LA VARIATION DU FRANÇAIS AU CAMEROUN APPROCHE … Nguemka_2009... · 2010-10-27 · Pas plus...

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AIX AIX AIX AIX-MARSEILLE UNIVERSIT MARSEILLE UNIVERSIT MARSEILLE UNIVERSIT MARSEILLE UNIVERSITÉ UNIVERSIT UNIVERSIT UNIVERSIT UNIVERSITÉ DE PROVE DE PROVE DE PROVE DE PROVENCE NCE NCE NCE N° attribué par la bibliothèque | _ | _ | _ | _ | _ | _ | _ | _ | _ | _ | T T T T H H H H È S E S E S E S E Pour l’obtention du grade de DOCTEUR DOCTEUR DOCTEUR DOCTEUR D’AIX D’AIX D’AIX D’AIX-MARSEILLE MARSEILLE MARSEILLE MARSEILLE UNIVERSIT UNIVERSIT UNIVERSIT UNIVERSITÉ Formation doctorale : Formation doctorale : Formation doctorale : Formation doctorale : Cognition, Langa Cognition, Langa Cognition, Langa Cognition, Langage, ge, ge, ge, Éducation ducation ducation ducation Présentée et soutenue publiquement Par Adeline Larissa Adeline Larissa Adeline Larissa Adeline Larissa SIMO NGUEMKAM SIMO NGUEMKAM SIMO NGUEMKAM SIMO NGUEMKAM – SOUOP SOUOP SOUOP SOUOP Le lundi 4 mai 2009 LA VARIATION DU FRANÇAIS AU CAMEROUN APPROCHE SOCIOLINGUISTIQUE ET SYNTAXIQUE Volume 1 Volume 1 Volume 1 Volume 1 _________ Directeur de thèse : Ambroise QUEFF Directeur de thèse : Ambroise QUEFF Directeur de thèse : Ambroise QUEFF Directeur de thèse : Ambroise QUEFFÉLEC LEC LEC LEC ___ ___ ___ _________ ______ ______ ______ JURY JURY JURY JURY Albert AZÉYEH (Professeur – Université de Buea) Claude FREY (Maître de Conférences – Université de Paris III) Bernhard PÖLL (Professeur – Université de Salzbourg) Ambroise QUEFFÉLEC (Professeur – Université de Provence)

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Présentée et soutenue publiquement

Par

Adeline LarissaAdeline LarissaAdeline LarissaAdeline Larissa SIMO NGUEMKAM SIMO NGUEMKAM SIMO NGUEMKAM SIMO NGUEMKAM –––– SOUOP SOUOP SOUOP SOUOP Le lundi 4 mai 2009

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Albert AZÉYEH (Professeur – Université de Buea) Claude FREY (Maître de Conférences – Université de Paris III)

Bernhard PÖLL (Professeur – Université de Salzbourg) Ambroise QUEFFÉLEC (Professeur – Université de Provence)

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À mes petits,

Armel

Marcellin

Elsa

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Pas plus qu’on se baigne deux fois dans le même fleuve,

aucun homme ne parle deux fois dans la même langue :

selon le pays ou le milieu où il se trouve, selon le moment

et l’époque, il est traversé par des mots différents.1

1 B. Cerquiglini, Préface à Cl. Bavoux (dir.) (2008) : Le français des dictionnaires. L’autre versant de la lexicographie française, Bruxelles, Duculot.

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AAvvaanntt--pprr ooppooss

Le 07 novembre 2003, avec le concours de l’Alliance Franco-Camerounaise de Buea, une jeune auteure s’entretient dans l’amphi 250 de l’université de Buea avec les enseignants et étudiants du Département de Français. Elle introduit son propos par la lecture d’un extrait de son dernier opuscule que voici :

Vous me suivez, je crois : vous êtes au Cameroun, le pays des Camers. Vous attendez votre perfusion ou votre epsi depuis from en tirant des plans sur la comète ; mais vous ne vous tapez pas trop le corps, parce que quand c’est fort sur vous, il y a une cousine chez qui vous pouvez prêter l’argent.

Puis vous entendez « kwè kwè ! », la frappe de reconnaissance, et Max, un gars qui vous a lâché depuis réapparaît et vous propose un gombo chez un boss. Vous refusez d’abord parce que, sachant qu’il faut être sapé en pareilles occases, vous avez peur du ridicule avec un « papa-j’ai-grandi » et des « sans-confiance ». Mais Max vous emprunte un costard, une machette et une belle chaussure, vous prenez un taxi sans même avoir à proposer. Il y avait une « bayam-sallam » qui était beaucoup, sa malle arrière occupait toute la banquette : Dieu merci, l’attaquant lui a enjoint de s’approcher là-bas. Vous vous êtes fait arrêter par les « mange-mille » ; le mesquin à qui on pompait le ventre, vous a enfin déversés à destination. Un bao bastos vous a accueillis et trimbalés dans les dépendances où l’un de vos compagnons a failli gâter la sauce. Finalement, c’était plus que mondial, les gens se sont gâtés pêle-mêle dans les alcools, ont dansé le « collé-serré » en désordre, et les motions pleuvaient sur vous.

Cette lecture déclanche des applaudissements nourris chez les étudiants. Dans la suite des débats ces derniers expriment la surprise et surtout la joie de voir leur façon de parler dans un « roman ». Mercedès Fouda, puisqu’il s’agit d’elle, avait en effet choisi pour son livre un titre pour le moins évocateur : Je parle Camerounais. Pour un renouveau francofaune2.

À l’époque des faits, nous n’avions pas encore pris notre inscription en thèse, mais cette scène renforça notre désir d’étudier les marques d’endogénéité du français parlé au Cameroun, désir né pendant nos recherches en DEA des Sciences du langage (option FLE) à l’Université Stendhal Grenoble III.

En effet, partie du Cameroun avec un “Master of Arts in the Teaching of French as a Foreign/Second Language”, le projet de mémoire portait sur la didactique du français aux anglophones3. Au bout de quelques mois de recherches, nous avons été confrontée à une question cruciale : comment monter des outils didactiques adéquats lorsqu’on ne dispose pas d’informations suffisantes et fiables sur les réalités socio-culturelles que vivent les

2 Extrait intitulé « Résumé 2 », p. 57. 3 Le Cameroun dispose de deux systèmes éducatifs : l’une d’obédience française et l’autre d’obédience anglo-saxonne. C’est la traduction du bilinguisme officiel au niveau de la formation des jeunes.

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apprenants ? Au rang de ces réalités figurent au premier chef les usages réels de la langue française à travers lesquels les apprenants se socialisent. Il nous a semblé que bon nombre de difficultés rencontrées par l’enseignement du français au Cameroun (dans les deux systèmes éducatifs) prenaient leur source dans le décalage existant entre l’objectif d’enseignement, le français standard et le français effectivement parlé dans le contexte social environnant. Il en résulte que, les apprenants (et beaucoup d’enseignants) sans être sensibilisés à la variation, sont très souvent en porte à faux avec une langue qui fait désormais partie de leur univers socio-culturel.

Notre démarche a alors consisté à délaisser (pour quelques temps) l’aspect strictement didactique pour nous intéresser à la description du français tel qu’il est effectivement parlé au Cameroun. Le sujet de notre mémoire de DEA sera finalement L’interrogation dans le français parlé au Cameroun. Éléments de réflexion.

C’est cette réflexion sur des questions linguistiques et sociolinguistiques que nous poursuivons dans cette thèse. Nous espérons qu’elle apportera de modestes éclairages à l’une des situations sociolinguistiques les plus complexes de l’Afrique noire francophone.

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RReemmeerrcciieemmeennttss

Ce document est le fruit de longs mois de travail dont la pénibilité n’est connue que

des « thésards » (en cours ou ex-). Cependant, au fur et à mesure que l’on vit avec sa thèse on apprend à surmonter ou à contourner certaines difficultés. D’autres sont aplanies avec l’aide de personnes que l’on rencontre en chemin. Nous tenons à remercier profondément toutes celles qui se sont trouvées sur le nôtre et qui ont permis, chacune à sa façon, de façonner cette thèse.

Nous pensons d’abord au Professeur Ambroise Queffélec pour avoir accepté de diriger nos recherches. Il a été d’une disponibilité prévenante et ses conseils avisés nous ont aiguillée tout au long de ce travail.

Nos remerciements vont ensuite aux membres du jury, Bernhard Pöll, Claude Frey, et Albert Azéyeh, qui ont bien voulu nous accompagner dans la dernière étape de ce travail.

Que Jean-Benoît Tsofack et Valentin Feussi soient remerciés pour leurs relectures et leurs remarques « constructivistes ».

Nous remercions aussi Laurence Rosier pour ses précieux commentaires sur le chapitre consacré au discours rapporté.

Nous ne saurions oublier la big resebig resebig resebig rese1111, Carole de Féral avec qui les échanges au sein de l’équipe virtuelle sur les français identitaires des jeunes en Afrique ont été extrêmement enrichissants.

Nous exprimons aussi notre gratitude à l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) pour la bourse de formation à la recherche qui nous a été octroyée pendant les trois dernières années de notre recherche.

Nos derniers remerciements, et non les moindres, s’adressent à notre famille trop souvent et trop longtemps abandonnée. Heureusement, nous avons pu compter sur notre mère2, Céline Kamtchoué, pour prendre soin de nos nourrissons lors de nos séjours à l’Université de Provence. Que notre époux, Hugues Souop, perçoive dans ces mots la gratitude pour son soutien incommensurable. Nous espérons que ce bouquet final est à la hauteur des sacrifices consentis.

1 Grande sœur. Elle aurait peut-être préféré « big sista ». 2 Assistée par toute la fratrie.

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TTaabbllee ddeess mmaatt iièèrr eess

AVANT-PROPOS............................................................................................................................. VII

REMERCIEMENTS........................................................................................................................... IX

INTRODUCTION GÉNÉRALE ......................................................................................................... 1

1 MOTIVATION DU SUJET ........................................................................................................... 3

2 OBJECTIFS ET DÉMARCHE ..................................................................................................... 3

3 QUESTIONS DE RECHERCHE.................................................................................................. 5

4 ORGANISATION DE LA THÈSE ............................................................................................... 6

PREMIÈRE PARTIE - CADRE SOCIO-HISTORIQUE ................................................................ 7

CHAPITRE I - PARCOURS SOCIOLINGUISTIQUE .................................................................... 9

1 APERÇU HISTORIQUE............................................................................................................. 11

2 LES LANGUES DU CAMEROUN............................................................................................. 14

2.1 LES LANGUES VERNACULAIRES ................................................................................................. 15 2.2 LES LANGUES COMMUNAUTAIRES ............................................................................................. 16 2.3 LES LANGUES VEHICULAIRES .................................................................................................... 17 2.4 LES LANGUES DE JURE................................................................................................................ 17

3 LA PRESSION NORMATIVE FACE A L’APPROPRIATION DU FRA NÇAIS................. 18

3.1 LES DISCOURS NORMATIFS ........................................................................................................ 18 3.2 LES ANALYSES VARIATIONNISTES DE L ’APPROPRIATION ........................................................ 20 3.2.1 ÉCARTS AU NIVEAU DE LA PRONONCIATION............................................................................. 20 3.2.2 ÉCARTS AU NIVEAU DU LEXIQUE.............................................................................................. 22 3.2.3 ÉCARTS DE SYNTAXE................................................................................................................ 23 3.2.4 ÉMERGENCE DE NORMES ENDOGÈNES...................................................................................... 24 3.3 LES COMMUNAUT ÉS LINGUISTIQUES ........................................................................................ 29 3.3.1 ESQUISSE THÉORIQUE............................................................................................................... 29 3.3.2 PROBLÉMATIQUE IDENTITAIRE ET COMMUNAUTÉ DE DISCOURS............................................. 31 3.3.3 LE PROBLEME « CAMFRANGLAIS » ........................................................................................... 36 3.3.3.1 Problème linguistique ............................................................................................................ 36 3.3.3.2 Problème social...................................................................................................................... 38 3.3.3.3 Valeur symbolique................................................................................................................. 40

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4 CONCLUSION.............................................................................................................................. 42

CHAPITRE II - PROBLÉMATIQUE............................................................................................... 43

1 EXISTE-T-IL UN FRANÇAIS CAMEROUNAIS ?.............. .................................................... 45

2 QUELLE PERTINENCE DESCRIPTIVE POUR LE « CONTINUUM » ?........................... 47

3 QU’EST-CE QU’UN PARLER MIXTE AU CAMEROUN ? ......... ......................................... 49

4 DÉFINITION ET DÉLIMITATION DU SUJET ................ ...................................................... 52

5 HYPOTHÈSES.............................................................................................................................. 53

DEUXIÈME PARTIE - OPTIONS ÉPISTEMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES..... .. 55

CHAPITRE III - CADRE THÉORIQUE ......................................................................................... 57

1 LA VARIATION LINGUISTIQUE .......................... .................................................................. 59

1.1 LA PROBLÉMATIQUE DE LA NORME .......................................................................................... 59 1.1.1 LE BON USAGE........................................................................................................................... 60 1.1.2 LES NORMES D’USAGE............................................................................................................... 61 1.2 LES THÉORIES DE LA VARIATION .............................................................................................. 64 1.2.1 LA VARIATION PANLECTALE ..................................................................................................... 65 1.2.1.1 Les facteurs extrasystémiques................................................................................................ 66 1.2.1.2 Les facteurs intrasystémiques................................................................................................. 66 1.2.1.3 Les facteurs intersystémiques................................................................................................. 67 1.2.2 LA VARIATION POLYLECTALE ................................................................................................... 68 1.2.3 LA VARIATION SOCIALE ............................................................................................................ 70 1.2.3.1 Le concept de variation en syntaxe ........................................................................................ 70 1.2.3.2 La variation stylistique........................................................................................................... 73

2 LE FRANÇAIS EN AFRIQUE.................................................................................................... 75

2.1 LA M ÉTHODOLOGIE DIFFERENTIELLE :.................................................................................... 75 2.1.1 APPORTS ET LIMITES................................................................................................................. 75 2.1.2 LA DÉLIMITATION DES VARI ÉTES RÉGIONALES........................................................................ 77 2.2 LA PROBLÉMATIQUE DU PLURILINGUISME ............................................................................... 79 2.2.1 LES RÉPERTOIRES LINGUISTIQUES............................................................................................ 80 2.2.2 LES PARLERS MIXTES................................................................................................................ 82

3 LA COMPLEXITÉ LINGUISTIQUE ......................... ............................................................... 86

3.1 GABRIEL MANESSY ET LA SÉMANTAXE .................................................................................... 87 3.1.1 LA VERNACULARISATION .......................................................................................................... 87 3.1.2 LES HYPOTHÈSES SÉMANTACTIQUES ........................................................................................ 90

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3.2 L ’’’’ÉCOLOGIE LINGUISTIQUE ET L’ ETHNO-SOCIOLINGUISTIQUE ............................................. 93 3.2.1 LE MODÈLE GRAVITATIONNEL .................................................................................................. 94 3.2.2 LE MODÈLE HOMÉOSTATIQUE.................................................................................................. 95 3.2.3 LE MODÈLE DE REPRÉSENTATIONS........................................................................................... 95 3.2.4 LE MODÈLE DE TRANSMISSION................................................................................................. 96

4 CONCLUSION ............................................................................................................................. 97

CHAPITRE IV - MÉTHODOLOGIE............................................................................................... 99

1 INTRODUCTION ...................................................................................................................... 101

2 DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE ..................................................................................... 102

3 CONSTITUTION ET TRANSCRIPTION DU CORPUS ...................................................... 104

3.1 LES CARACTÉRISTIQUES DU CORPUS...................................................................................... 105 3.2 LE CORPUS CENTRAL................................................................................................................ 107 3.2.1 LES INFORMATEURS................................................................................................................ 107 3.2.2 LE RECUEIL DES DONNÉES......................................................................................................108 3.3 LE CORPUS TEMOIN .................................................................................................................. 109 3.4 LA TRANSCRIPTION DU CORPUS .............................................................................................. 113 3.4.1 LA TRANSCRIPTION ORTHOGRAPHIQUE.................................................................................. 114 3.4.2 LA GRAPHIE PHONOLOGISANTE.............................................................................................. 118 3.4.3 L’ ANONYMISATION ET L’ARCHIVAGE..................................................................................... 122

4 LES OUTILS D’ANALYSE....................................................................................................... 123

4.1 LA MACRO -SYNTAXE ................................................................................................................ 123 4.1.1 L’ APPROCHE PRONOMINALE................................................................................................... 124 4.1.2 LA SYNTAXE DE PRÉSUPPOSITION........................................................................................... 126 4.2 LE DIALOGISME ET LA POLYPHONIE ....................................................................................... 128

5 CONCLUSION ........................................................................................................................... 130

TROISIÈME PARTIE - AXES SYNTAXIQUES........................................................................ 131

CHAPITRE V - LES DISPOSITIFS SYNTAXIQUES ............................................................... 133

1 QUELQUES PROBLÈMES GÉNÉRAUX .............................................................................. 135

1.1 LA MISE EN RELIEF ET LE D ÉTACHEMENT .............................................................................. 135 1.2 LES RELATIVES PRÉDICATIVES ............................................................................................... 136

2 LE DISPOSITIF D’EXTRACTION ......................................................................................... 137

2.1 C’EST … QUI/QUE...................................................................................................................... 138 2.1.1 VARIATION .............................................................................................................................. 138

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2.1.2 CONTRAINTES SYNTAXIQUES ET SÉMANTIQUES ..................................................................... 140 2.2 IL Y A … QUI/QUE...................................................................................................................... 142 2.2.1 CLIVAGE DU SUJET.................................................................................................................. 143 2.2.2 CLIVAGE DE L’OBJET............................................................................................................... 147 2.3 J’AI … QUI ................................................................................................................................. 147 2.4 VOIL À … QUI ............................................................................................................................ 152

3 LA DISLOCATION.................................................................................................................... 158

3.1 PROPRIÉTES SÉMANTICO -SYNTAXIQUES ................................................................................ 160 3.2 LA DISLOCATION DU LEXIQUE ................................................................................................. 160 3.2.1 LA DISLOCATION À GAUCHE (LEXIQUE + PRONOM CLITIQUE) ................................................ 160 3.2.2 LA DISLOCATION À DROITE..................................................................................................... 163 3.3 LA DISLOCATION D ’UN ÉLÉMENT SÉMI -LEXICAL .................................................................. 163 3.3.1 LA SÉQUENCE (LEXIQUE) +TONIQUE + CLITIQUE.................................................................... 164 3.3.2 LE TYPE MOI JE ........................................................................................................................ 165 3.3.3 LA SÉQUENCE LEXIQUE/CLITIQUE + TONIQUE ........................................................................ 168 3.3.4 LE SUJET À DEUX TÊTES.......................................................................................................... 169

4 CONCLUSION............................................................................................................................ 176

CHAPITRE VI - LE DISCOURS RAPPORTÉ ........................................................................... 179

1 LA MISE EN RAPPORT DES DISCOURS............................................................................. 182

1.1 LA HI ÉRARCHIE MORPHOSYNTAXIQUE ................................................................................... 182 1.1.1 REPÉRAGES DU DISCOURS RAPPORTÉ ..................................................................................... 184 1.1.1.1 Les verbes introducteurs...................................................................................................... 184 1.1.1.2 Le joncteur que..................................................................................................................... 187 1.1.1.3 Les transpositions................................................................................................................. 192 1.1.1.4 Les discordanciels de l’énonciation ..................................................................................... 193 1.1.1.5 Les pauses ............................................................................................................................ 196 1.1.1.6 Le cumul de balises.............................................................................................................. 200 1.1.2 L’ ABSENCE DE VERBE DE CITATION........................................................................................ 200 1.1.2.1 Les échos diaphoniques........................................................................................................ 201 1.1.2.2 Les échos hétérophoniques................................................................................................... 201 1.2 LA HI ÉRARCHIE ÉNONCIATIVE ................................................................................................ 202 1.2.1 L’H ÉTÉROGÉNÉITE ÉNONCIATIVE .......................................................................................... 203 1.2.1.1 La personne .......................................................................................................................... 204 1.2.1.2 Le temps............................................................................................................................... 204 1.3 LES FONCTIONS DU DISCOURS RAPPORTÉ............................................................................... 207 1.3.1 L’ ARGUMENTATION ................................................................................................................ 208 1.3.1.1 Le discours d’autorité........................................................................................................... 210 1.3.1.2 L’autocitation ....................................................................................................................... 212 1.3.2 LA THÉÂTRALISATION ............................................................................................................ 221

2 LA MISE A DISTANCE DU DIT.............................................................................................. 221

2.1 LE CHOIX DU VERBE DE CITATION ........................................................................................... 222 2.2 AUTRES FORMES DU ON-DIT ..................................................................................................... 223

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3 LA CRÉATION D'UN ESPACE ÉNONCIATIF PARTICULIER..... ................................... 223

3.1 LES FORMES MIXTES ................................................................................................................ 224 3.1.1 L’H YBRIDATION DD/DI.......................................................................................................... 224 3.1.1.1 La réification du DD............................................................................................................ 225 3.1.1.2 Le discours direct avec « que »............................................................................................ 226 3.1.1.3 L’univers de « que » en discours rapporté ........................................................................... 227 3.2 PROCESSUS DE GRAMMATICALISATION ?............................................................................... 228

4 CONCLUSION ........................................................................................................................... 230

CHAPITRE VII - L’INTERROGATION....................................................................................... 233

1 LES MARQUES FORMELLES DE L’INTERROGATION ........... ...................................... 235

1.1 L’ INTERROGATION DIRECTE ................................................................................................... 235 1.1.1 LES CONSTRUCTIONS VERBALES EN QUE QUOI ....................................................................... 240 1.1.2 SÉMANTIQUE GRAMMATICALE DES VERBES IMPLIQUÉS ........................................................ 242 1.1.3 AUTRES FORMES EN QUE QUOI................................................................................................ 246 1.2 L’ INTERROGATION INDIRECTE ................................................................................................ 251

2 L’ACTE ILLOCUTOIRE.......................................................................................................... 253

2.1 LA QUESTION ............................................................................................................................ 253 2.2 L’ ILLUSION INTERROGATIVE ................................................................................................... 257 2.2.1 LA QUESTION RHÉTORIQUE À VALEUR ARGUMENTATIVE ...................................................... 257 2.2.2 LA VALEUR ASSERTIVE........................................................................................................... 258 2.2.3 LA VALEUR NÉGATIVE ............................................................................................................ 261

3 IMPLICATIONS SOCIOLINGUISTIQUES DES DIFFÉRENTES FOR MES D’INTERROGATION...................................................................................................................... 267

3.1 FACTEURS DE LA VARIATION ................................................................................................... 267 3.2 IMPLICATIONS SUR LE CONTINUUM DES PRATIQUES ............................................................. 272

4 CONCLUSION ........................................................................................................................... 274

QUATRIÈME PARTIE - VERS LE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ? ............................... 277

CHAPITRE VIII - QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ? .................. 279

1 TENDANCES SÉMANTICO-SYNTAXIQUES DU FRACAM.......... ................................... 281

1.1 RESTRUCTURATIONS SYNTAXIQUES ....................................................................................... 282 1.2 LES SCHÈMES DISCURSIFS ....................................................................................................... 286

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2 LA SÉMIOTISATION DES FORMES..................................................................................... 288

2.1 LES GLOSES MÉTA-ÉNONCIATIVES .......................................................................................... 289 2.2 LE PASSAGE PAR LA FONCTIONNALISATION ........................................................................... 291 2.2.1 LA RÉGULARISATION DE LA FLEXION DANS LES NOMS........................................................... 293 2.2.2 LA RÉGULARISATION DE LA FLEXION DANS LES VERBES........................................................ 295 2.2.3 LA CONFORMITÉ AUX PROCESSUS RÉGULIERS EN FRANÇAIS................................................. 300 2.3 L’ ALTERNANCE LEXICALE AL ÉATOIRE EN CAMFRANGLAIS ................................................. 301 2.3.1 UN GLOSSAIRE DE CAMFRANGLAIS......................................................................................... 301 2.3.2 LA GESTION DU STOCK LEXICAL............................................................................................. 317 2.4 L’ ESTOMPEMENT DE LA VALEUR IDENTITAIRE DES « CAMFRANGLISMES » ........................ 319 2.4.1 DU POINT DE VUE INTERACTIONNEL....................................................................................... 321 2.4.2 LA CONSTRUCTION SOCIALE DU SIGNE LINGUISTIQUE............................................................ 322

3 LE FRACAM : UNE ACCLIMATATION PROBLÉMATIQUE........ .................................. 327

4 CONCLUSION............................................................................................................................ 332

CONCLUSION GÉNÉRALE........................................................................................................... 333

1 LA PROBLÉMATIQUE DE LA FAUTE................................................................................. 335

2 LA SYNTAXE VARIATIONNELLE ET LES ENDONORMES ........ .................................. 336

3 L’ACTIVITÉ DU LOCUTEUR................................................................................................. 339

4 LES CATÉGORISATIONS....................................................................................................... 341

5 POUR CONCLURE ?................................................................................................................. 343

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ....................................................................................... 345

ANNEXES ................................................................................................VOLUME 2 (241p.)

ANNEXE 1 ................................................................................ CORPUS DE FRACAM (p. 1-237)

ANNEXE 2 ......................................................................................................IMAGES (p. 238-241)

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II NNTTRROODDUUCCTTII OONN GGÉÉNNÉÉRRAALL EE

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

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1 MOTIVATION DU SUJET

La consultation de la littérature scientifique permet assez rapidement de se rendre compte que la morpho-syntaxe demeure le parent pauvre des recherches sur le français en Afrique. Les premiers travaux de description interne d’envergure datent des années deux mille (K. Ploog 1999, 2002 ; B. A. Boutin 2002 ; M. Jabet 2005 ; V. Feussi 2006 ; A.-M. Knutsen 2007 ; E. Ngamoutsika 2007). Ces travaux ont présenté avec des approches différentes les originalités linguistiques des territoires étudiés. Ils ont surtout souligné un stade assez avancé du processus d’appropriation du français au point où en Côte-d’Ivoire par exemple, quelques faits linguistiques relevés posent sérieusement la question de la délimitation des frontières linguistiques. Au Cameroun où des travaux d’envergure sur les aspects syntaxiques du français manquent cruellement de l’aveu des spécialistes (E. Biloa 2007 : 365)6, les faits d’appropriation reçoivent presque toujours l’étiquette dévalorisante d’« interférences ». Au regard de notre expérience de locutrice d’au moins une des variétés décrites, cette présentation semble superficielle et insuffisante. Un certain positionnement théorique (le plus souvent diffus car l’adhésion aux cadres de référence de la linguistique « dure » semble aller de soi) peut justifier un certain type de traitement des faits linguistiques. La complexité des faits de langage ne peut s’appréhender véritablement à partir d’un point de vue unique. Le point de vue prédominant dans la linguistique contemporaine est celui du linguiste qui catégorise et étiquette les variétés. Or, les locuteurs s’exercent aussi souvent à une linguistique spontanée : ils catégorisent et ils nomment. La tâche du linguiste consiste à rendre compte des mécanismes de cette variation. Un moyen d’y parvenir est une description synchronique qui tienne compte de la diversité des phénomènes concourrant aux caractéristiques matérielles des langues. Nous pensons donc qu’il est opportun de procéder à un recadrage épistémologique afin de mieux rendre compte de la situation sociolinguistique camerounaise dans toute son épaisseur.

2 OBJECTIFS ET DÉMARCHE

Aborder la question des pratiques linguistiques sous l’angle social, tel est le principe général qui se dégage de la plupart des travaux récents sur la sociolinguistique en Afrique (L.-J. Calvet 1994, C. Canut 2001, C. Juillard 2000, 2007, P. Renaud 1998a, b, 2003). Les interactions à caractère informel ou formel sont le plus souvent bilingues (ou plurilingues) (C. Juillard 1995, C. Myers-Scotton 1993). Les pratiques linguistiques au Cameroun ne sont pas

6 Voir E. Biloa (2003a) pour un panorama des recherches sur le français au Cameroun.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

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en reste. Au contraire, les locuteurs camerounais multiplient les positionnements sociaux qui rejaillissent sur la texture des discours. Il devient donc risqué d’établir un profil type de locuteur. Pour rendre compte de cette variation sociale des langues, il est cependant indispensable de s’appuyer sur un corpus qui témoigne de certaines réalités effectives. La contrepartie de ce témoignage est que l’on passe sous silence d’autres voix qui auraient pu s’exprimer avec la même pertinence tout au moins. La linguistique sur corpus s’est accommodée de cette disponibilité partielle des données (B. Habert 2000). C’est d’ailleurs ce qui en constitue le moteur et le charme car la source des productions, c'est-à-dire la société, est intarissable.

Nous avons construit notre corpus à partir de quelques critères sociologiques et la population ciblée en priorité a été la jeunesse. Le choix de cette catégorie de la population s’explique par son rôle central dans le processus de démarcation linguistique dans un contexte où les identités sont très instables. En effet, les comportements linguistiques des jeunes, en constante innovation, permettent d’évaluer la distance qui existe entre ces derniers et la norme statutaire dominante.

Toutefois, notre objectif principal est la description du français « ordinaire »7 du Cameroun à travers trois entrées d’ordre syntaxiques : les dispositifs, le discours rapporté et l’interrogation. Les pratiques linguistiques des jeunes sont alors mises en regard avec celles des adultes. Le corpus (Volume 2) se subdivise donc en deux sous-ensembles : un corpus central (discours de jeunes) et un corpus témoin (discours d’adultes). Pour faciliter le renvoi à ce corpus dans sa totalité, nous avons forgé le sigle FRACAM. Il signifie français parlé au Cameroun. Une explicitation relative aux genres de discours enregistrés et aux différentes attitudes sociolinguistiques est proposée dans le chapitre « Méthodologie ».

Travailler sur des discours produits par des jeunes présente un autre avantage : la perception de la variation diachronique. En effet, au cours de l’apprentissage du français en famille (le français étant devenu la langue de nombreuses familles), les structures fossilisées dans les générations précédentes servent de modèles d’apprentissage. Ce sont ces normes d’usages générées et entretenues par le lien social qui permettent la socialisation anthropologique de ces jeunes. Les usages des jeunes permettent alors de lever quelque peu l’aveuglement sur les processus d’évolution lorsqu’on adopte un point de vue rigoureusement synchronique. L’impact de la dimension urbaine, des quartiers et des groupes de pairs est intégré à la constitution du corpus. Ce dernier met en scène des locuteurs qui appartiennent à des réseaux sociaux serrés. Les données sont donc socio-

7 Au sens où F. Gadet (1996/1997) l’utilise.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

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historiquement situées. La comparaison des discours de jeunes avec ceux des adultes de statuts linguistiques divers permet de construire des hypothèses sur le fonctionnement interne du français au Cameroun. Une résultante de cette étude est la connaissance de l’état de l’appropriation du français au Cameroun. D’où l’intitulé choisi :

La variation du français au Cameroun. Approche sociolinguistique et syntaxique.

Par « sociolinguistique », nous entendons une prise en compte du social en tant que facteur important du processus d’élaboration des faits langagiers. La distinction faite par F. Gadet (2004) entre la sociolinguistique et le sociolinguistique est ici pertinente. Notre démarche relève du sociolinguistique car la variation n’est peut-être pas exclusivement dans la forme. Elle relèverait aussi des processus sociaux de référenciation, c'est-à-dire de création d’un sens social pour certaines matérialités discursives. C’est ce qui explique le choix des théories fondées sur la socio-culture.

3 QUESTIONS DE RECHERCHE

Quelques questions permettent d’orienter les discussions théoriques et la description du corpus :

- La variation du français au Cameroun est-elle toujours syntaxique ? Quelles sont les orientations apportées par la « vernacularisation » sociolinguistique ?

En effet, l’évolution du français au Cameroun a vu l’émergence d’un certain nombre de variétés avec des valeurs socio-identaires saillantes. La plus médiatisée est le camfranglais, souvent décrit comme un « parler jeune ». D’où ces deux autres questions :

- Le renouvellement formel en camfranglais consacre-t-il l’émergence d’une variété autonome ? En d’autres termes, le camfranglais a-t-il des règles combinatoires propres qui le démarquent du français ordinaire au Cameroun ?

- Les variations lexicales sont-elles à situer sur le même plan que les variations syntaxiques ? Si non, que véhicule exactement le concept de variation en linguistique ?

- La diversité des pratiques en français entravent-elles l’intercompréhension à l’intérieur de la communauté camerounaise ? Quelles sont les passerelles sociolinguistiques qui s’établissent?

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

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4 ORGANISATION DE LA THÈSE

Les questions précédentes sont traitées dans un mouvement d’ensemble qui correspond à une démarche empirico-inductive dite « en sablier »8.

La première partie fait une présentation socio-historique du contexte camerounais. Ce parcours diachronique a pour objectif de souligner les différents facteurs qui contribuent à l’originalité de la macrostructure camerounaise. Il se dégage une inadéquation des politiques linguistiques face à la complexité de la situation. Cette présentation débouche sur l’explicitation de la problématique générale de cette thèse.

La deuxième partie est consacrée à la présentation des options épistémologiques et méthodologiques. La complexité des phénomènes étudiés a presque naturellement conduit à l’adoption des principes de la complexité linguistique. La conséquence en est l’éclectisme théorique qui se ressent dans les deux dernières parties.

La troisième partie est le noeud descriptif où devront apparaître les schémas syntaxiques autour desquels l’endogénéité du français parlé au Cameroun se construit. Aucune théorie n’étant en mesure de modéliser les faits langagiers sous tous leurs aspects, nous avons procédé à une triangulation en sélectionnant des modèles qui semblaient compatibles. Ainsi, les descriptions syntaxiques sont systématiquement étayées par des analyses discursives, afin de dégager la signification socio-culturelle des schèmes mis à jour. C’est la traduction d’une approche résolument qualitative, qui aurait certainement gagné à inclure quelques évaluations chiffrées.

La quatrième partie est consacrée à une interprétation des résultats de manière à donner une meilleure visibilité à l’ensemble des phénomènes décrits. Il y sera question du rôle particulier du camfranglais pour la prise de conscience collective de normes endogènes du français au Cameroun.

8 Ph. Blanchet (2000).

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PPRREEMM II ÈÈRREE PPAARRTTII EE

CCAADDRREE SSOOCCII OO--HHII SSTTOORRII QQUUEE

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CCHHAAPPII TTRREE II

PPAARRCCOOUURRSS SSOOCCII OOLL II NNGGUUII SSTTII QQUUEE

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CHAPITRE I

PARCOURS SOCIOLINGUISTIQUE

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1 APERÇU HISTORIQUE

Le Cameroun est le pays par excellence du plurilinguisme. Au regard de sa superficie (475 442 km²) le nombre de langues (286)9 qui se côtoient sur son territoire est impressionnant. Historiquement, l’introduction du français au Cameroun date de 1916 avec la défaite des troupes allemandes au terme la première guerre mondiale.

Sous mandat français, les langues autochtones allaient être progressivement boutées en dehors du système éducatif du Cameroun au profit du français. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, les frontières du Cameroun sont redessinées et le pays partagé entre les alliés vainqueurs : le Cameroun oriental (partie la plus vaste) revient à la France et le Cameroun occidental revient à la Grande-Bretagne. Des deux côtés de la frontière interne, les politiques officielles, même si elles divergent sur quelques points de détail, se rapprochent par la volonté d’unification linguistique dans le domaine officiel (Tabi Manga, 2000 : 51).

Pour ce qui est de la langue française, on assiste à une réduplication des stratégies de mutilation de la diversité linguistique ayant présidé à la construction de l’Etat-Nation français. En effet, commencée sous la Monarchie et accélérée à partir de la Révolution, l’uniformisation de la langue aura dans une large mesure raison des différences linguistiques, et ce au nom de l’abolition des inégalités. La variété qui sera généralisée est le français de la cour parisienne qui correspond aussi « à la façon d’escrire de la plus saine partie des Autheurs du temps »10. C’est ainsi que « la Révolution entreprit une politique d’éradication des dialectes et langues régionales, et une francisation générale. »11 Ce souci d’uniformisation linguistique enclenche le processus de standardisation de la langue française. Ce processus consiste à décrire et à outiller le français de références métalinguistiques. Deux instruments de fétichisation de la langue sont produits : la grammaire et le dictionnaire.

La grammatisationgrammatisationgrammatisationgrammatisation (S. Auroux 1992) du français est assez particulière car

au lieu d’installer des normes grammaticales, lexicales, orthographiques… ouvertes, indispensables à la maturité de la communauté linguistique, on a sacralisé une norme du français, on a idéalisé un usage puriste de la langue, on a institutionnalisé – et donc – solidifié le bon Usage… 12

9 R. Gordon (2005). 10 Ce n’est autre que le bon usage cher à Vaugelas (Henri Besse 2001 : 44-45). 11 J. Picoche & C. Marchello–Nizia (1996 : 31). 12 H. Boyer (2001 : 385). Italiques de l’auteur.

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PARCOURS SOCIOLINGUISTIQUE

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La même « générosité » (L.-J. Calvet 1999) qui poussa les révolutionnaires à vouloir « extirper tous les préjugés, développer toutes les vérités, tous les talents, toutes les vertus, fondre les citoyens dans la masse nationale, faciliter le jeu de la machine politique » (J. Picoche & C. Marchello–Nizia 1996 : 31) est certainement le moteur de l’action civilisatrice des colonisateurs. Ils venaient partager leurs savoirs avec les indigènes, leur offrant ainsi la possibilité d’accéder à la culture de l’universel dont les langues locales n’avaient pas les clés. En réalité, la France souhaitait, par une politique d’assimilation, former des subalternes devant servir de relais et accomplir des tâches administratives dans l’esprit français. En témoignent ces extraits de l’Arrêté du 21 juillet 1921 signé par J. Carde, Commissaire de la République en poste au Cameroun13 :

L’enseignement primaire a pour objet essentiel de rapprocher de nous, par une grande diffusion de la langue française le plus grand nombre possible d’indigènes de les familiariser avec nos intentions et nos méthodes et de les conduire prudemment au progrès économique et social en leur donnant une éducation soigneusement adaptée au milieu dans lequel ils sont appelés à vivre.

La langue française sera la seule employée. La méthode de traduction ne permet que des progrès lents, la mémoire y joue un rôle principal, de plus l’enfant n’arrive jamais à penser dans la langue étudiée et encore moins à s’en servir dans les conversations. C’est donc à l’emploi de la méthode directe qu’il faut recourir.14

La partie anglophone du Cameroun a connu une évolution linguistique semblable à celle du Cameroun oriental. La scolarisation a eu raison des langues autochtones et même du pidgin-english15 qui était la langue par excellence de l’évangélisation dans le Cameroun occidental : les missionnaires catholiques et protestants « ne voyai[en]t nullement l’utilité d’enseigner le français aux jeunes élèves de brousse et d’alphabétiser les adultes directement en français » (J. Tabi Manga 2000 : 42). En dépit de leurs réticences, le pidgin-english et les langues locales (duala et bali) sont formellement interdites dans les écoles au terme du « Board of Education » tenu à Buea en octobre 1956 : « […] the medium of instruction should be simple English… » (J. Tabi Manga 2000 : 65).

13 G. Vigner (1989 : 42). 14 La méthode traduction est celle qu’avaient adopté les missionnaires. Alphabétisation et initiation à l’arithmétique en langue locale, ensuite passage au français ou à l’anglais selon le côté de la frontière où on se trouvait. 15 La répression du pigdin-english est encore très vivace aujourd’hui dans les établissements scolaires tous niveaux confondus. Sur le campus de l’Université de Buea, des écriteaux proscrivent l’utilisation du pidgin-english (C. de Féral, à paraître). Il va sans dire que sans véritables mesures coercitives, les gens parlent la langue dans laquelle ils se sentent à l’aise, celle qui exprime le mieux leurs réalités socio-culturelles, le pidgin.

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Après l’indépendance en 1960, le jeune gouvernement camerounais maintient le cap linguistique dans la direction de l’uniformisation autour de la langue française. En fait, la multiplicité des langues ethniques et la crainte des conflits pouvant découler de l’adoption de certaines langues au détriment des autres ont largement concouru à ce statu quo. En 1961, la Réunification donnera naissance au bilinguisme officiel qui contribue aujourd’hui, sur le plan institutionnel, à l’originalité du paysage linguistique du Cameroun. L’Etat fédéral adopte sans hésitation la langue dominante de chacune des parties de la fédération : l’anglais et le français. Il est tout de même surprenant de constater qu’à ce tournant historique, la logique d’une seule langue commune à tous les citoyensune seule langue commune à tous les citoyensune seule langue commune à tous les citoyensune seule langue commune à tous les citoyens n’ait pas été évoquée pour la sélection exclusive du français ou de l’anglais comme langue officielle. C’est pourtant cette logique qui a permis d’évincer les langues camerounaises qui avaient été introduites dans les cours d’alphabétisation à des fins d’évangélisation par les missionnaires de part et d’autre de la frontière interne. Les réponses purement politiques nous éloigneraient des questions linguistiques ayant motivé ce travail de recherche.

Très vite, le système éducatif camerounais met en place des stratégies pour satisfaire les exigences du politique. L’Université fédérale créée en 1962 est bilingue, des écoles et lycées bilingues verront aussi progressivement le jour. Aujourd’hui, les écoles bilingues remportent un franc succès auprès des populations camerounaises. Mais comme le mentionne J. Tabi Manga (2000 : 123) leur efficacité est surestimée. Le système éducatif paye le prix d’une incohérence politique quant à l’organisation générale de l’éducation nationale. L’État dispose essentiellement des structures éducatives pour la réalisation de sa vision du bilinguisme officiel. Cependant, la faiblesse des moyens matériels mis à la disposition des établissements, ainsi que la formation approximative des enseignants appelés à intervenir dans des cursus bilingues sont le talon d’Achille de ce bilinguisme tant vanté. En l’absence d’une politique globale, on aboutit à une juxtaposition de deux systèmes éducatifs au sein même des établissements bilingues16. Cette juxtaposition s’observe à plus grande échelle dans toute la société camerounaise. En effet, il n’est pas rare de s’entendre rétorquer si l’on s’étonne de l’incompétence d’un Camerounais dans l’une ou l’autre langue officielle : c’est le Cameroun qui est bilingue et pas les Camerounais17. Près de cinquante ans après l’institution du bilinguisme officiel, ses objectifs18 sont loin d’être atteints. Pour

16 Seul le lycée bilingue de Buea offre deux classes réellement bilingues (quatrième et troisième) au terme desquelles les élèves peuvent présenter indifféremment le BEPC ou le GCE O Level (General Certificate of Education Ordinary Level).. 17 Cette réflexion peut bien entendu être faite en anglais ou en pidgin-english par un anglophone. 18 Les grandes lignes de ces objectifs sont :

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justifier ce résultat mitigé, J. Tabi Manga (2000 : 121) donne trois raisons dont la dernière seule retient notre attention : « le bilinguisme officiel n’est pas pensé dans une approche intégrée du multilinguisme camerounais ».

L’intérêt de ce bref parcours historique est certes la présentation de la diversité linguistique du terrain camerounais. Seulement, les différentes interventions des hommes à travers des politiques linguistiques mutilatrices seront un précieux éclairage dans l’analyse des différentes mutations qui traversent la complexité du contexte sociolinguistique camerounais actuel.

2 LES LANGUES DU CAMEROUN

La pléthore des langues d’origine camerounaise est difficilement masquée par la façade du bilinguisme français/anglais, deux langues d’origine étrangère. Jusqu’ici, la vitalité des langues locales leur a assuré une transmission intergénérationnelle. Mais on peut déjà déplorer avec Z. Bitjaa Kody (2004 : 44) la disparition de quelques-unes (19) faute de locuteurs. Pour d’autres, le phénomène de l’urbanisation fait craindre le pire. En additionnant les 78 « langues en voie d’extinction » aux 85 « langues en grand danger de disparition » (les deux rubriques les plus proches des langues mortes), on obtient 163 langues camerounaises qui risquent d’être perdues à l’horizon 2250 d’après les estimations de Z. Bitjaa Kody (2004 : 41). Toute raison gardée, les langues locales dans leur immense majorité ne sont pas près de s’éteindre, et même si la moitié venait à disparaître cela ne simplifierait en rien le contexte camerounais vu qu’il en resterait plus d’une centaine encore19. D’où l’importance de la critique de l’orientation de la politique linguistique camerounaise formulée par J. Tabi Manga et reprise ci-dessus. Dans les faits, le flou qui consiste à admettre toutes les langues locales au statut de langues nationales ne peut que les desservir. Aussi, la proposition d’une politique linguistique autour du « quadrilinguismequadrilinguismequadrilinguismequadrilinguisme »20 est assez intéressante. Elle tient compte des usages réels et de l’utilité sociale des différents codes. Les quatre strates du quadriquadriquadriquadrilinguismelinguismelinguismelinguisme sont les suivantes :

« - la promotion de la pratique courante des deux langues officielles par chaque citoyen ; - la mise à disposition de l’Etat des moyens pour pouvoir communiquer avec l’ensemble des citoyens dans les deux langues officielles » (J. Tabi Manga 2000 : 111). 19 Nombre bien supérieur au décompte fait en Côte-d’Ivoire (une soixantaine) où l’évolution du français est très proche de celle du Cameroun. 20 Les traits de ce modèle sont déjà perceptibles dans le « trilinguisme extensiftrilinguisme extensiftrilinguisme extensiftrilinguisme extensif » de M.Tadadjeu (1985 : 191-193) lequel présente le profil linguistique idéal du Camerounais.

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Les langues maternellesLes langues maternellesLes langues maternellesLes langues maternelles. – Elles sont utilisées dans le cadre de la communication familliale. Leur faible dispersion sociale ne permet pas de les envisager comme langue de scolarisation.

Les langues communautairesLes langues communautairesLes langues communautairesLes langues communautaires. – Elles comptent un grand nombre de locuteurs natifs. En outre, d’autres Camerounais les adoptent spontanément en raison de leur pouvoir fédérateur dans une région donnée.

Les langues véhiculairesLes langues véhiculairesLes langues véhiculairesLes langues véhiculaires. – Elles constituent l’idéal de « langues nationales ». Elles sont interrégionales et même transnationales à l’instar du beti-fang et du fulfulde. 21

Les langues internationalesLes langues internationalesLes langues internationalesLes langues internationales. Elles jouissent du statut le plus élevé en tant que langues officielles. On ne saurait raisonnablement penser une politique linguistique en les excluant (J. Tabi Manga 2000 : 184-185).

La taxinomie utilisée ici est à cheval entre linguistique et politique. L’auteur fait des propositions aux décideurs et emploie donc à dessein une terminologie lisible dans cette perspective. Les trois premières strates traitent exclusivement des langues locales. L’adjectif « international » de la quatrième strate se justifie aisément.

Dans une option purement descriptive mais avec le même souci du critère de la fonctionnalité sociale, V. Feussi (2006 : 73-74) propose une « architecture de la galaxie linguistique » camerounaise avec quatre composantes qui, pour l’essentiel, recoupent les strates du « quadrilinguisme ». Il distingue les langues vernaculaires, les langues communautaires, les langues véhiculaires et les langues de jure.

2.1 LES LANGUES VERNACULAIRES

L’adjectif « vernaculaire » en sociolinguistique africaine a longtemps renvoyé exclusivement aux langues autochtones dites aussi maternelles. Ceci se justifiait par le fait qu’elles seules remplissaient cette fonction sociale pendant les premières années qui ont suivi l’introduction du français en Afrique. La récupération de ce terme dans les discours quotidiens lui a donné à la longue une connotation péjorative parce que les langues locales ont longtemps souffert d’un manque de valorisation22. Certains sociolinguistes emploient « langues ethniques » ou « langues identitaires » (Z. Bitjaa Kody 2004). Nous pensons

21 En guise de proposition concrète aux politiques J. Tabi Manga (2000) fera une synthèse prudente de manière à ménager les grandes communautés linguistiques répertoriées. Il voudrait voir institutionnalisées six langues véhiculaires sans que la liste soit pour autant « limitative » (p. 189). 22 La répression scolaire participe largement à cette connotation péjorative. Ceux qui utilisent leur première langue sont stigmatisés. Les « patois » n’attirent que l’opprobre.

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cependant qu’il est quelque peu réducteur de les nommer « langues identitaires » dans la mesure où l’identité (linguistique) des Camerounais ne se résume pas seulement à leur langue ethnique23. La fonction identitaire est de plus en plus assumée par les langues d’origine étrangère.

S’inspirant des travaux de G. Manessy, V. Feussi (2006 : 61) estime qu’une langue vernaculaire se caractérise par « sa neutralité sociale » et par sa présence dans la sphère intime des locuteurs. L’aspect le plus important de sa définition est « la prise de conscience de sa spécificité » par ses locuteurs. Compte tenu de ces critères, le groupe des langues vernaculaires du Cameroun comprend d’après V. Feussi (2006), les langues locales, le pidgin-english, mais aussi le français et le francanglais24. On peut se demander comment le camfranglais, jusqu’ici décrit comme un parler jeune, se classe parmi les langues vernaculaires du Cameroun. En fait, ce classement tient compte des représentations des locuteurs qui ont tendance à considérer le camfranglais comme une langue différente du français.25 Tous ces codes sont susceptibles de marquer un rapport d’intimité entre les locuteurs en fonction des situations de prise de parole. D’où leur extrême importance dans la construction identitaire des Camerounais aujourd’hui.

Il faut souligner que toutes les langues au/du Cameroun ont cette fonction vernaculaire. C’est la preuve que les langues importées26 se sont bien acclimatées (L.-J. Calvet 1999 : 142). « Acclimatement » ou « acclimatation » ? Nous remettons le débat à la quatrième partie de cette thèse.

2.2 LES LANGUES COMMUNAUTAIRES

Ce sont des langues qui sont portées par le nombre élevé de leurs locuteurs. Elles permettent de regrouper de petites tribus contiguës dans une communauté ethnique et linguistique plus large et plus forte. Alors que V. Feussi ne compte que le duala, « langue de la grande ethnie sawa », pour la ville de Douala qui est le lieu de son enquête, J. Tabi-Manga les estime à une soixantaine pour la totalité du pays.

23 Plusieurs Camerounais, notamment les jeunes, ne possèdent même pas une compétence passive de la langue de leur groupe ethnique. 24 Synonyme de camfranglais. Nous reviendrons sur les problèmes de dénomination de cette variété du français infra. 25 Nous aborderons dans le chapitre 8 les traits linguistiques qui sous-tendent ces représentations. 26 Nous inclurions aussi l’anglais omis par V. Feussi. Notre familarité avec les usagers anglophones nous permet d’avancer que l’anglais peut aussi être employé dans l’intimité. Il fait l’objet d’une appropriation certaine malgré la forte concurrence du pidgin.

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2.3 LES LANGUES VEHICULAIRES

Les véhiculaires se limitent à des régions spécifiques. Ainsi, le grand Nord dispose du fulfulde, les régions du Centre et du Sud possèdent le béti-fang, le pidgin-english règne dans le Nord-ouest, le Sud-Ouest, l’Ouest et le Mungo (Littoral)27. Le français est le seul véhiculaire qui s’étend sur tout le territoire camerounais.

Toutefois, il faut noter l’existence des langues véhiculaires dont la diffusion est plus restreinte aux circonscriptions départementales. C’est le cas par exemple de l’arabe choa qui se retrouve dans les zones urbaines du Logone et Chari dans la province de l’extrême-Nord (E. Biloa 2001)

2.4 LES LANGUES DE JURE

Elevés au rang de langues officielles, le français et l’anglais ont un statut dominant et s’imposent de droit aux citoyens camerounais. Ce sont des langues à « protection assurée » par la politique nationale de bilinguisme (Z. Bitjaa Kody 2004 : 41). Ce sont elles qui permettent les échanges sur le plan international, d’où leur préférence aux dépens des langues locales dont certaines sont déjà condamnées à disparaître.

Fait saisissant au terme de ce parcours des fonctions sociolinguistiques des langues du Cameroun : le français apparaît à toutes les strates sauf au niveau communautaire. Il ne peut se retrouver au niveau communautaire parce qu’il n’émane d’aucun regroupement social traditionnellement camerounais. Sur le plan formel, il va sans dire que le français des différentes fonctions sociales se présente sous des caractéristiques différentes à chaque fois. Il n’y aurait donc pas un français au Cameroun mais desdesdesdes français comme Y. Simard (1994) le dit aussi pour la Côte-d’Ivoire. Imposé de l’extérieur, le français a gagné beaucoup de terrain dans les pratiques linguistiques au fil des décennies. Il est devenu « multiple et varié, chacune de ses formes correspondant à une fonction sociale ou individuelle à lui attribuée par le locuteur » (V. Feussi 2006 :74).

En tant que langue de promotion sociale, la maîtrise de la variété normée paraît incontournable pour l’épanouissement de l’individu. Cependant, les crises multidimensionnelles qui traversent le pays depuis les années quatre-vingt-dix ont vu se développer un puissant secteur informel. La masse des déscolarisés vient grossir les rangs des vendeurs à la sauvette. Des jeunes diplômés sans débouchés dans les secteurs formels se reconvertissent dans l’informel. L’exode rural continue de drainer des milliers de jeunes

27 Le pidgin serait en perte de vitesse dans la ville de Douala où il se limiterait à quelques échanges commerciaux (V. Feussi 2006).

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vers les centres urbains. Peut-on logiquement s’attendre à un fonctionnement « formel » de la langue française dans un contexte « informel » ? Certains discours puristes estiment que c’est ce qui devrait se faire. L’incapacité pour un locuteur à s’exprimer dans un français normé serait la preuve de son inculture en langue française.

3 LA PRESSION NORMATIVE FACE A L’APPROPRIATION DU FRANÇAIS

3.1 LES DISCOURS NORMATIFS

Comme nous l’avons déjà dit, le français entre dans le paysage linguistique camerounais par le biais de l’institution scolaire. C’est donc un modèle normatif qui est vulgarisé. En l’absence d’un réel bain linguistique les seules références valables tant pour l’écrit que pour l’oral sont longtemps restées les textes étudiés en classe. D’où la fascination des Camerounais pour les beaux parleurs car « ils connaissentconnaissentconnaissentconnaissent le français ». Ils peuvent ainsi mériter l’estime de leurs compatriotes. La fascination provoquée par le « gromotologue »28 peut très vite céder le pas à un rejet si le choix de la forme du code est jugé inappropriée par l’auditoire. D’où l’inconfort linguistique dans lequel se trouvent parfois les élites intellectuelles africaines (A. Queffélec 2007). L’assentiment ou le rejet d’une forme linguistique par une communauté sociale se fondent sur des critères d’évaluation plus ou moins explicite. Dans le cas de l’Afrique et du Cameroun en particulier, le processus de différenciation linguistique est mû par les activités langagières des cultures de l’oralité. Paradoxe, l’oral devient cette forme de langage coupable du délit de non-conformité au modèle de référence de la langue française. La problématique oral vs écrit oral vs écrit oral vs écrit oral vs écrit qui a longtemps consacré la suprématie de l’écrit dans l’espace franco-européen est importée au Cameroun pour présenter les différences entre les deux modes de production comme l’incapacité de l’oral à rendre compte de l’écrit. « On ne parle pas comme des livres » soulignait déjà F. Gadet (2003b). Ce n’est apparemment pas l’avis de G. Mendo Ze (1990 : 86) qui redoute la perversion de la langue française. Aussi, s’insurge-t-il en ces termes :

Il est inconcevable d’admettre que l’injection à forte dose dans le français d’éléments hétéroclites des langues camerounaises soit un phénomène d’enrichissement. Il n’est pas possible de prétendre que les créations lexicales bizarres soient des éléments d’enrichissement du français.

28 A. Queffélec (2007, à paraître).

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Il est appuyé par J. Fame Ndongo (1999 : 207) pour qui le français au Cameroun est « émaillé de plusieurs cas de cacologie (expression défectueuse qui, sans être une incorrection grammaticale, fait violence à l’usage, à la logique) ».29

L’atmosphère intellectuelle peut se résumer par ce titre choisi par G. Echu (1999) pour l’un de ses travaux : « Usage et abus de langage au Cameroun ».

Toutes ces récriminations rappellent étrangement ceux d’A. Martinet (1969 : 94)30 qui considérait le français parlé comme une sous-langue :

ce ne serait pas une boutade de dire que le français populaire n’est pas vraiment le français , [il est le fait de] larges couches prolétariennes et paysannes qui n’ont ni le loisir ni les moyens de cultiver chez eux-mêmes des exigences linguistiques.

Dans cette description de la langue l’amalgame est vite fait entre français parlé et couches populaires. Cette vision des faits est soutenue par les thèses de B. Bernstein (1958-71)31 qui fait correspondre le code restreintcode restreintcode restreintcode restreint aux milieux défavorisés et le code élaborécode élaborécode élaborécode élaboré aux classes aisées et instruites.

De nombreuses études sociolinguistiques, pour la plupart variationnistes, qui ont eu cours dans la foulée, ont donné un fondement scientifique à la notion de niveaux de langue. La division en niveaux de langue dans les grammaires classiques a toujours utilisé la langue populaire comme pôle négatif. Le plus souvent les exemples de langue populaire (comme tous les autres d’ailleurs) sont tirés de la littérature. Mais en fait ces exemples, caractérisés par des trucages orthographiques, toujours attribués aux ouvriers et aux personnes faiblement scolarisées, servent non pas à rendre compte des réalités linguistiques mais plutôt à mettre en valeur les textes littéraires. Ce faisant, il s’établit un consensus autour des formes de français parlé admises par la littérature du moment où ce sont les textes littéraires qui les « naturalisent ». On assiste ainsi à un véritable renversement de situation32 où c’est l’écrit qui justifie des usages, qui en approuve l’existence. Ce sont donc des exemples caricaturaux de niveaux de langues qui se perpétuent dans les ouvrages pédagogiques. Le français parlé s’oppose alors à l’écrit, la forme correcte, la norme. Cl. Blanche-Benveniste (1987 : 20-21) relève à ce propos que

29 On pourrait se demander à quelle logique l’auteur fait référence. Est-elle camerounaise ? Est-elle simplement linguistique ? 30 In Cl. Blanche-Benveniste & C. Jeanjean (1987) 31 Traduit en français en 1975. 32 Une situation naturelle serait celle dans laquelle l’écrit est une transposition de l’oral qui reste la forme première de la langue. On ne saurait donc juger l’étape initiale par le prisme de l’étape dérivée.

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le parlé c’est ce qu’on n’écrit pas habituellement compte tenu des règles de bienséance de l’écrit. À ce compte, le français parlé qui sort de cette opposition est toujours fautif.

3.2 LES ANALYSES VARIATIONNISTES DE L’APPROPRIATION

Dans la mouvance sociolinguistique des années soixante-dix et quatre-vingts, l’Afrique s’est trouvée être un terrain fertile pour l’étude des variantes sociales dans la pratique des langues étrangères, principalement le français et l’anglais. Le plurilinguisme ambiant ne pouvait qu’être un heuristique supplémentaire dans la mesure où il engendre des productions pour le moins singulières.

Les études faites sur le français parlé en Afrique noire sont pour la plupart des sortes de monographies qui reprennent pour chaque pays une répartition en niveaux de langue en fonction du niveau d’études des individus. Ce critère social permet de rendre compte des formes d’appropriations. Ainsi, les sous-catégories basi- méso- acrolectal instaurent une hiérarchie en fonction de la distance observée par rapport au français standard33.

3.2.1 ÉCARTS AU NIVEAU DE LA PRONONCIATION

Les premières années de cohabitation du français avec les langues camerounaises ont certainement généré des prononciations régionales. Il était alors possible de reconnaître l’origine ethnique d’un locuteur rien qu’en l’écoutant. C’est ce qu’indique C. de Féral (1993 : 210) :

Les gens du littoral n’ont pas l’accent ‘lourd’ des Bamilékés, ils ‘parlent clairement’, ils ont un accent neutre’. Les Ewondos ont une intonation ‘chantante’, mais parfois ‘traînante’. Les nordistes prononcent [s] au lieu de [G] et [z] au lieu de [F ]. Ils "roulent les r".

Cette répartition recouvre les quatre grands accents régionaux généralement utilisés dans la description du phonétisme du français parlé au Cameroun (G. Mendo Ze, 1992 ; R. Wamba & G. Noumssi, 2003). Les tons viennent se superposer aux phonèmes « déviants ». P. Zang Zang (1991: 399-400)34 constate en effet que le français est devenu une langue tonale car,

l’intonation et le timbre de la voix sont ceux des langues locales de sorte que toute la base articulatoire du français est identique à celle des langues locales.

33Nous reviendrons sur la méthodologie différentielle majoritairement employée dans le cadre théorique. 34 Cette thèse de troisième cycle porte sur l’analyse des traits phonologiques spécifiques aux français parlés au sein des groupes linguistiques bamilékés, béti et peul.

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P. Zang Zang attribue certaines consonances à des ethnies spécifiques. Ses conclusions entérinent une réalité diffuse ressentie par les locuteurs camerounais. Il suffit de voir comment certains comédiens jouent sur ces différences tribales. Mais le rire que leurs sketchs provoquent témoigne de la stigmatisation sociale dont les différents accents font l’objet35. Aujourd’hui, la scolarité précoce et le non apprentissage des langues locales par les jeunes font que ces accents régionaux tendent à disparaître au Cameroun36. Avec le phénomène de l’urbanisation et l’affectation aléatoire des enseignants (fonctionnaires) dans les établissements scolaires des différentes régions du Cameroun, les enfants sont confrontés aux mêmes modèles linguistiques. C’est une situation similaire qui justifie la tendance à l’homogénéisation de l’accent ivoirien (S. Lafage 2002) ou de l’accent sénégalais selon une enquête de M-L. Moreau, N. Thiam et C. Bauvois (1998) :

la quasi-totalité des enseignants sont sénégalais. Un enfant sereer peut se trouver dans une classe, à côté d’enfants sereer, mais aussi peul et manding, sous la conduite d’un maître diola qui aura reçu sa formation en français d’enseignants wolof, manding ou sereer, etc. Et, en dehors du cadre scolaire, il assistera à des échanges en français entre des agents de services publics, par exemple, de diverses provenances régionales et ethniques. On peut imaginer que de ce brassage d’influences linguistiques est né une variété de français, qui ne se raccroche pas à un adstrat unique, n’est pas le produit d’interférences avec une seule des langues ethniques, mais se définit sans doute avant toute chose comme sénégalaise. (p. 113)

Cette description peut se transposer entièrement pour le Cameroun, en substituant sereer et manding par duala, béti ou bamiléké. L’articulation tonale emprunte à divers substrats pour fusionner de la même manière qu’aux niveaux lexical et syntaxique. P. Renaud (1976 : 20) indique assez clairement le mouvement d’homogénéisation de l’accent camerounais au début des années soixante-dix :

le « modèle » très métropolitain enseigné jusque-là fit place, […] à un modèle beaucoup plus empreint d’interférences bantu ; […] ce modèle fut diffusé et l’est encore, sur l’ensemble du territoire à une population d’enfants entre six et treize ans, c’est-à-dire non encore fixés dans ses habitudes linguistiques et habile à reproduire le parler des maîtres.

La focalisation sur les accents régionaux comme c’est le cas chez les auteurs susmentionnés ne peut que contribuer à les stigmatiser (V. Feussi 2006 : 239). Si nous ne considérons que le cas de la France au sein de la francophonie, il est généralement admis que l’accent méridional se distingue nettement de l’accent breton. Il est même possible de faire la différence entre un Marseillais et un Montpelliérain. Il va sans dire que tous ces accents tranchent avec l’accent parisien pris pour référence par la norme standard.

35 Comme certains ne travaillent pas bien leurs textes, ils forcent les accents ethniques au maximum pour provoquer le rire. 36 Ils peuvent être encore perceptibles chez des personnes de plus de quarante ans.

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L’enquête de M-L. Moreau et al. (1998) a pu éprouver la validité de l’existence d’un accent sénégalais. Un jury composé de 104 étudiants universitaires devait se prononcer à l’écoute d’un enregistrement de 67 étudiants universitaires francophones africains (33 non-Sénégalais et 34 Sénégalais de diverses ethnies). Les locuteurs Sénégalais sont identifiés sans hésitation à 84%. Les membres du jury sont par ailleurs incapables de deviner l’origine ethnique de leurs compatriotes. Et M-L Moreau (2000 : 146) ne met les 22% de bonnes réponses que sur le compte du hasard. Les accents nationaux existent pour les locuteurs. Ils sont intégrés dans leur conscience linguistique. Ce sentiment se vérifierait par une analyse phonématique du français parlé au Cameroun. A. Djoum Nkwescheu (2000 : 303), sur la base d’une étude trans-ethnique d’une population37 qui parle le « français moyen camerounais »38, assure que

le français parlé au Cameroun s’est profondément libéré de la norme du français standard. Dans le domaine suprasegmental, le français camerounais possède une structure qui se démarque de façon saisissante de celle du modèle de référence et ceci de façon quasi homogène sur toute l’étendue du territoire sans considération de la langue maternelle du locuteur.

C’est cet accent camerounais qui permettrait aux autres Africains d’identifier des locuteurs camerounais, et même aux Camerounais de se reconnaître entre eux en dehors des frontières de leur pays.

3.2.2 ÉCARTS AU NIVEAU DU LEXIQUE

Les interférences à ce niveau sont celles qui ont le plus de grâce aux yeux des défenseurs de la pureté de la langue. Il est unanimement admis qu’il est difficile sinon impossible pour un Camerounais de dire autrement qu’il a mangé un bon kpwem (feuilles de manioc), ou un délicieux ndole39. Comment désigner cette femme qui vend des vivres autrement que par bayam sellam ? Aucun camerounais ne prétendra ne pas savoir ce que signifient des expressions telles manger son argent (« dépenser »), avoir les longs yeux / avoir le gros cœur (« être avare ; avoir les yeux plus gros que le ventre »).

Il faut dire que la crédibilité de ce vocabulaire a été acquise grâce à l’autorité scientifique de l’Inventaire des Particularités du Français en Afrique Noire (IFA) publié en 1983. On peut en effet lire sous la plume de J. Tabi Manga (1999 : 43) que

37 La représentativité de la population postulée par cet auteur peut cependant être questionnée. 38 Sa population est constituée de personnes dont le niveau de scolarisation se situe entre la licence et le DEA. 39 Mets préparé à partir des feuilles de vernonia amygdalina, en voie de devenir un plat national voire continental (J. Fame Ndongo 1999).

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cet inventaire qui regroupe selon un ordre alphabétique les nomenclatures de douze pays africains à partir d’un fichier de 13 000 entrées, dévoile la juxtaposition de deux normes. La norme interafricaine régionale est bien réelle. Ce n’est pas une vue de l’esprit. Elle est l’acceptation d’un certain nombre de faits qui ne donnent pas lieu à discussion, à un jugement d’exclusion.

Un consensus se fait donc autour de l’existence de ces particularités lexicales, le désir avoué de quelques-uns étant de confiner ces particularismes au niveau du lexique. L’histoire a démontré que les langues évoluent au gré des principaux usagers que sont les locuteurs. Même pris dans l’étau des modèles normatifs institutionnels, leurs discours réflètent la variation inhérente au langage qui concourt à l’évolution linguistique. Les locuteurs camerounais (et africains) qui débordent d’inventivité lexicale n’attendent aucune permission pour revisiter la syntaxe du français.

3.2.3 ÉCARTS DE SYNTAXE

La syntaxe est sans doute le point où « le bât blesse » le plus lorsque l’on s’attaque à la langue française. Elle est sentie comme le cœur de la langue. Les « structuro-linguistiques » (Ph. Banchet 2003, 2007a) en ont donné une image ordonnée de l’ordre du sacré. Ce qui n’entre pas dans les catégories préétablies est forcément agrammatical. C’est la sentence qui frappe les structures des variétés dites basilectales et dans une moindre mesure celles du français mésolectal. Il leur est reproché par exemple la réduction des catégories grammaticales en cas de neutralisation du genre40, la restriction des formes d’un paradigme et l’ordre des mots comme seul révélateur de la fonction syntaxique (A. Queffélec 2001, S. Lafage 2002, E. Biloa 2003).

Il faut toutefois reconnaître que la diversité des pratiques langagières rend difficile la recherche des régularités, si bien que l’on est souvent amené à conclure que les divers parlers africains reflètent une maîtrise approximative du français standard. Et c’est précisément à ce niveau que se situe le problème des analyses du français parlé en Afrique. Il se dégage parfois l’impression d’une inadéquation entre les théories et les cadres descriptifs mobilisés d’une part et l’objet des études d’autre part. Les français africains sont le produit de contextes plurilingues. Les productions des locuteurs ne peuvent pas indéfiniment présenter des lacunes. Elles ont autre chose que des interférences et des approximations : elles sont le reflet d’une compétence plurilingue dont la gestion n’est pas aisée au vu des multiples sollicitations quotidiennes où les règles du jeu communicatif sont tantôt subies tantôt élaborées par les locuteurs eux-mêmes. Quand elles sont subies, l’insécurité linguistique est élevée ; quand elles font l’objet d’un consensus social l’insécurité

40 Cette neutralisation du genre est la règle en anglais de même que dans les langues africaines.

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linguistique est moindre et les locuteurs se fondent dans la masse que constitue le groupe social :

Il y a un temps – court – où les unités et les structures peuvent être considérées comme des emprunts ou comme des faits d’interlangue ou comme des innovations, il y a un temps où elles font partie du répertoire linguistique partagé par les membres du groupe.41

3.2.4 ÉMERGENCE DE NORMES ENDOGÈNES

Des analyses dans un cadre variationniste permettent de montrer la dynamique à l’oeuvre dans le français parlé au Cameroun. G. Noumssi (2004) s’intéresse principalement aux variations socio-culturelles du français dans la société camerounaise. L’un des critères sociaux majeurs retenus est le niveau de scolarisation. Il utilise donc la subdivision ternaire classique en basi- méso- accrolectal pour la description des compétences en français. Pour lui, la dynamique de la variation engendre des calques d’expressions ou de syntaxe qui sont la résultante d’un double apprentissage linguistique et social. Il en ressort une interlangueinterlangueinterlangueinterlangue dont le français de la rue est largement responsable (p. 109-110)42. C’est une analyse similaire que fait E. Biloa (1998 : 65) qui ajoute qu’ « il est […] difficile d’arriver à une maîtrise parfaite du français standard si l’on se cantonne à l’éducation de la rue ou à celle de la maison ».

Cette présentation de l’interlangueinterlangueinterlangueinterlangue nous paraît assez limitative pour au moins trois raisons émanant spécifiquement du contexte camerounais :

1) Les objectifs d’un apprentissage sur le tas sont complètement différents de ceux d’un apprentissage formel. Dans le premier cas, il s’agit de communiquer en s’intégrant dans sa communauté. Ce faisant, on apprend mimétiquement les façons de dire de ses proches. C’est un apprentissage sociétalapprentissage sociétalapprentissage sociétalapprentissage sociétal. Nous voulons dire que l’apprentissage linguistique contextualisé est un moyenmoyenmoyenmoyen de socialisation aussi bien qu’une formeformeformeforme de socialisation. Les pratiques linguistiques ainsi acquises43 permettent au sujet social de se positionner dans et par rapport à la société à laquelle il appartient. Dans un apprentissage formel (tel qu’il est pratiqué au Cameroun du moins), il s’agit surtout d’apprendre la variété normée dite

41 M.-L. Moreau (2000 : 138). 42 Notons tout de suite que G. Noumssi tire avantage du concept didactique d’interlangue. En situation d’apprentissage formel, l’apprenant évolue par paliers successifs d’interlangue en interlangue jusqu’à satisfaction des objectifs d’enseignement / apprentissage. On ne lui reprochera pas ce terme puisque ses locuteurs sont des jeunes en âge scolaire. 43 Nous restons fidèle à la terminologie de la didactique des langues qui réserve acquisition pour les situations informelles et apprentissage pour les situations formelles.

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standard, celle qui garantit la promotion sociale à travers la certification : son mode de fonctionnement sélectif engendre des fiertés et des frustrations qui font partie des causes de l’insécurité linguistique que nous traiterons dans le paragraphe suivant. Si les jeunes considérés par G. Noumssi (2004) sont en cours d’apprentissage formel, il appartient à l’institution scolaire de faire émerger la conscience linguistique qui leur permettra de dissocier les différents usages sociolinguistiques.

2) Les cours de langue ne sont pas toujours capables d’atteindre les objectifs de transmission d’un modèle normatif faute de moyens matériels ; les moyens humains sont quantitativement et qualitativement insuffisants.

3) L’aveuglement des enseignements formels coordonnés par une politique linguistique incohérente avec le plurilinguisme de la société camerounaise ne peut aboutir qu’à des résultats mitigés. L’approche didactique de la table rase a entraîné un certain nombre de confusions chez les élèves44. Alors, on se rattrape comme on peut, ce qui conduit aux faits d’appropriation amplement présentés dans la littérature scientifique.

Il n’empêche que pour G. Noumssi cette interlangue issue d’un processus d’apprentissage formel croise l’interlecte45 social : « c’est donc au sein de cette variété de français que se rencontreront les particularismes régionaux et les phénomènes de métissage dus aux interférences linguistiques ».46

La théorisation sociolinguistique de l’interlecte (L.F. Prudent 1981) prend appui sur un contexte (la Martinique) précédemment décrit par le modèle diglossique de C. Fergusson (1959) : la répartition fonctionnelle entre le créole (basilecte) et le français (acrolecte) confine le premier aux activités strictement privées de locuteurs et le second aux activités publiques que sont les textes écrits et les discours formels. La standardisation du français et sa tradition littéraire en fait naturellement la langue de scolarisation. Cependant, des enquêtes qui s’occupent moins de la délimitation des langues et centrent leurs analyses sur les pratiques elles-mêmes constatent que la cloison artificielle ne peut tenir longtemps (L.-F. Prudent 1981 : 22-26). La longue cohabitation des deux codes sur plusieurs siècles entraîne forcément des mélanges qui interrogent sur l’apparition d’un troisième système (triglossie) (L.-F. Prudent 1981 : 25). Le continuum des productions linguistiques déconcerte les

44 Les confusions linguistiques pouvant découler des confusions psychologiques. 45 « L’ensemble des faits linguistiques, qui, dans une diglossie ou un continuum, peuvent relever de l’une ou de l’autre langue en même temps, sans discrimination possible ; ils constituent quantitativement l’essentiel de la parole quotidienne » (J. Dubois 2001 : 253). 46 R. Wamba & G. Noumssi (2003 : 4).

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analystes et les « performances qui ne répondent pas aux schèmes grammaticaux de l’une ou de l’autre langue seront rejetées dans des catégories volontairement imprécises du français créolisé ou du créole francisé » (L.-F. Prudent 1981 : 26). C’est donc pour rompre avec le consensus scientifique qui semblait établi autour de ce binarisme que L.-F. Prudent (1981 : 31) définit la zone interlectale comme « l’ensemble des paroles qui ne peuvent être prédites par une grammaire de l’acrolecte ou du basilecte ».

Le modèle diglossique traditionnel n’épuise pas plus la situation camerounaise que la situation des Petites Antilles. En effet, le statut de langue officielle confère au français une position haute. Les langues locales reléguées dans la sphère privée occupent une position basse. Ce sont là les ingrédients d’une diglossie classique. En réalité, le contexte camerounais est une juxtaposition de diglossiesjuxtaposition de diglossiesjuxtaposition de diglossiesjuxtaposition de diglossies dans la mesure où la diglossie se structure différemment selon les différents codes en présence dans une aire géographique circonscrite. On observe ainsi une diglossie français /langue(s) véhiculaire(s) africaine(s) (fulfulde au Nord, béti-fang dans le Centre-Sud) et même véhiculaire(s) africain(s) – vernaculaire(s) africain(s)47. Sans oublier les complexifications supplémentaires si l’on tient compte de l’anglais et surtout du pidgin-english présents dans certaines zones francophones (Département du Mungo48 à quelques encablures de Douala). Il est évident que la situation sociolinguistique du Cameroun, avec les traits d’une diglossie enchâsséediglossie enchâsséediglossie enchâsséediglossie enchâssée (M. Beniamino 1997), s’éloigne considérablement des zones créolophones ayant permis de modéliser la diglossie.

Dans les sociétés post-esclavagistes, il est généralement question d’une seule langue basilectale (le créole) étant entendu que le terme « langue » désigne un ensemble discontinu de productions. Cependant, cet ensemble bénéficie d’une unité symbolique dans l’imaginaire des locuteurs, de même que les descriptions des linguistes lui accordent cette unité symbolique. Il est quelque peu superflu de rappeler les centaines de langues traditionnelles pour le contexte camerounais qui nous intéresse. Alors comment est-il possible d’appliquer le concept d’interlecte au Cameroun ? Peut-être au nom des pratiques interstitielles qui n’obéissent pas toujours au français standard et au sein desquelles il est possible de dégager des schèmes grammaticaux des langues du substrat. Mais la multiplicité de ces langues interdit la possibilité de se référer à une langue unique ou même à une famille

47 Lorsque les populations du Mungo adoptent par exemple la langue de l’ethnie duala pour former une grande communauté Sawa ou lorsque le fulfulde coiffe les autres langues locales du Nord. 48 Département d’origine de Lapiro de Mbanga, chanteur célèbre aux textes en pidgin.

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linguistique pour trouver l’origine des interférences constatées. Pourtant, les faits d’appropriation du français sont incontestables.

Les modalités d’existence du français au Cameroun introduisent une différenciationrendue visible par la classification de V. Feussi (2006). Il y a ainsi une opposition fonctionnelle entre français vernaculaire/véhiculaire et français officiel. La thèse interlectale de G. Noumssi (2004) semble s’appuyer sur cette opposition fonctionnelle. Il y aurait donc la possibilité pour chacun des systèmes de fonctionner séparément : le français de la rue d’une part et le français standard d’autre part (deux entités de la diglossie). Le continuum basi- méso- acrolecte serait alors social, chaque locuteur se situant exclusivement à l’un des niveaux de ce continuum. Or, le français standard est une illusion et le français de la rue (très proche du français de la famille) n’est autre que l’ensemble des formes utilisées au quotidien par tous ceux qui s’expriment français (du moins dans les zones urbaines qui nous intéressent). Le français mésolectal devenu le français véhiculaire (R. Wamba & G. Noumssi 2003) est donc « l’essentiel de la parole quotidienne ».

En observant la situation ivoirienne, S. Lafage (2000 : LIV) remarque que l’acrolecte tend à se fondre dans le mésolecte et que les formes basilectales se marginalisent. La diversité des situations de communication auxquelles les locuteurs répondent par un éventail de formes linguistiques contraint à l’évidence : il existe un « français ordinaire ivoirien ». A. Queffélec (2007) fait une observation plus générale sur la manière dont les discours des intellectuels sont inexorablement tirés vers les variétés socio-culturellement investies par leurs communautés sociales au détriment de l’acrolecte (standard) fantasmé. Cette convergence sociale est le signe de l’existence de normes d’usages du français élaborées au niveau local. Les domaines d’application de ces normes sont plus sociaux que linguistique au sens strict49. Au demeurant, les normes endogènes au Cameroun se perçoivent au croisement de deux (ou plusieurs) variétés d’une même langue (le français), contrairement au contexte créolophone ou l’interlecte subsume un paquet de réalisations linguistiques d’une communauté qui possède deux langues différentes (le créole et le français) de statut inégal (L.F Prudent 1981).

Quel que soit le contexte, la langue française idéalisée par les théories structurales ne peut s’appréhender que par les manifestations de la parole. Le contexte (au sens le plus large possible) est déterminant pour la forme sous laquelle la parole produira une facette de la langue. La sociolinguistique n’a pas cessé d’insister sur la variation sociale de la langue. Alors même que le constat de l’« appropriation » et de la « vernacularisation » du français en

49 Nous reviendrons sur les caractéristiques des normes endogènes dans le cadre théorique.

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Afrique est déjà fait (G. Manessy 1978–1997) ce qui n’a cessé d’être présenté comme des interlangues sociales ou comme des interlectes (E. Biloa 2003a,b ; G. Noumssi & R. Wamba 2003) devraient peut-être être décrites comme des variations diaphasiquesvariations diaphasiquesvariations diaphasiquesvariations diaphasiques du français. Pour voir les choses de cette façon il faudrait pleinement adhérer au concept de « français langue africaine » de P. Dumont (1990). Ce qui n’est pas toujours le cas si l’on considère les tergiversations autour de la distinction entre « français enenenen Afrique » et « français d’d’d’d’Afrique »50. La raison de ce type de traitement est peut-être liée au mode d’introduction du français en Afrique : il entre sous sa forme normée et idéale alors qu’en France, il existe d’abord sous les multiples facettes à l’oral avant d’être l’objet de la standardisation et de la grammatisation.

Le cadre variationniste a certes permis une exploration extensive de la francophonie africaine. Les variables sociales ont servi à démontrer que les français d’Afrique ont des modes de réalisations différents du modèle central introduit par le biais de l’école. Cependant, les modes de différenciationinterne et les répercussions des différentes variétés sur la construction symbolique des variétés endogènes ont été très peu étudiés.

Sur le plan lexical, chaque pays fait preuve d’un génie créatif et le projet fédérateur de l’IFA (1983) permet d’en rendre compte et d’entrevoir une norme endogène panafricaine (J. Tabi Manga 1999 : 43). Sur le plan phonétique, le divorce est définitivement consommé puisqu’il existe un accent ivoirien (Y. Simard 1998, S. Lafage 2000), un accent sénégalais (M.-L. Moreau et al. 1998) ou encore un accent camerounais (A. Djoum Nkwescheu 2000, 2004). La partie syntaxique s’autonomise aussi (K. Ploog 2002, B. Akissi Boutin 2000, M. Jabet 2005) mais la visibilité en est encore réduite à cause de la timidité des recherches dans ce domaine (surtout au Cameroun).

Les discours épilinguistiques et les corpus croissants permettent aujourd’hui de faire l’hypothèse de l’existence des variétés nationales (en attendant les légitimations officielles). Nous disons nationales parce que chaque pays africain a imprimé ses propres marques sur les pratiques linguistiques qui véhiculent les aspects culturels de sa communauté. Il importe à ce point de se demander ce qui procure un sentiment d’unité à une communauté linguistique. Nous répondons à cette question en confrontant deux situations africaines dont la complexité sociolinguistique est comparable : la Côte-d’Ivoire (elle a une soixantaine de langues locales dont aucune n’est véhiculaire et le français y est introduit par le biais de l’école coloniale) et le Cameroun.

50 Cf. Avant-propos de Langue française n°104.

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3.3 LES COMMUNAUTÉS LINGUISTIQUES

3.3.1 ESQUISSE THÉORIQUE

A. Martinet (2003, [1970]), figure marquante du fonctionnalisme linguistique, voyait la communauté linguistique comme un ensemble constitué d’individus parlant la même langue. Il ajoutait dans la foulée qu’aucune communauté linguistique ne pouvait se dire homogène à cause de la variation intrinsèque de la langue. La notion de communauté linguistique intègre celle de la variation. Une communauté linguistique se fonde alors sur le critère de l’intercompréhension entre les différents idiomes qui la constituent.

Il y a langue dès que la communication s’établit dans le cadre d’une double articulation de type vocal, et qu’on a affaire à une seule et même langue tant que la communication est effectivement assurée. 51

Ce critère purement linguistique a tôt fait de montrer ses limites. Peut-on en effet dire que tous les francophones appartiennent à la même communauté linguistique ? Deux chercheurs originaires l’un du Canada et l’autre du Cameroun se comprendront parfaitement au cours de débats à caractère scientifique. Ils appartiennent alors à la même communauté linguistique. L’intercompréhension n’est pas forcément assurée dans le cas de deux paysans des régions reculées des deux pays. Les deux chercheurs appartiennent à une communauté qui exclut les paysans des régions reculées de leurs pays respectifs. Le paysan et le chercheur canadiens appartiennent pourtant à la même communauté linguistique tout comme le paysan et le chercheur camerounais. Il y a donc des degrés d’intercompréhension. Plutôt que lalalala langue, ce sont les représentations des locuteurs sur les langues qui importent. À ce propos, C. Canut (1996) pense que c’est l’imaginaire linguistiqueimaginaire linguistiqueimaginaire linguistiqueimaginaire linguistique qui structure la vie des langues chez l’individu et dans la société. Il s’agit de l’

ensemble des normes évaluatives et subjectives caractérisant les représentations des sujets sur les langues et pratiques langagières, repérable à travers les discours épilinguistiques. Il rend compte du rapport personnel que le sujet entretient avec la langue.52

Les discours normatifs qui accompagnent l’enseignement d’une langue idéalisée ne sont pas sans effet sur des locuteurs dont les attitudes et les usages sont contrastés. Il s’agit donc d’un rapport aux normes fonctionnelles dérivées du concept central de lalalala normenormenormenorme.

Le durcissement normatif (norme prescriptive) de la langue française provoque des déchirements linguistiques dans la francophonie entière.

51 A. Martinet (2003 : 147). 52 C. Canut (1996 : 350).

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Ainsi donc, d’une part la culture ambiante indique un modèle linguistique aux individus, d’autre part, elle leur enjoint de ne pas l’adopter : elle pose en effet que «le bon français est celui des Français », mais « il ne faut pas parler comme les Français. On a là des ingrédients de ce que les psychologues nomment une « double contrainte» : des injonctions auxquelles la personne ne peut se soumettre parce que contradictoires ; si elle obéit à l’une elle désobéit à l’autre.53

Si les doubles contraintes sont à l’origine de troubles graves en psychologie, en sociolinguistique54 C. Canut (1998) observe une insécurité langagière liée au choix de code et à la légitimité de ce code dans une communauté polyglossique, qu’elle distingue de l’insécurité linguistique liée à une évaluation en termes de compétence dans une variété jugée prestigieuse. Ce modèle explicatif lui permet de dégager la quintessence de la communauté linguistique à partir d’une comparaison entre usages et attitudes linguistiques et selon les contextes communicationnels et situationnels (C. Canut 1996 : 41). On peut donc considérer avec L. J. Calvet (1999 : 152-153) que « [l]es attitudes évaluatives [des locuteurs] sont le fondement social des attitudes normatives, et la norme commune à ces locuteurs constitue le ciment de la communauté linguistique ».

Cette vision de la communauté linguistique qui pourtant émerge des discours épilinguistiques recueillis auprès de divers groupes de locuteurs souffre d’un préjugé fonctionnel de l’uniformisation d’une grille évaluative générée de manière horizontale par les locuteurs. Ce serait encore une norme avec un pouvoir transcendant et à laquelle les locuteurs adhèrent. Mais, le fait de participer activement aux normes évaluatives du groupe allège de la pression policière d’une norme externe imposée. À conditions sociales égales les attitudes évaluatives ne sauraient pour autant pas coïncider systématiquement, ne serait-ce qu’à cause de l’unicité symbolique de chaque individu. Les critères qui président aux choix des formes linguistiques varient d’un locuteur à un autre et même chez un seul locuteur sans que l’on soit toujours capable d’expliciter cette variabilité. De ce fait, les catégorisations des locuteurs en fonction du niveau de scolarisation perdent de leur pertinence. Les catégorisations des productions en fonction de la situation de communication sont aussi moins nettes (F. Gadet 2003a).

Il faut alors faire intervenir d’autres considérations que l’on qualifierait du point de vue structuraliste d’extralinguistique. En plus de la configuration de relations sociales, l’espace territorial est généralement déterminant pour la définition d’une communauté linguistique (F. Gadet 2003b : 62-63). C’est dire que cette dernière est forcément sociolinguistique. D’après

53 M. L. Moreau (1999, 2000: 143). 54 Avant les travaux de W. Labov, Einar Haugen décrivait la schizoglossie (l’insécurité linguistique) aux Etats-Unis comme une maladie endémique (L.-J. Calvet, 1998 : 9 ; M. L. Moreau 2000 : 143).

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M-L. Moreau (2000 : 145) les habitants des régions frontalières entre la France et la Belgique55 se réclament de la communauté de l’Etat dont relève leur lieu d’habitation en dépit des échanges quotidiens entretenus avec leurs voisins de l’autre Etat. Ils parlent avec des accents dominants, ceux qui sont le plus valorisés dans le fonctionnement social du français dans leur macro-communautés respectives.

Le singulier de la la la la communauté linguistique ne donne-t-elle pas l’illusion d’une homogénéité linguistique ? Au Cameroun (et dans tous les des pays où le plurilinguisme est reconnu) une homogénéité est impensable, et pas seulement à cause des variations diaphasiques, diatopiques, diastratiques ou diamésiques, (lesquelles renforcent le caractère central de la norme de référence faisant ainsi des dia- des emplois dérivés c’est-à-dire périphériques) mais surtout par les échanges qui se font entre les divers systèmes en présence si bien qu’aucun code ne peut être perçu en termes de pureté linguistique. Ainsi,

On commence à s’interroger sérieusement sur le fait qu’on puisse effectivement isoler des communautés de langue, définies comme des systèmes sociaux fonctionnellement intégrés, partageant les mêmes normes d’évaluation […] le concept de communauté linguistique est d’autant plus fragile qu’il n’y a pas de superposition entre système grammatical, sentiment linguistique et espace socio-historique et politique.56

L-J. Calvet (1994) quant à lui insiste sur l’importance des liens sociaux qui permettent aux individus de se construire par affinité ou par opposition aux autres. Il parlera alors de communauté sociale à l’intérieur de laquelle se construisent des réseaux discursifs.

3.3.2 PROBLÉMATIQUE IDENTITAIRE ET COMMUNAUTÉ DE DISCOURS

Les attitudes linguistiques c’est-à-dire « l’ensemble des manifestations subjectives vis-à-vis des langues et des pratiques langagières » (C. Canut 1996 : 349) confirmeront les hypothèses des chercheurs au sujet de l’émergence de normes endogènes.

Dès le début des années soixante-dix, l’observation du terrain ivoirien montre un français parlé local. Tout d’abord identifié sous le vocable français populaire d’Abidjan (FPA), il deviendra par la suite français populaire ivoirien (FPI) (S. Lafage, 1996). On l’identifie à des structures syntaxiques, lexicales et prosodiques singulières. Une enquête de S. Lafage (1980) met à jour la valeur symbolique que revêt le FPI pour les locuteurs ivoiriens. Même s’ils revendiquent un usage national du français, les sujets interviewés sont le siège d’attitudes contradictoires : en tant que futurs cadres (ce sont des universitaires) ils

55 Il s’agit de Mons (pour la Belgique) et de Mauberge et Valenciennes (pour la France). 56 Gumperz (1989).

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souhaitent posséder une variante normée ; mais en tant qu’Ivoiriens, ils ne veulent pas reproduire le français de France, encore moins l’accent français car « chocobiter » est devenu ridicule (S. Lafage 2002).

B. Akissi Boutin (2002) démontre également à travers une étude des représentations que les Ivoiriens57 sont conscients de s’écarter du modèle de France et l’assument pleinement (à quelques exceptions près). Ainsi, se refusent-ils à classer les locuteurs en fonction de quelque critère sociologique qui soit. Ils préfèrent plutôt distinguer les situations de communication. Voici ce que déclarent certains de ces sujets (p.113) :

Sujet I2 : - Là, c’est peut-être un peu difficile parce qu’il y a pas, ici dans ce pays, des barrières étanches entre les catégories sociales, je pense. Il y a des grandes cérémonies ici, qui brassent les différentes couches sociales. C’est par exemple les funérailles, les baptêmes, les naissances etc.. et quand ces gens-là se retrouvent, ils ne se retrouvent pas par classes sociales, ils se retrouvent par famille, par relations ; et au niveau des relations il n’y a pas cette coupure-là.[…] on ne peut pas dire aujourd’hui que il y a une catégorisation en fonction des classes sociales et autres.

Sujet E3 : - […] non peut-être pas à ce niveau, pas les classes sociales. Vous savez, même l’intellectuel ivoirien, quand il redescend dans son milieu naturel, il rejoint ce français, moi je le ferais dans ma famille.

La brimade des langues locales en milieu scolaire (solution adoptée par l’école coloniale afin que les indigènes se familiarisent avec les intentions de la métropole) a-t-elle produit l’effet escompté ? On n’en a pas l’impression dans la mesure où le français, devenu la langue de la famille, comme le dit le sujet E3, a certainement pris une couleur locale. Il est devenu le catalyseur des nouvelles identités (B. Akissi Boutin 2002 : 117). Ces conclusions rejoignent ainsi les propos de P. Wald (1994 : 120) :

Le français populaire d’Abidjan […] et ses nouvelles variétés métissées (comme le nouchi) dont l’usage régulier par secteur de la population paraît aboutir à une pratique localement autonome, remplissant aussi une fonction identitaire grâce à la norme qu’ils transgressent.

Les Ivoiriens ont une « représentation du français ivoirien comme une langue homogène et unifiée malgré l’absence de reconnaissance officielle de la norme objective » (B. Akissi Boutin 2002 : 117). On peut déplorer l’illusion systémique globale ainsi retrouvée. À la décharge des informateurs (scolarisés), ils sont pétris par les tendances unificatrices véhiculées par le modèle linguistique scolaire.

Les travaux sur le Cameroun font aussi état de l’existence d’une norme objective, faisant l’objet d’un contrat tacite entre les locuteurs camerounais. Face à l’hétérogénéité des pratiques linguistiques camerounaises, E. Biloa (2003a : 59) est amené d’abord à postuler

57 Son échantillon est constitué de personnes ayant un niveau d’instruction au-dessus du baccalauréat.

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l’existence de plusieurs communautés linguistiques, ensuite à réfuter l’idée même de l’existence d’une communauté linguistique. Le problème est naturellement lié au fait qu’il recherche une homogénéité des manifestations des normes endogènes.

Avec une approche ethno-socio-linguistique, V. Feussi (2006) estime pour sa part qu’il est possible de parler d’une communauté linguistique camerounaise organisée autour de « pôles communautaires » constitutifs de la macro-communauté (p.322). Le point de départ de sa démonstration est la pratique plurilingue du boucher sur la place du marché, qui s’adresse à quatre clients de quatre manières différentes et successives. Chacun des quatre clients garde sa « langue » dans des marchandages concomitants. Le boucher reconnaît toutes les langues et répond à chacun dans la langue avec laquelle il s’est adressé à lui ; il y a ainsi en un même lieu quatre communautés linguistiques si l’on considère chaque micro-échange entre le boucher et l’un des clients. Du côté du boucher, la souplesse de son répertoire verbal témoigne d’une gestion utilitaire des codes dans le seul but de maintenir sa clientèle (p. 317). Ces « déplacements interactionnels » servent à décrire la communauté linguistique comme un « ensemble hétérogène de micro-communautés » avec des rapports aux normes quasi-identiques. C’est le modèle à étagementsétagementsétagementsétagements proposé par A. Bretegnier (2002). Cependant, V. Feussi (2006) veut lui substituer les pôles communautairesles pôles communautairesles pôles communautairesles pôles communautaires en raison de la fluidité extrême qui caractérise les positionnements successifs de chaque participant de la communauté. Il y a une

capacité permanente de chaque participant, chaque locuteur, à tendre vers une autre interaction et donc un autre pôle communautaire. On pourra ainsi se déplacer et situer son discours comme appartenant à un cadre ou l’autre, tout en sachant que d’autres normes pourraient être mobilisées selon le déplacement.58

Plutôt que communauté linguistique, il s’oriente vers la communauté sociolinguistiquela communauté sociolinguistiquela communauté sociolinguistiquela communauté sociolinguistique articulée autour de représentations sociales. Rappelons que les locuteurs sont conscients de la diversité des pratiques linguistiques. Aussi sont-ils capables de formuler des catégorisations du français en termes évaluatifs. Ils distinguent le bon français, le français moyen, le mauvais français qu’ont peut grossièrement rapprocher de la tripartition des sociolinguistes. Mais les pratiques ainsi catégorisées sont des ensembles bien plus composites que la classification tripartite ne permet d’appréhender et cette complexité transparaît dans les divers qualifiants de français. Le bon français est pour les locuteurs camerounais synonyme de français soutenu. Certains diront français académique, français supérieur, français élevé, français de la haute société, français des longs crayons, gros

58 V. Feussi (2006 : 318).

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français etc. (V. Feussi 2006 : 351) Seuls les techniciens de la langue (professeurs, journalistes) utilisent la terminologie consacrée qui est le français standard.

Le mauvais français est aussi appelé français de la rue, petit français, français de mamans, français du marché, français bas, français décousu. Pour résumer nous dirons que c’est le français des personnes qui ont abandonné leur scolarité à peine commencée, ou qui n’ont jamais été scolarisées.

Le français moyen a des frontières difficiles à délimiter clairement. Le pluriel « des français moyens » aidera donc V. Feussi (2006) à englober ce que les locuteurs auront désigné par français simple, français normal, français familier, français du quartier, français courant, français commun, mauvais français. On constate d’emblée que l’évaluation des pratiques n’est pas du tout aisée pour les locuteurs parce que cet exercice revient quelque peu à évaluer leurs propres pratiques. Ils sont manifestement sous l’emprise des discours normatifs même s’ils essaient de parler français librement. Ainsi, le même caractérisant « du quartier » est péjoratif pour certains et mélioratif pour d’autres59.

Le français du quartier c’est c’est c’est doit être un français de ceux qui vont à l’école mais qui s’approche + de ceux qui ne sont pas allés à l’école. (p. 362)60

Il s’agit bien d’insécurité linguistique et surtout de « tension épilinguistique entre idéal de langue et langue idéale » (C. Canut 2002 : 106).

