
d‘inférence, d‘autres passeront plutôt par la traduction
(Huckin et Coady, 1999).
Plusieurs auteurs avancent que l‘apprentissage du
vocabulaire par listes de mots (méthodes tradition-
nelles) s‘avère plus efficace pour les Chinois que
l‘apprentissage en contexte (Qian, 1996), car ils doi-
vent d‘abord « entrer » dans les modes de formulation
et la pensée occidentale elle-même, parallèlement aux
processus d‘acquisition linguistique proprement dits
des langues indoeuropéennes, structurées différemment
des langues asiatiques. Notons que cette différence
s‘atténue aujourd‘hui car les chinois apprennent
31
l‘anglais ; ils sont donc confrontés plus précocement à
ces mécanismes cognitifs.
Ces données générales, valables pour le langage et
les langues naturelles, trouvent aussi une application
dans le domaine de la pathologie, aussi allons-nous
aborder maintenant les troubles du langage acquis :
l‘aphasie.
4. Neuropsychologie de l’aphasie et remédiation
L‘aphasiologie relève de la médecine, de la neuro-
logie en particulier, des sciences de la cognition et,
plus précisément, de la neuropsychologie humaine ; le
langage et ses fonctions en sont le substrat essentiel. La
fonction de langage est attribuée à certaines zones de
l‘encéphale1 ; ses composantes fondamentales sont la
compréhension et l‘expression verbales, la lecture et
l‘écriture. L‘expression verbale s‘accompagne d‘une
gestualité co-verbale (Jacquet-Andrieu, 2012), mais
aussi d‘une autre gestualité, non consciente (Turchet,
2009). Ces modes d‘expression forment un réseau
complexe de relations anatomiques et fonctionnelles
qui couvre essentiellement, les rives de la scissure de
Sylvius (cf. infra, figure 1) et des structures sous-
jacentes ; l‘attention – précurseur de la mémoire –, la
mémoire elle-même et le système émotionnel, que nous
citons seulement ici, sont sous-jacents et indispen-
sables. Sur le plan neurologique, les zones corticales
du langage sont connues et délimitées.
1 Encéphale ou ensemble du système nerveux central comprend le cortex,
les noyaux gris centraux, le thalamus en particulier, et le système nerveux autonome ou tronc cérébral.
32
4.1. Aires cérébrales de la production langagière
Figure 1 : Ensemble des principales aires corticales du langage
Source : Purves & al. Neurosciences, p. 484
Schématiquement, le faisceau arqué, figuré en
pointillés sur le schéma, est une épaisse nappe de fibres
nerveuses (substance blanche) qui relie deux aires
principales du langage : aires de Wernicke (AB 22)1 et
de Broca (AB 44 & 45)1, synergie entre compréhen-
sion et sens, pour l‘aire de Wernicke, et entre produc-
tion et structures sémantico-grammaticale, pour l‘aire
de Broca. Bien que très élémentaire, ce schéma reste
relativement exact pour notre propos. Notons aussi que
les structures limbique, thalamique et hypothalamique
jouent un rôle important dans l‘organisation du langage
et sa cognition : réseau complexe de structures dédiées
1 AB (aires de Brodmann, 1909) : cette architectonie ou cartographie des
fonctions neuronales corticales humaines a été établie, à partir de celle du singe macaque.
33
à la mémoire et aux émotions, en particulier (Jacquet-
Andrieu, 2012).
Lorsque survient une lésion cérébrale, une ou plu-
sieurs des fonctions langagières peuvent être altérées
de façon plus ou moins élective, on parle alors
d‘aphasie ou perte du langage acquis.
4.2. Aphasie d’installation brutale
L‘aphasie ou perte plus ou moins massive du lan-
gage acquis, à la suite d‘une lésion cérébrale, concerne
l‘hémisphère dominant, généralement le gauche, les
berges de la scissure de Sylvius (Broca, 1861; Wer-
nicke, 1874) et d‘autres aires associées : motrices (AB
4 & 6), auditives (AB 41 & 42), lecture et écriture (AB
39 & 40, etc.) et/ou dans certaines régions sous-
corticales, en particulier le thalamus. Ces lésions peu-
vent survenir à tout âge mais plus généralement chez
l‘adulte, à la suite de pathologies vasculaires, de tu-
meurs, de traumas crâniens, généralement. Un effon-
drement des fonctions mnésiques engendre des apha-
sies dites dégénératives, l‘un des symptômes majeurs
du syndrome d‘Alzheimer.
Si l‘on s‘intéresse aux aphasiques et à la structure
linguistique de leurs productions, elles sont bien diffé-
renciées en fonction du locuteur, certes, mais en fonc-
tion aussi de la situation des lésions.Aphasique de Bro-
ca :
Marie - « 6 octobre 19 /.../ 89 /... / muette pendant
trois mois... // rien du tout //... // J‘ai continué ma réé-
ducation /.../ entre centre / j‘ai prononcé un mot /...//
oui / quatre mois //... / avant / après //... // non / c‘est
fou / c‘est fou / c‘est fou //... // Peu à peu / j‘ai progres-
sé très lentement /... / mais sûrement //... / j‘ai le sym-
34
bole /... / « tortue » // [Elle montre un pendentif à son
cou.] (Jacquet-Andrieu, 2008, p. 85).
Aphasique de Wernicke :
Eh bien, à Angers, nous sommes au moins com-
bien de gens à être là, il y a quatre hauteurs, là et là
(geste de la main montrant les paliers d‘un bâtiment),
une quinzaine au moins de gens qui sont là debout, il y
a aussi beaucoup de gens qui sont là à se former des
mots se forment encore, il y a encore trois ou quatre
qui se forment des grands. (Sabouraud, 1995, p. 92)
Si l‘on compare ces deux productions, on constate
que, conscient de ce qu‘il veut dire, l‘aphasique de
Broca est en difficulté pour construire ses phrases, il a
perdu les automatismes qu‘il retrouvera partiellement
(rarement complètement), au prix de grands efforts.
L‘aphasique de Wernicke, au contraire, possède bien
ses automatismes linguistiques mais il en a perdu le
contrôle, plus ou moins. Son expression verbale peut
devenir un jargon totalement incompréhensible, surtout
au début de l‘atteinte car il est souvent inconscient de
son trouble, c‘est-à-dire, prosopagnosique.
Pour le sujet aphasique, tout se passe comme si la
langue maternelle était devenue langue étrangère, mais
de deux façons différentes. Pour les uns, elle est im-
possible à utiliser ; pour les autres, le contrôle de cette
utilisation leur échappe, à des degrés divers, et avec
cela, le sens (ou le non sens) du dit, inconsciemment
émis. L‘aphasique est une personne souffrant du
manque de ses moyens d‘expression linguistique :
Au début de mon esprit, il n‘y avait plus de mots,
j‘ai travaillé beaucoup pour les acquérir… Je réap-
prends le français comme une langue étrangère… Il
35
faut recommencer beaucoup de fois pour que les mots
se placent dans le cerveau. (Contamin & al, 1968,
p. 329).
L‘aphasie est une atteinte très invalidante, on ob-
serve souvent une hémiplégie associée et la souffrance
psychologique est d‘une intensité majeure. L‘équipe
soignante se trouve face à un patient très vulnérable.
4.3. Remédiation adaptée au sujet aphasique : no-
tion de préceptorat (Jacquet-Andrieu, 2001)
La rééducation est une période longue et difficile
sur le plan psychologique et cognitif, à cause du déca-
lage entre la position d‘adulte et la réadaptation centrée
sur le « réapprendre à parler ». La gravité de l‘atteinte
dépend de l‘étendue des zones cérébrales lésées et de la
position des lésions ; la capacité de réadaptation dé-
pend aussi du patient et de son contexte de vie affective
et sociale. Pour lui, l‘objectif est de re-devenir « sujet
parlant », au sens de Ferdinand de Saussure (1891).
Pour la rééducation du langage et de la communi-
cation des sujets aphasiques, le recours à la didactique
de l‘acquisition des langues, en particulier l‘approche
communicative et interactive du français langue mater-
nelle et étrangère, est pertinente car nombre de mé-
thodes sont destinées au sujet adulte, justement. Par
ailleurs, les avancées des sciences de la cognition enri-
chissent ce paradigme sur les plans théorique et pra-
tique (Jacquet-Andrieu, 2001).
Schématiquement, nous pouvons dire que la réa-
daptation du langage, tout comme
l‘acquisition/apprentissage d‘une langue étrangère,
portent sur le sens, la grammaire et la structure pho-
36
nique. Pour l‘exemple, nous proposons ici de considé-
rer la seconde articulation du langage (Martinet, 1960),
et d‘avoir recours à la méthode verbo-tonale (Guberina,
1965), centrée sur la prononciation « correcte » des
mots d‘une langue et sur la correction des déformations
(orthoépie), et de l‘adapter.
4.4. Méthode verbo-tonale (MVT) de Guberina
(1965)
Si l‘on se réfère à la définition rapportée par Re-
nard (1973) :
La MVT intègre le principe de correction phoné-
tique (orthoépie) par entourage facilitant, elle habitue
l‘apprenant aux sonorités de la langue étrangère par
une re-éducation de l‘oreille, elle accorde une impor-
tance prépondérante au rythme et à l‘intonation et elle
traite une part de la relation corps/phonation. La MVT
prend en compte le phénomène de compensation et de
coarticulation. (Renard, 1973, p. 3-5).
Elle peut être proposée en cas d‘anarthrie1, asso-
ciée à une aphasie agrammatique, à des cas de surdité
verbale, par exemple (trouble de la reconnaissance des
mots, sans surdité associée, qui engendre des difficul-
tés de compréhension du langage), à des patients at-
teints aussi d‘aphasie transcorticale sensorielle, résul-
tant d‘une lésion affectant la partie postérieure du gy-
rus supramarginalis, et épargnant la zone périsylvienne
(Geschwind et al., 1989 ; Rubens et Kertesz, 1983 ;
Alexander et al., 1989, op. cit.).
1 L'anarthrie (Pierre Marie) est un trouble de l’articulation du langage asso-
cié à l’aphasie motrice ou aphasie de Broca, elle est rarement élective.
37
Dans le cas des aphasies dégénératives et, plus
précisément, de la maladie d‘Alzheimer qui engendre
un déclin progressif des facultés cognitives, l‘atteinte
de la mémoire a des répercussions importantes sur la
disponibilité verbale ; à un stade encore léger, nous
pouvons avoir recours à la MVT, pour faciliter le rap-
pel des mots indisponibles et leur prononciation, si né-
cessaire.
4.4.1. Axe tension/laxité
Dans toute langue, la correction phonétique (ou
orthoépie) se travaille à divers niveaux de
l‘articulation, selon deux axes en particulier (Guberina,
1965 ; Renard, 1979) : la tension articulatoire plus ou
moins forte du tractus vocal au cours de prononciation
(tension/laxité) et le timbre (clair/sombre), en relation
avec la hauteur (aigu/grave). D‘un point de vue phono-
logique, en français, ces deux paramètres concernent
consonnes et voyelles de la langue française, dans un
ordre précis, en fonction du mode et du point
d‘articulation, l‘ouverture et la vibration ou non des
bandes vocales : continuum allant de C+ à C et de V+
à V (de la consonne ou de la voyelle la plus tendue,
sur le plan articulatoire, à la moins tendue). Les
voyelles les plus tendues sont aussi les plus aigues.
Consonnes : continuum de l‘opposition ten-
sion/laxité :
C+ /p/, /t/, /k/, /f/, /s/, /ʃ/, /b/, /d/, /g/, /v/, /z/, /ʒ/
/m/, /n/, /ɲ/, /l/, /R/1, /j/, /ɥ/, /w/1, C–
1 Sur le plan phonologique, Il existe un phonème consonantique /R/, pour
deux actualisations en variante libre des sons [r] (dit roulé, avec battements simple ou multiples), [ʁ], continu sans friction ou grasseyé [R].
38
Voyelles : continuum de l‘opposition ten-
sion/laxité
Toutes les voyelles sont laxes et voisées (vibration
des bandes vocale), avec un gradient, allant de la fer-
meture maximum (/i/), vers l‘ouverture maximum /ɑ/.
La co-articulation amène des dévoisements qui corres-
pondent à une tension articulatoire.
V+ /i/, /e/, /ε/, /ɛ/, /a/, /y/, /ø/, /ə/, /œ/, /œ/, /u/, /o/,
/ɔ/, /ɔ/, /ɑ/, /ɑ/2 V
Par exemple, une articulation initiale trop tendue,
[ʃəsɥifatige], au lieu de [ʒəsɥifatige], pour « je suis fa-
tigué », ou encore [kaRsɔ], au lieu de [gaʁsɔ], pour
« garçon ». Dans ces exemples, le but est de réduire la
tension, en ralentissant le débit et en prononçant le mot
en intonation descendante. Il est possible également
d‘ajouter une voyelle initiale qui permettra d‘éloigner
la consonne du début de la phrase « ahh… je suis fati-
gué », [// ɑ: // ʒəsɥifatige //], car plus une consonne est
proche de l‘initiale, plus elle est tendue. Ensuite, la ré-
pétition servira à fixer la forme phonique du mot, pour
réduire l‘incidence des déformations, appelées para-
phasies dans le domaine de la pathologie du langage.
Ensuite, en choisissant d‘autres mots, comportant
des caractéristiques phonologiques comparables (oppo-
sition tension/laxité), et en jouant sur la coarticulation
(influences mutuelles des sons les uns sur les autres),
nous pouvons utiliser des contextes phoniques facili-
tants et remplacer la voyelle [ə] par la voyelle [a] (plus
1 Les semi voyelles /j/, /ɥ/ & /w/ sont répertoriées parmi les consonnes car,
sur le plan fonctionnel, c’est-à-dire phonologique, ce sont des consonnes. 2 Les voyelles nasales sont bémolisées (plus graves), par rapport à l’orale
correspondante, c’est-à-dire, un peu plus sombres.
39
laxe), [ʒa] ; le principe consiste à passer par plusieurs
« prononciations modifiées » [ʒa] // [ʒa]… pour accé-
der à [ʒə] et enfin, [ʒəsɥifatige].
Dans le cas de deux consonnes proches sur le plan
articulatoire : la suite « j‘ai bu », prononcée [ʃeby], au
lieu de [ʒeby], l‘enseignant amènera l‘apprenant à relâ-
cher le tractus vocal, en utilisant des voyelles plus ou-
vertes et plus postérieures, comme [ɔ] ou [o], pour ac-
céder à [by], puis [ʒeby], en intonation descendante.
4.4.2. Axe Clair/Sombre
Bien qu‘empreinte de subjectivité, la perception
de cette distinction relève d‘une loi de la physique
acoustique : la hauteur. Sur cet axe, la première con-
sonne C+ est la plus claire, la plus aigüe aussi ; C‘est la
consonne la plus sombre, la plus grave. Pour les
voyelles V+ & V, il en est de même.
Consonnes du français :
C+ (Clair/aigu) /ɥ/ & /j/1, /t/, /d/, /n/, /ɲ/, /l/, /s/,
/z/, (mi-aigu) /k/2, /g/, /R/, (grave) /w/9, /f/, /v/, (/k/2),
/m/, /p/, /b/ (Sombre/grave) C
Voyelles du français :
V+ Clair/aigu) / i/, /e/, /ε/, /ɛ/, /a/, (mi-aigu) /y/,
/ø/, /ə/, /œ/, /œ/, (grave), /ɑ/, /ɑ/3 /ɔ/, /ɔ/, /o/, /u/
(Sombre/grave) V
1 Les semi voyelles /j/, /ɥ/ & /w/ sont répertoriées parmi les consonnes car,
sur le plan fonctionnel, c’est-à-dire phonologique, ce sont des consonnes. Par ailleurs, suivant leur environnement syllabique, les sons [ɥ] & [w] peuvent être aigus ou graves. 2 Suivant son environnement vocalique, le son [k] aura deux locus différents
(point théorique de focalisation des formants vocaliques lors de la transition voyelle/consonne), il sera donc mi-clair ou sombre. (Durand, 1953). 3 Les voyelles nasales sont bémolisées, par rapport à l’orale correspondante,
c’est-à-dire, un peu plus sombres, plus graves.
40
Voici l‘exemple d‘une consonne trop sombre :
« nous avons faim », prononcé [*nuzabɔfɛ], au lieu de
[nuzavɔfɛ]. Le sujet a substitué [b], plus sombre, à la
consonne [v] ; afin d‘éclaircir le timbre de cette con-
sonne, on utilise le groupe vocalique /semi-vocalique
[aw]. La production du groupe [awɔ] est accélérée, en
fermant l‘angle du degré d‘aperture des voyelles [a],
[ɔ], [o], pour obtenir la prononciation correcte de
« nous avons » [nuzavɔ].
Pour, assombrir une voyelle trop antériorisée [e],
dans « c‘est trop peu », prononcé [*sεtrope] au lieu de
[sεtropø] ; nous utiliserons l‘intonation descendante, en
allongeant le son [o:] de la dernière syllabe, pour arri-
ver au son [ø] et obtenir la bonne prononciation [pø] du
mot « peu ». Pour l‘expression « j‘ai bu », prononcée
[*ʒebu], au lieu de [ʒeby], l‘apprenant sera amené à
éclaircir le son [u], en passant par [f], [v] ou [p], suivis
de [y] : [fy], [vy], [py], en les plaçant en sommet
d‘intonation, pour accéder à [by], puis [ʒeby].
Le principe d‘accélération s‘adresse plutôt aux
aphasiques de Wernicke dont les productions verbales
sont généralement fluides ; il est moins adapté à
l‘aphasie motrice avec anarthrie (Broca), les produc-
tions articulées étant plus difficultueuses.
D‘autres exemples d‘erreurs susceptibles d‘être corri-
gées par la méthode verbo-tonale sont des mots mal
prononcés et dont un des sons, au moins, est déformé :
[ezãpl(ə)] au lieu de [egzãpl(ə)] (Jacquet-Andrieu,
2008 : 167). Autres déformations :
Ajout : [*kliʁnik(ə)] vs [klinik(ə)], pour « clinique » ;
Omission : [*kavat(ə)] vs [kravat(ə)], pour « cravate »
41
Substitution : [*tʁab(ə)] vs [kʁab(ə)], pour « crabe »
Inversion : [*faktjεʁ] vs [kaftjεʁ], pour « cafetière ».
5. Conclusion
L‘acquisition/apprentissage d‘un idiome est un
fait humain, personnel et social. Dans cet objectif, la
notion de contexte, brièvement présentée ici, tient une
place majeure. Lors de l‘analyse du discours, mais éga-
lement lors de la rééducation du langage pathologique,
le contexte est un adjuvant qui apporte des indices es-
sentiels pour la compréhension et le traitement de
l‘information. Il est primordial dans la communication
interculturelle. Dès le début de l‘enseignement d‘un
idiome, il est important de sensibiliser les apprenants à
ce rôle capital que joue le contexte − sa variété, son
sens − dans les processus de production et
d‘interprétation des énoncés, en fonction du type de
public auquel l‘enseignant est confronté.
Dans le domaine de la pathologie, les profession-
nels de santé (les orthophonistes en particulier) peuvent
se centrer plus spécifiquement sur les contextes natu-
rels de la communication (familiale, affective, ou so-
cioculturelle), lors de la rééducation de patients apha-
siques. Les bases de cette proposition de remédiation
cognitive suppose une approche très individualisée,
d‘où la notion de préceptorat, strictement adapté à
chaque patient, proposée dans ce chapitre.
La méthode verbo-tonale est essentiellement cen-
trée sur la production verbale et son orthoépie (seconde
articulation du langage) mais nos recherches concer-
nent également la première articulation (en mor-
phèmes) et le sens : structure sémantico-grammaticale.
Associée, à la courbe mélodique de l‘énoncé (hémis-
42
phère droit), la MVT peut être un support de remédia-
tion orienté sur le sens apporté par la prosodie (com-
préhension) : cette dernière hypothèse, expérimentale,
nous paraît pertinente mais non vérifiée encore ; elle
fera l‘objet d‘autres travaux.
Enfin, concernant les aphasies d‘installation bru-
tale, la démarche individualisée, ou préceptorat, répond
aussi à une autre préoccupation : celle d‘une position
éthique de respect et de dignité pour des patients très
vulnérabilisés par l‘atteinte de leur essentiel moyen
d‘expression, atteinte à laquelle s‘ajoute trop souvent la
perte du travail et de la position sociale.
Bibliographie
Ducrot O. & Todorov T. (1972), Dictionnaire
encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil.
Littré, É. (1956/1958), Dictionnaire de la langue
française, 7 vol., Paris, J.J. Paubert & Gallimard-
Hachette.
Moeschler J. & Reboul A. (1994), Dictionnaire
encyclopédique de pragmatique, Paris, Le Seuil.
Rey-Debove, J. & Rey A. Ed. (2007), Le nouveau Petit
Robert de la langue française. Dictionnaire
alphabétique et analogique de la langue française,
analogique, Paris, Le Robert.
- Publications princeps
Broca P. (1861), Sur le siège de la faculté du langage
articulé avec deux observations d'aphémie (perte de
parole), Paris, Masson.
Brodmann K. (1909), Vergleichende,
Lokalisationslehre der Grosshirnrinde in ihren
43
Prinzipien dargestellt auf Grund des Zellenbaues.
Leipzig, J.-A. Barth.
Wernicke C. (1874), Der aphasische Symtimencimplex
: eine psychologische Studie aufanatomischer Basis.
Breslau, Cohn & Weigert.
- Ouvrages et articles
Adam J-M. & Petitjean A. (1989), Le texte descriptif :
poétique historique et linguistique textuelle, Paris,
Nathan.
Adam J-M. (1990), Éléments de linguistique textuelle,
Liège, Mardaga.
Alajouanine, T. (1968), L’aphasie et le langage
pathologique, Paris, Baillière.
Alajouanine, T., Ombredane & Durand M. (1939),
Syndrome de désintégration phonétique dans
l’aphasie, Paris, Masson.
44
Tabet Aoul Zoulikha
MCF. USTO
L’extrême contemporain dans le paysage littéraire
algérien : Parcours d’auteurs et de sujets.
Résumé
Un sujet qui s‘assimile tantôt à travers des supports
individus, tantôt à travers le morphème‟ je‟, tantôt à
travers des biographèmes illustre bien cette remise en
question du concept de l‘énonciateur compris comme
instance interne à l‘énoncé et comme locuteur/individu
produisant un « discours constituant », marque de
l‘écriture de l‘extrême contemporain. Tel est l‘objet
d‘étude ici proposé et que la BnTA, Base numérique
des Textes Algériens élaborée par des membres du la-
boratoire LOAPL, propose d‘analyser avec les moyens
technologiques contemporains.
Mots clés
Base textuelle numérique, lexicométrie, écriture de
l‘extrême contemporain, sémanalyse
Ma collaboration dans la constitution d‘une base
numérique de données des textes algériens1 outre le
fait qu‘elle m‘oblige à un long travail d‘océrisation et
1 La BnTA est une base numérique de données des textes algériens,
romanesques, journalistiques et didactiques. Base constituée à partir d’un projet PNR par les membres d’une équipe de chercheur(e)s du Laboratoire LOAPL, Laboratoire de Création d’Outils Pédagogiques en Langues Etrangères, Es-Sénia Oran, depuis Juin 2011.
45
de correction m‘a permis de parcourir un large éventail
de textes romanesques algériens de ces vingt dernières
années. Un certain nombre de points communs de ces
textes fait penser aux caractéristiques d‘une tendance
d‘écriture nommée par Michel Chaillou en 1989,
l‘écriture de « L‘extrême contemporain. »
Murielle Lucie Clément parle de l‘extrême con-
temporain comme d‘un concept fluide et insaisissable1
précisant qu‘il s‘agissait d‘une production littéraire
aux frontières intangibles, recélant une complexité
chaotique d‘une situation littéraire toujours en mou-
vement. Mais le nombre de critiques2 universitaires ou
autres qui s‘y intéressent semble assez éloquent pour
qu‘on puisse imaginer qu‘une tendance d‘écriture se
profile à travers un corpus non fini.
Notre présent article s‘applique à identifier les
convergences évoquées plus haut, en tant que pratiques
transversales, principalement celles s‘articulant autour
d‘un retour du S/sujet par l‘écriture des idées, du jeu,
du « réel ». Ces pratiques s‘inscrivant dans l‘intention
d‘établir une cartographie des textes romanesques al-
gériens. Parmi les caractéristiques de l‘écriture de
l‘extrême contemporain, nous avions noté3 le retour du
1www.aventure littéraire.com/la-litterature –de-l’extreme-contemporain, le
20-01-2013 2Dominique Viart, Dominique Rabaté, Bruno Blanckeman, Barbarra
Havercroft, Pascal Riendeau, Pierre Michelucci dans Le roman français de l’extrême contemporain 3 Caractéristiques détaillées dans notre thèse de doctorat, Avril 2011,
intitulée L’écriture de l‘extrême contemporain à travers les textes de Pascal Quignard.
46
réel et du sujet dans des textes fictionnels mêlés de
fragments d‘essais, de discours journalistiques et /ou
philosophique, d‘H/histoire revisitée. Un sujet qui se
livre dans des textes romanesques où autofic-
tion/autobiographie/fragment témoignage se livrent en
pratiques plurielles et hétérogènes marquées par
l‘incidence des théories linguistiques, métaphysiques
mais aussi par le phénomène médiatique et le monde
de l‘édition.
Le contemporain dans notre corpus d‘étude se ré-
vèle aussi bien dans des thématiques précises que
dans des techniques d‘écritures singulières, corpus1
constitué de sept textes contemporains (entre 2003 et
2012) :
Zone de turbulence, Abdellatif Laabi, désigné par
(ZT)
Voyage au bout du délire, Zoubeïda Mameria,
(VBD)
Fille de harki, Fatima Besnaci Lancou, (FH)
Le cartable bleu, Leïla Aslaoui,( LCB)
Y-a-t-il une vie avant la mort ?, Ahmed Zitouni,
(YVM)
La mémoire de la chair, Ahlem Mestaghanemi,
(LMC)
L‘équation africaine, Yasmina Khadra, (EA)
Michel Bernard note à propos des titres :
Le titre est un énoncé elliptique ….on pourrait
faire une étude des titres, parce que dans le titre il y a
une micro-grammaire, et une micro-grammaire énor-
mément grossie p 33 ma thèse 1 Nous entendons par corpus l’ensemble des énoncés qu’on soumet à
l’analyse.
47
Relevons le clin d‘œil intertextuel : (ZT) avec le
best-seller au même titre de l‘auteur américain JJ.
Nance et le parallélisme avec le texte de Céline
Voyage au bout de la nuit.
Les titres se présentent en énoncés nominaux in-
diquant le thème des livres : ici, presque tous les titres
contiennent le trait sémique de l‘endurance, explicite-
ment ou non. Le tableau suivant permet de repérer ce
trait sémique sous ses différentes déclinaisons.
Titres Lieux Personnages Temps Objets Autres Ambigus
ZT + +
VBD + + +
FH + +
LCB +
YVM + +
LMC + + +
EA + +
Le TLF donne la définition du mot ‗endurance‘
comme étant la patience et l‘aptitude à résister avec
force et constance à une fatigue physique ou morale, à
endurer une épreuve. Or, à chacun de ces titres, nous
observons comment est instruit un sémème, qui tout
en faisant partie d‘un tout, ouvre la voie à des champs
de recherche et d‘interprétation pluriels. Reposant sur
un double niveau significatif comprenant à la fois la
lutte et la souffrance pour trouver l‘équilibre nécessaire
à l‘être. Si (ZT) s‘avèrera pour le S/sujet un espace à
cerner et à contenir, pour le narrateur de (VBD) il
s‘agira de mouvements et de recherches dans l‘espace
scriptural intervenant comme matériau du langage et
matière intrinsèque de la trame narrative. L‘absence
d‘articles définis augmente la dimension de l‘inconnu
de ces deux titres. (FH) convoque explicitement
48
l‘endurance subie par une génération née hors de la
guerre mais la subissant comme héritage douloureux.
Le vocable ‗chair‘ dans (LMC) désigne probablement
l‘endurance primaire du sujet à se dire, à narrer son
vécu. (YVM) prolonge ce questionnement du sujet dé-
calé, sorti des statuts traditionnels. Ainsi donc, l‘étude
des titres peut s‘avérer révélatrice …
Nous évoquions précédemment le retour du sujet
comme marque et inscription dans l‘écriture de
l‘extrême contemporain : mais c‘est un sujet qui
n‘imite plus le réel et ne donne plus un « état civil » de
la société. Conscient de sa position décentrée dans le
monde contemporain, formant autrefois son noyau, le
discours du sujet porte l‘héritage du soupçon et du
doute sur les idéologies précédentes et les théorisations
réductrices. En soumettant notre corpus numérisé à un
logiciel de traitement informatique (Hyperbase), nous
avons obtenu le nombre d‘occurrences total du corpus
et de chaque texte. Cette opération nous permet de réa-
liser quantitativement l‘importance de la place du su-
jet : les chiffres indiquant les fréquences fortes. Ainsi,
pour un total de 551 986 occurrences (nombre de mots
du corpus), il y a 6 856 occurrence de la forme ‗je‘ et
2 662 occurrences de la forme ‗j‘ pronom personnel
avec l‘élision (environ 10%) donc d‘un nombre pro-
portionnellement élevé de cette forme. Cette forte pré-
sence confirme sa place au sujet, qui pour se dire va
jouer sur les formes génériques, les modalités, les pro-
cédés de narration et d‘écriture.
49
Voyons directement dans un texte de notre corpus
le parcours d‘un sujet : pour cela nous nous proposons
de suivre, dans un événement fictionnel, le sujet qui
s‘auto-construit avec un concept « phagocyteur ». Dans
(VBD), le jeune narrateur Adam au chômage écrit des
articles de journaux sur les jeunes. C‘est à travers un
cheminement sémantique, philosophique et étymolo-
gique que le jeune Adam découvre qu‘il est lui-même
en train de devenir un futur adepte du phénomène
« harga ». Ce qu‘il pense être au départ un article de
presse sur les travers et difficultés de la jeunesse algé-
rienne finit par se dévoiler comme le parcours du « ha-
raga ». Sauf que les temps d‘écriture et de la construc-
tion du parcours se rejoignent, traçant à son insu son
propre parcours. Le texte se déroule dans un enchevê-
trement de fragments de récits, d‘écritures d‘articles,
de témoignages directs, de réflexions philosophiques et
de rixes avec les lettres d‘un mot qui dominera tout
l‘espace textuel :
…un immense H qui cherchait à me piétiner…le
piège d‘un O démesurément grand…un colossalG…un
R monumental…la pente d‘un énorme A. (VBD) p 9
Traquant Adam, ce mot finira par surgir de la chair
même du narrateur, devenant un « corps-mots :
50
Les mots des jeunes leur poussent dans la chair et
s‘abreuvent de leur sang (VBD) p 26
Mais désormais le mot attaquant « HOGRA » se
joue du narrateur et se transforme en HARGA ». Si les
jeux étymologiques ne sont pas nouveaux dans les
textes romanesques, leur fonctionnement ici apparait
plus qu‘un simple divertissement ou décor. En effet,
des réalisations comme :
Ho-
gra…….harga…..harag….haraga….harig….harid….m
ahroug….hrag…hagara …fils de fella-
ga…..hogra….felga
« dé-clandestin-iser, Algé-rois, Algé-riens léguia, c‘est
l‘ennui made in Algéria, m‘légui, les mots qui cachent
des maux forment l‘espace de « fictionnalisation » où
le sujet/narrateur exprime la défaillance d‘un mode,
d‘un système. Symbolisée par l‘image du patron tyran,
la « Hogra » se transforme en Haraga, « voyageur
clandestin, en hors-la-loi, en héros tragique et en
propre ennemi creusant un redoutable réseau ». Le
nombre d‘occurrences de ces vocables (24 pour hogra,
19 pour harga) indique leur importance dans le texte,
leur transcription du dialecte algérien dans l‘alphabet
français est manifeste, c‘est ce que nomme Ambroise
Queffélec la variété mésolectale du français,
Cette variété traduit l‘attitude désinvolte du sujet
parlant algérien à l‘égard du français […] qui va lui
donner une dimension algérienne et qui tire sa subs-
tance des référents culturels et identitaires marquant
sa réalité quotidienne.1 1 Queffélec Ambroise, Le français en Algérie: lexique et dynamique des
langues, Bruxelles, De Boeck Supérieur, 2002. p 120
51
Le vocable hogra, outre qu‘il est fréquemment uti-
lisé dans la presse algérienne et semble donc fonction-
ner comme un outil de communication fiable, relève ici
d‘une forme de néologisme de sens et de catégorie
grammaticale. En effet, « hogra » qui désigne habituel-
lement une notion1 est placé en position de sujet gram-
matical et sujet actif, « la hogra se mit à cogner, la
hogra qui cognait, une hogra impitoyable… » Si la
conscience linguistique du sujet admet le signifié en
puissance du vocable hogra, il semble qu‘il se produit
un phénomène d‘inversion avec le terme harga. Ainsi,
« harga » dont l‘aspect sémelfactif indique que
l‘action n‘est envisagée que faite une seule fois va petit
à petit endosser la valeur d‘un signifié de puissance.
[…] harga me tirait par les jambes…
[…] poussait vers la mer…
Je rendais justice à la jeunesse et à la harga par
devoir…
Ce terme chez Adam va recouvrir l‘ensemble des
virtualités, puis va s‘actualiser dans ses discours sous
différentes dérivations pour prendre finalement un si-
gnifié d‘effet : celui d‘exécuter le trajet fatal.
Les néologismes, paronomases, parallélismes ne
sont plus des outils formels du langage mais devien-
nent actants à part entière puisqu‘agissant sur le jeune
Adam. C‘est à travers eux que le sujet passe en revue
la situation de la société algérienne. L‘appropriation
1 Wikitionary définit le terme hogra comme : terme du français algérien
désignant l’oppression, l’exclusion, la brimade injuste, l’abus de pouvoir, l’abus d’autorité, http/Wikitionary.org/wki/hogra
52
d‘un dire des autres pour exprimer un point de vue
qui correspond à celui du sujet,
Des mots rouges…des mots incompressibles, in-
compréhensibles, imprononçables, ineffables, ineffa-
çables, incontournables, incongrus, des mots qui
s‘érigent en autorité indomptable pour cogner aux
portes des palais dorés et sur les consciences avec
force. p 69 sans qu‘en aucun cas il ne puisse être pris
en charge, indique l‘embrayage paratopique multiple.
Cet embrayage élève le discours de ce que Maingue-
neau nommerait « un discours constituant »1, le dis-
cours du « je » auteur rend légitime celui du « je » per-
sonnage de récit dans sa constitution. La lettre adressée
au Président de la République semble écrite par un fu-
tur « harag » qui pour le moins ressemble étrangement
à Adam, elle représente la voix du sujet en devenir
qui va prendre appui sur la méditation, le micro-récit,
la sentence qui conduira au « harga » face aux déstruc-
turations des repères et à la déstabilisation des identi-
tés. L‘endurance d‘Adam, livré à lui-même, s‘épuise
dans la lutte contre le « monstre tyrannique » et ; dés-
tabilisé, débouté des schèmes sociaux traditionnels,
Adam n‘a d‘autres solutions que : « je pénétrais ma
réalité scripturale ». Sauf qu‘il ne s‘agit pas d‘écrire
mais bien de se perdre dans cette « réalité » à travers
une redondance formelle et thématique sous forme de
1 Maingueneau définit le discours constituant comme : un statut spécifique
à des types de discours qui prétendent à un rôle que, pour faire vite, on peut dire fondateur et que nous appelons constituants .Maingueneau D., Cossuta F., L’analyse des discours constituants, In Langages, n° 117, Mars 95, p 112-125
53
fragments, fragments de vie, fragments d‘histoire,
fragments de récits.
Observant le départ du car-ferry El Djazaïr, sym-
bole d‘un ailleurs rêvé, Adam se prend à méditer sur
l‘histoire, histoire contemporaine et histoire du pays :
El Djazaïr […] un fragment de l‘actualité de
l‘Algérie […] le grand livre de l‘histoire de mon pays
[…] une histoire comprimée entre hogra et harga p 56
Méditation déviant sur une comparaison de deux
monuments emblématiques de l‘histoire :
La Défense El Aurassi
Le large boulevard menant à
la Défense
Une pente raide me mena de-
vant l‘hôtel El Aurassi
Bâtiment construit par la
France conquérante
Bâtisse, fierté de l‘Algérie in-
dépendante
Edifice attestant de la souve-
raineté
Lieu même du déclenchement
de la Révolution
Vaillamment, témérairement Majestueusement
Exposé, vulnérable, expansion Belle baie, échos retentissants
L‘évocation ironique de ces hauts lieux du figu-
ratif dans l‘histoire nationale, devenus des mythes
fonctionnant à l‘envers car emprisonnant tout rêve et
tout projet de vie :
[…] il faut avoir l‘audace aujourd‘hui d‘avoir
une baraque […] n‘ira pas planter sa bicoque met
l‘accent sur le désarroi du narrateur, les repères cons-
truisant l‘identité se délayent dans l‘obscurité d‘un
univers glauque, aux contours imprécis. L‘univers ex-
térieur agit comme un révélateur des troubles d‘Adam.
54
Au début du XXIème siècle les groupes
d‘appartenance encadrent de moins en moins les indi-
vidus, qui doivent se donner une identité qui les fuit :
que ce soit sur la base de l‘ethnie, des choix sexuels, du
sport, de la confession religieuse, de l‘engagement po-
litique. Appartenances instables et multiples, mobilité
fondamentale.1
Adam, fuyant les travers de la société, va
s‘impliquer corps et âme dans la recherche de repères
qui s‘obstinent à le fuir. Contre la tyrannique « Ho-
gra », il écrit des articles corrosifs, contre le mons-
trueux « Harga » Adam lutte à l‘aide d‘un amour qu‘il
va lui-même détruire, transgressant les diktats imposés
comme aussi ses propres croyances. Ainsi, la trans-
gression devient un élément de cohésion et semble être
le seul moyen d‘exprimer le monde éclaté entourant le
sujet. Le fragment, le récit, le témoignage, la lettre ou-
verte forment ce que Lacan note « une ligne de fic-
tion »2
Le processus d‘écriture/création ne s‘inscrit plus
dans une opposition énonciateur/écrivain mais bien
comme une activité énonciative qui relie une certaine
manière de dire avec un mode de circulation des énon-
cés et un mode de type de mise en relations, une
Source au sens de Maingueneau composant « un dis-
cours constituant », marque de l‘écriture de l‘extrême
contemporain.
1 14 Maingueneau D, Le contexte littéraire, paratopie et scène d’énonciation,
Armand Colin , 2004, Paris, p 167 2 2 Lancan : tout sujet s’appréhende dans « une ligne de fiction »
55
Bibliographie
Laabi Abdellatif, Zone de turbulence, 2012, La Diffé-
rence.
Aslaoui Leïla, Le cartable bleu, 2011, éditions Dali-
men.
Mosteghanemi Ahlem, La mémoire de la chair, 2002
Albin Michel.
Mameria Zoubeida, Voyage au bout du délire, 2011,
éditions Alpha.
Zitouni Ahmed, Y-a-t-il une vie avant la mort ? 2007,
La Différence.
Fatima Besnaci Lancou, Fille de harki, 2003, éditions
de l‘Atelier.
Khadra Yasmina, L’équation africaine, 2011, Julliard.
Maingueneau Dominique, Le discours littéraire : Pa-
ratopie et Scènes d’énonciation, Armand Colin, Paris,
2004
Ambroise Queffélec, Le français en Algérie: lexique et
dynamique des langues, Bruxelles, De Boeck Supé-
rieur, 2002.
Charaudeau P. & Maingueneau D. (2002), Diction-
naire d’analyse du discours, Paris, Seuil Siblot P. (1994), "L'éloquence des silences. D'une ab-
sence de nomination comme déni de réalité". Cahiers
de praxématique 23, pp. 2-26
56
AZOUZI Amar
MCF, Université de Jendouba, Tunisie.
Le contexte, les mots et le sens ou de la définition au
discours dictionnarique
"Ainsi, le dictionnaire participe des discours so-
ciaux, culturels, politiques d'une époque ou d'un mi-
lieu, en synchronie avec eux. C'est ce qui fait sa per-
suasion : il est accepté comme disant le vrai du sens
parce qu'il participe de la doxa et non du discours
scientifique, parce qu'il est fait d'interdiscursivité."
(Mazière 2005 : 118)
Résumé
Le lien entre discours, contexte et dénominations
que constituent les entrées qui réfèrent à l‘Arabe et/ou
le Musulman dans les dictionnaires, peut-être perçu
comme évident pour les uns, non pertinent pour
d‘autres. S‘agissant d‘éléments extralinguistiques, le
contexte a un rôle déterminant dans la saisie du sens
aussi bien des dénominations analysées que du dis-
cours dictionnairique qui les véhicule.
Mots clés
Contexte, dénomination, discours, référence, sens
Introduction
La présence des dénominations qui réfèrent à
l‘Arabe/musulman dans la langue française coïncide
avec l‘émergence de cette même langue. Historique-
57
ment, la langue française s‘est développée en parallèle
avec les rapports entre les deux mondes que sont
l‘Occident chrétien et l‘Orient musulman, rapports qui
ont évolué en dents de scie. En effet, une lecture de la
Chanson de Roland, par exemple, nous révèle que le
nombre d'occurrences du mot païens atteste que la lutte
contre les Sarrasins s'inscrit dans une logique reli-
gieuse, le combat séculaire contre le paganisme mené
par l‘occident chrétien. Le discours religieux, et par la
même socioculturel, combattait, rejetait et refusait cet
autre qu‘est l‘Arabe. L‘exclusion de l‘autre que celui-ci
constituait était à la fois sociale, intellectuelle et sur-
tout religieuse. Et cela se reproduit dans les diction-
naires de langue
Voulant interroger les dictionnaires de langue
française, nous découvrons que les stéréotypes et les
formations discursives constituent le fond des défini-
tions du mot Arabe et des mots coréférents.
Par ailleurs l‘étymologie des mots constituant le
champ de notre étude nous renvoie à des dates anté-
rieures aux premiers dictionnaires de langue française.
Il s‘agit des mots Arabe (du latin arabus), fin du XIe
siècle ; sarrasin, païen (1080), auxquels s‘ajoutent les
mots mahométan (XVIIe s.), musulman (XVIe s.),
maure (XVIIe s.) et turc (XVIIe s.).
Pourquoi les mots retenus ont-ils pris du temps
pour entrer dans une langue telle que le français ?
Comment expliquer le silence des premiers diction-
naires ? Quel rôle le contexte conflictuel a-t-il joué
dans les définitions de ces mots répertoriés par les dic-
tionnaires à travers les siècles ? Enfin par quoi
58
s‘expliquent les confusions et les amalgames affectant
les dénominations et les référents ?
1. Le discours et son contexte
Le discours ne se limite pas à l‘énoncé mais ren-
voie à tous les éléments qui participent à la production
de celui-ci, en l‘occurrence celui qui le produit, son
vis-à-vis et son cadre.
Le terme discours renvoie aux manifestations
concrètes du langage, et implique donc une prise en
considération du locuteur, du référent et de la situation
de communication. (Béal 2001 : 168-169)
Cependant, il est à préciser que le contexte dans
lequel tout discours est obligatoirement produit ne
constitue pas un simple cadre pour l‘énoncé produit. Le
rapport entre le discours, tout discours, est si étroit que
la saisie du sens de celui-ci est en corrélation étroite
avec le premier.
Le discours n‘intervient pas dans un contexte,
comme si le contexte n‘était qu‘un cadre, un décor ; en
fait, il n‘y a de discours que contextualisé : on ne peut
véritablement assigner un sens à un énoncé hors con-
texte. En outre, le discours contribue à définir son con-
texte et peut le modifier en cours d‘énonciation.
(Maingueneau 2002 : 189)
Par ailleurs, le contexte défini comme "l‘enquête
sur les relations entre, d‘une part, un événement repré-
senté par un segment de discours situé, focalisé dans
l‘attention des participants à un échange, et pris en
compte dans le travail de recherche et, d‘autre part, un
domaine d‘action plus vaste." (Bonu, 2001 : 62) exige,
dans une perspective actuelle, qu‘il soit pris en compte
59
dans l‘entreprise consistant à interpréter tout énoncé, la
définition du dictionnaire comprise.
Dans une perspective discursive, la saisie du sens
de l‘énoncé fait appel à des éléments extra-
linguistiques que l‘analyste ne doit aucunement occul-
ter dans son entreprise qu‘est la quête du sens.
Le contexte joue un rôle fondamental dans le
fonctionnement des énoncés, en ce qui concerne les
activités de production aussi bien que d‘interprétation
(résolution de certaines ambiguïtés, décryptage des
sous-entendus et autres valeurs indirectes, activation et
inhibition de certains traits de sens, intervention dans
les processus d‘enchaînement monologal ou dialogal).
Catherine Kerbrat Orecchioni, 2002 :135-136)
Le rapport entre la définition du dictionnaire, cet
énoncé produit dans un contexte socioculturel bien dé-
terminé, nous autorise à chercher le sens des mots-
entrées d‘un côté, en tant qu‘énoncé lexical et en tant
qu‘un discours tenu par un locuteur déterminé.
1.1. Dénominations et discours dictionnairique
Si nous partons des définitions usuelles de la no-
tion de discours telle que définie dans les références,
nous pouvons soutenir que la définition du diction-
naire, produite à un moment donné, dans un lieu don-
né, par quelqu‘un (individu ou groupe) pour un public
donné (présent ou à venir), est un discours qui de-
mande à être étudié en tant que tel. Les dictionnaires -
nous nous limitons à ceux de langue- sont en effet le
produit d‘une société et d‘une époque données. Ils
n‘échappent pas ainsi aux représentations partagées
dont ils se chargent de transmettre. Il s‘agit bel et bien
60
d‘un discours dans lequel sont enregistrés les sens
mémorisés.
"Le dictionnaire de langue est le lieu
d‘enregistrement des sens communément admis par
une société à un moment donné de son histoire." (M.-
A. Paveau, 2006 : 34, note 19)
Les définitions des dénominations l‘Arabe, le ma-
hométan, le Musulman, le Maure, le sarrasin et le Turc
constituent dans les différents dictionnaires de langue
des discours produits souvent sous la prégnance de la
doxa. Il y a cependant le cas du silence du dictionnaire,
quand celui-ci ne répertorie pas tel ou tel mot. S‘agit-il,
dans ce cas, d‘un choix délibéré ?
1.2. Le silence des dictionnaires
S‘il est attesté que le premier dictionnaire de
langue française n‘était pas essentiellement français,
mais français-latin, donc un dictionnaire qui répertorie
les mots latins et leurs équivalents français et vice-
versa, cela ne nous empêche pas de penser que les dé-
nominations de l‘Arabe, ainsi que des mots coréférents,
de par leurs étymologies, devaient y figurer.
Paradoxalement le premier dictionnaire1 ne fait
état d‘aucune des dénominations relevées dans la
Chanson de Roland, par exemple. Nous ne pouvons
alors que nous interroger sur cette absence sémantique,
cette évacuation de l‘Arabe et les entrées co-
occurrentes dans le premier dictionnaire.
Au départ, il y a l‘indicible absolu, barré, refoulé,
vérité qui ne parvient au sujet sous aucune forme et qui
n‘a même pas lieu d‘être nié. L‘emprise du prédis-
1 Dictionnaire de Robert Estienne.
61
cours1 est tel que l‘ennemi, tel qu‘il est, figurant dans
la conscience individuelle de chaque locuteur, ne doit
d‘aucune manière, être nomméee, désgnée. Une ma-
nière de dire son mépris de l‘autre et d‘adhérer à la re-
présentation de la doxa déjà en place. La langue répond
aux besoins de ceux qui l‘utilisent.
La dénégation est le moyen de nier l‘autre à soi-
même. La représentation n‘est plus refoulée ; elle par-
vient à la conscience, mais dite sous une forme niée, ou
celle du déni, elle est dénigrée, non acceptée pour ce
qu‘elle est et (re)produite par le sujet lui-même.
L‘autre, rejeté, nié dans le premier dictionnaire d‘une
langue qui se met en place est un déni de la réalité que
la langue est censée dire.
La prégnance du contexte religieux et social est
manifeste dans les définitions des mots figurant dans le
dictionnaire.
1.3. D'une absence de dénomination comme déni de
réalité
Nous retenons en premier lieu l‘absence de
quelques dénominations dans des dictionnaires ou dans
d‘autres, absence que nous considérons comme acte
discursif par lequel l‘autre est nié. Ne pas nommer
l‘Autre c‘est ne pas reconnaître celui-ci tel qu‘il est,
c‘est nier son existence linguistique. Nier l‘existence
de l‘autre même au niveau de la langue est le reflet
d‘un discours qui rejette et ne reconnaît pas l‘autre.
L‘autre ne doit pas figurer dans le dictionnaire bien
qu‘il soit présent dans d‘autres genres de discours, dans
la conscience, aussi bien collective qu‘individuelle.
1 Notion que nous empruntons à Marie-Anne Paveau, 2006.
62
1.4. L’éloquence des silences
Si la linguistique a pour objet les observables lan-
gagiers, l‘analyse du discours nous offre la possibilité
d‘étudier, quand il le faut, l‘absence de ces mêmes ob-
servables. Il s‘agit en fait de ce que Paul Siblot appelle
le " sens par défaut"
Le linguiste […] ne saurait en effet ignorer le ré-
férent. Le principe de la praxématique postulant une
étroite relation entre praxis sociale et pratiques langa-
gières conduit à poser l'hypothèse que le décalage entre
la réalité des motifs et le masque de leur mise en dis-
cours ne peut pas ne pas entraîner de contradictions au
sein même du texte. (Siblot 1994 : 9)
Dans cette perspective nous allons nous appliquer
à montrer, en veillant à rester dans un champ d'étude
proprement linguistique, que cette absence n‘est pas
fortuite.
C‘est là que l‘appel à l‘extralinguistique, aux con-
ditions de production du discours pour élucider
l‘indicible, le non-dit et les raisons qui y président est
essentiel.
On peut cependant rechercher des indices de ces
mutismes à l'intérieur du champ d'étude propre de la
linguistique : confrontation à d'autres textes de la
même formation discursive, repérage des intertextuali-
tés ou des marques formelles de vides, d'absence dans
le texte même. (Siblot 1994 : 18)
C‘est dans un cadre socio-historique que s‘inscrit
cette volonté linguistique d‘évacuer l‘Arabe du premier
dictionnaire de langue française. Or nous savons très
bien qu‘"On pourrait multiplier les attestations relevées
dans le contexte historique pour corroborer cette ap-
proche de l'implicite." (Siblot, 1994 : 23). Les témoi-
63
gnages attestant la présence de l‘Arabe d‘une manière
ou d‘une autre dans une formation discursive liée à
l‘arabo-musulman du Moyen âge ne manquent certai-
nement pas. Les dictionnaires de langue française ont
toujours recours à ce moyen pour écarter l‘autre du
champ lexicographie.
1.5. Le contexte religieux et socioculturel
C'est donc bien dans l‘indicible que le discours
dictionnairique fait fondamentalement sens. Ce sens est
à rechercher dans le contexte de l‘époque, un contexte
marqué par des conflits incessants dont les plus mar-
quants ne sont autres que les Croisades. Cela présup-
pose que "la détermination du discours (se fait) par son
extérieur" (Maldidier, 1993 : 2) et nous pouvons en-
chaîner avec Denise Maldidier et affirmer que le dis-
cours du dictionnaire est dès lors considéré " comme
lieu où se noue le rapport entre la langue et l'Histoire."
(Maldidier, 1993 : 3).
Le déni de l‘Arabe dans les premiers dictionnaires
n‘est ni un oubli ni un hasard mais une volonté des
concepteurs d‘ignorer, de faire taire, celui que la socié-
té rejette, refuse et condamne parce qu‘il est à l‘origine
de tous les maux. N'est-il pas le païen, l‘ennemi,
l‘hérétique, etc.? Le déni de l‘autre est un acte discursif
que la postérité confirmera, en continuant à ignorer,
des siècles durant, des ethnies et des minorités que la
doxa rejette d‘une manière ou d‘une autre.
Nous postulons donc que c‘est la prégnance du
contexte qui a fait que les deux versions du Diction-
naire françois-latin contenant les motz et les manieres
de parler françois tournez en latin de Robert Estienne,
64
1539 et 1542, ne rendent pas compte de la réalité lin-
guistique relative à l‘Arabe et ne font pas figurer les
dénominations qui y réfèrent d‘une manière ou d‘une
autre. La seule entrée qui figure dans les deux diction-
naires est Alcoran défini comme : "vault autant a dire
comme vray loy.". Cette définition sera reprise telle
qu‘elle par des dictionnaires postérieurs même si "[…]
la nécessité d‘un nouveau dictionnaire n‘apparaîtrait
pas évidente s‘il ne devait innover sur ceux qui exis-
tent." (Nouveau Petit Robert, 2008 : Préface).
2. Définition, référent et contexte
Les définitions des dénominations faisant l‘objet
de nos investigations sont souvent marquées. Elles ré-
fèrent à l‘Arabe/musulman telle qu‘il figurait à
l‘époque des conflits qui ont opposé les deux mondes,
le chrétien et le musulman. Le référent est ainsi défini
en fonction du contexte - cadre de la définition, cadre
du discours-. La définition du dictionnaire ne peut être
comprise qu‘en fonction du référent et du contexte de
(re)production des énoncés. La définition ne porte pas
sur le sens du mot-entrée mais sur les traits définition-
nels du référent, traits que la communauté n‘acceptent
aucunement et que les dictionnaires reprennent et con-
firment. De quels traits définitionnels s‘agit-il ?
2.1. La cupidité, le brigandage et le vol
Les définitions proposées par les dictionnaires
sont essentiellement connotatives faisant établir un lien
étroit entre le contexte, le référent et la référence.
La relation qui unit une expression linguistique au
« quelque chose » qu‘elle exprime est communément
65
appelée référence et le « quelque chose » son référent.
