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L’ARBORETUM ET LA MAISON DE L’ARBRE AU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL : L’ARBRE S’EXPOSE EN VILLE Par Aurélie Sierra, sociologue de l’environnement L’arbre est à ce point présent dans nos paysages urbains, que nous ne le remarquons plus. Il s’intègre et se fond dans notre quotidien. À Montréal, comme ailleurs, la place de l’arbre est paradoxale : indispensable mais invisible, souhaitée mais ignorée. On apprécie sa présence dans les espaces publics, les rues, les cours ou les parcs. On déplore son absence, les atteintes et outrages qui peuvent lui être faits. Il est comme un vieux compagnon de route toujours là, immobile à nos yeux et presque invincible. Malgré ce sentiment de familiarité, connaît-on vraiment cet être vivant qui peuple notre territoire ? L’Arboretum et la Maison de l’arbre du Jardin botanique de Montréal mettent l’arbre au cœur de l’expérience du visiteur. L’Arboretum présente une collection d’essences et un sentier d’interprétation construit sous forme de plaidoyer. Un plaidoyer pour transmettre des connaissances, pour déconstruire certains mythes et pour mettre en valeur l’arbre en tant qu’être vivant. La Maison de l’arbre se veut un lieu d’échanges, d’éducation et un carrefour entre la science, les arts et l’histoire avec, à la croisée des chemins, l’arbre et ses multiples facettes. Pour nous parler de l’histoire de l’arbre au Jardin botanique, nous avons rencontré Andrée Hallé et Nathalie Gagnon, qui œuvrent respectivement au sein du Jardin botanique et de la Maison de l’arbre. Andrée Hallé : diplômée d’un baccalauréat en biologie et d’une maîtrise en écologie forestière de l’UQAM, Andrée Hallé est à l’emploi du Jardin botanique de Montréal depuis 1996. Elle a été responsable de la Maison de l’arbre jusqu’en 2004, puis chargée de l’interprétation des collections vivantes du Jardin. Elle dirige maintenant la section programmation et muséologie de la division des programmes publics en sciences naturelles du Jardin botanique. Nathalie Gagnon : détentrice d’un baccalauréat en biologie de l’UQAM, elle a, durant 8 ans, dirigé la ferme Angrignon alors sous la responsabilité de la division des programmes publics en sciences naturelles du Jardin botanique. Elle a également supervisé la mise en œuvre de programmes éducatifs au parc nature de Pointe-aux-Prairies. Elle est responsable de la Maison de l’Arbre depuis 2007. L’Arboretum et la Maison de l’arbre : parcours dans 83 ans d’histoire Frère Marie-Victorin à son bureau de la rue Saint-Denis, Université de Montréal (1939). Source : Jardin botanique de Montréal (Marcel Cailloux). La réalisation du Jardin botanique de Montréal est l’œuvre du frère Marie-Victorin 1 . Son fidèle collaborateur Henry Teuscher 2 a réalisé son concept d’aménagement. Il fut inauguré en 1931. Dès cette époque Marie-Victorin 1 Frère Marie-Victorin (1885-1944) religieux, intellectuel et botaniste de renom, il est le fondateur du Jardin botanique de Montréal. 2 Henry Teuscher (1891-1984), architecte du paysage, horticulteur et botaniste de formation, il sera l’architecte et le concepteur du Jardin botanique de Montréal. HIVER-PRINTEMPS 2015 - 5

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L’ARBORETUM ET LA MAISON DE L’ARBRE AU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL :

L’ARBRE S’EXPOSE EN VILLEPar Aurélie Sierra, sociologue de l’environnement

L’arbre est à ce point présent dans nos paysages urbains, que nous ne le remarquons plus. Il s’intègre et se fond dans notre quotidien. À Montréal, comme ailleurs, la place de l’arbre est paradoxale : indispensable mais invisible, souhaitée mais ignorée. On apprécie sa présence dans les espaces publics, les rues, les cours ou les parcs. On déplore son absence, les atteintes et outrages qui peuvent lui être faits. Il est comme un vieux compagnon de route toujours là, immobile à nos yeux et presque invincible. Malgré ce sentiment de familiarité, connaît-on vraiment cet être vivant qui peuple notre territoire ?