Une enseignante de français interviewée dira :

[…] quand on est avec des amis : on peut même être avec des collègues mais ça dépend des affinités qu’on a avec ces collègues on peut se surprendre en train d’utiliser un français qui n’est pas standard ou bien le français de l’homme de la rue le : pourquoi même pas le camfranglais tout dépend de la situation dans laquelle on se trouve […]

Il y a même des sujets+ par exemple […] on se surprend quoi entre amis en train d’évoquer les petites les petits là forcément on sort du français standard on se retrouve dans le français utilisé par les petits yors tout ça i il y a des : ça dépend des sujets que l’on veut traiter on ne : on se sent pas obligé ou on est même plutôt contraint de sortir de : de ne pas utiliser le français standard. (p. 354)

Le français du quartier « n’est ni aux scolarisés, ni aux non-scolarisés, mais à tous à la fois » (V. Feussi 2006 : 362). Ce français du quartier épouserait donc les traits du mésolecte devenu la variété véhiculaire (R. Wamba & G. Noumssi 2003).

59 Quartier est péjoratif pour la tendance puriste parce que ce français ne satisfait pas les exigences des milieux scolaires et formels. En revanche il est mélioratif pour les utilisateurs qui y voient un facteur de cohésion et de convivialité dans les relations sociales. 60 Propos d’un sujet de 29 ans dont le métier est l’infographie.

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Les propos de la locutrice précédente vont dans le sens d’un emploi diaphasique du français. Elle peut parler « le français de l’homme de la rue le : pourquoi même pas le camfranglais tout dépend de la situation… ». Le camfranglais est donc vu par cette locutrice comme une variété de français. C’est aussi le témoignage que fait notre corpus de référence parce qu’il referme du discours camfranglais alors que nous souhaitions enregistrer du vernaculaire chez les jeunes en milieu urbain.

Pour résumer, nous disons que l’introduction du français sous sa forme normée a placé les Africains devant un modèle dont nous avons étudié les raisons de l’inaccessibilité. Méthodologies didactiques inappropriées, déliquescence de l’institution scolaire qui à défaut de transmettre la variété standard en conserve l’idéologie unificatrice sous-jacente, sont les principaux ingrédients de l’insécurité linguistique abondamment décrite dans la littérature scientifique. Or, la dynamique langagière des contextes essentiellement plurilingues trouve de nouvelles formes d’expression. Les faits d’appropriation sont aussi largement documentés. Manifestations d’insécurité linguistique, ces phénomènes l’ont été les premiers temps du contact des langues et continuent de l’être à bien des égards. Néanmoins, ces nouvelles formes témoignent de plus en plus d’une sécurité langagière et discursivesécurité langagière et discursivesécurité langagière et discursivesécurité langagière et discursive. La cohésion du tissu social est assurée par des réseaux discursifs où les pratiques linguistiques sont évaluées en termes de convenance convenance convenance convenance et non point de conformité aux exigences écrasantes de lalalala norme. Les normes d’usagesnormes d’usagesnormes d’usagesnormes d’usages fonctionnent parce que l’on s’en sert même si

les locuteurs ne décident pas en conscience des « structures » de la langue et des usages qu’ils vont en faire. Ceux-ci naissent et évoluent de façon complexe, sans nécessairement l’intervention raisonnée des hommes, par la seule pratique empirique.61

Voilà la raison qui nous incite à garder l’expression communauté de discourscommunauté de discourscommunauté de discourscommunauté de discours ou communauté discursivecommunauté discursivecommunauté discursivecommunauté discursive pour renvoyer à cette forme de cohésion sociale revendiquée par les locuteurs au moyen des pratiques linguistiques convergentes62. L’originalité des espaces ivoiriens et camerounais est d’avoir connu une vernacularisation du français du fait de l’absence de véhiculaires nationaux. Cette vernacularisation a donné naissance à des mélanges linguistiques qui s’observent dans le nouchi pour la Côte-d’Ivoire et le camfranglais pour le Cameroun.

61 Ph. Blanchet (2000 :124). 62 V. Feussi (2006) préfère communauté sociolinguistique pour des raisons évoquées supra. Mais l’adjectif « sociolinguistique » nous paraît trop générique pour une approche interprétative des discours comme la nôtre.

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3.3.3 LE PROBLEME « CAMFRANGLAIS »

L’expansion du camfranglais en fait un véritable phénomène de société au Cameroun. Il est pourtant mis à l’index par les enseignants et les puristes qui y voient le reflet de la crise du français. De ce fait, il est la cible de plusieurs reproches dont le premier est d’ordre linguistique.

3.3.3.1 Problème linguistique

D’après les définitions recensées dans l’abondante littérature qui lui est consacrée, le camfranglais se définirait comme un pidgin63, un sabir64, un argot65 développé par des personnes dont la compétence dans les langues de scolarisation existe mais reste à parfaire. Ce serait une « langue abâtardie, truffée d’interférences » (Fosso 1999 : 178). Le camfranglais présente en effet une hybridité où se côtoient français, anglais, pidgin-english, langues camerounaises. Son ossature syntaxique est française (E. Biloa 1999 :151) et les apports des autres langues se résument à quelques items lexicaux. Fosso (1999 : 182) remarque opportunément que

les autres mots outils, simples outils grammaticaux indicateurs de fonctions (prépositions, subordonnants) ou de relations (coordonnants) ou encore les introducteurs, ne sont guère concernés par la praxéologie camfranglaise.

La défaillance stigmatisée est celle des apprenants de la langue française. Le camfranglais est le bouc émissaire de l’échec de l’apprentissage de la variété normée.

Les lieux de production du camfranglais sont prioritairement informels (E. Ngo Ngok-Graux 2006 : 222)66, ce qui le différencie fonctionnellement de la langue standard érigée en langue officielle. Avec la laxité que permet une variété non standardisée, le camfranglais tire avantage de toutes les pratiques linguistiques du paysage linguistique camerounais.

Une grande majorité du lexique est généralement attribuée à l’anglais et la transcription des exemples induit cette lecture. Considérons ce bout de dialogue de G. Mendo Ze (1999 : 59)67 :

63 G. Echu et W. Grundstrom (1999 : XIX). 64 Z. Bitja’a Kody (1999 : 94-95) et J. M. Essono (1997 :384). 65 G. Mendo Ze (1999 : 59). 66 Les élèves et étudiants utilisent le camfranglais pendant les cours pour « détendre l’atmosphère », les adultes (enseignants, policiers et gendarmes) s’expriment en camfranglais sur leur lieu de travail (E. Ngo Ngok-Graux 2006). 67 Nous n’avons surligné que les termes devant alimenter notre discussion.

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- Darling, je tombe à une boogie cette night. Tu comes ?

- Je ne crois pas car je mimba que mon body va come, et tu know qu’il me fall au point où il ne veut pas hea que je veuille enjoy myself sans. Ce n’est pas qu’il deny qu’on go. Tu know, il te fait confiance, mais il fea que là-bas on ne lui move sa nga.68

Une analyse moins rapide permettrait de relever l’ambiguïté étymologique de certains termes. Il existe une continuité linguistique entre le pidgin-english et l’anglais parlé au Cameroun tant au niveau lexical qu’au niveau phonétique (C. de Féral, 1989). Il est donc difficile de savoir si les termes surlignés proviennent directement de l’anglais ou s’ils sont arrivés dans le camfranglais via le pidgin. Le même raisonnement tient pour ces deux autres exemples :

tu know que ma rémé m’a gui le work a do69 (E. Biloa 1999 : 173, 2003 : 275)

tu mimber que les gens te fear flop (Fosso 1999 : 182)

La graphie étymologisante des mots en gras participe de l’idéalisation des langues évoquées supra. Le dernier exemple est bien symptomatique de cette tendance à l’idéalisation car mimbermimbermimbermimber, normalement prononcé [mimba], est incontestablement du pidgin ; sauf que le transcripteur lui applique une terminaison anglaise afin de le rapprocher de rememberrememberrememberremember dont on peut par ailleurs observer la troncation et les mutations vocaliques survenus lors de son passage dans le pidgin. C’est une idéalisation qui rappelle les habitudes acquises par les linguistes de langue française. On veut retrouver la stabilité des variétés standardisées.

Les discours épilinguistiques produisent aussi de l’idéalisation. Même si les dénominations favorites des locuteurs sont, par ordre de fréquence, francanglaisfrancanglaisfrancanglaisfrancanglais et francamanglaisfrancamanglaisfrancamanglaisfrancamanglais (V. Feussi 2005, 2006 ; F. Harter 2007 ; C. de Féral 2006, E. Ngo Ngok-Graux 2006) en rupture avec camfranglaiscamfranglaiscamfranglaiscamfranglais utilisé par les chercheurs, il y a de part et d’autre une construction d’une identité idéale camerounaise, avec la revendication d’un bilinguisme français/anglais dont les locuteurs du camfranglais seraient les dépositaires. Mais comme nous l’avons déjà souligné, le bilinguisme individuel reste pour la majorité des Camerounais un vœu pieu. Posséder l’anglais n’est donc pas une condition pour s’exprimer en

68 Notre traduction : - chérie je vais à une fête ce soir, tu viens ? - je ne crois pas, je pense que mon ami va venir, et tu sais qu’il m’aime tellement qu’il ne veut pas que je sorte seule. Ce n’est pas qu’il refuserait qu’on y aille ensemble, tu sais qu’il te fait confiance, mais il a peur qu’on lui enlève sa copine. 69 Tu sais ma mère m’a donné un travail à faire (traduction de l’auteur).

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CHAPITRE I

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camfranglais contrairement aux affirmations de E. Biloa (1999 : 150) et de G. Echu (2001 : 209). « Il suffit juste d’avoir à sa disposition, dans son stock lexical, un certain nombre de termes perçus comme camfranglais » (C. de Féral 2007 : 6).

Un emploi fréquent du camfranglais chez des personnes de la tranche d’âge inférieure à trente ans justifie qu’on lui accole l’étiquette « parler jeune ». Serait-ce donc la manifestation d’une fracture sociale ?

3.3.3.2 Problème social

Comme il en existe dans toutes les sociétés humaines, l’essor du camfranglais serait l’expression d’un conflit de génération. Les jeunes se dotent d’une langue inaccessible aux non-initiés, leur permettant ainsi de préserver leur intimité. C’est la fonction cryptique qui lui est reconnue par tous. Il y a donc un souci de différenciationafin d’adopter des habitudes linguistiques socialement attribuées à la jeunesse. La démarcation est aussi faite par rapport à une langue française dont ils ne comprennent pas toujours la logique normative. L’inconfort déjà exprimé par les parents par un mouvement d’appropriation et de vernacularisation du français va être prolongé par des apports plus diversifiés. Le camfranglais, nous l’avons dit, fonctionne sur le fond syntaxique du français, mais de quel français ? Peut-on le rapprocher directement du français standard ? Considérons cet extrait du Corpus A (p.30) :

B1 ...j’ai les maux de tête + j’étais énervé et tu sais quoi ? elle était souvent contente + XX en sciences donc + tu sais que ce sont les matières que bon les élèves se débrouillent un peu là-bas quand tu peux pas XX

B2 voilà↘

B1 c’était comme ça qu’elle me fatiguait en classe l’inverse cette année c’est l’inverse c’est que quoi ? donc je suis XX math c’est coef six + elle a beau fatiguer l’anglais moi je vais signer sur mes huit en anglais + elle va fatiguer l’anglais peut-être quatorze ou seize moi je m’en fou XXX je reste tranquille + elle est kemkemkemkem en + il y a quelle matière ? français + français moi je suis en train de me préparer en français

donc c’est rien que ça donc quand on est en train de faire XX c’est n’est que comme ça +

B2 c’est la formation

B1 je vais me former + chaque séquence même si j’ai les douze ou onze XX elle gogogogo si elle go dugo dugo dugo du les équations ça la niangniangniangniang tant pis pour elle oh + je bloblobloblo en physique en chimie elle me bloblobloblo

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Un passage comme celui-ci sera considéré comme du camfranglais par tout locuteur camerounais parce qu’il renferme quelques termes étrangers au français. Ils sont peu nombreux au regard de l’ampleur de ce passage (sept termes seulement)70. Et si on s’intéresse à la première réplique, rien ne laisse penser qu’il s’agit d’autre chose que du français vernaculaire. C’est pourtant le même locuteur qui va produire les sept termes recensés. Le vernaculaire incorpore ainsi des éléments étrangers aux français. Le statut linguistique de ces items sera interrogé dans la suite de ce travail. Pour l’instant, il importe de constater qu’ils s’insèrent subtilement dans un discours en français. La présence d’un seul terme de cet ordre transforme l’ensemble de la performance (tour de parole et même conversation en entier) en un discours en camfranglais. Autrement dit, en remplaçant mécaniquement « gogogogo dudududu » par « fairefairefairefaire », « bloblobloblo » par « battrebattrebattrebattre »71, « niangniangniangniang » par décevoir, « kemkemkemkem » par « venirvenirvenirvenir » (à la forme qui convient évidemment), on obtient une variété de français qui s’utilise au quotidien, c'est-à-dire une manifestation du français vernaculaire.

Le camfranglais raffermirait ainsi les formes du français parlé au Cameroun et participerait à la « subversion linguistique » (G. Manessy 1989) et au mouvement de « sécession sociale » (L.-J. Cavet 1998) de la communauté camerounaise.72 D’autres questions s’imposent à ce stade de notre réflexion. Le camfranglais est-il parlé exclusivement par les jeunes ? Comment délimite-t-on le groupe de « jeunes » ? V.Feussi (2006) n’exclue pas les adultes de cette pratique et E. Ngo Ngok (2006) fait état d’adultes qui ont cette pratique même en famille. Le point de vue de B. Lamizet (2004 : 97) pour qui l’existence de « parlers jeunes » à proprement parler est problématique devient intéressant. Cet auteur pense en effet que

le concept même de jeunesse est mouvant. Ce qui existe, c’est un certain nombre de pratiques symboliques mises en œuvre, dans l’espace public, par des personnes qui, justement, construisent leur appartenance et leur identité par l’usage de ces pratiques symboliques dont la répétition, au-delà de l’effet de « mode » qu’elle représente, produit une stabilisation qui a quelque chose à voir avec l’institutionnalisation d’une langue

Les jeunes utilisent le camfranglais pour jouer et pour s’affirmer, ce qui donne une visibilité sociale à leur groupe. Certains adultes en perçoivent l’intérêt pour une communication optimale dans certaines situations, ils l’adoptent. Le témoignage de

70 La comparaison avec l’extrait de G. Mendo ze (1999) supra où la fréquence de tels termes est nettement plus grande pose la question de l’authenticité de cet exemple-là. 71 Dans le sens d’avoir une meilleure performance. 72 Nous reviendrons dans le chapitre VIII sur des séquences conversationnelles comprables afin de nous interroger sur la nature réelle de la variété employée. Le fait que le camfranglais se greffe sur le vernaculaire semble effacer les frontières entre les deux variétés.

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l’enseignante de français cité ci-dessus est éloquent à cet égard. De plus, l’observation de l’extrait précédent n’indique nullement un encodage crypté. Le camfranglais doit son succès à une hétérogénéité formelle qui emblématise les nouvelles identités camerounaises.

3.3.3.3 Valeur symbolique

C. de Féral (1994, 2004, 2007) voit une filiation entre le camfranglais actuel et le français makro qu’elle avait observé au Cameroun dans les années soixante-dix. Makro signifiant « voyou »73, on peut imaginer qu’un idiome issu de personnes marginales ait une fonction cryptique dans une large mesure. A. Nguetchuing (2004) décrit un camfranglais très crypté. De même, certains enquêtés de E. Ngo Ngok (2006 : 221) déclarent être en mesure de produire un camfranglais de « haya niveau », accessible uniquement aux initiés. Ce n’est certainement pas ce « haya niveau » que nous avons illustré supra, et ce n’est pas non plus cette forme que 50% des adultes qu’elle interroge utilisent (certains en famille). Il existerait donc des variantes du camfranglais et la forme la plus sectaire serait celle des voyous, plus proche donc du « français makro ». La variété de camfranglais qui s’entend couramment dans les rues, dans les cours de récréation et parfois dans les salles de classe est commune et présente de grandes similitudes avec le français vernaculaire. C’est la variété que nous avons recueillie lors de nos enquêtes visant les pratiques vernaculaires de français. Que les acteurs de l’institution scolaire ne se méprennent pas :

il ne s’agit plus simplement d’une langue superposée, dont on imite avec plus ou moins de réussite le modèle scolaire dans des situations formelles, mais bien d’une langue [re]vernacularisée, dont l’emploi symbolise l’appartenance à un groupe – qui n’est plus celui de l’ethnie comme dans le cas des langues ethniques -. Parler camfranglais c’est être un jeune citadin qui revendique une identité camerounaise (cam) dans un pays officiellement bilingue (franglais). 74

Il symbolise les mêmes valeurs que le nouchi de la Côte-d’Ivoire (B. Akissi Boutin 2000, A.M. Knutsen 2007 : 270). Contrairement aux autres parlers jeunes, le camfranglais n’est pas de l’alternance codique (E. Biloa 1999 : 151). C’est une mixité dont la structuration est encore à étudier75. Pour l’instant, il démontre chez ses locuteurs une compétence plurilingue qui ne signifie pas juxtaposition des langues ou même capacité de ces locuteurs à s’exprimer successivement dans plusieurs langues distinctes. Il s’agit plutôt de la capacité à mettre à contribution le maximum de langues disponibles dans un contexte plurilingue, afin de se doter d’un idiome original dont le fonctionnement sémiolinguistique est tributaire du

73 Vocable toujours usité avec la même acception actuellement. 74 C. de Féral (1993 : 213). 75 Dans le chapitre VIII, nous proposons une esquisse de cette structuration.

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contexte sociolinguistique qui l’a engendré. La sélection des langues est fortement déterminée par leur statut. Ainsi, le français s’impose comme matrice parce qu’il est langue officielle et qu’il est le véhiculaire majoritaire. L’anglais arrive (peut-être) en seconde position parce qu’il est langue co-officielle. Le pidgin généralement sous-estimé est un pourvoyeur non négligeable qui pourrait détrôné l’anglais si les observations en cours venaient à se confirmer76. Les langues locales, qui sont moins présentes dans l’espace commun sont sélectionnées de façon plus ou moins aléatoire en fonction des lieux géographiques, de la dextérité des usagers qui ne cessent de réinventer le camfranglais au quotidien. Compte tenu du continuum qui existe entre le français local et le camfranglais, on peut faire l’hypothèse que « le camfranglais n’existe […] pas en tant que code » (C. de Féral 2007 : 17)77. Grâce à leurs représentations et leurs habitudes linguistiques les locuteurs camerounais sont d’accord pour identifier un discours camfranglaisdiscours camfranglaisdiscours camfranglaisdiscours camfranglais. De ce fait, il ne saurait avoir exclusivement une fonction grégaire. C’est peut-être ce qui justifie sa récupération par les médias aussi bien à l’oral comme à l’écrit. On voit du camfranglais dans des journaux destinés à la jeunesse (100% jeunes) mais il a aussi figuré dans le quotidien officiel sous la rubrique Humeur de l’homme de la rue (Cameroon Tribune) pendant les années quatre-vingt-dix78. En ce moment (2007-2009), on peut voir des panneaux publicitaires dans les rues de Yaoundé, Douala et Bafoussam79, afficher « je veux wiin, je ne veux pas loss – y a les do à gogo »80, pour un produit d’une société spécialisée dans les paris sur les courses de chevaux ou encore « je wanda »81 pour un opérateur de téléphone mobile. Cette occupation de l’espace public veut bien montrer que le camfranglais n’est pas la chasse gardée des jeunes, il fait partie des usances camerounaises. Cette expansion croissante témoigne de l’importance de la construction sociale des pratiques linguistiques qui se veulent résolument camerounaises.

76 Recherches sur le camfranglais dans le cadre de l’Equipe virtuelle Français identitaires chez les jeunes en Afrique. Réseau sociolinguistique et dynamique des langues de l’AUF. 77 On voit une alternance aléatoire entre des termes dits camfranglais et des termes français dans le même énoncé. C. de Féral (2005, 2007) démontre l’alternance do/argent et nga/fille. 78 Cf. R. Efoua-Zengue (1999). 79 Villes où nos enregistrements ont été faits. 80 Voir les images en annexes II. 81 Dans la ville de Buea.

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4 CONCLUSION

Ce parcours socio-historique du français au Cameroun montre que l’appropriation de la langue française s’est faite dans le dos de la variété standard que les puristes auraient voulu être la seule pratiquée en toute circonstance. Les politiques linguistiques défavorables aux langues locales ont entraîné une diminution constante du nombre de leurs locuteurs. Dans les centres urbains, le français est graduellement passé de la fonction véhiculaire à la fonction vernaculaire. En se substituant aux langues ethniques au sein même des familles, il subit des mutations dont l’une des raisons est précisément le contact avec les langues locales et leur univers socio-culturel. Il s’agira tout au long de cette thèse, de démontrer l’indissolubilité du lien entre le français parlé au Cameroun et cet univers socio-culturel. La problématique s’articule alors autour de la délimitation des éléments linguistiques et sociolinguistiques qui permettent d’identifier une occurrence comme relevant de l’une des multiples variétés de français pratiquées au Cameroun.

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CCHHAAPPII TTRREE II II

PPRROOBBLL ÉÉMM AATTII QQUUEE

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En considérant les précédents résultats des recherches sur le français parlé en Afrique en général et au Cameroun en particulier, il nous paraît important de réfléchir autour de quelques concepts qui semblent faire l’objet d’un consensus scientifique. Nous pensons à la variation linguistique, aux parlers mixtes et au continuum acro-méso-basilectal.

1 EXISTE-T-IL UN FRANÇAIS CAMEROUNAIS ?

La réponse à cette question nécessite un détour par les mécanismes de perception de la variation dans la société. En effet, tous les locuteurs sont sensibles aux variations dans les idiomes qu’ils utilisent au quotidien. C’est ce qui ressort des propos de W. Labov (2001 : 41) :

L’étude des différences qui se situent réellement dans le domaine des patterns communicatifs […] montre que tous les membres de la communauté langagière ont accès au même ensemble de normes interprétatives, même s’ils n’utilisent pas eux-mêmes toutes les formes.

La question de la variation convoque insensiblement celle de la norme qui sert de référence. Les divers modèles de la variation n’attribuent pas le même rôle à cette norme de référence et les variantes non normatives sont diversement interprétées82.

En réaction à une linguistique formelle de plus en plus renfermée sur elle-même83, la sociolinguistique est née de la volonté de réintégrer le social à l’analyse des faits linguistiques. Les travaux précurseurs de W. Labov dans les années soixante sur le vernaculaire africain-américain montrent une corrélation entre les groupes sociaux et certains traits linguistiques. Leur apport le plus important reste la démarche empirique (pratique d’inspiration ethnographique pour la collecte des données) qui permet de saisir la langue dans son contexte social et de percevoir la pertinence sociale de la variation. Néanmoins, ce qui se dégage de manière générale du modèle variationniste tel qu’il a par la suite été appliqué c’est la sociologisation de la variation linguistique qui cristallise une norme idéale et tend à stigmatiser certaines variantes sociales. Le continuum basi-méso-acrolectal procède quelque peu de cette sociologisation que les faits réels démentent régulièrement (au Cameroun du moins). La variation joue pourtant un rôle déterminant dans les évolutions linguistiques. À ce titre, il serait intéressant de faire une étude de la variation du français en se focalisant sur une aire géographique déterminée, le Cameroun pour ce qui nous concerne. En linguistique générale, la variation topolectale est généralement admise. Cependant, R. Chaudenson et al. (1993) mettent en garde contre la tentation de mettre toute

82 Il en sera fait état dans le cadre théorique. 83 « Étude de la langue pour elle-même » : définition saussurienne de la linguistique.

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variation localement attestée sur le compte du régionalisme. Ils considèrent en effet que les « aires de variabilités » offrent des possibilités de variation diversement réalisées à travers les temps et les lieux84. Il y aurait donc une distribution complémentaire des variantes d’un sous-système de la langue sur les plans diachronique et diatopique. L’affaiblissement ou la disparition de la pression normative peut faire apparaître des faits vraiment singuliers. R. Chaudenson et al. (1993) estiment qu’ils sont alors en dehors du « français zéro »85. Dans son modèle où il n’est pas prévu l’équivalent du français zéro, A. Berrendonner (1983 : 23) formule un principe que nous retenons pour notre description : « est pertinent non pas ce qui est à priori jugé correct, mais tout ce qui est attesté ». Le dispositif d’analyse est évidemment à la merci des aléas de la collecte de données. Certains faits seront recensés et pas d’autres. Il faudrait s’accommoder de cette incomplétude et projeter de nouveaux recueils qui élargiront au fur et à mesure les faits constitutifs de la variété étudiée. Dans cette optique, la recherche présente ne peut être qu’une pierre dans un vaste chantier de la description du français parlé au Cameroun à peine déblayé.

De manière générale, les régionalismes peuvent être identifiés sur des critères strictement linguistiques et sur des critères plus subtils comme la revendication des spécificités ou la conscience des écarts chez les locuteurs. C’est finalement le statalismestatalismestatalismestatalisme86 de la variante qui fonde son caractère régional. Il convient dans ce cas d’explorer les processus d’actualisation et de référenciation. La variation peut ne pas tant être la forme que ce processus original induit par un contexte socio-culturel déterminé. La variante est alors considérée comme un fait historicisé et socio-culturellement marqué (J.-P. Bronckart 2001, P. Charaudeau 1983). Les mécanismes de l’interdiscours assurent la co-construction tant sur le plan lexical que sur le plan syntaxique87. La stabilisation des décalages se perpétue dans l’usage et par reproduction des habitus langagiers. Certains lectes ainsi constitués participent aux « aires de variabilités » dans des paradigmes traditionnellement reconnus,

84 C’est l’hypothèse du français zéro de la variation panlectale (R. Chaudenson et al. 1993:6). 85 Les faits classés en dehors du français zéro sont cependant rares. Jusqu’ici, les travaux dans le cadre de ce modèle ont répertorié les variations hors FØ essentiellement dans les zones créolophones. 86 « Tout fait de signification ou de comportement, observable dans un pays, et qui soit arrêté ou nettement raréfié au passage d’une frontière » (J. Pohl 1984 : 262, in B. Pöll 2005 : 26). 87 Dans le modèle modulaire d’E. Roulet (1999), les modules lexical et syntaxique constituent la base sémantique de l’interprétation des discours.

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d’autres lectes en revanche, présentent des restructurations plus ou moins importantes. Il est possible d’en dégager des éléments de grammaticalisation88.

Cette réflexion sur la variation débouche sur l’adoption de deux postulats sur lesquels s’appuiera la description des énoncés tout au long de ce travail :

1. L’hybridation est consubstantielle à tout acte langagier.

En effet, le contact des langues ne se limite pas aux formes dont les frontières sont arbitrairement arrêtées et encadrées par le terme « langue ». R. Nicolaï (2007a) propose d’élargir la notion de contact des langues aux variétés diaphasiques et diastratiques dans le but de faire émerger le linguistiquele linguistiquele linguistiquele linguistique.

2. Le second postulat découle quelque peu du premier.

Le français parlé au Cameroun sera considéré comme une variété endogène autonome. Le critère du statalismestatalismestatalismestatalisme permet en effet d’en faire une unité dont les divers éléments pourraient être interprétés dans un fonctionnement systémique, non pas en focalisant sur les traits oppositifs internes mais en s’attachant aux valeurs contextuelles desdits traits et aux processus de leur validation sociale. De fait, il y a une interpénétration des divers systèmes linguistiques quelle que soit l’échelle de compétence au Cameroun de sorte que toute production langagière est susceptible de porter des marques d’ordinaire attribuées aux trois sous-systèmes basi-méso-acrolectal (V. Feussi 2006). Ceci s’explique par la complexité des mécanismes du passage de la « langue » à la « parole »89. Il se fait avec divers degrés de systématicité et avec des statuts épistémologiques différents (F. Rastier 2007 : 7). Par ailleurs, le continuum basi-méso-acrolectal semble dépassé dans bon nombre de contextes africains.

2 QUELLE PERTINENCE DESCRIPTIVE POUR LE « CONTINUUM » ?

Au moment des indépendances des ex-colonies françaises, l’école coloniale pouvait se féliciter d’avoir réussi à transmettre la langue française à une élite locale. Pour la suite de l’histoire, le sort du français est intimement lié aux conditions socioculturelles et linguistiques

88 Le changement linguistique est insensible. Il faudrait établir régulièrement une « grammaire des fautes » pour être en mesure de dater avec précision les débuts d’un écart qui devient un usage systématique par la suite (A. Berrendonner 1983). 89 Dans le fonctionnement linguistique, la langue est un donné pour le locuteur même s’il devra par la suite la remodeler par la pratique.

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de chaque État. La distinction entre pays avec ou sans langues nationales à vocation véhiculaire est désormais familière (A. Queffélec 2008c). Il est évident que les statuts sociaux du français influencent non seulement le mode d’apprentissage mais aussi l’ampleur de l’usage, c’est-à-dire le nombre de locuteurs et la fréquence d’emploi du français.

Le concept heuristique du continuum acro-méso-basilectal a donc permis entre les années soixante et quatre-vingt-dix de décrire avec un certain succès les situations africaines90. Cependant, près de cent ans après l’introduction du français au Cameroun, il s’est infiltré dans tous les lieux d’expression et de communication et très souvent au détriment des langues ethniques91 et au sein même des familles (V. Feussi 2006). Cette vernacularisationvernacularisationvernacularisationvernacularisation92 du français exige que le schéma d’interprétation du continuum quitte l’équivalence univoque entre les parties du continuum et le niveau de scolarisation qui semble avoir perdu de sa pertinence (V. Feussi 2006 ; A.M. Knutsen 2007). En effet, des variantes mésolectales et même acrolectales se retrouvent chez des locuteurs basilectaux ; chez les locuteurs dits acrolectaux, l’attraction communautaire fait tendre leurs discours vers des structures dites basilectales ou mésolectales (A. Queffélec 2007b). Pour A.M. Knutsen (2007) le pourcentage élevé des formes dites basilectales dans les propos de locuteurs instruits est un indice probant de la sélection des formes concernées dans la norme endogène de Côte-d’Ivoire.

Le problème épistémologique posé par bon nombre d’études sur le français en Afrique est celui de « l’évidence de l’homogène et du systémique » (R. Nicolaï 2007b : 205) dans les courants dominants de la linguistique contemporaine. À travers la problématique de la norme, la réflexion linguistique en Afrique se trouve dans une situation paradoxale : les recherches s’appuient sur des théories qui construisent des langues monolithiques (sans le signaler explicitement parce que leur adhésion va parfois de soi). L’imaginaire de certains linguistes rejoint alors celui des locuteurs, preuve que ces derniers sont aussi des locuteurs. Pourtant, les pratiques plurilingues des terrains africains ont contribué de manière significative à la reconsidération du fait linguistique (C. Canut 2001, C. Juillard 2007). Ces pratiques dévoilent explicitement l’hétérogénéité linguistique auparavant masquée par une vision homogène de la communauté linguistique avec une « langue » unique dont les

90 Cl. Bavoux (2008a : 119) souligne le fait que cette terminologie empruntée à la créolistique aurait pu être évitée dans les études en francophonie. 91 « Malgré la possibilité d’utiliser la langue ethnique […] avec des Doualalais d’une même origine ethnique, le français est tout de même présent dans les conversations, l’habitude se faisant plus forte que le sentiment ethnique » (V. Feussi 2006 : 447). 92 Concept élaboré par G. Manessy sur lequel nous reviendrons dans le cadre théorique (Chapitre III, 3.1.1).

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PROBLÉMATIQUE

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frontières coïncidaient avec des entités étatiques. C’est ainsi qu’il faudrait comprendre ces propos de M.-L. Moreau (1997: 283-284) :

Aucune langue ne se présente comme un ensemble unique de règles. Toutes connaissent de multiples variétés ou lectes, dont la diversité est masquée par des étiquettes au singulier (LE français, LE turc, etc.). Le caractère commode de ces dénominations ne doit cependant pas masquer leur caractère abstrait et réducteur.

Les pratiques plurilingues présentent une multiplicité de « langues » à l’intérieur d’un même énoncé. Le continuum basi-méso-acrolectal, quant à lui, suppose la possibilité de maîtriser « parfaitement » un système linguistique immuable (lelelele français standard) au terme d’un parcours scolaire brillant. On n’en a oublié que le français standard est un compromis théorique dont les bases empiriques sont géographiquement situées en France (à Paris, pour être plus précis). Le contexte géographique d’où sont issus les faits soumis à notre analyse est caractérisé par un plurilinguisme qui traverse toute forme de prise parole. Les postures énonciatives en sont profondément marquées. Les entités plurilingues les plus visibles (ceci est partiellement dû à une inflation médiatique sur le sujet) sont constitutives de la variété dénommée camfranglaiscamfranglaiscamfranglaiscamfranglais.

3 QU’EST-CE QU’UN PARLER MIXTE AU CAMEROUN ?

C’est une lapalissade aujourd’hui de parler de contact des langues en Afrique où les peuples aux origines ethniques différentes se sont retrouvés ensemble sur le chemin de la construction des nations naissantes par le biais essentiel des langues de colonisation. Au quotidien, les approximations sont légion. Elles aboutissent à certains stades de leur évolution à des codes plus ou moins stabilisés reconnaissables par les membres d’une communauté donnée comme caractéristiques des situations de communication qui sont les leurs dans toutes leurs singularités. On distinguera par exemple le fransango en Centrafrique, le francolof au Sénégal, l’hindoubil au Congo (RDC), le nouchi en Côte-d’Ivoire et le camfranglais au Cameroun. Favorisés par l’urbanisation, ces parlers sont des associations de deux ou plusieurs systèmes (où le français tient une bonne place), la contribution de certains se limitant parfois au lexique. La plupart de ces véhiculaires urbains fonctionnent sur le mode de l’alternance codique sauf l’hindoubil, le nouchi et le camfranglais. Ils sont très souvent aussi étiquetés comme des « parlers jeunes ». Ces « parlers mixtes », lorsqu’ils existent, tranchent nettement avec les habitudes linguistiques dominantes dans une communauté de locuteurs comme celle de la France où l’unilinguisme

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est symboliquement admis93. Les faits linguistiques marginaux sont facilement repérables (dans les parlers jeunes des banlieues par exemple94). Dans une communauté plurilingue comme le Cameroun, la variabilité des normes d’usages et d’évaluation peut altérer la perception des décalages et mélanges codiques des « parlers mixtes » en dépit de la pression normative exercée par le français standard. En va-t-il donc ainsi de la propagation du camfranglais (parti des jeunes) à tous les contextes de communication susceptibles d’engager une identité camerounaise (V. Feussi 2006). En amont du camfranglais, il y a des façons de parler français au Cameroun qui posent la question de l’existence d’un « français camerounais ». Il s’en suit alors au sein de cette communauté le problème de l’identification des frontières linguistiques. Où se situe la ligne de démarcation entre le « français camerounais » et « le » français ?95.

E. Biloa (2003b) tente une « définition socio-historico-linguistique » qui prend en compte de nombreuses variétés sauf le camfranglais. L’exclusion se justifierait en principe par la dénomination même de la variété. Si les locuteurs et les linguistes éprouvent le besoin de nommer autrement des pratiques langagières spécifiques, c’est parce qu’ils perçoivent des différences entre le français et ce qu’ils nomment « camfranglais ». Cependant, les résultats des enquêtes de terrain montrent que les locuteurs ont aussi tendance à inclure le camfranglais dans le « français camerounais » (E. Ngo Ngok-Graux 2006 ; V. Feussi 2006). Les catégorisations des linguistes ne coïncident donc pas toujours avec celle des locuteurs. Si la pratique du camfranglais déborde le groupe social des jeunes, cela ne traduit-il pas chez les locuteurs camerounais une volonté de construire une identité linguistique communautaire ? La dénomination même du parler apparaît comme une synthèse du processus de cette construction identitaire tant la diversité linguistique du Cameroun est grande. La mixité identifiée (par les linguistes) et reconnue (par les locuteurs) suppose, et cela est évident, une existence individuelle des langues en contacts. Comment les locuteurs en arrivent-ils donc à affirmer une chose et son contraire ? Ils sont en effet aptes à distinguer « le » français (standard) de l’anglais et des différentes langues locales. Ils sont tout aussi prompts à assimiler le camfranglais au français alors que le camfranglais amalgame visiblement plusieurs codes. Cette apparente contradiction ne proviendrait-elle pas d’un

93 R. Chaudenson et al. (1993) prennent la France comme un exemple de pays monolingue. 94 D. Caubet et al. (dir.)(2004), Th. Bulot et al. (dir.)(2004). 95 Cl. Bavoux (2001 :79) en s’inspirant de R. Balibar, estime que le français existe selon une double modalité : « l’une instituée, qu’on appelle […] LE français et une autre, faite de l’ensemble des usages de la francophonie, qu’on appelle aussi […] LE français, la polysémie historiquement installée étant source d’une confusion aussi constante que riche en conséquences. ».

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rapprochement sémantico-syntaxique entre le camfranglais et le français endogène ? Pour E. Biloa (2003b : 132) le « français camerounais est ‘’polylithique’’ » de par les différents accents répertoriés (accents régionaux), les emprunts (aux langues locales) et les « interférences » syntaxiques des langues locales dans le français (E. Biloa 1999, 2001, 2003a). Le « français camerounais » est certes « polylithique », il est de toute évidence hybride. Qu’est-ce donc qu’un « parler mixte » au Cameroun ?

Produit de l’alternance codique96, le « parler mixte » ne reçoit pas de définition adéquate dans les ouvrages de référence97. L’alternance codique renvoie sur le plan pratique à un jeu conscient sur les langues en contact. En principe donc, seule une bonne maîtrise des langues en présence devrait permettre l’alternance codique. Sans avoir jugé des compétences des locuteurs, V. Feussi (2006, 2007) illustre des pratiques faisant appel à l’alternance codique entre le français et des langues locales. Mais de manière générale, la littérature scientifique ne cite que le camfranglais comme exemple d’hybridation linguistique. Les autres manifestations du français qui comportent des traces des langues locales dans le français sont habituellement décrites comme des « approximations ». Même fossilisées et partagées par les locuteurs, ces « approximations » sont décrites comme ressortissant à l’interlangue98. L’appropriation serait donc indéfiniment visée. « Mais visée de quoi ? »99 s’interroge F. Gandon (1994 : 9). La langue idéale, c’est-à-dire « le » français, est-elle encore l’objectif premier de toutes les formes d’apprentissage ? La langue standard idéale est-elle le principal critère d’évaluation des productions langagières dans toutes les situations de communication ? Ces questionnements permettent de (re)préciser l’enjeu principal de l’entreprise descriptive qui est la nôtre : la variation sociolinguistique au cœur des pratiques langagières et la dignité des faits linguistiques saisis dans leur environnement naturel de production.

96 La métaphore « alternance codique » suggère bien l’idée que les codes ne se mélangent pas. 97 Le terme est absent par du Dictionnaire des sciences du langage de F. Neveu (2004). Entrée tout aussi inexistante dans l’ouvrage de référence sur la sociolinguistique édité par M-L. Moreau (1997) Sociolinguistique. Concepts de base. 98 « La norme endogène ne signifie pas anarchie, ni que le français indigène s’assimile à un dépotoir renfermant un fatras de termes créés et mal traduits servant de français. Les variétés d’interlangues en cours seraient alors érigées en normes, sans qu’on ait pris la peine d’évaluer les caractéristiques de ces parlers intermédiaires qui, chez certains, se sont définitivement installés » (L.- M. Onguene Essono 2003 : 64). 99 Sans discernement sur la fonctionnalisation des usages, l’objectif est le « bon usage » : « … sans appréhender un abâtardissement imminent du français dû aux permissivité que semble mal comprendre l’utilisateur non averti de la variation, il est à craindre que le laxisme qui s’enracine dans les formes du français risque de tuer le français tout court » (L.- M. Onguene Essono 2003 : 70).

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4 DÉFINITION ET DÉLIMITATION DU SUJET

Ce travail a pour objectif principal la description de quelques aspects syntaxiques du français parlé au Cameroun. Il s’appuie sur un corpus d’oral, un ensemble de pratiques vernaculaires c’est-à-dire des conversations « entre égaux [socio]linguistiques en usage ordinaire » (F. Gadet 2003b : 79). En privilégiant des principes explicatifs endocentrés, il est possible de

- démontrer le fonctionnement du français ordinaire au Cameroun à partir de trois entrées d’ordre syntaxique. Les variations transcendent l’âge, le niveau de scolarisation et le groupe ethnique. Il serait plus juste de parler de variations stylistiques (F. Gadet 1997b) ;

- donner des indications sur le type de changement linguistique qui s’opère à la faveur de la conjonction de tous les facteurs historico-socio-culturels qui ont été exposés. Il est aussi question de voir le rôle des matrices socio-culturelles sur le cours de l’évolution du français dans les groupes considérés.

Tout d’abord les dispositifs syntaxiques. Un bon nombre des ces dispositifs sont considérés par les grammaires comme des phénomènes oraux. La raison en est le privilège souvent accordé à l’ordre phrastique canonique SVO dans les linguistiques structurales. Cet ordre n’est pourtant pas le plus fréquent dans les conversations. Le choix des dispositifs semble obéir à des opérations de topicalisation. Il y a donc une première rupture entre la norme standard et les pratiques orales des régions où le français est une langue du terroir. La rupture dans le français parlé au Cameroun est-elle du même ordre ? La superposition du français sur la multitude de langues africaines l’aurait-elle marqué de spécificités propres au contexte camerounais ?

Ensuite le discours rapporté. Il est bien codifié par une vulgate scolaire qui établit une distinction formelle entre les formes canoniques que sont le discours direct et le discours indirect. Notre souci sera de savoir si ces formes enseignées sont réutilisées en dehors de la classe par nos informateurs. Tout porte à croire que le français parlé au Cameroun opère une restructuration formelle du paradigme de la représentation d’un discours autre. Il serait intéressant de dégager les significations sociales des nouvelles structures.

Enfin la pratique discursive de l’interrogation que l’on rencontre sous le même vocable dans les grammaires comme type de phrase. Une reconsidération des corrélations entre formes d’interrogation et niveaux de langue est nécessaire afin de mieux rendre compte de leur fonctionnement discursif.

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Il s’agira à chaque fois de savoir ce qui dans les faits linguistiques relève du standard compris ici comme variété véhiculée par la norme scolaire d’une part (les locuteurs camerounais dans leur milieu social ne sont pas en contact avec les formes d’oral de France ou d’autres espaces francophones), et de déterminer ce qui émerge des spécificités du contexte camerounais d’autre part. Dans les spécificités, les comparaisons avec d’autres variétés d’oral permettront de faire la différence entre les évolutions guidées par le système de la langue tel qu’il a été décrit jusqu’ici (facteurs intrasystémiques) et les changements effectivement suscités par le contexte camerounais (facteurs extrasystémiques). Les facteurs extrasystémiques englobent tous les apports généralement considérés comme extra-linguistiques en plus de la dimension historique qui contribue à façonner les aspects linguistiques.

Quant aux facteurs intersystémiques, nous ne saurions les convoquer dans leur forme « brute » dans la mesure où le plurilinguisme ambiant est très complexe. Les interférences, mêmes si elles existent, sont difficilement attribuables à une langue plutôt qu’à une autre. De plus, il faudrait gérer le risque d’interférence par contagion puisque les locuteurs concernés interagissent au quotidien et forment ensemble une macro-communauté langagière. C’est pourquoi il est utile de recourir à l’hypothèse sémantactique formulée par G. Manessy (1987-1995). Elle permet d’interroger les ressemblances observées dans les « écarts » des locuteurs de différents groupes linguistiques aussi bien au Cameroun que dans d’autres contextes africains.

Les postulats énoncés supra (l’hétérogénéité constitutive de la langue et la clôture symbolique et méthodologique d’une variété aux frontières territoriales et politiques) peuvent s’intégrer dans la perspective plus large d’une action symétrique entre les matérialités discursives et l’organisation de la société. La langue informe la société et la société contribue à modifier la langue. Cette dialectique est entièrement prise en charge par l’écologie l’écologie l’écologie l’écologie linguistiquelinguistiquelinguistiquelinguistique, théorie qui sera le cadre général de notre description. Cette recherche s’inscrit ainsi dans la mouvance de la problématique de la complexité et de l’hétérogénéité des formes linguistiques.

5 HYPOTHÈSES

En confrontant les lignes forces qui émergent des différentes présentations sociolinguistiques du Cameroun avec notre expérience personnelle en tant que membre de la communauté sociale décrite, nous formulons trois hypothèses qui seront progressivement développées dans cette thèse :

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1) Les jeunes sont de moins en moins familiers avec les langues ethniques. Ils apprennent le français en famille avant d’aller à l’école. Au cours de leur scolarisation, l’apprentissage guidé se fait en parallèle avec l’acquisition spontanée. Les pratiqLes pratiqLes pratiqLes pratiques ues ues ues socialement attribuées aux jeunes porteront les schèmes discursifs du français vernaculaire socialement attribuées aux jeunes porteront les schèmes discursifs du français vernaculaire socialement attribuées aux jeunes porteront les schèmes discursifs du français vernaculaire socialement attribuées aux jeunes porteront les schèmes discursifs du français vernaculaire communcommuncommuncommun. Les schèmes discursifs correspondent plus ou moins aux schèmes syntaxiques étant entendu que les faits de syntaxe portent sur des unités larges, unités dites macrosyntaxiques.

2) L’hétérogénéité formelle reconnue aux pratiques jeunes est un jeu conscient sur les langues en contacts. C’est un plurilinguisme revendiqué qui permet sur le plan social de se démarquer de la langue française commune. Donner un nom à cet ensemble de pratiques c’est reconnaître son importance sur le plan linguistique et sur le plan de la construction identitaire au sein de la société. L’hypothèse que nous formulons est que cette hétérogénéité formelle marque l’aboutissement de la vernacularisation. Le français a amorcé le stade de la dévernacularisationdévernacularisationdévernacularisationdévernacularisation. C’est ce qui expliquerait la véhicularisation du camfranglais100 (d’où les versions hardhardhardhard ou softsoftsoftsoft selon la terminologie de V. Feussi 2006 : 428). Au fond, il n’y aurait pas de distance sémantico-syntaxique entre le camfranglais soft soft soft soft et le français ordinaire du Cameroun. La distance syntaxique entre le camfranglais hardhardhardhard et camfranglais softsoftsoftsoft devrait être la même qui sépare français ordinaire et camfranglais softsoftsoftsoft : il y a donc peu de chance qu’il y en ait. Nous ne disposons que des enregistrements de versions « softsoftsoftsoft » pour évaluer ces distances sémantico-syntaxiques. Cette évaluation se limitera donc au camfranglais pratiqué par les jeunes lycéens des centres urbains.

3) Le français parlé au Cameroun n’est pas monostratal. Les variations stylistiques semblent beaucoup plus reposer sur le lexique que sur les constructions prédicatives proprement dites. Notre hypothèse est donc que le camfranglais softsoftsoftsoft peut s’analyser en termes de variation stylistique au sein du français ordinaire. Son utilisation n’implique pas forcément qu’on soit passé du français à une autre variété de langue.

La problématique de la variation amorcée dans ce chapitre sera examinée plus en profondeur dans la partie suivante. Ses implications sociolinguistiques justifient que la réflexion débouche sur l’adoption d’une épistémologie de la complexité.

100 Véhicularisation signalée par A. Queffélec (2007c).

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OOPPTTII OONNSS ÉÉPPII SSTTEEMM OOLL OOGGII QQUUEESS EETT MM ÉÉTTHHOODDOOLL OOGGII QQUUEESS

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Au début du XXe siècle, la dichotomie saussurienne a servi d’argument théorique et méthodologique fondateur dans l’effort de constitution de la linguistique naissante. Par une volonté d’objectivation, le structuralisme linguistique, s’est doté d’un objet « langue » qui bénéficie d’une stabilité favorable à la découverte de l’organisation du système. En emboîtant le pas à la démarche phonologique, qui la première implémente la description en traits oppositifs des signessignessignessignes, la tentative de mise en évidence d’un système syntaxique « où tout se tient » s’est occupée d’une langue totalement décontextualisée. Les exemples sont systématiquement forgés et le « locuteur idéal » se confond souvent avec l’introspection du chercheur. Lorsqu’un minimum de paramètres contextuels est considéré, la syntaxe apparaît comme un domaine fortement structuré, mais de façon moins systématique que la phonologie (F. Gadet 1996; D. Costaouec & F. Guérin 2007 : 33). C’est cette non systématicité, voire une certaine imprédictibilité que l’étude de la variation se doit de prendre en charge.

1 LA VARIATION LINGUISTIQUE

La sociolinguistique et l’analyse du discours ont contribué à mettre de l’ordre dans l’apparente instabilité de l’oral. Il se trouve en effet que les locuteurs ne sont pas entièrement dépendants d’un système linguistique clos au cours des échanges quotidiens. Le comportement langagier des locuteurs est un faisceau de régularités plus ou moins contraignantes selon les normes sociales avec lesquelles il tente d’être en adéquation. Les différents dispositifs normatifs permettraient de rendre compte des contraintes qui président à la sélection ponctuelle des formes linguistiques au cours des interactions. Cette sélection ne se fait pas sans heurts, en raison des nombreux conflits tant individuels que sociaux que suscite la cohabitation d’une pluralité de normes langagières au sein de la société. Schématiquement, on pourrait dire qu’une réalisation idiolectale est le résultat d’un compromis normatif satisfaisant pour cette réalisation particulière. La subjectivité inhérente à la concrétisation d’un tel compromis instaure la variation au cœur de l’activité langagière. De ce fait, l’étude de la variation linguistique est nécessairement traversée par la problématique de la norme. Nous commencerons donc par une question qui n’a pas cessé d’être posée depuis les travaux précurseurs de Louis Hjemslev (1943) et de Eugenio Coseriu (1952) : qu’est-ce que la norme ?

1.1 LA PROBLÉMATIQUE DE LA NORME

Les réponses à cette question abondent dans la littérature scientifique et les différents argumentaires s’accordent sur le fait que le structuralisme linguistique est le ferment de cette

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problématique. Traditionnellement, le rapport entre la langue et la parole est assimilé à un rapport entre la puissance et l’acte (L. Hjemslev 1943)101 et la question de la norme tourne autour de la frontière entre la langue et la parole afin de définir le mécanisme de passage de l’une à l’autre (V. Bonnet 2007 : 74).

1.1.1 LE BON USAGE

La norme a longtemps été perçue comme un ensemble de règles qui réflètent le bon usage. On la trouve dans les dictionnaires et les ouvrages de grammaires qui se chargent de légiférer les usages dans l’objectif de les faire converger vers lalalala langue. La parole ainsi visée est idéale. Cette perception métalinguistique homogénéisante qui fait de la langue un objet clos est une pure fiction : « la fiction est de faire comme si tous les locuteurs parlaient la même langue et se trouvaient dans les mêmes situations de communication » (Ph. Perrenoud 1988 : 84). Malgré leur vocation à incarner le modèle normatif, les ouvrages de référence présentent aussi des usages faiblement cotés. Mais, la présence des emplois non valorisés permet de mieux asseoir la légitimité de la norme car ces derniers sont clairement signalés comme des emplois familiers ou vulgaires (l’implicite consistant à proscrire leur imitation si l’on veut être perçu comme locuteur légitime de la langue). Cette objectivation de la norme adopte donc un discours classificatoire et hiérarchisant (J.-P. Bronckart 1988 : 110) qui aboutit à une morale de la langue. Lorsque la norme n’est pas respectée, les jugements portés sur le locuteur en infraction dépassent très souvent le cadre d’une évaluation linguistique et affectent parfois sa personnalité (J.-P. Bronckart 1988 : 126).

Toutefois, il convient de distinguer le purisme normatif des grammairiens102 et le traitement de la norme en théorie linguistique. En effet, L. Hjemslev considérait déjà la norme comme une « construction artificielle, abstraction tirée de l’usage par un artifice de méthode »103. Elle entretient un rapport étroit avec les réalisations sociales mais ne peut s’assimiler au détail de ces réalisations. La norme est alors variable par rapport au schémaschémaschémaschéma (la langue) et à l’usage ; elle est une « entité oppositive et relative, il est vrai, mais munie d’une qualité positive »104. Ce qui ressort de la position de L. Hjemslev c’est que les locuteurs disposent toujours d’un choixchoixchoixchoix lors des usages particuliers. Ce choix exploite une

101 In V. Bonnet (2007). 102 Les grammaires récentes (ex:M. Riegel et al. 1994) peinent à s’éloigner des habitudes du genre. Les contenus sont souvent en deçà des attentes suscitées par les avant-propos qui promettent un traitement soucieux des avancées dans les recherches en sciences du langage. Ce genre textuel semble donc définitivement consacré. 103 in V. Bonnet (2007 :75). 104 Idem.

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seule possibilité du schémaschémaschémaschéma qui, lui, est immuable. La configuration du schémaschémaschémaschéma est le résultat d’une abstraction dont le produit est indépendant du produit de l’observation (J.-M. Klinkenberg 2008 : 20). La méthodologie qui reste structuraliste introduit ainsi un troisième paramètre à l’analyse linguistique, la normela normela normela norme. C’est avec ce nouveau paramètre qu’ Eugenio Coseriu analyse les réalisations sociales dont il découvre qu’elles ne sont ni uniques, ni accidentelles, ni contingentes, mais qu’elles font partie des habitudes d’une communauté. Selon lui,

la norme comprend tout ce qui, dans la ‘’technique du discours’’, n’est pas nécessairement fonctionnel (distinctif), mais qui est tout de même traditionnellement (socialement) fixé, qui est usage commun et courant de la communauté linguistique.105

La norme est donc une instance d’intégration des faits de parole dans la langue. En tant que telle, elle ne peut que faire l’objet d’une procédure de généralisationgénéralisationgénéralisationgénéralisation comme l’indiquent les sociolinguistes. Cette généralisation se concrétise dans la norme objective norme objective norme objective norme objective dont le relevé est statistique.

Les recherches en sociolinguistique ont vulgarisé une conception sociale de la norme. Il existe actuellement deux acceptions de norme correspondant à un emploi singulier et à un emploi pluriel :

---- lalalala norme renvoie à l’activité normative des grammaires,

---- lesleslesles normes s’appliquent aux usages différenciés. Nombreuses et variables dans l’espace et dans le temps, elles sont socialement élaborées et fixées par des systèmes de valeurs qui permettent en retour leur interprétation (F. Gadet 1996 : 8 ; F. Rastier 2007 : 3).

Les règles de la norme, qui ossifient la langue, ne recouvrent pas les régularités des normes d’usage.

1.1.2 LES NORMES D’USAGE

LaLaLaLa norme qui instaure des « règles de droit » (A. Berrendonner 1988 : 44) partage l’espace de régulation des pratiques langagières avec lesleslesles normes d’usage. Quoique interdépendantes, leur cohabitation est le plus souvent conflictuelle dans la société. Les sociolinguistes, soucieux d’expliciter les raisons du conflit et la nature réelle des rapports entres les deux visions normatives s’accordent à identifier trois types de normes106 :

105 Coseriu (1964 : 246) in V. Bonnet (2007 : 82). 106 L-J. Calvet (1998 : 13 -14 ; 1999 : 153).

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- une norme objectivenorme objectivenorme objectivenorme objective qui se dégage de l’observation des faits linguistiques et que l’analyse descriptive met en exergue ;

- une norme norme norme norme subjectivesubjectivesubjectivesubjective qui gouverne plus ou moins les pratiques et qui se révèle dans les discours épilinguistiques et attitudes métalinguistiques des locuteurs. Elle est sentie par les locuteurs comme la bonne façon de parler et est forcément sujette à variation au gré des exigences des situations de communication Il s’agit d’un système de valeurs socio-historiquement constitué dont l’épicentre est l’idéologie du standard.

- une norme prescriptivenorme prescriptivenorme prescriptivenorme prescriptive qui correspond à une intervention sur l’usage. C’est à elle que renvoie le singulier de norme.

La norme subjective s’appuie sur la norme objective et réciproquement, la norme objective se construit sous l’influence de la norme subjective (F. Gadet 2003b : 19 ; G. Siouffi & A. Steuckardt 2007 : X).

Dans la francophonie en général, le décalage entre lalalala norme et lesleslesles normes dans les divers comportements langagiers a été fréquemment analysé en termes d’insécurité linguistique (M. Francard et al.1993 ; C. Canut 1996, 1998). La portée de la pression normative (norme prescriptive) sur les discours épilinguistiques peut se mesurer en fonction de la prégnance de la « structuro-linguistique »107 dans la société. En effet, les locuteurs s’approprient les jugements normatifs issus des ouvrages de référence et justifient leurs choix linguistiques par des critères esthétiques et éthiques (F. Rastier 2007 : 18 ; C. Canut 2007 : 55). D’après C. Canut (2007 : 56-57) ce type de comportement est plus l’apanage des sociétés européennes où la grammatisation a servi à une instrumentalisation politique des langues dès la fin du XVIIe siècle. En terrain africain, l’absence de politique linguistique comparable sur le plan historique modifie radicalement la conception des langues :

Si des hiérarchies et des normes s’élaborent parfois en fonction des régions dans les discours (« La langue de Ségou est la plus ancienne », c’est le « vrai bambara »), ou bien en fonction des positions sociales (les vieux sont souvent considérés comme les meilleurs locuteurs d’une langue), elles reposent uniquement sur des compétences discursives ou pragmatiques (indexicalité). 108

La langue réduite au formalisme grammairien des sociétés d’écriture reste un objet étranger aux cultures de l’oralité de l’Afrique, comme l’indique P. Renaud (1998a : 21). Au cours de ses diverses enquêtes, C. Canut (2007) constate une absence totale de référence à la prescription linguistique telle qu’elle se manifeste en France par exemple, aussi bien dans les interactions que dans les discours sollicités dans le cadre de ses enquêtes. Il en est

107 Ph. Blanchet (2007a). 108 C. Canut (2007 : 57).

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de même dans le corpus sur lequel s’appuie cette thèse. Aucune réflexion métalinguistique n’a pu être relevée dans les conversations des élèves ou des cadres de l’administration, ni chez les commerçants en interaction ou lors des entretiens avec eux109. Cette situation n’exclut pourtant pas le sentiment d’insécurité linguistique chez bon nombre de locuteurs africains. Il se ressent surtout chez les personnes scolarisées parce qu’elles sont en contact avec les valeurs diffusées par la norme prescriptive du français (C. Canut 2007).

Cependant, même si les locuteurs français et africains se réfèrent à une même langue langue langue langue idéale idéale idéale idéale (le standard), l’idéal de langueidéal de langueidéal de langueidéal de langue (celle qui est socialement acceptée) se reconstruit au travers des expériences communautaires profondément contextualisées. En France, la survalorisation de l’orthographe, l’absence de distinction entre l’oral et l’écrit dans les représentations conditionnent un grand nombre de positionnements épilinguistiques (M-L. Moreau 1997 : 221 ; C. Canut 2007 : 64). La pureté linguistique devient alors une valeur socialement partagée en conformité avec une « conception essentialiste110 » de la langue (M-L. Moreau 1997 : 220). Il s’ensuit une fusion entre langue idéalelangue idéalelangue idéalelangue idéale et idéal de langueidéal de langueidéal de langueidéal de langue (C. Canut 2007 : 64) qui n’autorise que la langue normée comme usage légitime. En Afrique, la cohabitation de la langue idéale idéale idéale idéale (le français standard) avec d’autres entités linguistiques lui a conféré d’autres modalités d’existence. Le français a subi des modifications plus ou moins profondes selon les lieux, en incorporant des entités linguistiques venues des autres langues du milieu. Le métissage linguistique bénéficie d’une meilleure reconnaissance sociale (C. Canut 2007 : 60) : ceci se justifie par l’absence d’une culture de l’orthographe et surtout par un plurilinguisme généralisé (tant contextuel qu’individuel). Les normes d’usages varient donc d’un contexte à un autre. La contextualisation se fait au moyen d’un contrôle social (négatif avec la sanction111 ou positif avec la régulation) auquel participe toutes les instances pertinentes à propos d’un objet donné, dans des circonstances particulières (J.-M. Klinkenberg 2008 : 22).

Le versant prescriptif de la norme est constitué par un ensemble de règles auxquelles se soumettent volontiers les locuteurs du moment que cet ensemble leur garantit la stabilité de leur idiome. C’est ainsi que l’hégémonie du français standard est largement consentie chez les populations des sociétés grammatisées (M-L. Moreau 2001 : 91), mais aussi chez les populations qui leur sont associées par le biais de la scolarisation. En cela les normes

109 Sans doute parce qu’ils s’exprimaient dans un style vernaculaire et qu’il n’y avait ouvertement aucun enjeu sur leur façon de parler. 110 La langue est donc un objet qui va de soi (J.-M. Klinkenberg 2002 : 22). 111 « il n’est pas nécessaire que la sanction soit effectivement appliquée : il faut et il suffit qu’existe la possibilité de corréler une action et une sanction » (J.-M. Klinkenberg 2008 : 23).

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prescriptives sont aussi des normes sociales. Elles font partie des règles qui guident l’action langagière. D’un autre côté, les locuteurs disposent d’un ensemble de valeurs qui leur permettent de décider de ce qui est adéquat. La distinction entre les normes et les valeurs permet de prévoir des distorsions entre les unes et les autres, distorsions qui expliquent le dynamisme et la variabilité du système (J.-M. Klinkenberg 2008 : 24). La zone de distorsion se raccorde à la culture linguistique et aux habitudes linguistiques de la communauté anthropologique. Cette zone de distorsion correspond à l’espace des normesespace des normesespace des normesespace des normes considéré par F. Rastier (2007 : 7) comme le « chaînon manquant » entre la langue et la parole, espace dans lequel se construit l’enfant tout au long de sa socialisation progressive. Ce dernier ne peut se soustraire de sa communauté au risque de perdre la caractéristique fondamentale de l’humain qui est d’être un être social112. La norme participe activement à cette socialisation comme le souligne M-L. Moreau (2001 : 87) :

La norme ne naît donc pas nécessairement d’un choix, d’un contraste entre les variétés, mais sans doute de mécanismes à la fois primitifs et subtils liés à la cohésion sociale. Et si l’on se pose la question des fonctions de la norme, il faut sans doute aller chercher l’une des raisons principales dans le pacte social que l’individu noue avec son clan, sous le niveau de la conscience : la non-distinction, la conformité, en échange de la reconnaissance et de l’intégration.

La variation a donc un caractère normalnormalnormalnormal. Elle est une différenciationdes pratiques nécessaire pour la formation psychologique et identitaire de l’individu. Ce n’est sans doute pas un hasard si des revendications identitaires se manifestent à travers des variétés de langue.

1.2 LES THÉORIES DE LA VARIATION

La standardisation du français a pris la forme d’une réduction de la variation en occultant des formes attestées (A. Berrendonner 1988, F. Gadet 2003 : 18). Le fonctionnalisme tente de rectifier le tir en intégrant les faits réels à l’analyse qui se veut descriptive et non prescriptive. A. Martinet (2003 : 26) souligne alors le fait que la variation est liée aux choix linguistiques opérés par les locuteurs. Cependant, le présupposé théorique de la linguistique fonctionnelle est l’unicité de la langue. Cet extrait des Éléments de linguistique générale est suffisamment éloquent.

Il est indispensable de distinguer soigneusement entre, d’une part, les faits linguistiques de tous ordres tels qu’ils apparaissent dans les énoncés, d’autre part, les faits linguistiques comme appartenant à un répertoire dont dispose la personne qui cherche à communiquer. Ce n’est pas au linguiste en tant que

112 « c’est l’appropriation, par le bébé, des unités significatives de la langue de l’entourage qui entraîne la discrétisation et le dédoublement du fonctionnement psychique qui caractérisent la pensée consciente. » (J.-P. Bronckart 1996 : 26-27).

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tel de préciser où, chez le locuteur, se trouvent disponibles ces faits linguistiques, ni par quel processus ce locuteur est amené à faire un choix conforme à ses besoins communicatifs. Mais il lui faut nécessairement supposer l’existence d’une organisation psycho-physiologique qui, au cours de l’apprentissage de la langue par l’enfant […] a été conditionnée de façon à permettre l’analyse, selon les normes de cette langue, de l’expérience à communiquer et à offrir, à chaque point de l’énoncé, les choix nécessaires. C’est ce conditionnement qu’on appelle proprement la langue113. Cette langue, certes, ne manifeste son existence que par le discours ou, si l’on préfère des actes de parole. Mais le discours, les actes de parole, ne sont pas la langue113 L’opposition traditionnelle, entre langue et parole peut aussi s’exprimer en terme de code et de message, le code étant l’organisation qui permet la rédaction du message et ce à quoi on confronte chaque élément d’un message pour en dégager le sens.114

La contradiction contenue dans les passages surlignés survient à cause de la nécessité théorique de l’abstraction « langue ». Pendant longtemps, l’étude de la variation n’a pu se faire que par référence à cette abstraction. S. Auroux (1994 : 116) relèvera d’ailleurs que la notion même de variété permet difficilement de s’affranchir de l’idée d’une langue homogène. Ainsi, la variation est toujours pensée comme seconde, à partir d’une entité primitive et homogène.

La variation est pourtant le principal moteur de l’évolution les langues. À chaque époque, il existe une profusion de formes « marginales » dont certaines passeront dans l’usage courant du plus grand nombre des locuteurs de la communauté ; d’autres au contraire, ne survivront pas à leurs locuteurs (C. Marchello-Nizia 1997 : 111). Il y a donc une part importante de hasard dans la sélection des variantes, même si l’existence de toutes les variantes peut s’expliquer par de multiples facteurs internes ou externes à l’entité linguistique considérée. La plupart des modèles de la variation s’accordent sur ce principe sociolinguistique. Nous allons donc exposer dans ce qui suit certaines théories qui permettent chacune pour une part, de rendre compte du matériau variationnel en FRACAM. D’abord l’approcheapprocheapprocheapproche panlectalepanlectalepanlectalepanlectale (R. Chaudenson, R. Mougeon et E. Beniak 1993), ensuite le modèle polylectalpolylectalpolylectalpolylectal (A. Berrendonner, M. Le Guern et G. Puech 1983), sur lequel peut se greffer le feuilletagefeuilletagefeuilletagefeuilletage (R. Nicolaï 2005, 2007). Ce dernier modèle s’apparente à plus d’un titre aux thèses de F. Gadet (1996, 1997, 2003a et b, 2004, 2008) sur la variabilitévariabilitévariabilitévariabilité de la langue.

1.2.1 LA VARIATION PANLECTALE

L’hypothèse générale du modèle présenté par R. Chaudenson, R. Mougeon et E. Beniak (1993) est celle du français zérofrançais zérofrançais zérofrançais zéro (Fø) entendu comme « ‟l’ensemble des variables” présentées par la langue française qui, selon les temps et les lieux, seront réalisées par des

113 Le gras est de notre fait. 114 A. Martinet (2003 : 25).

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‘’variantes’’ diverses » (p. 6). La variation est le mode d’organisation du français zéro. français zéro. français zéro. français zéro. Cette variation ne concerne que des « aires de variabilités » car la langue est un système qui présente des « zones d’invariance ». C’est son « noyau dur » (idem : 7). Dans des conditions sociolinguistiques exceptionnelles (contact linguistique, communication exolingue), le noyau dur est « éventuellement atteint » (idem). L’hypothèse sur le changement linguistique est celle de l’action conjointe des facteurs extrasystémiques, intrasystémiques et intersystémiques de la variation permettant ainsi de rendre compte des restructurations à l’origine des parlers régionaux.

1.2.1.1 Les facteurs extrasystémiques

Les facteurs extrasystémiques incluent toutes les variables sociales généralement prises en compte dans les analyses variationnistes. Cependant, R. Chaudenson et al. (1993 : 16) insistent davantage sur les paramètres structurants des situations exolingues :

le contact des langues, la pression normative, le degré d’exposition et de sensibilité à la norme, les modes d’appropriation, les changements technologique, culturel, économique, etc.

En effet, le français s’est répandu au Cameroun par le biais essentiel de la scolarisation et s’est superposé aux langues locales. Ses formes actuelles sont corrélées aux conditions socio-politiques exposées supra dans le parcours sociolinguistique.

Après avoir neutralisé la variable niveau de scolarisation (très sollicitée dans la description des français d’Afrique), nous exploiterons essentiellement le phénomène de l’urbanisation au titre de facteur extralinguistique.

1.2.1.2 Les facteurs intrasystémiques

Les facteurs intrasystémiques de la variation sont

des processus autorégulateurs (restructurations à caractère présumé optimalisant), mais aussi incidences intrasystémiques de changement intervenant sur un point d’un sous-système et affectant, « par contrecoup », d’autres points de ce même sous-système.115

Les processus autorégulateurs ont pour but de maintenir un équilibre dans le système global en réajustant tous les sous-systèmes lorsque un élément perturbateur (de prime abord) est introduit dans un sous-système. Il s’agit donc en quelque sorte de l’épineuse question déjà bien ancienne sur le passage de la langue à la parole et de la modification rétroactive de la langue par la parole. Le système présente donc des zones de fragilité où les

115 R. Chaudenson et al. (1993 : 16).

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variations s’opèrent de manière quasi-systématique « quels que soient les temps et les lieux, selon des processus constants » (R. Chaudenson 1998 : 164). Ainsi, le système verbal (problèmes des désinences), la négation du verbe simple, l’interrogation ou encore la classe des pronoms personnels sont des points faibles du système. Cependant, la terminologie choisie, c'est-à-dire « autorégulation », traduit chez les auteurs

la volonté de ne pas distinguer, dans l’ensemble ‘’système linguistique-sujet parlant’’ ce qui est sans doute d’ordre cognitif (sujet parlant en voie d’appropriation du système) de ce qui serait de l’ordre du système lui-même, donc purement linguistique.116

Il aurait été intéressant de préciser davantage le statut épistémologique des processus autorégulateurs (D. Véronique 1997 : 197). Les éléments linguistiques semblent se déployer par leur propre dynamique, sans que le rôle actif des locuteurs (même « en voie d’appropriation du système ») soit mentionné. Cette juxtaposition système linguistique d’un coté et locuteurs de l’autre est révélatrice de l’ancrage structuraliste de cette théorie. Elle convient dans une certaine mesure à la problématique de ce travail parce qu’elle s’appuie sur une masse considérable de faits et qu’elle laisse ouverte la possibilité d’enrichir le stock du français zéro. Les descriptions syntaxiques entreprises ici iront donc dans ce sens.

L’approche des facteurs intersystémiques dans l’approche panlectale de la variation est assez classique.

1.2.1.3 Les facteurs intersystémiques

Les facteurs intersystémiques de la variation quant à eux correspondent aux phénomènes d’interférencesinterférencesinterférencesinterférences, c’est-à-dire du passage des éléments structurels des langues connues vers le français au cours de l’apprentissage plus ou moins guidé. En effet, les variantes sont corrélées avec les caractéristiques sociologiques les locuteurs (R. Chaudenson et al. 1993 : 15) et elles sont traitées comme des interférences jouant le même rôle régulateur dans les aires de variabilité « en accord avec la dynamique du système » (idem : 34). La variété exoglosse propose de nouvelles variantes complémentaires à celles déjà obtenue dans la communauté monolingue. Certaines approximations sont le fait de personnes en cours d’apprentissage. Leurs productions sont le reflet d’une « défaillance » idiosyncrasique (p. 35) et ne sauraient faire partie du français zérofrançais zérofrançais zérofrançais zéro. Ce dernier constat n’est pas contestable. Le problème réside en fait dans la perception globale des écarts dans les variétés exoglosses de français. Le couplage des productions avec des critères sociologiques et la position centrale du « noyau dur » n’est pas l’approche la plus pertinente

116 R. Chaudenson (1998 : 165).

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pour expliquer le dynamisme interne des francophonies périphériques117 (ni celui d’aucune situation sociolinguistique d’ailleurs (F. Gadet 1997b : 9, 17)) compte tenu de la dissémination et de l’infiltration sociale des formes linguistiques ayant accompagné le processus d’appropriation du français. C’est pourquoi, nous mettrons largement à profit les résultats des récents travaux sur les variétés orales de français. Les approches pragmatiques et interactionnistes seront aussi utiles pour analyser le français parlé au Cameroun qui semble bénéficier d’une autonomie territoriale (statalismestatalismestatalismestatalisme) sans avoir totalement rompu les liens qui l’unissent à d’autres variétés francophones. Dans cette optique, nous parlerons d’optimalisation sociolinguistiqueoptimalisation sociolinguistiqueoptimalisation sociolinguistiqueoptimalisation sociolinguistique complémentaire à l’optimalisation linguistique des processus autorégulateurs. Le français s’imprègne des matrices socio-culturelles des langues du substrat.

L’une des applications du modèle panlectal est l’évaluation des compétences linguistiques des locuteurs. Ceci passe par le croisement de données chiffrées (sur une échelle de 0 à 100) entre le statusstatusstatusstatus (statuts, emplois et fonctions du français) et le corpuscorpuscorpuscorpus (modes d’appropriation, véhicularisation et/ou vernacularisation, types de compétences, masse de productions et de consommation langagières) (R. Chaudenson et al. 1993 :19). Dans cette perspective, c’est un outil fort utile pour l’évaluation macro-sociolinguistique des situations de la francophonie.

Le français parlé au Cameroun est principalement oral. Le décryptage de son fonctionnement interne ne peut se limiter à l’étude des restructurations morphosyntaxiques, qui dans le modèle panlectal, semblent subies par les locuteurs. Celles-ci s’accompagnent d’un certain nombre de représentations qui participent à l’autonomisation du français local. Il est donc nécessaire de recourir à d’autres modèles théoriques qui font plus de place à l’action des locuteurs sur la variation. C’est le cas du modèle polylectal qui, sans postuler l’existence d’un code intrinsèque à la manière de l’approche panlectale, prend en compte la variation interne sans négliger les dispositifs sociolinguistiques qui les régulent.

1.2.2 LA VARIATION POLYLECTALE

Dans le modèle polylectal aussi, la variation est un principe d’organisation linguistique. La langue est un système poly-hiérarchisé qui offre plusieurs choix de sous-systèmes aux locuteurs (A. Berrendonner 1983 : 20). Il faut distinguer deux niveaux de structuration du langage :

117 Dans le cas d’espèce, il est très aisé de confondre « noyau dur » et français standard même si ce n’est évidemment pas l’intention des auteurs.

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---- la structuration linguistiquela structuration linguistiquela structuration linguistiquela structuration linguistique (S1) dont les principes intrinsèques incorporent « le matériau variationnel » que sont les pratiques objectives, et

---- le métale métale métale méta----discours socialdiscours socialdiscours socialdiscours social générateur des « stratégies d’exploitation des variantes » c’est-à-dire « les modes d’emplois possibles » du matériau variationnel (S2).118

Cette distinction est capitale et il importe de prendre les deux niveaux de structuration en considération. Ce sont les « stratégies lectales » qui assignent aux variantes concurrentes des conditions d’occurrence spécifique, produisant « un lecte », « non pas un dialecte ou un idiolecte, mais un ingrédient pour de telles ‘’parlures’’ » (A. Berrendonner 1988 : 48). Dans la réalité, les pratiques langagières sont hétérogènes et labiles, infirmant les découpages d’experts : français familier, populaire, des jeunes, etc. (F. Gadet 2003a : 14). Au sein du matériau variationnel, la sélectionsélectionsélectionsélection d’une variante est arbitraire (genèse de l’emploi). Cette sélection s’accompagne d’une généralisationgénéralisationgénéralisationgénéralisation de son emploi (norme objective). Les variantes sont pour la plupart maintenues mais la spécialisationspécialisationspécialisationspécialisation assigne à chacune d’elles des conditions d’emploi spécifiques (normes d’usage) (A. Berrendonner 1988 : 48). Plutôt qu’une instance de fixation de la langue, la norme est donc un ensemble d’irrégularités, « une instance de mise en œuvre du système : elle est, en quelque sorte, un pilote dans l’utilisation de la langue » (V. Bonnet 2007 : 80). Et chaque locuteur possède plusieurs variantes qui loin d’être un handicap constituent une richesse (F. Gadet 1996). Toute la difficulté du maniement des variantes consiste

à trouver un compromis optimal entre les coûts et les gains que comporte chacune des deux structurations superposées. La maîtrise de la variation c’est en somme la synthèse dialectique du prestige normatif et de l’aisance locutoire119.

La facette créative du langage se résume chez A. Berrendonner par « l’enjeu pragmatique de la variation » :

Disposer de plusieurs variantes ou ‘’grammaire’’ dotées d’avantages/inconvénients structurels spécifiques, et pouvoir à tout moment choisir entre elles la plus adaptée aux circonstances contextuelles et aux besoins de la parole, c’est bénéficier d’une marge de manœuvre commode, qui permet de rechercher et d’atteindre une certaine optimisation des procédures d’encodage.120

Le danger théorique de la prise en compte de tous les faits est la parcellarisation des normes et le désagrégation locale du système. Sur le plan descriptif, il devient impossible de circonscrire les limites du système parce qu’elles sont perçues à travers les emplois attestés

118 A. Berrendonner (1988 : 44-45). 119 A. Berrendonner (1988 : 58). 120 A. Berrendonner (1988 : 50).

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empiriquement engrangés (A. Berrendonner 1983 : 21). Le tri entre les productions normées et les productions erronées relève aussi de la gageure (J.-M. Klinkenberg 2008 : 30). Si deux locuteurs ou deux groupes de locuteurs privilégient des lectes différents comme le permet la structure polylectale, leurs systèmes linguistiques s’écarteront l’un de l’autre au risque de compromettre l’intercompréhension (A. Berrendonner 1988 : 51). On peut se demander si ce n’est pas ce qui se passe dans certaines variétés de français d’Afrique, notamment pour le nouchi en Côte-d’Ivoire. L’étude du parler des « bakromen » amène K. Ploog (2004b) à penser que le FPI s’est engagé en deux générations seulement dans un véritable processus de créolisation, donc « un processus de scissiparité dialectale » (A. Berrendonner 1988 : 51). La même question de sécession linguistique se pose au Cameroun lorsqu’on considère certaines formes cryptées de camfranglais. Il ne faut cependant pas perdre de vue le fait qu’à l’intérieur des pays africains, les processus d’autorégulation sociolinguistiqueautorégulation sociolinguistiqueautorégulation sociolinguistiqueautorégulation sociolinguistique permettent de recentrer les pratiques autour du français standard (français commun) sans leur enlever la nécessaire optimalisation pragmatique. Il y a donc un double mouvement d’hétérogénéisationhétérogénéisationhétérogénéisationhétérogénéisation et d’homogénéisationhomogénéisationhomogénéisationhomogénéisation (C. Canut 2007 : 56, 67) qui assure l’équilibre de l’outil de communication au sein de la communauté. Par conséquent, le système n’a de limite que celle qu’impose l’eeeespace des normesspace des normesspace des normesspace des normes121 (F. Rastier 2007 : 13).

Dès lors, la variation s’inscrit dans un fonctionnement modulaire et les lectes ne seraient pas automatiquement associables à des variables sociales ou géographiques, ni même à un genre particulier de communication. Ce qui importe c’est la sélection d’un lecte en fonction de sa pertinence contextuelle et interactionnelle. Un point de vue similaire transparaît dans les contributions scientifiques de F. Gadet sur la variation sociale de la langue.

1.2.3 LA VARIATION SOCIALE

1.2.3.1 Le concept de variation en syntaxe

La question cruciale ici est l’opportunité théorique du concept de variation en syntaxe. L’approche linguistique de la variation a généralement consisté à l’établissement de listes de traits dont la somme était censée représenter les différentes variétés décrites. Les domaines de prédilection de cet exercice ont été le lexique et la phonétique. La saillance du lexique est

121 « La langue comme système unique le cède alors à la langue conçue comme articulation et recherche d’optimisation entre des systèmes partiels relativement autonomes et dont les principes structuraux restent compatibles entre eux, mais non systématiquement intercorrélés. » (F. Rastier 2007 : 11).

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assurée par l’existence des doublons tels argent/fric, maison/baraque et des séries de nuances diaphasiques comme jeune fille, fille, nana, gonzesse (F. Gadet 2003a : 103-104, 2008 : 100). La dimension phonique est caractérisée par les courbes intonatives spécifiques et les modalités de prononciation de certains sons. Les traits ainsi énumérés caractérisent généralement le « français populaire » et les « parlers jeunes » par opposition au français commun. C’est une approche similaire qui a permis de répertorier les caractéristiques des français d’Afrique comme nous le verrons dans le paragraphe suivant.

L’analyse des traits internes du « français populaire » et de la « langue des jeunes » conduit au constat d’une certaine constance de ces vernaculaires. D’après F. Gadet (2003b), leur interprétation comme attribut de certains locuteurs en tant que manifestation de leur profil social est remise en cause car

c’est parce qu’une catégorie a été spatialement, socialement ou historiquement construite que les usagers y identifient une façon de parler, et que le linguiste en fait une variété : on parle de « langue des jeunes » dès lors qu’à été reconnue une question sociale des jeunes ; et on a parlé de français populaire parce qu’on a donné au populaire des manifestations politiques (même si les couches populaires changent).122

Le problème de fond de la variation en syntaxe est le fait qu’elle présuppose une équivalence communicative des unités linguistiques en cause. Les variantes syntaxiques sont-elles synonymes ? En d’autres termes, est-il possible de dire « la même chose », moyennant des différences formelles ?

Lorsque la variation concerne plus d’un item, la substitution contextuelle n’est pas évidente. Dans le cas des constructions à détachement par exemple, le changement de l’ordre des mots implique un élargissement de l’environnement textuel de l’analyse : mon père, il est venu n’est pas l’équivalent contextuel de mon père est venu (L. Mondada 2001)123. De même, les relatives non-standard sont étroitement liées à leur contexte d’énonciation et « tout conduit à renoncer à parler de variantes » (F. Gadet 1997 : 13). Loin d’être « différentes façons de dire la même chose », la variation formelle serait « des façons de dire différentes choses sur le même référent ». (E. Garcia 1997 : 34). Cet exemple de F. Gadet (2003a : 110) qui met en jeu deux variantes de l’interrogation est éclairant à ce propos :

Pendant une interview, on entend frapper à la porte et la fille de l’interviewée va ouvrir :

122 F. Gadet (2008 : 102). 123 Analyse locale montrant le rôle structurant de l’interaction, dont l’articulation des contenus informationnels favorisent l’émergence de la dislocation à gauche (S. Pekarek Doehler 2001).

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Interviewée : qui c’estqui c’estqui c’estqui c’est ? ? ? ? [adressé à sa fille]

Fille : [inaudible]

Interviewée : qui estqui estqui estqui est----cececece ???? [d’une voix plus forte, en direction de l’inconnu]

Les inférences qu’on peut en faire sont transparentes. Le contraste ne peut se faire en termes de niveaux de langue (relâché vs soutenu), les deux énoncés sont différents par le style : vernaculaire pour le premier et standard pour le second. Sans en tirer des règles générales, on peut constater que les deux formes produites l’une après l’autre par la même personne traduisent des positionnements sociaux différents. La séquentialité contextuelle exige qu’une différenciation soit faite entre sens et référence contrairement à une certaine pratique de la sociolinguistique variationniste124 (F. Gadet 1997b : 10). Plus que linguistique et sociale, la variation est donc stylistique :

La capacité de diversification stylistique constituerait alors une propriété des langues en usage, et le style serait un phénomène définitoire des langues et de leur dynamique. Il pourrait ainsi constituer un mode organisateur de la réflexion sur la langue et les langues, abordées du point de vue du locuteur et de sa mise en oeuvre de ressources linguistiques et langagières.125

Il est primordial pour cette réflexion de disposer de données issues de situations les plus variées. Cela inclut de récolter le même locuteur dans diverses situations (F. Gadet 1997, Cl. Blanche-Benveniste 1997b). Les grands corpus montrent que les locuteurs jonglent avec une variation importante dans leurs productions, dépendamment du genre discursif (Cl. Blanche-Benveniste 1997 : 28).

Traiter des questions liées à la variation en terme de linguistique interne126 ne donne pas entière satisfaction sur le plan théorique et ne rend pas justice aux faits sociaux que sont les pratiques langagières (F. Gadet 2003a). Lorsqu’on s’en tient aux traits linguistiques, la variété s’établit forcément par rapport au standard. Sa grammaire ne représente qu’une variété de langue parmi de nombreuses qui n’ont pas reçu la même attention descriptive. Lorsque l’on met en avant les critères sociaux, la justification de la variété est purement extralinguistique. La prise en compte des conditions du discours met à jour des variations que l’on peut trouver chez tous les locuteurs. Ces dernières ressortissent à la variation stylistique.

124 Nous reviendrons infra sur les articulations et l’importance de cette différenciation pour le FRACAM. 125 (F. Gadet 2004 : 1). 126 Les hypothèses sur la simplification structurale des vernaculaires ne sont ni invalidées ni confortées.

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1.2.3.2 La variation stylistique

Si chaque locuteur possède plusieurs variétés, l’efficacité de leur emploi est assurée par une conscience normative dont le contenu est pour l’essentiel partagé par les autres locuteurs. La question qui se pose alors est celle de savoir pourquoi certaines personnes adoptent certaines variétés alors qu’elles savent pertinemment qu’elles sont peu prestigieuses (F. Gadet 2003b). L’argument qui consiste à dire qu’il existe des locuteurs qui n’ont pas accès aux variétés prestigieuses est battu en brèche par un examen attentif du mode de fonctionnement de la société actuelle où la scolarisation est généralisée de même que la mobilité des populations. Le locuteur qui serait demeuré à l’écart des effets de la standardisation et de l’uniformisation et qui aurait une façon de parler étanche serait un … « martien » (F. Gadet 2003a : 109).

Le style a souvent été considéré comme un choix individuel opéré parmi d’autres possibilités en compétition. C’est l’approche retenue par la sociolinguistique variationniste à la suite de W. Labov. Le style est aussi perçu comme une accommodation linguistique rendue nécessaire par des impératifs interactionnels. Le locuteur ajuste son discours par rapport à son auditoire (travaux de Goffman). Une autre approche sociolinguistique héritée de J. Fishman privilégie l’adaptation du style aux fonctions du langage (F. Gadet 2004 : 5).

Ces trois orientations contiennent chacune les ingrédients d’une problématique du style en tant que moteur de la dynamique des langues. Si le style est le lieu de manifestation de la variation son existence est-elle nécessairement différentielle, oppositive (« un style étant ce que les autres ne sont pas ») ? Si oui, quel est le style de base ? le standard ou le vernaculaire 127 ?

La stratification et la différenciation linguistiques sont un fait dans la société. Elles indiquent un espace de variabilité où par-delà les corrélats, il y a une mise en regard des formes linguistiques de la même langue (R. Nicolaï 2007b). La variation stylistique peut à ce titre être rapprochée du phénomène de contact des langues. Tout comme les fluctuations stylistiques, les formes hybrides des parlers bilingues sont la manifestation d’une compétence linguistique particulière. Elles portent bien souvent les traces d’un positionnement social volontaire et d’une négociation contingente quant à la forme linguistique.

Dans une perspective praxéologique le langage n’est plus perçu en termes de pouvoir ou d’inégalités entre les pratiques, mais comme une pratique sociale, une praxis (J. Boutet &

127 Etant donné qu’il n’y a pas de langue sans vernaculaire.

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M. Heller 2007 : 310-311). C’est ce que renferme le concept d’action langagièreaction langagièreaction langagièreaction langagière développée par J.-P. Bronckart (1985, 1996). Selon ce dernier, la diversité langagière s’opère à trois niveaux fondamentaux :

- la constitution des significations de basela constitution des significations de basela constitution des significations de basela constitution des significations de base : toute initiation de l’action langagière est le résultat d’un choix des matérialités verbales pertinentespertinentespertinentespertinentes selon le but de l’action et légitimeslégitimeslégitimeslégitimes eu égard au mode de coopération sociale en cours (source de variétés fonctionnelle) ;

- la décision discursivela décision discursivela décision discursivela décision discursive : elle correspond au choix de la structure du discours qui tienne compte de sa pertinence et de son efficacité. Le choix est orienté par des « déterminants structurels (connaissance des formations discursives);

- les procédés de textualisationles procédés de textualisationles procédés de textualisationles procédés de textualisation : indépendamment de la décision discursive, il existe des balises au niveau des procédés de textualisation qui produisent des effets de variation, et donc de style (J.-P. Bronckart 1988 : 121)

Vu sous cet angle praxéologique, le lieu du contact linguistique n’est plus la société mais le locuteur. Les locuteurs « signaleraient » les différentes facettes de leur personnalité par l’intermédiaire de différents styles (F. Gadet 1997b : 17), ou divers degrés de mélanges codiques.

Avec ces nouvelles perspectives sur le style, c’est la question plus globale des variétés qui est posée ; ces variétés pouvant être perçues au travers des « langues » en contact dans un contexte plurilingue. Est-il linguistiquement possible de tracer les frontières entre les variétés en contact dans les pratiques quotidiennes des locuteurs ? Il ne fait pas de doute que c’est une problématique cruciale dans cette thèse. En effet, au-delà des descriptions syntaxiques qui seront faites, il restera à se prononcer sur les contours du « français camerounais ». Où en seraient les frontières si l’on songe que cette étude s’appuie sur du vernaculaire qui prend parfois la forme d’un « parler mixte » ?

Le concept de variation ne suffit donc pas pour saisir effectivement le lieu de l’interface entre le linguistique et le social (F. Gadet 1997b : 17). La recherche d’explication de la variation doit se concentrer « autour de l’idée que le discours se module au fur et à mesure qu’il s’accomplit, en tant que co-construction des participants (locuteur et audience) » (F. Gadet 2004 : 106).

Ainsi problématisée, la variabilité chez F. Gadet fait écho au feuilletagefeuilletagefeuilletagefeuilletage chez R. Nicolaï (2001, 2005, 2007). Cette image rend compte des déplacements successifs et aléatoires des paroles, des formes que peuvent prendre les matérialités linguistiques. Déterminisme des

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formes au-delà des simples exigences du système (parler mixtes) et des facteurs dits externes. Le plus important c’est donc la sémiotisation128 des formes en communication.

La description du français en Afrique repose essentiellement sur les caractéristiques sociales des différents contextes.

2 LE FRANÇAIS EN AFRIQUE

Lorsque la sociolinguistique française s’empare du terrain africain dans les années soixante-dix, la variation fait déjà partie intégrante des mœurs linguistiques. La chasse aux fautes qui primait dans la linguistique contrastive à visée pédagogique se transforme en cueillette des particularités linguistiques, du moins telles sont les déclarations d’intention :

Pendant des années, l’étude des régionalismes du français ne gagne pas seulement en ampleur et en systématisation. Elle prend un visage nouveau, les conceptions évoluent. De la chasse, on passe à la cueillette. Les œillères des préoccupations normatives tombant, les faits de variation sont cernés avec plus de précision dans leur situation réelle. La description objective peut même susciter une sorte de réhabilitation, voire de valorisation.129

Cependant, les méthodes mises en œuvre n’ont pas toujours été au service de ces intentions.

2.1 LA MÉTHODOLOGIE DIFFERENTIELLE :

2.1.1 APPORTS ET LIMITES

L’ouvrage majeur consacré à la description du français parlé en Afrique dans une perspective différentielle est certainement l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire (IFA) publié en 1983. Cette initiative interafricaine à visée synchronique et non normative dévoile la distance prise par les français d’Afrique avec le français de référence sur le plan sémantico-lexical. La réflexion sur cette distance s’épanouit dans le cadre d’une sociolinguistique qui fait le lien entre la langue et la société par le biais du concept de la variation. L’objectif de l’IFA est alors de relever et de mettre en valeur les spécificités de chaque pays africain. Les inventaires particuliers contribuent à donner corps à

128 « L’activité de sémiologisaton (au sens de Saussure) consiste pour le sujet à articuler [d]es catégories de signifiance avec des catégories de langue et de discours, de telle sorte que loin d’être un simple support ou habillage de celle-là, se donnent à la fois comme la mémoire, la trace et la possibilité des premiers dans un jeu de combinaisons à la fois morphologique, syntaxique et discursif, le tout lié au sens. » (P. Charaudeau 2006 : 29-30). 129 W. Bal (1983 : XVIII).

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des variétés nationales de français. Désormais, on parle de français du Centrafrique, du français du Gabon, du français de la Côte-d’Ivoire, du français du Burundi etc.. Sur le plan symbolique, les inventaires nationaux ont largement contribué à la légitimation du sentiment linguistique d’une bonne frange de la population africaine.

Avec le recul cependant, bon nombre de collaborateurs du projet s’accordent sur la fragilité des fondements théoriques (Cl. Bavoux 2008b). L’objectif descriptif qui a présidé à cette entreprise paraît alors « naïf » car il supposait l’existence d’un objet « langue française » indépendamment de toute description et surtout la neutralité du linguiste dont le travail consisterait uniquement à présenter cette langue telle quelle (D. de Robillard 2008 : 322-325). Au regard de la feuille de route méthodologique, l’objectif de description était donc biaisé. A. Queffélec (2008a) rappelle l’exigence de l’homogénéité des corpus qui a prévalu : les exemples devaient provenir de discours strictement français, à l’exclusion des discours hybrides déjà remarqués à l’époque. Parmi les critères de sélection, la plupart exprimés en termes d’exclusion, le critère linguistique demandait d’ « éliminer les lexies spécialisées dont l’usage n’est pas attesté dans la langue courante » (IFA 1983 : XXIX). Quand on sait que la langue courante considérée excluait certains types de discours (dont les discours mixtes), cela pose un problème épistémologique réel. Qui décidait du caractère « courant » de la langue et quels étaient ses moyens techniques pour ce faire ? La conséquence dans les diverses équipes régionales a été la survalorisation des exemples issus des textes littéraires et journalistiques (A. Queffélec 2008a : 181). Pour des variétés dont les spécificités sont primitivement orales, il y a là un paradoxe.

L’approche comparative des entreprises lexicographiques des français en Afrique renforce la primauté du standard. L’outil de référence pour toutes les équipes est Le Petit Robert. Les lexies retenues dans les inventaires ne doivent pas figurer dans le dictionnaire de référence. Dès lors, il devient difficile de montrer l’existence des français d’Afrique autrement que sous une facette « exotique » puisque le postulat de description interdit le partage des éléments linguistiques : « tout ce qui est commun soit n’appartient à personne, soit appartient au dénominateur commun, à savoir le standard »130 D. de Robillard (2008 : 325-326).

Quand elle aborde la syntaxe, la méthode différentielle n’autorise que des interprétations interférentielles (et donc fautives) des structures des français africains. La

130 C. Frey (2008a) souligne qu’il a été contraint d’enfreindre aux exigences du protocole car il ne pouvait se soustraire à une présentation détaillée du contexte socioculturel. Son ouvrage consacré au français au Burundi est donc assez volumineux.

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démarche construite pour l’IFA est reconduite : l’ouvrage de référence est Le bon usage (ou autre grammaire classique dont la réputation est établie) ; les analyses se font sur des phrases isolées. Une fois de plus, c’est le linguiste qui décide de ce qui appartient à l’usage courant. Bien des fois, il se résume à des écrits journalistiques ou à des écrits d’élèves. La sociolinguistique différentielle qui en résulte est très superficielle car elle se limite pratiquement au critère de scolarisation. Ce qui conduit à la réification d’un continuum linéaire basi-méso-acrolectal que l’on retrouve étrangement dans tous les pays. D’où l’impression diffuse que les français d’Afrique sont une même variété (ou du moins sont équivalents) alors qu’il était question de décrire chaque variété dans ses spécificités. L’expression « norme interafricaine » en dit un minimum sur cette volonté d’homogénéisation131.

La prééminence faite aux traits linguistiques décrits en termes différentiels a mécaniquement jeté du discrédit sur les français régionaux. Il est presque normal que les Africains eux-mêmes s’y opposent et de fait, il ne leur est proposé qu’un catalogue d’écarts dont le seul intérêt, pour les pédagogues, serait de servir à traquer les particularismes (A. Queffélec 2008a).

2.1.2 LA DÉLIMITATION DES VARIÉTES RÉGIONALES

Les inventaires nationaux revoient une image stabilisée des variétés régionales. Dans cette optique, une variété régionale se définit généralement comme

la variété de langue d’une communauté linguistique géographiquement circonscrite, ou plus exactement la mise en œuvre par cette communauté des ressources – phonologiques, morphologiques, lexicales, syntaxiques et sémantiques – qui sont celles de la langue commune.132

Cette définition s’appuie d’abord sur le critère géographique133. Cette régionalisation de la la la la norme consacre une répartition diglossique des variétés de français dans chaque entité étatique considérée : le français commun (standard) et le français local. Comment se

131 Dans le cadre de la francophonie entière la norme en vigueur est le standard. Parler d’une norme interafricaine suppose que la francophonie africaine dispose d’un espace d’expression qui lui soit propre à l’exclusion des autres pays francophones. Ce qui n’est pas le cas. Chaque pays dispose de ses propres normes sociales. Et si les linguistes peuvent faire des rapprochements d’ordre sémantico-structurel, l’explication ne serait pas dans une convergence de type normatif. L’hypothèse de G. Manessy sur l’influence de l’aire de civilisation aux côtés d’autres facteurs sociolinguistiques mériterait d’être creusée. 132 Cl. Bavoux (1997 : 237). 133 Lorsqu’il est employé dans un discours puriste, le critère géographique permet à lalalala norme d’asseoir définitivement son autorité (J.-M. Klinkenberg 2002 : 23).

