L’Art de célébrer en vérité et dans la beauté la liturgie de Vatican...

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L’Art de célébrer en vérité et dans la beauté la liturgie de Vatican II Un extrait du message adressé par le pape François au préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements le 18 février 2014, à l’occasion d’un symposium marquant le cinquantième anniversaire du vote et de la promulgation de la Constitution sur la Liturgie, Sacrosanctum concilium, me semble bien introduire notre propos sur la Liturgie issue de la réforme demandée par le concile Vatican II. «Voici cinquante ans qu’a été promulguée la constitution Sacrosanctum Concilium, premier document publié par le concile œcuménique Vatican II et cet anniversaire important suscite des sentiments de gratitude pour le renouveau profond et répandu de la vie liturgique, rendu possible par le Magistère conciliaire, pour la gloire de Dieu et l’édification de l’Église ; en même temps, cela nous pousse à relancer notre engagement à accueillir et à mettre en œuvre de manière toujours plus complète un tel enseignement. » 1 En quelques lignes le pape rappelle le chemin parcouru depuis 50 ans en soulignant en particulier «le renouveau profond et répandu de la vie liturgique» et en encourageant à poursuivre la mise en œuvre «toujours plus complète» de l’enseignement de l’Eglise. A la fin de son message, il renouvelle son encouragement en exhortant tous les fidèles chrétiens, laïcs, prêtres et personnes consacrées, à unir leur volonté d’avancer sur le chemin indiqué par les pères conciliaires, «parce qu’il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une assimilation complète de la Constitution sur la Sainte Liturgie de la part des fidèles et des communautés ecclésiales.». Et le pape François précise sa pensée : «Je veux parler en particulier d’un engagement en vue d’une initiation et une formation liturgiques solides et équilibrées des fidèles laïcs comme des prêtres et des personnes consacrées.» Le message du pape François est clair : La Constitution sur la Liturgie et les développements ultérieurs de l’enseignement de l’Eglise nous ont aidés à redécouvrir et donc à mieux comprendre ce qu’est la liturgie. 1 Message du pape François au Cardinal Antonio Canizares, préfet de la congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements le 18 février 2014, Zenit du 21 février 2014.

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L’Art de célébrer en vérité et dans la beauté la liturgie de Vatican II

Un extrait du message adressé par le pape François au préfet de la Congrégation pour le

culte divin et la discipline des sacrements le 18 février 2014, à l’occasion d’un symposium

marquant le cinquantième anniversaire du vote et de la promulgation de la Constitution sur

la Liturgie, Sacrosanctum concilium, me semble bien introduire notre propos sur la

Liturgie issue de la réforme demandée par le concile Vatican II.

«Voici cinquante ans qu’a été promulguée la constitution Sacrosanctum

Concilium, premier document publié par le concile œcuménique Vatican II et cet

anniversaire important suscite des sentiments de gratitude pour le renouveau

profond et répandu de la vie liturgique, rendu possible par le Magistère

conciliaire, pour la gloire de Dieu et l’édification de l’Église ; en même temps,

cela nous pousse à relancer notre engagement à accueillir et à mettre en œuvre de

manière toujours plus complète un tel enseignement. »1

En quelques lignes le pape rappelle le chemin parcouru depuis 50 ans en soulignant en

particulier «le renouveau profond et répandu de la vie liturgique» et en encourageant à

poursuivre la mise en œuvre «toujours plus complète» de l’enseignement de l’Eglise.

A la fin de son message, il renouvelle son encouragement en exhortant tous les fidèles

chrétiens, laïcs, prêtres et personnes consacrées, à unir leur volonté d’avancer sur le

chemin indiqué par les pères conciliaires, «parce qu’il reste encore beaucoup à faire pour

parvenir à une assimilation complète de la Constitution sur la Sainte Liturgie de la part

des fidèles et des communautés ecclésiales.». Et le pape François précise sa pensée :

«Je veux parler en particulier d’un engagement en vue d’une initiation et une formation

liturgiques solides et équilibrées des fidèles laïcs comme des prêtres et des personnes

consacrées.»

Le message du pape François est clair :

La Constitution sur la Liturgie et les développements ultérieurs de l’enseignement de

l’Eglise nous ont aidés à redécouvrir et donc à mieux comprendre ce qu’est la liturgie.

1 Message du pape François au Cardinal Antonio Canizares, préfet de la congrégation pour le culte divin et la discipline des

sacrements le 18 février 2014, Zenit du 21 février 2014.

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En d’autres termes par le renouveau liturgique nous avons pris conscience que le Christ se

révèle comme le véritable protagoniste de toute célébration et qu’il «s’associe toujours

l’Église qui l’invoque comme son Seigneur et qui passe par lui pour rendre son culte au

Père éternel» (VSC 7).

Bien entendu, cette action, qui a lieu par la puissance de l’Esprit-Saint, possède une force

créatrice profonde, capable d’attirer a elle tout homme et, d’une certaine façon, toute la

création.

Ce que le pape François a exprimé pratiquement 2 ans, reprend finalement en l’actualisant,

certes, les grandes intuitions de deux dominicains les pères Roguet et Duployé qui, en

pleine seconde guerre mondiale, très exactement le 20 mai 1943 ont fondé à Paris le

Centre de Pastorale Liturgique plus communément appelé C.P.L.

Ces deux hommes ont rassemblé autour d’eux tout un groupe de théologiens, de

liturgistes, de pasteurs (P. Michonneau, le curé de Colombes, peut-être cela dit quelque

chose à certains d’entre vous, un grand apôtre des années d’après-guerre).

Ces hommes ont perçu quoi ?

Ils ont perçu, au fond, une chose que nous entendons aujourd’hui sous l’expression de

«nouvelle évangélisation», qu’il y a quelques années les évêques de France ont thématisé

sous l’angle de la «Proposition de la foi» et à leur époque on pensait à partir d’un livre qui

a fait date «France, pays de mission ? » Point d’interrogation. Ouvrage d’ailleurs qui vient

d’être réédité il y a à peine quelques semaines.

Et derrière c’était la volonté d’annoncer Jésus Christ, finalement à un monde qui le connaît

de moins en moins.

Il me semble qu’au fond, ce que j’ai à vous dire ce soir, pourrait se résumer en une phrase.

Comme toujours les choses essentielles se disent en peu de mots !

