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La vie professionnelle : âge, expérience et santé à l’épreuve des conditions de travail Ouvrage cordonné par Corinne Gaudart, Anne-Françoise Molinié, Valérie Pueyo Version Octobre 2010

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La vie professionnelle : âge, expérience et santé à l’épreuve

des conditions de travail

Ouvrage cordonné par Corinne Gaudart, Anne-Françoise Molinié, Valérie Pueyo

Version Octobre 2010

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Gaudart, Molinié, Pueyo (coord..). Ouvrage CREAPT 2010

La vie professionnelle :

âge, expérience et santé à l’épreuve des conditions de travail

Ouvrage cordonné par Corinne Gaudart, Anne-Françoise Molinié, Valérie Pueyo

Préface. Marianne Lacomblez (à venir) .

Introduction (des éditrices)

I. Données de cadrage

Chapitre 1 : Dérives et inertie dans la démographie de la population salariée.Serge Volkoff

p.7

Chapitre 2 : Le travail, en évolutions. Serge Volkoff p.17

II. Apprentissage, formation, transmission

Chapitre 3 (synthèse). Apprendre pour et par le travail : les conditions de la for-mation tout au long de la vie professionnelle. Catherine Delgoulet

p.33

Chapitre 4 (recherche). Formation « in situ » et « école de dextérité » dans l’auto-mobile : Analyse des modalités d’apprentissage et de leurs coûts pour les opéra-teurs. Corinne Gaudart & Karine Chassaing

p.63

Chapitre 5 (recherche). Formation et changements technologiques : des difficultésliées à l’âge ? Dominique Cau-Bareille & Corinne Gaudart

p.83

III. Développement des compétences au fil du temps

Chapitre 6 (synthèse). Le développement des compétences professionnelles au fildu temps, à l’épreuve des situations de travail. Annie Weill-Fassina.

p.103

Chapitre 7 (recherche). Elaboration des gestuelles avec l’expérience dans le géniecivil. Karine Chassaing

p.133

Chapitre 8 (recherche). L’expérience du travail de nuit chez des infirmières depneumologie. Cathy Toupin.

p.149

IV. La dimension collective dans les relations âge-travail

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Chapitre 9 (synthèse). Travail collectif et collectif de travail au fil de l’âge : desressources et des contraintes. Dominique Cau-Bareille.

p.169

Chapitre 10 (recherche). Organisation et mobilisation des collectifs pour la ges-tion des risques : des modalités contrastées chez des monteurs installateurs et deshorticulteurs. Valérie Zara-Meylan

p.193

Chapitre 11 (recherche). Gestion collective de situations critiques au guichet enfonction de l’âge, de l’expérience et de l’organisation du travail. Sandrine Caroly.

p.209

V. Vie de travail et santé

Chapitre 12 (synthèse). Les dynamiques temporelles des relations santé travail, etle fil de l’âge. Anne-Françoise Molinié & Valérie Pueyo

p.223

Chapitre 13 (recherche). Quand la gestion des risques est en péril chez les fon-deurs. Valérie Pueyo.

p.245

Chapitre 14 (recherche). Passer du public au privé : des compromis inquiétantspour la santé des infirmières. Esther Cloutier, Élise Ledoux, François Ouellet, Isa-belle Gagnon, Madeleine Bourdhouxe.

p.273

VI. Fins de vie professionnelle

Chapitre 15 (synthèse). Les fins de vie professionnelle : quel rôle des conditionsde travail ? Annie Jolivet, Céline Mardon & Serge Volkoff

p.297

Chapitre 16 (recherche). Facettes de la pénibilité, prisme du genre. Une analysede l’enquête Santé et Vie Professionnelle après 50 ans. Anne Françoise Molinié

p.307

Chapitre 17 (recherche). Les fins de carrière chez les enseignantes de maternelle.Dominique Cau-Bareille.

p.333

Liste des auteurs p.351

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Chapitre 5.

Formation et changements technologiques :Des difficultés liées à l’âge ?

Dominique CAU-BAREILLE et Corinne GAUDART

Ce chapitre porte sur le processus de changements technologiques ayant accompagné l’infor-matisation de deux organismes administratifs dans un contexte de modernisation des outils detravail. Les enjeux liés à ces changements étaient d’importance : une harmonisation des déci-sions prises en termes de prestations sociales, familiales ou de santé au niveau national, unchangement organisationnel en matière de répartition des dossiers dans les équipes et de moded'archivage des dossiers, un suivi plus précis des prestations fournies. Au travers de ces deuxétudes, nous avons cherché à identifier comment se caractérise l'apprentissage professionnelde techniciens bénéficiant d'une connaissance importante du métier, mais étant dans l’obliga-tion d’acquérir de nouvelles méthodes de travail suite à des changements technologiques. Ap-prend-on de la même manière tout au long de la vie ? L’individu a t-il tout au long de son par -cours professionnel les mêmes dispositions pour assumer les nouveaux apprentissages qui ac-compagnent les mutations technologiques (Paumès Cau-Bareille & Pèlegrin, 1993) ? Les se-niors rencontrent-ils des difficultés spécifiques concernant leurs modes de participation, leurfamiliarité avec le matériel présenté, leurs capacités à relier les acquis de l’expérience avec lecontenu des formations ? Quelles sont les conditions favorisant ou au contraire pouvant entra-ver la formation ?

Les deux organismes concernés sont une Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) etune Caisse d’Allocations Familiales (CAF). Concernant la première, l’UCANSS1 s’est enga-gée en 1996 dans un projet européen IMPACT2, visant l'étude des conséquences des change-ments technologiques pour des personnes en milieu de carrière (notamment en matière de pro-cessus d'apprentissage) et l’accompagnement des organismes dans la conduite des change-ments organisationnels. Cette préoccupation autour des "mitans" - comme les appellent lesQuébécois - s’explique de deux manières : la pyramide des âges des salariés de cet organismeprésentait une très forte représentation des quadragénaires3 et surtout très peu de jeunes dansun contexte de réduction des recrutements – et une volonté d’informatiser et de faire évoluerles logiciels au sein de l’ensemble des caisses. La préoccupation des responsables portait doncsur la population devant à terme utiliser les logiciels et sur les conditions de formation rela-tives à la maîtrise des nouveaux outils. Elle ne portait pas sur le travail lui-même, ni sur lapertinence de l’outil par rapport à la nature de l’activité des opérateurs, ou sur la conceptiondes logiciels. Concernant la CAF, a été implanté en 1998 un nouveau logiciel pour le traite-ment des dossiers des bénéficiaires et le calcul des prestations. Ce changement de logicielavait pour but d’homogénéiser davantage les opérations menées en divers points du territoire,

1 Union des Caisses Nationales de Sécurité Sociale2 Investissement Métiers pour la Prévision et l’Accompagnement au Changement Technologique3 Selon Gallazzini et Wasner (2005), en 2000, 53% des agents de la Sécurité Sociale avaient plus de 45 ans et une anciennetémoyenne dans l’institution de 21ans

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d’améliorer le suivi comptable de ces opérations et ainsi de mieux maîtriser les dépenses. Or àcette date, la grande majorité des employés – comme à la CPAM - étaient déjà au milieu deleur carrière professionnelle ou au-delà (53% des personnels avaient plus de 45 ans), et defortes craintes s’exprimaient au niveau des directions centrales et locales quant à la capacitédes techniciens à faire face à ce changement.

Nos terrains d’étude se distinguent sur deux points : le type d’établissement étudié et leur ni-veau d'informatisation initial. Mais ils ont une même toile de fond : des préoccupations autourde l’âge des techniciens ayant une longue pratique professionnelle avec le même outil et leurcapacité d’adaptation face aux changements. Des points communs importants sous-tendent lamise en perspective de ces deux études : la nécessité pour les agents des deux services de tra-vailler sur des portefeuilles clients/assurés, d’élaborer et de traiter des dossiers pour la déter-mination de droits pour des clients/assurés souvent en difficultés médicales et/ou sociales, etdes préoccupations importantes autour de l’informatisation des dossiers clients. L'enjeu de laformation dans la première étude (CPAM) était l'informatisation de tous les dossiers traités in-tégralement jusqu'alors sous forme papier, manuellement ; dans l'autre (CAF), l'introductiond'un nouveau logiciel dans un contexte d'informatisation déjà en place depuis quelques an-nées. Ces deux études n'étant pas intervenues au même moment du processus d'informatisa-tion, nous nous appuierons sur la première pour rendre compte des difficultés de passage surl'outil informatique dans un contexte de formation standardisée en nous intéressant au facteurde variabilité que constitue l’âge des techniciens. La seconde nous permettra de mettre en évi-dence les conséquences de la modernisation et de l’évolution des outils informatiques surl'organisation du travail et sur l’activité collective.

1. Etude 1 : l’informatisation des dossiers à la CPAM

1.1. Cadre de l’intervention et méthodologie

L’étude à la CPAM a porté sur la formation des techniciens à l’utilisation de l’outil Médicis,logiciel de traitement des dossiers de contrôle médical (Paumès Cau-Bareille & Volkoff,1998). Nos objectifs dans cette intervention étaient, au travers de quelques monographies etdu suivi du processus de formation des techniciens, d’esquisser les enjeux de l'introductiond'un nouvel outil de travail pour les techniciens, de cerner les problèmes d'apprentissage lorsde la formation sur le nouvel outil et d’évaluer l’impact de cet apprentissage sur l’activité enfonction de l’âge des techniciens.

Ce service est impliqué dans deux types d’interventions : (1) l’expertise médico-sociale quivérifie certaines prestations dispensées aux assurés sociaux par les professionnels de santé(par exemple : exonération du ticket modérateur, invalidité, accident du travail, inaptitude,contentieux...) ; (2) l’expertise en santé publique, qui doit rechercher les informations médi-cales sur des secteurs sélectionnés de dépenses collectives et ainsi peut assurer la qualité dessoins et une gestion des sommes engagées. L’objectif final était de parvenir à une conduitemieux maîtrisée du système de santé en développant un remboursement plus vigilant, où laqualité, l’opportunité et le coût économique des soins seraient des critères futurs de rembour-sement (des disparités importantes de traitement des dossiers avaient été observées). Pourschématiser, les demandes des assurés sociaux sont traitées au sein d’unités fonctionnelles(UF)4 réparties sur tout le territoire français. Chaque UF est composée d’un gestionnaire

4 Nous retiendrons ce terme d’UF dans la suite du document en lieu et place d’Unité Fonctionnelle

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d’unité, d’un médecin conseil assisté de plusieurs techniciens. Le travail des techniciens estd’assurer l’interface entre les assurés qui formulent des demandes de prise en charge, de pres-tations, et le médecin décisionnaire. Ils ouvrent le courrier, retranscrivent les demandes desassurés pour le médecin, lui préparent les dossiers, gèrent les convocations si nécessaire, leséchéanciers, classent et archivent les dossiers, transmettent les décisions par courriers, re-cueillent des informations à des fins d'analyses statistiques, etc.

Nous sommes intervenues (Paumès Cau-Bareille & Da Costa, 1997) au moment où un pro-gramme de formation national venait d’être mis en place afin de former tous les techniciens,après une phase d’essai de 5 ans sur des sites pilotes. Notre démarche, dans une approche er-gonomique, s’est déployée en quatre étapes :- identifier l’activité initiale des agents, ses caractéristiques, ses difficultés, en fonctionde la spécificité de parcours et d’expérience des agents ;- analyser l’activité des techniciens des sites pilotes informatisés déjà équipés de l'outilinformatique, de manière à avoir une idée précise des transformations liées à l’introduction decet outil ;- suivre l'ensemble du cursus de la formation des agents sur le logiciel Médicis ;

- suivre la phase d’appropriation de l’outil les semaines suivant la formation.

1.2. L’avant formation, une période d’inquiétude pour les agents

La phase d’analyse de l’activité avant informatisation s’est déroulée dans une UF de huit tech-niciens qui allait être informatisée. Nous retiendrons trois idées importantes.

1.2.1. Des inquiétudes à s’engager en formation partagées par tous les techniciens, mais plus marquées chez les anciens. Ceci tendrait à confirmer l’existence d’une relation positive entre l'âge et l’anxiété d’appren-tissage déjà mise en évidence par Paumès (Cau-Bareille) et Marquié (1995), Delgoulet, Mar-quié et Escribe (1997) et que Hukki et Seppala (1992) ont bien identifiée dans les situationsde formation à l’informatique (Cf. figure1). Le changement vécu par les techniciens commefaisant table rase de l’expérience du travail, du métier, des savoir-faire, était à ce titre sourced’insécurité. Ils avaient le sentiment « qu’ils auraient tout à réapprendre, que les jeunes s’ensortiraient mieux vu qu’ils étaient nés avec l’informatique », évoquant un effet génération.

Figure 1 : Sensation de « stress » dans l’acquisition d’un outil informatique (Source : Hukki, Seppala, 1992)

1.2.2. Des inquiétudes face à la dégradation possible de la relation de service et à des prises dedécision plus tardives qui mettraient alors certains assurés dans une situation difficile.

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« Tout retard de traitement de dossier peut retarder le paiement d’indemnités ou générer dessituations difficiles », nous disait un technicien. Ce sens du service public, cette conscienceprofessionnelle très marqués chez les plus anciens du fait de leur longue expérience, n’est passpécifique à l’activité des techniciens conseils. Caroly-Flageul (2001, 2002) les a retrouvés,par exemple, chez les guichetiers de La Poste. C’est bien cette conscience de l’importance deleur activité, en tant que maillon essentiel de prise en charge des assurés, qui a été source depréoccupations et a cristallisé les inquiétudes des agents quant à leur capacité à apprendre.

1.2.3. Dans la perspective de préparer l’informatisation des dossiers, l’organisation du travail a été modifiée.

D’une gestion spécialisée des dossiers d’assurés, l’UF est passée à une gestion globale d’unportefeuille d’assurés. Ce passage à la polyvalence a été sous-estimé par le management et aété très mal vécu par les techniciens. Deux facteurs ont rendu ce problème central : sa récenceet les conditions de sa mise en place. Avant le projet d’informatisation, chacun était spécialistedu traitement de certains types de demandes de prestations en fonction de ses compétences etformation initiale. Deux mois avant la formation sur Médicis, ils se sont vus dans l’obligationde gérer individuellement l’ensemble des demandes relatives à des portefeuilles d’assurés in-dividualisés. La "formation" avait été laissée à la discrétion des agents : chacun devait parta-ger ses connaissances avec les collègues, au cours de l’activité de travail, en fonction des be-soins, sans que la performance de l’UF en soit affectée. Ceci a eu deux conséquences : la pre-mière, un manque de maîtrise de la législation pour le traitement de certaines demandes, queles techniciens ont compensé par une mobilisation permanente du collectif de travail au tra-vers d’échanges à la cantonade ; la deuxième, la mise en place de stratégies visant à masquerle manque de maîtrise de certains types de dossiers, et surtout des difficultés d’analyse des de-mandes de prestations5. Ainsi, les techniciens n’avaient pas tous le même degré de polyva-lence dans le traitement des demandes avant la formation. Nous verrons ultérieurement qu'undes problèmes majeurs liés à l'introduction du logiciel informatique résidera justement dansl'analyse fine de la demande initiale de prestations par les techniciens, première étape deconstitution des dossiers informatiques.

L’engagement en formation était ici imposé, sa réussite devenant une des conditions de main-tien dans l’emploi.

1.3. De profondes modifications du travail sur les sites déjà informatisés

L’analyse de l’activité de techniciens de sites pilotes déjà informatisés nous conduit à dégagerdeux idées importantes.

1.3.1. Le traitement informatique des dossiers médicaux a généré un allongement de la durée de traitement des dossiers.

5 Par exemple, avant l’informatisation des dossiers, les rapports entre médecins et techniciens se limitaient à l’échange dedocuments, portant très peu sur le contenu des dossiers et la montée des demandes rédigées par les techniciens. Ceci était liéau fait que, sur les documents papiers, certains techniciens, en situation d'incertitude quant à la catégorisation de la demandede l’assuré, pouvaient en rester à une rédaction très globale de la demande, reprenant parfois textuellement la formulation dudemandeur de prestations ; le médecin conseil effectuait ultérieurement le travail d'analyse de la demande qui aurait dû êtrefait par le technicien.

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Les causes sont multiples : le nombre de champs à saisir dans le nouvel environnement6, unelogique différente de montée des dossiers sur Médicis qui impose une analyse plus fine desdemandes maladies initiales, une lecture rendue plus difficile des antécédents médicaux desassurés du fait de l’éclatement des informations dans plusieurs champs. Selon les techniciens,le fait de saisir les dossiers sur Médicis modifie leur rapport aux dossiers des assurés. Nombred'entre eux ont le sentiment qu'ils connaissaient mieux leurs dossiers lorsqu'ils les montaientsur papier. Certains ont même précisé qu’à la fin de la montée d’un dossier, il arrive qu'ils nese souviennent plus de la nature de la demande, tant ils sont polarisés sur le remplissage deschamps.

1.3.2. Un alourdissement et une intensification du travail évoqués par les médecins conseils.

De leur point de vue, cette dégradation du travail est due à l’augmentation des erreurs com-mises dans la première étape de constitution des dossiers par certains techniciens. Le passagesur Médicis a été en quelque sorte un révélateur du manque de connaissances fines de certainstypes de dossiers, d’une polyvalence fragile et partielle, même au bout de cinq ans de pra-tique. Malgré la polyvalence affichée des techniciens, quelques-uns restent encore spécialistesdu traitement de certains dossiers nécessitant une expertise (accidents du travail par exemple),entraînant des régulations collectives importantes pour l’atteinte des objectifs de l’UF.

Au final, plusieurs années après l’informatisation, les techniciens éprouvent toujours des diffi-cultés dans le traitement informatique des dossiers. Elles sont dues à de nouvelles caractéris-tiques techniques (multiplicité des champs de saisie rendant le diagnostic plus laborieux),mais aussi à des caractéristiques organisationnelles. Le développement de la polyvalence, parmanque d’accompagnement, n’a été que partiel pour plusieurs techniciens. Les régulationscollectives permettent d’y faire face dans la plupart des situations, mais participent à pérenni-ser un clivage entre techniciens polyvalents et techniciens spécialisés, ces derniers devenantdépendants des premiers. D’où le sentiment partagé par les techniciens d’une augmentation deleur charge de travail se maintenant au-delà de la période de familiarisation avec l’outil. Cediagnostic donne une grille de lecture supplémentaire pour la phase suivante d’observationdes formations : les difficultés observées pendant la phase de formation pourraient relever deproblèmes d’apprentissage du logiciel, mais aussi d’un manque de maîtrise de la polyvalence.

1.4. La formation au logiciel : une formation standard pour un technicien standard

Notre objectif était ici de comparer la progression de stagiaires jeunes et plus anciens au vudes méthodes pédagogiques mises en œuvre par les formateurs, de manière à cerner les carac-téristiques d’apprentissage selon l’âge des agents. Sur le plan méthodologique, nous avonssuivi une session de formation de 12 stagiaires, dont la majorité provenait de l’UF non infor-matisée que nous avions observée. Nous avons assisté à tous les stades de la formation (la for-mation a duré 8 jours ouvrables), aux cours théoriques comme aux travaux pratiques, ce quinous a permis de cerner la logique de progression de la formation et la nature des difficultésdes techniciens.

6 Si l’on prend l’exemple de l'exonération du ticket modérateur (le type de prestation le plus courant et le plus simple), lapréparation du dossier papier prenait environ 3 minutes ; sur informatique, au bout de 5 ans de pratique, les agents mettaientenviron 10 minutes

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Il s’agissait d’une formation standard, conçue au niveau national, délivrée en cascade7. Toutela progression avait été définie par avance, sans qu'il y ait eu de réelle latitude pour les forma-teurs de l’adapter. Elle reposait sur une représentation de la population des techniciens à for-mer très proche des conceptions tayloriennes, i.e. une « femme moyenne »8 ayant une connais-sance antérieure de l'outil informatique, maîtrisant le langage informatique (applicatifs, fonc-tions, modes experts, etc.), polyvalente dans le traitement des dossiers médicaux, ayant uneancienneté importante dans l’activité, plutôt « jeune », capable d'apprendre et de s'adapter auprogramme de formation qui lui était proposé sans problème. La formation était ainsiconstruite en occultant l'idée de diversité de la population des formés (tant du point de l’âge,de l’expérience et des compétences) et de variabilité dans les rythmes de progression. Constatparadoxal quand on sait que l’étude a été initiée dans l’optique de prendre en compte ces di-mensions.

Deux catégories de difficultés ont été observées : des difficultés d’apprentissage tenant àl’organisation de la formation et des difficultés spécifiques liées à l’âge.

1.4.1. Des difficultés d’apprentissage tenant à l’organisation de la formation.

- La formation s’est organisée à partir d’un postulat erroné : une connaissance de l’outilinformatique par les agents.

L’absence d’évaluation préalable du niveau de connaissances informatiques des techniciens aentraîné de nombreuses difficultés. Dès le premier jour, les formateurs ont montré commentmonter une demande sur Médicis, sans pour autant donner des informations de base sur la ma-nipulation d’un ordinateur et l’environnement informatique. Lors des premiers exercices, lesagents ont monté leurs dossiers entièrement guidés par leur formateur, sans avoir d’explica-tions sur l’utilisation de telle touche ou de telle procédure (Exemple de création d’une de-mande très guidée par le formateur : « appuyez sur F3 - faites Ctrl N - Tu appuies sur F1 -maintenant, on va faire F12 - maintenant, on va faire F9 pour créer une demande »). Si cettemanière de procéder a permis à certains de commencer à assimiler le cheminement de montéedes dossiers, d’autres adhéraient peu à cette démarche, ne parvenant pas à mémoriser ni àtransférer les procédures apprises de cette manière (les plus anciens surtout). Le sens desfonctions utilisées n’a été vu qu’ultérieurement : les erreurs répétées de certains stagiaires ontconduit les formateurs à donner des explications sur le "pourquoi" de ces erreurs, mais tardi-vement. Un sentiment d’incompétence chez les techniciens, surtout les plus anciens, s’est ins-tallé pendant plusieurs jours, et les a insécurisés pour le reste de la formation.

- Le rythme de la formation a été déterminé par le volume des apports théoriques àtransmettre plutôt que par les besoins des stagiaires.

La présentation des différents cas et de leur traitement s’est enchaînée à un rythme soutenu,laissant peu d’opportunités aux stagiaires de consolider et de s’approprier les informationsdonnées. Les anciens, souvent moins rapides que les jeunes, avaient à peine le temps de finirl’exercice qu’il fallait passer à autre chose. D’où un sentiment de confusion, d’un coût impor-tant d’assimilation et de mémorisation. Certains se sentaient énervés : « Je me mélange toutmaintenant. On a vu tellement de choses différentes depuis ce matin que je ne sais plus oùj’en suis ».

- Les formateurs se référaient assez peu à l’activité initiale des techniciens.

7 Les formateurs nationaux formaient des formateurs régionaux, qui à leur tour, formaient les formateurs locaux, qui endernier lieu, assuraient la formation auprès des techniciens et médecins conseils des UF. C’est une pratique assez classiquedans le monde industriel comme dans le secteur tertiaire.8 Elles représentaient environ 80% des salariés.