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distinguent les deux variétés ? Le français local se démarque du français commun par l’originalité de ses caractéristiques linguistiques. La saillance de la variété locale semble proportionnellement croissante au nombre de particularismes. Cependant, les sources d’exemples étant majoritairement écrites, on peut supposer que les régionalismes qui y sont utilisés à des fins stylistiques sont surreprésentés. Quoi qu’il en soit, l’aspect quantitatif n’est pas le plus déterminant si l’on veut faire la différence entre les variétés diatopiques du français. En effet, certains nombre de phénomènes syntaxiques - tels que le là postposé au syntagme nominal ou certaines relatives défectives - qui sont dits « africains » se retrouvent dans d’autres variétés de français des autres aires francophones, y compris la France (F. Gadet 2008). Ils s’expliquent principalement par l’hétérogénéité de la grammaire du français tout court (Cl. Blanche-Benveniste 1997b). Leur absence dans les ouvrages de référence est simplement due à la standardisation. La spécificité des variétés diatopiques réside principalement dans la mise en œuvre pragmatique à laquelle les locuteurs de l’intérieur sont peu sensibles (B. Pöll 2005 : 26). Ce qui témoigne d’une construction sociale de la variété endogène.

Le fonctionnement interne de la variété locale n’exclut cependant pas les formes qui appartiennent à la langue commune. Le français commun fait partie de la variété diatopique. La description linguistique doit donc intégrer tous les faits attestés de manière à montrer l’existence d’un système. En effet,

un français régional ne se réduit pas à des éléments linguistiques (lexicaux, phonologiques, etc.) spécifiquement régionaux : c’est une langue complète (au sens linguistique classique de langue entendue comme « système ». […] C’est aussi un ensemble de modalités sociolinguistiques et ethnoculturelles d’interactions et de représentations sociales. 134

L’analyse des pratiques et des représentations par une approche purement sociolinguistique s’est généralisée dans les années quatre-vingt-dix. De la linguistique en Afrique on est passé à la linguistique de l’Afrique qui s’intéresse à l’hétérogénéité des répertoires verbaux (P. Renaud 1998a : 14). Les nombreuses alternances stylistiques et codiques sont signalées. Toutefois, ces descriptions s’en tiennent à la plasticité des pratiques. L’aspect pragmatique souligné par B. Pöll (2005) et qui, à notre avis, leur confère véritablement leur spécificité est rarement abordé. Sans doute parce les effets pragmatiques ne sont bien perçus que par un regard interne135. L.-J. Calvet (2004 : 133) souligne d’ailleurs

134 Ph. Blanchet (2008 : 71). 135 « l’étude du plurilinguisme demeure un écueil pour le chercheur non natif et demeure un encore un objet trop peu prisé par les chercheurs autochtones davantage formés à la linguistique qu’à des approches sociolinguistiques, plus coûteuses en temps et en personnes qualifiées » (C. Juillard 2007 : 244).

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le rôle capital de la connaissance du terrain dont les pratiques sont décrites sur les plans linguistique, sociologique et sémiologique.

Au final, la définition et la délimitation d’une variété diatopique en termes purement linguistiques sont incertaines (Ph. Blanchet 2004). Sur le plan méthodologique, ce qui permet de dire de quoi il est question « c’est uniquement l’hypothèse portant sur le cadre de référence, celle introduite sur l’identité de la communauté anthropologique en jeu » (R. Nicolaï 2007b : 214).

La communauté qui nous intéresse est celle qui se trouve sur le territoire camerounais. L’héritage territorial historique est le cadre qui impose aux populations de construire une unité nationale autour de la pratique du français. Cette dernière est aussi variée que les groupes linguistiques et sociaux qui composent le Cameroun. Le brassage des populations se traduit par le mélange des formes linguistiques. Il s’agit alors pour nous d’ « étudier la communauté sociale sous son aspect linguistique » (L.-J. Calvet 1994 : 126). Et pour le cas d’espèce, la frontière linguistique est le résultat d’une action glotto-politique à laquelle participent les locuteurs et les linguistes (Cl. Bavoux 2003 : 25).

2.2 LA PROBLÉMATIQUE DU PLURILINGUISME

En occultant l’aspect discursif, l’approche différentielle a ignoré une part importante des problématiques relatives au plurilinguisme pourtant de mise dans tous les pays africains. Ces pays sont dits plurilingues parce qu’il y existe des contacts entre plusieurs langues ou variétés aussi bien dans les répertoires individuels que dans les échanges sociaux (C. Juillard 2007 : 235). Exposés dès leur jeune âge aux pratiques plurilingues de leur communauté, une bonne partie des Africains ne considèrent pas les langues comme antagonistes (C. Canut 2000). Il ne leur est pas fondamentalement nécessaire de choisir une une une une langue pour quelque activité sociale que ce soit. Le seul régulateur incontestable est le contexte social : « quand on se déplace, on apprend la langue du milieu », « la langue de Bamako c’est le Bambara on est obligé de l’apprendre » disent les locuteurs interrogés par C. Canut (2000 :175). Et lorsque l’on sait que ce qui est nommé « bambara » est en fait une pratique hybride qui mêle une bonne dose de français (et d’arabe) jusque dans les pratiques scripturales136, on comprend que le plurilinguisme africain ne soit pas une juxtaposition d’unilinguismes.

136 Cf. A. MBodj-Pouye & C. Van den Avenne (2007).

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La difficulté du terrain africain est étroitement liée au phénomène croissant de l’urbanisation. La ville est un véritable « laboratoire »137, le lieu de la reconfiguration des ressources linguistiques disponibles. Il n’en ressort cependant pas du « monolinguisme », même si les « solutions linguistiques que la ville apporte à la communication sociale ont toutes les chances de s’imposer à l’ensemble du pays » (L.-J. Calvet 1994 : 130). Pour L.-J. Calvet (1994 : 133-145), la ville et ses marchés sont le centre de gravité d’une dynamique d’intégration et d’unification grâce aux véhiculaires qui s’y développent. Cependant, la réelle mesure de la complexité de la réalité linguistique apparaît à l’examen d’espaces plus réduits (L-J. Calvet 1995138). Toutes les lignes linguistiques et sociales fluctuent. Dans ce contexte mouvant, la question essentielle est de savoir « quel est le coût du plurilinguisme, en termes d’effort d’ordre psychosocial et d’ordre cognitif » (C. Juillard 2007 : 241). Cette question porte sur le processus de socialisation des locuteurs qui s’appuie en priorité sur le langage. On peut aussi s’interroger sur les repères et les besoins langagiers des enfants nés en contextes plurilingues.

Des éléments de réponse à ces questions sont disponibles dans la texture des répertoires communautaires et individuels. Ils sont largement constitués de mélanges codiques.

2.2.1 LES RÉPERTOIRES LINGUISTIQUES

Les répertoires linguistiques et les mélanges de codes sont deux notions qui émergent de l’approche sociolinguistique des terrains africains. Il a cependant fallu les redéfinir au regard des entrelacs des facteurs contextuels. L’hétérogénéité est la norme aussi bien niveau social qu’au niveau individuel.

Au niveau social, chaque groupe possède une langue à laquelle il est symboliquement attaché sur le plan identitaire et culturel. En somme, « chacun est avec sa langue, [et] c’est normal » (C. Canut 2000 : 175). En fonction des aires de diffusion, du degré de partage ou de véhicularité de la langue du groupe, ses membres adopteront plus ou moins les usages d’autres groupes. C’est ainsi que C. Juillard (2000, 2005 : 28) a pu constater au Sénégal que « certains groupes sont plus plurilingues que d’autres ». Les mouvements migratoires vers les centres urbains favorisent l’interpénétration linguistique qui affecte les profils linguistiques individuels. Interviennent alors les réseaux de relations et les usages qui leur sont associés :

137 L.-J. Calvet (1994). 138 Préface de C. Juillard (1995) : Sociolinguistique urbaine. La vie des langues à Ziguinchor (Sénégal), Paris, CNRS.

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leur mise en œuvre est fonction de « la conscience des enjeux sociolinguistiques à l’échelle du groupe, de la concession, du quartier, de la ville, de la région, du pays » (C. Juillard 2000 : 132). La nécessité sociale engendre, chez les locuteurs, une gestion du plurilinguisme plus harmonieuse que le modèle étatique d’inspiration européenne réputé pour l’assignation des statuts exclusifs aux langues (C. Canut 2000).

L’ordre d’apprentissage et les modes d’apprentissage ont également un impact sur la configuration des répertoires individuels. Le schéma traditionnel veut que la langue du groupe ethnique ou le véhiculaire dominant soit la première langue de socialisation des jeunes africains. Or, les relations avec le voisinage et la famille élargie favorisent un plurilinguisme précoce139.

L’aspect directement en prise avec la présente recherche est la place et l’usage du français dans ces répertoires. Le succès de l’ex-langue coloniale lui vaut d’être employé dans toutes les situations de communication. La place qui lui sera consacrée dépendra de la compétence et des choix interactionnels des locuteurs. Le mode d’apprentissage prend alors toute sa signification car selon qu’il est guidé ou non guidé, la fréquence et la substance du français varieront. Il n’est pas question d’insinuer que la compétence est qualitativement proportionnelle au degré de scolarisation140. Il s’agit de pouvoir identifier d’une part des locuteurs qui, par leur usage, se présentent comme des « lettrés » lorsqu’ils veulent jouir du prestige rattaché à cette catégorie dans la société, et d’autre part, des locuteurs qui utilisent le français selon l’usage senti comme neutre dans leurs réseaux de communication. Dans tous les cas, la forme des discours, systématiquement mixtes141, est une co-production de sens social au cours des interactions comme l’affirment M. Dreyfus & C. Juillard (2001 : 672) :

[L]es pratiques mixtes permettent à un individu de créer à travers des choix de langues, d’alternances ou de mélanges, de nouvelles formes d’usage, et donc, de nouvelles possibilités d’expressions identitaires […] [car] le choix d’un cadre linguistique reflète les connaissances partagées des interlocuteurs au sujet d’un ensemble de droits et d’obligations sociaux et intra-individuels.

139 Ce cas de figure se rencontre souvent au Sénégal et au Mali. Il ne faut pourtant pas perdre de vue les bilinguismes familiaux lorsque le père et la mère n’appartiennent pas à la même ethnie. C’est un schéma qui peut se dupliquer dans d’autres foyers de la famille élargie, et qui conduit les enfants à apprendre dès le plus jeune âge les langues en usage chez leurs cousins. 140 A cet effet, les didacticiens préfèrent la notion de « ressources » pour mieux expliquer la gestion des répertoires plurilingues (B. Py 2007 : 97). 141 Seul le contexte formel peut donner lieu à des discours unilatéraux en français : « en dehors du cadre strictement formel, il n’existe pas de pratique linguistique entièrement prévisible à Douala » (V. Feussi 2007 : 248).

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L’objet linguistique est en ce cas constitué de traces qui sont autant d’indices dans les parcours de vie des locuteurs. Les identités se font et défont d’une conversation à une autre C. Canut (2000 : 178). À Douala par exemple, la couleur du français se détermine au moment des échanges. Bien plus, des réglages linguistiques s’opèrent chez les uns et les autres afin d’aboutir à un consensus sur la nuance qui convient le mieux à l’échange en cours (V. Feussi 2006, 2007)142.

Notre corpus est un ensemble de pratiques qui sont une mise en œuvre des ressources des répertoires des locuteurs. Elles sont le reflet d’identités sociales volontairement construites lors des interactions enregistrées. Le vernaculaire des jeunes par exemple n’est pas exclusivement situé sur le pôle camfranglais143 du français. Ces jeunes possèdent d’autres formes vernaculaires qu’ils pratiquent par exemple en famille pour ceux dont c’est l’idiome de la famille (cas de figure de plus en plus fréquent au Cameroun). Il en est de même pour les adultes qui servent de témoins. Selon les interlocuteurs les pratiques varient et il faut considérer comme français « ce qui se donne pour du français dans le cadre d’un discours où son choix produit un sens ou encore par des segments français d’un parler mixte » (P. Wald 1994 : 121). En utilisant les ressources de leurs répertoires, les locuteurs agissent sur le langage. Leur conception de la langulangulangulangue idéalee idéalee idéalee idéale est subordonnée à cette fluidité des pratiques. Aucun code ne sort indemne dans ces situations de contact. Il n’y a qu’à considérer le cas de la RDC où ce qui est considéré par les locuteurs comme du lingala est fortement francisé et celui du Centrafrique où il est difficile de savoir si les productions sont du français sangoisé ou du sango francisé (G. Manessy 1994a).

En Afrique, la mixité linguistique est donc la chose la mieux partagée. Les mélanges codiques ne sont cependant pas tous de même nature.

2.2.2 LES PARLERS MIXTES

La réflexion théorique sur l’alternance codique (code-switching) s’est préoccupée des contraintes grammaticales et sociales qui régissent cette pratique des situations de contact des langues. S. Poplack (1980) propose un modèle linéaire qui délimite les frontières à partir de morphèmes préalablement identifiés comme faisant partie de l’une ou de l’autre langue en contact. La typologie au niveau grammatical distingue l’alternance intra-phrastique et l’alternance inter-phrastique.

142 V. Feussi parle de « qualité » de français. 143 Considéré comme une pratique identitaire chez les jeunes (V. Feussi 2008).

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À partir des données issues de l’Afrique de l’Est, C. Myers-Scotton (1993) propose un autre modèle d’analyse. Le Matrix Language Frame Model qu’elle élabore rend compte de l’alternance intra-phrastique en posant l’existence d’une langue matrice qui fournit le cadre syntaxique auquel viennent se greffer les éléments de l’autre langue. La langue matrice est mieux maîtrisée par le locuteur et est quantitativement plus importante dans les énoncés mixtes.144

Dans l’un et l’autre modèle, l’articulation entre les formes et les fonctions contextuelles est rendue soit par une interprétation spéculaire, soit par une interprétation corrélationniste. Le code-switching est alors considéré comme le reflet des structures sociales, des appartenances ethniques ou culturelles, des conflits linguistiques. La corrélation associe les formes de code-switching à des genres discursifs particuliers (discours informel vs formel, privé/public, etc.) (L. Mondada 2007a).

Beaucoup de faits issus de contextes particuliers corroborent ces interprétations. En Côte-d’Ivoire par exemple, S. Kube (2005) confirme après une enquête auprès de quelques lycéens que le nouchi est un parler jeune qui s’emploie de préférence dans des situations informelles. Les jeunes interrogés ont une conscience métalinguistique, c'est-à-dire qu’ils n’ignorent pas les différences formelles entre le français de l’école et leur parler. Le nouchi est une forme qui marque la connivence (we codewe codewe codewe code) l’identification au groupe. Parallèlement, sa variabilité interne permet à certains de se démarquer dans certaines situations. La différenciation sociale peut alors être générationnelle (jeunes vs adulte) ou alors micro-groupale (certains groupes usent de formes argotiques spécifiques) (S. Kube 2005 : 135-139). En dépit des preuves factuelles, ce type de représentation réifie quelque peu la fonctionnalité de la variation. Tel que présenté supra pour la Côte-d’Ivoire, les mélanges codiques seraient l’apanage des jeunes. L’autre partie du préjugé étant que ces jeunes sont en insécurité linguistique, qu’ils sont incapables de se conformer à la langue qui est attendue d’eux. M. Dreyfus & C. Juillard (2001 : 669) notent dans leurs enquêtes que les mélanges codiques à composante française sont irréductibles à une attitude générationnelle. Ils sont tout aussi présents chez les jeunes que chez les adultes.

Les problèmes théoriques posés par les discours mixtes sont donc nombreux. Ils touchent à la relation forme-fonction et à la délimitation des frontières linguistiques chez les

144 Le concept de langue matrice peut entraîner de mauvaises interprétations de certaines pratiques mixtes. En effet, lorsque les langues importées se vernacularisent, les restructurations qui s’observent plus ou moins en surface, modifient radicalement l’ossature forme-sens. Les repères dans la langue matrice supposée deviennent difficiles à saisir.

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locuteurs et chez les linguistes. Les listes de fonctions, même empiriquement fondées, sont nécessairement ouvertes. L’indexation des formes aux fonctions ne se départit pas de l’ordre macro. : « même sophistiquées, les analyses restent de nature corrélationniste où langagier et social sont liés par des manières de co-occurrer ensemble » disent J. Boutet & M. Heller (2007 : 307)145.

Le défi est de rendre compte de la prise directe du code-switching avec son contexte immédiat de production, c'est-à-dire comme « ressource pour l’organisation de la parole-en-interaction » (L. Mondada 2007a). Quelle est la signification des choix linguistiques du point de vue du locuteur ? Il s’agit de savoir « si les locuteurs reconnaissent différentes langues, non de manière générale mais dans une situation conversationnelle donnée » (L. Mondada 2007a : 177).

Notre corpus est fait de discours mixtes, dont la structure ressortit à l’hybridation plus qu’à l’alternance codique. Si l’appartenance d’une forme à une langue dépend de l’activité en cours, un examen attentif des séquences devrait permettre de répondre aux questions ci-dessus posées avec L. Mondada. Les locuteurs parlent-ils autre chose que le français qui était l’objet de l’enquête ? La réponse donnée à cette question a une incidence sur la transcription du corpus comme nous le verrons dans la partie méthodologique. Notons déjà que dans un autre contexte camerounais, V. Feussi (2007 : 244-245) démontre que malgré l’hybridité des discours tenus au cours d’une réunion dont les membres partagent la même langue ethnique, ces derniers respectent les droits et obligations qui régissent les discours dans leur espace sociolinguistique, à savoir parler en ghCmala. Au cours de la même assemblée, un membre choisit de tenir un discours exclusivement en français. Ce faisant, il opte pour une langue de distinction d’autant plus que la mise au point qui suscite cette différenciation linguistique est d’ordre normatif : il souhaite que la formulation d’un courrier soit revue146. Dans un tout autre dispositif d’interaction (deux collègues sur leur lieu de travail, deux élèves ou étudiants dans leurs établissements, deux inconnus dans la rue, etc.), le choix du français serait considéré comme neutre, conforme aux habitudes érigées en normes sociales au Cameroun.

En tout état de cause, il convient de reconnaître la spécificité des discours mixtes avec une composante française en Afrique. Le contexte général est celui d’un plurilinguisme à langue dominante unique et exogène (L.-J. Calvet 1987). Ce plurilinguisme se développe principalement dans les centres urbains qui drainent les populations les plus variées. Une

145 Voir critique des devoirs et obligations de C. Myers-Scotton par L. Mondada (1999). 146 On discute en ghCmala et on écrit en français.

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citadinité particulière se construit sur ce plurilinguisme. Les mouvements des populations et les fluctuations économiques reconfigurent la donne sociale et linguistique par la même occasion. « Les formes et les fonctions des langues en contact se modifient au rythme des changements sociaux qui résultent de l’urbanisation » (C. Juillard 2007 : 236).

Dans le monde d’une manière générale, le plurilinguisme est la règle plutôt que l’exception (L.-J. Calvet 1987, 1999 ; J.-M. Eloy 2003). Les relations entre les langues en contacts sont certes différentes mais nulle part les choses ne sont simples147. Il y a plutôt une simplification du schéma sociolinguistique au moyen d’une construction idéologique et symbolique de l’homogène. Pour preuve, l’analyse « ethnographique » d’une séquence enregistrée dans un village du sud de la France (Le Broc) que fait R. Nicolaï (2007b : 200-205) : même en l’absence d’un bilinguisme reconnu, le contact des langues n’en est pas moins présent car il y existe un français vernaculaire indigène (FVI) et un français vernaculaire étranger (FVE). Le FVI est marqué dans des proportions variables, selon les situations et les contextes, de traits lexicaux, phoniques et syntaxiques du dialecte (variété de provençal bas-alpin). Le FVE, produit par des locuteurs non-indigènes148, est caractérisé par des formes stéréotypées qui sont des marqueurs sociolinguistiques à valeur de rapprochement, ce qui en fait une approximation du FVI. Les locuteurs du FVE sont capables de mimer le FVI, C'est-à-dire qu’ils perçoivent les différences formelles entre le FVI et leurs propres pratiques quotidiennes en dépit de la durée de leur séjour dans le village. Autant dire que

certaines différences linguistiques sont sélectionnées comme saillantes, d’autres sont négligées, au point d’être effacées et oubliées. Ce processus, qui aboutit à de la simplification de représentation, rend certains phénomènes linguistiques invisibles, inobservés, ou évacués dans une rationalisation marginalisante149.

La spécificité de l’Afrique est d’être une loupe grossissante pour les phénomènes de contact, les rendant ainsi incontournables. Les mutations de la société accélèrent les processus de changement linguistique qu’on ne peut appréhender que sur le double plan linguistique et social (L.-J. Calvet 2007, C. Juillard 2007 : 236).

147 Cf. Ph. Blanchet (2008) : pour son ouvrage consacré au Provençal, il déploie un certain nombre de précautions méthodologiques pour contrôler l’apport des composantes Provençal et français parce qu’il existe un parler mixte franco-provençal. 148 Les locuteurs dont il est question dans cette description vivent dans la région depuis une trentaine d’années. Ils sont dans un rapport de contemporanéité avec les locuteurs du FVI mais pas dans un rapport historique puisque les références liées aux traditions du terroir leur sont inconnues. 149 F. Gadet (2006 : 5).

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3 LA COMPLEXITÉ LINGUISTIQUE

La complexité linguistique qui fait l’objet d’une attention particulière depuis quelques années n’est pas totalement nouvelle. Les approches contemporaines ouvrent le débat sur les concepts et outils théoriques du structuralisme ayant permis de baliser le champ de la linguistique au cours du XXe siècle. Les modèles ici rassemblés procèdent tous à une articulation entre les contextes sociaux et les pratiques linguistiques. Ils invitent ainsi à une réflexion sur les instruments heuristiques mis en oeuvre, étant entendu que la « langue » n’existe pas en soi et qu’elle est modelée par le point de vue : « la description invente l’objet »150 (L.-J. Calvet 2004 : 22). Il s’ensuit une posture épistémologique libérée de tout dogmatisme. Pour le français parlé en Afrique, la problématique de la complexité est formulée dès les années quatre-vingts par G. Manessy à travers ses « hypothèses sémantactiques ». Alors que la linguistique structurale semble avoir définitivement trouvé son objet et que la sociolinguistique en Afrique s’occupe de la mise en œuvre sociale des éléments du système de la langue française, G. Manessy (1989) fait remarquer que le sentiment d’ « inadéquation » éprouvé face aux français d’Afrique provient du fait qu’il sont évalués à l’aune du standard et à travers un point de vue « gallocentrique »151. Il initie alors une réflexion qui tienne compte des spécificités des contextes où le français, malgré son statut de langue « importée », s’insère dans les répertoires des Africains. Au cours de ses recherches sur lesdits répertoires, C. Juillard (2007) fera de la notion « d’espace sociolinguistique » un terme clé de sa démarche descriptive. Cette notion résume les intrications sociolinguistiques du terrain africain. Quelle que soit la taille de l’espace considéré (famille, quartier, ville, pays, région), les facteurs lieu, temps, action et habitus sont indissociables dans une approche sociale de la description des langues (L.-J. Calvet 1994 : 126-128). Ce dispositif multiplex ne peut que se passer des cloisons traditionnelles entre langue et parole, système et pratiques, diachronie et synchronie, ou encore macro-sociolinguistique et micro-sociolinguistique152. La complexité linguistique s’attache à la contextualisation et à l’historicité des pratiques langagières.

150 F. de Saussure ne le pensait pas moins : « c’est le point de vue qui crée l’objet » ([1916], 1995 : 23). 151 Cette question de F. Gadet (2000a : 18) va dans le même sens : « Est-ce que le caractère de toute évidence involontaire des décalages dans les productions canadiennes et africaines montre autre chose que le point de vue franco-centré d’où ces décalages sont perceptibles ? ». 152 « Le problème de la structuration sociale est un vieux problème, trop longtemps paralysé dans la dichotomie macro-micro ; nous prétendons que la sociolinguistique possède des outils privilégiés pour dépasser cette dichotomie, et repenser la question en termes d’actions inter-reliées au sein de contraintes symboliques et matérielles, ayant des effets structurants » (J. Boutet & M. Heller 2007 : 312).

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Le rappel des thèses de G. Manessy sera articulé aux développements actuels de la complexité linguistique au travers de l’écologie linguistique de L.-J. Calvet (1999, 2000, 2007) et de l’ethno-sociolinguistique de Ph. Blanchet (2000, 2003, 2007a).

3.1 GABRIEL MANESSY ET LA SÉMANTAXE

Au moment où le constat des différences (surtout lexicales, et phonétiques) entre les français d’Afrique et le français standard est acquis, le souci de G. Manessy a été de rendre compte de ces différences non pas à travers des études comparatives des structures de surface, mais en analysant les français d’Afrique en ce qu’ils sont tributaires de leur espace sociolinguistique. En effet, les caractéristiques sociolinguistiques, construites arbitrairement de manière différentielles153 sont très vite obsolètes lorsqu’elles sont confrontées à la réalité du discours africain. L’aspect sémantico-culturel contenu dans les langues indigènes et qui porte sur le mode de catégorisation de l’expérience de leurs locuteurs sont parties prenantes de l’espace sociolinguistique où se profilera la vernacularisation du français.

3.1.1 LA VERNACULARISATION

La vernacularisation est une notion qui, chez G. Manessy, a bénéficié de maints éclaircissements. L’une des formulations énonce que la vernacularisation est

l’ensemble des phénomènes qui se produisent lorsqu’une collectivité de locuteurs prend une conscience suffisamment nette des liens qui existent entre ses membres, des intérêts qui les unissent et de leurs attentes communes pour être portée à se singulariser par son comportement langagier.154

La recherche de l’autonomie présuppose un état antérieur dans lequel la collectivité « sécessionniste » est exclue de la pratique linguistique statutairement dominante. C’est la situation qui a prévalu dans les colonies françaises à la fin du XIXe siècle avec une diglossie français vs « patois » africains. Pour accomplir leurs tâches, les Européens se font assister par des auxiliaires africains qui assurent un lien à la fois administratif et linguistique avec la masse des indigènes. Ils constituent alors une classe intermédiaire de « lettrés »155 dont la maîtrise du français vaut pour leur intelligence tout en leur procurant un statut social enviable. Les lettrés restent dans un rapport de solidarité culturelle et ethnique avec les peu

153 Les catégories « élite », lettrés, semi-lettrés, analphabètes sont calquées sur une hiérarchisation de la société africaine post-coloniale. (G. Manessy 1994b : 12). 154 G. Manessy (1994b: 15). 155 « Les cadres subalternes de la société africaine sont fournis par des « lettrés », c'est-à-dire par les gens qui ont bénéficié d’un cursus scolaire au moins primaire en français) à peu près complet » (G. Manessy [1990]1994 : 213).

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ou pas lettrés et le français des premiers fournit le modèle d’apprentissage aux seconds telle que l’énonce G. Manessy ([1990] 1994a : 213-214) :

La classe dirigeante légitime ses privilèges et son pouvoir par la conformité de son langage à la norme académique et réciproquement elle apparaît comme détentrice authentique du bon usage. Les lettrés ont connaissance de l’existence de cette norme, mais ils n’y ont pas été suffisamment exposés pour prétendre la posséder et ils se contentent d’une pratique qui n’en est qu’une approximation. Les peu ou non-lettrés n’ont ni la capacité, ni l’occasion d’utiliser un « bon français » ; leur modèle est le parler des lettrés qui constitue pour eux une cible acceptable en ce qu’elle répond à leurs attentes effectives de promotion sociale et dont ils produisent des approximations variables – des approximations d’approximation.

Le déplacement du modèle linguistique est donc le point de départ des restructurations constatées dans les formes vernaculaires du français en Afrique. Après les indépendances, la maîtrise du français reste le symbole du pouvoir dans les Etats de l’Afrique francophone. La scolarisation de masse se poursuivra afin de satisfaire les besoins de la société dont les mutations sociales, politiques et économiques sont rapides. Conformément au pronostic de G. Manessy ([1989] 1994a : 200) cependant, le taux croissant de scolarisation sera inversement proportionnel à la compétence des élèves en français standard : l’ampleur des besoins et le manque d’enseignants compétents a contribué à l’émergence d’un français régional multiforme. En fait, l’appropriation « fonctionnelle » s’est accompagnée d’une appropriation « vernaculaire », la seconde étant à la fois la conséquence du succès et le contraire de la première (G. Manessy 1994b : 11-12). Le français n’est plus l’attribut de quelques privilégiés, il appartient désormais à la communauté entière (G. Manessy 1994a). Dans la plupart des Etats francophones, les politiques exhortent les populations à faire du français l’instrument de solidarité et d’unité nationale. Le dispositif politique et administratif y contraindra les plus réticents (cf. arrêtés interdisant l’utilisation des langues locales dans les lieux publics au Cameroun (chapitre I) ). Le français devient vital pour l’insertion et la promotion sociale. Si l’on y ajoute le rôle catalyseur et intégratif des centres urbains (notamment des capitales où se retrouvent des populations d’origine diverses), la plupart des ingrédients sociolinguistiques de la vernacularisation sont réunis. En effet,

les conditions de vernacularisation sont remplies dès le moment où [l]es gens prennent conscience de ce qui les unit et du rôle effectif qu'ils assument dans le jeu social. Leur manière de parler, par les traits même qui l'opposent au standard, devient une des expressions de leur spécificité.156

C’est pourquoi des revendications nationales ou régionales seront formulées pour des formes linguistiques observées sur d’autres pays. C’est dire que le fonctionnement linguistique d’une communauté ne se préoccupe que très peu de ce qui se passe dans les

156 G. Manessy (1993: 414).

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autres communautés. Ce qui importe aux locuteurs ce sont les relations immédiates qu’ils entretiennent et les moyens linguistiques dont ils disposent pour tisser et vivre ces relations. Il faudrait donc intégrer le fait qu’il existe un usage ordinaire du français en Afrique qui nourrit les revendications linguistiques nationales. C’est ce que G. Manessy (1993 : 407) met dans le vocable « vernaculaire ».

[P]ar « vernaculaire », nous entendons un état de langue familier, courant, commun, socialement neutre en ce qu’il ne suscite pas de jugements de catégorisation lorsqu’il est employé dans les conditions requises.

Ainsi, le « le lieu de la vernacularité est celui où on ne se pose pas de questions » (G. Manessy 1993 : 410) quant au choix des formes linguistiques ; on parle tout simplement. Chaque français vernaculaire se caractérise par un dosage variable des facteurs sociolinguistiques et historiques :

Il a pour ses locuteurs une spécificité difficile à atteindre par les techniques habituelles de la linguistique (ce qui explique qu'il soit généralement décrit négativement, comme intervalle entre des variétés repérables) mais qui joue certainement un rôle décisif dans la cohésion de toute communauté.157

Il ne s’agit pas de cohérence ou d’uniformité linguistique telle qu’on l’entend généralement. La vernacularisation concerne moins la langue que le langage (G. Manessy 1994b : 15) :

La vernacularisation est donc l’imposition à une matière linguistique indécise (l’usage vernaculaire) d’une grille symbolique qui y détermine ce qui est socialement significatif et ce qui ne l’est pas. Elle répond aux exigences de la communication au sein d’un groupe en voie de structuration, en sanctionnant les habitudes et en délimitant le champ de consensus. Elle donne forme et substance à la représentation que se font les membres d’un groupe de leur commune particularité. Elle est le premier stade de la constitution d’une variété qui peut, si les circonstances historiques s’y prêtent, se substituer à un standard devenu désuet ou, comme dans le cas des créoles français, donner naissance à une langue nouvelle.158

Le continuum pré-créole ici envisagé a été représenté par le FPI pour le français parlé en Côte-d’Ivoire (1995 : 129). Les formes observées dans les années soixante-dix semblent aujourd’hui disparues de sorte qu’il est difficile d’envisager une réelle autonomisation du français parlé en Côte-d’Ivoire (A. Queffélec 2008c). Qu’à cela ne tienne, une appropriation vernaculaire se poursuit activement et les formes rencontrées sont pour le moins déconcertantes (K. Ploog 2002, 2004b). On peut aussi constater que certaines pratiques à base française sont en cours d’élaboration sociale. Il s’agit notamment du nouchi (Côte-d’Ivoire) et du camfranglais (Cameroun). Mais une variété socialement attribuée aux jeunes

157 G. Manessy (1993 : 413). 158 G. Manessy (1993 : 416).

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a-t-elle jamais préfiguré l’avenir des pratiques linguistiques de la société dans son ensemble ? Reste un principe inéluctable : « la forme d'un langage est dans une large mesure déterminée par l'usage qui en est fait » (G. Manessy [1990] 1994a : 212). Le contexte spécifique de l’usage qui nous intéresse, c'est-à-dire le fait que le français soit pratiqué en Afrique par les Africains (G. Manessy 1994b) donne lieu à des hypothèses sémantactiques.

3.1.2 LES HYPOTHÈSES SÉMANTACTIQUES

L’appropriation vernaculaire est le corollaire de la multiplication des fonctions du français. Le résultat est un corps de représentations et de pratiques donnant lieu au constat de l’émergence de normes endogènes. Le point de vue soutenu par G. Manessy est que la coloration qui est celle des français d’Afrique n’est pas imputable aux structures syntaxiques déviantes ou à un lexique exotique. Au demeurant, des emplois linguistiques similaires se retrouvent dans d’autres français régionaux. Les caractéristiques de ce français sont à chercher dans les modalités de son emploi, c'est-à-dire dans les procédés énonciatifs. C’est alors qu’intervient la notion de sémantaxesémantaxesémantaxesémantaxe.

Développée dans le cadre des études créoles, G. Manessy part du constat que :

Pour édifier ce qui devait être une contre-société à la fois compatible avec l’ordre socio-économique dont elle était prisonnière et capable de lui résister dans le domaines où la violence ne pouvait pas matériellement s’exercer, les initiateurs de la créolité ne disposaient que de trois points d’appui : d’abord ce que tout homme possède, le patrimoine génétique de l’espèce où, pour parler comme Bickerton, un « bioprogramme » qui ne gouverne pas seulement le langage, mais probablement l’ensemble des facultés et bon nombre de comportements humains ; en second lieu, les éléments arrachés à la culture des maîtres ou imposés par eux, notamment en ce qui concerne la vie matérielle et certains aspects de la vie sociale ; enfin ce qui pouvait subsister dans la mémoire, consciente ou non des déportés de leur histoire antérieure à la catastrophe qui les avait précipités dans un univers nouveau : un ensemble confus de représentations, de valeurs, de techniques corporelles et probablement aussi de modes de pensée fixés pour partie au moins par des usages langagiers.159

Son hypothèse est alors que la culture créole s’est développée en synthétisant des apports divers dans un cadre conceptuel dont une partie ne peut qu’être héritée des lieux de provenance des populations serviles. La langue qui en sort conserve l’empreinte de ce cadre conceptuel (G. Manessy 1995 : 212). La vérification de cette hypothèse est pour le moins difficile, car l’état actuel des créoles français ne permet pas de déduire les modalités de leur autonomisation. En effet,

159 G. Manessy (1995 : 210).

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Comment un usage fluctuant tel qu’il a dû l’être celui des Noirs créoles,160 rendu plus incertain encore par les approximations infiniment diverses des bossales161 […] a-t-il pu se stabiliser en langue dont le statut grammatical est aujourd’hui parfaitement descriptible […] compte tenu des différenciations locales ?162

G. Manessy (1995) écarte d’emblée l’hypothèse selon laquelle le créole serait le résultat de la combinaison d’un vocabulaire européen avec une grammaire exotique. Les travaux de R. Chaudenson (1979) démontrent l’importance des facteurs socio-historiques. À partir du postulat selon lequel « des configurations sociolinguistiques analogues engendrent des effets linguistiques semblables »163, G. Manessy estime que les phénomènes à l’œuvre dans le français en Afrique francophone sont susceptibles d’éclairer quelques processus de cristallisation des créoles. Il entreprend donc la recherche d’une élaboration sémantactique dans le français parlé en Afrique. Les faits corroborants sont nombreux et à titre illustratif on peut citer les constructions sériellesles constructions sériellesles constructions sériellesles constructions sérielles164 (exemple : il est parti acheter les boissons amener à la maison165, les gens dé ici … quand il va là-bas pour aller payer amener ici…166 ) ; le mode mode mode mode d’évaluation comparatived’évaluation comparatived’évaluation comparatived’évaluation comparative qui ne comporte que deux degrés, la supériorité et l’égalité. L’énoncé « il est beau que toi » exprime la supériorité correspondant à il est plus beau que toi. L’expression de la proposition inverse procède par commutation des termes de la comparaison « tu es beau que lui », ou par inversion de la valeur en cause. La beauté sera remplacée par le critère de la laideur. Le système ignore le comparatif d’infériorité (G. Manessy [1990] 1995 : 241). Citons enfin la primauté de l’intention sémantique sur la primauté de l’intention sémantique sur la primauté de l’intention sémantique sur la primauté de l’intention sémantique sur la structure grammaticalestructure grammaticalestructure grammaticalestructure grammaticale qui peut se traduire par la juxtaposition des constructions verbales au lieu de la subordination : je tape, je viens encore, je dors [après avoir battu la pâte à beignets, je reviens me coucher] ; Mais pourquoi êtes-vous à Yaoundé alors ? – je suis à Yaoundé, c’est mon mari qui m’a amenée.167) .

160 Populations esclaves de la société d’habitation, première phase de la colonisation des Îles de l’Océan Indien. 161 Populations serviles de la société de plantation qui a succédé à la société d’habitation. 162 G. Manessy ([1990] 1994a : 212). 163 Idem. 164 Il ne s’agit pas de la mise en séquence immédiate de verbes dépendant d'un même sujet mais de l'utilisation de plusieurs bases verbales, en ordre linéaire, pour décrire un procès unique sous ses différents aspects (G. Manessy 1995 : 215). L’auteur pense que la sérialisation est une manifestation de la primauté accordée au générique (1995 : 244). 165 G. Prignitz (1983) in G. Manessy (1995: 239) 166 G. Manessy ([1978] 1994a). 167 G. Manessy ([1978] 1994a: 134).

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De tels réaménagements sont le résultat de la fonctionnalisation168 et par la suite de la ritualisation des formes fonctionnelles. Au départ, l’acquisition libre du français procure un statut marginal. Ensuite, les approximations fautives intègrent le répertoire des locuteurs. C’est alors que les fautes ou « tics de langage » se transmuent en normes d’usage (G. Manessy 1995 : 129). Cela correspond à la sélectionsélectionsélectionsélection et à la généralisationgénéralisationgénéralisationgénéralisation des variantes (A. Berrendonner 1988). Sur le plan communautaire, il y a une systématisation des façons de parler, « les traits saillants jugés significatifs voyant leur fréquence augmenter par rapport à ceux qui ne le sont pas » (G. Manessy 1994b : 15). C’est le mécanisme de spécialisation spécialisation spécialisation spécialisation des variantes évoqué supra dans le modèle de la communication de A. Berrendonner (1988). Les habitus procurent une stabilité relative aux pratiques. La variété ainsi obtenue est socialement neutre, elle manifeste des liens d’intimité et de solidarité entre les locuteurs (G. Manessy 1993 : 409). ; en cela, elle diffère du français officiel à forte coloration hiérarchique, dont l’usage est un faire-valoir car il est destiné à être montré et non à communiquer (G. Manessy 1994b). Ces deux variétés correspondent respectivement à un « usage profane » et à un « usage liturgique » entre lesquels « il y a le même hiatus qu’entre la langue d’initiation et celle de tous les jours dans les sociétés rurales africaines » (G. Manessy 1994b : 19). L’usage profane est le lieu de la vernacularisation, le lieu où s’élaborent les phénomènes sémantactiques.

La contrepartie de l’intégration du français dans le répertoire communautaire est son nécessaire filtrage par la sémantaxe. En supposant l’existence d’une grammaire universelle, G. Manessy présente la sémantaxe comme une interprétation socio-culturellement localisée de ses paramètres. C’est la substance de l’extrait suivant :

Nous pensons en effet que contrairement à ce que postule la théorie générative, la « grammaire universelle » […] n’est pas directement reflétée par l’appareil syntaxique des langues, mais que s’intercale entre ces deux plans des modes de catégorisation de l’expérience et, par conséquent, d’organisation de l’information culturellement déterminés, appris et non pas innés, qui sont à la mise en œuvre de la faculté de langage ce que sont les « techniques du corps » […] à l’accomplissement des fonctions physiologiques du corps humain. Ces modes de conceptualisation et la « vision du monde » dont ils participent seraient caractéristiques d’aires de civilisation étendues et se manifesteraient par l’ « air de famille » qu’ont par exemple les langues et les cultures de l’Afrique occidentale, en dépit de leur très réelle diversité.169

La notion originale de sémantaxe est une interface entre le cognitif et le langagier. Ce ne sont pas les structures formelles en tant que telles qui sont en cause mais les contenus sémantiques, précisera-t-il :

168 « l'adéquation étroite des moyens linguistiques mis en œuvre dans la communication à l'efficacité immédiate de cette dernière » ([1985] 1994a: 171). 169 G. Manessy (1995: 228).

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Ce qui est en question ici, ce n’est pas la structuration syntaxique qui tisse le réseau des relations entre constituants de l’énoncé […], mais la structuration informative par laquelle se construit le message. C’est à ce niveau qu’interviennent les catégories sous-jacentes que nous imputons à la sémantaxe africaine.170

L’Afrique est le terrain ayant fourni les données empiriques à cette théorisation qui porte en réalité sur le langage de manière générale :

celui-ci n’est, par-delà les contraintes « universelles » […] que la mise en forme d’une expérience perçue au travers du prisme culturel et que la manière dont l’information est organisée et transmise, fût-ce au travers de structures empruntées et sclérosées, en est en quelque sorte la réfraction.171

L’originalité de cette hypothèse réside dans le fait qu’elle réintègre les données socio-anthropologiques dans la description linguistique et donc forcément le sujet dans le discours. Sa difficulté provient du fait que les effets filtrants du prisme cognitif ne sont perceptibles que dans des situations de rupture sociale et linguistique (R. Nicolaï 2001 : 32). La fracture socio-culturelle est celle qui a été vécue par les Africains, qu’ils aient été déportés ou qu’ils aient été colonisés. Avec les conditions sociales propres aux époques et aux espaces dans lesquels ils ont évolués, leur volonté de réorganisation communautaire, par le biais de la langue française est marquée par la résurgence

de techniques apprises et transmises de génération en génération, inaperçues de leurs usagers parce que réputées conformes à l’ordre de la nature et qui concernent aussi bien l’utilisation des ressources du corps […] ou l’exploitation du milieu naturel que la prise en compte et la conceptualisation du témoignage des sens.172

L’hypothèse sémantactique propose ainsi une analyse des faits de langue et de leur signification sociale. Elle propose une interprétation fonctionnelle de la variation en la justifiant par la diversité des besoins communicationnels et par « l’exigence de l’adaptation de l’instrument linguistique aux tâches qu’il doit assumer » (G. Manessy 1995 : 16)173. En cela, les postures épistémologiques qui sous-tendent l’ethno-sociolinguistique et l’écologie linguistique s’accordent à l’hypothèse sémantactique.

3.2 L’ÉCOLOGIE LINGUISTIQUE ET L’ETHNO-SOCIOLINGUISTIQUE

La théorie proposée par L.-J. Calvet se construit depuis les années soixante–dix grâce à la fréquentation assidue de nombreux terrains. Le choix de l’ouvrage publié en 1999

170 G. Manessy (1995 : 244). 171 G. Manessy (1995 : 234). 172 G. Manessy (1994b : 17). 173 Cette thèse s’apparente à celle des « besoins » énoncés H. Frei (1929).

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comme base de notre présentation se justifie par son contenu synthétique et par son titre programmatique : Pour une écologie des langues du monde. L’essentiel des thèses présentées dans cet ouvrage se retrouvent aussi dans les travaux de Ph. Blanchet (2000, 2003, 2007a) qui se réclame de l’ethno-sociolinguistique. Ces thèses s’articulent autour de la remise en question de deux aspects fondamentaux de la linguistique du XXe siècle : le concept de langue et l’approche systémique de sa description.

Le principe de l’existence des codes n’est pas renié. Leur évolution constante est une réponse aux besoins de communication (L.-J. Calvet 1999 : 14). L’ambition est de construire un modèle théorique qui tienne compte de la dimension essentiellement communicative et sociale des langues et de dépasser le clivage entre linguistique et sociolinguistique (L.-J. Calvet 1999 : 17). Le modèle est alors fondé sur le couple pratiques et représentations en étroite relation avec le milieu : « l’objet de la linguistique est toujours une niche écolinguistique dans laquelle les langues en présence sont l’objet ultime de la description, mais non le point de départ » (L.-J. Calvet 2004 : 53). D’où l’emphase sur la méthodologie de type empirico-déductif qui précède toute théorisation (Ph. Blanchet 2000) :

Dès qu’on se fonde sur la diversité des pratiques et sur le plurilinguisme ordinaire174 des personnes et des sociétés, c’est à la fois l’objet même de la linguistique (la langue/ses pratiques) et sa méthodologie (recueil/traitement des données), qui sont à construire autrement.175

Le modèle écologique comprend quatre articulations assimilables à des modèles partiels et complémentaires: le modèle gravitationnel (qui traite de l’écosphère), le modèle homéostatique (régulation par le milieu), le modèle de représentation et le modèle de transmission (changement linguistique).

3.2.1 LE MODÈLE GRAVITATIONNEL

Il rend compte de la situation linguistique mondiale. Le principal enjeu ici est celui de la place occupée par chaque langue dans ses relations avec les autres langues du monde. On ne peut que faire le constat d’une parfaite inégalité. Certaines langues bénéficient du statut de langues internationales (celles qui sont utilisées comme langue de travail dans les organisations internationales) alors que d’autres en sont privées même si de fait elles sont transfrontalières (le swahili, le malais, ou le bambara) (L.-J. Calvet 1999, 2007 : 35). La problématique langue/dialecte précédemment soulignée par W. Mackey (1971) est simplement déplacée :

174 Rappelons que loin d’être une exception, « le plurilinguisme est la règle » (L.-J. Calvet 1994 : 125). 175 Ph. Blanchet (2003 : 287).

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on a soutenu que toutes les langues sont des dialectes. Toutefois, ce ne sont pas tous les dialectes qui peuvent prétendre au statut de langue : il faut que ceux qui les parlent soient suffisamment indépendants pour l’affirmer176

Configurations macro-sociolinguistique qui déterminent la « niche » d’une langue, c'est-à-dire « ses relations avec les autres langues, […] la place qu’elle occupe dans l’écosystème, c'est-à-dire par ses fonctions et par ses rapports avec le milieu. » (L.-J. Calvet 1999 : 35).

3.2.2 LE MODÈLE HOMÉOSTATIQUE

L.-J. Calvet soutient la thèse de la régulation177 interne des langues sous l’effet de facteurs externes. Une langue nouvellement introduite dans un milieu s’adapte afin d’y survivre : c’est son acclimatementacclimatementacclimatementacclimatement178. Une autre question importante est celle de l’effet de l’introduction d’une nouvelle langue sur les autres déjà présentes. Les situations africaines se prêtent bien à la problématique du modèle homéostatique. La vernacularisation du français semble avoir abouti à une acclimatationacclimatationacclimatationacclimatation (L.-J. Calvet 1999 : 128). La question de la transmission des situations linguistiques devient par conséquent cruciale.

3.2.3 LE MODÈLE DE REPRÉSENTATIONS

Ce modèle est « destiné à rendre compte de la façon dont les locuteurs, individuellement et collectivement, perçoivent leurs pratiques et celles des autres » (L.-J. Calvet 1999 : 16). Il souligne le rôle capital des représentations pourtant marginalisées sur le plan scientifique. Les représentations siègent dans l’imaginaire du locuteur sans qui la langue n’existe pas. G. Manessy (1994b : 11) le soulignait comme suit :

il faut se défaire […] de l’idée qu’une langue est une donnée immédiate dont les apparences traduiraient une structuration interne objective, directement accessible à l’analyse de l’investigateur. Sociolinguistiquement du moins, la langue n’a d’existence que dans la représentation que sen font ses locuteurs et c’est selon leurs perspectives, en quelque sorte de l’intérieur, qu’elle doit être examinée.

L’étude des représentations revalorise donc le point de vue du locuteur, acteur linguistique de premier rang. Les représentations coexistent avec les pratiques. Elles

176 W. Mackey (1971) in Cl. Bavoux (2003: 26). 177 « la régulation est une réaction à un stimulus extérieur par un changement interne qui tend à neutraliser les effets de ce stimulus. » (L.-J. Calvet 2000 : 64). 178 «On parle en écologie d’acclimatement pour désigner le fait qu’une espèce déplacée d’un milieu à un autre peut y survivre, et d’acclimatation lorsque cette espèce peut non seulement survivre mais en outre se reproduire dans con nouveau milieu. » (L.-J. Calvet 2000 : 74).

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produisent de la sécurité/insécurité linguistique qui induit des comportements ou attitudes. Le changement linguistique résulte de la transformation des pratiques par ces attitudes comme le dit L.-J. Calvet (1999 : 159) :

L’analyse des représentations, qui procède méthodologiquement en synchronie, touche nécessairement au changement, à l’évolution des formes linguistiques, et relève en même temps de la diachronie.

3.2.4 LE MODÈLE DE TRANSMISSION

Ce modèle s’intéresse en diachronie (au sens classique) à l’évolution conjointe des situations et des langues (L.-J. Calvet 1999 : 16). C’est la transmission inter-générationnelle des langues qui est en cause. Mais transmission n’est pas synonyme de conservation (p. 185). Dans une synchronie quelconque, savoir si la mutation d’une langue antérieurement introduite dans un milieu donne naissance à une nouvelle langue est un projet sociolinguistique complexe. L’exigence est de toujours fonder ses thèses sur l’état des niches écologiques du terminus a quo et du terminus ad quem (L.-J. Calvet 2000 : 76-77).

Il est à noter que ni Ph. Blanchet ni L.-J. Calvet ne proposent un modèle de description des codes. L.-J. Calvet (1999) estime qu’un modèle des codes est secondaire par rapport à la problématique de la communication sociale qu’il aborde. Par ailleurs, il existe des modèles de description de code pouvant rendre service en cas de nécessité. Pour en choisir un, il faudrait s’assurer de sa compatibilité épistémologique avec les modèles de la complexité. Le rôle des codes n’est donc pas minoré, au contraire

rien de linguistique ne doit être étranger à la « sociolinguistique », […] elle doit aussi entrer dans le détail des descriptions formelles, mais d’un autre point de vue, pour devenir enfin la linguistique.179

Au bout du compte, c’est la problématique du changement linguistique qui structure les modèles de la complexité et de la dynamique de la langue. À tous les niveaux, c’est l’instabilité qui prime. Le changement linguistique est donc le résultat de l’interaction des pratiques instables avec des représentations instables et du milieu instable. C’est ainsi que dans une perspective interactionnelle L. Mondada (1999, 2001) a pu dire que le langage est un processus émergent, structuré et structurant par rapport à l’activité langagière pratique.

Le problème auquel les modèles de la complexité se heurtent est celui de savoir quels sont les phénomènes à intégrer pour rendre compte du fonctionnement du langage humain. Les faits ont une certaine cohérence qu’il faut découvrir. Cette cohérence n’est pas unidirectionnelle (D. de Robillard 2003 : 221). D’où l’éclectisme comme principe

179 L.-J. Calvet (2007 : 43).

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épistémologique (J.-M. Eloy 2003). Ce principe transparaîtra dans notre démarche méthodologique.

La cohérence de cet éclectisme est résumée dans cet extrait de Ph. Blanchet (2003 : 295) :

Une « pensée complexe » est caractérisée par trois principes :

- le principe dialogique (dépassement – ou plutôt intégration – des paradoxes et antagonismes , y compris entre les différents paradigmes scientifiques) ;

- le principe de récursivité (rétro-action en boucle ou plutôt en hélice – et non causalité linéaire) ;

- le principe dit hologrammique (qui affirme que le tout – globalité provisoire et approximative d’une situation perçue – est dans la partie qui est dans le tout…).

Ces trois principes s’imbriquent pour produire une pensée non-disjonctive, globalisante, tentant d’envisager la complexité des phénomènes humains dans la plupart de leur dimensions, notamment qualitative, tout en restant une pensée ouverte. L’une des conséquences est le refus d’un raisonnement mécaniste, binaire ou dichotomique.

4 CONCLUSION

Le compte-rendu des différents points de vue sur la variation dans le champ de la linguistique montre qu’il existe un consensus sur le principe variationnel de la langue. Elle bouge tout le temps. Que faire donc de la notion de langue qui est chargée d’un passé monolithique et stable ? Nous reviendrons dans la conclusion générale sur les moyens adoptés pour résoudre cette question épineuse.

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1 INTRODUCTION

Une étude qui entend décrire le FRACAM sous ses aspects linguistiques et qui s’appuie sur des énoncés isolés passe à côté de l’essentiel de ses spécificités. Car s’il existe une norme endogène du français au Cameroun, « la normalité qui la fonde n'est perçue que dans l'interaction » (G. Manessy [1993]1994a : 218). D’où la place centrale qu’occupent les données orales conversationnelles dans notre démarche descriptive.

D’inspiration sociolinguistique, la linguistique de terrain a été d’un apport inestimable pour la connaissance de la langue. Pour le français, la réintroduction de l’oral dans les analyses proprement syntaxiques (cf. travaux du GARS et du DELIC) a permis de reconsidérer les catégorisations avec lesquelles la langue idéale était décrite. Et si par maints aspects il est admis que la variété que nous nous proposons de décrire est « incontestablement du français »180, ce travail se veut une contribution à une meilleure connaissance du français « tout court » car sa description est loin d’avoir été épuisée comme le soulignent F. Gadet (1997) et Cl. Blanche-Benveniste (2005). En focalisant sur l’écrit, le structuralisme, à la suite de la grammaire traditionnelle, a occulté des phénomènes qui ont survécu à la grammatisation. Auparavant traités comme des ratés de la parole ou de la performance, ces phénomènes sont désormais perçus comme constitutifs de la langue. Ils lui influent une dynamique nécessaire pour les différenciations stylistiques en synchronie et pour le changement linguistique en diachronie.

Dès lors, le corpus de type dialogal revêt une importance capitale pour la description syntaxique (F. Gadet 1996, Cl. Blanche-Benveniste 1997b). Et ceci est d’autant plus vrai dans les situations de plurilinguisme que les schèmes syntaxiques et les modalités d’alternance de codes ont une motivation discursive et contextuelle (J. Boutet & M. Heller 2007 ; L. Mondada 2001, 2007a, 2007b). L’introspection en linguistique a montré ses limites tant pour les jugements de grammaticalité que pour la créativité langagière effective. Et W. Labov ([1975] 2001 : 33) dira qu’

aucun résultat ne permet d’entretenir l’espoir que les jugements introspectifs des linguistes soient fiables, reproductibles ou généralisables dans leur application au langage dans la communauté.

Ceci étant acquis, le problème méthodologique se déporte sur la nature même du corpus. Quelles sont les situations de prises de parole les plus adéquates pour constituer un corpus dialogal ? Comment obtenir des données orales propices à la description syntaxique du français tel qu’il est parlé au Cameroun ? Etant donné que la variété décrite partage une

180 R. Chaudenson (1993, 1998).

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bonne partie de son système avec les autres variétés de français, comment s’assurer qu’au bout de la description les structures syntaxiques soient effectivement caractéristiques du français parlé au Cameroun ? Telles sont les questions cruciales auxquelles nous tentons de répondre à travers les articulations de notre démarche méthodologique.

2 DÉMARCHE MÉTHODOLOGIQUE

Le cadre général est celui de la vevevevernacularisationrnacularisationrnacularisationrnacularisation comme indice de démarcation linguistique. L’objectif principal de description syntaxique qui a été fixé ne se départit pas du contexte de production des énoncés. Il s’agit de ne pas perdre de vue la nature sociale de l’objet en cause. La langue (le français) est un objet vital pour les Camerounais dans la mesure où il est un moyen de communication et un moyen d’expression identitaire (cf. chapitre 2). Il est l’unique biais linguistique dont dispose les communautés ethniquement hétérogènes pour tisser et entretenir les liens sociaux : le projet politique de l’État camerounais impose une communication interethnique en français181. Les données recueillies ne peuvent, de ce fait, être traitées comme de simples objets factuels que les techniques de recueil et d’analyse permettent d’objectiver.

La démarche adoptée est globalement empirico-inductive. Elle consiste à rejeter tout à priori sur les langues et les variétés, même si l’on sait que l’activité langagière ne peut se déployer que s’il existe quelque chose de stable dans l’imaginaire des locuteurs et qui leur serve de repère linguistique. Cette chose serait ce que l’on nomme vaguement « langue », c’est-à-dire un ensemble de normes, de pratiques et de représentations (L.-J. Calvet 1999, 2004). L’ancrage social du corpus permet de garder le lien entre les productions langagières et le contexte, facilitant ainsi une interprétation des énoncés du point de vue du locuteur. Les hypothèses formulées à la suite de la littérature scientifique et de notre expérience personnelle sur le terrain sont le fil d’Ariane dans le labyrinthe de l’interaction des multiples facteurs écolinguistiques plus ou moins prévisibles.

Pour décrire le français parlé au Cameroun, il a fallu se doter d’un « échantillon » de ce français qui, pour les besoins de la recherche scientifique, est désormais appelé « corpus ». Que représente-t-il en réalité ?

B. Habert (2000 : 13) définit le corpus comme

181 Le français dans huit régions et l’anglais dans deux régions. La construction identitaire autour des langues officielles est perceptible à travers ce qui que l’on nomme au Cameroun « le problème anglophone ».

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une collection de données langagières qui sont sélectionnées et organisées selon des critères linguistiques et extra-linguistiques explicites pour servir d’échantillon d’emplois déterminés d’une langue.

La collection que nous présentons est une photographie d’échanges de paroles entre quelques Camerounais à des moments donnés dans le long cours de leurs pratiques fort hétérogènes. Il est à peu près certain que les locuteurs qui sont ici nos informateurs ont d’autres pratiques qui n’ont pas été saisies182. Le corpus est en quelque sorte une stabilisation de pratiques dont la labilité ne permet pas de prévoir que certaines de ses caractéristiques soient encore pertinentes lorsque la description sera achevée. Ceci conduit à relativiser quelque peu la représentativité et l’authenticité comme critères d’évaluation d’un corpus (Ph. Blanchet 2007b). Il n’en demeure pas moins vrai qu’un corpus doit être contextualisé pour être scientifiquement recevable (C. Kerbrat-Orecchioni 1998 ; J. Boutet & M. Heller 2007).

D’un point de vue écologique, l’échantillon stabilisé fait partie d’un ensemble éminemment vaste. Il représente cet ensemble par certains aspects généraux. Mais d’autres aspects, liés aux critères immédiatement contextuels, en font quelque chose de moins ou de plus que la somme des cas particuliers qu’est l’ensemble. L’échantillon est doté d’une richesse contextuelle dont on peut difficilement rendre compte dans une abstraction du tout et d’une insuffisance du fait qu’il ne saurait comporter tous les paramètres définitoires du tout émergent.

Il n’y a donc pas de superposition exacte des caractéristiques du corpus et de celles de l’organisation globale dans laquelle on a « prélevé » les observables pour les transformer en corpus.183

Chacune des séquences de notre corpus, à sa manière, met en scène les caractéristiques macro-sociolinguistiques du Cameroun tout en étant intimement liée à l’histoire personnelle des personnes qui y participent, ainsi qu’aux relations habituelles et/ou ponctuelles qui fondent l’originalité des situations d’interactions recueillies (ce qui inclut les effets induits de l’observation). En effet,

une situation n’est pas un simple état de choses, ni une relation intersubjective qui échapperait à l’histoire : elle se définit et ne se circonscrit que relativement à une légalité culturelle et sociale où elle prend son sens initial. En d’autres termes, une situation est une occurrence d’une pratique sociale.184

182 Cl. Blanche-Benveniste (1997b, 2000) et F. Gadet (1997) proposent d’enregistrer la même personne dans diverses situations de prise de parole. C’est une approche intéressante pour une étude axée sur le style et l’évaluation de la notion de compétence linguistique. Mais avant, il faudrait déjà démontrer l’existence d’une variété endogène relativement autonome, ce à quoi nous nous attelons. 183 Ph. Blanchet (2007b : 249). 184 F. Rastier (1998 : 99).

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Il s’ensuit que notre approche ne vise pas l’authenticité185 pour elle-même, mais la crédibilité et la significativité du corpus par rapport au terrain. De même, la représentativité du corpus est moins liée à sa taille et à sa population qu’à son adéquation avec l’objet de la recherche comme le précise B. Habert (2000) 186 :

améliorer la représentativité d’un corpus consiste à préciser la production et la réception de chacun de ses composants, en lien avec les motifs qui ont conduit à la création du corpus, mais aussi à pouvoir déterminer sur des bases objectives, les différents emplois du langage auxquels on s’intéresse.

Derrière la question de la représentativité, la nécessité scientifique de dégager des règles d’une portée générale se fait légitimement entendre. La plus grande prudence s’impose car tout corpus est nécessairement une restriction de l’ensemble plus vaste auquel il appartient. Toute généralisation absolue à partir de nos observations serait de ce fait hasardeuse. Le projet scientifique n’est plus de faire émerger un système homogène. Plusieurs sous-systèmes187 s’entrecroisent et il faut se rendre à l’évidence :

Partir d’un corpus concret, c’est postuler au départ que les règles sont relatives à ce corpus, et c’est donc s’engager sur la voie d’une grammaire de type probabiliste.188

C’est par un éclairage mutuel entre contexte micro-sociolinguistique et contexte macro-sociolinguistique que nous pourrons dégager des tendances structurelles dont la réalisation est plausible dans la macrostructure qu’est la partie sud du Cameroun.

3 CONSTITUTION ET TRANSCRIPTION DU CORPUS

L’authenticité des corpus est une préoccupation dès les débuts de la sociolinguistique. En rupture avec la linguistique introspective, la sociolinguistique entend travailler sur la langue produite par des locuteurs réels, en prise avec le réel. Très vite, W. Labov (1976) est confronté au paradoxe de l’observateurparadoxe de l’observateurparadoxe de l’observateurparadoxe de l’observateur. Que faire pour observer comment les gens parlent quand ils ne sont pas observés ? C’est la réflexion autour de la résolution du paradoxe de l’observateur qui a permis des avancées importantes sur le plan méthodologique (F. Gadet 2000b). La sophistication des moyens mis en œuvre pour le contourner est d’autant plus

185 Nous reviendrons sur le critère de l’authenticité dans l’exposé sur la transcription où il est clair que le corpus restitué ne peut être totalement fidèle aux énoncés recueillis à cause du transcodage de l’oral vers l’écrit. 186 http://limsi.fr/individu/habert/Publications 187 L’idée de système reste valable, à condition de ne pas restreindre ce dernier aux caractéristiques formelles. « Nous concevons la langue comme une variation réglée : elle fait système malgré l'hétérogénéité » (F. Gadet 1996 :141). 188 J.- P. Sueur (1982 : 149).

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grande que le chercheur se soucie non seulement de l’authenticité de ses données mais aussi de la neutralité et de l’objectivité de sa description (F. Gadet 2000b ; L. Mondada 2007a).

Une description du français dans le cadre de la vernacularisation est forcément confrontée au paradoxe de l’observateur. La clarification des hypothèses telles qu’elles ont été formulées nécessite de travailler sur les productions de la population jeune. La discussion sur les aspects historiques et sociaux (chapitre II) a en effet démontré que le français est devenu une langue camerounaise d’un point de vue sociolinguistique. La nativisationnativisationnativisationnativisation189 est en constante progression. En effet, de nombreux parents pensent que les langues ethniques sont un obstacle pour la scolarisation de leurs enfants. Et que ce soit du réalisme ou plutôt du snobisme comme le pensent R. Wamba & G. Noumssi (2003) le résultat est le même : les parents transmettent directement le français à leurs enfants. La synergie urbaine fait le reste.

Recueillir personnellement des données vernaculaires chez les jeunes aurait nécessité l’élaboration d’un dispositif d’observation afin de contourner le paradoxe de l’observateur. De même, l’observation participante aurait été trop coûteuse pour l’objectif de description de type morpho-syntaxique envisagée. La solution la plus rentable a été celle des auto-enregistrements dans plusieurs groupes de jeunes. Nous n’avons pas assisté aux enregistrements, préférant les laisser dans une réelle intimité. Nous avons tablé sur notre connaissance du contexte global pour la compréhension des énoncés s’ils comportaient des traces de parlers jeunes. Les conversations obtenues ont fait l’objet d’une transcription et constituent le corpus principal (Corpus ACorpus ACorpus ACorpus A). Il est complété par un corpus témoin qui rassemble des paroles d’adultes. Ce sont des données de type conversation et de type entretien. Ces deux sous-corpus offrent une complémentarité typologique, une diversification des situations de prise de paroles, le corpus témoin permettant de contrôler la stabilisation des structures morphosyntaxiques observées dans le corpus des jeunes.

3.1 LES CARACTÉRISTIQUES DU CORPUS

Nous commençons par un rappel : l’usage d’une langue de tradition africaine (le fulfulde) à titre véhiculaire dans la partie Nord du Cameroun disqualifie cette région pour notre étude. La fonction véhiculaire du français a une incidence directe sur la vernacularisation. Notre description est donc restreinte au français parlé dans le sud du

189 R. Chaudenson (2000) emploie ce terme pour désigner l’appropriation précoce (en famille et dans la rue) du français en Afrique.

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Cameroun. Trois villes situées en zone francophone190 ont été retenues du fait de leur importance politique, économique et démographique : Yaoundé, Douala, et Bafoussam. Yaoundé (la capitale) et Douala (la ville économique la plus importante) sont des villes cosmopolites par excellence. Elles sont peuplées de personnes originaires de toutes les régions du Cameroun. L’exode rural, massif depuis quelques temps déjà, a contribué à créer dans certains quartiers de ces villes de véritables bidonvilles où la pauvreté et la promiscuité sont les choses les mieux partagées191. Bafoussam est considérée comme la troisième ville du Cameroun en raison d’une densité démographique et d’une activité économique importante. Son cosmopolitisme est cependant moins varié.

Des contacts étroits de la vie quotidienne jaillit une culture urbaine qui se reflète dans les comportements linguistiques des populations. La plupart des locuteurs camerounais sont capables de reconnaître les différentes langues locales à l’écoute même s’ils n’en ont aucune connaissance pratique (active ou passive). Les écrits plurilingues font partie du paysage des villes camerounaises192. Nos jeunes informateurs baignent dans cet environnement sociolinguistique depuis leur naissance. Ce sont donc des citadins, détenteurs privilégiés d’une culture urbaine composite.

La dispersion géographique voulue n’a pas vocation à déboucher sur un échantillonnage étant entendu que la représentativité absolue est impossible à atteindre. Cette dispersion permet simplement d’observer des pratiques jeunes dans différents centres urbains. Si des phénomènes linguistiques similaires devaient être constatés, cela indiquerait que les paramètres macro-sociolinguistiques, tributaires de la politique linguistique nationale, ont des répercussions similaires sur les habitants des trois villes. En plus des programmes scolaires nationaux, ces villes sont connectées aux médias officiels. Les références langagières et socio-politiques sont donc transversales. Le cosmopolitisme des villes permet aussi de ne pas focaliser sur les origines ethniques des locuteurs. Au demeurant, notre recherche n’est pas de type ethnographique. La relative incompétence des jeunes dans les langues locales (Z. Bitjaa Kody 2004, L.-M. Onguene Essono 2005) justifie que l’on ne s’attarde pas outre mesure sur leur langue « maternelle » supposée. Les réponses du type « le duala c’est ma langue mais je ne la parle pas » dans les enquêtes sociolinguistiques

190 La restriction à des villes francophones s’explique par le fait que l’appropriation de la langue française dans le cadre théorique de la vernacularisation ne peut réellement s’observer que dans des contextes où le recours au français est quasiment obligatoire dans l’espace public. 191 Voir la présentation de Douala par Feussi (2006). 192 Quoique dominés par le français et l’anglais, on peut voir des écrits en arabe et en d’autres langues locales devant des lieux de rencontre à caractère religieux, culturel et ethnique.

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anéantissent toute tentative de recherche d’influences inter-linguistiques de type systémique, et qui se produiraient de manière systématique.

Vu que le corpus est de nature restrictive, nous avons jugé nécessaire de le laisser ouvert, faisant appel à d’autres données de sources orales ou écrites lorsqu’elles sont pertinentes pour la démonstration.

3.2 LE CORPUS CENTRAL

Dans leurs relations avec les pairs, les jeunes bâtissent une identité linguistique affranchie de l’ethnicité et foncièrement marquée par une hétérogénéité formelle. Il nous a cependant semblé nécessaire de retenir quelques critères sociologiques en plus du facteur jeunesse afin de construire un corpus en adéquation avec nos objectifs.

3.2.1 LES INFORMATEURS

Les jeunes sont âgés de 16 à 22 ans. Cette tranche d’âge correspond à ceux qui sont régulièrement inscrits dans une classe comprise entre la troisième et la terminale.

Le critère de scolarisation chez les informateurs a été retenu pour une raison fondamentale : le contact prolongé avec la norme scolaire neutralise la possibilité d’une interprétation des structures comme des « interférences » par ignorance. Loin de nos ambitions en effet, l’évaluation des pratiques par rapport au standard.

Toutefois, des objections sur la validité de ce critère pourraient se faire sur la base du décalage que l’on peut observer entre les pratiques (mêmes écrites) des élèves et le standard qui reste l’objectif d’enseignement. La vérité est qu’on ne peut pas toujours faire la part des choses entre les erreurs d’apprenants et la reproduction des modèles enseignés. Le français des enseignants n’est pas exempt de régionalismes syntaxiques (G. Manessy 1992, A. Boutin 2008). De ce fait, la légitimité sociale des formes passibles d’incrimination (formes constitutives de la norme endogène) n’est pas en cause. Ce sont des formes effectives en mal de reconnaissance institutionnelle.

Il a aussi fallu s’assurer que les participants aux échanges étaient membres d’un réseau social établi. Ce qui implique qu’ils ont en commun une partie de leur histoire : celle qui est liée au groupe. Ils ont aussi des souvenirs communs (qui facilitent les allusions implicites) et des pratiques discursives endogroupales inscrites dans la durée. Face à cette construction sociale et historicisée des pratiques linguistiques, l’histoire personnelle de chaque informateur eût été moins pertinente.

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Le cas de Yaoundé mérite quelques éclaircissements cependant. Au vu de la qualité désastreuse des enregistrements entre lycéens nous avons renoncé à les transcrire193. Nous avons tout de même un enregistrement réalisé avec un groupe d’étudiants. Les participants sont âgés de 25 à 33 ans. Ce sont des pratiques vernaculaires auxquelles participent des étudiants du second cycle, déjà titulaires d’une licence.

3.2.2 LE RECUEIL DES DONNÉES

Dans la linguistique de terrain, le dispositif du recueil des énoncés informels est réputé être l’un des plus difficiles à monter. Le problème du paradoxe de l’observateur résolu, nous avons chaque fois confié le dictaphone à un jeune avec la consigne d’enregistrer des discussions avec ses amis, quel que soit le lieu et quelle que soit la langue utilisée. Cette consigne volontairement vague sur la langue utilisée se fondait sur l’assomption que les jeunes s’expriment presque exclusivement en français entre eux. L’objectif était de ne pas « commander » un type de discours. Le jeune enquêteur devait informer ses amis de l’opération à l’avance, sans pourtant leur indiquer le moment précis où il mettrait l’enregistreur en marche194. Les résultats obtenus par les sessions de groupes sont quasi-naturels dans la mesure où le contrôle du groupe atténue les éventuels effets d’observation. La recherche du « naturel » ne devrait cependant pas occulter le fait que le recueil d'un discours vernaculaire « pur » est difficilement réalisable (F. Gadet 2000b). L’absence de pression normative verticale (de type institutionnel) dans les sessions de groupe n’efface pas un autre type d’exigence linguistique, cette fois-ci relative aux normes sociales mutuellement élaborées par les membres du groupe. Quelle que soit la situation de prise de parole, le locuteur est un personnage social toujours sous le coup d’une auto-évaluation et d’une hétéro-évaluation. La différence réside dans le fait que la pression verticale est explicite alors que la pression horizontale est le plus souvent implicite et donc moins contraignante pour le sujet psychologique. C’est cet affaiblissement (et non l’absence) de la contrainte normative que nous appelons « style vernaculaire ».

193 Nous avons pratiqué une transcription artisanale sans logiciel. Les séquences conversationnelles des autres villes représentent en fait un tri parmi de nombreux enregistrements de mauvaise qualité. 194 Dans les trois villes, les jeunes choisis sont restés en possession de l’appareil d’enregistrement pendant une semaine.

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CommentCommentCommentComment se déroulent les sessions de groupesse déroulent les sessions de groupesse déroulent les sessions de groupesse déroulent les sessions de groupes ????

Chaque groupe a plusieurs lieux de rencontre. Un lieu peut être choisi par hasard ou être associé à certaines activités précises.

Le groupe de jeunes de Douala se retrouve souvent les week-ends (en période scolaire) et plus fréquemment pendant les vacances. Les conversations se poursuivent chez l’un des membres jusqu’à des heures tardives parfois. La séquence « À bâtons rompus » se déroule en soirée, après vingt-heures.

Les jeunes de Bafoussam fréquentent le même lycée. Les enregistrements y sont faits pendant les pauses ou à la sortie des cours.

Le groupe de Yaoundé a un lieu de rencontre précis, lieu à ciel ouvert dans la zone nommée Bonamoussadi, où l’on retrouve de nombreuses résidences universitaires. Contrairement aux enquêteurs de Douala et de Bafoussam, l’observateur de Yaoundé a une participation minimale, il semble éviter de s’enregistrer, ce qui n’enlève rien à la crédibilité de l’enregistrement dans la mesure où il n’est pas le destinataire exclusif des paroles prononcées. Par ailleurs la passion des débats réduit très vite l’effet d’intrusion du microphone.

Toutes ces conversations entre pairs sont libérées de la pression normative verticale. Les discours ordinaires ainsi obtenus permettent d’appréhender les solutions discursives de la frange de la population directement en prise avec les conflits normatifs entre l’institutionnel et le social.

3.3 LE CORPUS TEMOIN

Il se distingue du corpus central (corpus A) par deux aspects : le type de discours et profil sociologique des personnes. Le corpus témoin comprend deux volets :

Le premier est emprunté aux travaux réalisés par des étudiants de l’université de Yaoundé I dans le cadre de leurs mémoires de maîtrise en langue française.

Les enregistrements sont réalisés dans les marchés de la capitale. Les données transcrivent en majorité des entretiens avec des commerçants peu ou pas scolarisés. Une séquence porte sur des échanges à plusieurs voix : c’est un séminaire de sensibilisation organisé par la communauté urbaine de Yaoundé. Il se tient sur le marché, non loin des étals des commerçants. Nous appelons ce premier volet Corpus BCorpus BCorpus BCorpus B.

Le deuxième volet est un corpus issu de recherches antérieures, réalisé personnellement dans le cadre d’un DEA en sciences du langage.

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Ce sont des données de type conversationnel dont le dispositif de recueil est identique à celui qui a été mis en place pour les groupes de jeunes. Il s’agissait d’enregistrer des égaux sociolinguistiques en contexte informel. Une personne était chargée de faire des enregistrements lorsqu’elle discute de manière conviviale avec ses collègues sur leur lieu de travail (situé dans la ville de Yaoundé). Les adultes qui y sont impliqués sont titulaires de diplômes universitaires de niveau Bac + 5 minimum. Ils ont tous reçu leur formation dans des cursus où la linguistique et la langue française ont une importance capitale. Ce sont tous des professionnels de la langue. En tant que traducteurs, ils manipulent fréquemment les deux langues officielles (anglais et français) dans leurs versions standard. Ce deuxième volet du corpus témoin est appelé Corpus CCorpus CCorpus CCorpus C.

De la qualité De la qualité De la qualité De la qualité des donnéesdes donnéesdes donnéesdes données empruntéesempruntéesempruntéesempruntées

Nous tentons ici de faire une évaluation des données du corpus témoin par rapport à l’objectif de description du vernaculaire camerounais. Reprécisons déjà que notre étude n’est pas une comparaison systématique des formes comprises dans les trois volets du corpus. Le corpus A est la base de la description et les corpus B et C permettent de vérifier la récurrence de ces formes chez des Camerounais de statuts sociolinguistiques différents. De la même manière, nous effectuons des comparaisons entre les formes du corpus A et les formes obtenues dans les pratiques en français d’autres régions de la francophonie.

Le corpus C est en adéquation avec la présente recherche depuis son recueil jusqu’à sa version transcrite. Puisqu’il est constitué des données vernaculaires, il est donc exploitable sans réserve.

En ce qui concerne le corpus B, il est possible d’avoir quelques réticences sur la qualité des données à cause du dispositif d’entretien qui les a sollicitées. Les entretiens ont en effet la réputation de ne pas atteindre le style vernaculaire (L. Mondada 2001 ; J. Boutet & M. Heller 2007). Les personnes interviewées exercent une vigilance métalinguistique inexistante en conversation ordinaire. Nous pensons cependant que les effets de cette vigilance sont fonction du degré de conscience normative de la personne interviewée. S’il est nécessaire d’avoir des pratiques vernaculaires de personnes scolarisées, il est encore plus intéressant de les mettre en regard avec celles de personnes qui n’ont aucune expérience de la norme standard, sinon de manière passive. Selon nous, l’exercice de reconnaissance de la variété standard chez les dernières n’est pas différent de ce qui se passe lorsque elles reconnaissent (à l’écoute) d’autres langues du terroir sans en avoir une pratique personnelle.

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P. Dumont & B. Maurer (1995) estiment que les enquêteurs imposent leur langue lors des entretiens semi-directifs. Les personnes interviewées se conformeraient tout simplement au style qui est attendu d’eux dans le cadre de l’échange conditionné par le dispositif d’observation. Or, dans les entretiens conduits par les étudiants de l’Université de Yaoundé I, chacun des locuteurs garde son style du début à la fin de l’entretien. Le contraste est saisissant comme on peut le voir dans les extraits suivants :

L1 (étudiant) quand est ce que vous avez commencé le marché avez- vous un capital

L3 (commerçant) c'est le parlant des moyens pour moi quand on dit la vie est dure j'ai commencé mon marché très jeune quand je suis entré dans la friperie j'avais mi sept cent et si je prends ça dans la vie bon i y a

eu des temps difficiles j'ai eu mon premier comptoir au marché de

Biyem-Assi […]

Le commerçant donne des explications assez longues après lesquelles l’étudiant poursuit dans son registre (soutenu, avec inversion dans les questions) et le commerçant dans le sien :

L1 quel était le rôle d'un représentant des fripiers

L3 c'était pour justifier la cause des vendeurs en ce qui concerne la friperie quand le maire , arrivait et il avait à dit aux sauveteurs il pouvait pas appeler tout le monde il fallait qu'il appelle le le présentant et lui pacle aussi que s'il fallait qu'on part. chez le maire nous nous tous ne devait pas aller et suffire dans son bureau on allait là après concertation chaque délégué allait là bas pour discuter + ce qu'il discutait ne venait pas de lui même c'était l'idée les gens qu'il avait

L1 aujourd'hui vous ne faites plus le marché pourquoi l'avez-vous laissé

L3 oh c'est que je je trouvais plus ma force dans ça pour moi je ne trouvais plus mon compte j'ai fait la friperie au moins pour trois ou quatre ans après ça j'ai vu que ça allait ça allait plus j'ai laissé

L1 quel regard portez vous sur la vie des jeunes d'aujourd'hui par rapport à la vôtre

L3 qu'est ce qu'on peut dire à mon temps c'est pas pace qu'on tu ne vois aujourd'hui qu'on va dire que c'était bien + non peut être pace que j'ai vécu les moments difficiles + moi j'ai pas connu ma mère non mon père je l'ai perdu à deux ans de

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ma naissance encore j'ai vécu avec les membres de ma fami mon comportement m'a amené à vivre comme si j'étais dans mon propre fami

Y a-t-il eu ajustement de la personne interviewée au style formel imposé par l’enquêteur ? Aucune réponse tranchée n’est possible. Nous pouvons juste constater l’impossibilité pour le commerçant de formuler un discours dans un style reconnu comme formel pour le français standard sous tous ces aspects. La situation d’observation ainsi que les paroles qui en sont issues sont certes artificielles, il reste que les discours obtenus dans le cas d’espèce traduisent certains éléments du contexte de la macrostructure. Leur indexicalité se rapporte au fait qu’ils s’ajustent au dispositif de l’enquête et même temps qu’ils font émerger « les critères pertinents du contexte » (L. Mondada 2001 : 144). L’un de ces critères ici est la non-scolarisation de la personne interviewée, qui pourtant parle couramment français. Des données de ce type, quoique sollicitées, sont nécessaires pour la description des français en Afrique. Elles fournissent les formes les plus éloignées du standard au sein de la société, c'est-à-dire les formes les plus à même de révéler les traits de la norme endogène comme le pensait G. Manessy (1989).

Une analyse concomitante des discours informels (chez les personnes scolarisées) et formels (chez des personnes très peu scolarisées) est propice pour la découverte des faits d’appropriation. L’apparition de certains schèmes discursifs dans l’un et l’autre type de discours serait un indice de stabilisation structurelle dans le français parlé au Cameroun. La récurrence de ces schèmes dans des discours aux modalités d’occurrence différentes chez des personnes de fréquentation scolaire non équivalente devrait aboutir à un aperçu sur l’état d’appropriation du français parlé au Cameroun.

Quantitativement, nous disposons d’environ 6 heures d’enregistrement (3h30mn pour le corpus A et 2h15mn pour le corpus témoin) soit environ 52 300 mots.

Terminons cette partie par un récapitulatif des critères sociologiques du corpus central avec les raisons théoriques et méthodologiques sous-jacents. Les locuteurs ciblés dans le corpus central (A) sont :

- jeunesjeunesjeunesjeunes : ils sont locuteurs natifs du français (et souvent des bilingues précoces) ;

- citadinscitadinscitadinscitadins : la culture urbaine façonne leurs répertoires verbaux. Ils sont au cœur des nouvelles dynamiques discursives qui se disséminent dans la société ;

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- en cours de scolarisationen cours de scolarisationen cours de scolarisationen cours de scolarisation à partir de la classe de troisième. Le contact avec la norme scolaire est significatif afin de ne pas recourir au critère explicatif de l’interférence par ignorance ;

- membres d’un réseau serrémembres d’un réseau serrémembres d’un réseau serrémembres d’un réseau serré ce qui permet d’enregistrer des pratiques historicisées, qui témoignent d’une situation sociale (telle que définie supra par F. Rastier (1998)). Le style vernaculaire est le mieux approprié pour rendre compte des effets du processus sociolinguistique de la vernacularisation.

Ce travail de reconnaissance se fait cependant sur une version écrite des discours enregistrés.

3.4 LA TRANSCRIPTION DU CORPUS

La discussion sur la transcription est limitée au corpus A parce qu’il est le seul à avoir été constitué pour les besoins de notre étude. La principale difficulté de la transcription réside dans la transposition de l’oral vers l’écrit. C’est une rupture sémiotique qui implique la perte d’un grand nombre d’informations relatives à la mimo-gestuelle et la gestion de l’espace. Cette préparation visuelle est cependant indispensable si l’on veut mettre à profit les outils d’analyse dont dispose la linguistique.

La transcription se heurte à un certain nombre de difficultés qui tiennent à la nature des discours enregistrés et aux contextes d’enregistrements. Des paroles sollicitées en laboratoire ou des monologues sont faciles à transcrire. Dans les entretiens, même enregistrés dans la rue, la transcription est facilitée par la répartition harmonieuse des tours de parole. Avec des corpus de type conversationnel où les échanges sont quelques fois empreints de passion, nous avons dû faire l’expérience des affres de l’écoute précédant la transcription :

L’écoute d’un enregistrement apporte nécessairement des problèmes factices qu’on n’a pas dans l’écoute directe ; il y a quantité de bruits que l’on n’entendait pas tellement au naturel et qu’on entend très fort à l’écoute de l’enregistrement, où tout est sur le même plan.195

Les quartiers surpeuplés n’ont pas d’espaces prévus pour les regroupements de jeunes sans histoires particulières196. Les discussions – et donc certains de nos enregistrements – se déroulent aux abords des rues. Toutefois, la mauvaise qualité est

195 Cl. Blanche-Benveniste & C. Jeanjean (1987 : 94) 196 Il existe quelques centres d’accueil pour orphelins et enfants de la rue comme le centre Baba Simon à Douala. Des initiatives de ce type sont marginales et se déploient souvent dans le cadre d’actions caritatives.

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préférable à pas d’enregistrement du tout et il faut compter plus d’une heure pour retranscrire une minute d’enregistrement (M. Bilger 2000 : 88).

Le choix du code graphique nécessite une réflexion théorique en amont de la transcription (Cl. Blanche-Benveniste & C. Jeanjean 1987 : 97, L. Mondada 2000). Dans une étude syntaxique du français parlé à Abidjan, K. Ploog (2002) avait opté pour une transcription phonétique afin de ne pas anticiper sur l’interprétation197 des données et de ne pas discréditer la variété étudiée : « la transcription phonétique n’est donc pas un facilitateur, mais une nécessité, qui permet de bâtir un pont entre deux variétés distinctes, mais apparentées » (K. Ploog 2002 : 63).

Pour notre part, nous avons enregistré des locuteurs en contact avec la norme standard et qui maîtrisent l’orthographe du français. Une transcription phonétique introduirait un exotisme parfaitement déplacé de même qu’elle masquerait l’apparentement typologique avec le français standard dont les pratiques enregistrées sont issues. Les empreintes phonétiques des langues locales (P. Zang Zang 1999, A. Djoum Nkwescheu 2000), lorsqu’elles apparaissent, n’ont pas aucune incidence sur la version graphique des signifiants chez les personnes scolarisées. Une transcription orthographique est donc la plus appropriée pour notre description de type syntaxique.

3.4.1 LA TRANSCRIPTION ORTHOGRAPHIQUE

En dépit de la rupture de référence sémiotique entre l’oral et l’écrit, la transcription revêt un double enjeu théorique et méthodologique : la fidélité aux enregistrements et la lisibilité du corpus transcrit.

L’exigence de fidélité ne s’applique qu’aux séquences articulées puisque bon nombre de phénomènes mimétiques et kinésiques sont d’office perdus. Pourtant, les analyses interactionnistes ont adopté une annotation détaillée qui conserve le maximum d’informations para-verbales : marquage millimétré de tours de paroles en précisant les lieux de chevauchements et la nature des interruptions (hésitations, amorces ou interruption de l’interlocuteur). De tels détails ont permis de réviser certaines analyses faites sur des transcriptions plus sobres (L. Mondada 2007a : 179). Malgré toutes ces précautions, la transcription ne saurait plonger le lecteur dans le foisonnement d’indices visuels, vocaux et même olfactifs qui font des situations saisies par les enregistrements une réalité singulière.

197 Interprétation au prisme de sa connaissance du français standard qui est, comme elle le dit, une variété distincte de « l’abidjanais ».

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Le descripteur est obligé de (re)présenter cette réalité par ses propres commentaires198 (D. de Robillard 2007). L’authenticité du texte transcrit, tout comme celle du discours enregistré, est donc relative : « le texte authentique fuit, du moins par certains bouts » (Cl. Blanche-Benveniste & C. Jeanjean 1987 : 112). Par conséquent, le code graphique et les annotations sont au service du type de description envisagée.

Nous avons adopté une transcription orthographique dépouillée, selon les conventions établies par le GARS. Quelques aménagements ont été effectués. Les plus importantes ont une incidence sur la délimitation des unités d’analyse. En effet, le GARS préconise une transcription sans ponctuation usuelle. L’enjeu de la ponctuation est qu’elle reflète des décisions sur la segmentation des énoncés oraux en unités syntaxiques. « Mettre des points c’est délimiter des phrases » (Cl. Blanche-Benveniste 2005 : 49). Il a cependant fallu déroger à cette règle justement à cause du flou syntaxique qui entoure la notion d’ « interrogation », l’un des aspects retenus pour la description du français parlé au Cameroun.

L’unité d’analyse dans ce travail n’est pas la phrase. Les critères qui la définissent ne reflètent que partiellement les modes d’organisation du discours (A. Berrendonner & M.-J. Reichler-Béguelin 1989). De son côté, la modalité interrogative possède des marques formelles certes, mais en discours, elle repose souvent sur l’intonation. Le point d’interrogation permet alors de garder la trace sémantique de l’intonation en contexte dialogal. Sans les enregistrements, les énoncés interrogatifs sont difficiles à identifier sans ambiguïté. Le point d’interrogation est en fait une interprétation préparatoire aux analyses syntaxiques et discursives.

À l’écoute des enregistrements, on se rend aussi compte que toutes les intonations montantes n’ont pas nécessairement une valeur interrogative. C’est pourquoi nous avons retenu deux marquages pour l’intonation montante : la flèche montante lorsque rien dans le contexte n’indique que l’énoncé est une interrogation et le point d’interrogation lorsqu’il y a assez d’indices contextuels induisant une interprétation de l’énoncé comme interrogatif. Les extraits ci-dessous illustrent les deux formes d’intonation montante :

B3 sa part de force-là c’est quelle force comme ça ? quand je sais que je suis fort je suis calme je (ne) sais pas + quand on a donné le devoir ici + tu as j’ai fini le premier non↗ après une heure de l’épreuve qu’on a donné l’épreuve j’avais fini avec la chimie + ça n’avait pas empêché que j’ai que j’ai la première note j’ai fini à une heure donc dès une heure qu’on a lancé

198 Les dernières avancées technologiques permettent au interactionnistes de faire des transcriptions multimodales (L. Mondada 2007b, 2008).

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Le point d’interrogation accompagne la marque formelle « quelle ». Plus loin, « j’ai fini le premier non↗ » possède une intonation montante qui semble ne pas être une interrogation. Pourtant la même intonation portée sur le même mot « non » semble indiquer le contraire dans l’échange suivant :

B3 XXX c’est John qui va être le premier non↗

B2 oui + puisqu’il a- il a un peu lancé

D2 XXXX il a travaillé + Thierry Henry a travaillé

D4 c’est ce que je dis non↗ Thierry Henry a travaillé

Dans le premier échange « non » semble marquer une interrogation. On aurait pu utiliser le point d’interrogation. Tandis que dans le deuxième échange, la présence de « non↗ » n’a aucune valeur interrogative et l’interlocuteur ne l’interprète pas comme telle. Ce « non↗ » permet de gloser le début de la réplique par « c’est bien ce que je dis ». Devant cette hétérogénéité fonctionnelle de « non↗ », nous avons préféré transcrire toutes les occurrences de la même façon, ce qui permet d’en faire un schéma syntaxique particulier. La présente étude n’aborde pas les différenciations fonctionnelles de ce paradigme.

Un piège fréquent guette l’auditeur non averti : une perception auditive sélective corollaire d’une évaluation des formes selon des critères sociaux (Cl. Blanche-Benveniste & C. Jeanjean 1987 : 98). Le déficit culturel du transcripteur peut mener à l’incompréhension. C’est ainsi que A.M. Knutsen (2007 : 88) se fait aider dans la transcription par des Ivoiriens parce qu’elle ne partage pas le code social des personnes enregistrées. Cela lui a ainsi évité de faire des reconstructions à partir de son point de vue. Pour notre part, quoique partageant une grande part des savoirs socio-culturels avec les informateurs, il a fallu multiplier les écoutes pour nous rendre compte que certains segments étaient interprétés et non pas retranscrits. Le travail d’épuration qui s’est fait ne garantit pas totalement la fidélité des matérialités discursives. Même à des moments différés, il a fallu se contenter de la perception de la même paire d’oreille.

Les transcripteurs qui partagent les normes sociales avec les personnes enregistrées peuvent aussi pécher par excès de confiance. Il se permettent alors des « trucages orthographiques » censés rendre compte du phonétisme. Les trucages orthographiques posent d’abord un problème éthique : ils discréditent le locuteur en laissant penser qu’ils parlent avec « des fautes d’orthographe ». Ils posent aussi un problème théorique dans la

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mesure où certains segments falsifient la structure de la langue comme le signale M. Bilger (2000 : 89) en s’appuyant sur l’énoncé suivant : « alors il y dit c’est pas grave je parlerai lentement »199.

cette transcription qui utilise le graphème ‘y’ laisse penser que l’alternance entre /il lui dit/ et /il y dit/ serait le même que celui de /il y pense/. Or, le changement syntaxico-sémantique du verbe ‘dire’ semble difficile à accepter. Il aurait mieux valu transcrire selon la norme avec le pronom ‘’lui’’ : alors il lui dit c’est pas grave – et signaler la prononciation en « i » par une transcription phonétique : /ilidi/.

Les trucages orthographiques posent aussi des problèmes d’ordre méthodologique. Les corpus des étudiants de Yaoundé I en usent abondamment. Voici un extrait (les mots truqués sont en gras) :

tu demandes là quequequequequequequeque chose difficile mais il y a des fisfisfisfis qui ont fréquenté et se comportent bien et d'autres sont des diables pacepacepacepace qu'elle croient que comme elle a fréquenté, elle peut pas manquer de mari et ce qu'elle va faire - - d'autre(s) que tu rencontres n'ont pas fréquenté et elle est gentille donc c'est pas l'école qui fait que la femme se compoctecompoctecompoctecompocte bien

pacepacepacepace que même les femmes derandjentderandjentderandjentderandjent trop beaucoup elle va même dire à son mari que j'ai mon argent tu me dépasses avec quoi ça peut pas marcher

Les trucages reflètent des préjugés négatifs envers les personnes non scolarisées. Sinon, comment le transcripteur peut-il assurer que la prononciation des lettrés soient différente pour les termes « queque », « fis » et « pace que » ? Le résultat graphique de ces trucages est pour le moins étrange : l’orthographe n’est pas respectée pour les bases, mais les désinences du pluriel sont marquées dans « fissss » et « dérandjentententent ». Des personnes incapables de bien prononcer les mots marqueraient des accords pourtant inaudibles.

Le trucage orthographique crée des perturbations artificielles lors du décodage. Les mots doivent être devinés. Il n’est pas non plus aisé de faire la distinction entre erreur de frappe ou d’orthographe imputable au transcripteur et la prononciation du locuteur. C’est donc l’occasion de repréciser la nécessité d’une réflexion théorique en amont afin de décider d’un code graphique cohérent pour la transcription.

Ces remarques ne remettent cependant pas en cause la crédibilité des corpus et leur éligibilité pour l’étude que nous menons. Le contenu est une chose, la présentation du contenu en est une autre. La facilité de mise en place et de transcription des entretiens permet de retenir le contenu informatif du Corpus B. Lorsque des extraits de ces corpus seront convoqués dans les analyses, l’orthographe standard sera rétablie.

199 J. Brès (1999 : 110).

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CHAPITRE IV

MÉTHODOLOGIE

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Pour revenir au Corpus A, l’orthographe standard adoptée ne résout pas tous les problèmes théoriques et méthodologiques. En effet, une fois la transcription engagée, nous avons été confrontée à une l’hétérogénéité formelle dans les discours. Des lexèmes ne pouvant pas être pris en charge par l’orthographe standard du français apparaissent. La connaissance du terrain permet de les attribuer intuitivement à certaines langues en contact avec le français au Cameroun. Le choix de la graphie de ces termes devient problématique à cause de la multiplicité de ces langues, certaines n’ayant pas de tradition d’écriture courante.

3.4.2 LA GRAPHIE PHONOLOGISANTE

Une fois de plus, une transcription de type phonétique n’est pas envisageable. Considérons les deux énoncés ci-dessous

1) il y a les gens que tu vas toucher + ce n’est pas le [vum] que l’on raconte là

2) mais tu tu te rends compte que tu perds deux semaines dans une cellule on ne t’envoie pas au [Egata] on ne retire pas tu es là

Cette transcription occulte le fait que ce type de discours correspond à une variété reconnue dans la communauté camerounaise comme du camfranglais. Les caractères phonétiques seraient une mise à distance des lexies « bizarres » à l’intérieur du français alors que le camfranglais est plutôt d’utilisation courante. Ces items ne correspondent pas à des emplois strictement idiolectaux.

Il serait donc plus logique de généraliser le code orthographique à l’ensemble des éléments des énoncés. Cependant, continuer avec une transcription orthographique voudrait aussi dire que le problème des langues prêteuses est résolu et qu’on transcrit selon les normes orthographiques des langues sources. Or, les corpus disponibles au travers des publications des chercheurs camerounais montrent qu’il n’en est rien. Il y a une variabilité d’un auteur à un autre et d’un extrait à un autre chez le même transcripteur (C. de Féral 2006, 2007). Ainsi, dans le corpus Biloa en annexe de l’ouvrage collectif200 sur le camfranglais publié en 2008, on peut noter trois variantes graphiques du même terme :

- toi-même tu no no no no que les répés là sont d’un style.

- tu knowknowknowknow que ma remé m’a gui le work à do.

- Tu nownownownow que comme il y avait les mbindi il voulait nous sortir sa part de higher level.

200 Ntsobé, André-Marie, Biloa, Edmond et Echu, George (2008) : Le camfranglais: quelle parlure? Etude linguistique et sociolinguistique, Frankfort, Peter Lang.