La Sainte Liturgie n’est pas d’abord des choses à faire mais une expérience à vivre,

ensemble, en Eglise de telle sorte que le monde puisse découvrir ce Jésus Christ sauveur

qui polarise nos vies.

Finalement les choses sont assez simples une fois que nous avons posé cette affirmation

positive.

Certes, quand nous parlons de liturgie, spontanément nous pensons à des débats, à des

échanges souvent conflictuels ou tout au moins passionnés.

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Or, contrairement à cela, si nous nous situons dans la perspective de l’affirmation

précédemment énoncée, nous ne sommes pas dans des controverses mais dans notre

responsabilité commune d’être des témoins de Jésus Christ, aujourd’hui, avec cette grande

conviction que je me permets de vous livrer :

Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas très nombreux que la force du Christ n’est pas

pertinente pour notre monde mais peut-être le contraire.

N’est-ce pas d’ailleurs ce qui fut aux origines de l’Eglise : les Douze apôtres ne devaient

pas beaucoup briller quand ils se sont retrouvés le soir de la Pentecôte.

Voilà j’ai tout dit en une phrase.

Alors nous allons regarder un peu plus en détails et profondément comment cela s’est

réalisé.

Il y aura donc deux parties très simples :

Dans une première partie essayons de reprendre succinctement l’histoire, disons de la

Constitution sur la Liturgie, l’un des quatre textes majeurs du concile Vatican II.

Mais non pas tellement pour faire de l’histoire mais pour essayer de nous remettre dans la

visée du Concile.

Puis dans un deuxième temps, je vous propose , non pas de faire un bilan, ce n’est

évidemment pas ma perspective, mais de prendre trois points qui me semblent

caractéristiques de ce que nous avons reçu de Vatican II dans le domaine de la liturgie et

en même temps trois points sur lesquels, me semble-t-il , il est nécessaire de retravailler

pour approfondir, pour ne pas rester à la superficie.

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Première partie : je l’ai intitulé : la liturgie, porte du concile Vatican II

1.1. Dans un premier temps, l’image est très simple.

La Constitution sur la Liturgie (VSC) est le premier texte publié par le Concile,

le 4 décembre 1963.

Ce texte fut voté à la quasi-unanimité des évêques du concile (2205 oui, 4 non).

Ici, il est déjà intéressant de rappeler que Mgr Marcel Lefèbvre a voté positivement la

Constitution sur la Sainte Liturgie de Vatican II.

Mais il est peut-être encore plus remarquable de souligner que c’est le seul schéma, le

schéma étant un texte préparatoire proposé en avance aux évêques comme projet à

discuter, à amender, etc., c’est le seul schéma qui va trouver grâce auprès des pères

conciliaires et ce depuis les consultations des évêques avant même l’ouverture du concile

Vatican II.

Aujourd’hui nous avons la grande chance de pouvoir consulter les archives de nombreux

évêques ayant participé au Concile. Il y a des textes qui pourraient être cités, en particulier

du Cardinal Pierre Gerlier, archevêque de Lyon à l’époque, qui sont très très net en disant :

«C’est le seul schéma intéressant ! ».

En d’autres termes, si à Vatican II, ce texte sur la liturgie fut la porte c’est aussi parce qu’il

avait été précédé par, disons, un siècle de réflexions sur la liturgie.

Mais malgré cela mon premier point est de vous faire remarquer, que bien que ce soit le

premier texte, bien ce soit un texte majeur, nous pouvons affirmer qu’il est assez peu

connu. Sans doute moins que d’autres.

Et cela tient pour une grande part au fait que, très vite, le texte conciliaire sur la liturgie est

apparu comme la charte d’une réforme liturgique à venir.

En d’autres termes très vite le texte est apparu comme occulté par sa mise en œuvre.

Cela peut paraître paradoxal car c’est sans doute le texte qui a été reçu le plus

concrètement au point que beaucoup de catholiques de l’époque ont compris Vatican II à

partir de l’image : «On nous change la messe ! ».

Cela dit c’est sans doute l’un des textes les moins lus.

Donc très rapidement cette Constitution a été supplantée par sa mise en application et

peut-être encore plus par les débats que cette mise en application a suscitées.

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Dans l’histoire de ce que nous appelons l’herméneutique du Concile ou, si vous voulez

l’interprétation du Concile, il est frappant de constater que c’est la Constitution sur

l’Eglise, Lumen gentium qui, dans un premier temps, est apparu comme la clé de

compréhension de Vatican II.

Pensons, par exemple, à la collégialité des évêques, à la notion de Peuple de Dieu, à la

réalité du Peuple de Dieu, à la dignité de l’Eglise particulière, à la relation entre l’Eglise

catholique et les autres églises et communautés chrétiennes, à l’œcuménisme.

Tout cela est dans Lumen gentium, si bien que ceux qui étudient Vatican II ont plutôt mis

en avant Lumen gentium, la Constitution sur l’Eglise.

Dans un deuxième temps, à la suite d’une intervention du cardinal Joseph Ratzinger en

2000, c’est la Constitution sur la Révélation, Dei Verbum, qui est apparu comme la clé du

Concile.

Il est donc étrange que la porte du Concile, Sacrosanctum concilium, n’ait pas servi de clé.

Le cardinal Ratzinger lui-même a essayé de l’exprimer dans un texte de l’an 2000 en

soulignant l’étrangeté de ce fait.

Pourquoi, je vous partage cela ? Parce que lors de la publication du texte donc le 4

décembre 1963, en fait le 5, le Bienheureux pape Paul VI prend la parole devant

l’assemblée conciliaire.

Que dit-il ? : «Dieu premier servi. La liturgie notre première tâche».

Non pas, nous le comprenons, qu’il y ait, chez le pape Paul VI, aucun repli sur des

questions de sacristie. La liturgie ce n’est pas de savoir combien de cierges nous mettons

sur l’autel pour la fête de tel saint.

Pourquoi, parce que finalement à nouveau cela se résume en une phrase fondamentale :

la liturgie est sommet et source de la vie de l’Eglise.

Voilà la conviction, me semble-t-il, qui a marqué le Concile Vatican II qui est à l’arrière-

fond de la redécouverte de la place de la liturgie dans la vie de l’Eglise.

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1.2. Dans un deuxième temps attardons-nous sur le fait que cette Constitution

sur la liturgie est actuellement un texte en cours de redécouverte

Cela est peut-être la conséquence du discours inaugural, si l’on peut dire, même s’il a lieu

6 mois après son élection, du pape Benoît XVI à la Curie romaine le 22 décembre 2005,

discours qui porte précisément sur l’interprétation du Concile.

