La vérité si je vends !

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GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert par Bertrand GUÉLY ©FFANG-DREAMSTIME.COM 30 vegetable.fr • n o 348 / octobre 2017  Il faudrait représenter systématiquement les F&L avec les quelques défauts d’aspect, normaux, inhérents à l’espèce ou à la variété. C ’est un fait difficilement discutable, ce que déclare le consommateur bien-pensant dans les enquêtes est assez différent de ce qu'il fait face à l’étal. Mais pourquoi ce décalage chez Madame Michu et quelles pistes pour le réduire ? Avant de catégoriser trop facilement le consommateur moyen en menteur patenté ou de l’assimiler à un homme politique ne réalisant que rarement ce qu’il a tant vanté, examinons pour sa défense toutes les bonnes raisons qu’il a de dévier. 1 Le prix des produits. Le consommateur de F&L est aujourd’hui introduit au sein de linéaires ou, à moins d’être une jeune gym- naste ukrainienne préparant les J.O., il est très compliqué de faire un écart aussi grand que celui qu’on nous propose. D’un côté, les pre- miers prix et entrées de gamme, dépouillés au maximum (packaging, présentation) et négo- ciés par les acheteurs comme une prise d’otages façon Harry Callahan. De l’autre, des références premium, bio ou commerce équitable, inévita- blement conditionnées pour éviter la D.I. et donc surenchéries. Mais, pour mes carottes râpées, ai-je vraiment besoin de prendre des Bio Fair Trade locales des Landes, calibrées façon premier samedi du mois et plus chères qu’un costume de Fillon ? Bien sûr, le consom- mateur déclare préférer que le producteur qui fait de la qualité puisse vivre dignement de son travail, mais, face à un tel écart de prix entre les La vérité si je vends ! deux extrêmes beaucoup d’entre eux ne s’ar- rêtent que devant les têtes de gondoles promo- tionnelles, voire n’achètent que dans l’îlot où sont parqués les premiers prix. 2 L’impossibilité purement budgétaire pour cer- tains consommateurs de se faire du bien. Vous pensez vraiment que les RMIstes remplissent des caddies de junk food par plaisir ? Vous croyez qu’il ne faut pas un pouvoir d’achat minimum pour se payer un filet de 1,5 kg d’oranges hémisphère sud à 4,90 , ou un avo- cat pré-mûri à 1,90 ... la pièce ? Oui, j’aime- rais me nourrir sainement, mais… 3 Les contresens de la filière (voir ma rubrique de septembre) qui ancrent de fausses associations. Qu’on l’accepte ou pas, la culture F&L des consommateurs est à peu près du niveau de l’orthographe d’un bachelier d’aujourd’hui. Alors, je fais attention au bilan carbone, mais... j’achète des pommes françaises de frigo jusqu’en fin de campagne ! Je préfère manger de saison mais... à part les fruits symboles du renouveau saisonnier ou les icônes d’un moment de consommation, c’est finalement assez triste de se restreindre, non ? 4 La difficulté à s’appuyer sur les sens clas- siques, censés permettre un tri intuitif : Oui, je veux des fruits mûrs, mais qu’en est-il des mangues vertes ou du fruit de la passion lisse ? 5 L’absence de peur du « qu’en dira-t-on ? » À Noël, ce sont les mêmes consommateurs « aux attentes sociétales élevées » qui, par mimétisme avec les pauvres bêtes sacrifiées, se gavent de foie gras de canard, de saumon nor- végien pollueur de fjord et arrivent les bras UNE CERTAINE HYPOCRISIE OU UNE HYPOCRISIE CERTAINE DANS LES ATTENTES SOCIÉTALES DES CONSOMMATEURS ?

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GRANDE DISTRIBUTION Regard d’expert

par Bertrand GUÉLY

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30 • vegetable.fr • no 348 / octobre 2017

Les attentes sociétales des consommateurs

 Il faudrait représenter

systématiquement les F&L avec les quelques

défauts d’aspect, normaux, inhérents

à l’espèce ou à la variété.”

C’est un fait difficilement discutable, ce que déclare le consommateur bien-pensant dans les enquêtes est assez différent de ce qu'il fait face à l’étal. Mais pourquoi ce décalage

chez Madame Michu et quelles pistes pour le réduire ? Avant de catégoriser trop facilement le consommateur moyen en menteur patenté ou de l’assimiler à un homme politique ne réalisant que rarement ce qu’il a tant vanté, examinons pour sa défense toutes les bonnes raisons qu’il a de dévier.