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Ils ne travaillaient pas sur la base des supports des assurés, mais de synthèses de demandesprésentées sous forme de diapositives ou de résumés oraux (alors que les agents travaillaienthabituellement sur des documents papier), centrant les enjeux de l'apprentissage sur le rem-plissage des champs à saisir. Ce type de pédagogie imposait aux techniciens de travailler demanière abstraite, d’élaborer mentalement des représentations du système, utilisant de ma-nière plus ou moins pertinente les mécanismes analogiques ou d’inférences en lien avec leuractivité initiale. Les techniciens, lors du bilan de la formation, s’en sont d’ailleurs plaints :« La formation a toujours eu un caractère très abstrait » - « La formation était très déconnec-tée de notre travail réel ». Ce problème s’est trouvé renforcé par la volonté des formateurs dene pas délivrer de documents de synthèse pendant la formation, seulement à son terme. Au-cune appropriation des documents écrits susceptibles de faciliter la mémorisation des procé-dures de montée des dossiers ou d'aider les techniciens dans la phase ultérieure d'utilisation del'outil dans les UF n’a été possible. De ce fait, les stagiaires ont dû solliciter constamment leurmémoire, particulièrement leur mémoire de travail, la plus sensible aux effets de vieillisse-ment (Salthouse, 1991). Si l’on se réfère à la théorie de Cattell (1963), cette situation de for-mation sollicitait préférentiellement "l’intelligence fluide" de l’opérateur, et non "l’intelli-gence cristallisée" fondée sur l’expérience des opérateurs. Or, de nombreux auteurs ont mon-tré que les situations d’apprentissage impliquant préférentiellement l’intelligence fluide,mettent en jeu principalement les fonctions cognitives élémentaires que l'on sait sensibles auxeffets du vieillissement (Marquié, 1989 ; Paumès Cau-Bareille, 1990). D’où la difficulté destechniciens, surtout les plus anciens, à assimiler les apports déconnectés de la pratique : ils ontsouvent dû attendre l’exercice pratique pour comprendre les éléments transmis pendant lescours abstraits. Ce qu’ont d’ailleurs confirmé les formateurs : « La théorie affole les gens, quipréfèrent généralement une formation sur le tas, sur la machine ».

- La formation a été construite sur le postulat d’une polyvalence de tous et d’uneconnaissance confirmée du cadre législatif.

De ce fait – comme pour les fonctions de base de l’informatique – aucune évaluation préa-lable n’a été faite sur le niveau de maîtrise individuel des différents dossiers. Pourtant, ce pro-blème était connu des formateurs qui l’ont évoqué lors d’entretiens informels : « les per-sonnes qui ont des difficultés sur Médicis en avaient auparavant pour traiter les dossiers ».Certains allaient même jusqu'à dire que « quelqu’un qui connaît la législation, sans connaîtrele clavier, s’en sort bien » (sous-entendu : de l'apprentissage sur Médicis). La standardisationde la formation semble donc poser aussi problème aux formateurs.

1.4.2. Des difficultés spécifiques aux plus anciens

Nous avons noté chez les plus anciens des inquiétudes par rapport à l’utilisation de Médicisque nous n’avons pas retrouvées chez les jeunes : « il n’y a pas de garde-fou ? On peut mettren’importe quoi ? » ; ces réflexions témoignent d'un comportement de prudence que l'on ob-serve souvent avec l'avancée en âge (PaumèsCau-Bareille & Marquié, 1995, op.cit. ; Marquié& Baracat, 1995). Beaucoup de questions portaient sur l’utilisation pratique et quotidienne del’outil : « comment cela va se passer dans la situation de travail ? Comment la techniciennefait dans son bureau ? » ; ces préoccupations semblaient moins immédiates pour les plusjeunes. En effet, les anciens ont encore plus besoin que les jeunes de situer les connaissancesnouvelles par rapport à leurs connaissances antérieures, de faire des liens entre la formation etdes éléments concrets liés à l’activité, d’essayer de se projeter dans la réalité pour que lesconnaissances nouvelles prennent sens pour eux. Ils ont davantage besoin de voir concrète-ment pour comprendre : ils sont plus à l'aise pour apprendre en situation de manipulation surl'outil que lors des cours plus abstraits. Ce constat concorde avec des résultats d’autres étudespointant les difficultés que des plus anciens éprouvent à manipuler du matériel abstrait et à

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Gaudart, Molinié, Pueyo (coord..). Ouvrage CREAPT 2010

travailler sur la base de représentations mentales (Paumès Cau-Bareille & Marquié, 1995, op.-cit. ; Marquié, 1997). Ce besoin de se projeter dans la situation de travail peut également êtremis en perspective avec le souci de relation de services que nous avions évoqué plus haut : lesanciens étaient très inquiets de ne pas être en mesure de traiter la charge de travail et de ré -pondre en temps et en heure aux demandes de prestations.

Les premiers temps de formation ont également été plus difficiles pour les plus anciens. Ilsappréhendaient davantage la situation d’apprentissage ; ils hésitaient à prendre des initiativesd’utilisation du clavier de crainte de faire des erreurs irréparables par manque de maîtrise desdifférentes fonctions. Ils manquaient de confiance en eux, demandant souvent l'aval du forma-teur pour avancer dans les exercices ou pour utiliser une fonction. Ces inquiétudes ont consti-tué des freins à l’apprentissage en réduisant leurs initiatives dans l’utilisation du système. Ilsont eu plus de difficultés à progresser dans l’apprentissage sans avoir bien compris les infor-mations que les formateurs leur transmettaient, à progresser sans être sûrs d’avoir acquis lespremières phases, exprimant beaucoup plus de questions sur le "pourquoi" des procédures :« Mais pourquoi tu m’as dit qu’il faut taper F3 ? ». Ils avaient beaucoup plus besoin que lesjeunes de consolider leurs acquisitions avant de passer à de nouveaux apprentissages, alorsmême que leur progression plus lente dans les exercices ne leur permettait pas de les répéter.Ils avaient tendance à appréhender chaque type de dossier comme un nouvel apprentissage, aulieu de rechercher les points de transfert possibles entre les différentes demandes. Ces difficul-tés de généralisation ont été beaucoup moins retrouvées chez les plus jeunes. Nous avons notéun sentiment de fragilisation de la mémoire avec l'âge chez les techniciens, qu'ils ressentaientcomme pénalisante : difficultés de mémorisation des procédures de montée des dossiers, deslogiques de fonctionnement du logiciel, recherche beaucoup plus importante de supports mné-moniques pour compenser leurs difficultés de mémorisation. En témoignent ces extraits deverbalisations : «Dis E., on aura un petit fascicule pour les fonctions ? » - « Il faut que jenote, parce qu’il faut que je me rappelle » - «J’écris pour bien mettre dans ma tête ».

Les plus jeunes ont suivi relativement facilement la progression de la formation proposée parle formateur, même si leurs connaissances se sont avérées, à terme, très déconnectées de leuractivité. Ils redoutaient peu le système technique et ont eu d’emblée une démarche très partici-pative, n’hésitant pas à procéder par essais et erreurs. Nous avons noté des comportementsd’anticipation dans la montée des dossiers beaucoup plus rapidement que chez les plus âgés :ils optimisaient davantage les acquisitions précédentes dans les nouveaux exercices. Le fait dene pas redouter le système technique a certainement facilité l’acquisition des nouvellesconnaissances en mobilisant toutes les ressources cognitives et conatives des stagiaires. Onnote donc des progressions différentes entre jeunes et plus anciens, mais qui ont débouché surles mêmes difficultés lorsqu’il s’est agi de mettre en œuvre les connaissances dans la situationréelle de travail, de retour dans l’UF.

1.5. L’après formation : des difficultés pour tous, mais plus marquées chez les seniors

Le suivi des deux premiers mois d'utilisation de l'outil Médicis par les techniciens avait troisobjectifs : analyser les stratégies des techniciens lors de la montée des dossiers sur Médiciscomparativement aux procédures antérieures ; identifier leurs difficultés en site réel de travailau vu de la formation ; analyser l'incidence du travail sur Médicis sur le collectif de travail.Des chroniques d’activité sur chaque montée de dossier informatique9 ont été réalisées, identi-

9 Dans les premiers mois de montée des dossiers sur Médicis, seuls ont été saisis sous forme informatique les assurés quifaisant l’objet d’une première demande, donc qui n'avaient pas de dossier, et uniquement certains types de demandesrelativement simples. Ce choix avait pour objectif d'introduire progressivement Médicis dans les UF, et de ne pas trop charger

Version relecture octobre 2010- 12

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fiant un certain nombre d'indicateurs tels que les erreurs, les hésitations des techniciens lorsde la rentrée des informations, les commentaires des opérateurs lors de la montée des dossiers,la nature des besoins de coopérations entre collègues, la nature des documents consultés, letemps de traitement des dossiers.

1.5.1. Des difficultés surmontées par presque tous les agents

Seul l’agent le plus ancien ne s'est pas senti capable de travailler sur Médicis, confiant la sai-sie informatique des dossiers à la gestionnaire.

Les autres techniciens, chacun à leur rythme, et avec le soutien du collectif, y sont parvenus.Cela ne veut pas dire pour autant que la mise en pratique ait été facile car au terme de la for-mation, jeunes ou plus anciens étaient loin d’être opérationnels. Les premières semaines quiont suivi la formation, aucun d’entre eux, même ceux qui semblaient se débrouiller correcte-ment en formation (les plus jeunes en particulier), n'a été capable de traiter sur informatiqueun dossier seul en suivant la procédure. Nous avons noté beaucoup d'erreurs dans la montéedes demandes de type difficultés à maîtriser la logique de déroulement des écrans, difficultésdans l'utilisation du mode expert, difficultés à faire le lien entre les besoins de renseignementsdu logiciel, leur activité de travail, et les documents de travail, difficultés à gérer les instan-ciers. Difficultés qui confirment les limites des connaissances acquises en formation que nousavions identifiées, et d'une certaine manière, du contenu de la formation trop déconnecté del'activité initiale des agents. Ce problème s’est révélé d’autant plus aigu que cette UF était dé-pourvue de formateur local directement disponible pour les aider. En situation de blocage eten l’absence de formateur, ils se référaient très souvent aux supports papier délivrés au termede la formation, supports auxquels ils ont dû se familiariser in-situ, la philosophie de la for-mation ayant été de « proposer un apprentissage sans référence aux documents papiers pourpermettre une meilleure compréhension des procédures de traitement des dossiers ». Ces dif-ficultés posent clairement le problème d'une meilleure mise en concordance entre la formationet l'activité réelle des opérateurs, permettant ensuite de faciliter l'apprentissage et le processusd'appropriation lors du retour dans les équipes.

1.5.2. Le temps de traitement des dossiers s’est démultiplié10.

C'est certainement une des raisons pour lesquelles les techniciens se réservaient les dossiers àtraiter sur Médicis en fin de journée, ceci leur permettant d'écouler toutes les autres demandessans leur porter préjudice. Nous avons observé des modifications de procédures pour le traite-ment des dossiers informatiques11, traduisant la différenciation importante qu'ont faite les tech-niciens entre les dossiers traités à la main et ceux traités informatiquement.

1.5.3. Nous avons également observé un rapport aux procédures différent selon l'âge.

Les plus jeunes, après quelques semaines de pratiques, ont développé un champ d'utilisationde l'outil plus large que les anciens. Ils n'hésitaient pas par exemple à se servir de l'outil pourvérifier des informations comme l'adresse d'un assuré, la constitution de la famille, qui sontautant d'utilisations qui n'ont pas été exposées au cours de la formation et qui sont des extra-polations des capacités du système. Alors que les plus anciens, à l'inverse, semblaient coller

les techniciens devant par ailleurs assurer le traitement de l'ensemble des dossiers. Aucun allégement de la charge de travailn’avait été organisé du fait de l'introduction de Médicis.10 Pour monter un dossier initial d'exonération du ticket modérateur pour ne prendre qu'un exemple, 3 minutes suffisaientpour constituer les dossiers papier, alors que sur informatique, au bout d’un mois de pratique, les techniciens passaient prèsde 20 minutes pour la même opération, coût supplémentaire non négligeable en termes de rendement dans le traitement desdossiers.11 Par exemple, une modification du mode d’archivage des documents, la constitution de pochettes différentes pour lesdossiers traités sur Médicis ou de manière classique.

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davantage aux directives d'utilisation de l'outil qui leur avaient été données, préférant exécu-ter, même après quelques semaines d'utilisation, les prescriptions d'utilisation théorique dusystème. Nous les avons sentis plus dépendants des règles qui leur avaient été données, moinsen recherche des limites de l'outil.

1.5.4. Cette période s’est caractérisée par beaucoup d’anxiété, partagée par tous les agents, mais plus marquée chez les plus anciens.

Ils exprimaient verbalement beaucoup plus d'angoisse, ils consultaient plus souvent les sup-ports écrits que les jeunes. Dans les situations où ils se sentaient bloqués, ils faisaient très viteappel à des personnes pour les aider, alors que les plus jeunes essayaient davantage de trou-ver seuls la solution, quitte à procéder par essais et erreurs. Insécurité qui a progressivementdisparu puisqu’en l’espace de huit semaines, l'intervention du collectif se faisait plus rare, tra-duisant une appropriation progressive mais encore très partielle de l'outil.

2. Etude 2 : changement de logiciel à la CAF

2.1. Cadre de l’intervention et méthodologie

Comme nous l’avons précisé plus haut, contrairement à la CPAM, les techniciens de la CAFtravaillaient déjà avec un outil informatique. L’enjeu résidait donc dans leur capacité à s’adap-ter à un nouveau logiciel. Cette étude (Laville & Volkoff, 1997 ; Gaudart, 2000 ; Gaudart &Volkoff, 2005) s’est déroulée en trois phases. La première phase a eu lieu un an avant le chan-gement. Laville et Volkoff avaient mené des analyses ergonomiques de l’activité de travail deplusieurs agents d’ancienneté et d’âge différents (40 heures d’observation en tout) afin d’élu-cider les stratégies de travail qu’ils mettaient en place. Dans une deuxième phase, la directionde l’organisme a fait appel à nous pour que nous les aidions à accompagner les formations aunouveau logiciel, formations définies et planifiées par des cadres et formateurs au niveau na-tional. Des observations ont été réalisées dans le cadre d’une session de 10 journées composéede 12 participants, mixant d’anciens techniciens et des novices peu expérimentés récemmentarrivés. Cette session était l’une des toutes premières à avoir lieu au niveau national, et le butde l’étude était d’en tirer des enseignements pour les sessions à venir. L’objectif était demieux comprendre les obstacles rencontrés par les techniciens au regard, entre autres, des élé-ments recueillis à l’étape précédente, les moyens dont ils disposaient pour surmonter les obs-tacles et les préoccupations qui en résultaient dans la perspective de la conversion progressivedes fichiers. Pour la troisième phase d’étude, quelques mois après la formation, il nous a étédemandé d’analyser les modes d’appropriation du nouveau système par les agents. Nousavons donc repris des analyses d’activité (une quarantaine d’heures à nouveau) et rédigéquelques propositions pour des formations complémentaires et certains aspects de l’organisa-tion du travail.

2.2. Rôle et nature de l’expérience développée avec l’ancien logiciel

Lors de nos observations, nous avons constaté que les techniciens mettaient en œuvre desstratégies construites avec l’expérience, mises en place au fil des années en tenant compte desdifficultés qu’ils avaient l’habitude de rencontrer. Ces stratégies visaient de façon combinée àse préserver de fortes contraintes temporelles, à favoriser l’efficience d’un fonctionnement

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collectif dans l’équipe de travail, et à assurer la qualité de la relation de service avec les allo-cataires. Nous retiendrons plusieurs points.

D'une part, ils s'assuraient de la présence des informations nécessaires au bon traitement de laquestion posée et effectuaient le traitement. D'autre part, ils repéraient au passage des rensei-gnements supplémentaires fournis par l’allocataire pour vérifier ou mettre à jour leurs fichiersd'usagers. C'était une charge de travail supplémentaire au moment du traitement du courrier,mais ils le faisaient pour tout à la fois desserrer leurs contraintes de temps à venir ou cellesdes collègues susceptibles de reprendre le dossier et préparer une « bonne relation » avecl’allocataire.

Avec les éléments dont ils disposaient dans le courrier reçu et par consultation informatiquedu dossier, les techniciens expérimentés établissaient un diagnostic d'ensemble de la situationde l'allocataire, plutôt que de se centrer sur la prestation demandée. Cela leur permettait de re-couper des informations, de faciliter la mémorisation du dossier, et d’apprécier correctementle caractère plus ou moins urgent des opérations administratives à réaliser, mieux répondre àla situation du demandeur.

Une partie seulement des informations utiles était contenue dans les pages-écrans des dos-siers. Les autres se trouvaient dans une zone de texte libre, semblable à un carnet de notes,dans laquelle les techniciens inscrivaient des informations non codifiées qu'ils jugeaient im-portantes pour bien traiter le dossier, pour eux-mêmes ou le prochain collègue. Cette zone fa-cilitait donc la compréhension globale du dossier ; elle permettait aussi d’homogénéiser les at-titudes de l’équipe vis-à-vis de tel ou tel type d’allocataire.

Ces stratégies construites au travers de la pratique quotidienne du logiciel permettaient desgains de temps et un traitement jugé de qualité par les techniciens des dossiers, i.e. une priseen compte globale de la situation de l’allocataire, particulièrement dans sa dimension so-cio-économique. Elles étaient rendues possibles parce que le système informatique s'y prêtaitbien : il permettait une navigation souple entre les pages-écrans à consulter ou à remplir ; ilpossédait une zone libre de commentaire, facile d’accès ; il permettait de donner la main auxtechniciens qui pouvaient décider – dans certaines situations – de verser des prestations mal-gré un dossier incomplet. En quelque sorte, il permettait de fonctionner quasiment aussi sou-plement qu’un montage manuel tel qu’il a été présenté dans l’étude précédente, offrant desmarges de manœuvre essentielles aux techniciens.

2.3. Une expérience mise à mal par le nouveau logiciel

Le nouveau logiciel, conçu dans une logique comptable, propose une forte rationalisation dutraitement des dossiers et supprime toute initiative des techniciens en les guidant par un proto-cole dont ils ne peuvent sortir. Nous insisterons essentiellement sur trois points.

2.3.1. La « navigation » d'une page d’écran à une autre.

Alors que le précédent logiciel permettait un appel des pages d’écran au fur et à mesure desbesoins du technicien, le nouveau logiciel impose, en début de traitement, de choisirl'ensemble des pages d’écran que l’on souhaite voir apparaître. Cela suppose de faire un dia-gnostic complet a priori, et de recommencer la procédure si finalement ce diagnostic s’avèreincomplet ou si l’on commet une erreur quelque part.

2.3.2. La taille et l'accessibilité de la zone de texte libre.

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Ces notes non codifiées, consignées auparavant en un seul point du système, sont à présentsusceptibles de se trouver dans 10 espaces différents, répartis sur 4 pages d’écran distinctes.L’appel à ces pages-écrans doit également être prévu en début de traitement. Par ailleurs, lenombre de caractères pouvant y être consignés est réduit et les informations contenues ne sontque partiellement modifiables par les techniciens. Ces contraintes ont conduit les techniciensd’une part à élaborer collectivement un codage des mots pour tenter « d’en écrire autant », etd’autre part à ne plus faire apparaître des informations qui – devenant pour certaines indélé-biles – pourraient porter préjudice aux allocataires12.

2.3.3. Des réponses écrites aux usagers, directement rédigées par le système, mais peu claires.

Ces « réponses » suivent en effet la logique du système informatique lui-même, l’ordre danslequel il a traité les différentes informations, ce qui ne correspond pas obligatoirement à la fa-çon de penser des agents, ni à celle des usagers. Cela engendre des demandes fréquentesd’explications de la part des allocataires, au téléphone ou au guichet et un sentiment de déshu-manisation dans le traitement des dossiers de la part des techniciens.

La nouvelle configuration du logiciel, dans la « navigation » d’une page à l’autre, l’utilisationde la zone de texte libre, ou le dialogue avec les usagers, remettent en question les stratégiesconstruites avec l’expérience citées plus haut et les bénéfices qu'elles permettaient. Les antici-pations et les régulations dans le travail sont plus limitées, et le fonctionnement en collectifest remis en cause.

2.4. Un apprentissage qui dépasse la période de formation

La période de formation n’a donc pas seulement consisté à acquérir des connaissances tech-niques, mais aussi à réinterroger les pratiques antérieures de travail – ces stratégies d’expé-rience – sans que ce dernier objectif n’ait été clairement identifié par les formateurs.

Selon un schéma assez comparable à la précédente étude, les techniciens se sont formés pargroupes de 10 à 15 personnes sur une période de 10 jours qui alternait démonstrations théo-riques et exercices pratiques. Pendant cette période, il s'agissait pour eux d'assimiler lesconnaissances relatives au fonctionnement du nouveau logiciel, mais aussi, compte tenu desmodifications importantes qu'il apporte, de se créer une nouvelle démarche de travail. En fait,ce dernier objectif s'est trouvé relégué à plus tard, car l'introduction du nouveau logiciel s'estaccompagnée d'un autre changement, l'apparition de la micro-informatique. Contrairement àla première étude, ces techniciens ayant découvert l'informatique depuis déjà de nombreusesannées, la présentation du nouveau matériel n'a occupé qu'un court moment en début de for-mation. Du point de vue des techniciens – et spécifiquement les plus âgés d’entre eux - cechangement supplémentaire est souvent venu bouleverser un peu plus leur apprentissage.

Ainsi, les aspects « mécaniques » du nouveau matériel (souris, fenêtrage, nouvelles fonctionsdu clavier, mode d'ouverture d'une application,...) et la découverte des modes d'entrée des in-formations sur les différentes pages-écrans ont occupé une place considérable durant les pre-miers jours de la formation, sans vraiment s'estomper par la suite. De ce fait, la maîtrise desprincipes même du nouveau logiciel et la compréhension de sa logique ne se sont faites quetrès progressivement dans une période où les éléments de base n'étaient pas encore acquis.Les obstacles de type « sur quelle touche dois-je appuyer à présent? » ont mobilisé d'abord

12 Par exemple, il apparaît maintenant délicat aux techniciens d’y relater un soupçon de fraude quand ils n’ont plus la mainpour effacer cette information, toutefois utile au traitement collectif des dossiers.

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l'essentiel de la réflexion et des efforts de mémoire. Ce sont d'ailleurs ces obstacles qui ont étéà l'origine de la plupart des erreurs en début de formation, erreurs parfois délicates à rattraperdu fait de la rigidité de la navigation. Malgré un contexte technologique différents, les deuxtypes de formation (CPAM et CAF) débouchent sur les mêmes difficultés parce qu’elles ontconsidéré – entre autres – comme acquise la manipulation du matériel.

Par ailleurs, la découverte de cette navigation dans le logiciel s'est essentiellement appuyéesur des exercices (d'un niveau de complexité croissant) consistant à déterminer les bons para-mètres en fonction des éléments du dossier puis de leur ordonnancement. Le protocole est ain-si mis en place et les différentes pages-écrans se déroulent suivant l'ordre préétabli. C'estcertes une phase indispensable pour l'apprentissage, mais elle nécessiterait d'être poursuiviepar une autre qui s'appuierait davantage sur l'activité réelle des agents. En effet, ces exercicesprésupposent un allocataire idéal fournissant toutes les informations nécessaires pour rensei-gner son dossier, dans une organisation du travail idéale qui permet aux agents de traiter lesdossiers un à un, sans être interrompu par les collègues, ou par un autre allocataire au télé-phone. Ainsi, malgré le fort degré de procéduralisation du logiciel, certaines techniques per-mettant de revenir en arrière afin de consulter des informations du dossier ou de consulter plu-sieurs dossiers à la fois ont été peu exploitées en formation, alors que leur maîtrise apparaîtprépondérante pour « s'en sortir » au quotidien. Une de ces techniques était même considéréed'un mauvais œil par les formateurs car elle risquait de perdre l'agent dans un labyrinthe infor-matique. De même, la zone de texte libre utilisée massivement dans le logiciel précédent n'adonné lieu qu'à une courte présentation théorique alors que, nous l’avons vu - avec le nouveaulogiciel, elle apparaît beaucoup plus complexe dans son utilisation. Nous retrouvons ici uneconception de la formation standard pour un public standard.