(Kleiber, 1997 : 9)
Au XVIe siècle, les péjorations (re)produites por-
tent sur la cupidité, le vol et le brigandage. Il s‘agit de
défauts étroitement liés à la conjoncture socio-
économique de l‘Occident chrétien. Le brigandage et la
cupidité sont certes condamnés aussi bien par l‘église
que par la société. Les définitions qui mettent l‘accent
sur ces propriétés attribuées à l‘Arabe plaident en fa-
veur d‘un rejet social de celui-ci. La linguistique, ici le
discours dictionnairique, s‘inscrit dans le mode de pen-
sée de la doxa. Les mêmes péjorations sont véhiculées
par tous les dictionnaires du XVIème siècle ainsi que
ceux qui leur sont postérieurs.
ARABE. Homme avide d‘argent. – Par ses ra-
pines et rançonnements, il avait amassé de grandes ri-
chesses… Et de vray, il ne se trouva jamais un tel
Arabe. (Huguet).
Un siècle plus tard, au XVIIe siècle, le diction-
naire de Gilles Ménage, Les Origines de la Langue
Françoise, qualifie l'Arabe d'avare et de larron. Le re-
cours à ces deux adjectifs fait appel à la mémoire col-
lective. La société refuse, rejette et condamne ces dé-
fauts dont elle a souffert des siècles durant. Le poids de
la doxa dans la définition du dictionnaire a son poids.
A ces défauts s'ajoute celui de la maltraitance, et sur-
tout quand il s‘agit de la maltraitance des pèlerins.
Ainsi donc, registre social et registre religieux se trou-
vent mêlés, l'objectif étant de (re)produire et faire pé-
renniser une image négative de l'autre, en l‘occurrence
l‘arabe, ainsi dénommé, dans un outil aussi pédago-
gique que le dictionnaire.
66
ARABE. Arabe pour dire un exacteur avare. Je
croy que ce mot est venu des Pèlerins qui voyageoient
en la terre sainte, à cause du mauvais traitement qu‘ils
recevoient des Arabes. Les Anciens ont dit mesme un
Arabe pour dire un larron. (Gilles Ménage)
Discours socio-économique et discours religieux
se croisent pour jeter l‘anathème sur celui qui porte
atteinte aux valeurs de la communauté. Au début, une
équivalence est établie entre Arabe et exacteur avare.
Le qualificatif exacteur " celui qui extorque de l'argent"
est appuyé par l‘adjectif avare. Il s‘agit en fait de deux
défauts majeurs, condamnés aussi bien par l‘église que
par la société. Le contexte, marqué par une instabilité
permanente, des guerres incessantes, les méfaits des
commerçants et des monopoles, favorise une haine so-
ciale à l‘encontre de ceux qui en sont les instigateurs.
Les définitions des dénominations qui réfèrent à
l‘Arabe s‘inscrivent dans cet état d‘esprit.
2.2. Dénominations et péjorations
Ces défauts s‘étendent à une autre dénomination,
les Sarrasins. Ainsi, l‘idée de Kleiber se trouve-t-elle
confirmée.
Nous ne pouvons pas dire le monde tel qu‘il est en
soi, mais seulement tel qu‘il est ou paraît être pour
nous. (Kleiber, 1997 : 12)
En effet, quand le mot "sarrasin" est introduit dans
la langue, il n‘a pas le sens moderne d‘orientaux. Les
premiers dictionnaires recourent à l‘histoire et au pré-
construit idéologique pour délimiter le sens du mot
quitte à sacrifier les traits lexicographiques et séman-
tiques.
67
Le Dictionnaire de Ménage présente dans un pre-
mier temps l‘étymologie latine du mot "saraceni". Par
la suite, il donne à lire différents points de vue sur
l‘origine historique et sociale des sarrasins en citant des
auteurs ecclésiastes comme Hermias Sozomène.
Paradoxalement, le dictionnaire introduit une
étymologie lexicographique, suite à une corruption dé-
rivationnelle, qui n‘a rien à voir avec le lexique, même
si le dictionnaire se base sur des auteurs antérieurs : "
le mot Saraceni vient de l‘arabe Sarik1, qui signifie un
voleur, et qui est formé du verbe Saraka, qui signifie
furari ; & que ce nom fut donné aux Sarazins à cause
des voleries et des brigandages qu‘ils excerçoient."
Là aussi, la prégnance du discours de la doxa est
manifeste, le recours au préconstruit et au prêt à penser
marquent la définition. Le dictionnaire répond à une
attente d‘un public particulier, dans un contexte parti-
culier.
Les deux traits définitionnels de l‘Arabe, déjà re-
tenus dans le dictionnaire, vol et brigandage,
s‘appliquent aussi aux Sarrasins. La définition basée
sur un faux étymon donne lieu à un point de vue idéo-
logique produit d‘un discours social rejetant l‘autre, en
l‘occurrence le sarrasin, l‘arabe ou le musulman. Peu
importe la dénomination, l‘autre est ainsi systémati-
quement refusé, rejeté. L‘anathème contre lui est lancé
et le verdict est sans appel.
1 La confusion de l’orthographe des mots Shark (Orient) et Sarik (voleur).
Ladite confusion est-elle pour autant innocente ?
68
2.3. Les temps changent et les péjorations demeu-
rent
A la fin du XVIIe siècle, le dictionnaire de Fure-
tière reprend à son compte le prêt à porter discursif. Ce
sont alors les péjorations qui collent à l‘image de
l‘Arabe –avare, cruel, tyran- qui sont réitérés. Seul
l‘adjectif –tyran- apparaît, à notre connaissance, pour
la première fois.
L‘avarice, la cruauté et la tyrannie sont argumen-
tées par un énoncé dont le sujet est effacé. L‘énoncé
reprend un stéréotype que le lecteur rencontre dans
d‘autres dictionnaires. L‘usure demeure le défaut ma-
jeur de cet autre qu‘est l‘Arabe que la langue présente
toujours sous les mêmes traits. Le contexte n‘est pas
encore favorable à l‘admission de l‘autre tel qu‘il est
dans les nouveaux rapports au monde.
ARABE. Substantif masculin & féminin, Avare,
cruel, tyran. Quand on a affaire à des sergents, ce sont
des Arabes qui tirent jusqu‘au dernier sou, les Hôte-
liers de Hollande sont des Arabes, ils rançonnent leurs
hôtes. Cet usurier est un Arabe envers ses créanciers, il
ne leur relâche rien.
2.4. Le Dictionnaire de l’Académie, rupture ou con-
tinuité ?
Bien qu'il s'agisse d'un dictionnaire produit par
l'Académie, celui-ci n'échappe ni à l'emprise du déjà
dit ni au prêt à penser quand il traite des entrées
"Arabe" et des termes corrélés. Ne dérogeant pas à la
règle, il définit l'Arabe non pas comme une ethnie ou
une nation mais en recourant au caractère qui lui est
socialement attribué, la cupidité. Le discours de la doxa
est mis en valeur quand il n‘est pas le seul critère défi-
69
nitionnel. La définition recourt à une représentation
répandue de l‘Arabe.
Il n'est pas mis icy comme un nom de Nation,
mais comme signifiant Un avare qui rapine sur tout,
qui exige au-delà de la Justice.
La succession de quatre adjectifs péjoratifs met
sur le marché linguistique une représentation sociale
mémorisée depuis des siècles. Outre l'usure et la cupi-
dité, les traits définitionnels de l'Arabe sont reproduits
tels qu‘ils figuraient dans les dictionnaires antérieurs.
ARABE : Usurier, avare, sordide & vilain. [En-
durci-toi le cœur, sois arabe, corsaire. Dépreaux, Satire
8.]
L‘usure fut tout au long du Moyen Âge, et même
jusqu‘au dix-septième siècle, un défaut majeur, voir un
péché que l‘église et la société condamnaient. Elle est
condamnée aussi bien par l‘église que par la société.
D‘ailleurs, le droit moderne considère l‘usure comme
un délit, le délit d‘usure. L‘Arabe, dans les diction-
naires est souvent présenté comme usurier et avare et
donc opposé aux principes et aux valeurs de la com-
munauté.
2.5. Des représentations pérennisées
Le discours dictionnaire véhiculant une représen-
tation péjorée de l‘Arabe se retrouve encore au dix-
huitième siècle. C‘est ainsi et malgré son caractère phi-
losophique, très particulier certes mais qui va dans
l‘esprit du siècle des lumières, et bien qu‘il ne s‘agisse
pas d‘un dictionnaire de langue, le Dictionnaire philo-
sophique de Voltaire va dans le même sens que les dic-
tionnaires antérieurs. Le contexte est toujours favorable
70
à un discours connoté quand le référent est l‘Arabe,
pour des représentations pérennisées.
Les Arabes qui habitent les déserts ont toujours
été un peu voleurs. Ceux qui habitent les villes ont tou-
jours aimé les fables, la poésie, et l‘astronomie.
Nous voyons que Voltaire reprend telle qu‘elles
étaient des définitions et des représentations existantes.
L‘esprit critique et universel ne touchent pas aux repré-
sentations de l‘Arabe1, voire de l‘autre en général.
3. L’imbroglio des dénominations
Bien que les dénominations soient différentes,
nous constatons que le référent demeure le même qu‘ils
soient Arabe, Musulman, Maure, Sarrasin ou Turc.
Les arabes, les mahométans, les maures, les mu-
sulmans, les sarrasins, les Turcs, des dénominations
différentes pour un même référent ; des amalgames et
des confusions au service d‘un discours par lequel la
doxa rejette l‘autre, l‘ennemi.
Les dénominations de l'Arabe avec ses variantes
dénominatives, Maure et Sarrasin, sont préexistantes à
la langue française puisqu‘elles figuraient déjà dans la
langue latine. Les premiers dictionnaires ne pouvaient
donc que reprendre des catégorisations mémorisées par
la doxa et dans la littérature du Moyen âge. La pre-
mière des catégories qui convenait à l'Arabe était liée
au paganisme.
Avant l'essor de l'islam, les chrétiens avaient des
catégories établies pour l'ordre religieux : juif, païen,
hérétique. Quand ils rencontrèrent les musulmans, ils
essayèrent de faire entrer dans l'une de ces catégories,
1 Citons ici la tragédie de Voltaire : Mahomet ou le Fanatisme, (1741)
71
"ignorant ou déformant" les "faits gênants" qui ne cor-
respondaient pas au schéma préétabli afin de ne pas
bouleverser ces postulats. (Tolan 2003 : 31-32).
Tel est le contexte socioculturel qui a toujours
marqué le discours dictionnairique quand il s‘agit de
définir l‘Arabe ainsi que les termes qui y réfèrent.
3.2. De quelques aberrations
Ces amalgames et ces confusions, au niveau du
lexique, au niveau des référents et des définitions cons-
tituent des aberrations que nous retrouvons dans
presque tous les dictionnaires, du Moyen âge, jusqu‘au
19ème
siècle.
Les premiers dictionnaires qui ont introduit les
mots qui référent aux Arabes recourent à des dénomi-
nations d'ordre ethnique. La catégorisation permet la
mise en place de dénominations non religieuses : "A de
rares exceptions près, les chrétiens du Moyen Age
n'employaient pas les mots "musulmans" ou "islam,
mais des vocables ethniques : "arabe", "sarrasin", "is-
maélite"". (Tolan 2003 : 33).
Avec la prise de Constantinople, l‘amalgame entre
l‘Arabe, le Musulman et le Turc a émergé. Un contexte
qui a largement contribué à confondre l‘un avec
l‘autre, à tel point que les définitions sont devenues
interchangeables.
Musulman. Nous appelons ainsi un Mahométan.
C‘est un mot turc, qui signifie un homme qui croit ce
qu‘il faut croire.
M. l‘Abbé Berault sur cette note a dit : le mot
Musulman n‘est point Turc. C‘est un mot Arabe. [...]
Au reste, ce fut Mahomet qui donna le nom de Musul-
man à ses sectateurs. (Gilles Ménage, Dictionnaire)
72
La définition met en premier lieu un énoncé ayant
pour sujet un –nous- inclusif dont la valeur référentielle
est, hors contexte, difficilement identifiable ; s‘agit-il
de l‘auteur ou de la communauté linguistique ?
L‘étymologie du mot est volontairement ramenée
à la langue turque. A l‘époque, l‘empire turc était en
pleine expansion. Dans un contexte guerrier, le Turc
est l‘ennemi ; dire que le mot Musulman est d‘origine
turque s‘inscrit dans un discours qui reprend la doxa
dont il se fait l‘écho.
La réfutation de l‘origine du mot se fait par rico-
chet. En effet, le recours au discours direct introduit
par le verbe –dit- se présente comme un argument dont
la force réside dans la notoriété de la personne citée, en
l‘occurrence l‘Abbé Berault, ecclésiaste.
Les dénominations -musulman et mahométan-
sont présentées comme synonymes. Le dictionnaire
rectifie cependant une information quant à
l‘étymologie du mot musulman, mot arabe et non turc.
La domination turque de l‘Occident a créé un amal-
game entre le turc, l‘homme mais aussi la langue, et
l‘arabe.
Le nom -sectateurs- pris pour désigner les adeptes
de l‘Islam est un dérivé du mot secte " Personne qui
professe les opinions d'un philosophe, les croyances
d'une secte.". Le dictionnaire présente l‘Islam comme
une secte dont les adeptes sont des sectateurs. Le dis-
cours définitionnel est sous l‘emprise du préconstruit,
voire du prêt à penser idéologique et religieuse.
73
C‘est ainsi que nous retrouvons cette définition du
mot Arabe dans un dictionnaire de la fin du dix-
neuvième siècle.
ARABE [Etymologie. Emprunté du latin arabus]
Originaire de l‘Arabie. Le peuple arabe. Les
Arabes, un Arabe, et, figuré : c‘est un Arabe, un
homme rapace. Si Arabe, corsaire, Boileau, satire 8.
(Hatzfeld & Darmesteter : Dictionnaire Général de la
langue française...)
Nous nous limitons à ces définitions et à ces dic-
tionnaires vu que la rupture avec le déjà-dit ne verra le
jour qu‘au cours de la seconde moitié du vingtième
siècle.
3.3. Vers un nouveau discours dictionnairique
Si la première moitié du vingtième siècle est mar-
quée par les nombreuses rééditions du Larousse illus-
tré, la seconde l‘est par le dictionnaire Le Robert.
La seconde moitié qui a vu l‘ère de la décolonisa-
tion et des mouvements socioculturels rejetant la sé-
grégation pour une acceptation de la différence et de
l‘altérité trouvera écho dans les différents dictionnaires
de langue. Le contexte transmis par cette nouvelle
idéologie et par une nouvelle culture influencera d‘une
manière ou d‘une autre les définitions des unités lexi-
cales qui font notre discours.
Arabe. étym. Fin xie du latin arabus ou arabs, lui-
même du grec araps. Originaire de la péninsule ara-
bique. Tribus arabes.
Musulman, ane. étym. xvie arabe mislim « fidèle,
croyant »
74
Qui professe la religion de Mahomet. vx mahomé-
tan.
Qui est propre à l‘islam, relatif ou conforme à sa
loi, à ses rites ; qui appartient à la communauté isla-
mique. (Le Petit Robert 2009)
Arabes. Ensemble de populations formant une na-
tion. (Le Petit Larousse 2009)
Ces définitions dénotatives et objectives
s‘inscrivent dans le cadre d‘une nouvelle vision de la
lexicologie et de la recherche d‘une certaine objectivité
qui n‘hésite pas à reprendre les proverbes et les idées
reçues rencontrées dans des dictionnaires antérieures.
Les définitions sont des formations discursives aux-
quelles les auteurs des dictionnaires sont soumis d‘une
manière ou d‘une autre. Le contexte du discours n‘est
plus un contexte immédiat mais celui qui concerne
toute une communauté à travers son histoire et à tra-
vers ses rapports avec le monde et avec l‘autre.
Conclusion
Avec l‘avènement du vingtième siècle, même de-
puis la fin du dix-neuvième siècle, les définitions de
l‘Arabe sont devenues, à quelques exceptions près,
plus objectives, plus détaillées et plus soucieuses de
l‘opinion générale et de l‘aspect universel de la langue
française. Cependant, les phrases d‘auteurs, des élé-
ments d‘histoire que l‘Histoire a réfutés, sont encore et
toujours présents.
Nous pouvons affirmer que les définitions, plus
ou moins objectives, finissent par se stabiliser au cours
du vingtième siècle et que les nouveaux dictionnaires
n‘autorisent plus ce que le discours politique ou autre
admet.
75
Cependant, encore un revirement eut lieu!
L‘avènement du vingtième et unième siècle, le 11 sep-
tembre 2001, les guerres menées contre l‘Irak et contre
l‘Afghanistan et enfin ce qui se passe dans des pays qui
ont connu ce qu‘il est convenu d‘appeler le printemps
arabe vont instaurer de nouvelles représentations qui
déboucheront sur de nouvelles dénominations.
Les définitions d‘unités lexicales comme terro-
risme / terroriste, islamisme / islamiste, djihad, etc.
donnent lieu à de nouveaux amalgames et une présence
manifeste de l‘idéologie occidentale dont les diction-
naires à venir se feront l‘écho.
Bibliographie
1. Ouvrages de linguistique
Béal C., in Détrie C., Siblot P., Verine B. (2001),
Termes et concepts pour l’analyse du discours. Une
approche praxématique. Honoré Champion, Paris.
Kleiber G. (1997) : Sens, référence et existence : Que
faire de l‘extra-linguistique, Langages, n° 127, 9-37.
Maldidier D. (1993), L‘inquiétude du discours. Un tra-
jet dans l'histoire de l'analyse du discours : le travail de
Michel Pêcheux, Semen, 08, Configurations discur-
sives, 1993, [En ligne], mis en ligne le 21 août 2007.
URL : http://semen.revues.org/document4351.html.
Consulté le 18 mars 2008.
Mazière F. (2005), L'analyse du discours, Que sais-je?,
puf.
Siblot P. (1994), "L'éloquence des silences. D'une ab-
sence de nomination comme déni de réalité". Cahiers
de praxématique 23, pp. 2-26.
Paveau M-A. (2006) : Les prédiscours, sens, mémoire,
cognition, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle.
76
Tovlan J.- V, (2003), Les Sarrasins, l'islam dans l'ima-
gination européenne du Moyen Âge, Traduit de l'an-
glais par Pierre-Emmanuelle Dauzat, Paris, Flamma-
rion.
2. Dictionnaires
Edmond H. Le Dictionnaire de la langue du XVIème
Siècle, version numérisée. Cf.
www.lexilogos.com/francais_renaissance.htm
Dictionnaire de l’Académie françoise (1694), version
électronique.
Estienne R. (1539) : Dictionnaire françois-latin, con-
tenant les mots & les manières de parler françois,
tournez en latin, version en ligne, gallica.fr.
Furetière A. (1690) : Dictionnaire Universel, version
en ligne de Champion Electronique.
Ménage G. (1694) Dictionnaire étymologique de la
langue française, version du Grand atelier de la langue
française, Version électronique.
Hatzfeld A. & Darmesteter, avec le concours de Tho-
mas, Dictionnaire Général de la langue française du
XVIIème
siècle jusqu’à nos jours, 1890-1900
Voltaire F-M. A. (1964) [1765, pour la première édi-
tion] : Dictionnaire philosophique, Paris, Flammarion.
77
Dr Donald Vessah Ngou - Laboratoire MoDyCo -
Université Yaoundé
Le pronom nous dans la trilogie de Léonora Miano,
esquisse d’une interprétation modulée du discours.
Résumé
Considérant une auteure dont la position est sym-
bolique des nouvelles stratégies sur le champ littéraire
africain, l‘article propose une exemplification du par-
cours interprétatif qui intègre tant des données entou-
rant strictement le texte que des paramètres condition-
nant production et réception du roman. Pour ce faire, il
s‘appuie sur un corpus trilogique, dont les parties re-
présentent un tout à la fois unique et divisible.
Mots clés Contextualisation, corpus, paratexte, positionnement,
anagnose.
De tous les déictiques du système pronominal
français, nous est sans doute le plus complexe et le plus
exigeant en matière d‘analyse intégrale. Faisant priori-
tairement partie de ces morphèmes qui ne peuvent pas
être interprétés à l‘intérieur de la phrase (Reboul et
Moeschler, 2005 : 55), il engage toutes les dimensions
circonstancielles et peut intégrer des personnes très va-
riées, non seulement dans le contenu de la prédication,
mais aussi dans l‘intention de communication engagée,
sans forcément exiger leur présence dans le contexte
d‘énonciation.
78
Dans ce sens, son analyse se doit de scruter plus
particulièrement les rapports discursifs qui lient non
seulement ses référents entre eux, mais aussi ceux-ci
avec le ou les destinataires. D‘où l‘interrogation sui-
vante : le locuteur est-il mandaté, institutionnellement
ou discursivement, pour bâtir un point de vue collectif?
Quelles situations justifient son couvert sous le pro-
nom?
Le nous s‘opposant systématiquement à un vous, à un
tu, ou à un ils, comment le pronom conçoit-il l‘identité
et l‘altérité, l‘appartenance ou la non-appartenance,
l‘inclusion ou l‘exclusion par rapport aux protagonistes
de l‘énoncé/énonciation ?
Mais avant toute chose, disons un mot sur le cor-
pus et le postulat théorique qui en légitime le choix, en
même temps qu‘il en éclairera l‘analyse.
1. Du choix du corpus au soubassement théorique.
Quelle élasticité du contexte ?
Ce n‘est un secret pour personne, l‘écrivain afri-
cain est contraint à une posture à tout le moins double,
imposée par l‘hétérogénéité de son public. Or, cette
hétérogénéité, surtout quand elle se bâtit autour de su-
jets brûlants, est d‘autant plus difficile lorsque la situa-
tion géographique de l‘écrivain n‘est pas partagée avec
celle du lecteur autochtone. Et Miano qui, vivant en
France depuis 1991, ayant fait des études supérieures
de Lettres Anglo-Américaines, d‘abord à Valen-
ciennes, puis à Nanterre, est un prototype symbolique
de cette situation.
Outre le fait qu‘elle soit en voie de se faire une
place de plus en plus imposante dans le paysage litté-
raire francophone, Miano attire l‘attention par ce
79
qu‘elle suggère une réflexion profonde sur la responsa-
bilité des Noirs dans leur dénuement. Du côté des ro-
mans, nous avons opté pour ceux de la Trilogie :
L‘Intérieur de la nuit (2005), désormais I.N., Contours
du jour qui vient (2006) – C.J.V. - et Les Aubes écar-
lates (2009) – A.E. Dans cette perspective, si l‘on ad-
met avec Rastier (1998 : 106) que la contextualité de
l‘écrit va de texte à texte, et que le contexte gagnerait à
être défini comme une relation entre textes, il devient
alors légitime de considérer les romans du corpus
comme une unité discursive que le principe de rétroac-
tion, qui modifie le sens et la valeur de certaines occur-
rences déjà analysées à mesure que l‘on progresse dans
la lecture, vient éclairer.
Voilà le contexte mis en puissant rapport avec
l‘intertexte, et l‘intersémantique des occurrences analy-
sées tributaire de la macrosémantique. Cependant, par-
ler d‘intertexte n‘autorise pas une anarchie de données
relationnelles disparates. Il suffit de penser le texte en
rapport avec d‘autres textes dans une délimitation co-
hérente, le corpus. Voici ce qu‘en dit Rastier (ibid.,
108) qui, se situant d‘un point de vue philologique,
place le corpus - et non plus le texte, alors relayé à une
globalité transitoire - comme idoine horizon d‘analyse :
pour ne pas hypostasier le texte, il faut articuler la ma-
crosémantique qui le décrit à une intersémantique qui
traite des rapports entre textes.
Le texte est donc une plage pour l‘océan du cor-
pus, qui arrime l‘analyse à une connexion de faits sé-
miotiques. Résultat, à partir d'un texte, l'intertexte est
ce par quoi l'on accède par l'ensemble des références
(ou allusions) et plus généralement par l'ensemble des
80
connexions opérées par la lecture et que l'on peut appe-
ler l‘anagnose (reprenant la définition de Ioannis Ka-
nellos et Théodore Thlivitis).
Par cette anagnose (ana, avant et gnôsis, connais-
sance) est mis en avant un capital de connaissances
préalables à la lecture du texte en question, et qui lui
sont liées. Fort de cette exploitation de connexions in-
tertextuelles, le sens ne consiste plus en représentations
mentales ou en description de faits et d‘effets textuels
isolés, mais se module par des parcours au sein de
textes, à condition d‘être en relation, peu ou prou, au
corpus, constitué selon une cohérence scientifique.
Quant à ce qui nous concerne, il est évident que la con-
substantialité des textes du corpus trilogique renforce
la légitimité d‘une perspective intertextuelle.
Ainsi, le contexte de chaque occurrence, pour per-
tinent qu‘il puisse être, renferme une tension qui ne
s‘estompe qu‘à la globalité de l‘œuvre, et donc à la
source commune de ses composantes : l‘écrivain, quel
que soit le nom d‘auteur pris pour chaque roman.
L‘essentiel dépend alors d‘une gestion infléchie et pro-
portionnelle des niveaux de structure (environnement
linguistique ou situationnel).
Reboul et Moeschler (2005 : 163) voient un dis-
cours comme une suite non arbitraire d‘énoncés. Au-
trement dit, le pensent en termes de composantes et
d‘ensemble(s), d'une reconnaissance locale et partielle
du problème de l'interprétation (Rastier, 1998 : 97).
D‘où la pertinence de concepts gradés, déclinés en in-
tention informative locale et intention informative glo-
bale. Or chaque intention informative locale dépend un
tant soit peu de l‘intention informative globale, collée
81
aux coordonnées situationnelles de l‘auteure. De
même, l‘intention informative globale ne saurait se ré-
duire à la somme des intentions informatives locales
correspondant aux énoncés successifs du discours
segmenté dans la Trilogie. Le contexte exige de ce fait
une précompréhension basée sur une hypothèse de la
diffusion sémantique - en texte comme en paratexte.
Bien qu‘une telle approche pourrait s‘apparenter à
un procès d‘intention, posons l‘hypothèse que le nous,
particulièrement présent et ondoyant dans l‘ensemble
des textes mianoéens, serait un coup de force de
l‘Expatriée pour s‘insérer dans le groupe au nom du-
quel elle parle, mais dont elle est pourtant séparée par
la distance géographique. Il l‘aiderait même sur
n‘importe quelle plage énonciative, de l‘un ou l‘autre
côté de l‘Atlantique, à la même cohésion, mais par des
stratégies différentes. L‘on attendra de cette approche
qu‘elle montre comment les occurrences textuelles du
pronom pluriel – un contexte pouvant en éclairer un
autre – traduisent la complexité de la conjoncture de
l‘écrivain africain, voué à jouer le double-jeu de la
consolidation des liens avec ses divers publics africain
et européen.
Il importe de considérer préalablement
l‘envergure référentielle du pronom, avant d‘en envi-
sager une prospection extensive. Observons à ce titre
les exigences en matière de corrélations entre paliers de
complexité, si bien distinguées par Rastier (2004 : 10) :
les paliers microtextuel (morphème, lexie), mésotex-
tuel (de la période au chapitre), macrotextuel (texte
complet dont péritexte et paratexte), intertextuel (le
corpus).
82
2. Le palier microtextuel : caractérisation du mor-
phème
Dégageons ici les propriétés intrinsèques du mor-
phème.
2.1. Le potentiel référentiel de nous
Introduit par la grammaire comme la première
personne du pluriel, nous désigne, mis à part le nous
dit de majesté ou de modestie, le locuteur plus un en-
semble de personnes. D‘où la dimension psycho-
sociale des référents du pronom, qui questionne les
traits contextuels et interrelationnels en jeu. D‘un autre
côté, il est évident qu‘il serait naïf de voir dans nous un
simple pluriel de la première personne, pace qu‘il ren-
voie à un complexe de personnes différentes.
À la suite de Guespin (1985 : 50), discernons
quatre options référentielles de la première incarnation
linguistique du plus d‘un :
- Nous1 renvoie à plusieurs locuteurs assumant
collectivement la responsabilité de l‘énoncé (texte co-
signé, collectif mandatant un représentant, etc.). Soit
Teur (destinateur) + Teur + Teur + …
- Nous2 unifie le destinateur (tantôt unique (je),
tantôt pluriel ou collectif (Nous1)) et l‘allocutaire
(unique, pluriel ou collectif). Ici sont donc associés les
participants à l‘interlocution, soit : Teur + Taire (et/ou
allocutaire).
- Nous3 unit destinateur et non-personne (singu-
lière, plurielle ou collective), soit Teur + NP.
- Enfin Nous4, dit nous de modestie, réfère au su-
jet unique.
83
2.2. Nous, l’énonciation et les investissements statu-
taires des interlocuteurs
Il est évident que la question sociale du pronom
s‘enracine plus profondément dans une problématique
énonciative où un même produit énoncé émane de voix
distinctes, quoique de façons différentes. Car, à suppo-
ser que X prétende parler seulement pour Y, cela
n‘empêche de considérer X comme le sujet des paroles
prononcées (attribuées à Y), et de s‘intéresser aux mo-
tivations et mécanismes mis en jeu pour que X accom-
plisse son activité linguistique. Mais ce dédoublement
n‘affecte pas que les tenants de l‘émission du discours,
il se complexifie d‘autant plus qu‘il conditionne la ré-
ception de ce dernier. Pour mettre le plus brièvement
en valeur cet aspect et le connecter à notre propos, sui-
vons Ducrot (1980a : 29-31) - qui s‘emploie originel-
lement à contester l‘unicité du sujet parlant en insti-
tuant l‘opposition locuteur / sujet parlant. Il pose préa-
lablement qu‘interpréter un discours, c‘est y lire une
description de son énonciation. Autrement dit, le sens
d‘un énoncé est une certaine image de son énonciation.
D‘abord il s‘agit de deux personnages, ou groupes, mê-
lés à cette énonciation. De là, il faut dégager d‘une part
un auteur, que Ducrot appelle locuteur, qui adresse le
message à un allocutaire, qui ne doit pas être confondu
avec les auditeurs, c‘est-à-dire avec les personnes qui,
simplement, entendent le discours (ibid, 35). Mais at-
tention, ces deux êtres n‘ont pas de réalité empirique -
en entendant par là que leur détermination fait partie du
sens de l‘énoncé, et ne saurait s‘effectuer si on ne
comprend pas ce sens.
84
Et Ducrot de définir la notion de personnages illo-
cutoires (énonciateur – source qui, visant un impact
discursif, tire les ficelles du contenu énoncé - ou desti-
nataires – objet qui est réellement visé par la conte-
nance argumentative), et qui peuvent ne pas être identi-
fiés avec le locuteur et l‘allocutaire, personnages de
l‘énonciation. Il apparaît donc que le nous engage une
double symétrie qu‘il serait intéressant de dégager à
partir et en fonction du sens de l‘énoncé.
3. Le palier mésotextuel : prospection extensive de
nous
Les distinctions de Ducrot nous poussent à amor-
cer une extension du problème de nous au pôle réceptif
de l‘acte formulé, surtout le nous2 qui englobe le des-
tinataire. Il s‘impose une révision des équivalences du
pronom, puisque dire de nous qu‘il équivaut à destina-
teur + destinataire (et ou allocutaire), c‘est s‘obliger
par le fait même à déterminer les variantes potentielles
de tu ou vous qui correspondent au récipiendaire du
message, et à déterminer quelles modalités de réception
sont activées : destinataire, auditeur/récepteur, allocu-
taire indistinctement, auditeur sans être destinataire,
allocutaire sans être destinataire, destinataire sans être
allocutaire, destinataire et auditeur sans être allocutaire,
bref tous les cas de figure seront envisagés.
Observerons strictement trois valeurs dans le cor-
pus : le nous de scission, le nous de reproche et le nous
d‘auteur.
3.1. Nous de clivage
C‘est sans doute le nous le plus représenté dans le
corpus. L‘on interroge cette valeur scissionnelle du
85
pronom en prélude des analyses subséquentes, question
de situer globalement le contexte de fond des occur-
rences.
Comme déjà dit, dans les textes de la Trilogie, qui
a pour ambition déclarée d‘éveiller les consciences sur
la complexification des Africains, nous désigne grosso
modo tour à tour les villageois d‘Eku, les citoyens du
Mboasu et enfin les Africains. Dans l‘infime espace de
cet article, nous ne pouvons dégager, parmi une plé-
thore de manifestations similaires, qu‘un seul proto-
type significatif. Là, le vrai clivage a lieu entre le nous
dont l‘énonciatrice se veut solidaire et le ils qui
s‘active à les duper. Il s‘agit des richesses naturelles
[2] « auxquels d‘autres ont donné une importance
que nous ne comprenons toujours pas, que nous ne sa-
vons […] exploiter pour le bien commun. »
Elle déplore surtout qu‘ils en fixent le prix et nous
l‘acceptons parce que cela ne signifie rien pour nous.
Ils nous dupent peut-être, mais nous les laissons faire,
toujours inaptes à déceler quoi que ce soit pour nous-
mêmes […]. J‘ai les yeux ouverts sur le champ de nos
possibles. » (C.J.V., 177-178)
C‘est grâce à cette opposition que la demoiselle
contraint à la réflexion sur le lien qui unit sa race à
ceux qu‘elle englobe dans le ils. Par conséquent,
l‘argumentaire atteindra d‘autant plus son objectif qu‘il
réussira préalablement une fusion optimale des rela-
tions je / tu (/vous), sous une représentation commune
de l‘altérité par opposition au ils, les instances occiden-
tales.
Au vu de cet extrait, nous pouvons affirmer que le
morphème tend moins à déclencher une dislocation du
86
type nous / vous que du genre nous / ils. De cette ma-
nière, le vous qui se trouverait en position d‘auditeur
visé aura tendance à se sentir intégré (plutôt que rejeté)
pour le bénéfice d‘une cause contre un adversaire.
C‘est sur le sentiment, partagé ou voulu tel, d‘une me-
nace extérieure que les destinataires privilégiés sont
censés éprouver la cohésion comme plus que jamais
salutaire. Voilà graduellement les destinataires pri-
maires confortés dans une garantie de bienveillance-
cette eunoia, qu‘Aristote classe parmi les principales
qualités d‘un éthos agissant - qui cimente leur con-
fiance. L‘énonciateur peut alors se permettre des ré-
primandes que les derniers recevront d‘autant moins
péniblement qu‘ils seront assurés des bases saines de
ses intentions.
3.2. Nous de réprimande
La Trilogie de Miano est littéralement dominée
par la fonction satirique du nous. L‘on ne choisira de
présenter que l‘infime échantillon ci-dessous qui, loin
de montrer un je sujet prédominant, englobe prioritai-
rement des schèmes d‘action et de pensée communs
aux Africains dans les romans. Le premier acte
d‘assaut, plus virulent, a pour objet les Africains fata-
listes ; et le second, moins palpable, galvanise par
quelque valorisation la catégorie de ceux qui font
preuve d‘audace (lorsque nous sommes audacieux…
mais nous ne sommes guère nombreux…).
[6] « Devant nous, il y a toujours un mur. Tout
nous est interdit. Le désir. Le rêve. Il n‘y a, pour nous,
que le besoin et le manque. Lorsque nous sommes au-
dacieux, il y a parfois l‘espérance, mais nous ne
87
sommes guère nombreux à tenter notre chance à ce jeu
de hasard. » (A.E., 49-50)
Jusqu‘ici, nous examiné les intentions informa-
tives locales dans le texte en nous soumettant aux théo-
ries structuralistes qui prônent l‘immanence textuelle.
Il est temps pour nous de considérer l‘intention infor-
mative globale et d‘oser une transgression du pacte
narratif pour récolter le maximum de fruits qu‘engage
la présence du pronom dans le texte.
4. Le palier macrotextuel : le paratexte et le nous
d’auteur, un stratagème de positionnement
Ce fragment se penche presqu‘essentiellement sur
le paratexte, cette «zone indécise» entre le dedans et le
dehors, elle-même sans limite rigoureuse, ni vers
l‘intérieur (le texte) ni vers l‘extérieur (le discours du
monde sur le texte) (Genette, 1987 : 8).
Aussi nous revient-il de revenir brièvement sur le
pacte de la communication littéraire pour tenter
d‘établir des équivalences avec l‘approche énonciative
que nous avons dans l‘examen de nous. En d‘autres
termes, sur la scène énonciative africaine ou même
francophone, à quoi correspondraient les deux pivots
illocutoires d‘énonciateur et de destinataire, et les deux
postes énonciatifs de locuteur et d‘allocutaire ?
Pour mieux comprendre comment ces paramètres
sont mis en œuvre chez Miano, nous nous permettrons
une mise en parallèle, dans un exemple significatif,
avec une autre écrivaine, Aminata Sow Fall. Le roman
d‘où est tiré le prototype fait état d‘atrocités que les
agents de la police française feraient subir aux expa-
triés africains. Comme Miano, Sow Fall engendre une
réflexion ontologique par le traitement de sujets autour
88
des relations interpersonnelles entre l‘Afrique et
l‘Occident. Soit ce paragraphe que la Sénégalaise a
choisi de brandir en quatrième de couverture de Dou-
ceurs du bercail :
[9] « Aimons notre terre ; nous l‘arroserons de
notre sueur et la creuserons de toutes nos forces, avec
courage. La lumière de notre espérance nous guidera,
nous récolterons et bâtirons. »
Elle poursuit :
Alors seulement nous pourrons [voyager] sans
être chassés comme des parias. Nos mains calleuses en
rencontreront d‘autres en de chaudes poignées de res-
pect et de dignité partagée… »
On voit bien que les tournures passives taisent un ils
sujet des procès de chasser, et propriétaires d‘autres
mains.
Si, comme l‘approuve le contenu du roman, le nous
c‘est les Africains en général, et le ils les Occidentaux,
l‘acte illocutoire de conseil ou d‘encouragement écarte
le lecteur occidental, qui est plutôt visé par l‘acte de
réprobation. Le lecteur africain serait en ce sens aussi
pris à témoin de l‘inhospitalité de la race d‘en face.
Même si le roman de Saw Fall, qui vit bel et bien à
Dakar, exhorte les Africains à rester chez eux, il le fait
d‘autant mieux qu‘il fustige les Occidentaux en présen-
tant leur mépris de la manière la plus atroce. D‘ailleurs,
la structure d‘édition continentale dans laquelle le ro-
man est paru, « Nouvelles Éditions Ivoiriennes », ne
semble pas banale.
Il n‘en va pas de même avec Miano (qui vit en
France et dont les romans sont publiés par Plon), chez
qui le nous pose des prises de position exploitées diffé-
89
remment. Pour atteindre les mêmes objectifs de valori-
sation de sa race – si on se fie à ses quatrièmes de cou-
verture ou à ses interviews -, la Camerounaise procède
inversement : loin de s‘attaquer aux Blancs, elle réalise
plutôt une critique virulente des Noirs. Ses exhalaisons,
pauses introductives de chaque chapitre dans le roman
qui clôt la Trilogie, ont absolument le pronom pour
cheville ouvrière. Les actes illocutoires varient du tout
au tout, du blâme à la consolation, en passant par la
stimulation.
[10] «Nous sommes […] le gouffre. Notre ab-
sence est le cœur de ce continent. […] Nous sommes la
suffocation. […] Nous sommes le grand égarement.
Notre âme s‘est faite rancunière au fil des âges…»
(A.E., 38-39)
[12] « Nous ne savons plus la joie. Nous vou-
drions la paix, enfin. Accéder, nous aussi, à cet autre
monde où les trépassés deviennent des figures tuté-
laires. Que notre arrachement n‘ait pas été vain. Que
nos déchirures soient lues de par le monde… » (A.E.,
189-191)
L‘on pourrait reproduire à l‘envi les exemples et
argumenter bien longuement sur les valeurs du nous et
de ses renvois dans le texte de Miano, mais considé-
rons cette interview accordée au journal Le Monde (22
juillet 2006 : 27). L‘écrivaine différencie instinctive-
ment les objets illocutoires de son œuvre des person-
nages de l‘énonciation, beaucoup plus étendus, en
même temps qu‘elle trahit la fonction illocutoire
qu‘elle assigne à chaque lectorat : Les Noirs me repro-
chent d‘écorner l‘image de l‘Afrique, de révéler nos
travers, nos codes sociaux… Ils s‘y feront. Le linge
sale n‘est jamais lavé quand il reste en famille ([14]).
90
Voilà le ils-Occidentaux, constant dans les romans,
muté sur la scène médiatique française en ils-Africains,
et surtout, le nous, obligé de se fragmenter en moi +
ils, le tiers exclu, cette fois-ci les Noirs. Au nous (par-
faitement vissé) contre ils catégoriquement proclamé
chez Sow Fall, se substitue chez Miano un nous (sou-
vent fragmenté) devant ils.
On a là l‘illustration de la façon dont la Camerou-
naise se place, se déplace et se replace sur les différents
champs de bataille africain et francophone. C‘est ainsi
que le nous tout seul marque la paratopie,
l‘appartenance et la non-appartenance, cette impossible
inclusion dans une topie.
Qu‘elle prenne le visage de celui qui n‘est pas à sa
place là où il est, de celui qui va de place en place sans
vouloir se fixer, de celui qui ne trouve pas de [sa]
place, la paratopie écarte d‘un groupe, d‘un lieu ou
d‘un moment. (Maingueneau, 2004 : 86)
S‘inscrivant dans un modèle polémique qui est
celui de la satire, l‘auteure ne peut assumer sans se
masquer un énoncé d‘où se dégage une forte tension
avec le reste du groupe ou avec le monde environnant.
C‘est ainsi que le nous apparaît plus encore comme un
bouclier, paire de gants portée par l‘énonciatrice pour
palper les sujets chauds de l‘ensemble du groupe et
surtout, le prendre à partie sans se voir soi-même con-
trée par quelque argument ad personam. Le nous est un
signe de la conscience que les écrivains (et, pour le cas
précis, Miano) ont de l‘importance de leur situation
problématique sur le champ, pour les autoriser à porter
certains regards sur la société. Il constitue un strata-
gème de positionnement, d‘acquisition de légitimé.
Bien plus qu‘une simple dénotation grammaticale plu-
91
rielle, le nous est chez Miano une suggestion de la
constitution d‘ensembles, autour d‘un sujet égocen-
trique, signifiant plus moi comme vous, moi avec vous,
moi pour vous que simplement moi et vous.
Le surmarquage du nous, véritable signe insistant du
texte (Thurin,1997: 81) éveille la curiosité et provoque
des investigations périphériques à la constitution
d‘ensembles chez la Camerounaise.
Pour conclure. Un allocentrisme du contexte ?
In fine, le contexte touche à ce qui est actualisé ou nar-
cotisé (c‘est-à-dire « mis en veilleuse ») (Thurin, 1997
: 7), en vue d‘une exploitation à un niveau supérieur ou
ultérieur. C‘est sans doute l‘un des concepts les plus
magnétiques mais aussi les plus altruistes de
l‘interprétation de textes. Il apparaît comme un instru-
ment à ne point économiser, à condition de le penser en
termes de régime, graduel et ajusté à un ensemble de
conditions, liées surtout, en réalité, aux compétences
du lecteur. À condition aussi que, sur le plan méthodo-
logique, le sens de la relation projetée entre la dé-
marche linguistique et les données extralinguistiques
interrogées soit précisé.
Pour finir, si l‘on admet que, au fond,
l‘interprétation peut se résumer à la recontextualisation
(interpréter, c'est recontextualiser (Rastier, 1998 :
109)), il faut reconnaître que tout texte ne doit sa cons-
tante actualité, et donc sa non-péremption, à rien
d‘autre qu‘au contexte et à son ajustement.
Bibliographie
Ducrot Oswald, 1980, « Analyses pragmatiques »,
Communications, n° 30, pp. 11-60.
Ducrot Oswald, 1984, Le dire et le dit, Paris : Minuit.
92
Genette Gérard, 1987, Seuils, Paris : Le Seuil.
Guespin Louis, 1985, « Nous, la langue et
l‘interaction», Mots, n° 10, pp. 45-62.
Maingueneau Dominique, 2004, Le discours littéraire.
Paratopie et scène d‘énonciation, Paris : Armand Colin.
Rastier François, 1998, « Le problème épistémologique
du contexte et le statut de l‘interprétation dans les
sciences du langage », Langages, n° 129, pp. 97-111.
Rastier François, 2004, « Enjeux épistémologiques de
la linguistique de corpus », Texto !, Rubrique « Dits et
inédits », [en ligne] :
http://www.revuetexto.net/Inedits/Rastier/Rastier_Enje
ux. html, site consulté le 20 septembre 2012 à 16h15.
Reboul Anne et Moschler Jacques, 2005, Pragmatique
du discours. De l‘interprétation de l‘énoncé à
l‘interprétation du discours, Paris : Armand Colin.
Thurin Monique, 1997, Le discours, émergences du
sens, niveaux d‘analyse, perspectives cliniques, Paris :
P.U.F.
93
KHELLADI- HAMZA Zoubida
Pr. Université d’Oran
Les proverbes de Don Quichotte dans le discours
Abstact
Les fonctions de proverbes de Don Quichotte
dans le discours sont reflétées et insérées dans le con-
texte par une formule introductive, ou directement dans
le discours sans aucune allusion au fait que la déclara-
tion est utilisée en dehors du contexte. Cervantès les
utilise sans que leurs états de proverbes soient montrés.
Mots clés
Don Quichotte, discours, langage, nature conver-
sationnelle, discours évaluatif
Du point de vue d'acte de discours, la grande majori-
té des proverbes fonctionne comme des actes de lan-
gage non-directs (plus d'une force illocutoire) et indi-
rects (c'est-à-dire qu‘ils sont linéaires avec une cohé-
rence sémantique dans le discours). Ils sont également
figurés lorsque le sens littéral n'est pas lié au contexte,
mais on peut déduire un sens propre de la parole en
substituant d'autres éléments fournis dans le discours.
Ces proverbes sont caractérisés par des propositions
traditionnelles fixes. Dans un dicton il ya au moins un
topique et un commentaire qui forment un élément
descriptif. Ces commentaires sont évaluatifs ou sont
des arguments d'évaluation dans un espace conversa-
tionnel. Mais avant toute chose, expliquons ce qu‘est
94
un proverbe? Les espagnols disent que « es la sabiduría
del pueblo », c'est-à-dire la sagesse et le savoir du
peuple. D‘après wikipedia,
Un proverbe est une formule langagière de portée
générale contenant une morale, expression de la sa-
gesse populaire ou une vérité d‘expérience que l‘on
juge utile de rappeler. Il n‘est pas attribué à un auteur
contrairement à la citation ou l‘apophtegme. Les pro-
verbes sont souvent très anciens, à l'origine populaire
et par conséquent de transmission orale… Ils servent
généralement d‘argument d‘autorité…Les proverbes
appartiennent au patrimoine linguistique d‘un pays.1
Sonia Fournet-Perot dans son article intitulé
« Les proverbes dans ―El ingenioso hidalgo‖ don Qui-
jote de La Mancha » évoque des stéréotypes linguis-
tiques et culturels révélateurs de la complexité du mes-
sage cervantin en soulignant que le « langage stéréoty-
pique » représente généralement l‘ensemble des struc-
tures de la langue mettant en avant le savoir partager et
la connaissance du monde d‘une société linguistique.
Or, les proverbes ont de tous temps constitué la sagesse
des nations ou sagesse populaire. La matière prover-
biale représente donc, pour reprendre les mots de Henri
Meschonnic, « une tentative empirique de mettre le
monde en ordre.2
La nature conversationnelle des proverbes a été
très étudiée et mise en relief par la majorité des huma-
nistes, comme par exemple Juan de Mal Lara dans son
livre Filosofía vulgar (1958 : 18) « Philosophie vul-
1 http://fr.wikipedia.org/wiki/Proverbe
2 Cahiers de Narratologie, Numéros 17 (2009) : Stéréotype et narration
littéraire, Les proverbes dans “El ingenioso ...
95
gaire », en disant que « …el refrán corre por todo el
mundo de boca en boca, según moneda que va de mano
en mano… »1
Miguel de Cervantès montre le caractère conver-
sationnel des proverbes par l‘intermédiaire de son per-
sonnage et écuyer Sancho Panza et « l‘homme à la
triste figure », Don Quichote.
Les études qui ont été faites par de nombreux
auteurs et théoriciens sur le discours des proverbes tels
que Casares: 1959, Taylor: 1962, Green : 1975, Seitel :
1981, Dundes : 1981, Arora : 1984, Norricks : 1985,
montrent que R. Abrahams a été le premier à avoir ap-
profondi le côté conversationnel des proverbes « The
complex relations of simple form » (1969).
Cet écrivain distingue entre les proverbes et les
autres genres folkloriques comme les rituels, les fables,
anecdotes, etc., pour la proximité reliant le locuteur et
le récepteur en ce qui concerne le type de discours col-
loquial utilisé dans les proverbes.
En utilisant un proverbe, le locuteur, très sou-
vent, ne fait pas attention à la phrase qu‘il vient de pro-
noncer ne sachant si elle fait partie d‘un type conven-
tionnel ou institutionnel pour la structure sociale, parce
que généralement le proverbe a été dit ou utilisé dans
une conversation spontanée avec le récepteur. Pour
Abrahams tous les membres d‘une communauté lin-
guistique utilisent une multitude de proverbes dans leur
discours.
Pour Don Quichotte cette théorie s‘avère vraie
du moment que les proverbes qu‘il emploie sortent de 1 Traduction personnelle : « …le proverbe court les rues et on le retrouve
de bouche en bouche, comme une monnaie courante.»
96
sa bouche sans qu‘il fasse, parfois, attention à ce qu‘il
dit. Dans l‘œuvre de Cervantès, Sancho et Don Qui-
chotte ne sont les seuls à utiliser des proverbes, mais
un grand nombre de protagonistes le fait tout autant.
Dans ces discours, les proverbes font partie des énon-
cés autoritaires qui reflètent des situations très précises
telles qu‘ordonner ou imposer au récepteur une action à
suivre, ou bien, évaluer une situation qui a un sens di-
dactique.
Norrick (1985 : 18) a étudié l‘usage des pro-
verbes dans la conversation libre en essayant de les
classer selon deux fonctions importantes : la première
en tant que commentaire évaluatif, et la deuxième en
tant qu‘un argument évaluatif.
Les discours qui ont un caractère de commen-
taire évaluatif jugent une personne ou une situation
donnée en ayant un certain sens autoritaire et ils ont,
parfois, une indépendance syntactique. Ils sont classés
en fonction du thème de la conversation ou du discours
du locuteur. Par exemple, dans le chapitre II qui traite
de la défaite de Don Quichotte, on retrouve notre héros
triste et déprimé, on voit que Sancho Panza essaie par
tous les moyens de l‘encourager, lui disant que le plus
triste des deux c‘est lui, parce que si son maitre « dé-
pose les armes », jamais plus il ne pourra être gouver-
neur d‘une ile et avoir le titre de Comte. Pour cela Don
Quichotte lui répond :
-Calla Sancho, pues ves que mi reclusión y retira-
da no ha de pasar de un año; que luego volveré a mis
honrados ejercicios, y no me ha de faltar reino que
gane y algún condado que darte.
97
-Dios lo oiga, dijo Sancho, y el pecado sea sordo,
que siempre he oído decir que más vale buena esperan-
za que ruin posesión. (II,65,pp.550-551)
Traduction: Tais-toi, Sancho, comme tu le vois
ma détention est courte et ne dépassera pas une année,
puis je reviendrai à mes exercices honorés, et je ne ra-
terai pas un royaume ni un comté que je ne te donne-
rai.
-Dieu entend, dit Sancho, et le péché est sourd, j'ai
toujours entendu dire que mieux vaut bonne espérance
que mauvaise possession.
Sancho utilise ce proverbe pour commenter
l‘attitude de son maître qui ne s‘avoue pas vaincu. En-
core plus téméraire il reprendra le chemin de la gloire
et avec lui son fidèle écuyer, qui rêve toujours d‘être
gouverneur d‘une île. Le dicton revêt donc une fonc-
tion ou un commentaire évaluatif, introduit par le
« que » énonciatif, il a la fonction d‘une citation.
Dans le langage oral la différence entre un énoncé
et un autre se trouve dans l‘intonation. Les proverbes
qui ont pour fonction d‘appuyer ou de résumer la posi-
tion du locuteur dans le discours s‘appellent « argu-
ments évaluatifs ». La majorité de ses proverbes sont
introduits dans de longs paragraphes. Par exemple dans
le chapitre X où l‘on cite les moyens utilisés pra San-
cho pour séduire Dulcinée relèvent davantage du ri-
sible que du réel.
-Yo iré y volveré presto-dijo Sancho- ; y ensanche
vuestra merced, señor mío, ese corazoncillo, que le
debe de tener agora no mayor que una avellana, y con-
sideré que se suele decir que buen corazón quebranta
mala ventura, y que donde no hay tocinos, no hay esta-
98
cas; y también se dice: donde no piensa, salta la liebre.
Dígalo porque si esta noche no hallamos los palacios o
alcázares de mi señora, agora que es de día los pienso
hallar, cuando menos los piense, y hallados, déjenme a
mí con ella.
-Por cierto, Sancho-dijo don Quijote-, que
siempre traes tus refranes tan a pelo de lo que tratamos
cuanto me dé Dios mejor ventura en lo que deseo.
(III,15,pp.569-570)
Trad: - J‘irai et reviendrai vite, répondit Sancho.
Voyons seigneur de mon âme laissez gonfler un peu ce
petit cœur qui ne doit pas être maintenant plus gros
qu‘une noisette. Confirmez ce qu‘on a coutume de dire,
que « bon cœur brise mauvaise fortune », et que « où il
n‘y a pas de lard, il n‘y a pas de crochet pour le
pendre ». On dit aussi : « Où l‘on s‘y attend le moins,
saute le lièvre ». Je dis cela, parce que si, cette nuit,
nous n‘avons pas trouvé le palais ou l‘alcazar de ma
dame, maintenant qu‘il est jour, j‘espère le trouver
quand j‘y penserai le moins ; et quand je l‘aurai trouvé,
laissez-moi démêler mes flûtes avec elle.
-Assurément, Sancho, reprit don Quichotte, tu
amènes les proverbes si bien à propos sur ce que nous
traitons, que je ne dois pas demander à Dieu plus de
bonheur en ce que je désire.