L’Arboretum et la Maison de l’arbre du Jardin botanique de Montréal mettent l’arbre au cœur de l’expérience du visiteur. L’Arboretum présente une collection d’essences et un sentier d’interprétation construit sous forme de plaidoyer. Un plaidoyer pour transmettre des connaissances, pour déconstruire certains mythes et pour mettre en valeur l’arbre en tant qu’être vivant. La Maison de l’arbre se veut un lieu d’échanges, d’éducation et un carrefour entre la science, les arts et l’histoire avec, à la croisée des chemins, l’arbre et ses multiples facettes.

Pour nous parler de l’histoire de l’arbre au Jardin botanique, nous avons rencontré Andrée Hallé et Nathalie Gagnon, qui œuvrent respectivement au sein du Jardin botanique et de la Maison de l’arbre.

Andrée Hallé : diplômée d’un baccalauréat en biologie et d’une maîtrise en écologie forestière de l’UQAM, Andrée Hallé est à l’emploi du Jardin botanique de Montréal depuis 1996. Elle a été responsable de la Maison de l’arbre jusqu’en 2004, puis chargée de l’interprétation des collections vivantes du Jardin. Elle dirige maintenant la section programmation et muséologie de la division des programmes publics en sciences naturelles du Jardin botanique.

Nathalie Gagnon : détentrice d’un baccalauréat en biologie de l’UQAM, elle a, durant 8 ans, dirigé la ferme Angrignon alors sous la responsabilité de la division des programmes publics en sciences naturelles du Jardin botanique. Elle a également supervisé la mise en œuvre de programmes éducatifs au parc nature de Pointe-aux-Prairies. Elle est responsable de la Maison de l’Arbre depuis 2007.

L’Arboretum et la Maison de l’arbre : parcours dans 83 ans d’histoire

Frère Marie-Victorin à son bureau de la rue Saint-Denis, Université de Montréal (1939). Source : Jardin botanique de Montréal (Marcel Cailloux).

La réalisation du Jardin botanique de Montréal est l’œuvre du frère Marie-Victorin1. Son fidèle collaborateur Henry Teuscher2 a réalisé son concept d’aménagement. Il fut inauguré en 1931. Dès cette époque Marie-Victorin

1 Frère Marie-Victorin (1885-1944) religieux, intellectuel et botaniste de renom, il est le fondateur du Jardin botanique de Montréal.2 Henry Teuscher (1891-1984), architecte du paysage, horticulteur et botaniste de formation, il sera l’architecte et le concepteur du Jardin botanique de Montréal.

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souhaitait créer et exposer une collection d’arbres et Henry Teuscher avait planifié l’aménagement d’un Arboretum au nord du Jardin. Si les collections existent, il faudra attendre les années 1990 avant qu’elles soient mises en valeur. Au même moment, les enjeux liés à la nature en ville se font plus présents dans l’espace public et l’accès des citadins à des milieux naturels de proximité devient partie prenante des politiques d’aménagement. L’Arboretum va bénéficier de ce contexte favorable et prendre une place plus importante dans le Jardin et dans la vie du quartier.

Plan directeur Arboretum par Henry Teuscher (1937). Source : Jardin botanique de Montréal.

6- HISTOIRES FORESTIÈRES

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L’arbre au cœur du projet du Jardin botanique de Montréal

Dans un premier temps, j’aimerais que vous nous racontiez comment est né l’Arboretum du Jardin botanique de Montréal.

Andrée Hallé : Au début du XXe siècle, une carrière de pierres calcaires était exploitée sur le lieu où se trouve actuellement l’Arboretum. Plusieurs bâtiments historiques du quartier Hochelaga-Maisonneuve ont été construits avec cette pierre. Quand son exploitation s’est arrêtée, au début des années 1940 ou 1950, le lieu est devenu un site d’enfouissement, rempli principalement de déchets domestiques. En 1963, on a commencé à le remplir avec de la terre. En 1964, on plante les premiers arbres.

Carrière Rhéaume (1938 -1939). Source : Jardin botanique de Montréal (Henry Teuscher).

Quelles ont été les raisons qui ont poussé la création de l’Arboretum ?

A. H. : Dans les années 1930, dès la conception du Jardin botanique, il y avait l’Arboretum. C’est Henry Teuscher qui avait fait les plans. Au départ, il voyait le développement du Jardin avec un arboretum. Par contre, dans le trou de la carrière, il voulait faire des jardins suspendus. Donc, à l’époque où on a inauguré le Jardin, la carrière était encore présente. On voulait laisser le trou tel quel et permettre aux voitures de descendre. C’est à cet endroit qu’auraient été créés les jardins suspendus. Cette idée ne s’est jamais réalisée, mais dès le départ, l’idée d’avoir un arboretum faisait partie intégrante du Jardin.