2.5. L’émergence d’une autre démarche : contourner pas à pas les difficultés

De retour au poste, de sérieuses difficultés sont apparues, liées à la maîtrise partielle de l’outilet à son manque d’utilisation pendant la formation, dans des situations proches du quotidien.Mais cet apprentissage s’est fait peu à peu, et de nouvelles stratégies d’expérience - à partird’une maîtrise partielle de l’outil - se sont mises en place. La productivité s’en est toutefoisressentie pendant plusieurs semaines, avec des retards de traitement des dossiers. Notons icique – dans la caisse de traitement où nous nous trouvions - pour pallier ces retards, deséquipes de jeunes techniciens dont certains se sont formés à leur métier directement sur lenouveau logiciel ont été choisis et mis à l’écart des autres pour « faire du dossier ». Ainsi,l’efficacité de l’organisme n’a été que temporairement diminuée, et les agents ont tenté des’adapter en créant d’autres pratiques individuelles et collectives. Se sont constituées, ou re-constituées, de nouvelles stratégies de travail pour concilier les objectifs antérieurs (préserva-tion de soi-même, fonctionnement collectif et qualité du service) avec le nouveau contextetechnique. En voici quelques exemples :- pour les gros dossiers, les agents adoptent une stratégie « morcelée », en traitantchaque question une à une. Ils multiplient ainsi les parcours informatiques courts plutôt qued’entrer dans un seul parcours informatique long, périlleux en cas de panne ou d’erreur, allon-geant le temps de traitement du dossier ;- la zone de texte libre est moins renseignée et moins consultée, mais les agents onttrouvé dans les dispositifs informatiques périphériques (ceux qui servent à suivre le trajet despièces administratives au sein de l’organisme) des petits espaces de commentaire dans les-quels ils mettent de nombreux renseignements en abrégé ;

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- plutôt que de laisser le logiciel envoyer à un allocataire une « réponse automatique »peu claire, ils annulent purement et simplement cet envoi quand il n’est pas indispensable.

Nous ne voudrions toutefois pas que la présentation de cette monographie induise des conclu-sions trop optimistes, sous prétexte qu’au bout de quelques semaines – comme pour les tech-niciens de la CPAM - le travail parvient à se réaliser dans des conditions apparemment accep-tables. De vraies difficultés ont surgi, et certaines d’entre elles subsistaient encore plusieursmois après, notamment la rigidité des « déplacements informatiques » d’une page d’écran àune autre. En outre, en concevant un outil qui fait abstraction de l’activité réelle de travail desagents et de leurs stratégies d’expérience, cet organisme a peut-être pris le risque de modifier,non seulement les procédures de travail, mais aussi la gestion collective des dossiers et la mo-bilisation des agents expérimentés. Comme l’ont montré nos entretiens avec les employés,l’introduction de ce nouvel outil altère la représentation qu’ils se font de leur propre métier,ainsi que leurs rapports aux usagers et au collectif de travail. La rigidité du système pourraitprovoquer une rigidité dans leur propre façon de penser et d’agir, une façon de se « couler »complètement dans le mode de raisonnement très impersonnel que le logiciel leur suggère, etde renoncer ainsi à préserver la dimension « humaine », donc diversifiée et adaptative, dansleur façon de traiter les dossiers des usagers. Ces conséquences, éventuellement graves, ne seferaient sentir qu’à long terme.

3. Des difficultés de formation des anciens ou un problème organisationnel de gestion du changement ?

Du point de vue du contexte technologique, les deux situations présentées sont assez diffé-rentes : à la CPAM, les techniciens étaient confrontés à un saut technologique avec l’informa-tisation des tâches, tandis qu’à la CAF il s’agissait d’un changement de logiciel, les tâchesétant déjà informatisées. Les deux populations de techniciens étaient par contre très prochesdu point de vue de l’âge et de l’ancienneté. Si ces deux études avaient été menées au mêmemoment du processus d’informatisation, l’hypothèse de départ aurait certainement avancé deplus grandes difficultés pour les techniciens de la CPAM confrontés à un changement plusprofond. Les résultats sont plus nuancés :- l’anxiété des plus anciens face aux changements, leur attitude de prudence, la peur decommettre des erreurs irréversibles se retrouvent dans les deux situations, alors même que leschangements apportés sont différents. Ce serait ainsi le changement en lui-même qui seraitporteur de tensions ;- les difficultés éprouvées par les anciens au cours de la formation sont très similairesalors que leurs niveaux de pratique de l’informatique dans l’exercice du métier sont très diffé-rents. Ces difficultés sont certainement à mettre en lien avec la conception des formations,toutes deux ayant fait abstraction de la manipulation du matériel, de l’activité antérieure et dela variabilité des stagiaires, tant du point de vue de l’âge que de l’expérience ;- les difficultés de l’après formation ont également de nombreux points communs. Ellessont pour partie issues des formations qui n’ont pu faire le lien entre connaissances théoriqueset activité réelle. Elles sont également liées à un changement plus profond ignoré des concep-teurs, la transformation du métier des techniciens induite par le nouvel outil, ayant au moinsdeux conséquences : la modification de la relation de service et du fonctionnement des collec-tifs.

Ce qui était au cœur des préoccupations des responsables des ressources humaines et desconcepteurs, c’était avant tout, pour la première étude, l’informatisation de l’activité à la-quelle devaient s’adapter finalement les agents et, pour la seconde, la traçabilité du traitement

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des dossiers par un changement d’outil informatique. La formation a alors été perçue etconçue comme l’unique moyen d’atteindre ces objectifs, au détriment de la problématiquecentrale d’apprentissage et d’acquisition des connaissances des agents en situation de travail.Subtilité des termes ? Certainement pas ! Dans le premier cas, la focale est l’organisation de laformation, des nouvelles connaissances à transmettre, et l’on ne se préoccupe pas particulière-ment de l’activité initiale, de la spécificité des agents à former, de leurs diversités en âge, enexpérience, de leurs parcours professionnels. Dans l’autre cas, on s’intéresse plus auxconnaissances, à l’évolution des représentations qui vont accompagner cette mutation techno-logique, aux connaissances à acquérir et à faire évoluer, aux modalités de transmission de cesconnaissances… en fonction des caractéristiques psychologiques et cognitives des agents.Points de vue différents, qui accordent une place différente aux agents : dans le premier cas,on forme une catégorie de personnel, dans l’autre cas, on réfléchit à construire des parcours deformation tenant compte de la diversité et des caractéristiques de la population. Nous avonsnoté une méconnaissance de l’activité des agents importante, aussi bien en amont de la forma-tion que dans la phase de montée en charge des dossiers sur informatique. Les techniciensn’ont jamais été considérés comme « co-acteurs de la formation» (Gallazzini, & Wasner,2005), ayant un rôle à jouer dans le processus de transformation auquel on leur demandait departiciper, mais comme des personnes devant suivre impérativement la formation au risqued’être exclus de l’activité de travail, sa progression, sans avoir la possibilité de l’adapter àleurs propres difficultés.

Les changements technologiques constituent des étapes importantes dans le parcours profes-sionnel des opérateurs. Ils remettent en cause les équilibres élaborés au fil des années : ilsbouleversent les modes opératoires en introduisant de nouvelles procédures de travail, ils fra-gilisent les processus de régulations internes au collectif de travail, ils contraignent à la redéfi-nition de chacun dans le collectif de travail, modifiant l’organisation du travail du fait desnouvelles contraintes temporelles qu’elle génère ... Il ne s’agit pas de faire le même travailavec des outils différents comme le considèrent souvent les formateurs, mais de faire un autretravail. D’où la nécessité de partir de l’activité initiale des salariés, de manière à les rendre ac-teurs de leur propre changement, de leur permettre d’évoluer en ayant comme toile de fondl’activité de travail. Pour reprendre Delgoulet (2001), « l’expérience, liée à l’ancienneté desopérateurs dans le métier, est une dimension essentielle lorsque l’on traite de la formationprofessionnelle des travailleurs âgés. Riche de connaissances sur son environnement et surlui-même, l’opérateur expérimenté en fait un point d’appui lors de l’acquisition de connais-sances nouvelles et de la modification de ses représentations » (p 3). Ce lien étroit avec le tra-vail réel faciliterait certainement ensuite la phase d’appropriation de l’outil. D’où l’impor-tance « de tenir compte dans la conception des formations de ce qui fait la spécificité des si-tuations de travail mais aussi des expériences antérieures de stagiaires, de tenir compte de ladimension historique de la construction des savoirs » (Pastré, 1999 cité par Delgoulet, 2001p. 10).

Les formations doivent être envisagées de manière souple, intégrant les spécificités des sala-riés à laquelle elles s'adressent. Nous l’avons vu, l’âge ne constitue pas un obstacle à la forma-tion pour peu que l’on adapte les pédagogies aux caractéristiques de la population formée.« Tout apprentissage s’inscrit dans la singularité et « l’histoire » de chacun. En effet, lesstyles d’apprentissage différant d’une personne à l’autre, en particulier avec l’âge, les pro-cessus d’apprentissage doivent être différenciés pour atteindre une performance identique »(Gallazzini, & Wasner, 2005, op.cit., p3.). Le problème est donc ici le décryptage de ces varia-bilités et la mise en place de moyens pour les gérer et faciliter l’apprentissage (Cau-Bareille,Delgoulet, & Gaudart, 2006). Cela suppose d’abandonner l’idée de formation standard, de

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sensibiliser les formateurs à cette dimension de variabilité, et impose de concevoir des pro-grammes de formations proposant des progressions modulables permettant de tenir comptedes difficultés des uns et des autres, des rythmes d’acquisitions différents.

Par ailleurs, au-delà même des questions de conception de formation, nous avons vu qu’unchangement technologique peut engendrer des transformations profondes de l’activité pou-vant perturber l’acquisition des nouvelles techniques. Dans la première étude, la polyvalencedes techniciens, imposée par le passage à la gestion par portefeuille des dossiers, a complexi-fié l’apprentissage des techniciens, a constitué un frein indéniable à l’acquisition des nou-velles connaissances. Dans la seconde, l’architecture même du logiciel a non seulement com-plexifié le traitement des dossiers, mais a aussi largement réduit la capacité des techniciens àavoir la main sur les dossiers, en réduisant l’allocataire à une somme de prestations.

Pourtant, en dépit du contexte de la formation, les agents ont fini par atteindre les objectifs at-tendus. On retrouve là toute l’intelligence de la tâche des opérateurs, individuelle mais aussicollective fréquemment évoquée par les ergonomes, permettant, souvent au prix d’un coût im-portant pour les salariés, de tenir les objectifs malgré des conditions de formation et d’activitéproblématiques. Cette notion de coût est importante à évoquer ici ; implicite dans toutes lesdifficultés des agents que nous avons évoquées, elle n’en a pas moins été très présente danstoute situation d’apprentissage, en particulier pour les plus anciens. Car finalement, nousavons montré que l'âge, en tant que tel, n’est pas prédictif d'une plus grande difficulté à utili-ser le nouvel outil. Par contre, le temps est certainement une dimension importante de la réus-site de l'apprentissage, qu'il s'agisse des plus jeunes comme des plus anciens (Paumès Cau-Bareille, 1990, op.cit. ; Paumès Cau-Bareille, & Pèlegrin, op.cit., 1993). Nous avons montréque les anciens parviennent tout autant à apprendre que les jeunes, même si les rythmesd’acquisition peuvent varier et peuvent être plus lents. L’enjeu est donc ici non pas les capaci-tés à apprendre des anciens, mais les conditions organisationnelles (pédagogiques, tempo-relles) de ces apprentissages qui posent problème et qui peuvent mettre en difficulté les agentset la représentation même du métier véhiculée par l’outil.

Dans ces conditions, on perçoit bien que le processus de formation ne se limite pas à la duréeofficielle de la formation, mais déborde largement cette période. Les opérateurs sont-ils asso-ciés au processus de changements dès le projet de conception du système ? Participent-ils àl’élaboration des outils afin d’intégrer le point de vue de l’activité, de l’usage à la formation ?Sont-ils ensuite accompagnés pendant la formation, jusqu’à la phase de montée en charge in-situ afin de stabiliser les apprentissages ? Les mois qui suivent les formations, nous l’avonsvu, sont tout à fait stratégiques et nécessitent un soutien, une présence souvent inexistants,mettant les agents en situations critiques pour atteindre leurs objectifs et facteur d’un stressimportant pour les agents.

En plus d’une question de conception de formation prenant en compte la variabilité et la di-versité des individus, il s’agit aussi – et peut-être essentiellement – d’une question de concep-tion des outils et d’une organisation du travail, respectueuse des individus, des compétences etdu sens du travail qu’ils ont jusqu’ici élaborés. Dans cette optique, nouvelles technologies,nouvelles techniques ne signifient pas obsolescence des compétences antérieures, encoremoins « obsolescence » des individus à mesure qu’ils vieillissent, dans une organisation etavec des outils donnés.

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IV. LA DIMENSION COLLECTIVE

DANS LES RELATIONS ÂGE-TRAVAIL

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Chapitre 9

Travail collectif et collectif de travail au fil de l’âge : des ressources et des contraintes

Dominique Cau-Bareille

1. Introduction

"L'expérience individuelle du travail est une expérience du travail collectif" soulignaient Du-raffourg et Hubault (1993, p.) il y a de cela plus de 15 ans. C’est une expérience qui s’inscritdans une histoire (à la fois celle du groupe, de l’entreprise et de ses évolutions), mais aussicelle de ses membres, qui a ses règles, ses implicites, ses apports mais aussi ses contraintes,ses exigences, un coût humain.

L’évolution des conditions de travail à laquelle nous assistons depuis une vingtaine d’année,se traduisant par un phénomène complexe d’intensification du travail (Bué, Coutrot, Hamon-Cholet, & Vinck, 2007 ; Gollac, & Volkoff, 2007 ; Théry, 2006 ; Molinié, 2001) dont Volkoffs’est fait l’écho dans les premiers chapitres de cet ouvrage, fragilise profondément l’activitécollective et la construction des collectifs de travail. D’où des rapports ambigus et compliquésau travail collectif comme au collectif de travail : à la fois soutien dans l’activité, support del’activité mais aussi parfois facteur de contrainte supplémentaire dans un contexte très tendu.L’une des conséquences de l’intensification se traduit par un délitement des collectifs et uneindividualisation de la relation au travail (Théry, 2006, op.cit.).

Cela ne sera pas sans poser des problèmes importants que nous nous attacherons à montrer.En effet, le collectif de travail est sans conteste un support de régulation des difficultés du tra-vail, du système, des déficiences des opérateurs (que cela soit en lien avec un manque deconnaissances, de compétences, que de problèmes de santé), en même temps qu’un facteur deperformance de l’entreprise, de fiabilité des systèmes de travail. Il est un vecteur de transmis-sion de connaissances entre opérateurs, d’apprentissage pour les novices indispensables à leurintégration dans le métier. Fragiliser les solidarités, c’est donc toucher aux formes d’équilibredu système, c’est rendre plus conditionnels les échanges dans le travail.

C’est pourquoi aborder ce problème impose d’analyser le rapport des salariés au collectif dutravail, les équilibrages recherchés à la fois d’un point de vue horizontal et vertical. C’estcomprendre les relations qu’entretiennent les opérateurs avec les autres acteurs de l’entre-prise, ceux-ci pouvant limiter leur propre autonomie dans le travail, augmenter leur charge detravail, impacter leur santé. C’est aussi intégrer dans la réflexion la dimension verticalecomme définissant le cadre de travail, un mode d’organisation plus ou moins contraignantpour les salariés. Les modes d’organisation du travail, les formes d’injonctions verticales,peuvent en effet déterminer les modes d’expression de l’activité collective, jusqu’à conduire àdes stratégies individuelles d’évitement face au collectif.

Tenir ces différents niveaux implique d’ouvrir le champ de l’analyse à l’activité de travail dugroupe, des réseaux d’acteurs et pas seulement aux opérateurs considérés individuellement,

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engagés dans un jeu de relations horizontales. Pour reprendre une idée centrale d’Hutchins(1990), « le réseau ainsi défini est considéré comme une totalité agissante : l'activité à la foisproduit des interactions, moyen de développement du collectif et système d'interaction, réseaude connexions entre les individus et les ressources artefactuelles » (p.). L'individu n'est plusl'unité centrale à considérer, il est un des composants d'un système d'interactions entre indivi-dus, entre eux et les dispositifs et artefacts, entre les salariés et l’organisation du travail. Lefonctionnement, l'efficacité et la performance d'un collectif reposent sur une communauté depratiques de métier, de valeurs, de savoirs et de savoir-faire partagés pas toujours faciles à cer-ner ; ce qu’Hutchins désigne par la « compréhension intersubjective se traduisant par une in-telligibilité partagée des activités implicites » (p.). Référentiel commun et connaissancesd’arrière plan (Grosjean, & Lacoste, 1999) qui sont parfois difficiles à identifier, à faire mettreen mots par les salariés parce qu’inhérents aux métiers, incorporés dans leur activité plus oumoins coordonnée et qui sont longs à acquérir pour des novices. Pris dans cette complexité àrévéler, on ne peut que souscrire à la remarque de Falzon (1998, p.175) : « Prendre en comptela dimension collective du travail, c’est une démarche masochiste » ! Masochiste, complexe,mais riche, qui a l’avantage de chercher à tenir la dimension systémique de l’activité de tra-vail.

Bien que l’exercice soit délicat compte tenu de l’étendue des formes d’expression et des fonc-tions du collectif de travail, nous voulons dans cette synthèse privilégier trois aspects de cettedimension collective du travail où se révèle particulièrement la question des âges au travail :

- le collectif de travail : un lieu possible de prise en compte de la diversité et de la varia-bilité des membres qui le composent ;

- le travail collectif comme source de contraintes ;

- le travail collectif comme lieu de développement de compétences.

Il est clair que ce découpage est très artificiel, dans le sens où ces différentes dimensions ducollectif se mêlent, cohabitent, parfois se percutent au cours de l’activité. Mais il n’a d’autreobjectif que d’essayer de rendre compte de l’énigme du travail collectif, de ses multiplesfaces.

2. Quelques précisions au niveau des termes employés

Aborder la dimension collective de travail suppose d'emblée que l’on précise un certainnombre de notions : équipe de travail, réseau d’acteurs, travail collectif, activité collective, etcollectif de travail.

S i l'équipe permet d'identifier au sein d'une organisation les membres travaillant dans unemême unité, cela ne signifie pas pour autant que les salariés qui le composent constituent uncollectif de travail et soient engagés dans un travail collectif. Ils peuvent avoir des missionsdiverses, des objectifs différents. Appartenir à une équipe ne préjuge pas des liens entre les ac-teurs. C’est d’ailleurs un des problèmes des salariés en contrats temporaires dans les équipeseffectuant un remplacement : même s’ils font partie de l’équipe, ils ont souvent le sentimentde ne pas faire partie du collectif de travail, c'est-à-dire de partager les valeurs de l’équipe, lesrègles de fonctionnement qui leur restent étrangères.

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Gaudart, Molinié, Pueyo (coord..). Ouvrage CREAPT 2010

La notion de réseau renvoie plutôt à des opérateurs devant travailler ensemble autour d’un ob-jectif commun qui nécessite la mobilisation de compétences diverses.

Dodier (1995) parle de réseaux socio-techniques pour désigner les liens entre opérateurs char-gés de faire fonctionner les réseaux techniques. Pour lui, les solidarités techniques ne sont dé-finies ni par les lignes hiérarchiques, ni par l’appartenance à une équipe, ni par la proximitéspatiale, mais bien par des liens informels construits sur la base de la qualité finale du produità fabriquer ; donc déterminées par un but commun. « Le réseau se construit de manière cir-constancielle, autour d’un but bien défini : il est souvent temporaire et instable dans sa com-position. Il peut être éphémère, limité à un évènement ou se stabiliser et se transformer en uncollectif de travail si ses membres sont appelés à travailler souvent ensemble sur les mêmesclasses de situation »13 (p.).

De La Garza & Weill-Fassina (2000) reprennent cette idée de réseau, en pointant les formesde structurations des relations qui peuvent s’exprimer dans l’activité de travail. « Ce réseauest constitué par des acteurs situés à différents niveaux hiérarchiques et organisationnels, parles relations, les échanges et les communications qu’ils entretiennent et par les interventionsdes opérateurs. Ce réseau est constitué par une double structure, l’une verticale et l’autre ho-rizontale (figure 1) dans lesquelles interagissent, à différents moments du processus de tra-vail, des centres de décision et des opérateurs de statuts différents qui ne poursuivent pas for-cément les mêmes objectifs. Cette double structure n’est pas figée et s’actualise dans le tempsà travers des interactions descendantes, ascendantes et horizontales qui assurent le fonction-nement du système et sa régulation » (pp. 219-220).

Figure 1 - Schématisation des interactions collectives dans un réseau (source :De La Garza, & Weill-Fassina, 2000, p.220)

« La gestion verticale renvoie à la différenciation officielle de niveaux hiérarchiques etcentres de décision dictant des régulations structurelles de l’action établies par l’encadrement.Elle fixe des règles préalables, relativement stables (…) ». La gestion horizontale a « un statutmoins officiel : elle porte sur les régulations opératives développées dans l’exécution effectivedu travail pour compenser les aléas du fonctionnement du système de production ». « Elle semanifeste à travers la construction de compromis et le colmatage des lacunes, des ajustementsdans un contexte plus ou moins perturbé et contraignant, la gestion du temps. (…) (Il s’agitde) modes de compensation plus ou moins partiels et efficaces cherchant à assurer un équi-libre entre pratiques, astreintes et contraintes et supposant parfois des activités autonomes oudiscrétionnaires par rapport au prévu » ((De la Garza, & Weill-Fassina, op.cit., pp.220-221).).

13 Caroly, Rocchi, Trompette, & Vinck (2005) en donnent un exemple lorsqu’ils évoquent la complémentarité desinterventions de différents corps de métiers autour de la préparation de l’enterrement d’un défunt.

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Hutchins (1990, cité par Benchekroun, 2000) est certainement celui qui va faire le plus deliens entre les notions de réseaux et de collectif de travail lorsqu’il parle de réseaux d’interac-tions qui prennent forme et agissent selon les caractéristiques propres des situations. Sur labase de son concept de cognition sociale distribuée, il montre que l’efficacité et la perfor-mance collective reposent sur une communauté de pratiques, de métier, de valeurs, de savoirset de savoir-faire partagés, qu’il nomme la compréhension intersubjective. Cette compréhen-sion intersubjective se traduit par une intelligibilité14 partagée des activités.

Le travail collectif renvoie à une activité collective, à la coopération et/ou la collaboration quis'avèrent nécessaires à un moment donné pour atteindre les objectifs. Selon Leplat (1997, p.),« l’activité collective est mise en jeu conjointement par les membres du groupe, en réponseaux exigences de la tâche affectée au groupe ». En effet, en raison soit de problèmes dans ladéfinition du travail prescrit, soit de l'occurrence d'événements imprévus, de dysfonctionne-ments, il est rare que l'activité de travail se déroule telle qu'elle était prévue. Les opérateurs setrouvent alors en situation de réguler le système : « L'activité collective vise à l'élaboration derègles, non écrites, négociées entre les participants, visant à pallier les insuffisances del'organisation et constitue une solution d'organisation élaborée par les exécutants pour sortirla production » (De Terssac, 1992, p.). Dans ce contexte, ce qui régit la relation entre lesmembres repose donc sur des règles informelles, des arrangements implicites et des régula-tions clandestines visant à atteindre collectivement les objectifs, que devront apprendre lesnovices.