On peut aussi parler de l‘insertion syntactique des
proverbes de don Quichotte. On peut les classer de la
manière suivante :
Des proverbes qui, dans un discours, ont la forme
de citation et où la personnalité du protagoniste dispa-
rait complètement. Dans ce discours, ils sont introduits
par des formules préliminaires telles que : « como dice
99
el refrán… » (comme dit le proverbe), ou « como se
suele decir… » (comme on a l‘habitude de dire), ou
bien encore « como he oido decir… » (comme j‘ai en-
tendu dire). Ce genre de proverbe ne fait que solidifier
et maintenir la continuité culturelle et les traditions.
Leur rôle est d‘exalter le passé en mettant à découvert
le dilemme de chaque époque et choisir, peut-être,
entre l‘innovation et la duplication des exemples cano-
nisés, ou mieux encore, comment ces proverbes du
passé sont filtrés consciemment ou inconsciemment
par une personne.
Dans Don Quichotte ces formules préliminaires
sont divisées en formules nommées de « langage » et
qui font référence au proverbe lui-même, comme par
exemple : « como dice el refrán » (comme dit le pro-
verbe, déjà cité ci-dessus), etc. Pour ce premier cas on
a l‘exemple suivant : « es comùn proverbio, hermosa
señora, que la diligencia es madre de la buena ventu-
ra » (il y a un proverbe commun, belle dame, que la
diligence est la mère de la bonne fortune). Dans cet
exemple on constate que le récepteur reçoit un énoncé
qui n‘est pas créé par le locuteur, sinon répété et avec
un ton autoritaire en mettant l‘accent sur « es común
proverbio, il y a un proverbe commun ».
Il existe aussi une autre catégorie appelée « im-
personnel » ou anonyme, par exemple : « se suele de-
cir » (d‘habitude on dit), « ellos dicen » (ils disent) ou
encore « he oido decir » (j‘ai entendu dire). Cette der-
nière est appelée la source « identifiable », par
exemple : « como yo digo » (comme j‘ai dis), « como
ha dicho Teresa » (comme a dit Teresa), etc.
100
Pour cette deuxième formule impersonnelle, on a
l‘exemple suivant :
Chapitre IV où Sancho Panza répond aux ques-
tions et éclaircit les doutes du bachelier Samson Car-
rasco, avec d‘autres évènements dignes d‘être sus et
racontés.
-Sancho nací, y Sancho pienso morir, pero si con
todo esto, de buenas a buenas, sin mucha solicitud y
sin mucho riesgo, me deparase el cielo alguna ínsula, u
otra cosa semejante, no soy tan necio que la desechase;
que también se dice: ―Cuando te dieron la vaquilla,
corre con la soguilla‖; y ―cuando viene el bien, mételo
en tu casa‖. (IV p.605)
Trad: -Sancho je suis né, et Sancho je pensé mou-
rir. Mais avec tout cela, si de but en blanc, sans beau-
coup de démarches et sans danger, le ciel m‘envoyait
quelque île ou tout autre chose semblable, je ne suis
pas assez niais pour la refuser ; car on dit aussi : »
Quand on te donne la génisse, jette- lui la corde au cou,
et quand le bien arrive, mets-le dans ta maison ».
Les structures impersonnelles sont employées
pour « dé-focaliser » le sujet de l‘énoncé, soit par igno-
rance du nom de la personne, soit Sancho ne veut pas
le mentionner intentionnellement.
Pour conclure, Don Quichotte de la Manche est
l‘œuvre qui exalte et utlise les proverbes pour circons-
crire une littérarité inovante. Les proverbes y reflètent
tantôt la sociologie, tantôt l‘idéologie parce qu‘ils se
basent sur les conditions sociales de leur époque. Ils
construisent aussi un discours synthétique en parlant
de la tellurique, le comique et même la didactique, pri-
vilégiant souvent le comique sur l‘idéal.
101
Bibliographie
Cervantes, M. de Don Quijote de la Mancha. Edition
bilingüe espagnol-français dans les textes parallèles.
Traduction de Louis Viardot. Integrado en el sistema
Mgarci.
Cuenca-Godbert ,Marta, « Don Quichotte, un don qui-
chotte ? Déprogrammation d‘un stéréotype », Cahiers
de Narratologie [En ligne], 17 | 2009, mis en ligne le
22 décembre 2009, consulté le 04 septembre 2012.
URL : http://narratologie.revues.org/1280.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Proverbe
102
BAGHADID-MAATI Halima
Université d’Oran
El contexto desde un punto de vista didàctico
Resumé:
Enseigner une langue étrangère selon l‘approche com-
municative, implique l‘usage de la communication en
classe ; disant communication on va penser directe-
ment à Jakobson et son schéma de : émetteur, récep-
teur, message, canal, code et contexte.
Pour cela, la présentation de n‘importe quel élément
linguistique en classe de langue étrangère doit être ac-
compagnée par la contextualisation de cet élément ; et
en outre, il faut croiser les trois contextes : linguistique,
situationnel, et socioculturel, pour pouvoir contextuali-
ser les situations de communication qu‘on veut travail-
ler en classe.
Mots clés :
Didactique de langue, contextes, contextualisation, mé-
thode, approche, matériel didactique.
Introducción:
La didáctica de lenguas ha vivido muchos cambios,
pasando por muchos métodos y enfoque que cambian
cada vez el proceso de enseñanza/aprendizaje de len-
guas.
Como es sabido que en cualquier clase de lengua, el
punto de partida es la fase preparatoria, o la de presen-
103
tación del material didáctico o de los elementos
lingüísticos que queremos que sean asimilados por
nuestros alumnos; este punto es fundamental y es ello
que va a definir si vamos a alcanzar o no nuestros obje-
tivos preestablecidos; pues ¿cómo podremos presentar
este material en clase de manera que sea beneficioso
para los aprendices?
1. Del enfoque situacional al enfoque comunicati-
vo:
Si hacemos una pequeña comparación entre los méto-
dos, buscando una respuesta a nuestra pregunta, dedu-
cimos que en los métodos tradicionales nunca se pre-
sentaba un material en su contexto y eso no garantiza la
comprensión de lo que se enseña, hasta la aparición del
enfoque situacional que se caracteriza por el estudio de
la lengua en su contexto lingüístico y en su contexto
situacional en lo que la lengua no puede estudiarse ex-
traída de su contexto, haciendo la práctica en el aula
con ejercicios más abiertos, creando situaciones de uso
de la lengua mediante la ayuda de dibujos, elementos
extralingüísticos y materiales didácticos auténticos que
permiten que los aprendices entiendan el significado de
los nuevos elementos.
Esta variante británica del método audio lingual –el
enfoque situacional- se interesa más por la forma, o las
estructuras lingüísticas, que por el uso de la lengua; y
concibe el aprendizaje de una lengua extranjera como
un proceso de formación de hábitos lingüísticos, redu-
ciendo la práctica oral a una tarea mecánica para inte-
riorizar las estructuras gramaticales y el vocabulario.
104
La crítica a este método llegó de algunos de sus segui-
dores que no obtenían los resultados esperados, porque
lo que se había aprendido en clase era muy difícil po-
der transferirlo a situaciones de comunicación real fue-
ra del aula, porque el concepto de situación o contexto
no predomina sobre las estructuras, por lo que, como lo
expresa J, Zanón (1988:48),
La relevancia del significado en el enfoque situa-
cional es, al igual que en su hermano americano, me-
ramente anecdótica1
La orientación comunicativa de la enseñanza de la len-
gua recoge del audiolingualismo/enfoque situacional y
del método audiovisual algunos principios, como por
ejemplo el concepto de situación, y para que el apren-
dizaje sea más eficaz se empieza a usar la lengua en
situaciones reales de comunicación.
2. El contexto en una enseñanza comunicativa:
Para enseñar una lengua extranjera llevando a la prácti-
ca un enfoque comunicativo, lo primero que tenemos
que tener en consideración es la comunicación es clase
y si decimos comunicación, pensamos directamente en:
el emisor, el receptor, el mensaje, el canal, el código y
el contexto.
En el presente artículo, lo que más nos interesa es el
contexto que se refiere a un conjunto de circunstancias
en el que se produce el mensaje como el lugar y el
tiempo que ayudan a la comprensión del mismo. El
entorno del contexto puede ser algo que se presenció
1 Citado por MELERO ABADIA P. (2000:73).
105
en el momento de ocurrir un hecho, o puede ser
simbólico como el entorno cultural o histórico.
2.1. El contexto lingüístico:
La pragmática es la disciplina encargada del estudio
del contexto lingüístico que se entiende a los factores
vinculados a la producción de un enunciado que afec-
tan la interpretación, la adecuación y el significado del
mensaje; con otras palabras y según Reyes G.(2003,
19)
En general, se entiende por contexto, en lingüística,
es el conjunto de conocimientos y creencias com-
partidos por los interlocutores de un intercambio
verbal y que son pertinentes para producir e interpre-
tar sus enunciados.
Esto quiere decir que un mensaje depende tanto de la
gramática, la sintaxis y el léxico como del contexto,
porque si no, no tendría sentido.
El contexto situacional:
Además del contexto lingüístico formado por el mate-
rial lingüístico que precede y sigue a un enunciado, los
teóricos han llevado a varias teorías sobre el contexto y
se suelen deslindar dos otros tipos de contexto: el si-
tuacional y el sociocultural. El situacional es el conjun-
to de datos accesibles a los participantes de una con-
versación que se encuentran en el contorno físico in-
mediato, por ejemplo tenemos el enunciado: Cierre la
puerta, por favor, para que este enunciado tenga senti-
do, es necesario que haya ciertos requisitos contex-
106
tuales que son parte de la situación de habla: la puerta
abierta entre otras cosas.
El contexto sociocultural:
El sociocultural es la configuración de datos que pro-
ceden de condicionamientos sociales y culturales sobre
el comportamiento verbal y su adecuación a diferentes
circunstancias, por ejemplo hay regulaciones sociales
sobre cómo saludar o sobre qué tratamiento o registro
lingüístico usar en cada situación.
Los tres tipos de contexto son muy ligados, por lo que
no podemos ensenar a nuestros alumnos un elemento
lingüístico sin relacionarlo con una situación comuni-
cativa extraída de la vida real; por ejemplo si queremos
hacer una clase de presentación a alumnos princi-
piantes de español, tendremos que escoger una situa-
ción auténtica en la cual dos persona se presentan
(compañeros en clase con su profesor), hacer las for-
mas de presentación, sin olvidar la parte sociocultural,
es decir explicarles a estos alumnos el registro que se
usa entre amigos y el que se usa con una persona que
respetamos que es el profesor en esta situación. Así
hemos contextualizado la situación de ―presentación‖
para que no sea recibida por nuestros alumnos de ma-
nera aislada y separada de todos aquellos elementos
que la rodean y que influyen sobre esa acción.
A partir de todo lo anteriormente dicho, podemos in-
troducir situaciones reales de comunicación, a través de
actividades interpretativas (leer y escuchar) y expresi-
vas (hablar escribir) en la clase de lenguas, para entre-
107
nar a los discentes a actuar en clase, usando la lengua
meta, mediante estas situaciones para poder desenvol-
verse en la sociedad ajena fuera del aula.
En nuestra práctica docente, podemos observar clara-
mente que la clase que da sus frutos es la clase que se
presenta con actividades de la vida real que se ilustran
con su contexto y con situaciones de la sociedad en la
que vivimos y eso llama, primero, la atención de los
alumnos y segundo, despierta su interés para saber más
y producir oralmente o por escrito todo lo que pedimos
de ellos y así podemos decir que alcanzamos en nuestra
clase todos los objetivos que fijamos de antemano, gra-
cias a la contextualización de todo lo que queremos
hacer en clase.
Bibliografía:
CEBERIO M. R. (2008), La buena comunicación, Bar-
celona, Paidós Ibérica, S.A.
MARTIN VEGAS R. A. (2009), Manual de didáctica
de la lengua y la literatura, Madrid, Editorial Síntesis
S.A.
MELERO ABADIA P. (2000). Métodos y enfoques en
la enseñanza/aprendizaje del español como lengua ex-
tranjera, Madrid, Edelsa.
REYES G. (2003), El abecé de la pragmática, Madrid,
Arco Libros, S.L.
Fuentes electrónicas:
fr.wikipedia.org/wiki/Contexte. es.wikipedia.org/wiki/Contexto. es.thefreedictionary.com/contexto
108
Meliani Mohamed
MCF.Université d’Oran
الخارجية النص والسياق والمزجعيات الذاخلية
: حض كيس وز شخش، طظشى أؿحء وظفش طظظ رظ١٠ ٠ظشى كيحص طغ طرؾ ر١خ ػاللخص (ل)حألي أفم -
٠ظشى طظحص و١ش (ىال)حؼخ ػى . - حظخه حل٠ش٠ظؼذ أ ٠ؼظي ف طل١ " 1طرؾ ر١خ ػاللخص حظخه حيال١ش،
و١ش طظفع ا حض ػ ظ٠ش رؼ١خ، اخ ٠ى أ طظز ظ٠ش ٠ى 2".ظ٠خص طغ طلظ١ش طظػذ و حظ٠خص
:حيصي طؼ ح حف ف حشى ح
1
،1424/2004 ش ،1.ؽ رل١، ك ؼ١ي. ى.أ: حالطـخخص حفخ١- حض غش ػ ٠ظ- .110ص- حمخس-حظ٠غ ش حوظخ ئش
2.108 ص ف، حؿغ-
109
اح وخ ػخء حض لي ؿح حظخ ػخ٠ظ ا حظخه حظ رطف ػظح خخ ػخط حظل١ ح كؼ ل
ف أ ض، فؤ٠ طى حأل١ش ٠خ ط؟ : أهمية التماسك- ب
ض حظخه ػخ٠ش وز١س؛ أل ٠رؾ ر١ أؿحء أ ػخء حاال أ - وخ زك و- ح ححرؾ شى ىال حـش، أؿحء حض،
حظخه ال ٠رؾ ر١ أؿحء حـش رخػظزخخ ر١ش خ١ش ظمش، اخ ىحه حز١ش حى١ش ض؛ أل ػخ ٠ئى ا طف١ ؿث خ طل
ىالالص، لي طلمك حظيحىح ىحه حى فك ىالالص حـ حخرمش ػخء حض ٠ :"٠ئوي حفىس طالف فؼ رم. حالكمش
حظخه ػخ٠ش لظ، ٠و أ هخط١ش ىال١ش وطخد، طؼظي ػ 1."ف و ؿش ىش ض ف ػاللخطخ رخ ٠ف حـ حأله
خ طمي 2:ـ أ١ش حظخه ف حمخؽ ح٢ط١شكخ ىال١خ - . حظو١ ػ و١ف١خص طو١ذ حض رطف ط .حزلغ ػ أىحص حظخه ف حض -
. حرؾ ر١ أؿحء حـ حفمحص -: عالقة التماسك بالساق- ؽ
١خق ٠ي ك وشف ش، خ وخض فىس ح حو ح حطظؼ ف١ حؼاللخص حألكيحع، حظف حالؿظخػ١ش حظ حؼ،
خ وخ طل١ حض ف ١خل أح ػ٠خ، 3ظ١ذ خػش حإلريحع، فب ف ـخي حظخه حظ طمظؼ١ طؿز أوؼ ػس؛ أل
حؼاللخص حظ طرؾ حألؿحء ك١غ حشى حيالش ال طلىخ ظح ١ك خ حظظحص حالق حظ طليى حظف ح حغش فلذ، ا
١خل١ش حظ طز ، وخف اؽخ حىال حم١ش حف١ش طى ف حم١ش ح أض طخىخ ظخ 4. طالك ػخط ح
٠ظ رظ٠ش ح١خق ػخء حض كي، ر ػخء حغش رظفش ػخش؛ حظ حال ؼ ال ٠فخل، هخطش اح كيع حغع، أل
1
حـ ،1992 أغط حؼفش، ػخ ش فؼ، طالف.ى : حض ػ حوطخد رالغش- . 263ص حى٠ض، ح٢ىحد، حف ؼمخفش حؽ
21/100حفم، ارح١ طزل. ى : حظطز١ك حظ٠ش ر١ حظ حغش ػ ٠ظ-
3 ػ٠، ٠ث١. ى:حؿؼش حخد، طخىق ػزخ. ى: طؿش ال٠، ؿ: ح١خق حؼ حغش-
.337ص حؼخش، حؼمخف١ش حشئ ىح ،1/1987.ؽ 4
.528 ص طى، كخى: حؼد ػي حزالغ حظفى١ ٠ظ-
110
رؤ حؼ ال ٠ىشف اال هالي ط١١ك :" ٠ؼؼي ح حف لي ف١عفؼظ حكيحص ... حكيس حغ٠ش، أ ػؼخ ف ١خلخص وظفش
ؼخ حكيحص ال . حيال١ش، طمغ ف ـخس كيحص أه أ٠ى طفخ أ طلي٠يخ اال رالكظش حكيحص حأله حظ طمغ
1."ـخس خا حؼ ػ أ ظ١ـش ػاللخص ظشخرىش " ف١ع"مي ظ ف
١ ١ي لظش ؼ١ش رخ ٠ظخكزخ طص طس ظيحهش، ى كظ١ش ححلف حل١ش حظ ٠خخ حألشوخص ف حـظغ ،فمؾ
فخـ طىذ ىالظخ ف حخ٠ش هالي الرخص حألكيحع أ "أ٠ؼخ، 2". هالي ١خق حض
اح وخ حلخس لي وح ػ حظخه ػ ظ حـش فمؾ؛ أل ؿح ػخ٠ظ وخش ا حؼ١ش حإلخى٠ش خ ٠ظؼك رخـش خ
ططز حرظيحء فخػ١ش، ػس ؿى ححرؾ ف ؿش حظش ش، ٠ظؼيح كيى حـش اال خىح، فب ػخء حض ؽحوز
حليػ١ وح ػ حظخه حظ ػ ظ أؿحء حـش ػاللظخ رخـ حأله، ػاللش حـش رخفمس، ػاللظخ رخض
. رطف ر١ش و١ش: أدوات التماسك
حلي٠غ ػ أىحص حظخه شخثك ؽ٠، غ حظزخ٠خص احؿىس ر١ ألحي حؼخء ف كظخ طلي٠يخ ف حغخذ، اال أ ح حظزخ٠ ٠زم طل١خ، طزم حألىحص حشظوش ر١ طشى ؿخح ظ٠خ
كيح أخخ، ٠ئؽ يف حكي شظن ٠ظؼ ف طخه حـخ .أؿحء حض
خ١ي ل١ش " "حظخه ف حإلـ٠١ش" طي وظخد د: ك، لي طخي ح حئف ه أىحص وخ٢ط
: ريخ مش وخ٢ط: (المزجعية -1 (حؼخث )ؿؼ١ش شوظ١ش - أ
(أخء حإلشخس)ؿؼ١ش اشخ٠ش - د (أخء حظفؼ١)ؿؼ١ش مخش - ؽ
1
.69-68 ص- ظ- حىظذ ػخ ،1988 ش ،2.ؽ وظخ، ػ أكي.ى: حيالش ػ- 2
ح٢ىحد، حف ؼمخفش حؽ حـ ػ طظي ـش حفى ػخ أكي، ٠ل حظ١ف، حالطـخ- )82-81 ص حى٠ض ىش
111
: 1(Conjonction)العطف - 2 رلى حؼاللش حظ طرؾ ر١ حؼطف حؼطف ػ١، حوظزض
أىحص حؼطف أ١ظخ ف طلم١ك حظخه حظ هالي ح١خق ح . طؿي ف١
Cohésion Lexicale)التماسك المعجمي - 3 ٠ؼي حألىحص حشى١ش حظ طم رش حظخه حظ، ٠م
: ف ظ خ١يح ل١ش ك ا ل١ ٠ؼي ظح ظخ حظخه (:Réitération)التكزار - 1
٠ظطذ اػخىس ػظ ؼـ هالي حالشظمخق أ حظحىف ،حؼـفمي طفض ف١ أحع :" لخي لي فظخف2أ حخ ػخخ أ حخ طمخ،
حؼالثك حظ طى ر١ فىحص حؼـ؛ ػاللخص حظىح حالشظمخق : ظػ١ق لي طخكزخ حئف حؼخي ح٢طي 3..."حظحىف
I turned to the ascent of the
peak…….………..is perfectly easy.
The ascen The climb
The task
The thing
It . غخ٠ش........ شػض ف حظؼى ا حمش
حظؼى حظك حؼ حشء
1
: حؼر١ش حـش رخء" ف رخظفظ١ ه حؿؼش ٠ى- حظ حظخه ظ١فش حؼطف أىحص طئى- .رؼيخ خ 158 ص- ظ-حشق ىح ،1416/1996ش ،1.ؽ حط١ف، ػزي كخش لي
2 حؼمخف حو ،1/1991.ؽ حوطخر، لي-: حوطخد حـخ ا يه-حض خ١خص ٠ظ-
.24ص حؼر، 3
- حؼر حؼمخف حو ،1/1996.فظخف،ؽ لي. ى-:ش١ش خؿ١ش ل - حالهظالف حظشخر- .130 ص- حز١ؼخء حيح
112
ىخ١ش طظ١ف ا، "حظؼى"الكع ف حـش طىح وش ف يالش ػ ح " حشءحؼ "، ؿخءص وظخ "حظك"حىفخ
. طك أ ح ػخ ٠مظي ر طؼخ ؽ حىخص (:Collocation)التضام - 2
: رخفؼ أ رخمس الطزخؽخ رلى حؼاللش، ؼخي ه Why does this boy wriggle all the time? Girls don
t wriggle. . خ ح حي ٠ظ ف و لض ك١ ؟ حزخص ال طظ
(: Ellipse)الحذف -3
ط١ص 1حلف ظخس غ٠ش ػخش طشظن ف١خ حغخص حإلخ١ش، رخ حغش حؼر١ش؛ أل هظخثظخ حألط١ش ط١ ا حإل٠ـخ، ١
١ش طؼز٠١ش حغع حلف طلم١ك حإل٠ـخ فلذ، رلظي٠ش، ٠ؼيي ف طو١زخ ػ حألط ا ر١ش طو١ز١ش أل فظخ أغ
. ؼض لي ٠ى هخ١خ حخث حظ طلمك حظخه غ١ أ ح
٠ـي حظم ف أخ ر١خع فظف ال حى ف١ ٠ؿ حؿش فحشى، ٠ؼي حظخثزش، ا أ ٠ظز ا ػس اػخىس رخء حـخ حض؛ ح
أػ حظخه، ه رؤ ٠ؿ حظخ ا ح١خق ح ٠ى طغ ػاللخص ػ١ش غ١ لش ر١ أؿحء حض، ػ ٠ظخه "
حض أخ رظس خ، وخ وخض أىحط حظخى١ش حشى١ش ؿىس "2.
٠ظؼق هالي ح حمي حػظخى حض ح١خق أكيخ ػ ، أ ١خق ػاللش زخشس رظف١ حكيحص حىال١ش ػ ــح٢م
فخىال ال ٠ظؤط فظ رؤ٠ش كخي حألكحي "ظ٠خص وظفش ظؼيىس، ، طى أ١ش حؼاللش ر١ حض ح١خق 3"ػ ح١خق ح ٠ؼع ف١
.ف اىخ١ش طف١ و حض ح١خق رخؿع ا أكيخ
1
.04ص كىس، ١خ ؽخ : حغ حي ف حلف ظخس ٠ظ- 2
.1/118 حفم، ارح١ طزل. ى: حظطز١ك حظ٠ش ر١ حظ حغش ػ- 3
.265 ص حؼح، لى: حؼر مخة ميش حغش ػ-
113
(: Substitutionاإلبذال -4 ٠م1 خ ٠ؼف ف حغش حؼر١ش رخزيي، حظحرغ
لخي حشخػ ): رظ١فش حظخه حظ، ؼخي ه ف حل حؼر لخحظخه ا ف، فخشخػ ف ػظس، ػظس حشخػ، (ػظس
رخؿع ا حؼخي ح خل خ١يح ل١ش حػق ف حـش،: ك
2.لي حشظ رؼغ حىظذ، ػ رؼغ لطغ حل *
ف ز١ طمي٠ رؼغ حظػ١لخص حؼ٠ش روظص ف حإلريحي، حالث طفى١ه حـش رغ١ش طػ١ق حظخه ف١خ، فىخض
: اػخىس وظخرظخ ػ حشى ح٢ط 3رؼغ لطغ حل ( ... )لي حشظ رؼغ حىظذ، ػ * *-
Substitution par zéro حظزيحي رخظف
طؼ٠غ حفؼ فخىال حلف ؿش ظخ ٠ؼي طفح، طحشظ أ٠ؼخ، : حو ف حـش حأل رخظف ػ أ ٠ى حظمي٠
خ طز حؼاللش حظخى١ش ر١ حـظ١ هالي طىح حفؼ حو (. Substitution par zéro)حؼع رخظف
غ طط حؼ طمي خؾ حي حخ ف طل١ طو١ذ حىال، ػ حزخكؼ ريحش أخ١ذ حغش ف رؾ أؿحء حـش، رؾ حـ
رزؼؼخ، حظش ر١خ ر١ خ ٠مخرخ حيالالص حفخ١، حطزخؽ حفخ١ ف أخ أ حغش حظ، خ ٠طك ػ١ ح١ ل
ص، طف١ي حزخكغ ػ حغش رشى ػخ ـحض أ خ١خص ح. حألىد
ض ل٠خ ال ٠ظ اال حػخس حظفخػ حظخه ر١ طل١ ح اؿي حض أؿحث ؿش يالط ؿش أه، وه حػخس
ىى فؼ رخػظزخ ػظح حظفخػ ر١ حزيع طـخرخص حظم
1
. حؼطف- حؼ حفظ حظو١ي- حظفش- رؤحػ حزيي ( حؼر حل ف حؼفش حظحرغ-
2 ;Halliday et Ruqaiya Hasan ،2/199 حظطز١ك، حظ٠ش ر١ حظ حغش ػ-
Cohesion in English, p.143 3
.2/199 ص ف، حؿغ-
114
٠م ر١ ر١ حض طحط طفخػ ف، ٠ظطذ ػ طؤػ "فؼخال ك١خ اخي ح١خق ح ٠شغ ؿءح الوخ ال ٠ـذ 1،"ف ىشش حفؼخ١ش
. خ١خص حضػزخءس ح ي ف٠ظخ ر حظخخص ل حض، ٠فظق ٠ىشف ػ هزخ٠خ حزخ حل رشى ػخ حؼ ح
حغ٠ش، و١ف١خص حطزخؽخ خث طخه حيالالص حـخخ، ش حل ػزم٠ش حظخ حغ ف حطاللخ ح فب أ ٠ـ
ظ حظ ض ليط ػ حظؼز١ حيل١ك هالي خث حظخه ح حض ػ طالك طظظ رخشى حيالش، طه حخث حظ طخػي ح
. أؿحث طحرطخ؛ ١ؼط ؼخ ظم وخ أحى حزيعخث حظخه حظ أ حوخث حث١ش حظ ػي ػ١خ طؼي
ػخء حض حغر١ ف طل١ حض حف، أل١ظخ ىخى ـيخ شخثؼش ف ئفخط، حأل ح ؿؼ خ١يح ل١ش ك ٠وظظخ خ
-ح زك و-ئفخ هخطخ
أل ى ١ رؤ حكيحص حغ٠ش طظليى رخظ ا ػاللخطخ رغ١خ حكيحص حأله؛ أل حكيس ال طظليى رخء ػ ؿخ اخ ػ
، ظ خط١ ا حـش رىخ و 2حظ١فش حظ طئى٠خ ىحه حظخ. 3ػزخس ططزؾ ؿ١غ كيحطخ ري ك١ي أ ريحص ظحرطش
ض، ظ رؼي حظطحص حظ كظض ػ ظ٠خص طل١ حض أوؼ خ ل ٠ـظر ح غ، أل ح ض ح حطـخ آه ف ىحش ح
أ حؿظحء حـ ٠ل١ " أىن ػخء حخطـظر حىش، أ حـش، .4"حغش حل١ش فظخطخ طفخ٠ك حـ حظػش حـففش أ حـيس
ض و كيى حؼ١خ٠ش ل حـش، وخ أ رح حف ٠ظـخ حل حؼفش حظ ٠ظـخ و ػخىحص حظم حظم١ي٠ش ؽق حظل١ ح
غش خ ؽ حض ال ٠وؼغ "، أػف ا ه أ طحي ال خـهيض حمحػي ؼ١خ٠ش ؼ حـش، حح٠ش ٠فض حؼزؾ، ال
1
شحص ،2005 ش ؽ،.ى ١، ك١ي:حؼ ػي حألىر حوطخد ف حظم طفخػ حض- .17 حؼد،ص حىظخد حطلخى
2.22 ص رل١، ك ؼ١ي ى.أ حالطـخخص حفخ١-حض غش ػ ٠ظ-
3 ش٠ش أىر١ش ـش حألىر حلف ـش ار٠، رش١.ى : حض ػ ا حـش خ١خص ٠ظ-
.16 ص ،2004/ 401 حؼيى حؼد، حىظخد حطلخى ػ طظي 4
- حء ىظزش ،2001 ش ،1.ؽ ػف١ف، أكي.ى-: حل حي ف ؿي٠ي حطـخ-حض ل. 40 ص ظ،-حمخس—حشق
115
ػزط، اخ الهظالف حؼخ١٠ حؼخرطش ف حظظ أل ٠ؼ 1".حمي٠ ػ ػحرؾ حـش
حوظ طخه حض حـخ ىخش خش ف حيحخص حظ طيؽ ف ـخالص طل١ حض، خ١خص حض، ل حض، ػ
حض، ري١ أخ ال ىخى ـي ئفخ ف حـخالص ٠و ٠ حف١ أ أكيخ، أ حفخ١ حظ ططزؾ رخ وخظؼخك
. حظحرؾ حض رطف طظخرؼخ حـ، و ٠ئى ظ١فش طحط١ش، فب٠شى أػ١ش هظزش الطخع ف حل، ه ربػخفش فخ١ ؿي٠يس ال
طظظ رـخي حظخ حـش هخؽ ١خلخ حظحط، طظظ رف حض حطزؾ ر١خل حظحط، حح٠ش ٠ظزق حل ىخ ىخص ظ٠ش شخش طف ن حإلخ هالي ض طزؾ
. 2ر١خق طحط، ١ هالي ؿشظ١ش ػ حؼاللش ر١ ػظ حإلخى طم ؼظ حؼاللخص ح
حكيحص ىحه ػ ػاللشحظخص حأله ىحه حـش ححكيس، ض، حظل١ ٠زيأ ف اؽخ ح حؾ "ػيس ؿ حظ ٠ظشى خ ح أل
حألر١ش حظغ، أ حظحو١ذ حشىش ف ؿ أ ظح١خص ؿ١ش طحف ح ال ٠ظ اال د 3،"سطشى ظخ ؼ١خ، ر١خ ػاللخص رؾ ل
.حالـخخث حظخه : الحذف وأهميته في تلقي النص
ض فػخ (Linguistique du texte)اح وخ ػ غش حغش، فب ل حض لي طفع ػ حغش حظ ح ٠ظ فع ػ ح
خ، ه يحش ح٠خ ظؼيىس ف١، ريحش حض رطف أفؼخي حظ خث حؿؼ١ش (حإلكخش)ؼ أخ حظخه ح
(Référence) ح١خق ى حظم. طؼي ظخس حلف ف ظ ح حالطـخ حـي٠ي ١ش خش
حشى حيال، ح خ غذ فلظ طظزؼ : خث حظخه رشم١. ف١خ طزم ح حفظ
1
حؼمخف حو ،1993 ش ،1.ؽ حخى، حأل- :ظخ حفظ ر ٠ى خ ف رلغ-حض ١ؾ - .20 ص زخ- ر١ص-حؼر
2 ٠ظ - .40 ص ػف١ف، أكي-: حل حي ف ؿي٠ي حطـخ –حض ل
3.116ص رل١، ك ؼ١ي. ى.أ: حالطـخخص حفخ١ حض غش ػ-
116
ا ػس طػ١ق ف حإلكخش أ١ظخ إ٠ش حيخ ص لي ىفغ ١ش أخ١ش ف طخك ه أل ؛ف طخه حض ػاللظخ رخلف
ف ظ خ١يح ل١ش ك ظظخ١ش حـ حظ طؼظزأؿحء حض، طرطخ ػاللخص، أ طرؾ رؼغ ػخط حـ، أ حؼاللش
الكمش، أ ر١ أهطى ر١ ػظ آه حى ف ؿش خرمش أ ػظ ر١ ظظخ١ش رىخخ خرمش أ الكمش، فبح طؼك ػظ رخ زم
٠ى طػ١ق 1ف ػاللش لز١ش، أخ اح طؼك رؼظ ٠لم ف رؼي٠ش،ح ه١حا ﴿: ل طؼخه لخ ربى ي ح أ خ ح حطتم ٠ ذ ل١ ﴾2 ،
كف حفؼ غ فخػ ف ؿحد حالظفخ، ٠ى فأي ه١ح، :حظمي٠ :طؼ ح٠٢ش وخ ٠ؤط
ري١ وال (خح)حالكع أ حلف فؼي حلغ ف ؿحد حالظفخ و خرمخ، ا خ حؿؼ١ش لز١ش ىي ػ١خ ١خق حىال، حلف
ف ح٠٢ش حى٠ش ٠يي ػ حظخه حيحه ر١ ؿظ حالظفخ : 3لي حشخػ- أ٠ؼخ-ؿحرخ،
وظف أ ت ح حع ين خ ػ ض ر أ خ ي خ ػ ر لل رخ ػيخ حػ، أض رخ ػين حع، ٠ى طؼ : حظمي٠
: رح حشىخ ي خ ػ ر ل حوز )+(ؿخ ـ)رخ+(زظيأ)ل = (......)
(حلفحع ين خ ػ ض ر أ ؿخ )رخ+ (زظيأ)أض=
( حوز حو)حع+(ـ
1
.13ص حوطخر، لي-: حوطخد حـخ ا يه -حض خ١خص ٠ظ- 2
.30/حل س- 3
ؿخخ أكي حأل شخػ ٠٠ي، أر حأل، ػي ر) 620/ـ.ق2 ص (حوط١ ر ل١- . حـخ١ش ف حظخى٠ي
ح ﴿ خ ح حطتم ٠ ذ ل١ لأ لخحأأ ن أ ربى ﴾ه١حا (........)
أي (خرمش) ؿؼ١ش لز١ش
117
طلمك ر١ حشط٠، لي حظخه فب وخ حػق ف حشخي حإلريحي " ه يالش حو حالكك ػ حخرك حلف، أ
كذ ف خ١يح ل١ش ك، هالخ ف خ أحى 1"حظف ظظخ١ش ؿ١ش حشخػ ظم؛ أل حز١ش حى١ش ز١ض حشؼ
١ض ش١جخ ؼط، اخ ٠لظخؽ ا ١ش ش طػل طـ١ 2.كذ أ فخ ىح٠ه
﴿: أخ حؿؼ١ش حزؼي٠ش فف ل طؼخ ػ ب الثىظ ٠ظ ت للات اتزت ، فلف "الثىظ"ا للا ٠ظ ف لحءس فغ : ، حظمي3٠﴾ح
: ، ٠ى طؼ ح٠٢ش وخ ٠ؤط4حألي يالش حؼخ ػ١ ١ ػطفخ ػ١
. ؿؼ١ش حمز١ش حزؼي٠ش ي ز١ حظالن رؼغ حظػ١ق
1
.21ص حوطخر، لي-: حوطخد حـخ ا يه-حض خ١خص ٠ظ- 2
حمخى طؿش،ػزي ىح٠ه، فخ :حظيح حيال حوطخد ف حزلغ حظمظخء-ح١خق حض ٠ظ- .143 ص- حغد-حز١ؼخء حيح حشق، اف٠م١خ ،2000ؽ،ش.ى ل١،
3.56/حألكحد س-
4.3/133ؽ حوش،: حمآ ػ ف حزخ ٠ظ-
118
٠ػق ح ح ؿؼ١ش حلف ح ٠ؼظ حز حخ١ش حء أوخض خرمش أ الكمش، أ اح حشظض ظظخ١ش ؿ١ش ػ كف، فالري
. ؿؼ١ش طؿ حظم ا ػؼ، ػ ف حػظخىح ػ ح١خق ـي رؼغ ح٠٢خص حمآ١ش حى٠ش طظحف ف١خ ؿؼ١ظخ لز١ش
خ ﴿:رؼي٠ش، خ ل طؼخ ٠ؼ و ؿ و ت ٠ؼ ز ٠ؼ ؿو، فلف حفؼ حفخػ يالش حخرك : حظمي1٠،﴾طى
حالكك ػ١، فخؿؼ١ش خ شظوش ر١ حمز١ش حزؼي٠ش، ظؼخ : وخ٢ط
الكع ف ح٠٢ش كف حفؼ غ فخػ، حي١ مخ فع حلف، لي طػض حؿؼ١ش ه ظم٠ش حرؾ ر١ حخرك حالكك
ححلغ ر١خ، ػ طؿ حظم ا (حفؼ فخػ)ر١ خ ٠و ف حض حمآ فخ طل١لخ، ٠ظؤط ه اال اح طط ا
هالي حىال حظ، رخػظزخ ح (حغ١ذ)طمي٠ حىال حلف . حأله١ شيح ؿخ
اح وخ حلف ٠لمك حظخه ر١ ػخط ح٠٢ش ححكيس، أ ر١ ٠لمك ػخط أوؼ آ٠ش، حػظخىح ػ حؿؼ١ش حيحه١ش، فب
حظخه ر١ أوؼ س حػظخىح ػ حؿؼ١ش حوخؿ١ش، ؼ ل ربه ﴿:طؼخ ٠ؤط الثىش أ ح طؤط١ االت أ ظ ٠ ): حظمي2٠،﴾
ربه ﴿:، ري١ ل طؼخ ف س أه(٠ؤط أ االت أ ظ ٠
1
.3/حألؼخ س- 2
.158/حألؼخ س-
119
ربه﴾ ٠ؤط أ الثىش أ ح ١خق ح٠٢ش، أويط حلففيي ػ1طؤط١ .2آ٠ش س حل
رخإلػخفش ا خش ح حلف ف طخك حض طخى ا فب أى ظ١فش أه، 3حػظخىح ػ حؿؼ١ش حوخؿ١ش حالكمش،
أفخى كم١مش أ حالظمخي حإلط١خ ىخ ا آه طفش طفخص ؿ هخك حألخو حألش، للا ػ حألؿخ حظ طشغ ك١ح، أ
شت و خ طظق ػ١ حلوش حمش حظى حى حالفظخي لل زلخ طؼخ حإلط١خ ال ٠ـ ، ف4حالطظخي حخش حلخحس
أ ال ٠ى حـء اال ػ وهوخ ر١ حـؿخ ف أح، فتي ٠طزتك ال ٠ؤط . ؿ ـخ؛ أل حأل ٠ظي ٠
خحؼخط حلفش ح٠٢ش حخرمش فـس، مي طوض ٠ؼ١ ٠يفؼ ا حظؼ حظير رغ١ش ي حفـس جخ، 5(ظك هز١)حظم
طلي٠ي حؼخط غ١ حليىس، ح حؼ لخ ر حف، ح٠ى ف حظؤو١ي ػ - فؼال ػ حظخه-ططح ا أ حلف ف
طي حأل، و ليح مؼ١خ، أخ حإلط١خ فؤفخى كظ١ش لػ طـ١ي . فخى فح كظ شوض وؤ آص
ع ﴿: ل طؼخ تحص حأل ػخ ح تش ػ ؿ وؼع؛ : أ6،﴾تش ﴿:ري١ حظظ٠ق ر ف ل طؼخ ؿ رذى س غف خرمح ا
ع حأل خء ت ع ح ػخ وؼ حؼاللش ر١ حلف حؿؼ١ش 7،﴾ػ اظ، حػلش، حأل ح ٠ئوي أ١ش حلف ف طلم١ك حظخك ح
طف١ حمآ رخمآ ٠ؼي أطي حظف١، ر ٠ؼي " أػف ا ه أ8"أي حألطي
حلف ػي خ١يح ل١ش ك ٠طزؾ رؿؼ١ش ا حلف : " ىحه١ش أ هخؿ١ش، خرمش أ الكمش طػل ف لخ
أك١خخ ٠ى ... (Anaphorique)رطز١ؼظ ػاللش ؿؼ١ش خ زك 1
.33/حل س- 2
.3/114ؽ حوش،: حمآ ػ ف حزخ ٠ظ- 3
.حظلف طط١ز فك حى٠ حمآ آ ف خرمش أ الكمش حوخؿ١ش حؿؼ١ش طى- 4
.340-339ص حـؿخ، حمخ ػزي: حزالغش أح ٠ظ- 5
ف طحفخ ححؿذ حشؽ حؿؼش ٠ى حؼخف، حفخ حف حوز١ رخظم حمظى- .حزلغ ح حؼخ حفظ حؼخ حزلغ ف حف
6.133/ػح آي س-
7.21/حلي٠ي س-
8.2/179ؽ حفم، ارح١ طزل. ى-: حى١ش ح ػ ططز١م١ش ىحش- حظ حغش ػ-
120
حأله١س طؼظي ػ (Exophorique)حلف ؿؼ١ظ هخؿ١ش ى . ١خق حلخي ح ٠يخ رخؼخص حظ ط ف طف١ حؼخي
، 1"١ ىخ ف حظخه- هخؽ حض-حلف حؿؼ وخؽ: حظخي٠ى طػ١ق فل ح حىال رخ
ض ػ ػخط خش ف ظ حزخكؼ١، طظؼ ٠غ طخه ح طى اخ خرمش أ الكمش، ،كذ ح حز١ ف حؿؼ١ش حيحه١ش
. حؿؼ١ش حوخؿ١ش، ٠ؼخف ا١خ ح١خق: وظيفة الحذف النصية
وظخد حؼر١ش ٠ؤط حمآ حى٠ ف حس حز١خ حؼر، ف ٠شى رآ٠خط ر١ش ظ١ش و١ش، أطف لي ظشي حألوز، ح
ر، :" ر ف ح حمخ إلخ ػ و للا ؿ وظخد للا طزظؼ ر، طم ر، ط طك رؼؼ رزؼغ، ٠شي رؼؼ ػ ط ٠
.2"، ال ٠وظف ف للا، ال ٠وخف رظخكز ػ للا رؼغ
1
،2/201 ف حؿغ- Cohesion in English,halliday and hassan,p144. 2
ىح ،19861 ش ؽ،.ى ػزي، لي حش١ن شف ؿ، للا و ػ حإلخ وال -حزالغش ؾ- . 2/17ؽ-زخ-ر١ص أخش،
121
، فال لي وخ اػـخ حز١خ ىح ظؤطال حى اػـخ حىغحرش أ ٠ى حمآ حى٠ ظيح ى خ طط ا١ ػخء غش
حض، أ وخ ٠ط١ذ زؼغ أ ٠طك ػ١ ل حض، أطال ظفـ١ ح حؼ، حؼص رخؼطف حـي٠ي، كظ ٠ف١ي وؼ١س ؽخلخص
ح روظص ػي طلم١ك حظخه خ١يح ك ، ٠غ١ح خ أل خ أىخ آ٠خص (Exophoric)1رخلف حؿؼ١ش حوخؿش ؛ أل
لآ١ش لي أػزض ػى ه طخخ، كمك حلف حظخه حالطخق ر١ و للا –حإلخ ػأوؼ س، ٠لؼخ ف ح حشؤ لي
حمآ ظخ أ١ك، رخؽ ػ١ك، ال طف ػـخثز ال " -:ؿ احمآ شـ ف،ال ، حلم١مش ا حلي٠غ ػ 2"طمؼ غحثز
.طمؼ ػـخثز، ال طظ غحثز، ال طزغ ح١
ى :" أ٠ ؼغ لي خ١يح ل١ش كحطف ف ػء ح
3؟"١ ىخ ف حظخه- هخؽ حض-حلف حؿؼ وخؽطمظؼ حإلؿخرش ػ ح حئحي أرخء حغش حؼر١ش حؿع ا
إلفخىس خ؛ أل خ هف ي حظ١ش حؼر١ش، اػخىس لحءطخ حإلخخصحف أػخي ف ىحش طف١ آ حمآ حى٠، طىشف ػ
ؿى ؼ حفخ١ ف أخ ٠خ طم آ حمآ .حى٠
خ ططح ا١ ظخثؾ، ٠شى ح١ طىح ؼف١خ خخ ٠ؼي ػ١ ف ىفغ ػـش رلع خ١خص حض، وح طط٠ حظ٠خص حغ٠ش
ظ، لي زك حؼخطس أ خروخطش طه حظ طم ػ حظل١ ح ػ ؾ حف٠ ف طخي خ ا حؤش حخش ف كي٠غخأش
. ظخس حلف حخص ا حمي ا حض حمآ ظخه، ٠زغ ه؛
ؿؼ ٠ؤط ف س حز١خ، حأل ح ح١ؽ "أل وال للا ح٠ز رش ىل١مش ػ مش شس ي حؼخء ح١ أ
، ى وخ ف 4"حمآ حى٠ وخىش ححكيس ٠ف رؼؼ رؼؼخ
1
حؿؼ١ش ػ حػظخىح حظ حظخه ٠لمك ال ك ل١ش خ١يح ظ ف حلف أ أ- .ح١خق حوخؿ١ش
2.1/55ؽ ؿ، للا و ػ حإلخ وال -حزالغش ؾ -
3.2/179ؽ حفم، ارح١ طزل. ى- : حى١ش ح ػ ططز١م١ش ىحش - حظ حغش ػ-
4.388ص هطخر، لي-حض حـخ ا يه- حض خ١خص-
122
طظزغ أ حمآ حى٠ طػ١ق و١ف ٠خ حلف ف طلم١ك حظخك، .وشف حألخ حظ ح ٠غ ػ١ ف ح حـخي
123
BENSALAH Mohamed Université d’Oran Es-Sénia
Discours filmiques, mémoires et contextes
révolutionnaires : Eléments pour un débat
L‘objet premier de cette étude étant d‘appréhender le fonction-
nement des formes de représentations verbales, iconiques et so-
nores, nous nous proposons, de mettre en exergue le faisceau de
déterminations culturelles, artistiques et langagières qui préside
à la fabrication de tout discours iconique et sonore, et cela afin
de bien montrer que les productions artistiques peuvent être ap-
préhendées et appréciées diversement en fonction des contextes,
des périodes, des individus, des cultures, des institutions et des
moments de réception.
Certaines figures rhétoriques représentées dans les films seront
abordées, non pas seulement à travers les thématiques, mais aus-
si et surtout en fonction des traitements filmiques, des mises en
équation et des fonctions qui leur sont assignées. Sera donc mis
en veilleuse la problématique liée à la narration au profit d‘une
réflexion plus générale, portant sur les choix esthétiques, stylis-
tiques, voire idéologiques des auteurs, scénaristes et réalisateurs
qui ne mesurent pas toujours l‘impact, la force et la justesse de
leurs messages.
Débordant les aspects narratifs des récits filmiques qui mobili-
sent habituellement l‘attention des spectateurs, nous aborderons,
de manière plus exhaustive, les rapports de styles et de formes
en adéquation avec les imaginaires collectifs, les conditions so-
cio-psychiques de diffusion et de réception et les contextes so-
cioculturels des cultures impliquées.
124
Quelle définition donner au concept de « discours fil-
mique » ? Une articulation est-elle possible avec le « discours
historique » ?
Champ de recherche fécond, le 7ème
art dispose d‘un langage
spécifique, c'est-à-dire d‘un ensemble organisé de signes et de
codes en rapport dialectique, qui contribuent à rendre compré-
hensibles les discours filmiques. Cet art, quintessence de
l‘ensemble des autres arts et qui couvre l‘ensemble des disci-
plines, dispose d‘une écriture, c'est-à-dire d‘un moyen
d‘inscription durable sur support chimique ou numérique. A
toutes ces séductions, s‘ajoute une vertu critique, celle de pou-
voir approcher l‘œuvre artistique en tenant compte des para-
mètres techniques et esthétiques mais aussi, du contexte
d‘énonciation, des normes de l‘énoncé et des caractéristiques
des différents locuteurs. Nous savons aujourd‘hui que tout en-
semble complexe et structuré d‘énoncés multiples, produit à
l‘aide d‘images, de sons, et de mentions écrites, peut-être consi-
déré comme un « discours ». Ce dernier, pour se réaliser, re-
quiert les potentialités du langage à partir et au travers duquel, il
se manifeste. Art de la représentation et de l‘expression, le ci-
néma s‘adresse délibérément aux sens, aux émotions et à
l‘intellect. D‘où la nécessité d‘une maitrise de ses possibilités
syntaxiques et des aspects socio-sémantiques de l‘œuvre pro-
duite. L‘approche sémiologique, qui s‘assigne comme tâche de
spécifier les signes du langage, ne négligera pas pour autant les
codes qui le régissent et qui interagissent entre eux, en
s‘appuyant sur la linguistique structurale, la psychanalyse, la
psychologie, l‘histoire, l‘ethnologie et la philosophie, entre
autres.
Comment, dans quelles conditions et dans quel contexte se cons-
truit un énoncé cinématographique ? Quelle distance ce dernier
peut-il prendre par rapport à la réalité historique du fait de son
125
argumentation, de sa stylistique, de sa forme et des enchaine-
ments des plans et séquences qui interagissent entre eux ?
Comment un simple agencement de plans, filmés en divers en-
droits, arrive à provoquer des effets mystérieux qui semblent
relever de la magie ? 1. Cette référence au langage cinématogra-
phique permet de discriminer entre ce qui relève du cinéma en
tant que tel et ce qui relève d‘autres systèmes de représentations.
Née d‘un défaut de l‘œil, la persistance rétinienne, l‘illusion du
mouvement offre des possibilités insoupçonnées aux réalisateurs
talentueux préoccupés par les modes de production de sens.
Comment les images arrivent-elles à provoquer ? Comment inci-
tent-elles à des interprétations et à des significations ? L‘analyse
va nous permettre de répondre à ces questions. Compte-tenu de
leur syntaxe spécifique, les récits filmiques soulèvent moult in-
terrogations quant à leur transfert sémiotique. La reformulation
en images d‘un témoignage ou d‘un récit oral, l‘adaptation d‘un
ouvrage ou l‘écriture d‘une fiction basée ou non sur des faits
réels, n‘est guère chose aisée. Le cinéaste doit au préalable se
poser les questions relatives à la transposition des concepts d‘un
discours à l‘autre, en supposant qu‘un concept peut être transpo-
sable : comment reconstruire au cinéma un univers homogène ?
Comment élaborer les signifiants cohérents ? Comment utiliser
la diversité des matériaux expressifs utilisés pour offrir des pos-
sibilités syntaxiques et sémantiques tout à fait particulières ?
Décoder les articulations complexes entre « discours filmiques »
et « discours historiques », entre « vérité cinématographique » et
« vérité historique », revient à distinguer entre ce qui relève du
« filmique », c'est-à-dire du discours visuel et sonore que l‘on
regarde/écoute lorsqu‘on assiste à une projection et ce qui relève
du « cinématographique », c'est-à-dire de l‘institution cinéma
dans sa diversité et ses composantes. Le décodage d‘images
fixes ou animées relatives à l‘Histoire, l'analyse des mécanismes
de leur fabrication, l'étude des contextes qui président à leur
126
création et les vecteurs de propagande dont elles peuvent bénéfi-
cier, contribuent grandement à la compréhension de la genèse et
de la dissémination massive d'un imaginaire fantasmatique affi-
lié au passé. Une lecture critique d‘une œuvre d‘art ne se limite
pas, loin s‘en faut, aux seuls paramètres cinématographiques :
cadrage, éclairage, grosseur de plans, mouvements d‘appareils,
effets sonores, couleurs, montage, postsynchronisation…, elle se
doit aussi de prendre en considération l‘ensemble des éléments
et objets signifiants d‘un plan ou d‘une séquence, comme les
décors, les bruits, les musiques, les personnages, les propos en-
tendus etc., sans oublier bien sur les figures d‘expressions qui
régissent d‘autres disciplines culturelles et artistiques comme le
théâtre, la photographie, la peinture, le dessin, la BD, la radio,
etc., qui relèvent tout autant du « cinématographique » que du
« fait filmique » 2.
L‘approche méthodologique d‘une structure narrative, quel que
soit son caractère, historique, politique, scientifique, religieux ou
artistique, constitue un préalable essentiel à toute analyse cri-
tique et oblige à une bonne maitrise du phénomène de la récep-
tion filmique, de la production de sens et de l‘interprétation. La
sémiologie du cinéma, ayant ses propres exigences face à
l‘écran, le spectateur ne peut se contenter de ce qu‘il voit ou
entend dans un plan ou une séquence. Il doit aussi tenir compte
de la manière dont l‘imaginaire se trouve traduit en images, des
énigmes du hors champ, provoquées par des procédés de prises
de vues ou de montage et enfin, de la réception du discours fil-
mique par le spectateur. La perception, qui ne se limite pas à une
simple lecture du sens ou à un déchiffrage des codes, s‘inscrit
dans l‘expérience consciente du sujet-spectateur actif qui se re-
connait comme regard, même s‘il n‘a pas une conscience claire
de l‘organisation fictionnelle. Il ne faut cependant pas confondre
l‘étude des « discours sur » avec l‘étude des «discours à partir »
des œuvres. Toutes deux, en rapport à l‘imaginaire et fermées
127
sur elles-mêmes, ont cependant une certaine ressemblance dans
la modalité ou modalisation de l‘énoncé (subjectivité objectivi-
sée), dans le recours au présent pour signifier l‘immanence du
discours filmique et dans la syntaxe qui montre la perception du
mode d‘énonciation du film narratif. Ainsi, le discours tenu sur
le film renseigne sur la relation au film en tant que signifiant
spécifique, mettant en jeu l‘imaginaire, un savoir antérieur et un
certain nombre de présupposés et d‘attentes.
Lecture cinématographique de l’Histoire et lecture histo-
rique du film.
Plusieurs corpus d‘analyse peuvent étayer notre propos. Le
genre western, spectacle distractif et apprécié du public permet,
à travers un discours narratif quasi-institutionnalisé, de bien
comprendre la mythologie westernienne à travers la représenta-
tion de « l‘Indien » à l‘écran.
