La Volonté de M. John-Harry Will - Ebooks-bnr.com · 2020. 7. 16. · mier, un homme d’une...

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  • Gabriel Bernard

    LA VOLONTÉ DE M.JOHN-HARRY WILL

    1921

    bibliothèque numérique romandeebooks-bnr.com

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  • LA VOLONTÉ DEM. JOHN-HARRY WILL

    EN SORTANT ce matin-là du cabinet direc-torial, l’ingénieur principal et le chef des ser-vices commerciaux de la Great ContinentalCompany, la plus grosse firme américaine pourla fabrication des générateurs électriques se re-gardèrent avec une expression d’effarement.

    — Nous avons la même pensée, dit le pre-mier, un homme d’une trentaine d’années auvisage intelligent et réfléchi, qui se nommaitHoggerton, mais le lieu serait mal choisi pouréchanger nos impressions. Voulez-vous venirdans mon bureau ?

    Les deux personnages se trouvaient alorsdans le clair hall en forme de rotonde qui ser-vait d’antichambre au cabinet de John-Harry

  • Will, le directeur général de la Great Continen-tal, l’un des premiers potentats de l’industrieaméricaine, vrai dictateur économique de lavolonté de qui dépendaient, directement ou in-directement, des milliers d’entreprises.

    Bien qu’il fût de très bonne heure, de nom-breux visiteurs attendaient déjà leur tour de ré-ception. Le bourdonnement complexe et conti-nu de la gigantesque usine, où œuvraient plusde dix mille hommes savamment spécialisés,taylorisés, standardisés, parvenait assourdidans cette rotonde célèbre, ultime stationavant l’audience du grand patron.

    — Je vous suis, Hoggerton, répondit JamesDone, le chef des services commerciaux, petitbonhomme tout rond et très vif.

    Quand ils furent dans le bureau de l’ingé-nieur :

    — Eh bien ? questionna Hoggerton.

    — Eh bien, fit l’autre, je ne serais pas sûrd’avoir parlé à John-Harry Will que je m’ima-

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  • ginerais avoir eu affaire à un sosie de notre pa-tron…

    — Moi, j’ai cru tout d’abord qu’il était ma-lade… Mais il avait l’air d’être en excellentesanté physique…

    — Physique, oui… Mais…

    — Alors, vous aussi, vous avez eu un ins-tant l’impression qu’il était devenu…

    Aucun des deux interlocuteurs ne prononçale mot fou, mais ils s’étaient parfaitement com-pris.

    — Et pourtant, reprit James Done après unsilence, je l’ai observé durant notre stupéfianteconférence de tantôt… Vous savez que j’exer-çais la médecine avant de me lancer dans lesaffaires…

    — Je le sais, Done… Vous étiez même, pa-raît-il, un bon spécialiste des maladies ner-veuses…

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  • — On l’a dit, Hoggerton, et c’est peut-êtrevrai… Donc, je puis vous affirmer que John-Harry Will ne donnait pas le moindre signepermettant de conjecturer une névrose quel-conque… Et puis, en définitive, ses propos dece matin étaient déconcertants pour des gensqui le connaissent ; mais ils n’auraient pas sur-pris un auditeur moins familier que nous, sesprincipaux collaborateurs…

    À ce moment, on frappa à la porte. Unhomme entra dans le bureau de l’ingénieur.C’était Bandsley, le caissier en chef. Il semblaittout ému.

    — Je suis bien aise de vous trouver en-semble, messieurs, dit-il ; je sors de chez lepatron… Je l’ai trouvé si étrange, si différentde lui-même… Il m’a donné des instructions siinconcevables… Ou, pour mieux dire, il s’estsi bien abstenu de prendre aucune des déci-sions urgentes qui s’imposaient à lui, que je nesuis pas encore revenu de ma surprise… Son-gez donc !… Lui dont la volonté se manifeste à

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  • tout instant avec une puissance irrésistible, luiqui n’admet pas la moindre discussion, l’obser-vation la plus respectueuse sur l’exécution deses ordres, il a hésité, atermoyé, tergiversé du-rant un bon quart d’heure après que j’eus sou-mis à sa signature la liste des gros paiementsdu jour… Et, finalement, il me l’a rendue, sansl’avoir signée en me disant : « Vous paierez ceque vous jugerez convenable de payer, Band-sley… Faites à votre guise… » Or, savez-vousde quelle somme il s’agit ?… D’un peu plusde 500 000 dollars !… Je ne peux pourtant paspayer un chiffre pareil sans la signature du pa-tron !…

    La Great Continental Company, était une en-treprise trop bien montée, trop minutieuse-ment réglée dans ses moindres détails, suivantles méthodes scientifiques, pour que l’inexpli-cable et soudain fléchissement de la volonté deson grand maître John-Harry Will causât unedésorganisation immédiate.