Cette notion de coopération dans l’action est largement reprise par la sociologie du travail,pour laquelle la coopération dans l’action naît du concours des acteurs au développement duprocessus et à la participation de différents types de règles. La coopération est liée à deséchanges mutuels, elle nécessite un ordre, une coordination. C’est une « action » coopérative(Maggi, 2003) qui se traduit par la négociation en fonction des buts de chacun, le partage dessavoirs et la résolution des aléas productifs. Cette régulation de l’action coopérative ne peut semettre en place que sous certaines conditions et avec le temps ; nous l'évoquerons largementlorsque nous aborderons la problématique de la formation des novices. Nous montrerons aussique l’engagement à coopérer de chacun est rattaché au mode de socialisation des personnes età leur trajectoire, qu’il dépend d’objectifs propres à chacun, de la reconnaissance et des profitsescomptés à différents stades de la vie professionnelle (Gheorghiu, & Moatty, 2005, 2007) ;nous verrons que cela permet aussi de questionner les rapports intergénérationnels.

Le travail collectif est une condition de construction du collectif de travail ; mais le collectifn’est pas simplement lié au fait de travailler ensemble. C’est dans et par l’action que s’éla-borent au fil du temps les référentiels communs (De Terssac, 2002), les connaissancesd’arrière-plan (Grosjean, & Lacoste, 1999, op.cit.) structurant les rapports sociaux, les articu-lations dans le travail dans des groupes stabilisés, les valeurs de métier. Ce que Clot (2000)appelle le « genre professionnel » : « Le genre professionnel est, en quelque sorte, la partiesous-tendue de l’activité, ce que les travailleurs d’un milieu donné connaissent et voient, at-tendent et reconnaissent, apprécient et redoutent. (…) Le genre, comme intercalaire social,est un corps d’évaluations partagées qui règle l’activité personnelle de façon tacite. On pour-rait écrire qu’l est « l’âme sociale » de l’activité ». (p.275). « Il organise les attributions etles obligations en définissant ces activités indépendamment des propriétés subjectives des in-dividus qui les remplissent à tel moment particulier. (…) C’est à travers lui que les tra-vailleurs s’estiment et se jugent mutuellement, que chacun d’eux évalue sa propre action »(p.277). Le collectif de travail se construit, évolue du fait de l’appropriation du genre en styles

14 Intelligibles : dans le sens où ils sont accessibles, perceptibles, compréhensibles et inférables.

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plus individualisés par les personnes qui le composent. Et l’intégration d’un individu dans uncollectif supposera des processus de transmission, d’intériorisation et des conditions de travailqui l’autorisent ; nous aborderons cet aspect.

C’est donc sur la base de ce cadrage théorique que nous aborderons maintenant l’ambivalencedu rapport au travail collectif.

3. Le collectif de travail : un lieu possible de prise en compte de la diversité et de la variabilité des membres qui le composent

Les premières études centrées sur la dimension collective du travail ont surtout porté sur lesrégulations qui se jouent dans l’activité, à l’occasion de la gestion de problèmes ou d’inci-dents, dans les situations de déficience de connaissances de novices, de difficultés à tenir lesexigences de l’activité en situation dégradée, de déficiences de santé de certains opérateurs dufait de phénomènes d’usure liée aux diverses expositions au fil de leur parcours professionnelou de l’âge. En analysant les régulations horizontales et verticales, une importance particu-lière était accordée aux complémentarités d’expériences et de compétences des différents ac-teurs intégrés dans un même système autour de l’atteinte des objectifs de production. Le tra-vail collectif et le collectif de travail étant considérés ici comme éléments permettantd’atteindre un équilibre entre productivité, santé et sécurité au fil des âges.

3.1. Une prise en compte de l’âge dans l’organisation informelle du travail

Des régulations allant dans le sens d’une limitation de l’exposition aux cumuls de contraintespour les anciens sont particulièrement bien révélées dans l’intervention de Millanvoye dansles ateliers d'assemblage de l'Aérospatiale (Millanvoye, & Colombel, 1996 ; Millanvoye,2004). Cette activité d'assemblage de barques d’avions nécessite en effet de forts engagementsphysiques de la part des opérateurs et s'inscrit dans des contraintes temporelles très impor-tantes, auxquels les plus anciens sont sensibles. En observant de près l'organisation internedes équipes de travail comprenant des opérateurs de divers âges, Millanvoye et Colombel(1996, op.cit.) ont mis en évidence une organisation informelle du collectif de travail qui tientcompte de ces deux types de contraintes (posturales et temporelles), de laquelle émergeraitune répartition du travail différente selon l'âge, en fonction de la nature du travail à effectuer.

Nb d'opérateurs par tranche d'âge

Nb de contraintes 20 à 39 ans (n = 32) Plus de 40 ans (n = 25)

0 7 (22 %) 5 (20 %)

1 5 (15%) 8 (32 %)

2 6 (19 %) 8 (32 %)

3 à 5 14 (44 %) 4 (16 %)

Tableau 1 : Nombre de contraintes supportées par les opérateurs en fonction de l'âge(Millanvoye et Colombel, 1996)

Contraintes posturales

Faibles (postures debout) Fortes (à genoux, accroupi, debout-plié)

Faibles (opérations initiales,gestion globale)

56 ans – 51 ans 40 ans

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Contraintes temporelles Fortes (dernières opérationsavant livraison)

47 ans 27 ans – 41 ans

29 ans – 24 ans

Tableau 2 : Classement des 3 groupes d'opérateurs en fonction de deux types de contraintes et l'âge(Millanvoye et Colombel, 1996)

Les tableaux 1 et 2 montrent que ce sont plutôt les jeunes qui subissent le cumul descontraintes posturales et temporelles. Les moins de 40 ans prennent plutôt en charge les tâchesà prédominance physique ou à contraintes de temps fortes. Il semble donc que les plus âgésaient développé des stratégies de protection, acceptées par leurs collègues, consistant à nes'exposer qu'à une seule contrainte à la fois. Ce qui nous amènerait à dire, à l’instar de Florèset Isnard (1992), que les régulations collectives sont un puissant moyen de gestion descontraintes de travail en fonction de l'âge. L'organisation en équipes de travail comprenant desopérateurs de divers âges permet parfois une organisation interne, informelle même si elle estconnue des chefs d'équipe, limitant l’exposition au cumul de formes de pénibilité sur certainspostes. Elle repose sur une répartition du travail et sur un objectif commun de faire le travaildans le temps imparti : dans ce cas, les capacités individuelles deviennent complémentaires etl'on peut parler d'une véritable reconstruction d'une capacité collective de travail (Florès,1998).

Ce type de régulations en lien avec l’âge a également été mis en évidence chez les contrôleursaériens fonctionnant en horaires continus (Paumès-Cau-Bareille, 1994). Nous intéressant à laproblématique du travail de nuit, nous cherchions à analyser l’influence de l’âge sur le travailde nuit, tant du point de vue des stratégies de contrôle des opérateurs que du point de vue del’organisation du travail. Deux résultats découlent de cette recherche. Plus les contrôleursavancent en âge, plus… :

- les vacations de nuit leur paraissent pénibles, nécessitent des préparations et impactentleur vie personnelle (les temps de récupération après une nuit sont beaucoup plus longs)

- la plage horaire estimée la plus pénible s’allonge : elle recouvre la période de 2 à 4heures du matin pour les plus jeunes, de minuit à 5 heures du matin chez les plus anciens.

Ceci a une incidence directe sur l’organisation informelle du travail lors de ces vacations ausein de certaines équipes : vers minuit, les plus anciens vont se coucher jusque vers 5 – 6heures du matin, les plus jeunes assurant la période de minuit à 4-5 heures du matin. Parcontre, les anciens se lèvent pour faire la relève du matin, au moment où le trafic tend à re-monter ; plage horaire qui semble par contre plus pénible pour les plus jeunes qui n'ont pasdormi de la nuit, sont fatigués et ont plus de difficultés à assumer des pointes de trafic dansces conditions. En s'organisant ainsi, en fonction des difficultés ou facilités de chacun, lescontrôleurs parviennent à se préserver partiellement de la pénibilité du travail de nuit.

3.2. Des régulations qui s’articulent autour de compétences spécifiques

Une analyse fine de la répartition des postes de travail dans l’étude de Millanvoye et Colom-bel (1996, op.cit.) montre que les anciens, s'ils travaillent sur des opérations moins contrai-gnantes du point de vue physique et temporel, ont souvent la charge de tâches délicates, stra-tégiques, nécessitant un savoir-faire important qu'ils sont parfois les seuls à détenir dansl'entreprise. Ces résultats nous amènent à faire évoluer notre représentation du problème et ànous interroger sur les différences de compétences des novices (souvent des jeunes) et des an-ciens, voire sur leur complémentarité. Les compétences des anciens portaient notamment sur

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la gestion temporelle de leur activité, la gestion des risques, la coordination avec les autres,les plus jeunes ayant pour eux la force et la rapidité des mouvements. Cette présence des an-ciens sur des postes réputés difficiles se retrouve dans les travaux de Gaudart chez les po-cheurs (Gaudart, & Pondaven, 1998) et dans ceux de Zara-Meylan (2004) chez les monteursinstallateurs de structures de fête (voir aussi Zara-Meylan, dans cet ouvrage).

Cette organisation a été élaborée dans l'équipe de manière informelle. Il s’agit bien de régula-tions horizontales souvent transparentes au niveau de l’organisation du travail, dont seule lahiérarchie de proximité peut avoir une connaissance. Les opérateurs ont en effet confirmédans les entretiens qu'ils s'arrangeaient entre eux pour se répartir le travail, l'objectif étant defournir le travail dans le temps imparti. Mais de la compréhension de ces mécanismes par lahiérarchie de proximité dépendront les marges de tolérance vis-à-vis de telles pratiques. Sil’on en reste à un point de vue normatif, on peut estimer que ces pratiques traduisent destransgressions ou des violations majeures des cadres réglementaires pouvant faire l’objetd’éventuelles sanctions institutionnelles. Si par contre elle en comprend les causes, elles se-ront tolérées, voire intégrées par l’organisation comme nouvelle règle de fonctionnement :pour reprendre Weill-Fassina (2007), ces pratiques apparaissent alors comme des modes decompensation plus ou moins partiels et efficaces visant à assurer un équilibre entre pratiques,astreintes et contraintes et supposant parfois des "activités autonomes" ou "des activités dis-crétionnaires" par rapport au prévu.

3.3. Des régulations fondées sur les métaconnaissances que l’on se construit de soi et des autres

Fonctionner de cette manière suppose des articulations dans le travail, basées sur des repré-sentations des apports et des difficultés de chacun dans l’équipe. C’est ce qu’a montré AvilaAssunçao (1998) dans une étude réalisée auprès de cuisiniers d’un restaurant universitairebrésilien, dans un contexte de fort taux de troubles musculo-squelettiques (TMS). Les défi-ciences des femmes atteintes de TMS, entraînant des handicaps de situation pour la prépara-tion de plats impliquant soit le port de charges lourdes, soit des préparations nécessitant desmouvements de torsions des poignets répétitives et longues, justifient des stratégies d’évite-ment de la part des intéressées et le glissement de tâches vers d’autres opérateurs conscientsde leurs difficultés. Elles assurent alors plutôt la planification des opérations, le suivi de leurréalisation et le contrôle de la qualité ; leurs compétences étant utiles et même précieuses pourl'atteinte des objectifs de production des repas en qualité, quantité et heure, du fait d'une plusgrande anticipation des besoins. Les jeunes, voire les novices, s'occupent plutôt de la prépara-tion de certains plats sollicitants physiquement, plus démunis pour la gestion des imprévus.Un tel mode de fonctionnement suppose d'une part que les opérateurs aient développé des mé-taconnaissances sur leur propre activité, aient identifié quelles sont leurs compétences, maisaussi leurs déficiences dans les différentes composantes de leur activité, et d'autre part qu'ilsaient élaboré une représentation pertinente des compétences et difficultés de leurs collègues(figure 2). Ces connaissances ne peuvent se construire que dans le temps et grâce à une cer-taine stabilité du collectif de travail.

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Figure 2 : Les mécanismes de compensations des déficiences liées aux TMS(Avila Assunçao, 1998)

Dans cette situation, le recours au collectif de travail a deux fonctions : réduire certains effetsdes conditions de travail sur les capacités physiques des opérateurs et compenser chez les no-vices le manque de compétences et de savoir-faire. Ainsi, ce sont les déficiences et les compé-tences de chacun qui déterminent le partage des tâches au sein d'un collectif de travail. Onvoit le passage ici de la notion "d'incapacité individuelle" à celle de "capacité collective dutravail" : les compétences individuelles s’articulent, se combinent pour permettre l’atteintedes objectifs de production. Elles constituent les fondements du travail collectif, les spéciali-sations dans le travail, déterminent les conditions des processus d’entraide. Pour reprendreLeplat (2001), « l’étude des complémentarités, des ajustements, des recouvrements de compé-tences individuelles au sein du groupe sont des éléments importants dans la constitution de lacompétence collective. Mais les compétences collectives contribuent, de leur côté, à l’enri-chissement des compétences individuelles. La coopération entraîne une sorte de perméabilitéentre compétences individuelles, en même temps qu’elle développe des compétences pour lacommunication. Il y a une sorte de co-détermination entre ces deux types de compétences »(p.). Cette réorganisation du travail assure finalement ce que Caroly et Clot (2004) appellentla "transfiguration" de l’organisation officielle afin de la maintenir face au réel : « Il existeentre l’organisation du travail et le sujet lui-même un travail de réorganisation de la tâchepar les collectifs professionnels, une recréation de l’organisation du travail par le travaild’organisation du travail collectif » (citant Clot, 2000, pp.273-274.) expliquent les auteurs.On retiendra cependant que la ré-élaboration des règles de métier est un indice de la construc-tion d’un collectif en même temps que le collectif est indispensable pour les ré-élaborer avecdes objectifs de performance et de santé. Dans cette dynamique, les expérimentés ont un rôleprimordial dans l’accueil des nouveaux arrivants et la transmission des règles de métier.

Cette capacité collective de travail nous paraît pouvoir être mise en perspective avec la notiond’acteur collectif proposée par Von Cranach, Ochsenbein, & Valach, (1986). ou la notiond’opérateur virtuel élaborée par Plat et Rogalski (2000) pour rendre compte de l’activité d’unéquipage d’un cockpit : « On ne considère que la nature de l’activité, en cherchant à identi-fier ce qui est fait par l’équipage, sans spécifier qui des deux pilotes conduit cette activité.(…) On peut considérer que l’identification de « qui fait quoi » fait partie de la gestion del’activité collective » (p.141). Ici l’objet central de l’étude est le groupe : l’activité dépend des

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caractéristiques du groupe, de celle de la tâche à accomplir et du couplage entre les deux. In-terviennent alors la définition du but à atteindre par le groupe, son éventuelle redéfinition,l’homogénéité de la connaissance du but par les membres du groupe. Mariné et Navarro(1980) ont montré que cette régulation collective de la charge se réalisait à partir de la repré-sentation qu’avait chaque opérateur de la charge de travail des autres, les opérateurs s’effor-çant d’équilibrer leurs charges respectives : quand ils s’aperçoivent que la charge de l’und’eux est trop grande, ils introduisent momentanément une modification dans la répartitiondes tâches afin de rétablir un équilibre dans les charges individuelles à l’intérieur de l’équipe.Cette régulation implique que l’équipe dispose d’un certain degré d’autonomie et constitueune entité solidaire qui se soit construite dans le temps.

De tels processus de coopération supposent néanmoins que les salariés évoluent dans un es-pace proxémique (Benchekroun, 2000, op.cit) permettant de communiquer ensemble, de per-cevoir dans le cours d’action des acteurs co-présents des attentes, des besoins, des disponibili-tés. Cela passe par la mise en œuvre de ce que l’auteur appelle des « invariants proxémiquessociopètes », se manifestant par « des comportements d’ouverture et d’attention distribuéecentrée sur le groupe. Ils se traduisent par des comportements d’écoute active de ce qui se ditou se fait autour de soi, par l’observation d’autrui, par des comportements d’ouverture decommunication, par des gestes monoadressés ou pluriadressés. L’individu manifeste explici-tement son intention de se rendre disponible et d’intervenir chaque fois que, de son point devue et de celui d’autrui, sa contribution est pertinente. (Ils) reposent essentiellement sur del’implicite. En effet, le fait d’être dans un espace proxémique d’écoute et d’observabilité réci-proque rend perceptible le fait que chaque personne est en mesure de se tenir informée del’essentiel des informations pertinentes et d’inférer les attentes des uns et des autres. Commele soulignent Decortis et Pavard (1994), ces attentes partagées servent de base à la coordina-tion et à la coopération entre les membres du réseau » (p.45).

Ces réseaux d’acteurs, qui évoluent au cours du temps et des événements, exigent une grandecompétence individuelle en même temps qu’ils contribuent à accroître cette compétence par lavariété des rôles et des interactions qu’ils requièrent des participants. Nous rejoignons sur cepoint Leplat (2001, op.cit., p.), selon lequel « il existe une compétence collective au sens decompétence d’un groupe, qui émerge de la mise en œuvre articulée des compétences indivi-duelles, mais ne peut être inférée de manière simple ; pas plus que les compétences indivi-duelles ne peuvent être facilement déduites de la compétence collective ».

3.4. Des conditions pour que le collectif fonctionne

Mais ces régulations ne sont possibles qu’à certaines conditions : savoir se situer dans un col-lectif au vu d’une anticipation des situations critiques et des conditions organisationnelles.

Reconnaître ses compétences, ses déficiences, c’est savoir finalement se situer dans un groupeavec ses ressources. C’est savoir aussi à quel moment on risque d’être fragilisé dans son rap-port au travail. Cette connaissance est fondamentale pour construire des stratégies de préser-vation. Ceci s'inscrit dans la perspective des travaux de Piaget (1975 ; lu par Pueyo & Gau-dart, 2000) selon lequel « toute régulation est une réponse à une perturbation. Mais une per-turbation ne donne lieu à une régulation que si elle est diagnostiquée. S’il n’y a pas de dia-gnostic, il ne peut y avoir de régulation et donc de compensation de la perturbation. Parcontre, en cas de diagnostic, l’évitement est une modalité de régulation visant à éviterl’échec, quitte à ce que la compensation soit assumée par quelqu’un d’autre. L’évitement tra-duit une anticipation des exigences et caractéristiques de la situation dont l’opérateur juge

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les interactions perturbantes pour le fonctionnement du système pour lui-même et dont ilpense ne pas pouvoir ou vouloir les contrôler. Il permet donc à l’opérateur de ne pas semettre dans une situation qui risquerait de devenir critique » (Pueyo & Gaudart, 2000, op.cit.,p.258). De telles stratégies sont souvent identifiées en fin de carrière chez les anciens du faitde leur expérience. Mais elles ne peuvent fonctionner que parce que, d’une part, l’ancien saità quel moment il peut se dégager sans trop d’impact sur le collectif et d’autre part parce que lecollectif reconnaît ses compétences, son apport au groupe dans d’autres phases du travail, ac-ceptant ainsi l’évitement de sa part. Il s’agit là d’une forme de gestion des ressources de cha-cun intégrant des méta-connaissances sur soi et sur ses propres déclins ; mais aussi sur l'effi-cience et les déficiences des autres. Ce que Pueyo et Gaudart (2000, op.cit.) évoquent de lamanière suivante : « L’évitement individuel peut permettre le maintien d’opérateurs en activi-té malgré des déficiences réelles et perçues par rapport à la situation de travail si et seule-ment si le collectif de travail reconnaît les compétences des opérateurs concernés » (…).« Les régulations mises en place par les opérateurs pour gérer les déficiences tout en attei-gnant les objectifs demandés s’appuient sur leur expérience et sur les possibilités d’un travailcollectif » Et elles proposent de considérer l’évitement comme « une modalité individuelle degestion des déficiences non excluante sous condition de régulation collective ». (pp. 257-258)

Ces régulations au sein du collectif ne vont pas de soi : elles nécessitent un réel apprentissagede la part des novices. Elles nécessitent la construction d’un référentiel commun dans letemps, dans et par l’activité collective : nous reviendrons sur ce point (voir point 5 dans cechapitre).

Ces régulations internes au sein des équipes de travail sont également extrêmement dépen-dantes des marges de manœuvre laissées par l'organisation du travail, des zones de tolérancepar rapport à ces pratiques. Ces marges de manœuvre sont de deux types : l’autonomie et ladiscrétion. Selon de La Garza et Weill-Fassina (2000, op.cit.), « l’autonomie concerne« l’espace de liberté de décision que l’acteur individuel ou collectif cherche à construire ou àaffirmer » dans un système réglé de l’extérieur ; « elle signifie la capacité de produire sesrègles et de gérer ses propres processus d’action.(Maggi, 1993, 1996). »(…) « Elle résulted’une mobilisation de compétences qui ne sont pas forcément reconnues par l’encadrement,mais les pratiques en sont implicitement acceptées tant que les résultats souhaités sont at-teints (de Terssac, 1992) » (…) « La discrétion « indique des espaces d’action dans un pro-cessus réglé où l’opérateur agissant est obligé de décider et de choisir dans un cadre de dé-pendance (Maggi, op.cit.) » (p.224)).

Les régulations sont aussi extrêmement dépendantes du mode de gestion des équipes, des in-jonctions verticales et des modes de gestion de proximité des équipes, favorisant ou nonl’activité collective. Grosjean et & Lacoste (1999, op.cit.) et Caroly (2001) l’ont montré res-pectivement dans le secteur hospitalier et à la Poste, en comparant le travail collectif d’agentsau sein de deux services dirigés par des responsables manageant les équipes de manière trèsdifférentes (voir aussi Caroly dans cet ouvrage).

A un autre niveau, Pueyo et Millanvoye ont également mis en évidence que « les modes degestion des ressources humaines facilitent, ou au contraire, fragilisent la construction descompétences et leur mise en œuvre » (Pueyo, 2002a, p.1). Le suivi de quatorze équipes de fon-deurs travaillant dans les hauts fourneaux, leur a en effet permis de montrer qu’ils ont une in-cidence à la fois sur l’activité de travail, la répartition des tâches et le transfert de connais-sances entre anciens et novices (Pueyo, dans cet ouvrage). De la manière dont vont être géréesles fins de carrière par les responsables des ressources humaines et organisées les équipes detravail en termes de répartition des âges et des expériences, dépendra largement la qualité de

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la prise en charge collective des risques, pour la santé et la sécurité. Cette question s’avèreparticulièrement importante dans un secteur d’activité où les risques sont majeurs et le proces-sus d’apprentissage très long : selon tous les interlocuteurs, il faut dix ans pour être considérécomme expérimenté, capable de réaliser toutes les opérations. La composition des équipes estdonc déterminante du processus de construction de l’expérience comme de la sécurité :l’expérience dépendra de la diversité des événements vécus, des possibilités d’acquérir descompétences au contact des anciens. Cela suppose une stabilité des jeunes fondeurs dans leséquipes qui n’existait pas lors de l’étude : le rythme de polyvalence des jeunes sur plusieursfonctions était très important, limitant la mise en place d’un réel plan de formation interne auxéquipes. Ce qui amène Pueyo (2002a, op.cit.) à conclure : « Certains fonctionnements descollectifs de travail, alors qu’ils sont décisifs pour la qualité, la performance et la sécurité dela production, échappent à l’attention explicite des gestionnaires de ressources humainesdont les critères de choix sont différents (polyvalence, productivité, politique salariale) »(p.4).