Il faut l’avouer : on a souvent durci les propos du pape Benoît XVI.

Alors que par le mot de rupture, Benoît XVI a voulu récuser une compréhension du

Concile conçu comme une sorte de table rase du passé, comme une sorte de révolution

dans l’Eglise.

Et en face de cela il a mis le mot de continuité.

Par là il voulait souligner la place de la notion de Tradition dans la foi catholique.

Faut-il le rappeler, le Concile Vatican II n’a pas été la révolution copernicienne de

l’Eglise.

Mais à la suite et à la demande du pape saint Jean XXIII, le concile Vatican II a voulu être

une réinterprétation de la Tradition de l’Eglise pour que nous en vivions.

Derrière cela c’est donc la grande idée, la grande réalité de Tradition vivante dont il s’agit.

L’un de nos problèmes, me semble-t-il, c’est la compréhension juste, exacte du terme de

Tradition.

Chez beaucoup de catholiques ce mot concerne des choses, des réalités du passé et lorsque

nous appliquons cette manière de comprendre, d’interpréter ce terme de tradition dans le

domaine de la liturgie nous voyons clairement ce que cela peut donner.

Dès que nous employons ce mot de tradition cela veut dire «la messe de toujours», pour

prendre la formule de Mgr Lefebvre et de ses successeurs.

La Tradition c’est tout autre chose. C’est dans l’Eglise la transmission ininterrompue de

l’Evangile de Jésus Christ.

Nous voyons bien pourquoi le pape Benoît XVI parle, et avec raison, de renouveau dans la

continuité du sujet Eglise.

C’est bien dans cette perspective que s’inscrit le concile Vatican II !

Cela va avoir des conséquences très importantes dans le domaine de la liturgie.

En effet, et je l’ai rappelé au début de mon intervention, en liturgie il s’agit avant tout

d’une expérience à vivre, il ne s’agit pas d’idées.

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Donc, pendant des siècles, on faisait comme cela et après on a fait autrement.

Si nous avons changé c’est pour faire la même chose parce que dans un monde changeant,

il faut changer pour continuer à vivre de la Tradition. Voilà ce qui était en jeu. C’est

exactement ce que le pape, cette fois, saint Jean-Paul II a exprimé dans la Lettre qu’il a

publié à l’occasion du 25e anniversaire de la Constitution sur la liturgie.

Dans cette Lettre publiée à Pentecôte 1989 mais datée du 4 décembre 1988 et qui gagne à

être connue, saint Jean-Paul II affirme solennellement son adhésion totale à la réforme

liturgique de Vatican II.

«La réforme des rites et des livres liturgiques a été entreprise presqu’aussitôt

après la promulgation de la Constitution Sacrosanctum concilium et réalisée en

quelques années grâce au travail considérable et désintéressé d’un grand nombre

d’experts et de pasteurs de toutes les parties du monde.

Ce travail a été accompli suivant le principe conciliaire :

fidélité à la tradition et ouverture à un progrès légitime.

Aussi peut-on dire que la réforme liturgique est strictement traditionnelle,»

et il ajoute en latin, dans le texte original latin, bien sûr, mais dans la traduction française

le texte latin a été gardé parce que c’est une formule de saint Pie V promulguant le missel

de 1570 ‘ad normam sanctorum patrum’ selon la norme des saints pères’.»2

Cette citation du saint Jean-Paul II est évidemment de grande portée.

Elle affirme au moins 4 choses :

* 1° La Constitution VSC a été effectivement la charte de la réforme liturgique.

Certes, elle n’est pas que cela mais elle donne les grands objectifs d’une liturgie

renouvelée pour être fidèle à la Tradition.

* 2° Cette réforme liturgique a été possible grâce à un travail considérable et

désintéressé d’un grand nombre d’experts et de pasteurs de toutes les parties du monde.

Aujourd’hui nous ignorons totalement ce qui s’est passé, disons dans ces années 1964 à

1975.

2 Lettre apostolique de Jean-Paul II à l’occasion du 25

e anniversaire de la Constitution Sacrosanctum concilium sur la sainte

liturgie, Cerf 1989, p.9.

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Est-ce que vous avez une idée de ce que représentent les dossiers d’études, tous les papiers

de travail. Je pense que cela occuperait 3 fois la longueur de cette salle.

C’est un travail colossal qui a été effectué par les membres des diverses commissions.

De plus, quand nous prenons conscience que cela avait été préparé par 70 ans et plus de

travaux scientifiques, de recherches sur la liturgie, il y a de quoi être sidéré lorsque nous

lisons parfois, aujourd’hui, que la réforme liturgique a été pensée, faite à la va-vite par un

groupuscule de personnes qui voulaient casser la tradition de l’Eglise !

Cela est vraiment n’avoir rien étudié ou pire falsifier la vérité !

* 3° Fidélité à la tradition et ouverture à un progrès légitime.

Voilà effectivement une caractéristique du concile Vatican II et de la réforme qu’il a

suscitée !

Réforme guidée par le pape Bienheureux Paul VI qui, chaque soir, de sa main à l’aide d’un

crayon de couleur rouge, annotait, corrigeait tous les projets des textes liturgiques.

Réforme qui a été voulu comme une continuité de la tradition liturgique de l’Eglise ce qui

nous permet de dire que le Missel traditionnel n’est pas celui de 1962 ou de 1570 dit de

saint Pie V mais bien celui qui est sur l’autel de nos diverses églises où célèbrent chaque

jour ou chaque dimanche nos pasteurs.

C’est le Missel dont nous vivons actuellement parce que, précisément, c’est celui que le

bienheureux Paul VI a remis à l’Eglise pour vivre dans la tradition et de la tradition.

Ceci est tellement vrai d’ailleurs qu’il serait aisé de vous montrer, mais je ne vais pas me

lancer là-dedans, qu’à 80 % le missel que nous utilisons de manière ordinaire, missel dit

de 1970 est celui de saint Pie V, donc de 1570 traduit mais complété parfois de pièces plus

anciennes ou de créations plus récentes. Ainsi va la tradition de l’Eglise.

* 4° Ouverture à un progrès légitime.

Effectivement sur un certain nombre de points les pères conciliaires souhaitaient très

fortement des changements pour s’ajuster à la vie de l’Eglise telle qu’elle était devenue.

