La trilogie des Trylles T2 Déchiréeekladata.com/8w7kTSqA8YZffRHTyElFkgZLZE4/Trilogie_des...Éloges...
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ÉlogespourlatrilogiedesTryllesd’AmandaHocking
«Lesoiroùj’aicommencéÉchangée,incapabledelelâcher,jen’aipaspum’endormiravanttroisheuresdumatin.Jedevaistravaillerlelendemain,ettoutelajournéejen’aieuqu’uneidéeentête:rentreràlamaisonpourlefinir.Oui,c’estaussibonqueça.»
—ATaleofManyReviews
«Échangéeestdécidémentunromanparanormalpourjeunesadultesd’unstylenouveau.Sonrythmedifférentnouschangedetouteslesfantaisies littérairesdugenre…J’aiparticulièrementapprécié lesuspenssentimental, ledéroulementréalistedel’histoired’amouret latrajectoirepsychologiquedespersonnages.Jelerecommandevivement.»
—I’dSoRatherBeReading
«J’aidévorécelivre.Jen’arrivaispratiquementpasàlelaisseravantd’allerdormir,etpendantmamatinéedeboulot,j’essayaisencored’enlirequelquespagesàl’arraché.C’estunpremierlivrevraimentsuper.Jemeursd’enviededécouvrirtoutelasérie.Amanda,s’ilte
plaît,écrisvitelasuite.Jecrèved’impatience!»—MidnightGlanceReviews
«J’aiadoréceroman!Lespersonnagessonttoutàfaitvraisemblables[…]etonnes’ennuiejamais.Sivousaimezlegenredefantaisieromanesquequivouslaissepantelantjusqu’auprochainépisode,jevousconseillevivementlalecturedecelivre.»
—TheLightUndertheCovers
«Pleind’action,desuspenseetderomance[…].J’aitrouvél’histoiretotalementfascinante.»
—ATrueReality
«Cettesérieconcentretoutcequ’onpeutimaginer:magie,mythologie,action,amour…Ah,l’histoired’amour!Ilestvraiqu’unamourinterdit a toujours quelque chose de très attrayant, surtout lorsqu’il se termine bien. Et je dois dire que j’adore la façon dont cela setermine.Jenevaisriendévoiler,biensûr,maislafinestparfaite.»
—DiaryofaBibliophile
«AmandaHockingestuneboufféed’airfraissurlemarchédelalittératureparanormalepourjeunesadultes.J’avaisdéjàludestonnes
de romans peuplés de vampires, loups-garous et autres fées, mais jamais de trolls. […] Échangéem’a entraînée dans une sérieromanesquepleined’aventuresexcitantesetdebravoure.»
—ThatBookishGirl
«Échangéeesttruffédeplusd’intriguesetdesecretsenfouisquen’importequelromanpourjeunesadultes.»—ReadMyMind
«Unlivrefacileàdigérer,quivousaccrocheetqu’onpeutdévorerenunaprès-midi.»
—FeedingMyBookAddiction
«J’aicomplètementadooooooréÉchangée.Dès lespremièrespages, jenepouvaisplusm’enextraire.Je“voyais” leromandansmatête.Uneexpériencedelectureincroyablequivousfaitvraimentpartagercelledespersonnages.»
—NovelsintheRun
«Ceromanhaletant[…]écritparuneauteuredontlesensdelanarrations’amélioredelivreenlivreestincontournable.»
—BewitchedBookworms
«J’ailucestroislivressuccessivementsurmonKindle.J’étaistellementsuspendueàl’histoirequejenepouvaispluslaquitter.Jelisaisdanslavoiture,àl’école,dansmonlit,àtableetdevantlatélé.Onpeutparlerd’obsession.»
—ReadingVacation
«Hockingpossèdeledontrèsraredeforgerdespersonnagesetdeleslaissers’épanouir,untalentquepeud’auteurspartagent.Ellesaitcommentlesfaireévoluerdefaçonincroyablementréaliste.Jen’endiraipasplus.Toutcequejepeuxdire,c’est :Lisez-les!Ilssonttousétonnants!»
—TheFirst100Pages
« Amanda Hocking a réussi à inventer une histoire unique dans ce genre désormais saturé de romans écrits autant par des auteurs
indépendantsquepardesvétérans.Déchirée,avecsonrythmeendiablé,vousaccrochedèslapremièrepage.»—Fiktshun
Copyright©2010AmandaHockingCopyrightpourUnjour:troispointsdevue(OneDay:ThreeWays)©2012AmandaHockingTitreoriginalanglais:TornCopyright©2013ÉditionsAdAInc.pourlatraductionfrançaiseCettepublicationestpubliéeenaccordavecSt.Martin’sPress,175FifthAvenue,NewYork,N.Y.10010.Tousdroitsréservés.Aucunepartiedecelivrenepeutêtrereproduitesousquelqueformequecesoitsanslapermissionécritedel’éditeur,saufdanslecasd’unecritiquelittéraire.Éditeur:FrançoisDoucetTraduction:AnneButcheretSophieBeaumeRévisionlinguistique:IsabelleVeilletteCorrectiond’épreuves:NancyCoulombe,CatherineVallée-DumasConceptiondelacouverture:MathieuC.DandurandMiseenpages:SylvieValoisISBNpapier978-2-89733-035-4ISBNPDF978-2-89683-973-5ISBNePub978-2-89683-974-2Premièreimpression:2013Dépôtlégal:2013BibliothèqueetArchivesnationalesduQuébecBibliothèqueNationaleduCanadaÉditionsAdAInc.1385,boul.Lionel-BouletVarennes,Québec,Canada,J3X1P7Téléphone:450-929-0296Télécopieur:[email protected]:ÉditionsAdAInc.France:D.G.DiffusionZ.I.desBogues
31750Escalquens—FranceTéléphone:05.61.00.09.99
Suisse:Transat—23.42.77.40Belgique:D.G.Diffusion—05.61.00.09.99ImpriméauCanada
ParticipationdelaSODEC.Nousreconnaissonsl’aidefinancièredugouvernementduCanadaparl’entremiseduFondsdulivreduCanada(FLC)pournosactivitésd’édition.