L’objectif de l’Arboretum est la conservation. Est-ce qu’il y avait aussi un désir de sensibilisation ?

A. H. : Dans la conception du Jardin selon Marie-Victorin, l’objectif est de présenter la diversité végétale et de sensibiliser les citadins. Dans les années 1930, on disait déjà que les gens n’allaient pas à la campagne. Pour Teuscher, il fallait démocratiser l’accès à la nature, pour que les gens démunis puissent s’y rendre. De plus, il pensait que le Jardin et l’Arboretum permettraient aux visiteurs de s’aérer l’esprit. En 1931, Marie-Victorin avait toujours en tête de faire connaître la science, il collabore à la création des Cercles des jeunes naturalistes et met en place en 1938 les jardinets d’écoliers, qui sont aujourd’hui les Jardins-jeunes3.

Dans les décennies qui ont suivi la création du Jardin, l’Arboretum a-t-il été quelque peu délaissé ?

Nathalie Gagnon : Tout se passait principalement dans le sud du Jardin, je dirais même qu’encore aujourd’hui, la plupart des activités ont lieu dans cette partie. Pourtant l’Arboretum couvre 40 ha, donc c’est plus de la moitié du Jardin.

A. H. : Oui, le Jardin botanique est grand. Il est fait en longueur, mais toute la partie au nord des étangs était moins mise en valeur. La seule façon d’y accéder était par le chemin de ceinture asphalté. Les différentes collections avaient leurs étiquettes d’identification

3 Les Jardins-jeunes ont été créés afin de permettre, à peu de frais, aux jeunes citadins d’être en contact avec la nature. Les jeunes de 8 à 15 ans disposent d’un jardinet dans lequel ils sèment, cultivent et récoltent leurs légumes ou fines herbes. Pour en savoir plus : http://espacepourlavie.ca/jardins-jeunes

1963. Le dépotoir est rempli de terre. Source : Jardin botanique de Montréal (Archives).

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botanique, mais il n’y avait pas d’interprétation et, surtout, pas de sentier d’accès. Mais en 50 ans, il y a eu beaucoup de développement à travers l’Arboretum. Nous avons maintenant des collections importantes. Il y a environ 7 000 arbres qui représentent les principaux genres botaniques. Par exemple dans l’érablière, de grands arbres matures sont présents, avec des diamètres de 30 à 40 cm. Maintenant, ces arbres sont visités assez régulièrement.

Vue aérienne de la Maison de l’arbre. Source : Jardin botanique de Montréal (Mario Faubert).

Les années 1990 offrent de nouvelles possibilités pour intégrer l’Arboretum dans l’espace du Jardin, tout en diversifiant l’expérience des visiteurs. La Maison de l’arbre a été inaugurée en 1996, qu’est-ce qui a contribué à l’aboutissement de ce projet ?

A. H. : Je pense que la principale motivation, au moins depuis 1991, c’était de faire une interprétation des collections de l’Arboretum pour le grand public. C’est

Pierre Bourque4 qui était directeur du Jardin botanique à ce moment. C’était sa force de partir des projets d’envergure, de s’associer avec des partenaires solides5.

Au début des années 1990, il y avait encore très peu de visites dans l’Arboretum. On a voulu démocratiser l’accès en ajoutant une ouverture par le boulevard Rosemont et en créant un centre d’interprétation : la Maison de l’arbre. Le but était d’être ouvert sur la communauté avoisinante, tel que le quartier Rosemont. Il n’y a pas de stationnement associé au Jardin botanique près de cette entrée. Donc, les gens arrivent à pied de ce côté. Avec le temps, la fréquentation a augmenté du côté de l’Arboretum. Des sentiers ont été ouverts à travers les différentes collections et une signalisation a été ajoutée. Inaugurée en juin 2013, on retrouve maintenant une interprétation des collections et de l’arbre en tant qu’être vivant. Toutes ces dimensions de l’Arboretum ont été mises en place progressivement.

Aujourd’hui, est-ce que les visiteurs sont davantage des gens du voisinage ou de l’extérieur ?