Ils avaient, en particulier, une vive conscience ce que nous appelons aujourd’hui, peut-

être, le Quart-monde.

En fait, il s’agissait d’annoncer le Christ, la Bonne Nouvelle, aux pauvres.

Ils avaient une vive conscience que, par exemple, à leurs yeux il n’était plus possible de

célébrer en latin.

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Ce fut un grand débat à Vatican II et cela n’était pas du tout évident à l’ouverture.

Mais voilà que dans l’assemblée conciliaire, progressivement, s’est établi un consensus

qu’il fallait ouvrir la possibilité d’utiliser ce que nous appelons les langues vernaculaires

ou les langues populaires dans la liturgie.

Pour conclure ce point délicat du rapport à la tradition, deux exemples qui peuvent guider

la lecture que nous faisons du texte conciliaire.

Premier exemple : précisément le numéro 36 sur la langue liturgique.

Nous allons le lire pour la joie :

Alinéa1. «L’usage de la langue latine, sauf droit particulier, sera conservé dans les rites

latins»3.

En général on me dit : «Vous voyez bien qu’on est infidèle à Vatican II !»

Ah oui, mais il faut aller au bout des textes, il ne faut pas s’arrêter en chemin.

Alinéa 2.

«Toutefois, soit dans la messe, soit dans l’administration des sacrements, soit dans

les autres parties de la liturgie, l’emploi de la langue du pays peut être souvent

très utile pour le peuple : on pourra donc lui accorder une plus large place,

surtout dans les lectures et les monitions, dans un certain nombre de prières et de

chants, conformément aux normes qui sont établies sur cette matière dabs les

chapitres suivants, pour chaque cas»4.

Et nous avons au moins 5 numéros dans le texte conciliaire qui prévoient l’usage de la

langue vernaculaire.

En d’autres termes, nous voyons bien que l’un des problèmes de la Constitution et de son

interprétation réside parfois, pour ne pas dire souvent, dans la manière dont nous pouvons

la lire. Une lecture biaisée ou incomplète peut lui faire dire ce que nous avons envie qu’il

nous dise. C’est d’ailleurs souvent le cas.

Notre problème, c’est que nous ne savons plus lire. Nous zappons mais nous ne prenons

plus le temps de lire vraiment les textes, de nous laisser interroger par les textes !

Deuxième exemple concerne l’usage du chant grégorien.

C’est le numéro 116 :

3 VSC 36, § 1.

4 VSC 36, § 2.

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«L’Eglise reconnaît dans le chant grégorien le chant propre de la liturgie romaine»5.

Oui, mais nous oublions que le même texte poursuit :

«Les autres genres de musique sacrée, mais surtout la polyphonie, ne sont nullement

exclus de la célébration des offices divins»6.

Qu’est-ce qui est en jeu ?

Un point tout à fait décisif qui est le suivant.

Le concile Vatican II a mis un terme à un modèle d’unité liturgique sous le mode de

l’uniformité, à savoir tout le monde pareil pour que l’on soit en communion !.

C’est certainement le pape Pie XI qui, finalement, est derrière cette question majeure avec

le grand mouvement missionnaire qu’il va promouvoir durant son pontificat de 1922 à

1939. En effet, les missionnaires envoyés en Afrique, en Asie ou ailleurs ont très vite

découvert que ce qu’ils apprenaient en Europe n’était absolument pas adapté aux cultures,

aux mentalités, aux populations de ces pays nouvellement évangélisés. Depuis ce

mouvement n’a fait que se développer.

D’ailleurs, le texte conciliaire sur la liturgie l’explicite au n°37 qui dit :

«L’Eglise ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un libellé

unique».

Oui, qu’on le veuille ou non, nous sommes entrés dans un modèle d’unité dans la diversité.

Certes, cela est compliqué à vivre. Et d’une certaine manière nous sommes encore en train

de balbutier pour obtenir, disons, des repères pour vivre l’unité dans la diversité.

Cette nouvelle manière de vivre en Eglise n’est pas encore naturelle.

Et nous pouvons le constater régulièrement : il y a toujours des tentations

d’uniformisation !

1.3. Dernier point de cette première partie :

Nous ne pouvons pas opposer comme nous l’avons peut-être fait trop souvent, c’est

vrai, la liturgie avant Vatican II et la liturgie après Vatican II.

Le Concile n’a pas voulu cela. Il a voulu remettre la Liturgie au cœur de l’Eglise.

Mais surtout il a posé une distinction qui n’est peut-être pas évidente pour beaucoup de

personnes encore aujourd’hui.

5 VSC 116.

6 VSC 116.

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Celle-ci est bien exprimée au n° 21 de la Constitution sur la Liturgie :

«Car celle-ci (la liturgie) comporte une partie immuable, celle qui est d’institution

divine, et des parties sujettes au changement, qui peuvent varier au cours des âges

ou même le doivent s’il y est introduit des éléments qui correspondent mal à la

nature intime de la liturgie elle-même, ou si ces parties sont devenues inadaptées»

Au fond que veut exprimer ici le Concile ?

En matière de liturgie l’idée de la messe de toujours est un motif éventuellement sauvable

théologiquement parce qu’il s’agit bien en célébrant la messe de faire mémoire de ce que

le Christ nous a dit de faire au soir de la Cène.

Mais s’il s’agit bien de faire toujours la même chose l’Eglise se réserve le droit de le faire

autrement au cours de l’histoire.

Non pas autrement par infidélité au Seigneur mais au contraire par fidélité au Seigneur.

C’est bien cela que nous vivons dans l’Eucharistie.

Ici l’allusion à la première Lettre de saint Paul aux Corinthiens 11, 23-26 est directe.

Paul dit aux Corinthiens : «J’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai

transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain…»

Nous connaissons le texte presque par cœur. Nous trouvons dans ce passage deux fois

l’expression : «Faites cela en mémoire de moi».

Il s’agit bien dans toutes liturgies de faire mémoire de la Pâque du Christ quel que soit la

liturgie. Nous entendons bien : c’est le mot de mémorial.

Mémorial, ce n’est pas le souvenir mais c’est une proclamation actualisante qui rend

toujours actuelle une action du passé.

Donc c’est aujourd’hui Pâques dans l’attente de la venue du Seigneur.