GouvernementduQuébec—Programmedecréditd’impôtpourl’éditiondelivres—GestionSODECCatalogageavantpublicationdeBibliothèqueetArchivesnationalesduQuébecetBibliothèqueetArchivesCanadaHocking,AmandaDéchirée(LatrilogiedesTrylles;2)Traductionde:Torn.Pourlesjeunesde13ansetplus.ISBN978-2-89733-035-4I.Beaume,Sophie,1968-.II.Titre.PZ23.H62Deb2013j813'.6C2013-940559-3
ConversionauformatePubpar:
www.laburbain.com
PourMichaelWincott—laplusgrossecanailledetouslestemps.
Déchirée
UNRetour
Quand Rhys et moi débarquâmes devant la maison demon « frère »,Matt, à huit heures, il étaitheureux… au sens où il était surtout content que je sois en vie et que je n’aie pas disparu pourtoujours.Bienquefurieux,ilécouta,ébahietencontenantsarage, lavagueexplicationquej’avaisinventée.Au moins, je n’eus affaire qu’à lui. TanteMaggie, ma tutrice légale, n’était pas là quand nous
arrivâmes,etMattmeditqu’elleétaitpartiemechercherdansl’Oregon.Allezsavoirpourquoielles’étaitimaginéquej’avaisfuilà-bas.Rhysetmoi,assissurlecanapédéfraîchidusalonentourédescaissesquin’avaienttoujourspasété
déballéesdepuisnotreemménagementdanscettemaisondeuxmoisplustôt,observionsMattarpenterlapiècedelongenlarge.—Jenecomprendstoujourspas,dit-ilens’arrêtantpournousregarder,lesbrascroisés.—Iln’yarienàcomprendre,insistai-jeendésignantRhys.C’esttonfrère!Etrienqu’àlevoir,ça
sembleassezévident.J’avaislescheveuxfoncésetdesyeuxacajou.MattetRhysavaienttouslesdeuxlescheveuxblonds
et des yeux bleu saphir. Leur expression avait quelque chose de bien plus ouvert, et tous deuxsouriaientfacilement.Commefrappédestupeur,RhyscontemplaitMattlesyeuxécarquillés.—Qu’est-cequitefaitcroireça?demandaMatt.—Jenevoispaspourquoitunemeferaispasconfiance.Jesoupiraienlaissantretombermatêtecontreledossierducanapé.—Jenet’aijamaismenti!— Tu as juste fugué ! Je n’avais pas la moindre idée de l’endroit où tu te trouvais. C’est une
trahisond’importance!LacolèredeMattnemasquaitpasladouleurqu’ilressentaitencore,etsonvisageportaitlestraces
desonstress.Ilavaitlestraitstirés,lesyeuxrouges,fatigués,hagards,etildevaitbienavoirperducinq kilos. Je suis sûre qu’il s’était complètement effondré après ma disparition. Je me sentaiscoupable,maisjen’avaispaseulechoix.Matts’étaittoujourstropinquiétédemasécurité,dommagecollatéralàlatentatived’assassinatsur
moiparsamèreet tout.Toutesavie tournaitautourdemapersonned’unefaçon, toutcomptefait,assezmalsaine.Iln’avaitniemploi,niamis,niviepersonnelle.—J’aiétéobligéedefuir!OK?Jepassailamaindansmesbouclesemmêléesetsecouailatête.—Jenepeuxpast’expliquerpourquoi.Jesuispartiepourmasécuritéetlatienne.Jenesuismême
passûrequejedevraisêtreiciaujourd’hui.— Sécurité ? Que fuyais-tu donc ? Où étais-tu passée ? interrogea désespérémentMatt pour la
énièmefois.—Jenepeuxpasteledire,Matt!J’aimeraisbien,maisjenepeuxpas.Jen’étaispascertained’êtrelégalementautoriséeàluiparlerdesTrylles.Jesupposaisquetoutce
quilesconcernaitdevaitrestersecret,mêmesipersonnenem’avaitexpressémentinterditdeparlerd’eux à des étrangers. Sachant queMatt ne me croirait pas de toute façon, je ne voyais pas bienl’intérêtdelemettreaucourant.— Tu es véritablement mon frère, dit Rhys à voix basse en se penchant en avant pour mieux
regarderMatt.Cequec’estbizarre.—Ouais,eneffet,accordaMatt,pourtantmismalàl’aiseparleregardinsistantdeRhys.Setournantversmoi,ilditd’untongrave:—Wendy,puis-jeteparler?Enprivé?—Biensûr.Jejetaiuncoupd’œilàRhys.Mecomprenant,Rhysselevaendemandantoùétaientlestoilettes.—Parlà,aprèslacuisine,réponditMattenpointantdudoigtversladroite.UnefoisRhysparti,Matts’assitfaceàmoisurlatablebasseetbaissalavoix.—Écoute,Wendy,jenecomprendsrienàcequisepasse.Jenesaispasjusqu’àquelpointtumedis
lavérité,maiscegarçonm’al’aircomplètementgivré.Jeneveuxpasdeluiàlamaisonetjenesaispascequiaputepasserparlatêtedevouloirl’amenerici.—Ilest tonfrère,dis-jeaveclassitude.Sérieusement,Matt, jamaisjenetementiraissurunsujet
aussiimportant.Jesuiscertaineàcentpourcentdecequej’avance.—Wendy…Mattsefrottalefrontensoupirant.—Jevoisbienquec’estceque tucrois.Maiscommentpeux-tuenêtresisûre?Jecroisquece
gaminteracontedeshistoires.—Non,pasdu tout.Rhysest lapersonne laplushonnêteque jeconnaisse,àpart toi.Cequiest
logique,puisquevousêtesfrères.JemepenchaidavantageversMatt.—S’ilteplaît.Donne-luiunechance.Tuverras.—Etsafamille?demandeMatt.Quil’aélevépendanttoutescesannées?Ilneleurmanquepas?