4. Le travail collectif comme source de contraintes

Privilégier la dimension collective du travail, impose de renoncer partiellement à ses propresstratégies de préservation, de composer avec le cours d’action des collègues, ce qui peut avoirun coût pour les salariés à l’origine d’une prise de distance vis-à-vis de l’équipe. Pour re-prendre Strauss (1992 cité par Lacoste, 2000), le travail d’articulation que suppose le travailcollectif représente « un travail supplémentaire nécessaire pour que les efforts collectifsd’une équipe soient finalement plus que l’effort chaotique de fragments épars de travail ac-compli » (p.56) ; travail supplémentaire qui représente un coût dont l’estimation sera toujourstrès individuelle.

4.1. Rester à l’écart du groupe

Si les régulations collectives peuvent faciliter l’activité de travail des jeunes comme des an-ciens, il arrive que des opérateurs travaillent seuls, à l’écart du groupe.

Millanvoye et Colombel (1996, op.cit.) en donnent un exemple dans l’étude réalisée sur lesassembleurs de barques d’avions précitées : certains anciens préfèrent délibérément travaillertout seul, sur un poste unique, ce qui leur permet « de gérer eux-mêmes leur activité, en frac-tionnant dans le temps les opérations pénibles physiquement » (p.44). Cela leur permet de sesoustraire à différents types de contraintes : à la polyvalence qui est coûteuse pour les opéra-teurs (nécessité de passer d'un type de tâche à l'autre, de développer des habiletés multiples…), aux contraintes de temps liées au juste à temps, à la coordination entre l'activité de plu-sieurs collègues, au rythme des plus jeunes. Le fait de ne réaliser qu'un seul type de tâche leurdonne en contrepartie la possibilité de développer des compétences incorporées puissantes,leur permettant de se créer les marges de manœuvre nécessaires à la gestion de leurs pro-blèmes de santé. Cependant, la monovalence va à l’encontre des choix organisationnels ac-tuels, recherchant un maximum de flexibilité de la part des opérateurs ; d’où la fragilité detelles stratégies d’auto-protection.

V. Zara-Meylan en donne une illustration dans son article sur les monteurs installateurs (danscet ouvrage) lorsqu’elle identifie le retrait d’un ancien à un moment particulièrement pénibledu montage d’une tente (tenir la structure à bout de bras pour enfiler des poteaux) ; prétextant

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sa plus grande utilité dans la phase préparatoire d’un autre montage. Derrière cet évitement,les verbalisations en auto-confrontation révèleront que se joue de manière plus profonde lagestion de douleurs et de problèmes de santé liés à son parcours professionnel et l’anticipationde situations critiques du point de vue de sa santé.

4.2. Limiter les processus d'aide auprès des collègues

Si nous avons beaucoup insisté jusqu’à maintenant sur l’importance des solidarités dans letravail, de ses fonctions de régulation, le rapport de chacun au collectif n’en est pas moins trèspersonnel. Il nous a été donné d’observer des personnes qui, volontairement, ne veulent pasjouer le jeu du travail collectif, refusant d’une certaine manière de faire partie du collectif detravail.

Reprenons l’intervention d’Avilà Assunçào (1998, op.cit.). En même temps qu’elle identifiaitdes régulations collectives importantes entre certains salariés, elle a également remarqué qued'autres les refusaient ; ce que traduisent plusieurs verbatims recueillis auprès de cuisiniers :« Certains n'aident jamais » – « Au début, pendant 6 mois à partir de mon arrivée, je tra-vaillais en aidant les autres (...) Mais maintenant, je n'accepte plus de dépasser ma charge detravail et comme ça, c'est mieux pour moi » (p.), stratégie individuelle d'auto-protection de lasanté de personnes non encore atteintes par les maladies professionnelles.

Nous avons également identifié des comportements de ce type chez de jeunes contrôleurs aé-riens (Paumès-Cau-Bareille, 1990). En référence à ce que nous avons expliqué précédem-ment, si certaines équipes acceptent que les plus anciens se couchent plus tôt pour ensuiteprendre le poste du matin (on observe le même type de comportement à l'égard de femmes en-ceintes ou de personnes fragilisées), d'autres fonctionnent différemment. Ils argumentent leurraisonnement de la façon suivante : « Si les gens restent ici, c'est qu'ils sont aptes. Ils doiventdonc faire leur travail, sinon il faut rester chez soi ». On refuse d’être solidaire au nom d’uneégalité de statut, d’une forme de préservation de sa santé, afin de limiter les atteintes pos-sibles.

Cela permet d'appréhender une dimension peu abordée jusque là : le coût implicite que peutreprésenter le travail collectif au-delà des avantages que celui-ci peut apporter en termes derégulations. S'inscrire dans une dynamique collective signifie accepter un certain nombre derègles de fonctionnement plus ou moins implicites, s'inscrire dans une temporalité dont on n'apas toute la maîtrise, où sa propre activité dépend de celle du ou des collègues ; suppose quel'on développe des savoir-combiner, savoir-être, savoir-comprendre qui sont longs à seconstruire … C'est renoncer pour une part au moins à des stratégies individuelles et peut-êtreà certaines marges de manœuvre. Ce compromis semblerait plus difficile avec l'avancée enâge.

4.3. Le collectif de travail, un lieu qui peut exclure

Un collectif de travail, s’il constitue une ressource pour l’équipe, nous l’avons évoqué large-ment, peut aussi devenir une force d’exclusion dans certaines circonstances. Caroly (1997) l’abien montré dans son travail réalisé auprès d’éducateurs spécialisés. « L'équipe rejette celuiqui flanche, celui qui vit des phénomènes d'usure par le déni. Ce mécanisme de défenseconsiste à écarter celui qui craque car celui-ci renvoie chacun à sa propre faiblesse : la peurque toute l'équipe craque, la peur de devenir inadapté comme ses clients. Les anciens ac-

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quièrent au fil du temps une certaine expérience de ces mécanismes de défense de l'équipe »(p.). De telles observations se retrouvent chez les enseignants (Lantheaume, & Hélou, 2008),dans le secteur de la grande distribution, dans le secteur tertiaire … Idée que l'on retrouveégalement chez Dejours (1980) : « L'équipe est un lieu de satisfaction mais peut produire aus-si l'inverse : violence, conflit, crise. L'équipe n'est pas toujours un lieu d'écoute pour celui qui"craque" par exemple. L'équipe alourdit alors la charge de travail quel que soit l'âge del'opérateur » (p.).

Il s’agit d’une autre face du collectif de travail comme pouvant être une force de marginalisa-tion des personnes ayant des difficultés. Cela peut concerner certains anciens qui ressententsoit des phénomènes d'usure dans le travail, soit de réelles difficultés dans la réalisation decertaines opérations pour lesquelles les collègues ne souhaitent pas apporter de soutien, esti-mant qu'étant payés pareils, ils n'ont pas à voir leurs tâches alourdies. Cela peut égalementconcerner des jeunes, des intérimaires, que les anciens n'ont plus envie de former car ne res-tant que trop peu de temps dans l'entreprise, ou comme le montre Pueyo (2002b), des novicesâgés proches de la retraite qui changent d’atelier et de métier que les anciens n'ont pas enviede former du fait de leur départ prochain.

Les régulations qui se jouent dans l’activité de travail sont donc fragiles et tiennent beaucoupaux marges de manœuvres laissées aux opérateurs, à la pénibilité du travail, aux conditions detravail, à la gestion des équipes de travail et à la dynamique collective impulsée par les chefsd’équipe. Elles dépendent également de l’évaluation cognitive des gains que représente poursoi le rapport au collectif de travail, les soutiens éventuels que l’on peut y trouver, du coûtpour soi d’un tel engagement. En référence aux réflexions de Folkman et Lazarus (1984), onpeut se poser la question de l’estimation que l’on fait de ses propres ressources pour faire faceà l’activité, qu’elle soit individuelle ou collective. Et lorsque l’évaluation va dans le sensd’une fragilisation du rapport aux ressources, il se peut que le pôle "soi" prenne le pas : se re-centrer sur soi plutôt que sur le collectif comme stratégie de préservation pour tenir l’activitéde travail. Ce sont des éléments que nous avons identifiés dans une étude menée auprès deprofesseurs de collèges en fin de carrière (Cau-Bareille, 2009 a et b). Nombreux sont les en-seignants qui, au cours des dernières années d’activité, vont se recentrer sur leur probléma-tique personnelle, sur l’organisation de sorties uniquement pour leurs classes, sur l’organisa-tion des emplois du temps la moins pénible possible (travailler sur moins de niveaux declasse, refuser la charge de professeur principal et/ou de responsable de niveau, refus desheures supplémentaires ….) ; le poids de l’organisation collective du travail étant considéréecomme plus difficile à gérer en fin de carrière.

De telles stratégies témoignent de conflits de buts entre les objectifs à atteindre, la prise encompte des autres dans sa propre activité, et « soi ». Et les équilibrages et les tensions entreces différentes dimensions évoluent au fil du temps, au cours de la vie professionnelle (Cau-Bareille, 2009a et b, op.cit.). « Les compétences collectives comme les compétences indivi-duelles ont une vie » explique Leplat (2001, op.cit., p. ), leurs formes d’expression évoluentau fil de l’expérience et de l’âge parce qu’intégrant la dimension de santé. Or « la santé estl’objet d’une construction individuelle dans un cadre social » souligne Laville (1995, p. ).« Cette construction serait le résultat d’un compromis entre rationalité de la production et dela santé que l’opérateur cherche à protéger ». Et c’est bien cette dimension d’évaluation de sapropre santé qui nous semble pouvoir modifier le rapport à l’activité collective de certains an-ciens.

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5. Le travail collectif comme lieu de développement des compétences

« L'apprentissage passe par l’intermédiaire de l’influence des autres » (Vygotsky, 1997, p.)

Le travail collectif n’est pas seulement un support de régulations ; il n’a pas seulement pourrôle de permettre aux opérateurs de réguler le système, les dysfonctionnements, de faire face àla variabilité des situations de travail, de compenser les déficiences en terme de connaissancesou de santé de certains opérateurs. Il sert également de support aux apprentissages, permet ledéveloppement des compétences des salariés, l’acquisition de savoir et savoir-faire qui vontbien au-delà des savoir-faire techniques : des savoir-être, des savoir-relationner, des savoirss’inscrire dans l’activité des autres, savoirs se préserver et assurer sa sécurité et celle desautres par exemple. Il permet de se confronter à d’autres pratiques, d’autres modes opératoiresreposant sur des représentations différentes de la situation de travail. Delgoulet a abordé cetaspect dans le chapitre dédié à l’apprentissage dans cet ouvrage ; nous nous proposons ici derevenir sur les conditions de ces échanges.

Elle a largement souligné le caractère laconique de la formation professionnelle alors mêmequ’elle est essentielle pour atteindre les objectifs, pour exercer l’activité en santé et sécurité.Les rares fois où quelques heures sont proposées, la formation au poste repose plus sur unmodèle cognitif des installations (formation scientifique et technique au poste) précisant com-ment fonctionne le système que sur un modèle opératif ancré sur des préoccupations pragma-tiques de réalisation de l’activité qui privilégierait le comment on fait, sur ce qui organisel’action, sur les modes opératoires. Les éléments apportés concernent les règles de sécurité dusystème, une sensibilisation au port des équipements individuels de protection. Ils concernentrarement les modes opératoires, les stratégies qui pourraient enseigner les gestes écono-miques, préserver de certains risques, apporter une connaissance différentielle des outils detravail, des variabilités de la production, car souvent méconnus au sein de l’entreprise, parti-culiers et spécifiques à chacun et laissés à la discrétion des opérateurs. Cela, les novicesl’apprendront au travers des occasions de travail collectif.

5.1. Les plus anciens comme pivots du transfert de connaissances

5.1.1. Apprendre par tutorat : on emprunte un geste qu’il faudra personnaliser

Chassaing (2006) et Gaudart (1996) ont beaucoup travaillé sur la formation par tutorat, dansle secteur du bâtiment et dans le secteur automobile (voir aussi Gaudart & Chassaing, dans cetouvrage). Elles montrent que lorsqu’un tuteur accueille un novice, il lui donne comme réfé-rence son activité : il lui propose son mode opératoire, l'agencement des opérations qui lui estpropre pour réaliser la tâche, les régulations qu'il s'est construites au fil du temps du fait de sescompétences et de ses déficiences, ses habiletés. Si les novices tentent au départ de coller aumodèle proposé par le tuteur, ils développeront au fil du temps leur propre agencement desmodes opératoires, leur propre organisation des opérations de montage. Les novices ne sontdonc pas dans une logique d'imitation passive des collègues expérimentés mais bien dans unprocessus d’appropriation. "Le geste se présente dans l'activité professionnelle un peu commele mot dans l'activité langagière : on emprunte d'abord un geste étranger qu'il faut faire sienet on ne peut y parvenir qu'en le soumettant à ses propres intentions réalisées dans l'action.Agir, c'est opposer à l'activité d'autrui une contre-activité. (…) Apprendre un geste, c'est tou-jours le retoucher en fonction des contextes hétérogènes qu'il traverse, au sein desquels il seréfracte et dont il sort enrichi, mais aussi éventuellement amputé" explique Clot (1999, p.).Cette démarcation par rapport au modèle du tuteur n'est cependant pas un travail solitaire.

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C'est le plus souvent en se mêlant aux différentes manières de faire le même geste dans un mi-lieu professionnel donné que, par le jeu des contrastes et des comparaisons entre personnes, legeste se décante : "Je me défais d'autrui en passant de l'un à l'autre, en confrontant les autresentre eux" (Clot, ibid., p.). Le geste s’insère donc dans une arène sociale où se mesurent lesmanières de voir, de sentir et de faire.

5.1.2. Se former au gré des disponibilités des collègues

Ces formes d’apprentissages sont dépendantes du contexte de production conditionnant la dis-ponibilité des personnes en charge de la formation et des compétences des personnes qui lesassurent, ce qui explique de grandes variabilités entre salariés, tant dans le contenu, la duréede la "formation". Ces témoignages, issus de secteurs industriels très différents, sont expli-cites : « J'ai commencé la formation avec le technicien ; on la faisait quand il avait letemps ». « Moi, j'ai pas eu de formation. C'est X qui m'a montré un petit peu de temps entemps, quand on pouvait. Alors ça fait pas grand chose ». « Moi, j'ai été bien formé par X,c'est qu'il s'y connaissait. Mais ceux qui ont été formés par Y, ils ont pas été gâtés car il n'yconnaissait pas grand chose ! ». Se former sur le tas impose donc souvent aux novices deconstruire des connaissances sur l'activité au hasard de la disponibilité des collègues, au ha-sard de la gestion de difficultés, d’incidents. Engagés dans les contraintes de production, cesderniers n'ont pas toujours le temps de suivre leurs premiers pas, ceci pouvant avoir desconséquences non seulement sur la progression de l'apprentissage, mais aussi sur leur santé etla production ; Delgoulet s’en est fait l’écho dans la présentation des résultats de l’étude deMontfort (2006) dans son chapitre sur l’apprentissage (dans cet ouvrage).

Outre le problème de la disponibilité, la formation sur le tas ne permet pas aux novices d'assi-miler en profondeur les remarques de leurs collègues, de dégager le sens fondamental de leursremarques et injonctions. Formulées souvent sur le ton impératif, en « coup de vent » sans vé-rification de la compréhension du message et de la mise en œuvre du conseil, elles sont biensouvent dépouillées des justifications qui les sous-tendent, des connaissances d’arrière-planqui les justifient. Un travail d’élucidation qui prendra du temps et limitera le processusd’appropriation.

5.1.3. Apprendre au contact des anciens lors de la gestion d'incidents

Dans le contexte quotidien du travail, en dehors des premiers jours d'intégration des novices,les opérateurs travaillent souvent seuls. Par contre, la gestion des incidents constitue une op-portunité de transmission entre anciens et novices, transmission dans l'action, transmission autravers d'injonctions, de glissements de tâches, d'observations, d'échanges sur l'action encours. Pour reprendre Duraffourg et Hubault (1993, op.cit.) « L'agrégation des solidarités neva jamais de soi : l'acte collectif suppose un événement qui lui donne l'occasion ; il ne luipréexiste pas vraiment. C'est là toute symbolique opératoire de la panne et son rôle de pro-ducteur de collectif » (p. ). Ce qu’explicite clairement un fraiseur novice observé par Cloutier,Lefebvre, Ledoux, Chatigny, et St-Jacques (2002) : « Un dysfonctionnement ou un problèmeest un moment privilégié pour entrer en relation avec d'autres travailleurs et s'échanger dessavoirs : (Apprenti) « Le travail d'équipe, il se fait quand il y a des problèmes, tu consultesquelqu'un pour faire ton problème. A part de ça, t'es tout seul là (….) Tu te débrouilles tantque t'as pas de problème » » (p.88).

Ce facteur déclenchant la mobilisation du collectif a également été mis en évidence par Pueyo(1999) lors de son intervention auprès d’auto-contrôleurs en charge de contrôler des bobinesd'acier au sortir du laminoir. La mobilisation du collectif se fait en général autour d'événe-ments, d'incidents perturbant le flux, la qualité des bobines. Elle note à ces moments spéci-

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fiques une interruption du cours d'action de chacun, afin de s'engager dans un travail collectif.Cela se traduit par une re-répartition des tâches entre collègues qui se fait de telle sorte quechacun se place là où il est le plus « habile ». Souvent, les plus anciens délèguent aux plusjeunes les opérations qui nécessitent des engagements physiques forts, en particulier souscontraintes de temps, et la recherche d'informations sur le dispositif technique ; les plus an-ciens se réservant le diagnostic sur les événements et la recherche de solutions sur lesquels lesnovices sont plus en délicatesse. Les communications des anciens vers leurs collègues visenttout particulièrement à effectuer des actions de prévention afin d'éviter que le système ne sedégrade, à alerter l'amont et l'aval d'événements divers, à communiquer des informations auxautres. Ils sont plus que les jeunes particulièrement orientés vers la transmission d'informa-tions pour la régulation : ils aident les autres dans l’action, les orientent dans l’anticipation,coordonnent, conseillent, négocient avec la hiérarchie ... C'est de cette manière que les plusanciens partagent avec les plus jeunes leurs connaissances du process et ce qui fait leur savoir-faire, leur donnent une représentation plus globale du système. Ces liens concourent à laconstitution d'une expérience globale importante pour l'atteinte des objectifs de production(ici de qualité) qui se traduit par une re-répartition des tâches ou la prise en main de certainesopérations. C’est donc bien dans le travail collectif que va s’élaborer le collectif de travail,que va se construire le référentiel commun à la base du genre professionnel. « Le travail col-lectif, couplé au collectif de travail, est plus efficace pour faire face aux perturbations del’activité, qu’un travail collectif sans collectif de travail », expliquent Caroly, & Clot (2004,op.cit., p.47).

5.1.4. Apprendre à décoder le fonctionnement et les règles du collectif

Mais cette transmission vers les novices ne va pas de soi. Elle se joue souvent dans les inter-stices de l’activité et nécessite une activité de décryptage souvent méconnue et extrêmementcoûteuse pour les novices. Car tout ne passe pas par le langage ; les remarques peuvent resterobscures, leur sens leur échapper. Les contraintes temporelles limitent les échanges et surtoutl’explicitation des fondements des remarques des collègues.

Certains éléments de construction des compétences vont également passer par l'observation,par un décodage des stratégies individuelles et collectives au vu des éléments de contexte. Se-lon la situation, les anciens peuvent adopter des comportements posturaux ostensifs (mouve-ments du buste, gestes suivis de regards) destinés à fixer l’attention des novices parfois asso-ciés à des paroles à la cantonade, communications métafonctionnelles visant à partager des in-formations pouvant être utiles. Il s’agit pour ces derniers d’accéder à leur sens, de développerune acuité pour identifier ces éléments au travers des échanges opérationnels (Zara-Meylandéveloppe cet aspect dans cet ouvrage). Pour reprendre Scheller (2003, citée par Caroly, &Clot, 2004, p.53), « Le sujet individuel construit le sens de l’activité propre, élaboration sub-jectivement vécue des productions et créations de l’activité d’autrui, pour poursuivre le tra-vail de son individuation ».

La place de chacun dans le collectif doit aussi se transmettre et les novices apprennent dans lecours de l’activité la coopération. La coopération est une « « activité compétente des partici-pants » liée au fait d’être capable de reconnaître et de comprendre de façon discriminanteleurs conduites réciproques et les ressources informatives publiquement disponibles poureux » (Robertson, 2002 ; cité par Grosjean, 2005, p.80). Ils doivent apprendre à s’articuleravec les collègues, selon ce qui est attendu d’eux à chaque instant. Ils doivent acquérir les mé-canismes particuliers de gestion des risques propres au milieu professionnel, à l’équipe, auxanciens aussi ; ils doivent parfois faire ce que l’ancien ne peut ou ne veut faire. « Le milieu detravail est d’abord un rébus » nous dit Weill-Fassina (2007, p.145, citant Clot) ; « le nouveau

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peut s’y sentir confronté à des règles contradictoires : règles de l’organisation, règles du col-lectif dans lequel il faut se faire accueillir quand il existe, règles et objectifs personnels »qu’il aura à élucider dans leur complexité. C’est ainsi qu’il va, d’une part prendre consciencede la façon dont il peut apporter quelque chose au groupe et d’autre part, faire place auxmarges de manœuvre des anciens. « C’est aussi en apprenant à distinguer les autres entreeux, que je parviens à me distinguer d’eux », expliquent Caroly et Clot (2004, op.cit., p.51).« Pour parvenir à l’activité individuelle, le nouvel arrivant doit faire un long chemin – parve-nir à ses propres buts demande du temps. Il faut passer par des étapes d’intégration des butscommuns pour arriver à s’en dissocier et en reconstruire de nouveaux en interdépendanceavec autrui. Devenir un professionnel à titre personnel, c’est élaborer son expérience grâce àcette « répétition sans répétition » (Bernstein, 1996) » (ibid.). C’est finalement tout le travaild’élaboration du référentiel commun, du genre professionnel qui servira de support au collec-tif de travail et à l’activité collective.

Les opérateurs sont en permanence en situation de réguler le système, de faire des compromispour maintenir le système en l'état et atteindre les objectifs, prenant ainsi une certaine distancepar rapport au prescrit ; cela fait aussi partie de l'apprentissage. C'est ce que l'on voit très bienau travers de l'étude des monteurs installateurs présentée par Zara-Meylan dans cet ouvrage :ils doivent en permanence jongler entre ce qu'ils devraient faire au vu des règles prescrites desécurité, ce qu'ils aimeraient faire, ce qu'ils peuvent faire compte tenu des contraintes liées àla présence du public utilisateur des structures, des passants. Pour les novices, il s’agitd’apprendre au travers des arbitrages des chefs d’équipe que lorsque l’on travaille en milieuouvert, dans cette situation en perpétuelle évolution, la gestion du temps est essentielle, etpasse par l’anticipation, par des adaptations plus ou moins réglementaires. Ils vont devoir ap-prendre à cerner les limites d’application de la règle. C’est donc en démêlant des informationsenchevêtrées au travers des communications et des actions des collègues que les novices ap-prennent les savoir-faire de prudence, les règles du métier ainsi que leur place dans le collec-tif. Mais ils doivent aussi apprendre que le travail s’inscrit dans un environnement qui n’estpas donné et dont il faut lire des éléments pertinents à partir de leurs connaissances et de leurexpérience pour leur donner un sens. On retrouve de tels éléments dans bien d’autres secteursd’activité, y compris à l'hôpital (voir Toupin, 2005, et dans cet ouvrage).