1.4. Conclusion de cette première partie :

Nous voyons bien qu’à partir de ce que nous venons d’aborder, il est très important pour

nous tous de prendre le temps de lire ou de relire le texte conciliaire sur la liturgie dans son

intégralité, peut-être en groupe. On ne perd absolument pas son temps à travailler ce texte

de la Constitution sur la liturgie dans un petit groupe de 5 ou 6.

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Cependant, je voudrais surtout souligner dans cette conclusion que le changement voulu

par le concile Vatican II n’est pas seulement motivé par une volonté de faire mieux ou

d’avoir une liturgie plus parfaite.

Il s’agit encore moins de promouvoir une liturgie au goût du jour ou pire une liturgie qui

plaise, mais avant tout, de donner à vivre au peuple chrétien dans la liturgie le mystère du

Christ et la tradition de l’Eglise dans le langage et la sensibilité d’aujourd’hui.

Cela a eu deux conséquences sur lesquelles nous allons nous attarder.

La première. Nous jugeons trop vite et trop facilement la liturgie.

Il serait bon que nous adoptions tous la règle de Taizé dans laquelle le frère Roger

demande aux moines de Taizé de ne pas commenter la liturgie en en sortant. Il leur

demande d’attendre 24 heures.

Nous risquons de juger d’une expérience spirituelle qui nous échappe.

La liturgie n’est pas faite pour les personnes qui se croient intelligentes. Elle est faite pour

les enfants dans les bras de leur mère qui ne comprennent pas encore, pour les vieillards

qui n’entendent plus et qui ne peuvent plus chanter et pour les handicapés mentaux qui la

vivent peut-être plus profondément que nous qui nous croyons en forme.

Soyons clairs. Il faut distinguer ceux qui savent des choses en liturgie et qui en parlent (ou

espère en parler à peu près correctement) et il y a ceux qui la vivent et il y a ceux qui en

vivent. Les trois catégories ne se superposent pas forcément. Il faut espérer que ceux qui

en parlent en vivent !

Deuxième remarque, excessivement importante.

Aujourd’hui il y a une grande tentation liturgique qui consiste à considérer que ce qui

marche est par définition bon.

A l’aune de ce type de pensée une bonne liturgie c’est celle où il y a beaucoup de monde.

Le risque de s’en tenir au critère du succès est une véritable idole.

Ici encore je cite saint Jean-Paul II dans ce texte admirable, grand texte spirituel de la

Lettre pour le 25e anniversaire de VSC :

«Parce que la mort du Christ en croix et sa résurrection constituent le contenu de

la vie quotidienne de l’Eglise et le gage de sa Pâque éternelle, la liturgie a pour

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première tâche de nous ramener inlassablement sur le chemin pascal ouvert par

le Christ où l’on consent à mourir pour entrer dans la vie»7.

Mourir pour entrer dans la vie.

Peut-être cela vous fait-il penser à une magnifique hymne de la Liturgie des Heures que

nous chantons au temps de l’Avent «Lumière pour l’homme aujourd’hui»

Dernière phrase : «Comment savoir qu’elle est ta vie si je n’accepte pas ma mort ?».

Texte admirable de Didier Rimaud, beau texte pour la prière !

Deuxième partie : 50 ans après

Sans faire de bilan nous pouvons relever trois points.

Premier point : la redécouverte de la dimension communautaire de la liturgie.

Deuxième point : la redécouverte de la Parole de Dieu.

Troisième point : Le chant et la musique mais aussi les arts en tant qu’ils participent

pleinement à la vie de la liturgie.

2.1. Premier point : La redécouverte de la dimension communautaire de la

liturgie.

Il faut le préciser tout net, l’origine, l’initiateur de cette redécouverte, n’est pas le concile

Vatican II mais le pape saint Pie X. En effet, dès les premiers mois de son pontificat en

1903, Pie X publie un Motu proprio, un document sur la musique liturgique où il rappelle

l’importance à la fois de la messe du dimanche où précisément le chant liturgique peut et

doit se déployer et de la participation du peuple à ce chant et plus largement à la liturgie.

Pie XII reprendra ce thème majeur dans son encyclique sur la liturgie Mediator Dei de

1947.

Nous le savons bien cette redécouverte de la dimension communautaire de la messe

dominicale notamment, comme axe central de la paroisse et plus largement de toutes les

communautés chrétiennes a été décisive.

7 Lettre apostolique de Jean-Paul II à l’occasion du 25

e anniversaire de la Constitution Sacrosanctum concilium sur la sainte

liturgie, Cerf 1989, p.12.

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Mais elle a commencé bien avant Vatican II. La messe dominicale est appelée à

rassembler les fidèles pour rendre grâce à Dieu, pour faire eucharistie, l’eucharistie étant

source et sommet de la vie de l’Eglise.

Quelles que soient les conditions dans lesquelles nous sommes, et c’est vrai que dans

l’avenir les conditions du rassemblement dominical seront sans doute complexes et

difficiles, quelles que soient ces conditions, il n’en reste pas moins que cette conviction de

l’Eglise ancienne de la nécessité de se rassembler le dimanche pour entendre la Parole de

Dieu et pour célébrer l’Eucharistie doit servir de boussole à notre vie chrétienne ; même si

nous ne pouvons pas le vivre.

Cela est inscrit avec justesse dans le n° 106 de la Constitution qui est sans doute un des

plus beaux numéros du texte conciliaire.

Toutefois, face à cela il y a au moins trois questions que nous devons approfondir, voire

redécouvrir aujourd’hui.

* Première question : La notion de participation active que le n°14 de la

Constitution développe particulièrement.

Cette participation a été trop souvent comprise comme la nécessité de faire quelque chose

voire si cela concerne les enfants en catéchèse, leur faire faire à tout prix quelque chose.

Il ne s’agit pas de faire quelque chose pour participer activement mais il s’agit plutôt

d’entrer pleinement dans le mystère célébré.

C’est pourquoi, il serait fortement souhaitable que nous cherchions davantage à ce que

l’assemblée puisse se poser voire se reposer devant Dieu, ce qui implique le silence.

Trop souvent, par crainte légitime de tomber dans des célébrations tristes et ennuyeuses,

nous cherchons des formules pour «animer» la liturgie mais qui aboutissent à

l’essoufflement où l’on perd parfois le sens de l’action liturgique.

Bien des insatisfactions en liturgie aujourd’hui prennent appui sur des manques de

profondeur !