Sont-ilsaussita«vraie»famille,ouquelquechosedugenre?—Fais-moiconfiance,ilneleurmanquerapas.Etjetepréfèreàeux,dis-jeensouriant.Mattsecoualatêtecommes’ilnesavaitvraimentplusquepenser.Sachantqu’unegrandepartiede
lui refusait de faire confiance à Rhys et voulait le chasser de la maison, je n’en avais que plusd’admirationpoursaretenue.—J’auraisaiméquetusoishonnêteavecmoiàproposdetoutça,dit-il.—Jesuisaussihonnêteavectoiquejelepeux.Quand Rhys revint des toilettes, Matt s’éloigna un peu de moi et lui jeta un regard plein de
méfiance.—Tun’asdephotosdefamillenullepart,fitremarquerRhysenregardantautourdelui.C’étaitexact.Nousn’avionsaucunedécoration,rienquisoitaccrochéauxmurs,etnousnetenions
pas particulièrement à nous rappeler la famille.Matt, surtout, qui n’était pas exactement attaché ànotre…enfin,àsamère.
J’avaisdûexpliqueràRhysquesamère,dérangéementalement,étaitenferméedansunecliniquepsychiatrique.Cegenredechosesestdifficileàavoueràquelqu’un,enparticulieràungarçonaussiimpressionnablequeRhys.—Ouais,noussommescommeça,dis-jeenmelevant.Bon,nousavonsroulétoutelanuit.Jesuis
crevée.Pastoi,Rhys?—Euh,ouais,moiaussi.Rhys semblaunpeu surpris parma suggestion.Même s’il n’avait pasdormi, il n’avait pas l’air
fatiguédutout.—Nousdevrionsdormirunpeuetparlerensuite.—Oh.Mattseremitlentementdebout.—Vousallezdormiricitouslesdeux,c’estça?IlregardaRhysavecindécision,puissetournaversmoi.—Oui.Iln’aaucunautreendroitoùaller.—Ah.Matt semblait clairement contre cette idée, mais il savait aussi qu’en n’acceptant pas Rhys, il
risquaitquejepartisseaussi.—Rhys,tudormirasdansmachambrepourcettenuit.—Vraiment?RhysessayaitdedissimulersajoiedecrécherdanslachambredeMatt,maiselleétaitmanifeste.Matt nousmontra nos chambres, ce quime fit un drôle d’effet, car lamienne était toujoursma
chambre, avec toutesmes affaires, telles que je les avais abandonnées quelques semaines plus tôt.Pendant que je m’installais, j’entendais Matt et Rhys discuter de l’autre côté du couloir. RhysdemandaitàMattdeluiexpliquerdeschosesdesplusélémentaires,parexemple,commentallumerlalampedechevet,cequiagaçaitMattetlemettaitmalàl’aise.QuandMattmerejoignitdansmachambre,j’avaisdéjàenfilémonpyjama.Bienuséetconfortable,
jel’adorais.—Wendy,maisquesepasse-t-il?chuchotaMatt.Ilrefermalaportederrièreluietlaverrouilla,commesiRhysétaitunesorted’espion.—Quiestvraimentcegarçon?Oùes-tuallée?—Jenepeuxpas tedirecequis’estpassépendantque j’étaispartie.Nepourrais-tu tecontenter
d’êtresimplementheureuxquejesoisderetour,saineetsauve?—Non,jenecroispas,ditMattensecouantlatête.Cegaminestétrange.Ilal’airétonnépartout.—Ilestétonnépartoi,corrigeai-je.Tun’aspasidéeàquelpointcettehistoirepeutêtreexcitante
pourlui.—Toutcecin’aaucunsens.Mattsepassalamaindanslescheveux.— J’ai grand besoin de récupérer, et ce qui se passe est trop énorme pour toi, j’en conviens.
Pourquoi n’appellerais-tu pasMaggie pour lui dire que je vais bien ? Je souhaite dormir un peu.Pendantcetemps-là,turéfléchirasàtoutcequejet’aidit.