Pour masquer l‘épopée sanglante et dramatique de la conquête
de l‘Amérique et de l‘éradication totale du peuple amérindien, le
coup de génie des Américains est d‘avoir pensé à créer un
genre : le film « Cow-boy », qui met en exergue la justice,
l‘ordre et la morale, sous une forme divertissante et pleine de
suspense. Autre thème tout autant instructif : le film colonial et
les fantasmes socioculturels qu‘il a suscités. L‘observateur aver-
ti peut voir comment naissent et perdurent les clichés, les
mythes et les stéréotypes dans l‘imaginaire collectif.
Compte-tenu de la célébration de deux grands événements à
dimension planétaire (Centenaire de la Première Guerre mon-
diale et 70ème
anniversaire de la libération), nous avons préféré
focaliser notre attention sur les « discours filmiques » relatifs
aux grands conflits entre puissances européennes, célébrés avec
128
faste ces dernières années. Visuellement spectaculaires, émi-
nemment moraux (puisque la démocratie triomphe du mal abso-
lu), et riches en histoires humaines, les films de guerre, genre
très prisé du grand public, ont toujours captivé l‘attention des
producteurs hollywoodiens qui les considèrent comme des
mines d‘images et des sujets en or pour l‘imaginaire. Plusieurs
grands succès populaires peuvent intégrer notre créneau
d‘analyse : « Le Jour le plus long », (The Longest Day) 1962,
réalisé par Ken Annakin et produit par Darryl Zanuck, « Au-
delà de la gloire » (The Big Red One) 1980, de Samuel Fuller,
« Frères d’armes » de Tom Hanks et Steven Spielberg, ou en-
core, « Il faut sauver le soldat Ryan » (Saving private Ryan)
1998, de Steven Spielberg. Ces productions, bien ancrées dans
les mémoires, ont acquis aujourd‘hui le statut de document his-
torique.
« Le 6 juin à l’aube » de Jean Grémillon et « La Bataille du
rail» de René Clément ont, dès 1945, évoqué le conflit mondial
mais avec des budgets très modestes. Arrivèrent plus tard, les
productions hollywoodiennes à grand spectacle. Première
grande reconstitution du débarquement allié, « Le Jour le plus
long », gigantesque superproduction réalisée il y a 52 ans, donne
l‘image d‘un assaut irrésistible, appuyé sur une machine de
guerre américaine invincible. « Au-delà de la gloire » et
« Frères d’armes », considérés comme les meilleurs films con-
sacrés au D-Day, ont célébré de manière extraordinaire la parti-
cipation des forces alliées en mettant particulièrement en relief
le courage exceptionnel des combattants, incarnés à l‘écran par
les plus grandes stars du box-office de l‘époque : John Wayne,
Robert Mitchum, Richard Burton, Tom Hanks, Sean Connery…
. Pour la plupart, les scénarii made in USA, relatifs au débar-
quement, donnent l‘impression de sortir d‘un même moule avec
pour principe directif, incruster dans les esprits l‘idée que la
mission américaine a été déterminante pour le sauvetage de
129
l‘Europe de la barbarie allemande qui la menaçait. La sortie de
ces fresques historiques sur les écrans mondiaux ayant fait
l‘objet d‘une stratégie médiatique planétaire, ces films ont réussi
à inscrire dans l‘imaginaire collectif international le débarque-
ment comme étant l‘œuvre quasi-exclusive des Américains.
Leur participation est magnifiée à l‘extrême et la portée des
événements surdimensionnée. Nous savons aujourd‘hui que,
pour la plupart, ces reconstitutions filmiques sont non seulement
exagérées, mais aussi incomplètes. Non seulement les produc-
tions ne sont pas toujours dans un rapport dialectique avec les
contextes politiques, économiques et sociaux de leur émergence
mais en plus, le spectateur averti est souvent déçu du résultat.
Vrai, imaginaire et fabulation à travers le discours cinéma-
tographique
Le film de Marcel Ophuls, « Le Chagrin et la pitié », un des
plus grands documents relatifs aux pages peu glorieuses de
l‘occupation, remet les pendules à l‘heure. Ce film, qui joua un
rôle déterminant dans la déconstruction d‘un imaginaire fantas-
matique profondément ancré dans les mémoires, invite à appro-
fondir la réflexion sur les représentations qui peuvent se forger
dans les esprits et s‘inscrire dans les mémoires. « Le chagrin et
la pitié » a mis à rude épreuve le mythe d‘une France soudée
face aux envahisseurs allemands. Longtemps interdit de diffu-
sion, le documentaire montre comment, dans un pays immobile,
attentiste et opportuniste, indifférent aux minorités persécutées
et coupé en deux par les résistants et les collabos, une certaine
vision de l‘occupation et de la résistance a réussi à se mettre en
place. Contournant la critique cinématographique, l‘historien
Pierre Laborie, qui s'intéresse aux imaginaires sociaux, casse, à
son tour, les idées reçues et les représentations forgées de
longues dates, et démonte la construction du mythe « résistan-
130
cialiste » dans l‘imaginaire collectif des Français. Il affirme dans
son dernier ouvrage « Le Chagrin et le venin», consacré à la
France des années 1940 : « Dans ce que la mémoire nous trans-
met, il y a plus que de l'Histoire. Rien n'est figé, et notre boîte
crânienne se prête avec plus ou moins de complaisance aux ma-
nipulations, détournements de sens et autres amnésies ». 3.
Bien avant l‘avènement du cinéma, l‘Histoire a fait l‘objet
d‘oublis, d‘exagérations et de manipulations. A l‘écran, les
événements historiques magnifiés et surdimensionnés à
l‘extrême, grâce aux possibilités techniques et esthétiques
qu‘offre le 7ème
art, nous donnent l‘impression que nous sommes
face à la réalité. Parfois un simple plan fixe ou une séquence
animée sont plus éloquents qu‘un long-métrage de 90 minutes.
Tout cinéphile a en mémoire le célèbre plan extrait du film
«Les Temps modernes », où l‘on voit un troupeau de moutons
entrant dans un abattoir, alternant avec un plan d‘une foule se
pressant à une station de métro. Un autre exemple tout aussi
significatif : dans «Le Jour le plus long », en surimpression sur
le générique, une image fixe d‘un casque ballotté par les vagues
sur une plage de Normandie. Cette image résume à elle seule
toutes les horreurs du débarquement. Notons enfin, la merveil-
leuse séquence dans « Le dictateur » où Hitler joue avec le
globe terrestre : une parfaite métaphore de la folie d‘un homme
qui se joue de l‘univers. On peut multiplier à l‘infini ces
exemples de constructions métonymiques qui sont la marque de
fabrique des grands maitres à l‘origine du véritable langage ci-
nématographique comme, Eisenstein, Fritz Lang, Hitchcock…
Revenons au plan du casque abandonné sur le sable. Le message
subliminal fonctionne parfaitement. A lui tout seul, ce plan
symbolise les affres de la guerre, le sacrifice et la souffrance
endurées par les soldats impliqués dans le débarquement allié. Il
suggère que le GI américain qui l‘a égaré a certainement perdu
131
la vie. La symbolique est forte et la mise en lumière particulière
participe à la légende en laissant entendre que les libérateurs,
venus de loin, ont donné leurs vies pour libérer l‘Europe. Faut-il
pour autant limiter la portée d‘un récit à la parcelle de réalité
qu‘il prétend décrire ? Cela ne revient-il pas à sous-estimer la
nature déformante du miroir qu‘est le cinéma et à réduire à peu
de chose l‘intervention créatrice de l‘auteur ? Le recours à une
mise en syntagme inventive pour signifier métaphoriquement
une mappemonde, a permis à Charlie Chaplin de dénoncer sur le
ton de l‘humour et de l‘impertinence, les crimes nazis. Le poids
du réel angoissant (n‘oublions pas que « Le dictateur » a été
tourné en pleine guerre) n‘enlève rien à l‘œuvre lucide, artis-
tique et esthétique d‘une grande beauté. Par ce regard inventif
et curieux, Chaplin, qui campe les deux personnages principaux,
aux antipodes l‘un de l‘autre (Hitler et le barbier juif), ne
cherche pas à faire du beau même si son approche documentaire
sous forme de « récit » est d‘une grande beauté. En tant
qu‘artiste engagé, il s‘exprime tout simplement en mettant un
écran entre les événements et lui. Son cri de désespoir contribue
à la mise en lumière d‘un discours éminemment politique à tra-
vers un langage et des représentations cinématographiques spé-
cifiques - plus ou moins conditionnées par le contexte – et qui
conditionnent elles-mêmes ce contexte 4.
Le discours cinématographique historique s‘est toujours décliné
sous deux aspects : celui du vrai et celui de l‘imaginaire. Si les
films cités en référence mettent en exergue les unités améri-
caines en soulignant leur courage exceptionnel, cela n‘est guère
dû à un excès d‘imagination des auteurs. Des Gis courageux, il y
en a eu, pleins d‘héroïsme et prêts au sacrifice. Des milliers ont
perdu leurs vies. Mais, en se focalisant exclusivement sur les
soldats américains en tant qu‘acteurs majeurs du conflit, les ca-
méras hollywoodiennes peuvent prêter à confusion en laissant
penser que l‘engagement des Britanniques, des Canadiens et des
132
Français était secondaire, voire insignifiant. Il a fallu attendre
longtemps avant que les passions ne s‘apaisent et que les faits
avérés soient reconnus 5. Ce n‘est que très récemment que jus-
tice a été rendue à l‘armée d‘Afrique et surtout à l‘Armée rouge
dont l‘engagement a été déterminant dans la destruction com-
plète du potentiel militaire allemand. Sans le sacrifice de plus
de vingt millions de Russes, la victoire sur les hordes nazies
n‘aurait pas été possible. Entre autres occultations filmiques
scandaleuses, tout aussi dommageables, en plus de la ségréga-
tion dont ont été victimes les Gis noirs américains et des soldats
recrutés en Afrique, rappelons les dégâts qualifiés de « collaté-
raux » causés par les bombardements alliés lors du débarque-
ment, qui malgré plus de 20.000 morts parmi les populations
civiles, n‘ont donné lieu à aucune monstration sur les écrans.
Aucun film n‘a abordé les affres des campagnes de Tunisie,
d‘Italie, les massacres lors du débarquement à Naples où la moi-
tié du contingent était composée de soldats « indigènes ». Le
silence a été total sur l‘autre débarquement, celui de Provence
(en août 1944) qui avait impliqué un grand nombre de soldats
africains mobilisés pour libérer la France, de Marseille jusqu‘en
Alsace 6. Aucune célébration cinématographique, aucune mé-
diatisation, aucun hommage aux combattants d‘Afrique du
Nord impliqués dans la guerre de Crimée (1850), celle de Prusse
(1870) puis la Grande Guerre de 1914 à 1918. Il a fallu attendre
2006 pour qu‘enfin Rachid Bouchareb réalise « Indigènes »,
apprenne au monde l‘histoire dramatique de ces combattants
d‘Afrique, héros inconnus, qui ont servi, bien malgré eux, de
chair à canon dans ces guerres entre puissances européennes.
Sur tous ces non-dits, sur toutes ces omissions, sur tous ces
mensonges, le cinéma a su se rendre discret. Par masochisme ?
Par ignorance ? Difficile de discerner entre le vrai, le faux, la
fabulation et le silence, en raison des pressions et des manipula-
tions à ce jour perceptibles.
133
L’industrie cinématographique face aux guerres
Si, au lendemain des combats, les studios d‘Hollywood avaient
bien compris l‘intérêt qu‘ils pouvaient tirer du cinéma pour
frapper les imaginaires et alimenter les fantasmes avant de ma-
gnifier la guerre et le sang sur pellicule, l‘industrie cinématogra-
phique avait, au préalable, participé à l‘effort de guerre en usant
de subterfuges. Face aux deux millions de soldats allemands
mobilisés, les alliés qui alignaient moins de 200 000 hommes
pour envahir l‘Europe, n‘avaient aucune chance. Faute donc
d‘effectifs suffisants, il fallait tromper l‘ennemi par la ruse. Les
stratèges des combats ont alors eu recours aux possibilités
qu‘offrait le 7ème
art en matière de décors et de reconstitutions.
Ils s‘adressèrent aux professionnels du cinéma pour construire
avec du bois, de la toile et de la baudruche des centaines de
tanks et de canons fictifs. Par dizaines, des opérateurs furent
mobilisés pour simuler des trafics radio militaires intenses. Le
leurre a fonctionné tel que prévu. Les écoutes radio et les prises
de vues de reconnaissance aérienne ont fini par inquiéter Hitler
et sa Wehrmacht qui ont cru au débarquement imminent d‘une
seconde armée des forces alliées.
Réinventée à l‘écran grâce au prisme déformant des objectifs
cinématographiques et aux moyens techniques et artistiques so-
phistiqués, l‘histoire sanglante de la première puissance mon-
diale apparait avec un visage positivé, magnifié, grâce au ma-
quillage et au trucage de la réalité, omniprésents dans la plupart
des films. Les cinéastes américains n‘hésitent plus à inventer des
personnages, hors du commun évoluant dans des récits tout à
fait fantasmatiques. James Bond, prototype du héros invincible a
été conçu d‘une part, pour redorer le blason de l‘intelligence
service et d‘autre part, pour bien enraciner la légende à travers
des représentations rocambolesques. L‘Histoire en général et
134
celle de la guerre en particulier, constitue pour les producteurs
en quête de spectaculaire un excellent créneau de rentabilité,
malgré les représentations partielles et partiales. Le lobby des
producteurs et des politiques use de tous les moyens pour réé-
crire l‘histoire, et la récupérer à son avantage. Nourrie par les
commémorations officielles, la légende a fini par transfigurer la
réalité des combats pour en donner une image à la fois héroïque
et édulcorée. Le 70ème
anniversaire du débarquement allié en
Normandie, temps fort du quinquennat du Président Hollande,
s‘est inscrit avec faste dans ce registre de la mémoire. A l‘instar
du Général De Gaulle qui, en 1964, a voulu magnifier le rôle de
la France libre et de la résistance durant la libération et, tout
comme Mitterrand qui, en 1984, a eu recours à la mémoire du
débarquement à des fins diplomatiques.
Excepté à travers quelques rares films, la véritable histoire des
Etats Unis a toujours été absente des écrans. Sur les crimes
commis au nom de l‘Etat, sur Hiroshima, Nagasaki, le Vietnam,
le dépeçage du Proche et du Moyen-Orient, la dislocation de
l‘Irak, de la Palestine, du Liban, de la Syrie, l‘Omerta est totale
et les tabous nombreux. L‘inconscient qui ronge les rêves
n‘incite pas encore les cinéastes américains à se positionner par
rapport aux crimes horribles qui ont jalonné leur histoire. Rares
sont les westerns dignes d‘intérêt et encore plus rares les films
qui dénoncent la ségrégation raciale aux Etats Unis. Cela dit,
chaque décennie apporte du nouveau. Porté par cette conscience
douloureuse de raconter une tragédie collective, certains comme
Spielberg, avec « La Couleur pourpre » 1985 et « Amistad »
1997, se sont permis d‘administrer des leçons d‘histoire sur une
tragédie collective, l‘esclavage. Leurs films, d‘une grande luci-
dité, permettent, à tout le moins, aux Américains d‘ouvrir le
débat sur leur passé. Avec « 12 Years A Slave » (Douze ans
d‘esclavage), le Britannique Steve McQueen revient sur ce tra-
vail sur la mémoire. Ce film, grande émotion artistique, consti-
135
tue un témoignage implacable sur la mémoire et la perversion du
système esclavagiste. Mais si des cinéastes téméraires et coura-
geux émergent du néant et montrent la réalité sans fard au risque
de leur carrière et de leur fortune, pour la plupart, leurs produc-
tions achevées dans des conditions difficiles, demeurent margi-
nalisées lorsqu‘elles ne sont pas bannies des écrans.
Tout travail cinématographique portant sur l‘histoire en général,
devrait en principe souscrire à une démarche intellectuelle ra-
tionnelle, laquelle doit admettre l‘interrelation entre la création,
les créateurs, les historiens et le contexte d‘émergence des récits.
Il n‘est pas nécessaire de réduire l‘histoire du cinéma à la seule
analyse de cette interdépendance. Nous avons constaté que lors-
que le passé s‘éloigne, que les passions s‘apaisent et que la re-
cherche historique évolue, des discours filmiques se font plus
intelligents, plus lucides, plus réalistes et plus rationnels. Deux
exemples significatifs pour étayer ce propos : « Au-delà de la
gloire » ou encore « Il faut sauver le soldat Ryan ». Comme la
plupart des films réalisés durant les années 1980 et relatifs au
débarquement allié, les deux récits semblent plus respectueux
des faits historiques et donc du public. Ils mettent en exergue
l‘ultra réalisme et la place du soldat ordinaire durant les conflits.
Fuller, le réalisateur du premier film, relate son vécu et son ex-
périence personnelle du débarquement. Spielberg centre plutôt
son scénario sur le massacre effrayant des soldats en raison des
nombreux couacs de leurs chefs, en mettant en exergue
l‘expérience traumatisante du soldat ordinaire. Dans cette pro-
duction (Oscar du meilleur film), le super-héroïsme s‘estompe et
les combattants n‘apparaissent plus comme des surhommes,
mais plutôt comme des êtres humains ordinaires, doués de rai-
son et dotés de sentiments humains comme la peur, l‘espoir, la
colère, le deuil...
136
France/Algérie : regards filmiques croisés
Monopole exclusif des « Européens » durant la période colo-
niale, la production cinématographique française n‘avait rien à
envier à celle d‘outre-Atlantique en matière de manipulation de
l‘Histoire, d‘occultation de faits et de travestissement de la réali-
té. Photographies, gravures et cartes postales avaient, dès
l‘occupation souligné avec la force de l‘émotion, les mythes,
les héros, les illusions, l‘exotisme, l‘aventure. Destinée priori-
tairement aux Français d‘Algérie et aux métropolitains,
l‘iconographie coloniale empruntait le discours dominant de
l‘époque, celui de la pensée unique dont l‘objectif principal con-
sistait à bien ancrer dans l‘imaginaire collectif, l‘image d‘une
société algérienne idyllique, heureuse et épanouie. Avec
l‘avènement du 7ème
art, le pouvoir colonial a très vite compris
l‘impact du cinéma par rapport aux autres moyens de propa-
gande. Plus d‘un millier de films, tous formats confondus, ont
servi de toile de fond en Afrique sub-saharienne et au Maghreb
pour glorifier la colonisation. Déclarée pays des droits de
l‘Homme, la France coloniale considérait qu‘il était de son de-
voir, dans le cadre de sa « mission civilisatrice », de « pacifier
les Indigènes » considérés comme des « sauvages, des arriérés et
des barbares » 7. L‘image fixe d‘abord et animée ensuite a donc
naturellement accompagné l‘entreprise prédatrice coloniale.
Recrutés en Métropole les cinéastes, qui se sont fait thuriféraires
de «l‘ordre» colonial, nous révèlent bien malgré eux à travers
leurs œuvres, l‘esprit d‘une époque et son idéologie dominante.
Leurs films, des mises en équation d‘un réel fantasmé, idéalisé
et même sur-réalisé, avaient pour objectif de façonner un mode,
foncièrement paternaliste, de représentation des peuples, une
réalité quasi onirique censée magnifier l‘occupation barbare 8.
Sur les écrans, aucune allusion, bien sûr, aux souffrances infli-
gées aux peuples des colonies, aux crimes de guerre et aux
137
crimes contre l‘humanité, qui ont jalonné l‘Histoire de la pré-
sence française en Algérie, durant 132 années. Aucun discours
allusif aux enfumades criminelles de villages entiers, aux mas-
sacres collectifs, à la répression sauvage de Mai 1945, de dé-
cembre 1960, d‘Octobre 1961 à Paris… Même silence assour-
dissant autour des crimes liés aux essais nucléaires. Aucune film
sur les exactions et les crimes commis en Algérie, comme l‘ont
fait certains cinéastes Américains à propos de la guerre du Viêt-
Nam avec : « Voyage au bout de l’enfer », « Apocalypse now »
ou encore « Les Sentiers de la gloire » (tourné par Kubrik stan-
ley en 1958 et sorti en 1975). Excepté « Muriel » d‘Alain Res-
nais, et « Le Petit soldat » de Jean Luc Godard, qui ont fait très
succinctement référence à la guerre en Algérie, la plupart des
cinéastes se sont murés dans un profond silence. Une fois la
guerre terminée, le voile « pudique » n‘a pas été arraché. Les
cinéastes français ont-ils sous-estimé - ou, pire, ignoré – la gra-
vité de la situation 9. Il a fallu attendre le 10 juin 1999 pour que
le Sénat français reconnaisse qu‘il y a eu guerre en Algérie.
Le procès cinématographique de la colonisation reste à faire. 52
ans ont passé depuis l‘indépendance. Aucun discours filmique
nouveau sur ce passé demeuré sujet tabou. L‘actualité politique
et médiatique valide quelque part les prétentions d‘un certain
courant animé par des nostalgiques d‘un passé magnifié et enjo-
livé à souhait. Les cinéastes, tout comme d‘ailleurs l‘Etat fran-
çais, semblent avoir renoncé à reconnaitre les atrocités perpé-
trées au nom de la France des Droits de l‘homme. Les crimes
coloniaux de Saint Arnaud, Randon, Vallée, Rovigo, Duval, de
Bourmont, Bugeaud, Massu, Bigeard, Salan, Challe, Zeller, Ar-
goud, Godard, Leger, Papon… et autres tortionnaires, commis
au nom des valeurs universelles « Liberté, Egalité, Fraternité »
n‘ont pas encore été scénarisés. Ils ne le seront pas de si tôt, à
voir les glissements opérés ces dernières années en France au
sein de l‘opinion publique : Loi vantant les mérites de la coloni-
138
sation(Février 2005), hommages aux tueurs de l‘OAS dans le
sud de la France, projet de musée à la gloire des tenants de
l‘Algérie française piloté par le lobby des rapatriés, activisme
encouragé par un Front national qui semble avoir le vent en
poupe…La France d‘aujourd‘hui n‘a pas su, en tant que grande
puissance colonisatrice, assumer ses responsabilités face aux
massacres commis en son nom, face à la spoliations de tout un
peuple. Aucune reconnaissance des faits et donc pas la moindre
expression d‘un remords, pas la moindre compassion envers les
victimes. Que dire alors de la repentance ?
Influence de l’historiographie de la Révolution sur la pro-
duction filmique
Comment le 7ème
art a-t-il évoqué la révolution algérienne ?
Quel rapport entretenait-il avec la révolution, la réalité sur le
terrain, la fiction, la fabulation ? Comment l‘idéologie dans un
film arrive à se laisser envelopper dans une forme empirique ?
Si on devait revisiter notre Histoire à travers le prisme du ciné-
ma, ses évocations, ses silences, ses omissions, on se rendrait
vite compte du hiatus entre les propos clairement énoncés des
responsables et la réalité projetée sur les écrans. Les premières
images algériennes, filmées et montées par des Algériens, ont
été conçues dans les maquis, en pleine lutte de libération natio-
nale. Des cinéastes courageux n‘ont pas hésité à dénoncer les
affres de la soldatesque coloniale 10. Ils étaient sur le théâtre des
opérations, aux côtés des maquisards et ont montré la guerre à
l‘état brut, sans maquillage et sans occultation aucune. Dès
l‘indépendance et pour la première fois, le peuple algérien était
fier de se découvrir à l‘écran, tel qu‘il était. Les productions
significatives qui ont vu le jour témoignaient des sacrifices con-
sentis par tout un peuple dont elles vénéraient le courage et
l‘héroïsme. Moyen de lutte et arme de combat contre
139
l‘oppresseur, le cinéma algérien était perçu comme l‘un des plus
importants du tiers-monde.
Mais, dès le début des années 70, les discours cinématogra-
phiques ont commencé à changer de ton, de formes et de nature.
Tout projet de scénario dénonçant les maux sociaux était à priori
considéré comme subversif par les responsables. La censure
impitoyable a fini par rendre toute velléité de nouveaux discours
filmique obsolète. La cinématographie nationale s‘est réduite en
peau de chagrin. Une lourde chape de plomb a tétanisé la pro-
duction. Les structures cinématographiques furent démantelées
une à une. Surgirent alors de nouvelles féodalités et une corrup-
tion en masse qui va finir par réduire à néant le secteur. Mais,
malgré le chaos généralisé, certains films ont réussi à voir le
jour, souvent à l‘occasion de commémorations de dates histo-
riques, pour magnifier le combat libérateur.
Avec le recul, on peut constater que les films relatifs à la lutte de
libération nationale recèlent encore de nombreux mystères.
Combien de zones d‘ombre, de pans d‘Histoire ignorés, mal
connus ou volontairement occultés ? Nourri dans un bain poli-
tique délétère, avec des rapports confus entre ce qui relève de la
réalité historique et ce qui relève des mémoires, le discours fil-
mique a été transfiguré. L‘Histoire nationale est devenue pré-
texte à scénarios d‘aventures, de suspense ou d‘épopées édi-
fiantes. Non seulement l‘histoire n‘a pas été rapportée dans toute
sa véracité, mais en plus, les films produits n‘ont pas rendu li-
sible l‘héritage historique. Le grand désenchantement percep-
tible chez les adultes s‘est poursuivi par une ignorance totale
chez les jeunes d‘aujourd‘hui (dont 70 % n‘ont pas connu la
guerre), de la vraie histoire du pays. Les mémoires collectives
n‘ont enregistré à ce jour comme seule véritable événement du-
rant les sept années de lutte, que celle qui eut pour cadre la cas-
bah d‘Alger. « La Bataille d‘Alger », célébrée magistralement
140
par le cinéma grâce au talentueux Ponte Corvo et installée au
premier rang de l‘imaginaire collectif peut faire croire que c‘est
l‘unique grande bataille de notre histoire révolutionnaire.
Le contexte change, mais l‘usine idéologique poursuit sa mis-
sion : fabriquer des rêves et des fantasmes pour continuer à ma-
nipuler des faits historiques. Partout dans le monde, des déten-
teurs du pouvoir s‘arrogent le droit d‘imposer une Histoire offi-
cielle, celle qui les arrange. Ils savent bien que le contrôle du
passé les aide à maîtriser le présent. Lorsque les mémoires qui
remodèlent les épisodes fondateurs d‘une vie se tarissent, lors-
que les archives sont mises sous séquestre et lorsque des pans
entiers du passé sont volontairement ignorés, s‘érigent alors les
murs d‘ignorance. Ce sont les institutions qui discréditent la
mémoire, alors que cette dernière est censée contribuer à
l‘écriture de l‘Histoire. En instrumentalisant la manipulation des
esprits, on rend la domination des masses plus aisée.
Algérie : émergence d’un nouvel imaginaire ?
En Algérie comme ailleurs, c‘est l‘Institution, donc l‘Etat qui
détermine la connaissance historique en décidant des pro-
grammes pédagogiques et culturels, en nommant des ensei-
gnants, en désignant des cinéastes et en filtrant toutes les pro-
ductions théâtrales et cinématographiques afin de contrer toute
velléité d‘une contre-Histoire . Tant que le discours filmique
algérien sera édicté par le pouvoir politique, l‘Histoire analy-
tique sera privilégiée. Pour l‘heure, notre Histoire se reflète
encore mal à l‘écran. Si certaines productions ont bien réussi à
mettre en évidence des faits avérés à travers des fictions drama-
tisées et partisanes à forte charge symbolique, pour l‘essentiel,
l‘histoire analytique de notre révolution, telle que portée à
l‘écran n‘est guère satisfaisante. Les polémiques et débats hou-
141
leux qui ont accompagné la sortie de récentes productions
comme, « Larbi Ben Mhidi » d‘Ahmed Rachedi et « Ahmed
Zabana », de Saïd Ould khelifa, montrent bien qu‘il y a pro-
blème. Certes, aucun film ne peut à lui tout seul raconter ou dé-
crire des événements historiques de manière exhaustive. Mais
cela n‘empêche pas les interrogations sur la façon dont les ci-
néastes recréent les pages d‘Histoire et sur l‘influence du pou-
voir et de l‘historiographie de la révolution sur leur production.
L‘engouement actuel pour les images révèle l‘enjeu d‘une mé-
moire dont les historiens ne sont plus les seuls garants incontes-
tés. Ces derniers se doivent de s‘impliquer un peu plus afin de
rendre aux citoyens l‘Histoire dont l‘institution les a dépossédé
et de mettre en exergue les faits saillants en éclaircissant les
zones d‘ombre et les enjeux stratégiques et politiques. Ils sont
les seuls à pouvoir mettre fin à l‘aliénation, aux clichés, ou tout
simplement à l‘aveuglement en établissant un rapport
d‘honnêteté au passé qui aiderait à se libérer de son emprise sans
le momifier.
Chaque période apportant de l‘espoir, de nouveaux champs
d‘investigation et d‘exploitation s‘ouvrent à l‘appétit de la nou-
velle génération de cinéastes, d‘historiens et de chercheurs qui,
pour la plupart, n‘ont pas vécu les événements qu‘ils relatent à
travers leurs films. En cette veille de célébration du 60ème
anni-
versaire du déclenchement de la lutte armée qui verra naître un
certain nombre de films, il est nécessaire que les discours ciné-
matographiques à venir soient en connexion étroite avec les con-
textes socio-historiques et politiques. Un scénario de fiction re-
latif à l‘Histoire n‘est pas un simple récit. Il est discours sur le
monde et représentation d‘une époque donnée. Il importe donc
pour le cinéaste d‘avoir bien présent à l‘esprit le contexte dans
lequel s‘élabore et se construit son film afin d‘une part, de me-
surer sa distance par rapport à la réalité historique et, d‘autre
142
part, d‘analyser les articulations entre les différents types de
discours et le discours idéologique englobant. Il importe enfin
de mettre en œuvre des stratégies de distanciation afin de s‘en
démarquer.
Historiens, Anthropologues, sémiologues, sociologues, cinéastes
et spécialistes de la communication devraient d‘urgence se con-
certer sur la dimension idéologique du 7ème
art et sur les disposi-
tifs d'énonciation complémentaires aux sources écrites, qui font
malheureusement l‘objet de peu d‘intérêt. Il importe d‘élargir le
champ de l‘analyse filmique à l‘historiographie. Le cinéma con-
currence efficacement l‘enseignement de l‘Histoire en jouant un
rôle de premier ordre dans la modélisation des imaginaires et la
construction des appartenances nationales. De plus en plus, il
prend place aux côtés de l‘enseignement universitaire et de la
littérature historique pour évoquer la transmission du passé.
Qu‘attendent les décideurs pour initier l‘élève au regard critique
sur un document trop souvent reçu comme argent comptant et
inscrire dans les cursus une initiation à la lecture des images,
laquelle ne doit pas relever d‘un simple apprentissage tech-
nique ? Pourquoi le système d‘enseignement tarde à prendre en
considération une formation méthodologique et une éducation
non seulement de l‘œil et de l‘oreille, mais aussi une éducation
du regard des élèves, par rapport au cinéma et à la télévision.
L‘éducation du regard et l‘éveil critique par la confrontation des
images filmiques constituent un enjeu essentiel de la mise à dis-
tance de l‘objet observé. Elle apparaît au cœur des sciences so-
ciales, et plus particulièrement d‘un projet d‘éducation civique
par le développement de l‘esprit critique.
Une telle démarche progressive permettra d‘apporter aux jeunes
un perfectionnement régulier en matière d‘attitude, car ce der-
nier peut passer du statut de spectateur passif à une position
d‘acteur dynamique grâce à cet apprentissage. Si l‘Histoire se
143
reflète encore mal à l‘écran, il faut commencer par en finir avec
l‘aliénation, les clichés ou tout simplement l‘aveuglement. Les
historiens, tout comme les pédagogues et les cinéastes, peuvent
rendre à la société sa propre Histoire. Ils sont les seuls à pouvoir
établir un rapport d‘honnêteté au passé qui aiderait à se libérer
de son emprise sans le momifier.
Notes :
1. « L‘effet Koulechov », théorie universelle montrant comment
un plan tout à fait neutre, arrive à exercer une influence sur le
sens du plan qui lui succède dans le montage et sur le plan pré-
cédent (une sorte de « contamination sémantique » à double
direction). Koulechov filme le comédien Ivan Mosjoukine im-
passible, il fait suivre l‘image d‘une assiette de soupe, puis celle
d‘une femme morte dans un cercueil et enfin, celle d‘une fillette
en train de jouer. L‘expression, à l‘origine neutre de l‘acteur,
suggère alors l‘appétit, la tristesse et la tendresse.
2. Jean Cocteau dira : « le cinématographe est la circulation de
fonds de documents, de sensations, d’idées et de sentiments of-
ferts par la vie ». Pour Cohen Séat, « le Fait filmique est
l’expression de la vie du monde et de l’esprit ».
3. Olivier Wieviorka, Antony beevorHenry et Rousso abondent
dans ce sens. Ce dernier dira : « La France a été un pays occupé
qui a joué un rôle modeste au sein de la Grande Alliance, même
si avec De Gaulle, elle y a été présente ».
4. « Le Dictateur », film de Charlie Chaplin, réalisé entre 1938
et 1940, fut censuré en Espagne jusqu'en 1975. Il ne sera diffusé
en salle qu‘à partir de 1958.
144
5. Le jour « J », le 6 juin 1944, l‘assaut, était confié aux Britan-
niques, qui avaient fait front seuls contre Hitler une année durant
avant le débarquement. Ces derniers ont réussi à aligner plus de
la moitié des effectifs, soit 155 000 soldats, alors que l‘Armée
d‘Afrique comptait 400 000 hommes. Eisenhower avait été dé-
signé comme le commandant en chef des cinq plages du débar-
quement alors que trois n‘étaient pas américaines.
6. Environ 175 000 maghrébins et sub-sahariens avaient été re-
crutés de force par les puissances voraces et prédatrices pour
servir de chair à canon. Le 1er
film à relater ces événements :
« Indigènes », en 2006, a enregistré un nombre d‘entrées record
dans l‘union Européenne (3 172 612). Mais ce film évite de
parler de l‘enrôlement forcé malgré les nombreuses révoltes.
Une répression féroce s‘est abattue contre ceux qui ont refusé
d‘aller se battre pour la France. Avec son second film « Hors la
Loi », qui pointe les responsabilités françaises dans les mas-
sacres collectifs de mai 1945 contre la population algérienne qui
réclamait son indépendance, le réalisateur, Rachid Bouchareb,
ne fera que 474 722s entrées 7. La mission civilisatrice fran-
çaise qui débarquait en 1832 était en fait une véritable Armada
composée de trente six Bataillons de trois escadrons répartis en
trois divisions accompagnés de 153 bâtiments de guerre, 450
navires de commerce, 215 petits bateaux arrimeront le 4 Juillet à
Sidi Fredj à leurs bords 70 450 hommes et 4008 chevaux (selon
l‘ouvrage de Djamel Kharchi : « colonisation et politique d'as-
similation en Algérie ».
8. Sur le nombre extraordinaire de films produits durant la colo-
nisation, le public n‘a plus en mémoire que quelques films
phares comme, le mythique « Le Musulman rigolo » de Georges
Méliès, 1896, «Le Bled » une vision fantasmatique de Jean Re-
noir, réalisé en 1929, et « Pépé Le Moko», une Casbah réinven-
145
tée en studio à Paris par Julien Duvivier, 1937. Tous n‘avaient
qu‘un seul objectif : glorifier la colonisation.
9 Alexandre Arcady, le chantre des réalisateurs nostalgiques a
réalisé entre autres : « Le coup de Siroco » 1979, « Le Grand
carnaval » 1984, et tout récemment « Ce que le jour doit à la
nuit », œuvres qui témoignent du « bon temps de l‘Algérie fran-
çaise »
10. « L’Attaque des mines de l’Ouenza », « Les réfugiés », « Al-
gérie en flammes », 1959, « les fusils de la liberté »…, docu-
mentaires militants, exigeants et singuliers, réalisés par le col-
lectif Djamel-Eddine Chanderli, Ahmed Rachedi, René Vau-
tier… Ce dernier est aussi l‘auteur de fictions courageuses
comme « Avoir 20 ans dans les Aures »1971, « La folle de Tou-
jane » 1974. Citons également Jacques Charby auteur du mémo-
rable film sur les enfants orphelins « Une si jeune paix » 1964,
Pierre Clément, 1961Yann Le Masson, jacques Panigel « Oc-
tobre à Paris », Nicole Le Garrec, qui n‘ont pas hésité à
s‘engager dès le début des combats. D‘autres ont pris le relais
une fois l‘indépendance acquise. Bertrand Tavernier et Patrick
Rotman avec « La guerre sans nom », Bernard Fabre et Benja-
min Stora avec « Les Années algériennes », Maurice Faïvic et
Ahmed Rachedi avec « C’était la guerre », Henri Alleg auteur
de « La question » adapté à l‘écran par Laurent Heynemann
1977 et Yves Boisset, réalisateur de « Dupont La joie »1970,
« R.A.S » 1973 et « L’Autre bataille d’Alger » 2009.
Filmographie :
« L’Opium et le bâton » de Mouloud Mammeri, réalisé par Ah-
med Rachedi
« Pépé le Moko » de Jean Duvivier, 1936.
146
« La Guerre d’Algérie » de Benjamin Stora et Patrick Pesnot,
1992. (série TV)
« Le Bled » de Jean Renoir, 1929.
« Les oliviers de la justice », 1962.d‘après le roman de Jean Pel-
legri, porté à l‘écran par James Blue.
« La Montagne de Baya » de Azzeddine Meddour, 1997.
« Les déracinés » de Lamine Merbah, 1976.
Bibliographie
Cinéma et Histoire, Arcand.d, numéro spécial, tome II, revue
Cultures, Unesco 1974.
Cinéma et Histoire, un état des lieux, Delage Christian, article,
revue M‘Scope, CRDP Versailles, n°7, mai 1994.
Cinéma et Histoire, FERRO M, Paris, Gallimard folio, 1993.
L’Histoire de France au cinéma, in Ciné-action, Guibert. P,
1993 ; Hennebelle G.
La marque Ferro, éditorial, « Cinéma et Histoire »revue Ciné-
action,4ième
trimestre.
De l’Histoire au cinéma, in Méthode historique et Histoire au
cinéma, Lagny M, Ed. Colin, 1992.
Sémantique de l’image, B.Cocula et Peyroutet, Paris, Librairie
Delagrave, 1986.
L’image et les signes, Martine Joly, Nathan, 1994.
Introduction à l’analyse de l’image, Martine Joly, collection
128, Nathan, 1993.
147
Sociologie du cinéma : ouverture pour l’Histoire de demain.
Paris, Aubier, collection historiques, 1977.
Le Chagrin et le Venin, Pierre Laborie.Foli. 2014.
Histoire du débarquement en Normandie des origines à la libé-
ration de Paris, 1941-1944. Olivier Wieviorka. Seuil. 2013.
Images, Histoire, Mémoire : représentations iconographiques
en Algérie et au Maghreb », ouvrage collectif publié par notre
équipe de recherche en socio-anthropologie de l‘histoire et de la
mémoire. Ed. Crasc. 2005.
Le Fait colonial au Maghreb, Ed L‘Harmatan. 2010.
Le Maghreb des années 1990 à nos jours. Emergence d’un
nouvel imaginaire et de nouvelles écritures. Notre communica-
tion : Récits romanesques, récits filmiques. Problématique des
transferts sémiotiques. Actes du colloque publié par Ed du
CRASC.
Les Français sous les bombes alliées. 1940-1945, Andrew
Knapp. Tallandier.
Musulmans algériens dans l’armée française, 1919-1945, Bel-
kacem Recham, 1996, Paris, L‘Harmattan.
Sémantique de l’objet Et l’aventure sémiologique, Roland
Barthes, 1985, Paris : Seuil.
Cours de linguistique générale. Ferdinand De Saussure, Paris
2002.
Problèmes de Linguistique Générale Benveniste E, 1966, Paris,
Gallimard.
Histoire du cinéma mondial des origines à nos jours, Georges
Sadoul, 1968. Paris Flammarion
148
Histoire générale du cinéma. Georges Sadoul, 1973, (VI vo-
lumes) Nouvelles éditions chez Denoël.
Cinéma et société moderne. Georges Sadoul, Annie Goldman,
Ed. Anthropos, 1971.
Esthétique du cinéma, Henri Agel, PUF Coll Que sais-je ? 1971.
Logique naturelle et communications Grize J.-B. (1996) . Paris,
Presses Universitaires de France.
Le langage des médias : des discours éphémères ?, Härmä J.
Paris, l‘Harmattan, 83-111.
Les lieux de mémoire, la République, la Nation, les Pêcheux.
Nora P. (éd.) (1984, 1986, 1992) :
Analyse du discours, langue et idéologies. M. (éd) (1975) : Lan-
gages 37.
La mémoire, Petit L. (2006) : Paris, PUF, « Que sais-je ? ».
Textes et discours : catégories pour l’analyse, Ali Bouacha
M. (éds) : Éditions universitaires de Dijon, 5-19.
Dictionnaire d’analyse du discours, Charaudeau P. et Main-
gueneau D. (éds) (2002) : Paris, Éditions du Seuil.
Analyse du discours politique, Courtine, J.-J. (éd) (1981) : Lan-
gages 62.
Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage,
Ducrot, Oswald et Schaeffer, Jean-Marie, 1995, Paris, Seuil.
149
HAOUAS-LAZREG Kheira Zohra
MCF. ENSET d’Oran
Yasmina Khadra : De la paratopie familiale à la
Paratopie créatrice
La nouvelle théorie de Dominique Maingueneau
propose de trouver des solutions à certains problèmes
que les grilles dominantes d‘analyse des discours litté-
raires n‘ont pas réussi à déficeler. Il propose une redé-
finition des concepts de l‘énonciation, où il distingue
trois instances spécifiques de l‘énonciateur littéraire
qui les fusionne dans la figure de « l‘Auteur » :
1. La personne : c‘est-à-dire la personne physique
dotée d‘un état civil et vivant dans un milieu social
spécifique.
2. L‘écrivain : le rôle de l‘écrivain dans l‘espace
public.
3. L‘inscripteur : C‘est l‘énonciateur, celui qui
gère tous les éléments à l‘intérieur du texte
Le positionnement de l‘auteur se situe donc entre
les deux champs : le texte et le contexte, c‘est-à-dire la
société, et il n‘y a plus de différence entre le sujet bio-
graphique et le sujet d‘énonciation ; bien au contraire,
c'est le fusionnement des deux qui crée la scène
d‘énonciation.
Il définit en effet le positionnement paratopique
de l‘énonciateur « d‘un discours constituant » comme
une force qui gère la subjectivité énonciative de ce dis-
cours. Ces trois instances se croisent, se maintiennent
et se génèrent dans tout discours constituant.
L‘existence de l‘une dépend de l‘existence de l‘autre :
ainsi les registres de l‘inscripteur naissent des éventua-
150
lités et des difficultés produites par les deux autres ins-
tances. L‘existence de la personne donne vie à
l‘inscripteur et à l‘écrivain. La façon d‘écrire dépend à
son tour de l‘inscripteur mais aussi de la personne.
Chaque instance dépend donc des deux autres et ne
saurait exister sans elles. Dominique Maingueneau uti-
lise pour distinguer cette force, la métaphore des an-
neaux borroméens, et la paratopie serait « le clinamen
qui la rend possible » (Mainguneau, 2004, p198). Rap-
pelons que la paratopie est « la relation paradoxale
d‘inclusion /exclusion qu‘implique le statut de locuteur
de texte relevant des discours constituants». (Maingue-
neau,2004,P137)
Le cas de Yasmina Khadra est de ce point de vue
bien particulier, puisqu‘il a commencé à écrire sous
son vrai nom, puis a choisi de se cacher derrière un
pseudonyme, et a continué à signer avec son pseudo-
nyme même après la révélation de sa vraie identité.
Nous allons donc essayer, à travers la communication
que nous proposons, d‘explorer à son propos les trois
instances : l‘inscripteur, la personne et l‘écrivain afin
de mettre à jour sa posture. Pour cela nous serons ame-
née à recourir aussi aux deux romans biographiques
qu‘il a publiés : L‘Ecrivain mais surtout L‘imposture
des mots, ainsi qu'aux différents entretiens qu‘il a ac-
cordés aux journaux et revues nationales et internatio-
nales.
Pseudonyme et paratopie
L‘œuvre de Yasmina Khadra a connu certes un
grand succès par la richesse de ses thèmes et par son
style, mais c‘est aussi par le mystère qui entourait
l‘identité de l‘auteur qui a suscité, dans un premier
151
temps, le plus d‘intérêt. Mohamed Moulessehoul a
écrit sous un premier pseudonyme : l‘inspecteur Llob,
qui était le personnage central des deux romans poli-
ciers Le dingue au bistouri et La foire aux enfoirés.
En1997, à l‘occasion de la publication de la trilogie qui
va lui valoir un succès mondial, il signe ses romans
avec les deux prénoms de son épouse, Yasmina Kha-
dra. Ce pseudonyme va provoquer un séisme dans le
monde littéraire, d‘une part par la singularité qu‘il of-
frait lui même, ensuite par la violence des évènements
narrés : une femme était-elle capable de tisser des
trames narratives aussi violentes ?
La paratopie familiale
« L‘un des potentiels paratopiques les plus riches
et les plus constants est sans aucun doute la paratopie
d‘identité familiale : enfants abandonnés, orphelin, bâ-
tard. On peut même dire que c‘est une condition de
l‘identité créatrice, du moins masculine» (Maingune-
neau,2004, p137)
La parution du roman autobiographique
L‘Ecrivain coïncide avec le dévoilement de l‘identité
de l‘auteur. Yasmina Khadra y raconte l‘enfance et
l‘adolescence du petit Mohamed Moulessehoul qui,
après la répudiation de sa mère, doit déménager et as-
sister à la déchéance de sa famille, pour être finalement
confié, à l‘âge de neuf ans, à l‘école des cadets mili-
taires – une école destinée à l‘origine aux orphelins de
la guerre de libération :
« En me retournant, je vis le portail se refermer
inexorablement sur les immeubles, les voitures, les
gens et les bruits ; quelque chose me dit que le monde
extérieur qui s‘effaçait aussi sous mes yeux m‘effaçait,
152
moi aussi ; qu‘une page venait d‘être arbitrairement
tournée à jamais.» (L‘écrivain, p.22).
Dès son entrée, on lui confisque son identité en lui
attribuant un numéro d‘immatriculation. C‘est son
premier pseudonyme…« On porta nos noms et pré-
noms sur un registre, on nous aligna par ordre de taille,
les petits devant, et nous numérota.
-A partir d‘aujourd‘hui, vous déclinerez votre ma-
tricule à la place de votre identité, nous enseignera un
adjudant […]
Finis les patronymes et les sobriquets. Finis les
vacheries et les chichis. Nous étions matricule 19, ma-
tricule 43, matricule 72, matricule 120, et rien de plus.
Nous avions cessé d‘exister pour nous-mêmes…Nous
étions devenus des cadets c‘est-à-dire les enfants adop-
tifs de la révolution.»(L‘Ecrivain, p.24)
Nous retrouvons dans ses écrits les traces de cette
perte d‘identité, incarnée par le personnage de Dactylo
dans Les Agneaux du seigneur, celui de Sid Ali le
poète dans A quoi rêvent les loups et le vieux juif dans
L‘Attentat :
« Dactylo est l‘écrivain de Ghachimat, personne
ne sait d‘où il vient, le village l'a découvert, à l‘endroit
qu‘il occupe aujourd‘hui »(Agneaux, p. 47)
« C‘est à la gare que j‘ai connu ton père, continua-
t-il [Sid Ali le poète]. J‘étais sans parents. SNP était
mon nom » (A quoi…, p. 96)
« Mon nom est Shalomi Hirsh, mais les Arabes
m‘appellent Zeev l‘Ermite. A cause d‘un ascète de na-
guère » (Attentat, p. 251)
Cette origine inconnue et cette arrivée brutale
nous rappellent l‘auteur du roman. Yasmina Khadra
écrit sous un pseudonyme, et il s‘est imposé dans le
153
milieu intellectuel sans que personne ne sache qui il
était. De plus, à travers Dactylo et Sid Ali, il met
l‘accent sur les conditions difficiles, pendant la décen-
nie noire, des écrivains algériens que les Islamistes ont
pris comme première cible. Le juif errant, quant à lui,
témoigne de la position de l‘auteur par rapport au con-
flit du Moyen Orient notamment à travers la phrase
suivante :
« Tout Arabe est un peu juif et tout juif est un peu
un Arabe » (2005, p.225)
Donc les trois personnages jouent le rôle de
l‘inscripteur puisqu‘ils analysent les idéologies mises
en texte, mais ils incarnent aussi la figure de l‘écrivain
à travers leur fonction et finalement ils rappellent la
personne de l‘auteur à travers leurs origines inconnues.
Le rejet est un thème central dans les textes de
Yasmina Khadra : dans Les Agneaux du Seigneur,
Zane est rejeté par les villageois à cause de sa taille
inférieure à la normale, Kada Hillal parce qu'il est
l‘arrière petit fils d‘un Caid, Tej Osmane car il est le
fils de Issa la Honte, un ancien Harki. Dans A quoi rê-
vent les loups, Nafa Walid est rejeté d‘abord du monde
du cinéma, puis de celui de la bourgeoisie, puis du
groupe de Sofiane, et finalement il est rejeté à la fois
par les islamistes pour désobéissance aux ordres et par
sa propre famille et sa société à cause de son engage-
ment islamiste. Quant à Amine, il est rejeté à la fois par
sa société d‘origine parce qu‘il a été naturalisé israé-
lien, et par les Israéliens eux-mêmes après l‘attentat-
suicide commis par son épouse.
Ces rejets récurrents nous rappellent aussi la fi-
gure de l‘auteur. Il a d'abord considéré son placement
dans l‘école des cadets comme un rejet de la part de
154
son père et de sa famille. Ensuite, il a été rejeté par le
cercle littéraire à ses débuts, quand il écrivait sous son
vrai nom de Mohamed Moulessehoul.
« Mais qui se souvient des huit années qu‘a mis
mon premier livre à paraître chez l‘ENAL, qui peut
imaginer le calvaire de cette interminable attente lors-
que chaque nuit je dormais avec l‘espoir de me lever le
lendemain, mon recueil de nouvelles entre les
mains ?...Longtemps je m‘étais penché sur une note de
lecture qui concluait ainsi un énième refus : "L‘auteur
de ce manuscrit est purement et simplement un sa-
dique". » (L‘Imposture des mots, p.36)
Et finalement il est rejeté par l‘armée algérienne
qui lui interdit d‘écrire et de témoigner des carnages
qu‘il a vécus durant la décennie noire :
« En été 1989, la présence d‘un écrivain dans les
rangs de l‘armée a commencé à irriter la hiérarchie. Je
n‘avais pas écrit de livre susceptible d‘être interdit,
mais j‘avais participé à un concours sans demander
d‘autorisation. Une circulaire émanant du ministère de
la défense a brutalement imposé aux écrivains mili-
taires de soumettre leurs œuvres à un comité de cen-
sure militaire. Cette circulaire ne visait que moi. Il était
impensable que j‘accepte cette mesure »
C‘est dans ce climat de tension entre exclusion et in-
clusion que les romans de Khadra ont vu le jour.
Le rejet du père
La plupart des personnages de Khadra sont ou or-
phelins ou en rapport problématique avec leur père. Le
père de Tej Osmane est qualifié de Issa la Honte : il est
la cause des malheurs de sa famille car il était Harki
pendant la révolution et les villageois, qui ne lui ont
155
jamais pardonné d‘avoir travaillé dans le camp ennemi,
se sont vengés de lui et de sa famille. Le père de Nafa
Walid est une personne très dure, qui n‘a ni nom ni
prénom, il est juste qualifié de « vieux » et aucun trait
physique ne lui est attribué :
« — Sale bâtard !tu crois m‘intimider…toi mon
urine…tu n‘es rien d‘autre qu‘un morveux » (A
quoi…, p.129)
Quant au père d‘Amine, Jaffari, décédé, il est
évoqué comme un artiste désespéré mais, contraire-
ment aux autres pères, très vénéré, car c‘est grâce à lui
qu‘Amine a réussi dans sa vie :« Mon père était quel-
qu‘un de bien » (L‘Attentat…p159)
Dans son roman autobiographique, Khadra ra-
conte, de fait, la rupture a commencé entre lui et son
père lors de son entrée à l‘école des cadets :
«A partir de ce jour-là, jamais – au grand jamais –
je n‘ai réussi à dire « papa » à mon père. Non pas que
je l‘en aie jugé indigne, mais quelque chose, que je ne
m‘explique pas aujourd‘hui encore, s‘était définitive-
ment contracté dans ma gorge et empêchait le vocable
le plus chéri des enfants de sucrer mon palais. Il me
restera tel un caillot en travers de la gorge, ensuite il
retournera dans les oubliettes de mon for intérieur
avant de se désintégrer à travers mon être. Nulle part,
ni dans mes chairs ni dans mes esprits, je ne lui retrou-
verai de trace ou de place» (L‘Ecrivain, P.50)
On retrouve un vif écho dans le comportement des
fils envers leur père dans le roman. Les islamistes font
affront à leur père et imposent leur idéologie en ayant
recours même à la force.
156
Dans L‘Attentat, en revanche, Amine évoque une
belle image de son père. Yasmina Khadra, contraire-
ment au choix qui fut le sien dans Les Agneaux du
Seigneur et dans A quoi rêvent les loups, lui attribue
une fonction d‘artiste. C‘est là précisément que se con-
crétise le climen de la paratopie : l‘auteur arrive enfin à
tracer les frontières entre son appartenance et son non
appartenance :
« Mon père ne voulait pas hériter de ses œillères.