* Deuxième question, point complexe aujourd’hui : l’articulation entre la fonction

de présidence exercée par l’évêque et les prêtres en tant que ministres ordonnés et donc

premiers collaborateurs de l’évêque, cela d’un côté, et les fonctions exercées par des laïcs,

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lecteurs, chantres, etc., au nom de ce que Vatican II appelle «le sacerdoce commun des

fidèles».

Ici, il n’est pas inutile de rappeler que l’évêque est le premier président de toute assemblée

liturgique.

Dire cela ce n’est pas faire de l’épiscopalisme mais c’est entrer dans la logique

ecclésiologique que Vatican II a remis en valeur.

Cette articulation entre l’une et l’autre fonction, que nous trouvons clairement présentée

dans la Constitution sur l’Eglise Lumen Gentium 10 et 11, cette articulation est encore

largement, insuffisamment perçue.

Je vous rappelle que le n°29 de VSC affirme que les fonctions liturgiques de «servants, de

lecteurs, de chantres sont de véritables ministères».

Bien entendu, il ne s’agit pas ici de confondre le mot «ministère» avec celui que nous

désignons par «ministère ordonné». Ce n’est pas ici une fonction stable.

Cependant, parler ainsi signifiait pour les pères de Vatican II que les fonctions liturgiques

ne sont pas seulement des rôles qui seraient à hiérarchiser selon l’impact que nous aurions

sur l’assemblée. En liturgie, il n’y a pas de petit rôle !

Exemple : lorsqu’ un lecteur ou une lectrice monte à l’ambon et proclame la Parole de

Dieu, il est la voix du Christ parlant à l’assemblée. Ceci est explicitement mentionné au

numéro 7 de la Constitution :

«Le Christ est là présent dans sa parole, car c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans

l’Eglise les Saintes Ecritures».

Préciser cela veut dire que le Christ est aussi présent dans sa Parole proclamée qu’au cours

de la Prière eucharistique priée par le prêtre au nom de toute l’assemblée.

Cela dit le sérieux de proclamer une lecture.

Sans aucun doute, même si beaucoup de progrès ont été fait, nous avons encore à

progresser sur la compréhension de la proclamation des lectures dans l’assemblée comme

étant un acte liturgique. Nous ne lisons pas les lectures avant l’homélie pour que celle-ci

soit compréhensible. Nous lisons la Parole de Dieu parce que c’est le Christ qui s’adresse à

nous.

Ce point est excessivement important parce qu’écouter les Saintes Lectures dans

l’assemblée est donc la première forme de la prière chrétienne.

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Puisqu’il s’agit d’écouter, c’est du domaine de l’obéissance, l’obéissance de la foi à la

Parole, si nous nous référons à l’étymologie du terme obéissance : «être sous la Parole»

(ob audire)

Voyez, nous abordons ici, certainement, l’un des points sur lequel nous pourrions encore

progresser davantage.

Parce que, finalement, qu’est-ce qui est en jeu ?

C’est le cœur même de la foi chrétienne : Dieu fait alliance avec un Peuple en lui adressant

sa Parole.

Ici nous touchons ce que le texte conciliaire Dei Verbum développe admirablement à

savoir la place centrale de la Parole de Dieu.

* Troisième et dernière question de la redécouverte de la dimension communautaire

de la liturgie. Elle est peut-être plus délicate.

J’espère être saisi dans ce que je voudrais essayer de vous partager.

C’est ce que nous pouvons appeler le caractère spirituel de l’assemblée liturgique.

Or, aujourd’hui il est très souvent mis en second plan et c’est un peu, à mon avis, le côté

dommageable des «grands rassemblements»

Je m’explique. Les «grands rassemblements» paraissent être la norme de la vie liturgique,

avec l’idée qu’il y a tout le monde : des représentants de tous les mouvements de jeunesse,

d’adultes, des services caritatifs, de toutes les familles spirituelles, de la vie consacrée, etc.

C’est-à-dire nous concevons l’assemblée liturgique comme la représentation de catégories.

Ceci est faux, à mon avis.

Une assemblée ordinaire est la manifestation du Corps du Christ uni au Christ Tête.

En d’autres termes l’assemblée liturgique est un mystère.

Elle rend présent pour nous le Corps du Christ qui est l’Eglise, elle en permet la

manifestation mais elle rend également présent pour nous le Christ qui préside notre

assemblée.

Pour parler clairement nous ne participons pas à l’assemblée liturgique parce que nous

serions membres du scoutisme, du MEJ, de CVX, de l’aumônerie des étudiants, du

troisième âge ou de tout ce que vous voudrez, mais nous y participons parce que nous

sommes des baptisés. Point barre. Rien de plus, rien de moins !

Dès lors permettez-moi de faire passer deux messages.

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. Le premier :

Tout d’abord la prière du Notre Père est évidemment une expérience de communion.

Or, aujourd’hui, nous avons malheureusement une très faible compréhension théologique

de la prière du Notre Père.

Dans l’Eglise ancienne c’est-à-dire durant les six premiers siècles du christianisme, cela

faisait partie des piliers, des fondements majeurs de l’Initiation chrétienne pour tous ceux

qui désiraient entrer dans l’Eglise par le sacrement du Baptême.

Nous pensons trop le Notre Père comme une prière à réciter, à la limite qu’il faut réciter.

Or, il ne s’agit pas uniquement de cela. Il s’agit aussi et surtout de nous unir à la prière du

Christ qui, dans l’éternité, s’adresse sans cesse à son Père.

Nous avons ici la définition exacte de la communion.

. Deuxième message :

Dans la perspective de ce que je viens de vous partager, la Prière eucharistique est

également notre prière, elle est la prière de toute l’assemblée.

Cela ne signifie pas que vous allez la prononcer avec le prêtre demain matin.

Mais cela veut dire que lorsque le prêtre prononce la Prière eucharistique, il la prononce,

selon une expression latine : «in personna Christi capitis», c’est-à-dire dans la personne

du Christ Tête. Il signifie la prière du Christ tourné vers le Père, mais nous sommes le

Corps du Christ et c’est notre prière.

Là, je vous récite du saint Augustin. Il faudrait lire des textes de saint Augustin (354-430)

pour donner corps à ce que je viens de vous partager.

Saint Justin, père antérieur à saint Augustin puisqu’il est mort vers 150, voyait déjà dans

l’Amen de la Prière eucharistique un acte majeur de l’assemblée. Il va jusqu’à dire :

«Il n’y a pas d’eucharistie si les fidèles ne disent pas ’Amen’»8.