Mattlaissaéchapperunsoupirderésignation.—Bien,dit-il,avantquesesyeuxbleusneredevinssentdurs.Maisdetoncôté,essaiederéfléchirà
uneexplicationplausiblesurcequisepasseici.—D’accord.Jehaussailesépaules.Jepouvaisyréfléchir,maisjenelaluidonneraispas.LeregarddeMattseradoucit,sesépauless’affaissant.—Jesuisheureuxquetusoisderetour.Merendantcompteàquelpointtoutceciavaitététerriblepourlui,jecomprisquejenepourrais
plusjamaisdisparaîtrecommeça.Jefisquelquespasversluipourleprendredansmesbras.AprèsqueMattm’eutlaisséeseule,jemeglissaidansleconfortfamilierdupetitlitdemachambre.
ÀFörening,j’avaisdormidansunlittrèsgrandlitdeuxplacesgigantesque,etpourtant,jetrouvaismon lit étroitbienplusagréable. Jemepelotonnai sous lescouvertures, soulagéedeme retrouverenfindansunendroitsensé.Malgré l’adoration que Matt me portait, j’avais toujours eu le sentiment étrange que je
n’appartenaispasàcette famille.Mamèreavait faillime tuerquand j’avaissixans,prétendantquej’étaisunmonstreetquejenepouvaisêtresafille.Ils’étaitavéréqu’elleavaitraison.Unpeumoinsd’unmoisplustôt,j’avaisdécouvertquej’étaisunesubstituée:uneenfantéchangée
ensecretcontreunautre.Plusprécisément,j’avaisétééchangéeàlanaissanceavecungarçon,RhysDahl.J’avaiscomprisquej’étaistrylle.LesTryllessontenfaitdeséduisantsescrocs,dotésdelégerspouvoirsmagiques.Techniquement,j’étaisunetroll,maispasàlafaçond’unhorriblepetitmonstrevert.J’étaisplutôt
belleetdetaillenormale.Danslaculturetrylle,lacoutumedesubstitutionremonteàdessiècles.LaraisonpourlaquellelesTrylleslefontestqu’ilsveulentassurerlameilleureenfancepossibleàleurprogéniture.J’étaiscenséeêtreuneprincesse,àFörening,uneenclaveduMinnesotaoùviventlesTrylles.Ma
mère biologique, Elora, est reine des Trylles. Après avoir passé quelques semaines à Förening,j’avais décidé de revenir chez nous. Il y avait eu une scène entremoi etElora, qui refusait que jefréquenteFinnHolmessimplementparcequ’iln’étaitpasdesangroyal.Jem’étais alors échappée en emmenant Rhys. À Förening, Rhys avait fait preuve d’une sincère
gentillesse envers moi et il me semblait lui devoir quelque chose en retour. Je l’avais conduitjusqu’icipourqu’ilrencontreMatt,puisqu’ilétaitsonfrèreetnonlemien.Biensûr,jenepouvaispasracontertoutcelaàMatt.Ilm’auraitcruecomplètementfolle.Deplusenplusdétendue,jesavouraiscedélicieuxretouràlamaison.Ilnefallutpasplusdedix
minutesàRhyspourgâchercette sensationde réconfortquand ilpénétradansmachambre. J’étaispresqueendormieet legrincementde laportemefit reprendremesesprits.Commeje le luiavaissuggéré, Matt était descendu pour téléphoner, mais s’il apprenait que Rhys se trouvait dans machambre,ilnoustueraittouslesdeux.—Wendy?Tudors?murmuraRhysens’asseyantavecprécautionsurleborddulit.—Oui,marmottai-je.
—Désolé,maisjen’arrivepasàdormir,ajouta-t-il.Commentfais-tu,toi?—Toutcelan’estpasaussiexcitantpourmoi.J’aivécuiciavant,rappelle-toi.—Ouais,mais…Àcourtd’arguments,ilhésita.Soudain,ilseraiditetretintsonsouffle.—T’asentendu?—Cequetudisais?Oui,maisj’aimeraismieux…Avantd’avoirputerminermaphrase,j’entendisaussiquelquechose.Unbruit,commesiongrattait
àlafenêtredemachambre.Étantdonnéque jevenaisd’avoiruneprisedebecavecdevilains trolls connus sous lenomde
Vittras,jem’inquiétai.Jemeretournaipourregarderparlafenêtre,maislesrideauxétaienttirés.Legrattage se transformaenunevéritable frappe sur les carreaux, etmoncœur semit à battre.
Rhysmedécochaunregardcrispé.Nousentendîmeslafenêtres’ouvriretlesrideaux,soulevésparlevent,segonflèrent.