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  • Les chefs de services prirent les initiativesles plus urgentes. Au reste, si John-Harry Willmanifestait une répugnance de plus en plusmarquée à vouloir et à se décider, sa lucideintelligence des affaires demeurait intacte. Iléclairait et conseillait supérieurement commepar le passé ses collaborateurs, et il ne parais-sait pas avoir conscience de l’effrayante dimi-nution de la volonté qui s’était produite en lui.

    Le caissier Bandsley, maintenant, ne s’effa-rait plus des hésitations du patron : il savaitqu’il lui suffisait d’insister un peu rudementpour obtenir toutes les signatures qu’il voulait.

    Un soir, – c’était environ, un mois aprèsleur première constatation de la singulière mé-tamorphose de John-Harry Will, – James Donevint trouver Hoggerton et lui dit :

    — J’ai trouvé le mot de l’énigme…

    Hoggerton tendit l’oreille.

    — Oui, reprit James Done. Et il faut être,comme vous et moi, des hommes continuel-

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  • lement penchés sur les chiffres pour n’avoirpas soupçonné plus tôt la vérité, qu’une cir-constance toute fortuite m’a fait découvrir…John Harry Will est tout simplement amou-reux, amoureux fou d’une femme d’une grandebeauté…

    — John-Harry Will amoureux ! s’exclamaHoggerton. Vous voulez rire, Done… Lui qui ale cœur le plus dur qui soit au monde et dontla laideur est célèbre dans tous les États del’Union…

    — John-Harry Will n’en est pas moins éper-dument épris et, bien que ces phénomènessoient plus familiers aux faiseurs de romansqu’aux gens de science et d’affaires, nous pou-vons sans absurdité conclure que toute l’éner-gie volontaire naguère dépensée pour la su-prématie économique de la Great Continental,notre patron la prodigue exclusivement dans lebut de conquérir un cœur féminin. Or, si j’enjuge d’après les apparences, ce cœur se dé-robe… À quoi il n’y a rien que de très naturel…

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  • — Sur quelles données vous basez-vous,James Done, pour conclure ainsi ?

    — Savez-vous, Hoggerton, ce que faitchaque soir, à neuf heures, notre patron John-Harry Will ?

    — Je présume, ses habitudes excessive-ment matinales n’ayant pas varié, qu’il secouche…

    — Erreur, Hoggerton… À neuf heures,chaque soir, John-Harry Will se rend à pieddans un cottage solitaire du quartier del’Ouest. Il y demeure jusqu’à minuit. Le cottageappartient à une Canadienne, mistress Dick-son…

    — Une Canadienne nommée Dickson !s’écria Hoggerton. Je crois bien qu’elle estbelle !… C’est une ancienne actrice, qui jouasous le nom de Madge Love…

    — Précisément…

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  • — Mais cette femme peut n’être que l’ins-trument de quelqu’un de ces groupes rivauxde la Great Continental, que John-Harry Willn’était pas encore parvenu à réduire et qui,coïncidence au moins curieuse, manifestentune singulière activité depuis quelque temps…

    — C’est ce que je pense, Hoggerton…

    — Mais alors, notre ligne de conduite esttoute tracée… Il faut voir par nous-mêmes…

    — Et agir vite.

    Le lendemain soir, une demi-heure environaprès avoir vu, de l’angle de la rue voisine, leurpatron pénétrer dans le cottage, James Done etHoggerton sonnèrent à la grille du jardin.

    Reçus immédiatement et sans la moindredifficulté par la belle mistress Dickson, ce quine fut pas sans les étonner un peu, ils expli-quèrent que la nécessité d’une communicationexceptionnellement importante et pressée lesobligeait à joindre leur directeur où qu’il setrouvât…

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  • — Je vais vous conduire tout de suite au-près de M. Will, messieurs, dit mistress Dick-son.

    Et la Canadienne, qui, particularité bizarre,portait sur son élégante toilette d’intérieur uneblouse d’hôpital, guida les visiteurs à traversplusieurs pièces modérément éclairées, puisles fit entrer brusquement dans un vaste halltrès lumineux, aménagé en laboratoire scienti-fique, – à moins que ce ne fût en salle d’opéra-tions.

    Les regards des deux hommes se portèrenttout d’abord sur un fauteuil à bascule dans le-quel était assis ou, plus exactement, dans le-quel gisait un homme endormi ou évanoui, quin’était autre que John-Harry Will.

    À côté de lui, un personnage, dont la phy-sionomie originale décelait l’intelligence etl’énergie, paraissait suivre avec attention lesmouvements de l’aiguille d’un manomètre.

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  • — Le docteur Mathias, présenta mistressDickson.

    Le docteur accorda un bref regard aux deuxarrivants.