2.2. Deuxième point : La redécouverte de la Parole de Dieu.

J’ai déjà exprimé l’essentiel à l’instant lorsque nous avons abordé l’articulation entre la

fonction de présidence et les fonctions exercées par les laïcs et plus précisément la lecture

de la Parole de Dieu.

8 S. JUSTIN, 1

re Apologie, 65, 67.

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Toutefois, il est très intéressant que vous vous remémoriez les grands changements sur ce

point qui ont été opérés par le concile Vatican II.

Nous pouvons en repérer cinq :

* 1. Les fidèles entendent la Parole de Dieu proclamée en leur langue depuis

l’ambon.

Il est utile de rappeler qu’avant Vatican II le prêtre proclamait l’Evangile en latin tourné

vers l’abside ou si vous voulez en tournant le dos aux fidèles.

Mais bien avant Vatican II, dès les années 1950-1955 en France nous avons un lecteur qui

double en français les lectures lues d’abord en latin.

Ce qui fait qu’il y a des personnes qui s’étonnent et qui disent :

«Mais non, on disait déjà les lectures en français bien avant le concile ! ».

Ce n’était pas la lecture officielle et donc le prêtre avait l’obligation de la dire en latin dos

au peuple.

* 2. La proclamation des Saintes Ecritures est donc un acte liturgique de plein droit

et la 1re lecture est donc effectuée par un ministre distinct du président.

C’est clair : normalement monsieur le curé ne fait pas la 1re lecture comme il ne fait pas la

quête.

* 3. Une utilisation plus abondante de l’Ecriture.

En effet, il y a une part beaucoup plus grande de la Bible qui est proclamée dans la

liturgie.

Sans entrer dans les détails, Vatican II a multiplié par deux et même par trois la quantité

d’Ecriture que nous entendons dans la Sainte Liturgie.

Avant Vatican II nous lisions surtout l’Evangile selon saint Matthieu, saint Luc pour les

fêtes mariales et les temps privilégiés, saint Jean aussi à certains moments et saint Marc

très peu.

Aujourd’hui le Lectionnaire du Dimanche a réparti les 4 Evangiles sur 3 années.

L’année A nous fait parcourir l’Evangile de saint Matthieu, l’année B, celui de saint Marc,

l’année C celui de saint Luc et l’Evangile de saint Jean complète l’Evangile de saint Marc

qui est trop court pour couvrir toute l’année B. L’Evangile de saint Jean est également lu

chaque année durant les dimanches du Temps pascal et à certaines solennités.

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Ici, il est normal de signaler un grand évènement que l’Eglise de France ou plus

précisément les Eglises francophones ont vécu en novembre 2013.

La publication pour la première fois dans l’histoire de l’Eglise d’une traduction intégrale

de la Bible destinée à la proclamation dans la liturgie.

* 4. Le chant du Psaume responsorial n’est pas seulement un chant qui égaye

l’assemblée comme pour la stimuler après la 1re lecture.

Non, c’est une lecture déjà, d’une certaine manière.

Mais il s’agit d’entrer dans le grand dialogue entre Dieu et son peuple que manifeste la

Liturgie de la Parole.

Nous avons à approfondir la redécouverte des psaumes.

Cela est le grand chantier qu’il me plaît de vous rappeler.

Ne croyez surtout pas que cela soit un discours de moine qui veut glisser ses affaires.

Non, c’est une grande conviction du Mouvement liturgique en général et du CPL, en

particulier.

* 5. Enfin l’homélie est prononcée avant tout en référence aux lectures proclamées

et toutes les célébrations des sacrements y compris le sacrement de la Pénitence

comportent normalement une Liturgie de la Parole.

Nous pouvons méditer cela. ! Les choses sont suffisamment claires et explicites !

Simplement rappelons-nous que suivre le Christ n’est pas réservé à certains comme, par

exemple les prêtres, les religieux et les religieuses.

Suivre le Christ n’est-ce pas accepter de le laisser nous précéder ?

N’est-ce pas lui donner notre confiance en acceptant qu’il nous conduise là où nous

n’avons pas imaginé d’aller.

N’est-ce pas, par conséquent, quitter nos convictions et nos certitudes pour entrer dans la

foi et dans l’obéissance. C’est précisément dans la Liturgie de la Parole que ceci se réalise

particulièrement puisque les Saintes Lectures sont, non pas des lectures mais une parole à

entendre et qui, finalement, nous redit toujours la même chose : «Viens, suis-moi ! »

En d’autres termes la question n’est pas de savoir si nous comprenons les lectures, ce qui

est mieux évidemment, même si ce n’est pas un critère absolu.

La question est de savoir si nous faisons confiance à la Parole que nous entendons.

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L’écoute des lectures est un acte spirituel !

2.3. Troisième et dernier point : Le chant et la musique mais aussi les arts.

La question peut également s’exprimer en une phrase très simple.

Il s’agit de chanter la liturgie, de chanter Dieu dans la liturgie et non de chanter à

l’occasion de la liturgie.

Ici nous sommes renvoyés au numéro 112 de la Constitution sur la Liturgie.

« (…) La musique sacrée sera d’autant plus sainte qu’elle sera en connexion plus

étroite avec l’action liturgique, en donnant à la prière une expression plus suave,

en favorisant l’unanimité, ou en rendant les rites sacrés plus solennels L’Eglise

approuve toutes les formes d’art véritables, si elles sont dotées des qualités

requises, et elle les admet dans le culte divin»9.

Exprimer cela c’est préciser que le chant et la musique ne sont pas des éléments décoratifs

qui viendraient s’ajouter à la liturgie pour obtenir de la beauté.

Chanter c’est agir liturgiquement.

C’est pourquoi l’assemblée est le premier acteur musical de la liturgie.

Dire cela ne signifie pas que les chorales et les musiciens notamment les organistes n’ont

pas leur place.

Au contraire ! Le Concile affirme même qu’ils exercent un véritable ministère liturgique10

.

Mais ceci pour dire que c’est une véritable fonction qui ne peut pas être remplacée par une

autre.

Nous le sentons d’ailleurs intuitivement.

Ce n’est pas du tout la même chose, nous avons certainement à travailler là-dessus,

ce n’est pas du tout la même chose de réciter le Gloire à Dieu ou de le chanter.