DEUXInterruptions
Ilpénétraavecélégancedans lapièce,commesi le faitd’entrerdansunechambreparune fenêtreétait une chose tout à fait naturelle. Ses cheveux noirs étaient lissés de manière impeccable versl’arrière et sa barbe naissante le rendait encore plus séduisant. Ses yeux, qui semblaient noirstellementilsétaientsombres,passèrentd’abordsurRhysavantdeseposersurmoi,aupointquej’enoubliaicomplètementderespirer.FinnHolmesvenaitdes’infiltrerdansmachambre.Comme d’habitude, même si j’étais si heureuse de le voir que j’en oubliai presque que j’étais
fâchéecontrelui,iltrouvaitlemoyendemestupéfier.Ladernièrefoisquej’avaisvuFinn,ilquittaitmachambredeFöreningaprèsunaccordpasséavec
mamère.Eloraluiavaitexpliquéqu’ilpouvaitpasserlanuitavecmoiavantdepartirpourtoujours.Nousnousétionsseulementembrassés,etFinnnem’avaitpasparlédesplansd’Elora,qu’ilvenait
d’accepter.Iln’avaitmêmepasprislapeinedemedireaurevoir.Ilnes’étaitpasopposéàEloraetn’avait pas décidé de s’enfuir avecmoi. Il s’était juste faufilé hors dema chambre, laissant Eloram’expliquerpourquoileschosess’étaientpasséesainsi.—Quefais-tulà?demandaRhys.Finndétachasesyeuxdemoipourleregarder.—Jesuisvenuechercherlaprincesse,évidemment,répliquaFinn,sansdissimulersonirritation.—Ahbon,mais…jecroyaisqu’Elorat’avaitassignéunautreposte,ditRhys,désarçonnéparla
fureurdeFinn.Ilbafouilla:— Je veux dire… enfin, c’est ce qui se disait à Förening… que tu n’étais plus autorisé dans
l’entouragedeWendy.Finn se raidit singulièrement en entendant les paroles de Rhys, lamâchoire tressaillant à peine.
Rhysbaissalesyeux.— C’est exact, admit Finn après un court instant de silence. Je m’apprêtais à partir quand j’ai
entendudirequevousaviezdisparuenpleinenuittouslesdeux.ElorasedemandantlequelseraitleplusapteàpisterWendy,j’aijugépréférablequecesoitmoi,surtoutaveclesVittrasàtestrousses.Rhysouvritlabouchepourprotester,maisFinnl’enempêcha.—ToutlemondesaitquetuasétéformidableavecWendyenlaprotégeantmagnifiquementaubal,
ajoutaFinn.Sijen’étaispasarrivé,tuseraissansdoutealléjusqu’àtefairetuerpourlasauver.—JesaisquelesVittrassontunemenace!répliquaRhys.Jesuisjuste…Noussommesvenusici
pour…Sentant sa confusion, je sautai du lit pour intercéder en faveur de Rhys, avant que celui-ci ne
comprîtcommentilavaitfinalementacceptédemesuivre,contresongré.CarlavéritéétaitqueRhysn’avaitpasvouluvenir.Mêmes’ilétaitdésireuxderencontrerMatt,inquietpourmasécurité,ilavaitrefusécatégoriquementquejequittelaprotectiondel’enclave.MalheureusementpourRhys,j’avaisusé de persuasion. Quand je regardais les gens en pensant à ce que je voulais obtenir d’eux, ils
finissaientparlefaire,qu’ilsleveuillentounon.C’étaitcommeçaquej’avaisconvaincuRhysdes’enfuiravecmoi,etilmefallaitdétournerunpeu
laconversationavantqu’ilnes’enrendîtcompte.—LesVittras ont perdu un grand nombre de pisteurs dans ce combat, lançai-je. Ils ne vont pas
recommencertoutdesuite.D’ailleurs,jesuissûrequ’ilsenontassezd’essayerdem’attraper.—C’est tout saufvraisemblable,ditFinn,quiplissa lesyeuxpour scruter l’étonnementdeRhys
avantdemejeterunregardnoir.Wendy,tutefichesvraimenttantqueçadetapropresécurité?—Jem’en inquiète probablement plusque toi, dis-je en croisant fermement les bras.Tupartais
pouruneautremission.Sij’avaisattenduunjourdeplus,tun’auraisjamaissuquej’étaispartie.—Toutcelaétait-ildestinéàattirermonattention?décochaFinnenfulminant.Jen’avaisjamaisvuFinnaussiencolèrecontremoi.—Combiendefoisfaudra-t-ilquejeteledise!Tuesuneprincesse!Jenesuisrien!Ilfautquetu
m’oublies!—Qu’est-cequisepasse?Mattappelaitdepuisl’escalier.S’ilarrivaitettrouvaitFinndansmachambre,çairaittrès,trèsmal.—Jevais…fairediversion.Rhysmeregardapours’assurerque j’étaisd’accord,etcommej’acquiesçai, ilouvrit laporteet
sortit.Jel’entendisdireàMattqu’iltrouvaitlamaisonsuperbe,puisleursvoixs’évanouirentaufuretàmesurequ’ilsdescendaientl’escalier.JereplaçaimesbouclesderrièremesoreillesenrefusantderegarderFinn.J’avaisdumalàcroire
que,ladernièrefoisquejel’avaisvu,ilm’avaitembrasséesipassionnémentquejepouvaisàpeinerespirer.Jemesouvinsdespoilsdrusdesabarbesurmesjouesetdeseslèvrescontrelesmiennes.Je le détestai soudain pour ce souvenir, comme je détestai avoir si terriblement envie de