N. G. : La clientèle touristique est de plus en plus présente. Les sentiers ont complètement changé l’approche. Auparavant, les gens arrivaient dans un grand espace d’arbres avec de la pelouse. La plupart des personnes n’osaient pas marcher dessus et ils avaient peur d’être désorientés. Il y a une grande différence depuis l’implantation des sentiers. On

4 Pierre Bourque a été directeur du Jardin botanique de Montréal de 1980 à 1994, date à laquelle il devient maire de la ville de Montréal et ce jusqu’en 2001.5 Une Société des amis de la Maison de l’arbre est mise sur pied dès la création de la Maison de l’arbre, elle sera dissoute et fusionnée avec la Société des amis du Jardin botanique en 2004. Les principaux partenaires au départ du projet sont : le ministère des Ressources naturelles du Québec, le Bureau fédéral de développement régional, l’Association des industries forestières du Québec et la Fondation québécoise en environnement.

Montréal, Jardin botanique – Plan d’ensemble – 1938. Source : Jardin botanique de Montréal (Archives)

8- HISTOIRES FORESTIÈRES

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note une diversification de la clientèle. Il y a des gens qui viennent marcher, d’autres qui viennent lire, des familles, des ornithologues qui viennent à l’étang, des skieurs en hiver… c’est vraiment ouvert.

Est-ce que c’était évident dès le départ que ce serait une Maison de l’arbre et non une maison de la forêt ?

A. H. : C’était évident dès le début, parce que c’est ce qui se trouvait autour du Jardin. Il existe un petit boisé, mais ce n’est pas une forêt naturelle. L’idée, c’était de faire le lien avec l’arbre urbain ; d’imaginer l’arbre comme un individu en milieu urbain. On parle aussi des arbres forestiers, parce que nos partenaires ont été impliqués dans le contenu de l’exposition permanente, mais c’est l’arbre en lui-même et ses bienfaits en ville et ailleurs que l’on voulait mettre de l’avant.

Aujourd’hui à la Maison de l’arbre : permanence et renouveau

Les missions de la Maison de l’arbre et du Jardin botanique perdurent dans leurs fondements : l’éducation, la recherche et les collections6. Néanmoins, un désir d’innover se fait sentir.

Transmettre des connaissances tout en mettant en valeur les collections

Pourriez-vous me parler de la mission éducative de la Maison de l’arbre ?

A. H. : La mission éducative est sensiblement la même depuis le début : faire prendre conscience de l’importance de l’arbre autour de nous, dans le quotidien. Nous avons varié les moyens, nous avons actualisé les outils et nous avons exploré de nouvelles approches. Néanmoins, l’intention demeure la même.

N. G. : En plaçant l’arbre comme être vivant, il est facile de faire le parallèle avec nous, les humains. Nous avons les mêmes besoins que les arbres. Les gens découvrent cette réalité, ça les éveille et ils ont une meilleure compréhension de ce qu’est un arbre. Ce rapprochement permet un plus grand sentiment d’identification à l’arbre et un désir plus grand de vouloir agir ou faire attention à l’environnement. Notre but c’est de faire connaître l’arbre de façon sensorielle et ludique. Nous utilisons une multitude d’approches, mais surtout hors des murs. Pour les

6 Ces piliers ont été posés par le Frère Marie-Victorin dès la conception du Jardin botanique.

groupes scolaires, nous avons des rallyes, des activités dirigées, des activités d’exploration, etc. Pour le grand public, nous avons une vedette horticole. Nous avons aussi une nouvelle animation intitulée « Au pays des arbres géants ». C’est une animation historique, on y parle des hommes qui flottaient le bois sur la rivière Outaouais. Du bois qui partait pour l’Angleterre, avec pour trame de fond les arbres géants que sont les pins blancs. Cette animation est très appréciée. Les visiteurs apprennent sur les arbres et quand ils repartent, ils transmettent leurs nouvelles connaissances. C’est ça qui est extraordinaire !

Est-ce que vous ciblez ou priorisez des publics en particulier ?

N. G. : Nous travaillons pour les groupes scolaires et pour le grand public. Nous avons une programmation scolaire, principalement pour le primaire. Nous recevons aussi quelques groupes du secondaire et quelques groupes collégiaux. Il y a deux ans, nous avons mis sur pied un programme pour le préscolaire, afin de sensibiliser les jeunes enfants sur ce qu’est un arbre. Nous avons fait cela par l’intermédiaire d’un programme sur le temps des sucres. De plus, nous utilisons aussi l’arbre, le bois ou la forêt comme prétexte à des expositions parfois plus artistiques ou pour aborder des thèmes spécifiques. Nous avons a déjà fait une exposition sur l’olivier, une sur le bois utilisé en lutherie, nous avons exposé les sculptures d’Alain Stanké pendant deux ans. En 2014 et en 2015, nous présentons une exposition en arts visuels qui s’appelle « Les esprits de l’arbre ».