La formation sur le tas, au contact des collègues, passe donc par la lecture, le décryptage etl'analyse des stratégies des autres, consiste à « éplucher les gestes du travail saturés par lesintentions d'autrui afin de parvenir à les faire siens » pour reprendre Clot (2003, p.). Chacunne reçoit pas une « expérience prête à l’usage, mais doit traverser le travail des autres, le dé-canter pour parvenir à une mise en patrimoine de cette expérience. Ce processus relève d’uncheminement individuel, d’une expérience individuelle, mais celle-ci s’articule étroitementavec l’expérience du collectif » (Clot, 2000, p.). Et c'est au travers de la rotation sur plusieurséquipes, de la confrontation des expériences et savoir-faire, que les opérateurs novices finirontpar élaborer leurs propres compétences, leurs propres grilles d'analyse des situations de tra-vail, « leur propre style » pour reprendre Clot. Cette construction se traduit par « une évolu-tion des représentations des situations et de leur gestion, avec, notamment, un processusd’abstraction par rapport à l'activité qui donnera accès au sens des évènements » (Weill-Fas-sina, & Pastré., 2004, p.).

Ce processus nécessite beaucoup de temps, un temps souvent sous-évalué par les hiérarchiesqui recherchent une opérationnalité immédiate des nouveaux. Et l'intensification du travail secaractérisant par une augmentation du poids des contraintes qui pèsent sur les opérateurs ex-périmentés, leur laissent de moins en moins de marges de manœuvres temporelles pour inté-grer les novices, pour leur transmettre des éléments d’activité importants. De fait, l'apprentis-

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sage de ces derniers passe souvent soit par un tutorat limité dans le temps, soit par une forma-tion sur le tas, au contact des collègues, se déroulant dans le cours d'action, en production no-minale. Dans ce contexte, il est clair que le travail collectif sera une source d'information cru-ciale pour les novices, l'élément essentiel de la découverte des règles du métier.

5.2. Les transmissions des jeunes vers les anciens

Si nous avons beaucoup insisté sur l’apport des anciens à la construction de d’expérience desnovices, il est clair que les jeunes peuvent aussi, du fait de leur propre parcours et de leur for-mation, apporter des éléments aux anciens.

Faubert (1998) en donne un premier exemple dans un laboratoire d’ovoculture fabriquant desvaccins. Les jeunes opérateurs sortant des centres de formation ont une connaissance trèspointue des règles d’hygiène et de sécurité actuelles dans ce genre d’établissement, adoptantdes modes opératoires très différents des anciens qui ont souvent appris sur le tas, s’exposantdavantage à la toxicité des produits. Au travers des échanges portant sur les façons de procé-der, parfois aussi des tensions intergénérationnelles s’exprimant dans le travail, existe un es-pace de développement des compétences chez les anciens. La difficulté est ici de créer lesconditions de l’échange pour limiter les phénomènes de jugement, et toute remise en cause dece qui pour les uns peut être estimé comme compétences, pour d’autres des règles d’hygièneet de sécurité incontournables.

Nous avons également montré dans notre étude sur les fins de carrière des enseignantes dematernelle (voir Cau-Bareille dans cet ouvrage), que l’activité collective est davantage le faitdes jeunes. Selon les quinquagénaires que nous avons rencontrées, le travail collectif est beau-coup plus fréquent chez les jeunes que chez les anciens, souvent enfermées dans un fonction-nement très individuel : « les jeunes maîtresses travaillent davantage ensemble, échangent lessupports entre elles, se donnent plus de visibilité sur leur travail, que nous ne l’avons fait toutau long de notre carrière. J’aime bien travailler avec elles ». Une évolution positive qu’ellesattribuent à la formation IUFM favorisant le travail collectif. Ainsi, au contact de leurs col-lègues, les anciens découvrent des modes de fonctionnement qui peuvent s’avérer riches etfructueux, modifiant le rapport aux collègues, donc au travail collectif, base d’élaborationd’un collectif de travail jusque là très limité.

5.3. La transmission des savoirs au cœur des relations intergénérationnelles

Le collectif est donc un lieu possible d’échanges mutuels entre anciens et nouveaux. Il estaussi un lieu possible de tensions entre générations. Parce que les échanges intergénération-nels ne vont pas de soi.

Dans un contexte économique qui n'est plus au plein emploi, souvent peu favorable aux sala-riés en fin de carrière, ces derniers craignent de partager ce qui fait d'eux des acteurs incon-tournables de l'entreprise, ce qui constitue l'argument essentiel de leur reconnaissance dansl'entreprise, de donner les arguments de leur mise à l'écart. Pueyo (1999 ; 2000) en donne unexemple dans son étude auprès des autocontrôleurs : les anciens hésitent à transmettre leurssavoirs aux jeunes, plus diplômés, évoluant ensuite plus vite qu'eux vers les postes à responsa-bilité.

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De même, dans la recherche d’un emploi stable, les jeunes en emploi précaire n’hésitent pas àjouer la compétition avec les plus anciens pour se faire embaucher. Gaudart (2006) en donneun exemple dans le secteur agroalimentaire. Dans une entreprise de découpage de jambon, lesopérations les plus pénibles mais aussi celles qui nécessitaient le plus d’expertises, découen-ner, dégraisser, désosser, découper, ont été externalisées. Ceci a permis de réduire les effectifs,d’augmenter les cadences et d’avoir un volant de jeunes intérimaires plus important. Ce choixstratégique a profondément modifié le contenu du travail et ses contraintes : dorénavant, êtreprofessionnel, ce n’est plus savoir découper, c’est savoir tenir la cadence. Les plus vieux, quel’externalisation de certaines opérations a dépossédés de leurs gestes professionnels, se re-trouvent en compétition directe avec les jeunes sur la rapidité d’exécution, la performance de-venant pour ces intérimaires un argument pour éventuellement prétendre à un contrat plusstable. Les anciens, souffrant souvent de TMS du fait d’années de pratique du métier, sontdonc contraints de faire vite, avec le risque de s’user encore un peu plus du fait du renforce-ment de la répétitivité des gestes. Les moments d’entraide comme les transmissions de savoir-faire entre jeunes et anciens ont disparu, les tensions intergénérationnelles se sont exacerbées.On ne peut que déplorer avec Davezies (2001), non sans inquiétude, que de plus en plus, « ducôté du management, on joue délibérément les jeunes contre les vieux » (p.150).

Ces tensions intergénérationnelles ont une incidence sur les opportunités d'apprentissage pourles plus jeunes. C'est le jugement des anciens sur leur « vaillance" et leur "volonté » qui déci-dera en partie des conditions et du contenu de l'apprentissage. Faire ses preuves dans sa moti-vation apprendre : c'est ce qu'attendent les anciens lassés de former des novices qui ne restentpas. « Insère-toi toi-même » devient de plus en plus le mode d’intégration des novices dans lesmilieux de travail, constate Gaudart (2006, op.cit., p.135). En effet, il semble que l'on assistedepuis plusieurs années à un changement profond dans le rapport à la transmission que déve-loppe de manière approfondie Delgoulet dans cet ouvrage. Vingt ans, trente ans en arrière, lesplus anciens s'inscrivaient dans une démarche proactive pour former les nouveaux : « Lescompagnons disaient comment il fallait faire et pourquoi on devait le faire comme ça. Il fautexpliquer plusieurs fois. (…) En regardant et en refaisant petit à petit, on refaisait, ils regar-daient si on faisait pas de bêtises (Gérard) » (Gaudart, Delgoulet, & Chassaing, 2008, p.13).Maintenant, c'est l'inverse ; ce sont les jeunes qui doivent montrer leur envie d'apprendre pourmobiliser l'attention et l'investissement des anciens. D'une initiation collective, d'un rite initia-tique d'intégration, d'un partage des genres pour reprendre Clot, « la formation des novices estdevenue conditionnelle, circonstanciée à l'implication du novice dans son travail, à son deve-nir possible dans l'entreprise, à la relation ancien/novice, en même temps qu'aux contraintesorganisationnelles et de production. Il semble donc que la dimension collective de la forma-tion devienne de plus en plus dépendante de qualités individuelles » (ref ? p.). Il pointe là lesréticences des plus anciens à transmettre leurs connaissances, leurs savoirs aux plus jeunes, enréférence à un coût de l'apprentissage et une augmentation de la charge de travail pour le col-lectif. Davezies (2001, op.cit.) est encore moins optimiste : « L'intégration des jeunes n'estpas une problématique parce que dans nombre de cas, il n'y a plus d'intégration » (p.149).

On peut cependant s'interroger avec Delgoulet, Gaudart et Chassaing (2005) sur le coût directet indirect de la non-formation des novices pris dans cette conjoncture, tant du côté de la pro-duction que du côté de la santé, de la sécurité et de la fidélisation des nouveaux.

6. Conclusion

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Au delà des compétences individuelles spécifiques nécessaires pour tenir les postes de travail,se constituent dans le temps et avec l'expérience, des compétences collectives qui reposent surdes connaissances portant d'une part sur l'expérience individuelle des autres et leur habiletépour effectuer un type de travail, d'autre part sur l'état physique de chacun et les possibilitésphysiques en fonction de l'âge. Ces régulations collectives sont néanmoins très fragiles carfortement dépendantes de l'organisation du travail, des marges de manœuvre qu'elle laisse auxsalariés pour s'approprier le travail, pour exprimer des modes opératoires spécifiques, pours'organiser, de la stabilité de ces collectifs de travail dans le temps. La dynamique des collec-tifs de travail sera justement l'expression de compromis, d'ajustements permanents entre cesproblématiques individuelles, pour peu que l'organisation du travail reconnaisse et favoriseleur fonctionnement. D'où l'importance d'une gestion des équipes favorisant une certaine sou-plesse, autonomie dans l'organisation du travail et la nécessaire sensibilisation de la hiérarchiede proximité à l'importance des phénomènes collectifs qui s'y expriment et s'y régulent.

Nous avons insisté à plusieurs reprises sur le risque d’explosion des collectifs de travail et dutravail collectif dans le contexte d’intensification du travail, et au-delà des régulations qu’ilspeuvent apporter. Demain, ces régulations seront-elles encore possibles dans le contexte ac-tuel où se cumulent l'intensification du travail et l’allongement de la période d’activité pourtoucher une retraite complète ? De quelles prouesses devront faire preuve alors les salariés,jeunes comme anciens, pour tenir des exigences de travail toujours plus dures et qui leséloignent ? N’y a-t-il pas là un risque d’individualisation du travail risquant de fragiliser lesparcours et participant à l’exclusion de certains salariés en difficulté ? Tenir ; à quel coût hu-main, à quel coût pour la santé, pour la sécurité, pour l’épanouissement de l’homme au travail?

Enfin, s'il est socialement admis que l'avancée en âge peut s'accompagner de déficiences chezles anciens autour desquelles peuvent être mobilisées des mesures d'amélioration des condi-tions de travail, il est moins fréquent de trouver des auteurs alertant sur la pénibilité du travaildes jeunes, le cumul des formes des pénibilités qu’ils sont amenés à supporter, sur les mau-vaises conditions d'intégration du milieu professionnel pouvant avoir des conséquences ulté-rieurement sur la santé des opérateurs. Cela tient certainement aux représentations plus oumoins fondées que l'on a des jeunes, de leur force physique, de leurs capacités à apprendre ausortir de formation initiale, …. On parle assez peu de leur méconnaissance des règles de mé-tier indispensables à la réalisation de l'activité en santé et sécurité. Or, il nous semble impor-tant de tirer la sonnette d'alarme. Gaudart alertait déjà en 1995 sur la fragilisation des jeunes :« Si les conditions de travail ne sont pas réorganisées, les novices et les plus jeunes aurontrapidement les mêmes troubles que les autres » (p.). Davezies (2001, op.cit.) avait intitulé sonintervention au séminaire CREAPT « Age, santé, travail : quelques inquiétudes concernantles jeunes ? ». Ainsi, l'enjeu de la gestion des âges n'est pas simplement de réfléchir auxconditions de travail permettant le maintien des plus anciens au travail, donc n'est pas seule-ment une problématique de vieillissement au travail, de santé au travail. Il est aussi dans lacompréhension de la problématique différentielle des enjeux de travail selon l'âge, l'ancienne-té et des contraintes réparties selon les âges et les expériences. Poser le problème de l'avancéedes âges en ces termes permettrait d’envisager certainement un champ de recherches nouveau.Cloutier, Lefebvre, Ledoux, Chatigny, et St-Jacques (2002, op.cit.) ont déjà ouvert la voie audébut des années 2000 en identifiant la population des mitans comme la plus impliquée dansles processus de production, les plus engagés dans les contraintes de production, comme étantde fait moins disponible pour assurer le rôle de tuteur. Il y aurait beaucoup à faire pour allerplus loin dans l'analyse de manière à amener des éléments pour une gestion intelligente, sur lelong terme, des compétences et de la santé des salariés.

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VI. FINS DE VIES PROFESSIONNELLES

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Chapitre 17.

Les fins de carrière chez les enseignantes de maternelle

Dominique Cau-Bareille

Très peu d’études ergonomiques se sont penchées sur les fins de carrière alors même que leschoix politiques d’allongement de la durée d’activité professionnelle pour financer les re-traites rendent cette question d’actualité. En nous intéressant aux départs précoces dansl’enseignement, nous voulions apporter, dans le débat actuel sur l’allongement des carrièresprofessionnelles, des éléments qui permettraient de tenir compte de la spécificité des métiers,de leurs formes de pénibilités, des enjeux qui les sous-tendent, en même temps qu’un éclai-rage sur les tensions qui se jouent quotidiennement dans le travail, qui restent souvent dansl’ombre.

Nous évoquerons ici le travail réalisé auprès de maîtresses de maternelle. Nous avions en effetémis l’hypothèse que selon le niveau scolaire dans lesquels interviennent les enseignants,existent des formes de pénibilités particulières nécessitant de traiter la question des fins decarrière par niveau. Sous le terme générique d’enseignants, se cachent en réalité des métiersdifférents, avec leurs propres exigences et contraintes, leurs modes d’organisation du travailspécifiques, pouvant à terme avoir des effets différents sur le rapport au travail et les choix enmatière de retraite. L’analyse de ces caractéristiques est nécessaire pour comprendre les régu-lations possibles de la situation, les passerelles envisageables, utilisées ou non, les raisonspour rester dans la profession, en sortir, ou modifier les conditions de son activité.

1. Un contexte de réformes des retraites particulier chez les enseignantes de maternelle

Les enjeux actuels autour des retraites et l’espace de décision des personnes rencontrées s’ins-crivent dans un contexte de transformation des conditions de départ à la retraite dans la fonc-tion publique, et plus particulièrement dans l’enseignement au niveau primaire (maternelle etélémentaire).

Jusqu’en 1990 les enseignants de ce niveau avaient le statut d’instituteur (catégorie B de lafonction publique) et pouvaient prendre leur retraite à 55 ans (classés en « service actif »). De-puis 1990, ils entrent dans le corps de professeur des écoles (catégorie A), avec une revalori-sation des grilles salariales mais un âge d’ouverture des droits à la retraite à 60 ans (classés en« sédentaires »). Si beaucoup d’instituteurs en place ont opté pour ce nouveau statut, d’autresl’ont refusé pour pouvoir partir à 55 ans. Par contre, les nouvelles générations d’enseignants,recrutés avec un niveau de formation initiale plus élevé, sont professeurs des écoles.

Suite à la loi Fillon du 21 août 2003 portant sur la réforme des retraites15, le nombre d’annuitésnécessaires pour bénéficier d’une retraite à taux plein augmente progressivement dans la fonc-tion publique, donc aussi pour tous les enseignants, passant de 37,5 ans en 2003 à 40 ans en2008 et à 41 ans en 2012). Ceux qui voudront partir avant d’avoir validé le nombre de tri-

15 Ce texte a été rédigé avant que soient connues les propositions de 2010 sur ce sujet.

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mestres nécessaires subiront une décote. Malgré ces dispositifs, nombreux sont les ensei-gnants de primaire à partir à 55 ans ou avant ; nous essaierons d’en comprendre les raisons.

Des possibilités de faire valoir ses droits à la retraite après quinze ans d’activité restent ou-vertes aux fonctionnaires ayant élevé au moins trois enfants ; elles permettent des départs an-ticipés en retraite avant l’âge des droits au taux plein.

Cette recherche vise à appréhender :

- la manière dont les enseignants vivent leurs dernières années d’activité profession-nelle, leur rapport à la santé, aux évolutions du métier,

- les stratégies éventuelles qu’ils mettent en œuvre pour gérer leur activité profession-nelle en fin de carrière,

- la manière dont ils élaborent leur choix de départ à la retraite.

2. Méthodologie

Nous avons développé une approche systémique (Curie, 2000) visant à comprendre commentse jouent et évoluent les équilibrages entre les différentes sphères de vie : dans quelle mesureles difficultés que l’on peut ressentir dans la sphère professionnelle en fin de carrière vont-elles impacter la vie personnelle et modifier le mode de vie ?

Réfléchir à ces choix de fin de carrière suppose donc de s’intéresser à la pénibilité vécue parles salariés, c'est-à-dire à la perception et au vécu des conditions de travail, intégrant le pointde vue de l’évaluation subjective et personnelle de la situation. Nous verrons que les décisionsde poursuivre ou interrompre l’activité professionnelle relèvent souvent de conflits, de résolu-tion de tensions entre des arguments positifs, renvoyant à des satisfactions trouvées dans letravail, favorables à la poursuite de l’activité jusqu’à la retraite, et des arguments négatifs, re-latifs à des éléments de la situation mal vécus dans la sphère de travail comme dans la sphèrehors travail, qui penchent vers le retrait. Selon Curie (2002), « le conflit dont témoignent leurshésitations constitue la matrice de l’élaboration du projet de sortie professionnel » (p.24) ; età ce titre, doit être au cœur de l’analyse.

Nous avons donc procédé à des entretiens semi-directifs d’une heure et demie auprès de huitfemmes volontaires (Cf. tableau n°1), encore en activité ou jeunes retraitées, toutes quinqua-génaires (très peu d’hommes travaillent avec des tout petits).

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Sexe Age Age de départ(passé ou prévu)

Activité Etablis. Annuités pour partir àl’âge de départ indiqué

Statut

El F 57 57 Retraitée Zep Non – 58 ans Institutrice

S F 53 57 T plein Rural Non - 59 ans Prof. des écoles

E F 51 55 Mi-temps Rural Non – 60 ans Prof. des écoles

D F 54 57 T Partiel Zep Non - 59 ans Prof. des écoles

A F 57 57 Retraitée ville Oui Prof. des écoles

B F 50 53 T Partiel Rural Non - 58 ans Institutrice

M F 52 55 T. plein Rural ? Prof. des écoles

S F 55 50 Retraitée ville Non - 60 ans Institutrice

Tableau n°1 : Caractéristiques des enseignantes de maternelles rencontrées

Par nos questions ancrées dans le champ ergonomique, portant sur le travail et son évolution,sur le quotidien de l’activité, sur les modes opératoires mis en jeu dans le travail, sur les stra-tégies de gestion des classes et des élèves, sur les modes de vie, nous avons cherché à mettreen évidence quels sont les arguments parfois contradictoires qui poussent à rester dans le mé-tier et/ou à le quitter. Ces éléments ne concernent pas seulement ce qui se joue en relationavec le métier, mais intègrent également le rapport à sa santé, à la qualité du travail, à la re-connaissance professionnelle. Comprendre le travail suppose d’analyser les équilibres entreles différentes sphères de vie ; et nous verrons que plus les enseignants avancent en âge, plusles équilibrages sont remis en cause, nécessitent des ajustements.

Compte tenu du faible nombre de personnes rencontrées qui tient à la méthodologie em-ployée, nous avons adopté le parti pris de tester la validité écologique de nos résultats. Les ré-sultats de cette étude ont été discutés avec des enseignants interrogés sur la base de la rédac-tion du rapport, dans une phase de restitution ; puis également mis en débat avec des ensei-gnants n’ayant pas participé à l’étude et avec des enseignants syndicalistes.

3. La spécificité du travail en maternelle

3.1. Le fonctionnement des classes maternelles

Les classes maternelles accueillent des enfants de 3 à 6 ans dans un objectif de scolarisation, 4jours par semaine, 6 heures par jour.

L’utilité sociale et éducative de ces classes est importante. L’apport des maîtresses porte sur lamise en place des apprentissages scolaires de base (graphisme, numération, phonologie, etc.),l’éveil et l’accompagnement du développement des enfants, l’acquisition des apprentissagesdes règles comportementales de fonctionnement dans une classe pour créer les conditions desacquisitions ultérieures. Au travers de ce travail, elles participent au diagnostic précoce de dif-ficultés de certains élèves permettant des prises en charge rapides : enfant qui ne voit pas bien,qui n’entend pas bien, qui a des problèmes de langage, qui a une fatigue bizarre, qui a destroubles du comportement. A. : « Assistante sociale, conseillère familiale, en maternelle, onest tout ça ! C’est spécifique à la maternelle parce que les parents rentrent à l’école 4 fois parjour, ils rentrent dans les classes. Mais je pense qu’il ne faut surtout pas qu’on oublie qu’on

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est là pour appliquer des programmes ». Cela permet souvent la mise en place de prises encharges particulières, de repérer des maltraitances, des souffrances et d’en informer les pa-rents, les psychologues scolaires, les médecins scolaires, un travail souvent non reconnu par lahiérarchie.

Elles jouent un rôle essentiel dans le rapport aux familles : mettre les parents en confiancepour tout ce qui relève de la scolarité de leurs enfants, restaurer pour certains l’image positivede l’école pour que les élèves viennent à l’école sereins et puissent progresser correctement.

Tout cela passe par la mise en œuvre de compétences multiples, souvent acquises avec l’expé-rience, sur le tas, parfois avec l’aide des collègues, les enseignantes aujourd’hui quinquagé-naires n’ayant pas toujours bénéficié d’une formation initiale à l’activité d’enseignement.

De manière à les aider dans la prise en charge matérielle et d’hygiène des enfants, des aidesmaternelles sont parfois présentes à temps partiel dans les classes ; elles n’ont pas de missionpédagogique auprès des enfants.

Les enfants travaillent soit en grands groupes pour des activités collectives, soit par atelierspour des exercices plus scolaires visant à des acquisitions fines.

3.2. Des évolutions importantes touchant les maternelles

Deux types d’évolutions sont intervenus ces dernières années en maternelle: des changementsdans les programmes et modalités d’évaluation des élèves, des modifications au niveau del’évaluation des enseignants de ce niveau.

Concernant le contenu des programmes, il leur est demandé d’initier les élèves à beaucoupplus de disciplines que par le passé (introduction des sciences, de l’histoire en grande section,de la prévention routière par exemple). Des programmes sont imposés en particulier au niveaude l’écriture, de la pré-lecture, limitant l’autonomie des enseignants. Ont été également impo-sées des évaluations régulières de la progression des élèves, calquées sur l’élémentaire, quin’existaient pas dans ces niveaux par le passé.

Depuis quelques années, il n’y a plus d’inspecteurs spécifiques aux maternelles : les maîtressont évalués régulièrement par des inspecteurs de l’élémentaire. Nous verrons que ce change-ment est important dans la perception qu’ils ont de la reconnaissance de leurs compétences.