l’embrasserànouveau.—Wendy,tun’espasensécuritéici,ditFinnposément.—Jenepartiraipasavectoi.—Tunepeuxpasrester.Jenelepermettraipas.—Tunemelepermettraspas?memoquai-je.Jesuislaprincesse,dois-jetelerappeler?Quies-tu
pour me permettre quoi que ce soit ? Tu n’es même plus mon pisteur. Tu n’es qu’un harceleurexaspérant.Celasonnaitbienplusdurquejenel’auraissouhaité.NonqueFinnsemblâtd’ailleursjamaisblessé
parcequejeluidisais;cettefoisencore,ilsecontentademedévisager,imperturbable.—Jesavaisquejeseraisleplusrapideàtetrouver,etsitunerentrespasavecmoi,çan’estpas
grave.Unautrepisteurarriveratrèsviteettupourraspartiraveclui.J’attendraisonarrivéeavectoiafind’assurertasécurité.—Ilnes’agitpasdetoi,Finn!Mêmes’ilavait jouéunplusgrandrôledansmadécisiondequitterFöreningquejenevoudrais
jamais l’admettre, je n’étais pas partie juste à cause de lui. Je détestais ma mère, mon rang, mamaison,tout.Jen’étaispasfaitepouruneviedeprincesse.Finnmeregardaunlongmoment,essayantdecomprendrecequejevoulaisdire.Jem’efforçaide
nepasparaîtremalàl’aisependantqu’ilmedévisageait.Sesyeuxs’assombrirentetsonexpressionsedurcit.—Est-ceàcausedumänsklig?medemanda-t-il,faisantallusionàRhys.Jecroyaist’avoirditde
nepastroplefréquenter.Lesmänskligsétaient lesenfantsdeshumainséchangéscontre lesbébés trylles. Ils campaientau
plusbasdelahiérarchietrylle,etsiuneprincesseétaitsoupçonnéed’avoirunerelationamoureuseavec l’und’eux, ilssevoyaient tousdeuxbannispour toujours.Celanem’inquiétaitguèrepuisquemessentimentsenversRhysétaientstrictementplatoniques.—Celan’arienàvoirnonplusavecRhys.Jemedisaissimplementqu’ilavaitpeut-êtreenviede
connaîtresafamille,dis-jeenhaussantlesépaules.CelanepeutpasêtrepirequedevivredanscettestupidebaraqueavecElora.—Bien.Danscecas, ilpeutrester ici,acquiesçaFinn.Quelqu’unveillerasurMattetRhys.Mais
toi,tudoisrentreràlamaison.—Cen’estpasmamaison.Mamaisonestici!m’écriai-jeenluimontrantlapiècedanslaquelle
nousnoustrouvions.Jeneviendraipas,Finn.—Tun’espasensécurité.Toutenbaissantlavoix,ilfitunpasversmoietmeregardadroitdanslesyeux.—Tuasvuceque lesVittrasont faitàFörening,Wendy. Ilsontenvoyéunearméeentièrepour
t’avoir.Ilposalesmainssurmesbrasetjeressentisunesensationdeforceetdechaleur.—Ilsnes’arrêterontpastantqu’ilsnet’aurontpaseue.—Pourquoi?Pourquoines’arrêteraient-ilspas?demandai-je.IldoitbienyavoirdesTryllesplus
facilesquemoiàenlever.Etqu’est-cequeçapeutfairequejesoisprincesse?Elorapeutparfaitementmeremplacer.Jesuissansintérêt.—Tuesbienpluspuissantequetunecrois.—Qu’est-cequecelaveutdire?Avantqu’ilnerépondît,unbruitretentit,enprovenancedupetittoitsituésousmafenêtre.Finnme
saisit par le bras etmemontra la porte de la penderie oùme cacher. D’unemanière générale, jen’aimaispasdutoutmeretrouverdansunplacardetqu’onmefermelaporteaunez,maisjesavaisqu’illefaisaitpourmeprotéger.J’entrouvris un peu la porte pour voir ce qui se passait et intervenir en cas de besoin. Bien
qu’énervéecontreFinn,jamaisjen’auraisacceptéqu’ilfûtànouveaublesséàcausedemoi.Finnse tenaitàquelquespasde la fenêtre, le regardbouillonnantet lesépaules redressées.Mais
quandlasilhouetteapparutdansl’encadrementdelafenêtre,ilsemitàricaner.Le gamin qui surgit en trébuchant sur le rebord de la fenêtre portait des jeans serrés et des
chaussuresviolettesauxlacetsdéfaits.Finn,bienplusgrand,letoisaitd’unairplutôtlas.—Hé,qu’est-cequetufaislà?demandalegarçonenrepoussantlamèchequiluitombaitsurles
yeux.Iltirasursonmanteau,quiluiallaittrèsmal.Ferméjusqu’aucou,lemanteauluiarrivaitàlataille,
sibienquelorsqu’ilsebaissaitoubougeait,ilremontait.
—Jesuisvenuechercherlaprincesse.Ettoi,ilst’ontenvoyélapister?Finnhaussaunsourcil.—Eloraavraimentcruquetupourraislaramener?—Ouais,jesuisunbonpisteur.J’aidéjàrécupérébeaucoupplusdemondequetoi.—Ça,c’estjusteparcequetuasseptansdeplusquemoi,rétorquaFinn.Cegarçonmaladroit,âgédevingt-septans,paraissaitbienplusjeunequeFinn.—Ons’enfout.Eloram’achoisi.Fais-toiuneraison.Legarçonsecoualatête.—Tuesjaloux,ouquoi?—Nesoispasridicule.—Oùestlaprincesse,alors?Ilparcourutlachambreduregard.—Elles’estenfuiepourça?— C’est ma chambre, dis-je en sortant brusquement du placard, ce qui fit tressaillir le pisteur.