Les activités éducatives pour le milieu scolaire sont très populaires à la Maison de l’arbre. Source : Jardin botanique de Montréal (Michel Tremblay).

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Partager une expertise horticole

Les gens qui viennent au Jardin botanique veulent observer, mais ils veulent aussi apprendre. Est-ce que certains vont vous voir à la Maison de l’arbre pour avoir des conseils d’horticulture ?

N. G. : Dans le cadre du Mois de l’arbre et des forêts, nous travaillons avec le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs pour la distribution d’arbres et pour donner des ateliers d’horticulture. Nous montrons comment faire une plantation pour qu’elle soit réussie. Nous utilisons le document d’Hydro-Québec « Planter le bon arbre au bon endroit ». Nous avons aussi le comptoir de renseignements horticoles au bâtiment administratif. Nous répondons à beaucoup de questions sur l’agrile du frêne, sur les oiseaux, sur les maladies, sur la taille des arbres, etc. Avant, les gens venaient au Jardin pour voir de belles fleurs, maintenant, avec le comptoir des renseignements horticoles et les animateurs qui transmettent de l’information, les gens savent qu’ils peuvent acquérir des connaissances.

A. H. : J’aime que les gens utilisent la Maison de l’arbre pour s’informer. Par exemple, ils veulent savoir à quoi ça ressemble une weigela une fois mature, ils vont voir la collection de l’Arboretum. Ils viennent observer une espèce à différentes saisons pour voir les changements qui ont cours à l’intérieur d’une année. L’expertise horticole du Jardin botanique est reconnue aux yeux du public. Nous nous faisons appeler régulièrement par les médias pour des renseignements, par exemple lorsqu’il y a un gel tardif ou hâtif, un réchauffement ou à propos des couleurs à l’automne.

Trouvez-vous que l’on entend suffisamment parler des arbres et des forêts dans les médias québécois ?

A. H. : Il se fait des choses intéressantes. Il y a des groupes de discussions sur les forêts feuillues du Québec, sur la culture des bois nobles. Mais, il reste beaucoup de travail à faire à ce sujet. Je pense qu’on manque de journalistes scientifiques. Les gens connaissent des détails sur l’état du genou gauche de tel joueur de hockey, mais ils ne connaissent pas beaucoup de choses sur le développement de l’écologie, de l’environnement ou de la science. C’est aussi à nous de prendre davantage la parole.

Renouvellement et consolidation

À court et à moyen terme, est-ce que des changements vont être amenés à La Maison de l’arbre ?

A. H. : À court terme, on veut renouveler l’exposition permanente, pour redonner un élan. Le fait d’avoir une nouvelle exposition permanente va permettre d’avoir des nouveautés au niveau des animations, des activités libres, des jeux. Ce sera intéressant de développer la nouvelle exposition avec toutes ces nouvelles connaissances. Par exemple sur le thème de la communication entre les arbres, tel qu’expliqué par Francis Hallé7. C’est fascinant ! Notre rôle est là aussi : de remettre en question les conceptions et les mythes sur les arbres.

N. G. : Il y a aussi la nouvelle exposition temporaire, « Les esprits de l’arbre » qui sera présentée jusqu’au 31 octobre 2015. On invite les visiteurs à se reposer, à vivre le rythme de la nature qui peut être très lent, comme dans le cas des arbres. Il s’agit d’une exposition plus artistique que les précédentes, mais qui parle toujours de l’arbre, de ses cycles, de sa poésie.

7 Botaniste, biologiste et dendrologue français. Auteur du livre Plaidoyer pour l’arbre.

Exposition « Les esprits de l’arbre » Source Jardin botanique (Thierry Dubreuil).

10- HISTOIRES FORESTIÈRES

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Au-delà du Jardin botanique : l’arbre dans la ville

L’aménagement urbain n’est plus seulement une question

de stationnements, de transports et de sécurité. Les corridors écologiques, les problématiques de couvert forestier, d’îlots de chaleur et de verdissement ont fait leur entrée en ville. À Montréal, comme dans d’autres villes, la foresterie urbaine prend une place toujours plus importante. On veut connaître notre patrimoine arboricole, le protéger, l’agrandir, et ce, dans le respect des autres usages des espaces urbains.

La foresterie urbaine est un sujet d’actualité, il y a une prise de conscience des problématiques liées à l’arbre en ville. Comment observez- vous cette évolution du rôle de l’arbre à Montréal ?