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De même, G. Echu (2008 : 75), dans son chapitre consacré au lexique du camfranglais, donne deux entrées différentes pour le même terme, puisque les sens de ces entrées semblent coïncider :

- fall (verbe) → « être amoureux (de l’anglais « to fall in love ») »

- fol (verbe) → « aimer ; tomber amoureux (de l’anglais « to fall in love ») »

Cette fluctuation graphique reflète peut-être la variabilité de la variété décrite mais elle est insatisfaisante sur le plan méthodologique. Ainsi transcrits, seuls des Camerounais pourraient déchiffrer les corpus, et ce sur la base de leurs connaissances empiriques201. Face à des énoncés comme les deux qui suivent, un non-initié ne peut savoir que dans le premier cas il faut lire [do] et que dans l’autre il faut lire [du].

« Falla moi les dodododo de taco » (Corpus Biloa, 1999 : 173-174) 202

« Le prof a dodododo beaucoup d’exercices » (Corpus Fosso) 203

Il importe donc de trouver une systématicité qui facilite une reconnaissance univoque des occurrences. Mais comment concilier fidélité aux discours enregistrés, transcription orthographique et systématicité scripturale?

Une homogénéisation graphique procurerait une stabilité indispensable pour des analyses linguistiques. La systématicité convient aussi pour l’archivage en vue d’un traitement informatique des données (lorsqu’il y en aura en quantité importante). Dans l’optique d’une approche plus rigoureuse de l’objet camfranglais, C. de Féral (2005, 2007) propose une « graphie phonologisante » pour les termes non français. Cette graphie consiste à coller au plus près des prononciations des locuteurs en n’utilisant que des caractères de l’orthographe latine. Certains caractères de l’API ne sont donc pas utilisés. De ce point de vue la transcription phonologisante présente un caractère impressionniste204.Sa réflexion s’appuie sur le continuum linguistique entre le pidgin et l’anglais au Cameroun. Or le camfranglais renferme de nombreux termes dont l’étymologie se retrouve dans les langues camerounaises. La continuité interlinguistique qui existe entre certaines langues ethniques ne permet pas de trancher en faveur d’une langue au détriment des autres. R.

201 Sur les forums internet de camfranglais, les camfranglophones ont des graphies aussi variables que celles des linguistes. Les discussions ne sont pourtant pas perturbées, parce que derrière les graphies, les locuteurs peuvent deviner les items représentés. Ce sont des lecteurs socio-culturellement avertis. 202 In Ntsobé et al. (2008 : 158). 203 In Ntsobé et al. (2008 : 154). 204 Même une transcription de type phonétique n’échappe pas à cet impressionnisme (K. Ploog 2002).

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Efoua Zengue (1999 : 172) relève par exemple que les termes « mbôm », « tara » et « njoh » se retrouvent dans le duala, le bassa, le mbô, l’ewondo et le bulu. Face à cette interpénétration des langues, nous avons étendu la graphie phonologisante à tous les termes non français sans exception. La cohérence avec la transcription orthographique de l’ensemble est ainsi assurée. Un signalement visuel permet le repérage facile des termes transcrits avec une graphie phonologisante. Ils sont en gras. Voici un exemple :

tu penses que le manmanmanman là il avait fait comment + pour holholholhol le paterpaterpaterpater là ? on est kemkemkemkem chez le papapapaterterterter un sept heures

La graphie phonologisante présente de nombreux avantages, même si quelques problèmes persistent. Elle permet de résorber toutes les difficultés relatives à l’étymologie des lexies205. On ne tient donc plus forcément un raisonnement sur l’origine des termes, on se contente de prendre acte de leur présence. Du coup, tous les termes empruntés, inventés, manipulés sont traités au même pied d’égalité. C’est l’effet conjugué de tous ces termes qui donnent sa consistance au camfranglais.

La graphie phonologisante permet par la même occasion de résoudre certains problèmes d’accord : on écrira les dodododo, les djodjodjodjo, les manmanmanman sans la marque du pluriel parce qu’il est graphiquement signalé que ces termes ne sont pas codifiés en français standard. Les verbes énoncés au présent avec une base invariable à l’oral sont rendus graphiquement avec la cohérence de la source orale : je gogogogo, tu gogogogo, il gogogogo.

La cohérence de la graphie est aussi au service de la lisibilité du corpus. Ainsi, pour les deux exemples issus de A.-M. Ntsobé et al. (2008 : 154, 158) ci-dessus, on obtient : « falafalafalafala moi les dodododo de taco » et « le prof a dudududu beaucoup d’exercices ». Et au lieu de « je ne came pas tomorrow au school… »206, on aura « je ne kemkemkemkem pas tumorotumorotumorotumoro au skulskulskulskul ».

Une graphie rigoureuse permet donc une reconnaissance univoque et prévient toute interprétation subjective du transcripteur quant à l’étymologie des termes. Et puisque le camfranglais évolue dans un environnement scriptural (le prestige de l’école calquée sur le modèle européen n’est plus à démontrer), cette représentation phonologisante pourrait servir de base à une réflexion sur l’écriture de cette variété.

205 Sur un plan strictement linguistique, le camfranglais serait une alternance lexicale non systématique dans un discours en français (C. de Féral 2007). 206 Corpus Fosso (1999) in Ntsobé et al. (2008 : 156). Dans un autre contexte, il serait facile de confondre « camecamecamecame » avec la came (français) synonyme de « stupéfiant ».

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Au nombre des problèmes non résolus par la graphie phonologisante est la représentation du son [D]. Afin d’établir une distinction nécessaire avec le son [e] nous avons décidé d’utiliser la lettre « è » dans des mots comme « niè » (voir), ou « bolè » (finir).

Un autre problème en suspens concerne la représentation des désinences verbales. Le dépouillement observé pour les trois personnes du singulier avec le verbe gogogogo ci-dessus s’accompagne d’une conservation de la désinence française des personnes 4 et 5207. Faut-il transcrire la désinence en termes phonologisants ? Ce qui donnerait : « nous gogogogoonononon » et « vous gogogogoeeee ». Cette transcription occulterait le fait que ces désinences renvoient effectivement à celles qui s’actualise dans les variétés reconnues du français. Les sons finaux correspondent bien aux marques orales des personnes 4 et 5 au présent. D’autres tiroirs verbaux du français avec des morphèmes reconnaissables sont utilisés. C’est pourquoi nous avons décidé de garder une graphie étymologisante pour les désinences temporelles marquées à l’oral. Alors que C. de Féral (2005) propose de les séparer des bases par un tiret (je mimbamimbamimbamimba-ais ; biginbiginbiginbigin-ant), nous préférons les écrire en un seul bloc afin de ne pas ériger une frontière artificielle entre la base et la désinence alors que les usagers ne semblent pas faire cette distinction. Nous avons donc transcrit les verbes avec des désinences de l’imparfait comme suit :

- les vendredis nous on gogogogoait au Dakélé tout le temps

- quand tu gogogogoais là-bas

- à Yaoundé on kolkolkolkolait les nganganganga encore les gars kolkolkolkolaient les nganganganga là c’est comment là encore éé : »

Le reproche auquel cette transcription s’expose est d’avoir quand même marqué les frontières linguistiques en usant de la typographie. Ce marquage est nécessaire pour la visualisation208 des processus d’intégration des termes « étrangers » au français, étant entendu que nous sommes partie du principe que les conversations enregistrées étaient en français (sous une forme vernaculaire). Nous aurons l’occasion de revenir sur ces processus d’assimilation dans le chapitre conclusif (chapitre VIII). Mais nous pouvons déjà constater qu’il y a une hybridation morphologique au cœur même des lexèmes. Le découpage des unités signifiantes (lexèmes et morphèmes) par la typographie augure certainement du type de phénomènes qui s’observeront sur le plan des constructions verbales et des schèmes discursifs.

207 La prononciation de la personne 6 ne diffère pas de celle des trois premières personnes. 208 Cette visualisation permet aussi de ménager les lecteurs externes à la communauté discursive camerounaise.

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La quantité de problèmes résolus par la graphie phonologisante des termes « camfranglais » est certainement un argument en sa faveur. Il reste que la graphie phonologisante tout comme l’orthographe usuelle projettent des catégorisations scientifiques qui épousent en partie les catégorisations profanes quant à l’assignation des formes aux variétés de langue en contact. Ces catégorisations qui font allégeance à la linguistique interne seront questionnées à partir d’une approche interactionnelle du corpus. Au terme de la discussion, une réévaluation des choix graphiques sera alors faite.

3.4.3 L’ANONYMISATION ET L’ARCHIVAGE

L’anonymat des personnes enregistrées est garanti par le cryptage des noms et prénoms. À l’intérieur de énoncés, seules les initiales sont retenues. En revanche, les noms de personnalités publiques (footballeurs, ministres etc.) ne sont pas cryptés. En ce qui concerne les locuteurs, ils sont désignés par les lettres initiales des villes où les enregistrements ont été faits. Ainsi les locuteurs de Bafoussam sont désignés par B, suivi d’un chiffre qui correspond au rang d’intervention dans la séquence. B1 signifie qu’il est le premier à prendre la parole, B2 est le deuxième, ainsi de suite. Les locuteurs de Douala sont désignés par la lettre D et ceux de Yaoundé par la lettre Y. Cet étiquetage permet de reconnaître la ville où les énoncés ont été produits, et donc de garder un lien avec le contexte de production à chaque fois qu’un énoncé est cité comme exemple. Il n’est cependant pas possible de suivre les productions d’une même personne si elle intervient dans deux séquences différentes. Les renvois au corpus mentionnent la page et la ligne correspondantes dans le volume annexe (volume 2). Soit l’exemple suivant :

(8-28) B1 ce sont les avantages que tu cherches non↗

Entre parenthèses, il est indiqué que cet énoncé se trouve à la page 8 et à la ligne 28 du corpus de FRACAM. La navigation entre les analyses et le corpus est ainsi facilitée.

Le corpus linguistiquement hétérogène est livré tel quel sans glose ni renvoi explicatif en note de bas de page. L’abondance des termes « camfranglais » rend cette présentation lourde et indigeste. Tout de même, les termes présents dans une séquence illustrative au cours des analyses sont expliqués en note. Un glossaire des termes « opaques » est présenté dans le chapitre VIII. Les définitions de termes qui y sont proposées sont exclusivement contextuelles.

Le protocole de transcription détaillé est présenté en annexe avec le corpus.

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4 LES OUTILS D’ANALYSE

L’approche syntaxique d’une variété non-standard nécessite quelques précautions pour le choix des outils de description. De l’aveu commun, la grammaire traditionnelle n’a pas les moyens de rendre compte de la structuration du langage (M.-J. Béguelin 2000, H. L. Andersen & H. Nølke 2002). Son handicap majeur est d’être fondé sur la phrase, entité intuitivement reconnaissable à l’écrit mais impossible à transposer à l’oral. Plusieurs auteurs s’accordent à dire que la phrase est une unité sans fondement théorique (O. Ducrot 1984, Cl Blanche-Benveniste et C. Jeanjean 1987 ; A. Berrendonner & M.-J. Reichler-Béguelin 1989).

Les recherches qui ont suivi ce constat d’invalidité de la phrase se sont développées dans diverses directions, avec le même souci de parvenir à des outils en adéquation avec la description de l’oral. Le GARS a redéfini ses unités d’analyse en termes distributionnels autour de la construction verbaleconstruction verbaleconstruction verbaleconstruction verbale (Cl. Blanche-Benveniste et al. 1987, 1990), E. Roulet (1991, 1999) part des actes communicatifs actes communicatifs actes communicatifs actes communicatifs pour retrouver la structuration du discours, quant à A. Berrendonner (1990), il analyse les unités communicatives autour de la clauseclauseclauseclause. Même si les découpages et l’organisation des niveaux d’analyse diffèrent d’une approche à une autre, la variété des réponses à la structuration de l’oral est sous-tendue par une idée transversale : la syntaxe est inséparable de la sémantique. L’approche sémantique dans les cadres d’analyse sus-mentionnés est celle des possibles du discours et non celle qui serait préconstruite de manière définitive avant l’usage. Le sens d’un énoncé peut être à priori perçu comme la somme des significations des éléments qui le constituent. La prise en compte de la praxis montre aussi que le sens est socialement motivé, et les évolutions structurelles dans une aire géographique vont de pair avec une construction de sens en adéquation avec les besoins et les réalités de la société en cause.

Face à une variante du français à ce jour peu étudiée dans son fonctionnement réel, nous faisons une triangulation théorique et méthodologique afin de parvenir à une certaine finesse lors de l’analyse des énoncés. La posture épistémologique fédératrice est celle de l’adhésion au principe de l’existence de deux paliers de fonctionnement distincts, de deux ordres syntagmatiques : la micro-syntaxe et la macro-syntaxe.

4.1 LA MACRO-SYNTAXE

Le terme « macro-syntaxe » apparaît à la même période et de façon indépendante chez Cl. Blanche-Benveniste et al. (1990) et A. Berrendonner (1990). Pour l’équipe d’Aix-en Provence, la macro-syntaxe prend en charge les relations syntaxiques qui échappent à la micro-grammaire des catégories. Le noyaunoyaunoyaunoyau en est l’unité centrale. Pour l’équipe de Fribourg,

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la clauseclauseclauseclause est le lieu de jonction entre syntaxe rectionnelle et organisation sémantico-pragmatique du discours.

4.1.1 L’APPROCHE PRONOMINALE

Au niveau de la construction verbale, le révélateur des structures microsyntaxiques est la relation de proportionnalitérelation de proportionnalitérelation de proportionnalitérelation de proportionnalité qu’un terme régi entretient avec une forme pronominale (d’où le nom du modèle descriptif). L’option prise sur la relation entre les pronoms et le lexique est tout à fait inhabituelle :

c’est le pronom – ou l’unité sous-jacente induite à partir du pronom – qui constitue la base linguistique de l’énoncé. Les autres éléments peuvent être présentés comme résultant du processus de lexicalisation.209

Le pronom porte une charge sémantique qui indique le rôle syntaxique des éléments lexicaux. L’analyse distributionnelle est alors complétée par une analyse en traits sémantiques permettant de circonscrire les éléments sélectionnés par les verbes : « les traits décrivent les constructions dans leur grammaticalité » Cl. Blanche-Benveniste et al. (1987 : 31).

Les éléments non régis par le verbe sont dits associés associés associés associés à la construction verbale. Dans le but de rendre positivement compte du fonctionnement des associés, les chercheurs du GARS ont élaboré un module complémentaire : la macro-syntaxe. Il ne s’agit pas d’un niveau supérieur d’analyse. La macrosyntaxe n’est pas l’expression d’un niveau discursif ou énonciatif, du moins tel qu’il est communément admis. La relation entre micro et macro-syntaxe est de type modulaire. Ainsi, une même unité peut porter des relations micro et macro-syntaxiques. C’est le cas de certaines structures à dislocation comme la suivante :

à mon frère, je ne lui parle plus

Une analyse micro-syntaxique de cet exemple permet de voir que le lexique disloqué est précédé de l’élément de rection « à » qui indique le type de complémentation qu’il apporte au verbe : « je ne parle plus à mon frère ». Il y a donc double marquage de la place syntaxique de complément (mon frère et lui). Par ailleurs, le lexique disloqué porte une intonation ouvrante, propriété des préfixes. Le noyau est représenté par le reste de la construction verbale. Dans cet exemple, la macro-syntaxe permet de réorganiser les unités micro-syntaxiques.

209 Cl. Blanche-Benveniste et al. (1984 : 26).

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L’unité macrosyntaxique se caractérise par un entour prosodique conclusif. Le noyau est le point focal de l’unité. Par analogie à la structure morphologique du mot, les trois autres unités de la macrosyntaxe sont définies par rapport au noyau : préfixe, suffixe et postfixe210. La dépendance macro-syntaxique de ces unités se vérifie par leur incapacité à fonctionner tous seuls.

Le lien modulaire micro et macro-syntaxe a pour objectif de palier les insuffisances de la grammaire traditionnelle. Cette dernière est en effet réputée pour les renvois en dehors de la syntaxe de tous les phénomènes que ses outils descriptifs sont incapables de traiter. Dans ce sens,

[l]’hypothèse de travail du GARS est qu’il est inutile d’envisager une syntaxe spécifique de l’oral, qui ne se retrouverait pas par écrit, mais qu’il existe des réalisations particulières de la syntaxe et des fréquences d’occurrences spécifiques.211

Dans un énoncé, les liens syntaxiques sont exprimés par des moyens formels (oral et écrit) mais aussi par l’intonation (oral). C’est l’entour prosodique qui permet à l’énoncé de tenir en dépit d’une syntaxe qui semble lacunaire d’un point de vue phrastique classique (cf. les énoncés binaires).

Sans entraînement, il est difficile de dépasser les préjugés ordinaires sur l’oral en présence des textes d’oral transcrit :

L’absence de ponctuation est souvent confondue […] avec l’absence d’organisation syntaxique ; l’abondance des répétitions lexicales, bannies par les bons principes de rédaction de l’écrit, peut faire penser que quelque chose ne va pas « dans la structure » des énoncés ; les traces d’hésitations et de reprises sont interprétées comme des erreurs, etc.212

Ces préjugés s’appuient sur des considérations extérieures à la syntaxe. En effet, en situation de conversation, le locuteur ne perçoit pas ces « scories » ; il ne retient que la chaîne signifiante maximale et la conversation n’est point parasitée. La transposition écrite de l’oral engendre des problèmes de perception dus aux habitudes scripturales. C’est pourquoi le GARS a mis au point un outil de visualisation du processus d’élaboration des messages. Les zones de « turbulences » sont gérées avec les regroupements paradigmatiques de la disposition edisposition edisposition edisposition en grillen grillen grillen grille. Celle-ci permet aisément de reconstituer la

210 Du fait de cette analogie justement, la tendance actuelle est de vouloir leur substituer une terminologie plus claire : pré-noyau, post-noyau. Une cohérence terminologique est à trouver en ce qui concerne la distinction « suffixe » et « postfixe ». 211 Cl. Blanche-Benveniste (2005 : 53). 212 Cl. Blanche-Benveniste (2005 : 53).

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linéarité de la construction, celle qui serait reproduite par écrit si le canal de transmission du message l’exigeait.

L’approche pronominale offre ainsi un cadre théorique et descriptif dans lequel l’analyse du français parlé au Cameroun peut s’effectuer sur un plan véritablement syntaxique sans que les énoncés soient étiquetés selon des catégories forgées pour la norme standard représentée par l’écrit.

Contrairement à la conception modulaire de la macrosyntaxe dans l’approche pronominale, la syntaxe de présupposition développe un modèle hiérarchique autour de la notion de clauseclauseclauseclause.

4.1.2 LA SYNTAXE DE PRÉSUPPOSITION

La clause se définit

de manière interne comme un îlot de solidarités rectionnelles, et de manière externe comme réalisation d’un acte énonciatif visant à modifier l’état des représentations partagées par les locuteurs.213

La syntaxe interne de la clause s’appuie sur la double articulation du langage de A. Martinet (1970). À ce niveau, sont traitées les contraintes rectionnelles, c'est-à-dire la morphosyntaxe dont les limites sont le signe linguistique. Or, un texte n’est pas qu’une séquence de signes, il est aussi « un assemblage d’actes ou de comportements, dont tous ne sont pas nécessairement énonciatifs. » (A. Berrendonner & M.-J. Reichler-Béguelin 1989 : 114). Les locuteurs disposent en effet d’une somme de connaissances communes sur lesquelles reposent leurs échanges. Ces savoirs, constitutifs de la mémoire discursive, mémoire discursive, mémoire discursive, mémoire discursive, évoluent au fil des échanges. La fonction communicative de la clause repose non seulement sur les connaissances sur le monde mais aussi des formes linguistiques conventionnelles pour en parler. Les clauses s’agencent pour former des périodespériodespériodespériodes, unités de rang supérieur exprimant un ordre syntagmatique basé sur la présupposition214.

À l’intérieur de la clause, les relations entre les éléments relèvent du liageliageliageliage ; le pointagepointagepointagepointage est la relation présuppositionnelle entre une forme de rappel et une information présente dans la mémoire discursive (A. Berrendonner 1990 : 29).

213 M.-J. Béguelin (2002 : 44). 214 Cette conception de la syntaxe soulève un problème théorique essentiel à cause de l’opposition qui est souvent faite en linguistique entre sémantique et pragmatique. C. Kerbrat-Orecchioni (1980 : 196) estime que cette opposition n’est pas pertinente et que « les valeurs pragmatiques doivent être introduites dans la description, mais à titre de traits sémantiques auxquels on octroie un statut spécifique, la composante pragmatique se trouvant « intégrée » à la composante sémantique ».

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Le couplage des deux cadres macro-syntaxiques est d’une grande rentabilité descriptive. Les deux versants syntaxique et sémantique de l’approche pronominale prennent en charge le chapitre sur les dispositifs. En rapport direct avec la problématique de la phrase et de l’ordre des mots, les dispositifs y ont fait l’objet de descriptions assez fines.

Le discours rapporté et l’interrogation sont formellement codés. Tous les locuteurs (scolarisés) partagent quelques critères définitoires de l’un et de l’autre. Ces critères semblent tout aussi intuitifs que ceux qui définissent la phrase. Au-delà de quelques repères formels, le discours rapporté et l’interrogation touchent aux relations interpersonnelles et plus profondément à la (re)présentation de soi. Une part importante des phénomènes qui les définissent se déroule donc du côté énonciatif. C’est ainsi que la pragma-syntaxe devient plus apte à décrire les mécanismes de cohésion linguistique dans une communauté sociale. L’historicité des pratiques s’interprète aisément par le caractère évolutif de la mémoire discursive. Les pratiques observées aujourd’hui sont en rapport avec les formes de français introduites dès 1916 par le biais de l’action conjointe des acteurs politiques successifs et de l’ajustement continuel des pratiques populaires aux exigences politico-sociales.

Sur une temporalité bien plus courte, relative au hic et nunc de l’interaction, la double énonciation, évidente dans le discours rapporté et plus subtile dans l’interrogation, exhibe deux temps du discours chronologiquement décalés. Les matérialités discursives du deuxième temps se réfère à celles du premier dans une relation de type pointagepointagepointagepointage. Ainsi, « que » est un marqueur de frontière énonciative, c'est-à-dire qu’on attribuera les deux parties de l’énoncé qu’il sépare à deux énonciateurs différents comme dans la dernière réplique de l’échange suivant ( « il dit que non … ») :

L1 non il y a les gars qui ne veulent jamais go tu vois Cissé on avait spokspokspokspok on avait interviewé Cissé dans Apparté sur Canal là

L4 oui

L1 que est-ce que par rapport à l’avenir il dit que non il se sent un peu à l’aise en Angleterre […]

Cette dernière réplique commence aussi par un « que » dont il est difficile de voir la relation de type liage qu’elle porte. En revanche, « que » est en relation présuppositionnelle avec la première réplique ; il est donc analysable comme un marqueur métamarqueur métamarqueur métamarqueur méta----énonciatif énonciatif énonciatif énonciatif (A. Berrendonner 2002).

Enfin, la pragma-syntaxe rend possible la connexion entre formes linguistiques et hypothèses sémantactiques à l’œuvre pendant le processus de vernacularisation du français

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au Cameroun. Les savoirs partagés de la mémoire discursive ont trait au linguistique, au social et au culturel.

Pour le discours rapporté et l’interrogation, il convient d’investir le niveau syntagmatique supérieur sous l’angle du dialogisme et de la circulation des discours.

4.2 LE DIALOGISME ET LA POLYPHONIE

La gestion coopérative du « stock structuré d’informations »215 de la mémoire discursive suppose que son contenu est public. Les modalités de partage de cet ensemble de connaissances à travers les échanges discursifs sont problématisées par différents modèles de l’énonciation, tous redevables aux travaux précurseurs de M. Bakhtine sur le dialogisme. Trois approches linguistiques de l’hétérogénéité énonciative nous intéressent particulièrement : la théorie polyphonique d’O. Ducrot (1984), la praxématique (J. Brès 1999, 2005) et l’approche modulaire de E. Roulet (1991, 1999).

L’organisation structurelle du discours rapporté et la représentation d’un discours autre seront décrites dans le cadre de la théorie polyphonique d’ O. Ducrot qui est une « extension (très libre) à la linguistique des recherches de Bakhtine sur la littérature » (O. Ducrot 1984 : 173). Et de fait, O. Ducrot étend la polyphonie là où M. Bakhtine parlait de dialogisme (C. Détrie, P. Siblot et B. Vérine 2001 : 83).

Le courant praxématique est celui qui garde une filiation directe avec les travaux bakhtiniens. Le dialogisme y est défini comme la « capacité de l’énoncé à faire entendre, outre la voix de l’énonciateur, une ou plusieurs autres voix qui le feuillettent énonciativement » (C. Détrie et al. 2001 : 83). Dans le cadre méthodologique mis en place par J. Brès (1998, 1999), J. Brès et B. Vérine (2002), l’énoncé actualisé est le noyau de l’approche praxématique. Il s’articule à la théorie énonciative de Ch. Bally (1934) où l’énoncé est le résultat de l’application d’un modusmodusmodusmodus à un dictumdictumdictumdictum (J. Brès 1998 : 195). La distinction entre ssssujet modalujet modalujet modalujet modal et sujet parlantsujet parlantsujet parlantsujet parlant chez Ch. Bally correspond la distinction énonciateurénonciateurénonciateurénonciateur et locuteurlocuteurlocuteurlocuteur (idem).

Les analyses praxématiques de la modalité présente l’avantage de montrer la complexité du positionnement énonciatif. Des interactions se font avec des voix intérieures et extérieures à celle de l’énonciateur principal. La production de la construction clivée s’en trouve éclairée. De même l’interrogation et le discours rapporté portent souvent des traces d’un dialogisme intradiscursifintradiscursifintradiscursifintradiscursif. Le souci du détail entraîne une diversité terminologique qui

215 A. Berrendonner & M.-J. Reichler-Béguelin (1989 : 113).

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CHAPITRE IV

MÉTHODOLOGIE

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sera découverte au fur et à mesure des descriptions. On peut déjà retenir que le dialogisme est un principe qui affecte tous les discours au niveau macro-textuel. Au niveau micro-textuel, l’articulation dialogal/dialogique reste une question complexe. Cette complexité tient à la dimension forcément interlocutive du dialogisme et à la textualité dialogale de la conversation (J. Brès & A. Nowakowska 2006 : 37-38). Une distinction opératoire a été formulée tout de même : le dialogal concerne tout ce qui a trait au dialogue externe ; dialogal s’oppose donc à monologal. Le dialogique marque une orientation vers les autres énoncés (J. Brès 2005 : 49).

Finalement, notre approche méthodologique est modulaire. Elle s’accorde au modèle « hétérarchique » 216 d’E. Roulet qui

attribue une place centrale aux modules syntaxique, hiérarchique, et référentiel, parce que ce sont eux qui déterminent les structures portantes des discours et qui rendent compte de la capacité de produire une infinité respectivement de propositions maximales, d’échanges et de représentations du monde.217

Ce modèle qui rend compte de la complexité de l’organisation du discours a le mérite d’avoir contribuer à asseoir les fondamentaux de l’analyse conversationnelle que sont l’enchaînement des tours de parole et la co-construction des activités conversationnelles. L’analyse de la conversation prend une place importante dans l’interprétation des relations sociales portées par les matérialités discursives.

Les différents modèles choisis présentent des intersections conceptuelles et descriptives, ce qui facilite leur gestion au niveau micro-textuel. Du reste, la problématique générale de cette thèse s’articule autour de la norme et de la variation. Pour chaque aspect syntaxique, c’est la question des structures formelles en français standard comparativement à ce qui s’obtient dans les formes d’oral (tout espace confondu) qui oriente la description.

La démarche explicative est de type sémasiologique, au départ des formes linguistiques pour retrouver l’organisation structurelle des énoncés et les sens socialement construits qui leur sont attachés. C’est en somme un essai de décryptage du processus sémiotisation des formes linguistiques. L’approche interactionnelle permet de problématiser les rapports entre formes et fonctions afin de rompre avec des corrélations univoques et le déterminisme du global sur le local. Nous tirons avantage de la connaissance que nous avons du terrain et du fait que nous sommes un membre actif de la communauté décrite

216 C’est-à-dire qu’il est possible de coupler tous les modules (lexical, syntaxique, hiérarchique, référentiel, interactionnel) et les formes d’organisations (topicale, polyphonique, compositionnelle, stratégique) (cf. schéma dans E. Roulet 1999 : 196). 217 E. Roulet (1999 : 195).

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CHAPITRE IV

MÉTHODOLOGIE

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pour apporter quelques perspectives sur des réalités ethno-sociolinguistiques difficilement perçues de l’extérieur218.

5 CONCLUSION

En guise de conclusion, il est peut-être nécessaire de justifier cet éclectisme théorique et méthodologique. Les cadres d’analyses proprement syntaxiques permettent de décrire les constructions (micro-syntaxe) et les messages (macro-syntaxe) (J. Deulofeu 2002 : 159). Cependant, lorsque les énoncés analysés proviennent d’un espace dont les formes de contenu des langues du substrat sont très peu connues (G. Manessy 1989, P. Renaud 1998), une incursion dans le domaine de l’analyse conversationnelle devient vitale. En effet,

[l]es manifestations de la norme endogène doivent […] être recherchées non pas systématiquement dans des écarts grammaticaux qui peuvent ne révéler qu'un apprentissage imparfait ou plus simplement des licences qu'autorise l'oralité, mais dans la manière de mettre en œuvre une langue dont la structure grammaticale demeure pour l'essentiel intacte et qui se trouve en quelque sorte transmuée (et non point pervertie) par l'émergence de schèmes cognitifs, de techniques d'expression, de modes d'énonciation qui ne sont pas ceux dont usent habituellement les francophones « occidentaux ».219

218 Il ne s’agit pas de dire que seul un natif du Cameroun puisse le faire. Mais des difficultés d’ordre socio-culturel dans l’approche des situations plurilingues sont soulignées par G. Manessy (1994a) et C. Juillard (2007 : 244). 219 G. Manessy ([1993], 1994a : 225).

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CHAPITRE V

LES DISPOSITIFS SYNTAXIQUES

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1 QUELQUES PROBLÈMES GÉNÉRAUX

L’essor du structuralisme au XXe siècle a consolidé et vulgarisé une perception essentialiste de la langue. Sur le plan de l’analyse linguistique, la recherche de formalismes justiciables d’une grammaire idéale et/ou universelle laisse nécessairement en chemin un nombre de faits de langue récalcitrants, qui sont très souvent écartées des descriptions. Ainsi, à travers les siècles, les rencontres des différentes grammaires avec des constructions en il y a / c’est, voilà, ce que, se soldent presque toujours par un jugement d’exclusion. Elles sont alors regroupées une classe appelée « présentatifs ». L’étude du clivage dans ce chapitre sur les dispositifs syntaxiques sera de bout en bout confrontée à l’usage présentatif de chacun des outils clivants considérés. Aucune discussion ne sera menée sur ces emplois présentatifs même si cette étiquette est « inappropriée pour il y a et trop restreinte pour voilà, qui a de nombreuses autres valeurs » (J.-M. Léard 1992 : 26).

L’enjeu qu’on peut déceler derrière le jugement d’exclusion habituel est celui de la structuration de l’information dans le carcan d’une certaine linéarisation. La tradition grammaticale considère en effet que la transmission neutre de l’information correspond à l’organisation phrastique canonique SVO. Le moindre changement de cet ordre est donc traité comme une projection de la subjectivité du locuteur, lequel organise l’information en focalisant sur le message et/ou sur l’interlocuteur, ou encore sur lui-même.

1.1 LA MISE EN RELIEF ET LE DÉTACHEMENT

Il est généralement admis que les énoncés comme celui qui suit est une construction détachée avec mise en relief :

1) (67-21) B2 la Nokia le réseau ne part pas

On parle de détachement ici parce que l’élément (« la Nokia ») n’occupe pas de fonction syntaxique auprès du verbe. Cet élément est donc souvent considéré comme mis en relief.

La notion de mise en relief, très utilisée en linguistique fonctionnelle et dans les grammaires scolaires, est problématique à plus d’un titre. En effet, elle chevauche la notion d’emphase qui, elle aussi, indique une certaine subjectivité du locuteur. Une distinction entre emphase sémantique (d’ordre stylistique) et emphase syntaxique est parfois esquissée, cette dernière seule pouvant être traitée dans le cadre de la mise en relief (R. Tomassone 1996 : 155). C. Feuillard (2005 : 194) estime qu’il faut plutôt distinguer des « degrés de subjectivité » du locuteur, « l’emphase se situant au degré supérieur, la mise en valeur au

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LES DISPOSITIFS SYNTAXIQUES

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degré intermédiaire et la mise en relief au degré inférieur ». Il se dégage une certaine confusion car syntaxe et stylistique deviennent inextricables. On peut se demander quels sont les critères syntaxiques qui permettent de distinguer les « degrés de subjectivité ».

Les travaux sur l’oral ont pu mettre en évidence le fait que l’ordre SVO n’est pas le plus fréquent en français parlé (K. Lambrecht 1980, 1981). Cet ordre, présenté comme canonique, n’est que le résultat de la construction d’une langue idéale dont le modèle est la langue écrite. La grammaire générative transformationnelle a eu le mérite d’attirer l’attention sur les formes de mise en relief en fournissant des règles syntaxiques soumises à des tests. En soumettant des exemples attestés à ces tests, il est très vite apparu qu’

aborder le clivage en terme de dérivation structurale mène tôt ou tard à une impasse. Le vrai problème, celui de la valeur de constructions mémorisées par le locuteur et soumises à des contraintes sémantiques et syntaxiques, est mis à l’écart.220

Malgré toutes les objections faites à son encontre, la notion de mise en valeur est toujours d’actualité en raison du postulat de l’existence d’une forme neutre à partir de laquelle la forme mise en relief est interprétée comme telle (D. Costaouec & F. Guerin 2007).

Dans l’approche pronominale, les différents modes d’organisation de la rection verbale ont chacun des caractéristiques particulières. Il n’y a pas de forme de base, ils sont considérés tous « au même niveau, comme des représentations particulières de la construction verbale » (Cl. Blanche-Benveniste et al. 1990 : 55).

Notre description des dispositifs en FRACAM tient compte de ce principe d’égalité des structures. Ce qui importe c’est de rendre compte des avantages énonciatifs et sémantiques de chaque dispositif dans son contexte conversationnel. C’est ainsi que les phénomènes macrosyntaxiques (Cl. Blanche-Benveniste et al. 1990, A. Berrendonner 1990) seront pris en compte afin de compléter les analyses microsyntaxiques.

Outre la mise en relief, l’étude des dispositifs, notamment celle du clivage, chevauche le domaine représenté dans les grammaires classiques par les relatives dites prédicatives.

1.2 LES RELATIVES PRÉDICATIVES

D’après M. Riegel et al. (1994 : 485), les relatives prédicatives (ou attributives) sont représentées par des phrases comme

- j’ai entendu un enfant qui chantait

220 J.-M. Léard (1992 : 28).

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LES DISPOSITIFS SYNTAXIQUES

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- je vois le gardien qui descend

La relative prédicative, introduite par qui, ne doit pas former un syntagme avec son antécédent. Le test de pronominalisation permet ainsi de distinguer les relatives prédicatives des relatives ordinaires. Seules les relatives prédicatives peuvent être pronominalisées (je llll’ai entendu qui chantait / je lelelele vois qui descend). L’idée générale est que les relatives prédicatives n’entrent pas dans l’opposition classique entre relatives déterminatives (ou restrictives) et les relatives explicatives (ou appositives)221.

Cependant des constructions avec extraction de syntagme nominal (SN) du type « il y a Pierre qui parle » sont généralement analysées comme des relatives prédicatives (V. Lagae & C. Rouget 1998, K. Lambrecht 2000). Compte tenu de la forte contrainte syntaxique qui oriente le choix du pronom relatif (il doit être obligatoirement qui ) on constate que l’exemple ci-dessus (il y a Pierre qui parle ), dans un autre cadre théorique, correspond au clivage du sujet (J.-M. Léard 1992).

Tout au long de ce chapitre nous reviendrons sur ces décalages dans les analyses des faits de langue. Ramenés au contexte camerounais, certains décalages s’articulent à la problématique oral/écrit, exacerbée par des jugements normatifs dans les travaux sur la syntaxe du français parlé au Cameroun. Nous examinerons tour à tour le dispositif d’extraction et la dislocation.

2 LE DISPOSITIF D’EXTRACTION

Le clivage renvoie à l’extraction d’un élément de la prédication qui est placé, à l’aide d’outils clivants, en début de la nouvelle structure prédicative obtenue. Il est généralement admis qu’il apporte un supplément sémantique par rapport au dispositif SVO. Le statut théorique de ce supplément sémantique est un point d’achoppement qui conduit les uns à y voir une mise en relief (surtout à l’oral car l’écrit dispose d’autres procédés, le passif en l’occurrence) (R. Tomassone 1996), et les autres un effet de contraste qui ne modifie nullement le statut syntaxique des éléments de la prédication (Cl. Blanche-Benveniste 1990). Pour Cl. Blanche-Benveniste (1997a : 97), le clivage n’est pas simplement un problème de mise en relief. En effet, le clivage ne s’applique qu’à des verbes conjugués et à des éléments construits par les verbes conjugués. Cette contrainte syntaxique est doublée par une

221On trouvera une mise au point critique chez M. Wilmet (1997 : 205, 2007 : 254-255). L’une de ses quatre propositions stipule que « l’immense majorité des sous-phrases pronominales ne s’annoncent pas intrinsèquement qualifiantes ou appositives mais supportent concurremment une lecture déterminative et une lecture prédicative ».

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contrainte sémantique. Le clivage permet de lever des ambiguïtés sur le plan informatif (J.-M. Léard 1992 : 33). Soient les deux exemples suivants : (a) Pierre parle et (b) c’est Pierre qui parle. Lorsqu’ils sont soumis au test de l’interrogation, (a) répond à plusieurs questions possibles : que fait Pierre ? Qui parle ? Qu’est-ce qui se passe ? Quant à (b), il répond explicitement à la question qui est-ce qui parle ?222 Le clivage signale donc l’existence d’un présupposé dans l’énoncé.

Dans la littérature scientifique, le clivage en c’est … que ne souffre d’aucune contestation. En revanche, les autres formes construites avec le verbe avoir (il y a, j’ai… qui) de même que les formes en voilà sont quelquefois rejetées sinon admises au cas par cas, au détour d’une analyse dont l’objectif est bien souvent de satisfaire les exigences d’un modèle théorique.

Guidée par les données attestées dans le corpus transcrit, la présentation du clivage dans ce travail ne se limite pas à la forme la plus réputée en c’est … qu-. La plupart des structures à « présentatifs » (F. Gadet 1996) sont mises ensemble sur la base d’une motivation syntaxique (ce sont toutes des formes en X … qui/que) et d’une motivation sémantique (la valeur d’extraction et organisation thématique des énoncés). Cette présentation a aussi l’avantage de donner une visibilité au phénomène du clivage en FRACAM. Dans une présentation plus classique, ces structures seraient dispersées entre les présentatifs, les relatives prédicatives et le clivage.

2.1 C’EST … QUI/QUE

Le clivage avec c’est…qui/que peut être considéré comme le dispositif canonique d’extraction. Même s’il peut lui arriver de varier en nombre et en temps les contraintes syntaxiques et sémantiques auxquelles est soumise la forme en c’est … que/qui en font un dispositif quasi-figé (Cl. Blanche-Benveniste 1997a).

2.1.1 VARIATION

Le verbe être dans l’extracteur c’est peut varier en nombre. La tendance normative est de valoriser l’accord avec le SN clivé. La forme du pluriel ce sont est très bien représentée dans notre corpus :

2) (8-28) B1 ce sont les avantages que tu cherches non↗

3) (26-12) B1 ce sont les chefs bandits qui venaient chez nous

222 Pour suivre toute la démonstration sur l’apport sémantique du clivage, voir J.-M. Léard (1992 : 32-42).

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Dans la langue « ordinaire », ce principe d’accord n’est pas toujours suivi. On peut noter une alternance de formes dans les deux exemples suivants où le pronom eux est clivé.

4) (5-4) B1 les K. les anciennes + OUI c’est eux qu’on voyait dans ma classe

5) (75-19) D1 ah ce sont eux qui témoignaient non↗

La variation temporelle de c’est … que/qui est assez limitée (Cl. Blanche-Benveniste 1997a : 98). Quelques exemples d’extracteur à l’imparfait ont été relevés dans le corpus.

6) (9-19) B4 non on dit que c’est toi qui a fait ça ? il dit que + noonoonoonoo : ↗ il n’était pas là [rires] que c’était l’amusement que lui faisait que c’était l’amusement ce n’était pas XX

7) (30-6) B1 c’était comme ça qu’elle me fatiguait en classe

Le changement temporel s’effectue sur les deux parties en même temps. Il semble en effet que le temps de l’extracteur s’aligne mécaniquement sur le temps du verbe recteur. De manière générale, le temps de c’est est bloqué sur le présent qui tend à servir tous les temps (Cl. Blanche-Benveniste 1997a : 98). Ainsi, l’énoncé « c’étaitc’étaitc’étaitc’était comme ça qu’elle me fatiguait en classe » est l’équivalent sémantique exact de « c’estc’estc’estc’est comme ça qu’elle me fatiguait en classe »223.

Dans les exemples (4) et (5) ci-dessus, être est bien au présent alors que les verbes recteurs (voyait et témoignaient) sont à l’imparfait.

C’est dispose d’une certaine autonomie pour l’expression des modalités négative et interrogative (Cl. Blanche-Benveniste 1990 : 60). Dans les exemples suivants la négation porte exclusivement sur la partie clivée :

8) (84-15) D1 […] il a dit que oh non ce n’est pas le genre de la momie que vous avez déjà témoigné là + c’est un autre + que : qui vient de komotkomotkomotkomot mon frère éhé :

9) (16-6) B2 […] ce n’est pas le vumvumvumvum que l’on raconte là

10) (125-13) Y6 non laisse + mais ils tirent aussi ils marquent parce que ce n’est pas ça qui leur manque

11) (222 – 22 à 23) L4 … c'est pas l'école qui fait que la femme se comporte bien

223 Cette concordance des temps faite par un élève de terminale est le témoignage de sa maîtrise grammaticale. En termes sociolinguistiques, il s’agit d’une hypercorrection.

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Pour l’exemple (11), la négation peut se focaliser successivement sur l’une ou l’autre partie de la prédication :

- c’est l’école qui fait que la femme ne se comporte pas bien

- c’est pas l’école qui fait que la femme se comporte bien

- c’est pas l’école qui fait que la femme ne se comporte pas bien

Selon les déplacements de la négation, les énoncés ont des sens différents.

Compte tenu du prestige du français standard au Cameroun, les marques formelles des paradigmes grammaticaux tels que le pluriel et la négation sont généralement bien articulés par ceux qui en ont conscience. C’est un faire valoir pour des personnes qui se veulent lettrées. Bien parler signifie respecter les règles de la grammaire scolaire224. On peut cependant noter l’absence de ne dans les tours clivées suivants, conformément à la tendance qui s’observe dans le français hexagonal : ce n’est pas … que/qui devient c’est pas … que/qui.

12) (222-22 à 23) L4 … c'est pas l'école qui fait que la femme se comporte bien

13) (61-24) B4 c’est pas ce qu’il a dit + c’est pas ce qu’il a dit XXX

14) (135-14) L1 mais c’est le Cameroun qui va payer c’est pas c’est pas lui

L’exemple (12) est produit par une adulte très peu scolarisée, l’exemple (13) est l’œuvre d’un jeune de niveau terminale et l’exemple (14) est énoncé par un adulte ayant fait de longues études universitaires ; il est cadre dans la fonction publique et son métier de traducteur exige une bonne maîtrise du français. On ne peut donc pas mettre ce phénomène sur le compte d’un relâchement ou d’un apprentissage inachevé du français comme certains linguistes qui traite du français parlé au Cameroun ont tendance à le faire.

2.1.2 CONTRAINTES SYNTAXIQUES ET SÉMANTIQUES

Il semble ne pas y avoir de limites aux catégories susceptibles de subir le clivage par c’est … qu-. La seule contrainte est la dépendance de l’élément clivé au verbe recteur

224 Alors qu’en France l’ellipse la négation est presque systématique à l’oral conversationnel avec les pronoms je et tu par exemple : j’ai pas, t’as pas (Cl. Blanche-Benveniste 2002b), elle semble moins fréquente en FRACAM Il est aussi intéressant de noter que dans l’exemple (9), la marque grammaticale de négation prisée côtoie un terme étranger au français standard. La présence de ce terme suffit à faire de cet exemple un énoncé potentiellement camfranglais.

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nécessairement tensé. D’après Cl. Blanche-Benveniste (1997a : 97) cette contrainte discrimine les circonstancielles introduites par puisque :

- Son séjour il sera il sera immense – puisqu’il aura pas d’entrée

*c’est puisqu’il aura pas d’entrée que son séjour il sera immense.

En revanche, pour ça est presque toujours clivé (Cl. Blanche-Benveniste 1997a : 97-98)225.

15) (21-19) B4 c’est pour ça qu’on dit que hein↗ + les riches marchent avec les riches les pauvres marchent avec les pauvres

16) (26-8) B1 c’est pour ça que je n’avais pas su que mon pachopachopachopacho est mort

Pour ces deux exemples, il est impossible d’obtenir

*on dit pour ça que hein- on dit que pour ça hein (15)

*je n’avais pas su que mon pacho est mort pour ça (16)

Quant à parce que, il peut être clivé comme dans cet exemple de Cl. Blanche-Benveniste (1997a : 97).

- C’est pas parce que tu feras une + une maison individuelle qui coûtera deux millions de francs ou trois millions de francs qu’elle sera plus belle qu’une maison qui en vaut cinq cent mille.

Les deux exemples avec clivage de parce que relevés après une recherche dans les trois corpus exploités dans ce travail sont des « formes courtes » :

17) (8-3) B1 donc ça veut dire que : c’est parce qu’elle est bête c’est parce qu’elles sont bêtes quoi

18) (116-13) D1 … c’est parce que B. ne parle pas il est trop : + non + quoi ? XXX

La forme réduite est rendue possible par le contexte conversationnel. Du point de vue énonciatif, la « dialogisation externe » (en contexte dialogal) (J. Brès 1998) permet la reconstitution suivante :

- c’est parce qu’elles sont bêtes que tu te permets de faire n’importe quoi

225 La différence de construction de pour ça, parce que, puisque est au cœur du débat sur le statut syntaxique des propositions dites subordonnées (Cl. Blanche-Benveniste 1983).

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LES DISPOSITIFS SYNTAXIQUES

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Cette reconstruction est valable pour la forme. Si on ne se départit pas de l’ancrage contextuel de la conversation dont cet exemple est tiré, l’interprétation la mieux appropriée est la suivante :

- c’est parce que tu penses qu’elles sont bêtes que tu fais n’importe quoi

Pour l’exemple (18) on peut avoir

- c’est parce que B. ne parle pas qu’il se fait avoir226

Une forme réduite peut se comprendre par référence à un verbe recteur même éloigné dans le contexte antérieur (Cl. Blanche-Benveniste 1990 : 62) comme c’est le cas dans les exemples précédents. Pour une interprétation énonciative, nous disons que la syntaxe de ce dispositif n’est pas entièrement déployée parce que la variabilité de l’oral le permet. Il existe en effet une zone de flou tolérable à l’oral que des indices contextuels plus ou moins larges se chargent de remplir (F. Gadet 1991, 1996). La valeur argumentative de ce dispositif est intégrée par les locuteurs. Il fait partie d’un système de référence cognitive à tel point que l’activation d’un morceau du dispositif permet à l’interlocuteur de reconstituer l’ensemble du schéma argumentatif227.

En regard des contraintes syntaxiques et sémantiques qui pèsent sur le dispositif en c’est … qu- il est certain que le verbe être n’est pas ici un verbe recteur. La preuve en est qu’il accepte tous les éléments régis par le verbe qui le suit dans la construction (Cl. Blanche-Benveniste 1990 : 59). La désémantisation de c’est en fait un auxiliaire de dispositif. Un phénomène similaire est observable dans les constructions en il y a où le verbe avoir perd bon nombre de ses propriétés syntaxiques et sémantiques.

2.2 IL Y A … QUI/QUE

Tout comme c’est, il y a est considéré dans les grammaires scolaires comme un présentatif. Après avoir marqué son désaccord pour cette catégorisation, J.-M. Léard (1992) propose un découpage des énoncés en il y a en fonction de leurs valeurs sémantiques. Il distingue les tours existentiels (« il y a des gens »), les tours locatifs (« il y a ici les enfants qui m’ont bousculé ») et les tours clivés (« il y a Pierre qui parle »)228.

226 Une glose est nécessaire : « parler » ici veut dire savoir se défendre. 227 « Les opérations de connexion,marquées dans la langue par les connecteurs ou toute autre marque ayant des variables propositionnelles comme domaine, portent sur des objets mentaux et non des unités de discours. » (J. Moeschler 1996 : 285) 228 J.-M. Léard (1992 : 31).

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LES DISPOSITIFS SYNTAXIQUES

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Dans une construction comme

- il y aura une insertion dans un journal d’annonces légales229

il y a est recteur (on peut pronominaliser et obtenir il y en aura une) alors que dans les exemples suivants, il y a est analysé successivement comme support de rection de temps et support à la restriction en ne … que :

19) (45-27) B4 non bon là c’est un autre problème + moi je ne cogne pas quand même XX l’accident que j’avais fait il y a longtemps

20) (67-16) B1 mais le seul Nokia qui était bon c’était le Nokia trente-trois dix il n’y a que ça il n’y a pas deux

Après un examen minutieux des ressemblances et des différences sémantiques de c’est et il y a J.-M. Léard (1992) dégage les constructions en il y a susceptibles d’être classées sous le clivage. Tout ce qui n’est ni locatif ni existentiel est considéré comme clivage.

J.-M. (Léard 1992) dégage les caractéristiques suivantes pour il y a clivant :

- il ne peut être paraphrasé par il existe ;

- il fait une quantification partitive (il n’ y a qu’avec toi que je me sens en sécurité) qui s’apparente à la restriction.

- sa particularité est d’être aussi un énoncé événementiel rhématique (il y a le chien qui court après le lapin).

Il y a peut cliver aussi bien un sujet qu’un objet.

2.2.1 CLIVAGE DU SUJET

Pour V. Lagae & C. Rouget (1998 : 321), il n’y a pas de contrainte de sélection des SN pivots de la relativisation dans les énoncés en il y a. Cette affirmation découle logiquement de leur cadre d’analyse qui n’admet pour il y a … qui que des constructions relatives prédicatives (V. Lagae & C. Rouget 1998 : 315)230. J.-M. Léard (1992 : 35) affirme pour sa part que, en fonction sujet, il y a clive exclusivement des SN concrets. Parmi la centaine des

229 Cl. Blanche-Benveniste (1990 : 65). 230 Les auteurs reconnaissent cependant la difficulté de distinguer formellement relatives prédicatives et relatives adjectives dans les constructions avec il y a (idem : 321).

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LES DISPOSITIFS SYNTAXIQUES

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énoncés en il y a représentés dans le corpus, aucun n’est construit avec un SN abstrait. Nous avons relevé quelques exemples de clivage :

21) (200-2) LB ça fait peut-être deux mois il y a un docteur qui m’a examiné + il m’a prescrit les remèdes

22) (202-28) LB bon ça à commencé comme ça il y a les autres gens qui ont fui avec l’argent

23) (91-27) D1 non :: il y a les gars qui ne veulent jamais gogogogo tu vois l’autre Cissé on a : spokspokspokspok on a : on a : interviewé Cissé dans : en aparté + sur Canal là

En confrontant ces exemples aux caractéristiques énoncées par J.-M. Léard (1992) et reprises supra, on peut dire qu’aucun d’eux ne peut être paraphrasé par « il existe » :

*il existe un docteur qui m’a examiné

*il existe les autres gens qui ont fui avec l’argent

*il existe les gars qui ne veulent jamais go

L’effet de contraste caractéristique du clivage se retrouve dans la construction rhématique : « il y a les autres gens qui ont fui avec l’argent » qui s’opposent à « ceux qui n’ont pas fui avec l’argent ». Nous reviendrons infra sur l’emploi de l’article défini (les) dans l’exemple (22).

L’analyse dialogique peut se poursuivre dans les exemples ci-après :

24) (230-5) L1 il y a des gens qui pensent qui se disent que le Cameroun le Cameroun ne peut pas abriter hein : la coupe d’Afrique c’est si le Mali peut si le Burkina peut abri abriter la coupe d’Afrique pourquoi pas le Cameroun

25) (197-16) LB … il y a d’autres gens qui viennent avec deux cents cartons vous déchargez comme dans la boutique nous déchargeons ici même comme dans notre boutique

Dans les trois cas, les SN clivés sous-entendent une opposition de point ce vue (24) de comportement (22) et (25). En syntaxe dialogique, l’exemple (24) est un cas de dialogisation interne (J. Brès & A. Nowakowska 2004, 2005) car l’énonciateur principal (E) exprime un contraste entre ce que pense les autres (e) et son opinion personnelle qui ne va pas dans le même sens.

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En se recentrant sur l’arrangement linéaire des énoncés, on remarque que le passage des dispositifs d’extraction en (24) et (25) aux dispositifs directs correspondants aboutit dans ces derniers à des SN sujets avec une détermination indéfinie.

(24) des gens pensent que le Cameroun ne peut pas …

(25) d’autres gens viennent avec deux cents cartons

D’après Cl. Blanche-Benveniste (1997a : 105-107) l’oral fait très peu usage de sujets nominaux du type « le chat (Jean) aime la soupe ». Ils sont souvent remplacés par des pronoms et des tournures impersonnelles. Les grammaires scolaires considèrent les constructions en il y a SN qui … comme des tournures familières, propres à « l’expression spontanée » (P. Le Goffic 1994 : § 86). Mais comme l’écrivait R. L. Wagner (1973 : 107),

À tout prendre, des gens, beaucoup de gens passaient sous la fenêtre est une phrase littéraire, de ton flaubertien. Il passe des gens… il y a des gens qui passent… voilà des gens qui passent…, voilà que des gens passent… caractérisent davantage les énoncés informatifs231

C’est pourquoi dans le cadre de l’approche pronominale où tous les dispositifs se valent, il y a SN… qui dans une construction comme dans les exemples (22 – 25) est considéré comme un « dispositif auxiliaire de la détermination nominale » (Cl. Blanche-Benveniste 1997a : 93).

Derrière cette détermination nominale indéfinie se cache une organisation conversationnelle des points de vue thématiques. C’est ce que démontre J.-M. Léard (1992) lorsqu’il fait une comparaison minutieuse des apports sémantiques de c’est et il y a dans des constructions clivées :

il y a autorise comme sujet en tête de phrase un élément rhématique associé à un verbe rhématique, ce qui rappelle l'impersonnel et correspond souvent aux jugements thétiques […]. c'est pose en tête de phrase une donnée rhématique, mais dont l'existence est assurée, le reste étant thématique et présupposé232

Dans les constructions en il y a SN…qui, l’effet sémantique de contraste s’accompagne d’une analyse en clivage. La détermination indéfinie est aussi importante pour nos exemples en il y a … qui. J.-M. Léard (1992 : 70-74) démontre que ce dispositif permet un accès à la grammaticalité pour des énoncés à sujets indéfinis. Cependant, dans les exemples ci-dessous, le SN est affecté d’un article défini.

231 In Cl. Blanche-Benveniste (1997 : 105). 232 J.-M. Léard (1992 : 34).

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26) (91-26) D1 non :: il y a les gars qui ne veulent jamais gogogogo tu vois l’autre Cissé on a : spokspokspokspok on a : on a : interviewé Cissé dans : en aparté + sur Canal là

27) (202-28) LB bon ça à commencé comme ça il y a les autres gens qui ont fui avec l’argent

28) (183-5) LB […] il y a les autres qui sont compréhensifs il dit que oui c’est à ma charge parce que c’est ma voiture il y a l’autre qui dit que bon on partage la perte à deux

Il s’agit là d’une différence au niveau des processus d’actualisation entre le français standard (et les français parlés en occident) et les français parlés en Afrique noire. En effet, la plupart des français d’Afrique utilisent l’article défini de manière générique à la place du défini, de l’indéfini et du partitif (G. Prignitz 1994, E. Biloa 2003, B. Akissi Boutin 2002, M. Jabet 2005, A.-M. Knutsen 2007, E. Ngamoutsika 2007)233. La définitude est formelle marquée par le là postposé au substantif (« donc ma grand-mère m’a montré la vieille là, il dit de regarder lalalala vieille làlàlàlà, quand lalalala vieille làlàlàlà fait sa bouche (.) sa bouche là comme ça » A.-M. Knutsen 2007 : 173). Ceci ne suppose en aucun cas la disparition des autres comme on peut le voir dans l’exemple (24) et dans l’exemple suivant :

29) (79-13) D2 attends + sauf une fille + il y a uneuneuneune fille qui a win

Ainsi, les articles les (gars) et les (autres gens) reçoivent normalement une interprétation partitive en dépit de la présence de l’article défini. D’ailleurs, J.-M. Léard (1992) souligne l’importance du contexte conversationnel pour l’interprétation des structures en il y a :

Les lois conversationnelles rendent difficile un énoncé entièrement générique isolé, considéré comme rappelant une relation acquise entre un sujet et un prédicat. Elles expliquent que il y a soit associé à une opération de quantification : le prédicat n’est que rarement nouveau et la quantification est centrale.234

Cette association forte permet d’avancer qu’il s’agit d’un auxiliaire de dispositif. Tout comme c’est, il y a connaît un figement qui le rend insensible à la variation temporelle.

- si on coupait les vivres il y a beaucoup de gens qui se trouveraient sur la paille235

30) (200-2) LB ça fait peut-être deux mois il y a un docteur qui m’a examiné

31) (79-13) D2 attends + sauf une fille + il y a une fille qui a winwinwinwin

233 Voir E. Ngamoutsika (2007 : 93-98) pour un résumé de la détermination nominale dans les français d’Afrique. 234 J.-M. Léard (1992 : 82). 235 V. Lagae & C. Rouget (1998 : 322).

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32) (202-28) LB bon ça à commencé comme ça il y a les autres gens qui ont fui avec l’argent

2.2.2 CLIVAGE DE L’OBJET

Le clivage de l’objet est possible à condition d’avoir des éléments qui introduisent une idée de partition (ne … que, aussi, seulement, au moins) (J.-M. Léard 1992 : 76). Le corpus de ce travail offre un seul exemple de clivage de l’objet.

33) (67-16) B1 mais le seul Nokia qui était bon c’était le Nokia trente-trois dix il n’y a que ça il n’y a pas deux

Il s’agit en fait d’une forme abrégée, introduite par une équation de type A c’est B. La relation attributive existant entre A (le seul Nokia qui était bon) et B (le Nokia trente-trois dix) fournit le cadre sémantique qui permet une interprétation univoque de cette « forme courte » de clivage (il n’y a que ça qui était bon). L’expression de la restriction ici permet une interprétation dialogique. En premier lieu une dialogisation interne : la construction restrictive s’appuie sémantiquement sur la première partie de l’énoncé dont il oblige à tenir compte pour son interprétation. Ensuite, dans le contexte dialogal où cet énoncé s’intègre, il n’y a que ça s’oppose en dialogisation externe à toute marque de téléphone portable. Sony est en effet évoqué par l’un des interlocuteurs, même si c’est pour une dépréciation :

34) (67-13) B1 mais Sony n’est pas momomomo :::: dans les appareils portables

35) (67-14)B5 XX les Nokia il y a les nouvelles sorties de Nokia là hein↗

36) (67-15)B2 mais le Nokia a le réseau hein↗ le Nokia a le réseau jusqu’à

37) (67-16)B1 mais le seul Nokia qui était bon c’était le Nokia trente trois dix il n’y a que ça il n’y a pas deux

La restriction se charge dont de contrecarrer toute nouvelle évocation. Le locuteur (Ba1) le dit plutôt clairement par la suite : « il n’y a pas deux ».

Nous allons à ce stade aborder les constructions en j’ai…qui qui suscitent elles aussi un débat au sujet de leur statut syntaxique.

2.3 J’AI … QUI

Les configurations en avoir SN qui sont généralement traitées comme des relatives prédicatives (V. Lagae & C. Rouget 1998) ou bien comme des constructions relatives présentatives (K. Lambrecht 2000). Nous ne discuterons que des constructions du type

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- j’ai la petite qui est fatiguée

- j’ai eu les jambes qui ont tremblé et tout

- j’avais ma tante qui cherchait justement une euh employée236

Des variantes de avoir SN qui admettent d’autres pronoms sujets (tu as l’Américain qui fait miaou, ils ont au moins les magasins qui les attirent) (V. Lagae & C. Rouget 1998). Leurs propriétés les distinguent syntaxiquement de la forme en j’ai SN qui qui est la seule répertoriée dans les corpus de cette thèse. Aussi nous limiterons-nous à cette dernière forme.

Les configurations en j’ai SN qui se démarquent des relatives déterminatives par les propriétés suivantes :

- le SN doit contenir des traits qui permettent d’établir un rapport référentiel avec le sujet du verbe avoir : lien de possession plus ou moins aliénable (V. Lagae & C. Rouget 1998 : 317). C’est ce qu’exprime aussi K. Lambrecht (2000 : 50) lorsqu’il parle d’une « proposition relative coindexée avec [le] SN ».

- le temps de avoir et celui du verbe de la relative doivent être identiques. On retrouve généralement le présent, l’imparfait et les temps composés correspondant (K. Lambrecht 1988, V. Lagae & C. Rouget 1998 : 318) ;

Le corpus offre un seul exemple de cette structure :

38) (17-28) B1 eh : j’ai eu un ami qui a été touché oh : XX

La contrainte de temps identique pour les deux verbes de la construction y est respectée. En faisant une analyse dans le cadre de la Grammaire Constructionnelle cet énoncé a une « structure tripartite plate » (K. Lambrecht 2000 : 50) schématisée comme suit : v[pro+ V] [SNi] PR[quiiSV]237.

Il s’agit en effet d’une structure bi-propositionnelle dans laquelle le SN joue un rôle important dans les deux propositions. Il est le complément d’objet de avoir et le sujet de la deuxième proposition. Il est considéré comme l’antécédent de la proposition relative prédicative. Cette dernière relèverait de la prédication seconde dans la mesure où elle

236 V. Lagae & C. Rouget (1998 : 317). 237 La coindexation du SN et du pronom relatif signalée supra est marquée en indice (i) dans la formule.

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exprime sémantiquement un contenu phrastique en dépit de son intégration dans une autre prédication considérée comme proposition principale (P. Cadiot & N. Furukawa 2000 : 3)238.

Dans l’exemple « j’ai eu un ami qui a été touché », certes deux verbes sont actualisés, mais il ne peut y avoir qu’une seule prédication : celle qui est exprimée par « ami qui a été touché ». Il est donc crucial de déterminer le statut syntaxique et informatif de la première partie de cette prédication (j’ai eu un ami). Pour ce faire, nous allons procéder à des tests dont l’objectif est de déterminer le statut prédicatif du premier segment. Le premier test est celui de la proportionnalité des éléments régis par le verbe à une proforme. La seule proforme envisageable ici est le clitique le du moment où le SN est considéré comme un complément d’objet.

- j’ai eu un ami qui a été touché / * je l’ai eu

Il est impossible d’établir une proportionnalité entre « un ami qui a été touché » et le pronom clitique. De la même manière, il est impossible de satisfaire le test classique de l’interrogation qui pose la question sur l’objet (qui est-ce que j’ai eu ?/ j’ai eu qui?) et même sur le sujet (qui l’a eu ?). Le verbe avoir n’est aucunement constructeur dans la mesure où il est totalement désémantisé.

Le deuxième test consiste à insérer la partie prédicative « un ami qui a été touché » dans d’autres dispositifs syntaxiques. Etant donné l’égalité syntaxique qui a été posée entre les différents dispositifs, il s’agit de s’assurer que le même contenu informatif est préservé lors du passage de ce segment d’un dispositif à un autre.

- j’ai eu un ami qui a été touché

- *Il y a un ami qui a été touché

- *Un ami a été touché

Le dispositif direct et le dispositif en il y a restent sémantiquement génériques par rapport à l’expression de la relation qui existe entre le locuteur et le SN239. En leur ajoutant le pronom tonique précédé de la préposition à (à moi ) qui marque la possession à l’oral, les énoncés deviennent sémantiquement acceptables tout en restant syntaxiquement plausibles. L’acceptation sémantique des structures tient compte de l’ancrage contextuel de l’énoncé effectivement produit.

238 « Présentation » de Langue française n° 127. 239 Cl. Blanche-Benveniste (1983) avait analysé les constructions en j’ai … qui comme étant sémantiquement équivalent à « être affecté de ».

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- j’ai eu un ami qui a été touché

- il y a un ami à moi qui a été touché

- un ami à moi a été touché

On s’aperçoit alors qu’on retrouve pratiquement la même configuration qui induit l’usage il y a comme « un instrument de détermination nominale indéfinie » (Cl. Blanche-Benveniste 1997a : 94). Dans ce dispositif, il y a permet d’introduire des expressions indéfinies sujets. Dans « un ami à moi a été touché » et « un de mes amis a été touché » qu’il est fort probable de rencontrer à l’écrit, le sujet indéfini est suivi d’une marque de possession. L’utilisation du verbe avoir (j’ai) exploite le sémantisme de cette marque de possession. La notion de possession doit être comprise dans un sens large qui permet d’inclure des énoncés comme

- j’ai une voisine qui fume (K. Lambrecht 2000 : 53)

- j’ai deux étudiants qui préparent un séminaire pour la semaine prochaine (V. Conti 2001 : 151)

- j’ai des gens bien placés qui y sont allés (J. Cosnier et C. Kerbrat-Orecchioni 1987 : 377)

- j’ai beaucoup de copines et de copains mais plus de copines qui me téléphonent pour me parler d’elles pendant un certain temps (Cl. Blanche-Benveniste et al. 2002 : 200)

Dès lors nous pensons qu’il s’agit d’un autre dispositif support de la détermination dispositif support de la détermination dispositif support de la détermination dispositif support de la détermination nominalenominalenominalenominale (V. Conti 2001 : 160). Il est donc possible d’envisager que « j’ai eu un ami qui a été touché » est la forme orale usuelle de « un de mes amis a été touché ». Il s’agit d’une répartition entre l’oral et l’écrit de deux dispositifs équivalents syntaxiquement.

La structure en j’ai X … qui peut aussi être auxiliaire de dispositifauxiliaire de dispositifauxiliaire de dispositifauxiliaire de dispositif comme le démontre V. Conti (2001 : 157) dans des exemples du type « j’ai mon pain au chocolat qui me fait mal à l’estomac ». Ici, la construction est équivalente à « mon pain au chocolat me fait mal à l’estomac ». « Avoir » sert alors d’ « opérateur d’organisation de la proposition » (M.-J. Béguelin 2003 : 127)240. Les deux dispositifs organisent la même information propositionnelle de manière différente.

La réflexion sur les constructions avec avoir peut se poursuivre avec des exemples présentant une rupture microsyntaxique :

240 M.-J. Béguelin (2003) traite des exemples du type « y a ton sac qui est tombé ».

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39) (77-25) D2 même quand nous on partait XX j’avais des potes-là ils mettaient ils mettaient le sucre dans leur lait (79)

40) (11-7) B3 j’ai un paterpaterpaterpater j’ai un paterpaterpaterpater dans mon tongtongtongtong-là hein↗ + le pater a ses bindibindibindibindi moyens

La prédication se divise en deux parties : d’une part la construction avec avoir SN, d’autre part une construction rectionnelle capable d’avoir un fonctionnement autonome. Dans ces deux exemples, l’idée de possession large (relation sociale entre le locuteur et le référent du SN) est présente. La partie avec avoir SN présente une suspension sémantique que l’autre partie de l’énoncé se chargera de compléter : elle n’est donc pas autonome. En effet, le segment en avoir SN ne peut pas être nié et ne peut non plus satisfaire le test de pronominalisation241.

* je n’avais de potes ils mettaient le sucre dans leur lait / * je les avais …

* je n’ai pas un paterpaterpaterpater dans mon tong là le paterpaterpaterpater a ses bindibindibindibindi moyens / * je l’ai

Les deux parties entretiennent donc des relations macrosyntaxiques. Et dans le cadre de l’approche pronominale, « j’avais des potes » et « j’ai un pater dans mon tong là » sont des préfixespréfixespréfixespréfixes, tandis que « ils mettaient le sucre dans leur lait » et « le pater avait ses bindi moyens » sont les noyauxnoyauxnoyauxnoyaux de leurs énoncés respectifs.

Au niveau du contenu informationnel, ces deux exemples sont tout à fait paraphrasables par « j’avais des potes qui mettaient le sucre dans leur lait » et « j’avais un pater dans mon tong qui avait ses bindi moyens ». Sur le plan discursif, aussi bien j’ai X qui que j’ai SN (préfixe) fonctionnent comme des présentatifs.

Une construction présentative est définie comme une structure phrastique dont la fonction discursive n’est pas d’informer l’interlocuteur d’une propriété attribuée à une entité ou situation donnée (la fonction prédicative) mais d’introduire une entité ou situation nouvelle dans un monde de discours, normalement dans le but de la rendre cognitivement accessible en vue d’une prédication ultérieure.242

Ce fonctionnement discursif ne devrait pas tenir lieu de principe explicatif justifiant l’existence d’une classe de constructions relatives présentatives.

À quelques variantes près, les problèmes sémantico-syntaxiques rencontrés dans les configurations en j’ai SN qui se retrouvent pour l’analyse du clivage en voilà … qui.

241 Ensembles de tests dont use l’approche pronominale pour tester l’autonomie syntaxique d’un énoncé. 242 K. Lambrecht (1994, 2000: 51).

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2.4 VOILÀ … QUI

En français parlé, voilà tend à se généraliser et à être employé à la place de voici sauf dans les cas où ils servent à organiser le discours (K. Lambrecht 2000 : 61, J.-M. Léard 1992 : 99). En l’absence d’occurrence de voici dans notre corpus, la discussion sur voilà peut s’étendre à voici.

Il est aisé de reconnaître morphologiquement dans voilà le verbe voir et le suffixe déictique là. G. Moignet (1974) et S. Morin (1975)243 ont démontré le caractère verbal de ce terme. Cependant, voilà n’est pas verbal dans tous ses emplois. La classe la plus souvent utilisée dans les grammaires scolaires pour le décrire est celle des présentatifs. Soient les exemples suivants :

a. voilà mon père

b. voilà les gendarmes que j’ai rencontrés hier

c. voilà qu’il chante

d. il est parti voilà trois jours

e. voilà Pierre qui arrive

Dans les exemples (a) et (b) voilà présente effectivement. Il a un comportement verbal et la présentation se fait au moyen du déictique là. Il n’est donc pas nécessaire d’en faire un présentatif. (J.-M. Léard 1992 : 50)244. L’exemple (c) n’a plus la valeur présentative. Il signale une prise de conscience qui est une marque aspectuelle. L’importance des valeurs aspectuelles explique que voilà ait un statut prépositionnel dans l’exemple (d)245. Il est comparable à il y a « support de rection de temps ». La syntaxe de l’exemple (e) le rapproche des relatives attributives/prédicatives ; auquel cas voilà a une fois de plus un fonctionnement verbal. Cette structure voilà SN qui est celle que nous emploierons à démontrer le fonctionnement comme structure clivée en FRACAM.

Notre corpus contient trois exemples de la structure voilà SN qui.

41) (152-13) L1 … voyez vous-mêmes voilà les bananes qui pou- pourrissent ici

42) (231-8) L3 ah bon ? en passant voilà des joueurs qui sont + appelés aujourd’hui à payer des amandes de trente-et-un millions de francs

243 In J.-M. Léard (1992 : 105). 244 J.-M. Léard (1992) s’oppose à cette classification parce que les éléments qui en font d’ordinaire partie ont d’autres propriétés. 245 J.-M. Léard (1992 : 104).

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43) (89-11) D1 Trézeguet voilà un manmanmanman qui s’amuse avec le ballon il tape même sur les fesses ça djumdjumdjumdjum dans les goals il n’est pas là pour s’amuser monsieur

L’un des objectifs de K. Lambrecht (2000) est de démontrer que la structure voilà SN qui est une construction relative présentative (CRP). Il distingue deux formes de CRP en voilà :

- une forme bi-propositionnelle avec une fonction déictique (voilà Marie-Paule qui monte les escaliers)

- une forme logiquement (mais non syntaxiquement) mono-propositionnelle avec une fonction événementielle (lui, quelques temps après, pouf ! le voilà qui meurt)246.

La forme déictique s’apparente à une relative de perception (je vois/entends Marie-Paule qui monte les escaliers). L’argument syntaxique justifiant ce rapprochement est la possibilité de pronominaliser le complément d’objet par un pronom atone :

- lalalala voilà qui monte les escaliers

- je lalalala vois qui monte les escaliers

Tous les exemples en FRACAM n’acceptent pas cette pronominalisation :

- les voilà qui pourrissent ici (41)

- ? les voilà qui sont appelés aujourd’hui à payer des amendes (42)

- ? le voilà qui s’amuse avec le ballon (43)

La pronominalisation du premier exemple ne suffit pourtant pas à en faire une relative prédicative. Il faudrait s’assurer du statut sémantique de l’article défini les. On pourrait être en présence d’un emploi générique à valeur partitive. Les données du corpus sont insuffisantes pour effectuer une vérification contextuelle247. L’autre argument en faveur du rapprochement entre la CRP en voilà et les relatives de perception est d’ordre sémantique : « l’acte de perception est rendu possible par l’événement décrit dans la relative », écrit K. Lambrecht (2000 : 61).

À la suite des travaux de G. Kleiber (1988) qui ont insisté sur la rigidité des propriétés grammaticales de la relative de perception en je vois SN qui P, J.-M. Léard (1992) démontre

246 K. Lambrecht (2000 : 61). 247 J.-M. Léard (1992) estime d’ailleurs que le test de pronominalisation n’est pas pertinent pour la construction voilà SN qui.

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LES DISPOSITIFS SYNTAXIQUES

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que voilà SN qui P s’en est sensiblement éloigné. Son abondante description des différences sémantiques entre voir et voilà tient compte de leurs spécificité au niveau des modalisations, des arguments nominaux (p. 105-132). Nous n’en retiendrons que l’interprétation aspectuelle.

Pour voir SN qui P au présent, il faut que

- la perception ne soit ni finie ni à son début : elle doit être en cours ;

- l’événement perçu soit saisi dans son déroulement, non achevé ;

- la perception de l’événement soit concomitante à sa réalisation.248

Pour voilà SN qui P il faut que :

- la connaissance commence : on en pointe le début, et la prise de conscience correspond au début de la prise de parole. Il en résulte un effet d’inattendu, d’émergence ;

- l’événement peut être saisi à n’importe quelle étape de son déroulement (avant, après) ;

- la concomitance n’est plus exigée, même si elle est fréquente. Cela est liée à (b) [au point antérieur] , si l’on peut prendre une immédiatement antérieure ou postérieure.249

Voilà appartient à plusieurs domaines sémantiques, mais il a un noyau énonciatif (ou pragma-syntaxique) : « un pointage à partir du lieu ou du moment de parole » (J.-M. Léard (1992 : 154). Voilà SN qui s’est éloigné des verbes de perception et est devenu un marqueur aspectuel. (J.-M. Léard 1992 :121).

Revenons aux exemples du FRACAM

- (41) L1 … voyez vous-mêmes voilà les bananes qui pou- pourrissent ici

- (42) L3 ah bon ? en passant voilà des joueurs qui sont + appelés aujourd’hui à payer des amandes de trente -et -un millions de francs

- (43) D1 Trézeguet voilà un manmanmanman qui s’amuse avec le ballon il tape même sur les fesses ça djumdjumdjumdjum dans les goals il n’est pas là pour s’amuser monsieur

Nous procédons au test syntaxique visant à vérifier la possibilité de changement de dispositif tout en conservant un contenu sémantique équivalent dans le même contexte :

248 J.-M. Léard (1992 : 125) 249 Idem.

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(41) - voilà les bananes qui pourrissent

- les bananes pourrissent

(42) - voilà des joueurs qui sont appelés (…) à payer une amende

- des joueurs sont appelés (…) à payer une amende

Pour les deux premiers, le dispositif direct est sémantiquement équivalent au dispositif en voilà. Dans l’exemple 43, le contenu propositionnel n’est pas un fait saisissable de manière sensorielle. Il difficile de rapprocher voilà de voir ou entendre qui construisent des relatives de perception. La valeur de partition du clivage apparaît nettement (certains joueurs). Le SN possède un déterminant indéfini dont la valeur est une quantification partitive.

Quant à la valeur pragmatique de nouveauté par contextualisation externe ou interne250 (K. Lambrecht 2000), nous pensons que le dispositif en voilà SN qui est la marque d’une opération de rhématisation. Voilà permet la prise de connaissance d’un phénomène Tout comme il y a , son rôle est de signaler une absence de thème au niveau phrastique. D’ailleurs, K. Lambrecht (2000 : 64) constate que la forme événementielle de la CRP en voilà « a perdu sa valeur déictique et fonctionne comme une marque présentative figée, comparable au marqueur il y a dans la CRP en avoir événementielle ». Les exemples 41 et 42 sont donc respectivement équivalents à

- il y a des bananes qui pourrissent ; et

- il y a des joueurs qui sont appelés (…) à payer une amende

Reste l’exemple 43

- D1 Trézeguet voilà un manmanmanman qui s’amuse avec le ballon

La partie prédicative de cet exemple est-elle compatible avec d’autres dispositifs ?

- ? un man s’amuse avec le ballon

- ? il y a un man qui s’amuse avec le ballon

250 Concepts empruntés à Fillmore…

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Aussi bien le dispositif direct que le clivage en il y a sont incompatibles avec cet énoncé. La première cause est la nature du SN « un manmanmanman »251 qui est un indéfini. Cet indéfini ne justifie pourtant pas l’exclusion de il y a puisqu’il est possible d’avoir dans un énoncé isolé

- il y a quelqu’un qui s’amuse avec le ballon sur le stade

- il y a un man qui s’amuse avec le ballon sur le stade

Dans l’énoncé de départ, le dispositif en voilà est précédé d’un nom propre (NP). L’ensemble constitue alors un énoncé à détachement. Le principe syntaxique retenu est celui de l’unicité d’une place syntaxique auprès du verbe recteur (Cl. Blanche-Benveniste et al. 1987). Or, il se trouve que « un man s’amuse avec le ballon » est inacceptable. En revanche toute la structure détachée (exemple 40) présente le même contenu informationnel que

- Trézeguet s’amuse avec le ballon

C’est donc le NP qui est sujet sémantique dans cette structure. « Un manmanmanman » est l’item qui marque la place du sujet dans la construction. La place du sujet est ainsi répartie entre deux constituants nominaux qui entretiennent une relation de coréférence. En règle générale, lorsqu’il y a reprise d’un item dans une construction, sa charge informative devient plus précise au fil des reprises. « L’histoire syntaxique » (Cl. Blanche-Benveniste et al. 1987) du constituant nominal dans cet l’exemple semble plutôt l’appauvrir sémantiquement. Cet appauvrissement est compensé par le dispositif clivé en voilà dont l’avantage pragmatico-énonciatif est de faire une assertion tout en valorisant le point de vue de l’énonciateur. Ce n’est pas un hasard si le seul dispositif qui puisse lui être substitué dans son contexte est c’est … qui :

- Trézeguet voilà un manmanmanman qui s’amuse avec le ballon

- Trézeguet c’est un manmanmanman qui s’amuse avec le ballon

Voilà effectue visiblement une opération de clivage. Toutefois, c’est … que et voilà ont des emplois discursifs différents. C’est se construit sur la présupposition. C’est … qui constitue alors une opération de thématisation. Voilà … qui effectue un pointage, il porte l’événement à la connaissance de l’interlocuteur (J.-M. Léard 1992). À ce titre, il effectue une opération de rhématisation. La valeur aspectuelle de voilà est donc déterminante pour son choix en discours.

251 Dans l’usage camfranglais, « un manmanmanman » est l’équivalent français de quelqu’un.

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Quel est donc le rôle syntaxique du NP (Trézeguet) dans cet exemple ? La relation qui existe entre le NP et voilà SN qui est d’ordre macrosyntaxique (Cl. Blanche-Benveniste et al. 1990). Le NP est un préfixe et le dispositif en voilà est le noyau. Le préfixe ici sert d’introducteur de thème en posant le cadre énonciatif auquel se rapporte le noyau prédicatif. Sur le plan intonatif, le préfixe a une mélodie suspensive en attente d’un complément prédicatif.

Pour conclure, notons que les travaux qui traitent des relatives prédicatives avec avoir sont à un moment donné confronté au problème du clivage. C’est ainsi que V. Lagae & C. Rouget (1998), après avoir constaté le figement de il y a qui échappe au système temporel et au système hypothétique (si on coupait les vivres il y a beaucoup de gens qui se trouveraient sur la paille) rapprochent les énoncés il y a le téléphone qui sonne et j’ai mon bidon qui m’empêchait de dégrafer mon parachute des clivées présupposantes (p.322). Ceci aboutit au traitement des propriétés du clivage des constructions avec avoir comme des cas de grammaticalisation (p.323). Une interprétation similaire se retrouve chez K. Lambrecht (2000 : 51) :

C’est un trait typologique particulier au français moderne que la structure bi-propositionnelle de la CRP a tendance à se condenser sémantiquement syntaxiquement et à se grammaticaliser en construction clivée252, donc en une structure syntaxiquement complexe mais sémantiquement simple.

Cette vision des faits est conditionnée pour une part à la primauté accordée à la structure plate SVO. Mais le problème central réside dans les outils méthodologiques de l’analyse syntaxique. Bien que travaillant sur l’oral, l’unité d’analyse dans la Grammaire Constructionnelle demeure la phrase qui est une entité théorique adoptée à des fins pratiques. Il se crée une confusion entre l’unité « pratique » à visée pédagogique et l’unité maximale de l’analyse linguistique. Les énoncés réels présentent une grande diversité formelle que la syntaxe des catégories de l’unité « pratique » est incapable de prendre en charge (J. Deulofeu 2002 : 139, 2008b ; Cl. Muller 2002 : 73). Il a été démontré que les structures à présentatifs n’introduisent pas des subordonnées (F. Gadet 1992 : 77 ; Cl. Muller 2002 : 90). En considérant les faits linguistiques sans a priori sur les structures formelles, il nous a été possible de démontrer qu’en FRACAM comme en français parlé en « occident », ce sont les objectifs communicationnels qui président au choix des structures syntaxiques. L’organisation préférentielle de l’information en thème et propos (support/apport) justifie certains énoncés clivés. Les stratégies conversationnelles sont aussi déterminantes. Ainsi, le dispositif en voilà (Trézeguet voilà un man …) peut marquer

252 Italique de l’auteur.

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l’annonce d’une information jugée capitale par le locuteur. Il y a donc une intégration de schèmes syntaxiques de la part des locuteurs. La notion de schèmes syntaxiques253 permet de faire « entrer certaines propriétés cognitives dans le domaine syntaxique » (Cl. Muller 2002 : 73). Ceci n’est pas sans rappeler les hypothèses sémantactiques de G. Manessy (1989) à propos des français parlés en Afrique (cf. cadre théorique), hypothèses sur lesquelles nous reviendrons dans le chapitre VIII.

Nous abordons à présent les constructions à dislocation.

3 LA DISLOCATION

La dislocation est un phénomène souvent associé à la fonction expressive de l’énoncé. L’élément disloqué est dans cette optique analysé par rapport à l’apport informatif et non par rapport à la construction syntaxique qui l’héberge (M. Blasco-Dulbecco 1999 : 65). Le statut informationnel de la dislocation est pris comme un principe explicatif (M. de Fornel 1988). La dislocation est souvent incluse dans le détachement qui pourtant recouvre des unités et des structures plus variées. Le détachement inclut des énoncés du type

- Ta voiture, il faudrait revoir les freins (B. Fradin 1988 : 38)

- L’armée, j’ai déjà donné (B. Fradin 1988 : 26)

- Les maths en terminale/ y a intérêt à s’y accrocher (F. Gadet 1996 : 134)

- Les épinards / bof (J. Deulofeu 1977)

- Les pharmaciens on est très surveillés (M. Blasco-Dulbecco 1999 : 103)

Le traitement de ces phénomènes dans les grammaires du XXe siècle en fait des variantes expressives et familières de constructions plus orthodoxes. « De toute manière, les justifications stylistiques conviennent à expliquer un phénomène qui de toute évidence dépasse la syntaxe » (M. Blasco-Dulbecco 1999 : 41). La recherche de M. Blasco-Dulbecco (1998, 1999, 2002, 2004, 2006) consiste précisément à découvrir le statut syntaxique de la dislocation.

253 « Schème syntaxique : séquence composée de un ou de plusieurs « segments » - phrases autonomes possibles, ou segments non utilisables en isolation, chacun singularisable par son caractère lié et une architecture prédictive interne propre (de proposition ou de construction non-verbale) – mais ayant ensemble une visée illocutoire unique. Si les segments phrastiques peuvent avoir une interprétation illocutoire qui leur est propre, c’est leur combinaison et leur dépendance éventuelle à un acte illocutoire principal qui caractérise le schème et fonde son unicité. » (Cl. Muller 2002 : 83).

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La problématique de l’ordre des mots est cruciale dans les prémisses de l’analyse de la dislocation. K. Lambrecht (1980) soutient que le français possède trois énoncés de base :

a. ma mère bavarde (énoncé à sujet)

b. ma mère, elle bavarde (énoncé à topic)

c. elle bavarde ma mère (énoncé à anti-topic)

Les formes en (b) et (c) ont une plus grande fréquence à l’oral que la forme en (a). K. Lambrecht (1980, 1981) estime alors qu’il y a une grammaticalisation du sujet en thème. La structure phrastique du français serait passée de « subject prominent » à « topic-prominent »254.

Mais comme le soulignent plusieurs chercheurs, ce point de vue synchronique occulte une réalité diachronique. En effet, la dislocation est une structure employée depuis l’ancien français (A. Valli 1983, S. Marchello-Nizia 1998). Elle n’est pas une structure grammaticalisée mais une variante de longue date. La construction disloquée n’est pas non plus le résultat d’une transformation comme le prétend la vulgate de la grammaire transformationnelle, c’est une construction autonome (M. Blasco-Dulbecco 1999).

Dans les constructions détachées en général la relation de dépendance entre les éléments détachés et le verbe est plus ou moins lâche. M. Blasco-Dulbecco (1999) propose quelques critères de définition de la construction disloquée :

- le verbe de la construction est obligatoirement tensé (exclusion de Michel lui bof)

- il y a une cooccurrence d’un pronom clitique avec un terme coréférentiel (lexique ou pronom tonique)

- seuls les termes qui occupent une fonction auprès du verbe peuvent être disloqués

En résumé, la dislocation est un ordre particulier de la construction verbale qui se caractérise par la présence de deux éléments apparemment coréférents255 autour d’un seul verbe recteur (M. Blasco-Dulbecco 1999 :43). Les propriétés de la dislocation découlent de ces critères définitoires.

254 K. Lambrecht (1981 : 52). 255 Le critère de la coréférence n’est pas le plus pertinent pour la définition de la dislocation. Cependant, compte tenu de la distribution des dislocations, il est certain qu’un certain nombre induit systématiquement une relation de coréférence (M. Blasco-Dulbecco & S. Caddéo 2001 : 128).

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3.1 PROPRIÉTES SÉMANTICO-SYNTAXIQUES

M. Blasco-Dulbecco (1999 : 166-167) a répertorié quelques critères de description de la dislocation :

- la place de l’élément disloqué par rapport au verbe ;

- le contexte antérieur à la construction disloquée est important. Il permet de comparer la fonction du lexique dans la première construction verbale (CV1)256 et la fonction du clitique coréférentiel dans la deuxième construction verbale (CV2). Lors du passage de CV1 à CV2 le lexique occupe-t-il deux fonctions syntaxiques comparables ?257

- La répétition du lexique peut être totale ou partielle. Il peut ne pas y avoir de répétition du tout. En effet, la répétition peut consister en l’occurrence d’un élément induit par le contexte et qui a un rapport sémantique avec un autre lexème (exemple : mais tu vois le le le le chevachevachevacheval d’Aureliel d’Aureliel d’Aureliel d’Aurelie – en reparlant de ça – sa sellesa sellesa sellesa selle elle est vraiment pas bien) ; il faut enfin tenir compte des spécificités des catégories grammaticales : lexique vs semi-lexique (tonique, indéfinis, celui-ci).

Les propriétés qui sont retenues pour l’examen de la dislocation en FRACAM sont la place du lexique et la spécificité des catégories grammaticales.

3.2 LA DISLOCATION DU LEXIQUE

La structure de dislocation la plus citée est celle qui fait intervenir un lexique et un pronom clitique coréférentiels. Deux modèles sont attestés : la dislocation à gauche du verbe (« en prolepse »258) du type le voisin, ille voisin, ille voisin, ille voisin, il est d’accord; et la dislocation à droite (« en reprise »259) du type ilililil est d’accord, le voisin le voisin le voisin le voisin (M. Blasco-Dulbecco & S. Caddéo 2002 : 41).

3.2.1 LA DISLOCATION À GAUCHE (LEXIQUE + PRONOM CLITIQUE)

Contrairement à ce qui s’observe à l’écrit, la dislocation du sujet après le verbe est moins fréquente à l’oral. La position préverbale est la plus courante (M. Blasco-Dulbecco & S. Caddéo 2001 : 138).

256 Celle de la construction antérieure à la dislocation. 257 A titre illustratif elle donne cet exemple : si elle a un défautun défautun défautun défaut il faut lelelele trouver ce ce ce ce défautdéfautdéfautdéfaut.. Dans une perspective interactionniste, S. Pekarek Doehler (2001) souligne aussi l’importance du contexte antérieur (syntaxique et discursif) pour l’apparition de la dislocation à gauche. 258 P. Le Goffic (1994). 259 Idem.

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La séquence lexique + pronom clitique est assez bien représentée dans le corpus de FRACAM. En voici quelques exemples :

44) (10-26) B2 tu es conscient le petpetpetpet maintenant c’est quoi ? il ne peut pas dire à sa fille qu’il va te brutaliser XX parce que la fille elle va te sauver

45) (74-28) D1 […] le gars lukluklukluk seulement mon plat [rires] gogogogo tchatchatchatcha la bouillie non ↗ [rires] le gars il guette seulement il dit que yehyehyehyeh [rires] il me lukluklukluk

46) (133-7) Y3 Eto’o + on l’aime + c’est notre joueur

Dans les exemples 44 et 45, les éléments disloqués et les clitiques correspondants partagent la même fonction que le lexique isolément.

- la fille elle va te sauver (44)

- la fille va te sauver

- elle va te sauver

- le gars il guette seulement (45)

- le gars guette seulement

- il guette seulement

Ce dernier exemple peut se vérifier en contexte dans le même tour de parole où la séquence suivante apparaît peu avant la structure disloquée : « le gars lukluklukluk seulement mon plat ». La coréférence entre le lexique et le clitique est nette. Ce sont des cas de « double marquage » qui se définit comme la cooccurrence de deux éléments d’un même paradigme, appartenant à deux catégories grammaticales distinctes et dont l’un est obligatoirement un pronom clitique. Ce pronom clitique, régi par le verbe comme sujet ou objet, partage sa place syntaxique avec l’autre élément du même paradigme (M. Blasco-Dulbecco (2006 : 33). Le « double marquage » est une structure intermédiaire en partie grammaticalisée260. La dislocation du sujet constitue ainsi une variante de la structure SVO (M. Blasco-Dulbecco 2006 : 28).

Dans la dislocation à gauche, le lexique complément ne présente aucune marque de fonction syntaxique auprès du verbe recteur. Il est donc difficile de savoir si le lexème et le clitique partagent la même fonction syntaxique.

260 Le double marquage apparaît le plus souvent dans la dislocation à droite. La grammaticalisation dont parle M. Blasco-Dulbecco s’applique à tous les cas de double marquage.

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Pour le complément d’objet direct comme c’est le cas dans l’exemple 46, il existe certainement un lien entre le nom propre et le pronom clitique mais il n’est pas forcément sous la dépendance du verbe recteur (M. Blasco-Dulbecco 1999 : 115). Le NP est séparé de la construction verbale par une pause. Le clitique est plutôt une reprise anaphorique. Le NP est adjoint au clitique.

Dès lors, le plus juste est de recourir à une analyse macrosyntaxique qui recouvre les relations microsyntaxiques en intégrant les marques intonatives et les liens sémantiques entre le clitique et le lexique. Les éléments disloqués en 44-46 sont des préfixes et les séquences pourvues de tous les éléments rectionnels directs constituent des noyaux macrosyntaxiques.

Sur le plan informationnel, l’analyse syntaxique des exemples retenus ici permet d’avancer que la dislocation à gauche entre dans le cadre d’une thématisation phrastique (M. Blasco-Dulbecco 1999 : 169). Ainsi dans l’exemple (44) (tu es conscient le petpetpetpet maintenant c’est quoi ? il ne peut pas dire à sa fille qu’il va te brutaliser XX parce que la fille elle va te sauver), la relation filiale est subrepticement remplacée par la relation amoureuse. Le lexique qui était dans la partie rhématique de la CV1 (et même plus en avant dans le contexte conversationnel) devient le sujet « dont on parle » dans la CV2. Cette thématisation phrastique peut découler d’une motivation pragmatique (K. Lambrecht 1988, M. Blasco-Dulbecco 1999 : 60, S. Pekarek Doehler 2001). Il s’agit de l’organisation préférentielle de la communication en thème-propos (M. de Fornel 1988). En interaction, la dislocation permet une transition subtile entre les topics. La notion de paire adjacente261 est alors capitale (M. de Fornel 1988 : 103, S. Pekarek Doehler 2001 : 181). En replaçant l’exemple 46 dans son contexte, il apparaît clairement que le thème de phrase (Eto’o) obtenu par dislocation contribue localement au rappel du topic de la séquence.

Y2 non + il déf- + non + pour Eto’o

Y3 c’est notre joueur + on l’aime

Y2 pour lui hein↗

Y3 Eto’o + on l’aime + c’est notre joueur (46)

Y2 lui il se dit que + il est un dieu au Cameroun + qu’il fait n’importe quoi on sera derrière lui

261 Une paire adjacente est une séquence de deux tours de parole consécutifs produits par des locuteurs différents (M. de Fornel 1988 : 102 ; S. Pekarek Doehler 2001 :182).

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3.2.2 LA DISLOCATION À DROITE

Toutes les dislocations à droite sont des cas de « double marquage » (M. Blasco-Dulbecco 1999 : 185). Soient les exemples suivants :

47) (68-15) B1 … tu veux voyager tu /⌀, je/ te dis que mais il sort /où, d’où/ le tetetetetetetete ?

48) (85-6) D4 il nangnangnangnang lui là au salon carrément + jusqu’à une heure

Dans les exemples 47 et 48, le substantif disloqué n’est pas sémantiquement indispensable à la construction. En 44 c’est une dislocation du sujet. En 47 c’est une dislocation d’un complément prépositionnel. Le lexique disloqué dans les deux cas est un rappel lexical, référentiel et syntaxique (M. Blasco-Dulbecco 1999 : 179). Ses rapports sémantiques avec le contexte sont donc limités. Il ne peut donc s’agir ni de présupposition ni de thématisation comme c’est le cas dans la dislocation à gauche.

Dans l’exemple ci-après la dislocation fait intervenir trois éléments (clitique + pronom + lexique) :

49) (111-1) D1 j’ai moi dit que tu as échoué toi cette fille

Le pronom clitique est repris par un pronom tonique et par un substantif apposé au pronom tonique. Il existe un lien sémantique étroit entre le clitique et le pronom tonique : « le clitique reçoit sa valeur sémantique du pronom tonique » (M. Blasco 1998 : 284). L’apposition permet d’identifier ce phénomène. Lorsque le pronom tonique et le syntagme nominal sont juxtaposés,

le pronom marque un contraste. La partie lexicale, elle, a des effets de sens plus variés, c’est une extension sémantique possible après le pronom tonique, comme si la valeur sémantique du pronom allait en se précisant […] seul l’ordre Pro + lex est possible.262

La dislocation des pronoms disjoints a un fonctionnement qui diffère de celui des éléments lexicaux.

3.3 LA DISLOCATION D’UN ÉLÉMENT SÉMI-LEXICAL

L’existence d’une classe de pronoms toniques dans les ouvrages scolaires de grammaire masque certains comportements spécifiques qui les scindent en deux groupes au moins263 :

262 M. Blasco-Dulbecco & S. Caddéo (2001 : 139). 263 P. Cappeau (2004 : 112-114) distingue trois séries de pronoms toniques sur la base de leurs propriétés distributionnelles : moi et toi ; lui et eux ; elle(s), nous et vous.

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LES DISPOSITIFS SYNTAXIQUES

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- ceux qui peuvent occuper tout seuls la fonction sujet. Ce sont les pronoms lui, elle, eux, elles. Ils sont susceptibles d’apparaître dans le séquence Nom [± humain] + Pro.

- ceux qui sont inaptes à remplir tout seuls la fonction sujet. Il s’agit de moi, toi, nous, vous. Ils doivent être obligatoirement repris par un clitique correspondant. Ils apparaissent dans la séquence Pro. + Nom [+ humain]) (S. Caddéo 2004 : 148).

3.3.1 LA SÉQUENCE (LEXIQUE) +TONIQUE + CLITIQUE

Lorsque le pronom tonique se place avant le pronom clitique dans la zone préverbale, l’effet sémantique est celui d’un contraste.

50) (123-14) Y2 attends Drogba regarde le geste de Drogba + lui il encourageait

51) (127-20) Y2 Tisier lui il a arrêté un ballon

52) (230-8) L1 les gens eux ils ont trouvé où ?