Inutiled’êtreaussiméprisant.—Hum,pardon,balbutia-t-ilenrougissant.Mesexcuses,princesse.Ilmefitunsouriremalassuré,suivid’unepetitecourbette.—DuncanJanssen,àvotreservice.—Jenesuisplusprincesseetjeneviendraipasavectoi.Jeviensjustedel’expliqueràFinn.—Quoi?DuncanregardaFinnavechésitationentirantànouveausursonmanteau.Finns’assitsurlebordde
monlitsansriendire.—Princesse,ilfautquevousveniez,vousn’êtespasensécuritéici.—Jem’enfiche,affirmai-jeenhaussantlesépaules.Jepréfèreprendrelerisque.—Çan’estquandmêmepassimalqueçaaupalais?Duncanétaitlapremièrepersonnequej’entendaisappelerlamaisond’Eloraaussispontanémentun
palais,mêmesil’onpouvaitadmettreeneffetquec’enétaitun.—Vousêteslaprincesse.Vousaveztout.—Jenevienspas.TudirasàEloraquetuasfaitdetonmieux,maisquej’airefusé.Unefoisdeplus,DuncanimploraFinnduregard.Cedernierhaussalesépaules,etcettesoudaine
indifférencedesapartmesurprit.Jem’étaisaffirmée,maisnem’attendaispasàcequ’ilm’écoutât.—Ellenepeutraisonnablementpasresterici,ditDuncan.—Ettucroisquejenesuispasd’accordavectoi?Finnhaussaunsourcil.—Tunesemblespastemontrertrèscoopératif.Duncantripotaitsonmanteauens’efforçantdefixerFinnpourluifairebaisserlesyeux,tentative
qui,jelesavais,seraitvouéeàl’échec.—Quecrois-tuquejevaispouvoir luidiredeplusquecequejeluiaidéjàdit?demandaFinn,
l’airétrangementimpuissant.—Serais-tuentraindem’expliquerquenousn’avonsqu’àlalaisserici?
—Jesuislà,aucasoùvousnel’auriezpasremarqué,dis-je.Etjen’aimepasqu’onparledemoicommesijen’étaispaslà.—Sielleveutrester,ehbienqu’ellereste,ditFinnencontinuantdem’ignorer.Duncan,enrevanche,meregarda.—Nousn’allonspasl’enlever,etendehorsdeça,ilresteassezpeudechoix.—Nepeux-tupas…Duncanbaissalavoixenjouantaveclafermetureàglissièredesonmanteau.—…laconvaincred’unecertainefaçon,situvoiscequejeveuxdire?Larumeurdel’affectionqueFinnavaitpourmoiavaitdûserépandredansleterritoire.Blessée,je
refusaiquemessentimentssoientutiliséscontremoi.—Riennemeconvaincra,lançai-je.—Tuvois?Finnagitaitledoigtversmoi.Ilselevaensoupirant.—Nousferionsmieuxd’yaller.—Vraiment?Jeneparvinspasàdissimulermasurprise.—Ouais.Vraiment?renvoyaDuncanenécho.—Tuasditqueriendecequejepourraisfairenesauraitteconvaincre,c’estbiença?Finn se tourna versmoi. Sa voix était pleine d’espoir,mais ses yeuxme narguaient presque. Je
secouailatêtesanshésiter.—Bon,danscecas,iln’yaplusrienàdire.—Finn…Duncanessayadeprotester,maisFinnlevalamain.—C’estlavolontédelaprincesse.DuncandévisageaitFinnsansycroire,imaginantpeut-êtrecommemoiqu’ils’agissaitd’unesorte
de manœuvre de sa part. Quelque chose devait m’échapper, parce qu’il était évident que Finn nem’aurait jamais laissée.Biensûr, il l’avait faitquelques joursplus tôt,maisc’étaitquand ilpensaitquepartirétaitcequ’ilpouvaitfairedemieuxpourmoi.—Mais,Finn…DuncanessayaencoredeconvaincreFinn,quil’arrêtad’ungeste.—Nousdevonspartir.Son«frère»vafinirparnousrepérer,ditFinn.Jefixaiduregardlaporteduplacarddemachambre,commesiMattavaitpus’ytrouvertapi.La
dernièrefoisqueMattetFinnavaienteuuneprisedebec,celas’étaitmalpassé,etjen’avaisaucuneenviequecelasereproduisît.—Bon,mais…Duncans’interrompit,serendantcompteunpeutardqu’ilnedisposaitd’aucunemenacecontrel’un
oul’autred’entrenous.Ilmefitunenouvellebrèverévérence.—Princesse.Jesuissûrquenousnousreverrons.Jehaussailesépaules.