La condition de paysan ne l‘emballait guère ; il voulait
être un artiste –ce qui signifie dans le glossaire ances-
tral un tire-au-flanc et un marginal…Mon père rétor-
quait, avec son calme olympien, que la vie n‘était pas
seulement sarcler, élaguer, irriguer et cueillir ; qu‘elle
était peindre, chanter et écrire aussi » (L‘Attentat,
p. 106)
À cette exception près, peut-on établir une rela-
tion entre le rejet du père et le choix d‘un pseudonyme
féminin pour écrire ? A ce propos, Maingueneau ex-
plique que le choix d‘écrire sous un pseudonyme relè-
verait souvent d‘une démarche parricide :
« L‘artiste est en effet celui qui renoncer à faire
fructifier le patronyme (le capital et la généalogie), à
être le fils de son père pour se consacrer aux mots »
(Maingueneau,2004,p178)
Le pseudonyme consisterait alors à rompre avec
son appartenance généalogique pour se déclarer fils de
son œuvre :
« [l‘artiste] prétend s‘innocenter en se conférant
une filiation d‘un autre ordre, en devenant fils de ses
œuvres. Sa légitimité, il entend ainsi la tirer non de son
patronyme mais de son pseudonyme, de ce qu‘il écrit,
et non de son inscription dans le réseau patrimonial. De
157
là le lien évident pour toute mythologie de la création
entre la condition d‘artiste et la bâtardise du père »
(Maingueneau,2004,p138)
Or, toujours selon Maigueneau, le parricide expli-
cité tout au long d‘une œuvre littéraire est étroitement
lié à la femme fatale, et il nous faut donc préciser
maintenant la place qu‘occupe le personnage féminin
dans les romans de Khadra : cela nous permettra de
revenir ensuite sur la relation qui s‘établit entre le per-
sonnage et la position de l‘auteur.
Maingueneau développe une nouvelle approche
pour analyse la relation entre la femme et la figure de
l‘auteur. Il a entrepris ses recherches sur ce sujet en
1999, dans un essai intitulé Fatal fémi-
nin (Maingueneau, 1999) où il pose le postulat sui-
vant : le personnage féminin est l‘embrayeur parato-
pique par excellence, dont la fonction initiale est
d‘approuver la scénographie du discours littéraire et
d‘accepter l‘institution de l‘Auteur.
La femme, dans les romans de Khadra, est asso-
ciée à la mort, à la malédiction ; cependant, cette image
est paradoxale – autre manifestation du climen de la
paratopie – puisque l‘auteur a précisément choisi un
pseudonyme féminin pour écrire. En pactisant avec le
féminin, Yasmina Khadra accepte le fard de la femme
et l‘errance de la clandestinité : il relève l‘homme que
son récit fait déchoir, c‘est-à-dire qu'il le remet debout
et le remplace en même temps :
« En représentant l‘échec de la relation entre
l‘homme et la femme, l‘auteur prétend construire la
scène inaugurale qui le légitime. Enfant de son propre
enfant, son œuvre, il montre dans cette œuvre
l‘affrontement mortel de l‘homme et de la femme et
158
prétend définir, à travers le spectacle de leur impos-
sible conjonction, une filiation d‘un type supérieur. Ce
que l‘œuvre est censée représenter, le drame de
l‘homme et de la femme, est aussi processus
d‘engendrement du créateur » (Maingueneau,2004,
p138)
L’errance
L‘errance est le trait commun des personnages de
l‘œuvre de Khadra, ils n‘ont pas de lieu fixe, ils
s‘éloignent du centre afin d‘imposer leur idéologie ;
cependant, ils y reviennent pour mourir : le retour au
centre est donc un synonyme de mort pour Yasmina
Khadra.
Or, par bien des traits, l‘auteur s‘identifie à ces
personnages : comme les jeunes villageois dans Les
Agneaux du seigneur, il a publié ses romans dans
l‘anonymat : il faisait partie de la société et n'en faisait
pas partie, en même temps. Il écrivait alors que l‘armée
le lui avait interdit, et recevait des prix alors qu‘il était
exclu du cercle littéraire. Il est donc dans une position
analogue à celle des jeunes villageois qui agissaient
dans la clandestinité.
Rejeté par le cercle littéraire et l‘armée où il exer-
çait comme officier, Yasmina Khadra fait pénétrer dans
l‘enceinte des deux institutions son propre cheval de
Troie : c'est son pseudonyme qui lui a permis de péné-
trer dans l‘enceinte interdite en gardant l‘anonymat.
Et finalement, parce qu‘il a osé toucher à des su-
jets tabous, parce qu‘il a décrit une crise aussi violente
que celle qu‘a vécue l‘Algérie, parce qu‘il a mis en
scène et légitimé en quelque sorte l‘acte d‘un kami-
kaze, il a été condamné à l‘errance, rejeté par les siens,
159
accusé de plagiat et rejeté par les jurys français qui
l‘ont toujours écarté de la liste des Goncourt.
Cependant, le climen de la paratopie ne se trouve-
t-il pas dans sa fonction actuelle et institutionnelle de
directeur du Centre culturel algérien à Paris ? Ce
« centre » n‘est-il pas un lieu paratopique par excel-
lence ?
Bibliographie
Dominique Maingueneau, Féminin fatal , Paris, Des-
cartes & Cie, mai 1999.
Jean Luc Drouin, « Yasmina Khadra se démasque » ,
in Le monde du 11 janvier 2001.
Dominique, Le discours littéraire, paratopie et scène
d’énonciation, Armand Colin , 2004.
Yasmina Khadra, Les Agneaux du Seigneur, 1998, Jul-
liard (Pocket 1999), Paris .
Yasmin Khadra, À quoi rêvent les loups, 1999, Julliard
(Pocket 2000).
Yasmina Khadra, L'Écrivain, 2001, Julliard (Pocket
2003).
Yasmina Khadra, L'Imposture des mots, 2002, Julliard
(Pocket 2004).
160
Mahdi Fatéma-Zohra
Université d’Oran
La sémiotique dans l’œuvre dramatique Eloisa esta
debajo de un almendro
Résumé :
Réaliser une analyse de la typologie des signes
dans le discours de l‘œuvre dramatique " Eloìsa está
debajo de un almendro " ; nous permet d‘abord de si-
gnaler que" le discours" est certes un ensemble de
phrases qui permet aux individus d‘échanger des idées
et des opinions dans des différents domaines ; mais il
n‘est pas que cela. Il est aussi un fait complexe car, il
existe plusieurs types de discours : discours politique,
scientifique, journalistique, religieux, etc.
Nous rappelons que notre analyse se base sur
l‘analyse d‘un discours de type théâtral qui est consi-
déré selon Anne Ubersfeld :
" (…) comme cet ensemble de signes (verbaux et
non verbaux) qui se produit par la présentation et dont
le producteur est pluriel (auteur, metteur en scène, pra-
ticien divers, comédiens) ". (Anne Ubersfeld,
1993 :p136).
Dans la sémiotique théâtrale, le discours drama-
tique est considéré comme la forme purement orale : "
El texto dramático es un discurso oral en sentido escri-
to (…) es un forma escrita conv ersacional qui reprsen-
talo oral ". (M.Issacharoff, citée par Patrice Pavis,
2002: p16).
161
Nous proposons d‘analyser la typologie des signes
du discours, c‘est-à-dire, les signes verbaux et non ver-
baux. En introduction nous définirons le discours en
général, avant d‘aborder le discours théâtral.
Nous nous intéresserons, ensuite, à la construction
du discours à partir des signes dans l‘œuvre dramatique
citée.
Mot clés :
Analyse – discours – signes – théâtre - comédie
Pour réaliser une analyse du discours sémiotique,
il est important d‘abord de définir ou de passer par
l‘explication de ces deux concepts : discours et sémio-
tique.
Le discours correspond à l‘énonciation dans la-
quelle se manifeste la présence de celui qui parle. Pré-
cisément, la présence du sujet, de ses sentiments et de
ses idées. Pour Jacques Fontanille (Jacques Fontanille,
2003 : p27) :
" Le discours est une énonciation en acte :
l‘instance de discours n‘est pas automate qui exerce
une capacité de langage, mais une présence humaine,
un corps sensible qui s‘exprime ".
C‘est-à-dire, que le discours c‘est une énoncia-
tion, un produit consommable par le lecteur et / ou ré-
cepteur. D‘une autre manière, le discours se considère
comme un acte de communication qui se base sur la
production de l‘énonciation de manière organisé qui se
développe de la manière suivante :
162
Qui parle ?
Où ?
A qui ?
Et comment ?
On peut dire aussi que le discours est une prise de
parole qui implique la présence d‘un émetteur et d‘un
récepteur dans une situation donnée, c‘est une simple
transmission du langage dans des différente situations ;
d‘un auteur au lecteur dans le contexte de la lecture ou
d‘un acteur a un publique dans le contexte de la repré-
sentation. Todorov disait à cet effet (T.Todorov, 1981 :
p132):
" Il existe un narrateur qui relate l‘histoire et il y a
en face un lecteur qui la perçoit. A ce niveau ne sont
pas les événements qui compte mais la façon dont le
narrateur nous fait connaitre ".
Par ailleurs, le discours théâtral est considéré
comme un ensemble de messages réalisés par l‘auteur
de l‘œuvre : le dramaturge. L‘ensemble de signes lin-
guistiques (verbaux) et extralinguistiques (non ver-
baux) de la représentation structuré par le metteur en
scène, techniciens et interprètes (acteurs).
C‘est-à-dire, que le discours théâtral s‘élabore a
travers deux contextes ; dans le texte comme durant la
représentation (donc un contexte écrit et autre raconté).
Dans le monde théâtral se distinguent deux niveaux de
discours :
1.Discours verbal :
1.1.Discours de l‘auteur : le texte (accotassions)
163
1.2.Discours des personnages : le dialogue
2. Discours non verbal : les gestes, les décors, les
lumières, les vêtements, etc.
Nous observons que le discours théâtral se com-
pose d‘une double énonciation, Pavis la mentionne en
disant (Patrice Pavis, 2002 : p137)
" La enunciación es asumida a dos niveles esen-
ciales: en los discursos individuales de los personajes,
y en el discurso globalizador del autor ".
En seconde partie, nous définissons la sémiotique
comme la science qui étudie tous les signes (linguis-
tique, iconique, sonores) dans tous les systèmes.
Par apport à la sémiologie théâtrale, c‘est une mé-
thode d‘analyse du texte et de la représentation. Saus-
sure afirme que la sémiologie (Ferdinand de Saussure,
2002: p 410):
" Una ciencia que estudia la vida de los signos en
el seno de la vida social…nos ensenarìa en qué con-
siste los signos, que leyes les rigen ".
Nous remarquons que la relation entre la sémio-
logie et le théâtre se base sur l‘étude des différents
signes qui existent dans le texte dramatique, parce que
généralement toute œuvre dramatique est constituée
d‘un ensemble de signes qui se présentent de manière
différente à travers le texte ou la représentation.
Nous vous proposons d‘analyser la typologie des
signes dans l‘espace communicatif ou dans le contexte
de la représentation, qui permettent aux personnages
164
(acteurs) d‘échanger des idées, d‘exprimer les opinions
et les sentiments de l‘histoire dramatique.
L‘histoire est développée à partir de deux types de
signes distincts et complémentaires :
1. Signes Verbaux :
Le dialogue :
Qui est la conversation entre deux ou plusieurs
personnes, entre un «Je » et un « Tu ». Pavis-
dit (PatricePavis, 2002: p 125):
" conversación entre dos o más personajes; el dia-
logo dramático es generalmente un intercambio entre
un‘‘ yo‘‘ locutor y un ‗‘tu‘‘ auditor ".
Dans le même sens, Emile Benveniste confirme:
(E.Benveniste, 1996 : P29) :
" Il faut entendre le discours dans sa plus grande
extension: toute énonciation supposant un locuteur et
un auditeur et chez le premier l‘intention d‘influencer
l‘autre en quelques manières ".
Pour cela," le texte dialogal se présente comme
une interaction entre deux partenaires ". (Georges-Elia
Sarfati, 1997: p83)
Dans le domaine du théâtre, Pavis précise que le
dialogue se considère comme " la forme unique de dis-
cours ". (P .Pavis, 2002: p 125):
" El diálogo y el discurso son las únicas acciones
de la obra: es el acto de habla, de enunciar frases, lo
que constituye una acción performativa ".
Cependant, il existe deux types de dialogue:
1.1.1. Dialogue dramatique : (expression sonore),
c‘est la conversation au présent ; les paroles des per-
sonnages.
165
Dans notre texte dramatique ce type de dialogue
se trouve dans les conversations des personnages prin-
cipaux.
" Fernando et Mariana " comme chez les person-
nages secondaires, par exemple, dans le dialogue entre
Mariana et Fernando.
Exemple: (p.89, acto I)
Fernando: ¡eres para mí una cosa tan solida y esta
tan adatada mi corazón!
Mariana: como tú…
Fernando: Reunirme contigo…tenerte al lado, mi-
rarte, es una obsesión que no me da tregua.
Mariana: A mi ocurre igual, suspiro por hablarte,
por verte y por tenerte al lado
1.1.2. Dialogue narratif : Consiste à résumer les
dialogues des interlocuteurs. Ce dernier se présente en
forme narrative. Comme dans le premier acte dans
notre œuvre (p.85, acte I)
(…En este instante el armario se abre…comienza
abrirse lentamente…Mariana lo ve y se levanta dando
grito)
2.1.Les didascalies:
Alain Courprière définit le texte théâtral comme
suit (Alain Courprière, 1991 :p7) :
" …un texte théâtral (…). Il se comporte de deux
parties distinctes, mais indissociables : le dialogue et
les didascalies. (…) la distinction du dialogue et des
didascalies touchent ainsi à la question fondamentale
en linguistique du sujet de l‘énonciation :-Dans le dia-
logue, c‘est le personnage (à jamais différent de
166
l‘auteur) qui parle ;-Dans les didascalies, c‘est le dra-
maturge lui-même".
Ce concept est utilisé par Anne Ubersfeld qui dit
(A.Ubersfeld, 1978 : p26) : " La part textuelle dont
l‘auteur est sujet ".
Effectivement, les didascalies sont considérées
aussi comme un signe verbal, généralement, se trouve
entre parenthèse y contiennent, par exemple : noms et
états des personnages, indication des rentrées et des
sorties, descriptions des lieux, etc.
Le dramaturge utilise les didascalies pour faciliter
au lecteur la compréhension de l‘histoire.
Dans la sémiologie théâtrale des didascalies, on
peut distinguer deux types de didascalies.
2.1. Didascalies de l‘intention: se basent sur l‘état
physique et psychologique des personnages de
l‘œuvre.
Dans notre corpus, " Eloísa está debajo de un al-
mendro ", Poncela utilise ces dernières pour nous pré-
senter des descriptions très détaillées, par exemple, du
personnage principal Mariana car il dit (Eloísa está
debajo de un almendro, 1969: Prólogo, p36)
(… ese alguien es Marina, una muchacha de
veinte o veintidós años, elegante, viste de un traje de
noche precioso.)
Didascalies d‘action: se basent sur les actions
Réalisées par les personnages.
Exemple : (Prólogo, p.34)
(Sigue cuchicheando a través del pasil-
lo…aparecen los espectadores 1° 2° y 3° y un poco
167
nerviosos, con los cigarrillos encendidos y mirando
hacia atrás.)
Il est nécessaire de signaler, que dans le contexte
de la représentation ces didascalies qui sont écrites par
le dramaturge aident l‘acteur dans la mise en scène
pour interpréter le personnage de la fiction (du texte).
Signes non verbaux :
La deuxième partie de notre analyse, c‘est les
signes non-verbaux qui sont : les gestes, les lumières,
les décors, l‘objet, le son, etc. Dans le contexte textuel,
comme dans le contexte de la représentation ces der-
niers jouent un rôle très significatif.
Parlons de la lumière ; on peut dire que ce signe
existe dès le début de l‘histoire (dans le premier acte
comme dans les deux actes) ; notre dramaturge consi-
dère la lumière comme un décorateur du texte et aussi
de la représentation.
En premier lieu, nous voyons la présence de la
lumière dans les didascalies,
(…el hallarse de nuevo (el telón) la luz empieza el
prólogo, p, 23)
Existe aussi la lumière des voitures,
Fernando: (entrando) apaga las luces del coche…
Dimas: Si señor, (se va por el tercero izquierda. Apoco
se apagan los foros que advertían del ventanal).
Nous signalons que la lumière joue un rôle très
important, Pavis confirme que (P.Pavis, 2002: p242)
" La luz interviene en el espectáculo; no simple-
mente decorativo sino que participa en la produc-
ción del espectáculo. Sus funciones dramatúrgicaso
semiológicas sin infinitas: iluminar o comentar unaac-
168
ción, aislar a un actor o un elemento del escenario, fa-
cilitar la lectura de la puesta en escena, especialmente
en lo que concierne la evolución de los argumentos y
de los sentimientos ".
3.1. Les gestes: Les dramaturges utilisent ce type
de signe, qui est le geste, pour compléter ce que la pa-
role ne peut pas exprimer ou pour la complémenter. Le
geste du personnage permet de développer les actions
de l‘histoire. Artaud dit (Artaud, citée par P.Pavis,
2002: p224): " un nuevo lenguaje físico a base de si-
gno, y no de palabra ".
Car dans le contexte de la représentation, le geste
de l‘acteur est aussi important que son visage, Pour
Alexandre Astruc, exprime mieux la personnalité d‘un
individu que la parole qui a tendance a masqué.
Citons quelques exemples des gestes ;
Gestes d‘amour : entre Mariana et Fernando, les
gestes de mains.
Fernando: (abrazándola)…y mis brazos y mis be-
sos.
Edgardo:(abriendo los ojos) no duermes, no,
acércate.
Edgardo: …Tu voz que esta siempre dentro de
mi… (La coge una mano)
Gestes de joie:
Mariana: (sonriendo celestialmente a Fernando)
Clotilde: (con una sonrisita) ¿qué Fermín te gusta
el aspecto de tu nueva casa? Notre dramaturge utilise
aussi des expressions qui expriment la joie:
Clotilde (con satisfacción)
Edgardo (contento a Fermín)
169
Mariana (leventarse rápidamente y reuniéndose
con él…con una alegrìa)
Gestes de tristesse:
Dans le texte, il existe plusieurs signes de la tris-
tesse ; mais le plus significatif se trouve à la fin de
l‘histoire, lorsque les deux familles Briones et Ojeda
découvrent que " Eloísa ", la mère de Mariana a été
tuée par sa belle-sœur Micaela et enterrée par son mari
Edgardo sous un amandier.
Exemple: (Acto II, pp.171, 172)
Dimas (a Edgardo) expliquausted ¿Estaba ya loca
entonces o la volvió loca el crimen?
Edgardo: lo estaba ya, lo estuvo siempre…en esa
puerta del jardìn…me alcanzo por detrás, Micaela y,
sin palabras previas y sin que me diera tiempo para evi-
tarlo…antes de amanecer, para dejarlo todo en la im-
punidad, di tierra a Eloísa debajo del almendro, donde
ella sola sentarse a bordar y donde una tarde había pin-
tado su retrato.
Le dernier signe de notre analyse c‘est le son qui
peut être réalisé à partir de la musique, hauteur de voix
ou des bruits.
Son de la radio:
Exemple: (Acto I, p.68)
(Durante unos momentos, Edgardo borda y fuma
tranquilamente; la radio instalada al lado de la cama,
toca una música de aire romántica…)
Mariana (dando un grito) AY
Le son est fondamental dans l‘organisation de
l‘histoire de l‘œuvre ; L‘expression sonore se compose
de trois parties
170
Les paroles des protagonistes : les dialogues qui
apparaissent dans la mise en scène ; les voix dans
"Eoísa está debajo de un almendro " c‘est les voix des
adultes.
Le bruitage : nous retrouvons à côté des bruits des
voitures, des objets et les hurlements de Mariana et
Fernando qui se disputent.
La musique : la musique occupe une place privi-
légiée dans la représentation de l‘œuvre, la musique de
la radio, la sonnette du téléphone et de la boite musi-
cale.
En effet, notre analyse nous permet de dire que
notre dramaturge Poncela a pu présenter au lecteur /
publique une histoire dramatique avec une typologie
des signes très variés "verbaux et non verbaux", mais
surtout la présence d‘une cohérence parfaite entre ces
derniers qui aident le récepteur à comprendre l‘histoire.
A la fin, on peut dire que parler de discours sé-
miotique théâtral revient à la présence de ces deux
types de signes qu‘on a analysés; les signes verbaux :
dialogues et accotassions et signes non verbaux : lu-
mière, gestes et son.
Ensuite, pour comprendre mieux l‘histoire que
veut présenter le dramaturge; il est important de lire le
texte théâtral mais surtout être présent pendant la pré-
sentation de cette dernière. Car une œuvre dramatique
est réalisée pour être présentée devant un publique.
" Teatro. (Del lat.Teheatrum (…) Edificio o sitio
destinado a la representación de obras dramáticas o a
ortos espectáculospúblicos propios de la escena". (Real
Academia española, 1990: p.100)
Bibliographie :
171
Alain Courprière. (1991), Le Théâtre, Texte, Drama-
turgie, Histoire, Paris, Ed Nathan.
Benveniste Emile. (1996), Probleme de linguistiquege-
nerale, Paris, Ed Gallimard.
Bobes Naves Maria del Carmen. (1976), La semiótica
como teoría lingüística, 2nda
edicion, Madrid, Ed Gre-
dos.
Diccionario de la Real Academia Espanol. (1990), Ma-
drid, Ed Espasa Calpe S,A.
Fontanille Jacques. (2003), Sémiotique du discours,
France, édition Romaniée.
Heblo André.(1975), Sémiologie de la représentation
172
SELKA Nadjiba
Université d’Oran
La littérature de l’émigration comme contexte
d’émergence
Résumé
Aucune œuvre littéraire ne peut être appréhendée
en dehors du contexte qui l‘a vue naître, c‘est pour
cette raison que la notion de contexte revêt un caractère
important du moment qu‘elle nous permet d‘interpréter
une œuvre, car là où le discours dit, le contexte le véri-
fie. C‘est dans ce cadre que nous nous proposons
d‘approcher la littérature de l‘émigration ou littérature
« beur » en tant que contexte d‘émergence en tenant
compte de l‘historicité de ses textes et de leur réception
liées aux attentes des lecteurs et aux façons dont les
auteurs ont anticipé sur celles-ci. Cette littérature a-t-
elle soulevé des problématiques pertinentes depuis son
apparition en 1983 ? A-t-elle dynamisé des méca-
nismes d‘écriture appelant à la réflexion ? C‘est à ces
interrogations que nous tenterons de répondre en nous
appuyant sur l‘étude du roman de Mehdi Charef « Le
harki de Merièm ».
Mots-clés Contexte, littérature, émigration, émergence, recon-
naissance, créativité, critiques
173
L‘écriture de l‘émigration maghrébine, appelée
communément et par raccourci pas toujours inspiré,
littérature « beur », désigne les écrits des émigrés nord-
africains de la deuxième génération, nés Français ou
ayant vécus depuis leur prime enfance en France.
Ne nous attardons pas sur sa définition puisque les
définitions abondent et ne convergent pas vers une
seule catégorisation. D‘ailleurs Charles Bonn atteste
dans ce cadre qu‘« aucune définition ne s‘avère satis-
faisante1», et la situer n‘est pas non plus des tâches
aisées.
En effet bien qu‘elle soit produite dans un espace
français et en langue française, elle puise suffisamment
dans une réflexion truffée d‘influence arabo-berbère,
de ce fait elle ne s‘identifie aucunement à la littérature
française mais elle est plutôt proche de la littérature
maghrébine. Pourtant elle n‘est ni dans la continuité ni
dans la complémentarité mais dans une forme
d‘indépendance puisqu‘elle soulève des problèmes in-
hérents uniquement à la communauté émigrée. Elle
vise cependant un public français dans la mesure où
elle rend compte de la situation des jeunes Français
d‘origine maghrébine dans la société française contem-
poraine. Un critère qui ne lui permet aucunement d‘être
adoptée par la littérature française. Elle demeure donc
jusqu‘à nos jour inclassable, ce qui ne nous empêche
pas de faire un tour d‘horizon.
Les écrivains de la littérature de l‘émigration,
dont on peut citer en exemple Mehdi Charef, Azouz
1 www.limag.ref.org/Textes/Bonn/Emig.Tunis.Gafaiti.htm.
174
Begag, Akli Tdjer, Farida Belghoul se sont posés
comme les portes voix de leur communauté en évo-
quant à travers leurs œuvres les différents problèmes
relatifs à la condition sociale, économique et mémo-
rielle des leurs. Un appel, un besoin, plutôt une ur-
gence a poussé chacun d‘eux à rendre compte du vécu
difficile de cette frange de la société marginalisée.
Faisons une halte pour examiner l‘œuvre de Meh-
di Charef que nous considérons comme le précurseur
de cette littérature puisque c‘est avec la parution de son
roman en 1983 « Le Thé au harem d‘Archi Ahmed »,
que la littérature beur voit le jour. Un roman qui ren-
contra un grand succès car y sont soulevés, pour la
première fois d‘une manière crue et abrupte des ques-
tions sur le racisme, le chômage, le conflit de généra-
tion et la crise identitaire. Ce récit que Charles Bonn
considère comme texte fondateur a dénoncé
l‘intégration comme étant un leurre. Un roman qui a
boosté le schéma classique de l‘écriture en raison de
l‘absence d‘un héros central, à l‘image de la crise iden-
titaire de la communauté émigrée qui se trouve sans
repère. Un texte sur lequel se sont penché beaucoup de
critiques pour sa valeur documentaire en tant que re-
cherche d‘une identité. Il sera quelques années après
adapté au cinéma. Six ans plus tard, cet auteur, adepte
de sujets graves se penche sur un autre drame celui des
enfants de harkis. Il publie alors son deuxième roman «
Le harki de Meriem » à travers lequel il expose les dif-
ficultés que rencontre cette génération pour se réappro-
prier une identité dépourvue des clichés négatifs dont
sont taxés leurs parents. Une génération aux abois car
doublement rejetée.
175
Ce roman lié à l‘histoire de la colonisation de
l‘Algérie et de ses répercussions, en aval sur la société
algérienne a rompu avec la perspective classique qui
s‘est imposé, à savoir raconter la révolution du peuple
algérien sous ses angles les plus variés. Il annonce une
vieille expérience existentielle qui a ébranlé l‘ordre
établi mais qui a été longtemps passée sous silence, car
les institutions officielles voulaient par ce mutisme tuer
et déshumaniser l‘acteur principal de cette expérience
qui a sali les mémoires, à savoir le harki.
Ce roman à thèses, inscrit le harki dans sa quête
absolue pour exister, indépendamment de la charge
historique dont il a été affublé. Le texte ne le présente
pas comme celui qui a trahi son pays, mais simplement
comme un homme qui cherche à se faire une place. A
aucun moment il n‘est question de l‘incidence de la
France, ni de la révolution dans le cheminement de
l‘existence de cet homme. Il n‘a jamais été ni pour la
France ni pour L‘Algérie.
Ce récit qui représente une alternative entre ce
que raconte l‘Histoire officielle des deux côtés de la
Méditerranée et ce qui subsiste dans l‘imaginaire so-
cial, a voulu casser les stéréotypes tenaces et mutilants
qui ont longtemps stigmatisé cette communauté. En
effet, en proposant une modification de la représenta-
tion du harki et en le faisant passer du statut de traître à
celui de victime, ce texte contribue à lever le voile sur
certains pans noirs de l‘histoire de la guerre d‘Algérie
et tend du coup à apaiser les rancœurs. Il s‘inscrit dans
une notion de modernité de l‘écriture sur le plan thé-
matique et nous révèle une nouvelle idéologie : celle
176
des écrivains issus de l‘émigration qui n‘hésitent pas à
casser certains tabous et vont jusqu‘à remettre en ques-
tion l‘Histoire, tout en proposant une autre pensée du
monde. L‘image du harki que propose l‘auteur dans
son livre détruit, celle traditionnelle, héritée de la mé-
moire collective et des instances révolutionnaires. Ce
roman apporte une innovation du moment où on ob-
serve un grand investissement dans le personnage.
L‘auteur a donné à travers son récit une épaisseur hu-
maine et psychologique au harki qui a servi comme
assise d‘une construction d‘un personnage nouveau. Le
propos du roman est la réhabilitation de ce personnage,
il en découle une représentation corrigée, rénovée et
positivée. Une nouvelle définition du harki est ainsi
proposée par l‘auteur et fait de ce roman, un roman à
personnages.
Parmi les stratégies textuelles dont a usé
l‘écrivain, un mécanisme de déconstruction de l‘image
stéréotypée est perceptible dans la mesure où tous les
harkis compagnons du personnage principal et considé-
rés comme des avatars de ce dernier, finissent par mou-
rir. Une mort programmée par le narrateur, pour justi-
fier le processus de démarcation de ce harki, le survi-
vant, de ses autres compagnons. Au-delà de cette duali-
té de vie et de mort, c‘est l‘image de reconstruction qui
prend forme et qui inscrit le personnage clé dans le
moule de la rectitude, c‘est-à-dire la réhabilitation de
ces gens. Le romancier à travers ce processus de dé-
construction et de reconstruction a réussi à défigurer »
l‘image classique du harki et a donné le jour à un nou-
veau type de personnage : un personnage surnuméraire
par rapport à son monde.
177
Ce roman novateur dans la mesure où il a cassé un
tabou puisque le personnage principal est un harki, a
participé à interroger l‘Histoire sur un sujet où tout n‘a
pas été dit et à la réécrire, en tenant compte du point de
vue des vaincus et des laissés pour compte. Un roman
prétexte pour faire parler l‘autre facette de l‘Histoire,
celle qui n‘a pas eu l‘occasion de donner sa version des
faits. En la remontant à travers les yeux d‘un vaincu,
Mehdi Charef a soulevé des points restés dans l‘ombre
anonyme de l‘Histoire pour réactualiser le présent. Ce
qui nous permet de dire que ce récit s‘inscrit dans une
littérature émergente puisqu‘il appelle à la réécriture de
L‘Histoire et introduit une nouvelle dimension sociale
où la société française pourra se réconcilier avec elle-
même en reconnaissant ses torts.
En effet Mehdi Charef a rendu compte du désarroi
de la communauté harki qui souffre d‘un double exil et
rejet, d‘une part, la communauté algérienne émigrée et
d‘autre part, les Français qui se sont servi d‘eux et
n‘ont pas tenu leurs promesses. Et puisque la société
du texte est l‘ombre de la société de référence, ce récit
a permis de dévoiler la relation houleuse qu‘entretient
les harkis et leur descendance avec les deux autres
communautés, une matière à penser et à méditer en vue
de débattre de ces écrivains beurs et de leurs œuvres..
De là nous pouvons dire que ce roman prête à réflexion
et qu‘il s‘inscrit dans une littérature qui émerge
puisque la teneur de son écriture insuffle au texte sa
valeur de parole dans le sens ou l‘entend Roland
Barthes :
178
« L‘écriture est une fonction : elle est le rapport
entre la création et la société, elle est le langage trans-
formé par sa destination sociale, elle est la forme saisie
dans son intention humaine et liée ainsi aux grandes
crises de l‘Histoire. »1 (Michel Laronde, 1995: 30)
Ces deux premiers romans de Mehdi Charef ca-
ractérisés par une pertinence thématique et textuelle
ont ouvert le bal à une profusion de récit s‘inscrivant
dans la littérature de l‘émigration et où se sont distin-
gués beaucoup de jeunes écrivains dont le plus proli-
fique est Azouz Begag. Une littérature émergente qui a
été le sujet à de nombreux colloques dont le premier fut
tenu en France à l‘université Paris-Nord et présidé par
Charles Bonn, onze ans après sa parution, c‘est-à-dire
en 1994. S‘en sont suivis des dizaines de travaux de
recherches et de critiques des deux côtés de la Méditer-
ranée. Des chercheurs ont en même fait leur spécialité
à l‘instar de Michel Laronde, Charles Bonn, Habiba
Sebkhi et Hafid Gafaiti. Ce qui nous permet de re-
joindre la réflexion de Isaac-Célestin Tcheho et de dire
concernant les textes littéraires maghrébins et migrants
La littérature est bien un atelier de travail parce
que les textes sont des lieux de ressourcement et
d‘intense stimulation de l‘aptitude à inventer, expéri-
menter, expliquer, commenter des lois de composi-
tions. 2 (Isaac-Célestin Tcheho, 1999 : 199)
1 Michel Laronde (1995) « Stratégies rhétoriques du discours décentré. » In
Littérature des immigrations, vol. 2 Isaac-Célestin Tcheho (1999) « Les paradigmes de l’écriture dans dix
œuvres romanesques maghrébines de langue française » in Itinéraires et contacts de cultures. Volume 27. Paris, éd. L’Harmatan, p. 199
179
Les textes de cette littérature ont été inclus à
l‘étude dans certains programmes de collèges et même
d‘universités, pas seulement en France, mais en Alle-
magne, en Autriche et en Suisse également. Une re-
connaissance politique qui a mis sur orbite ces écri-
vains beurs, porte-voix de leur communauté et mené
vers le chemin de la réhabilitation, ce qui leur a permis
d‘être présents sur la scène médiatique et politique
française pendant quelques années. Une reconnaissance
politique qui a valu à Azouz Begag le poste de ministre
délégué à la promotion de l‘égalité des chances sous la
présidence de Jacques Chirac.
Cette introduction de textes de l‘émigration dans
les programmes scolaires a été conséquente pour le
problème de l‘intégration et la crise identitaire, elle a
permis à l‘élève « beur » la reconnaissance de soi par «
l‘autre » c‘est-à-dire le Français de souche. C‘est
l‘occasion pour lui de se faire une place, de retrouver
une légitimité au sein de la classe, de prendre confiance
en lui-même pour une affirmation de soi, Armelle
Crouzières-Igenthron le souligne en reprenant les dires
de Begag, « Pour Begag, le roman « beur » joue un
rôle pivot à l‘école car il assume une fonction pédago-
gique essentielle. Il permet de pénétrer dans les do-
maines privilégiés et élitistes de la littérature et de
l‘écrit :
« Il assure la fonction d‘un marchepied vers une
littérature plus universelle ». (…) »1. (Hafid Gafaiti,
1 Hafid Gafaiti. « Azouz Begag ou l’écriture et l’intervention sociale. » In
Expression maghrébines, vol 1, n°2. éd du Tell, 2003, p 98. Citant Crouzières-Igenthron, Armelle (2001) « A la recherche d’une voix/voie : la Marche des ‘Beurs’ dans l’écriture», Paris. L’Harmatan
180
2001 : 98) Cette présence de textes beur dans les insti-
tutions scolaires apermis de briser le mur infranchis-
sable de l‘exclusion, la mission de l‘écrivain beur, celle
de promouvoir ses revendications identitaires et cultu-
relles est réussie. Un mouvement élan est ainsi créé par
cette littérature émergente.
Plusieurs prix ont été décernés à ces écrivains, at-
testant de leur contribution dans les cercles littéraire,
sociale et même politique, Azouz Begag en est le par-
fait exemple , il reçut deux prix en 1987, le Prix du
Meilleur Roman décerné par l‘association des journa-
listes suivi par le Prix Sorcières pour le livre de jeu-
nesse ainsi que le Prix de Radio Beur en 1989. En mars
2002 un colloque international est organisé autour de
son œuvre aux Etats unis. Quant à Mehdi Charef il
remportait en 1986 le césar de la meilleure première
œuvre ainsi que le prix Jean Vigo. C‘est dire
l‘engouement et l‘intérêt portés à cette jeune littérature.
Ces distinctions ne font que confirmer
l‘émergence de cette littérature et attestent qu‘elle est
un atelier de créativité, qu‘elle existe et sa critique aus-
si. Les colloques et les critiques organisés autour con-
firment cette émergence, mais également sa vitalité et
sa puissance.
Bibliographie www.limag.ref.org/Textes/Bonn/Emig.Tunis.Gafaiti.
Michel Laronde (1995) « Stratégies rhétoriques du dis-
cours décentré. » In Littérature des immigrations,
vol.1. Un espace littéraire émergent, Paris. Ed
181
L‘Harmatan.P, 30 Citant Roland Barthes, Le degré zé-
ro de l‘écriture. Paris, éd. Seuil, 1953 et 1972
Isaac-Célestin Tcheho (1999) « Les paradigmes de
l‘écriture dans dix œuvres romanesques maghrébines
de langue française » in Itinéraires et contacts de cul-
tures. Volume 27. Paris, éd. L‘Harmatan,
Hafid Gafaiti. « Azouz Begag ou l‘écriture et
l‘intervention sociale. » In Expression maghrébines,
vol 1, n°2. éd du Tell, 2003, p 98. Citant Crouzières-
Igenthron, Armelle (2001) « A la recherche d‘une
voix/voie : la Marche des ‗Beurs‘ dans l‘écriture», Pa-
ris. L‘Harmatan
182
HAMMOUCHE- BEY OMAR Rachida
Université d’Oran
L’Espagne des années 50 et 60 à travers deux romans
de Luis Pérez Romero : La Noria et La Corriente
Résumé
De 1950 à 1960, l‘Espagne en proie à une grave crise
politique, économique et sociale ponctuée par des dé-
passements de toutes natures a du mal à redresser sa
situation. Les généraux Emilio Mora et Francisco
Franco sont les maîtres d‘un pays qui ploie sous le
joug de la dictature et de l‘autoritarisme. La misère, la
faim, la corruption et la terreur règnent dans toutes les
contrées espagnoles.
Luis Pérez Romero, écrivain espagnol de la post guerre
écrit à ce sujet deux romans intitulés La Noria (1952)
et La Corriente (1962) qui retracent la vie des barcelo-
nais de couche moyenne durant ces deux périodes cri-
tiques. La structure des textes est basée fondamentale-
ment sur une somme d‘êtres que configure une noria
humaine de 37 personnages dans la première œuvre et
de 40 dans la seconde. Chacun est un éco de la situa-
tion de l‘Espagne. Luis Romero nous fait traverser ces
deux périodes tout en insistant sur la bouffée
d‘oxygène salvatrice et tant espérée que le tourisme a
su renvoyer. Après les années de braise enfin l‘espoir
s‘installe avec l‘ouverture des frontières.
Durant la décennie 50, comme partout ailleurs
dans le monde, l‘Espagne peine à redresser sa situation
économique, sociale et culturelle. En ces années de
perturbations et de bouleversements, la littérature de-
183
vait accomplir la fonction et la mission d‘informer le
lecteur de manière subtile des réalités tels que les jour-
naux et les revues n‘osaient aborder. Les romanciers de
l‘époque tels que Camilo José Cela, Luis Pérez Rome-
ro, Rafael Sanchez Ferlosio ont su braver la censure
par les nouvelles techniques littéraires et faire passer
des messages que seul un lecteur averti pouvait déco-
der. Les diverses censures comme instrument répres-
seur étaient les premières représailles de la dictature
imposée par le régime Franco. Tout est passé au crible
et rien n‘est laissé au hasard autant le cinéma, la radio,
la presse que la littérature. Les artistes se voient obligés
aux pires restrictions créatives. Le régime de Franco
contrôle la vie des espagnols afin d‘éviter toutes cri-
tiques défavorables au pouvoir installé par la force.
Tout se murmure mais personne n‘ose s‘exprimer. La
junte de la censure composée de femmes au foyer, de
militaires, d‘ecclésiastiques et même d‘écrivains faisait
régner dans les grandes villes, telles que Madrid et
Barcelone, le silence et la peur. La violence et la ré-
pression sont les condamnations imposées par le ré-
gime. Le pouvoir de Franco est totalitaire car il est à la
fois chef d‘Etat et chef du gouvernement.
En 1951, Luis Pérez Romero publia en exil, à
Buenos Aires La NoriA1, roman audacieux qui retrace
la vie des espagnols et précisément des barcelonais de
cette période critique. Cette œuvre primée par El Na-
1 La Noria : mot arabe qui selon le dictionnaire de La Real Academia
Española (R.A.E.) est une machine composée d’une roue horizontale tirée par des chevaux qui a pour fonction de transporter l’eau d’une partie du fleuve vers une autre. Son rôle essentiel est d’irriguer les champs.
184
dal,1 l‘année même de sa parution, retrace en une unité
de temps réduite, soit 24 heures, la vie de 37 person-
nages que l‘auteur a su articuler en 37 chapitres. La
forme kaléidoscopique et ouverte est représentée par
un ensemble de micro récits évoquant la ville de Barce-
lone des années 50. Evidemment le roman fut dans un
premier temps censuré puisqu‘il dénonçait la vie des
travailleurs à l‘usine, la fabrique, l‘atelier, l‘hôpital...
La censure n‘a pas admis l‘édition de ce livre lui re-
prochant de s‘être aussi étalé sur des femmes prosti-
tuées tels que Dorita et La Trini, et d‘avoir évoqué une
maladie cachée et honteuse : la syphilis. Le comité de
lecture avance les raisons suivantes: l‘infidélité est
considérée comme immorale, inacceptable et punie par
l‘église et la société2. La phrase phare des censeurs est
Creo que su lectura puede resultar francamente perni-
ciosa para una gran mayoría de lectores3.
Le roman a eu néaumoins la possibilité d‘être édi-
té et vendu avec comme mention : Puede publicarse4
confortant les romanciers de l‘avant-garde littéraire.
Nous pensons à des auteurs comme Pio Baroja, Azorín,
Ana María Matute, Miguel Delibes etc. qui ont décidé,
après un relâchement du pouvoir, de proposer à la lec-
ture leurs œuvres écrites pendant la guerre. 1 Prix Nadal remis à Barcelone pour récompenser l’écrivain révéla au lecteur
l’importance et le mérite de cette œuvre durant les années 50. Le prix Eugenio Nadal, instituée par la revue « Destino » de Barcelone en 1944 en hommage à son fondateur est un des plus anciens de l’Espagne du XX siècle. 2 Expédient N° 528-52 du 28-01-52.
3 En traduction personnelle par : je crois que sa lecture peut résulter
franchement pernicieuse pour une grande partie des lecteurs. 4 Álamo F. F. (1966), La novela social española, conformación ideológica,
teoría y crítica, España, Servicio de la Universidad de Almería. p. 79-107. En traduction : Peut être publié.
185
Quant au second roman paru en 1962, La Cor-
riente1 et qui continue l‘aventure de ces personnages
dans la même ville de Barcelone, en utilisant la même
unité de temps soit 24 heures, il ouvre d‘autres hori-
zons de la littérature : comme Tiempo de Silencio2 de
Martín Luis Santos, La Mina3 de Ferlosio Sanchez,
Cinco horas con Marío4de Miguel Delibes. C‘est le
temps de la rupture, tout en sachant que l‘Espagne est
passée par une période rude. Le critique Domenech
Ricardo déclare dans la revue Ínsula5, que 1962 inau-
gure un nouveau chemin de l‘écriture du roman6 qui
correspond en Europe et plus précisément en France à
l‘écriture du Nouveau Roman introduit par Alain
Robbe-Grillet7, considéré comme le chef de file, et Na-
thalie Sarraute8 qui propose des changements et rend la
lecture active, autorisant une réflexion approfondie sur
son existence culturelle.
Le paratexte des œuvres considéré comme un dis-
cours proposé par l‘auteur du roman est le premier
élément révélateur de la situation de l‘Espagne. Dans le
roman de La Noria, les titres choisis par l‘auteur tels 1 En traduction: Le courant.
2 Santos M. L. (1962), Tiempo de Silencio, Barcelona, Seix Barral. En
traduction: Temps de silence. 3 En traduction: La mine
4 En traduction: Cinq heures avec Mario.
5 Ínsula : Revue des Lettres et des Sciences Humaines.
6 Domenech R. (1964) Luis Martín Santos. España: Ínsula, n° 208. p. 4.
7 Alain Robbe-Grillet, né le 18 août 1922 à Brest (Finistère) et mort le
18 février 2008 à Caen (Calvados) est un romancier et cinéaste français. Considéré comme le chef de file du nouveau roman. 8 Nathalie Sarraute, née Natalia (Natacha) Tcherniak à Ivanovo, en Russie, le
18 juillet 1900, et décédée à Paris le 19 octobre 1999, est un écrivain français d'origine russe. Avec Alain Robbe-Grillet, Michel Butor ou encore Claude Simon, elle est une figure de proue du courant du nouveau roman.
186
que : Madrugada galante en traduction par Aube ga-
lante fait allusion à une prostituée, Je m’en fous pas
mal, chanson d‘Edith Piaf, autre prostituée qui débuta
sa carrière dans les rues de Paris, Historia proletaria,
Histoire prolétaire, traitant des mauvaises conditions de
travail des ouvriers d‘une fabrique, tout en passant
par Excursión alcohólica, Excursion alcoolique et Nau-
frago, naufrage, dévoilent par le choix polysémique des
mots de la rudesse de l‘époque et de la mal vie.
Un vent de renouveau a soufflé dans la deuxième
œuvre. Le choix des titres, souvent avec une connota-
tion d‘intertextualité, confirme le passage vers
l‘ouverture : El diálogo, Le dialogue, Al estilo ameri-
cano, Au style américain, Compás de esperanza, Au
rythme de l‘espérance, Louis Armstrong, qui interprète
la musique du blues américain, Alborada, L‘aube est
l‘incarnation du renouveau du changement
Aussi le style de l‘auteur dans son second livre a
changé comme se sont opérées dans le pays des trans-
formations concrètes que nous évoquerons.
Dans la première œuvre le monologue intérieur
est utilisé comme discours qui manifeste la mentalité
des barcelonais des années 50. Il semble spontannée et
garde une part de réel. Ce monologue permet à
l‘écrivain d‘exprimer ses sentiments refoulés et répri-
més et constitue un des fondements de l‘œuvre ainsi
que son armature structurelle. Edouard Dujardin
(1931 : 59) le définit comme un discours sans auditeur
composé de phrases directes réduites à une syntaxe.
C‘est au lecteur de décoder le langage proposé par
187
l‘auteur et d‘aller chercher des explications au-delà du
mot. Suivant (Bobes Naves 1992 : 70)
El monólogo interior narrativo es una asociación
ilógica, absurda, y con cualquier expresión incorrec-
ta gramaticalmente, que tendría su justificación en
una clave exclusivamente personal, intuitiva, nunca
discursiva…1
Toujours dans le premier roman, et grâce à cette
technique, l‘auteur nous informe du traumatisme et des
séquelles que la Guerre Civil a causées dans les esprits
des habitants de cette grande ville qu‘est Barcelone. Il
adopte le rôle de transmetteur des réalités cruelles nous
offrant un récit comme étant sa propre confession. Ces
confidences restent toujours d‘actualité et permet au
lecteur d‘aujourd‘hui d‘avoir une réflexion ouverte sur
un sujet d‘un passé récent.
Cette période de trois années atroces qu‘a vécues le
pays est devenu une unité temporelle puisque l‘on parle
d‘un avant et après-guerre. Rien ne pourra effacer les
monstruosités et les cruautés du régime franquiste.
Dans La Corriente, les souvenirs et les évènements ré-
cents sont cités par les personnages acteurs du roman :
Mi madre murió en un bombardeo2 et No le había visto
desde la Guerra Civil. 3
Dans le premier roman, l‘allusion à la Guerre ci-
vile est arborée dans le monologue et le dialogue. Gal- 1 Bobes Naves del María Carmen, En traduction personnelle: Le monologue
intérieur narratif est une association illogique, absurde et quelque soit son expression grammaticale incorrecte il trouvera une solution exclusivement personnelle, affective, intuitive et non pas discursive. 2 La Noria p. 82.
3 Ibid. p. 120.
188
lardo padre en parle comme étant des souvenirs atroces
qu‘il passa en prison: Pasó dos años en la cárcel: Pri-
mero en La Vidriera de Áviles…1
Alors que Doña Leoncia aurait préféré que son
époux meure durant la guerre afin de bénéficier d‘une
pension plus intéressante. Algunas épocas ha pensado
que si su esposo hubiera muerto en acción de guerra
cobraría el doble de la pensión.2 L‘après guerre a rendu
certaines gens cruelles et insensibles à la mort jusqu‘à
même la souhaiter à leurs proches.
Dans l‘œuvre de La Corriente, le dialogue consti-
tue le support des séquences et il fait partie du discours
révélateur de la situation de l‘Espagne. Au-delà du
paratexte, et de l‘unité de temps qui est l‘après-guerre,
ce sont les personnages femmes qui jouent un rôle ré-
vélateur de la situation de l‘Espagne durant cette dé-
cennie. L‘ensemble de leur portrait forme un tableau
saisissant, celui d‘un monde en marge, où s‘imposent
les restrictions, et la précarité. Luis Romero a su à
travers un style réaliste, sensibiliser le lecteur afin de
lui montrer que la prostitution a permis à certaines
femmes de sortir de cette crise et aussi de rebondir en
une bourgeoisie naissante. L‘exemple le plus marquant
est celui de Dorita qui change radicalement de statut et
passe de prostituée à propriétaire d‘une parfumerie re-
nommée de Barcelone. Aussi, pouvons-nous citer le
cas de La Trini (ancienne prostituée) qui achète une
maison qu‘elle loue et épargne de l‘argent à la Caja de
1 La Noria p.49. En traduction personnelle : Il séjourna deux ans en prison :
Premièrement à Vidriera de Áviles 2 Idem. p.210.En traduction personnelle : Quelque fois elle pensait que si son
mari serait mort durant la guerre ; elle percevrait le double de la pension.
189
ahorros1 et pour son intégration absolue dans cette so-
ciété, elle marie sa fille à un futur émigré en Alle-
magne qui est la destination privilégiée des travailleurs
espagnols des années 60. Dans le contexte social de
l‘époque, ce sont ces types de femmes que nous appel-
lerons vainqueurs de la Guerre, de leur ancienne condi-
tion de vie et aussi de la société. L‘exode rural a été
aussi un facteur qui a poussé la femme à user de ce
que l‘on appelle le plus vieux métier du monde. Pour
une catégorie d‘entre elles cela a été une solution
d‘urgence, sans ressource et dans une grande ville où il
fallait coûte que coûte s‘assurer d‘un toit et de moyens
de subsistance. L‘amour, le sexe et la misère font corps
ensemble dans cette ville où l‘interdit est un mot
d‘ordre. Dans La Noria, l‘élection de la chanson Edith
Piaf je m‘en fous pas mal n‘est pas fortuite. Le jeu
translinguistique qu‘utilise Luis Romero enrichit son
texte et c‘est aussi un regard vers une autre culture. A
ce sujet, Kristeva (1981 : 188) écrit : Le mot littéraire
devient un croisement de textes, un dialogue
d‘écritures où jouent non seulement l‘écrivain mais
aussi le personnage, le lecteur et les contextes anté-
rieurs et actuels.
L‘autre interdit, pardonné cette fois par la class-
bourgeoise barcelonaise de l‘époque, est
l‘homosexualité de Rodrigo. Ce personnage de la
classe bourgeoise, marginal qui occupe le premier cha-
pitre de La Corriente et qui meurt d‘une attaque, est
décrit à travers l‘œuvre avec tous les éloges que lui
procure son rang. Tout le monde est peiné de cette
1 Caisse d’épargne.
190
mort subite, on lui organise des funérailles grandioses
dignes de son rang et de son nom sans que quiconque
ne parle ou n‘insinue sa condition de personnage aty-
pique. Ce sujet tabou reste bien caché et seul le nom
de sa famille et les remontrances du cortège font sur-
face. (Romero 1962: 60)
Sobre esta casa del centro de la ciudad, han con-
vergido flores de los cuatro puntos cardinales. Parecía
que se volcaran los huertos de la Maresma, los jardines
regados por el Llobregat, los criaderos del Besós, la
comarca entera y la Rambla. Flores blancas, rojas,
azules, violetas, amarillas, anaranjadas, marfileñas,
pintadas; flores sencillas y flores raras1.
Dans La Corriente, le grand jazzman soliste Louis
Armstrong qui s‘installe avec sa trompette et son blues
et propose aux espagnols un nouveau style de mu-
sique. Les complaintes des airs proposées font echo
avec les souffrances inoubliables qu‘a vécues le
peuple.
Dans les deux ouvrages la religion est omnipré-
sente, la peur de l‘église, du jugement dernier et de
l‘enfer sont transmises aux lecteurs par le curé. Mosén
Bruguera est le personnage qui finalise La Noria, et
bien que mort dans La Corriente, il est évoqué dans
trois chapitres comme un personnage saint, proche de
Dieu et surtout d‘une aide à toute âme cherchant un
réconfort et un soutien moral. La censure très présente
1 La Corriente: p. 60. En traduction personnelle par : Dans cette maison du
centre ville, ont convergeaient des fleurs des quatre points cardinaux. On dirait que les jardins de la Maresma se déversaient, ces jardins irriguaient par Le Llobregat et des éleveurs del Besós ; de la contrée entière et de la Rambla. Des fleurs blanches, rouges, bleues, violettes, jaunes, orangées, ivoires, peintes ; des fleurs sensibles et des fleurs rares.
191
dans La Noria n‘a laissé filtrer aucune information. Il
faut attendre les années 60 pour que les espagnols dé-
couvrent la réalité de leur pays comme en témoignent
les journaux officiels tels que El Mundo, El Noticiero,
La Prensa… sont des organes de l‘Etat. Ils s‘attardent
sur les nouvelles réalisations du pays tels que : la cons-
truction de barrages, d‘usines, de fabriques,
d‘entreprises…et diffusent les informations concernant
la politique internationale tels que les évènements
d‘Afrique en mentionnant Tshombé, (anticommuniste),
les bombes à Alger, l‘O.N.U., la politique de Kennedy.
La mendicité et les cartes de rationnement font
partie des sujets évoqués par Luis Romero dans les
deux romans. C‘est la face cachée du pays que l‘auteur
révèle dans ses écrits souvent avec une pointe
d‘humour afin d‘atténuer la complexité des sentiments.
Le marché noir dû au manque de produits de
première nécessité a permis à une minorité de
s‘enrichir rapidement au détriment d‘une majorité af-
famée. Chez les parents d‘Adèle, les couverts sont
dressés sur une très belle nappe toute brodée : La carne
es muy buena y está bien guisada. La traen de la pro-
vincia de Gerona…1 Tandis que chez Mercedes, Ha
entrado en la cocina a poner a la lumbre una olla de col
con patatas2, on mange du chou bouilli. La faim est à la
porte de toutes les familles de conditions moyennes. La
misère fait que des jeunes comme le fils de Mercedes,
1 La Noria p. 60. En traduction: La viande est très bonne et bien grillée. On la
ramène de la province de Gerona. 2 La Noria : p.132. En traduction: Elle entra à la cuisine pour mettre sur le feu
une marmite de choux et de pommes de terre.