1 Le prix des produits. Le consommateur de F&L est aujourd’hui introduit au sein de linéaires ou, à moins d’être une jeune gym-naste ukrainienne préparant les J.O., il est très compliqué de faire un écart aussi grand que celui qu’on nous propose. D’un côté, les pre-miers prix et entrées de gamme, dépouillés au maximum (packaging, présentation) et négo-ciés par les acheteurs comme une prise d’otages façon Harry Callahan. De l’autre, des références premium, bio ou commerce équitable, inévita-blement conditionnées pour éviter la D.I. et donc surenchéries. Mais, pour mes carottes râpées, ai-je vraiment besoin de prendre des Bio Fair Trade locales des Landes, calibrées façon premier samedi du mois et plus chères qu’un costume de Fillon ? Bien sûr, le consom-mateur déclare préférer que le producteur qui fait de la qualité puisse vivre dignement de son travail, mais, face à un tel écart de prix entre les

La vérité si je vends !deux extrêmes beaucoup d’entre eux ne s’ar-rêtent que devant les têtes de gondoles promo-tionnelles, voire n’achètent que dans l’îlot où sont parqués les premiers prix.

2 L’impossibilité purement budgétaire pour cer-tains consommateurs de se faire du bien. Vous pensez vraiment que les RMIstes remplissent des caddies de junk food par plaisir ? Vous croyez qu’il ne faut pas un pouvoir d’achat minimum pour se payer un filet de 1,5 kg d’oranges hémisphère sud à 4,90 , ou un avo-cat pré-mûri à 1,90 €... la pièce ? Oui, j’aime-rais me nourrir sainement, mais…

3 Les contresens de la filière (voir ma rubrique de septembre) qui ancrent de fausses associations. Qu’on l’accepte ou pas, la culture F&L des consommateurs est à peu près du niveau de l’orthographe d’un bachelier d’aujourd’hui. Alors, je fais attention au bilan carbone, mais... j’achète des pommes françaises de frigo jusqu’en fin de campagne ! Je préfère manger de saison mais... à part les fruits symboles du renouveau saisonnier ou les icônes d’un moment de consommation, c’est finalement assez triste de se restreindre, non ?

4 La difficulté à s’appuyer sur les sens clas-siques, censés permettre un tri intuitif  : Oui, je veux des fruits mûrs, mais qu’en est-il des mangues vertes ou du fruit de la passion lisse ?

5 L’absence de peur du «  qu’en dira-t-on ? » À Noël, ce sont les mêmes consommateurs « aux attentes sociétales élevées » qui, par mimétisme avec les pauvres bêtes sacrifiées, se gavent de foie gras de canard, de saumon nor-végien pollueur de fjord et arrivent les bras

UNE CERTAINE HYPOCRISIE OU UNE HYPOCRISIE CERTAINE DANS LES ATTENTES SOCIÉTALES DES CONSOMMATEURS ?

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Les attentes sociétales des consommateurs

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Retrouvez l’humeur de Bertrand Guely sur son végéblog :

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Le mois prochain : Le service au consommateur en magasin, visite imaginaire d’un client mystère

chargés de jouets chinois. Le Père Noël n’aurait pas le même faciès bonhomme si on ornait son bonnet des inscriptions du style « maltraitance animale », « pollution » et « travail inhu-main »... Simplement, en F&L, Madame Michu ne sait à peu près rien de tout ça.

6 Loin des yeux, loin du cœur. C’est curieux de voir comment on jette régulièrement des tomates Roma sur les conditions de vie un peu spartiates de certains saisonniers en France et d’écouter en revanche le silence assourdissant quand les pay-sans du bout du monde doivent souffrir pour res-ter compétitifs. Pour certains cow-boys de l’im-port, qui pensent que le droit de vigilance, c’est juste regarder des deux côtés avant de traverser, il serait amusant d’ajouter sur les packagings des F&L des photos chocs, genre paquets de ciga-rettes, sur la façon de produire ou récolter...