4. Des facteurs de pénibilité du travail

Les personnes rencontrées soulignent que le métier leur a paru fatigant dès le début de carrièreen raison des exigences de leurs activités auprès de tout jeunes enfants et de certaines condi-tions de travail.

Dans l’activité pratiquée sur le temps scolaire, on peut identifier plusieurs formes de pénibili-té. Certaines sont directement liées aux conditions de travail. Le nombre d’élèves par classeest jugé important : 27 à 30 jeunes enfants. Ils apprennent souvent sous forme de jeux, d’inter-actions, et sont encore peu à même de rester assis à une table pendant de longues périodes etde rester calmes. Il en résulte beaucoup de va-et-vient, un bruit très important pouvant dépas-

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ser 85dBA, le maintien d’une vigilance permanente augmentant la pénibilité mentale du mé-tier.

Fonctionnant beaucoup en ateliers, les déplacements dans la classe et les piétinements liés à lasupervision du travail des élèves sont permanents. La hauteur des plans de travail pour les en-fants est très basse car adaptée à la taille des élèves, contraignant les maîtresses à l’adoptionde postures pénibles. Les douleurs dorsales et la fatigue physique qui en résulte sont égale-ment liées à la manipulation de matériels pour la psychomotricité, pour les exercices de gym-nastique ; d’autant que les enseignantes doivent souvent montrer aux élèves ce qu’ils doiventfaire, donc s’engager elles-mêmes dans la pratique des exercices. Elles sont souvent amenéesà porter les enfants pour les consoler ou les conduire à certaines activités, le maternage et ladimension affective étant importantes dans ces niveaux scolaires.

Les locaux sont un facteur aggravant de la fatigue mentale des enseignantes. Ils sont souventsurchauffés, manquent d’humidité (Messing, Seifert & Escalona, 1997), situation peu favo-rable à la concentration intellectuelle. Privilégiant l’hygiène et la propreté, ils sont fréquem-ment carrelés, ce qui fait que tous les bruits sont amplifiés. Ce problème est évoqué par toutesles enseignantes comme générant une fatigue supplémentaire : « C’est épuisant le bruit ! Entant qu’enseignants, on doit avoir un système nerveux particulier, j’imagine ».

La pénibilité du travail est aussi liée à ce que demande le métier, qui est très consommateur"d’énergie vitale", d’attention, de ressources physiques et cognitives. Enseigner, quel que soitle niveau, nécessite un investissement dans l’activité extrêmement fort que rapportent toutesles enseignantes : déployer sans cesse de l’énergie pour capter l’attention des enfants, mettreen œuvre les objectifs pédagogiques, suivre la progression de chacun, une activité multifonc-tionnelle cherchant à tenir plusieurs objectifs simultanément. Il leur faut être très présentesphysiquement, disponibles, partager leur attention sur le groupe comme sur chacun car les dé-rapages sont faciles chez des enfants tout petits en cours de socialisation. Etre tout le temps enreprésentation, à forcer le trait, la voix, à théâtraliser son activité pour les "séduire", leur don-ner envie d’apprendre, maintenir un niveau de stimulation des élèves. SM. : « Je comparesouvent mon métier à celui d’un "acteur" parce qu’on est beaucoup dans la représentation,on est beaucoup dans le "dire", on est beaucoup dans le "faire", on est actrice. C'est très fati-gant d’être acteur. Je pense qu'au bout de deux heures de théâtre, les artistes sont complète-ment KO ; et nous, c'est six heures ! ». Donner aux enfants l’envie d’apprendre, de découvrir,l’envie de grandir, nécessite un investissement de toute la personne. Cela suppose, pour re-prendre les propos d’enseignantes un « jaillissement de tout son être » qui a un coût très im-portant : « C’est un travail qui puise dans notre énergie vitale ». 6 des 8 enseignantes ont uti-lisé ce terme et à plusieurs reprises au cours de l’entretien. B. : « Je dépense beaucoup beau-coup d’énergie dans mon travail. Alors quand j’arrive à la maison, je suis ra-plat-plat ! Lesenfants sont des consommateurs d’énergie ! Il y a toute une énergie qui est sortie de nous-mêmes, il y a pas à dire, et on a besoin de se ressourcer ».

C’est un travail qui permet difficilement de souffler au cours de la journée, avec très peud’espaces de respiration, où les possibilités de retrait sont pratiquement inexistantes. Les ré-créations sont des moments de surveillance ou de préparation ; même leur temps de repas estsouvent confisqué par le travail.

Face à de telles situations, et plus largement face aux contraintes du métier, plusieurs ensei-gnantes (5/8) ont évoqué la solitude dans l’exercice du métier. Bien que s’inscrivant dans uneécole - donc dans un lieu où se trouvent également des collègues, un directeur d’école, oùs’élabore un projet d’établissement, où existent des liens formels avec les aides maternelles -

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elles parlent de solitude dans l’exercice des responsabilités, dans la gestion de la classe, dansla résolution des difficultés. Solitude dans le métier parfois en référence à des manœuvres de« salissage » (Guberman & Côté, 2005) de la part de parents, plus rarement de collègues, vi-sant à les discréditer, à modifier leur pédagogie, plus grave à leur faire quitter l’école, voire lemétier (5/8 enseignantes nous en ont parlé, 4 ont été directement concernées par ce problème).B : « On est parfois abîmés par des familles, des choses qui sont tellement douloureuses queça rejaillit d'années en années … D'années en années, on encaisse des choses ». L’expériencene met pas à l’abri les seniors ; tout le monde peut être concerné et il n’y a pas vraiment de sa-voir-faire spécifique pour gérer ce genre de situation. Face à ce problème, des appuis sont par-fois trouvés dans l’école auprès de collègues, plus rarement au niveau des inspecteurs selonles dires des enseignantes. Cela a par contre des conséquences sur le rapport au métier, sur lasouffrance psychique - pouvant parfois conduire à des suicides - et constitue sans nul doute unfacteur qui entre dans la réflexion sur les fins de carrière.

Mais l’activité d’une enseignante de maternelle ne se limite pas au rapport de face à face avecles élèves. Maintenir l’attention des élèves requiert de la préparation, comme le soulignentMessing et coll. (1997, op.cit.) ; et celle-ci est très importante dans ces niveaux scolaires, liéeà la difficulté de concentration des enfants sur une même activité pendant un temps long, et àla gestion de la classe par ateliers multipliant les activités proposées. « En maternelle, ce quiest très très dur, ce qui est long à faire, c’est la préparation. Une leçon pas préparée, elle estplus difficile à mener », explique une enseignante. Avec aussi tout un travail en aval, de cor-rection, de collage dans les cahiers une fois que les exercices ont été réalisés, et du temps pourévaluer les expériences pédagogiques, préparer les bulletins trimestriels, rédiger le cahier deliaison dans lequel elles inscrivent le programme de la journée, acheter du matériel pourl’école.

De nombreuses réunions se rajoutent à l’activité d’enseignement, empiétant sur le temps per-sonnel des enseignantes : élaboration du projet d’école, réunions avec les représentants desparents d’élèves de l’école, rencontres avec les parents, soit collectivement soit individuelle-ment, coordination avec des acteurs externes à l’école prenant en charge les enfants.

Il en résulte une charge de travail lourde durant le temps scolaire et débordant largement dansla sphère privée, s’accompagnant d’un sentiment de ne jamais « sortir de ce métier » : « on ypense tout le temps, même le week-end, en vacances », nous disent les enseignantes interro-gées. Même avec l’expérience, la sphère personnelle reste souvent une variable d’ajustementleur permettant de tenir les objectifs et les exigences du métier, de gérer la charge de travaildans ses différentes dimensions ; ce qui n’est pas sans poser de problème du point de vue del’articulation avec la sphère privée.

Un travail exigeant, difficile, multifonctionnel, qui est souvent ressenti comme non reconnupar l’institution et par la société. Cette invisibilité des pénibilités du travail et de la difficultédu métier fait mal et sera très présente dans l’évaluation des difficultés et des tensions qui sejoueront en fin de carrière.

5. Des astreintes physiques et mentales qui s’accroissent avec l’age

Avec l’âge, le coût de l’activité de travail, dans un contexte professionnel difficile, s’accentue.Cela est perceptible à plusieurs niveaux.

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5.1. Augmentation de la fatigue physique et des problèmes de santé

Le terme « d’épuisement » est souvent préféré à celui de « fatigue » en fin de carrière, pour enmarquer l’intensité. E. : « Le travail par atelier, c’est très intéressant mais quand on a passé lacinquantaine, on commence à avoir des problèmes de santé. Des problèmes de santé dus à lastation debout pénible. On est debout toute la journée. Mais quand je dis debout, on courtd’une table à l’autre, on est tout le temps debout. Même aux récréations : on s’assoit sur lamurette là, mais il se passe toujours quelque chose, on est tout le temps à courir dans tous lessens ! Au bout de la journée … Moi, c’est surtout la fatigue physique, quoi ! Des choses trèsconcrètes : des problèmes de varices, des problèmes gynécologiques, bon ben d’être toujoursdebout, c’est pas sain. Alors je me dis …comment je vais tenir ? En plus, je suis une très mau-vaise malade. Je ne peux pas prendre d’arrêt maladie ; donc j’ai bien vu que j’arriverai pas àtenir jusqu’à la retraite à plein temps. C’est trop fatigant. » (elle travaille depuis 3 ans à mi-temps).

Il s’agit ici d’un épuisement plutôt physique, qui n’a rien à voir avec l’épuisement au sens deburnout que l’on retrouve plutôt dans les niveaux secondaires (Burke, Greenglass & Schwar-zer., 1996). La motivation à exercer ce métier est très vivace et le plaisir de travailler avec lesenfants, de les voir évoluer rapidement, reste souvent intact jusqu’à la retraite.

L’activité debout constamment devient cependant de plus en plus pénible avec l’avancée enâge. 7 des 8 enseignantes se plaignent de douleurs aux jambes, de problèmes de circulation,de problèmes gynécologiques, voire de descente d’organes. Cela est lié à la station debout enpermanence, à des déplacements fréquents et des piétinements et de trop rares occasions depouvoir s’asseoir. Toutes les enseignantes rapportent des problèmes de dos, sources de dou-leurs difficilement supportables en fin de journée, qui justifient souvent en fin de carrière desprises en charge médicales et paramédicales et la prise quotidienne d’antalgique. Ces pro-blèmes de santé sont connus, mais pas reconnus comme maladies professionnelles : « les ma-ladies auxquelles elles s’exposent ont une étiologie multiple, ce qui rend difficile la preuve dulien causal entre le travail et la maladie. » (Guberman & Côté, 2005, op.cit., p.1). Un pro-blème de santé que les enseignantes doivent gérer individuellement, de manière transparentevis-à-vis de l’institution, renforçant leur sentiment d’isolement.

Ces difficultés ne peuvent s’accompagner d’une prise de distance dans l’activité, du fait desexigences du métier. Elles ne peuvent pas non plus justifier des stratégies d’évitement ou deretrait, face à des élèves jeunes en attente de l’adulte et dépendant de son fonctionnement etinvestissement dans le travail. M. : « Quand vous êtes fatiguée, avec les grands c’est plus fa-cile. Vous leur dites, il n’y a pas de souci, les enfants, ils sont nickel ! Allez dire ça à des en-fants de 3 ans ! C’est mortel ! C’est très très dur la maternelle, c’est épuisant ! C’est épuisantphysiquement ! Ce n’est pas du tout le même métier qu’en élémentaire. La maternelle est unmétier à part, il n’y a pas à tortiller ».

Cela participe à une usure du corps ressentie de manière générale et que les enseignantes ren-contrées vivent d’autant plus difficilement qu’elles essaient au quotidien de prendre soin deleur corps : toutes ont pratiqué régulièrement le sport dans leur vie et ont le souci d’entretenirleur santé physique.

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5.2. Des difficultés dans la réalisation de certaines activités physiques

L’enseignement en maternelle requiert une activité physique très importante. La pénibilitéphysique du travail est à mettre en rapport avec l’investissement physique quotidien que lesmaîtresses mettent dans leur travail, lié au fait de devoir montrer aux enfants, de manipuler dumatériel, de participer aux activités, aux exercices. Beaucoup d’acquisitions des tout petitspassent en effet par le corps, le jeu, la danse, la gymnastique, la psychomotricité. La séance degymnastique est très révélatrice des difficultés rencontrées. Toutes les enseignantes interro-gées ont reconnu que si au début de leur carrière, elles participaient aux exercices pour mon-trer comment faire, ce n’est plus le cas les dernières années. En général, ces difficultés sontmises en relation avec une souplesse moindre, des douleurs articulaires ou musculaires en par-ticulier au niveau du dos, parfois à une prise de poids.

5.3. Une tension nerveuse croissante, liée la pratique du métier

Toutes les enseignantes ont évoqué une tension nerveuse accrue avec l’avancée en âge quel’expérience professionnelle ne semble pas parvenir à réduire. B. : « La patience évolue beau-coup avec l’avancée en âge ! Oh oui, c’est clair ! Je crois qu’on n’y échappe pas ! ». D. : « Etlà, ce qui m’arrive là maintenant, c’est … c’est cette violence qui sort, qui sort (…) Et je mesuis dit : c’est pas possible, je ne peux pas continuer comme ça ! Tu ne vas pas bien, c’est bonlà, il faut que je m’arrête ». Ce que confirme le Dr Papart (2003) auprès d’enseignantssuisses : « La dépressivité augmente avec l’âge de manière significative » (p.31). Elémentsque l’on retrouve également dans les travaux de Messing et Chatigny. (2004, p.) auprèsd’enseignantes de primaires québécoises : « Les enseignants sont parmi les groupes profes-sionnels ayant le plus haut taux de troubles mentaux pour la catégorie d’âge des 45-64 ans »,alors même que ces problèmes sont souvent difficiles à faire reconnaître à titre de lésions pro-fessionnelles (Lippel, 1999).

Tensions, stress que les enseignantes ressentent à la fois au travail, mais aussi dans les autressphères de vie, dans la relation avec la famille, ou dans le rapport au sommeil, et parfois àl’origine d’inquiétude quant à leurs capacités à continuer à exercer ce métier, justifiant desconsultations médicales spécialisées ou la prise de médicaments, et qui peuvent intervenircomme arguments pour sortir précocement de l’activité de travail.

5.4. Des stratégies d’aménagement au quotidien

L’activité d’enseignement en maternelle ne permet pas de mettre en place des stratégies d’évi-tement vis-à-vis des situations jugées pénibles ou difficiles, en dehors du fait d’opter pour letravail à temps partiel.

Par contre, l’expérience permet de construire des stratégies de préservation pour gérer partiel-lement la pénibilité du travail. Par exemple, toutes les enseignantes rencontrées racontent lamise en place de stratégies ponctuelles d’installation de chaises leur permettant de s’asseoirde temps en temps, mais qui ne résolvent pas le problème : B (50 ans) : « Moi, maintenant,j’ai ma chaise, j’ai une chaise à un bout, une chaise à l’autre, déjà pour me mettre à leurhauteur, mais aussi parce qu’autrement je serais crevée d’être debout ou penchée,… le dos.Donc je m’arrange pour me placer à des endroits de la classe où je vais changer par moment

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pour tourner un petit peu ; je me ménage ainsi. J’arrive à prendre des pauses. Mais c’est vraiqu’on a de plus en plus besoin de ça ».

Elles évoquent aussi des stratégies pour gérer le bruit dans la classe, bruit générateur d’une fa-tigue mentale importante et auquel elles deviennent de plus en plus sensibles avec le temps.« Je pense qu’avec l’âge on supporte de moins en moins bien le bruit », nous dira une ensei-gnante. Elles construisent toutes leurs propres stratégies pour le contenir, l’organiser, le mode-ler, le moduler. Par exemple, elles introduisent des moments de contes pour diminuer le ni-veau sonore, elles alternent des activités bruyantes et des moments plus calmes. S : « Ma fa-tigue est beaucoup liée au bruit. Le bruit me fatigue je pense. Le fait de grouiller, le fait queça grouille quoi, ça grouille. Donc j'essaye de trouver beaucoup de petits trucs pour que lesenfants fassent le moins de bruit possible,... Mais en contrepartie, les moments où ils fontmoins de bruit, c'est vrai que c'est grâce à mon énergie déployée, dépensée,... Quand je ra-conte une histoire, c'est vrai qu'ils ne font pas de bruit, mais c'est fatigant de raconter unehistoire ».

En fin de carrière, certaines enseignantes ont opté pour le groupe des tout petits (2 à 3 ans) carl’après-midi, les moments de sieste sont des moments de récupération pour elles. Ces straté-gies efficaces, acquises au fil du temps traduisent la problématique d’équilibre, mais les com-promis s’avèrent plus compliqués à réaliser avec l’âge.

5.5. La ménopause : un facteur aggravant la fatigue liée à l’exercice du métier

Cette fatigue globale plus accentuée en fin de carrière est mise en relation par les enseignantesrencontrées avec les transformations liées à la ménopause (6/8). Les symptômes associés sontnombreux : épuisement, immense fatigue, perturbations importantes du sommeil, bouffées dechaleur difficilement gérables dans le cours de l’activité, migraines, sautes d’humeur, irritabi-lité, états dépressifs. La référence à la ménopause éclaire leur sentiment d’impuissance à luttercontre cette fatigue et à prendre le dessus malgré leurs savoir-faire et leur expérience. D (53ans) : « J’ai été ménopausée à 47 ans. Du coup, à partir de là, … la fatigue, une grande fa-tigue ! Et le sentiment justement de ne plus … Parce que j’arrivais à plein de choses, avant,effectivement. Je cumulais les activités, les trucs, j’arrivais à bosser tard le soir, à aller à desréunions, à faire plein de choses. Et à partir de là, physiquement, je pense que physiquement,je ne comprenais pas … En fait, c’est ça ; c’est une fatigue. Des fois je me dis « la maternelle,c’est plus pour moi ! » (…) Avant je me disais, « Je suis trop paresseuse, quoi, et il faut quetu te boustes. Tu ne peux pas » J’en rajoutais. « Allez, allez … ». »

Elles s’accommodent mal de cette fatigue qui s’immisce lentement et se fait de plus en plusprésente et pénalisante dans leur activité de travail : « on a de plus en plus de mal à tenir unejournée entière ». Mais surtout, se dégage un sentiment de culpabilité renforçant leur mal-êtreen fin de carrière. Celui-ci se traduit dans un premier temps par un déni d’une fatigue contrelaquelle il est difficile de lutter, puis au terme de plusieurs mois, voire d’années, d’efforts in-fructueux, qui se transforme en une évidence avec laquelle il faut apprendre à vivre, avec la-quelle il faut composer … après l’avoir acceptée. SM (52 ans) : « J'arrive pas à comprendrepourquoi je suis aussi fatiguée. Parce que je me dis, normalement, l'expérience devrait équili-brer. D'ailleurs jusqu'à un certain âge, ça équilibrait. C'est-à-dire que jusqu'à il y a à peuprès trois ans, mon expérience me permettait d'enlever de la fatigue. Et l'âge a apporté de lafatigue. Donc en gros, ça équilibrait ; et là, non. Moi je le mets sur le compte de l'âge, c'est-à-dire que l'on est plus fatigué, on est plus fatigable parce que l'on est plus âgé ».

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Un surcroît d’énergie est nécessaire pour tenter de compenser ce que l’on n’arrive plus à maî-triser, des efforts qui vont encore accroître la fatigue déjà installée. Mais il génère aussi unsentiment d’être aux limites de ce que l’on peut faire, de ce que l’on peut donner et accepterde donner de soi sans renoncement à sa propre santé. SM : « Le stress actuellement, la fatigueque j’ai, je les gère encore, je les gère encore pas trop mal. Mais, normalement, j’ai calculéqu’il me reste 3 ans. Il me reste cette année à finir, plus trois ans, je prends ma retraite en juin2010. Or je suis inquiète parce que je me dis : si je suis comme maintenant, est-ce que je vaistenir trois ans ? Parce que c'est dur, parce que c’est lourd. Pour l'instant j'y arrive, je n'ai paspris de jours de congé, je n'ai pas manqué une journée, ni l'année dernière. Et puis, je me disque si c’est pire, parce que j’aurai quand même un an de plus, … Je vois bien que chaque an-née, quand même, j’ai un petit truc en plus ! C’est comme un escalier à monter … j’ai encoreune marche à gravir au niveau fatigue. Je me dis :Je n’y arriverai jamais, quoi ! »

Malgré la construction d’expérience, de stratégies pour gérer la classe et l’activité d’enseigne-ment, la fatigue s’accentue au fil des années pour se transformer en « épuisement ». Le pro-blème qui se joue en fin de carrière est donc moins le fait « de se sentir capable », du point devue des compétences, de travailler jusqu’à la retraite que de se créer les conditions pour « te-nir les exigences de ce métier jusqu’à la retraite », de trouver en soi l’énergie et les ressourcesque demande l’activité et le travail avec les enfants. « Après 50 ans, on perd de cette espècede jaillissement, on perd du jaillissement. C’est plus le même jaillissement », expliquera uneenseignante en toute fin de carrière. D’où parfois des inquiétudes qui apparaissent concernantl’avenir professionnel, la fin de la carrière et les conditions de départ à la retraite.

5.6. Un besoin de récupération plus important avec l’âge

Les difficultés croissantes de récupération au terme d’une journée de travail, d’une semaine,d’un trimestre, entraînent chez les personnes rencontrées un besoin plus marqué de cloisonnerla vie de travail et la vie personnelle. Cela passe à la fois par un refus plus net d’accepter detravailler à la maison tard le soir ou les week-ends, afin de dégager du temps pour soi, pourrécupérer, et par une prise de distance vis-à-vis de certaines exigences de travail, comme stra-tégie de préservation de soi et condition pour « tenir jusqu’à la retraite ». Ce que l’on pourraitassocier à une forme d’intolérance progressive avec l’âge quant à l’intrusion de la vie de tra-vail dans la sphère privée.

Il est aussi possible que ce besoin de cloisonnement plus marqué en fin de carrière soit lié aucoût de l’activité de conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale (Messing &Chatigny, 2004, op.cit.), à l’exercice de responsabilités familiales et de gestion quotidienne dela maison qu’elles assument largement (Ponthieux & Schreiber, 2006) qui constituent un as-pect invisible du travail des femmes. Pour reprendre les propos de Messing et Östlin, (2006,pp.2 6-27), « on ne peut pas comprendre la santé des femmes reliée au travail sans ajouterd’autres cadres de travail liés aux rôles des hommes et des femmes et au travail des femmesdans le milieu familial ». Cet écartèlement entre travail et famille, ce cumul d’activités impo-sant des compromis toujours insatisfaisants si l’on se réfère aux propos des enseignantes, acertainement laissé des traces participant à un phénomène d’usure prématurée et à un besoinde plus en plus profond de se réapproprier le temps : « du temps pour soi » dont elles ont deplus en plus besoin.

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5.7. Pour autant, … peu d’arrêts maladie

Les arrêts de travail sont rares chez les enseignantes interrogées. En voici deux témoignages :E : « Je suis une très mauvaise malade. Je ne peux pas prendre d’arrêt maladie ; donc j’ai bienvu que j’arriverai pas à tenir jusqu’à la retraite à plein temps. C’est trop fatigant » ; SM : « Cam'est arrivé d'être malade, d’avoir un lumbago, et de dire «je vais faire garderie aujourd'hui »,c'est plus crevant ! Quand on ne fait rien et qu'on les laisse faire ce qu'ils veulent, surtout chezles petits, c'est pire, c'est atroce ! Une classe de petits qui jouent toute la journée ...la classe,on met trois heures pour la ranger le soir parce qu’il y en a de partout, les enfants qui sont li-vrés à eux-mêmes à cet âge-là, c'est atroce ».