192
ébéniste dans un petit atelier le jour, se métamorphose
en bandit tous les soirs. (Romero 1951: 139)
Está harto de tanta pobreza, de tanta lucha mez-
quina para mal vivir. Está harto de ver a su madre de-
sarreglada y a su padre en la taberna; está harto de ver
a su hermana fea y mal vestida para acabarlo de estro-
pear; está harto de trabajar de ayudante de un ebanista
y saberse condenado .a dejar los dedos a trozos por la
tupì y pasarse la vida respirando serrìn […]1
Les films américains de gangsters ayant comme
devise dollar et pouvoir ont énormément influencé
l‘auteur jusqu‘à lui faire reproduire les même scénari
de la vie quotidienne. Fiction et réalité fusionnent et se
confondent.
Le cinéma joue un rôle important, accesible au
peuple, il lui permet de retrouver dans l‘écran un peu
d‘amour et de légereté. Les films à grand public et à
succès retentissant tel que Sissi drainent une foule
nombreuse. Les spectateurs recherchent des moments
d‘évasion et de distraction afin d‘oublier l‘oppression
du pouvoir. Les artistes de renommée internationale
tels que: Gary Grant, Clark Gable, Robert Mitchum,
Robert Taylor, Tony Curtis, Brigitte Bardot, Belmondo
crèvent l‘écran. Et on écoute et apprécie les chanteurs à
succès tels que Paul Anka, Sacha Distel, Brassens…
1 En traduction: Il en a marre de tant de pauvreté, de tant de lutte mesquine
pour survivre. Il en a marre de voir sa mère mal habillée et son père à la taverne ; il en a marre de voir sa sœur mal vêtue; il en a marre de travailler comme apprenti chez un ébéniste et de se savoir condamner à perdre ses doigts à cause de la toupie et enfin passer sa vie à sentir la sciure de bois.
193
Dans un article très intéressant, l‘économiste Juan
Velarde Fuentes affirme que La Noria est un document
témoin avec des renseignements objectifs de la situa-
tion économique du pays caractérisé par une forte in-
flation. Romero est très prudent quant au statut salarial
concernant les revenus ou les dépenses de tous ses per-
sonnages. Il évoquera par l‘intermédiaire de phrases
indirectes les gains des uns et des autres. Concernant le
chauffeur de taxi il dira: Aunque este taxista se queja y
se pasa el día refunfuñando, la vida no le va del todo
mal1. Dans une autre séquence une employée dira Su
marido gana poco jornal. No es como otros que por lo
menos cobran horas extraordinarias…2. Le fils de Mer-
cedes fatigué par ce minable boulot pense qu‘il faut
impérativement qu‘il sorte de ce trou dégouttant insi-
nuant l‘atelier d‘ébénisterie. Pepe Rovira calcule avec
parcimonie son argent. El cubierto cuesta ocho cin-
cuenta y si pides pan cobran cincuenta céntimos más.
El se lleva al mediodía su ración, pues tiene la cartilla
de racionamiento3. Tandis que le mari d‘Hortense au-
rait désiré avoir un garçon mais es un gasto muy
grande….si tuviera un hijo no podría hacer esos ahor-
ros que se ha dicho4. Pour devoir joindre les deux bouts
la plupart d‘entre eux font des heures supplémentaires.
Le père Gallardo travaille jusqu‘à seize heures par jour
1 La Noria p. 19. En traduction: Bien que le chauffeur de taxi passe son temps
à se plaindre, il gagne bien sa vie. 2 Idem p. 131. Son mari a un salaire très bas. Ce n’est pas comme certains
qui font des heures supplémentaires… 3 Idem p. 174. Le couvert coûte 85 et si tu commandes le pain tu paieras 50
centimes de plus. Il préfère prendre à midi sa ration car il possède une carte de rationnement. 4 Idem p. 206. C’est une dépense en plus. S’il aurait un fils, il ne pourrait pas
faire les économies souhaitées.
194
et il lui arrive même de faire hasta dos turnos1. Toutes
ces gens sont en quête d‘une amélioration de leur con-
dition de vie parfois au détriment de leur santé ou par
le banditisme comme le montre le cas du fils de Mer-
cedes.
Ces deux œuvres restent des témoignages directs
de l‘Espagne d‘après guerre. Du style réaliste des deux
romans, il en découle beaucoup d‘humilité et de pu-
deur que l‘auteur a su mettre en évidence par une série
de métaphores, d‘intertextualité et un incessant retour
émotionnel vers la guerre civile. Le monologue de la
première œuvre ainsi que le dialogue de la seconde
constituent les charpentes des deux romans. Du temps
du silence nous passons à l‘ouverture de l‘Espagne
vers les pays occidentaux tel que la France,
l‘Allemagne et aussi vers l‘Amérique évoqué grâce à la
musique noire et au swing. Aussi pour paraphraser Ro-
land Barthes dans le degré zéro de l‘écriture,
(Barthes 1953 : 16-17)
La langue n‘a été qu‘un horizon humain, elle est
bien moins un fond qu‘une limite extrême ; elle est le
lieu géométrique de tout ce qu‘il ne peut se dire. Elle
est au deçà de la Littérature.
Et enfin pour conclure, l‘écriture des deux textes
nous a révélé et dévoilé ce que fut l‘Espagne durant
cette décennie considéré crucial pour le pays.
1 La Noria p. 49 En traduction par : deux rotations.
195
Bibliographie :
Achour C, & Rezzoug, S. (2005), Convergences cri-
tiques, Introduction à la lecture du littéraire, Alger,
Ed. Office des Publications Universitaires- Réimpres-
sion 2005.
Barthes R, (1953 et 64), Le degré zéro de l’écriture,
Paris, Seuil.
Bobes Naves, Del M.C, (1992), El diálogo estudio
pragmático, lingüístico y literario, Madrid, Gredos.
Burunat S, (1980), El monólogo interior como forma
narrativa en la novela española (1940, 1975), Madrid:
José Porrúa Turanzas.
Castellet J.M, (1970), La literatura española del siglo
XX, Barcelona, Barral.
Domenech R, (1964), «Luis Martín Santos», Ínsula,
208, p. 4-16.
Dujardin E, (1931), Le monologue intérieur. Son appa-
rition. Ses origines. Sa place dans l’œuvre de James
Joyces, Paris, Albert Messein.
Kristeva J, (1981), Semiótica 2. , Madrid, Fundamen-
tos.
Romero P.L, (1952) La Noria, Barcelona, Áncora.
Romero P.L, (1962) La Corriente, Barcelona, Áncora
Santos M. L, (1980), Tiempo de silencio, Barcelona,
Seix-Barral-16ª ed.
196
Sahbi Fayçal
Réception et contexte dans le cinéma : De la
sémiotique à la sémiopragmatique
Abstract La sémio-pragmatique du film de cinéma, déve-
loppée essentiellement dans les travaux de Roger Odin,
est d‘une certaine manière la retombée des re-
marques de Christian
Metz sur la manière dont le film naît par le regard
du spectateur. Elle emprunte à la sémiologie ses con-
cepts et ses méthodes, considère la relation du film
avec son spectateur, et l‘institution où il est présenté.
Au moment où les approches sémiotiques tex-
tuelles du cinéma ne s‘intéressent qu‘au contenu mani-
feste des films, et restent presque toujours à la surface
du texte, négligeant ainsi un autre élément du proces-
sus de communication du film, la réception du film ou
le moment de l‘appropriation du film par son specta-
teur, l‘approche sémio-pragmatique, elle, se propose de
combler ses lacunes, en élargissant le champ d‘étude
vers le contexte.
Mots-clés : Sémiopragmatique – Cinéma – Contexte
– film – Interprétation
197
1. La sémiotique : une science de la communica-
tion (signifiante) Si la sémiotique a été traditionnellement considé-
rée comme une « province » des sciences du langage,
dans ce papier nous nous proposons de défendre une
autre thèse : Et si la sémiotique était une science de
la communication ? La sémiotique qui serait la
science qui touche à un aspect de la communication,
celui de la signification. En effet, à défaut d‘avoir une
seule science de communication, on en a plusieurs. La
sémiologie en serait une, selon cette thèse.
1.1. Interdisciplinarité des sc. de la communication.
Après avoir trouvé un objet d‘étude, il restait de
s‘entendre sur une méthodologie à ce domaine de re-
cherche qu‘est la communication. Venus de différents
territoires de connaissances (de la sociologie à la lin-
guistique, en passant par les mathématiques et la psy-
chologie etc.), les premiers chercheurs en communica-
tion ne se sont pas préoccupés de la question de la mé-
thodologie, étant donné que chacun avait la sienne,
celle de sa discipline d‘origine.
De plus, « la spécificité des problématiques per-
mettant d‘interpréter les évolutions complexes de la
communication impose de recourir à une pluralité de
méthodes généralement utilisées par des disciplines
que le découpage scientifique institué à soigneusement
distinguées.»1
1 MIEGE B. (2004), L’information-communication, objet de connaissance,
Bruxelles, de Boeck.
198
L‘interdisciplinarité s‘est imposée à la majorité
des chercheurs en communication comme la perspec-
tive qui permet de relier des méthodologies provenant
de disciplines différentes et de les faire agir, autour
d‘axes de recherches spécifiés.1
Au carrefour de plusieurs pôles de connaissance,
où sciences sociales, cognitives ou encore sciences
du langage, la discipline de la communication est
passée par plusieurs étapes. A chaque tournant de son
histoire, la communication semblait être dominée par
une tendance venue des « sciences- pôles » qui la com-
posent. C‘est ainsi, avec le tournant linguistique des
années soixante, que la sémiotique a trouvé son chemin
vers les sciences de la communication. Il est générale-
ment admis que les littéraires ont nourri le courant sé-
miotique de la discipline de la communication. Litté-
raires ce n‘est qu‘une acceptation paresseuse et incon-
grue de ce qu‘on devrait appeler plutôt « linguistiques
». Les années soixante du siècle dernier a été fortement
marquées par le courant structuraliste, qui a donné à la
linguistique une deuxième pulsion. C‘est grâce à des
précurseurs de la linguistique structurale comme Ro-
land Barthes, A-J Greimas, et un peu moins Umberto
Eco et Roman Jakobson que la sémiotique s‘est établie
comme une science de la communication.
D‘ailleurs, c‘est Jakobson qui affirme, le premier
et de manière très explicite, la sémiotique en tant que
1 Ibid, P. 225.
199
science de la communication. Il a proposé un modèle
intégrant sous la forme d‘une imbrication de domaines.
« La sémiotique, comme étude de la communica-
tion de toutes les sortes de messages, est le cercle con-
centrique le plus petit qui entoure la linguistique, dont
le domaine de recherche se limite à la communication
des messages verbaux. Le cercle concentrique suivant,
plus large, est une science intégrée de la commu-
nication qui embrasse l‘anthropologie sociale, la
sociologie et l‘économie »1
1.2. Sciences de communication : Du signal au sens
Si Jakobson estime que la sémiotique a ample-
ment sa place parmi les sciences de la communication,
au point qu‘elle soit au centre d‘un projet « d‘une »
science de la communication, cette position est loin
d‘être sans fondements. La communication est avant
tout une activité symbolique, scène permanente des
signes. Décrire et comprendre cette « scène » privilège
le sens au sein de la communication. Justement, cela
est exactement tâche de la sémiotique.
Cette place prépondérante de la sémiotique fait
qu‘il est de plus en plus difficile de discerner avec pré-
cision les frontières des deux disciplines ; où s‘arrête
l‘une ? Et où est-ce que l‘autre commence ?
L‘évolution historique de l‘une et de l‘autre a rendu
cette interaction encore plus plausible.2
1Jackobson R. (1963). Essais de linguistique générale. Editions Minuit.
2 Lire à ce propos : BOUTAUD J.J (2004), « Sémiotique et communication, un
malentendu qui a bien tourné» in Hermès, 8, 2004, p. 96-102.
200
Cela se manifeste en sémiotique par son « ouver-
ture pragmatique ». La théorie pragmatique développée
par Pierce ne s‘intéresse pas uniquement au signe en
lui-même et pour lui-même, comme c‘est le cas pour la
théorie saussurienne, elle porte une attention particu-
lière au contexte culturel tout au long du processus de
la signification, dans sa production mais aussi dans sa
réception. C‘est pour dire que cette théorie apporte plus
de « dynamisme » à l‘idée du signe.
Dans le sens inverse, la sémiotique a rendu pos-
sible un passage du paradigme du signal à celui de la
signification. L‘approche sémiotique consolide
l‘analyse en communication en lui donnant des outils
d‘analyse sur la forme et le sens des messages et de
leur environnement. Elle permet d‘avoir accès à la vé-
ritable signification qui est cachée et qui échappe par-
fois aux intentions conscientes des acteurs de la com-
munication. On est passé, grâce à la sémiotique, d‘une
simple vision mécaniste de la communication, qu‘on a
résumée à son seul aspect de transmission
d‘information, d‘un émetteur à un récepteur à une vi-
sion plus large et complète, où la signification devient
un enjeu important du processus de la communication.
La culture comme champ d‘interaction entre la
communication et la sémiotique
Umberto Eco fut probablement l‘un des premiers
qui ont fait explicitement le rapprochement entre la
201
sémiotique et la communication. Il est très utile, à notre
sens, de voir sa définition de la sémiotique. Dans un
livre majeur « la structure absente » parmi une longue
liste d‘œuvres consacrées à la sémiotique, l‘auteur nous
propose d‘abord une définition, et ensuite deux hypo-
thèses. La définition est celle de la sémiotique qui est
pour l‘auteur l‘étude « des processus culturels (c'est-à-
dire ceux où interviennent des agents humains qui en-
trent en contacts sur la base de conventions
sociales) comme processus de communication »1
(Eco 1972 : 24). Il est clair donc que pour Umberto
Eco, Le champ de recherche de la sémiotique est en
premier lieu la culture. Par culture, il entend dire, «
tous les phénomènes culturels ». Pour cela, Eco avance
deux hypothèses : « a) La culture doit être étudiée en
tant que phénomène de communication. b) Tous les
aspects d‘une culture peuvent être étudiés comme con-
tenus de la communication.» 2 (Eco 1972 : 25) Si la
première hypothèse fait de la sémiotique une théorie
générale de la culture, au même niveau que
l‘anthropologie, la seconde semble, par le verbe pou-
voir atténuer un peu l‘affirmation et
« l‘autorité » du verbe devoir dans la première
hypothèse. L‘étude de la culture en tant que phéno-
mène culturel ne veut pas dire que la culture n‘est que
communication, mais elle pourrait être mieux comprise
si on l‘envisage avec un regard communicationnel.
Si l‘on se réfère à une définition des plus rudi-
mentaires mais des plus essentielles également, la cul-
ture serait la somme des valeurs, idées, attitudes, sym-
boles significatifs, créés par l‘homme pour modeler le
202
comportement humain, qui se transmet de génération
en génération, et donne les bases de la communication
sociale1.
La signification est une donnée importante dans la
culture, au même titre que la communication. Par op-
position au « naturel », le « culturel » a une significa-
tion, il a un sens et il se communique. Le sens qui est
traditionnellement le champ d‘étude de la sémantique1.
Et justement, pour Eco, le phénomène culturel est une
unité sémantique où l‘on peut voir chaque phénomène
culturel comme un signifié qui se communique. On
peut tenter une énième acceptation de la culture comme
une signification et sa communication. Il serait justifié
alors, de dire que la culture est le champ premier de la
sémiotique.
C‘est pour dire à quel point la sémiotique a rendu
possible une approche culturelle de la communication
dans un sens, et un rapprochement entre processus de
communication et phénomène culturel dans le sens in-
verse. Cette interaction entre la communication et la
culture, où la sémiotique s‘établit comme l‘approche
indispensable pour la comprendre et l‘analyser forme
la pierre angulaire de ce qu‘nous avons appelé La
communication signifiante. Cette communication si-
gnifiante se manifeste à chaque fois où un phénomène
culturel et un processus communicationnel se juxtapo-
sent pour ne former qu‘un seul objet d‘étude. Le ciné-
- 1 Eco ( 1972) U. La structure absente : introduction à la recherche sémio-
tique, trad . Par U . Esposito-torrigiani, Paris, Mercure de France.Ibid., P. 25 ENGEL, KOLLAT, BLACKWELL (1977).
203
ma, du fait qu‘il est l‘un et l‘autre à la fois, est un
exemple adéquat de cette communication signifiante.
2. De la sémiotique à la sémio-pragmatique.
Au cours de notre étude du processus communica-
tionnel du cinéma, dans le cadre du mémoire de magis-
tère, nous avions adopté en premier temps l‘approche
sémiotique pour aborder cette étude, nous avons cons-
taté, par la suite, qu‘employée dans sa forme la plus
rigoureuse, cette approche ne s‘intéresserait qu‘au con-
tenu manifeste du film, envisageant le film comme un
système fermé de signification, indépendamment du
créateur et du spectateur. Or, Toute étude d‘un proces-
sus de communication doit examiner non seulement le
média, mais aussi les autres éléments du processus.
C‘est pour pallier cette difficulté que nous avons tenté
« d‘adapter » l‘approche sémiotique en élargissant son
champ d‘action du texte (qu‘est le film) vers le con-
texte (éléments relatifs à la création et à la réception).
C‘est ainsi que nous nous sommes aperçu que nous fai-
sons de la sémio- pragmatique, comme monsieur Jour-
dain faisait de la prose, c'est-à-dire sans le savoir.
• Le projet sémio-pragmatique de Roger Odin
La sémio-pragmatique du film de cinéma, déve-
loppée essentiellement dans les travaux de Roger Odin,
est d‘une certaine manière « la retombée des remarques
de Christian Metz sur la manière dont le film naît par le
regard du spectateur». Elle emprunte à la sémiologie
ses concepts et ses méthodes, elle considère la relation
du film avec son spectateur, et l‘institution où il est
204
présenté. Non seulement, la sémio-pragmatique se
donne comme mission de « comprendre com-
ment le film est compris »1 (Metz 1971 : 56) par
l‘analyse du signe au cinéma, tel qu‘il est le cas dans le
projet sémiotique de Metz, mais aussi de comprendre
la relation affective qu‘entretient le spectateur avec le
film. Pour ce faire, elle fait intervenir la pragmatique.
La pragmatique qui se définit dans la linguistique par
l‘étude des situations relationnelles comme produc-
trices de sens et de signification. Elle envisage le pro-
cessus de communication au cinéma, comme étant la
relation entre un destinateur et un destinataire dans le
but de transmettre une signification. La signification
peut être dans ce cas soit intentionnelle, c'est-à-dire
émise par l‘énonciateur ; soit elle nait au cours du pro-
cessus, notamment dans le rapport film-spectateur
où la lecture du film est le résultat d‘une contrainte
culturelle ou contextuelle.
Nous pouvons dire que l‘approche sémio-
pragmatique du cinéma ne s‘impose pas comme une
alternative à la sémiotique, elle ouvre plutôt le champ
de l‘analyse sémiotique du film -essentiellement tex-
tuelle- à des problématiques plus contextuelles. Au
moment où les approches sémiotiques textuelles du
cinéma ne s‘intéressent qu‘au contenu manifeste des
films, et restent presque toujours à la surface du texte,
négligeant ainsi d‘autres éléments du processus de
1 1 KERMABON J. (1988), « Qu’est-ce que la sémio-pragmatiques ? »,
Cinémaction, 47, Les théories du cinéma aujourd’hui, Cerf, Corlet, P.52. 2 Metz C. (1971), Langage et cinéma, Paris, Larousse.
205
communication du film : l‘énonciation et surtout la ré-
ception du film ou le moment de l‘appropriation du
film par son spectateur, l‘approche sémio-pragmatique
se propose de combler ces lacunes, en élargissant le
champ d‘étude vers le contexte.
Pour énoncer les choses autrement, et plus claire-
ment, nous pouvons dire que le projet sémio-
pragmatique d‘Odin reprend la même problématique
que de répondre Christian Metz s‘est proposée de
répondre dans les années soixante, en
l‘occurrence : « Comment le film produit-il du sens ?
», seulement Odin, contrairement à Metz, a déplacé la
question sur un autre front : Il délaisse la position saus-
surienne de Metz, pour qui le sens est dans le texte
d‘une façon intrinsèque, pour en adopter une autre. La
production du sens dans le cinéma, selon la théorie
d‘Odin, incombe autant au film qu‘au spectateur. Ain-
si, la problématique metzienne devient avec Odin :
Comment le (spectateur du) film produit- il du sens ?
On essaie donc d‘apporter des éléments de réponse à
cette problématique à l‘aide de la sémio- pragmatique.
Une approche dont l‘objectif
« […] est de fournir un cadre théorique permettant
de s‘interroger sur la façon dont se construisent les
textes et sur les effets de cette construction. On part de
l‘hypothèse qu‘il est possible de décrire tout travail de
production textuelle par la combinaison d‘un nombre
limité de modes de production de sens et d‘affects qui
conduisent chacun à un type d‘expérience spécifique et
dont l‘ensemble forme notre compétence communica-
206
tive : modes spectatularisant documentarisant, fabuli-
sant, artistiques, privés, etc. »
Pour ce faire, l‘approche sémio-pragmatique
(d‘Odin) se base essentiellement sur deux notions afin
d‘interroger « la façon dont se construisent les textes et
sur les effets de cette construction » : L‘institution et la
fictionnalisation.
L’institution
On sait que la relation du spectateur au film re-
pose sur une part de subjectivité, notamment dans la
production du sens et de la signification où le specta-
teur y intervient avec sa culture, son idéologie, ses pré-
dispositions psychologiques etc. Cependant, la produc-
tion de sens est aussi régie par des contraintes externes
: la connaissance de la langue, le degré d‘assimilation
des codes culturels et cinématographiques, mais surtout
des institutions.
Par institution, Odin n‘entend pas des lieux phy-
siques, mais « des sortes de dispositions qui condition-
nent l‘état du spectateur »1 La notion d‘institution dans
la sémio-pragmatique d‘Odin peut être définie- ap-
proximativement certes-parce qu‘on appelle commu-
nément les types du film (fiction, thriller, comédie ro-
mantique, etc.) dont chacun entraine un type de lecture
approprié. Nous ne regardons pas un film narratif de la
même façon que lorsque nous regardons un film expé-
rimental, à chaque fois, l‘attention requise est diffé-
rente.
Par exemple, « L‘institution du cinéma dominant
produit un actant spectateur isolé, immobile, muet,
avec un positionnement psychologique intermédiaire
207
entre la veille, la rêverie et le rêve et disposé à produire
cette construction totalisante et imaginaire ; la diégèse
»2 (Kermabon 1988 : 53) . Toutefois, il ne faut pas
croire que cette institution pèse sur le spectateur seu-
lement, elle influe également le dispositif de création
du film (l‘énonciateur), elle l‘oblige à suggérer, dans
son œuvre, un mode de lecture plutôt qu‘un autre ; le
spectateur de son coté, va soit adopter ce mode de lec-
ture et s‘y tenir, soit le confronter à la structure du film
qu‘il perçoit - et cela dès le début du film- et tenter
d‘en produire le sien.
Fictionnalisation
La deuxième notion « odinienne » sur laquelle
s‘appuie l‘analyse sémio-pragmatique du film est celle
du processus de fictionnalisation. Ce processus qu‘on
peut décrire comme l‘espace de communication le plus
utilisé dans le cinéma. Un espace où s‘entrecroisent et
se succèdent les éléments du processus de communica-
tion au cinéma. La fictionnalisation se fait essentielle-
ment à l‘aide de trois processus indépendants dont cha-
cun s‘associe à une relation entre deux éléments du
processus de communication.
Le premier de ces processus est préalable à la fic-
tion : la diègétisation (de diégèse). Il concerne la rela-
tion entre le film et son spectateur. C‘est la façon dont
le spectateur se construit un monde diégétique en rup-
ture avec la réalité en dehors du cadre. Il consiste
à « effacer » le support, c'est-à-dire l‘écran, de « figu-
rativiser » et trouver un référent concret pour enfin être
« absorbé » par la fiction. La diégètisation est certai-
208
nement responsable de cet effet de la magie du cinéma.
Elle régit le rapport entre le film et son spectateur.
Quant au deuxième processus, il intéresse plutôt
la relation entre l‘énonciateur et l‘œuvre filmique.
C‘est celui de la narrativisation. Tout d‘abord, Odin
distingue entre narrateur et narrativiseur ou « monstra-
teur ». Le premier est celui qui est responsable des ma-
cro-récits (le récit), le deuxième est responsable des
micro-récits que sont les plans. S‘il distingue entre les
deux, c‘est qu‘il se peut que le narrateur ne soit pas
forcément le narrativiseur. Le narrateur établit un para-
digme des forces, met en syntagmes conformément aux
phases attendues du récit (Voir : schéma narratif de
Greimas), alors que la narrativiseur gère les succes-
sions et les transformations l‘intérieur du plan. Odin
distingue aussi, à ce propos, entre trois instances énon-
ciatives dans le film : un narrateur, qu‘on trouve par-
fois dans la personne de l‘auteur du film (ou scénariste)
; un narrativiseur, dont les tâches sont souvent assurées
par le metteur en scène (ou par extension le réalisateur)
; il existe enfin une troisième instance
énonciative : le responsable du discours. Il ne faut
comprendre, par cette distinction, que ces tâches sont
tenues par trois personnes différentes. La notion
d‘instance est immatérielle, il se peut que les trois ins-
tances s‘assimilent chez une seule personne. C‘est le
cas notamment du cinéma d‘auteur, où
l‘auteur/énonciateur du film est responsable à la fois de
la narration, de la narrativité, et du discours.
Le troisième processus « odinien » est celui de la
mise en phase. Ce processus gère la relation affective
209
entre le film et son spectateur dans le cadre de
l‘institution, il permet une homogénéisation des diffé-
rents éléments du film avec le spectateur. Odin dé-
crit ce processus comme étant le « processus qui
me conduit à vibrer au rythme de ce que le film me
donne à voir et à entendre. La mise en phase est une
modalité de la participation affective du spectateur au
film. »2 (Odin 2000 : 38)
Par des opérations psychologiques telles que
l‘identification, ce processus produit une relation film-
spectateur homologue aux relations qui se manifestent
dans la diégèse. Il se peut aussi, qu‘on soit confronté
au cas contraire, en l‘occurrence le déphasage, il est
ressenti généralement dans un certain cas de décalage
dans le langage cinématographique ou son emploi dans
le film. Il se peut que ce déphasage soit volontaire et
soit même considéré comme des marques de style.
Nous pouvons citer à titre exemple le travail Woody
Allen dans La rose pourpre du Caire (1986) où il casse
les lois de la diégèse et l‘effet de l‘histoire pour
s‘adresser directement aux spectateurs, un procédé ins-
piré du théâtre brechtien et des techniques de distancia-
tion.
Limites de la sémio-pragmatique et la nécessi-
té d‘un travail d‘adaptation
L‘approche sémio-pragmatique du film, dont la
visée, nous semble-t-il, est d‘étudier le processus de
communication du film dans sa continuité, est concer-
née, davantage que toutes les autres approches, par ce
travail d‘adaptation. Cela est dû au moins à trois rai-
sons :
Les travaux sémio-pragmatiques sur le film sont
récents dans un champ de recherche quasiment inex-
210
ploité, et par conséquent ils sont encore insuffisants
pour qu‘ils s‘établissent comme cadre théorique des
analyses sémio- pragmatiques du film ; l‘approche sé-
mio-pragmatique est caractérisée par un aspect inter-
disciplinaire, elle puise ses méthodes, ses outils de re-
cherche et ses concepts opératoires des champs d‘étude
voisins en sciences sociales ; et enfin, la sémio-
pragmatique, telle qu‘elle est présentée par Roger
Odin, semble, du moins sur un plan théorique, une ap-
proche partielle dont la portée est extrêmement précise,
alors que dans les faits, elle s‘avère bien plus générale
de ce qu‘elle est en théorie. On peut dire qu‘à force
d‘aspirer à être pragmatique, la théorie de Roger Odin
s‘éloigne pas à pas de la sémiotique. Or, nous enten-
dons par sémio-pragmatique, l‘approche sémiotique
qui étudie le processus de communication signifiante
dans sa continuité.
A cet égard, nous estimons que la sémio-
pragmatique doit envisager le processus de communi-
cation du cinéma comme étant la relation entre un des-
tinateur et un destinataire dans le but de transmettre
une signification ; elle ouvrirait le champ de l‘analyse
sémiotique du film vers des problématiques communi-
cationnelles et contextuelles. C‘est ainsi qu‘elle doit
mettre son objet d‘étude au centre d‘un appareil mé-
thodologique, où différentes, mais complémentaires,
visions et approches se conjuguent et s‘entrecroisent
pour l‘aborder. Un retour à des approches textuelles,
iconique, psychologique, etc. qui complèteraient le
projet sémio- pragmatique d‘Odin, s‘impose afin de
parer à ces limites.
211
Kazdarli Khadidja
Université de Relizane
Le contexte introducteur du discours raconté dans le
rocher de tanios d’Amin Maalouf
Mots clefs : Contexte - Discours – Fonction- Enoncia-
tion – Fonctionnement - Hybridité
Résumé :
Savoir le contexte introducteur du discours narrativisé
dans Le Rocher de Tanios d‘Amine MAALOUF, est
une façon de voir comment est représentée la parole
d‘autrui dans une situation donnée. GERARD Genette
a introduit le concept de « discours narrativisé », ou «
le discours raconté », qui est en fait un discours réduit
et distant, qui ne permet pas de donner des informa-
tions assez claires et complètes sur le contenu des
énoncés présents dans Le Rocher de Tanios. A priori,
démontrer le fonctionnement de ce discours par rapport
aux formes hybrides d‘énonciation nous pose un pro-
blème sérieux quant à la répartition des énoncés puis-
qu‘ils s‘inscrivent dans une double situation
d‘énonciation, ce qui se répercute sur l‘interprétation
du discours émis. Certes, MAALOUF a pris le parti de
développer les degrés intermédiaires, recourant à des
formes hybrides comme le discours rapporté et la po-
lyphonie qui assurent la continuité de la narration, ren-
forcée par l‘omniprésence des séquences où sont im-
pliquées d‘autres voix collectives des différents per-
sonnages de l‘histoire. De plus, nous allons voir la plu-
212
ralité des niveaux de narration développée sur les deux
modes, embrayée et non embrayée, à partir desquelles
sont constituées des strates énonciatives mettant en
scène plusieurs narrateurs qui font jouer ensemble des
points de vue hétérogènes en produisant des énoncés
hybrides suivant des contextes différents. C‘est ainsi
que le discours narrativisé prend place et se répand
dans notre corpus afin de « freiner » le discours des
différents personnages en présentant uniquement un
sorte de résumé de l‘événement ou de l‘acte accompli.
Dans le Rocher de Tanios , les événements de témoi-
gnage se présentent sous forme de propos rapportés par
une multiplicité de voix des personnages qui agissent à
l‘intérieur du roman et qui procèdent à un travail de
polyphonie remarquable, traversé par différentes
formes du discours en style : direct, indirect et indirect
libre, voire même le discours raconté ou narrativisé
comme l‘avait déjà appelé Genette pour qualifier ce
type de discours qui consiste en des paroles entière-
ment transformées en narration et que nous avons con-
sidéré comme étant un procédé générateur d‘une cer-
taine vision esthétique dans le roman en question, vu
que les événements relatés dépendent tous d‘un con-
texte introducteur de ce discours. Or ce contexte
semble être difficile à être cerné au début de chaque
fait raconté. Ce dernier ne s‘agence pas de manière
chronologique : il se trouve marqué par des ruptures et
des coupures énonciatives puis, il surgit ultérieurement
dans le récit, ce qui nous fait perdre l‘idée directrice en
ce qui concerne la trame narrative. Notons aussi que
l‘intrigue est quelque peu complexe et le schéma narra-
tif ne saurait rendre compte de tous ces éléments. C‘est
ce qui explique l‘intérêt que nous portons à l‘étude du
213
discours raconté qui s‘intègre au récit au même titre
que l‘action suivant un contexte introducteur, un cons-
tituant fondamental.
Se pose alors pour nous la question de la représentati-
vité de ce procédé, le mode de fonctionnement et la
signification qui en découle. Le contexte est-il une réa-
lité extérieure à l‘analyse de ce discours où demeure-t-
il un outil méthodologique pour mieux interpréter les
événements racontés dans Le Rocher de Tanios ?1
1. La présentation du discours raconté dans le ré-
cit2:
Le discours raconté est une autre forme du discours
rapporté. Ce dernier, même s‘il est développé, ne cons-
titue pas le seul mode de référence. Il y a d‘autres ma-
nières d‘intégrer la parole d‘autrui dans son énoncé.
GERARD Genette a introduit le concept de « discours
narrativisé »3, ou raconté, qui concerne le discours du
personnage dans le récit et ne consiste pas précisément
en un discours rapporté. « La parole d‘autrui est plutôt
traitée comme un événement parmi d‘autres ». Le nar-
rateur nous donne une simple présentation d‘un som-
maire du contenu de l‘acte rapporté car le discours rap-
porté, présent dans Le Rocher de Tanios, se poursuit
au-delà du parcours narratif. Certes, la présence du nar-
rateur y est constante mais, il n‘arrive tout de même
pas à contrôler les différentes voix qui agissent à
1Manque la référence !
2GENETTE Gérard. Figures III. Edition Du Seuil, 1972. p.190
3 Genette, opus cité, p.191
214
l‘intérieur du roman ; seul, le discours raconté semble «
freiner » le discours des différents personnages en pré-
sentant uniquement un sorte de résumé de l‘événement
ou de l‘acte accompli. Pour mieux saisir le fonction-
nement de ce discours dans notre corpus d‘étude et son
contexte introducteur, nous allons rappeler l‘histoire du
Rocher de Tanios qui remonte aux années mille huit
cent trente lorsque les communautés chrétiennes et mu-
sulmanes cohabitaient en bonne intelligence. Gébrayel,
le vieux du village et le double personnage du narra-
teur, se charge de présenter le cadre de l‘action, nous
communiquant l‘arrivée de Tanios au monde et des
événements qui lui ont succédé. Dans les exemples qui
suivent, nous allons voir que ce narrateur dont la pré-
sence est forte dans le roman nous rapporte non seule-
ment les dires des gens mais il nous donne des détails
très significatifs sur les faits rapportés ainsi que les
gens qui y ont participé. Donc, ce roman s‘ouvre sur un
espace englobant des rochers portant des noms
étranges et parmi lesquels, le rocher de Tanios, rocher
maléfique, seul élément naturel portant un nom
d‘homme et que le narrateur par crainte et méfiance n‘a
jamais abordé. Il nous conte le fabuleux destin d‘un
jeune homme prénommé Tanios qui, déjà à la nais-
sance, était différent des autres puisque il est né de
l‘union illégitime d‘un cheikh du village avec une
femme du même lieu prénommée Lamia.
1. Les actes langagiers du discours raconté :
De par son inscription patente dans la trame roma-
nesque, le discours narrativisé renferme un ensemble
d‘actes langagiers de type variés qui permettent aux
différents actants de décliner leur identité: acte locu-
215
toire, où le personnage de Tanios est là pour prendre la
parole, pour s‘affirmer socialement et politiquement ;
car en grandissant, cet enfant bâtard puis rebelle, de-
vient le déclencheur de conflits familiaux, claniques,
régionaux mettant en jeu toute la complexité du Liban
de l‘époque, qui voit s‘affronter sur son sol les sei-
gneurs et les émirs locaux, les multiples religions et
confessions héritées de toutes les confluences de son
Histoire, l‘empire ottoman déclinant et l‘Egypte de
Mehemet Ali et de son bras droit le Français converti
Joseph Sève, alias Soliman Pacha, et, par ces derniers
interposés, les puissances occidentales et coloniales
rivales.
Le deuxième acte langagier se résume en acte illocu-
toire du moment que Tanios, en apprenant la réalité
amère, commence à changer d‘attitude envers les siens
et, en parlant, il marque son intention d‘accomplir
quelque chose (menace, injure, promesse). Garçon in-
telligent, doué pour les études, il décide d‘aller à
l‘école anglaise jugée par les siens comme étant héré-
tique.
2. Le contexte : environnement discursif :
Son existence au monde va déclencher une suite
d‘événements qui vont profondément transformer le
village de Kfaryabda, un village dans la montagne li-
banaise. En effet, une suite de conflits politico-
religieux auxquels il est mêlé de façon plus ou moins
directe, va enflammer la Montagne : il faut dire que
l'Empire ottoman et l'Egypte se disputent le territoire et
que la France et l‘Angleterre tirent les ficelles en ar-
rière-plan.
216
Révolté contre son père et contre le système féodal
qu‘impose le Cheikh (son père biologique), il se lie à
des forces étrangères. Les Anglais tentent d‘assurer
leur hégémonie sur la contrée en la cultivant de
l‘intérieur : ils ouvrent des écoles dans le pays. Par un
concours de circonstances, Tanios aura la chance de
suivre les cours du révérend Stolton. Je dis bien « la
chance », parce que ce dernier lui apprend moins la
culture occidentale que la tolérance et l‘ouverture sur le
monde. Ce professeur anglais deviendra son père spiri-
tuel. Bien entendu le roman se prête à l‘interprétation
et à certains rapprochements. L‘auteur lui-même a ac-
cepté le jeu : « C'est vrai que c'est l'histoire d'un per-
sonnage, Tanios, qui se sent de plus en plus étranger au
milieu des siens, qui n'arrive pas à accepter la montée
de la violence, qui refuse d'entrer dans la logique de la
vengeance, qui ne veut même pas se venger de ceux
qui ont tué son père, et qui peu à peu se sent en
quelque sorte poussé vers la sortie. Il y a là une para-
bole, une évocation de ceux qui, comme Amin Maa-
louf, ont refusé cette guerre, ont refusé d'avoir du sang
sur les mains, ont refusé de prendre part à un conflit où
il fallait tuer, et qui ont préféré partir.
Acte perlocutoire, où par la parole, nous assistons à
l‘accomplissement d‘une autre action qui participera au
déroulement de l‘histoire lorsque le meurtre du pa-
triarche sera commis par son père. Il est alors obligé de
s‘exiler à Chypre avec lui pour ne pas le laisser tomber.
En fin de parcours, notons que ce voyage romanesque
où se mêlent l‘histoire et la légende, la révolte et la
quête identitaire, aboutit inévitablement à la disparition
217
étrange de Tanios sur un rocher mystérieux redouté par
tout le monde.
3. Le contexte politique :
Pour Tanios, le moyen de s‘affranchir, de comprendre
sa condition, passe par le biais de l‘école. Cette der-
nière fonctionne comme un opérateur de transforma-
tion et de libération. Le savoir qu‘elle dispense assure
le passage de l‘instance de la dénégation à l‘instance de
l‘affirmation. Aller à l‘école signifie pour notre héros
une quête, celle d‘un nouveau statut. Par son acte, le
fils de Lamia change son rapport d‘exclusion avec le
monde en rapport d‘inclusion. Par cet acte, il fait
preuve de révolte opérant ainsi une évolution (bizarre
comme phrase). Les exemples suivants nous servent
d‘illustration :
« [….], à présent, il le comprenait parfaitement, il sa-
vait pourquoi le patriarche réagissait ainsi. Il compre-
nait aussi l‘attitude du cheikh et celle des villageois. Et
il la partageait. Ne serait-ce que pour une raison :
L‘école. A ses yeux, c‘était ce qui comptait plus que
tout. Il étudiait avec acharnement, avec rage, il aspirait
comme une éponge sèche chaque bribe de savoir, il ne
voulait rien voir d‘autre que cette passerelle entre lui,
Tanios, et le reste de l‘univers. Pour cette raison, il se
retrouverait du côté des villageois, du côté du cheikh,
contre tous les ennemis du village, contre l‘émir, contre
le patriarche….Il épousait toutes les causes présentes et
passées. […..] . Il désirait bien, quant à lui, abolir les
privilèges féodaux du cheikh, et il n‘avait certainement
pas envie de se retrouver quinze ans plus tard, en train
d‘aider Raad à se déchausser…Mais dans l‘épreuve de
force qui se déroulait, il savait parfaitement de quel
218
côté il se trouvait, et quels vœux il voulait voir exau-
cés.» p.p 108.109
« Cette école était tout son espoir pour l‘avenir, toute
sa joie, il ne vivait que pour elle. C‘est l‘école du pas-
teur qui l‘avait réconcilié avec sa famille, avec le châ-
teau, avec le village, avec lui-même, avec sa naissance.
» p.123
A travers ces exemples, nous remarquons que ce n‘est
pas une guerre de conquête que mène Tanios, mais un
combat pour la renaissance des peuples d‘Orient, no-
tamment le peuple libanais contemporain, à l‘identité
déchirée, écartelée entre l‘Orient et l‘Occident. Pour ce
personnage, l‘école anglaise est un lieu
d‘affranchissement et de liberté même si elle est jugée
par les siens comme étant hérétique.
« On lui rappela que pour cette population en grande
majorité catholique, l‘Anglais était avant tout un héré-
tique. »p.106
« Je parle de l‘école anglaise, foyer d‘hérésie et de dé-
pravation. Tous les matins, tu vas dans la maison du
Satan, et tu ne le sais pas. »p.115
« Retirer Tanios de l‘école du curé, son beau frère,
pour l‘envoyer chez cet anglais, et encourir les foudres
de l‘église, il ne le ferait pas de gaieté de cœur. » p.101
Donc, cette école, même si elle soutient une hérésie,
c'est-à-dire une doctrine d‘origine chrétienne contraire
à la foi catholique, condamnée par l‘église et jugée
aberrante par rapport aux idées et conceptions déjà ad-
mises, elle demeure pour Tanios, le symbole de mo-
dernisation, d‘ordre et de dignité. Cette école lui a aus-
si permis de s‘affirmer socialement, de sortir de
219
l‘espace clos dans lequel il a vécu. Cet espace repré-
senté par le village qui est en fait, à l‘image d‘un pays
au destin tragique, cherchant sa stabilité entre les aspi-
rations orientales et occidentales, d‘où le recours au
changement immédiat au lieu de rester enfoui dans
l‘absurdité des conflits identitaire et religieux.
3.1Le contexte historique :
A priori, le narrateur fait appel au discours narrativisé
qui consiste en un discours réduit et distant qui ne
permet pas de donner des informations complètes sur
le contenu des énoncés, comme c‘est le cas de
l‘exemple suivant :
« Il l‘installa donc à sa place d‘honneur, lui proposa du
café et du confiseries, lui parla du passé, de son conflit
avec le cheikh, évoquant le harcèlement que ce dernier
avait fait subir à son épouse, sa malheureuse épouse
qui était morte depuis, dans la fleur de son âge, peu
après la naissance de leur unique fille Asma, que Rou-
koz fit venir pour la lui présenter, et que Tanios serra
contre lui comme les grandes personnes embrassent les
enfants. » p. 81
Cette phrase est formulée par le narrateur du roman.
Les paroles de Roukoz adressées à Tanios ne sont pas
restituées littéralement, pas plus qu‘elles ne sont trans-
posées. Il n‘y a pas de reproduction, ni de reformula-
tion, mais simplement une information sur la teneur
des propos tenus.
De plus, le discours narrativisé ou raconté, est l‘état le
plus distant, le plus réducteur et qui laisse parfois le
lecteur perplexe devant les faits rapportés sans qu‘il ait
des anticipations sur le contexte introducteur. (Trop de
répétitions)
220
« Et quand, devant elle, on parlait de lui, ce qui arrivait
à toute heure de la journée, les paroles avaient une
autre résonance dans sa tête ; certaines l‘irritaient,
d‘autres la réjouissaient ou l‘inquiétaient, aucune ne la
laissait indifférente ; elle avait cessé de prendre les ra-
gots pour ce qu‘ils étaient, une manière de tromper
l‘ennui. Et, elle n‘avait plus jamais envie d‘apporter
son propre grain de sel. » p.33
Dans cet exemple, on nous montre une simple présen-
tation d‘un sommaire du contenu de l‘acte rapporté. Le
narrateur fait recours à ce type de discours car, le dis-
cours rapporté se poursuit au-delà du parcours narratif
que l‘on avait imaginé au départ. Certes, la présence du
narrateur y est très constante mais il n‘arrive tout de
même pas à contrôler les différentes voix qui agissent à
l‘intérieur du roman ; seul, le discours narrativisé
semble « freiner » le discours des différents person-
nages en présentant uniquement un sorte de résumé de
l‘événement ou de l‘acte accompli. (Répétition !)
Par ailleurs, lors de notre analyse, nous avons remarqué
que l‘énoncé pourrait être encore plus bref et plus
proche de l‘événement pur. L‘énoncé pourrait être ré-
duit en une phrase simple mais qui en dit long :
« [….]. Je ne mangerai plus de pain. »p.125
« Tanios va se tuer ! »p.171
« Bayyé ! Restons ensemble toi et moi. Cette fois, tu as
choisi d‘être de mon côté et je ne te laisserai plus re-
partir chez le cheikh ! » p.174
Si nous consultons des ouvrages de l‘Histoire, nous
devons affirmer l‘exactitude du contexte historique dé-
crit par l‘auteur et ajouter quelques mots sur l‘émir li-
banais qui figure ensuite comme un des personnages
du récit : « l‘émir n‘hésitera pas [...] à s‘allier à Mo-
221
hammed Ali, pacha d‘Égypte, qui conquiert la Syrie, la
Palestine et le Liban. Craignant la colère du pacha de
Saint-Jean-d‘Acre, puis celle du pacha de Damas,
l‘émir dut s‘exiler deux fois, en 1799 puis en 1822-
1823. Un débarquement de troupes anglo-turques en
1840 l‘obligea à un exil définitif le 13 octobre de cette
année-là1. »( Corm 2005 : 77-78). Et dans notre récit
romanesque, c‘est justement Tanios qui est choisi par
des représentants des puissances, ayant dans cette an-
née 1840 leurs flottes devant les portes de Beyrouth,
pour leur faire l‘interprète auprès de l‘émir et c‘est
alors de la bouche de ce garçon de dix-neuf ans que
l‘émir apprend d‘être obligé à s‘exiler.
En revanche, les paroles prononcées relèvent des pen-
sées des personnages. Ainsi, le récit du débat intérieur
qui mène à ces décisions prises dans les exemples cités
ci- dessus, se développe très longuement de ce qu‘on
peut considérer comme un récit de pensées ou discours
intérieur narrativisé. Lorsque Tanios déclare à ses pa-
rents sa première décision de ne plus manger de pain,
quand il lui a été interdit d‘aller à l‘école catholique, et
sa deuxième décision de se faire tuer s‘il n‘arrive pas à
épouser Asma, il n‘y a pas entre l‘énoncé présent dans
le texte et la phrase censément prononcée par le héros,
d‘autre différence que celle qui tienne de l‘oral à
l‘écrit. Autrement dit, le narrateur ne raconte pas la
phrase du héros, on a peine à dire qu‘il l‘imite : il la
recopie. Ceci nous ramène à dire que le discours racon-
té est traité comme un événement parmi d‘autres et as-
sumé comme tel par le narrateur lui-même et, ce qui
1 Georges Corm, Le Liban contemporain. Histoire et société, Paris, La
Découverte 2005 (Edition actualisée), pp. 77-78.
222
était dans l‘original paroles, gestes, attitudes et état
d‘âme devient un acte. Ainsi, les pensées et les senti-
ments ne sont rien d‘autres que des discours, sauf lors-
que le narrateur entreprend de les réduire en événe-
ments et de les raconter comme tels. Encore faudrait-il
ajouter que l‘importance accordée au discours narrati-
visé de la page 142 jusqu'à 143 suggère que l‘auteur ne
s‘intéresse pas tant au contenu du discours théologique
qu‘il escamote et passe sous silence, qu‘aux interac-
tions verbales. L‘exemple suivant en témoigne :
« A les entendre, ce n‘était pas une guerre de conquête
qu‘il menaient mais un combat pour la renaissance des
peuples d‘orient. Ils parlaient de modernisation,
d‘équité, d‘ordre et de dignité.
Le garçon fut aussi impressionné quand le comman-
dant promit de mettre fin à toute discrimination entre
communautés religieuses et d‘abolir tous les privilèges.
A ce point du discours, Roukoz leva sa coupe à la santé
des officiers, à la victoire de leur maître. [….], de plu-
mer la moustache du cheikh en guise de contribution à
l‘abolition des privilèges.
Tanios n‘eut aucun scrupule à boire une rasade d‘arak
en imaginant la scène, il aurait volontiers ajouté la bar-
biche de Raad. » p.143
A l‘instar de l‘exemple donné, le romancier fait porter
l‘attention du lecteur davantage sur les réactions du
personnage de Tanios, « il aurait volontiers ajouté la
barbiche de Raad », « de plumer la moustache du
cheikh » que sur le discours lui-même qu‘il ne rapporte
pas. On note à cet effet une proposition subordonnée
temporelle « quand » qui établit un rapport de simulta-
néité avec « le garçon fut aussi impressionné », et qui
223
trahit l‘intolérance de Tanios et de Roukoz qui réagis-
sent avec ironie sans attendre la totalité du discours.
Ainsi, le soldat qui venait de faire un long discours
reste moqué des deux personnages en question sans
comprendre à quoi rimait leur réaction moqueuse. Aus-
si, les différences sur le fond du discours théologique
sont occultées par Maalouf, et, seule demeure la réac-
tion négative des auditeurs. La parole de l‘officier
tourne à vide, ne valant finalement même plus la peine
d‘être restituée sous la forme du discours direct ou in-
direct.
Enfin, le contexte introducteur du discours raconté est
une stratégie narrative qui aide à ancrer la fiction dans
la réalité. En plus, cela permet de souligner certains
phénomènes intemporels, ici par exemple la position
problématique d‘un petit pays enserré par des puis-
sances ou les difficultés de la cohabitation de plusieurs
communautés religieuses. En outre, le recours au dis-
cours raconté comme un simple sommaire, semble ap-
porter la solution au romancier de mettre fin aux diffé-
rentes interventions des personnages qui rentrent dans
un jeu pris dans une structure dialogique qui se traduit
au niveau de l‘écriture par une polyphonie de voix,
voire une « cacophonie1 » pour reprendre l‘expression
de Jean Yve TADIER. ( Tadier 1990 :17). Cette « ca-
cophonie » qui n‘est pas mal ressentie puisqu‘elle
n‘entrave pas le mouvement linéaire du récit, permet-
tant ainsi au romancier de combiner d‘une manière
spécifique la voix du narrateur et celle de ses person-
nages. Ensuite, nous avons montré que le narrateur pa- 1 Jean Yves, TADIER, De la polyphonie à la cacophonie, Paris, Belfond. p. 17
224
raissait comme un « chercheur » de la vérité, il se sou-
ciait de l‘objectivité, il faisait des justifications et des
vérifications des choses racontées pour provoquer le
sentiment d‘authenticité.
Nous avons révélé quels moyens Amin Maalouf utilise
pour convaincre le lecteur que son histoire est véri-
dique. Maintenant, nous nous demandons pourquoi il
fait un tel effort. Une solution se propose : il a opté
pour un roman « hyperréaliste » parce qu‘on vit dans
l‘époque « hyper soupçonneuse ». Il avait besoin
d‘apaiser la raison critique et le scepticisme de
l‘homme moderne pour pouvoir transmettre son mes-
sage sur l‘Orient et sur sa propre identité. Car dans la
disparition de Tanios nous voyons un parallèle avec le
départ de Maalouf du Liban.
C‘est ainsi qu‘Amine MAALOUF ressuscite le passé
du Liban déchiré par la guerre civile, tentant de conci-
lier vérité et représentation. Par la mise en scène du
passé, l‘auteur prend un autre acte d‘énonciation à par-
tir duquel les personnages et les événements histo-
riques sont, non seulement mêlés à la fiction, mais
jouent un rôle essentiel dans le déroulement du récit.
Ce dernier se trouve envahi par différentes formes de
discours auxquelles l‘auteur fait recours afin de nous
éclairer sur la réalité des choses et inscrit sa propre fic-
tion dans le patrimoine culturel, ancestral en interpel-
lant la légende populaire qui s‘associe au récit my-
thique et fabuleux qu‘est Le Rocher de Tanios.
Au personnage premier, s‘ajoute un second, qui s‘en
adjoint un troisième. Les trois sont dominés par le ro-
mancier, organisateur du texte qui est offert à la lec-
ture. En identifiant les diverses voix, et en observant la
225
manière dont ces dernières sont mises en scène, nous
pourrions identifier le statut social des sujets
d‘énonciation
4. Le contexte révélateur du statut social des sujets
d’énonciation :
Dans ce roman, la première instance narratrice de base
qui était concrétisée par le personnage du grand-père
avait légué la parole à des instances projetées basées
sur la voix de quatre narrateurs principaux : Gébrayel
(le narrateur témoin), le moine Elias (un habitant du
village de Kfaryabda), le pasteur Stolton (fondateur
d‘une école anglaise) et enfin Nader (un sage muletier).
Ces narrateurs détiennent dans Le Rocher de Tanios
des fonctions différentes.
Il est à noter que chaque narrateur est doté d‘une fonc-
tion différente de l‘autre. D‘autant plus que plusieurs
voix sont mises en scène, mais ces différentes voix
n‘agissent pas de la même manière. Il y a des narra-
teurs qui effacent les traces de leur inscription, rappor-
tant les événements sur le mode de la narration non
embrayée, tout en restant des témoins invisibles des
faits narrés, tandis que d‘autres ne quittent pas la sur-
face du récit, préférant porter des jugement de valeur,
dire la réalité des choses telle qu‘elle se présentent et
commencent à narrer sur le mode embrayé.
D‘un abord peut-être difficile, notre roman obéit à un
principe de construction complexe que nous pouvons
difficilement mettre en évidence : il y a délégation pro-
gressive de la voix dominante, celle du narrateur- té-
moin, puisque l‘évocation successive de chaque per-
226
sonnage ou groupe de personnages entraîne une réfé-
rence à ses propos, soit sous la forme de citations clai-
rement présentées comme telles, soit de façon impli-
cite. Aussi convient-il dans un premier temps
d‘observer dans le détail le fonctionnement dialogique
du texte, ainsi que les formes citationnelles. Gébrayel,
à qui la parole était cédée vieux ( ?) se charge de nous
raconter l‘histoire de Tanios, sa venue au monde, des
événements qui ? ont succédés. Dans les exemples qui
suivent, nous allons voir que ce narrateur dont la pré-
sence est forte dans le roman nous rapporte non seule-
ment les dires des gens mais il nous donne des détails
très significatifs sur les faits rapportés ainsi que les
gens qui y ont participé.