7 L’appropriation douteuse de concepts fonda-mentalement vertueux par des associations opaques à qui on donnerait pourtant le bon dieu sans rétro-commission. Certaines ne publient pas leurs comptes, d’autres sont basées à l’étranger avec des bureaux plus luxueux que le palais en pierres de Transylvanie de Ceausescu… De plus, certaines enseignes de distribution tentent, pas toujours avec succès, de s’approprier des ten-dances fortes en endossant à l’opportunisme la cape de Super Ethic ou de Bio Woman. De plus, les scandales alimentaires à répétition n’aident en rien. Je ne parle pas ici des procès instruits à charge par certains journalistes-éboueurs peroxydés qui tapinent, mais plutôt des vidéos volées par L214 ou des approches comptables crozemarieniennes de certaines associations qui ne sont caritatives que pour leurs dirigeants. Si le consommateur comprenait qu’il est beau-coup plus protégé en shoppant dans un super-marché, contrôlé pour tout en permanence, qu’en croyant jouer à l’apprenti acheteur sur les circuits périphériques, on gagnerait du temps...

8 Les mauvaises solutions apportées à de vrais problèmes. À part un rappeur dyslexique ou un Insoumaigri de Mélenronchon, tout individu doté d’un cerveau est intuitivement prêt à aider à en terminer avec les sacs en plastique. Cela implique-t-il forcément de se voir répercuter le surcoût écologie, de devoir faire ses achats avec des sachets sans poignée et se déchirant plus facilement qu’une chemise de chez Jules, de se faire enfumer sur le dégradable/compostable/oxydable ? Décidément, difficile de faire le bien...

9 Le « 2 poids 2 mesures » connu du consomma-teur. Pourquoi je paierais plus cher des produits français simplement parce que le poste main d’œuvre est plombé par des charges écrasantes ? Dois-je accepter cet énième impôt déguisé ? Le consommateur n’est plus enclin à financer cette France qui triche et fait payer ceux qui travaillent. À l’étranger, on est souvent payé au rendement et c’est très bien comme ça.

Alors, avec tout ça, que faire pour que le consommateur achète vraiment selon ses bonnes intentions ?

Voici 5 propositions :

1 Représenter systématiquement les F&L avec les quelques défauts d’aspect, normaux, inhé-rents à l’espèce/la variété. À ce titre, l’excellent travail pédagogique mené depuis des années par l’Asprocan pour dédramatiser voire valoriser les « motitas de plátanos » (taches sur les bananes) des îles Canaries est exemplaire et donne des résultats en Espagne.2 Former les personnels des magasins. C’est la compétence insuffisante des équipes et ses iné-vitables conséquences sur les indicateurs ampu-tant la marge (casse, démarque inconnue, rup-tures...) qui obligent à vendre cher. 3 Limiter les stimuli en tous genres auxquels est exposé le consommateur sur son parcours d’achat et concentrer les messages sur ce qui lui parle vraiment. Ainsi, il faut arrêter les accroches excessivement aguicheuses, réduire les men-tions obligatoires pour surdiplômé et plutôt informer sur le mode de consommation et les caractéristiques de goût.4 Arrêter de casser de la GMS par principe, en l’accusant de tous les maux d’une filière où nous avons tous notre part de responsabilité. D’abord parce que le client est roi et se respecte. Ensuite parce qu’il est le premier victime de cette hypo-crisie des attentes sociétales : on voudrait des produits beaux, bons, sains, éthiques et locaux... aux premiers prix ! 5 Travailler sur les attentes réelles du consom-mateur plus que sur les seules convictions pro-fessionnelles du producteur.

Au-delà de ces quelques pistes, il suffit simple-ment de se rappeler que si l’enfer est peuplé de bonnes intentions, notre filière aussi. Personne, et encore moins Madame Michu, ne nous repro-chera jamais de lui dire et de lui facturer la vérité en ligne avec ses attentes.

avec le soutien de Carton Ondulé de France

Le haricot beurre, l’argent du beurre et le PLU de la fermière

Bonjour Monsieur, je voudrais des F&L beaux, bons, sains et pas chers s’il vous plaît. Vous savez, j’aimerais qu’ils n’aient pas de défauts, qu’ils soient gustatifs, qu’ils soient locaux, bio et que le paysan gagne sa vie. Si toutes ces attentes sont a priori légitimes, ne serait-il pas temps de dédier des moyens pour expliquer au consommateur que, à moins de cultiver lui-même ou d’avoir le salaire et le temps libre d’un attaché parlementaire, il doit faire des choix ? Bio, oui, mais alors j’accepte quelques défauts. Commerce équitable, oui, en payant un peu plus cher ou en baissant les taxes. Bons, mais j’attends donc qu’ils soient mûrs. À mon sens, la majeure partie de la frustration des consommateurs vient du fait qu’ils veulent tout à la fois et refusent de prioriser.