Dans les assemblées dominicales normales, habituelles, ordinaires, il faudrait éviter de

réciter le Gloire à Dieu. Par nature c’est une hymne, par nature une hymne se chante !

De même, je crois qu’il est très important, je ne dis pas tout le temps, de retrouver le chant

du Credo parce que la foi se chante.

Même chose pour l’art.

9 VSC 112, § 1.

10 VSC 112, § 2.

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L’art dans nos églises n’est pas une question de style : savoir si l’on a un art classique ou

un art contemporain ou d’autre chose.

La véritable question est exprimée de manière claire au n°34 de la Constitution sur la

Liturgie : «la noble simplicité» ou n° 124 «la noble beauté».

Nous voyons bien derrière cela ce qui est en jeu :

Que l’art conduise l’homme contemporain au Mystère, c’est-à-dire à quelque chose qui

nous sort de nous-mêmes. Non pas mystère-mystérieux mais mystère en tant que

manifestation du Christ sauveur dans l’assemblée.

En matière d’art sacré il nous faudrait toujours avoir cela dans notre réflexion quand nous

prévoyons un aménagement de sanctuaire, ou la création d’un Chemin de Croix, ou d’une

Croix, etc.

C’est-à-dire que la question n’est pas d’abord de faire une œuvre d’art mais elle est de

faire une œuvre d’art qui permette à l’homme contemporain de se laisser interroger par le

Mystère du Christ.

Le poète Patrice de La Tour du Pin qui a participé aux premiers pas de la réforme

liturgique de Vatican II avait admirablement exprimé cette vocation de l’artiste au service

d’une tradition liturgique qui est toujours vivante.

En matière de musique et de chant si les musiciens professionnels doivent savoir qu’en

liturgie nous ne pouvons pas faire taire la voix du Peuple de Dieu, les fidèles doivent

entendre aussi les plaintes légitimes des musiciens face à la faiblesse de certaines

productions contemporaines qui n’évoquent en rien le mystère.

Ici également, ce n’est pas parce que nous faisons de la musique qui plaît que cela est de la

musique liturgique.

Ce n’est pas parce que nous allons faire une œuvre artistique qui plaît que nous faisons une

œuvre destinée à signifier le Mystère chrétien.

Conclusion : elle sera très brève.

Dans un monde pluraliste, nous voyons bien aujourd’hui la diversité de nos assemblées,

leurs compositions, dans ce monde pluraliste, nous sommes invités à entrer dans les

discernements pour que la liturgie soit bien la célébration du Mystère du Christ.

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Au fond voilà le fil conducteur de tout ce que j’ai essayé de vous partager ce soir.

Le n°37 de la Constitution l’exprime avec pertinence :

«L’Eglise, dans les domaines qui ne touchent pas la foi ou le bien de toute la

communauté, ne désire pas, même dans la liturgie, imposer la forme rigide d’un

libellé unique : bien au contraire, elle cultive les qualités et les dons des divers

peuples.»11

Le Concile Vatican II a donc ouvert la porte à l’adaptation liturgique.

Il nous a donc convoqués au discernement, un mot cher au pape François.

Parce que nous sommes dans un monde pluraliste, parce qu’il y a des adaptations

légitimes, alors nous devons nous asseoir pour réfléchir à ce qui est bon pour la

communauté : pas d’abord pour moi mais pour la communauté.

Cela implique trois choses et j’en terminerai par là.

* Pour se former au discernement en liturgie il faut se former en liturgie tout court.

Ici soulignons l’importance des Services Diocésains de Pastorale Liturgique et

Sacramentelle (SDPLS) qui sont les lieux par excellence dans un diocèse de la formation

en liturgie.

Les n° 14 et 16 de la Constitution ont sur ce point, c’est-à-dire sur la formation, des

affirmations tout à fait centrales.

* Mais ces diversités des pratiques militent aussi pour l’importance des institutions.

En liturgie, il est indispensable aujourd’hui plus que jamais de souligner la place

nécessaire de l’autorité ecclésiale et en premier lieu de l’évêque comme garant de la vie

liturgique dans son diocèse. C’est le n° 41 de la Constitution mais c’est aussi Christus

Dominus n°15, le décret conciliaire concernant l’évêque dans la vie de l’Eglise.

Dire cela c’est dire qu’il y a en liturgie une responsabilité dernière.

Ici, je me permets de rappeler que l’Eglise est garante de la liturgie.

Qu’il ne saurait y avoir d’autres livres liturgiques, d’autres documents liturgiques que ceux

qui sont approuvés, promulgués et publiés par l’Eglise.

Que la manière de célébrer dans la forme ordinaire du rite romain n’est pas laissée à la

libre initiative des présidents d’assemblée.

11

VSC 37.

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Des textes tout à fait officiels donnent avec clarté et précision toutes les indications de ce

qu’il faut faire et comment le faire, apportant également un éclairage théologique et

liturgique sur le sens et la signification de ce qui est célébré.

Par exemple, en ce qui concerne la messe, deux livres nous sont proposés en dehors

desquels rien n’est normatif :

Le premier, bien entendu, le Missel romain dit de Paul VI puisque c’est le bienheureux

pape Paul VI qui l’a promulgué en 1969. Je ne peux que vous encourager à lire la

Présentation Générale de ce Missel (PGMR). C’est un véritable joyau qui donne tout le

suc de ce beau livre liturgique.

Le second est beaucoup moins connu et pourtant il apporte des précisions fort

intéressantes. Il s’agit du Cérémonial des évêques qui n’est pas à proprement parler un

livre liturgique mais plutôt un manuel de liturgie pratique à l’usage des évêques mais qui

concerne aussi les prêtres.

* Mais la liturgie est l’affaire de tous où normalement tous nous sommes, non pas

habilités à mettre notre grain de sel, non pas habilités à dire des choses et à revendiquer

mais à y exprimer notre responsabilité.

Donc trois points :

* Se former

* Reconnaître les institutions régulatrices

* Et se sentir concerné, le troisième n’étant pas forcément le plus simple.

Combien de fois nous entendons dire :

«Oh moi vous savez, les affaires de liturgie, c’est bon pour les spécialistes. Moi je n’y

connais rien».

La réponse devrait être toujours la suivante :

«Vous n’y connaissez peut-être pas mais vous en vivez et en tant que baptisé vous êtes

membre de l’assemblée, membre du Corps du Christ !».

Pau vendredi 10 janvier 2016

Frère Benoît-Marie