« Si les explications que je viens de fournir sem-
blent nécessaires aujourd’hui, les villageois de
l’époque n’en auraient pas eu besoin. Pas un seul
parmi eux n’aurait jugé anodin que le cheikh pût
donner à l’enfant de Lamia le prénom le plus
prestigieux de sa propre lignée. Gérios croyait
déjà entendre l’immense ricanement qui allait se-
couer Kfaryabda ! Où donc pourrait-il cacher sa
honte ? En se levant de table pour aller voir
l’enfant, il n’avait rien d’un père heureux et fier,
sa moustache paraissait défaite, c’est à peine s’il
put marcher droit jusqu’à la chambre où Lamia
somnolait.»p.49
« L’endroit où se tenait l’enfant de Lamia quand
cet incident a eu lieu, je pourrais le désigner avec
227
exactitude. Les lieux ont peu changé. La grand-
place a gardé le même aspect et la même appella-
tion, « Blata », qui veut dire « dalle ». On ne se
donne pas rendez-vous « sur la place », mais «sur
la dalle» p.71
Les propos de Gébrayel se constituent en paroles indi-
cibles, suscitant l‘investissement du lecteur. Les ex-
pressions, « n‘aurait jugé anodin », « l‘immense rica-
nement », « rien d‘un père fier », « moustache défaite
», laisse déjà entendre que Tanios est un enfant illégi-
time, mais sans que le narrateur témoin ne le dise ou-
vertement. Aussi, en parlant, il dit de Gérios:
« Il était, comme on dit au village de ceux qui ne
rient pas en présence d’un pain chaud. ». Du
coup, on le jugeait sournois et hautain. On lui
manifestait de l’hostilité même. [….]. « Il ne sait
faire ni le bien ni le mal », se contentait-on de
dire avec une parfaite mauvaise foi. » p. 27
« Lamia avait seize ans, et lorsqu’elle pleurait,
deux fossettes se creusaient au milieu de ses joues
comme pour recueillir ses larmes.[….]. «Et plus
belle encore ! La plus belle des femmes ! Gra-
cieuse de la nuque aux chevilles. Ses mains
longues et fines, ses cheveux si noirs qui tom-
baient lisses jusqu’au milieu du dos, ses grand
yeux maternels et sa voix affectueuse. Sa peau
était rosâtre et si douce que tous les hommes rê-
vaient de la frôler ne fût-ce que du revers des
doigts. Sa robe s’ouvrait jusqu’aux marches du
crucifix, et plus loin encore. Les femmes de ce
temps là se dévoilaient sans le moindre soupçon
228
d’indécence, et Lamia laissait paraître une face
entière de chaque sein. Sur ces collines- là
j’aurais posé ma tête chaque nuit….. » p. 36
Dans ces exemples, le narrateur rapporte d‘abord au
discours direct les propos des gens concernant le per-
sonnage de Gérios à savoir que l‘ensemble du fragment
est assumé par le narrateur témoin. Les deux autres
exemples cités se présentent comme la suite d‘un récit
à l‘imparfait, assumé toujours par ce narrateur qui va
gommer progressivement les limites entre énoncia-
teurs. Le narrateur inscrit ses évaluations dans le récit
par sa manière de se référer à un personnage. Autant de
désignations qui impliquent un jugement de valeur du
narrateur sur son personnage alors même que l‘énoncé
relève du récit. Ainsi, les expressions « mauvaise foi »,
« sournois », « hautain », « et plus belle encore ! La
plus belle des femmes ! », « Yeux maternels », impli-
quent les sentiments du narrateur- témoin envers ces
personnages. Les désignations concernant Lamia, im-
pliquent une relation affective à valeur subjective.
Enfin, au cours de cette analyse nous avons remarqué
des séquences au discours raconté qui, lui dépend de
l‘instance narrative, et permet au narrateur de manipu-
ler à sa guise l‘énoncé linguistique, de par l‘emploi des
modalisateurs pour en faire un commentaire beaucoup
plus didactique. A cela, s‘ajoute la fonction poétique
qui donne une forme esthétique à l‘œuvre où le lecteur
se trouve entraîné dans un labyrinthe où les deux ins-
tances qui relèvent du discours citant et du discours
cité se trouvent confondues, de par l‘emploi du dis-
cours polyphonique, ce qui nous oblige à rester collés
229
au texte faisant toujours appel à la fonction référen-
tielle qui nous renseigne sur le moment du discours qui
a été tenu et dans quelles circonstances il a eu lieu.
230
HAOUAM Leïla
Laboratooire L.O.A.P.L.
Communiquer analyser le rôle du contexte dans
l’interprétation du vêtement
Au-delà de sa fonction de « couvrir », le vêtement,
ou l‘accessoire est porteur d‘une idée, d‘un message,
tout comme un texte littéraire ou un discours orale et
ou écrit. Le vêtement et l‘accessoire (bijou ou maquil-
lage) fonctionnant comme une langue non verbale par
signes basés sur la signification capable de communi-
quer et d‘exprimer des idées et de transmettre des in-
formations sur leur porteur d‘une façon intentionnelle
ou non et peuvent aussi changer de sens selon le con-
texte spatio-temporel.
1.1. Le vêtement et ses fonctions communicatives à
travers l‘espace et le temps : Depuis toujours les
premières impressions évoquées entre les hu-
mains sont celles traduites par le code de
l’apparence, celui du vêtement et celui de l’habit,
sans établir un contact oral ou mimo-gestuel.
Le vêtement a plusieurs fonctions : la première et la
principale est de protéger le corps et de dissimuler ses
parties intimes, la seconde est celle de manifester la
distinction entre les individus révélant à la même occa-
sion l‘identité d‘un groupe ou l‘appartenance idéolo-
gique, exprimant également la valeur esthétique d‘une
culture.
231
Le vêtement est aussi un indicateur très significatif
pour situer les niveaux de classes ou de cultures, il est
aussi une première image parlant de nous à notre envi-
ronnement social au quotidien. Et peut aller même plus
loin ; relatant le passé et l‘histoire d‘un peuple à travers
un rapport de ressemblance entre les costumes (coupe,
couleur…) de deux peuples distincts mis en relation
par des circonstances historiques ou pour des raisons
commerciales entre autre.
Bref il est un REVELATEUR.
Roland Barthes dit sur le vêtement dans (système de
la mode éditions du Seuil, Paris, 1967) :
« Un vêtement peut signifier parce qu’il est :
1) Nommé : C’est l’assertion d’espèce. (L‘identité le
groupe)
2) Porté : C’est l’assertion d’existence.
3) Vrais (ou faux) : C’est l’artifice.
4) Accentué : C’est la marque. (L‘empreinte, la trace)
Ces quatre variantes ont ceci de commun, qu’elles font
l’identité du vêtement ou son sens même. »
Nous allons analyser l‘aptitude communicative du
vêtement réel porté au quotidien et de l‘accessoire al-
gérien et leurs évolutions en tant que signe à travers les
contextes spatio-temporels.
Comment fonctionne le processus communicatif
du vêtement ou d’un objet pour produire une in-
formation?
232
2.1 Le processus d’identification et de signification :
D‘après les études les réalisées sur le signe Réalisé
grâce au système de signification Saussurien :
a. Le signifiant : C‘est l‘aspect sensible du signe,
celui qui tombe sous les sens.
b. Le signifié : C‘est la représentation mentale
qu‘un individu se fait du référent au contact du
signifiant.
c. La signification : C‘est le lien logique permanent
unissant le signifiant et le signifié, elle est une
sorte de champ sémantique produit par le signe
dans l‘esprit. Il existe deux types de signification
une dénotative et une autre connotative, conven-
tionnée par des règles sociales ou par habitude
(d‘usage), dont le caractère essentielle est
d‘exister, de désigner ou de signifier quelque
chose d‘abstrait ou de concret. Dans le cas du
vêtement ou une de ses pièces, il communique
par signification d‘une origine, d‘une catégorie
sociale ou un métier.
a. La connotation : Se manifeste à travers la
texture ou la couleur par exemple le velours
SENS = SIGNIFIANT + SI-
GNIFIE
233
rouge désigne et indique la classe royale si-
gnifiant ainsi la richesse du personnage.
b. La dénotation : Se manifeste dans la totalité
du costume elle peut désigner un métier
comme l‘uniforme ou une origine.
3.1 Tableau N° 1 : Le système de signification
U. Eco rejoint l‘idée de R. Barthes que tout objet a
deux fonctions une principale celle de l‘usage et une
deuxième celle de la signification et de la communica-
tion.
R.BARTHES développe cette idée qu‘il appelle " la
fonction-signe " dans (l‘aventure sémiologique, Édi-
tions du Seuil, Paris, Octobre 1985, D.L. Février 1991
N° 12 570-2 (12214), Photo Adossant © sygma collec-
tion : point essais) où il explique que cette fonction-
signe, témoignant d‘un double mouvement du sens de
l‘objet artificiel comme systèmes sémiologiques de-
mandant une analyse basée sur deux dimensions : Une
analyse en tant qu‘objet utile ou outil destiné à un
usage précis "la fonction primaire" et une analyse en
tant que moyen remplissant une autre fonction (com-
municative) "la fonction seconde" ou "La fonction
La signification
Le signifiant Le signifié
Le vêtement Le sens social
234
mixte" que la société attribue aux objets tel que le vê-
tement.
Donc dans ce cas il sera situé dans un contexte
social par l’interprète.
Umberto Eco classe des signes "les signes mixtes ou
les signes à double fonction" en deux catégories ces
signes sémiologiques d‘origine utilitaire et fonction-
nelle en : Classe Naturelles et classe Artificielles :
Dans les signes artificiels, il dégage trois fonctions
(fonction primaire, fonction seconde et fonction mixte).
Quant à C.S. Pierce explique que le processus de si-
gnification et de communication est un phénomène
cognitif : le signe représente quelque chose qu‘il
évoque à titre de substitut dans un contexte culturel
donné, cette représentation n‘est d‘autre qu‘une "cons-
truction mentale" le résultat d‘une activité psychique,
pour lui le signe n‘est pas l‘objet car l‘élément
d‘expression du signe lui-même (son, couleur, ou
forme) conçu comme une représentation matériel. Mais
dans sa théorie pragmatique qu‘il élabore -une des trois
principes généraux après le principe générale et le
principe triadique- sur les quels reposent la théorie sé-
miotique Peircienne. Dans le principe pragmatique C.
S. Peirce prend en considération le contexte de produc-
tion et de réception des signes et définit le signe par
son action sur l'interprète. Donc Hors pays ou contexte
le vêtement ou l‘ornement perd son sens significatif
d‘origine et devient un indice ou un signe identificateur
d‘origine.
235
3.1 Exemples 1 :
Nous avons choisi quelques pièces significatives
dans différent contexte du vêtement du bijou et du
maquillage algérien parmi d’autres que nous avons
étudiés :
3.1.1 La coiffe algérienne pour les femmes et les
hommes :
La coiffe algérienne pour les femmes et les
hommes
a. Le signe de la coiffe dans la culture arabe et al-
gérienne : Elle est un signe de type dénotatif car
elle peut indiquer l‘origine, l‘âge ou la classe de
son porteur. Dans la culture Arabe elle est un signe
de sagesse et de responsabilité ainsi que de distinc-
tion au sain de la société et à l‘intérieur de la fa-
mille.
Figure 1 Figure 2
236
b. Les fonctions de la coiffe dans la culture arabe
et algérienne : La fonction première des coiffes en
générale est de protéger la tête. Mais sa multiplici-
té et sa variété en model ainsi que le contexte pour
le quel ou dans le quel elle est portée lui attribue
une deuxième fonction celle de la distinction et du
repérage tel que des origines (béret du Français,
chéchia et le chèche de l‘Arabe, le chapeau melon
de l‘Anglais, le turban de l‘Indien…etc.), des
classes sociales (la casquette de l‘ouvrier, le cha-
peau du bourgeois), idéologique religieux ( le voile
«Islamique » (femme), la calotte de
l‘Israélite…etc) et des fonctions professionnel
(casque du pompier, couronne du roi, toque du cui-
sinier…), on pourrait dire qu‘il s‘agit d‘un langage
des coiffes portant des significations communi-
quant un message et une information.
Elle communique le sens de la sagesse et de la res-
ponsabilité et apporte à son porteur le respect et la
dignité qu‘il mérite par autrui.
Tableau N° 2 : Significations de la coiffe arabe
Significations de la coiffe arabe et ligérienne
Signifiant Signifié
La coiffe Sagesse, responsabilité, distinction
sociale et familial.
237
TaTableau N° 3 :
Classification de Umberto Eco
Classe Fonction 1 Fonction 2
Un signe artificiel,
explicite et signifi-
catif à émission
consciente et inten-
tionnel par
l’homme.
Protéger
La
tête
Distinction so-
ciale. Apporte à
respect et la di-
gnité qu’il mé-
rite par autrui.
Voici différents contextes et situation où le sens du
signe de la coiffe change :
A. La coiffe algérienne pour homme :
Situation 1 : Le turban dans sa fonction identifi-
catrice d’origine : Pour les régions rurales, voir
un homme en chèche ou en turban mérite des
gestes de respect par son entourage mais hors ce
contexte spatiale l’effet magique de ce turban
disparait son porteur ne perçoit plus ces gestes
de respect aux quel il s’ai habité, nous retrou-
vons alors deux interprétations du turban déno-
tés à travers deux points de vue différents : celui
de la gente citadine ne voyant que la seconde
fonction du chèche qu’il modifie :
l’identification. Et celui du bédouin voyant les
deux fonctions (fonction1 et fonction2) de sa
coiffure en action.
238
La coiffe algérienne pour home
Tableau N° 5: Calcification et fonctions du TURBAN
ou du CHECHE selon son contexte spatial
Le TURBAN ou le CHECHE
Point
de vue
Classe Fonction
1 d’usage
Fonction 2
significative
Signe
mixte
Point
de vue
du ci-
tadin
Signe
artifi-
ciel
Commu-
nique
l‘identificati
on
du bédouin.
Point
de vue
du bé-
douin
Protec-
tion de la
tête et du
visage
contre
les coups
de soleil,
cache
nez
contre
Informe sur
l‘origine de
son porteur
(arabe, no-
made ou bé-
douin, indou
ou autre…)
dans le cas
de classe,
distinction
F1+ F2
Protec-
tion et
Distinc-
tion so-
ciale et
d‘origine.
Figures 3
239
les vents
de sable,
filtrer
l‘eau des
impure-
tés, rai-
son pour
laquelle
sa cou-
leur est
blanche.
des classes,
des âges, et
tribales ainsi
que régio-
nale.
Situation 2 : Le signe du chèche ou le turban dans sa
fonction de distinction d‘âge, dans les régions bé-
douines, le turban est porté à l‘adolescence pour sensi-
biliser le jeune à la responsabilité et à son nouveau sta-
tut familiale lui dictant certaines responsabilités et
conduites aux quelles il doit se tenir, le turban de
l‘adolescent porte également un message à autrui signi-
fiant que ce jeune est devenu "un homme". Dans ce cas
nous retrouvons juste la deuxième fonction du signe du
turban celle d‘une distinction d‘âge, d‘identifier et
d‘informer.
Le chèche ou le turban dans sa fonction de dis-
tinction d’âge
Figure 6
240
Situation 3 : Le signe du turban chez les Touarègues
Dans ce contexte la coiffe ne change pas seulement de
signification mais change de nom aussi le turban est dit
Tagoulmoust, se divise en deux celle pour les hommes
adulte et celle pour les jeunes. Chez certaines tribus
touareg, l‘homme ne se couvre pas la tête vieux ou
jeune soit-il, sauf s‘il a la teigne (maladie capillaire) ou
qu‘il soit chauve, ces deux cas sont tenues de se cou-
vrir entièrement la tête. Donc la coiffe dans ce cas
fonctionne comme un indice d‘état de santé. Selon la
classification d‘U. Eco le turban Touarègue appartient
à la deuxième classe des signes les signes artificiels
significatifs, explicitant un message intentionnel par le
porteur communicant ainsi qu‘il est chauve ou tei-
gneux. La coiffe dans ce cas remplit la fonction se-
conde car sont port est pour but d‘informer un état de
santé. « Dans certains cas, la fonction seconde prévaut
ainsi au point d’atténuer ou d’éliminer entièrement la
fonction primaire » Eco.
Pour d‘autres tribus, la principale fonction de ce voile
de tête dit "Tagoulmoust" constitue la pièce maîtresse
du vêtement de l‘homme targui portant un sens honori-
fique, « Le voile de front et de bouche et le pantalon
sont les vêtements distinctifs de l’homme (…) ; ôter son
voile de tête et de bouche, jeter son voile (…), ôter son
Figure 7
241
pantalon sont des expressions qui signifient être dés-
honoré.» Charles de Foucauld. Devant une personne
âgée, un jeune homme ne découvre jamais son visage
par respect, une fente d‘où brillent deux yeux et intro-
duit le verre de thé sous le voile sans découvrir sa
bouche. Ce le voile protège des muqueuses du vent,
mais plus encore, soustrait les orifices faciaux aux as-
sauts des génies dangereux.
Le signe du turban chez les Touarègues
Donc il est honteux pour l‘homme Touareg de se dé-
voiler en public, le voile de tête pour le targui est un
Figure 8
Figure 9
Figure 10
Figure 11
242
signe d‘honneur. Dans la classification d‘U. Eco la
coiffe Touareg fonctionne comme un objet significatif
pour l‘unique fonction qui est celle d‘indiquer que son
porteur et une personne honorable :
Tableau N° 6 : Le signe turban touareg dit Tagoul-
moust
Le signe du turban touareg dit Tagoulmoust
Signifiant Signifié
Tagoulmoust Un signe d’honneur
Le turban Targui est riche en couleurs (rouge, jaune,
vert, blanc, noir…) et texture aussi dont deux couleurs
à signification spéciale : le turban blanc est porté pour
communiquer et exiger le respect, dans un jour particu-
lier. Le chèche indigo en lin souvent avec un tissage
complexe. Ce chèche est porté les jours de fête et les
jours de froid car il est plus chaud que le chèche en co-
ton. Sa teinture souvent à base d‘indigo dit (NILA) en
Arabe tend à déteindre sur la peau, donnant au Targui
le surnom « d’homme bleu ».
En langue tamasheq, selon les tribus, il prend aussi
parfois le nom de Tagoulmoust ou de litham. Les
jeunes mettent sur leur tête une sorte de coussinet
nommé "atenkerir" dont une autre dénomination est
"tadabânat" dont la fonction est d‘assurer une bonne
position au voile de tête. Les hommes âgés ne mettent
pas ce coussinet (une récente mode est venue de l‘Ayr).
Parmi les jeunes, il y en a qui se tressent les cheveux,
d‘autres les portent en crête. Les personnes âgées ont
parfois les cheveux en crête. Mais la plupart se rasent
complètement la tête.
243
Situation 4 : Le tarbouche : ajouté au mode vestimen-
taire algérien le tarbouche sort de son cadre ordinaire
turc à travers trois contextes différents et devient une
pièce significative ; un signe de type sociale et même
historique et un accessoire féminin.
Le Tarbouche Turc, hérité des Turcs est devenu la
deuxième coiffe masculine à porter seul ou avec le
turban (coiffe d’origine).
A l‘époque turque la coiffe masculine algérienne
s‘attribue le tarbouche comme coiffe officielle de la
souche sociale noble et des jeunes intellectuels (étu-
diants, journalistes, musiciens et hommes de culture…)
Le tarbouche porté en Algérie époque coloniale
française
Figure 12 Figure 13 Figure 14
Figure 15 Figure 16
244
et celle des hommes de la haute classe algérienne ayant
des relations d‘affaires avec les Turcs comme les
grands commerçants.
Certains hommes conservateurs ont mixaient les
deux coiffes (turban et tarbouch) en les portant en
même temps le tarbouche servait de support pour le
turban tout en restant apparent au milieu.
De nos jour les deux coiffes existent encore portées
en solo ou séparément, bien sûre les coiffes ont gardés
leurs statut significatifs de l‘époque mais le temps a
ajouté une autre touche significative et particulière au
tarbouche : devenu signe de type historique après qu‘il
fut un signe sociale dénotant l‘influence coloniale et
culturel turc pendant une période antérieure, ce pendant
le tarbouche n‘est plus une pièce vestimentaire identi-
ficatrice d‘origine, mais il est un indice informant sur
une influence turc dû à une époque coloniale donnée.
Il est rarement vue porter par les hommes ou les
jeunes, mais par contre on peu le trouvé porté comme
accessoire complétant une tenue féminine festive
comme le prestigieux Caraco devenu un vêtement oc-
casionnel porté lors des fêtes et des grandes occasions
après qu‘il fut un habit porté au quotidien.
A. La coiffe algérienne pour femmes:
Situation 5 : Les femmes ont toujours couvèrent la tête
: un simple voile ou un foulard pour les jeunes filles,
une coiffe composite pour les grandes dames de la fa-
mille, belles mères ou femmes âgées. Ces coiffes sont
significatives distinctives aussi bien à l‘extérieure qu‘à
l‘intérieure de la demeure, rehaussée de bijoux et
même parfumé. Les coiffes féminines sont plus variées
que celles des hommes et se distinguent selon les ré-
245
gions. Dans un contexte occasionnel les coiffes chan-
gent de formes et devienne plus tôt codées : Le turban
est porté de différentes façons connotant et traduisant
des coquetteries personnelles, nous retrouvons ici le
rôle communicatif intentionnel du vêtement traduisant
et explicitant les intentions de son porteur à son entou-
rage "fonction seconde" « l’objet c’est quelque chose,
une définition qui ne nous apprend rien à moins que
nous essayons de voire quelles sont "les connotations.
" » ( R.Barthes "l‘aventure sémiologique". 1985)
Le turban est placé droit légèrement incliné à
gauche au dessus des oreilles au sommet de la tête,
les deux extrémités sont ornées de galons roses ou
verts qui semblent former deux fleurs.
La coiffe algérienne pour femme
Figure 17 Figure 18
Figure 19
246
Exemple 2 : Le Burnous
1. Le Burnous :
1.2. Le Burnous entre hier et aujourd’hui : Le
Burnous une importante pièce de vêtement mas-
culine nord africaine connotant plusieurs signifi-
cations de qualités nobles comme le courage, la
chevalerie et la bravoure, de la générosité et de
l‘hospitalité une qualité reconnue pour les gens
du sud et des régions bédouines. Sa variation en
couleurs communique plusieurs informations sur
son propriétaire selon le contexte le situant ainsi
socialement, professionnellement (spahis ou dey
figure 23), occasionnellement ou révélant ses
état d‘âme (deuil, fête, mariage 20, 21, 22)
Dans le contexte social le Burnous est présent
comme le dictent les coutumes et les traditions des
grandes occasions comme les mariages. En Algérie, le
marié porte le Burnous blanc ou marron hérité de son
père dans ce cas de figure le Burnous est un signe de
type traditionnel affichant une tradition signifiant
Figure 21 Figure 22
Figure 23
Figure20
247
l‘inauguration ou l‘ouverture d‘un nouveau foyer. A
Alger la mariée sort du dessous du bras de son père
portant le burnous, ce geste est un signe de type psy-
chologique (affectif) bénissant la sortie de la fille du
foyer parentale vers le nouveau foyer celui du mari, qui
la recevra sous l‘aile de son Burnous pour entrer dans
leur nouvelle demeure.
Aujourd‘hui dans les mariages algériens le costume
traditionnel est confronté au costume occidentale la
robe blanche ainsi que le costume classique occidentale
sont surmontés du Burnous blanc ou marron (héritage
familial de père en fils). Le Burnous porté par le marié
comme signe symbolisant d‘ouverture d‘un nouveau
foyer.
Avant l‘Independence en Kabylie le burnous avait
un sens opposé il était porté par les femmes de fa-
milles maraboutiques ne sortant que revêtues d‘un bur-
nous couvrant leurs visages d‘un foulard de soie noire
lors des voyages, mais les femmes de bonne familles
elle s‘enveloppe dans un "ahayek" (haïk) de laine ou de
soie blanche.
Chez les Berbères Marocains où le père de la mariée
invite sa fille a marché sur le pan de sa cape comme
signe de Bénédiction (Burnous dit Azenar) jusqu‘à sa
monture.
Jusqu‘à aujourd‘hui au 21ème
siècle. Entre les années
1955 et 2000, après son part par des femmes pendant la
résistance se faisant passées pour des hommes lors de
leurs trajets nocturne. Ainsi le Burnous se fait une
place dans la garde robe féminine, servant de cape pour
soirée, d‘une coupe plus ou moins large fait de velours
ou de soie généralement de couleur blanche garnit de
broderie de la même technique que le caraco Algérois
248
"Soutadj" et "Medjboud" à files d‘or ou d‘argent. Il
constitue alors une pièce du vêtement féminin Algérien
et spécialement pour le costume Kabyle.
Mais hors pays le Burnous n‘est pas vue comme tel
mis à part son porteur, mais comme un indice ou un
signe identificateur d‘origine Arabe ou nord africaine.
Selon la théorie pragmatique de Pierce prenant en con-
sidération le contexte de production ainsi que la récep-
tion des signes définissant le signe par son action sur
l‘interprète.
Exemple 3 : l‘ornement le bijou et le maquillage
a. Le bijou : Un objet est voulu et demander par
tous, porté par les femmes et les hommes reines
et rois à travers les siècles, confectionné en or ou
en argent, en corail ou en pierre précieuses. Se le
procuré ou l‘offrir à nos aimés il fait toujours
plaisir. Toute société a sa marque de bijoux qui
la distingue et l‘identifie par rapport à d‘autres.
Le burnous aujourd’hui pour homme et
pour femme
Figure 24 Figure 25
249
L‘histoire du bijou révèle qu‘il fut conçu depuis
l‘existence de l‘humanité porté comme une parure, un
talisman, un symbole ésotérique et mystérieux et même
un remède contre des maladies dont on ignorait
l‘origine.
Que pourrait-il dire entre les contextes spatio-
temporels ? ou que devient sa valeur entre les diffé-
rents contextes spatio-temporels ?
Les parures Arabe et celle connues au Maghreb ont
leur côté mystérieux :
El-Khoumsa ou la main de Fatma : Portée souvent pour sa fonction bénéfique comme
porte bonheur ou talisman pour protéger contre les ef-
fets du mauvais œil ou "El-ayin" -dans le dialecte Al-
gérien- provoqués par les envieux et les jaloux.
Que devient-elle en dehors du Maghreb et au-
jourd’hui ?
Hors son contexte arabo musulman et maghrébin la
khoumsa s‘approprie une interprétation différente,
ignorant son utilité dans son pays d‘origine les étran-
gers comme les occidentaux la voient comme un indice
Figures 26
250
identificateur d‘origine maghrébine ou religieuse (mu-
sulman). Mais la mode et la vague de la mondialisation
et le tourisme ont fait que ce pendentif talisman de-
vienne un bijou pour enjoliver ou un souvenir apporté
d‘un pays du Maghreb pour décore leurs demeures ou
pour l‘offrir.
b. Le maquillage :
1.1. Le tatouage entre le bonheur et la douleur :
Le tatouage est le plus antique des maquil-
lages que l‘homme a créé. Pour la population Afri-
caine par exemple, le tatouage a trois fonctions
principales et primaires : protection contre les es-
prits maléfiques un "anti-esprit", remède contre les
maladies épidémiques fatales "antidote" et moyen
prophylactique et protecteur.
Mais que devient-il en dehors de ces contextes ?
Dans les pays occidentaux le tatouage est très repen-
du entre les jeunes adolescents qui l‘utilisent pour dis-
tinguer des groupe croyants à des idées mythique
comme les gotiques.
Mais dans les pays arabo-musulmans le tatouage in-
délébile est interdit par la religion, mais il est évoqué
dans certaines tribus berbères ; pour les femmes ber-
bères il fut une devise d‘une jouissance enthousiaste
dont elles détiennent le secret depuis la nuit des temps,
son mystère loge dans l‘esthétique et dans le sens de
chaque trait, cercle, point ou autre, le tatouage peut
251
même traduire l‘histoire personnel ou indiquer son ori-
gine tribale, comme nous pouvons le constater a travers
ces exemples proposés :
Sur le front : Le tatouage rapproche les sourcils, les
allonges et donne au regard une profondeur dissi-
mulant ainsi les imperfections du visage.
Du menton au cou : Dissimule les rides.
Sur toute la face : Il fait office d’un masque érotique.
1.2 Le tatouage l’affichage de la beauté et du bon-
heur :
Aux Aurès : "L’oucham" représente un grand sym-
bole de la beauté pour la femme des Aurès et même
plus car il représente en premier lieu une puissance
magique. La femme Chaouia se tatoue le visage, front,
joue, menton, bras, poigner, mollets.
Il est dit que lors des préparatifs du mariage, le
futur époux demande à la jeune fille d’accepter en
son honneur un tatouage sur l’une des parties de
son corps, comme vœux d’amour.
Le tatouage est pratiqué sur la personne dès le jeune
âge pour les filles vers 6 et 7 ans avec des divers motifs
dont les plus importants sont : Les lignes brisées, le
losange ou la croix ; tatoués entre les deux yeux sont
des singes protecteurs, le triangle symbole de féminité,
le tronc du palmier symbole de richesse, le peigne à
carder, tatoué sur le bras d‘une tisseuse assure
l‘habiliter, la représentation animale et insecte : papil-
lon, mouche, scorpion, sont des signes protecteur,
252
contre les maladies, les mauvais œil et la magie noire,
autres représentations : Soleil, l‘œil, le croissant, le col-
lier.
a- L’affichage de la douleur : Un moyen pour afficher
de la douleur une fonction significative s‘ajoute à
celle de l‘esthétique, et devient un moyen d‘écriture
biographique ou autobiographique à travers le quel
toute une vie d‘un peuple ou d‘une personne est af-
fichée, ce moyen douloureux fait surgir une souf-
france et un état d‘âme intérieur, subies dans un
passé lointain ou proche marqué par l‘injustice est
exposer, exprimant le refus de l‘autre, dans sa bru-
talité et inhumanité ainsi que dans sa force destruc-
trice signé par le tatouage. Cet acte d‘extériorisation
de la douleur, par le tatouage, est à la fois une pu-
blication et une expression du drame vécu, un exor-
cisme du mal supporté et le signe confus du conti-
nuum de la résistance exprimée sur la peau à l‘aide
de l‘aiguille. Pendant la colonisation Française et
bien avant jusqu‘à la résistance de la conquête ara-
bo-musulmane.
Figures 27
253
Le tatouage fut une échappatoire pour les femmes
berbères connaissant la souffrance de la torture. De ce
fait il devint subitement le symbole de la souffrance et
de la résistance du peuple opprimé et asservit,
n‘oublions pas que nous avons souligné l‘influence co-
loniale et frontalière, en voici deux exemples pour il-
lustrer la mutation de la fonction et de la signification
du tatouage :
Le tatouage du menton d‘une oreille à l‘autre : La
restitution du visage de cette manière, évoque et fait
référence à la barbe de l’époux disparu. L‘image des menottes traçait sur ses poignets : Réfé-
rent et traduisent l’emprisonnement humiliant pour
l’époux de celle portant ces marques de tatouage. Les anneaux au niveau des chevilles : Evoquent les
lourdes chaînes que traînaient en marchant à petits
pas, leurs maris capturés.
Le tatouage des joues : fais penser aux lamentes des
femmes en deuil de leur maris victimes de la guerre,
cet acte est dit dans le berbère Marocain "Agzdur"
signifiant d’après le dictionnaire du "parler du Ma-
roc central" de Taïfi Miloud : « fait de se lacérer les
joues en se lamentant, signe de deuil chez les femmes.
»
Conclusion : Le contexte spatio-temporel donne vie au
vêtement ainsi qu‘à tout ornement, leurs fonctions si-
gnificatives changent et naissent, on peut avoir d‘objets
n‘ayant pas de sens ni de valeurs, s‘appropriant avec le
temps et l‘espace des significations et des valeurs.
Que vat faire le contexte spatio-temporel avec ces objet
vat-il leurs faire perdre leurs sens et leurs valeurs qu‘ils
254
ont aujourd‘hui ou leur donné de nouvelles valeurs
significatives ?
Bibliographie :
Roland Barthes Système de la mode éditions du
Seuil, Paris, 1967
Roland Barthes l‘aventure sémiologique, Éditions
du Seuil, Paris, Octobre 1985, D.L. Février 1991 N°
12 570-2 (12214), Photo Adossant © sygma collec-
tion : point essais)
R.Barthes "l‘aventure sémiologique". 1985
http://www.signosemio.com
1- U. Eco "LE PROCESSUS SÉMIOTIQUE ET
LA CLASSIFICATION DES SIGNES".
2- "La sémiotique de Pierce"
FERDINAND DE SAUSSURE Cours de linguis-
tique générale,, Éditions TALANTIKIT Bejaïa,
2002 N° D.L. 1836 -2002.
Sémantique de l’objet, Roland BARTHES, confé-
rence prononcée en septembre 1964 dans le cadre
d‘un colloque sur «L‘art et la culture dans la civili-
sation contemporaine» dans L’aventure sémiolo-
gique, Paris, Seuil, 1985, p. 251-259.
Mémoire de Magistère intitulé « L‘expression ves-
timentaire à travers le costume Algérien. » Melle
Leïla HAOUAM sous la direction et la codirection
de Mme Fatima Zohra Chiali-LALLAOUI et la Co-
direction de : Louis Panier université Lumière
Lyon2.
255
HARIG-BENMOSTEFA Fatima Zohra
Université d’Oran
L’importance des savoirs socio-culturels dans la
traduction et la construction du sens : L’actualisation
de l’emprunt lexical dans le discours
Résumé
L‘emprunt dans son principe, l‗introduction d‗un terme
étranger dans un système linguistique, n‗est pas un acte
de création linguistique ; il consiste à se servir d‗un
signifiant étranger déjà existant en référence à un signi-
fié lui-même étranger. Cette translation serait pour cer-
tains un acte de paresse linguistique ; mais on a vu que
le processus d‗intégration de l‗élément étranger susci-
tait des formes linguistiques nouvelles morpho-
syntaxiques ou sémantiques. Par un autre aspect,
l‗emprunt peut être générateur de création linguistique
; à partir du moment où le vocabulaire étranger est pré-
dominant dans un secteur du lexique, il peut se pro-
duire un processus de rejet. Il est alors nécessaire de
faire appel aux possibilités de création offertes par le
système lexical de la langue emprunteuse pour substi-
tuer un terme national au terme étranger.
Nous nous proposons d‘examiner, dans cette article un
mode particulier de la construction de la référence,.
L‗intérêt se porte plus particulièrement sur les em-
prunts à une autre langue. Ce sont des mots dont
l‗utilisation engage fortement la responsabilité du locu-
teur. Ils risquent de trop révéler, de dépasser l‗intention
de ce dernier et de créer un effet paradoxale .
256
Mots clés
Emprunt, emprunt lexical, realia, praxèmatique, déno-
mination, équivalence, catégorisation, recomposition
sémantique, hyperonyme / hyponyme, nomination, ac-
tualisation, procédés de la nomination, traduction, ex-
tralinguistique. Emprunt fait du français à l‘arabe : Le
cas de «caïd »
Introduction
Notre réflexion vise la manière dont le sens se
transforme lorsque l‘emprunt passe d‗une aire linguis-
tique à l‗autre. L‗étude relève de la sémantique, plus
précisément de la sémantique discursive. Nous cher-
chons à vérifier si les constats faits à « casbah » sont
applicables à « caïd » auquel les mêmes propositions
théoriques pourraient être tirées. Pour cela, on prendra
en considération les contextes historiques, sociaux, cul-
turels qui ont motivé l‗emprunt et on étudiera les moti-
vations de la reconstruction sémantique qui accom-
pagne généralement le mot emprunté.
1.1. Le sens premier du mot « caïd »
1.1.1. Eléments d’étymologie
Les deux plus anciens dictionnaires auxquels
nous avons pu avoir accès. Pour la langue arabe «
Mouhit al mouhit » un des dictionnaires qui donnent
l‗étymologie la plus ancienne des mots arabes1. Pour ce
qui concerne le mot « caïd », on trouve la définition
suivante :
1 Les dictionnaires arabes ne donnent que le sens et l’étymologie des mots
d’origine arabe.
257
1- Le nom Alcaoud (conduite) est le contraire de
alsaouk (poussée), on conduit l‗animal par devant et on
le pousse par derrière, donc « conduire » c‗est toujours
par devant et « pousser » par derrière.
On dit : j‘ai conduit l‘animal dans le sens, je l‗ai
tiré derrière moi.
2-Alcaoud (conduite) c‗est le cheval aussi, on dit
cheval caoud, dans le sens : cheval conduit par quel-
qu‗un, et en général, les chevaux sont confiés à un «
caïd » qui est le singulier du pluriel « cada » ou «
caoud ».
3-Al micouad : c‗est le collier qu‗on met à
l‗entour du cou du chien ou des animaux en général
pour les tirer.
4- On appelle aussi caïd celui qui conduit
l‗armée.
5- Alcaïd « le caïd » des chameaux : c‗est le
chameau qui marche à la tête du troupeau, qui marche
devant les autres chameaux et qu‗on doit suivre.
6-Le caïd de la montagne : c‗est son sommet.
Alors que dans le dictionnaire français « Le tré-
sor de la langue française » :
« CAïD, subs. Masc.
– [En Afrique du Nord] Notable qui cumule des
fonctions administratives, judiciaires, financière ; chef
de tribu(s) (cf. Fromentin, Un été dans le Sahara, 1857,
p. 15).
258
_ p. ext.
1. Arg. Chef
a). [Dans une bande de jeunes, dans un mil. Spéc.]
Se prendre pour un caïd. [Le] Petit caïd de l‘équipe, un
mouflet à casquette torpédo (A.Simonin, Touchez pas
au grisbi, p.231). Les caïds du milieu (L‘oeuvre, 3 sept.
1945, p. 58).
b). Personnage important de la société. Synon.
Fam. Et pop. Point, huile. Son premier client fut un
gros caïd de la S .N.S.F. à qui elle fil les lignes de la
main (J. PERRET, Bâtons dans les roues, 1903, p. 171
ds ROB. Suppl.).
2. pop .ou fam. Homme qui s‗impose avec dureté.
Faire son caïd. Il [Blaise] marchait d‘un pas brutal de
vainqueur (…). Un conquistador en vérité, un caïd, un
malabar (A. Arnoux, Pour solde de tout compte, 1958,
p. 271).
En emploie d‘adj. Attribut. Avec Tata la danseuse
ou Gisou les gambilles, il [Sylvestre] était brutal, caïd,
pareil à un jeune loup (P. VIALAR, Clara et les mé-
chants, 1958, p. 185)
Prononc. Et Orth. :[kaïd]. Ds Ac. 1878 et 1932.
Etymol. Et Hist. 1. ca 1210 auquaise « chef militaire,
haut fonctionnaire musulman »(HEERBERT LE DUC
DE DAMMARTIN, Floque de candie, éd. O. Schultz-
Gora ds Gesellschaft für rom. Lit., Bd 21, Dresden,
1909, vers 6884-6885), forme isolée; ca 1310 caïte
(Aimé de mont Cassin, Storia dei Normanni di Amato
259
di Mont volgarizzata in antico francesse, éd. V. de Bar-
tholomaeis, Rome, Fonti per la storia d‗Italia, 1935, p.
238) ; 1964 caïd (traité d‘Alger de 1694, publié par M.
de Mas Latrie ds les Mél. his., Paris, 1877, t. 2, p.697
ds Fr. mod., t.17, p.132) ; a) 1903 « personnage impor-
tant » (J. PERRET, loc, cit.) ; b) 1935 « mauvais gar-
çon, chef de bande »(A.Simonin, J. Bazin, Voilà taxi
!p.219). Empr. A l‗ar. Qã‘id « chef, commandant »,
part. actif subst. Qãda « conduire, gouverner » (Lok.,
n°1006) ; le type a.fr. auquaise, par l‗intermédiaire de
l‗a. esp. Alcaid « commandant d‗une forteresse » (1076
ds CR.), alcayaz « id. » (ca 1140, ibid.), est de même
orig. Avec agglutination de l‗art. Arabe. Fréq. Abs. Lit-
tér. : 44 ».
En langue arabe, le mot « caïd » est le sujet du
verbe « conduire ». Alors que dans la langue française
il n‗y a aucun rapprochement sémantique possible
entre les deux termes. Qâda « conduire, gouverner »
donne « caïd » « président, chef » alors que en langue
française : « Conduire » donne « conducteur ».
La plupart des dérivations du verbe qâda concer-
nent une relation de domination entre les humains et
les animaux :
1- Alcaoud (conduite) c‗est le cheval aussi, on dit
cheval caoud, dans le sens : cheval conduit par quel-
qu‗un, et en général, les chevaux sont confiés à un «
caïd » qui est le singulier du pluriel « cada » ou «
caoud ».
260
2- Al micouad : c‗est le collier qu‗on met au tour
du cou du chien ou des animaux en général pour les
tirer.
Un dictionnaire récent de langue arabe, « Al
Mounjed al wasit », livre d‗autres informations :
« caoud » ou « cada » : une tête responsable de
gouverner et de conduire, quelqu‗un à qui on a confié
le contrôle d‗un groupe et qui doit s‗occuper de lui.// «
saca » qui veut dire « il a conduit » ex : il a conduit un
avion.// tazahara, cada mouzahra, qui veut dire « il a
présidé », ex : il a présidé une manifestation.// cada un
aveugle, qui veut dire « a conduit un aveugle » : il l‗a
tenu par la main pour l‗aider à traverser la route.//cada
un troupeau, veut dire « a conduit un troupeau ». « il a
» : « à » « mener », « accompagner », « mener », « di-
riger », « se laisser conduire par quelqu‗un ». « Caïd »
: le pluriel de cada ou caoud ou cadate : « président », «
chef », « celui qui conduit » : un caïd politique.// un
officier qui bénéfice d‗un pouvoir militaire, celui qui
dicte et qui impose les ordres dans une zone militaire
ou dans une armée : « caïd d‗une caserne ». // Un grand
chef militaire, celui qui conduit une armée militaire :
ex : Alexandre est un caïd célèbre. // Le pluriel est cada
: celui qui conduit une caravane « un caïd d‗une cara-
vane »// celui qui conduit un orchestre « un caïd d‗un
orchestre ». // Le président d‗un bateau « un caïd d‗un
bateau » ou un « capitaine ». // « Les caïds des pensées
» les intellectuels. « micouad » : les animaux sont con-
duits par un cordon ou un lacet : « al micouad (la
laisse) d‗un chien ». // un appareil pour conduire une
machine ou un moteur : « micouad (le moteur d‗une
voiture » « moteur d‗une avion ».
261
Le sémantisme évolue. Une nouvelle défini-
tion du verbe « conduire » marginalise l‗usage qui ser-
vait essentiellement à décrire la relation « humain-
animal » et la déplace en relation plutôt « humain-
humain », dans le rapport entre un « chef » ou « un
président » et son groupe. Le terme prend en charge le
rapport des humains aux machines (voitures, avions,
caravane) qui remplacent les animaux comme moyen
de transport. Le mot conserve sa signification militaire
et le « caïd » n‗est pas uniquement un chef civil ou de
tribu mais, un chef militaire. En somme, le verbe «
conduire » en arabe se rapproche de la définition des
dictionnaires français comme Le Petit Robert (2003).
1.1.2. « Caïd » dans l’islam
Il est nécessaire de voir comment le Coran use du
mot, étant donné qu‗il est une référence incontournable
et fortement consultée par les linguistes arabes pour
vérifier la fonction et le sens des termes de leur langue.
La langue du Coran est, pour les linguistes arabes la
norme par excellence et certains savants arabes allaient
jusqu‗à considérer cette langue comme la langue par-
faite. On s‗est appuyé dans cette recherche sur
l‗Encyclopédie islamique. Elle livre 170 (occurrences)
du mot « caïd ». Il s‗agit souvent des textes décrivant
des événements ou des combats qui se sont déroulés à
l‗époque du prophète. Parfois, il s‗agit d‗exégèses qui
expliquent la vision de l‗islam et qui couvre le sens du
mot « caïd ».
Le premier article choisi pour cette analyse est un
article intitulé : « Les principes du Coran et sa vision
262
de la vie »1 qui parle de la nécessité de soutenir les per-
sécutés. Dans ce but, l‗islam a crée une association di-
rigée par le prophète Mohamed. Cette association hu-
maine de la lutte contre les tyrans a pour chef, « caïd »
le prophète Mohamed qui la dirigeait et veillait sur la
justice. C‗est le premier exemple de « caïd » en islam.
Dans le même article, nous trouvons un autre
exemple qui parle d‗un principe qui s‗appelle « al-
choura » qui veut dire « l‗importance de la prise en
considération de l‗opinion des autres de la part du chef,
« caïd ». On y parle d‗un combat célèbre sous la con-
duite du prophète « caïd » du combat. Ce jour là le
prophète voulait donner les trois quarts des biens de la
ville aux « caïds » militaires de l‗armée adverse pour
éviter le combat; mais les amis du prophète (les caïds
militaires de son armée) avaient une opinion différente,
le prophète « caïd » a préféré écouter les autres et a
renoncé à sa propre opinion.
Le messager de Dieu qui est le prophète, le caïd et
le chef, ne voulait pas monopoliser le dernier mot, au
contraire, il a consulté ses amis qui ont préféré de ne
pas donner les fruits de la ville, le prophète les a écou-
tés et il a pris leurs opinions avec beaucoup de considé-
rations.
Donc, à travers la vie du prophète, le principe de «
alchoura » s‗incarne dans l‗islam : c‗est le fait pour le «
caïd » de renoncer à sa propre conviction pour respec-
ter l‗opinion de la majorité. Les historiens racontent
que la modestie est un caractère qui spécifiait le pro-
phète qui est venu pour faire régner la paix et la sécuri- 1 Encyclopédie générale de l’islam « société et civilisation islamiques »
V.4.1971 , Ed Cambridge University Press.
263
té .Remarquons que le poste du « caïd » est militaire
avec des tâches spirituelles.
Dans le coran le mot « caïd » devient parfois sy-
nonyme de « imam », autrement dit un président reli-
gieux.
Un article « la planification politique dans La bio-
graphie Nabawiyah »1 parle du début de la révélation
de la religion musulmane pour expliquer comment le
prophète s‗est battu contre les habitants de sa ville na-
tale (Kouraïche)2 pour y imposer l‗Islam. Il a décidé de
l‗organiser sur la nouvelle base « caïdat » : « La plani-
fication pour instaurer une nouvelle caïdat » : les pro-
blèmes et l‘opposition que le prophète a rencontrés
l‘ont poussé à planifier un projet dans le but d‘instaurer
un autre caïdat, de sorte que si un jour sa mission ren-
contre un vrai danger, il pourra changer de ville pour y
établir une nouvelle caïdat, avec de nouveaux alliés.
Cette idée occupait les pensées du prophète le « caïd »
de l‘époque ».
Le « caïdat » est un centre d‗organisation et de
planification, une base militaire et de soutien pour le
prophète où se trouvent ses alliés. « Durant cette
époque l'appel islamique prend un nouveau départ, et le
prophète, en tant que premier « caïd » gouverne la so-
ciété en matière de lois, de direction politique,
d‘argent, d‘économie et d‘armée ».
La signification du mot « caïdat » a aujourd‗hui
changé pour désigner une organisation terroriste qui
prépare des terroristes suicidaires. Là aussi il faudrait
1 Abdelatif Zayed et Mohamoud chite Khattabi « Leçons militaires de la
biographie prophétique » An-Nacher , Beyrouth, 1990, p.118-135. 2 Une tribu.
264
examiner les circonstances qui ont fait que le mot «
caïdat » a pris cette acception, rechercher la raison pour
laquelle les terroristes ont choisi cette dénomination
pour dénommer leur organisation. Est-ce pour se justi-
fier et poser leurs actes criminels comme une mission
sacrée.
1.1.3. L’utilisation actuelle de Caïd
Selon les dictionnaires « Caïd » a été utilisé dans
sa langue d‗origine pour désigner celui qui dirige des
animaux ou celui à qui est confiée la conduite des ar-
mées, autrement dit un chef militaire. Puis l‗utilisation
du mot a évolué avec le temps pour désigner « un pré-
sident » ou « un conducteur de machine ». Nous allons
maintenant voir comment le terme est actuellement uti-
lisé dans la presse arabe dont les extraits suivants
trouvés après une recherche sur google.fr :
1. Condoléances à l‘occasion de la disparition du
« caïd » de l‘organisation de libération palestinienne :
Yasser ARAFAT
Les amis, de l‗équipe exécutoire de l‗organisation
de libération palestinienne, La direction nationale de
l‗unité des communistes syriens présente leurs sincères
condoléances pour la disparition du « caïd » Monsieur
Yasser ARAFAT, de l‗organisation de libération pales-
tinienne.
2. Discours du « caïd » Hafez al Assad à
l‘occasion de l‘inauguration de la bibliothèque Al-
Assad
La culture est le besoin le plus élevé de
l‗humanité, les autres sont ordinaires et limités. Alors
265
que le besoin de culture est illimité. C‗est la raison
pour laquelle nous accordons une grande importance à
ce domaine. Pendant quatorze ans, nous avons bâti de
nombreux centres de culture tels les musées, les écoles,
les instituts, les universités et plus généralement tout ce
qui touche d‗une façon ou d‗une autre à la culture.
(Googl. Fr).
3. Le « caïd » de l‘armée de l‘air saoudienne né-
gocie la coopération militaire avec l‘Egypte
Le « caïd » de l‗armée de l‗air saoudienne, sa ma-
jesté le général « Abd al rahman ben fahd faïsal », a
dialogué hier avec le « caïd » général des forces ar-
mées, le ministre de défense et de la production guer-
rière égyptienne le général « Housen tantawi », pour
trouver des moyens qui aident à renforcer la coopéra-
tion et les relations militaires entre les deux pays dans
le domaine aérien.
4. L‘union des pays arabes est …un « caïd » sans
armes
Je me rappelle toujours comment on discutait dans
le café de la faculté de droit « Fouad premier ». On ré-
citait les poèmes, emportés par des sentiments de joie,
celle de la naissance de l‗union des pays arabes…la
naissance de cette union était un rêve pour chaque
arabe, c‗était l‗aube qui a éclairé notre nuit, notre fier-
té. L‗union des pays arabes est née dans une période
lourde de problèmes politiques graves, la création du
gouvernement israélien a suivi cette naissance, les
arabes se sont engagés dans la guerre de
l‗indépendance, Israël a été victorieux alors que les
arabes ont subi une défaite. Les chefs arabes ont cher-
266
ché des prétextes pour expliquer cette défaite et ils ont
trouvé dans l‗union des pays arabes le responsable de
leur malheur. Depuis cette date l‗union des pays arabes
supporte toute leur malhonnêteté et leurs mensonges
sur les relations arabes arabes. (www.alray.com)
11/11/2004, n° 9292.
On le voit, le trait militaire est nécessaire
mais non suffisant pour parler de « caïd ». Le premier
exemple confirme cette remarque .Yasser Arafat était,
aux yeux des palestiniens « un président », « un chef
militaire », « un leader » et surtout un militaire qui ap-
paraissait toujours, à la télévision, dans les journaux ou
sur ses photos en treillis.
Le deuxième exemple concerne le président pré-
cédent de la Syrie « Hafez al assad » qui était, comme
Yasser Arafat, d‗abord un chef militaire, mais aussi un
chef civil, tantôt en tenu militaire tantôt en costume
civil. La presse syrienne, les livres scolaires ou les ou-
vrages politiques ont décrit ce président avec les carac-
téristiques suivantes : « un président », « un chef mili-
taire », « l‗organisateur du partie politique Albaas », «
un caïd de la révolution et de l‗indépendance », « un
père », « un sage » et « un savant ».Mais ce sens a
beaucoup changé maintenant après la révolution , il
n‘est plus le protecteur de son peuple mais son destruc-
teur.
L‗exemple suivant (3) « Le « caïd » de l‘armée
de l‘air saoudienne négocie la coopération militaire
avec l‘Egypte » est bien caractérisé par le vocabulaire
militaire de l‗article : (armée, militaire, sa majesté le
267
général, des forces armés, le ministre de défense, la
production guerrière, relations militaires). De fait le
chef du pays est ici un roi, non pas un « caïd », le mot
« caïd » ne concerne pas le président du pays mais un
grand chef militaire, un général de l‗armée de l‗air. On
trouve pour synonymes de « caïd » « sa majesté le gé-
néral ».
Le dernier exemple est métaphorique : « L‗union
des pays arabes est …un caïd sans armes » : où l‗auteur
déplore la défaite de « l‗union des pays arabes ». Pour
lui cette union était : 1. « Un rêve pour chaque arabe ».
2. « Une aube qui éclaire la nuit ». 3. « notre fierté ». 4.
Exemple de toute responsabilité dans les malheurs su-
bis.
Les caïds sont censés êtres armés, mais l‘union
des pays arabes est un « caïd » qui ne possède pas
d‗arme.
Si nous faisons un bilan des traits sémantiques
utilisés dans ces exemples, pour le mot « caïd » nous
obtenons le répertoire suivant :
Exemple (1) , président, chef militaire ,leader ,
père spirituel, exemple à suivre ,baraka (bénédic-
tion),raïs (chef)
Exemple (2) : président ,chef militaire , organisa-
teur de parti politique , chef de la révolution, de
l‗indépendance , père spirituel, sage ,savant
Exemple (3) : grand chef militaire, général
268
Exemple (4) : un rêve pour chaque arabe ,aube qui
éclaire la nuit ,notre fierté
Dans l‗usage actuel du terme « caïd » la caracté-
ristique de « chef militaire » ou « chef guerrier » est
première nécessaire et suffisante pour un « caïd » dans
les pays arabes. La dénomination « caïd » peut être uti-
lisée pour n‗importe quel grade militaire. Tous les
autres traits relevés ne sont pas suffisants à justifier la
désignation. De sorte que le seul trait sémantique né-
cessaire et suffisant, pour caractériser un « caïd » est
celui de : « chef militaire ».