    — Je vous demande un instant, messieurs,dit-il.

    Et il se remit à son observation.

    Hoggerton et James Done remarquèrentalors que le crâne de John-Harry Will étaitcoiffé d’un casque que des fils métalliques pro-tégés par une enveloppe isolante reliaient àun appareil qui ressemblait à un accumulateurélectrique, encore qu’il fût pourvu d’organesdont, à première vue, ni l’ingénieur ni l’ex-neu-rologue ne discernèrent la destination.

    Enfin, le docteur Mathias tourna un com-mutateur. John-Harry Will eut un léger tres-saillement, mais demeura sans connaissance.Mistress Dickson s’approcha de lui et se mit endevoir de lui ôter son casque. Elle procédaitavec une sollicitude précautionneuse.

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  • — Je suis à vous, messieurs, dit le docteuren indiquant des sièges aux deux collabora-teurs de son patient. J’attendais votre visite,sinon pour ce soir, du moins pour un de cessoirs… Il était fatal que vous fussiez amenés àvous préoccuper du changement considérablesurvenu dans la mentalité de M. John-HarryWill…

    « C’est vrai, il ne reste plus à votre directeurque des vestiges de volonté.

    « Cette faculté dominante chez lui – carM. John-Harry Will était l’un des êtres humainsles plus magnifiquement volontaires quifussent, – cette faculté, je l’ai captée au moyende cet appareil imaginé par moi et dont le prin-cipe n’est pas sans analogie avec celui des ac-cumulateurs d’énergie électrique.

    « L’homme a pu capter l’électricité sans enconnaître l’essence. J’ai réussi à capter la vo-lonté humaine qui est une force naturelle aussiindéfinissable que l’électricité et qui, vous en

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  • conviendrez, offre avec celle-ci certaines res-semblances…

    « Voilà, messieurs, l’explication de l’anoma-lie qui vous tracasse à juste titre depuisquelque temps… Elle est sans aucun rapportavec l’aventure amoureuse que la beauté demon assistante, mistress Dickson, pouvait fairesupposer… Et j’ajoute que la captation de lavolonté d’un homme aussi extraordinairementdoué que M. John-Harry Will a été opérée parmoi sans la moindre pensée intéressée…

    « Soyez assurés que je ne travaille pour lecompte d’aucune firme rivale de la Great Conti-nental Company… Les profits matériels nem’importent nullement… Ce qui m’intéressait,c’était de joindre à mon stock la volonté d’unsujet aussi remarquable que votre patron…C’est chose faite depuis assez longtemps déjà,et le traitement que suit actuellement chaquejour M. John-Harry Will n’a d’autre objet quede prévenir les accidents physiologiques qui

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  • pourraient résulter de l’ablation psychique quej’ai pratiquée sur son cerveau…

    — Mais vous êtes un criminel ! s’écria Hog-gerton. Et vous vous imaginez que nous n’al-lons pas vous dénoncer…

    Le docteur Mathias eut un étrange sourire.

    Hoggerton voulut se lever. Il ne le put. Uneforce irrésistible l’enchaînait à son fauteuil. Demême James Done.

    — Avant que mistress Dickson vous en-dorme au chloroforme, poursuivit imperturba-blement le docteur Mathias, je veux bien vousdire encore, messieurs, que je vais procédersur vous à une opération analogue à celle subiepar votre directeur. Je vous préviens aussi quecette opération n’aura pour vous aucuneconséquence morale pénible, vu que, commeje suis aussi puissant sur la mémoire que surla volonté, vous aurez oublié, après, ce dont iln’est pas nécessaire que vous gardiez le souve-nir.

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  • Mistress Dickson approchait les masques.Hoggerton et James Done furent bientôt en-dormis.

    * * *

    Quelques jours après, John-Harry Will,Hoggerton et James Done vantaient sincère-ment entre eux le traitement contre le surme-nage que leur faisait suivre le docteur Mathias.

    Ils étaient persuadés qu’ils allaient chez luide leur plein gré. Ils avaient tout oublié desopérations subies.

    Mais trois mois plus tard, au Stock Ex-change, on ne parlait que de la faillite inexpli-cable de la Great Continental Company, dont unboursier notable disait :

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  • — Bah ! conclut un autre, John-Harry Willétait un homme très surfait.

    Gabriel BERNARD.

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    — Cette affaire était moins bien menéequ’on ne croyait.

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    Ont participé à l’élaboration de ce livre nu-mérique : B. L., Isabelle, Françoise.

    — Sources :

    Ce livre numérique est réalisé principale-ment d’après : Gabriel Bernard, La Volonté de

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  • M. John-Harry Will, in Sciences et Voyages n° 86,21.04.1921. La photo de première page, Écla-boussement dans un torrent, a été prise par AnneVan de Perre le 23.07.2013 .

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