A. H. : Je suis en contact avec l’équipe du Projet Canopée8 et le niveau de connaissances qu’ils ont de l’ensemble de la canopée montréalaise m’a impressionnée. Les travaux de recherche, notamment sur les arbres de rue, ont beaucoup évolué ces dernières années. C’est une équipe de scientifiques dûment constituée. Ils ont une grande expertise. En ce moment, il y a un enjeu vraiment fondamental avec l’agrile du frêne, dont les conséquences pourraient être assez désastreuses. Il y a au moins 20 à 25 % des arbres de rue qui sont constitués de frênes de Pennsylvanie qui risquent de disparaître. D’après eux, la question ce n’est plus s’ils vont disparaître, mais quand.

8 Le Plan d’action Canopée 2012-2021 a été adopté en vue de faire passer l’indice de canopée de 20 à 25 % sur l’ensemble de l’agglomération montréalaise. Ce plan prévoit notamment la plantation de 300 000 arbres sur 10 ans. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site Internet de la Ville de Montréal.

Cela montre aussi que l’arbre fait partie de l’identité paysagère de Montréal. Est-ce qu’il y a de l’éducation encore à faire là-dessus ?

N. G. : Oui, c’est pour ça que nous axons beaucoup nos interventions autour du thème « Mettre l’arbre au cœur de nos vies ». L’arbre est un être vivant. Ce n’est pas un mobilier urbain. Il a des besoins et il joue des rôles écologiques qui sont des services pour l’humain.

A. H. : Le but recherché avec l’interprétation de l’Arboretum, sous forme de plaidoyer, est de dire que l’arbre n’est pas un décor. Lorsqu’on prend la décision de couper un arbre en ville, c’est un geste important. Si chaque citoyen en comprend l’importance, les autorités ne pourront plus faire ça à la légère. Si un arbre est coupé pour les bonnes raisons, par exemple sécuritaires, d’accord. Mais, veillons à planter autre chose pour compenser.

Dans l’interprétation de l’Arboretum, nous abordons l’arbre par ses fonctions vitales. Nous faisons découvrir, ou redécouvrir, l’arbre en tant qu’être vivant : il se nourrit, il respire, il se reproduit, il meurt, il communique. Il naît à un endroit donné et il y demeure pour le restant de ses jours. Malgré cela, il faut qu’il se défende contre les agressions, il doit se trouver des partenaires sexuels, mais il ne bouge pas. Toutes les adaptations de l’arbre se sont développées en fonction de cette caractéristique unique qui est de ne pas bouger. Nous avons travaillé, entre autres, avec le botaniste Francis Hallé, spécialiste en écologie tropicale, c’est un amoureux de l’arbre.

Collection des pommetiers. Source : Jardin botanique de Montréal (Michel Tremblay).

Vue aérienne du Jardin botanique de Montréal. Source : Jardin botanique de Montréal (Mario Faubert).

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À l’avenir, est-ce que vous pensez avoir un rôle à jouer dans les enjeux de la ville de Montréal en termes de foresterie urbaine ?

A. H. : Je pense que oui et c’est la mission de la Maison de l’arbre depuis le début. Nous n’aurons jamais fini de travailler dans ce sens. Il faut miser sur les jeunes générations, elles ont déjà une meilleure connaissance. Il faut continuer à travailler dans le sens du respect de l’être vivant. J’aime beaucoup l’approche du plaidoyer, pour redonner à l’arbre sa juste place et sa juste valeur. C’est ce qui est le plus important. Ce plaidoyer a encore sa place pour plusieurs années, notamment en ville.

Maison de l’arbre Frédéric-Back

Au printemps 2014 en hommage à l’« artiste engagé, grand écologiste et grand humaniste » qu’a été Frédéric Back, le maire de Montréal, Denis Coderre, annonçait fièrement que la Maison de l’arbre porterait désormais le nom de ce fervent défenseur de la nature.

Illustrateur talentueux, Frédéric Back propose un film d’animation pour faire aimer les arbres. « L’homme qui plantait des arbres », inspiré du texte de Jean Giono remporte un vif succès et se mérite un Oscar en 1988.

Monsieur Back nous a quittés en décembre 2013, mais sa mémoire restera à toujours chaleureusement préservée au cœur du Jardin botanique de Montréal. Dans le sillon des activités de la Maison de l’arbre Frédéric-Back, l’arbre reprend sa place, son importance.

Source Jardin botanique (Thierry Dubreuil).

MERCI À NOTRE MEMBRE VAN BRUYSSEL

12- HISTOIRES FORESTIÈRES