53) (121-13) D2 elle passe chez toi toi tu es qui ?

Dans chacun de ces exemples, le pronom tonique oppose les sujets à d’autres personnes ou à d’autres groupes. C’est pourquoi H. Nølke (1997) estime que le pronom disjoint joue un rôle discursif important, soit en tant qu’« élément focalisé » (exemple 54),

54) (13-22) B3 laisse l’affaire de moyens-là + lui t’emmène là-bas en tant que XX

ou en tant qu’« élément focalisateur » (exemples 50-53)264. Le même type d’analyse se retrouve chez Cl. Blanche-Benveniste et al. (1987 : 49-50) :

Dans le cas de lui succédant à un élément lexical, on a affaire à une particule individualisante, et on est dans le domaine des inductions de sens : tout élément lexical auquel s’adjoint un lui sera affecté d’un sens individualisant.

Le pronom disjoint et le clitique ne sont pas étroitement liés. Ils ne partagent pas la même fonction syntaxique car des éléments peuvent s’insérer entre le pronom disjoint et le pronom clitique comme c’est le cas dans les exemples ci-après :

55) (18-2) B1 lui quand il te dit que : + je vais te piquer + tu me suis un peu non↗

56) (31-25) B1 moi + moi avec les maths-là que j’ai versé ?265

264 « Une analyse plus poussée montre […] que seuls les pronoms de la série lui, elle, eux, elles acceptent de jouer les deux rôles discursifs ; les pronoms moi, toi, nous, vous, ne peuvent être que focalisés. » (S. Caddéo 2004 : 146). 265 Glose : j’ai eu une mauvaise note en maths.

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Le tonique ici est adjoint à l’ensemble de la construction verbale et sert de cadre énonciatif. En effet,

quand il est préfixe d’un noyau dans une construction macrosyntaxique moi ne fait plus partie intégrante du morphème sujet : soit il est employé seul, soit il est autonome et linéairement éloigné de je. Dès lors, il s’inscrit assez régulièrement à la tête d’une chaîne d’éléments flottants […] comme s’il représentait une borne.266

L’antéposition du complément temporel est facilitée par la présence initiale du pronom tonique (M. Blasco-Dulbecco 2004 : 136). Le pronom disloqué avant le verbe marque un contraste. Il désigne un élément qui se distingue des autres de la même « espèce » (M. Blasco-Dulbecco 1999 : 180 ; M. Blasco-Dulbecco & S. Caddéo 2001 : 135). Cet effet de « singularisation » P. Charaudeau (1992 : 124 et 129) est aussi perceptible avec le tonique moi, même si l’on observe par ailleurs un fonctionnement spécial de la collocation moi je.

3.3.2 LE TYPE MOI JE

D’après M. Blasco-Dulbecco (1999, 2004, 2006) moi est le pronom le plus représenté dans la dislocation à l’oral. Comme tous les pronoms toniques, il joue un rôle discursif important, mais il convient de nuancer les fonctions purement énonciatives qui lui sont d’ordinaire attribuées afin de mettre à jour ses comportements syntaxiques singuliers.

Moi possède tout d’abord une valeur contrastive souvent par opposition avec un autre pronom tonique (exemple 57), mais aussi avec un lexème ou un clitique (exemple 58). Le contraste ne repose pas exclusivement sur la présence des toniques, mais sur tout un ensemble de marques morphologiques, lexicales et syntaxiques (M. Blasco-Dulbecco 2006 : 30). En 57 c’est la comparaison (comme) et la négation (d’une attitude). En 58, c’est la juxtaposition de deux actions réparties sur deux constructions verbales et les antagonistes se retrouvent dans la CV qui leur est associée.

57) (104-27) D6 non oh moi je ne suis pas comme toi + je ne suis pas comme toi

58) (30-8) B1 … elle a beau fatiguer l’anglais moi je vais signer sur mes huit en anglais

Dans cet emploi, le tonique admet en FRACAM le spécifieur aussi

59) (9-8) B2 l’enfant de quelqu’un comment ? + moi aussi je suis l’enfant de quelqu’un

266 M. Blasco-Dulbecco (2006 : 32).

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De la même manière, le spécifieur même est un prolongement sémantique du pronom tonique. Dans cet emploi en FRACAM, moi-même a le même sens que moi aussi.

60) (114-17) D3 moi-même j’ai déjà faim hein

Le deuxième statut de moi est celui qui traduit les postures énonciatives du locuteur ou tout simplement une prise de parole :

61) (145-7) L4 c'est les femmes parce que moi hein moi je dépose la marchandise- là je paye l'entrée je dépose la la marchandise le matin même en venant qu'on a déjà tout transporté

Le premier moi pose le cadre de l’énoncé, il apparaît d’ailleurs sans je. Ensuite moi je semble équivalent syntaxiquement aux deux occurrences de je de ce tour de parole. Toujours disloqué à gauche, moi je apparaît avec des verbes de parole ou d’opinion (dire, penser) :

62) (94-2) D1 moi je dis que hein↗ + si Henry veut me montrer qu’il est un attaquant hein↗ il part en Italie

63) (123-9) Y5 ce n’est pas pour rien que moi je dis ça

Dans cet emploi, moi n’est pas un pronom disloqué en redondance avec le clitique en dépit de l’expressivité qui se dégage de la cooccurrence de moi et je. De par leur solidarité manifeste, moi et je semblent ne constituer qu’un seul morphème (M. Blasco-Dulbecco 2004 : 133 ; 2006 : 30, Cl. Muller 2002 : 76). M. Blasco-Dulbecco (2004) parle d’un morphème complexe dont les « deux têtes » sont toujours contiguës. En conversation ceci peut se vérifier par la frontière des amorces :

64) (234-27)L2 moi j’ai

L1 à lui seul ?

L3 oui il est le le enfin + c’est Arse- c’est Arsenal qui lui demande

L2 j’ai cru que enfin je suivais plutôt à la radio la colère de de Bell-là + oui oui

Il apparaît clairement que le locuteur L2 interrompu énonce le segment sujet en entier (moi j’ai) avant de reprendre quelques secondes plus tard mais cette fois avec l’équivalent syntaxique je. En tant que morphème à deux éléments moi je, sur le modèle de je, ne se laisse pas prolonger par un élément apposé (Cl. Blanche-Benveniste et al. 1990 : 88).

Disloqué après le verbe, moi est en prolongement syntaxique et sémantique du pronom clitique sur lequel est centré la distribution. Le pronom disjoint peut être nécessaire à

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un prolongement sémantique de type déterminatif (M. Blasco-Dulbecco 2006 : 29) ; j’ai moi-même signé un protocole sur la mise en œuvre des primaires). Notre corpus de FRACAM offre très peu de dislocation du clitique après le verbe. Il en est sorti un seul exemple pour moi :

65) (36-15) B1 je wandawandawandawanda moi-même

Cet exemple est d’ailleurs problématique dans la mesure où il serait plutôt équivalent à « moi aussi ». En revanche, les exemples de prolongement sémantique avant le verbe abondent :

66) (105-10) D2 non l’année prochaine mon ami si ce n’est pas les deux c’est que moi-même je ne bûchais pas

67) (153-22) L4 moi-même je dis arrange comme ça dès que je tourne le dos elle part aussi

68) (183-19) LC parce que là moi-même j’ai déjà une maison construite

69) (14-6) B3 X toi-même tu pouvais imaginer que tu devais être à Douala ?

70) (73-2) D2 tu fabriques toi-même tu fabriques pour toi

71) (138-20) Y4 et lui-même il a prouvé même ça il a triché il a pris un penalty

Le prolongement sémantique du tonique en FRACAM se ferait donc majoritairement du côté gauche alors qu’en français parlé de France le prolongement sémantique est très fréquent à droite de la construction verbale. La différence entre FRACAM et français parlé en hexagone se creuse en ce qui concerne la fréquence de réalisation du type je moi. À droite du verbe, moi occupe deux positions : immédiatement après le verbe (entre le verbe fais partie et le complément prépositionnel de l’association), ou bien à la fin de l’énoncé comme l’indique l’analyse distributionnelle de M. Blasco-Dulbecco (2004 : 131) :

- c’est dans ce but-là que jejejeje fais partie moi moi moi moi de l’association

- c’est dans ce but-là que jejejeje fais partie de l’association moimoimoimoi

Il a été difficile de relever une distribution équivalente du pronom tonique moi en FRACAM. Les dispositions ci-dessus sont donc rares dans l’oral camerounais. En revanche une distribution assez fréquente de je moi en FRACAM n’apparaît pas dans les exemples de M. Blasco-Dulbecco. Elle se retrouve dans les exemples suivants :

72) (40-18) B3 mon ami + pardon je veux moi gogogogo bûcher

73) (51-3) B3 gars je suis moi djumdjumdjumdjum moi avec P.

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74) (111-1) D1 j’ai moi dit que tu as échoué toi cette fille

De prime abord, je moi semble postposé au verbe. Un examen plus attentif révèle que moi se place à l’intérieur même du complexe verbal. Ce qui correspondrait pour l’exemple de M. Blasco-Dulbecco ci-dessus à la distribution suivante non répertoriée pour le français hexagonal

- c’est dans ce but-là que jejejeje fais moimoimoimoi partie de l’association

Cette dislocation du type moi je constitue un cas particulier de dislocation à droite car ses rôles sémantique et syntaxique sont quelque peu différents de ce qui s’obtient dans les cas classiques de dislocation à droite du pronom tonique comme nous le verrons ci-dessous.

3.3.3 LA SÉQUENCE LEXIQUE/CLITIQUE + TONIQUE

L’examen d’un corpus important de français parlé permet à M. Blasco (1998 : 277) d’avancer que « les constructions avec un pronom tonique disloqué après la construction verbale sont des cas de ‟prolongement pronominal” ». Cette auteure distingue deux effets possibles de la dislocation à droite en ce qui concerne les pronoms disjoints. Pour un énoncé comme je l'ai rencontré lui l'année dernière, deux interprétations hors contexte sont possibles:

- la dislocation à droite est un double marquage de la fonction syntaxique. Elle correspond à un étalement du paradigme du pronom disloqué sur l'axe syntagmatique car

le double marquage n'entraîne aucune interprétation sémantique particulière comparativement au cas où le clitique apparaît seul dans la construction verbale; le pronom clitique et le pronom tonique entretiennent une relation de coréférence.267

- dans un second cas, le pronom clitique marque une opposition sémantique avec un élément de type elle de la même manière que le ferait une modalité négative ou restrictive (je l’ai rencontré lui pas elle).

Dès lors, l'emploi du pronom tonique en prolongement du pronom clitique devient indispensable pour rendre cet effet et le sens serait autre si le clitique apparaissait seul dans l'énoncé. (idem).

Notre corpus de FRACAM ne présente aucun exemple de dislocation à droite du pronom disjoint coréférentiel à un complément d’objet. Les effets sémantico-syntaxiques énoncés ci-dessus étant valables pour la dislocation du sujet, notre étude sera restreinte à des éléments nominaux ou pronominaux en fonction sujet.

267 M. Blasco (1998 : 277).

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3.3.4 LE SUJET À DEUX TÊTES

Une évaluation globale de la linéarité dans des prédications à dislocation de pronoms toniques est nécessaire afin de démontrer la spécificité du pronom tonique que nous qualifions « intra-verbal » en FRACAM. Tous les pronoms disjoints sont concernés ainsi que le démontrera l’analyse distributionnelle des exemples extraits du corpus.

75) (86-1) D2 avec lui vraiment : + il faut seulement wetwetwetwet quand il gogogogo slipslipslipslip là + quand il gogogogo slipslipslipslip tu kemkemkemkem toi

La brièveté de la construction verbale (tu kemkemkemkem toi) ne permet pas d’établir clairement la différence entre ce tonique et celui qui est employé couramment en français de référence (je fais partie de l’association moi). Les exemples qui suivent sont plus révélateurs de cette différence. Des manipulations sur les constructions à dislocation mettent en évidence les conditions de réalisation du tonique « intra verbal » :

76) (10-1) B1 tu sais il y a les paterpaterpaterpater que tu grossis sa fille il ne dit lui jamais à la fille que : il est comme ça là le gars c’est qui non↗

Nous déplaçons le tonique afin de tester si d’autres places permettent de garder le sens de l’énoncé de départ. Les points d’interrogation indiquent une inacceptabilité en FRACAM pour le sens de l’énoncé original. Certains énoncés marqués d’un point d’interrogation sont tout à fait conformes à la norme standard, ce qui permet de relever le décalage sémantico-syntaxique entre le français standard et le FRACAM.

- il ne dit lui jamais à sa fille …

- ? il ne dit jamais lui à sa fille …

- ? il ne dit jamais à sa fille … lui

Pour l’exemple (76), le test distributionnel n’est pas satisfait pour les autres positions syntagmatiques. Nous prenons un autre exemple :

77) (47-14) B2 le gars /pointe, a/ un petit kolokolokolokolo il part boire sa bière avec il est lui tranquille

- il est lui tranquille

- ? il est tranquille lui

Lorsque le verbe est complexe comme dans les exemples 78 et 79 qui referment un complexe verbal à trois éléments (vouloir go go go go bûcher), ou que le verbe est conjugué à un temps composé, le comportement spécifique du tonique « intra-verbal » est patent :

78) (111-1) D1 j’ai moi dit que tu as échoué

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- ? j’ai dit moi que tu as échoué

- ?j’ai dit que tu as échoué moi

En dehors de la place initiale qu’il occupait entre l’auxiliaire et le participe passé, moi n’accepte aucune autre distribution dans cet emploi spécifiant du sujet. Dans l’énoncé suivant réduit à la structure de base sujet + verbe, le tonique se déplace d’un endroit à un autre en gardant ses propriétés :

79) (40-18) B3 mon ami + pardon je veux moi gogogogo bûcher (= exemple 72)

- je veux moi gogogogo bûcher

- je veux gogogogo moi bûcher

- je veux gogogogo bûcher moi

Si on y ajoute un complément prépositionnel, le tonique ne peut pas se placer après ce dernier268 :

- ? je veux go bûcher à la maison moi

C’est une mobilité qui s’observe exclusivement à l’intérieur de la locution verbale. Elle est traduite par cet autre exemple

80) (51-3) B3 gars je suis moi djum djum djum djum moi avec P.

En fait, la double réalisation de moi doit être imputée au mécanisme de production de l’oral. La transcription fait apparaître toutes les traces de la production contrairement à l’écrit qui ne livre que la version finale en occultant la phase du brouillon (Cl. Blanche-Benveniste & C. Jeanjean 1987). Au-delà de ce fait, ce que cet exemple révèle c’est la possibilité d’insérer le tonique moi à deux endroits correspondant à deux réalisations valables et synonymes en FRACAM.

- je suis moi djumdjumdjumdjum avec P.

- je suis djumdjumdjumdjum moi avec P.

La synonymie n’existe pas en syntaxe (F. Gadet 1997b, E. Garcia 1997). Mais dans ce cas précis, il s’agit de la même construction animée d’une motivation pragmatico-cognitive. Le déplacement du tonique est favorisé par les expressions verbales complexes du français

268 Les énoncés obtenus peuvent être grammaticaux au regard de la norme standard. Les effets sémantico-syntaxiques de l’énoncé original sont cependant perdus. Le point d’interrogation symbolise donc ce décalage par rapport aux normes sociales endogènes.

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(temps composés, locutions verbales, auxiliaires modaux). Ce déplacement est syntaxiquement restreint à la zone verbale.

Le verbe exerce donc une attraction forte sur le pronom tonique l’empêchant ainsi de s’éloigner du clitique dont il est le double marquage. En cas de modification du verbe par un adverbe, l’attraction s’exerce toujours :

81) (85-4) D2 XX il il exagère il se couche lui carrément sur le canapé pour dormir

L’adverbe (carrément) est compris dans le groupe verbal. Il ne peut être extraposé ni au début ni à la fin de cet énoncé.

- * il se couche lui sur le canapé pour dormir carrémentcarrémentcarrémentcarrément

- * carrémentcarrémentcarrémentcarrément il se couche lui sur le canapé pour dormir

Il ne peut pas non plus être l’objet d’une extraction :

- * c’est ccccarrémentarrémentarrémentarrément qu’il se couche lui sur le canapé

Ces contraintes syntaxiques démontrent que la mobilité de l’adverbe dans cet énoncé est très réduite sinon inexistante269. Quant au pronom tonique, il a la réputation d’être mobile (M. Blasco-Dulbecco & S. Caddéo 2002). Dans l’énoncé (81) pourtant, le tonique est fixé par le verbe.

il il il il se couche lui lui lui lui carrément sur le canapé (81)

?ilililil se couche carrément lui lui lui lui sur le canapé

? ilililil se couche carrément sur le canapé lui lui lui lui (FS)

Une première explication du comportement du tonique « intra-verbal » se trouve dans la délimitation de la « zone de rection ». En effet, lorsque l’élément disloqué dépasse « la borne morphologique de la construction verbale » il sort de la rection du verbe (M. Blasco-Dulbecco 1999 : 142-164). De même en FRACAM, lorsque le pronom tonique s’éloigne de « la borne morphologique » du sujet, il perd la propriété syntaxique de marqueur de sujet. Cette affirmation peut se vérifier en déportant le tonique dans l’exemple (81) à la fin de l’énoncé :

- il il il il se couche carrément sur le canapé pour dormir lui lui lui lui

269 Il se distingue ainsi de l’adverbe dit complément de phrase du type « curieusement, mon frère est sorti ce matin ».

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Lui se rapporte-t-il toujours au clitique il en début d’énoncé ? D’après les apparences il s’agit ici d’une structure du type

- c’est dans ce but-là que jejejeje fais partie de l’association moi moi moi moi (M. Blasco-Dulbecco (2004)

dans lequel le pronom disjoint est extraposé à la fin de l’énoncé. Dans ce cas, lui est effectivement une reprise du clitique et toutes les analyses faites en double marquage et prolongement pronominal (parfois contrastif) tiennent. Mais en réalité, ce qui se passe c’est que l’énoncé a évolué d’une seule construction verbale à deux constructions verbales :

1. il se couche carrément sur le canapé, et

2. (pour) dormir lui

Il est sujet de se couche et lui est sujet de dormir. Si lui entretient quelque rapport de coréférence avec il, sur le plan purement syntaxique il n’en ont aucun. Les pronoms il et lui se rattachent chacun à un verbe différent (il se couche ; lui dormir). Ceci revient à dire que le pronom tonique « intra-verbal » participe effectivement au marquage de la fonction sujet. En fait, tout se passe comme si le clitique ne joue qu’un rôle indiciel (D. Creissels 1991, 1995) et c’est le tonique, élément semi-lexical, qui occupe effectivement la place de sujet. Le sujet dans cette optique ne peut se résumer à une fonction syntaxique. Il est le siège ou le support de la prédication.

Ceci débouche infailliblement sur une analyse thématique qui sera traitée à la suite de l’analyse syntaxique.

La borne de rection confine le tonique auprès du verbe recteur. L’analyse en double marquage mérite d’être complétée parce que le pronom tonique « intra-verbal » présente un comportement qui diffère des cas de double marquage classiques. En effet, le pronom disloqué ne peut se mettre à la fin de l’énoncé comme nous venons de le démonter.

Un autre critère de différenciation est le refus des « quantificateurs flottants » (même, en personne) qui servent à préciser davantage le sémantisme des toniques disloqués à droite (M. Blasco 1998 : 281) :

- ? il est lui-même tranquille

- ? j’ai moi-même dit que tu as échoué

- ? tu kemkemkemkem toi-même

Il faudrait donc affiner la description de la séquence clitique + tonique en FRACAM. L’approche en « zones de rection » fournit un cadre d’analyse permettant de distinguer les

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emplois des pronoms en cas de cumul. P. Cappeau (2004 : 108) distingue trois emplacements relatifs au verbe : la zone préverbale, la zone verbale et la zone postverbale. Le tableau270 qui suit donne une meilleure visibilité aux exemples issus du FRACAM. Ils sont comparés aux énoncés générés par l’analyse distributionnelle dont la grammaticalité ne fait point de doute en français standard, mais qui exprime une relation différente entre le tonique et le reste de la construction verbale.

ZoneZoneZoneZone préverbale préverbale préverbale préverbale

ZoneZoneZoneZone verbaleverbaleverbaleverbale ZoneZoneZoneZone postvpostvpostvpostverbaleerbaleerbaleerbale

tu kemkemkemkem toi

il ne dit lui jamais à sa fille

il ne dit jamais à sa fille lui (FS)271

il est lui tranquille

il est tranquille lui (FS)

j’ai moi dit que tu as échoué

j’ai dit que tu as échoué moi (FS)

je suis moi djumdjumdjumdjum avec P.

je suis djumdjumdjumdjum moi

je suis djumdjumdjumdjum avec P. moi (FS)

270 Les colonnes d’extraposition à gauche et à droite du verbe ont été supprimées parce que les toniques postposés sont tous des doubles marquages de la fonction sujet. L’extraposition n’est donc pas pertinente pour leur analyse. 271 Français standard.

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Comme l’ont remarqué M. Blasco-Dulbecco (1998 : 277) et M. Blasco-Dulbecco & S. Caddéo (2001 : 139) pour la dislocation à droite du pronom tonique (le SN disloqué étant un objet), le tonique « intra-verbal » entretient un lien sémantique étroit avec le pronom clitique : il lui apporte un développement capital pour sa saisie référentielle. Il possède en plus d’autres caractéristiques énumérées ci-dessous :

- il s’applique exclusivement au double marquage de la fonction sujet. Sont donc exclus les exemples du type « je l'ai rencontré lui l'année dernière »272. Le tonique « intra-verbal » accompagne exclusivement des sujets pourvus du trait sémantique [+humain]273 ;

- le prolongement et syntaxique et sémantique qu’il opère sur le clitique rend sa présence obligatoire. La différence sémantique entre il il il il est tranquille et ilililil est luiluiluilui tranquille est nette ;

- le tonique « intra-verbal » ne produit pas d’effet de contraste. Il concentre toute sa charge sémantique sur le sujet274.

- la contrainte de proximité entre le tonique et le clitique le plus proche est valable pour toutes les dislocations à droite (M. Blasco-Dulbecco 1999 : 163). En plus, le tonique le tonique le tonique le tonique «««« intraintraintraintra----verbalverbalverbalverbal » ne quitte pas la zone verbale» ne quitte pas la zone verbale» ne quitte pas la zone verbale» ne quitte pas la zone verbale. Il a une place fixe après le verbe, complémentaire de la place du clitique avant le verbe. Ainsi, les deux pronoms constituent ensemble un «««« sujet à deux têtessujet à deux têtessujet à deux têtessujet à deux têtes »»»».

- Le tonique « intra-verbal » refuse l’apposition, contrairement au double marquage de sujet en français parlé de France :

- il est plein de tchatche lui Papin

- nous pourrions, nous, élus de l’Ile-de-France, vous en parler avec précision mais nous ne vous apprendrions rien, monsieur le ministre, nous le savons bien275

Ces exemples s’opposent à ceux du FRACAM qui refusent l’apposition :

272 Type de construction qui n’a d’ailleurs pas été relevé dans le corpus. 273 Nous pensons que l’emploi du tonique intra-verbal soit possible avec les animaux dans la mesure où ils ont une motricité autonome. Quand on sait les rapports étroits que certains africains entretiennent avec les animaux (relations totémiques par exemple), notre réticence ne se justifie que par le manque d’exemples attestés. 274 Il suffit de regarder les contextes d’apparition pour voir qu’il n’y a aucun effet de comparaison avec une d’autres personnes. 275 M. Blasco-Dulbecco & S. Caddéo (2001).

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- ? il est lui Paul tranquille

- ? il se couche lui Jean carrément

Toutes ces caractéristiques montrent que le pronom tonique n’est pas un constituant de surcroît en simple prolongement du clitique, mais que les deux types de pronoms sont indissociables pour une saisie référentielle pertinente du sujet.

Par conséquent, l'interprétation syntaxique de ce type de construction dépasse le cadre de la dislocation de même que la relation référentielle entre le pronom clitique et le pronom tonique déborde du cadre de la coréférence puisque le pronom tonique agit tel un spécificateur sémantique.276 Ceci nous ramène à l’analyse de la structure informative de cette construction.

Le couple thème-rhème est omniprésent dans l’analyse linguistique. En dépit de l’impression d’un savoir immédiat et partagé, Le thème est une notion dont les contours sont mal définis parce que le phénomène ressortit à une multitude de point de vue (sémantique, logique, pragmatique, énonciation) (M. Galmiche 1992 : 3). Par conséquent, il est judicieux de distinguer les deux plans (phrastique et discursif) auquel il s’applique (P. Cadiot 1988). L’Ecole de Prague réserve le couple sujet-prédicat à l’analyse proprement syntaxique et assigne au couple thème-rhème un rôle purement informatif (C. Touratier 2003 : 259). Cette distinction terminologique sera reprise dans l’analyse de la structure informative de la séquence clitique + tonique. Pour les exemples précédents ((77) il est lui tranquille et (78) j’ai moi dit que tu as échoué), la thématisation277 du sujet s’effectue par l’emploi simultané du clitique et du tonique. Une analyse communicative de l’énoncé fera de il lui et je moi des éléments connus (le rhème est nouveau). Le thème est alors un élément de désignation (et le rhème appartient à la signification). (C. Feuillard 2005 : 263). Le problème de cette analyse réside dans la répartition de la charge informative. Il est en effet considéré que le thème apporte moins d’information que le rhème. Il semble que l’information dans le thème n’est pas du même ordre que celle qui est contenue dans le rhème. Il serait donc plus juste de parler de focalisation du sujet.

La dislocation du sujet en fait un focus c’est-à-dire « l’élément informatif qui est spécialement mis en relief […] et qui devient de ce fait l’élément informatif le plus important » (C. Touratier 1993 : 59 ; 2003 : 267). Dire que je moi et il lui des exemples de FRACAM sont

276 M. Blasco (1998 : 277-278). 277 La thématisation est 1) une sélection du thème c'est-à-dire assignation du rôle thématique à l’élément sélectionné ; 2) une mise en évidence qui en facilite le repérage par l’interlocuteur (C. Feuillard 2005 : 196).

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focalisés n’apporte pas vraiment une différence d’analyse avec le je moi mis en évidence par M. Blasco-Dulbecco (2004) dans les énoncés je fais partie moi de l’association et je fais partie de l’association moi. Cependant, si on s’accorde à penser avec J. Perrot (1994 : 16) que « rien ne justifie l’exclusivité attribuée à priori comme une évidence à [la] structure binaire » de l’énoncé, la triade apport, support, report devient la plus apte à démontrer la spécificité sémantique de je moi en FRACAM.

Le support est l’élément volontairement posé […] doté d’une vision d’indépendance. L’apport est

l’élément que l’on pose, et il est vu comme un comportement lié à une vision de dépendance (apport →

support). […] Le propos est une relation entre une entité et un comportement.278

Le support et l’apport correspondent grossièrement au thème et au rhème même si le support « n’est pas exactement ce au sujet de quoi, mais ce à propos de quoi le locuteur dit quelque chose »279 (C. Touratier 1993 : 50, 2003 : 270). Le report quant à lui est un élément facultatif de la structure informative. Dans un énoncé comme « c’est dans ce but que jejejeje fais partie de l’association moimoimoimoi » (M. Blasco-Dulbecco) le tonique disloqué apparaît comme un élément post-rhématique correspondant au report, c’est-à-dire à un élément ajouté après-coup. Ce qui n’est pas le cas avec dans « iiiillll est luiluiluilui tranquille ». Le tonique en FRACAM appartient à la structure informative minimale support + apport.

4 CONCLUSION

À la fin du traitement de la dislocation en FRACAM, il se dégage un certain nombre de ressemblances entre ce dernier et le français ordinaire de l’hexagone. Quelques effets de la vernacularisation sont cependant perceptibles pour certains arrangements sur l’axe syntagmatique. Ainsi, dans la dislocation du pronom tonique du type je moi , le pronom peut recevoir un quantificateur flottant (même) (j’ai moi-mêmemêmemêmemême signé le protocole…). Tout en gardant la possibilité d’utiliser cette construction, le FRACAM a développé une variante concurrentielle en moi je. On obtiendrait alors pour l’exemple ci-dessus « moimoimoimoi-même j’j’j’j’ai signé le protocole », avec une signification équivalente. En FRACAM, le spécifieur est le plus souvent utilisé dans la dislocation à gauche comme l’attestent les exemples 66 à 71. Lorsqu’il est parfois utilisé à droite, son rapport avec le français standard et le français

278 B. Pottier (1974 : 41-42) in C. Touratier (2003 : 270). 279 Le support a deux valeurs différentes : ce à l’occasion de quoi le locuteur dit quelque chose (cadre de l’énoncé) ; ce au sujet de quoi le locuteur dit quelque chose, qui est le thème proprement dit de son propos (C. Touratier 2003).

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CHAPITRE V

LES DISPOSITIFS SYNTAXIQUES

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hexagonal peut être purement formel comme dans « je wandawandawandawanda moi-même »280 qui équivaut sémantiquement à « je wandawandawandawanda moi aussi » et non pas à « je wandawandawandawanda personnellement ». Le dernier point de divergence (et à notre avis l’un des plus importants) entre le français de référence et le FRACAM à propos des dislocations est la syntaxe des « sujets à deux têtes ». En effet, le prolongement syntaxique et sémantique qu’il opère sur le clitique rend sa présence obligatoire (différence sémantique claire entre il est tranquille et ilililil est luiluiluilui tranquille). En plus, le tonique « intra-verbal » ne produit pas d’effet de contraste et n’admet pas d’apposition. Il concentre toute sa charge sémantique sur le sujet, à ce titre, il est indexé au verbe en complémentarité avec le clitique. La place que ce pronom tonique occupe entre l’axillaire et le participe dans les temps composés est le signe de cet attachement à la zone verbale :

(78) j’ai moi dit que tu as échoué toi cette fille.

L’étude des contraintes sémantico-syntaxiques de cet ordre syntagmatique mérite d’être approfondie dans le cadre d’une approche sociolinguistique qui tienne compte de l’expression de la catégorie du sujet dans les langues du substrat. Il semble que ce soit l’un des emplois pour lesquels G. Manessy (1994 a) estimait qu’il était préférable de faire une étude énonciative sur les langues africaines plutôt que de chercher sur les formes en français des particularités dont on ne peut rendre compte qu’en termes d’écarts par rapport au français standard. Cet emploi du tonique « intra-verbal » peut en effet être une réinterprétation de la valeur de prolongement sémantique du pronom tonique au filtre du substrat socio-cognitif au Cameroun. Dans les chapitres suivants sur le discours rapporté et l’interrogation, nous verrons d’autres cas de réinterprétation des structures du français par le filtre de la sémantaxe.

280 Exemple 65 ; wandawandawandawanda : être étonné.

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CCHHAAPPII TTRREE VVII

LL EE DDII SSCCOOUURRSS RRAAPPPPOORRTTÉÉ

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CHAPITRE VI

LE DISCOURS RAPPORTÉ

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Chaque fois qu’un locuteur prend la parole, son discours, de manière consciente ou inconsciente, est traversé par d’autres discours qui l’ont précédé. C’est le principe dialogique énoncé par M. Bakhtine (1977, 1978)281. O. Ducrot (1984) s’inspire du dialogisme littéraire pour bâtir la théorie polyphonique de l’énonciation qui servira de cadre général à notre discussion sur le discours rapporté (désormais DR). Pour O. Ducrot, le DR dans sa forme directe est la forme la plus explicite de l’hétérogénéité discursive, laquelle est liée à

la possibilité toujours ouverte de faire apparaître, dans une énonciation attribuée à un locuteur, une énonciation attribuée à un autre locuteur282

Le DR est une stratégie de représentation d’un discours autre dont le modèle de base est construit principalement autour du verbe dire, prototype des verbes de parole.

L’objectif de ce chapitre n’est pas de retracer l’histoire des théories du DR. Nous nous servirons des descriptions classiques et des travaux plus récents en linguistique de l’énonciation pour répertorier les critères ayant servi à différencier les différents types de DR. Nous serons plus attachée aux valeurs pragmatiques que présentent les différents DR du FRACAM dans les récits conversationnels.

Toutefois, pour ne pas se perdre dans les dédales de la récursivité et de la réflexivité du langage, nous traiterons sous l’étiquette de DR tout énoncé dont la formulation laisse explicitement voir la prise en charge de deux discours par le sujet parlant. Ce qui signifie que nous utiliserons les critères formels d’usage pour identifier les différents DR. Cependant, étant donné que notre corpus est conversationnel, les reprises et les énoncés échos seront intégrés à l’analyse. Nous veillerons spécialement à ce qu’il y ait un indice discursif nous indiquant que l’énoncé analysé est une reprise d’un propos précédemment tenu dans la conversation dont il est extrait.

En relation avec l’une des questions de la problématique générale de cette thèse, il importe de mesurer l’impact de l’institution scolaire camerounaise283 sur les performances orales dans le domaine du DR. Nous pouvons alors nous demander si les formes prescrites par les grammaires normatives se retrouvent dans les énoncés produits par des personnes scolarisées comme le sont les informateurs présents dans notre corpus.

281 In E. Roulet et al. (1985 : 69). 282 O. Ducrot (1984 : 198). 283 Compte tenu de son importance dans l’expansion du français en Afrique et au Cameroun en particulier et compte tenu du fait que nos informateurs sont scolarisés dans des lycées et collèges. Certains enregistrements ont d’ailleurs été faits dans l’enceinte des établissement scolaires.

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CHAPITRE VI

LE DISCOURS RAPPORTÉ

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Certaines occurrences de la première personne posent problème quant à leur insertion dans la catégorie du DR. En raison du principe polyphonique que nous avons retenu, nous essayerons de démontrer en quoi les énoncés du type « je (te) dis (que) (hein)… » relèvent bien du DR .

Nous allons dans un premier temps décrire l'organisation syntaxique et les modalités énonciatives du DR en FRACAM. Dans un second temps, cette description nous permettra d'apporter notre contribution au chantier de réorganisation de l'appareil descriptif du DR en français (la trilogie DD – DI – DIL est de plus en plus difficile à appliquer, surtout à l’oral). Au préalable, nous ferons des comparaisons entre le fonctionnement du DR dans la variété camerounaise du français et les autres variétés de français (d’Afrique, d’Europe ou d’Amérique du Nord) pour tenter de dégager des tendances évolutives communes.

1 LA MISE EN RAPPORT DES DISCOURS

Le parcours historique et théorique du discours rapporté (L. Rosier 1999) indique que la description du discours rapporté s’est consolidée autour de trois formes majeures : le discours direct (DD), le discours indirect (DI) et le discours indirect libre (DIL) ; cet ordre étant présenté comme une gradation de la complexité de ses réalisations aussi bien sur le plan syntaxique que sur le plan énonciatif.

Le DR présente deux discours : un discours citant (Dct)284 et un discours cité (Dcé). Il est communément admis que l’imbrication de ces deux discours se fait au moyen d’une double hiérarchie syntaxique et énonciative.

1.1 LA HIÉRARCHIE MORPHOSYNTAXIQUE

Dans la tradition grammaticale française, c’est assez tardivement que le discours rapporté a véritablement été pris en compte. C’est la grammaire de Port-Royal, au XVIIe siècle, qui permet de fixer des critères syntaxiques pour la distinction DD/ DI (L. Rosier 1999). Les grammairiens privilégient le discours indirect à cause des réticences que leur inspire l’hétérogénéité prédicative du discours direct. Le DD est une juxtaposition de deux actes d’énonciation. Dans le DI un seul locuteur prend la parole, ce qui correspond mieux à

284 De la même manière tout autre terme servant à la description d’un élément de l’un ou de l’autre discours sera affecté du suffixe ct s’il appartient au discours citant et cé s’il appartient au discours cité. On aura donc Lct pour locuteur citant et Lcé pour locuteur cité.

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LE DISCOURS RAPPORTÉ

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la théorie générale des incidentes de l’époque. Cette logique unitaire de la prédication ne peut concevoir la parole de l’autre autrement que dans un acte de parole principal.

Il apparaît clairement que les quelques lignes qu'elle285 consacre au discours indirect ou plutôt, dans une conception active, au fait de rapporter indirectement des paroles, ne proposent pas une description différente de ce qu'on trouve actuellement dans nos grammaires, qui se contentent de radicaliser le principe transformationnel.286

Les formes canoniques de DR que sont le (DD) et (DI) ont longtemps été considérées comme des variantes syntaxiques (J. Rey-Debove 1983). La tradition scolaire considère le DD comme la base. Sa vertu réside dans l’iconicité et la fidélité. Vient ensuite le passage au DI où les diverses transpositions (personnelles, temporelles, déictiques) sont introduites, signalant de ce fait une adaptation du DD par le Lct qui, par cette opération, produit un discours infidèle.

J. Authier-Revuz (1992 : 38) s’inscrit en faux contre cette conception du DR. Ce que rapporte le DR c’est un acte d’énonciationacte d’énonciationacte d’énonciationacte d’énonciation et non une séquence signifiante. Le DD ne peut donc être ni « fidèle » ni « objectif ».

Même lorsqu'il cite textuellement - ce qui n'est pas nécessairement le cas, car sa propriété caractéristique est l'autonymie287, non la textualité -, il ne peut pas pour autant être considéré comme objectif dans la mesure où reproduire la matérialité exacte d'un énoncé n'est pas restituer l'acte d'énonciation - dont l'énoncé est (n'est que) le « noyau » - dans son intégralité.

Dans cette nouvelle acception du DR, le caractère autonyme (déjà contenu dans l’iconicité) du DR est maintenu. L’autonymie peut se définir comme le fait d’utiliser un signe pour renvoyer à lui-même. Cependant, la dichotomie rhétorique mention/usage288 avancée par J. Authier-Revuz (1992) pour distinguer le DD et le DI n’est pas plus satisfaisante que le critère de fidélité (iconicité) utilisé antérieurement par J. Rey-Debove (1983). Le fonctionnement en mention du DD correspondrait à un emploi autonymique du type: le chat est un félin, où le mot « chat » renvoie à la langue et non à l’animal concret. Ceci implique que seule la forme du Dcé importe au Lct. L. Rosier (1999) et U. Tuomarla (2000) démontrent à partir d’emplois effectifs tirés de la presse qu’il est difficile, voire impossible de considérer le DD comme un discours iconique ou autonyme. Les DR participent pleinement à la logique discursive des énoncés cadre comme nous le verrons. J. Authier-Revuz (1992, 1993) fait cependant une distinction importante : le DD est citation (monstration) alors que le

285 La Grammaire de Port-Royal. 286 L. Rosier (1999 : 27). 287 L’italique est de nous. 288 L’usage se retrouve dans des emplois du type « le chat dort »

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LE DISCOURS RAPPORTÉ

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DI est traduction (reformulation). Cet écart sémiotique se traduit par une distance syntaxique (le DD use de la juxtaposition et le DI se construit par le procédé de subordination), laquelle a généré tout le système de repérages affecté à la reconnaissance du DR.

1.1.1 LES REPÉRAGES DU DISCOURS RAPPORTÉ

La définition du DD pour l'écrit est faite d'une série d'indices grammaticaux (verbes de citation, références déictiques) et typographiques (guillemets, deux points, tirets, alinéa, italiques). Ces indices correspondent aux modulations facultatives de la voix à l'oral289. Ce sont des procédés de distanciation qui permettent au Lct de montrer que le discours qu’il rapporte a été antérieurement pris en charge par un autre locuteur. Alors que le DI est une version revisitée du discours originel par le rapporteur, le DD est une mise à distance maximale où le Lct veut selon le cas signifier deux types de textualité : soit il veut tout simplement montrer sa neutralité, ou alors il veut faire part de sa divergence d’opinion quant aux propos cités. Le Lct peut aussi vouloir faire prévaloir son désir d’objectivité même si les mots qu’il emploie ne sont pas exactement ceux du Lcé (D. Maingueneau, 1991 :102). Le choix du verbe introducteur n’est pas anodin dans la cotextualisation de cette distanciation.

1.1.1.1 Les verbes introducteurs

Les verbes de citation sont nombreux à l’écrit. Ils traduisent une recherche stylistique de l’auteur pour coller au plus près du cadre énonciatif ayant suscité les segments rapportés. U. Tuomarla (2000 :130) distingue les verbes dénotant la manière de dire (marqueurs d'intensité: murmurer, souffler, s'écrier, clamer, hurler, vociférer, etc. ; marqueurs de la qualité de la voix: susurrer, beugler, bougonner, brailler, gazouiller, glapir, rugir, zézayer etc. ; qualité de voix et attitude: grommeler, ronchonner) ; les verbes directifs : (ordonner, commander) ; les verbes émotifs (supplier, prier etc.) ; les verbes conversationnels (organisateurs de la conversation: commencer, continuer, poursuivre, répéter, ajouter, terminer; interrompre; repartir, reprendre, répliquer). Enfin, elle remarque la tendance toujours plus large à l'intégration des verbes en position d'introducteurs, de même que l’estompement des frontières pour ce qui concerne la spécification des verbes pour l'une ou l’autre des formes canoniques de DR.

De manière générale, l’oral offre une palette bien moins riche. Le discours rapporté est majoritairement introduit par un verbe de parole dont le prototype est dire. Dans notre

289 Notre corpus présente très peu d’effets vocaliques de discordance énonciative alors que la grande majorité des DR fonctionnent discursivement comme DD.

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LE DISCOURS RAPPORTÉ

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corpus, lorsqu’il y a un verbe introducteur, dire est celui qu’on retrouve dans la très grande majorité des cas. La variété spécifiquement camfranglaise n’est pas en reste. Elle aussi fait usage de deux verbes équivalents « teltelteltel » (il est le plus récurrent) et « taritaritaritari » (rencontré une seule fois dans le corpus) :

1) (64-1) B1 XX avant qu’elle a tel tel tel tel qu’elle attend + j’ai teltelteltel que ouais il faut attendre

2) (128-8) Y2 fini où ? il était même encore dans le match que + ou avant de taritaritaritari que pardon partez même

Les autres verbes de parole incluent parler et son équivalent camfranglais « spok »290, ou encore souffler (une seule occurrence) :

3) (128-16)Y3 on a parlé seulement que il était déconcentré + en tant que leader

4) (43- 6 à 9) B2 trois cent quatre-vingts /watts, là/ ?

B1 ouaih

B3 et quand on parle de trois cent quatre-vingts watts là ça sort entre deux phases

5) (92-2) D1 […] tu vois il spokspokspokspok un peu en parabole là que non il se sent un peu à l’aise en Angleterre XXXX tout tout tout tout

6) (129-1) Y7 pour souffler aux oreilles des ivoiriens que + tirez le ballon fort là on pouvait comprendre

Certains DR sont introduits par des verbes qui n’expriment pas directement une prise de parole ; il s’agit notamment de laisser dans l’exemple ci-dessous. On notera que le verbe est suivi du joncteur que qui est un indicateur privilégié de la frontière entre le discours citant et l’énoncé rapporté. La frontière énonciative est renforcée par le décrocheur non. Ces deux indices nous permettent de conclure qu’il s’agit bien d’un DR. On notera aussi que le système temporel narratif (passé composé) avant le verbe introducteur passe au présent de l’énonciation après les indices de décrochage énonciatif :

7) (22-1) B1 donc on m’a seulement XXX comme ça c’est le deuxième jour que le mberemberemberembere a a laissé que + non + il faut quand même appeler

Si l’on considère l’ensemble des instances de DR de notre corpus, dire est de loin le verbe le plus utilisé. Un constat similaire a été fait par M.-M. de Gaulmyn (1992) et D. Vincent & S. Dubois (1997) sur des corpus de récits conversationnels français et québécois

290 Et non pas spik (de l’anglais to speak) comme on s’y serait attendu.

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LE DISCOURS RAPPORTÉ

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respectivement. L’oral africain, tel que décrit par K. Ploog (2004), M. Italia (2005) et A. Queffélec (2006) épouse la même tendance. D. Vincent & S. Dubois (1997 : 94) estiment donc à juste titre que dire est « le verbe universel pour introduire un énoncé rapporté ».

Le statut illocutoire de ce verbe passe-partout n’est pourtant pas toujours clair. O. Ducrot (1984 : 151) distingue deux actes de langage véhiculés par le verbe dire. Un diredirediredire1111 qui correspond à l’acte d’asserterasserterasserterasserter et un diredirediredire2222 qui correspond à l’acte de montrer. montrer. montrer. montrer. Le DR,

même quand il reprend un discours antérieur, ne consiste pas en un simple rapport. Il crée une réalité originale : par le fait même de dire2 que quelque chose a été dit1 on dit1 quelque chose de nouveau291

L’usage métalinguistique de dire recouvre aussi la pensée dans les autocitations. Autrement, la pensée est traduite par la forme réflexive se dire signalée par J. Rey-Debove, De Gaulmyn et D. Vincent & S. Dubois (op. cit.). On trouve d’autres formules métadiscursives en vouloir dire ou pour dire :

8) (82-3 à 9) D1 il y a le porc au salon on et là hier je croyais XX même nangnangnangnang

D4 il y a les wéwéwéwé que tu veux hia hia hia hia tu veux tu entends seulement un ngrooo ngrooo

D1 je dis que mais il y a le porc ?

9) (206-24) LB bon moi je me dis que si je payais mon terrain je prétends payer toujours par là-bas (marchés)

10) (50-16) B2 ça veut dire que toutes les kermesses de ce collège je vais pointer chez toi

11) (128-24) Y7 pour dire qu’on doit le laisser

Les seules occurrences de vouloir dire se retrouvent dans une forme figée qui traduit tout de même la reformulation.

La présence d’un verbe introducteur est une caractéristique commune aux DD et DI. Il est très souvent suivi de que que la vulgate confine au DI. Nous verrons que dans le FRACAM, que passe allègrement la cloison pour se retrouver dans presque tous les énoncés à caractère polyphonique explicitement assumés par le locuteur.

291 O. Ducrot (1984 : 169).

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1.1.1.2 Le joncteur que

Si l’on se réfère aux grammaires usuelles, que est le joncteur par excellence du décrochage énonciatif en DR car il marque la frontière entre le Dct et le Dcé. Il n’a pas de fonction syntaxique et son rôle est d’assurer l’intégration syntaxique du segment rapporté dans la proposition rapportante en DI. Le résultat est une prédication unifiée analysable dans le cadre phrastique de la subordination.

1.1.1.2.1 « Que » subordonnant

Si l’on s’en tient toujours à la vulgate, que permet de subordonner le Dcé au Dct dans le DI. Nombreux sont les DR construits sur le mode de la subordination dans notre corpus.

12) (36-1) B2 ne tente même pas hein toute la classe a dit que si tu ne viens pas on ne présente donc on a encore …

13) (66-4, 5)B2 ça fait une semaine non? n’est-ce pas tu as dis quequequeque tu vas gogogogo avant de kem ?

14) (119-13) D2 on a dû lui dire que le petit frère là il a la tête qui chauffe hein↗

Les exemples 12 et 13 sont des DI. Le premier (12) a un sujet collectif (toute la classe). C’est un cas intéressant dans la mesure où il est difficile d’imaginer que tous les élèves aient parlé en chœur et pour énoncer un seul et même propos. Cette séquence signifiante ne peut être traitée en terme de fidélité ou de conformité à un énoncé précédemment réalisé. Le DR présente ici le résumé d’un débat dont nous ne saurons jamais ni la longueur ni l’intensité. Le Lct ne nous en donne que la teneur. Ce DI est donc bien une traduction ou une reformulation selon les termes de J. Authier-Revuz (1992). Le deuxième (13) est un DI classique où la deixis du Dct se recoupe avec celle du Dcé au niveau des personnes. Les deux protagonistes de Dct étaient déjà en interaction lors du discours originel. Le seul élément déictique dont on est sûr du décalage est le temps. L’exemple 14 est un DR du type « on dit » dont nous discuterons de la valeur dans le paragraphe consacré aux modalités d’attribution du dit (2.2). Pour l’instant il importe de remarquer que « le petit frère là il a la tête qui chauffe hein↗ » est bien régi par le verbe dire. Ce qu’il est difficile de faire en revanche, c’est de trancher en faveur de l’une ou de l’autre forme de base du DR. La présence de que subordonnant incite à considérer cet énoncé comme un DI. Que faire alors de la particule énonciative hein ? Sa valeur exclamative est une trace énonciative témoin de l’implication du locuteur dans ses paroles. Remarquons enfin qu’il n’y a pas de transposition temporelle dans le Dcé. Tout ceci laisse supposer que le

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Dcé est ici un DD et non un DI comme on serait en droit de s’attendre à le trouver après le que. Les exemples ci-dessous s’inscrivent dans une rupture syntaxique évidente après que :

15) (26-20) B1 […] je veux porter on dit que mon ami ne tente pas […]

16) (18-2) B1 lui quand il te dit que : + je vais te piquer + tu me suis un peu non↗

17) (9-15, 16) B4 […] elle tchat au man-là que + c’est toi qui a fait ça? i il dit que + noonoonoonoo :↗ c’était l’amusement

Dans l’exemple 15 « je » renvoie au locuteur du Dct. Après « que », les repères énonciatifs sont ceux d’un discours en instanciation : première personne du discours (mon) qui d’ailleurs fait partie d’une interpellation (autre marque du discours en instanciation). Le tour interpellatif « mon ami » et le « je » citant renvoient à un seul et même référent. À moins d’être dans un monologue, le locuteur ne peut s’interpeller lui-même. Or, d’après le corpus qui est conversationnel, l’énoncé que nous analysons s’adresse à un destinataire qui est bien distinct du locuteur. En fait le Dct fait le récit d’une scène familiale à son destinataire (son ami). C’est un cas de DD dont le contenu semble être projection imaginaire.

Dans les exemples 16 et 17 nous retrouvons le même procédé. Le dernier se termine sur une forme de négation « noo » qui elle aussi est une trace du discours au sens où l’emploie Benveniste292. Nous avons ainsi dans l’exemple 17 deux DD introduits par que : « c’est toi qui a fait ça? » et « noo: ».

Le joncteur que ne se limite donc pas au DI. La distinction syntaxique DD/ DI est caduque en FRACAM, ce qui crée un espace énonciatif particulier où les formes mixtes sont légion. Cette dernière série d’énoncés (15 à 17) illustrent ce qu’il est désormais convenu d’appeler « discours direct avec que ». Cependant, la distribution de que en FRACAM dépasse le cadre phrastique pour signaler la présence d’un énoncé rapporté en tout lieu de l’énoncé en cours de production.

1.1.1.2.2 « Que » joncteur énonciatif

Nous envisageons que ici dans les constructions où il n’est pas pris en charge par un verbe introducteur qui lui assurerait une intégration syntaxique directe. Considérons les énoncés ci-après :

18) (26-20, 21) B1 […] je veux porter on dit que mon ami ne tente pas + [rires] que ne tente pas ça avec le le tissu traditionnel-là

292 « Noo »est une variante assez fréquente du négatif non dans l’oral conversationnel du Cameroun.

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19) (21-6) B4 quand le manmanmanman est arrivé avec le X il a dit que on a volé XX il a dit que mon cher ami il n’y a pas de problème + que si tu continues c’est toi qui vas faire la prison XXX

Leur disposition linéaire pose problème si l’on s’en tient à une analyse microsyntaxique. Les que interviennent après la pause. En l’absence d’un élément de relation qui les unirait aux segments précédents, ils semblent flotter. L’analyse se fera alors dans le cadre de la macrosyntaxe telle que développée par l’Approche pronominale (AP). L’équipe du GARS a mis au point un instrument révélateur de constructions des énoncés, et qui respecte le mode de production de l’oral. L’oral et l’écrit se distinguent à ce niveau parce que l’écrit présente un texte dont la linéarité est irréprochable. La vérité est que le texte final est le résultat d’une série de révisions (ratures, corrections, réécriture) qui n’apparaissent pas à la surface du texte final. Inversement, l’oral laisse voir tout le processus d’élaboration du message par des hésitations, des reprises, des discours de suppression lorsque les amorces sont ratées etc.. L’oral donne alors l’impression d’une désorganisation réfractaire aux analyses syntaxiques classiques. La disposition en grille de l’AP permet une lisibilité en faisant découvrir l’ossature syntaxique des énoncés. Ainsi pour les exemples 18 et 19 on obtient :

(18) je veux porter on dit que mon ami ne tente pas

que ne tente pas ça avec le le tissu traditionnel-là

(19) il a dit que mon cher ami il n’y a pas de problème

que si tu continues c’est toi qui vas faire la prison

Dans les deux exemples il y a une reprise de que après la pause. En conversation, le deuxième que, en rappel de la première instance, fonctionne comme une béquille discursive servant à soulager la mémoire de l’allocutaire. Le déploiement maximal des énoncés donne à peu près ceci :

(18) je veux porter on dit que mon ami ne tente pas ça avec le tissu traditionnel-là

(19) il a dit que mon cher ami si tu continues c’est toi qui vas faire la prison

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Le même principe de relais est observé dans cet autre exemple (20) où le DIL (« comment ils vont dudududu là-bas ») est introduit par sciencer293 qui n’est point du tout un verbe de parole :

20) (76-7 à 11) D1 il avait dit qu’il gogogogo d’abord + bon arrivés ils vont sciencersciencersciencersciencer comment ils vont dudududu là-bas tu vois non↗ que par rapport à comment on va te donner l’info que bon voilà demain voilà tumorotumorotumorotumoro la réunion familiale après /il, elle/ tcha tcha tcha tcha

« Sciencer » évoque plutôt une activité cérébrale commune qui se terminera certainement en échange de paroles puisqu’il est indiqué dans le DIL que « ils » doivent se mettre d’accord. C’est ce qui peut justifier l’utilisation de que + DR sans verbe introducteur spécifique.

La position de que en début d’énoncé dans les deux exemples suivants est quelque peu insolite

21) (92-2, 3) D1 que est-ce que par rapport à l’avenir il dit que non il se sent un peu à l’aise en Angleterre

22) (14-19 à 24) B3 le pater un paterpaterpaterpater-là dans mon tong + on kemkemkemkem chez lui un sept heures on frappe + tu me suis un peu non ? + on kemkemkemkem on le retire seulement de la maison comme ça là

B2 on mmmmufufufuf le paterpaterpaterpater ou l’enfant ?

B4 le paterpaterpaterpater ? l’enfant ?

B3 non que le paterpaterpaterpater se retrouve là-bas à XX

Il suffirait alors de remonter au cotexte antérieur pour découvrir le point d’encrage du que des exemple 21 et 22.

23) (91-26)294 D1 NON : il y a les gars qui ne veulent jamais gogogogo tu vois l’autre Cissé on a : spokspokspokspok on a : on a : interviewé Cissé dans : en apparté + sur Canal là

D4 oui

293 Peut être glosé par réfléchir. 294 Pour l’exemple 21.

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D1 que est-ce que par rapport à l’avenir il dit que non il se sent un peu à l’aise en Angleterre […]

Que s’accroche à un univers discursif évoqué par le verbe « interviewer » qui suppose un échange de paroles ritualisées autour d’un ensemble de questions-réponses. Le Lct s’appuie donc sur les connaissances partagées au sujet du fonctionnement de l’interview pour insérer son DR sans aucune autre introduction particulière (par un verbe de parole notamment). Le domaine macrosyntaxique qui doit être pris en compte dans ces énoncés déborde même le cadre de l’approche pronominale. Aux phénomènes intonatifs, il faut ajouter les connaissances sur le monde partagées par les locuteurs et qui sont disponibles dans la mémoire discursive pendant les échanges (A. Berrendonner 1990).

L’exemple 22 est intéressant à plus d’un titre ; la séquence « le pater se retrouve là-bas » est une reformulation de la première réplique de cet extrait. En réponse aux questions posées par ses interlocuteurs, B3 reprend ce qu’il a déjà énoncé quoique en d’autres termes. Et pour signifier à ses interlocuteurs que c’est une reprise il se sert de la béquille que sans aucun verbe introducteur pouvant signaler un rapport ou une répétition. Que ici peut se traduire par « j’ai dit que » ou encore « je dis que » qui cumule explicitement les deux valeurs de dire (montrer et asserter) telles que distinguées par O. Ducrot (1984). Ceci permet d’affirmer que la séquence introduite par que est une instance de DR ; c’est plus précisément une autocitation. Cependant, aucun critère formel et même discursif ne permet d’en faire un DD295 : pas de reprise terme à terme, pas de pause intonative. Il n’est pas non plus possible d’en faire un DI car le dernier énoncé ne réalise pas une phrase subordonnée en l’absence d’un verbe introducteur. Toutefois, que est une marque forte de décrochage énonciatif. L’observation de l’interaction montre que le résumé ou la reformulation est un rapport immédiat dans un discours en construction. Que n’a pas de fonction syntaxique dans ce DR.

Pour illustrer la fréquence des emplois non-standards de que dans le DR en FRACAM, nous donnons encore quelques exemples recueillis auprès de locuteurs dits basilectaux et qui obéissent aux mêmes types de fonctionnements discursifs que nous venons de décrire :

295 À défaut des marques formelles, l’attitude ou l’intonation servent d’indications. Or, rien dans l’intonation du locuteur n’oriente dans ce sens.

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24) le matin il m’a donné douze mi que bon tu peux rentrer au village indique-moi là tu habites296

25) (143-1) L1 que comment tu as la femme d'une autre personne moi je paye le crédit la pourquoi ée - si tu étais aussi ma propre xxx

L’exemple 25 ne se situe pas dans le registre de la reproduction de paroles à proprement parler. Que signale tout de même une discordance parce que l’énoncé qu’il introduit est polémique. De fait, ce type d’énoncés utilise presque toujours la modalité interrogative. Que est en quelque sorte un récapitulatif, un résumé par lequel le locuteur prend acte des propos de son allocutaire pour ensuite exprimer sa divergence d’opinion. L’interrogation ici peut être qualifiée de rhétorique et sa valeur est plutôt négative.

Le joncteur a donc des rôles très diversifiés. Il est conjonction de subordination mais très souvent aussi, sa fonction discursive s’affirme lorsqu’il sert d’appui discursif (que béquille) ou plus laconiquement d’embrayage de discordance énonciative en quelque lieu de l’énoncé (plus fréquemment en ouverture).

1.1.1.3 Les transpositions

M. Riegel et al. (1994) ne peuvent s’empêcher de réserver au DR un traitement assez traditionnel malgré la mention qu’ils font des travaux de J. Authier-Revuz. D’après la Grammaire méthodique du français,

la mise en subordination [de la forme de base qu’est le DD] provoque des transpositions de

temps et de personnes, ainsi que des changements qui affectent les déictiques et les types de phrases.297

Pour les temps verbaux, la règle classique de concordance des temps préconise le décalage au passé du DD en fonction des rapports chronologiques des verbes de la construction syntaxique entière : le présent passe à l’imparfait, le passé composé cède le pas au plus-que-parfait, et le futur est transposé par le conditionnel.

Les changements de personnes s’opèrent en fonction des repères du rapporteur. Dans un schéma classique de base où une première énonciation – (A : l dit … x… à r)298 fait l’objet d’une deuxième énonciation – (B : L dit (l dit … x … à r) à R) – l et r deviennent des variables qui prennent leur valeur en fonction du couple L, R :

296A. Queffélec (2006 : 273). 297 M. Riegel et al. (1994 : 599). 298 L est le locuteur, r est le récepteur, … x … est le Dcé.

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- un l ou un r distinct de L et de R devient il,

- un l ou un r confondu avec un R devient tu,

- un l ou un r confondu avec L devient je

La combinaison des valeurs possibles de l et de r révèle les dix introducteurs de DR (DD ou DI). (je me dis …x… , je te dis, je lui l dis …x…, tu me dis …x…, tu te dis …x…, tu lui dis …x…, il me dit…x…, il te, il lui dit …x…, il se dit …x…dit). En introduisant une tierce personne dans ce schéma de base J. Authier-Revuz (1977 : 52-53) démontre les trente possibilités d’introduction du DI et qui sont susceptibles de s’obtenir naturellement en situation réelle de communication. Les règles basiques souvent énumérées à des fins didactiques sont bien loin de faire prendre conscience de toutes ces possibilités à l’apprenant alors que c’est précisément sur sa capacité à rendre compte des schémas de communication qu’il est jugé.

Les règles de transposition concernent aussi les déictiques dits « purs » : locatifs (ici, là) ; temporels (demain –le lendemain, hier, la veille, etc.). En général les règles de transposition sont immédiatement suivies – très souvent en caractères réduits – des réserves émises par des analyses énonciatives. Il est dommage que les critères énonciatifs ne soient pas davantage mis en avant. Les exercices scolaires restent encore assez fermés de ce point de vue, du moins en ce qui concerne le Cameroun. Quand bien même il est présent, le repérage énonciatif, de la première importance pour la sélection des tiroirs verbaux du DR est réduit à sa plus simple expression. La réalité est bien souvent déformée parce qu’on fait croire que le DD est une forme simple et que le DI est une forme plus complexe dérivée de la première et qui exige une compétence plus fine des temps verbaux pour une prédication meilleure parce qu’elle est unifiée.

Les premiers indices de repérage du DR que nous avons présentés sont le résultat de la systématisation du français sur la base de l’écrit. Elle fait du DI une variante syntaxique du DD et du DIL une forme supérieure, réservée à la littérature. Cette codification du DR fait désormais partie intégrante de la représentation collective des francophones. Dans les pratiques réelles, les configurations discursives obéissent à d’autres règles qui intègrent d’autres types de segments dans le signalement des énoncés polyphoniques. Nous évoquerons les particules énonciatives et la pause notamment.

1.1.1.4 Les discordanciels de l’énonciation

Le terme « discordantiel » est utilisé pour la première fois par Damourette et Pichon pour le traitement de ne dans la négation de la proposition subordonnée. L. Rosier (1999 :

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152)299 le détourne de son emploi originel pour l’étendre à tous les mots et locutions permettant de décentrer le discours du rapporteur (Dct) vers le discours d’un autre locuteur (Dcé). Il nous semble approprié pour notre discussion dans la mesure où il signale une discordance (de voix) à l’intérieur d’une seule énonciation.

Les discordanciels sont le signe d'un décrochage énonciatif indiquant le passage d'un Dct à un Dcé. Plus connus sous le vocable « particules énonciatives », leur rôle dans la langue varie de la fonction phatique à la signalisation d’un discours autre en passant par la ponctuation et la structuration du discours. (J. Fernandez 1994). Dans le DR, M.-M. de Gaulmyn (1989: 26) estime que la présence d'une particule énonciative (ah, oh, bon, ben) suffit à marquer la transition entre un verbe de parole et l'énoncé rapporté. D. Vincent & S. Dubois (1997 : 99-100) distinguent deux types de marqueurs dans l’enchaînement du DR : les connecteursles connecteursles connecteursles connecteurs qui « indiquent la succession et la hiérarchisation des énoncés citants par rapport aux énoncés qui les précèdent »300 et les marqueurs de prise de paroles les marqueurs de prise de paroles les marqueurs de prise de paroles les marqueurs de prise de paroles qui « amorcent l’énoncé rapporté proprement dit ». Les connecteurs correspondent aux marqueurs de structuration du discours tels que définis par E. Roulet et al. (1985). Ce sont les marqueurs de prise de parole qui investissent la classe des discordanciels (ah bon, ben oui, tiens etc.). Les discordanciels se situent effectivement à la frontière des deux énonciations du DR comme nous pouvons le constater dans ces exemples de notre corpus :

26) (25-17) B1 XX ils tapent les trucs ils dansent je dis que + yehyehyehyeh :::: mon frère éé : que ça c’est encore un réréréré truc ou quoi ?

27) (92-2) D1 […] il dit que non il se sent un peu à l’aise en Angleterre […]

28) (130-9) Y2 je me suis même dit que ah qu’il y a encore quelque chose qui s’est passé

29) (118-8) D1 j’ai dit à R. que bon + XX lui même il n’était pas il n’y est pour rien là- dedans

« Yeh »301 traduit l'étonnement qui se prolonge dans la modalité interrogative du Dcé qui ici, est le rapport des propos antérieurs du Lct lui-même. L’énoncé 26 est donc une autocitation. « Non » est la marque d’une orientation contraire de la réponse du Lcé à une

299 Elle modifie aussi l’orthographe pour des raisons de cohérence avec la discordance dont il est question. 300 Conjonctions de coordination et de subordination et quelques adverbes (finalement, en fin de compte) 301 Yeh n’est pas répertoriée par J. Fernandez (1994) dans les particules du français. C’est sans doute une spécificité camerounaise.

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question qui lui aurait été posée par un journaliste. « Bon » joue un rôle à cheval entre connecteur et marqueur de prise de parole. « Ah » et « yeh » ici traduisent la surprise du Lct.

Il faut ajouter que la frontière n'est pas toujours très nette entre le discours cadre et la citation. Dans l'exemple précédent (26), il est en effet difficile de savoir à quel segment appartient la particule « yeh ». Son emplacement après la pause peut laisser croire qu'elle fait partie du Dcé. Elle est pourtant suivie d'un tour interpellatif qui lui-même incorpore une autre interjection (mon frère éé :) si bien qu'il est difficile de trancher en faveur du Dct ou du Dcé pour l'intégration de la première particule. On peut comprendre cet énoncé de deux manières : tout d’abord302 « je me suis exclamé : « ça c’est encore un réréréré truc ou quoi ? » » ; la deuxième interprétation veut que les exclamations soient une stratégie de représentation où le Lct indique clairement la textualité de son rapport, bref un emploi du DR en modalisation autonymique. Une chose au moins est certaine à l’écoute de la narration de B1, il s’est exclamé à la vue d’une scène étrange lors des funérailles303 de son père. Cet énoncé est d'autant plus complexe que le destinataire du Lct ne fait pas partie du premier cadre énonciatif. Il semble pourtant que le référent de l'interpellation (mon frère) est le destinataire de la deuxième énonciation (Dct). Il n’est à aucun moment du récit mentionné la présence d’une personne avec laquelle il aurait discuté pendant les célébrations funéraires. Par conséquent, les particules (au moins la première) font encore partie du Dct. On pourrait dire que cette première particule pallie une certaine pauvreté lexicale où le verbe introducteur au DR est ramené à dire. Or, le Dcé ne s'est pas produit dans la réalité. C'est une fiction énonciative qui est bien une caractéristique des récits oraux. Il est très peu probable que B1 ait pris la parole pendant la scène qu'il décrit parce que c’est une cérémonie codifiée où les participants se regroupent en fonction des affinités et affiliations. D’après le récit du Lct, son père faisait partie d’une société secrète. N’étant pas lui-même initié, il ne pouvait pas approcher les membres de ladite société secrète et encore moins leur adresser la parole. Ce qu’il rapporte ce sont ses émotions et ses pensées. Le vocable « paroles rapportées » est donc trompeur dans bien des cas, « il s'agit souvent de souvenirs, de pensées ou de raisonnements racontés sur le mode des paroles rapportées » comme le souligne Cl. Blanche-Benveniste (1997a :108).

C’est pratiquement le même phénomène qui se voit dans l’exemple 28 où le Dcé est structuré par deux occurrences de que. La première partie du Dcé (que ah) peut se gloser en

302 Glose qui utilise les marques de l’écrit. 303 Chez les Bamilékés du Cameroun, c’est une cérémonie commémorative qui a lieu bien après l’enterrement du défunt. Le délai d’attente varie de quelques mois à plusieurs années en fonction des familles et des villages.

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« j’étais intrigué ou étonné … ». Seulement le verbe introducteur se dire suppose plus une pensée qu’une parole ; quand bien même il y aurait eu parole, celle-ci aurait été intérieure. Il est donc intéressant de voir une fois de plus qu’un étonnement non verbalisé au départ peut être transposé dans un DR avec des apparences de DD. La seconde partie Dcé relayée par un que de rappel est aussi un DD car ses références temporelles (présent d’énonciation – il y a quelque chose qui s’est passé) sont en rupture avec le passé du Dct (je me suis dit). Ceci en fait également une fiction énonciative.

Au regard des deux exemples (26 et 28), le discours intérieur ou monologue possède les caractéristiques d’un discours matérialisé dans le cadre de l’appareil formel de l’énonciation. Le monologue, d’après E. Benveniste (1974 : 85) est un « dialogue intériorisé, formulé en ‘’langage intérieur’’, entre un moi locuteur et un moi écouteur ». O. Ducrot (1984 : 198) aussi fait du monologue une forme de double énonciation au même titre que le rapport au DD. Dans ces deux exemples de monologue rapporté, le sujet parlant se confond avec le locuteur sur le plan référentiel.

Le dernier exemple (29) est un DI. La frontière énonciative est doublement marquée par que et le décrocheur bon.

Dans l’énoncé qui suit (30) la particule « hé » qui est l’objet un allongement vocalique représente à lui seul tout le discours introduit par « on disait que ». Il est à la fois décrocheur et discours.

30) (26-14, 18) B1 […] quand mon pachpachpachpachoooo était alors gravement malade là + il était chez nous constamment chez nous constamment comme sa femme était décédée là […] jusqu’à nous on disait que + hé : + HÉ il meurt je vais- je fouille les habits je veux sécher

La fréquence des discordanciels prouve leur importance dans la structuration des récits oraux. Ils sont le signe d’un décrochage discursif. Leur particularité en FRACAM est de compléter sémantiquement le verbe-morphème dire pour exprimer des sentiments vifs. Toujours dans le registre de la vivacité du sentiment, il leur arrive de tenir en lieu et place de tout un discours qui n’aurait pas la même valeur expressive s’il était entièrement formulé avec des mots.

1.1.1.5 Les pauses

De nombreuses études dans diverses régions francophones (surtout en Afrique) font de la pause un critère crucial de démarcation de la frontière entre le Dct et le Dcé. M. Italia (2005), E. Ngamoutsika (2007) et A. Queffélec (2006) en font le constat chez des locuteurs

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gabonais, congolais et camerounais respectivement. Dans le corpus de français basilectal dont il se sert, A. Queffélec (2006 : 270) remarque peu de pauses dans la transcription qui lui est proposée. Il en déduit que, faute de distance linguistique nécessaire, le transcripteur, un jeune chercheur camerounais, est incapable de les percevoir. Après une écoute attentive de notre corpus, nous avons effectivement pu identifier des pauses dans les DR. Elles interviennent généralement après que :

31) (9-16) B4 […] elle tchat au man-là que + c’est toi qui a fait ça ? il dit que + noo : c’était l’amusement

32) (35-13) B2 donc quand tu engages l’épreuve disant que + je donne quinze minutes ici trente minutes ici

Le rôle de que comme marque forte de frontière énonciative a déjà été mentionné. La pause viendrait alors en relever la démarcation des deux énonciations du DR.

En dépit de sa fréquence, l’intonème démarcatif de citation 304n’est pour autant pas systématique comme le laissent croire les précédents travaux sur les français parlés dans quelques pays africains (cités supra). En FRACAM, du moins, il est possible de relever autant de DR sans pause que de DR avec pause :

33) (18-2) B1 lui quand il te dit que : + je vais te piquer + tu me suis un peu non↗ + donc quand il te dit que je vais te piquer donc en te disant que : je vais te piquer qu’il est déjà en train de te piquer + tu me suis un peu non↗

34) (18-2) B1 il fait XXX tu dis que non va + hein S. si tu peux le battre avec les mains hein↗ + tape-le avec les mains + mais si c’est le genre que tu vas toucher↗ + il te dit que va toucher

35) (34-8) B2 elle se disait que si j’échoue encore

L’exemple 33 comporte plusieurs DR. Seul le premier fait usage de l’intonème démarcatif de citation. Les autres DR ne sont pas signalés par cette balise. Il en est de même pour les autres énoncés.

En établissant une comparaison entre le FRACAM et les français parlés hors d’Afrique, on constate qu’il n’y a pas de différence fondamentale quant au statut fonctionnel de la pause en DR. D. Vincent & S. Dubois (1997) et M.-M. de Gaulmyn (1992, 1996) les ont répertoriées dans les parlers québécois et français respectivement. La dernière remarque cependant que les pauses ne sont pas systématiques dans l’oral conversationnel. Elle

304 Terminologie empruntée à A. Morel par M-M. de Gaulmyn (1996 : 30).

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avance aussi que les pauses sont plus accentuées pendant l’oralisation d’un texte écrit. L’intonème démarcatif de la citation est dans ce cas une transposition orale des guillemets.

Si certains chercheurs font de la pause un critère distinctif du DR en Afrique, cela est certainement dû à une disposition prosodique profondément différente des habitudes linguistiques des autres francophones.

Le français standard est une langue à accent de groupe rythmique. Le FRACAM est une langue à accent de mot comme l’anglais, l’espagnol ou l’allemand. Au contact des langues locales les accents adoptent un comportement tonal qui fait dire à A. Djoum Nkwescheu (2004 : 160) que « le français parlé au Cameroun est une langue à tons sans … tons » parce que ces tons uniquement phonétiques « n’ont pas la valeur distinctive qui est la leur dans les langues à tons ». Le mot s’affranchit ainsi du groupe rythmique. En FRACAM la séquence « je suis allé » est réalisé comme suit : [Z ›́ sÁiÛ za›le›].

De manière générale, le débit des Africains est plus lent que celui des occidentaux. Trois types d’écarts sont à l’origine de ce ralentissement d’après A. Djoum Nkwescheu (2004 : 159) :

(1) l’insertion du schwa l’insertion du schwa l’insertion du schwa l’insertion du schwa entre des séquences de consonnes ;

- en médiane de mot entre une consonne coda et une consonne attaque :

enthnie [DtBni] ; service [sDrBvisB]

- entre deux consonnes attaques d’une syllabe :

scolarité [sBkolarite] ; blanc [bBlSE]305

(2) la prononciation du schwala prononciation du schwala prononciation du schwala prononciation du schwa dans des environnements où elle est plutôt effacée en français standard. Notre transcription fait ressortir cette caractéristique par l’absence d’élision :

36) (36-4) B3 mais les gens parlent toujours non ? est-ce que ils manquent de quoi XX

37) (119-6) D1 […] il appelle il dit que il a cru que je l’ai bipé j’ai dit que non je ne t’ai pas bipé

38) (128-16) Y3 on a parlé seulement que il était déconcentré + en tant que leader + Eto’o

305 Djoum Nkwescheu (2000 : 323-324).

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Dans le corpus témoin (corpus B) on relève :

39) (194-28) LB puisque il était euh c’était euh quelqu’un il a vécu au Gabon […]

40) (187-16) LB bon moi moi j’ai abandonné j’ai dit que il faut que je me cherche moi-même

41) (196-15) LB à Yaoundé oui + parce que à l’Ouest bon tu peux travailler cinq cents où + peut-être mille francs alors que ici tu pouvais même travailler même deux mille trois mille parce que il y a les jours que tu rentres quand même avec cinq mille […]

(3) les allongements vocaliques les allongements vocaliques les allongements vocaliques les allongements vocaliques. Ils sont matérialisés par les deux points

42) - (129-12) Y6 c’est tout mon frère je ne sais pas qui : + qui ici + Eto’o fils est monté descendu c’est quoi ?

43) (134-25) Y3 il était + il se il était trop sa:ge + qu’il parte continuer son foot

44) (137-28) Y2 … tu restes tu fais un truc tu vois comment le ballon part comme ça :: tu tombes aussi

45) (15-5) B3 on l’appelle non↗ même pas que : + on les prie XX tu connais Bongué ?

46) (15-8) B1 XX le genre que : + tu vas callé là-bas

Les allongements vocaliques font traîner le rythme. Le piétinement articulatoire donne donc parfois l’impression d’une pause. La pause est tout de même fréquente après que indépendamment de sa nature et de sa fonction dans la structure de l’énoncé :

47) (51-15) B4 ce qui est sûr c’est que + tu vas toujours me trouver devant

48) (116-20) D1 …mais je sais que + un jour un jour + si c’est quelqu’un qui fait

49) (66-5) B1 moi je priais que + on /finisse, finit/ de composer rapidement ?

50) (128-7) Y2 fini où ? il était même encore dans le match que + ou avant de taritaritaritari que pardon partez même

Dans un seul et même énoncé (exemple 50) le que du DR (tari que pardon…) n’est pas suivi d’une pause contrairement au premier que de l’énoncé qui lui n’introduit pas de DR.

La prononciation du schwa de que devant une voyelle oblige les locuteurs à adopter une diction lente afin de marquer les frontières lexicales. Des pauses régulières s’insèrent alors naturellement dans la chaîne parlée. À notre avis l’absence d’élision dans des

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environnements où elle est souhaitable crée un effet de contagion sur tous les autres environnements de que306. Et comme que est le morphème par excellence du DR en FRACAM, on a tôt fait de considérer, à tort, que la pause est un indice crucial de DR en FRACAM307.

1.1.1.6 Le cumul de balises

Ces balises sont souvent cumulées et on peut retrouver dans le même DR, le verbe introducteur, suivi de que et de la pause, avec une particule énonciative de surcroît.

51) (25-17) B1 XX ils tapent les trucs ils dansent je dis que + yehyehyehyeh :::: mon frère éé :: que ça c’est encore un réréréré truc ou quoi ?

On a affaire ici à un DR surmarqué comme peut l'être le DD à l'écrit du fait du cumul des indicateurs grammaticaux (verbe introducteur, deux deixis) et typographiques (deux points, guillemets ou tirets, changement de caractères etc.).

Comme dans la vie courante, l’abondance côtoie parfois le dénuement le plus total. Après le DR surmarqué, nous abordons des DR dont les marques formelles sont réduites à leur plus simple expression, et dont l’identification ne se ferait parfois pas sans le recours au contexte pris dans son acception la plus large en psychologie du langage.

1.1.2 L’ABSENCE DE VERBE DE CITATION

La hiérarchisation des paroles se fait très souvent aussi sans verbe introducteur. La plupart des DR sans verbe introducteur sont des énoncés échos qui surviennent pendant les échanges verbaux. On peut distinguer les échos diaphoniques et les échos hétérophoniques308.

306 Cette affirmation mérite naturellement d’être étayée par une étude systématique de la prosodie du DR en FRACAM. 307 La même chose pourrait se dire du français parlé en Côte-d’Ivoire car A. Djoum Nkwescheu (2004 : 159) cite A. Ahousi (1990) qui constate lui aussi une individualisation du mot au détriment du groupe rythmique du français standard. 308 La diaphonie est le type particulier de polyphonie qui s’obtient en situation dialogale. L’hétérophonie quant à elle fait appel au discours d’une tierce personne qui elle est en dehors de la conversation ; il en sort des énoncés dialogiques au sens bakhtinien.

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CHAPITRE VI

LE DISCOURS RAPPORTÉ

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1.1.2.1 Les échos diaphoniques

Dans une interaction verbale impliquant la présence physique des participants, se développe un système d’influences mutuelles309 qui fait le lit de la co-énonciation et de la co-construction du discours. Les mécanismes de la conversation favorisent des reprises immédiates en écho aux propos de l’allocutaire :

52) (16-6, 7) B2 il y a les gens que tu vas toucher + ce n’est pas le vumvumvumvum que l’on raconte là

B3 quel vumvumvumvum ?

53) (10-21 à 24) B2 non non il faut gérer la situation

B1 GERER

B2 il faut gérer la situation

B1 gérer quelle situation ?

Le premier exemple (52) n’appelle pas plus de commentaires car « quel vum » fait manifestement écho à «vum » du premier locuteur. Dans le second (53) en revanche, l’intonation clairement parodique de « gérer » de la deuxième réplique en fait non un simple écho mécanique mais une réelle modalisation autonymiquemodalisation autonymiquemodalisation autonymiquemodalisation autonymique. Le Lct reproduit le terme exact de son allocutaire avec une mise à distance maximale grâce à la parodie.

1.1.2.2 Les échos hétérophoniques

Une autre modalisation autonymique qui cette fois-ci est assumée par le rapporteur. La citation est d’ailleurs le socle de son argumentaire.

54) (137-21) Y4 onze ? + chaque fois avantage Cameroun + avantage Cameroun + avantage Ca- on a eu onze avantages + mon ami + toi-même un gardien comme ça là avec onze avantages ? dis-moi toi-même

L’hétérophonie est révélée par la locution « chaque fois » qui traduit l’itération de la séquence dont sa propre énonciation n’est que l’écho. Le locuteur reproduit une séquence d’un reportage journalistique au cours d’une longue séance de tirs au but à laquelle participait l’équipe nationale du Cameroun. « Avantage Cameroun » a dû être prononcé un bon nombre de fois (onze peut-être…).

309 C. Kerbrat-Orecchioni (2005 : 15).

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CHAPITRE VI

LE DISCOURS RAPPORTÉ

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En nous servant toujours de notre connaissance du contexte général ayant suscité les énonciations originales et rapportées nous dirons que le Lct dans le DR qui suit est l’auteur d’une fiction discursive.

55) (137-2) Y2 un gardien au moins il dit que quand on dit que le gardien choisit son angle + choisis ton angle tu tombes là-bas

En effet, l’équipe nationale du Cameroun vient de perdre un match très important au terme de l’épreuve de tirs au but précédemment mentionnée. Le capitaine va retrouver le gardien de buts à qui il parle en faisant de grands gestes. Le Lct fait une glose de la scène en imaginant un discours qu’aurait pu produire le capitaine. C’est un DD du moment où il y a rupture de deixis : on passe de la troisième personne de narration à la deuxième personne du discours après la pause. DD avec réification encore dans l’exemple qui suit :

56) (20-6 à 13) B4 on est gogogogo à la gendarmerie avec lui doctadoctadoctadocta on ne résout aucun problème en bas-là c’est moi qui dit ça on dit que c’est qui ? + il dit que c’est telle personne [rires] il kemkemkemkem avec le on est kemkemkemkem avec le problème tu hiahiahiahia non↗ on a dit que ça part chez qui ?

B3 il n’y a pas de pression on ne résout rien

B4 mettez vous à l’écart + il gogogogo lui avec sa chose non↗ …

L’hétérophonie est signalée par le changement de deixis et les modulations de la voix même si le Lct n’est pas physiquement témoin des événements qu’il rapporte.

Selon Cl. Blanche-Benveniste (1997a :109-110),

beaucoup d'exemples à l'oral obligent à admettre qu'il y a parole sans qu'on puisse savoir qui parle. Une grande partie sont construits sans aucun des introducteurs habituellement cités pour cet usage. On a franchi les limites du domaine syntaxique.

En effet, la reconnaissance des DR dans les exemples de cette section ne saurait se limiter à des critères syntaxiques. C’est tout l’univers discursif qui concourt au repérage des séquences rapportées. D’où l’importance d’une analyse énonciative du DR.

1.2 LA HIÉRARCHIE ÉNONCIATIVE

Sans réfuter la définition communément admise qui veut que l’énonciation soit une « mise en fonctionnement du langage par un acte individuel d’utilisation »310, O. Ducrot

310 E. Benveniste (1974 : 80).

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(1984 :179) ne retient pour l’énonciation que « l’événement constitué par l’apparition d’un énoncé ». Cette définition exclut tout être pouvant assumer la responsabilité de l’énoncé pour la bonne raison que O. Ducrot (1984 :198) remet en cause l’unicité du sujet parlant :

Certes du point de vue empirique, l’énonciation est l’œuvre d’un sujet parlant, mais l’image qu’en donne l’énoncé est celle d’un échange, d’un dialogue, ou encore d’une hiérarchie de paroles.

Le discours d’un autre est identifiable par des indices plus ou moins explicites. Dans tous les cas de figure, le DR est une hiérarchie de paroles dans la mesure où il indique que le LctLctLctLct supplante le LcéLcéLcéLcé et présente le discours de LcéLcéLcéLcé selon les modalités que lui seul aura choisies.

1.2.1 L’HÉTÉROGÉNÉITE ÉNONCIATIVE

Un acte d’énonciation, dans une acception plus large que celle de O. Ducrot, notamment celle de R. Jakobson et de E. Benveniste, est la production d’un énoncé par un locuteur (je) s’adressant à un récepteur (tu). Dans un DR au sens strict, une énonciation rapporte une autre énonciation qui lui est antérieure et la deixis des deux énonciations est bien distincte (Lct#lcé, Rct#rcé, Tpsct#tpscé, Lieuct#lieucé). Mais le recoupement peut concerner une partie de ces paramètres. Lorsque le Lct coïncide avec le Lcé, il s’agit d’une autocitation, forme de DR qui sera abordée plus en détail dans les fonctions du DR. Les règles de transpositions du DR sont une explicitation du décalage de la deixis. Le sujet parlant exprime le monde à travers sa subjectivité. C’est donc par rapport à lui que se distribuent les différents déictiques (dits purs), lesquels sont considérés par certains linguistes comme la seule représentation acceptable de la deixis311.

Sans perdre de vue le fait que la référence soit inhérente à toute énonciation312, notre étude de la deixis dans le DR concerne surtout la localisation d’une référence déjà constituée par l’énonciation originale. La transposition repose sur l’assomption que le rapporteur soit capable de retransmettre, à l’intention de son destinataire, les mêmes représentations spatio-temporelles construites par la première énonciation.

311 D’après L. Danon-Boileau & M. A. Morel (1992 : 11-12), il existe trois acceptions de la deixis : elle renvoie aux repères spatio-temporels que le locuteur introduit dans l’énoncé (déictiques purs qui servent à la localisation d’une référence déjà constituée) ; elle est aussi construction référentielle c’est-à-dire que la modalité énonciative constitue elle-même l’acte de référence ; elle peut enfin être facteur de cohésion textuelle en servant à la thématisation. Il s’agit alors des réseaux anaphoriques présents dans un texte. 312 C’est le point de vue de E. Benveniste (1974 : 82). Grâce à un « consensus pragmatique », chaque locuteur et son co-locuteur ont la possibilité de référer et de coréférer identiquement par le discours. « La référence fait partie intégrante de l’énonciation ».

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1.2.1.1 La personne

Dans la plupart des DR on peut aisément distinguer deux repères personnels, l’un appartenant au Dct et l’autre au Dcé.

57) (20-4) B4 on est venu tell qu’il a volé la tête + tu hiahiahiahia un peu + mais comme son oncle c’est un type qui a les nerfs seulement qui a les moyens là + yayayaya + on est gogogogo à la gendarmerie avec lui XXXX on ne résout aucun problème en bas-là chez XX tout ça on dit que c’est qui ? il dit que c’est telle personne

Cet exemple est un récit à la troisième personne. Mais la prise en charge du discours (tu hia hia hia hia un peu)313 tranche bien avec l’évocation du délocuté ici souligné. Notre corpus ne présente pas d’exotisme pour ce qui est de la représentation des personnes au sein de la structure du DR. On ne peut pas en dire de même au sujet de l’aspect temporel.

1.2.1.2 Le temps

Selon E. Benveniste (1974 :83) c’est l’acte d’énonciation qui fait naître la catégorie du présent : « le présent est proprement la source du temps ». À partir du présent s’organise l’actualisation des événements comme antérieurs (passé) ou postérieur (futur) au moment de l’énonciation. Les tiroirs verbaux (avec l’aide d’autres moyens énonciatifs) organisent la perception subjective du locuteur pendant son énonciation. Dans le DR, l’énonciation rapportante doit pouvoir faire apparaître les rapports que le Lcé entretenait avec le temps issu de sa propre énonciation. Les règles de transposition sont supposées aider le Lct dans cette tâche.

Les DR ci-dessous respectent les règles de transposition des temps verbaux :

58) (76-23) D1 tu sais que comme la bouillie d’hier tu disais que c’était liquide là non ↗ maintenant ça pèse

59) (118-10) D1 tu es le chauffeur + on dit qu’on t’avait tapé + c’est toi le plaignant maintenant

60) (21-6) B4 quand le manmanmanman est arrivé avec le X il a dit que on a volé

61) (194-24) LB heum il a garé il m’a dit que le moteur était coulé bon lui aussi il n’avait pas de des moyens

313 L’interpellation de tu sous-entend je qui parle.

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L’exemple 61 issu du corpus témoin démontre la connaissance de la norme même par des locuteurs basilectaux (même si l’auxiliaire est erroné). Dans d’autres cas les locuteurs se contentent d’utiliser le passé composé pour le Dcé sans qu’on puisse savoir si sa valeur est celle qui est décrite dans les ouvrages de référence. L’absence d’éléments contextuels (englobant le rapport entre l’époque du récit et le temps de l’énonciation hic et nunc lors de l’enregistrement du corpus) décourage toute tentative de réponse à cette interrogation.

D’une manière générale, l’embarras des grammairiens est visible après l’exposé des règles de transpositions. P. Le Goffic (1994 :269) par exemple, après l’exposé de quelques règles remarque que nombreux types d’énoncés ne peuvent se « transposer » au style indirect314. Il cite les phrases sans verbe, les énoncés à l’impératif, les vocatifs et marques d’énonciations diverses. On peut encore déplorer la terminologie (« transposer ») qui fait des DD et DI deux faces de la même pièce. Nous pensons que la forme que prend le DR est un choix conscient du locuteur, opéré non pas sur des critères syntaxiques mais en fonction des avantages discursifs que peut procurer l’une ou l’autre forme.

Une bonne partie des DR présente des relations temporelles en marge des prescriptions normatives.

62) (113-24) L1 […] il est sorti il a mis un pied dehors moi aussi j’ai aussi sorti ma face comme ça là après maintenant on a dit qu’on sort on se place là aussi debout les gens ont encore commencé à faire le tours là on a encore djumdjumdjumdjum hein alors qu’on disait déjà que les gars on on v- on va prendre la moto on part on voulait déjà prendre les motos avant que la voiture a :+ a démarré

On se serait attendu à ce que le verbe du Dcé soit au subjonctif, mais il reste au présent. On supposera que le deuxième est aussi au présent puisque dans le cas du verbe « placer », subjonctif et présent se confondent morphologiquement.

On peut déjà signaler chez cette locutrice une imprécision temporelle sur l’ensemble du récit qu’elle produit. Voici le début de sa réplique :

63) (113-19) D1 les gars ont commencé maintenant à faire les tours ils ont vu que la voiture est en panne il ont commencé à faire les tours XX on était déjà trop serrés là dedans-là on était déjà trop serrés il faisait trop chaud + on baisse les vitres XX pour ça que Pascal a d’abord ouvert la portière

314 Dans la grammaire méthodique on peut lire : « Ces règles de transposition peuvent connaître des entorses parfaitement logiques » M. Riegel et al. (1994 : 600)

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+ il est sorti il a mis un pied dehors moi aussi j’ai aussi sorti ma face comme ça là après maintenant on a dit qu’on sort on se place là aussi debout les gens ont encore commencé à faire le tours là on a encore djumdjumdjumdjum hein alors qu’on disait déjà que les gars on on v- on va prendre la moto on part on voulait déjà prendre les motos avant que la voiture a :+ a démarré

Les problèmes de concordance des temps et de référence déictique du récit sont soulignés. On voit aussi que les deux Dcé sont ramenés au présent mais seul le deuxième Dcé peut éventuellement être considéré comme un DD. De plus, il y a une incohérence textuelle entre le déictique « maintenant » et le passé composé du procès introduit par ce déictique précisément. Pour la locutrice apparemment, la construction de la référence temporelle s’étant faite avec précision au début de sa narration, elle peut utiliser indifféremment le présent ou le passé composé (qui par ailleurs sont les temps par excellence de la narration) sans que cela affecte la représentation co-construite de la dimension temporelle initialement posée. Peut-être y a-t-il à ce niveau une faille dans sa connaissance des valeurs des tiroirs verbaux tels que décrits dans les grammaires. Mais peut-être est-ce aussi un problème lié à la juxtaposition d’au moins deux modes distincts de construction référentielle. En effet, si l’on en croit les actes des travaux présentés lors du colloque en Sorbonne sur la deixis (1990), chaque langue possède en elle-même un système référentiel qui lui confère une expression singulière de la deixis. Le système référentiel bantou est certainement différent du système obtenu dans la langue française d’origine. Le processus de vernacularisation reconnu au français d’Afrique affecte nécessairement la représentation déictique. D’où l’importance de la position soutenue par L. Danon-Boileau & M.-A. Morel (1992 : 25) dans la présentation des actes du colloque susmentionné :

Que la deixis manifeste la dimension de subjectivité inscrite dans le langage ne semble pas en cause. Ce qui le serait davantage, c’est qu’elle doive nécessairement emprunter la forme qu’on lui voit préférer dans les langues romanes […]

La valeur de « maintenant » s’inscrit certainement dans un cadre pragmatico-énonciatif qui permet une co-référenciation univoque chez les interlocuteurs. Par ailleurs, D. Jouve (1992) signale des emplois de maintenant avec des temps du passé. Ces emplois dans un récit au passé simple tranchent avec l’espace énonciatif benvénitien où maintenant est considéré comme un embrayeur dans la triade « je-ici-maintenant ».

L’exemple ci-après montre aussi le type de réajustements temporels qui s’opèrent à l’oral : « D1→ j’ai dit à R. que bon + XX lui même il n’était pas il n’y est pour rien là-dedans ».

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Le rapporteur est bien lancé pour respecter la concordance des temps comme il est de règle dans les DI ; mais il se reprend, abandonne le passé pour le présent. Est-ce le signe d’une défaillance linguistique de la part du locuteur ou bien le problème est-il lié au phénomène de l’autocitation ? La première option nous semble la moins envisageable du moment où le locuteur commence le Dcé avec le tiroir verbal adéquat, preuve qu’il y a des chances qu’il soit « compétent » sur cet aspect de la grammaire. Reste la deuxième option, celle de l’autocitation : le locuteur qui se cite installe une hiérarchie entre son moi citant et son moi cité correspondant à son moi maintenant et son moi avant. Cette bipartition du sujet parlant315 tourne à l’avantage du moi citant comme dans tous les autres cas de DR. Or si le moi citant rapportait au passé une opinion exprimée antérieurement par lui, ce moi citant donnerait l’impression de changer d’avis. Ramener le temps du verbe au présent signifie pour le moi citant, afficher la cohérence de sa personne, témoigner de sa constance psychologique (ce que j’ai dit il y a un moment est encore valable pour moi-même maintenant).

La concordance des temps n’est pas non plus effective dans le corpus des personnes peu scolarisées :

64) (202-28) LB bon ça a commencé comme ça il y a les autres gens qui ont fui avec l’argent bon la réunion a fait comme ça on a accusé le président le président dit qu’il ne connaît rien alors qu’il connaît certains trucs dedans le trésorier tout ça machin et puis on a fait comme ça bon on est parti avec euh de l’argent nous on a dit que ça ne fait rien partez avec ils sont où aujourd’hui il n’ont rien fait

Les analyses syntaxiques et énonciatives ont révélé jusqu’ici les différentes balises et manifestations du DR dans l’oral conversationnel en FRACAM. Nous avons pu démontrer que les cloisons posées par la vulgate entre les divers types de DR sont inopérantes dans notre corpus. La différence entre DD et DI n’est pas syntaxique mais plutôt fonctionnelle ou stratégique.

1.3 LES FONCTIONS DU DISCOURS RAPPORTÉ

La raison d’être d’une énonciation est la transmission d’une information par un émetteur à un destinataire. Il s’agit donc de communiquer. Le dialogisme de Bakhtine et la polyphonie de O. Ducrot insistent sur la pluralité des voix consubstantielle à tout discours même d’apparence homogène. Très souvent pourtant, les locuteurs convoquent

315 Une discussion sur la division du sujet parlant sera menée infra dans le paragraphe consacré à l’autocitation.

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délibérément d’autres discours pour soutenir leurs propos. Ils sont à la recherche d’arguments.

1.3.1 L’ARGUMENTATION

Pour convaincre son destinataire, le locuteur développe une stratégie argumentative où le DR tient une place de choix. Il s’agit de crédibiliser ses propos, en faisant prévaloir l’argument selon lequel « quelqu’un d’autre que moi a déjà avancé ce propos. Puisque je ne suis pas le seul à penser cela, ce que je vous dit a donc de la valeur ». Or, la pratique linguistique veut considérer le DD comme une mention (énoncé vrai). Ce qui implique que le rapporteur ne s’intéresse qu’à la matérialité des propos d’autrui. C’est à se demander alors pourquoi il a recours à ce discours autre dans son propre discours. O. Ducrot (1984 : 199) estime pour sa part que

le sujet fait entendre une parole, dont il suppose simplement qu’elle a certains points communs avec celle sur laquelle il veut informer son interlocuteur

La vérité du rapport ne réside donc pas dans la conformité matérielle des rapports du DR. Dans les faits, seuls les points saillants – ou alors les points sur lesquels le rapporteur veut insister – des paroles originales sont retenus. Ceci correspond tout à fait à la façon dont les locuteurs peuvent percevoir le sens (ou la signification) global(e) d’un discours316.

Le sens est un construit dont la valeur dépend non seulement des conventions linguistiques socio-historiquement motivées, mais aussi des dispositions psychologiques (savoirs et émotivité) individuelles du récepteur au message. Un même discours (officiel) sera interprété différemment par différents auditeurs. Et si on leur demandait de rapporter ce qu’ils ont entendu, chacun donnerait sa version du discours, en quelques mots pour certains, dans un énoncé d’une ampleur plus ou moins grande pour d’autres317. Toutes ces manières de rapporter, du moment où elles nous informent sur la teneur du discours (officiel) prononcé, sont des DD d’après O. Ducrot (1984 :199), si les rapporteurs les signalent formellement comme tels.

L’usage en mention du DR peut davantage être contesté dans le cas des fictions narratives. Nous avons relevé un certain nombre de DR qui, quoique se laissant aisément

316 Pour O. Ducrot (1980), chaque structure phrastique est porteuse d’une signification à partir de laquelle on peut prévoir son sens en discours. P. Charaudeau (1983) utilise sens et signification de façon inverse. Nous les employons indifféremment. 317 C’est de l’interprétation, activité purement subjective. « Toute interprétation est un procès d’intention » P. Charaudeau (1983 : 24).