Elles soulignent le fait de ne pas s’arrêter quand on a mal, ne pas s’arrêter quand la pressionest trop forte, par conscience professionnelle, pour ne pas désorganiser les autres classes, pourne pas mettre en difficulté les parents qui auraient à garder les enfants, parce qu’elles ont lesentiment qu’elles peuvent encore tenir, même si c’est dur. « Le dévouement aux enfants (…)est central dans le discours de la majorité des répondantes et les pousse souvent à persisteren emploi en dépassant parfois leurs limites. Quelque part, déclarer une maladie au travaildevient synonyme d’une trahison des élèves.(…) S’absenter est une stratégie de dernier re-cours. » (Guberman & Côté, 2005, op.cit., p.9). Ce présentéisme coûte que coûte, pour assu-rer un service, même en fin de carrière, contribue à accentuer les difficultés dans la classe et àrenforcer certainement les difficultés des fins de carrière.

Donc une problématique de santé est bien présente en fin de carrière, mais les maîtressestentent de la vivre dans le travail, en recherchant des compromis et des stratégies de moins enmoins satisfaisants avec l’avancée en âge.

5.8. Des régulations qui s’imposent dans le travail, mais aussi dans d’autres sphères de vie

Des stratégies de préservation pour tenir les exigences du travail sont aussi recherchées horstravail. En référence à l’approche systémique de l’homme au travail, nous savons que l’activi-té professionnelle est largement déterminée par le contrôle plus global que le salarié tente detenir sur son modèle de vie, dans les équilibrages recherchés entre les différentes sphères devie. « Toute activité consommant des ressources (temporelles et énergétiques) qui sont limi-tées, toute modification apportée à l’allocation de ressources à une catégorie d’activités mo-difie les ressources qui peuvent être accordées à d’autres activités. Les résultats d’une activitéconstituent les inputs d’un ou plusieurs autres sous-systèmes », explique Curie (2002, op.cit.,p.).

Ainsi, pour tenter de limiter la fatigue ou l’endiguer, des tentatives de régulation sont parfoismises en place aussi du côté de la sphère privée, et ce tout particulièrement en fin de carrière.Celles qui nous ont été relatées sont de deux types : d’une part la pratique d’activités sportivesvisant à travailler les énergies, d’autre part l’aménagement des conditions de vie afin de limi-ter les tâches fatigantes, éviter le cumul de la fatigue liée au travail et celle liée à l’entretien dela maison, créer un espace temps plus important pour récupérer de l’activité de travail. 5 en-seignantes sur 8 ont opté pour une femme de ménage en fin de carrière pour cette raison, 2 ontdemandé récemment à leur conjoint de s’impliquer davantage dans la gestion de la vie quoti-dienne (courses, entretien de la maison), 2 ont renoncé à leur participation à des associations.

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Ces régulations peuvent cependant trouver aussi leurs limites : S. : « Je suis inquiète. Je nepeux pas améliorer ma vie de tous les jours : je suis au maximum de tout ce que je peux fairepour ne pas être fatiguée, j’ai mis en place tout ce que je pouvais faire». C’est là ques’amorcent les réflexions sur les possibilités de départ.

6. Des évolutions liées à l’âge dans la relation d’enseignement

L’avancée en âge est aussi un enjeu au travers des relations qui se jouent entre l’enseignant etl’élève, l’élève et l’enseignant, et entre les parents et l’enseignant.

6.1. Des objectifs d’enseignement qui évoluent avec l’âge

6 enseignantes sur 8 ont évoqué un changement profond dans leur manière de considérer leuractivité d’enseignante au cours de leur carrière. En début de carrière, leurs préoccupationsportaient beaucoup sur les apprentissages, l’élève étant considéré comme un être à qui il fal-lait transmettre des connaissances. Avec l’expérience, elles ont évolué vers une appréhensionplus large de l’enfant. A. : « Je considère davantage l’enfant comme une personne, avec sesenvies, ses désirs, ses préoccupations » ; D. : « Prendre les enfants pour des personnes, pourdes humains entiers, non pas comme des cerveaux à remplir ».

Ce changement de point de vue les conduit à considérer plus globalement l’enfant, impliquédans de nombreuses sphères de vie pouvant interagir avec les apprentissages. Ce changementde regard les amène à avoir un positionnement non plus simplement d’enseignantes, mais depsychologues à l’écoute de ce qui se passe autour de l’enfant, en particulier dans ses rapportsavec la famille, pour créer des conditions favorables d’apprentissage, et tenter de comprendreses difficultés d’acquisition ou de comportement et y remédier. Sur ce point, ces femmes enfin de carrière ont acquis des savoir-faire, des savoir-écouter, des savoir-être extrêmement im-portants. Cette écoute peut être facilitée ou au contraire restreinte du fait de l’écart de généra-tion entre les parents et les enseignantes en fin de carrière. Certains parents viennent chercherl’expérience de l’enseignante pour trouver des repères dans l’éducation des enfants ; d’autresestimeront qu’elles ne comprendront pas leur problématique de jeunes parents.

6.2. Un positionnement d’adulte différent

7 enseignantes sur 8 ont évoqué le fait que travailler au-delà de 50 ans avec des jeunes en-fants, c’est œuvrer en tant qu’adulte plus proche de leurs grands-parents. « Si les petits en dé-but de carrière avaient tendance à nous appeler "maman", c’est le terme de "mamie" qui étaitutilisé en fin de carrière » nous dira l’une d’elles.

De telles remarques accentuent la perception du vieillissement ressentie, vécue par les ensei-gnants, en dépit de l’énergie déployée pour maintenir leur dynamisme dans la relationd’enseignement. Et c’est certainement sur ce point que l’on sent une grande fragilité des en-seignantes : tout en étant capables d’assumer leur travail, bien qu’à un coût plus important,elles pointent le fait qu’elles développent une image non plus d’adulte parent, mais d’adultegrand-parent, qui entre en opposition avec la notion de référent, de modèle de l’adulte sur le-quel elles avaient construit leur représentation de leur positionnement d’enseignante. Et cechangement de positionnement social, est pour certains enseignants un argument pour justifier

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la nécessité de partir à la retraite. SC. (retraitée à 58 ans) : « Les enfants me le disaient et çaleur donnait une inquiétude. Un enfant dans la classe n’a pas besoin d’une grand-mère. Et çaje trouve que c’est très mauvais car à ce moment là, il a une grand-mère, une image de fai-blesse, une image affective. Or il faut que ce soit un "guide, un guide". (…) Il faut savoir lâ-cher. Autour de 55 ans, de 56 ans, de 57 ans, il est grand temps de s’en aller. Non pas pourdes raisons d’argent, non pas pour des raisons de dégoût, mais c’est un respect aux enfants.Par respect pour les enfants ; par respect. Les enfants ont besoin de parents jeunes et demaîtres jeunes ».

6.3. Le regard des parents qui change sur l’adulte enseignant

Les enseignantes rencontrées ont le sentiment que pour la majorité des parents, l’âge est ungage d’expérience, de savoir-faire, donc un facteur de réassurance. Cependant pour d’autres,c’est la crainte d’un moindre dynamisme, c’est l’image du vieillissement qui peut les inquié-ter. Le secteur de l’enseignement semble de ce point de vue un secteur professionnel où sepose de manière aigue les rapports entre générations.

7. Un rapport critique aux évolutions qui touchent le métier

Les enseignantes rencontrées insistent sur deux changements importants qui ont touché lesmaternelles, et qu’elles ressentent comme fragilisant : le mode d’inspection et l’introductiondes évaluations des connaissances des élèves.

Les inspecteurs spécifiques aux maternelles ont aujourd’hui disparu, remplacés par les inspec-teurs d’élémentaire. Les enseignantes ont l’impression qu’ils projettent sur les classes de ma-ternelle les exigences de fonctionnement des classes élémentaires : la tenue de cahiers, desproductions écrites ou graphiques des enfants. Or beaucoup d’apprentissages en maternellepassent par le jeu, la psychomotricité, la gymnastique, par le corps. Ces stratégies d’apprentis-sage efficaces ne sont cependant pas toujours reconnues comme des compétences par la hié-rarchie, voire incomprises et parfois sanctionnées. Ss : « Quand on a des enfants de toute pe-tite section, on ne peut pas fournir un cahier avec le résultat des enfants, on ne leur fait paspasser de tests ou des choses comme ça. N’ayant rien de concret sur lequel juger les per-sonnes, hormis les dessins qui étaient sur les murs … effectivement il n’y avait rien deconcret, parce que les enfants de maternelle acquièrent tout plein de choses en faisant de ladanse ; ça ne peut pas se quantifier, ça ne peut pas laisser de traces. Et à partir de ce momentlà, ils étaient eux perdus ; et comme ils étaient perdus et qu’ils ne voulaient pas perdre leursuperbe, et bien c’était dramatique parce qu’ils pensaient qu’on ne faisait rien ».

D’où les expériences rapportées par les enseignantes (7/8) d’inspections qui se passent mal,surtout en fin de carrière, de rapports d’inspection sévères, vécus parfois très douloureuse-ment et qui viennent alimenter un sentiment de non reconnaissance, voire de mépris de leurscompétences et savoir-faire, fragilisant leur rapport à l’activité de travail (Cau-Bareille, 2008).

Les évaluations des élèves ont été récemment introduites en maternelle avec une double fina-lité : évaluer au niveau national les connaissances des enfants, outil de comparaison entre lesdifférentes classes, voire écoles ; et constituer un outil de repérage de difficultés des enfants,donc un support à des actions de remédiation. Les maîtresses rencontrées s’interrogent sur lapertinence et les modalités de ces évaluations dans ce niveau scolaire, compte tenu de la rapi-

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dité de développement des enfants à cet âge, de la diversité des modalités d’apprentissage desfondamentaux (par le jeu, la mobilisation corporelle, l’oralité, le dessin …) et de l’anxiété queles résultats peuvent générer chez les parents. De plus, leur passation est longue et constituepour elles une perte de temps dans un contexte plus général de difficultés à traiter dans untemps plus court un nombre de disciplines plus important. Elles craignent aussi que cela de-vienne un instrument de contrôle de leur propre activité. D’où les résistances qu’elles ex-priment face à leur mise en œuvre, même si cela peut nuire à leur progression de carrière.

A travers les entretiens, les fins de carrière des enseignantes de maternelle apparaissent sou-vent entachées d’amertume et de difficultés à faire valoir leurs façons d’enseigner face à uneinstitution dans laquelle elles ne se reconnaissent plus autant qu’avant. Au lieu d’y trouver unsoutien, elles en soulignent les astreintes et frustrations, sentiments qui font partie des argu-ments pour envisager des départs précoces.

8. Différentes stratégies en fin de carrière

Les départs précoces ne sont pas les seules issues de fin de carrière. Avant d’en arriver à cetteextrémité, des aménagements sont souvent expérimentés.

8.1. Un choix de niveaux de classes qui n’est pas anodin

En maternelle, il y a 3 niveaux de classes : petits, moyens et grands. En fin de carrière, cer-taines enseignantes ont choisi de travailler en grande section, le travail de structuration desenfants étant déjà bien amorcé, leur autonomie plus importante et les contraintes de hauteurdes plans de travail moindres. L’âge, souvent lié à l’ancienneté dans l’école, est alors un argu-ment socialement admis dans la négociation de l’attribution des classes.

8.2. Choix de devenir « titulaires volants », tournant sur plusieurs établissements

Les enseignants qui ont choisi cette option sont peu nombreux : nous n’en avons pas rencon-tré dans notre étude, mais les personnes rencontrées ont des collègues dans cette situation. Se-lon les personnes interrogées, cette stratégie viserait à l’allègement de la charge de travail, carne faisant partie d’une école qu’un jour par semaine, les rencontres avec les parents sont trèsrares, la participation au projet d’école est très réduite. C’est aussi une façon de se détacher duhuis clos de la classe et des tensions liées à la gestion quotidienne d’enfants difficiles, de cli-mat d’écoles difficiles, de prendre de la distance.

8.3. Travail à temps partiel « pour survivre en fin de carrière et pour garder l’envie d’enseigner »

Le passage à temps partiel est considéré par plusieurs enseignantes comme pouvant contribuerà un allègement de la charge de travail, permettant de mieux gérer la fatigue liée à l’exercicedu métier en fin de carrière et de créer les conditions pour tenir en santé, pour « retrouver leplaisir à travailler auprès des élèves ». Il s’agit là d’une stratégie de préservation individuellevisant à éviter les ruptures, à les anticiper. E. (mi-temps) : « Je me suis mise à mi-temps parceque j’étais épuisée ! Je me voyais dans une impasse, là, de continuer de cette façon là, de

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s’investir autant. Le fait d’avoir mon mi-temps me permet de retrouver le plaisir de ce travaillà. C’est extraordinaire d’être content de partir à son travail ! (…) Depuis que je travaille àmi-temps, ça va beaucoup mieux. Je n’ai plus de soucis de santé. Alors que quand on estépuisé, le plaisir il n’est plus là ! J’avais l’impression que j’en faisais mal mon métier telle-ment j’étais fatiguée, que je n’étais plus à leur écoute, parce que j’étais complètement écrou-lée, quoi ! Bien sûr, c’est un choix financier, mais là, ça a complètement changé ma vie. Jefais ce que j’aime faire, mais dans de bonnes conditions, ce qui n’était pas forcément le casavant ».

Le travail à temps partiel est souvent considéré comme un compromis acceptable pour vivreles dernières années d’un métier qu’elles estiment être « un des plus beaux métiers dumonde ». Cependant, les enseignantes, si elles envisagent parfois cette alternative, hésitent àla choisir pour préserver la qualité du travail, par souci des élèves : certaines estiment quedeux mi-temps sur une classe peuvent poser problème à des enfants en quête de repères. Pourle moins, elles souhaitent une certaine souplesse d’organisation de ces temps partiels : avoir lechoix entre un temps partiel hebdomadaire ou un temps partiel annualisé.

8.4. La deuxième carrière, une possibilité rarement utilisée

La plupart des enseignantes rencontrées ont rarement envie de changer de métier, de changerde niveau de classe, malgré leurs difficultés. La satisfaction à travailler avec les jeunes en-fants, qui coïncide avec leur choix d’exercer ce métier, reste entière. Elles sont conscientesd’avoir construit des compétences et des stratégies de préservation en maternelle quin’auraient plus nécessairement sens en élémentaire ; changer leur imposerait de repartir versde nouveaux apprentissages (programmes, rapport aux élèves) qu’elles jugent coûteux en finde carrière. Leur proposer alors de changer de métier, ne serait-ce qu’en passant en élémen-taire, aboutirait rarement à des réponses positives ; le passage vers d’autres métiers de la fonc-tion publique parait encore plus improbable du fait du peu de qualification de cette générationd’enseignantes (niveau BAC + CAP d’enseignante) et de la spécificité de ces qualifications.

Leur proposer un changement de métier dans un contexte de difficultés à tenir l’activité, alorsqu’elles l’aiment encore, risquerait de renvoyer ces enseignantes à une vision négative duchangement (parce qu’elles sont en échec) plus qu'à un souhait d'évolution, une opportunitéde développement de nouvelles compétences.

Par contre, des enseignants en grande difficulté peuvent avoir envie de changer de métier pourcontinuer à exercer une activité professionnelle (une seule parmi les personnes rencontrées).Deux questions seraient alors à prendre en compte : d’une part, comment valoriser des com-pétences acquises au cours de ces 30 ans de carrière, dans une autre activité : quels métiersleur proposer pour que la proposition d’emploi ait un sens pour elles du point de vue de leurparcours professionnel ? D’autre part, comment envisager la mobilisation des capacitésd’apprentissage : quels processus de formation proposer pour des personnes qui ont rarementeu des occasions de suivre des formations, d’entretenir leurs propres capacités à apprendre ?

8.5. Des départs précoces

Deux cas de figure ont été rencontrés :

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- une enseignante est partie à 50 ans, d’abord en maladie longue durée (dépression), puis défi-nitivement, car ne se sentant pas en mesure de se retrouver face à une classe ;

- une autre va partir à 52,5 ans en invoquant les mesures spécifiques pour les femmes ayantélevé au moins 3 enfants ; une autre enseignante de CP a fait le même choix : elle est partie à49 ans. A l’origine de leurs décisions, une fatigue de plus en plus difficile à gérer, parfois desproblèmes de santé importants. D’autres mères de famille rencontrées ont parfois regretté dene pas avoir eu 3 enfants pour bénéficier de cette mesure. S : « J’ai un regret, c’est de ne pasavoir fait un troisième enfant, parce que ça m'aurait permis de prendre ma retraite plus tôt ».

Si le choix de la première ne semble pas avoir posé problème du fait d’une volonté de ne plusse retrouver face à des élèves, la décision n’a pas été simple à prendre pour les autres, d’unepart parce qu’elles développent encore une relation positive au travail, d’autre part du fait ducaractère rédhibitoire et définitif de cet acte. L’impossibilité de revenir en arrière les contraintà un choix qui, sur le fond, ne les satisfait pas. En témoigne cette enseignante de CP : « Cam’arrive d’avoir des regrets parfois car c’est une décision définitive. Si j’avais eu la possibi-lité de m’arrêter 4 ou 5 ans pour souffler, je l’aurais fait ». Quelques mois après sa prise deretraite anticipée, elle l’a regrettée amèrement : le fait de s’arrêter lui avait permis de récupé-rer les ressources qui à un moment lui avaient fait défaut, de prendre du recul, ce qui avait fi -nalement recréé les conditions pour reprendre son activité et remobiliser son envie d’ensei-gner.

Dans ce contexte, il serait peut-être intéressant de proposer aux enseignants en fin de carrièredes possibilités de souffler, de se couper de leur activité d’enseignement en classe lorsque lebesoin s’en fait sentir, sans pour autant que cette sortie soit définitive. Leurs compétencespourraient par exemple être valorisées dans la formation des jeunes. Leur propre participationà des formations leur permettrait certainement aussi de sortir de la routine et de continuer àévoluer professionnellement. Cela suppose de considérer plus largement ces salariés en fin decarrière, non seulement comme des personnes ayant un capital d’expérience acquis, maiscomme des personnes qui doivent continuer à évoluer dans un métier difficile. Dans cecontexte, la formation peut être vue comme une des conditions de maintien dans l’activité enfin de carrière.

D’autres arguments plus personnels mettent en balance le désir de partir avec le plaisir depoursuivre son activité :

- le contrat initial précisant un départ à la retraite à 55 ans chez les instituteurs : les ensei-gnants expliquent avoir construit leur projet de vie personnelle en fonction de cette échéanceet ne veulent pas y renoncer, malgré une perte financière liée à la décote ;

- l’envie de partager la retraite avec un conjoint retraité ;

- « laisser la place aux jeunes parce qu’il y a trop de jeunes au chômage aujourd’hui » est aus-si un argument fort pour partir chez quelques enseignants.

9. Discussion

Les choix de fins de carrière relèvent d’arbitrages complexes entre :

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- des éléments qui poussent à rester dans l’activité de travail et qui relèvent d’éléments vécuspositivement au travail : plaisir à travailler avec de jeunes enfants, à les voir progresser rapi-dement, à travailler avec les collègues, parfois avec certains parents ;

- l’apparition de problèmes de santé pouvant constituer une gêne dans l’activité et renforçantle « coût » du travail ;

- des éléments vécus négativement qui ont à voir avec l’organisation du travail, les évolutionsdu métier et du contenu du travail, les conditions de travail, une dégradation du rapport auxparents et à la hiérarchie, et un profond sentiment de non reconnaissance dans le métier :« une invisibilité de la pénibilité de ce métier qui fait mal » ;

- l’évaluation faite par les enseignantes des ressources dont elles disposent pour faire face auxexigences du travail. C’est le passage de la notion de fatigue éprouvée en début de carrière àcelle d’épuisement dans le travail (épuisement physique, mental, psychique), et ce, malgréleur expérience et la construction de savoir-faire ;

- des éléments de contexte institutionnel et social.

Les choix de fin de carrière mettent donc au cœur de la réflexion le rapport subjectif à la san-té, au bien-être au travail, au « sens du travail ». Or la santé est un état d'équilibre ; ce qui si-gnifie fragilité et estimation personnelle de cet équilibre, celui-ci pouvant évoluer avec letemps. Il s’agit d’une conquête difficile, jamais définitivement acquise, toujours à recons-truire, et certainement de plus en plus difficile avec l’âge et le durcissement des conditions detravail, l’évolution de la société et son regard sur l’école. C’est bien ce rapport entre expé-rience et avancée en âge, cet équilibre recherché dans le travail et dans sa vie personnelle, quisont au cœur des choix en fins de carrière.

Cela soulève plusieurs pistes de recherches et de travail. Quels moyens de prévention etd’évaluation de la santé au travail des salariés dans un contexte d’allongement de la duréed’activité professionnelle ? Quelles mesures individuelles et collectives de suivi et d’accom-pagnement des salariés ?

La réponse ne doit pas être nécessairement seulement du côté des deuxièmes carrières, c’est-à-dire permettre aux enseignants de se soustraire à la situation d’enseignement. Cela ne chan-gerait rien à la pénibilité du travail, ressentie dès le début de la carrière, et ne permettrait pasde résoudre le problème à la hauteur du nombre de personnes proches de l’âge de la retraite.La réflexion doit aussi être du côté des conditions de travail, pour permettre aux enseignantsde poursuivre une activité qu’ils ont choisie, qu’ils aiment et qu’ils souhaitent continuer àexercer dans de bonnes conditions ; par exemple en jouant aussi bien sur les effectifs desélèves, sur l’organisation des écoles et la complémentarité des acteurs au sein des établisse-ments, et en ayant une compréhension de la spécificité du travail dans les petites classes. Lessolutions sont à trouver dans une réflexion globale sur l’amélioration des conditions de tra-vail, prenant en compte l’activité de travail des enseignants, leurs difficultés et leurs compé-tences. Finalement, est-il possible de retarder l’âge de la retraite sans fragiliser les salariés, età quelles conditions ? Comment rendre cohérents l’allongement de la vie active et l’améliora-tion - ou la non détérioration - des situations individuelles ?

Réfléchir aux fins de carrière relève donc à la fois de la gestion des ressources humaines etdes conditions de travail, qui conditionnent les possibilités d’arbitrage des individus en termes

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de cessation d’activité et de modalités de fins de carrière. Cette réflexion sur les fins de car-rière ne peut se mener indépendamment des enseignantes.

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Liste des auteurs

Madeleine Bourdhouxe. Irsst

Karine Chassaing. Université Bordeaux 2, Institut Polytechnique de Bordeaux

Sandrine Caroly Université Pierre Mendès-France, Grenoble, PACTE-

Dominique Cau-Bareille Université Lyon II - IETL – CREAPT

Esther Cloutier. Irsst

Catherine Delgoulet, Université Paris Descartes – LATI, Chercheur associé au CREAPT

Isabelle Gagnon. Irsst

Corinne Gaudart Lise-CNRS – CNAM-CRTD - CREAPT

Annie Jolivet, IRES

Élise Ledoux. Irsst

Céline Mardon, CREAPT-CEE

Anne-Françoise Molinié, CREAPT-CEE

François Ouellet. Irsst

Cathy Toupin, Université Paris VIII

Valérie Pueyo, Université Lyon II - IETL – CREAPT

Serge Volkoff. Centre d’études de l’emploi (CEE), Centre de recherches et d’études sur l’âgeet les populations au travail (Créapt)

Annie Weill-Fassina, Retraitée, EPHE

Valérie Zara-Meylan. CREAPT-CEE