1.1.4. « Caïd » dans la langue française
Une première illustration du sémantisme peut être
prise dans le roman de Fromentin Eugène, Un été dans
le Sahara, 1857 : 15.
Nous voici donc dans El Goëa, ou si tu veux, à la
clairière, campée pour cette nuit près de la maison du
commandement de Si-Djilali-Bel-Meloud, "caïd" des
Beni-Haçen.
Le sens ne laisse place ici à aucune ambiguïté, il
s'agit tout simplement d'un "commandant", surtout que
le nom de ce caïd Djilali-bel-meloud a été précédé d'un
"si" qui est l'abréviation de "sidi" qui veut dire mon-
sieur. En arabe l'utilisation de ce "si" accompagnant le
nom d'une personne est une marque de respect pour
cette personne. En continuant la lecture de ce roman,
nous rencontrons une autre caractérisation sémantique
du mot, toujours dans la même page :
On appelle maison de commandement certaines
maisons fortifiées, que notre gouvernement fait bâtir à
269
l'intérieur du pays, pour servir de résidence officielle à
un chef de tribu, de lieu de défense en cas de guerre, et
en même temps d'hôtellerie pour les voyageurs. Indé-
pendamment du chef arabe, qui l'occupe assez irrégu-
lièrement, ces postes sont en général gardés par
quelques hommes d'infanterie détachés de la garnison
française la plus voisine.
La lecture de ce paragraphe contribue à confirmer
la compréhension initiale du sens du mot "comman-
dant", dans cet exemple le sens nous est donné avec
d'autres synonymes : "chef de tribu", "chef arabe".
Donc, jusqu'à ce moment, nous avons deux caractérisa-
tions sémantiques du mot "caïd" qui sont : "comman-
dant" et "chef de tribu arabe".
Nous prenons un autre exemple page 17
Il est huit heures, nous venons de rentrer sous nos
tentes après avoir soupé chez le "caïd". si Djilali nous a
donné la diffa : Il arrivait tout exprès pour nous rece-
voir de la tribu qu'il habite à quelques lieux d'ici. Il est
impossible de recevoir au seuil des pays arabes une
hospitalité plus encourageante.
Il est clair que l'auteur admire l'hospitalité de ce
"caïd" qui offre une diffa, repas qu'on sert aux visi-
teurs. Le plus souvent, un mouton égorgé spécialement
en l‗honneur des visiteurs. Ce qui ajoute le trait de "gé-
nérosité" que doit avoir un "caïd".
Autre exemple :
C'est un homme de trente ans, ou bien alors un
jeune homme que la fatigue, une grande position, la
270
guerre peut-être, ou seulement le soleil de son pays, ont
mûri de bonne heure. Si on le regarde de plus près, on
s'aperçoit que ses yeux pleins de flammes ne sont pas
toujours d'accord avec sa bouche, quand celle-ci sourit,
et que cette juvénile hilarité des lèvres n'est qu'une ma-
nière d'être poli (id.19)
La maturité et la politesse y sont des caractérisa-
tions sémantiques de "caïd". L'écrivain, parlant de ce
"caïd" Si-Djilali-Ben Meloud, décrit un "commandant",
"chef de tribu", "poli", " mature" et "généreux". Rien
n'est étrange, les actualisations discursives que nous
avons sont en parfaite conformité avec la première par-
tie de la définition du mot "caïd" dans le dictionnaire:
Le trésor de la langue française :"[en arabe] chef,
commandant, le verbe en arabe "qãda" qui veut dire
"conduire, gouverner""
D‗autres exemples pris dans Au Maroc de Loti
Pierre (1890) confirment ces observations :
Et tout ce train de voyage, qui doit nous précéder
sous la conduite et la responsabilité d'un "caïd" envoyé
par le sultan, se met en marche peu à peu, péniblement,
individuellement. (Loti Pierre, 1890, p : 177).
Un fanal fait le tour de ma maison dessinant, par
transparence sur l'étoffe tendue, les arabesques noires
qui décorent l'extérieur: ce sont des gens de veille qui
viennent, sous la direction de leur "caïd", renforcer à
coups de mailloche tous les piquets de ma tente, de
peur que le vent ne l'emporte (Ibid.: p : 179).
271
C'est que nous allons changer de territoire, et tous
les hommes de la tribu chez laquelle nous arrivons se
tiennent sous les armes, "caïd" en tête, pour nous rece-
voir (ibid. p: 180).
Un beau "caïd" noble d'allure, marche à leur tête,
avec lenteur (ibid. p: 182).
Du reste cela ne nous regarde ni ne nous inquiète.
Les bagages finissent toujours par arriver et c'est l'af-
faire du "caïd" responsable (ibid. p:186).
Nous camperons ce soir près de chez leur chef, le
"caïd" Ben-Aouda, dont on aperçoit là-bas, au milieu
de désert de fleurs, le petit blockhaus blanc entouré
d'un jardin d'orangers (Ibid. p: 202).
La mouna du "caïd" Ben-Aouda est superbe, ap-
portée aux pieds du ministre par une théorie toujours
pareille de graves bédouins, tout de blanc vêtus : vingt
moutons, d'innombrables poulets, des amphores rem-
plies de mille choses, un pain de sucre pour chacun de
nous, et, fermant la marche, quatre fagots pour faire
nos feux (ibid. p: 202).
L'auteur décrit là encore un "caïd" "responsable",
"envoyé par le sultan", "directeur", "qui est toujours en
tête", "noble" "beau", "chef"et "riche". C'est –à -dire
qu‗en 1857 et 1890, le mot "caïd" avait un sens positif
aux yeux des français et conservait le sens d‗origine en
arabe.
1.2. Un premier changement sémantique
« Oui, il y a toujours une frontière quelque part.
D‗une culture à l‗autre, et plus, encore, d‗un temps à
272
l‗autre, cette frontière bouge, sinon dans la réalité -
c‗est un autre débat- du moins dans nos imaginaires.
Avouons-le, ce ne sont pas les mots qui vivent par eux-
mêmes, ce n‗est peut-être pas la société qui change en
soi, c‗est le système de nos représentations sociales
verbalisées qui est perpétuellement en restriction, avec
ses pesanteurs fantasmées et ses révolutions non moins
permanentes » (Tournier, 1989 : 20).
Nous partirons du point de vue que Tournier pour
qui, ce ne sont pas les mots qui vivent par eux- mêmes,
ce n‘est pas la société qui change en soi, c‘est le sys-
tème de nos représentations sociales. Nous nous trou-
vons devant la question de la représentation sociale,
question primordiale pour « la reconstruction du sens
des emprunts ». L‗opération, de reconstruction séman-
tique s‗accomplit par la juxtaposition du déplacement
que les mots empruntés effectuent en partant d‗une aire
linguistique à l‗autre et d‗une culture à l‗autre, dans le
décalage temporel qui accompagne ce déplacement.
Elle exige la connaissance des contextes historiques,
sociaux et culturels qui motivent l‗emprunt et qui par-
ticipent au changement des mots empruntés. Tous ces
facteurs poussent à focaliser notre attention sur le
terme de « représentation ».
Le terme, issu du latin repraesentatio (action de
mettre sous les yeux), n‗appartient pas originellement
au domaine linguistique. Il renvoie, dans son sens le
plus général, à toutes les façons par lesquelles les ob-
jets concrets ou les objets de pensée peuvent être ren-
dus présents à l‗esprit (on notera que la morphologie
du mot lui-même -re-actualisation – invite à le com-
273
prendre comme un processus de ré-actualisation d‗un
événement antérieur (Termes et concepts pour
l‘analyse du discours : 298).
Le terme « représentation » possède une grande
diversité d‗acceptions, selon la discipline au sein de
laquelle il est sollicité. En psychologie cognitive, le
mot est employé dans des acceptions différentes, « le
noyau sémantique en partage est celui d‗entité cogni-
tive non directement accessible à l‗observation, mais à
laquelle on peut cependant accéder par le biais
d‗expériences portant sur des observables comporte-
mentaux », « L‗homme, par le biais de ses expériences,
construit un modèle intériorisé de son environnement,
de ses relations à autrui, de ses praxis » (ibid : 298). En
sciences sociales, « les représentations renvoient à des
formations idéologiques, dans lesquelles elles s‗ancrent
» (ibid : 298).
La praxématique articule la représentation en tant
que processus d‗activation d‗images mentales et les
représentations véhiculées par les discours dans le
cadre plus vaste de la production de sens. « L‗activité
de représentation correspond à actualiser des représen-
tations, envisagées comme des comportements langa-
giers stabilisés, et stockés en mémoire, autant
d‗actualisations potentielles, qui vont être négociées
dans l‗intersubjectivité de la parole » (ibid : 300).
En prenant l‗exemple :
Son premier soin fut de nommer à toutes les fonc-
tions indigènes ce qu‗il y avait de plus taré dans la po-
274
pulation arabe, (ces Musulmans dégénérés dont les
vices justifieraient les plus violents arabophones et par
exemple, il fit choisir pour « caïd » de Ben Nezouh un
certain Ben Diff Allah, dont le nom peut se traduire par
fils de l‗hôte de Dieu, et dont voici, autant que je me
rappelle, les états de service. Petit voyou de la place,
domestique d‘une prostituée, qu‗il remplaçait à
l‗occasion lorsqu‗elle avait trop d‗ouvrage, il avait été,
dès l‗enfance, initié à tous les mystères de l‗amour, si
nécessaires à connaître pour qui veut avoir une in-
fluence en pays oriental. Puis il était devenu « caïd »
des « caoueds », c‗est-à-dire Grand Entremetteur. Dans
ce métier il avait fait rapidement fortune, prêtant de
l‗argent aux femmes, se faisant payer par leurs amants,
organisait des guet-opens chez les filles, en sorte qu‗il
fut bientôt plus riche que le Marabout lui-même. Il a
reçu la médaille militaire puis la croix, pour services
exceptionnels (…) récemment il a fait un voyage à Pa-
ris, s‗est affilié à une loge, du rite écossais s‗il vous
plait ! il en est revenu chargé d‗honneur et de décora-
tions. On lui donnera un de ces jours la cravate de
Grand Officier : la France aime bien les bons servi-
teurs… (Tharaud Jérôme, La fête arabe, 1921 : 211,
205).
L‗exemple est tiré d‗un roman écrit aux premières
semaines de la guerre Tripolitaine (durant l‗année
1921) où la Libye vivait l‗invasion italienne. La presse
anticoloniale multipliait les photographies de cadavres
et s‗insurgeait contre la mission civilisatrice dont par-
laient les Italiens. En même temps, on éprouve une an-
tipathie contre « les étrangers », Italiens ou autres, ins-
tallés en Algérie : « L‘Afrique du Nord n‘est plus à
275
nous, c‘est une vache que les Français tient solidement
par les cornes, tandis que le Malien, le Maltais,
l‘Espagnol, la traient inépuisablement ». Il faut avoir ce
contexte et cette influence présents à l‗esprit pour
comprendre « La fête arabe ».
La chronologie, pousse à considérer cet exemple
comme une démonstration d‗une étape transitoire dans
laquelle le mot « caïd » commence à enregistrer des
nouvelles potentialités signifiantes. Une nouvelle re-
présentation du mot « caïd » active une nouvelle image
mentale issue des conditions sociales, véhiculée par les
discours militaires circulant en Afrique du Nord en gé-
néral, à Tripoli comme en Algérie ce dont témoigne : «
petit voyou de la place », « domestique d‗une prosti-
tuée », « grand entremetteur ». Le mot « caïd » lors de
son emprunt par le français, perd certaines caractéris-
tiques sémantiques (courageux, poli, mature) ce qui
entraîne une néologie de sens. La nouvelle représenta-
tion s‗élabore en rapport avec de nouvelles praxis qui
sous-tendent l‗acte linguistique de référenciation. On
peut schématiser le changement entre un premier et un
second état par une opposition des traits qui apparais-
sent dans les exemples cités :
1ère Représentation (Fromentin, Loti)
2ème Représentation (Tharaud)
-chef
-chef
-petit voyou
-courageux
-entremetteur
-commandant
276
-malhonnête
-ambitieux
-poli
-mature
-généreux
1.3. Représentation et stéréotype
« Comme le stéréotype, la représentation sociale
met en rapport la vision d‗un objet donné avec
l‗appartenance socio-culturelle du sujet. Comme lui,
elle relève d‗un « savoir de sens commun » entendu
comme connaissance « spontanée », « naïve », ou
comme pensée naturelle par opposition à la pensée
scientifique. Cette connaissance issue des savoirs héri-
tés de la tradition, de l‗éducation, de la communication
sociale, modèle non seulement la connaissance que
l‗individu prend du monde mais aussi les interactions
sociales » (Amossy : 1997 : 50).
Jusqu‗en 1921, les écrivains français utilisent le
mot « caïd » selon une représentation militaire qui con-
serve certains traits originaires du mot en arabe comme
: « chef », « commandant ». Elle ajoute ensuite d‗autres
traits contradictoires de personnes issues de la société
arabe du Maghreb comme « petit voyou », « grand en-
tremetteur » et « domestique d‗une prostituée ».
A partir des années 1953, le terme « caïd »
concerne n‗importe quel prétentieux ou vantard,
comme dans les exemples suivants :
1-le petit Frédo, je l‗avais vu montrer, s‗affirmer.
Il avait tous les défauts des jeunots : provocant et van-
277
neur, un peu trop le goût pour la vedette, et avec ça, la
manie de s‗entourer de traîne-lattes, de loquedus, de
faux-vicieux, histoire de jouer les chefs de bande. Mais
là, entrer en « caïd », s‗asseoir autour de la table de
Josy et commencer un gringue terrible devant la gale-
rie, sachant que ça serait rapporté avant la fin de la soi-
rée à Riton, ce n‗était pas explicable (Simonin Albert,
Touchez pas au grisbi, 1953 : 46).
2-Il a repris quant à Angelo, si tu veux mon
idée…vu que j‗ai toujours travaillé avec Frédo à égali-
té, je ne suis pas disposé à admettre le genre successeur
de « caïd », qu‗il se donne maintenant, le capitaine de
mes burnes ! je suis assez grand pour dégauchir mes
commandes moi-même. (ibid. : 158).
Nous constatons que la représentation sociale du
mot, à cette époque, est différente de la représentation
militaire, qui était, originairement, la raison pour la-
quelle, un « caïd » est devenu quelqu‗un de « sauvage
», d‗« entremetteur ». Cette représentation a donné lieu
à un stéréotype qui revoie à l‗image d‗un voyou, d‗un
praxénète et d‗un « frimeur ».
Les définitions du stéréotype sont nombreuses,
nous choisissons celle ci : « Croyance concernant des
classes d‗individus, des groupes ou des objets qui sont
préconçues, c‗est-à-dire qui ne relèvent pas d‗une ap-
préciation neuve de chaque phénomène mais
d‗habitudes de jugement et d‗attentes routinières […]
Un stéréotype est une croyance qui ne se donne pas
comme une hypothèse confirmée par des preuves mais
est plutôt considérée, entièrement ou partiellement à
278
tort, comme un fait établi » (Jahoda, 1964 : 694).
Même si la plupart des journalistes essaient de rappor-
ter honnêtement les faits, les reportages pleinement
objectifs sont rares.
Le point de vue adopté est souvent influencé par
les croyances des rédacteurs qui sélectionnent les in-
formations et les images à nous transmettre à travers le
vocabulaire choisi pour les présenter. Le stéréotype qui
souvent accompagne les termes empruntés sert les
journalistes. Avec l‗emprunt à une langue étrangère, on
se réfère à un autre code linguistique et, à travers ce
dernier seulement à l‗extralinguistique. Le mot étran-
ger transmet plus facilement l‗image stéréotypée que
les journalistes veulent nous présenter, car ce mot sert
de mot-clé. De plus la presse a besoin d‗images toutes
faites, rapides et faciles, les expressions stéréotypées
les leur offrent.
Le mot « caïd » l‗exemplifie comme nous venons
de le voir lorsque les journalistes utilisent le mot « caïd
» c‗est pour parler d‗un « agresseur », « délinquant », «
violent » « sauvage dans une cité », « criminel », « tra-
fiquant de drogue » « quelqu‗un qui aime faire le beau
», « membre dans une association de malfaiteurs en
vue de contrebande de cigarettes en bande organisée ».
Conclusion
Nous avons précisé dans l‗introduction de
l‗analyse que nous voulions vérifier que les constats
déjà été faits à propos de l‗emprunt du mot « casbah »,
étaient applicables à d‗autres mots comme caïd. Nous
pouvons à propos de ce terme les constats suivants :
279
1. Ce nom est praxème, « un outil » de la nomina-
tion, dont le sens est constitué par la représentation que
les locuteurs ont de leur rapport à l‗objet nommé.
2. Sous le même mot il y a plusieurs sens pos-
sibles car le praxème, selon les points de vue parfois
adverses des locuteurs, enregistre des praxis radicale-
ment différentes, et des rapports inverses au réel qui
explique les variations sémantiques.
3. L‗altérité référentielle qui motive l‗emprunt
s‗inscrit dans le sémantisme français du terme emprun-
té, lequel comporte, à l‗inverse de l‗arabe, un signifié
d‗altérité. Cet élément de la signifiance du terme est
une composante essentielle, caractéristique de la proto-
typicalité de la notion en français.
4. Un signifié d‗altérité est mobilisé qui sert en-
suite de support à l‗expression de la relation à cette al-
térité : sentiments xénophobes infériorisation d‗un sta-
tut. Dans tous ces cas, la dialectique du Même et de
l‗Autre ainsi activée joue en dévalorisation de l‗altérité.
Bibliographie
AMOSSY Ruth, 1997, Stéréotypes et clichés, Paris,
Nathan.
BENVENISTE Emile, 1966, Problèmes de linguistique
générale, 1, Paris, Gallimard.
BENVENISTE Emile, 1974, Problèmes de linguistique
générale, 2, Paris, Gallimard.
BREAL Michel, 1897, Essai de sémantique, Paris, Ha-
chette.
280
BACCOUCHE Taïb, 1994, L‘Emprunt en arabe mo-
derne, Beït Al-Hikma-Cartage.
BAYLON Christian et Xavier MIGNOT, 1995, Sé-
mantique du langage, Paris, Nathan.
CHERIGEN Foudil, 2002, « Les mots des uns, les
mots des autres, le français au contact de
l‘arabe et du berbère ». Alger : Casbah Editions.
CUSIN-BERCHE, 2003, Les Mots et leurs contextes,
Paris Presse Sorbonne Nouvelle.
Détrie C.-Siblot P.-Verine B., 2001, Termes et con-
cepts pour l‘analyse du discours, Paris, Champion.
FROMENTIN Eugène, 1875 ?, Un été dans le Sahara,
pp 15-17-19.
GUILBERT Louis, 1975, La créativité lexicale, Paris,
Larousse
HAGEGE Claude, 1987, Le français et les siècles, Pa-
ris, Odile Jacob.
HAMERS Josiane et BLANC Michel, 1983, Bilingua-
lité et bilinguisme, Bruxelles, Margada.
JAHODA Marie et ANNE Herschberg Pierrot, 1964,
«Stéréotype » A. Dictionary of social sciences, Lon-
don, Tavistock Publication.
Kleiber Georges, 1997, « Sens référence et existence :
que faire de l'extralinguistique ? », Langage, Larousse,
pp. 127, 9-37.
Loti Pierre, 1890 « Au Maroc » PP.177-186-202.
MARTINET André, 1974, Les puristes contre la
langue, Paris, PUF.
REY DEBOVE Josette, 1998, La linguistique du signe
: une approche sémiotique du langage, Paris, Arnaud
Colin.
SABLAYROLLES Jean-François, 2003, L‘innovation
lexicale, Paris, Champion.
281
SIBLOT Paul, 1987, « Le praxème « aliénation » jeux
de mots et « histoires de fous », Questions sur les mots,
analyses sociolinguistiques, Paris, Didier Erudition.
SIBLOT Paul, 1988, « Le sens des réalités. Réel,
praxis et production signifiante », Linx, Paris X, n°19.
SIBLOT Paul, 1991, « Entre territoires des uns et terri-
toires des autres, l‗espace du sens, Cahier de praxéma-
tique n017, PP. 143-153.
SIBLOT Paul, 1994, « Les variations sémantiques d‗un
emprunt ou de la détermination de la production du
sens par la perception de l‗altérité »in Mots et enjeux
dans les contacts interethniques et interculturels, sous
la direction de Khadiyatoulah Fall, Daniel Simeoni,
Georges Vignaux, Les presses de l‗université
d‗Ottawa, pp107-125.
SIBLOT Paul, 1995, Comme son nom
l‗indique…Nomination et production de sens. Thèse de
Doctorat d‘Etat. Université de Montpellier III 8 vol.
SIBLOT Paul, 1996, « La polysémie en question : une
question mal posée ? »In Polysémie et construction du
Simonin Albert, 1953 « Touchez pas au grisbi »
PP.46-158.
Tharaud Jerôme, 1921 , « la fête arabe » PP.211-215
Al Mounjed al wasid, Dictionnaire étymologique
Encyclopédie générale de l‘Islam « société et civilisa-
tion islamique » V4, 1971.Ed Cambridge University
Press
Le Petit Robert 2003.
Mouhit al mouhit , Dictionnaire étymologique « les
plus anciens mots arabes ».
SITES WEB
WWW.Alray.com
www.Google.fr
282
BELKHOUS Dihia
Université d’Oran
Contexte historique et discours de la dénonciation
dans Le dernier été de la raison de Tahar Djaout
Résumé
L‘objet de cette étude est le roman posthume Le
Dernier Été de la raison de Tahar Djaout. L‘emprise
du contexte historique se traduit manifestement dans ce
roman par la prédominance des éléments renvoyant à
l‘actualité représentant la référence importante au con-
texte historique et socio-politique, ainsi qu‘aux événe-
ments tragiques de la « décennie noire » de l‘Histoire
Algérienne. Il s‘agit, dans ce roman, en quelque sorte,
d‘un « clin d‘œil » qui exhibe l‘évidence du lien exis-
tant entre le texte comme fiction (récit de fiction) à ce-
lui du contexte comme référence au réel historique. La
part fictive du récit pourrait être considérée comme une
« écriture de l‘Histoire » ou « une réécriture de
l‘Histoire ». La prédominance des références au con-
texte historique octroie au discours une dimension dé-
nonciatrice perceptible, dénonciation engagée et ca-
thartique représentant l‘un des effets de sens notoires
qui se dégagent de l‘écriture romanesque djaoutienne.
Mots-clés
Contexte, Histoire, fiction, presse, discours, dénoncia-
tion.
En explorant la production romanesque de Tahar
Djaout, nous sommes frappés par l‘importance qu‘y
prend l‘Historicité et l‘authenticité des faits qu‘il ex-
283
prime. Ses romans sont tous une reprise fictionnelle du
contexte historique algérien.
Nous nous proposons ainsi d‘étudier, dans cet ar-
ticle, l‘ambivalence romancier/historien que Djaout
parvient si bien à assurer dans sa production roma-
nesque, au point où l‘on n‘arrive que très difficilement
à distinguer les fils de l‘Histoire de ceux de la fiction.
L‘Histoire et la fiction demeurent au centre nodal de
l‘écriture de Tahar Djaout, elles sont également les
voies qui permettent de pénétrer ses textes et de les
questionner ensuite.
Le contexte historique est perceptible dans ses
écrits au point de s‘affirmer à travers son choix
d‘insérer dans la trame narrative, des faits historiques
authentiques et avérés. Il s‘appuie sur des événements
marquants de l‘Histoire antique et moderne algérienne
pour les intégrer dans ses fictions. L‘Histoire et la fic-
tion s‘influencent mutuellement autour du contexte so-
cio-politique et sont les points fondamentaux de son
écriture.
Cependant, Tahar Djaout ne convoque pas
l‘Histoire comme une donnée extérieure à la manière
du genre du roman historique : il en questionne les
fondements et les intègre à sa subjectivité et sa sensibi-
lité d‘écrivain. L‘auteur alimente son écriture avec des
éléments perçus comme vraisemblables, mais qui se
sont avérés authentiques après consultation. Il montre
alors une double facette : celle du romancier et celle de
l‘historien, l‘un et l‘autre attachés à un travail de re-
cherche et de documentation sur l‘Histoire, le contexte
et la société. Le contexte historique et social sert de
284
support à l‘œuvre fictive et au projet réaliste et anthro-
pologique de l‘écrivain. De ce fait, l‘œuvre roma-
nesque prend un triple caractère : vraisemblable, histo-
rique et imaginaire.
C'est dans cette perspective que s'inscrit notre
étude qui prend appui sur le roman posthume Le Der-
nier Été de la raison de Tahar Djaout. Notre objectif
n'est pas de couvrir la totalité des problèmes posés par
la relation entre l‘œuvre et son contexte d'apparition,
mais de montrer comment ce qui est improprement
nommé le "contenu/discours" du roman est en réalité
traversé par le renvoi à ses conditions d'énonciation.
Dans la mesure même où il s'agit de son contexte,
l'œuvre ne se constitue qu'en le constituant.
L‘emprise du contexte dans ce roman se traduit
très manifestement à travers la prédominance des élé-
ments renvoyant à l‘actualité par le biais de l‘insertion
de fragments journalistiques représentant la référence
importante au contexte socio-politique du moment, et
aux événements tragiques de la « décennie noire » de
l‘Histoire Algérienne. Le champ sémantique de ce
pamphlet renvoie tout entier à une foultitude frustre par
laquelle l‘auteur peint l‘horreur de la situation. Le Der-
nier Été de la raison, texte posthume de Tahar Djaout,
est un pamphlet littéraire vigoureux contre l‘intégrisme
islamiste aux premières heures de sa manifestation.
Le roman raconte le quotidien de Boualem Yek-
ker, libraire à Alger et père de deux enfants : Kenza et
Kamel. Boualem assiste à la mort lente de sa ville, en-
vahie par les barbus et où la vie ne se conjugue qu‘au
285
passé. Il n‘a plus aucun client et personne n‘ose
s‘aventurer dans sa librairie aux abords de laquelle des
gamins lui jettent des pierres. Sa femme et ses enfants,
gagnés au fanatisme de l‘ordre nouveau, lui ont repro-
ché de ne pas faire la prière et sa fille Kenza dont il
garde les souvenirs d‘innocence, le réprimande. Il vit
seul, paria, faisant partie de cette minorité pourchassée
par des brigades de barbus. Il survit au chaos de sa li-
brairie désertée par les clients :
Boualem Yekker sort de sa librairie juste pour se
dégourdir les jambes et jeter un coup d‘œil sur
l‘extérieur. Il n‘a pas eu, de toute la journée, le
moindre client, ou la moindre visite (Djaout Tahar,
1999 : 43)
Boualem lui-même jusqu‘ici épargné, trouve son
œuvre et son travail mis à néant lorsque sa librairie est
mise sous-scellé. La nouvelle tombe comme un coupe-
ret dans le roman puisque la phrase est détachée et pla-
cée entre deux périodes, formant à elle seule un para-
graphe : « La librairie a été fermée. » (Djaout Tahar,
1999 : 103)
Le contexte historique dans ce roman se manifeste
sous diverses formes. Nous verrons dans un premier
temps comment la fiction, par le biais de
l‘onomastique, se trouve être accréditée par un mé-
lange de noms fictifs et de noms attestés qui assurent
au récit un solide ancrage socio-historique. Nous pro-
céderons dans un deuxième temps, au repérage des dif-
férentes manifestations et traces de l‘Histoire dans le
roman, qui ont pour rôle d‘investir explicitement le
discours pour lui donner une authenticité, une légitimi-
té historique à visée dénonciatrice.
286
1.L’onomastique des personnages
Étudier les noms du roman de Djaout nous per-
mettra de les situer dans une manifestation de la straté-
gie historique qu‘a élaborée l‘auteur.
L‘onomatomancie se définit comme étant l‘art de
prédire, à travers le nom, la qualité de l‘être. Il est à
signaler dans ce sillage, qu‘un lecteur qui lit une œuvre
étrangère à sa propre culture, doit faire toute une dé-
marche de documentation et ceci afin de maîtriser les
codes de nomination de cette culture et de cette langue
étrangère. C‘est le cas dans ce roman de Tahar Djaout
où le personnage central Boualem Yekker porte un nom
onomastique de culture berbère. En langue kabyle :
« Yekker » du verbe « kker » signifie « Il se leva, il
s'est levé, debout ». Il s‘agit d‘un adjectif qualificatif.
C‘est ainsi que l‘association « Boualem yekker » dé-
signe « l’homme debout » :
Boualem yekker
Nom adjectif qualificatif
L‘homme debout
Nom adjectif qualificatif
287
Boualem yekker / l’homme debout incarne
l‘homme insoumis, rebelle et révolté, l‘homme qui ré-
siste et qui ne cède pas à l‘intégrisme.
De même pour Les Frères Vigilants qui sont eux
aussi accrédités de valeur onomastique à travers
l‘adjectif que leur a confiné l‘auteur. En effet, selon le
Dictionnaire Le Robert, est « Vigilant » celui «qui sur-
veille avec une attention soutenue » (Rey Alain (dir.),
1998 : 1409). Ainsi ce nom, par sa signification, révèle
la vérité du contexte auquel il réfère car en effet, les
Frères Vigilants font preuve à chaque situation d‘une
vigilance extrême. Ils sont là à scruter, surveiller, con-
trôler et inspecter tout ce qui se passe autour d‘eux :
Un frère vigilant détaille le véhicule suspecté. Il
en scrute l‘intérieur. Si d‘aventure un couple s‘y
trouve, il y a de fortes chances que le F.V. invite le
chauffeur à serrer à droite et s‘engager sur la bande de
stationnement, afin de vérifier, papiers d‘identité à
l‘appui, les liens conjugaux ou parentaux des passa-
gers. Le regard scrutateur s‘ingénie aussi à détecter
quelque bouteille d‘alcool ou tout autre produit prohi-
bé. (Djaout Tahar, 1999 : 13)
L‘onomastique nous incite ainsi à situer la straté-
gie discursive de l‘auteur. Sa cohésion est assurée car
les noms sont des pôles d‘identification dans la dié-
gèse, autrement dit, des repères. Dans cette perspec-
tive, le romancier use de ces éléments repères pour en-
richir sa composante narrative de sens et la placer en
corrélation directe au contexte historique auquel elle
réfère et qui l‘a vue naître. En effet, à travers la straté-
288
gie dénominative qu‘il adopte, l‘écrivain offre à lire sa
stratégie discursive consistant à accréditer sa fiction
d‘éléments Historiques et de marques réelles significa-
tives. Le roman est d‘un type particulier. En le lisant, il
donne l‘impression au lecteur d‘être face au contexte
réel dont use intelligemment le romancier pour présen-
ter une sorte de confession faite par son « porte pa-
role » : le narrateur-personnage, Boualem. Le roman se
trouve être puissamment nourri à l‘Histoire, le point
qui succède en est l‘illustration.
2.Les marques de l’Histoire dans le texte
L‘auteur décrit, à travers les pensées de Boualem,
les jours enténébrés des attaques et des agressions dont
ont été victimes les intellectuels algériens. Le libraire
subit les pires traitements à cause du choix de sa pro-
fession :
la première pierre à l‘atteindre a été lancée par
une fille […] la pierre ne lui a pas fait mal, l‘ayant at-
teint à l‘épaule […] il y a exactement cinq jours, il a
trouvé le pare-brise de sa voiture en miettes et un pneu
lacéré au couteau […] passé la première indifférence
qui est due à la surprise, son corps se met à trembler
d‘indignation … (Djaout Tahar, 1999 : 43-44)
L‘histoire dans Le Dernier Été de La raison est
« mi-réelle, mi-fictive ». Nous illustrons ce constat par
le point suivant : Dans le quatrième chapitre du roman,
intitulé « Le pèlerin des temps nouveaux »1, Tahar
Djaout parle des élections législatives de 1991, date du
déclenchement de cette tourmente : « Il pense aux der-
1 Djaout T. (1999), Le Dernier Été de La raison, Paris, Seuil. p. 33.
289
niers jours de la république juste avant les élections
législatives » (Djaout Tahar, 1999 : 34)
Ceci renseigne sur le fait que ces groupes de
Frères Vigilants sont apparus en janvier 1991, suite
aux élections législatives où le FIS (Front Islamique du
Salut) triomphât. Cette date est synonyme du début de
la tourmente qui frappa le pays et qui arriva plus tard à
son apogée en ciblant principalement les intellectuels :
journalistes et écrivains ; Et en faisant obstacle à tout
ce à quoi s‘alimente l‘intelligence humaine.
Le Dernier Été de La raison s‘inscrit dans un lieu
particulier à l‘auteur, entre fiction, contexte et Histoire.
Cet espace « entre » de l‘écriture s‘affiche d‘ailleurs
ouvertement dans une sorte d‘avertissement de la mai-
son d‘édition à l‘encontre du lecteur, édité au tout dé-
but du roman, dans une page intitulée note d‘éditeur :
Tahar Djaout a été assassiné le 2 juin 1993.
Quelques semaines avant, lors d‘un séjour à paris, il
nous avait annoncé qu‘il avait entrepris un nouveau
roman, mais qu‘il n‘en était qu‘au tout début.
Le manuscrit que nous publions aujourd‘hui a été
retrouvé dans ses papiers après la mort. Il nous est par-
venu après bien des péripéties. Il ne correspond pas au
sujet qu‘il nous avait indiqué. On peut penser que Ta-
har, de retour à Alger, a décidé de mettre de côté le
projet très littéraire dont il nous avait parlé pour se
consacrer à un récit plus directement inspiré par
l‘actualité. Le manuscrit ne portait pas de titre. Celui
que nous avons retenu est extrait du livre. Nous
290
n‘avons pas touché au texte sauf pour corriger des in-
conséquences mineures.
Cette note nous renseigne sur les conditions de
publication de ce texte. De plus, elle confirme qu‘il
s‘agit bel et bien d‘un récit directement inspiré par le
contexte brûlant et l‘actualité. Elle nous éclaire égale-
ment sur le fait que Djaout, influencé par le contexte
socio-politique et historique du moment, a mis de côté
un premier projet pour pouvoir se consacrer à celui-ci.
3.L’emprise de l’actualité
Il s‘agit donc dans ce roman, en quelque sorte,
d‘un « clin d‘œil » exhibant l‘évidence du lien existant
entre le texte comme fiction (récit de fiction) à celui du
contexte comme référence au réel historique.
Ainsi, les thèmes du fanatisme religieux, la vio-
lence et l‘intolérance des Frères Vigilants, « la désillu-
sion et le désenchantement ou plutôt la faillite du sys-
tème éducatif et la situation dramatique de la femme
algérienne considérée comme propriété de l‘homme
arrogant » (Djaout Tahar, 1999 : 69), sont autant des
thèmes qui cristallisent l‘œuvre romanesque de Tahar
Djaout que des caractéristiques de la société algérienne
de cette époque.
De par la lecture thématique, il apparait que Le
Dernier Été de la raison est une œuvre romanesque
qui « baigne » entièrement dans le contexte de
l‘Algérie. Il s‘agit-là d‘une interprétation propre de
l‘auteur écrivain et journaliste - reporter de l‘Histoire
tragique des évènements qui ont endeuillé toute une
société qui souffrait de certaines exactions inadmis-
sibles et absurdes de « l‘ordre nouveau, implacable et
291
castrateur […] des prêtres légistes qui se sont emparés
du pouvoir » (Djaout Tahar, 1999 : 110).
En effet, ce procédé esthétique de l‘écriture pro-
pose une stratégie vertigineuse et en même temps am-
bitieuse car la finalité de l‘auteur ne réside pas seule-
ment à faire réfléchir la mémoire de lecteur, mais aussi,
il tente dans son œuvre romanesque, grâce à sa vision
du monde et en s‘inspirant fortement du contexte so-
cio-politique et historique de son pays, (l‘Histoire tra-
gique de l‘Algérie contemporaine des années 90) de
prévenir du danger que représente l‘intégrisme et qui,
en évidence, met en péril sérieusement et lourdement la
stabilité de la société algérienne et menace principale-
ment l‘existence de la « république » si chère à
l‘écrivain.
L‘intertexte historique qui renvoie à l‘actualité est
sans doute très important dans la mesure où tout le
texte du Dernier Été de la raison se réfère incontesta-
blement aux évènements tragiques qui ont secoué la
société algérienne contemporaine des années 1990. La
fonction de journaliste, Djaout la porte en lui jusque
dans son imagination. Ainsi, cet intérêt porté à
l‘actualité ne peut être expliqué qu‘à travers cette
préoccupation accrue de la part de l‘auteur de faire res-
tituer quelques pans de l‘Histoire algérienne. Le con-
texte historique dans ce roman, se manifeste sous di-
verses formes. On constate dans ce texte, l‘insertion de
citations, articles de presse et chroniques propres à
l‘auteur. Ils ont pour rôles d‘investir explicitement le
discours pour lui donner une authenticité, une légitimi-
té. Il s‘agit, pour Djaout, d‘un outil argumentatif de sa
vision du monde.
292
La citation est la forme la plus explicite et la plus
visible de l‘insertion historique dans le corps du texte.
Elle est reconnue grâce à des codes typographiques :
emploi des guillemets, des caractères italiques et déca-
lages. La citation permet très souvent à l‘auteur de si-
tuer l‘œuvre dans un héritage culturel et d‘indiquer au
lecteur la tradition à partir de laquelle il doit lire le
texte.
Ainsi, l‘insertion de chroniques (ou de fragments)
journalistiques, insérées au sein du texte romanesque a
comme fonction non seulement de contribuer à
l‘enrichissement du roman, mais également à donner
une sorte de véracité au texte lui-même.
Dans cette optique et avec son verbe engagé et
sensible, Djaout dévoile avec lucidité vigoureuse la
réalité sociale et historique de son temps devant
l‘acharnement à défendre aveuglement certaines idées
archaïques et hypocrites « du peuple arrogant, plein de
certitudes, qui hante les rues et le jour » (Djaout Tahar,
1999 : 22). Ça laisse entendre ce déraillement fatal
dans l‘intégrisme et le fanatisme des Frères Vigilants
prêcheurs de la violence et de l‘exclusion des anti-
voleurs, « les nouveaux gouvernants » assoient leur
suprématie archaïque :
Le pays est entré dans une ère où l‘on ne pose pas
de questions, car la question est fille de l‘inquiétude ou
de l‘arrogance, toutes deux fruits de la tentation et ali-
ments du sacrilège. (Djaout Tahar, 1999 : 22)
Outre la citation, une autre manifestation de
l‘Histoire apparaît au niveau du deuxième chapitre du
roman. Ainsi, « un rêve en forme de folie » a pour ori-
gine un titre d‘une chronique journalistique écrite par
Tahar Djaout lui-même dans l‘hebdomadaire Ruptures
293
daté du 27 Avril au 03 mai 1993 sous le titre de « Pe-tite fiction en forme de réalité ».
Ainsi, la prédominance des éléments renvoyant au
contexte historique et lecture du texte renforcent chez
le lecteur l‘impression de lire une composante dénon-
ciatrice de même nature que d‘autres composantes
d‘autres œuvres. Néanmoins, l‘originalité de ce roman
réside dans le fait que la dénonciation est à la fois indi-
cible et cathartique.
4. Le discours de la dénonciation
Nous allons donc tenter de mettre en évidence, par
l‘analyse du texte, la stratégie formelle du discours de
la dénonciation en montrant son insertion dans la
structure des écrits. Le texte sera envisagé en tant que
discours de la dénonciation et ce, en prenant appui sur
la définition que donne Benveniste du discours :
Il faut entendre par discours dans sa plus grande
extension toute énonciation supposant un locuteur et un
auditeur et chez le premier l‘intention d‘influencer
l‘autre en quelque manière, c‘est d‘abord la diversité
des discours oraux de toute nature et de tout niveau, de
la conversation triviale à la harangue la plus or-
née. (Benveniste Émile, 1966 : 242)
Djaout use de la dénonciation comme un moyen
de se délester d‘un poids qui pèse lourd dans sa cons-
cience. Utilisant la création littéraire comme moyen de
se « défouler », il s‘agit d‘une méthode de « purgation
des passions », ou purification émotionnelle. L‘auteur a
recours à la dénonciation comme arme pour se dé-
fendre, défendre les droits des algériens, les revendi-
294
quer et ce, en essayant d‘exprimer les drames que vi-
vent les citoyens de la dernière décennie du XXème
siècle. Il utilise cette forme discursive particulière qui
consiste à vouloir « dénoncer ».
Ce vocable peut avoir maintes significations.
Concernant son emploi dans ce roman, il est possible
de l‘expliquer ainsi : c‘est la manière de montrer que
quelque chose ne va pas en prenant une distance par
rapport aux faits et en y apportant un regard de remise
en question et de rupture. À ce sujet, Dominique Main-
gueneau dira :
Syntaxiquement, ‗‘ dénoncer‘‘ est un verbe
d‘action : sur le plan énonciatif, il est acte de parole
assumé par un locuteur (ou un énonciateur) dont
l‘intention est de communiquer avec ‘‘un public‘‘, soit
un destinataire : dont le procès discursif modalisé se
réduit à un procès énonciatif : dénoncer comme acte de
parole, possède aussitôt une force illocutoire : il appar-
tient à la classe des « marqueurs » du dis-
cours. (Maingueneau Dominique, 1983 :63)
Aussi, le discours dans Le Dernier Été de la rai-
son est une sorte d‘écriture substituée à l‘oralité et cela
dans le but d‘interpeller les lecteurs (comme nous
l‘avons signalé antérieurement). Il s‘agit, tout au long
de notre corpus d‘analyse, d‘une représentation trans-
gressive des droits des algériens à travers les yeux de
Boualem Yekker, le « narrateur-personnage » :
Un homme et une femme dans la rue, absorbés
dans une discussion amicale. Elle ne souhaite pas
l‘éviter. Lui ne pense pas, brute guidée par son sexe, à
295
se jeter sur elle et à la culbuter. Elle ne cache pas son
visage, de crainte de réveiller en lui la bête. Il ne la fuit
pas, de peur que le diable en lui ne devienne le maître
des décisions.
Boualem Yekker pense à des scènes jadis cou-
rantes et naturelles d‘hommes et de femmes qui discu-
tent comme des êtes pourvus de raison, de retenue, de
considération ; des être capables d‘amitiés, d‘affection,
d‘estime, de civisme, de colère –des hommes et des
femmes tellement éloignés de ces bêtes d‘affût qu‘ils
sont désormais devenus les uns pour les autres. (Djaout
Tahar, 1999 : 65)
Dans ce sens, le roman met au centre, dans un
contexte historique particulier, le quotidien d‘un
homme tourmenté habité par les livres, la littérature et
sa librairie, que l‘on a jugés « hors-la-loi ». On le me-
nace sans cesse. Les yeux l‘épient où qu‘il se trouve,
faisant de lui une cible sans défense.
De plus, l‘auteur poursuit sa dénonciation en
montrant le statut, non seulement de Boualem Yekker
mais aussi des intellectuels de la décennie noire (an-
nées 90), poursuivis par les hordes intégristes et terro-
ristes qui tentaient de les exclure de cette existence
crénant la liberté, l‘amour de la vie ainsi que
l‘intelligence humaine et féconde qu‘ils détenaient :
-J‘ai appris qu‘on établit pour chaque quartier des
listes de personnes à neutraliser ou à châtier, d‘activités
à enrayer et de commerces à fermer. Cela touche,
semble-t-il, tout et tout le monde : des artistes, des pro-
fesseurs, des clubs sportifs, des restaurants qu‘on soup-
çonne de servir de l‘alcool en douce, des hôtels jugés
immoraux, des librairies. (Djaout Tahar, 1999 : 47)
296
La dénonciation dans ce roman est cathartique
dans la mesure où elle est libératrice et purificatrice.
Djaout, en dénonçant les agissements des hordes inté-
gristes, se déleste d‘un poids. L‘écriture se révèle être
une formidable thérapie purgative. Ainsi, dans ce ro-
man, la vertu curative de l‘écriture semble principale-
ment liée à une fonction dénonciatrice cathartique.
La méthode cathartique a été instaurée par Freud.
Cependant, l‘origine du mot « catharsis »1 remonte à
plus loin. C‘est Aristote qui fut l‘un des premiers à
aborder ce phénomène. La catharsis est la purgation
des passions par le moyen de la représentation drama-
tique : en assistant à un spectacle théâtral, l'être humain
se libère de ses pulsions, angoisses ou fantasmes en les
vivant à travers le héros ou les situations représentées
sous ses yeux. Pour Aristote, le terme est surtout médi-
cal mais il sera ensuite interprété comme une purifica-
tion morale. En s'identifiant à des personnages dont les
passions coupables sont punies par le destin, le specta-
teur de la tragédie se voit délivré, purgé des sentiments
inavouables qu'il peut éprouver secrètement. Le théâtre
a dès lors pour les théoriciens du classicisme une va-
leur morale, une fonction édifiante. Plus largement, la
catharsis consiste à se délivrer d'un sentiment encore
1 Catharsis vient du grec katharsis, qui veut dire « purification ». La catharsis
est la purgation des passions par le moyen de la représentation dramatique : en assistant à un spectacle théâtral, l'être humain se libère de ses pulsions, angoisses ou fantasmes en les vivant à travers le héros ou les situations représentées sous ses yeux. Pour Aristote le terme est surtout médical mais il sera interprété ensuite comme une purification morale. En psychologie, ce terme est appliqué depuis 1895 à la libération thérapeutique d'émotions responsables de tensions ou d'anxiété. La méthode cathartique requiert toujours d'amener les émotions refoulées à un niveau de conscience.
297
inavoué. Dans l'interprétation classique de la catharsis,
elle est une méthode de « purgation des passions » ou
purification émotionnelle, utilisant des spectacles ou
histoires tragiques considérées édifiantes. En psychana-
lyse, la catharsis est un concept utilisé par Sigmund
Freud pour désigner le rappel à la conscience d'une
idée refoulée.
Utilisée notamment par le cinéma, le théâtre et la
littérature, elle montre le destin tragique de ceux qui
ont cédé à leurs pulsions. En vivant ces destins mal-
heureux par procuration, les spectateurs ou lecteurs
sont censés prendre en aversion les passions qui les ont
provoquées.Dans cette perspective, Tahar Djaout pro-
pose dans son roman des descriptions fort détaillées
qui montrent comment ces Frères Vigilant sont habil-
lés, quels sont leurs traits distinctifs, leurs apprécia-
tions de la société, et des intellectuels en particulier.
Ces portraits arborent le désir qu‘a Djaout de dénoncer,
sur un ton sarcastique parfois, l‘aspect insolite des in-
tégristes :
Ce fut sur la route, une cinquantaine de kilomètres
avant d‘arriver à la capitale qu‘ils se heurtèrent à un
barrage inhabituel dressé par de jeunes hommes bar-
bus, accoutrés comme des guerriers afghans, mais avec
une pointe de fantaisie constituée par le mariage de
tennis haut de gamme et de pyjamas, de gandouras et
de vestons en cuir. Munis de gourdins, de sabres mais
aussi de pistolets … (Djaout Tahar, 1999 : 31)
D‘étranges pontifes enturbannés, aux yeux passés
au khôl et à la barbe teinte au henné, se sont autopro-
clamés savants … (Djaout Tahar, 1999 : 83)
298
L‘homme, le plus souvent barbu, engoncé dans
une tenue hybride où se marient la gandoura et la veste,
le veston ou le pardessus… (Djaout Tahar, 1999 : 66)
Le Dernier Été de la raison renvoie à une multi-
tude frustre par laquelle sont peints ces « Frères vigi-
lants ». Ces hordes de barbus menaçants ont fait main
basse sur la ville et leur victoire est faite de sauvagerie,
d‘un retour au paganisme. Ceux qui osent défier leur
communauté de barbus sont châtiés et voués aux gé-
monies :
Depuis que les prêtres légistes se sont emparés du
pouvoir pour réaliser le règne de l‘Équité, pour gou-
verner selon la loi et la volonté de Dieu, la confiance
règne partout : le souverain commandeur selon le dé-
cret divin reçoit sur son divan, un flingue à la
main. (Djaout Tahar, 1999 : 52)
La répression et la solitude que subit le libraire
laissent une grande part à la réflexion et à la liberté de
s‘exprimer. Il est souvent seul et est amené de ce fait à
penser à lui-même, à son destin et aux raisons de son
enfermement. Dans ses pensées, il a souvent tendance à
s‘auto-analyser. Ainsi, le personnage principal s‘inscrit
dans un cadre spatiotemporel précis. Il prend appui sur
des réalités sociales précises, un contexte historique
précis, et un espace idéologique complexe, conformé-
ment à ce qu‘affirme Max Milner :
Dans toute critique, […] il y a donc un pari, un
engagement de l‘interprète, et il doit en être ainsi parce
qu‘un texte littéraire n‘est pas un objet neutre […] mais
un foyer de messages, issu d‘une conscience enracinée
dans une expérience psychologique, historique et cultu-
relle, et adressé à d‘autres consciences, qui peuvent
299
être atteintes que par l‘intermédiaire d‘une lecture per-
sonnelle. (Achour Christiane, 1997-1998 : 67)
L‘auteur dresse une image –à travers le point de
vue de Boualem- de l‘Algérie en proie à la guerre, vic-
time du terrorisme et de cette vague islamiste intégriste
et dévastatrice. Ce courant tumultueux, qui ne veut pas
lâcher le héros Boualem Yekker ainsi que les autres al-
gériens, se voit sans frontières ; il touche à toutes les
catégories sociales, n‘importe où et n‘importe quand.
Boualem recourt à la beauté des paysages algériens
pour faire passer aux lecteurs un double discours qui
oppose deux pôles semblables mais non-identiques : Le
premier consiste en la représentation de l‘Algérie de
l‘après-guerre (la post-indépendance) dont voici un
extrait illustratif :
L‘une des rares traces qui rappellent encore
l‘ancien régime, ce sont ces lampadaires qui demeurent
allumés, jalonnant les rues de leurs yeux timides, of-
fusqués par la splendeur du soleil.
Boualem Yekker regarde les boules orange, fruits
anachroniques éclos au faite des poteaux. Il se de-
mande quel service précis s‘occupe de la gestion
d‘éclairage, combien coûte à ce qui était la République,
et qui se dénomme aujourd‘hui la Communauté dans la
Foi. (Djaout Tahar, 1999 : 33)
Se peut-il qu‘une cité se métamorphose en
l‘espace de quelques jours ? Le flux des voitures est
fantasque : parfois la route est vide, et parfois les autos
y déboulent en rangs serrés. On dirait qu‘elle est com-
mandée par un de ces appareils de jeux électroniques
qui créent la profusion ou la vacuité, suivant les mani-
pulations. (Djaout Tahar, 1999 : 51)
300
Du coup, sujets et objets de la dénonciation cons-
tituent le centre de notre corpus d‘analyse. Ainsi, Tahar
Djaout aspire à nous transmettre un message en dénon-
çant la situation algérienne prévalant pendant la der-
nière décennie du siècle dernier, surtout en étant lui-
même intellectuel, écrivain et journaliste broyé et mar-
ginalisé à son tour durant la même période.
En définitive, à travers ses textes, Djaout conduit
un discours sociopolitique fortement inspiré du con-
texte historique pour exposer ses pensées personnelles.
Il relate la réalité historique de son pays et de tous les
algériens en usant d‘une écriture allégorique, guidée
par l‘euphémisme.
Une fois admis la dénonciation, il également im-
portant de signaler que l‘auteur, qui a témoigné des
premières heures de la montée des islamistes du FIS, se
réfère à un lexique dénotant le discours idéologique de
la violence ancrée dans la nature étrange d‘un pouvoir
déracinant de cette lugubre communauté. Décrites
sous le regard de Boualem Yekker, personnage pour
une large part substitut de l‘auteur, ces « brigades,
hordes, bandes, milices » -mots fort récurrents dans le
texte- imposent un nouvel ordre de « rédempteurs ». Ils
sont désignés par le biais d‘un lexique diversifié et les
termes les signalant (brigades, bandes, guerriers
afghans, nouveaux maîtres, détestables représentants,
prédicateurs, nouveaux impétrants, prêtres légistes, mi-
lices religieuses, vigiles insomniaques, etc.).
Tahar Djaout a recours à une variété lexicale pour
désigner d‘une manière indicible les islamistes terro-
ristes, ceux qu‘il nomme d‘emblée (Mokhtari Rachid,
2003 : 192)
301
Ainsi, dans cette fiction qui transcende
l‘événement et l‘immanent, nous rappelons que
l‘auteur n‘a à aucun moment du texte, eu recours au
terme « d‘islamiste » ou de « terroriste » dont l‘emploi,
appartenant à la littérature politique ou usitée par la
presse écrite, aurait donné à l‘œuvre cette étiquette
journalistique ou politique.
Bibliographie ACHOUR C. (1997-1998), Lectures Critiques, Alger,
OPU.
BENVENISTE É. (1966), Problèmes de Linguistique
Générale, Paris, Gallimard.
DJAOUT T. (1999), Le Dernier Été de la raison, Pa-
ris, Seuil.
DUCHET C. (1979), Sociocritique (texte de B. Berke
et J. Decottignie), Paris, Nathan.
GOLDENSTEIN J.-P. (1983), Pour lire un roman,
Bruxelles, Duculot.
MAINGUENEAU D. (1983), Initiation aux méthodes
de l’analyse du Discours, Paris, Hachette.
MOKHTARI R. (2003), La Graphie de l’horreur, Al-
ger, Chihab.
REY A. (dir.). (1998), Le Robert Micro : dictionnaire
d’apprentissage de la langue française, Paris, Diction-
naires Le Robert.
SCHMITT M. P., VIALA A. (1982), Savoir-lire, Paris,
Didier.
302
EDITIONS ANWAR EL MAÂRIFA
***
Dépôt légal : 2480-2013 ISSN1112-6337
Cité du 20 Août «Ex Cia» BT 100 A Bis N°: 40 Mostaganem – Algérie
Tél :045 30 71 84 / fax : 045 30 84 93 GSM : 0770 37 45 97
Email : [email protected]