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classer sous les formes canoniques DD et DI, découlent immédiatement de l’imagination des rapporteurs.

65) (34-8) B2 elle se disait que si j’échoue encore

66) (34-18) B3 si moi ça m’arrive hein je dis que je m’en fous donc dans ma tête hein

67) (71-5) D1 demain là je vais proposer + quand je vais tcha tcha tcha tcha le takertakertakertaker et je vais dire que + j’ai cent vingt-cinq djo tu veux pas tu veux pas tu me laisses ça va il y a pas de place + je wakawakawakawaka *

68) (31-7) B1 j’ai trop versé + autrement dit je suis en train de me battre pour avoir même onze comme ça + si j’ai onze je vais dire que + bon ça va je n’ai pas échoué le trimestre + je reste tranquille

Ces exemples illustrent bien la réification du DR. Comment donc dans ces conditions continuer à parler de la véracité du DD ? Le premier exemple du groupe est le seul dont le verbe introducteur est au passé. Le Dcé est donc supposé avoir eu lieu. Or le fait même que ce verbe introducteur soit un verbum sentiendi montre que le DR ne peut se restreindre à la textualité ou à la matérialité. En effet, B2 (65) lit dans les pensées de la fille dont il raconte la mésaventure et les traduit en paroles. La réification est patente dans les autres exemples. Les DR se trouvent dans des énoncés hypothétiques, preuve de l’irréel des paroles rapportées :

La réification des phrases rapportées en DD plaide en faveur justement de son caractère infidèle, tout en continuant de produire l'illusion d'une parole vraie.318

La distinction entre le DD et le DI ne peut donc se résumer à la dichotomie forme et contenu – le DD vise aussi le contenu. C’est plutôt la force de persuasion de l’un qui est supérieure à celle de l’autre et fait tendre le DI vers le DD (L. Rosier 2000). L’imaginaire collectif attribue au DD et DI des valeurs morales – vrai et faux – qui font du DD la forme la plus convaincante, la forme qui dit la vérité ; le DI à l’opposé est approximatif car il laisse au rapporteur la latitude d’y ajouter ce qu’il veut. Ce n’est évidemment qu’un leurre car comme nous l’avons signalé précédemment le Dcé n’apparaît comme DD que parce que le rapporteur le présente comme tel.

Le récepteur est ainsi manipulé par le rapporteur dont l’objectif majeur est de trouver les meilleurs arguments pour le convaincre.

318 L. Rosier (1999 : 115).

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1.3.1.1 Le Discours d’autorité

Cl. Blanche-Benveniste (1997a) notait déjà que les locuteurs avaient tendance à se servir du DR pour crédibiliser leurs propos. Ils s’approprient le point de vue d’un autre qu’ils incluent dans leur propre discours pour ainsi faire passer des assertions personnelles. Que le discours premier soit réel ou fictif, le rapporteur fait usage de deux stratégies :

1. L’auteur est identifiable et désigné par des descriptions définies

69) (36-1) B2 ne tente même pas hein toute la classe a dit que si tu ne viens pas on ne présente donc on a encore aucun candidat + je te dis d’abord ça

70) (35-5) B2 un professeur de physique m’a dit que quand on compose

l’épreuve […]

2. La source du propos est non-identifiabe, soit qu’elle est volontairement tue ou alors qu’elle provient des discours en circulations, lieux communs aux interlocuteurs.

71) (137-1) Y2 un gardien au moins il dit que quand on dit que le gardien choisit son angle + choisis ton angle tu tombes là-bas

72) (33-16) B2 […] elle a pissé + et c’est comme ça qu’elle était mal à l’aise pendant + toute la journée + et elle a échoué + c’était FORT donc la première journée-là + elle était vraiment forte + comme on dit là + elle est arrivée dès que on a distribué comme ça là […]

73) (33-2 à 4) B2 on dit que dans les mêmes conditions + hein↗ les mêmes causes produisent les mêmes effets

B1 produisent les mêmes effets

Le discours convoqué en 73 est si commun que les interlocuteurs peuvent le dire en chœur319. L’initiateur est quasiment sûr de faire passer son opinion. Le succès des lieux communs justifie même l’invention de proverbes pour des raisons argumentatives comme en 74 suivant :

74) (105-22 à 28) D2 /ø, parce/ que quand tu dudududu il y a un proverbe qui dit qu’hein ↗ quand tu vises la moyenne tu te retrouves à la sous moyenne tu hiahiahiahia non↗

D3 ouaih ouaih

319 Le soulignement qui indique le chevauchement des deux segments « produisent les mêmes effets » a été enlevé pour ne pas créer de confusion avec les illustrations dans les exemples.

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LE DISCOURS RAPPORTÉ

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D2 quand tu vises plus que la moyenne tu te retrouves au moins avec la moyenne

D3 au moins à la moyenne + ouais ouaih

D’après A. Berrendonner (1981 : 207)

recourir à un proverbe, c'est bien d'une part assumer personnellement l'énonciation de son contenu, et monter qu'on y adhère. Mais, ce faisant, c'est aussi faire délibérément montre de psittacisme : on ne présente alors sa propre énonciation que comme écho, la reproduction de multiples énonciations antérieures; on la dénonce comme mimétique.

On puise ainsi à la source de l’hétérogénéité constitutive du discours car toute parole n’est que la reformulation de propos mille fois tenus et qui sont en circulation dans la communauté linguistique. Dans l’échange ci-dessous se trouve un discours mimétique sans marque d’ostension, qui passerait inaperçu pour toute personne ne disposant pas de connaissances relatives à la vie socio-politique du Cameroun à l’époque où cette conversation est enregistrée :

75) (16-10 à 15) B3 tu peux- tu peux tu peux aller porter tes plaintes + tu hiahiahiahia non↗

B1 ah oui oui

B4 c’est le Cameroun des grandes ambitions

B3 ça va ça va laisse ça hein↗ laisse ça hein↗

B4 ici au Cameroun tu ne peux pas + tu ne peux pas ici au Cameroun

On retrouve à la troisième réplique, le slogan le plus médiatisé de la campagne pour l’élection présidentielle de 2004 au Cameroun : « Avec Paul Biya, le Cameroun des grandes ambitions »320. Le candidat voulait certainement transmettre un message fort aux Camerounais : il était temps d’aspirer à de grandes choses et le candidat leur promettait de les y conduire. Savoir si les citoyens camerounais en avaient été convaincus n’est pas l’objet de ce propos321. Seulement, l’évocation de ce slogan, des mois après les élections présidentielles322, n’est pas du goût de certains jeunes. En effet, B4 fait une mention ironique

320 Une affiche en annexe soutient nos propos. 321 Il n’est peut-être pas superflu de mentionner que le président candidat sera réélu avec une majorité très confortable. 322 L’enregistrement est fait en décembre 2005 et les élections avaient eu lieu en novembre 2004.

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CHAPITRE VI

LE DISCOURS RAPPORTÉ

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du slogan présidentiel. Il en reprend les termes exacts sans en citer la source qui est plus qu’évidente. La mention en DD de ce slogan est une « modalisation autonymique » (J. Authier-Revuz 1984, 1992,1993). Le Lct n’a pas une opinion positive de ce slogan car il continue son propos en décriant les dysfonctionnements de l’institution judiciaire : « ici au Cameroun tu ne peux pas + tu ne peux pas ici au Cameroun ». La faillite des institutions est telle que son camarade est incapable de plaisanter avec la question. Il n’apprécie visiblement pas l’humour du rapporteur puisqu’il le rabroue : « ça va ça va laisse ça hein↗ laisse ça hein↗ ». Cet énoncé autonymique est aussi la réduplication d’un certain comportement social au Cameroun, lequel se délecte des expressions marquantes des différents discours du Président de la République et les ressasse à souhait323. Ce qui installe une certaine connivence entre les membres de la société camerounaise. Les citations célèbres et les proverbes jouent une fonction sociale identique. De par leur usage en mention ce sont des DR par excellence tel que l’indique U. Tuomarla (2000 : 56) :

Un trait commun aux proverbes et aux citations célèbres est qu'ils constituent des "lieux communs" d'une époque, phrases toutes faites, clichés qui forment la vulgate d'une culture. Ce sont des figures de communion aussi pour créer un sentiment d'identité culturelle. Voisins dans la mémoire culturelle d'une époque, les proverbes sont des discours que cite le siècle. Le proverbe est donc le discours rapporté par excellence.

1.3.1.2 L’autocitation

L’auteur identifié peut être le Lct lui-même qui rapporte ses propres propos dans le but de donner plus de crédit à ceux qu’il avance hic et nunc. Pour qu’il y ait autocitation, A. Rabatel (2006 : 71-72) pose trois conditions. Le DR doit :

- référer à une situation d’énonciation et/ou à un univers de discours autonomes par rapport au hic et nunc de sa représentation;

- reposer sur des énonciateurs distincts pour l’autocitation et le discours citant, même s’ils réfèrent au même locuteur et au même sujet parlant ;

- prendre la forme d’un « discours » antérieur réel ou présupposé tel, à la forme affirmative ou négative, selon la nature de l’interaction.

Ainsi, L’autocitation recouvre linguistiquement des énoncés introduits par « je dis / j’ai dit » où « je dis » s’il n’est pas au passé simple doit avoir une valeur de présent historique.

323 On évoquera entre autres les célèbres « rigueur et moralisation », « retroussez vos manches », « bientôt le bout du tunnel », et du célébrissime « un seul mot, continuez » adressé à l’équipe nationale de football à la suite de ses nombreux exploits.

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Le décalage temporel facilite effectivement la perception de l’écho dans les exemples ci-dessous :

76) (118-8) D1 j’ai dit à R. que bon + XX lui même il n’était pas il n’y est pour rien là-dedans

77) (16-3 à 6) B2 comprends alors maintenant que quoi hein↗ c’est pour ça que je vous ai dit tout à l’heure que quoi hein ?

B1 mhmm

B2 il y a les gens que tu vas toucher + ce n’est pas le vumvumvumvum que l’on raconte là

Dans l’exemple 77 cependant, le DR est un maillon de la construction d’une argumentation qui se veut persuasive. Le Dcé est introduit par une forme interrogative (question rhétorique) qui force l’attention des interlocuteurs. La réaction positive de l’un des interlocuteurs le rassure et il peut énoncer son point de vue au présent de l’énonciation (parce qu’il n’est pas différent de celui qu’il a énoncé quelques temps auparavant). En même temps qu’il avance son argument il fait passer une information sur sa personne. Même s’il y a coïncidence du locuteur dans les deux énonciations mises en rapport, les énonciateurs sont bien distincts. Il y a aussi une différenciation temporelle en dépit du report d’argument dont la validité du passé se confond avec celle du présent. L’écho-énonciation est une forme de mise en perspective de soi. Le locuteur tient à démontrer à ses interlocuteurs qu’il reste cohérent : « j’ai dit ceci tout à l’heure, je le maintiens maintenant ».

En revanche, dans un énoncé du type « je dis », l’écho peut être neutralisé par la portée réflexive du verbum dicendi. Pour plusieurs linguistes [Bruña- Cuevas (1996 : 38), Mochet, (1993 : 124) et Leech et al.1997 : 99)]324, des occurrences construites sur ce modèle ne sont pas des DR. Le verbe dire a une valeur performative, c’est-à-dire que le locuteur accomplit « l’acte de dire » par le simple fait qu’il asserte explicitement qu’il « dit ». C’est une prise en charge du discours. Il ne saurait donc y avoir description d’un acte de langage (DR) et acte de langage (performatif) à la fois. C’est aussi le point de vue de L. Rosier (1999 :198) lorsque, abordant le délocutif325en « selon X ; d’après X, pour X », elle exprime ses réticences quant à la présence du DR dans les énoncés introduits par « pour moi » :

324 In S. Marnette (2006). 325 La personne dont on parle, par opposition au locutif qui désigne la personne qui parle et l’allocutif qui revoit à la personne à qui l’on s’adresse (P. Charaudeau & D. Maingueneau 2002 : 351).

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Peut-on cependant voir dans ces formes une théâtralisation de l’énonciation, c’est-à-dire une mise en scène de sa propre énonciation, qui se rapporte alors comme l’opinion d’autrui ? Ce serait introduire un dédoublement énonciatif conscient - en-deçà de l’hétérogénéité constitutive de tout discours et de la division inéluctable du sujet lacanien bien entendu - difficilement tenable eu égard à l’effet produit par ces formes.

Pour S. Marnette (2006 : 29) au contraire, la modalisation du dire et la reproduction des paroles ne s’excluent pas mutuellement. Elle repousse les frontières du DR pour englober des expressions performatives ou modales du type je dis que … et je pense que…. O. Ducrot (1984) pour sa part, n’y voit d’ailleurs pas de performativité, sinon une confusion entre langage et métalangage, confusion entretenue par les linguistes à cause de la nature même de leur science qui veut que l’appareil descriptif soit exactement de la même nature que l’objet d’étude. Il estime qu’aucun énoncé ne peut accomplir un acte par le seul fait qu’il déclare l’accomplir. Ce que l’énoncé fait, c’est « montrer » que la structure qu’elle arbore est souvent utilisée pour accomplir un certain type d’actes. D’où la distinction qu’il opère entre « dire merci » et « dire-merci » où l’acte de remercier comprise dans la formule « je te dis merci » n’est considérée comme l’équivalent de « merci » que parce que « je te dis merci » a été l’objet d’une dérivation délocutivedérivation délocutivedérivation délocutivedérivation délocutive326.

L. Perrin (2000a) pour sa part, réfute la troisième condition de A. Rabatel (2006)327. Dans une perspective argumentative, le locuteur peut très bien prendre en charge ce qu’il a dit/dit ou dira dans un « argument d’autorité autoargument d’autorité autoargument d’autorité autoargument d’autorité auto----allusifallusifallusifallusif ». Pour lui, tous les emplois du locutif avec des verbes de parole, aussi bien au passé qu’au présent sont des formes d’autophonieautophonieautophonieautophonie328. La distinction autophonie externeautophonie externeautophonie externeautophonie externe et autophonie interneautophonie interneautophonie interneautophonie interne est basée sur l’aptitude d’un énoncé à satisfaire le test circonstanciel ou test de reproductibilité.

1.3.1.2.1 Autophonie externe et autophonie interne

Soient les énoncés suivants :

78) (82-3) D1 il y a le porc au salon on et là hier je croyais XX même nangnangnangnang merde il y a les wwwweeee que tu veux hia hia hia hia tu veux tu entends seulement un ngrooo ngrooo je dis que mais il y a le porc ?

326 Fabrication d’une propriété à partir d’un discours. 327 « prendre la forme d’un « discours » antérieur réel ou présupposé tel, à la forme affirmative ou négative, selon la nature de l’interaction ». 328Le souci d’harmonisation terminologique chez L. Perrin (2006 : 41) va donner naissance à l’autophonie qu’il définit comme une polyphonie à la première personne, par opposition à diaphonie (polyphonie à la deuxième personne) et hétérophonie (polyphonie à la troisième personne).

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79) (138-1 à 3) Y3 il fallait que le but tombe même de l’autre côté-là

Y1 il pouvait vraiment arrêter le penalty de Tisier là hein

Y3 je /te, ø/ dis que + il partait même de l’autre côté-là

Au premier exemple, on peut ajouter la forme circonstancielle « à ce moment-là » juste avant « je dis que mais il y a le porc ? ». L’introduction de cette forme confère au DR une valeur échoïque qui en fait une autophonie externe : «…à ce moment-là, je dis que mais il y a le porc ? ». Le test circonstanciel vient confirmer l’existence de DR dans des formules modales au présent historique. Ce type de manipulation est impossible dans le deuxième exemple (« *en ce moment-là, je /te, ø/ dis que + il partait même de l’autre côté-là » ou « *dans ces cas-là, je /te, ø/ dis que + il partait même de l’autre côté-là ») qui ne passe pas le test de reproductibilité. C’est un cas d’autophonie interne qui met en rapport non pas deux deixis mais deux facettes du locuteur, le locuteur-L (locuteur en tant que tel) et le locuteur-λ (locuteur en tant qu’être du monde)329. L’effet de sens qu’il produit serait différent si Y3 avait dit « il partait même de l’autre côté-là ». Ce dernier énoncé ne donne pas d’information sur le locuteur-L ou sur le locuteur-λ. C’est un avis comme un autre dans la masse des échanges, un avis présenté par le sujet parlant qui n’en assume pas explicitement la responsabilité. En revanche, dans « je dis que + il partait même de l’autre côté-là », « je » réfère à la fois au locuteur-L, au locuteur-λ et à l’énonciateur330. Davantage d’informations sont fournies et L rapporte le point de vue de λ qui est l’énonciateur dans cet exemple.

Nous partageons donc l’avis de S. Marnette (2006 : 32) qui, lorsqu’elle affirme que « l’énoncé je dis (que) X devrait être considéré comme du discours rapporté », se fonde sur « l’hétérogénéité de l’inconscient exemplifiée par la distinction (L et λ) ». Dans un DR univoque, la mise en scène drastique du discours de l’autre montre une hétérogénéité qui crée par contraste un effet d’homogénéité sur le reste du discours. C’est un déni implicite, par le locuteur, de l’hétérogénéité constitutive de son discours. Selon S. Marnette (2006 : 32-33),

329 O. Ducrot (1984 : 199-200) : « L est le locuteur en tant que tel […], responsable de l’énonciation, considéré uniquement en tant qu’il a cette propriété. λ est une personne "complète", qui possède entre autres propriétés, celle d’être à l’origine de l’énoncé ». 330 Distinction entre énonciateur et locuteur : « l’énonciateur est au locuteur ce que le personnage est à l’auteur. […] le locuteur, responsable de l’énoncé, donne existence […] à des énonciateurs dont il organise les points de vue et les attitudes » (O. Ducrot 1984 : 205).

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en utilisant je dis que X, le je essaie de s’identifier explicitement à a fois au locuteur-L et au locuteur-λ pour montrer son discours comme unifié (je suis responsable de ce que je dis) mais paradoxalement cet effort (surmarquage du discours comme DR trahit le fait que ces deux facettes sont essentiellement différentes (ce que je suis n’est pas ce que je dis).

La complexité des énoncés en « je dis » provient du recoupement net des éléments de la deixis des deux énonciations. Leur interprétation autophonique d’après L. Perrin (2006 : 45) « peut être associée à certaines marques linguistiques dérivées diachroniquement de constructions autophoniques externes ».

1.3.1.2.2 Dérivation formulaire

Dans un énoncé comme celui-ci,

80) (31-20) B2 […] je dis que hein c’est comme si on m’avait seulement attaché dans l’affaire-ci + il a holholholhol l’avance et le deuxième doit être son frère il est à côté de lui comme ça hein + je te dis

B. Vérine (2006 : 61), estime qu’

il y a bien là enchâssement formel de deux propositions, donc si l’on veut dédoublement de l’énoncé et à coup sûr double modalisation, mais il n’ y a ni enchâssement énonciatif ni double énonciation, dans la mesure où la situation demeure une et identique, les instances d’interlocution et d’actualisation modale restant par ailleurs les mêmes. Il ne s’agit donc plus de représentation d’un discours autre, mais de modalisations du dire en cours.

Les analyses de L. Perrin et S. Marnette (op. cit.) nous incitent à dépasser le cadre performatif. Les préfaces introductives réflexives connaissent une évolution diachronique. En effet, à partir de la base « je dis » l’usage génère des expressions modalisatrices comme « je peux te dire que » ou encore « je dois dire que », et à force d’être répétée aboutissent à des parenthétiques du type « à vrai dire » « pour ainsi dire » ou encore « je veux dire ». C’est ce processus de « dérivation fodérivation fodérivation fodérivation formulairermulairermulairermulaire » (L. Perrin 2006 : 45) que nous voulons démontrer pour les formules modalisatrices en FRACAM.

En effet, le corpus oral conversationnel que nous utilisons regorge d’expressions modales dont la structure et le fonctionnement connaissent des évolutions similaires aux variétés orales en Europe et en Amérique du Nord, tout en s’affirmant comme spécifiquement camerounaises. Dans l’exemple 80 précédent, les formules modales bordent les propos du locuteur à la manière des guillemets. Il y a clairement une volonté d’insistance de la part du locuteur qui de ce fait met en scène son discours de la même manière que cet

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autre locuteur camerounais qui appuie son dire par une double emphase : sur sa personne (moi)331 et sur son discours (non↗)332.

81) (14-1) B1 XX moi je te dis non↗ oh : quelqu’un a déjà porté la main sur toi ?

Dans l’énoncé qui suit « vouloir seulement » porte sur une attitude propositionnelle du locuteur en tant que tel qui participe à la mise en scène de son énonciation en cours.

82) (17-26) B3 c’est pour ça que bon + je veux seulement te dire quelque chose + bon XXX tu me suis un peu non↗

La mise en scène formulaire est davantage perçue dans l’énoncé suivant où le locuteur reprend une séquence déjà prononcée. Si l’on s’en tient strictement à la chronologie et à la matérialité du discours, on verra un effet de reproduction (donc DR – reprise en modalisation autonymique) dans la séquence modale. Mais les deux séquences sont dans le même tour de parole. La reprise a donc un effet d’emphase sur l’énoncé, mais aussi et surtout sur le « je » locuteur-L qui veut attirer la compassion de son auditoire sur le locuteur-λ victime d’une injustice.

83) (21-11) B3 j’ai touché j’ai fait un heu- j’ai fait peut-être une heure ici à la brigade ter + pour un sale problème comme ça là + où j’ai perdu l’argent XX + je dis que pour un sale problème que je ne connais même pas […]

L’exemple suivant est une expression modale d’opinion qui use aussi du procédé emphatique pour sa mise en scène. On remarquera que l’énoncé présente toutes les caractéristiques formelles du DR en FRACAM : la pause après « que » et le rapprochement du Dcé cité vers le pôle DD. La concordance des temps qui en aurait fait une énonciation unifiée (DI) n’est pas appliquée.

84) (132-18) Y2 moi je /comptais, pensais/ que + l’année prochaine on sera là pour la coupe de la confédération

On comprend mieux le point de vue de Thompson (1996) pour qui les performatifs explicites tels que « je promets » ou encore des expressions modales telles que « je pense » affectés par la dérivation délocutive, se sont fortement éloignés de leur fonction originelle dévolue à la représentareprésentareprésentareprésentationtiontiontion du langage, c’est-à-dire du DR :

Of course phrases such as "I promise" and especially "I think" have now become so conventionalized that the link with reporting is fairly weak; but it is clearly not accidental that they derive from lexico-grammatical configurations whose main purpose is to report language. We can understand better how

331 Par effet de contraste (cf. la dislocation du pronom tonique, chapitre V). 332 Nous aurons l’occasion de revenir sur le caractère emphatique de non↗ dans le chapitre sur l’interrogation.

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they mean what they do if we include in the explanation the perspective that comes from seeing them as language reports. 333

Dans le FRACAM, la fréquence des énoncés du type « je dis… » à l’oral conversationnel semble aller au-delà de la performativité et du DR. En effet, « je disje disje disje dis… » se spécialise comme une marque forte de prise de paroleune marque forte de prise de paroleune marque forte de prise de paroleune marque forte de prise de parole. La forme la plus sollicitée est celle qui se termine par « hein » à valeur phatique évidente.

85) (69-12 à 18) B1 il y a l’autre il y a l’autre qui vient comme l’avion + il y a l’autre qui vient en principe comme l’avion

B4 ouais

B1 je dis hein↗ tu mmmmuf uf uf uf comme ça là

B3 c’est la magie

B1 haa : c’est l’avion que tu as arrêté donc quand tu mets ta main comme ça là

86) (135-12 à 17) Y2 regarde la champions league + hein + il peut voir qui ? il il s’en va aussi embrasser les joueurs de Chelsea comme ça ?

Y3 comme c’est le Cameroun comme c’est le Cameroun + il sait que : on va pas le :

Y8 non non non il y a les choses qu’il faut faire non

Y2 je dis qu’hein : imagine que c’est contre Chelsea là

87) (103-2) D5 je dis hein↗ je gogogogo seulement me coucher + je ne dis plus rien

88) (112-13) D2 je dis que mama + on était dans le taxi avec qui Déborah ? peut- être toi aussi ?

On s’éloigne sensiblement de la modalisation pour établir et/ou maintenir le contact avec l’allocutaire. La valeur pragmatique de ces introducteurs correspond à « écoute-moi » remplissant ainsi la fonction phatique de R. Jakobson334. En effet, si des relents de modalité se laissent encore percevoir dans les exemples 85 et 86, il n’en reste plus aucun soupçon dans les exemples 87 et 88. « je dis hein » et « je dis que mama » n’introduisent pas des

333 Thompson (1996 : 508) in S. Marnette (2006 : 31). 334 Son fonctionnement est identique à la prise de contact téléphonique « allo ».

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propositions au sens logiciste du terme. Ils sont à la tête des séquences narratives, ce qui les prive de la fonction modalisatrice du dire. Tout compte fait il n’y a pas de discours au sens benvénitien du terme. On a ici des formules de prise de contact et maintien du contact en situation conversationnelle.

Parfois, le locuteur donne l’impression d’insister afin d’obtenir le tour de parole en obligeant pratiquement son destinataire à l’écouter. Ces tours phatiques ont dans le cas d’espèce le statut juridique de l’interpellation lorsqu’ils s’achèvent sur la particule « hein » comme dans les exemples 85,86 et 87. Il en est de même de « je dis que quoi hein » ci-dessous.

89) (16-3 à 6) B2 comprends alors maintenant que quoi hein↗ c’est pour ça que je vous ai dit tout à l’heure que quoi hein↗

B1 mhmm

B2 il y a les gens que tu vas toucher + ce n’est pas le vumvumvumvum que l’on raconte là

Ce n’est plus une assertion mais une invitation à la co-construction d’un point de vue. Ce type de préface se place majoritairement en début d’énoncé.

La dérivation formulaire aboutit en FRACAM à des énoncés où seule la préface introductive tient lieu de discours.

90) (144-9 à 15) LX le pro le problème c'est que hein le commerce vous-mêmes vous savez que le commerce c'est c'est un qui perd gagne

L2 surtout la période des fruits-ci là

L8 parce que pour le moment il n'y a pas assez de marchandises il y a des fois c'est-à-dire que c'est normal que les gens tournent à perte

L2 je te dis que hein

L8 beaucoup de gens comprendront ça tard

En dépit des apparences, la deuxième réplique de L2 comporte un contenu propositionnel qui peut être glosé par « je suis tout à fait d’accord ». Dérivation formulaire avancée dans laquelle il n’y a ni présentation ni représentation d’un quelconque discours. La modalisation d’un discours en cours est de ce fait exclue.

Ce phénomène pourtant très répandu dans l’oral camerounais n’est pas très représenté dans notre corpus. Nous importons une expérience personnelle pour pallier ce

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manque335. Alors que nous sommes justement en train de réfléchir sur les formules modales, nous avons une discussion avec l’une de nos étudiantes au sujet des études après la licence. Précisons tout de suite que l’étudiante en question et nous avons des relations quasi-familiales. Cette proximité nous permet de discuter sans pression normative particulière336. Nous évoquons des difficultés structurelles et matérielles et voici ce qui surgit337 :

L’enseignante : c’est compliqué hein↗

L’étudiante : je te dis qu’hein :↗ c’est compliqué jusqu’à ::

[Rires des deux]

L’enseignante. : chaque étape franchie est le début de nouveaux problèmes

L’étudiante : je te dis qu’hein :↗

Dans les répliques de l’étudiante, on peut entendre la glose « je suis tout à fait d’accord » et même « j’aurais pu le dire moi-même ». D’ailleurs la première occurrence de « je te dis qu’hein↗ » est suivie de la reprise des mots de la première locutrice. Il y a donc visiblement DR. Pour marquer son adhésion et son appropriation des mots émis par la professeure, l’étudiante ajoute un modificateur d’intensité panafricain « jusqu’à :: ». La réplique de l’étudiante signifie en d’autres termes : « je t’assure / c’est vrai, c’est très (très) compliqué ». L’explicitation de la première réplique de l’étudiante nous permet de dire que la formule « je te dis qu’hein :↗ » est diaphonique . Elle est suscitée par les propos de l’allocutaire et par ce fait son énonciation rappelle implicitement celle de l’allocutaire. La monstration d’un discours autre est sous-jacente à la formule « je te dis qu’hein :↗ ».

Grâce aux formules modales les autres personnes peuvent avoir accès aux pensées et convictions intimes du locuteur. Seulement, ce dernier ne présente que ce qu’il juge digne d’intérêt pour la préservation ou pour l’amélioration de son image auprès de son auditoire. Cette mise en scène prend parfois des contours de théâtralisation

335 Nous rappelons l’importance d’une connaissance des habitudes linguistiques de la communauté sociale décrite. Le regard interne permet d’approfondir les analyses dans le cadre de modèles externes. 336 Pour l’étudiante, nous pensons, parce que de notre côté nous demeurons la professeure que l’étudiante consulte pour des conseils. 337 Très vite noté en présence de l’étudiante (12/11/2007)

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1.3.2 LA THÉÂTRALISATION

L’autocitation est une mise en scène de soi et de son discours qui prend très souvent en FRACAM une forme spectaculaire.

91) (143-19) L2 je n'avais pas je lui ai donné une petite partie j'ai dit que ééé excuses-moi il n'y a pas moyen – (marchés)

92) (94-2) D1 moi je dis que hein + si Henry veut me montrer qu’il est un attaquant hein il part en Italie il perce gaougaougaougaou + je vais dire que + grand maître seigneur dieu Henry

La représentation d’un discours dit ou d’un discours susceptible d’être dit font l’un et l’autre l’objet d’énonciations où le spectacle est donné à renfort d’une exclamation traînante d’une part et d’adjectifs mélioratifs d’autre part. Le deuxième discours est vraiment théâtral dans la mesure où le locuteur représente une opinion à laquelle il n’adhère pas et qui a très peu de chances de trouver son adhésion même dans le futur. La possibilité de changement singé a la même valeur argumentative que les autres discours réflexifs, celle de montrer la stabilité psychologique du locuteur. Les énoncés hypothétiques semblent favoriser la fonction de théâtralisation comme on peut le voir dans les exemples ci-dessous :

93) (31-7) B1 j’ai trop versé+ autrement dit je suis en train de me battre pour avoir même onze comme ça + si j’ai onze je vais dire que + bon ça va je n’ai pas échoué le trimestre + je reste tranquille

94) (51-20) B4 je vais dire que + tu payes

95) (71-5) D1 demain là je vais proposer + quand je vais tchatchatchatcha le takertakertakertaker et je vais dire que + j’ai cent vingt-cinq djodjodjodjo tu veux pas tu veux pas tu me laisses ça va il y a pas de place + je wakawakawakawaka

La théâtralisation sollicite-t-elle plus la forme du DD? Pour le FRACAM la réponse est positive. Au demeurant, tous les exemples convoqués font apparaître un locuteur-L distinct du locuteur-λ (dont les paroles éventuelles futures sont rapportées) et le style direct surligne l’effet d’écho des séquences autophoniques externes. En effet, l’éventualité d’une situation énonciative au futur permet une distanciation maximale du Dcé. Le locuteur se met en scène avec détachement en exacerbant les traits de sa personnalité qu’il veut mettre en avant.

2 LA MISE A DISTANCE DU DIT

Il s'agit ici d'expliciter la relation que le locuteur citant entretient avec le discours qu'il rapporte en décrivant la relation de l'énoncé contenant avec l'énoncé contenu.

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Le verbe de citation choisi par le Lct reflète quelque peu l'attitude communicative du locuteur de la première énonciation, qui peut être assertive, interrogative ou injonctive.

2.1 LE CHOIX DU VERBE DE CITATION

À l’écrit, les verbes de citations sont nombreux (comme nous l’avons mentionné dans la première partie de ce chapitre) et la recherche stylistique fait que les auteurs cherchent à respecter au plus près le cadre énonciatif ayant suscité le discours d’origine. Pour cette raison, la liste des verbes susceptibles d’introduire le DR reste ouverte. Cependant, nous avons déjà remarqué que l’oral conversationnel, quel que soit le lieu considéré, est moins sophistiqué que l’écrit en ce qui concerne le lexique. Le verbe-morphème dire sied à la quasi-totalité des situations énonciatives en FRACAM. Comment sont donc compensées les formes de mise à distance qui ne sont pas lexicalisées ?

Rappelons aussi que les faits d’hybridation tournent à l’avantage du DD comme forme prototypique du DR. Ainsi, le discours d’autrui est rendu dans une forme qui soit la plus proche possible de la forme d’origine. Pour informer son interlocuteur sur l’attitude discursive et les éventuels sentiments qui animent le Lcé au moment de son énonciation, le Lct joue sur les modulations de la voix. Le mime y tient donc une place de choix.

96) (32-21) B1 je vais changer les données au deuz-tri338 les gars vont dire que + laisse

Ici, « laisse » est dit sur un ton pleurnichant alors qu’il s’agit d’un discours évoqué ou d’une pseudo-reproduction selon la terminologie de D. Vincent & S. Dubois (1997).

Le DR embrayé directement sur un verbe descriptif par l’entremise de « que » véhicule implicitement le verbe « dire » :

97) (22-2) B donc on m’a seulement XXX comme ça c’est le deuxième jour que le mbere mbere mbere mbere a a laissé que + non + il faut quand même appeler

Le rapporteur raconte la mésaventure qui l’a conduit dans une cellule à l’insu de ses parents et amis. Au bout du deuxième jour de détention, ses bourreaux lui permettent d’informer les siens. « laisser » est donc ici une forme synthétique qui permet au locuteur d’informer son auditeur sur le fait que son coup de fil est une réaction à deux actes illocutoires : le premier est le fait de dire quelque chose « il faut quand même appeler » et le second est la permission qui lui est accordée (dont on ne connaît pas les termes utilisés).

338 Deuxième trimestre

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CHAPITRE VI

LE DISCOURS RAPPORTÉ

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Dans l’exemple qui suit, le locuteur se sert d’un argument d’autorité pour marquer son adhésion au discours qu’il projette sur le capitaine.

98) (137-1) Y2 un gardien au moins il dit que quand on dit que le gardien choisit son angle + choisis ton angle tu tombes là-bas

La mise à distance n’est le plus souvent pas lexicalisée. Il faut alors se rabattre sur des indices paralinguistiques tels que le mime, la gestuelle et les modulations vocales. Quelquefois néanmoins, la distance coïncide avec un certain effacement énonciatif des formes en « on-dit ».

2.2 AUTRES FORMES DU ON-DIT

En plus du discours d’autorité, le « on-dit » permet soit de fuir, soit de partager la responsabilité d’un énoncé. Le phénomène est décrit sous le terme d’effacement énonciatif.

99) (84-14) D1 […] on dit que noonoonoonoo allons nangnangnangnang le gars dit que non le film ce n’est pas le genre de la momie que vous avez déjà témoigné là c’est un autre que qui vient de komotkomotkomotkomot mon frère éhééhééhééhé ::::::::

100) (117-6) D1 le chauffeur là il est XX on était au parquet l’autre jour là il fait même comme s’il vient seulement XX les gens là c’est lui qui était venu avec l’avocat hein + comme B. est parti là on dit renvoyé + après peut-être cinq minutes il est venu

Dans les deux premiers exemples de la série, les locuteurs d’origine sont parfaitement connus du Lct. L’emploi du on n’a cependant pas la même valeur énonciative. En effet, le locuteur dans l’exemple 99 s’efface au profit d’un on collectif qui permet de partager les responsabilités. Dans l’exemple 100, il y a juste une évocation d’un ailleurs source de l’énoncé, ailleurs volontairement tu par le locuteur (manipulateur) parce qu’il n’est peut-être pas indispensable à la compréhension de son récit, mais surtout parce que cet ailleurs est évident pour tous : « renvoyé » dans un tribunal est forcément prononcé par un juge.

3 LA CRÉATION D'UN ESPACE ÉNONCIATIF PARTICULIER

En définissant des critères de reconnaissance des divers types de DR, la grammaire normative a voulu figer des formes de représentation du langage. Dans les usages de manière générale, et dans l’oral conversationnel en particulier, l’identification des formes canoniques de la trilogie DD/DI/DIL est loin d’être évidente et systématique. D’où

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LE DISCOURS RAPPORTÉ

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l’émergence d’une catégorie que les observateurs se bornent pour l’instant à appeler formes mixtes.

3.1 LES FORMES MIXTES

Que ce soit dans les écrits journalistiques (L. Rosier 1999 ; U. Tuomarla 2000), ou dans des corpus oraux (M.-M. De Gaulmyn, 1992 ; D. Vincent & S. Dubois, 1997), tout le monde s’accorde sur le fait que beaucoup d’énoncés sont marqués par des traits d’hybridation.

3.1.1 L’HYBRIDATION DD/DI

Selon la vulgate, que fait office de cloison entre les deux formes canoniques DD et DI car il appartient au second exclusivement. Ce rôle de différenciation censé être joué par le joncteur que est pratiquement devenu caduque en FRACAM puisque que se veut désormais le signalement de l’hétérogénéité montrée. Il devient dans ce contexte très difficile de distinguer formellement le DD et le DI. Une définition purement syntaxique du DR ne correspond donc pas aux faits attestés. U. Tuomarla (2000 : 115) abonde dans le même sens en affirmant que :

Ni le DD, ni le DI ne sont en tant que tels des catégories syntaxiques pour le finnois. […] Le rapport entre les discours contenant et contenu est étroitement lié à la problématique d'hybridation […] le finnois nous montre clairement que l'oral ne distingue pas systématiquement le DD du DI.

Nous nous approprions alors cette redéfinition de L. Rosier (1999 : 125) :

Le discours rapporté est la mise en rapport de discours dont l'un crée un espace énonciatif particulier tandis que l'autre est mis à distance et attribué à une autre source, de manière univoque ou non.

L’espace énonciatif est particulier dans la mesure où les locuteurs disposent de plusieurs schémas structurels pour marquer les énoncés rapportés afin que les destinataires les perçoivent comme tels. Contrairement à ce que pense D. Maingueneau (1991), ce marquage ne nécessite pas absolument l'emploi d'un verbe ou d'une formule introductive. L'attribution du dit est donc directe et/ou indirecte. De manière générale, c’est le contexte dans lequel s'intègre le discours qui permet à l'allocutaire d'interpréter un énoncé non signalé par des marques explicites comme étant des propos dont la responsabilité incombe à un autre locuteur (différent du sujet parlant).

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On ne peut se résoudre à l'irréductibilité des formes des DD et DI à cause d’un certain nombre de phénomènes parmi lesquels la réification du DD , le DD avec que et le que sans verbe introducteur.

3.1.1.1 La réification du DD

Le DD est réputé pour sa fidélité et le DI pour son infidélité. Il est aussi admis que le DD retransmet textuellement le message original. Pourtant, les nombreux cas de réification plaident contre la véracité du DD. En effet, les fictions discursives sont présentes non seulement dans les phrases hypothétiques, mais aussi dans les énoncés dont le procès est itératif :

101) (18-2) B1 lui quand il te dit que : + je vais te piquer + tu me suis un peu non↗ + donc quand il te dit que je vais te piquer donc en te disant que : je vais te piquer qu’il est déjà en train de te piquer + tu me suis un peu non↗

La pluralité des situations (suggérée par quand) remet en cause la singularité événementielle que présuppose la thèse autonymique du DD (U. Tuomarla 2000). Un DD attribué à un ensemble de locuteurs dans l’énonciation originale ne peut être que faux :

102) (36-1) B ne tente même pas hein toute la classe a dit que si tu ne viens pas on ne présente donc on a encore …

Il en est de même pour le ON-locuteur339 dans le cadre d’une co-énonciation :

103) (113-24) D1 […] il est sorti il a mis un pied dehors moi aussi j’ai aussi sorti ma face comme ça là après maintenant on a dit qu’on sort on se place là aussi debout les gens ont encore commencé à faire le tours là on a encore djumdjumdjumdjum hein alors qu’on disait déjà que les gars on on v- on va prendre la moto on part on voulait déjà prendre les motos avant que la voiture a :+ a démarré

Néanmoins, nous pensons que la thèse autonymique ne peut pas être rejetée en bloc. L. Rosier (1999) et U. Tuomarla (2000) la réfutent sur la base de corpus écrits, quoique journalistiques. Sur un corpus oral comme le nôtre, on se rend aisément compte que l’emploi discursif de certains DD répond à la définition de la modalisation autonymique théorisée par J. Authier-Revuz (1995). Le contexte dialogique est un facteur adjuvant comme on a pu le voir dans les exemples 52 et 75 repris ici :

339 J. C. Anscombre (2005).

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(52) (10-21 à 24) B2 non non il faut gérer la situation

B1 GERER

B2 il faut gérer la situation

B1 gérer quelle situation ?

(75) (16-10 à 15) B3 tu peux- tu peux tu peux aller porter tes plaintes + tu hiahiahiahia non↗ + XX

B1 ah oui oui

B4 c’est le Cameroun des grandes ambitions

B3 ça va ça va laisse ça hein↗ laisse ça hein↗

B4 ici au Cameroun tu ne peux pas + tu ne peux pas ici au Cameroun

Le DD ne dit pas toujours la vérité. En cela, sa valeur sémiotique se rapproche de celle du DI (traduction/reformulation). Un rapprochement syntaxique entre DD et DI est aussi perceptible dans le DD avec que.

3.1.1.2 Le discours direct avec « que »

De nombreux DD en FRACAM sont introduits par que comme l’attestent les exemples 16, 17 et 18 ci-dessus. Cette forme, déjà repérée en ancien français (B. Cerquiglini 1981) mérite un plus grand intérêt du fait de sa récurrence en discours. En effet, que semble se spécialiser comme traducteur en perdant son rôle de subordonnant. Bruña Cuevas (1996:30)340 indique que

la construction se rapproche de la sorte du moule syntaxique il dit que SI [style indirect], généralement attribuée au style indirect, avec lequel elle ne s'identifie cependant pas du fait que […] ses formes personnelles, temporelles et spatiales sont de type direct […]. C'est la raison pour laquelle ce type de discours a été qualifié de "discours mixte", "discours hybride", "mélange de SI et de SD", etc.

La dimension diachronique et l'étendue historique de cette construction appellent une explication qui contribuerait à inclure cette forme dans les typologies de DR actuelles.

340 In U. Tuomarla (2000 : 149).

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3.1.1.3 L’univers de « que » en discours rapporté

Dans bien des cas que joue le rôle de joncteur énonciatif dont la valeur essentielle est de signaler le caractère polyphonique du discours qui le porte. A. Queffélec (2006 : 270), face à l’omniprésence de que dans un corpus d’oral camerounais, répercute les interrogations formulées par K. Ploog (2004a : 305-306) à propos d’un corpus d’oral abidjanais :

nous n’avons pu délimiter clairement le rôle de [kE]. L‘hypothèse basse consiste à poser que l’intégration syntaxique est assurée par d’autres moyens que [kE], qui, le cas échéant, intervient de façon redondante –lorsqu’un marquage fort est requis pour des raisons discursives ou pragmatiques. L’hypothèse haute consisterait à postuler que [kE] restreint sa fonction en abidjanais à celle d’un marqueur de frontière prédicative verbale

Pour le FRACAM, nous avons pu identifier un certain nombre d’emplois particuliers de que qui participent tous de la monstration de discours polyphoniques :

� On peut d’abord citer le que subordonnant qui devient tout simplement traducteur permettant ainsi d’obtenir des énoncés qui cumulent les marques formelles du DD et du DI.

� L’existence de nombreux DD avec que découle du phénomène précédent.

� Que permet aussi d’introduire des DDL en l’absence d’un verbe introducteur spécifique comme dans l’exemple 7 précédent.

� En s’accrochant à n’importe quel l’environnement discursif du contexte conversationnel, que permet de commencer un énoncé rapporté sans aucune autre marque formelle. Toujours en début d’énoncé, que signale une diaphonie avec des énoncés du type « que je gagne combien par mois ? » qui peut survenir dans un échange comme celui-ci :

A : il faut que tu achètes une voiture

B : que je gagne combien par mois ?

Que ici a une valeur diaphonique car il indique que l’énoncé qu’il introduit, même s’il n’est pas une reproduction, est suscité par un autre discours que la réponse intègre avec l’emploi de que en attaque. Cet emploi diaphonique de que se rencontre le plus souvent dans des énoncés interrogatifs comme nous aurons l’occasion de le démontrer avec cette formule interrogative typiquement camerounaise : « que quoi ? ».

� En milieu d’énoncé, que est un appui discursif servant de relais à une première occurrence dont la position peut être dite « syntaxiquement adéquate ». C’est

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un guidage opéré à l’intérieur du discours pour soulager la mémoire de l’allocutaire. Ce phénomène est observé par M-M de Gaulmyn (1992) pour l’oral français.

� Dans son emploi polyphonique le plus inattendu, que n’est plus introducteur, il est l’énoncé, mieux il fait office de tout un discours. Notre corpus ne présente malheureusement pas ce cas de figure. Nous sommes donc obligée de procéder par introspection pour illustrer cet emploi pourtant extrêmement banal dans l’oral spontané camerounais.

A : je ne suis pas d’accord avec ton comportement

B : que :?

Il faut encore noter la modalité interrogative de l’expression qui ne peut naître qu’en contexte diaphonique. Le discours sous-entendu ici peut être glosé par « je n’ai pas compris ce que tu as dit » dans lequel « ce que tu as dit » est bien une évocation du propos de l’allocutaire. Une deuxième glose peut se ramener à « est-ce que tu peux répéter ce que tu as dit ? » dont la valeur illocutoire sera fonction du climat de l’échange et des rapports entretenus par les protagonistes. S’ils sont tendus que pourrait alors vouloir dire « est-ce que tu es capable de répéter ce que tu viens de dire ? » en signe de défi. L’échange prendrait alors la configuration suivante :

A : je ne suis pas d’accord avec ton comportement

B : que :?

A : si tu recommences tu vas voir

Ce dernier emploi de que préfigure-t-il la grammaticalisation de certaines marques de DR en FRACAM ?

3.2 PROCESSUS DE GRAMMATICALISATION ?

La variété des faits d’hétérogénéité en FRACAM n’est pas une surprise. Le domaine du DR est loin d’être représenté par la trilogie classique DD/DI/DIL. Il existe effectivement un système lexico-syntaxique justiciable du DR sur le plan structural. C’est l’univers de dire et autres verbes de parole dont les emplois s’inscrivent dans les catégories canoniques DD/DI. Les faits analysés ont démontré la limite des verbes de parole permettant ainsi au DR d’échapper à la syntaxe pour une bonne part. « À quel ensemble plus vaste appartient le DR ? » s’interroge alors M.-M. de Gaulmyn (1992 :31). Sa réponse est :

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LE DISCOURS RAPPORTÉ

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L’ensemble des faits qui témoignent de l’ « hétérogénéité » discursive, dont le versant sémantique est la « réflexivité » et le versant syntaxique la « reformulation ».

Les discours réflexifs de l’autocitation sont rangés sous le DR en raison du fractionnement de l’inconscient (S. Marnette 2006, L. Perrin 2006). La reformulation univoque se traduit par l’utilisation d’un verbe de citation qui structure le rapport entre le Dct et le Dcé. Des manifestations discrètes de l’hétérogénéité discursive se retrouvent parfois dans des évocations ou allusions qui font de la reconnaissance du DR un parcours d’initié. Dans ce cas de figure, les indices sont exclusivement contextuels. Ceci nous conduit à la réponse de D. Vincent & S. Dubois (1997) à la question ci-dessus formulée par M.-M. de Gaulmyn :

le discours rapporté appartient à l’ensemble des faits qui témoignent de l’hétérogénéité discursive, dont le versant interactionnel est le discours intérieur (dire à personne) et le versant pragmatique, la modalisation (manière de dire)341

D. Vincent & S. Dubois (1997) structurent le champ du DR sur un continuum en cinq points allant de la reproduction effective d’un dit à l’assertion (des expressions modales en je dis …).

Notre discussion à propos des énoncés dits performatifs a débouché sur la découverte d’une forme particulière de « je dis (que) » où la fonction phatique est mise en exergue par la particule « hein ». Une interprétation performative de la formule camerounaise « je dis (te) je dis (te) je dis (te) je dis (te) que heinque heinque heinque hein↗↗↗↗ » n’est pas satisfaisante dans la mesure où l’annonce n’est pas suivie par un contenu en termes d’un dire. Or, le fonctionnement discursif de cette suite autonome en FRACAM lui confère un contenu propositionnel de l’ordre de l’acquiescement, signe d’adhésion totale. L’emploi confirmatif de « je dis (te) que heinje dis (te) que heinje dis (te) que heinje dis (te) que hein↗↗↗↗ » découle diachroniquement de « j’ai dit que… / je dis que… » dont l’usage métalinguistique est exclusivement dévolu à la reproduction de paroles. Le verbe dire garde encore tous ses attributs sémantiques. En diachronie, dire s’éloigne progressivement de son sens de « proférer des paroles » pour symboliser d’abord la modalisation, ensuite la prise de parole pour enfin déboucher sur une parole vécue et assumée par procuration. En effet, le sens de « je dis (te) que heinje dis (te) que heinje dis (te) que heinje dis (te) que hein↗↗↗↗ » ne peut être perçu que par rapport à l’énonciation qui le précède et qui provient nécessairement de l’allocutaire. Cette dérivation formulaire342 correspond à un processus de grammaticalisation grammaticalisation grammaticalisation grammaticalisation comme le souligne L. Perrin (2006 :45). L’argument que nous lui empruntons est celui de l’ « affaiblissement de la force descriptive » de la préface

341 D. Vincent & S. Dubois (1997 :10). 342 En termes guillaumiens on parlerait de subduction lexicale.

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introductive corollaire de son figement. En FRACAM, « je dis (te) que heinje dis (te) que heinje dis (te) que heinje dis (te) que hein↗↗↗↗ » se grammaticalise comme énoncé de renchérissement.

En regard des faits d’hétérogénéité discursive dans l’oral conversationnel du Cameroun, nous nous approprions le continuum de D. Vincent & S. Dubois (1997) qui mérite d’être prolongé afin d’incorporer les énoncés confirmatifs. Ainsi, le DR en FRACAM se déploie sur un continuum qui s’étend de la reproduction au renchérissement (la seule représentante de cette valeur pragmatique est la formule « je dis (te) que hein↗ », ce qui exclut les énoncés du type « d’accord » parce qu’ils ne présentent aucune marque formelle du DR en FRACAM. C’est à partir des marques formelles que nous recherchons les valeurs pragmatiques).

1 2 3 4 5 6

Reproduire Pseudo- reproduire

Actualiser Inventer Asserter Renchérir

←___________________________________________________________________________→

+ citation – citation

La formule réflexive « je dis que hein↗ » se grammaticalise aussi comme tour interpellatif. « je dis (te) que hein↗ » est dans ce cas suivi d’un contenu propositionnel.

Nous proposons, pour terminer, la grammaticalisation de que, qui, en tant que énoncé complet généralement sous la forme interrogative, rappelle en diaphonie les propos de l’allocutaire tel que démontré dans le paragraphe sur l’univers de que en DR.

4 CONCLUSION

L’intérêt que nous portons à la description syntaxique du DR n’est plus à préciser. Cependant, au cours de notre étude, il nous a été donné de constater l’étroitesse du cadre purement syntaxique. En effet, l’étude des formes de DR sur des corpus écrits et oraux démontre que la réalité des faits linguistiques n’est pas aussi tranchée comme une certaine vulgate réductrice veut le faire croire. Les locuteurs prennent des libertés déconcertantes et les énoncés ne se laissent pas toujours classer sous les étiquettes existantes. La règle de l’hybridation fait apparaître des DD avec que, des DI sans que et des DDL. En fait, la complexité du phénomène DR tire sa plus grande part d’intérêt du côté pragmatico-énonciatif

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CHAPITRE VI

LE DISCOURS RAPPORTÉ

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plutôt que du côté syntaxique proprement dit. Le DR entre en effet dans diverses stratégies discursives où la présentation de soi et de son propre discours aux côtés de la représentation du discours d’un autre doit tourner à l’avantage du rapporteur, lequel tire toutes les ficelles. De ce point de vue, il nous importait de décrire les manifestations des valeurs et du fonctionnement discursif de la citation sur la base formelle syntaxique et sémiotique de ces valeurs. Le morphème que s’est révélé être le mot par excellence du DR. Quel que soit son environnement, il fait office d’indicateur de polyphonie en FRACAM.

Notre question de départ au sujet du DR était de savoir si l’exigence scolaire qui s’accompagne du martèlement des puristes camerounais permettait que les critères de différenciation et les règles de « transposition » en DR soient appliquées. Force est de constater que la différenciation DD/DI est inexistante et que les transpositions (absentes chez les basilectaux d’après A. Queffélec 2006) sont partielles chez les jeunes en cours de scolarisation. Les jeunes et les moins jeunes (locuteurs peu scolarisés) se rapprochent par cette tendance à rendre les discours convoqués sous une forme directe qui permet d’éviter les méandres de la transposition. La réponse à la question de départ est donc négative. On arguerait alors que nos informateurs sont des cas patents d’apprentissage non abouti. La comparaison avec des aires francophones de locuteurs natifs a démontré que les faits d’hétérogénéité montrée qui y sont attestés sont pour une bonne part des monstres grammaticaux au regard des règles normatives s’appliquant au DR. Les discours puristes au Cameroun surestiment le pouvoir des institutions scolaires et sous-estiment les mécanismes universels qui président au changement linguistique. En effet, ce dernier ne peut s’expliquer que par l’hétérogénéité inhérente aux langues comme nous le verrons dans le chapitre VIII.

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CCHHAAPPII TTRREE VVII II

LL’’ II NNTTEERRRROOGGAATTII OONN

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CHAPITRE VII

L’INTERROGATION

235

1 LES MARQUES FORMELLES DE L’INTERROGATION

La tradition grammaticale distingue l’interrogation directe et l’interrogation indirecte. Cette distinction s’appuie sur des critères purement formels. Mais comme nous le verrons dans les lignes qui suivent, cette typologie n’est pas toujours applicable sur des corpus de conversation car la frontière n’est pas aussi évidente qu’à l’écrit.

1.1 L’INTERROGATION DIRECTE

L’interrogation directe, comme l’appellation l’indique, interroge sans détour. Ses traits caractéristiques sont l’inversion sujet-verbe et l’utilisation en début d’énoncé du morphème est-ce que. Cette description est valable pour l’interrogation totale. L’interrogation partielle se focalise sur un élément de l’énoncé à travers des mots interrogatifs tels « qui, quand, comment, etc. ». L’élévation de la voix en fin d’énoncé à l’oral est traduite par le point d’interrogation à l’écrit. Cependant dans bien des cas, l’intonation seule suffit à distinguer une phrase assertive d’une phrase interrogative. A. Berrendonner (1981) estime d’ailleurs que c’est la marque véritable de l’interrogation.

Le corpus de FRACAM contient les formes canoniques répertoriées par la grammaire traditionnelle. On retrouve ainsi pour l’interrogation totale par ordre de fréquence,

- l’intonation montantel’intonation montantel’intonation montantel’intonation montante :

1) (226-1) L3 ça arrive à Mboma ? il lui arrive de le faire ?

2) (230-12) L1 les Chinois ne nous connaissent pas ? nous on ne les connaît pas ?

3) (75-26) D3 il wok wok wok wok dans le chantier de son de son de son oncle ?

La structure des énoncés est celle du déclaratif. Seule l’intonation montante nous permet à l’oral de savoir qu’il s’agit d’une question. L’interrogation totale par intonation montante constitue l’écrasante majorité des énoncés répertoriés, confirmant ainsi une tendance déjà observée par F. Gadet (1996 : 112) pour les français du Nord. Les rangs sont gonflés par un raz-de-marée d’énoncés s’achevant sur « non ». L’interprétation interrogative de pareilles structures ne peut se faire qu’en contexte. Et c’est l’accueil qui leur est réservé par les interlocuteurs qui permettra d’en décider. Trois exemples de paire adjacente suffisent à éclairer la difficulté :

4) (8-28) B1 ce sont les avantages que tu cherches non↗

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CHAPITRE VII

L’INTERROGATION

236

B2 ouais + ça ce sont mes avantages

5) (50-8, 9) B2 tu étais à la porte non ↗

B4 j’étais en train de pointer mon argent

6) (52-3, 4) B4 je vais te visser non↗

B2 tu peux me visser ?

Sans hésitation on voit une interrogation dans l’exemple 1. L’exemple 2 est déjà plus ambigu, à cheval entre interrogation et assertion. Quant à l’exemple 3, il est en porte à faux avec la typologie : l’énoncé avec « non » est assertif et l’interrogation se retrouve plutôt dans la deuxième réplique (avec intonation montante toujours). Cette situation instable du point de vue formel appelle un traitement des énoncés avec « non » dans la partie proprement discursive du chapitre, celle qui est réservée à l’acte de question.

Une bonne partie des interrogations totales se caractérise par

- l’utilisation de la forme l’utilisation de la forme l’utilisation de la forme l’utilisation de la forme estestestest----ce quece quece quece que :

Le succès de cette forme est sans conteste dans la langue parlée. Elle présente l’avantage d’être sans équivoque grâce à l’ajout de la particule est-ce que à l’énoncé déclaratif. Elle a aussi l’avantage d’éviter une interrogation avec inversion lorsque celle-ci commence par un mot interrogatif :

7) (89-14) D1 est-ce que tu connais un manmanmanman qui gogogogo en Italie être meilleur buteur ?

8) (124-18) Y6 regarde Drogba + Drogba a fait ceci est-ce que Drogba est un grand joueur ?

9) (146-10) L10 non est-ce que la nuit je vais distribuer ? je laisse seulement ici elles viennent porter porter

10) (219-14) L1 expliquez moi comment est-ce que vous faites pour les nourrir

Vient enfin

---- l’inversion du sujet l’inversion du sujet l’inversion du sujet l’inversion du sujet :

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CHAPITRE VII

L’INTERROGATION

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Quel que soit le contexte d’investigation, l’inversion du sujet est une structure assez rare à l’oral. Cl. Blanche-Benveniste (1990 : 212) rapporte que cette structure devient fréquente dès lors que les sujets sont mis dans des situations où la vigilance métalinguistique est accrue, provocant ainsi « la la la la langue du dimanchelangue du dimanchelangue du dimanchelangue du dimanche ». L’un des exemples qu’elle cite provient du corpus « Dames snobs » dans lequel des enfants invités à parodier des dames de la haute société se mettent à produire en abondance des inversions verbe-sujet. L’enregistrement préalable de leurs discours naturels n’en comportait pourtant pas. C’est dire que même les enfants sont sensibles à la solennité de l’inversion dans l’interrogation (F. Gadet 1996 : 109).

La maîtrise de cette structure présuppose un apprentissage scolaire. C. de Féral (1993 :123) montre bien les tentatives de quelques Camerounais dont le niveau scolaire est inférieur ou égal au certificat d’études primaires : « À quel titre il doit savoir pourquoi tu es sortie, pourquoi d’où viens-tu ? ». Le corpus A de FRACAM ne contient que deux exemples d’interrogation avec inversion :

11) (132-1) Y1 mais s’il n’y a s’il n’y a rien à reprocher à l’équipe + pourquoi fautpourquoi fautpourquoi fautpourquoi faut----il il il il encore reconstituer l’équipe ?

12) (52-17) B2 comment se faitcomment se faitcomment se faitcomment se fait----il il il il qu’on joue hein on est en train de sortir on est en train de sortir tu comprends non↗

Le commentaire que l’on peut faire à propos du premier de ces exemples (11) est qu’il correspond à une question de relance pour réorienter la discussion. Le locuteur (qui est l’enquêteur) se comporte comme un modérateur. Quelque peu conscient de l’objet de son enregistrement, il exerce cette vigilance métalinguistique favorable à l’apparition de l’inversion. Quant à l’exemple 12, il est construit avec l’adverbe comment déjà identifié par F. Gadet (1996 : 112) comme étant le seul mot interrogatif accompagnant l’inversion dans ses corpus de conversation courante.

Dans le corpus témoin quelques exemples d’inversion sont aussi recensés :

13) (225-24) L3 Mboma est-il un joueur très moderne ?

14) (219-12) L1 combien sont-ils ?

15) (221-21) L1 vous est-il déjà arrivé d'avoir les disputes assez chaudes avec votre épouse ?

16) (222-16) L1 aimez-vous les femmes qui sont allées à l'école ou celles qui n'ont pas fréquenté ?

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CHAPITRE VII

L’INTERROGATION

238

17) (167-1) LA donc c’est le euh cinq mille francs et et et que pensez-vous de la boutique + au marché ?

En dehors de l’exemple 13 recueilli dans la conversation des locuteurs fortement scolarisés, la remarque faite pour les exemples précédents issus du corpus central (corpus A) reste pertinente. En effet, le locuteur concerné joue pleinement son rôle d’intervieweur dans l’interaction. Jeune enquêteur inexpérimenté, cet étudiant se croit obligé de produire un niveau de langue idéal sans se soucier de l’harmonie entre son interlocuteur (peu lettré) et lui. Il assume une position doublement supérieure par rapport à ses interlocuteurs : c’est lui qui pose les questions343 et il est lettré. La situation d’entretien permet donc de produire plus d’interrogations avec inversion que la conversation courante.

L’inL’inL’inL’interrogation partielleterrogation partielleterrogation partielleterrogation partielle est aussi bien représentée dans le corpus de FRACAM.

- Les mots interrogatifs se placent au début ;

18) (227-18) L1 pourquoi tu dis que c’est le courage ?

19) (228-19) L1 qui vous a dit son âge ?

mais plus souvent en fin d’énoncé en essayant toujours de respecter la structure canonique de la phrase déclarative.

20) (231-20) L1 ils sont arrivés ici quand ?

21) (230-8) L1 les gens eux ils ont trouvé où ?

À côté de ces constructions ordinaires, une construction très atypique faisant usage du mot interrogatif quoi apparaît. En voici quelques exemples :

22) (234-13) L2 la Guinness avait dit que quoi ?

23) (11-16) B5 tu dis que quoi ?

24) (144-8) L2 tu as dit que quoi ?

25) (129-21) Y1 il a marqué il a dit que quoi ?

26) (138-12) Y3 mais si l’arbitre ne validait pas on devait dire que quoi ?

27) (128-23) Y2 pour dire que quoi ?

28) (129–9) Y7 je sais que quoi même ?

343 Sur le plan interactionnel, la position haute du locuteur qui pose les questions sera abordée dans le paragraphe dédié à l’acte de la question.

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CHAPITRE VII

L’INTERROGATION

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29) (30-6) B1 c’était comme ça qu’elle me fatiguait en classe l’inverse cette année c’est l’inverse c’est que quoi ?

Ce qui est inhabituel c’est la suite « que quoi » non attestée dans les différents corpus de français parlé traitant de l’interrogation344. Sa relative stabilité et sa fréquence élevée dans le parler camerounais nous interpellent à plus d’un titre. En effet, il a déjà été constaté que cet ordre syntagmatique est couramment utilisé dans la presse à caricatures345 au Cameroun. Quelques exemples346 relevés par A. Simo-Souop (2003) illustrent ce phénomène :

30) Ahidjo-là croit même que quoi ?

31) Il pense même que quoi ?

32) Que je dise que quoi alors ?

33) Je sais moi que quoi ?

34) Tu croyais que quoi que comme tu ne m’as pas aimée personne d’autre n’allait m’aimer ?

35) On va entendre que quoi ?

36) Pour dire que quoi ?

37) Elle ne prend pas que quoi ?

Comme nous l’avons signalé dans la partie méthodologique, une partie des possibilités d’un sous-système reste inaccessible à l’observateur du fait des aléas de la récolte des données. En intégrant des données issues d’autres sources à notre réflexion, on obtient une meilleure visibilité sur ce sous-système de l’interrogation dans le français parlé au Cameroun. Il s’agit ici d’en expliciter le schéma de construction, d’en déterminer

344 Dans le chapitre réservé au subordonnant que, F. Gadet (1996 : 125) donne un exemple très proche des attestations en FRACAM :

- je l’aime quand même - quand même que quoi ?

L’auteur n’y voit pas une forme d’interrogation particulière mais plutôt un problème de subordination lié au contexte dialogal (p. 127). 345 Le Messager Popoli. 346En plus des exemples issus des journaux, certains proviennent de conversations ordinaires entre Camerounais à Paris.

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CHAPITRE VII

L’INTERROGATION

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l’environnement syntaxique, et au besoin, les raisons pragmatiques qui conditionnent l’apparition de cette structure.

1.1.1 LES CONSTRUCTIONS VERBALES EN QUE QUOI

Dans un premier temps, une analyse distributionnelle347 permettra d’établir les relations d’équivalence et de dépendance que les éléments constitutifs de la structure entretiennent entre eux.

Le relevé des séquences d’apparition permet de faire une première hypothèse. Celle de l’emploi de que quoi avec des verbes susceptibles d’introduire des complétives. Ce sont des verbes du type « dire, penser, croire, savoir, etc. ».

Si l’on s’en tient aux contextes évoqués ci-dessus, la succession des mots dans l’énoncé laisse apparaître quoi comme une proforme reprenant tout simplement un groupe lexical qui lui est proportionnel dans un contexte discursif déterminé. L’aspect dialogal est essentiel à l’apparition de cette structure et la mise en espace des énoncés de l’environnement discursif de l’exemple 22 le démontre objectivement :

L1 : La Guinness avait dit que s’ils traversent le premier tour ils auraient quoi

quoi

quoi là

L2 : La Guinness avait dit que quoiquoiquoiquoi

L3 : La Guinness va même payer toutes ces primes-là

Il apparaît clairement que quoi est une proforme proportionnelle à « s’ils traversent le premier tour ils auraient quoi quoi là » qui est dans le même paradigme que lui.

Il est tout de même intéressant de remarquer que quoi n’est pas précédé de que dans « ils auraient quoi quoi quoi là ? ». Normal, sommes-nous tentée de dire, dans la mesure où avoir n’introduit pas une subordonnée en que. Et c’est ce quoi régi par le verbe avoir qui est

347 « Une analyse distributionnelle consiste à déterminer les rapports syntagmatiques d’une unité donnée, c’est-à-dire les contextes linguistiques dans lesquels elle s’emploie, ainsi que les rapports paradigmatiques, c’est-à-dire les relations d’équivalence entre cette unité et celles qui pourraient lui être substituées dans le même contexte. » I. Choi-Jonin et C. Delhay (1998 : 150).

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L’INTERROGATION

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proportionnel à « toutes ces primes-là ». Ce dernier segment est dans la rection de payer dans une construction classique.

Dans l’exemple ci-dessous, le locuteur reprend lui-même le morceau équivalent à la proforme quoi de la que-phrase.

Tu croyais que quoi

que comme tu ne m’as pas aimée personne d’autre n’allait m’aimer ?

Dans ces exemples quoi entre dans la rection du verbe par l’entremise de que. On obtient ainsi

la Guinness avait dit ça

tu croyais ça

tu dis ça

etc..

De manière générale, il s’agit d’une complémentation du type ça. Mais en tenant compte du sens contextuel des verbes impliqués, l’homogénéité apparente s’estompe quelque peu. Nous allons donc vérifier si dans un fonctionnement classique que quoi est équivalent à qu’est-ce que (qui pose la question sur l’objet). Il serait déjà utile de signaler que seules les constructions verbales avec un sujet peuvent être soumises à ce test.

(22a) qu’est-ce que la Guinness avait dit ?

(23a) qu’est-ce que tu dis ?

(24a) qu’est-ce que tu as dis ?

(25a) ? il a marqué qu’est-ce qu’il a dit ?

(26a) … qu’est-ce qu’on devait dire ?

(28a) ? qu’est-ce que je sais même ?

(29a) ? […] l’inverse qu’est-ce que c’est ?

(30a) ?qu’est-ce que Ahidjo-là croit même ?

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L’INTERROGATION

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(31a) ? qu’est-ce qu’il pense même ?

(32a)? qu’est-ce que je dis alors ?

(33a) ? qu’est-ce que je sais moi ?

(34a) qu’est-ce que tu croyais ?

(35a) ? qu’est-ce qu’on va entendre ?

(37a) qu’est-ce qu’il ne prend pas ?

Si dans certains énoncés que quoi peut être converti en qu’est-ce que, d’autres ne l’admettent pas du tout. Cela tient soit au sémantisme des verbes impliqués, soit à l’ajout (ou la modification) de sens que le contexte camerounais leur donne. Les points d’interrogation devant les énoncés ne signifient pas qu’ils soient douteux ou fautifs au regard du français standard. C’est en FRACAM que ces formulations seraient non pas fausses, mais moins courantes ou auraient des sens carrément différents des formulations initiales plus justes. Nous ne pouvons donc pas faire l’économie de la sémantique dans une analyse syntaxique de l’oral car, comme le disait déjà O. Ducrot (1984 : 61),

l’attribution de telle ou telle signification à tel ou tel énoncé n’aura pas à être motivé par l’observation directe de cet énoncé, mais par les avantages qu’elle comporte lorsqu’on explique les effets de sens produits par cet énoncé.

Nous considèrerons les verbes séparément pour mieux illustrer cette sémantique grammaticale.

1.1.2 SÉMANTIQUE GRAMMATICALE DES VERBES IMPLIQUÉS

Nous utiliserons deux tests pour comprendre la structure des énoncés. Le premier approfondit la « question sur l’objet ». Il s’agit de savoir s’ils sont compatibles avec « qu’est-ce que et/ou quoi ». Le deuxième consiste à introduire le mot même, déjà présent dans certains énoncés, pour voir en quoi il modifie leur sens et contribue à la stabilité de que quoi dans certains schémas.

PenserPenserPenserPenser

Pour le verbe penser deux variantes ont été relevées :

(31) il pense même que quoi ? , et

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243

(31 bis) il pense que quoi ?

Les modèles de construction autour du verbe penser sont multiples348 :

� penser (intransitif) → je pense donc je suis (Descartes) (sens de réfléchir) � penser quelque chose → voilà ce que je pense (avoir une opinion). On a aussi

je pense qu’il va sortir. � penser quelque chose de quelqu’un → penser du bien de lui � penser à quelque chose/quelqu’un → Jean pense à sa famille, à son travail.

À la question « qu’est-ce qu’il pense ?’ » ou « que pense-t-il » du français commun, les exemples du deuxième sens de penser peuvent servir de réponse. Ils conviennent aussi très bien à (31bis) :

il pense que quoi ?

réponse → voilà ce qu’il pense ; il pense qu’il va sortir

Cependant, à (31) il pense mêmemêmemêmemême que quoi, on ne saurait répondre

- ? voilà ce qu’il pense ; ? il pense qu’il va sortir

La forme interrogative utilisée ici n’a pas valeur de question. Elle assume plutôt une fonction expressive. L’équivalent de cet énoncé en français standard est : pour qui se prend-t-il ? ayant aussi une valeur plus expressive qu’inquisitrice.

Les énoncés (31) et (31bis) tirés des numéros 329 et 354 du Messager Popoli sont attribués à deux femmes en plein monologue, toutes deux exprimant leur colère, l’une après avoir été trompée par son mari, l’autre se décidant à ne plus respecter les volontés de son défunt mari. Aucune de ces deux situations n’appelle de réponse.

‘Il pense que quoi’ dans sa structure syntaxique ‘il pense ça’ (approche pronominale) se rapproche de la deuxième définition de penser. Le Petit Robert nous propose d’ailleurs comme forme interrogative de la structure « qu’en pensez-vous ? ».

Pour résumer, ‘il pense que quoi ‘ équivaut en français standard à

qu’est-ce qu’il pense ?/ il pense quoi ?/ que pense-t-il ? ; et/ou

348 D’après Le Petit Robert.

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qu’est-ce qu’il en pense ?/ qu’en pense-t-il ?

Cette structure ne saurait en aucun cas signifier ‘à quoi il pense’ qui est construit sur le modèle de la quatrième définition de penser.

CroireCroireCroireCroire

(30) Ahidjo-là croit même que quoi

(34)Tu croyais que quoi que comme tu ne m’as pas aimée personne d’autre n’allait m’aimer ?

L’énoncé (30) est tiré du Popoli n° 180. Ce sont des personnalités de la vie politique camerounaise qui sont mises en scène. Elles sont contrariées par les actes de l’ancien président de la République. Sur la planche d’où il est tiré cet énoncé constitue la seule « fausse note »349, le reste étant dans un français que nous qualifierons de neutre.

L’exemple (34) est produit par une Camerounaise vivant à Paris depuis une dizaine d’années. Elle s’adresse à d’autres Camerounais. Elle relate la suite d’une histoire d’amour malheureuse vécue par son fils. Elle attribue ces propos à l’ancienne fiancée de ce dernier

Nous avons vu dans l’analyse distributionnelle précédente que l’on pouvait aisément substituer ‘qu’est-ce que tu croyais ?’’ à ‘tu croyais que quoi ?’ En (30) il est possible de procéder à la même opération. Le sens littéral est gardé mais pas la force illocutoire. En effet, la présence de même oriente la structure syntaxique de sorte que l’énoncé obtenu en (30a) ( ? qu’est-ce que Ahidjo-là croit même ?) est peu naturel en contexte camerounais. Du moins la fréquence d’une telle réalisation est très faible350.

Tout comme (31) l’énoncé (30) n’attend pas de réponse. Pour preuve, la réplique qui est donnée dans l’échange ne répond pas du tout à cette question :

- « S’il touche à Biya il le regrettera »

Ces deux verbes fonctionnent de manière quasi identique dans le français camerounais. La traduction de (30) en français standard donnerait : pour qui Ahidjo se

349 Nous parlons de fausse note parce que ce sont des personnalités censées parler une langue châtiée qui sont en question. 350 Dans le corpus principal (corpus A), nous n’avons relevé que deux(2) interrogations avec qu’est-ce que contre cent onze (111) interrogations avec quoi.

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prend-il ? Le même effet de sens est donc obtenu pour « il pense même que quoi et il croit même que quoi ? », et ceci grâce à la présence de même.

DireDireDireDire

(22) la Guinness avait dit que quoi ?

(23) tu dis que quoi ?

(25) il a marqué il a dit que quoi ?

(27) pour dire que quoi ?

(32) que je dise que quoi alors ?

Le verbe dire est l’un des plus productifs de que quoi. Il y est certainement prédisposé par le rôle qu’il joue dans la construction du discours rapporté. Tout comme les verbes précédents, dire obtient deux sens différents selon que l’on introduise même ou non.

La modalité interrogative coïncide bien avec la valeur de question en (22), (23), (25) et (27) mais est moins probable en (32). Nous y reviendrons dans le paragraphe suivant. Pour l’instant il importe de considérer ce que même change en (22) (23) et (27).

(22b) la Guinness avait même même même même dit que quoi ?

Cet énoncé est équivalent à

(22c) qu’est-ce que la Guinness avait mêmemêmemêmemême dit ?

(27b) pour dire mêmemêmemêmemême que quoi ?

équivaut à

(27c) qu’est-ce qu’il veut mêmemêmemêmemême dire ?

L’introduction de même a pour effet de marquer une insistance. Sa valeur illocutoire correspond à celle des phrases suivantes en français standard :

qu’est-ce que la Guinness avait dit au justeau justeau justeau juste ?

pour dire quoi au justeau justeau justeau juste ?

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D’autres chercheurs ont remarqué l’utilisation fréquente de même dans la langue courante en Afrique. G. Manessy (1994a :124) en recense un grand nombre parmi lesquels :

- …est-ce qu’il a mêmemêmemêmemême accepté ça comme ça ? Où toi tu te trouvais, où mêmemêmemêmemême, quand il a amené la plainte ici ?

- … je voulais faire la cuisine ça n’allait mêmemêmemêmemême pas.

Même ici n’est pas la marque d’un renchérissement ou d’une gradation comme l’indiquent les dictionnaires usuels du français standard. « Son rôle est analogue à celui du soulignement dans l’écriture ou du corps italique en typographie » (G. Manessy 1994a : 85) : il met en évidence le membre de la phrase où il est inséré, ou le vocable auquel il est attaché.

(23b) tu dis mêmemêmemêmemême que quoi ? trouve un équivalent dans l’oral conversationnel français en qu’est ce que tu racontes , tandis que

(23c) tu dis quoi ? (pouvant remplacer tu dis que quoi) pose la question sur l’objet.

Jusqu’ici, nous pouvons dire qu’il y a un emploi inhabituel de que devant quoi dans les exemples de FRACAM recensés. À chaque fois, c’est la structure canonique sujet – verbe – complément qui est reproduite, et quoi occupe la place de l’élément qui aurait servi à répondre à la question posée. Toutefois, la productivité de la suite que quoi déborde souvent l’environnement proprement verbal de sorte qu’elle se présente comme un schème schème schème schème syntaxiquesyntaxiquesyntaxiquesyntaxique particulier au français ordinaire du Cameroun.

1.1.3 AUTRES FORMES EN QUE QUOI

La linguistique sur corpus est largement tributaire de la disponibilité des phénomènes langagiers recueillis. Un schème aussi récurrent que que quoi au Cameroun n’a pas pu se retrouver sous ses différents aspects dans le corpus dont nous disposons pour ce travail de description. Le recours à des exemples issus de quelques journaux locaux et à des bribes de conversations saisies au hasard de nos déplacements sert à pallier cette insuffisance351. Les micro-échanges qui suivent représentent quelques phénomènes parmi les plus saillants352 :

351 Tous les exemples sont attestés, ce qui lève le doute sur la scientificité de la démarche adoptée. Mais en définitive, c’est l’intuition de la locutrice, partie prenante de l’univers langagier décrit qui perçoit les spécificités et

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38) L1 pourquoi tu ne pars pas le voir ?

L2 je le vois que quoije le vois que quoije le vois que quoije le vois que quoi ????

39) L1 le Doyen va s’énerver

L2 le Doyen s’énerve que quoile Doyen s’énerve que quoile Doyen s’énerve que quoile Doyen s’énerve que quoi ????

L3 c’est ton problème ?

L2 ça les regarde ceux qui sont impliqués dans l’histoire

40) L1 est-ce que Mireille a pris son moule que je t’avais laissé ?

L2 elle ne prend pas que quoi ?elle ne prend pas que quoi ?elle ne prend pas que quoi ?elle ne prend pas que quoi ?

L1 elle aussi

L’ordre syntagmatique des exemples 38, 39 et 40, est semblable à celui des constructions complétives décrites ci-dessus. Mais contrairement à ces dernières, que quoi n’est nullement ici une complémentation de type ça.353

(38) je le vois que quoi ?

(-) je le vois quoi ?

(-) * qu’est-ce que je le vois ?

(39) il s’énerve que quoi ?

(-) il s’énerve quoi ?

(-) *qu’est-ce qu’il s’énerve ?

opère les choix de structures révélatrices de ces spécificités afin d’enrichir un corpus que nous avons souhaité ouvert. Une seule contrainte pèse sur les choix : les échanges doivent être du vernaculairevernaculairevernaculairevernaculaire selon la description qui en a été faite dans la partie Méthodologie. 352 L’échange (38) implique deux cadres de l’administration en service dans un Ministère à Yaoundé. La personne qu’il faut voir c’est le Secrétaire Général du Ministère. L’échange (39) a lieu sur un site universitaire et les participants sont tous enseignants de français dans cette université. Quant à l’exemple 40, il retranscrit les paroles de trois jeunes dames camerounaises installées à Paris depuis au moins trois ans. 353 Le signe (-) marque l’incompatibilité avec le type de complémentation traité.

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(40) elle ne prend pas que quoi ?

(-) elle ne prend pas quoi ?

(-) qu’est-ce qu’elle ne prend pas ?

Les essais de substitution dans ces trois exemples montrent que l’équivalence avec des questions sur l’objet est impossible. Le statut syntaxique de que quoi ne semble pas être directement en relation avec le verbe. Cet ensemble d’énoncés partage globalement le même signifié pourtant. En effet, que quoi peut être remplacé par pourquoi.

(38) je le vois pourquoi ?

(39) il s’énerve pourquoi ?

(40) elle ne prend pas pourquoi ?

Est-ce donc à dire que les deux formes que quoi et pourquoi sont équivalentes dans ces contextes ? Nous reviendrons plus loin (2.2) sur les considérations sémantiques liées à ces deux variantes. Pour l’instant, nous allons compléter cet inventaire des contextes de que quoi par un dernier exemple relevé dans un journal local intitulé Mamy Wata 354 :

(Un malade est transporté dans un hôpital à la suite d’un choc émotionnel)

41) Le malade : aaah !

L’infirmier : « aaaah » que quoi ?« aaaah » que quoi ?« aaaah » que quoi ?« aaaah » que quoi ? tu ne peux pas crever ?

Le cri de souffrance que pousse le patient (aaah !) n’est pas destiné en première intention à l’infirmier qui sur la planche lui tourne d’ailleurs le dos. L’interprétation qu’on peut en faire repose essentiellement sur des inférences355 suscitées par le contexte fourni par le dessin. Pris isolément, le début de la réplique de l’infirmier serait incompréhensible. Dans cette réplique que quoi ne s’appuie pas sur un verbe. Il est donc inutile d’entreprendre les opérations de substitution ayant éclairé les autres exemples. Si que quoi embraie sur un cri (aaah) cela suppose qu’il y a transmission d’information tout de même. Dès lors, la syntaxe de rection devient inapte à rendre compte du lien entre aaah et que quoi. Il faut donc recourir à la syntaxe de présupposition (A. Berrendonner 1990). La clauseclauseclauseclause en est l’unité minimale.

354Mamy Wata n° 688. 355 Ressources de l’approche modulaire de E. Roulet (1999).

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Le cri du patient (aaah) constitue une clause parce qu’il transmet une information sur laquelle se brode l’intervention de l’infirmier. Que quoi est une seconde clause dont le sens est dérivé de la valeur expressive de la forme interrogative. Cette clause s’articule à la première pour former avec elle une périodepériodepériodepériode. Ce qui paraît illogique sur le plan linéaire obéit à une logique discursive qui fait évoluer la mémoire discursive dans le sens que souhaitent les partenaires. Il en est de même pour les exemples 38, 39 et 40 : à chaque fois, que embraie non pas sur les éléments linguistiques précédents mais sur un état de la mémoire discursive que l’énoncé précédent a permis de modifier. La présence de ce que est légitime du moment où

une clause (…) n’as pas de distribution, mais (…) des conditions d’appropriété. Elle implique non un entourage verbal, mais un certain état d’information. Son emploi requiert que soient valides, donc présents en mémoire discursive, certains éléments de connaissance, faute desquels l’acte énonciatif qu’elle accomplit paraîtra impropre ou déplacé.356

La mémoire discursive enregistre les schèmes discursifsschèmes discursifsschèmes discursifsschèmes discursifs en que quoi. L’une des conditions essentielles à l’actualisation de ces schèmes est certainement la prise en compte de l’autre en discours. Il faudrait réaffirmer l’importance du dialogue pour cette configuration. En effet, sur le plan de la forme, on peut remarquer que le deuxième locuteur reprend systématiquement les mots du premier locuteur, ce qui constitue une parfaite illustration des questions-répliques (A. Borillo 1978). Ces reprises constituent des éléments évidents de polyphonie, de diaphonie plus précisément. J. Brès & B. Vérine (2002 : 168) préfèrent parler de dialogisme en cas de hiérarchisation des instances énonciatives comme c’est le cas dans ces exemples. L’outil interrogatif que quoi est donc dialogiquedialogiquedialogiquedialogique. Il le doit surtout à que, révélé comme un indice incontestable de polyphonie par l’étude du discours rapporté dans le français parlé au Cameroun.

En prenant l’exemple 38, il est clair que dans je le vois que quoi ? deux voix se font entendre : celle de l’énonciateur (E1) (locuteur ayant produit l’énoncé) et celle de l’énonciateur (e1) (auteur de la première réplique : pourquoi tu ne pars pas le voir ?). La première réplique est enchâssée dans la deuxième par le rappel du verbe principal. Le point de vue de E1 est essentiellement exprimée par que quoi ? Cette forme interrogative récuse en fait le contenu de l’énoncé de e1 (je ne veux pas le voir). Les autres exemples sont construits sur le même modèle dialogique.

D’une manière générale, on peut dire que les questions-répliques en que quoi (je le vois que quoi, il s’énerve que quoi, elle ne prend pas que quoi) participent à la fois du

356 A. Berrendonner & M.-J. Reichler-Béguelin (1989 : 114).

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L’INTERROGATION

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dialogisme citatifdialogisme citatifdialogisme citatifdialogisme citatif (reprise du verbe) et du dialogisme responsifdialogisme responsifdialogisme responsifdialogisme responsif (réponse imbriquée dans l’énoncé précédent) (J. Brès 1998).

Sur le plan syntagmatique, que quoi et pourquoi peuvent se substituer l’un à l’autre, mais leurs effets sémantiques contextuels ne se recoupent pas totalement. Une explication au moins tient au dialogisme de que quoi. La puissance explicative du dialogisme pourrait constituer un handicap si l’on considère que tout énoncé est dialogique. Pourquoi devrait être alors considéré comme dialogique du moment où il est forcément suscité par des énoncés antérieurs. Mais comme le mentionnaient J. Brès et B. Vérine (2002 : 169), « si tout énoncé est dialogique, certains le sont plus que d’autres… ». L’hétérogénéité énonciative dans que quoi est « montrée » (J. Authier-Revuz 1984).

Les exemples suivants montrent bien la disponibilité de pourquoi pour la même place syntaxique que que quoi chez les locuteurs de FRACAM. L’emploi de que quoi ne peut donc pas s’expliquer par le critère de niveau scolarisation357.

42) (36-8) B4 […] on me falafalafalafala pourquoi ?

43) (78-27)D3 je mens pourquoi ? je ne mens pas

44) (129-15, 16) Y4 Tisier a triché + il a triché il a pris un but

Y1 lui il continue pourquoi ?

45) (158-2) L3 quelqu'un est dans son travail vous lui méprisez pourquoi ?

L’explicitation sémantique de pourquoi ne peut aller au-delà des acceptions du dictionnaire. Quant à que quoi, sa valeur dialogique influence considérablement son sémantisme. Même s’il signifie grossièrement pourquoi, ce pourquoi est presque toujours teinté d’une pointe de défi qui rappelle que le locuteur se positionne toujours par rapport à un autre. Cet autre est absent dans les exemples ci-dessus mais il peut très bien être le co-énonciateur dans d’autres circonstances. La qualité des rapports préexistants entre les personnes concernées dans les échanges peut justifier cet affrontement à distance. Un résumé des situations s’impose358 :

(37) L1 est-ce que Mireille a pris son moule que je t’avais laissé ?

357 Tous les exemples de que quoi proviennent des locuteurs les plus scolarisés. 358 Nous reproduisons l’exemple 33 afin de faciliter le suivi de la démonstration.

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L2 elle ne prenelle ne prenelle ne prenelle ne prend pas que quoi ?d pas que quoi ?d pas que quoi ?d pas que quoi ?

L1 elle aussi

Mireille est supposée être fâchée contre L1 pour avoir retenu son moule trop longtemps. L1 passe donc par L2 pour le restituer afin d’éviter la colère de Mireille (qui en fait trop au goût de L1. Sa deuxième réplique (elle aussi) trahit son exaspération). De la même manière, les autorités, qui n’ont pas une bonne réputation auprès de leurs collaborateurs, exaspèrent les énonciateurs des énoncés en que quoi dans les exemples 38 et 39.

En guise de récapitulatif, nous disons que les constructions en que quoi qui ne sont pas construites sur le modèle des complétives sont des indices d’une « hétérogénéité montrée » (J. Authier-Revuz 1993). Leur consolidation dans les discours en fait des schèmes sémantico-discursifs qui peinent à trouver explication dans une microsyntaxe des catégories. Les discontinuités syntaxiques apparentes traduisent en réalité des « relations macro-syntaxiques cognitivement motivées » (A. Berrendonner 1990: 27). Les énoncés « je le vois que quoi »et « je le vois pourquoi » se comportent comme des variantes contextuelles de l’interrogation sauf que pourquoi ne possède pas les mêmes ressorts sémantiques liés à l’altérité que que quoi.

D’autres interrogations semblent aussi bâties sur la matrice structurale SVO (je sais que quoi même ? je sais moi que quoi ? sans que leur fonctionnement soit entièrement expliqué par la syntaxe traditionnelle. Sur le plan de la modalité d’énoncé, ils entretiennent une illusion interrogative comme nous le verrons dans la deuxième partie de ce chapitre (2.2.3). Pour l’instant, il convient d’examiner si l’interrogation indirecte en FRACAM présente des spécificités nationales de la même façon que l’interrogation directe.

1.2 L’INTERROGATION INDIRECTE

L’interrogation indirecte a recours à des verbes du type de « dire, demander, savoir ». Ainsi, « je te demande si tu viens » ne reçoit ni intonation montante à l’oral, ni point d’interrogation à l’écrit.

Quantitativement, l’interrogation indirecte est nettement inférieure à l’interrogation directe : une dizaine seulement contre plus de six cents dans le corpus de FRACAM. Sur un corpus de français parlé en Centrafrique, A. Queffélec (1994 : 110) constatait déjà la rareté des interrogatives indirectes chez des enseignants de français du Centrafrique. Les énoncés qui présentent les types de constructions traditionnellement reconnues pour l’interrogation indirecte ne sont que deux dans le corpus de référence :

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46) (119-4) D1 il voulait savoir vraiment qui avait le numéro

47) (32–7) B1 […] je ne sais pas si tu comprends […]

Le corpus témoin en présente trois, tous issus du corpus Marchés359 :

48) (216-8) L3 je sais pas ce qu’elle veut

49) (195-23) LB […] je sais pas s’il va encore rentrer là-bas avec sa famille puisque là il dit même jusque là il dit même que le Cameroun est dur

50) (216-3) L3 […] je sais pas ce que tu me reproches

On peut aussi remarquer que certains énoncés amorcent la structure d’une interrogation indirecte mais très vite, ils se recentrent sur une interrogation directe, rappelant ainsi la préférence du style direct sur le style indirect dans le discours rapporté.

51) (118-2) D1 il a demandé à l’autre que + à T. que + c’est le petit frère de B ?

52) (119-8) D1 il voulait savoir + après il me demande que + tu es qui ?

53) (216-5) L3 moi-même je me demande je sais pas + haïr les autres ça me dépasse aussi

Ces énoncés sont un mélange de genre où interrogation directe et interrogation indirecte peinent à se démêler.

F. Gadet (1996 : 108-109) confirme l’absence de distinction entre l’interrogation directe et l’interrogation indirecte dans le français parlé actuel avec des exemples comme

- je sais pas qu’est-ce qu’il a voulu dire, et - je ne comprends pas c’est quoi qu’il a dit Il s’ensuit que la pertinence d’une analyse de l’interrogation repose davantage sur les

significations sociales et pragmatiques des énoncés plus que sur leurs propriétés formelles proprement dites. Dans le paragraphe qui suit, nous allons dégager les contraintes pragmatico-énonciatives qui fondent la différenciation des occurrences identifiées sur le plan de la forme comme des variantes d’une même variable qu’est l’interrogation.

359 Les locuteurs qui les produisent sont très peu scolarisés.

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L’INTERROGATION

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2 L’ACTE ILLOCUTOIRE

D’après E. Benveniste (1966 :130),

on reconnaît partout qu’il y a des propositions assertives, des propositions interrogatives, des propositions impératives, distinguées par des traits spécifiques de syntaxe et de grammaire (…). Or ces trois modalités ne font que refléter les trois comportements fondamentaux de l’homme parlant et agissant par le discours sur l’interlocuteur : il veut lui transmettre un élément de connaissance, ou obtenir de lui une information, ou lui intimer un ordre. Ce sont les trois fonctions inter-humaines du discours qui s’expriment dans les trois modalités de l’unité phrase, chacune correspondant à une attitude du locuteur.

L’interrogation serait ainsi l’un des trois « actes primitifs »360 (vraisemblablement universels).

Dans le cadre de l’analyse des interactions, les notions d’interrogation et de question sont théoriquement distinctes car une question n’a pas systématiquement la forme interrogative (M.-M. de Gaulmyn 1991 : 298).

2.1 LA QUESTION

C. Kerbrat-Orecchioni (1991 : 14) définit la question comme un énoncé dont la finalité principale est d’obtenir de l’interlocuteur un apport d’information. Pour O. Ducrot (1984 :183) la question place l’interlocuteur dans une « obligation juridique » de donner une réponse verbale. Les moyens langagiers dont dispose le locuteur sont nombreux et épars. En effet, il est aisé de se rendre compte que les constructions grammaticales ne coïncident pas toujours avec des modalités énonciatives dans une relation terme à terme. C’est ce qu’exprime J. Peeters (1994 : 52) lorsqu’il écrit qu’

il y a un risque permanent à confondre dans le terme "grammaire", les contraintes de la mise en mots et le sens qui en résulte […]. En fait, il convient, d’une part, d’expliciter ce qui informe le langage et, d’autre part, de montrer que le sens (conjecturel) est irréductible à la formalisation du grammatical mais constitue cependant la mise en relation de celui-ci et de l’extra-linguistique.

Une question peut donc s’exprimer non seulement par une phrase interrogative (quel est votre nom ?), mais aussi par une phrase déclarative (j’aimerais savoir votre nom) ou impérative (dites-moi votre nom). Il n’y a pas de « correspondance biunivoque » entre signifiant (types ou formes de phrase) et signifié (valeur illocutoire) (C. Kerbrat-Orecchioni 1980 : 33-34).

En discours, la question se définit essentiellement par le couple qu’elle forme avec sa réponse. Par conséquent, l’interaction verbale se présente comme le seul cadre d’analyse

360 avec l’assertion et l’injonction.

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satisfaisant qui permette de préciser le statut pragmatique d’un énoncé. La multiplicité des fonctions discursives se répercute sur le classement typologique des questions. On distingue les questions rituelles (comment ça va ?), les questions « préliminaires » qui précèdent une question particulièrement osée (je peux vous poser une question ?), les questions ludiques (tu es sûr de tes mensonges ?). En fait, le nombre de sous-classes que l’on pourrait obtenir sur la base de la nature de l’information sollicitée est illimité. Mais la nature de la question a des répercussions sur l’organisation structurale de la suite de l’échange ouverte par la question.

Il serait illusoire donc de vouloir traiter la typologie des questions dans leur ensemble. Cette dernière est elle-même liée à une typologie des interactions, chaque genre de dialogue ayant ses propres modalités de questionnement (C. Kerbrat-Orecchioni 1991 : 23).

Dès lors, une vision modulaire (E. Roulet 1999) des phénomènes langagiers devient fort utile pour notre analyse car elle intègre tous les aspects verbaux et non-verbaux permettant ainsi une appréhension globale des informations fournies par le texte. Le module module module module interactionnelinteractionnelinteractionnelinteractionnel sera convoqué au premier chef dans la mesure où le corpus est majoritairement conversationnel. Mais les modules linguistiquelinguistiquelinguistiquelinguistique et polyphoniquepolyphoniquepolyphoniquepolyphonique devront aussi être largement mis à profit.

Puisque l’acte de question est « une sommation, une sorte de mise en demeure, doublée d’une incursion dans les réserves d’autrui » (C. Kerbrat-Orecchioni 1990 : 28), il joue un rôle important dans l’organisation relationnelle entre les individus. Cet acte place le questionneur en position de force par rapport au questionné. Il suffit d’énumérer quelques situations dans lesquelles on pose des questions (dispositifs pédagogiques et interrogatoires) pour s’en convaincre. Mais des questions sont aussi omniprésentes dans la conversation quotidienne. C’est ainsi que l’on peut en recenser quelques unes dans le corpus de référence de FRACAM :

54) (12-25 à 13-1) B3 elle gogogogo où ?

B4 elle gogogogo manger non↗ elle est en train de kukkukkukkuk

55) (32–3, 5) B2 en chimie tu as eu la moyenne ?

B3 j’ai eu sept et demi + chimie c’est la mort

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56) (131-5 à 11) Y1 non attends attendez + qu’est-ce qu’il y a reprocher à cette équipe du Cameroun ?

Y3 qui ?

Y1 l’équipe du Cameroun

Y3 non + on ne reproche rien à l’équipe du Cameroun

Y2 on ne reproche rien au Cameroun + les gars ont joué /au, le, leur/ football

57) (86–16, 17) D3 tu fais quoi avec cinquante361 aussi non ?

D5 j’ai faim

Certaines interrogations sont à la limite de la question. Bien qu’étant formulées sur le mode d’une requête elles ne reçoivent pas de réponse expresse. C’est le cas dans l’exemple suivant :

58) (87-18 à 20) D1 c’est quoi avec toi ?

D2 ah : XXX

D1 on ne peut plus être enrhumé ? c’est quoi encore ?

Le locuteur D1 prononce une série d’interrogations qui ne sont que la manifestation d’une exaspération. Ceci correspond à un acte de langage indirect et si l’on s’en tient à la forme interrogative, on manque de percevoir le geste défensif de ce locuteur.

Les locuteurs de ces trois exemples ont pris l’initiative de poser des questions. Il existe aussi des interventions réactives dont les questions-répliques (A. Borillo 1978) (dont font partie les questions échos) peuvent témoigner

59) (11-12 à 16) B1 la fois là où on a pris un pater-là on a pris le pater + il tcha le pater que + vrm + on le retrouve seulement loin à la gendarmerie de XX + LOIN je dis que loin au fin fond de la gendarmerie

B5 tu dis que quoi ?

361 Cinquante francs CFA.

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La question ici a une fonction « métacommunicative » (C. Kerbrat-Orecchioni 1991 : 22) car il n’y a pas de demande d’un supplément d’information. On peut percevoir l’incrédulité ou la stupeur du locuteur (B5) face au grotesque de la situation qui lui est rapportée. C’est donc le signifié du tour de parole précédent qui fait problème.

60) (11-19 à 23) B2 donc parce que parce que lui-même n’a pas de père↗

B3 parce que lui-même n’a pas de : ↗

B1 XXX commandant ou c’est de brigade ↗

B3 parce que lui-même n’a pas de : ↗

B2 père

Le phénomène d’écho est visible par la reprise exacte (B3) des termes de l’interlocuteur (B2). La diaphonie effective362 peut être décrite ici comme un cas de « dialogisme citatif » (J. Brès 1998).où la reprise des paroles de l’autre a une valeur autonymique, mais surtout une valeur métadiscursive (M.-M. de Gaulmyn 1991 : 299).

Par ailleurs, les entretiens qui constituent le type d’échanges de certaines séquences du corpus B permettent à l’enquêteur d’occuper une position haute parce qu’il est l’initiateur de l’échange. De plus, il oblige l’enquêté à fournir des explications sur son travail et à donner son opinion sur certains sujets. Lorsque la phase de prise de contact de l’entretien est passée et que les deux interlocuteurs discutent plus librement, la question apparaît très vite comme

l’aveu d’un manque, et la manifestation d’une infériorité de savoir de L1 [locuteur] par rapport à L2 [auditeur], devant lequel L1 s’efface en se plaçant en position de ‘demandeur’, et à qui il permet par sa question d’occuper le terrain : en quelque sorte, L1 prend l’initiative de se laisser déposséder par L2 de la position haute.363

Contrairement donc aux dispositifs policiers et pédagogiques les places dans l’interaction ne sont pas stables. Un interlocuteur qui occupe une position haute au début de l’échange peut très bien, en fonction du croisement des informations d’origines diverses – d’ordres référentiel, interactionnel (la bonne gestion des tours de parole), syntaxique ou lexical (le choix des appellations, le degré de modalisation, etc.) – se retrouver en position basse à la fin de cet échange (C. Kerbrat-Orecchioni 1992). Les facteurs essentiels à

362 E. Roulet (1990 : 40) lui oppose la diaphonie potentielle dans laquelle l’énonciateur imagine un discours que l’autre a pu ou pourrait produire. 363 C. Kerbrat-Orecchioni (1991 : 29).

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l’identification de l’acte de question se trouvent au niveau des contenus de l’énoncé, en relation avec le contexte.

Plutôt que des marqueurs réels, il faut rechercher des indices favorables à l’interprétation (C. Kerbrat-Orecchioni 1991 : 91) car en matière d’interrogation, les apparences peuvent être trompeuses.

2.2 L’ILLUSION INTERROGATIVE

La première difficulté à résoudre au contact du corpus de FRACAM est liée à la répartition typologique des énoncés. La supériorité numérique de l’interrogation totale par intonation montante en fin d’énoncé a été mentionnée supra. La caractéristique principale du FRACAM est l’omniprésence de non dans les discours. Son rôle en tant que morphème de la négation n’est pas concerné dans la présente étude. Ce dont il est question, ce sont les multiples valeurs qu’il fait prendre aux différents énoncés auxquels il se rattache, et nous verrons que non↗ à la fin des énoncés, caractérisé par une courbe intonative élevée est un phénomène très productif en FRACAM. Cette intonation ne suffit pas à garantir le statut syntaxique et pragmatiques desdits énoncés.

Les linguistes sont unanimes sur le fait que l’interrogation et la question ne se recouvrent que partiellement (A. Berrendonner 1981 ; C. Kerbrat-Orecchioni 1991 (dir) ; P.Boucher, Paul & J.-M. Fournier (dir) (1994)). L’illusion interrogative cache en fait plusieurs valeurs pragmatico-énonciatives parmi lesquelles la question rhétorique, la valeur assertive et la valeur négative.

2.2.1 LA QUESTION RHÉTORIQUE A VALEUR ARGUMENTATIVE

« D’une façon générale, dire d’une question qu’elle est ‟rhétorique” c’est signifier qu’elle est fallacieuse en tant que question » (C. Plantin 1991 : 75). Le subterfuge argumentatif consiste à canaliser le raisonnement du destinataire vers la direction souhaitée (C. Kerbrat-Orecchioni 1980 :188). La valeur argumentative d’un énoncé résulte aussi bien des informations qu’il apporte que des expressions ou tournures qui en constituent le support linguistique et stylistique (idem). L’exemple qui suit combine la question et quelques informations pour atteindre son objectif argumentatif :

61) (77-12) D2 est-ce que là on t’arrête ? c’est le service libre + mets même le seau de sucre là tu vas même prendre ton bol de lait tu viens tu mets même dans le seau de sucre là + tu bois + si tu vas supporter

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Cet autre exemple est purement interrogatif :

62) (129-7 à 9) Y6 est-ce que Eto’o est-ce que Eto’o était obli- obligé de eh de tirer ?

Y7 je sais que quoi même ?

La réponse de l’un de ses interlocuteurs renchérit l’argumentaire. Le résultat est une paire argumentative où les deux répliques sont des questions rhétoriques participant à un même mouvement argumentatif. Ce type d’échange fait partie des rituels conversationnels en FRACAM. La complémentarité des deux actes illocutoires procure une meilleure assise discursive à l’argumentaire, même si en fait d’argument il n’y en a aucun. En effet, « ce qui fait argument, c’est maintenant la forme même de la question sans réponse, qui fonctionne ici sur le modèle de ‘l’argument par l’ignorance’ » (C. Plantin 1991 : 64). A. Berrendonner (1981 : 170) pour sa part parle d’un « discours terroriste », qui repose entièrement sur un rapport de forces favorable à l’énonciateur.

Voici le dernier exemple de cette série :

63) si je raconte tout ça on va entendre que quoi ?

Il a été pris sur le vif au cours d’une discussion entre deux cousins364.C’est alors qu’en évoquant les déboires d’une autre cousine, le locuteur (qui vit à Bruxelles depuis plus d’une dizaine d’années) témoigne de sa désolation et de ses scrupules à en faire part à la famille restée au Cameroun. La question posée n’attend pas de réponse de l’interlocuteur ; elle est donc rhétorique. Sur un plan purement linguistique, il est à noter le glissement de sens notoire qui s’opère avec le verbe entendre. Il prend ici le sens de penser. On pourrait aussi parler d’évitement de en365. En français standard, son équivalent serait « que va-t-on en penser ? »

2.2.2 LA VALEUR ASSERTIVE

Le mode de fonctionnement de la valeur assertive n’est pas très éloigné de la question rhétorique à cause de l’orientation dont la question est souvent l’objet. C’est pourquoi il est parfois difficile de trancher en faveur de l’une ou de l’autre. La proportion de chacune des composantes assertion et question varie en fonction des modalisateurs et des schémas

364 L’un étant nous-mêmes. 365 Nous reviendrons sur ce problème structurel au moment de l’analyse de je sais que quoi ? qui a une valeur négative.

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prosodiques (C. Kerbrat-Orecchioni 1991 : 97). Ainsi pour l’exemple qui suit, le balayage de son environnement discursif permet d’affirmer que la valeur assertive est dominante366.

64) (50-8, 9) B2 tu étais à la porte non ↗

B4 j’étais en train de pointer mon argent

Dans le cotexte précédent, les intervenants se remémorent un événement marquant. Pendant que les faits sont relatés, le propos du locuteur B2 rapporté dans l’exemple ci-dessus constitue une sorte de rappel, une demande de confirmation c'est-à-dire un acte intermédiaire entre l’assertion et la question.

La partie de la conversation la plus éclairante à ce sujet est reproduite infra :

B1 il était déjà portier non↗

B2 tu étais portier quand on djumdjumdjumdjum là + après ça on komotkomotkomotkomot + après après ça on komotkomotkomotkomot + après ça encore + après ça on komotkomotkomotkomot à quelle heure ?

B3 on est djumdjumdjumdjum on est gogogogo au sacheries

B2 voilà à maintenant quand on quand on est entré là maintenant il était à la porte tu ne [lɛ] pas misé ? puisqu’il était chef bangbangbangbang

B3 ouaih ouais

B2 tu étais à la porte non↗

B4 j’étais en train de pointer mon argent

B1 tu pointais ?

B4 vous me mettez au courant de tout ça + [fiasque]+ + je suis venu pointer + + moi si je viens à la kermesse c’est que j’ai mes petits jetons + ça toujours : toujours

Tous les intervenants savent que B4 était portier ce soir-là puisqu’ils l’ont vu. Cette certitude fait que l’énoncé de B2 est une assertion. Cependant, son intervention traduit aussi un étonnement : si B4 était à la porte ce soir-là comme tous le savent, comment se fait-il qu’il ne soit pas au courant d’une partie des événements de la soirée ? « tu étais à la porte non↗ »apparaît alors comme une question dont la valeur est une demande de confirmation. La réponse donnée par le locuteur B4 confirme l’assertion contenue dans la question de son interlocuteur ; elle justifie son ignorance des faits qui sont rapportés par ses amis. Sa

366 Les différentes valeurs d’un acte illocutoire sont le plus souvent hiérarchisées (C. Kerbrat-Orecchioni 2001 : 46).

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réplique peut être glosée comme suit : « j’étais à la porte non pas pour m’occuper des activités des autres personnes, mais pour gagner de l’argent ; je ne faisais que mon travail ».

Toutefois, certains énoncés présentent moins d’ambiguïté et se laissent plus aisément interpréter comme des interrogations à valeur assertive.

65) (79-6) D4 on était là-bas chaque semaine est-ce que je me plains ?

Cet exemple asserte le contenu suivant : je ne me plains pas.

Très souvent, la question est orientée « c'est-à-dire qu’elle sollicite de préférence une réponse positive ou négative » (C. Kerbrat-Orecchioni 2001 : 93). Dans ce cas, l’interrogation est accompagnée du phatique « n’est-ce pas ? » (M. Riegel et al. 1994).

Les deux exemples suivants démontrent comment les locuteurs usent de leur position haute (celle du questionneur) pour exercer une pression sur les destinataires :

66) (8-28 et 9-1) B1 ce sont les avantages que tu cherches non ↗

B2 ouais + ça ce sont mes avantages

67) (9-24, 25) B4 donc c’est ça que tu vas dire hein↗

B2 ah laisse

Les premiers tours de paroles de ces exemples sont à cheval entre l’assertion et la question. Compte tenu de leurs contextes discursifs, ces actes s’interprètent comme des questions dirigées. Ils forcent pratiquement l’adhésion des destinataires à leurs contenus assertifs. Les phatiques non et hein, en tant que marqueur de recherche d’approbation discursive (E. Roulet 1985), renforcent cette volonté de persuasion. Dans l’exemple 66, l’interlocuteur adhère quasi- machinalement (ouais) et reprend en écho les mots de la question orientée (ce sont mes avantages) : le questionneur a atteint son objectif. Dans l’exemple (67) le questionné est pris dans un étau similaire (la question de B4 est la conclusion à une anecdote qu’il raconte à la manière d’une fable), mais il refuse d’adhérer à l’assertion voilée dans la question de son interlocuteur (ah laisse). Quoique dirigée, la question laisse à celui qui répond la liberté de contrarier son attente, et de produire une réponse « non-préférée » (C. Kerbrat-Orecchioni 2001 : 93).

Nous voyons qu’il est pragmatiquement difficile de démêler les valeurs illocutoires des formes interrogatives, car

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si certains énoncés peuvent clairement être catégorisés comme réalisant un acte d’assertion, ou un acte de question, d’autres se situent quelque part sur ce continuum reliant l’assertion et la question , constituant ainsi une sorte d’acte-valise367

Le chevauchement des valeurs concerne aussi la question rhétorique et la négation.

2.2.3 LA VALEUR NEGATIVE

Avec le verbe savoir à la première personne, la forme interrogative exprime presque toujours la négation comme dans les exemples ci-après :

68) (129-7 à 9) Y6 est-ce que Eto’o est-ce que Eto’o était obli- obligé de eh de tirer ?

Y7 je sais que quoi même ?368

69) L1 elle ne se rendait pas compte de son poids ? 369,

L2 je sais moi que quoi ?370

Une remarque importante pour commencer : les tournures avec savoir se rencontrent le plus souvent dans des paires adjacentes exclusivement interrogatives. Et comme nous l’avons déjà souligné, les deux tours de parole constituent une forme co-énonciative de la question rhétorique. Dans le même temps, le deuxième tour, tout en participant à un rituel énonciatif particulier, se présente comme une réponse négative à la question (pseudo-question) qui est posée : L1 sait pertinemment que L2 (narratrice) est incapable de lui donner une réponse. De même, Y6 n’attend pas de réponse à sa question. Ainsi, les deux réponses marquent l’engagement dans la conversation. Une vérification structurelle montre en quoi les réponses données dans les deux exemples ne correspondent pas à de véritables questions quoique de forme interrogative. Nous procédons à un test de substitution avec d’autres énoncés interrogatifs dans le même contexte discursif que chacun des exemples (le signe (+) indique que la substitution est possible et le signe (-) indique que la substitution n’est pas possible) :

(68) je sais que quoi même ?

367 C. Kerbrat-Orecchioni (2001 : 91). 368 Reprise de l’exemple 62. 369 A. Simo Nguemkam (2002 : 75). Cet échange avait été recueilli lors d’une réunion de Camerounais à Paris depuis une période minimum de cinq ans. L’anecdote qui suscite ce micro-échange raconte les mésaventures d’une femme obèse qui casse une série de chaises à cause de sa surcharge corporelle. 370 Reprise de l’exemple 33.

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(68b) (-) qu’est-ce que je sais moi ?

(68c) (-) qu’est-ce que je sais ?

(68d) (-) je sais quoi ?

(68e) (-) je sais moi quoi ?

(68f) (+) je sais que quoi ?

(68g) (+) je sais moi que quoi ?

(68h) (-) je sais même quoi ?

(68i) (+) je sais même que quoi ?

(61j) (+) je sais ?

(68k) (+) qu’est-ce que j’en sais ?

(69) je sais moi que quoi ?

(69b) (-) qu’est-ce que je sais moi ?

(69c) (-) qu’est-ce que je sais ?

(69d) (-) je sais quoi ?

(69e) (-) je sais moi quoi ?

(69f) (+) je sais que quoi ?

(69g) (-) je sais même quoi ?

(69) (+) je sais même que quoi ?/ je sais que quoi même

(69i) (+) je sais ?

(69j) (+) qu’est-ce que j’en sais ?

Au vu de l’ensemble des possibilités énonciatives de substitution pour les deux exemples, on remarque que (68) et (69) sont pragmatiquement équivalents. Il n’est pas possible de passer de que quoi à quoi avec le verbe savoir. Le pronom moi ajoute une force illocutoire de la même manière que même. Mais il faut rappeler que moi dans cette position est une forme d’insistance qui ne fonctionne pas de la même manière que le double marquage du français standard (et du français hexagonal). Ainsi, j’ai moi dit qu’il allait se

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faire avoir371 ne correspond pas du tout à moi j’ai dit qu’il allait se faire avoir, ni à j’ai dit, moi, qu’il allait se faire avoir. C’est un cas particulier de double marquage de la fonction sujet que nous avons analysé comme faisant partie d’un morphème complexe à deux têtes, spécifique à la fonction sujet 372.

Le véritable signifié de ces deux énoncés est : « je ne sais pas » ou mieux « je n’enenenen sais rien ». Il y a peut-être une stratégie d’évitement de la proforme en (comme avec le verbe entendre supra), qui est par ailleurs un mot grammatical au fonctionnement très complexe. En effet, en recouvre plusieurs réalités syntaxiques que Cl. Blanche-Benveniste et al. (1990 : 207-211) divise en deux groupes :

Premier groupe

j’en prendrai une (deux, plusieurs)

il en arrive des quantités

elle en revient

je ne m’en souviens plus

Deuxième groupe

j’en connais le titre

j’en ai attaché les quatre bouts

j’en attends l’arrivée

la situation m’en plaît

la cheminée en penche

Les emplois du premier groupe apparaissent très tôt chez les francophones bien avant l’âge de l’école, contrairement à ceux du deuxième groupe qui sont pour la plupart contestables (g, h, i). La justification des grammaires anciennes est qu’on ne doit pas employer son pour des choses (je connais son titre, sa cheminée penche). Malgré l’attention équivalente que les grammaires génératives réservent aux emplois de ces deux types, Cl. Blanche-Benveniste (1990) démontre le caractère factice du en (mis pour de cela) du deuxième groupe. Elle l’appelle « ‘en’ de post-lexicalisation » parce qu’il a absolument besoin d’un support lexical en position de complément de verbe.

371 Glose en français standard : je savais bien qu’il allait se faire avoir. 372 Voir chapitre sur les dispositifs.

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→ Je lelelele connais – je connais le titrele titrele titrele titre – j’enenenen connais le titrele titrele titrele titre

→ *j’en connais celui-ci, * je l’en connais.

Les emplois du premier groupe participent de la grammaire premièregrammaire premièregrammaire premièregrammaire première des locuteurs alors que ceux du deuxième groupe sont de la grammaire secondegrammaire secondegrammaire secondegrammaire seconde (apprise bien plus tard et dont les règles ne sont pas « naturelles »).

Toujours est-il que les énoncés construits sur le modèle je sais que quoi ? constituent un schème discursif récurrent en FRACAM. Ce schème se veut éminemment diaphonique car il apparaît de préférence comme une réponse à une autre interrogation. Nous donnerons deux autres exemples qui soutiennent cette thèse. Le premier fait partie d’une scène qui implique deux personnes étrangères l’une à l’autre. Dans un taxi à Douala373, l’une d’entre elles remarque la présence inhabituelle de plusieurs barrages de police dans la ville. A374 et B ont ce bref échange :

A : comment il y a beaucoup de contrôle comme ça ?

B : je sais que quoi non ?

Le deuxième exemple tiré du Popoli

Témoin : Takam, tu vomis que tu as mangé quand ?

Takam : je sais ?

On a une suite de deux formes interrogatives sans qu’aucune soit véritablement une question. Ce rituel constitué d’un couple de deux interrogations a une valeur interactionnelle essentielle. Les discours des deux partenaires engagés dans une co-énonciation nécessaire sont noués par une dialogisation interlocutivedialogisation interlocutivedialogisation interlocutivedialogisation interlocutive375375375375 (J. Brès 1999 : 194). À ce titre,

la définition de l’Autre a un aspect quantitatif : savoir qui compte dans la relation, et qui ne compte pas ; et un aspect qualitatif : identifier qui est l’autre pour qui et réciproquement. C’est en ce sens que l’on peut dire de la question qu’elle est productrice d’un mode d’être dans l’interaction verbale.376

373 Une fin d’après-midi de mai 2005. 374 A nous représente personnellement, B représente une dame âgée de la soixantaine. 375 « Tout discours est dirigé sur une réponse et ne peut échapper à l’influence profonde du discours-réplique prévu […] Se constituant dans l’atmosphère du déjà-dit, le discours est déterminé en même temps par la réplique non encore dite, mais sollicitée et déjà prévue » (M. Bakhtine 1934/1978 : 103 ; in J. Brès 1999 :194) 376 J. Peeters (1994 : 56).

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De la même manière que la dame (B) dans le taxi, Takam prend son interlocuteur à témoin (tout comme toi, je ne comprends pas ce qui se passe). Il est possible que cette façon de co-construire le discours participe d’une rhétorique africaine. On la retrouve dans les soirées traditionnelles autour du feu (G. Mendo Ze 1999 : 211-222). Les contes sont racontés à plusieurs. Le conteur principal sollicite les participants par un jeu de devinettes même si tout le monde connaît l’histoire d’avance. En fait, l’intérêt de la raconter réside plus dans le plaisir du jeu (échange social) qui accompagne la narration. Cette explication culturelle peut être complétée par une hypothèse d’ordre linguistique.

Plusieurs langues du substrat disposent de moyens divers permettant au locuteur de s’interroger personnellement de façon directe et à voix haute dans une question. Outre le rapport d’intersubjectivité inhérent à l’acte de question, le basaa par exemple dispose d’un morphème tCC qui est la marque d’un rapport intra-subjectif chez l’énonciateur377 (I.-G. Nyemb 1994 : 193). Pour un énoncé comme celui-ci,

tCC suglu i mpám ?

Inter. école elle sortir

La traduction en français courant est « je me demande si les classes sont sorties ». Le

morphème tCC est la matérialisation linguistique d’une question intra-subjective pour laquelle

le co-énonciateur est pris à témoin. C’est un cas d’auto-dialogisme qui n’exclut cependant pas l’autre que le locuteur tient à impliquer. C’est pourquoi nous disons avec J. Brès (1999 : 193) que « l’autre n’est pas un simple récepteur de ma parole : il en est le médiateur ; et, plus fondamentalement encore, […] la condition ». L’énonciateur éprouve une difficulté à répondre à sa propre question, il trouve en l’autre l’oreille attentive nécessaire pour exprimer son interrogation. L’autre n’est pas dans l’obligation de donner une réponse. Ce scénario discursif inscrit dans un schème cognitif socio-culturel se présente mieux comme une question rhétorique dont la valeur est négative. Cette rhétorique fait partie de la mémoire mémoire mémoire mémoire discurdiscurdiscurdiscursivesivesivesive (A. Berrendonner 1989, 1990, 2002) partagée par les locuteurs camerounais et constitue un préalable à toute interaction en français. Pour des besoins d’efficacité pragmatique,

les divers usagers d’un même système disposent d’emblée d’un minimum de représentations communes, faute de quoi le temps d’agir se perd à négocier un accord des partenaires sur « la façon de voir les choses.378

377 Une question intersubjective avec valeur de négation est marquée par le morphème -ɛ. 378 A. Berrendonner (1989 : 109).

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Les schèmes cognitifs stéréotypésschèmes cognitifs stéréotypésschèmes cognitifs stéréotypésschèmes cognitifs stéréotypés nés des traditions et des habitus langagiershabitus langagiershabitus langagiershabitus langagiers engendrent des discours dont la valeur illocutoire s’interprète uniquement à travers le système de représentations sémantiques attaché à un lieu et à une culture. L’hypothèse sémantactique de G. Manessy ([1990] 1995) renvoie vraisemblablement à des phénomènes de cet ordre.

Toutefois, l’équivalence discursive entre l’interrogation et la négation n’est pas l’apanage du FRACAM. J. Brès (1999) en fait le constat lors du traitement du dialogisme dans les structures interrogatives. La négation est l’expression d’un manque et l’interrogation correspond à l’aveu d’un manque. La frontière sémantique entre les deux modalités est parfois poreuse comme le démontre J. Brès (1999 : 198-201).

Le fait d’avoir concentré l’exemplification de la valeur négative de l’interrogation en FRACAM autour du verbe savoir n’exclut pas d’autres formes comme peuvent le témoigner les exemples ci-dessous :

70) (79-6) D4 on était là-bas chaque semaine est-ce que je me plains ?

71) (145-12) L7 … je n'étais pas encore là non est ce que tu m'as vu le matin moi je viens quand on a déjà transporté je viens dans la nuit je m'en vais me coucher le matin

Nous avons simplement voulu mettre en avant des tournures qui paraissent significatives dans la construction et la représentation (symbolisme) de la variété camerounaise de français. Il se trouve en effet que le verbe savoir dans une interrogative directe en que quoi à la première personne exprime quasi-systématiquement une négation. Cet ensemble conventionnel est un marqueur de dérivation illocutoire marqueur de dérivation illocutoire marqueur de dérivation illocutoire marqueur de dérivation illocutoire (C. Kerbrat-Orecchioni 2001 : 40).

À la fin de ce parcours des valeurs de l’interrogation, on comprend qu’il est rare qu’un énoncé soit investi d’une seule valeur illocutoire : « non seulement les structures phrastiques sont, en langue, généralement polysémiques, mais, les énoncés actualisés sont aussi, généralement, illocutoirement pluriels379 » (C. Kerbrat-Orecchioni 2001 : 46). Les valeurs rhétorique, assertive et négative sont des actes de langage indirectsactes de langage indirectsactes de langage indirectsactes de langage indirects. Sommairement, le fondement social des actes indirects repose sur le partage des conventions ritualisées : l'acte de parole inféré parmi ceux qui sont théoriquement possibles doit être aussi contextuellement probable.

379 Italique de l’auteur.

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Tout énoncé que l’on soumet à son partenaire d’interaction se présente comme un écheveau de valeurs sémantico-pragmatiques plus ou moins évidentes en contexte, ce qui laisse à l’interlocuteur la possibilité de sélectionner celle (s) qu’il lui convient d’utiliser comme la base pour l’enchaînement : à tous les niveaux, le locuteur propose, l’interlocuteur dispose.380

Avec un minimum de sens codé, la langue fonctionne pour une bonne part sur l’implicite. Les valeurs pragmatiques sont donc des constructions interactives. La question qui se pose à ce stade est celle de savoir si les différentes formes d’interrogation constituent des variantes d’un même paradigme. Il importe aussi d’examiner la portée sociolinguistique de chaque forme utilisée.

3 IMPLICATIONS SOCIOLINGUISTIQUES DES DIFFÉRENTES FORMES D’INTERROGATION

3.1 FACTEURS DE LA VARIATION

Le modèle panlectal présente la variation comme le résultat de l’association de plusieurs facteurs intrasystémiques, extrasystémiques et intersystémiques (R. Chaudenson et al. 1993). Cette partie sera davantage centrée sur l’examen de certains contours de la thèse intersystémique comme facteur de variation. Les autres facteurs sont pris en compte si nécessaire, mais ils seront présentés plus systématiquement dans le chapitre consacré au changement linguistique.

Le Cameroun ne possède pas de langue nationale avec une fonction véhiculaire sur l’étendue du territoire. Autant dire immédiatement qu’il est difficile, sinon arbitraire, de traiter certains phénomènes comme des interférences en provenance d’une langue ethnique particulière. Néanmoins, il n’est pas non plus possible de nier la part des interférences dans les structures de français parlé, puisque bon nombre de locuteurs n’ont pas achevé leur scolarité et d’autres apprennent le français sur le tas. De telles conditions sont favorables au transfert des schémas linguistiques connus vers la nouvelle langue en cours d’acquisition/apprentissage. Ainsi présenté, les facteurs intersystémiques sont des phénomènes classiques pendant l’apprentissage d’une langue étrangère. Notre description n’entend pas s’arrêter au passage des structures d’un système linguistique à un autre. Son intérêt réside dans le fait qu’il fournit un cadre sémantique pour l’interprétation des pratiques linguistiques en français, qui autrement apparaissent comme des « faits aberrants » (G. Manessy 1994a). Une seule langue servira dans cette étude comparative : le ghɔmala. C’est un choix subjectif qui s’explique simplement par le fait que nous sommes une locutrice

380 C. Kerbrat-Orecchioni (2001 : 150).

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« native » de cette langue bantoue de l’Ouest du Cameroun. Compte tenu du succès et de la dispersion sociale (géographique et en fonction du niveau d’études) du schème syntaxique étudié (constructions interrogatives en que quoi), nous faisons l’hypothèse que le cadre sémantico-logique fournit ici correspond dans l’ensemble à ce qui peut s’obtenir pour la majorité des autres langues du Cameroun.

La diversité sémantique des interrogations directes en que quoi pose un problème que l’analyse syntaxique classique ne suffit pas à résoudre. En effet, comment que quoi peut en FRACAM à la fois signifier quoi et pourquoi ? Les exemples ci-dessous en ghɔmala’ devraient apporter un début de réponse.

i) o ʃɑpe nɑ kɑ ?

ii) o ʃɑpe gɑ kɑ ?

Ces deux exemples veulent dire à peu près la même chose à savoir, pourquoi tu l’as insulté ? À priori donc, il existe en ghɔmala deux formes correspondant sémantiquement à pourquoi. En regardant de près leurs structures, on se rend compte que l’un des exemples (ii) est littéralement équivalent à un énoncé en français avec que quoi (tu l’as insulté que quoi ?) alors que l’autre (i) reste proche d’un énoncé avec pourquoi (on peut noter au passage la disjonction des morphèmes constitutifs de la valeur sémantique pourquoi en ghɔmala).

i) o ʃɑp- e nɑ kɑ

pers.2 verbe (insulter) pers.3. conj. interrogatif

sujet accompli accusatif

tu as insulté il/elle pourpourpourpour quoiquoiquoiquoi ?

ii) o ʃɑp- e gɑ kɑ

pers.2 verbe (insulter) pers.3 conj. interrogatif

sujet accompli accusatif

tu as insulté il/elle quequequeque quoiquoiquoiquoi ?

Prenons à présent le verbe dire qui construit des complétives et le DR :

iii) o ghɔm bi : nɑ kɑ ?

iv) o ghɔm bi : gɑ kɑ ?

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La traduction en français courant, proche du standard, pour les deux énoncés est : pourquoi tu le lui as dit ? En FRACAM, on obtient plutôt pourquoi tu lui as dit / tu lui as dit pourquoi ?381

iii) o ghɔm bi : nɑ kɑ ?

pers.2 verbe (dire) pers.3 conj. interrogatif

sujet accompli datif

tu as dit à lui/elle poupoupoupourrrr quoiquoiquoiquoi ?

iv) o ghɔm bi : gɑ kɑ

pers.2 verbe(dire) pers.3 conj. interrogatif

sujet accompli datif

tu as dit à lui/elle quequequeque quoiquoiquoiquoi ?

Un examen attentif révèle une fois de plus que l’un des énoncés (exemple iv) présente pratiquement une équivalence terme à terme avec la structure française tu lui as dis que quoi ?382 Que se passe-t-il donc ? En ghɔmala, il semble y avoir deux façons de dire pourquoi ; la première forme que nous qualifions de neutre est nɑ kɑ383 et la deuxième forme est gɑ kɑ. C’est cette deuxième forme qui est à l’origine de la structure « aberrante » en que quoi. Le monème en cause est gɑ. Son actualisation en ghɔmala est systématiquement en rapport avec une parole prononcée, qu’elle soit antérieure ou postérieure à l’acte qui le matérialise. Il suffit par exemple de dire gɑ bɑ pour que son auditoire comprenne que l’on veut prendre la parole. Cette expression ne comprend pourtant pas de prédication telle que la tradition grammaticale la décrit384 : il n’y a ni verbe, ni sujet, juste deux « mots » que nous nous risquons à traduire comme que et hein. Ce ménage ne manque pas de produire un équivalent en FRACAM avec des visées communicatives similaires (qu’hein↗). Une différence pragmatique de taille cependant : gɑ bɑ peut servir d’ouverture, d’intervention

381 La version en FRACAM omet le pronom le qui est anaphorique en contexte. La traduction en français standard se justifie par la transitivité obligatoire du verbe dire. En FRACAM, le contexte comble la référence liée à l’anaphore (cf. C. de Féral 1998 : 208). 382 Il y a une ambiguïté sémantique : qu’est-ce que tu as dis ? et pourquoi tu lui as dit ? Nous poursuivons l’analyse en tenant compte du deuxième sens seulement ; 383 Nous simplifions volontairement la morphologie du deuxième élément (kɑ). Il a des variantes phonétiques qui ne modifient pas véritablement son sens. 384 Il s’agit donc d’une prédication averbale (D. Creissels 1995).

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liminaire à un échange ; qu’hein↗ ne survient généralement qu’à titre de rappel, en appui à un contexte discursif où des paroles ont déjà prononcées. qu’hein↗ est donc une marque d’hétérogénéité énonciative.

L’énoncé o ʃɑpe gɑ kɑ ? signifie tu l’as insulté pourquoi ? de même que o ghɔm bi : gɑ kɑ ? signifie tu lui as dit pourquoi ? Toutefois, gɑ introduit une signification additionnelle que l’on peut gloser par : « quelle raison tu donnes pour justifier ton acte ? ». Ceci veut donc dire que, le locuteur qui prononce un énoncé avec gɑ kɑ ? signale explicitement qu’il est en attente de la parole de l’autre.

Ainsi, dire en français tu l’as insulté que quoi ?ou tu lui as dis que quoi ? suggère que le locuteur attend des explications385. Comme dans tous les autres contextes, que est polyphonique. Il serait plus juste de parler d’une diaphonie potentielle (E. Roulet 1990 : 40) où l’énonciateur anticipe sur la production d’un discours par l’énonciataire. La construction diaphonique permet à l’énonciateur de souligner la pertinence qu’il attribue au discours potentiel de l’autre du point vue interactionnel (E. Roulet et al. 1985 : 78).

Dès lors, que quoi ne dépend plus de la valence verbale. Il n’est pas directement construit par le verbe qui le précède. Il s’adjoint librement à tous les verbes. Ceci justifie des occurrences telles (38) je le vois que quoi, (32) il s’énerve que quoi, (39) elle ne prend pas que quoi ? (40) on va entendre que quoi ? (63). Sur le plan descriptif, le « cotexte » devient inopérant (A. Berrendonner 1990 : 26). Pour J. Deulofeu (1999, 2008b) qui s’intéresse à toutes les constructions avec que,

les problèmes naissent d’une problématisation insuffisante de l’interface entre morphologie et syntaxe

qui conduit parfois à traiter tous [l]es exemples comme des conjonctions de subordination” et à limiter à une seule relation, la subordination, les possibltés de mise en relation syntaxique de la que-construction avec le contexte.386

Au regard des similitudes entre le ghCmala et le FRACAM, doit-on conclure que le phénomène que quoi est le produit exclusif d’interférences linguistiques ? Dans les travaux de sociolinguistique du français en Afrique, les substrats ont la réputation de produire des calques syntaxiques. Sans être totalement erronées, de telles explications sont quelque peu réductrices. En effet, dire que « tu l’as insulté que quoi ? » est un calque de « o ʃɑpe gɑ kɑ ? » signifie que les locuteurs opèrent une transposition servile d’une structure syntaxique de la langue ethnique à la langue étrangère. Auquel cas, ce qui est mis en exergue c’est un apprentissage défectueux ou approximatif du français. Mais en réalité, ce n’est plus la

385 Des explications ou tout simplement le rapport des termes de l’insulte. 386 J. Deulofeu (2008b : 35).

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compétence en français standard qui est en jeu. L’histoire du français en Afrique fait état d’une appropriation certaine. Il s’agit à présent de savoir comment se consolide une communauté linguistique d’alloglottes et de savoir ce qui procure le sentiment de l’existence d’une variété nationale lors de la pratique d’une langue (d’origine) « étrangère ».

L’usage généralisé de que quoi en contexte camerounais, sans distinction d’origine ethnique ni de niveau de scolarisation conforte plutôt l’hypothèse d’un investissement investissement investissement investissement culturel et d’appropriation de la langue françaiseculturel et d’appropriation de la langue françaiseculturel et d’appropriation de la langue françaiseculturel et d’appropriation de la langue française. Combien de fois n’est-il pas arrivé à maints Camerounais d’avoir le sentiment qu’une expression ressentie de sa langue « maternelle » ne valait pas tout son pesant d’or en effets stylistiques et pragmatiques une fois son équivalence trouvée en français ? Ils ont alors ressenti le besoin de transposer cette expression mot pour mot en français, tout en « s’excusant » au préalable : « comme on dit chez moi… » ou bien « comme on dit dans ma langue… ». Ce faisant, on justifie un ordre syntagmatique que l’on sait pertinemment non attesté en français standard387. On rend lalalala norme caduque pour des besoins pressants de communication. À la longue, ce type de pratique n’éprouve plus le besoin de se justifier. Le dynamisme linguistique s’occupe du reste si bien que l’étrangeté de certaines expressions s’estompe et devienne la manière la plus naturelle de s’exprimer. Le processus d’habitualisation et de conventionnalisation reconstruit théoriquement par Grice (1968 : 8)388 trouve ici justification :

Pour L (locuteur), G (geste) signifie ‘je connais le chemin’.

L a l’habitude d’énoncer G quand il veut dire que L connaît le chemin ou bien de manière plus claire : c’est l’habitude de L d’énoncer G si et seulement si L fait une énonciation par laquelle L veut dire L connaît le chemin.

G s’inscrit dans le cadre d’une énonciation (une action), à la source de G il y a l’intention de L de vouloir dire quelque chose (G), et G est la forme habituelle de manifestation de cette intention. Mais pour que L utilise G pour manifester son intention, il faut qu’il y ait une chance que le récepteur R sache que G signifie ‘je connais le chemin’. La « reconnaissance de l’intention de L par R » résulte d’une inférence :

387 « l’Africain instruit qui parle le français sans aucune simplification dans l’exercice de sa profession le juge généralement inapte à exprimer les « nuances » de sa pensée – vraisemblablement parce que l’enseignement scolaire ne lui a procuré qu’un système « réduit » » (G. Manessy 1995 : 27). 388 Cité par P. Bange (1992).

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L’inférence repose sur la confiance de R vis à vis de L en vertu d’une habitude partagée entre L et R : L sait que G signifie x ; R sait que G signifie x ;L sait que R sait que G signifie x ; R sait que L sait que G signifie x ; L sait que R sait que L sait que G signifie x ; R ait que L sait que R sait que G signifie x. 389

La signification établie (de x) entre les individus L et R,

résulte d’une habitualisation d’une signification en situation. La signification est dite « conventionnelle » si cette habitude est étendue à tout un groupe social.390

Ce processus de conventionnalisationconventionnalisationconventionnalisationconventionnalisation des formes linguistiques rejoint le « marché social et culturel des comportements langagiers » que décrit P. Charaudeau (2001 : 345).

Certaines interférences ne sont pas gratuites ; elles ne sont pas plus des symptômes d’une pathologie linguistique. Elles comblent un vide sémantique et stylistique laissé par le système de la langue étrangère. Il faut y voir une transposition de repères sémiolinguistiques permettant aux locuteurs camerounais de continuer à se comprendre entre eux quand ils parlent en français.

3.2 IMPLICATIONS SUR LE CONTINUUM DES PRATIQUES

La modalité interrogative est l’expression par excellence du relationnel de par le couple question-réponse qui fonde l’acte pragmatique de la question. Comme pour plusieurs autres aspects de la langue, les variations des formes de l’interrogation sont corrélées à des variables sociales dans les ouvrages de référence. R. L. Wagner & J. Pinchon (1962 : 539) considèrent l’interrogation par intonation comme ayant des connotations sociales inférieures du moment où le choix des formes « dépend du degré de culture de la personne qui parle ». Il est donc normal qu’ils prescrivent l’inversion du sujet pour l’interrogation directe (idem, p. 537).

Cependant, même si l’inversion continue d’être ressentie comme la forme la plus soutenue, les travaux sur corpus tant en syntaxe qu’en pragmatique ont permis d’introduire des formes comme « tu veux manger ? tu pars demain ? » dans les leçons sur l’interrogation aussi bien en langue maternelle qu’en langue seconde et étrangère sans faire valoir une classification sociolinguistique en niveau de langue. Ces formes appartiennent au français ordinaire. En dépit de ces avancées scientifiques, les locuteurs restent pour une bonne part captifs des valeurs normatives qu’ils contribuent à pérenniser alors même qu’elles ne correspondent pas toujours à leurs usages effectifs. Le français ordinaire au Cameroun connaît-il une répartition des formes en fonction de critères sociolinguistiques ?

389 P. Bange (1992 : 142). 390 P. Bange (1992 : 143).

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CHAPITRE VII

L’INTERROGATION

273

L’examen des corpus A, B et C de FRACAM montre que l’interrogation par inversion est très peu utilisée quel que soit le niveau de scolarisation des locuteurs. Les exemples relevés étant majoritairement dus au dispositif de l’interview. Par contre, l’intonation est massivement utilisée par tous. Elle s’accompagne très souvent du phatique non.

72) (233-19) L2 mais ils tiennent ça de quoi non ? les quarante millions ? ils tiennent ça de quoi ?

73) (237-2) L1 c’est vous qui avez appelé tout à l’heure-là non?

74) (37-17) B1 dans tout ça il se lave même comment non ?

75) (81-15) D1 tu hiahiahiahia ce qu’il veut toktoktoktok non↗

L’ensemble de ces exemples infirme le point de vue de E. Biloa (2007 : 41-42) selon lequel le non interrogatif final serait la marque d’une oralité des personnes inférieures au niveau acrolectal. Le facteur extrasystémique qui influence le plus cette forme est le style qui échoit au genre conversationnel en FRACAM. Le lien entre contexte et forme d’interrogation a été démontré par Ph. Blanchet (1995) pour le français parlé en France. Il constate en effet que les formes d’interrogations se répartissent différemment en Provence (Sud de la France) et en Bretagne (pays nantais dans l’Ouest de la France).

En Provence, les interrogations directes se font au moyen de deux procédés : l’intonation et l’ajout de est-ce que à l’énoncé assertif. L’inversion est très rare et lorsqu’elle apparaît elle ne concerne qu’une catégorie d’énoncés pratiquement figée du type comment veux-tu que je fasse . L’inversion est jugée bizarre et affectée en Provence, dans des conversations ordinaires. En revanche, en pays nantais, le français ordinaire utilise l’inversion en situation informelle (Ph. Blanchet 1995 : 199). Il existe donc deux stratifications sociolinguistiques différentes entre elles au sein d’une « même langue », ou plutôt à l’intérieur d’un même pays. Mais le fait le plus significatif est la réduction de la hiérarchie sociolinguistique des formes interrogatives. En considérant les situations formelles comme hautes et les situations informelles comme basses, Ph. Blanchet (1995) constate une réduction maximale de la stratification sociolinguistique en Provence : il y a poussée vers le haut des formes basses.

En dépit du prestige du standard, l’oral conversationnel en FRACAM utilise majoritairement les formes les moins cotées indépendamment du niveau de scolarisation des locuteurs.

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CHAPITRE VII

L’INTERROGATION

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4 CONCLUSION

L’étude de l’interrogation a pointé la nécessité de bien distinguer le signifiant et le signifié, c'est-à-dire structure formelle et valeur illocutoire des énoncés. En effet, il est de coutume de parler de « phrase interrogative » , « impérative » ou « déclarative », « pour désigner certaines structures dont on postule qu’elles ont pour finalité essentielle d’exprimer une question, un ordre, ou une assertion » (C. Kerbrat-Orecchioni 2001 : 35). Or, la linguistique de l’énonciation prouve que les modalités sont forcément liées aux intrications entre le locuteur et l’environnement de la prise de parole. Les modalités dites de phrase ne sauraient servir qu’à titre indicatif. Dans la réalité, l’acte illocutoire est soumis à des contraintes d’ordre pragmatique.

Sur le plan formel La typologie des phrases interrogatives est quelque peu malmenée à l’observation des pratiques langagières quotidiennes. Les vraies questions sont rares et il est difficile de trouver des exemples parfaitement représentatifs d’une interrogation totale, directe ou indirecte. Les formes typologiquement distinctes entretiennent une grande proximité fonctionnelle comme le remarque M.-M. de Gaulmyn (1991 : 320) :

les interrogatives construites indirectement sont la manière la plus directe de poser une question et d’introduire une demande en se posant comme demandeur et en affirmant son désir de savoir.

Elle souligne ainsi le rôle joué par l’aspect métadiscursif. Nous avons relevé un seul cas dans le corpus A ; l’amorce métadiscursive ne se confirme malheureusement pas dans la suite du discours, certainement parce que le locuteur change son « programme discursif » (A. Berrendonner 2002): il passe de la demande à une assertion.

76) (10-17) B1 je demande hein↗ + il ne faut pas s’amuser avec certains gens hein↗

Le repérage de la question est largement tributaire de l’environnement discursif (antérieur et postérieur) de l’énoncé ; la paire adjacente question-réponse est un indice clé. De plus, les marqueurs de l’acte de question sont hétérogènes : ils fonctionnent en réseaux et se soutiennent mutuellement (C. Kerbrat-Orecchioni 1991). À titre d’exemple, l’emploi de non en FRACAM laisse la place à une grande ambiguïté que le contexte seul peut lever. L’assertion et la question semblent partager la même courbe intonative : élévation de la voix sur le dernier mot non.

77) (81-25) D3 gars il y a un film non↗ (assertion)

78) (27-18) B1 on a : + bien on a traité non↗ à Yaoundé : il est gogogogo en Fran :ce + il est bakbakbakbak ici à Bafoussam ça n’a rien donné (assertion)

79) (51-8) B4 je te dis non↗ (assertion)

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L’INTERROGATION

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80) (81-15) D1 tu hia hia hia hia ce qu’il veut toktoktoktok non↗ (acte intermédiaire entre l’assertion et la question)

81) (37-17) B1 dans tout ça il se lave même comment non ? (question)

Les formulations directes et indirectes, conventionnelles et non conventionnelles se répartissent sur un continuum, car tous les facteurs qui servent d’indices dans l’établissement de ces catégories sont eux-mêmes caractérisés par la gradualité (C. Kerbrat-Orecchioni 2001 : 47). La prosodie par exemple joue un rôle majeur dans la distinction entre assertion et interrogation en discours. Or la prosodie est un domaine où règne un certain flou, où toute signification est de l’ordre du graduel (C. Kerbrat-Orecchioni 2001 : 48). Cette souplesse du prosodique est une source inépuisable de richesse expressive (C. Kerbrat-Orecchioni 1991 : 95).

Le système de l’interrogation en FRACAM se caractérise aussi par la domination des schèmes en que quoi. Le « que subordonnant passe-partout » (F. Gadet 1996) précède quoi dans des constructions complétives (il pense que quoi), mais c’est surtout sa valeur polyphonique qui fait son succès. Le discours rapporté391, instance par excellence de dédoublement énonciatif, en fait naturellement usage :

82) (16–3) B2 […] c’est pour ça que je vous ai dit tout à l’heure que quoi je vous ai dit tout à l’heure que quoi je vous ai dit tout à l’heure que quoi je vous ai dit tout à l’heure que quoi hein↗ […]

83) Ce que je continue à dire c’est que c’est que c’est que c’est que quoiquoiquoiquoi ? je peins les paysages, ce sont les fenêtres que j’ouvre392

Que quoi présente aussi des avantages sur le plan interactionnel. Il produit un effet d’annonce dans des énoncés à valeur phatique :

84) (30-6) B1 c’était comme ça qu’elle me fatiguait en classe l’inverse cette année c’est l’inverse c’est que quoil’inverse c’est que quoil’inverse c’est que quoil’inverse c’est que quoi ???? donc je suis XX math c’est coef six + elle a beau fatiguer l’anglais moi je vais signer sur mes huit en anglais

85) (35-16) B3 puisque tu vois que quoitu vois que quoitu vois que quoitu vois que quoi hein↗ un exercice un exer- une épreuve de maths-là

391 Les deux exemples sont des cas d’autocitation. 392 Artiste peintre interviewé sur STV2 (une chaîne de télévision privée basée à Douala) le 29 mai 2005. L’interview se passe devant son œuvre dans une salle d’exposition.

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CHAPITRE VII

L’INTERROGATION

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Il serait intéressant de récapituler les propriétés syntaxiques de que quoi. Trois types de configurations se dégagent :

- la première concerne les constructions transitives, dans des énoncés du type tu dis que quoi, le respect de la structure SVO correspond à une complémentation de type ça ;

- la deuxième concerne les constructions à la fois transitives et intransitives dans lesquelles que quoi est un schème sémanticoschème sémanticoschème sémanticoschème sémantico----discursifdiscursifdiscursifdiscursif grossièrement équivalent à une question en pourquoi : l’hypothèse intersystémique a été retenue afin de justifier cette forme. Cependant, on pourrait aussi faire une hypothèse intrasystémique d’une reproduction par analogie à la première configuration. Ce qui expliquerait la troisième configuration,

- le troisième est le schème discursif schème discursif schème discursif schème discursif je sais que quoi, dont les variantes introduisent des phénomènes expressifs (même, non ?). Sa forme courte est je sais ?

La première configuration est un acte direct ou un acte indirect, formellement analysables dans le cadre de la microsyntaxe. Les deux autres sont toujours des actes indirects dont les éléments entretiennent des relations macrosyntaxiques. Sur le plan pragmatique, on assiste à une grammaticalisation de ces schèmes. Nous tenterons d’en préciser les contours dans le chapitre VIII.

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QQUUAATTRRII ÈÈMM EE PPAARRTTII EE

VVEERRSS LL EE CCHHAANNGGEEMM EENNTT LL II NNGGUUII SSTTII QQUUEE ??

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CCHHAAPPII TTRREE VVII II II

QQUUEELL SS TTYYPPEESS DDEE CCHHAANNGGEEMM EENNTT LL II NNGGUUII SSTTII QQUUEE ??

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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Au terme de la description des dispositifs, du discours rapporté et de l’interrogation dans le FRACAM, plusieurs types de restructurations ont été mise à jour. Certaines sont nettement d’ordre sémantico-syntaxique alors que d’autres, tout en étant conformes à la plupart des français régionaux sur le plan structural, s’articulent aux modes de pensée et de communication endogènes. En effet, certains énoncés donnent l’impression d’être construits sur le mode du français standard, mais leur utilisation lors des interactions indique que le système de référenciation393 n’est pas celui du français standard. Le critère toponymique seul ne suffit pas à définir une variété régionale (citation de G. Manessy sur le fait que le régionalisme n’est pas un problème de lieu). Nous allons, dans ce chapitre, poursuivre l’exploration des processus de référenciation endogènes en nous intéressant particulièrement au rôle du camfranglais pour l’existence et la visibilité sociale d’une variété endogène de français au Cameroun.

1 TENDANCES SÉMANTICO-SYNTAXIQUES DU FRACAM

C’est la vernacularisation comme processus sociolinguistique qui permet de rendre compte de certains aspects de la distance entre le FRACAM et la variété prestigieuse introduite par le biais de la scolarisation. L’autonomisation du FRACAM est guidée par les besoins communicationnels des populations endogènes. Ces dernières forgent alors une variété en adéquation avec l’organisation de l’énonciation et de l’interaction en vigueur dans les langues du substrat. Le mélange qui en sort est difficilement descriptible en termes exclusivement linguistiques. L’approche fonctionnaliste de G. Manessy, redevable pour une bonne part aux travaux d’A. Martinet, est résolument portée sur le déterminisme social des formes de la variation. Ainsi, les régularités du français parlé en Afrique s’expliquerait par la « fonctionnalisation » et le souci de « satisfaire les exigences d’une tradition dont le rôle est de régler le jeu social et de donner un sens aux relations entre le groupe et son univers » (G. Manessy 1995 : 17). L’analyse des faits linguistiques est confrontée aux facteurs socio-culturels et aux structures cognitives qui les fondent. Toutefois, les formes fonctionnelles dans le contexte camerounais obéissent à des lois universelles d’adaptation de l’outil langagier aux besoins de la communication (H. Frei 1929). L’apparition de variétés plus ou moins différentiées est parallèle au processus de spéciation collectif. Ce dernier est régi par

393 La nécessité de distinguer entre sens et référence en sociolinguistique a été pointée dans le cadre théorique. L’alternance des formes traduit une construction sémantique socio-contextuelle de sorte que le sens ne peut être donné à l’avance. « Lorsqu’il renonce à distinguer entre sens et référence, le variationnisme rend la forme secondaire dans la signification » (F. Gadet 1997 : 10).

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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les mécanismes généraux de changement linguistique : la réanalyse des structures de la langue cible, la régularisation des paradigmes par analogie, la grammaticalisation de certaines structures.

1.1 RESTRUCTURATIONS SYNTAXIQUES

L’objectif ici est de reformuler les tendances formelles des pratiques vernaculaires du FRACAM afin d’en dégager la cohésion interne. La tâche pour le moins ardue consiste à rendre compte de la cohérence fonctionnelle de certains aspects des trois paradigmes syntaxiques étudiés au sein des pratiques labiles du FRACAM. Notre discussion sera axée sur l’élément quequequeque. C’est un mot réputé « passe-partout » (F. Gadet 1996) dont le fonctionnement et le sémantisme semble acquérir de nouvelles directions en FRACAM. Le deuxième élément qui retient notre attention est la restructuration des constructions disloquées, notamment la dislocation du sujet.

Nous avons soutenu que le principe explicatif du calque ne peut se justifier au nom du constat de quelques dispositifs transposables mot pour mot des langues du substrat vers le français. Au demeurant, plusieurs constructions en français local n’ont pas leur équivalent dans les langues du substrat (G. Manessy 1995 : 240). Il en va ainsi du « pronom tonique de sujet » qui exploite certaines propriétés du pronom tonique en français. Sa dislocation à droite est un prolongement du sémantisme du clitique ou du SN sujet. La disposition « … jejejeje ne peux pas moimoimoimoi vivre comme ça … »394 exploite les possibilités offertes par la langue française, de manière à donner l’illusion que l’énoncé est conforme à la syntaxe du standard (l’aune d’évaluation de la correction des formes). D’autres énoncés tels que « dors toi » ou « il dort lui » sont de bons exemples d’isomorphisme entre le français de référence et le FRACAM. Dès lors, il devient difficile, pour certaines occurrences, de distinguer la part des différents facteurs intersystémiques, extrasystémiques, et intrasystémiques. Le « système » exploité par les locuteurs ne peut pas être unique. Il n’y aurait pas unununun noyau dur395 mais « desdesdesdes noyaux durs » (L.-J. Calvet 2007). D’où l’intérêt d’une approche fonctionnelle et interactionnelle car « le langage humain se présente d'abord comme une production interactive associée aux activités sociales » (J.-P. Bronckart 1996 : 34). Le cadre de référence sémantique du français parlé au Cameroun est fourni par l’univers conceptuel des

394 Exemple de G. Manessy ([1990] 1994a), qui traitait d’un autre problème de syntaxe. Cet exemple montre que ce schéma syntaxique est utilisé depuis les années soixante-dix, période de son enregistrement. 395 D’après F. Rastier (2007 : 14) « si l’on prend la mesure des diversités effectives des discours, champs génériques et genres, le noyau invariant qu’on peut appeler langue se réduit drastiquement à l’inventaire des morphèmes, à des contraintes comme la structure de la syllabe, la structure du syntagme, etc. ».

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QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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langues du substrat, lequel participe à l’élaboration du complexe sociolinguistique où se pratique le français.

Sur le plan énonciatif, que que que que s’est illustré comme un marqueur de polyphonie aussi bien dans le discours rapporté que dans l’interrogation. Nous avons ainsi pu constater que sa place dans la construction verbale est indépendante des contraintes qui pèsent sur la subordination en français standard. La distribution de quequequeque illustrée infra va dans le sens de la perte de pertinence de la notion de « cotexte » dans l’analyse syntaxique (A. Berrendonner 1990) :

1) L1 pourquoi tu ne pars pas le voir ?

L2 je le vois que quoi ?

2) L1 elle ne se rendait pas compte de son poids ?

L2 je sais moi que quoi ?

A : il faut que tu achètes une voiture

B : quequequeque je gagne combien par mois ?

QueQueQueQue s’accroche à n’importe quel l’environnement discursif du contexte conversationnel pour marquer le caractère dialogique de l’énoncé qu’il introduit. En s’associant avec d’autres marques telles que les particules énonciatives dans « le matin il m’a donné douze mi quequequeque bonbonbonbon tu peux rentrer au village… », il indique la présence d’un discours rapporté. Dans tout autre contexte, la polyphonie est plus ou moins explicite comme dans les autres exemples (tous interrogatifs). L’usage de « que quoique quoique quoique quoi » permet de faire un énoncé interrogatif tout en préservant le rapport d’un discours autre. QueQueQueQue est donc, selon une interprétation sémantactique, la marque d’une parole latente, plus ou moins extériorisée car comme l’écrit G. Manessy ([1989] 1994a : 195),

il n'y a pas de différence essentielle entre ce qui est dit, ce qui est pensé et ce qui est fait la pensée est parole intérieure, une parole inextériorisée à l'état latent; d'autre part, la parole est force: tout énoncé est « performatif »- l'acte est la manifestation de la parole, son aboutissement extrême.

Tandis que « je le vois que quoi » embraie matériellement sur l’énoncé précédent (en utilisant le même verbe voir) et peut être glosé par « je le vois pourquoi ? », « je sais moi

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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que quoi ? » qui arbore pourtant le même schéma structural est glosé par « je ne sais pas » ou « je n’en sais rien ». L’intention sémantique qui consiste à utiliser une forme interrogative pour affirmer quelque chose396 se réfère à une pragmatique différente de celle en vigueur dans l’univers « hexagonal » (G. Prignitz 2001 : 499). La primauté de l’intention sémantique sous-jacente au processus de fonctionnalisation397 accroît la fréquence des constructions paratactiques avec que que que que en FRACAM. On pourrait allonger la liste des exemples avec ceux que présente G. Manessy ([1978], 1994a : 131) :

- il a refusé ququququ’il ne va pas m’épouser

- ses sœurs m’ont retenue quequequeque je ne rentre plus, quequequeque je vais accoucher là- bas

- je l’envoie quequequeque les enfants sont malades, comment lui il va, s’il est encore … si il est bien, si la situation marche bien, lui aussi m’envoie quequequeque oui, je suis bien, il n’y a rien qui me dérange

G. Manessy ([1989] 1994a :196) estime que dans ces énoncés, il n’y a pas de calque syntaxique mais une réinterprétation de « quequequeque » sur le modèle commun à toutes les langues du substrat. « QueQueQueQue » en tant que marque d’une parole latente extériorisée serait la résurgence d’une structure sémantique sous-jacente aux langues du substrat. De même, la réinterprétation de la forme interrogative « quoiquoiquoiquoi » s’associe à celle de « quequequeque » et aboutit à la forme agglutinée « que quoique quoique quoique quoi ». La restructuration des formes interrogatives crée donc un système hybride (ou complexe) où la répartition sémantique de « que quoi » est à cheval entre une référence franco-française (pourquoi) et une référence camerounaise (que quoi - diaphonie potentielle). Hors contexte les formes référentielles sont interchangeables, mais en interaction, l'emploi de la forme spécifique « que quoique quoique quoique quoi » permet de renvoyer à cette parole latente. Il s’agit d’une optimisation sémiotique c'est-à-dire de la « stabilité du signifiant, toujours semblable à lui-même, [de l’] attribution à chaque signifié d'un signifiant qui lui est propre. » G. Manessy ([1985] 1994a : 172). « Que quoiQue quoiQue quoiQue quoi » est donc un schème grammaticalisé.

396 C. de Féral (2007) mentionne avoir constaté cette rhétorique particulière lors de ses enquêtes sur le pidgin-english au Cameroun dans les années 70. 397 La primauté de l’intention sémantique n’est pas spécifique aux français d’Afrique. La rupture explicite par rapport à la norme standard la met plus en évidence dans ces contextes. En outre, le portrait des français d’Afrique a longtemps été dressé « par référence implicite à ce qu’on peut imaginer de la psychologie et de la physiologie de locuteurs neutres, exonérés de tout bagage culturel. » (G. Manessy 1995 : 13).

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QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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En raison du principe de transparence formelle, « quequequeque » devient la marque incontournable du discours rapporté, c'est-à-dire de la double énonciation. Le modèle hiérarchique de macro-syntaxe rend compte de cette double énonciation par ses deux niveaux d’analyse. Dans les énoncés ci-dessus considérés comme paratactiques au regard de la grammaire traditionnelle, il y a en fait superposition de deux ordres de syntaxe :

la superposition de deux ordres de syntaxe s’y traduit donc par des discontinuités séquentielles, des seuils où l’on passe non d’un morphème au suivant, mais d’une énonciation à une autre, qui lui est liée par un rapport pragma-syntaxique.398

Nous pensons avec A. Berrendonner (2002 : 36) qu’

il est donc impossible d’assigner avec généralité à que une fonction de translatif ou de marqueur d’une relation grammaticale précise. Sa seule fonction constante semble être de baliser dans la chaîne le début d’un domaine propositionnel.

En début de clause, « quequequeque » a une valeur méta-énonciative, signalant l’énonciation qu’il introduit comme une continuation (pointage). Dans cette optique, le discours direct avec « que », dont la présence est signalée aussi bien en France, en Belgique, au Québec qu’au Cameroun, trouve une explication dans la polyvalence du morphème « quequequeque » qui « semble plutôt résulter ici d’un cumul purement opportuniste de fonctions, mettant à profit une propriété parfaitement subalterne : le placement à l’initiale d’un secteur de texte »399 (A. Berrendonner 2002 : 39).

Cette analyse macro-syntaxique permet de voir que la réinterprétation des patrons syntaxiques proposée par G. Manessy (1985) se fait dans les limites des possibilités du système de la langue seconde. « QueQueQueQue » est un opérateur libre400 qui crée des énoncés à cheval sur la micro et la macro-syntaxe. Selon le principe systémique de type polylectal, les possibilités prédicatives autour de « quequequeque » sont multiples dans toutes les variétés de français401. Les différences apparaîtraient au niveau macro-syntaxique, au cœur des réseaux

398 A. Berrendonner (2002 : 26). 399 Pour J. Deulofeu (1999, 2008b) le préalable méthodologique à toute description d’une que-construction est la détermination de la catégorie morphologique de que qui peut être une conjonction ou un relatif. De plus, il faut déterminer la syntaxe internesyntaxe internesyntaxe internesyntaxe interne (que est-il extérieur à la construction verbale ou est-il la marque d’une opération de relativisation ou d’extraction) et la syntaxe exsyntaxe exsyntaxe exsyntaxe externeterneterneterne (s’agit-il d’une rection ou d’une construction paratactique ?) de la que- construction. 400 « opérateur de changement de type pragma-syntaxique » (A. Berrendonner 2002 : 36). 401 Exemples en provenance de l’univers européen : je l’aime quand même – quand même que quoique quoique quoique quoi ? / qu’est-ce que tu veux ? – je veux quequequeque je veux pas aller / t’as l’air furieuse –il y a de quoi quequequeque je sois furieuse (F. Gadet 1996 : 127) J’ai retrouvé des gages d’amour quequequeque je ne savais plus d’où ils me venaient. (Flaubert) (A. Berrendonner 2002).

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QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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d’associations sémantiques. Les variétés régionales se distinguent les unes des autres moins par des propriétés formelles que par ces réseaux d’associations sémantiques qui sont pour les locuteurs la somme des connaissances partagées (linguistiques et séculières)402. C’est la substance même de la mémoire discursive (M). En effet,

dès qu’une action communicative a été accomplie, elle se trouve enregistrée dans M à titre d’objet-de-discours, et devient un référent parmi les autres, que l’on peut nommer, anaphoriser, charger de prédicats, etc.403

La mise en mémoire des savoirs linguistiques en relation avec leurs valeurs référentielles codées au fil des interactions justifie l’émergence de schèmes discursifs.

1.2 LES SCHÈMES DISCURSIFS

Les énoncés disloqués du type « moi ils ont raison de gueuler moi je trouve »404 ont tôt fait d’être renvoyés aux marges de la syntaxe par des syntacticiens de la phrase. Le mérite de la macro-syntaxe (modulaire ou hiérarchique) est d’avoir démontré que des constructions de ce type tiennent au traitement de l’information plus qu’à une quelconque organisation linguistique : « répartir l’information en petits paquets plutôt qu’en un gros ensemble hiérarchisé. Il est donc normal qu’on trouve plus de dislocation à l’oral. » (Cl. Muller 2002 : 85). Ainsi, c’est la visée illocutoire qui prime sur le respect des règles syntaxiques. Au sein des pratiques routinières, « le schème syntaxique est choisi, voulu et organisé par le locuteur » (Cl. Muller 2002 : 83). L’espace de mise en œuvre de cette action volontaire du locuteur n’est autre que l’interaction. Les interactionnistes distinguent à cet effet la « grammaire à priorigrammaire à priorigrammaire à priorigrammaire à priori » et la « grammairegrammairegrammairegrammaire émergeanteémergeanteémergeanteémergeante » (P. Hopper 1988)405. Cette dernière est construite, déconstruite et reconstruite au cours des interactions. Dans cette vision dynamique de la grammaire, l’interaction joue un rôle structurant important (L. Mondada 2001 ; S. Pekarek Doehler 2001). En effet, les tours de parole et les problèmes relatifs à leur gestion in situ configurent aussi les séquences comme l’indique S. Pekarek Doehler (2001 : 186) pour la dislocation à gauche :

Mais le sens c’est comme la violette quequequeque il y en a des blanches et puis il y en a des roses / et lui ben il a toujours cherché à me rendre service quequequeque elle jamais (J. Deulofeu 2008b). 402 « Le français d’Afrique est […] beaucoup moins caractérisé par sa grammaire et ses particularités lexicales dont on trouverait l’équivalent dans bien des français régionaux que par le moule énonciatif dans lequel ce matériel est coulé » (G. Manessy [1990] 1994a : 212). 403 A. Berrendonner (2002 : 27). 404 In Cl. Muller (2002 : 84). 405 In L. Mondada (2001 :155).

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La dislocation à gauche qui reprend un élément d’un tour antérieur est donc liée, […] à la régulation de l’agencement des tours de parole. D’une part, elle marque le positionnement séquentiel du tour en signalant explicitement son lien à un tour antérieur. D’autre part, elle est utilisée par les locuteurs concernés non simplement pour s’approprier un tour, mais pour le faire à un moment défavorable à une prise de parole de leur part. Ce résultat permet de préciser le rôle de la dislocation à gauche dans la gestion des tours de parole, qualifiant cette construction comme un instrument puissant dont se servent les locuteurs pour reconfigurer la sélection séquentielle du prochain locuteur.

Nous avons vu qu’en FRACAM, le marqueur par excellence des frontières de tours de parole est le schème « je dis (que) hein » qui tend à se grammaticaliser comme un tour interpellatif. Les interlocuteurs, qui sont les premiers concernés par les énoncés, effectuent une analyse en temps réel de sorte à projeter sa fin possible, que ce soit, du côté du locuteur, pour maintenir ou pour passer la parole, ou, du côté de son interlocuteur, pour la laisser ou la prendre (L. Mondada 2001 : 147). La fonction structurante du tour de parole est aussi manifeste lors de la construction collaborative des énoncés. La fonction interactive de « que quoique quoique quoique quoi » dans l’exemple ci-dessous le signale comme le second constituant d’une paire adjacente.

L1 : je ne suis pas content de toi

L2 : que quoi ?

Le schème « que quoique quoique quoique quoi » est rituellement codé pour servir en deuxième position dans une paire adjacente en contribuant souvent à la complétude interactionnelle de l’acte de question (qui au demeurant restera souvent sans réponse directe dans l’échange). À ce niveau, l’organisation des schèmes syntaxiques en discours relève non plus de l’illocutoire406 mais du perlocutoire (Cl. Muller 2002). On parlera alors de schème discursif. C’est au niveau du perlocutoire que nous avons tenté de dégager les caractéristiques du FRACAM. Car, c’est la nature des liens sociaux, en rapport avec les savoirs partagés de la mémoire discursive, qui configure les schèmes discursifs au fil des interactions. Lors de ce cheminement social, les schèmes discursifs acquièrent une certaine stabilité référentielle. Les patrons discursifs sont donc le résultat d’une élaboration sémiotique qui transforme certaines variantes en formes iconiques. Ces dernières passent d’un emploi contextualisé à un réemploi potentiel (R. Nicolaï 2007b : 211). Nous reviendrons ci-dessous (2.4.2) sur l’importance de l’historicité de la relation forme-sens en l’illustrant avec le camfranglais car il est impossible de dissocier les faits grammaticaux des processus communicatifs et de l’organisation séquentielle du discours dans des données empiriques conversationnelles (S. Pekarek Doehler 2005 : 3).

406 Le schème syntaxique, d’après la définition qu’en donne Cl. Muller (2002) est la manifestation d’un acte illocutoire.

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Les cadres théoriques ayant permis l’analyse du FRACAM se rejoignent sur une question essentielle : celle de la nécessité de trouver des outils descriptifs applicables aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. Rien de ce qui se passe à l’oral n’est exclu des pratiques écrites (J. Deulofeu 2008a). L’hétérogénéité de la grammaire du français (Cl. Blanche-Benveniste 1990, 1997) place le descripteur devant

la nécessité de faire une syntaxe variationnelle, et d’admettre parmi les variantes possibles non seulement des formes concurrentes, mais aussi des structurations concurrentes d’une même sous-chaîne, que rien ne distingue formellement.407

C’est vraisemblablement au niveau de la structuration hiérarchique des clauses que les énoncés, souvent identiques au standard (ou aux autres variétés régionales), sont transmués par les modes de pensée habituels de l’aire de civilisation à laquelle appartient le Cameroun. L’existence de structurations concurrentes est une condition suffisante pour envisager la grammaticalisation. En effet,

la grammaticalisation est un processus de changement progressif, dont l’une des phases suppose la coexistence à la même époque, et éventuellement chez le même locuteur, de deux grammaires concurrentes. Cette hypothèse conduit à concevoir la grammaire comme un système complexe et dynamique, qui admet la co-existence des variantes entre lesquelles le locuteur choisirait, et qui prévoit que de ces variantes en concurrence l’une seulement subsistera dans bien des cas […] mais parfois les deux continuent de coexister.408

Nous n’aborderons pas les dessous de la catégorisation de l’expérience qui méritent d’amples recherches sur l’énonciation dans les langues du substrat. Nous recentrons notre discussion sur les actions sociales que sont les faits linguistiques énoncés en français. Il s’agit à présent de s’intéresser au processus de sémiotisation des formes socialement significatives.

2 LA SÉMIOTISATION DES FORMES

L’étude du changement linguistique liée à la variation synchronique se frotte à l’hétérogénéité et à la complexité des faits pris in vivo. Jusqu’ici, les exemples attestés dans le corpus de FRACAM plaident en faveur de l’existence d’un système sémantico-syntaxique local. Cependant, l’existence d’une variété locale n’exclut pas celle du français standard. Au contraire, les locuteurs continuent de s’y référer symboliquement (dans les représentations) et à s’y conformer (au mieux de leurs capacités) dans les pratiques en cas de besoin.

407 A. Berrendonner (2002 : 27). 408 C. Marchello-Nizia (2006 : 31).

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Nous allons dans les paragraphes qui suivent proposer une lecture sémiotique des traces énonciatives renvoyant plus ou moins explicitement au système de référenciation camerounais.

2.1 LES GLOSES MÉTA-ÉNONCIATIVES

Dans un discours en français au Cameroun, utiliser les mots comme « ndolè » ou « poulet DG » est tout à fait normal. De même, « je n’ai pas fréquenté » ou « ma mère n’a pas préparé » sont des formes vernacularisées dont il n’est plus question de débattre de l’opportunité puisqu’elles sont consignées dans l’IFA (1983, 2004).

La promotion du bilinguisme officiel chez les populations par la politique linguistique nationale crée un contexte plurilingue avec la dominance statutaire de l’anglais et du français. Même si la majorité de la population se réclame de l’une des langues officielles (anglophones vs francophones)409, tout le monde est en contact avec l’autre langue au quotidien à travers les médias et les affiches publicitaires, sans compter le brassage des populations. En somme, le bilinguisme anglais / français est devenu un trait culturel de la société camerounaise. Du côté des locuteurs francophones, c’est le camfranglais qui emblématise ce trait culturel. Les discours en camfranglais connotent des prises de position identitaires connexes aux multiples enjeux sociaux du contexte camerounais. On peut alors voir apparaître des énoncés qui font évoluer la conversation vers un but communicationnel ponctuel tout en se référant de manière réflexive à la matérialité du discours. Ce type de modalisation contribue à la construction endogène des normes du français et influencent les représentations sur ces dernières. Il serait donc intéressant de découvrir les processus de sémiotisation liés aux revendications identitaires.

Observons cet extrait de la séquence « Le meilleur de la classe »410 :

B2 … je te jure que une nganganganga est entrée en première elle faisait le pro- + batoire D XXX le premier jour le grand ma- tu sais que le temps-là il fait froid jusqu’à + elle quitte comme ça là + on a partagé les épreuves on a XX + dès que la sonnerie a fait WI ::: la nganganganga a pissé + elle a pissé vrai vrai donc : pas que : + elle a pissé + et c’est comme ça qu’elle était mal à l’aise pendant + toute la journée + et elle a échoué + c’était FORT donc la

409 Cette polarisation politico-identitaire ne correspond pas toujours avec les pratiques linguistiques. De même des enfants issus de familles francophones sont scolarisés dans des cursus anglophones et vice versa. 410 Corpus A, (p.40).

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première journée-là + elle était vraiment forte + comme on dit là + elle est arrivée dès que on a distribué comme ça là + (je) dis que merde elle a XX

B3 sa part de force-là c’est quelle force comme ça ? quand je sais que je suis fort je suis calme je (ne) sais pas + quand on a donné le devoir ici + tu as j’ai fini le premier non↗ après une heure de l’épreuve qu’on a donné l’épreuve j’avais fini avec la chimie411 + ça n’avait pas empêché que j’ai que j’ai la première note j’ai fini à une heure donc dès une heure qu’on a lancé j’ai quand je nononono que je suis fort je suis calme + je wandawandawandawanda même hein↗

Les commentaires que nous en faisons vont dans le sens d’un remaniement formel volontaire par le bais de l’usage d’un lexique non-français. L’occasion nous a déjà été donné dans la partie sociolinguistique de dire que des échanges de ce type seront infailliblement catégorisés comme du camfranglais par tout locuteur camerounais. La première raison est d’ordre linguistique (lexique non français) et la deuxième est d’ordre social : les protagonistes sont des jeunes. Nous aborderons la question sur un plan énonciatif. C’est à travers le concept de modalisation que l’on peut aisément saisir les traces méta-énonciatives de cet échange. R. Vion (2006 : 111-112) définit la modalisation comme

un phénomène particulier, distinct de la modalité, qui n’apparaît qu’occasionnellement dans un énoncé. Ce phénomène se manifeste par un dédoublement énonciatif complexe, fondé sur la co-existence de deux énonciateurs correspondant au même locuteur. […] Il existe deux types de modalisation : celles qui portent sur la forme du dire (les gloses méta-énonciatives) et celles qui portent sur le contenu du dit.

Nous pensons que sur le plan strictement linguistique, le camfranglais procède de manière significative à un travail sur le signifiant, c'est-à-dire sur « la forme du dire ». Dans chacune des interventions de l’extrait précédent, « le regard du locuteur » (H. Nølke 1993) porte à la fois sur le « dit » et sur le « dire ». Le « dit » est l’opinion ou le message véhiculé ; le « dire » est en grande partie codifié par les normes sociales en vigueur pour l’échange (les schèmes discursifs). Au cours de l’acte d’énonciation, le locuteur participe volontairement à la visibilité formelle du message en adaptant l’aspect lexical à son désir de positionnement social et identitaire. Dès lors, l’usage du camfranglais comme « construction socio-identitaire » (V. Feussi 2008) équivaut à une double énonciationdouble énonciationdouble énonciationdouble énonciation. La première posture énonciative concerne l’orientation du dit : les termes « nganganganga », », », », « nononono », et « wandawandawandawanda » participent à la construction du message de manière dénotative (avec l’orientation contextuelle correspondante dans l’échange). La deuxième posture énonciative porte un

411 Il se frotte bruyamment les mains.

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regard réflexif sur ce dit (R. Vion 2003 : 221) : « nganganganga »»»», « nononono », et « wandawandawandawanda » sont en emploi métaphorique pour désigner le plurilinguisme camerounais dont le locuteur se veut porteur. En effet, « nganganganga » porte une consonance proche des langues locales, tandis que « nononono » et « wandawandawandawanda » se rappellent respectivement l’anglais et le pidgin-english412.

Si la fonction identitaire est l’une des plus (re)marquées en camfranglais413, c’est par le fait de ce regard réflexif. Parler camfranglais consiste à utiliser, dans un discours en français, des lexèmes « empruntés » aux langues en contact sur le territoire camerounais. L’intérêt de ces « emprunts »414 est d’introduire une rupture formelle avec le français, de sorte qu’il soit évident pour tous que les discours se détournent du français de référence. Les lexies avec une consonance non française deviennent des marques pragmatiquement signifiantes. C’est pourquoi dans la suite de la discussion, nous considérerons ces termes comme « marqués » par opposition aux autres mots environnants qui, pris isolément, se retrouveraient dans tout discours en français même en dehors du Cameroun. Ces derniers sont considérés comme étant neutres.

Comme les pratiques linguistiques sont de véritables « actions langagières » (J.-P. Bronckart 1996, 2008), les choix volontaires des locuteurs ont des retombées significatives sur la structure de l’ensemble de la langue de la communauté. Cette action sur le plan rigoureusement synchronique est un marquage identitaire. Sur le plan diachronique, de telles innovations linguistiques concourent au changement linguistique. Entre les deux, se déploie une synchronie dynamique (A. Martinet 1970) où les formes oscillent entre plusieurs variétés.

2.2 LE PASSAGE PAR LA FONCTIONNALISATION

Chez les locuteurs du français en Afrique, les particularités linguistiques de leurs pratiques donnent rarement lieu à des représentations conformes à la réalité (G. Manessy 1993). L’exposition au français standard réel se réduit progressivement et il est fort probable que les locuteurs aient des difficultés à distinguer le standard et leurs pratiques quotidiennes

412 Ces références étymologiques n’ont pas la prétention d’être exactes. Il s’agit pour nous de répercuter le flou qui règne dans le mode d’assignation des formes linguistiques aux variétés en contact. Le sentiment linguistique ici relève tout simplement de la sensibilité, c'est-à-dire des représentations des locuteurs et des descripteurs. 413 E. Biloa (1998), C. de Féral (1993, 1998), E. Ngo Ngok-Graux (2006), V. Feussi (2008). 414 La notion « emprunt » nous semble quelque peu impropre parce qu’elle désigne des termes exogènes à une langue matrice supposée. Le seul intérêt de son emploi ici est qu’il corrobore la rupture formelle voulue par les locuteurs. Aux côtés des emprunts, se retrouvent des formes verlanisées (reme, termareme, termareme, termareme, terma), des apocopes (kkkkapo, apo, apo, apo, clandoclandoclandoclando), des néologies (yong, pumyong, pumyong, pumyong, pum) etc. Tous ces termes participent à la rupture formelle avec le français.

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sur le plan formel (B. Boutin 2008). Signalons tout de suite qu’à notre connaissance, il n’existe, pour le Cameroun, aucune étude à grande échelle qui vise les évaluations des locuteurs sur leurs propres pratiques415. Du côté de certains linguistes, la norme endogène se résumerait pour l’essentiel à une coloration phonétique et lexicale, le lexique servant à désigner des realia locales416. Cependant, des régularités structurales ont été dégagées lors de nos analyses syntaxiques et énonciatives du corpus de FRACAM : la norme endogène qui fonctionne socialement sur le mode de l’implicite n’est donc pas sans fondement linguistique (G. Manessy 1990).

Le récapitulatif des résultats de l’analyse dans la première partie de ce chapitre montre aussi que les traits linguistiques sont étroitement liés au déroulement des interactions, lesquelles contribuent à la sédimentation des formes telles que « je dis (que) hein↗ » ou encore « que quoi ? » dans les pratiques sociales. Leur rentabilité interactionnelle accroît leur fréquence d’emploi ; la ritualisation subséquente en fait des emplois stéréotypés. Dès lors, l’efficacité communicationnelle l’emporte sur le respect des contraintes formelles héritées du standard. L’hypothèse de G. Manessy (1989) au sujet de l’autonomisation linguistique des variétés vernaculaires est celle de la fonctionnalisation de la langue (le que que que que du DR est un bel exemple). Cette fonctionnalisation se poursuit dans les variétés nouvelles du FRACAM.

Précisons à nouveau que le FRACAM est une désignation synthétique qui subsume un ensemble hétérogène de pratiques au sein desquelles il existe des pôles correspondant à différentes attitudes sociolinguistiques. Pour s’en tenir à notre corpus, nous dirons que les pratiques s’étalent sur un continuum mouvant car la plupart des caractéristiques linguistiques ne peuvent être assignées de manière univoque à une catégorie de locuteurs. Les traits saillants du FRACAM répertoriés dans les trois axes syntaxiques se retrouvent dans les corpus A, B et C417. C’est le pôle camfranglais418 (pôle dominant du corpus A) qui sert à la démonstration qui suit.

415 En cela, le retard par rapport à d’autres pays de l’Afrique Noire francophone (la Côte-d’Ivoire, le Mali, le Sénégal par exemple) est énorme. 416 « Définir la norme endogène du français du Cameroun revient à décrire lexicographiquement les usages lexicaux qui sont constitués de formes lexicales (mots, syntagmes, expressions) de significations véhiculées par les formes et des valeurs attribuées aux couples forme-sens. » (E. Biloa 2007 : 363). 417 Autant que possible, chaque aspect syntaxique traité a été illustré par un exemple en provenance des trois sous-corpus. 418 L’intérêt du terme « pôle » est qu’il indique une dynamique linguistique interne. De ce fait la désignation d’un point du continuum focalise sur la valeur sociale qui est attribuée à la variété désignée. Ce rôle social est

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L’un des griefs entretenus par les enseignants contre le camfranglais renvoie à sa laxité formelle. Cette variété est en effet sentie par tous comme un espace de liberté linguistique : « je pense que ce qui plaît c’est le fait de se sentir libre d’inventer en camfranglais » dit un enseignant interrogé par E. Ngo Ngok-Graux (2008). La liberté vécue par les locuteurs du camfranglais est néanmoins encadrée par les régulations sociolinguistiques qui orientent toute pratique linguistique non-normative. L’une des conséquences linguistiques les plus courantes de cette régulation est la réduction de la variation formelle au profit d’une régularité liée au processus analogique419. Le camfranglais affiche une certaine transparence formelle dont le but est de satisfaire les besoins communicatifs immédiats au moindre coût pour les interlocuteurs (H. Frei 1929, G. Manessy 1989, 1995). La fonctionnalisation420 en camfranglais se manifeste par la déflexivité nominale et verbale.

2.2.1 LA RÉGULARISATION DE LA FLEXION DANS LES NOMS

3) (105-7) D1 (je) dis qu’hein↗ les manmanmanman ont de ces wewewewe pour kol kol kol kol les nganganganga mon frère

4) (182-3) Y3 le gars est là il il il il part troubler les manmanmanman là

5) (14-8) B3 tu penses que le manmanmanman-là il avait fait comment + pour holholholhol le paterpaterpaterpater-là ?

6) (7-18) B1 tu sais il y a les paterpaterpaterpater que tu grossis sa fille il ne dit lui jamais à la fille que : il est comme ça là le gars c’est qui non ?

7) (144-14) D2 la nganganganga-là a les dodododo hein mon ami

Dans ces exemples, les noms manmanmanman, nga, pater nga, pater nga, pater nga, pater ne portent aucune marque du pluriel421. Si « manmanmanman » vient peut-être de l’anglais, la morphologie anglaise n’est pas importée dans le

naturellement associé à certains traits linguistiques sans pour autant gommer les aspects partagés avec les autres variétés du continuum. Si la tendance est de considérer les variétés comme des ensembles langagiers, les pratiques discursives sont en réalité interstitielles. 419 « L'analogie sémantique et l'analogie formelle ont pour caractère commun l'imitation d'un modèle prédominant dans la conscience linguistique. Déclenchés l'une et l'autre par la laxité des associations de mémoire qui rattachent un élément au reste du système, elles répondent au besoin de limiter cet arbitraire en motivant l'inconnu par le connu. » (H. Frei ([1929] 1982 : 54). 420 « … l'ensemble des mécanismes évolutifs qui tendent à adapter la langue à sa fonction de communication dénotative en la débarrassant de contraintes inutiles (comme celles par exemple qui pèsent en français sur l'emploi des modes et des temps), en étendant le champ d'application des règles (d'où l'emploi de plus en plus fréquent du futur après si), en régularisant les flexions ("j'alla, tu allas, il alla"), en supprimant les redondances grammaticales » (G. Manessy [1993] 1994a : 222). 421 La liste des substantifs peut être rallongée à souhait en consultant le corpus joint en annexe.

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camfranglais. S’il est plutôt attribué au pidgin, il est tout aussi dépouillé de la marque du pluriel « demdemdemdem » en pidgin422. Pas de différence morphophonologique non plus entre « la nganganganga » et « les nganganganga », ni entre « le paterpaterpaterpater-là » et « les paterpaterpaterpater ». En somme, le pluriel des termes marqués423 en camfranglais se contente de la marque morphophonologique inscrite dans le déterminant en français (suppression des redondances grammaticales). On peut élargir la réflexion sur la réalité morphologique du pluriel dans les noms et les adjectifs424 en français tout court. En dehors de quelques exceptions (pluriel en [o]), les marques du pluriel (-s, -x) ressortissent à la morphologie de l’écrit et non à celle de l’oral (Cl. Blanche-Benveniste 2007 : 130)425. Dès lors, le problème des accords ne se pose véritablement pas pour le camfranglais du moment où c’est une variété orale et que nous avions opté de ne transcrire que ce qui était perceptible à l’écoute (transcription phonologisante). Par ailleurs, la distinction masculin vs féminin est globalement maintenue en parfaite correspondance avec la distribution en vigueur en français (A. Queffélec 2007b). En fait, la répartition du genre équivaut à une distinction sexuée pour les humains426 comme le remarque C. de Féral (2008) :

Le djo djo djo djo (le gars) est go falago falago falago fala une mbindimbindimbindimbindi (une petite) qu’il a corrigée grave

Le mbindimbindimbindimbindi (le petit) il veut même plus gogogogo au skulskulskulskul

Lorsque le substantif est un non-animé, le genre peut être variable.

Je mimba mimba mimba mimba le paterpaterpaterpater qui voulait les résultats au skul skul skul skul427

La plus bikbikbikbik skulskulskulskul qui est ici à Ngola on appelle ça le Lycée Leclerc

De même C. de Féral (2008) relève que « hethethethet » est au féminin conformément à « tête » qu’il est censé traduire. Dans notre corpus, il est employé au masculin

422 Voir C. de Féral (à paraître). 423 Ils seront aussi appelés « camfranglismes ». 424 Notre corpus ne contient pas de « camfranglisme » adjectif. Nos pensons cependant qu’il aura une seule forme indépendamment du nom qu’il spécifie. 425 « on ne peut pas définir l’ensemble des adjectifs comme un ensemble de formes variables en genre et nombre (plus de la moitié ont des formes orales sans variation, comme antique ou bleu) » (Cl. Blanche-Benveniste 2007 : 131). 426 Il n’ y a pas beaucoup d’occurrences de noms d’animaux dans les corpus camfranglais. Cela est peut-être lié aux types de sujet évoqués en camfranglais. 427 « L’école ».

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8) (133 – 6) D1 ça devient délicat c’est mon hedhedhedhed qui travaille

En fin de compte, le camfranglais reste très proche du français en ce qui concerne le principe de l’actualisation du substantif si l’on considère que le genre est intrinsèque à ce dernier en français contemporain. Toutefois, la nature du genre n’est véritablement prévisible que lorsque le caractère sexué est en cause. Autrement, les locuteurs font varier le genre même s’il y a une certaine propension au respect du genre originel des lexèmes en français. Il y a donc un compromis fonctionnel entre l’instabilité et la stabilité du marquage du genre, et le camfranglais s’en accommode très bien. Qu’en est-il de la classe des verbes ?

2.2.2 LA RÉGULARISATION DE LA FLEXION DANS LES VERBES

La régularisation des flexions dans le paradigme du verbe est tout à fait frappante. Au présent, la même forme est employée pour les personnes 1, 2, 3 et 6.

9) (105-4) D1 quand je gogogogo au letchletchletchletch + on kolkolkolkol les nganganganga

10) (96-6) D2 quand tu gogogogo là-bas c’est pour winwinwinwin non↗

11) (23-5) B3 … il gogogogo lui avec sa chose non↗ il gogogogo + pas de pression

12) (109-14) D1 il y a D. + avec K. ils nous kolkolkolkol qu’on gogogogo voir le film428

13) (26-12) B3 les gens kemkemkemkem d’abord olololol là + on le voit il est le dernier dehors

Mais une fois de plus, le phénomène qui s’observe ici n’a rien de spécifique au camfranglais car la même chose s’obtient en français pour la grande majorité des verbes

(je/tu/il/elles [mSF] ).

En nous fiant aux observables à notre disposition, il est difficile savoir si les « camfranglismes» verbaux 429 admettent le morphème de la personne 4 «[T] » dans un verbe « camfranglais ». En effet, conformément à la tendance générale en français parlé partout ailleurs, c’est la forme disloquée « nous on » qui est la plus usitée (M. Blasco-Dulbecco 1999). Nous avons donc relevé les occurrences ci-après :

14) (112-7) D2 nous on vexvexvexvex430 alors parce qu’il va ronfler il t’empêche de suivre le film

15) (144-1) D2 … nous on est là on tchaftchaftchaftchaf431

428 Pas d’occurrence de personne 6 avec « gogogogo ». C’est pourquoi nous avons pris les deux bases verbales kem kem kem kem (venir) et kolet kolet kolet kol (appeler). Chacune des bases manque d’illustration pour au moins une personne. 429 Nous recourons à cette formulation pour ne pas avoir à répéter qu’il s’agit de mots morphophonologiquement différent du français. Bien entendu, c’est le discours qui est camfranglais. 430 « nous on est fâché… ».

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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La seule instance de la personne 5 en camfranglais dans notre corpus est un impératif

16) (94-8) D1 gars falayfalayfalayfalayez-moi vingt-cinq non432↗

Elle est cependant assez courante au présent car nous avons pu relever un exemple émis par le présentateur de l’émission « Délire » destinée à la jeunesse et qui passe sur la chaîne de télévision nationale (CRTV)433. Après le passage d’une artiste en herbe particulièrement talentueuse il déclare au public :

- je vous disais tout à l’heure que je wandawandawandawanda maintenant vous-mêmes vous wandawandawandawandaez non↗

La véritable innovation fonctionnelle du camfranglais est certainement représentée par la neutralisation de la variation des bases verbales. L’intention est vraisemblablement de garder la visibilité du lexème (transparence formelle). Les références temporelles s’appuient alors sur les auxiliaires, et le contexte se charge de lever les dernières équivoques. Les différents emplois des bases verbales « tchatchatchatcha » et « baybaybaybay »434 sont révélateurs de cette fonctionnalisation :

17) (10- 1) B1 la fois là où on a pris un paterpaterpaterpater-là on a pris le paterpaterpaterpater + il tchatchatchatcha le paterpaterpaterpater que + vrmvrmvrmvrm + on le retrouve seulement loin à la gendarmerie

18) (13-3) B3 oh grand + + gars tu as tchatchatchatcha nos feuilles ?

19) (91-5) D1 demain là je vais proposer + quand je vais tchatchatchatcha le takertakertakertaker et je vais dire que + j’ai cent vingt-cinq djodjodjodjo

20) (91-16) D2 si tu es même déjà au niveau de Bali-là tu peux même tchatchatchatcha pièce + tu ttttchachachacha même pièce

21) (96-18) D1 … gogogogo tchatchatchatcha la bouillie non ↗

22) (97- 3/4) D3 donc donc c’est quand il a vu les dodododo qu’il a tchatchatchatcha hein↗

D1 oui eh c’est quand il a vu les dodododo qu’il a tchatchatchatcha non ↗

23) (124- 9/10)D1 il tchatchatchatcha son ballon il tchuktchuktchuktchuk tumtumtumtum + un monsieur tchatchatchatcha ça encore au milieu il balance tumtumtumtum + ça tombe sur les pieds de de de Esenbeck + aïe mon frère il est devant le gardien hein tu es mort le malchanceux

431 « … on mange ». 432 « gars trouvez-moi vingt-cinq non↗ ». 433 Emission du 20 avril 2005. 434 « prendre » et « acheter ».

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QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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24) (56-5) B3 XX tu me baybaybaybay un vélo XX

25) (59-2) B4 parce que moi je prends souvent l’essence + moi je pars tchatchatchatcha il y a d’autres voitures↗ les taxis de ville-là + quand ils baybaybaybay en gros tu viens ponctionner

26) (93-9) D1 tu baybaybaybay ton maïs tu fais ton wewewewe avec non↗

27) (97-5) D1 […] (je) dis que go go go go me baybaybaybay la bouillie il me luk luk luk luk + tu vois non↗

28) (97- 10) D4 il ne voulait pas komotkomotkomotkomot les do do do do de sa poche pour baybaybaybay

29) (143-17) D5 […] si tu tentes de baybaybaybay un gros truc on t’enferme une fois

30) (144-9) D5 […] elles ont contrôlé elles ont baybaybaybay ou bien c’est quatre casier de smooth déposer

31) (144-16) D5 et tu nononono ce qui s’est passé ? je baybaybaybay une castel

La régularité est rigoureuse au niveau des participes. Ils se résument à la seule base verbale. Grâce à la libération normative en camfranglais les locuteurs neutralisent la variation complexe qui a cours pour l’accord du participe passé. L’expression de l’avenir se fait essentiellement par la forme périphrastique. La forme synthétique du futur n’apparaît dans aucun sous-corpus. Une comparaison entre le passé composé et le futur périphrastique révèle que la liberté des locuteurs est plus grande lorsqu’ils utilisent la forme analytique du futur. L’auxiliaire du passé composé est toujours en français comme on peu le voir ci-dessous :

32) (14-8) B3 […] on est kemkemkemkem chez le paterpaterpaterpater un sept heures

33) (10 - 7) B1 il est gogogogo le LANCER là-bas non↗

34) (101 – 13) D2 ah oui j’ai déjà tchoptchoptchoptchop j’ai déjà tchoptchoptchoptchop + le riz avec le sucre

35) (109- 10) D3 moi j’ai nangnangnangnang moi j’ai nangnangnangnang tellement que je n’ai pas hiahiahiahia quand vous êtes gogogogo gars

Le futur périphrastique, quant à lui, n’est pas stable. L’auxiliaire « aller » est tantôt en français, tantôt en « camfranglais » :

36) (91-5) D1 demain là je vais proposer + quand je vais tchatchatchatcha le takertakertakertaker et je vais dire que + j’ai cent vingt-cinq djodjodjodjo

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37) (101-19) D4 gars tumorotumorotumorotumoro moi je vais gogogogo

38) (10-6) B2 il go dugo dugo dugo du quoi avec lui ?

39) (35-16) B1 […] elle gogogogo si elle go dugo dugo dugo du les équations ça la niangniangniangniang tant pis pour elle oh

Mais lorsque le verbe principal est « gogogogo » l’auxiliaire demeure en français :

40) (94-2) B2 ça fait une semaine non↗ n’est-ce pas tu as dis que tu vas gogogogo avant de kemkemkemkem ?

41) (96-6) D2 quand tu gogogogo là-bas c’est pour winwinwinwin non↗ + tu vas gogogogo là-bas faire quoi ?)

42) (143-4) D2 tu lui dis dix mille + que mais comme je t’aime X qu’elle me trouve même six kolokolokolokolo ça va gogogogo + tu vois non↗

Malgré la régularisation flexionnelle des participes passés, les camfranglophones respectent les règles de formation du passé composé et la répartition des auxiliaires (avoir/être) est la même qu’en français standard. L’instabilité du futur périphrastique s’expliquerait par le fait qu’il n’est pas réellement enseigné. Ce temps ne figure pas dans les tableaux de conjugaison dont la mémorisation est une technique d’apprentissage courante encore aujourd’hui. En principe, il n’y a donc pas de règles à appliquer. Le travail sur la forme se justifie davantage. On peut aussi penser que les locuteurs l’interprètent comme deux verbes distincts. Ainsi, il n’est pas possible de distinguer entre l’expression de l’avenir et une construction sérielle sous la forme de l’énoncé « il go dugo dugo dugo du quoi avec lui ? » (ci-dessus).

En marge des considérations formelles sur le futur périphrastique en camfranglais, il faudrait remarquer que l’absence du futur synthétique dans les français vernaculaires recueillis au Cameroun est tout à fait conforme à la tendance qui s’observe dans le français parlé en général435. Ce trait de fonctionnalisation est donc constant dans les pratiques ordinaires du français. La simplification ici consiste à l’établissement d’une relation biunivoque entre la forme et le sens, c'est-à-dire « la diminution du nombre des manifestations externes des mécanismes grammaticaux et l’amélioration de leur rendement fonctionnel » (G. Manessy 1995 : 23). Autrement dit, la base verbale en camfranglais est

435 Cl. Blanche-Benveniste (1997a : 56-57).

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QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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toujours égale à elle-même quand bien même les références temporelles changent. Le recours aux formes simplifiées436 permet de contourner les contraintes normatives.

Cependant, l’imparfait semble résister à cette simplification externe. En effet, la marque morphologique de l’imparfait437 est intégrée à la base verbale comme on peut le voir dans les exemples suivants :

43) (136 – 18) D5 ol taimol taimol taimol taim que je momomomoais là mon frère

44) (144- 5) D5 … je baybaybaybayais mes wewewewe là à la boulangerie

45) (101 – 10) D2 … le sucre est resté au fond du truc ah : le gars ne tchoptchoptchoptchopait plus + il ne tchoptchoptchoptchopait plus

L’imparfait se caractérise déjà en français oral par une flexion régulière. Les désinences ont certes trois formes, mais les personnes 1, 2, 3 et 6 partagent la forme [ɛ]. Comme pour le présent, nous n’avons pas rencontré de désinences attachées aux personnes 4 et 5. Pour la personne 4, on relève par exemple

46) (102- 11) D2 les vendredis nous on gogogogoait au Dakélé tout le temps + avec les gars de ma classe

Toutefois, comme nous l’avons souligné tantôt, le recours au sujet disloqué n’est pas imputable aux processus spécifiques du camfranglais puisqu’on relève aussi des énoncés tels que

47) (31-11) B1 XXX jusqu’à nous on disait que

48) (101 – 3) D2 même quand nous on partait XX j’avais des potes-là ils mettaient le sucre dans leur lait ils étaient trop bêtes …

Par ailleurs, nous avons relevé une occurrence de l’imparfait à la personne 4 qui est une application de la concordance des temps (c'est-à-dire de la norme scolaire):

49) (138 – 3) D3 … tu as dit que nous n’étions plus ensemble non↗

436 Pour une discussion sur la simplicité en linguistique voir F. Gadet (coord.) (1991b) : Ces langues que l’on dit simples, LINX n°25 et notamment l’article de F. Kerleroux « Les formes nues sont-elles simples ? ». 437 Rappelons que nous avons opté de transcrire le morphème de l’imparfait selon l’usage orthographique pour ne pas amplifier inutilement l’impression d’exotisme des verbes en question. Les locuteurs enregistrés maîtrisent assez bien les valeurs temporelles et les formes écrites de l’imparfait telles que l’école les leur enseigne. Et comme nous venons de le voir, les règles de formation des temps verbaux sont en général respectées.

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QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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Il serait donc difficile d’affirmer que le camfranglais est un refuge pour des jeunes qui maîtrisent mal le français.

Par beaucoup d’aspects, le camfranglais reste proche des formes usuelles du français et les régularisations formelles confortent les tendances universelles à la simplification lorsque la langue est utilisée exclusivement à des fins communicatives. Néanmoins, au regard de l’hybridation des lexèmes « camfranglais » avec des morphèmes « français » (désinences de l’imparfait par exemple) parlera-t-on de simplification ou de complexification ? Le type de mélange qui s’observe pour l’imparfait se rencontre à d’autres niveaux flexionnels.

2.2.3 LA CONFORMITÉ AUX PROCESSUS RÉGULIERS EN FRANÇAIS

Notre propos ici est de monter que les mélanges formels qui ont lieu en camfranglais sont de nature à dérouter toute personne non initiée. Les dérivations appliquées sont pourtant calquées sur les procédés les plus réguliers du français. Les suffixes et les préfixes gardent leurs propriétés morpho-syntaxiques comme on peut le constater dans les exemples suivants :

50) (114 – 15) D1 … wetwetwetwet même bindibindibindibindiment

51) (115 – 2) D1 … kemkemkemkem un peu on ste bindiste bindiste bindiste bindiment

52) (75 – 22) D2 il est devenu un wok wok wok wokeur

53) (76 - 7) D1 tumorotumorotumorotumoro il y aura la réunion familiale + après il va tchatchatchatcha : + quand il va bolbolbolbolɛɛɛɛ là-bas + il va rekemkemkemkem non↗ il a dit que si si ça bol bol bol bolɛɛɛɛ vite lui il rekemkemkemkem en temps normal ils vont commencer

54) il est komotkomotkomotkomot premier en biginbiginbiginbiginant par derrière438.

Les affixes du français sont reconnaissables et les emplois semblent s’accorder à ce qui s’obtient dans la langue source : -ment pour les adverbes, -eur pour les noms, -ant pour le participe présent (ou gérondif), re- qui indique la duplication de la base. Tous les mots outils (prépositions, joncteurs) sont de préférence en français (Fosso 1999, C. de Féral 2007).

438 Emission radiophonique animée par des élèves et étudiants passée en 2003 sur « Mount Cameroon FM » (Buea), une chaîne de la Cameroon Radio Television (CRTV).

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QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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Face à la quantité de faits morpho-syntaxiques repris au français, il semble raisonnable de dire que les locuteurs du camfranglais se concentrent sur la visibilité lexicale de leurs discours.

2.3 L’ALTERNANCE LEXICALE ALÉATOIRE EN CAMFRANGLAIS

D’après C. de Féral (2006, 2007, 2008) le camfranglais se résume à un jeu sur le lexique. Elle le démontre avec les alternances aléatoires « dodododo/argent » (2006 : 261-262) et « nganganganga/fille » (2007 : 271-272). Elle aboutit à une définition minimaliste selon laquelle « est ‘camfranglais’ ce qui est considéré comme tel par les Camerounais francophones » (C. de Féral 2008, à paraître). Plusieurs chercheurs vont donc tenter de dresser la liste des items rencontrés en camfranglais (E. Biloa 1999, A.-M. Ntsobé et al. 2008). Nous contribuerons à cet inventaire en présentant un glossaire des termes rencontrés dans notre corpus. Par la suite, nous verrons que si ce type de relevé peut être utile pour la description du camfranglais, il est quelque peu réducteur de confiner ce phénomène langagier au seul lexique. Ce faisant, la description s’appuie sur une conception essentialiste de la langue.

2.3.1 UN GLOSSAIRE DE CAMFRANGLAIS

Une mise au point s’impose donc. Le glossaire que nous proposons est le fruit d’une démarche différentielle. Une telle présentation est une focalisation sur les items les plus marqués439 de la variété désignée. Il faut y voir une démarche méthodologique qui permet au descripteur de mettre en relief les critères de catégorisation qui émergent des pratiques sociales. Le camfranglais ne se résume pas seulement aux énoncés d’où sont extraits les items. C’est tout l’environnement discursif qui est camfranglais.

La deuxième mise au point concerne les définitions proposées. Elles se limitent à une équivalence lexicale en français, tout en respectant le sens contextuel. Nous n’avons pas jugé utile de faire des gloses des énoncés parce qu’ils sont (ou supposés être) en français. Pour comprendre les énoncés, il faudra procéder par substitution lexicale. Cette présentation est conforme à notre hypothèse selon laquelle, le camfranglais se greffe sur le français vernaculaire du Cameroun440. Et comme nous le verrons par la suite (2.4), le fait de remplacer un « camfranglisme » par son équivalent en français dans certains énoncés, ne

439 Selon l’acception qui a été retenue supra, c'est-à-dire les items qui participent à la rupture formelle avec le français de référence. 440 C. de Féral (2006 : 262) pense que le camfranglais peut se greffer sur le français accrolectal.

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garantit pas qu’un francophone qui ne partage pas le système de référence endogène accède au contenu du message.

Les différentes classes sont abrégées de la manière suivante :

v. (verbe) ; n.(nom), adj.(adjectif), adv. (adverbe), loc. (locution)

bahatbahatbahatbahat (v.) : être/agir de mauvaise foi.

(74-21) tu m’as bahatbahatbahatbahat

bakbakbakbak (v.) : retourner, rentrer.

(64-19) c’est que tous les jours on va bakbakbakbak à dix-huit heures je te dis

(65-4) il faut qu’on bakbakbakbak à seize heures c’est dur

baybaybaybay (v.) : acheter.

(45-5) tu me baybaybaybay un vélo XX

(75-11) il ne voulait pas komotkomotkomotkomot les dodododo de sa poche pour bay bay bay bay

(75-15) gogogogo me bay bay bay bay la bouillie-là

betabetabetabeta (adv.) : mieux.

(45-8) betabetabetabeta encore c’est là + mais mon ami c’est trop de dépenses

bindabindabindabinda (v.) : faire l’amour.

(8-5) tu bindabindabindabinda l’enfant calle là tu vas récupérer le bâton avec quoi ?

bindibindibindibindi (adj.) : petit.

(11-7) le paterpaterpaterpater a ses bindibindibindibindi moyens

(12-13) va influencer les petites bindibindibindibindi avec

bisnessbisnessbisnessbisness (n. m.) : affaires.

(66-25) la vie c’est + le bisnessbisnessbisnessbisness

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blèmeblèmeblèmeblème (n. m.) : problème.

(104-8) non il n’y a pas de blèmeblèmeblèmeblème gars

bloblobloblo (v.) : battre, être plus fort.

(30-17) je bloblobloblo en physique en chimie elle me bloblobloblo

bolèbolèbolèbolè (v.) : finir, terminer.

(71-1) mon frère j’espère que tu n’as pas bolèbolèbolèbolè hein↗

(71-2) il a bolèbolèbolèbolè pour lui là-bas avant de kemkemkemkem

bringbringbringbring (v.) : apporter, amener.

(32-8) on bringbringbringbring l’épreuve

chibachibachibachiba (v.) : aller, rentrer.

(87-6) wetwetwetwet on chibachibachibachiba ensemble non↗

dededede (n.) : jour.

(26-2) il y a les notables qui nononono qui nononono le dededede qu’ils vont mourir

djodjodjodjo (n.) : monsieur, gars.

(37-16) le djodjodjodjo-là sa barbe-là le fait dépenser

(73-23) il m’a dit que je gogogogo chez un certain djodjodjodjo-là

djumdjumdjumdjum(v.) : entrer.

(50-4) on est djumdjumdjumdjum on est go au sacheries

(84-20) ol ol ol ol mon bras pouvait djumdjumdjumdjum à l’intérieur

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dodododo (n.) : argent, sou.

(74-26) tu as les dodododo?

(75-11) il ne voulait pas komotkomotkomotkomot les dodododo de sa poche pour bay bay bay bay

dudududu (v.) : faire.

(11-10) quand il a affaire avec quelqu’un + il dudududu mal +

(11-17) il go dugo dugo dugo du quoi avec lui ?

fainfainfainfain (v.) : chercher.

(105-1) j’ai winwinwinwin le probatoire j’ai fainfainfainfain les bords le soir-là même ?

(105-5) je fainfainfainfain même les bords là c’est seulement pour orner mon armoire

falafalafalafala (verbe) : chercher.

(8-15) je veux falafalafalafala l’enfant pour l’éducation

(36-11) combien de personnes m’ont fafafafalalalala ?

frifrifrifri (n.) : gratuit.

(81-4) le fri fri fri fri ce gars a kombokombokombokombo le frifrifrifri

frifrifrifri (adj.) : gratuit.

(81-14) le frifrifrifri est frifrifrifri quand tu as frifrifrifri + si tu n’as pas frifrifrifri le frifrifrifri c’est que le frifrifrifri n’est pas frifrifrifri

frifrifrifri (v.) : libérer

(81-14) le frifrifrifri est frifrifrifri quand tu as frifrifrifri + si tu n’as pas frifrifrifri le frifrifrifri c’est que le frifrifrifri n’est pas frifrifrifri

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QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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fronterfronterfronterfronter (v.) : apprendre ses leçons.

(79-18) elle gogogogoait elle frontfrontfrontfrontait non↗

fromfromfromfrom (adv) : depuis.

(82-15) moi je nonononoais depuis fromfromfromfrom

gogogogo (n.) : femme.

(126-12) il cause avec ses gogogogo non↗

gogogogo (v.) : aller, s’en aller, partir.

(11-18) il est gogogogo le LANCER là-bas non↗

(27-19) il est gogogogo en France

haohaohaohao (adv.) : comment.

(99-9) ah haohaohaohao que tu mens ? tu mens

hedhedhedhed (n.) : tête.

(99-25) ça devient délicat c’est mon hedhedhedhed qui travaille

hiahiahiahia (v.) : entendre, écouter.

(13-4) tu hiahiahiahia non↗ j’ai déjà subi et je connais + hein

(13-8) tu hiahiahiahia non↗ on m’a touché

(13-14) j’ai fait trois jours là-bas tu hiahiahiahia non↗

hia bad hia bad hia bad hia bad (loc.v.) : souffrir, se sentir mal, être en difficulté.

(73-20) il me dit qu’il hia badhia badhia badhia bad

(77-18) quand tu mets encore trop aussi tu hia badhia badhia badhia bad seul + donc :[rires] non doucement parce que tu hia badhia badhia badhia bad

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holholholhol (v.) : tenir, arrêter, prendre.

(14-18) on a holholholhol le paterpaterpaterpater hein

(31-21) il a holholholhol l’avance

inininin (adj.) : à la mode.

(99-3) tu es tendance tu es inininin

iziiziiziizi (adv.) : doucement ? un peu.

(82-17) qu’il ronflait d’abord izi bindjiizi bindjiizi bindjiizi bindjiment

(82-18) quand je suis d’abord kemkemkemkem j’ai d’abord iziiziiziizi remarqué + mais après bon

jongjongjongjong (v.) : boire.

(72-2) quand tu prends la bouillie comme ça tu jongjongjongjong

(86-5) eh j’ai même jongjongjongjong la bouillie sans jongjongjongjong mon médicament

katikakatikakatikakatika (n.) : bookmaker

(55-11) c’est lui le katikakatikakatikakatika reconnu

kemkemkemkem (v.) : venir, arriver.

(10-28) on kemkemkemkem un soir chez vous comme ça

(14-16) on est kemkemkemkem chez le pater un sept heures

(14-20) on kemkemkemkem on le retire seulement de la maison

kolkolkolkol (v.) : appeler.

(36-22) ça ne passait pas ouais + il voulait kolkolkolkol ? il bipait seulement

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(80-19) à Yaoundé on kolkolkolkolait les nganganganga encore les gars kolkolkolkolaient les nganganganga là c’est comment là encore éé

(80-21) (je) dis qu’hein↗ les manmanmanman ont de ces wewewewe pour kolkolkolkol les nganganganga

kolokolokolokolo (n.) : mille francs.

(47-14) le gars pointe un petit kolokolokolokolo il part boire sa bière avec il est lui tranquille

(106-24) trouve même six kolokolokolokolo ça va gogogogo + tu vois non↗

kkkkomboomboomboombo (v.) : baiser.

(81-4) ce gars a kombokombokombokombo le fri fri fri fri

komotkomotkomotkomot (v.) : sortir.

(23-2) la route-ci ça komotkomotkomotkomot même où ?

(26-19) je komotkomotkomotkomot je vois une gandoura

(75-11) il ne voulait pas komotkomotkomotkomot les dodododo de sa poche

kukkukkukkuk (v.) : préparer (le repas), cuisiner.

(13-1) elle gogogogo manger non↗ elle est en train de kukkukkukkuk

(78-6) tu as (déjà) tchoptchoptchoptchop le : riz le riz qu’il tchoptchoptchoptchop qu’il : kukkukkukkuk là-bas ?

kwatkwatkwatkwat (n.) : quartier.

(22-8) il y avait un pater-là dans mon kwatkwatkwatkwat

(69-9) il y avait un manmanmanman---- là dans mon kwatkwatkwatkwat qui avait ça

laplaplaplap (v.) : rire.

(83-4) la nganganganga qui était là votre sistasistasistasista----là elle a éclaté de laplaplaplap

(107-26) j’ai laplaplaplap hein

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QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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(108-6) je laplaplaplap dans mon cœur

llllèèèèpppp (v.) : laisser.

(78-5) il ne tchoptchoptchoptchopait plus + le gars a llllèèèèpppp son wawawawa

letchletchletchletch (n. m.) : village.

(80-18) quand je go au letchletchletchletch + on kolkolkolkol les nganganganga

loslosloslos (v.) : rater, échouer.

(74-12) ah mais est-ce qu’on loslosloslos est-ce qu’on loslosloslos le : le bac tchadien ?

(74-13) on ne loslosloslos pas le bac tchadien

(79-3) on a loslosloslos l’exam

lukluklukluk (v.) : regarder.

(74-28) le gars lukluklukluk seulement mon plat

(75-6) il me lukluklukluk + tu vois non

manmanmanman (n.) : gars,monsieur.

(9-14) il y a une courte fille-là qui vient voir un manmanmanman-là

(13-3) je suis quelqu’un que hein manmanmanman ?

(21-6) quand le manmanmanman est arrivé avec le X il a dit que on a volé

matermatermatermater (n.) : mère

(76-20) à cause de de la matermatermatermater-là je n’aime pas gogogogo là-bas

mbakmbakmbakmbak mbakmbakmbakmbak (n.) : désordonné, agressif, violent.

(85-27) non le type-là : + c’est un mbak mbakmbak mbakmbak mbakmbak mbak monsieur

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

309

(89-3) Owen n’est pas un attaquant c’est un mbak mbakmbak mbakmbak mbakmbak mbak

mberemberemberembere (n.) : policier.

(22-2) c’est le deuxième jour que le mberemberemberembere a laissé

minièminièminièminiè (n.) : flic, policier.

(54-28) on a ra- on a on a raflé quatre gars + on les /ai, est/ menotté hein↗ sur le champ (les) minièminièminièminiè

(55-1) oui les minièminièminièminiè

momomomo (adj.) : bon

(37-22) c’était trop momomomo

(66-14) le panaxia est momomomo :::: hein↗ + c’est quand même momomomo

(67-13) mais Sony n’est pas momomomo

mufmufmufmuf (v.) : sortir, retirer, enlever

(14-22) on mufmufmufmuf le pater ou l’enfant ?

(69-15) je dis hein↗ tu mufmufmufmuf comme ça là

(112-6) la nourriture n’est pas dans ma poche mufmufmufmuf on déjeune

nangnangnangnang (v.) : dormir

(81-21) les gars il faut que je gogogogo nangnangnangnang

(83-12) toi-même tu as nangnangnangnang + tu as nangnangnangnang à un moment + tu as bien nangnangnangnang

ndemndemndemndem (v.) : tromper.

(53-2) il ne s’était rien passé ce qui est sûr tu ne voulais plus me payer + tu ne vou- tu m’avais déjà ndemndemndemndem

(53-4) je ne t’avais pas ndemndemndemndem

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

310

ndonndonndonndon ( adj.) : habile, futé

(111-8) c’est-à dire que toi tu étais toi tu étais alors ndonndonndonndon hein

nganganganga (n.) : fille.

(80-27) tu sais que les nganganganga ont trop de surnoms

(107-27) la nganganganga-là a les dodododo hein mon ami

ngatangatangatangata (n.) : prison.

(19-17) on ne t’envoie pas au ngatangatangatangata on ne retire pas

niamaniamaniamaniama (v.) : manger.

(78-14) il faut niamaniamaniamaniama le riz sénégalais là-bas

(78-16) tu n’as pas encore niamaniamaniamaniama au Dakélé ?

niangniangniangniang (v.) : cogner, battre ?

(30-16) si elle go dugo dugo dugo du les équations ça la niangniangniangniang tant pis

(30-19) en histoire géo ça m’a niangniangniangniang je n’avais pas la méthodologie

nièniènièniè (v.) : voir.

(74-3) il porte souvent les verres-là + peut-être que tu l’as déjà nièniènièniè

nononono (v.) : savoir, connaître.

(26-2) il y a les notables qui nononono qui nononono le dededede qu’ils vont mourir

(34-27) je ne nononono pas ce qui m’est arrivé

(82-11) moi je ne nonononoais pas qu’il était là

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

311

olololol (adj.): tout (e), tous.

(76-1) olololol les vacances non↗ même l’année passée

(84-20) olololol mon bras pouvait ddddjumjumjumjum à l’intérieur

(102-18) ol taimol taimol taimol taim que je momomomoais là mon frère [rires]

openopenopenopen (adj.) : ouvert.

(84-1) les gars nangnangnangnang avec la bouche openopenopenopen ?

openopenopenopen (v.) : ouvrir.

(84-2) les gars nangnangnangnang jusqu’à eux openopenopenopen la bouche

pachopachopachopacho (n.) : père.

(25-4) quelqu’un un pachopachopachopacho t’appelle même il sort de là il veut te saluer

(26-8) c’est pour ça que je n’avais pas su que mon pachopachopachopacho est mort

patpatpatpat (n.) : père.

(45-21) le patpatpatpat faisait que quoi ? même s’il va où avec la voiture XXX

paterpaterpaterpater (n.) : père.

(11-7) j’ai un ppppaterateraterater j’ai un paterpaterpaterpater dans mon tongtongtongtong-là hein↗ + le paterpaterpaterpater a ses bindjibindjibindjibindji moyens

(14-22) on mufmufmufmuf le paterpaterpaterpater ou l’enfant ?

ppppèèèètttt (n.) : problème.

(16-1) le ppppèèèètttt qui est là est que hein

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

312

popopopopopopopo (adv ) : vrai.

(78-26) il dit il dit popopopopopopopo ?

putputputput (v.) : mettre.

(71-21) elle ne putputputput plus la citronnelle là-dedans

rererere (adj.) : faux, factice, malhonnête.

(25-18) ça c’est encore un rererere truc ou quoi ?

(67-4) un rererere manmanmanman m’a shushushushu un truc Ericsson + avec appareil photo

remeremeremereme (n.) : mère.

(119-24) chaque fois que la rrrremeemeemeeme partait à Dakar porter les choses

shushushushu (v.) : expliquer, montrer.

(31-1) maintenant qu’il a shushushushu la méthodologie + je vais me borner sur la méthodologie

(67-4) un rererere manmanmanman m’a shushushushu un truc Ericsson + avec appareil photo//

sistasistasistasista (n.) : sœur.

(83-4) la nganganganga qui était là votre sistasistasistasista----là

skulskulskulskul (n.) : école.

(74-4) il était en tenue avec le sac du skul skul skul skul

slipslipslipslip (v.) : dormir.

(86-1) avec lui vraiment : + il faut seulement wetwetwetwet quand il gogogogo slipslipslipslip là + quand il gogogogo slipslipslipslip tu kemkemkemkem toi

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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smolsmolsmolsmol (adj.) : petit.

(93-15) dans une équipe où il y a les balanceurs + tu vois non↗il faut même trois attaquants de pointe + X même un attaquant c’est c’est c’est smolsmolsmolsmol

spokspokspokspok (v.) : parler.

(79-22) je wandawandawandawanda que je suis en train de spokspokspokspok ils arrivent là

(92-3) il spokspokspokspok un peu en parabole

stestesteste (v.) : rester, durer.

(72-6) le maïs stestesteste longtemps : + quand le maïs stestesteste longtemps ça commence à se gâter

(85-13) s’il veut stestesteste là il nous dit hein

(87-12) kemkemkemkem un peu on ste bindjiste bindjiste bindjiste bindjiment

takertakertakertaker (n.) : taxi.

(71-5) demain là je vais proposer + quand je vais tchatchatchatcha le takertakertakertaker

taimtaimtaimtaim (n.) : temps.

(102-18) ol taimol taimol taimol taim que je momomomoais là mon frère

taritaritaritari (v.) : dire.

(128-8) il était même encore dans le match que + ou avant de taritaritaritari que pardon partez même

tchatchatchatcha (v.) : prendre.

(13-19) gars tu as tchatchatchatcha nos feuilles ?

(71-5) demain là je vais proposer + quand je vais tchatchatchatcha le takertakertakertaker

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

314

(71-14) je tchatchatchatcha même encore un beignet

tchaftchaftchaftchaf (v.) : manger.

(107-14) il tchaftchaftchaftchaf un peu un peu + un peu un peu + nous on est là on tchaf tchaf tchaf tchaf

tchatchtchatchtchatchtchatch / tchattchattchattchat (v.) : dire.

(8-17) pour lui tchatchtchatchtchatchtchatch lui dire que + non + de de temps en temps hein↗ + viens à la maison tu vois non↗

(9-15) elle tchattchattchattchat au manmanmanman-là que + c’est toi qui a fait ça ?

tchoptchoptchoptchop (v.) : manger.

(73-20) il était à la piaule en train de tchoptchoptchoptchop

(78-4) le gars ne tchoptchoptchoptchopait plus + il ne tchoptchoptchoptchopait plus

(78-7) ah oui j’ai déjà tchoptchoptchoptchop j’ai déjà tchoptchoptchoptchop + le riz avec le sucre

tchuktchuktchuktchuk(er ?) (v.) : tirer, donner un coup de pied.

(93-22) il tchatchatchatcha son ballon il tchuktchuktchuktchuk tumtumtumtum

teltelteltel (v.) : dire.

(20-4) on est venu teltelteltel qu’il a volé

(64-1) avant qu’elle a teltelteltel qu’elle attend + j’ai teltelteltel que ouais il faut attendre

tetetetetetetete (n.) : gars.

(68-16) je/ te dis que mais il sort /où, d’où/ le tetetetetetetete ?

(68-20) tetetetetetetete moi je suis en train de carburer tu vois

toktoktoktok (v.) : dire, parler.

(81-15) tu hiahiahiahia ce qu’il veut toktoktoktok non↗

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

315

tongtongtongtong (n.) : quartier.

(10-9) j’ai connu un pater-là dans mon tongtongtongtong

(14-19) un pater-là dans mon tongtongtongtong

tumtumtumtum (v.) : vendre.

(5-6) tu vois une petite fille-là qui se tumtumtumtum

tumtumtumtum (onomatopée).

(93-22) il tchatchatchatcha son ballon il tchuktchuktchuktchuk tumtumtumtum

(93-23) un monsieur tchatchatchatcha ça encore au milieu il balance tumtumtumtum

tumorotumorotumorotumoro (adv.) : demain.

(76-10) voilà tumorotumorotumorotumoro il y aura la réunion familiale

(78-13) gars tumorotumorotumorotumoro moi je vais gogogogo

verserverserverserverser (v.) : se jouer de quelqu’un ?

(79-17) elle vous versaitversaitversaitversait + elle bakbakbakbakait

verserverserverserverser (v.) : avoir une mauvaise performance

(31-25) moi + moi avec les maths-là que j’ai verséverséverséversé ?

vexvexvexvex (v.) : se fâcher

(85-16) nous on est vexvexvexvex + nous on vexvexvexvex alors parce qu’il va ronfler il t’empêche de suivre le film

(97-4) les attaquants qui voient plutôt les étoiles et lui vexvexvexvex même

vumvumvumvum (n.) : vantardise, racontar.

(16-6) ce n’est pas le vumvumvumvum que l’on raconte là

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

316

wawawawa (n.) : chose, truc, machin.

(12-23) les wawawawa comme ça là ne peuvent pas m’influencer

(12-24) on ne peut pas m’influencer avec ces wawawawa-là

(68-8) c’est que le wawawawa qui est dessus c’est que tu peux appeler avec le Thuraya

wakawakawakawaka (v.) : marcher.

(71-7) si tu veux pas tu me laisses ça va il y a pas de blague + je wakawakawakawaka

(71-8) tu wakawakawakawaka tu avances

wanwanwanwan (num.) : un.

(67-1) le wawawawa-ci tu vois comment il y a wanwanwanwan truc là non↗

wandawandawandawanda (v.) : s’étonner, être étonné.

(15-25) ha : je wandawandawandawanda même hein

(79-21) je wandawandawandawanda que je suis en train de spokspokspokspok ils arrivent là ils allument

(102-22) je wandawandawandawanda qu’il ne jubile même pas

wewewewe (n.) : manière, truc, chose.

(22-9) c’était un man-là il faisait les wewewewe comme ça

(80-21) (je) dis qu’hein↗ les manmanmanman ont de ces wewewewe pour kolkolkolkol les nganganganga

(92-11) le wewewewe c’est que hein↗Anelka a : a eu la grosse tête

(107-18) je baybaybaybayais mes wewewewe là à la boulangerie dans le sac hein

wetwetwetwet (v.) : attendre.

(22-19) il wetwetwetwet quand quand le portier est distrait avant de venir se placer

(86-1) il faut seulement wetwetwetwet quand il gogogogo slipslipslipslip là

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

317

winwinwinwin : réussir, passer, gagner.

(74-17) quand tu gogogogo là-bas c’est pour winwinwinwin non↗

(79-12) gars toi-même fais le bilan de tous ceux qui ont gogogogo là combien ont winwinwinwin ?

wokwokwokwok (v.) : travailler.

(74-23) c’est moi qui doit payer la bouillie des gens qui go wokwokwokwok hein

(75-26) il wokwokwokwok dans le chantier de son de son de son oncle ?

yongyongyongyong (adj.) : éligible ?

(95-6) Roberto Baggio n’est même pas yongyongyongyong euh

Les points d’interrogation qui suivent certaines équivalences lexicales expriment la difficulté de les traduire. Bien que percevant très bien ce qui se dit, la transposition mériterait toute une narration. Il s’agit parfois de termes très génériques qui n’acquièrent de contenu sémantique qu’en contexte discursif (comme « yongyongyongyong » ou « verserverserverserverser »). La spécification sémantique est indexée à la situation de prise de parole. On comprend mieux à partir de ces exemples que les énoncés fabriqués sont inaptes à rendre compte de la réalité des structures du camfranglais parce que le descripteur projette forcément ses propres représentations sur la structure des énoncés. Les unités « émiques » sont déroutantes malgré quelques systématicités, en cela elles reflètent la complexité du langage humain, consubstantiellement hétérogène (J. Authier-Revuz 1995).

2.3.2 LA GESTION DU STOCK LEXICAL

C. de Féral (2007 : 268-270) propose une explication de l’alternance du lexique en camfranglais par l’hétérogénéité énonciative. Elle opte pour une hypothèse sur l’effacement énonciatif. Les locuteurs emploieraient les termes neutres comme une stratégie de distanciation, lorsqu’ils ne revendiquent pas le contenu informatif de leur énoncé, et les termes marqués dans le cas contraire. C’est ainsi que « argent » est préféré à « dodododo » dans des citations et proverbes (« l’argent appelle l’argent », « l’argent même c’est le nerf de la guerre »), mais aussi dans des énoncés interro-négatifs à valeur assertive (« est-ce que

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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Papa Wemba n’a pas d’argent ? », « qui n’aime pas l’argent ? ». Dans le dernier cas, le contenu des énoncés est présenté comme une assertion ne pouvant être niée (p. 270), partageant donc la valeur de « vérité » avec les formes proverbiales.

Quelques réserves peuvent être émises sur cette interprétation de l’alternance aléatoire par l’effacement énonciatif. Car, comme nous l’avons évoqué dans le chapitre sur le discours rapporté, les proverbes sont le témoignage de la circulation des discours. On y recourt comme argument d’autorité, en s’abritant derrière la voix du collectif qu’il incarne (A. Grésillon & D. Maingueneau 1984). Lorsque le locuteur dit « l’argent appelle l’argent », il y a effectivement effacement énonciatif mais aussi échoéchoéchoécho----énonciationénonciationénonciationénonciation. La formule proverbiale employée par le locuteur est un usage en mention mention mention mention (A. Berrendonner 1981). Cette modalisation autonymique (J. Authier-Revuz 1992,1993) souligne un point important : les locuteurs du camfranglais utilisent les ressources qui sont aussi disponibles aux autres locuteurs francophones441. Pendant qu’on parle camfranglais on n’a pas cessé de parler français. La convocation d’une forme proverbiale n’aurait donc pas d’incidence directe sur le mode de l’alternance des items en camfranglais. Pour aller plus loin avec l’hypothèse de l’effacement énonciatif, il faudrait pouvoir comparer des proverbes cités tels quels avec des proverbes contenant des substitutions lexicales. À ce moment, il serait possible d’envisager que le détournement des proverbes soit pragmatiquement pertinent.

À la lumière des corpus disponibles, c’est l’aléatoire qui prévaut. On peut le remarquer dans le texte utilisé par C. de Féral (2007 : 268) en s’intéressant aux répliques n°13 et n°17 qui émanent du même locuteur :

(13) L3 : non tu sais quand on dit qu’il veut l’argent c’est parce que dès qu’il apprend qu’un ingénieur est performant quelque part il le prend ça veut dire qu’il veut toujours que son argentargentargentargent augmente

(17) L3 : tu vois non + ça veut dire qu’il veut toujours que ses dodododo augmentent

Comme on peut le constater, le locuteur utilise exactement la même construction dans les deux énoncés. Dans la première formulation il emploie « argent », dans la deuxième formulation il emploie « do ». Et « tu vois non »442 en début de son tour de parole indique que le locuteur semble considérer ces deux énoncés comme synonymes.

Nous prendrons un deuxième exemple, cette fois-ci dans notre corpus A :

(72 – 14 à 21) D3 c’est elle-même qui dudududu ça

441 Les locuteurs du corpus Féral sont des étudiants. 442 Glose : « comme je le disais… ».

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

319

D2 mais attend on vend ça non↗

D3 quoi ?

D1 c’est chacun qui dudududu non↗

D3 on peut tremper le maïs

D1 tu baybaybaybay ton maïs tu fais ton wewewewe avec non↗ même le couscous tu fais avec le couscous c’est momomomo : + le couscous tu dudududu là tu tamises le : le truc qu’on: et puis

D’un locuteur à un autre il y a alternance entre « dudududu » et « fais » sans raison apparente. Chez le locuteur D1 (dernière réplique) les deux formes sont présentes dans le même tour de parole, la forme « dudududu » remplaçant « fais » sans raison apparente non plus. L’alternance semble reposer essentiellement sur le « feeling » du locuteur443. Il serait hasardeux de chercher une motivation derrière l’emploi de chaque camfranglisme. À notre avis, la motivation de ces emplois est d’ordre socio-identitaire, et s’applique de manière globale au discours. Qu’il y ait plus ou moins de termes, que ces termes soient plus ou moins cryptés, cela relève des rapports altéritaires noués lors des interactions (V. Feussi 2006, 2008). La distribution de ces termes dans l’énoncé est strictement l’aléatoire444 comme l’écrit C. de Féral (2006, 2007) par ailleurs.

La non systématicité du recours au stock lexical plurilingue pose le problème de l’identité du camfranglais sur un autre terrain que celui de la reconnaissance immédiate des formes. L’invite est plutôt du côté des processus socio-langagiers qui contribuent à l’élaboration des signes linguistiquessignes linguistiquessignes linguistiquessignes linguistiques.

2.4 L’ESTOMPEMENT DE LA VALEUR IDENTITAIRE DES « CAMFRANGLISMES »

Le camfranglais est peut-être un phénomène purement lexical. Mais si l’on s’en tient à cette caractérisation linguistique on ne saurait rendre compte de la construction sociale de cette variété. On ne peut aller plus loin que la recherche étymologique des termes « empruntés » dans un discours en français. Le revers de cette approche est qu’en

443 E. Ngo Ngok-Graux (2008) parle de « free style ». 444 L’inventaire précédent montre tout de même que les classes qui sont sollicitées sont majoritairement les verbes et les noms. Ce qui n’exclut pas les adjectifs et les adverbes (C. de Féral 2008). Les mots outils (prépositions, conjonctions) ne sont pas concernés (Fosso 1999).

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QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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focalisant sur la discontinuité formelle, elle occulte la continuité fonctionnelle que le camfranglais partage avec le français ordinaire du Cameroun.

Sur la base des analyses syntaxiques faites dans la deuxième partie de cette thèse en effet, on peut voir que le camfranglais partage les schèmes discursifs mis à jour pour le français ordinaire du Cameroun. Notre raisonnement peut paraître circulaire du moment où les analyses étaient justement fondées sur des énoncés en camfranglais. Mais la présence d’exemples corroborants chez d’autres locuteurs (utilisant d’autres variétés) permet de dire que les schèmes syntaxiques et discursifs du camfranglais sont très proches de celles dont usent les autres variétés endogènes de français. C’est aussi l’occasion de revenir à notre glossaire pour en tirer deux exemples dont les structures n’étaient pas directement concernées par les analyses syntaxiques des précédents chapitres.

55) (45-8) betabetabetabeta encore c’est là + mais mon ami c’est trop de dépenses

56) (82-15) moi je nonononoais depuis fromfromfromfrom

En procédant au remplacement des « camfranglismes » par leurs équivalents proposés dans le glossaire on obtient

---- mieuxmieuxmieuxmieux encore c’est là + mais mon ami c’est trop de dépenses

- moi je savaissavaissavaissavais depuis depuisdepuisdepuisdepuis

Dans « mieux encore c’est là », « mieux » n’a pas la valeur de surenchère comme on pourrait l’interpréter dans le français standard ou le français hexagonal. « Mieux » ici signifie « il vaut mieux que ». Quant au deuxième exemple, « depuis depuis », la réduplication de l’adverbe exprime l’intensité et donc l’éloignement dans le temps445. Ce qui importe dans ces exemples c’est de constater que la substitution lexicale opérée par les camfranglophones s’appuie sur les schémas sémantico-discursifs du FRACAM. C’est cette continuité fonctionnelle entre le français vernaculaire et le camfranglais qui justifierait l’expansion de ce dernier en dehors de la sphère socialement marginalisée d’où elle est née. Le corollaire de la modification du statut social de la variété (sa véhicularisation) est l’estompement de la motivation originelle des « emprunts », ces derniers tendant à devenir disponibles pour les membres de la communauté. Autrement dit, les formes précédemment expressives et identitaires deviennent progressivement arbitraires.

445 Il est plus courant d’obtenir : « moi je savais depuis ::: ».

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

321

2.4.1 DU POINT DE VUE INTERACTIONNEL

La question de la motivation des items « camfranglais » se pose face à des interactions comme celle qui est représentée par la séquence « Une défaite amère » de notre corpus. Cette conversation entre étudiants dure vingt-cinq (25) minutes et contient seulement cinq (5) termes qu’une approche lexicale différentielle qualifierait d’« emprunt ». L’intervalle de temps entre les deux premiers termes446 est relativement plus long qu’entre les trois autres447 qui, eux, sont plus groupés, même si les tours de parole dans lesquels ils apparaissent ne sont pas adjacents. À chaque fois, un seul terme est employé dans le tour de parole448. Il est légitime de se demander quelle est la variété qui est employée dans cette interaction.

Il faut compter plus d’une soixantaine (65) de tours de parole pour qu’apparaissent le premier terme « camfranglais » et plus d’une centaine de tours de paroles (120) après le premier terme pour voir apparaître le deuxième. Aborder la question de la variété sous un angle interactionnel revient à se demander si les locuteurs considèrent que leur conversation est en camfranglais ou en français449. N’ayant pas explicitement posé cette question aux intervenants, nous ne pouvons prétendre donner une réponse définitive. De plus, les études empiriques comme la nôtre ne se situent pas dans les modalités du « vrai » : « nous ne sommes pas dans un jeu simpliste où il y a une vérité à atteindre / construire / (re)trouver » (R. Nicolaï 2007a : 3). Nous ne pouvons que prolonger cette première interrogation par une série d’autres :

- Pour un observateur externe, les discours avant la première occurrence d’un item « camfranglais » n’est-il pas du français ? Les discours entre les occurrences d’items « camfranglais » ne sont-ils pas aussi du français ?

- Que se passe-t-il entre le soixante cinquième tour de parole et le cent vingtième ? A-t-on momentanément quitté le camfranglais pour le français ?

- Qu’est-ce qui explique le fait que trois autres termes apparaissent de manière rapprochée ?

- Si on pense que la présence de quelques items « empruntés » transforme un discours français en camfranglais, cela voudrait dire que la séquence entière est en

446 « gogogogo » (126 – 12) et « taritaritaritari » (128 – 8). 447 « wuwuwuwu » (134 – 6), « manmanmanman » (134 – 17), « laplaplaplap » (134 - 20). 448 Contrairement aux énoncés de la séquence « A bâtons rompus » où plusieurs items sont employés dans le même énoncé : « il était à la piaule en train de tchoptchoptchoptchop + il me dit qu’il hia badhia badhia badhia bad » (73 – 20). 449 Ce sont des pratiques vernaculaires qui sont enregistrées.

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camfranglais. Quelle serait la fonction de cette variété dans cette interaction précise ? Fonction cryptique, identitaire, ludique ou poétique ? Cette instance de camfranglais remplit-elle aucune de ces fonctions ? 450

Autant de questions qui pointent la difficulté sinon l’impossibilité de tracer des frontières linguistiques sur des pratiques empiriques, même d’apparence mixte. Une approche purement linguistique tenterait de dégager les différentes variétés (ou langues) employées dans cet échange. À l’inverse, une approche interactionnelle et interprétative permet de ne pas se référer à une « langue », modèle conçu par le linguiste. Il convient de s’interroger sur les procédures mises en œuvre par les locuteurs pour gérer et configurer contextuellement les ressources linguistiques à leur disposition. Les frontières de langues sont donc contextuellement négociées :

La frontière entre les langues, ainsi que son éventuel caractère tranché, est produite par les interlocuteurs dans l’acte même de l’exploiter comme ressource sémiotique. Dans un autre contexte, à d’autres fins pratiques, c’est plutôt une procédure d’indifférenciation qui sera privilégiée.451

La séquence interactionnelle « Une défaite amère » est représentative de la fluidité et de la plasticité des formes dans le français parlé au Cameroun. On peut aussi y voir les effets de l’activité de sémiotisation qui,

en tant qu’opération de création des signes est étroitement liée au concret des formes (au sens le plus ordinaire) susceptibles d’être actualisées, montrées, exhibées, et à la référence implicite à leurs emplois antérieurs, et ce lien au concret assure le caractère empirique de ce qui se construit. 452

2.4.2 LA CONSTRUCTION SOCIALE DU SIGNE LINGUISTIQUE

« Pour nous, […] le problème linguistique est avant tout sémiologiquele problème linguistique est avant tout sémiologiquele problème linguistique est avant tout sémiologiquele problème linguistique est avant tout sémiologique453, et tous nos développements empruntent leur signification à ce fait important » disait F. de Saussure ([1916] 1995 : 34-35). Il formalisera la place centrale de la sémiologie en énonçant le principe fondamental de l’arbitrairearbitrairearbitrairearbitraire du signe linguistique. Sur un plan rigoureusement synchronique, le signe semble immuable. Mais du fait de l’arbitraire justement, on peut

450 Les formes répertoriées dans les énonciations mixtes sont multifonctionnelles, ce qui génère souvent des listes non finies de fonctions lorsqu’on adopte une approche corrélationnelle (L. Mondada 1999, 2007a). « L’investigation sur les faits de langage assigne des limites sérieuses à la possibilité de prédire des couplages formes-fonctions : les formes prennent sens au sein d’une organisation interactive spécifique, et en fonction de leur positionnement séquentiel au sein de cette organisation » renchérit S. Pekarek Doehler (2005: 7). 451 L. Mondada (1999 : 87-88). 452 R. Nicolaï (2007b : 211). 453 Nous surlignons.

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observer dans la pratique concrète de la langue des déplacements incessants des rapports entre le signifiant et le signifié, ce qui explique le changement linguistique sur le plan diachronique (F. de Saussure ([1916] 1995 :109). Une synthèse des implications sociolinguistiques de l’arbitraire du signe est proposée par J.-P. Bronckart (2007), à la lumière de l’ensemble des manuscrits de F. de Saussure disponibles :

En synthétisant l’approche saussurienne, on peut affirmer que le langagier constitue d’abord une praxis d’échange, réalisée par des textes en lesquels sont créés et mobilisés des signes, comme cristallisations psychiques d’associations arbitraires entre images sonores et image référentielles; dans le cadre de la transmission des textes, ces signes accumulent des valeurs socio-historiques et constituent ce faisant l’un des véhicules des représentations collectives ; sous l’effet de leur intériorisation et de leur reclassement par les individus, ils sont constitutifs d’un système de langue. 454

Les inférences que nous pouvons tirer de cette synthèse pour le FRACAM tiennent à l’intériorisation des signes et à leur reclassement455 par les locuteurs. La vernacularisation du français au Cameroun a vu l’émergence de normes endogènes véhiculées par de nouvelles formes lexico-sémantiques et syntagmatiques. On assiste donc à la dérive de nombreux rapports signifiants-signifiés. C’est ce que traduisent les « glissements sémantiques » qui abondent dans la littérature scientifique. Les glissements et les dérivations par analogie produisent de nouveaux signes, qui entretiennent avec le mot originel un rapport purement formel456 (ressemblance phonique). L’image référentielle qui leur est associée est exclusivement rattachée au contexte de leur émergence (différenciation sémantique) :

Le signe n’est donc qu’une cristallisation psychique d’associations images sonores / images référentielles réalisées dans le cours des échanges sociaux, c’est-à-dire dans le cours de l’activité langagière : il est donc, en essence, fondamentalement social, discursif et psychique.457

Le cycle de sémiotisation semble se reproduire avec le camfranglais. En effet, avec la véhicularisation du camfranglais, on assiste à une expansion de ses fonctions dans la société. Ces nouvelles fonctions se détachent des identités endogroupales (auxquelles correspondent les formes cryptiques) et acquièrent des identités plus ouvertes sur l’ensemble de la communauté (A. Queffélec 2007458). L’une de ces identités est la citadinité.

454 J.-P. Bronckart (2007 : 63). 455 « classement en séries (sur la base de ressemblances-différences phoniques, sémantiques ou syntagmatiques) relevant de la sphère associative. » (J.-P. Bronckart 2007 : 63). 456 Exemples : frère, circuit etc. 457 J.-P. Bronckart (2007 : 63). 458 « Devenant progressivement transgénérationnel et transsociétal, ils [les parlers mixtes] correspondent à un véritable besoin dans certaines grandes villes et participent activement de la définition d’une nouvelle identité urbaine voire nationale, en ce qu’ils transcendent les divisions ethniques et symbolisent le mélange de la tradition

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À cet égard, le camfranglais se pratique par effet de modeeffet de modeeffet de modeeffet de mode dans le croisement des multiples réseaux sociaux : « les réseaux d’amis, de collègues, de camarades sont relayés par des réseaux de famille, de voisins, des réseaux chauffeur-client, parent-enfant, entre autres. » (E. Ngo Ngok-Graux 2008). Cette dévernacularisation du camfranglais va de pair avec une emblématisation nationale ; c’est la variété de langue dans laquelle on se reconnaît – car elle traduit matériellement le plurilinguisme constitutif de la société camerounaise : « on parle le camfranglais parce qu’on a l’impression de parler un peu de français, d’anglais, de pidgin, en tout cas c’est notre chosec’est notre chosec’est notre chosec’est notre chose459 »460 répond un étudiant à la question « pourquoi parlez-vous le camfranglais ? » (E. Ngo Ngok-Graux 2008). Réponse à laquelle fait écho cette interrogation (à valeur déclarative) d’une internaute camerounaise : « pourquoi on doit speak comme les white ? »461

Ces déclarations de camfranglophones nous permettent de revenir à la séquence « une défaite amère » qui illustre un parler endogène avec le réemploi quasi-mécanique des « camfranglismes ». Comme nous le soulignions, les habitus langagiers462 transforment progressivement les formes identitaires en formes non marquées, disponibles tels quels pour les membres de la communauté. Les items comme « gogogogo », « manmanmanman », « matermatermatermater » sont probablement sous l’effet de ce que H. Frei (1929) décrivait comme « la loi de l’usure » : « plus le signe est employé fréquemment, plus les impressions qui se rattachent à sa forme et à sa signification s'émoussent »463.

Si le camfranglais n’est pas la création d’un nouveau « code » (C. de Féral 2007), on peut y voir une remise en question de la suprématie d’une relation arbitraire forme-sens encodée dans le français standard. On peut dire « gogogogo » ou « fille », « dodododo » ou « argent », « remeremeremereme » « matermatermatermater » ou « mère ». Les paires (ou triplets) peuvent par moments fonctionner

et de modernité en conciliant génétiquement langues importées et langues africaines. »( A. Queffélec 2007b : 289). 459 Nous soulignons. 460 Omniprésence du bilinguisme officiel auquel se greffe les langues nationales : le plurilinguisme est un trait culturel de la société camerounaise. 461 Rapporté par C. de Féral (2008). La citation respecte la graphie source. Glose : « pourquoi on doit parler comme les Blancs ? » 462 « L'habitus c'est ce qui nous permet d'agir dans l'illusion de l'improvisationillusion de l'improvisationillusion de l'improvisationillusion de l'improvisation, c'est-à-dire dans l'inconscience de nos schèmes, sans avoir constamment à nous référer à des normes ou à des schémas de conduite. c'est aussi ce qui nous permet de faire face à la diversité des situations non pas grâce à un inépuisable répertoire de réponses "programmées'', mais grâce à un nombre beaucoup plus limité de schèmes susceptibles d'être coordonnés, différenciés, ajustés à des situations inédites. » Ph. Perrenoud (1988 : 105). 463 H. Frei ([1929] 1982 : 233).

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sur le mode de la synonymie comme nous l’avons démontré supra. Bon nombre de « camfranglismes » prétendent ainsi entrer dans l’usage ordinaire du français au Cameroun. Et souvent,

le choix de l’une ou l’autre forme est lui-même signifiant et informe non sur le référent mais sur le locuteur. En ce sens, il est identitaire, linguistiquement anodin, mais sociolinguistiquement signifiant.464

Il va sans dire que sur le plan social les pratiques dynamiques s’étalent sur un continuum mouvant dont les bornes sont indécises. Pour les locuteurs, les répertoires plurilingues leur apportent non seulement une souplesse stylistique comme il est de rigueur dans des ensembles sociolinguistiques moins hétérogènes (pas monolingues) mais aussi la liberté de surfer sur plusieurs langues dans le même discours (en fonction des rapports altéritaires dans les interactions). L’éclectisme du choix linguistique est aussi une caractéristique de la vernacularité (G. Manessy 1993 : 410). Et du point de vue du fonctionnement linguistique, « cela signifie […] que l’imprédictibilité, tout autant que la prédictibilité, est compatible avec la fonctionnalité » (D. de Robillard 2003 : 209).

Toujours en nous appuyant sur la radicalité de l’arbitraire du signe linguistique, nous voulons à présent réévaluer la typographie qui a servi à la transcription des observables, notamment les discours camfranglais.

La graphie phonologisante rend de bons services au niveau méthodologique. L’harmonisation de la graphie permet la reconnaissance univoque des termes. Sur le plan épistémologique, elle participe à une objectivation nécessaire du camfranglais car ses items transitent parfois par plusieurs variétés (ou langues) et on ne peut pas toujours savoir de laquelle l’emprunt a été directement fait. De plus, la cristallisation des signes dans l’ensemble du continuum linguistique camerounais fait que les locuteurs eux-mêmes ne savent pas toujours d’où viennent certains termes. À ce sujet, nous aimerions faire part d’une expérience vécue au sein de l’équipe virtuelle sur les français identitaires des jeunes en Afrique465. Face à un terme aussi récurrent que « bindibindibindibindi » les membres camerounais étaient incapables, même après réflexion, de déterminer l’origine exacte de ce terme. Leur intuition commune les conduisait vers les langues de la côte, celles des groupes sawa466. Ces collaborateurs camerounais étaient cependant d’accord (sans hésitation) sur la signification du terme (« petit »).

464 C. Frey (2008 : 35). 465 Réseau sociolinguistique et dynamique des langues de l’AUF. 466 Aucun des trois membres en question ne parle les langues de ce groupe communautaire.

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S’il est scientifiquement nécessaire de faire des recherches étymologiques sur les termes « empruntés » faut-il les transcrire avec l’orthographe des langues donneuses ? Si oui, ne reproduirait-on pas les écueils que la graphie phonologisante a permis d’éviter pour le pidgin et l’anglais ? L’item employé en camfranglais a-t-il encore le même contenu sémantico-référentiel que celui qu’il avait dans la langue source ? Le fonctionnement syntagmatique de l’item est-il équivalent dans les deux systèmes ?

Il est sans doute préférable de garder la graphie phonologisante pour tous les items non français. Cela garantit une égalité de traitement pour tous les « emprunts ». C’est ce que nous avons fait avec une certaine rentabilité.

Dans le camfranglais, il y a convocation de plusieurs langues, mais en même temps, il y a un brouillage de piste par les multiples jeux sur la forme (verlanisation, métathèses, apocope, etc.467). Il se démarque socialement de toutes les langues existantes. Dès lors, la question fondamentale n’est pas de savoir si le camfranglais est un code, mais plutôt de savoir s’il existe et s’il fonctionne socialement comme un code. Son existence n’est peut-être alors qu’une question de représentations (V. Feussi 2006,2008 ; C. de Féral 2007), mais comme pour la plupart des parlers émergents,

sa reconnaissance en fait une forme conceptuellement figée468 et lui garantit une homogénéité symbolique, même si son actualisation se caractérise par une variation intrinsèque dans sa pratique, même si sa matérialité est analysable comme le lieu d’une hétérogénéité structurale.469

La cristallisation des signes linguistiques qui accompagnent la véhicularisation du camfranglais est un exemple concret de changement linguistique qui survient par l’initiative directe des locuteurs. Le désir d’expressivité engendre des innovations parmi lesquelles certaines seront marginales (et resteront dans le cadre de pratiques idiolectales), d’autres, au contraire, se répandront dans l’usage commun. En amont des innovations qui ont lieu en camfranglais ou dans les autres pratiques de français au Cameroun, le plurilinguisme social qui met en contact un certain nombre de langues auxquelles les membres de la communauté vont se familiariser à divers degrés, chacun selon son parcours personnel. Les innovations sont ainsi conditionnées par le contexte c'est-à-dire les langues qui sont en contact et la gestion socio-politique qui en est faite. Le prestige des langues officielles est perceptible dans le camfranglais, de même que l’attachement aux langues traditionnelles du terroir. Quant à l’avenir de la variété, il est imprédictible et une approche empirique et

467 C. de Féral (1993), E. Biloa (1999), Fosso (1999). 468 Italiques de l’auteur. 469 R. Nicolaï (2007b : 215).

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écologique ne peut que recenser les facteurs sociaux déterminants comme le souligne S. Thomason (2008: 49) :

because calculating the social and linguistic probabilities is so difficult—indeed impossible, now and for the foreseeable future—we can reasonably talk only about NECESSARY conditions for change, not about SUFFICIENT conditions for change. In other words, we cannot predict when or whether change will occur. This is as true of contact-induced change as it is of internally-motivated change: even the most intense contact situations don’t always lead to significant contact-induced changes, just as the most common internally-motivated changes often fail to occur.

Une bonne partie des changements linguistiques que l’on peut observer lors des différentes étapes sociolinguistiques de la vernacularisation est manifestement liée au contact des langues470. Le français évolue au contact de langues génétiquement différentes dans une niche écologique complexe.

3 LE FRACAM : UNE ACCLIMATATION PROBLÉMATIQUE

Par une métaphore, L.-J. Calvet (2000 : 73) résume le sort d’une langue importée dans un nouveau milieu : « comme une greffe, l’implantation d’une langue peut échouer ou réussir, […] dans ce dernier cas [son] adoption implique un certain nombre de modifications, d’adaptations ». En remontant vers la grande métaphore que constitue son modèle écologique, on peut dire que l’adaptation du français en Afrique a dépassé l’étape transitoire de l’acclimatement et qu’il a bien pris racine en Afrique. La vernacularisation sociolinguistique consacre l’acclimatation du français (L.-J. Calvet 1999 : 128, 213). Sur le plan social, la vernacularisation est la traduction d’une appropriation identitaire du français dont nous avons largement rendu compte dans les diverses descriptions sociolinguistiques. Cependant, l’acclimatation d’une espèce dans sa nouvelle niche présente un deuxième versant : celui de la reproduction (L.-J. Calvet 1999 : 142). Transposé en linguistique, ce versant de la reproduction de l’espèce a trait à la transmission des situations linguistiques. Les questions soulevées par la transmission sont nombreuses : les aménagements structurels constatés donnent-ils naissance à de nouvelles langues ? L’autonomisation des variétés endogènes est-elle toujours en cours ou alors a-t-elle atteint un réel point de rupture ? Autrement formulé par L.-J. Calvet (1999 : 206) : « À partir de quand une langue

470 Les autres faits de changements sont liés à l’analogie et à la réanalyse des structures du français, cette dernière étant probablement filtrée par la sémantaxe (G. Manessy 1995). S. Mufwene (2002) parle de « blending inheritance » ou « mélange d’héritage » dans le cas des langues « métissées » (créoles), pour montrer la part non négligeable des influences substratiques.

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cesse-t-elle d’être elle-même pour devenir une autre langue ou pour se scinder en deux langues différentes ? »

Sans reprendre totalement les points socio-historiques exposés dans le cadre sociolinguistique, il convient tout de même de construire cette argumentation sur quelques jalons essentiels. R. Chaudenson (2000) et G. Manessy (1990, 1992) ont démontré avec la plus grande pertinence que le point de départ de l’émergence des variétés endogènes est un apprentissage imparfaitimparfaitimparfaitimparfait de la langue cible471 :

ce français largement répandu est […] un français mal appris ; bien que portant l’estampille scolaire, il n’est pas essentiellement différent de ce qui est acquis dans la rue, lequel se trouve par là légitimé.472

Toutefois, l’apprentissage du français par les Africains ne semble pas s’être écarté des mécanismes qui ont cours dans toute forme d’apprentissage de langue que la situation soit considérée comme normale (communauté linguistique symboliquement monolingue) ou atypique (contexte plurilingue). L’acquisition d’une langue en tant que système est en réalité un processus de reconstruction (D. Véronique 1997, 2001). En effet, si l’acquisition était « parfaite » cela voudrait dire que chaque enfant reproduit parfaitement les idiolectes de son environnement social avec toutes les variations qui leur sont inhérentes. L’apprentissage des langues ne se déroule manifestement pas de cette façon (S. Mufwene 2005). L’acquisition « parfaite » serait aussi un frein à l’évolution des langues. Or, les germes du changement linguistique sont omniprésents dans la langue du fait de sa variation inhérente. L’appropriation d’une langue suppose donc un travail d’analyse473, souvent inconscient, qui permet de produire des approximations des «systèmes » idiolectaux avec lesquels l’apprenant interagit (S. Mufwene 2005 : 191) 474. C’est ici qu’intervient le problème des

471 Cf. Le succès du terme « approximation » dans la littérature scientifique. Dans le cadre de la créolistique, la deuxième phase de colonisation des Îles (« société de plantation » qui succède à la « société d’habitation ») est la période au cours de laquelle la créolisation, c'est-à-dire l’autonomisation des systèmes linguistiques, a eu lieu. R. Chaudenson (1994) résume les processus d’appropriation de cette deuxième phase par la célèbre formule « approximations au carré » ou encore « approximations d’approximations ». 472 G. Manessy et al. (1992 : 50). 473 Cette affirmation est valable aussi bien pour l’apprentissage formel pour que l’apprentissage informel (B. Py 1994). Mais la suite des développements est plus axée sur l’apprentissage non guidé. 474 L. Dabène (2000 : 12) : « la langue acquise ne vient pas des autres, mais des sujets eux-mêmes, engagés dans une élaboration langagière collective. Ces parlers véhiculaires à caractère nettement pluriethnique deviennent peu à peu, au fur et à mesure de leur appropriation, des parlers vernaculaires spécifiques du groupe. Ils s’élaborent non à partir d’éléments extérieurs, mais à partir des éléments langagiers déjà maîtrisés par les sujets et le processus d’acquisition n’est pas autre chose, dès lors, que la mise en commun de ce potentiel collectif ».

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modèles linguistiques. La notion d’idiolecteidiolecteidiolecteidiolecte révèle la profonde diversité des discours de la communauté et donc des modèles pour les apprenants. Dans la situation africaine en général et camerounaise en particulier, les centres urbains sont les lieux d’observation par excellence de la transmission sociale des formes ayant réussi le test de l’acclimatation. Pour les nouveaux arrivants (en provenance des villages) l’intégration aux activités urbaines passe par l’usage du français. Ils apprennent au contact de formes vernacularisées qu’ils vont contribuer à faire évoluer lors des échanges avec les citadins déjà en place (« approximations d’approximations »). Les enfants nés en ville sont dans une situation similaire, car le français est la langue de beaucoup de familles. Ils vont donc reconstruire leurs systèmes individuels à partir des modèles des parents qui sont porteurs de formes vernacularisées. Les réseaux sociaux (couplés à la concentration urbaine et les habitats ouverts) accroissent les modèles et les systèmes des jeunes s’en trouvent davantage différenciés. À partir du moment où il n’y a pas « un système abstrait uniforme » qui est « enseigné », chaque locuteur développe son système individuel à partir des modèles linguistiques auxquels il a été exposé dans ses réseaux de communication (S. Mufwene 2005 ; L. Mondada 2007b). La transmission intergénérationnelle des normes endogènes est prolongée dans les pratiques discursives des réseaux sociaux. La transmission linguistique est donc à la fois verticale et horizontale. Au niveau horizontal, le camfranglais est le pôle discursif le plus visible de la construction endogène de nouvelles normes. Nous venons d’en démontrer le processus de sémiotisation collectif et social.

La structure hétérogène du camfranglais est aussi la manifestation d’un héritage sociolinguistique. Il est d’autant plus accepté et répandu qu’il est le prolongement d’habitudes linguistiques acquises dans le cadre familial, lesquelles sont profondément marquées par les discours mixtes, c'est-à-dire le parler plurilingueparler plurilingueparler plurilingueparler plurilingue. La mixité linguistique fait donc partie de l’héritage de la vernacularisation. Reste à savoir si le parler mixte forgé par les jeunes dispose d’un réel avenir en tant qu’idiome de l’ensemble de la collectivité. Une fois de plus, les prédictions en matière de changement linguistique sont hors de la portée des linguistes (D. de Robillard 2003, Ph. Blanchet 2007a, S. Thomason 2007, C. de Féral 2008). Mais on peut constater que certains traits de ce « parler jeune » sont repris collectivement par superposition aux structures linguistiques du français vernacularisé475. Une question majeure émerge alors : pourquoi les discours affichant une mixité formelle (souvent signe d’une sécession sociale et linguistique pour le cas du camfranglais) gardent

475 « Grâce à la nature horizontale de la transmission des traits linguistiques, il est possible de changer des traits linguistiques dans une communauté sans attendre de nouvelles générations, contrairement à ce qui se passe pour les espèces biologiques » (S. Mufwene 1997 : 56).

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une grande partie des propriétés de la langue française ? La réponse que suggère S. Thomason (2007, 2008) dans des situations analogues est que les locuteurs n’utilisent pas forcément le pouvoir qui leur permet de façonner les discours mixtes à leur guise : « although speakers CAN change their language deliberately and dramatically, they don’t usually do so even in small speech communities »476 parce que la langue n’appartient pas qu’à l’individu, elle est au service de la communauté sociale et l’enjeu immédiat est celui de l’intercompréhension.

Au niveau communautaire, les idiolectes n’incorporent pas les innovations de la même façon ni au même degré. Le souci de cohésion sociale concourt à la normalisation des innovations. S. Mufwene (2005 : 192) soutient alors l’hypothèse selon laquelle

il y a changement linguistique, au niveau communautaire, lorsque, dans une génération donnée, la plupart des locuteurs d’une langue développent des idiolectes qui divergent dans une direction commune, produisant une « norme » différente de la « norme » précédente.

Le français vernacularisé et le camfranglais semblent aller dans la même direction sur le plan sémantico-discursif. Les énoncés ayant permis d’aboutir à cette conclusion sont des idiolectes qui ne prétendent pas à la représentativité absolue des discours camerounais. Il est tout de même un fait probant : ces énoncés sont issus de la niche écologique camerounaise et, à ce titre, ils présentent certaines caractéristiques émanant du contexte global. Les idiolectes des corpus (A, B et C) de FRACAM présentent une forte convergence au niveau des schèmes discursifs.

La question de la délimitation des frontières du FRACAM n’est pour autant pas résolue. Tout simplement parce qu’il n’existe pas de lignes claires et nettes. Le FRACAM serait donc une variété régionale dont les frontières ne sont pas strictement linguistiques mais plutôt glottopolitiques et socio-anthropologiques477. Tout de même, les régulations écologiques font apparaître des variétés qui n’auraient pu voir le jour nulle part ailleurs que dans cet écosystème précis. Le camfranglais, variété la plus en vue, se situe ainsi à la croisée de deux systèmes sémiolinguistiques, de deux ordres de référenciation. En effet, le

476 S. Thomason (2007 : 57). 477 « Une variété est […] une construction fonctionnelle, ayant des effets sur les pratiques. Toute variété linguistique, de façon complémentaire, est un indice symbolique de constitution d'un groupe ou d'un sous-groupe différent, d'une communauté ethno-sociolinguistique. Chaque groupe, dès lors qu'il s'institue en communauté possédant une connivence régulière, crée et s'approprie sa propre variété […] Une variété est donc un ensemble repérable, objet de l'étude de ses caractéristiques communes et relativement stables, de leurs co-occurrences avec les critères constitutifs du groupe de locuteurs concernés (la communauté), de leurs fonctionnements symboliques, par distinction d'avec d'autres variétés et d'autres groupes.» (Ph. Blanchet 2000 : 121).

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camfranglais présente une continuité fonctionnelle avec le français vernacularisé. Le français vernacularisé, quant à lui, présente une discontinuité fonctionnelle avec le français standard malgré la continuité formelle. La rupture prend racine au niveau sémantactique. En mettant bout à bout français standard et camfranglais, il se dégage une discontinuité formelle478 et une discontinuité fonctionnelle. Lorsque ce cas de figure apparaît, n’est-on pas logiquement en présence de deux langues différentes ? G. Manessy, pour sa part, estimait que si la relation entre l’appareil morphosyntaxique et l’organisation sémantactique qui lui est sous-jacente est modifiée, « même si la structure grammaticale demeure pour l’essentiel intacte, on a affaire à une autre langue » (G. Manessy 1995 : 229)479. Du point de vue des locuteurs,

[l]e processus d'individuation linguistique480 peut aller jusqu’à l’identification [d’une] variété […] comme une langue distincte, quel que soit son degré de proximité strictement interne (structures du code) avec d'autres systèmes linguistiques. 481

Un bémol cependant : alors qu’elle n’est pas nécessairement une préoccupation pour le locuteur camerounais au quotidien, la norme exogène est constamment réintroduite. Elle constitue paradoxalement l’étalon d’évaluation des locuteurs du camfranglais et, cela va de soi, celui des locuteurs du français vernacularisé. Ce paradoxe tient à la vivacité des discours puristes qui véhiculent l’idéologie unificatrice sous-jacente à la norme standard. Il est encore courant de lire des descriptions alarmistes à tendance essentialistes sur les comportements linguistiques au Cameroun482. Les dispositifs pédagogiques qui s’en suivent sont essentiellement tournés vers la chasse aux « camerounismes ». L. Dabène (1994 : 121) faisait justement remarquer que,

ce qui caractérise […] l’apprenant bilingue, c’est qu’il est en possession d’un répertoire verbal complexe et que c’est précisément cet ensemble de potentialités qui constitue son parler vernaculaire. Or celui-ci est presque toujours stigmatisé par l’Institution scolaire.

478 Elle est mise en avant par les camfranglophones. L’essentiel de leurs innovations porte en effet sur la forme. 479 Ceci éclaire le fait que V. Feussi (2006) classe le « francanglais » parmi les langues vernaculaires, au même titre que le français et les langues ethniques. 480 L’individuation sociolinguistique renvoie à « l’ensemble des processus par lesquels un groupe social acquiert un certain nombre de particularités de discours qui peuvent permettre de reconnaître, sauf masquage ou simulation, un membre de ce groupe. » (J.-B. Marcellesi & B. Gardin 1974 : 231). 481 Ph. Blanchet (2000 : 121). 482 « Depuis 1916, sous le prisme d’un laxisme débridé, le français au Cameroun s’est cimenté en se fabriquant une identité qui l’a éloigné du bon usage » (L.- M. Onguene Essono 2003 : 60). « Quand les jeunes actuels remplaceront les ancêtres et les parents, le chaos linguistique s’installera. Vecteur boiteux de nos cultures, le français n’aura plus de repère. Surtout si nos élèves prennent pour du français, une cascade de particularismes utiles pour rédiger les devoirs et discuter » (L.-M. Onguene Essono 2005 : 408).

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CHAPITRE VIII

QUELS TYPES DE CHANGEMENT LINGUISTIQUE ?

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La tension entre l’idéal de langue et la langue idéale ne peut que se renforcer. Le frein à l’autonomisation totale du français parlé au Cameroun est donc le « conservatisme » lié à la réintroduction du standard (G. Manessy 1994a).

4 CONCLUSION

La complexité de la situation du français au Cameroun est établie. Malgré l’observation de tendances sémantico-structurelles centrifuges, les variétés endogènes restent indexées au français standard. Au niveau des représentations en effet, la parenté généalogique supplante les autres modes d’apparentement (G. Manessy 1995 : 230). La présence d’un lexique et des structures françaises dans les variétés vernaculaires (y compris le camfranglais) est un indice attestant la continuité de la filiation. Tant que les locuteurs y reconnaissent du français, leurs propos seront énoncés en français483 : « le camfranglais c’est du français élastique »484. Face à cette ostension de traits linguistiques (génétiques), les niveaux sémantactique et fonctionnel échappent (pour une bonne part) à la perception des locuteurs, parce que les discours sont conformes à l’ordre des choses, c'est-à-dire à la manière la plus naturelle de s’exprimer.

483 Les contradictions au niveau des représentations sont tout à fait normales (Ph. Blanchet 2004). 484 Jeune élève en classe de sixième (C. de Féral & G. Jetchev 2008).

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CCOONNCCLL UUSSII OONN GGÉÉNNÉÉRRAALL EE

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CONCLUSION GÉNÉRALE

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L’un des objectifs centraux de cette thèse est la description de l’organisation syntaxique des énoncés de FRACAM au regard de la problématique centrale de la norme dans un contexte où le modèle scolaire se présente comme l’étalon privilégié de la correction des formes. Le cadre sociolinguistique de la vernacularisation a naturellement conduit au choix du style vernaculaire, c’est-à-dire la parole ordinaire dans son contexte social de prédilection. La multiplicité des facettes du vernaculaire a soulevé d’importantes questions d’ordre épistémologique et méthodologique sur lesquelles nous revenons afin de mieux saisir la portée des résultats auxquels nous sommes parvenue.

1 LA PROBLÉMATIQUE DE LA FAUTE

Dans un travail syntaxique à caractère descriptif, la problématique de la « faute » n’est pas un bon point de départ car elle hiérarchise d’emblée les productions selon des critères discriminants relatifs à la maîtrise de la variété standard. Nous avons vu que les reproches débordent facilement l’aspect linguistique pour s’attaquer à la personnalité même des locuteurs (A. Berrendonner 1988). De plus, la faute ne permet pas rendre compte des relations entre un énoncé et ses conditions de production (F. Gadet 1996 : 18). Elle ne permet pas non plus de comprendre le changement linguistique en diachronie (Cl. Blanche-Benveniste 2000 : 4). D’où la nécessité d’accorder un statut identique aux observables et surtout – pour ce qui est du français en Afrique – de comparer les structures du vernaculaire avec des énoncés produits dans des conditions similaires dans les régions septentrionales de la francophonie.

Les recherches sur la syntaxe du français parlé au Cameroun ont été trop souvent entachées de purisme. La dépréciation des pratiques endogènes et le pessimisme des clercs sont d’une certaine façon, la manifestation d’une insécurité linguistique qui découle directement de la sujétion à la norme standard (M. Francard et al. 1993). Bien souvent donc, les langues du substrat sont incriminées dans les « fautes » et les « écarts ». Or, comme le soulignait G. Manessy (1995), dans bien des cas, les expressions « fautives » n’ont pas leur équivalent dans les langues africaines, qui par ailleurs sont structurellement inconciliables (G. Manessy 1994b : 17). La vernacularisation a abouti à des schémas discursifs spécifiques corollaires d’une appropriation identitaire du français. Étant donné le fait que « un discours en français d’Afrique est de plus en plus nettement un discours africain en français » (G. Manessy 1997 : 124) il n’est plus question, aujourd’hui, de décrire les français d’Afrique (et plus particulièrement le français parlé au Cameroun) à partir d’un modèle de référence unique.

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Sur le plan théorique, cela suppose une révision des cadres d’analyse jusqu’ici tributaires d’une doctrine structuraliste. Le positionnement épistémologique adopté dans ce travail s’affranchit de tout dogmatisme qui tendrait à considérer les langues comme des entités essentielles et immuables. La complexité linguistique permet de ne pas préjuger de la nature des langues et encore moins de leurs frontières.

La conséquence de cette option épistémologique est la prise de conscience de l’impact du point de vue sur le résultat de toute description. Dans le but de rendre justice aux faits sociaux que sont les pratiques langagières, l’interprétation des données s’est faite en priorité du point de vue des locuteurs, ces derniers en étant les principaux acteurs. La convocation des cadres d’analyses généraux a permis de parvenir à une certaine objectivation des observables. En définitive, c’est à une synthèse des regards externe et interne que nous avons voulu parvenir.

2 LA SYNTAXE VARIATIONNELLE ET LES ENDONORMES

L’articulation micro- et macro-syntaxe a été d’une grande rentabilité lors des analyses des énoncés du FRACAM. La plupart des phénomènes écartés par la grammaire traditionnelle ont ainsi pu être pris en charge. Pendant les analyses, on a pu constater que bon nombre de ces phénomènes coïncidaient en surface avec les structures des variétés non-standards des autres aires francophones. Ce qui prouve qu’en situation d’énonciation ordinaire, les locuteurs se préoccupent moins de respecter des règles syntaxiques que d’organiser les informations en fonction d’habitudes linguistiques socialement construites. Ainsi, les constructions disloquées sont plus fréquentes que l’ordre canonique SVO. En ce qui concerne le discours rapporté, la vision classique qui consiste à confiner le « que » introducteur et « subordonnant » au discours indirect (DI) est partout caduque. Il existe des discours directs (DD) avec « que »485. La différence entre DD et DI est d’ordre sémiotique, c'est-à-dire que la différenciation se fait en interaction selon l’orientation donnée par le locuteur qui décide seul de présenter son rapport comme une citation-mention ou comme une traduction-reformulation (J. Authier-Revuz 1992, 1993). Les transpositions des temps verbaux ne sont donc pas automatiques. Du point de vue interactionnel, nous avons mis à jour une valeur inédite de la forme « performative » du DR : la valeur de renchérissement. En effet, le DR en FRACAM se déploie sur un continuum qui s’étend de la reproduction effective de paroles antérieures au renchérissement (exprimé par la formule « je dis (te) que hein↗ ») en passant par la pseudo-reproduction, l’actualisation, l’invention et l’assertion.

485 Ce serait peut-être les « bâtards » du discours ? (L. Rosier 2000).

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Quant à l’interrogation, sa typologie classique est aussi en déphasage avec les pratiques réelles. En effet, l’étiquette affichée semble (re)présenter la finalité illocutoire de certaines unités. Or, les analyses conversationnelles montrent que les modalités sont fortement liées aux intrications entre le locuteur et l’environnement de la prise de parole. Les valeurs des « phrases » interrogatives sont toujours graduelles – entre assertion, négation et question – au sein d’actes valises (C. Kerbrat-Orecchioni 2001). Il convient donc de distinguer la structure formelle et la valeur illocutoire des énoncés. Les choix formels des locuteurs ne se réduisent pas à « des contraintes d’ordre syntaxique et informationnel ou à un ensemble de fonctions pragmatico-sémantiques délimité à priori » (S. Pekarek Doehler 2005 : 7). Les choix formels sont au contraire eux-mêmes créateurs de contextes d’action. D’où la grammaticalisation de « que quoique quoique quoique quoi » qui est un schème rituellement codé pour servir comme deuxième élément d’une paire adjacente.

De manière plus générale et indépendamment des paradigmes structurels, la description du non-standard révèle l’existence de structures concurrentielles qui ne sont pas strictement hiérarchisées (en termes de niveaux de langues par exemple). Et lorsqu’une hiérarchisation existe, elle n’est pas la même dans toutes les communautés discursives486. D’où la nécessité de bâtir une syntaxe variationnelle qui obéit à un fonctionnement polylectal. Plutôt qu’un système homogène, la langue est une imbrication de multiples sous-systèmes (A. Berrendonner et al. 1983). Dans la pratique, cette disposition permet la réorganisation continuelle de chacun des sous-systèmes sans que l’économie générale de l’ensemble en souffre. Il y a donc un équilibre dynamique sujet à une régulation écologique dont la description peut se faire, selon F. Gadet (1996), dans le cadre d’un « super-système » :

l’idée à retenir est celle d’un super-système, qui couvre à la fois standard et non-standard, qui puisse rendre compte de ce que les usages même les plus éloignés du standard ont en commun avec lui un ensemble de régularités, et qu’ils ne diffèrent parfois que par l’extension du domaine d’application de certaines règles.487

Dès lors, il serait judicieux d’envisager la question des normes endogènes au Cameroun (et en Afrique) à partir des pratiques réelles, irrémédiablement marquées par le plurilinguisme488. L’idée du « super-système » mériterait d’être complétée par les facteurs socio-cognitifs qui motivent la sélection préférentielle des formes concurrentielles : « on n’a pas tout dit lorsqu'on a mis à jour la structure grammaticale d'une langue » (G. Manessy [1989], 1994a : 76). En effet, parmi les variables les plus importantes dans la

486 Cf. la distribution des formes interrogatives en Provence et en Bretagne pour la France (Ph. Blanchet 1995). 487 F. Gadet (1996 : 20). 488 D’où les nombreux exemples avec du parler mixte lors de nos analyses.

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communication, figure la compétence socio-culturelle (Ph. Blanchet 2000 : 106) : « la signification n’est pas dans les unités linguistiques, même pas dans les messages, mais dans l’activation d’un contexte social » (Ph. Blanchet 2007a : 18)489. Du coup, « la distinction entre des facteurs dits internes et des facteurs dits externes […] n’est pas le critère décisif de toute bonne explication » (R. Nicolaï 2007a : 3). Les facteurs action et habitus490 qui définissent la communauté sociale (L.-J. Calvet 1994) créent les conditions de sa différenciation et de sa spéciation. On comprend alors que la notion d’endogénéité ne fasse pas prioritairement référence au lieu d’implantation du parler étudié, mais davantage « aux relations que celui-ci entretient avec une tradition socioculturelle vivante ou survivante » (G. Manessy 1995 : 254).

Dans le cas de la francophonie africaine en général, et du Cameroun en particulier, la prise au sérieux des implications théoriques du contact des langues permet de mieux appréhender les processus linguistiques en cours. Si l’on considère qu’il n’y a pas de plurilinguisme social sans locuteur plurilingues (au moins bilingues), le véritable lieu du contact des langues c’est le locuteur. La caractéristique fondamentale de son répertoire plurilingue est la variabilité. Au cours des actes discursifs, les accommodations mutuelles permettent de réduire les différences entre les idiolectes concourrant ainsi à la normalisation des schémas sémantico-discursifs. Chaque communauté ethno-sociolinguistique construit ainsi ses normes endogènes et ses rapports aux normes (Cl. Bavoux 2008b)491.

La description du FRACAM montre des zones autour desquelles l’endogénéité se construit. Il apparaît une cohésion relative aux choix structuraux et aux contenus véhiculés. D’où de nombreux cas de grammaticalisation parmi lesquels « je dis (que) heinje dis (que) heinje dis (que) heinje dis (que) hein » qui devient un tour interpellatif et « je dis (te) que heinje dis (te) que heinje dis (te) que heinje dis (te) que hein » qui est pragmatiquement codé pour le renchérissement des propos de l’allocutaire. Ces valeurs socio-pragmatiques obtenues à partir de la base formelle du DR n’ont, à notre connaissance, jamais été relevées dans un autre contexte francophone.

Dans le camfranglais, variété dont la structuration mixte est aussi originale en francophonie, les traits de simplification – neutralisation de la base verbale (elle est kemkemkemkem, je kemkemkemkem) – vont de pair avec des traits de complexification – hybridation lexicale (je kemkemkemkemais, un

489 Un point de vue similaire est soutenu par F. Rastier (2005b). 490 « ensemble des dispositions socialement acquises qui structurent de façon socialement distincte toutes les pratiques linguistiques » L.-J. Calvet (1994 : 128). 491 Une francophonie dotée d’un fonctionnement pluricentrique et symétrique relève pour l’heure de l’utopie (B. Pöll 2005 : 35).

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wokwokwokwokeur). La revernacularisation est ici synonyme de cryptage qui exclut toute personne extérieure au tissu communautaire492 camerounais.

Dans le cadre d’une linguistique descriptive, on ne peut que prendre acte des résultats de toutes ces accommodations fonctionnelles.

3 L’ACTIVITÉ DU LOCUTEUR

Utilisé comme un critère de description et d’évaluation des manifestations du français au Cameroun, le niveau de scolarisation présente des insuffisances comparables à celles qu’induit la notion de faute. Le niveau de scolarisation comme critère de catégorisation des locuteurs ne permet pas de rendre compte de la variabilité stylistique car il n’existe pas de locuteur à style unique (F. Gadet 2003a, b, 2004). Les personnes scolarisées possèdent certainement une palette stylistique plus large que les personnes non-scolarisées. Mais on ne peut supposer l’homogénéité des productions acrolectales, mésolectales, ou basilectales. Plusieurs études récentes au Cameroun et en Côte d’Ivoire montrent que cette classification tripartite ne reflète pas la réalité des usages (S. Lafage 2002, A.-M. Knutsen 2007, V. Feussi 2006). Nos résultats vont dans le même sens. La plupart des structures syntaxiques décrites dans ce travail se retrouvent chez des locuteurs de statuts sociolinguistiques différents.

Cl. Blanche-Benveniste (1997b) explique la variation stylistique par l’existence de « grammaires concurrentes » chez le locuteur. Ces grammaires s’ajustent bien à l’hétérogénéité de la structure de la langue elle-même. De plus, l’appropriation d’une langue seconde (le français en Afrique) n’entraîne pas nécessairement la suppression des formes précédentes (celles de la langue déjà acquise), bien souvent, on assiste à l’émergence de nouvelles variantes (B. Py 2007 : 96). La concurrence (et non conflit) des grammaires chez le locuteur mérite un approfondissement dans le cas du français au Cameroun où se mêlent plusieurs facteurs de diversifications structurales.

L’épistémologique de la complexité en linguistique permet de redonner au locuteur la place centrale qui est la sienne dans les activités langagières. Ce dernier n’est pas une simple caisse de résonance dans le sens où il trouverait des paroles toutes faites et se contenterait de les reprendre. Les formulations ne préexistent pas toujours avant la prise de parole du locuteur493 : « Il les construit au fur et à mesure de son discours » (Cl. Blanche-Benveniste 2005 : 58) dans l’improvisation de l’interaction (L. Mondada 2001). Les

492 R. Nicolaï (2005) utilise ce terme parce qu’il focalise sur la texture, la structure et le type d’organisation de rapports dans la société contrairement à « communauté » qui focalise sur les frontières. 493 Ceci ne réfute pas l’existence des habitus langagiers.

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implications de l’activité du locuteur se situent sur le double plan de la linéarisation (amorces, répétitions, corrections, changements de programme syntaxique) et des matérialités discursives – notamment l’usage des alternances codiques (avec des formes plus ou moins cristallisées), ou encore des marques méta-énonciatives.

Un autre aspect important de l’activité du locuteur concerne les interventions volontaires qu’il apporte à la structure de sa langue. Une analyse interactionnelle de certaines séquences de camfranglais a montré qu’en tant que parler mixte, il est constitué de ressources mobilisables comme ac ac ac action volontaire des locuteurs, tion volontaire des locuteurs, tion volontaire des locuteurs, tion volontaire des locuteurs, ou comme formes formes formes formes cristalliséescristalliséescristalliséescristallisées selon les situations. Notre hypothèse est que la visibilité formelle en camfranglais est un travail opéré sur le signifiant, les signifiés n’étant que très faiblement en cause494. Ce travail correspond à une posture méta-énonciative sur le dire qui n’apparaît qu’« occasionnellement » dans un énoncé, comme on peut le lire dans le précédent renvoi495 à R. Vion (2006 : 111). Le camfranglais étant pratiqué au quotidien dans différents réseaux sociaux comme vernaculaire – c'est-à-dire qu’il est un « lieu […] où on ne se pose pas de question »496 – il est difficile d’imaginer que les « emprunts » soient motivés à chaque nouvel usage. On affirmerait tout aussi difficilement que les locuteurs ont perdu de vue la rupture linguistique qui contribue à l’emblématisation sociale du camfranglais497. Face à une séquence comme « Une défaite amère »498, il ne serait pas donc raisonnable d’affirmer que toute la conversation est en camfranglais car les « camfranglismes » semblent avoir perdu une partie de la valeur identitaire associée à la jeunesse499. Ainsi, les discours quotidiens témoignent visiblement d’une sécurité langagière :

avec les parlers mixtes, la double insécurité linguistique à la fois vis-à-vis des langues ethniques que beaucoup de jeunes urbains ne maîtrisent pas et des langues officielles (scolaires) tout aussi mal dominées (ce que Bretegnier appellent l’insécurité bi-linguistique), disparaît puisque les codes mixtes sont polymorphes, peu normatifs et s’adaptent aux besoins et à la créativité de leurs utilisateurs.500

Dès lors, une approche descriptive purement interne masque la continuité fonctionnelle qui existe entre le camfranglais le français ordinaire du Cameroun. Nous avons pu le voir avec les exemples comme « betabetabetabeta encore c’est là » équivalent à « mieuxmieuxmieuxmieux encore c’est là », ou encore « moi je nonononoais depuis fromfromfromfrom » équivalent à « moi je savaissavaissavaissavais depuis

494 La compétence sémantique est déjà acquise par la pratique du français ordinaire commun. 495 Chapitre VIII (2.1). 496 (G. Manessy 1993 : 410). 497 Cet aspect des représentations contribue à asseoir l’existence sociale de la variété. 498 Commentée dans le chapitre 8. 499 Surtout que ce sont des termes de haute fréquence comme « gogogogo » (fille) qui sont employés. 500 A. Queffélec (2007c).

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depuisdepuisdepuisdepuis » extraits du glossaire de camfranglais. Bien souvent donc, la question du choix de la langue ne se pose pas en termes exclusifs, les situations d’interactions et les relations altéritaires constituent un facteur endogène de régulation. La gestion des variétés et des ressources linguistiques se fait selon les modalités du « feuilletage »501 (R. Nicolaï 2005, 2007b). Dans une dimension praxéologique, le camfranglais serait alors considéré comme une variante stylistique. En effet, la flexibilité stylistique du français parlé au Cameroun n’est pas forcément assurée par la manipulation des ressources grammaticales, « le vocabulaire y tient une grande place » (G. Manessy 1995 : 92). Ce vocabulaire est « plurilingue ». On conviendra alors avec L. Mondada (2001-155) que

le locuteur, conçu comme un acteur social et non comme un sujet isolé, met en œuvre en temps réel, au fil du développement des tours de parole, des activités d’énonciation-interprétation qui informent réflexivement ce qui précède et ce qui suit. Ce travail comporte aussi des activités d’identification et de catégorisations d’unités, conçues non pas comme des unités abstraites dans un système formel préexistant mais comme des unités dont le maniement, la reconnaissance, la configuration est indissociables des visées communicatives locales.

Dans cette optique, les activités de catégorisation sont indissociables des pratiques.

4 LES CATÉGORISATIONS

Les catégorisations sont aussi importantes que les pratiques langagières. Leurs influences mutuelles posent un problème méthodologique crucial. Ces dernières années, les débats portent naturellement sur la définition de l’objet « langue » car tous les autres découpages en sont dérivés :

il s'agit d'un tiraillement entre d'une part, la construction théorique d'un objet langue comme structure homogène abstraite au-delà des pratiques de parole, et d'autre part la modélisation interprétative de pratiques sociales variées de communication verbales en contexte. Ce problème se double de celui de déterminer ce qu'est une langue distincte d'une autre, notamment dès lors qu'on intègre la variabilité au coeur de la définition du concept (problème que le « parler bilingue » met particulièrement en relief).502

Quand on prend en compte la complexité des phénomènes langagiers, il apparaît que les langues n’existent qu’à travers les pratiques et les représentations des locuteurs (L.-J.

501 Ce terme revoit au « caractère propre à tout répertoire linguistique de pouvoir fonctionner comme ressource dans la re-élaboration et le détachement éventuel de variétés linguistiques et d’usages langagiers constitués à travers la refonctionnalisation de traits, formes linguistiques et de fragments discursifs et attitudinaux matériellement disponibles ». « […] le feuilletage s’applique aux objets ‘cognitivement et sémiotiquement disponibles’ qui sont nécessairement des formes, des schémas et des processus, reconnus à des niveaux variables de pertinence et répondant aussi à des fonctionnalités variables » (R. Nicolaï 2005). 502 Ph. Blanchet (2000 : 107).

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Calvet 2004 : 22 ; G. Manessy 1994b : 11). De ce point de vue, toute (dé)nomination est donc une réification :

Quelle que soit la réalité effective dont on parle, émettre un discours sur une langue c’est poser un référent. Comme du même coup elle est nommée, désignée, il y a superposition d’homogénéisation et catégorisation minimales. 503

Les catégorisations des locuteurs sont influencées par la vulgate scientifique, même s’ils renégocient contextuellement les frontières linguistiques. Les catégorisations sont aussi apprises par la pratique sociale. La compétence de catégorisation fait partie intégrante des compétences sociolinguistiques des locuteurs (L. Mondada 2000). Les noms de langues sont des « ambassadeurs » sans lesquels il est impossible d’en parler (A. Tabouret-Keller 1997). Ce dont il faut prendre conscience c’est la plasticité des représentations que les (dé)nominations véhiculent. Ainsi, les locuteurs camerounais distinguent le camfranglais du français, mais ils semblent aussi dire que le camfranglais c’est du français (cf. chapitres II et VIII). L’absence d’un consensus sur le nom même de la variété pose la question de l’instance de désignation. Jusqu’en 2006, les linguistes utilisaient exclusivement le terme « camfranglais ». À l’issue de ses enquêtes de terrain, V. Feussi (2006) décide d’emboîter le pas à la majorité de ses enquêtés et introduit le nom « francanglais ». Un certain nombre de dénominations de locuteurs sont cependant marginalisées504. La multitude des noms ne remet pas en question l’existence de la variété505, cette diversité est le reflet de l’anomie qui la caractérise. Tout ceci laisse entrevoir les enjeux socio-politiques autour de la nomination des pratiques linguistiques.

Qu’est-ce donc finalement qu’une langue ? Passées à la loupe, les pratiques langagières sont toujours tendancielles (L.-J. Calvet 2007), les locuteurs faisant du bricolage à partir des ressources linguistiques disponibles (A. Berrendonner 2002, R. Nicolaï 2007b, Ph. Blanchet 2007b). Pour une linguistique soucieuse de l’éthique,

il s'agit de proposer une conception alternative, selon laquelle la langue est à la fois l'horizon et le produit de la parole. La langue, en effet, existe d'abord dans et par les pratiques langagières des locuteurs; elle est profondément imbriquée en elles et ne peut donc être définie indépendamment d'elles.506

503 I. Fénoglio (1997 : 241). 504 Francamanglais, fran-anglais, francam, francamerounais, cam-anglais, cam-quoi-là (A. F. Harter 2007 : 254). 505 « Dire quelque chose d’une langue est le degré zéro de sa désignation et de sa position comme réellement pratiquée. » (I. Fénoglio 1997 : 241-242). 506 L. Mondada (2001 : 157).

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Finalement, le mot « langue » est adopté par défaut. Il s’accorde à une unité symbolique construite par les locuteurs afin d’asseoir l’existence sociale d’un groupe ou d’une communauté. D’autre part, les langues et leurs noms sont le support des politiques linguistiques.

5 POUR CONCLURE ?

Les questions soulevées tout au long de cette thèse témoignent de la complexité du terrain camerounais. L’intérêt de cette thèse est de contribuer à la description du parler ordinaire camerounais et de donner un aperçu sur l’état d’appropriation du français. Une perspective comparative a permis de donner au FRACAM sa juste place parmi les pratiques francophones. Par maints aspects, le FRACAM présente des convergences avec d’autres français régionaux : « Il est frappant de voir comment la variation du français se fait, de façon permanente quels que soient les temps et les lieux, selon des processus constants » écrit R. Chaudenson (1998 :164). Les détails des variations spécifiques au FRACAM enrichissent donc le français dans une vision panlectale. D’un point de vue synchronique, le fonctionnement des variantes locales est mieux décrit en termes de « grammaire polylectale » (A. Berrendonner 1983) avec un fonctionnement social polynomique.

Il semble que la visibilité sociale de la vernacularisation du français au Cameroun soit grandement redevable au camfranglais. À ce titre, le camfranglais est doublement métaphorique : il est un commentaire sur les contacts des langues et leur enchevêtrement, il est le moyen de prendre conscience qu’il y a des façons locales de parler français. Les résultats obtenus ici se présentent alors comme des pistes de réflexion pour des recherches futures sur l’évolution du français (et des autres langues) au Cameroun. On ne saurait en proposer qu’une description sociolinguistique qui prenne en compte les constructions mentales et représentationnelles des locuteurs, médiatisées par l’organisation sociétale. Au final, bon nombre de problèmes soulevés par les pratiques langagières des régions dites « périphériques » sont en réalité des questions de linguistique générale (W. Labov 1976 :258, S. Mufwene 2005).

Dans le contexte camerounais, la contiguïté d’une multitude de langues contribue à donner au français une forte coloration locale. Les interférences existent peut-être mais elles n’expliquent pas pourquoi des structures dites « déviantes » se retrouvent chez la plupart des locuteurs camerounais, indépendamment de leur origine ethnique et de leur statut sociologique. En effet, les idiolectes de nos corpus de FRACAM – corpus A (élèves), corpus B (adultes peu scolarisés) et corpus C (hauts cadres de l’administration camerounaise, professionnels de la langue française) – présentent une forte convergence au niveau des

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CONCLUSION GÉNÉRALE

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schèmes discursifs. Ceci parce que les conversations étudiées mettent en scène des personnes de statuts sociolinguistiques équivalents dans des situations ordinaires de prise de parole. P. Dumont (1992 : 34) remarquait opportunément que les schémas sémantico-discursifs, qui expriment une personnalité africaine, ont très peu été étudiés. En prolongeant nos analyses syntaxiques par des analyses discursives, nous espérons avoir contribué à la compréhension d’un certain nombre au terme de ce travail. Les Camerounais constituent une communauté ethno-sociolinguistique à l’intérieur de laquelle les signes et structures linguistiques sont l’objet d’un consensus social. Ce consensus social est le seul garant du fonctionnement concret d’une langue.

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RRÉÉFFÉÉRREENNCCEESS BBII BBLL II OOGGRRAAPPHHII QQUUEESS

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LA VARIATION DU FRANÇAIS AU CAMEROUN.LA VARIATION DU FRANÇAIS AU CAMEROUN.LA VARIATION DU FRANÇAIS AU CAMEROUN.LA VARIATION DU FRANÇAIS AU CAMEROUN. APPROCHE SOCIOLINGUISTIQUE ET SYNTAXIQUEAPPROCHE SOCIOLINGUISTIQUE ET SYNTAXIQUEAPPROCHE SOCIOLINGUISTIQUE ET SYNTAXIQUEAPPROCHE SOCIOLINGUISTIQUE ET SYNTAXIQUE

Au Cameroun, le français surimposé à une myriade de langues locales s’est infiltré dans tous les lieux d’expression et de communication. Face au faisceau de relations ambiguës qui s’est installé entre le français institutionnel, le français courant et les acteurs du français il a paru opportun de réfléchir sur les implications théoriques et pratiques de la notion de variation en linguistique. Notre hypothèse est que la variation peut ne pas tant être un changement formel que ce processus original induit par un contexte socio-culturel déterminé. La démonstration s’articule alors aux processus d’actualisation et de référenciation indexés à la macro-structure camerounaise.

Ce travail s’appuie sur des productions langagières enregistrées dans leurs contextes sociaux de prédilection. Ce corpus est l’objet de comparaisons avec d’autres variétés internes et externes dans le but de construire des hypothèses sur le fonctionnement interne du français au Cameroun.

La description du « français ordinaire » du Cameroun se fait au moyen de trois entrées d’ordre syntaxique : les dispositifs, le discours rapporté et l’interrogation. Pour chacun de ces aspects, il apparaît que les locuteurs se sont dotés de systèmes parallèles au français standard. A l’intérieur d’un fonctionnement linguistique de type polylectal et polynomique, le camfranglais se présente comme la variété qui consolide les innovations structurelles locales et leur permet d’acquérir une emblématisation nationale. Une résultante de cette étude est donc la connaissance de l’état de l’appropriation du français au Cameroun.

VARIATIONSVARIATIONSVARIATIONSVARIATIONS OF OF OF OF FRENCH IN CAMEROON.FRENCH IN CAMEROON.FRENCH IN CAMEROON.FRENCH IN CAMEROON.

AAAA SOCIOLINGUISTIC SOCIOLINGUISTIC SOCIOLINGUISTIC SOCIOLINGUISTIC AND AND AND AND SSSSYNTACTIC APPROACHYNTACTIC APPROACHYNTACTIC APPROACHYNTACTIC APPROACH In Cameroon, French, which dominates a myriad of local languages, has invaded all expression and

communication settings. Drawing from the network of complex relationships that have developed between institutional French, ordinary French and French actors (language users and technicians), we deemed it useful to reflect on the theoretical and practical implications of the notion of variation in linguistics. We hypothesise that variation goes beyond formal changes to include the whole process determined by a specific socio-cultural context. The work then concentrates on the process of change and referencing which is proper to the Cameroonian macro-structure.

This work is based on language productions recorded under normal social conditions. This corpus helps draw comparison with other internal and external varieties of French, with the aim of constructing hypotheses on the internal system of French in Cameroon.

Cameroon ordinary French is described under three syntactic frameworks: cleft constructions, reported speech and interrogation. For each of these aspects, it appears that speakers have developed systems parallel to standard French. Within a polylectal and polynomic linguistic framework, “Camfranglais” emerges as the variety that entrenches local structural innovations and enables them acquire national status. This work takes stock of the state of appropriation of French in Cameroon.

MOTSMOTSMOTSMOTS----CLCLCLCLÉÉÉÉSSSS Variation, français parlé, français en Afrique, normes endogènes, vernacularisation, clivage, dislocation,

discours rapporté, interrogation, grammaticalisation.

FORMATIONFORMATIONFORMATIONFORMATION DOCTORALEDOCTORALEDOCTORALEDOCTORALE CognitionCognitionCognitionCognition, LangageLangageLangageLangage, EducationEducationEducationEducation

U.F.R. Lettres, Arts, Communication et Sciences du langageU.F.R. Lettres, Arts, Communication et Sciences du langageU.F.R. Lettres, Arts, Communication et Sciences du langageU.F.R. Lettres, Arts, Communication et Sciences du langage (L.A.C.S.)(L.A.C.S.)(L.A.C.S.)(L.A.C.S.) ---- Laboratoire Langage et ParoleLaboratoire Langage et ParoleLaboratoire Langage et ParoleLaboratoire Langage et Parole UUUUMRMRMRMR 6057605760576057 29, avenue Robert Schuman – 13621 Aix-en-Provence Cedex 1