—Onverra.Duncans’élançapourfranchirlafenêtredemachambreets’affalapratiquementsurletoit.Puis,il
sauta, s’écroulant à moitié au sol. Inquiet, Finn l’observa pendant un moment en tenant le rideauouvertd’unemain.Maisilnelesuivitpasimmédiatement.À la place, il se redressa pourme regarder.Ma colère etmes résolutions fondaient,me faisant
seulementespérerqueFinnn’allaitpasvraimentlaisserleschosesainsi.—Unefoisquej’auraifranchicettefenêtre,verrouille-laderrièremoi,ordonnaFinn.Assure-toi
quelesportessontbienverrouilléesetnelaisseentrerpersonne.Nevanullepartaprèslatombéedujouret,chaquefoisquetupeux,fais-toiaccompagnerparMattetRhys.Leregarddanslevide,ilsemblaitpenseràautrechose.—Mêmes’ilsnesontdansl’ensemblepasbonsàgrand-chose…Sesyeuxnoirssereposèrentsurlesmiens.Sonexpressionétaitpresqueimplorante.Illevalamain,
commes’ilallaitmetoucherlevisage,puislalaissaretomber.—Tudoisêtreprudente.—D’accord,promis-je.Comme il se tenait droit devant moi, je pouvais sentir la chaleur de son corps et son eau de
Cologne.Sesyeuxrivésauxmiens,jemesouvenaisdumomentoùilavaitentortillésesdoigtsdansmescheveuxetm’avaitattiréecontrelui,siprèsetsifortquejenepouvaisplusrespirer.Il était sipuissant etmaîtrede lui.Les rares foisoù il s’était laisséaller à sapassionpourmoi,
j’avaisconnulessensationslesplussuffocantesetmerveilleusesdemavie.Jenedésiraispasqu’ilpartîtetilnelesouhaitaitpasnonplus.Pourtant,nousavionstousdeuxfait
deschoixquenousnepouvionschanger.Ilhochaencoreunefoislatête,détournalesyeuxetfinitparenjamberl’appuidelafenêtre.Duncanl’attendaitprèsdel’arbreaupiedduquelFinnselaissalestementtomber.Delafenêtre,je
visFinnpresserlegarçon,quihésitait.Quandilspassèrentlelongdeshaiesquiséparaientnotrepelousedecelledesvoisins,jevisFinn
inspecter et vérifier qu’il n’y avait personne dans le secteur. Sans me lancer un seul coup d’œil,Duncanetluitournèrentlecoindelarueetdisparurent.Je fermai la fenêtreen laverrouillant soigneusementcomme ilme l’avaitdemandé.Le regarder
partir ainsi provoqua enmoi une terrible douleur.Même si ce n’était pas la première fois, je neparvenaispasàmefaireàl’idéedelevoirs’enaller,surtoutaprèsqu’ileutpersuadéDuncandemelaisser.S’ilcraignaittantqueçauneattaquevittra,pourquoimelaissait-ilainsisansprotection?Etpuistoutàcoup,celam’apparutclairement.Quellequ’eûtétémavolontéoucelledequiconque,
Finnnem’avait jamais laisséesansprotection.Quandilavaitcomprisque jeneviendraispasaveclui,iln’avaitpasvouluperdredetempsàparlementer.Ilattendraitdansl’ombrequejechanged’avisou…Jerefermaisoigneusement lesrideaux.Étrangementréconfortéeà lapenséequeFinnveillaitsur
moi,jedétestaisenmêmetempsêtreépiée.Mafenêtreétaitrestéeouvertesilongtempsqu’ilyfaisaitfroid,etjemedirigeaiversleplacardpouryprendreungroschandail.L’adrénalinequim’avaitenvahieaprèsavoirrevuFinnmetenaitéveillée,maisj’avaishâtedeme
blottirdansmonlitmêmesijeseraisincapablededormir.Je m’installai donc dans mon lit, m’efforçant vainement de ne plus penser à Finn. Au bout de
quelques instants, j’entendisuncoupbruyantenprovenancedurez-de-chaussée.Mattpoussaun criquifutviteétouffé,etlamaisonsereplongeadansunprofondsilence.Jebondisjusqu’àlaportedemachambreetl’ouvrisentremblant,espérantqueFinnavaitessayéde
s’infiltrerparl’arrièreetqu’ilavaiteuunealtercationavecMatt.Puis,j’entendisRhyshurler.
TROISInsensible
Rhyssetutsoudainement.J’eusàpeineletempsdemettreunpiedhorsdemachambrequej’entendisdespasdansl’escalier,etavantquej’eusseletempsderéagir,elleétaitlà.Kyra, une pisteuse vittra à qui j’avais déjà eu affaire, apparut sur le palier. Ses cheveux ébène
étaientcoupésàlagarçonneetelleportaitunlongmanteauencuirnoir.Agrippéeàlarambarde,ellese tenait accroupie. Dès qu’elle me vit, elle ricana, montrant plus de dents que ne le pourraitn’importequelêtrehumain.Jemeprécipitaisurelleencomptantsurl’effetdesurprise,maisjen’euspasdechance.Ellem’esquiva avant que je ne l’atteignisse etme lança un vif coup de pied dans l’abdomen. Je
trébuchaienarrièreenmetenantleventre,etquandellerevintversmoi,jelafrappaiauvisage.Imperturbable,Kyrasejetasurmoienmeretournantlecoup,bienplusfort.Jem’écroulaietelle
setintau-dessusdemoiensouriant,dusangdégouttantdesonnez.J’essayaidemeredresserpéniblement,maisellem’attrapaparlescheveuxenmesecouant.Jelui
décochaiuncoupdepiedpendantqu’ellemesoulevait,maisellemelerenditdanslescôtes,sifortquejehurlai.Elleritdesonboncoupetrecommença.Cettefois, jevis toutennoiretmavuesebrouillapendantunmoment.Àmoitié inconsciente, je
n’entendaisplustrèsbien.—Arrête!s’exclamaunevoixpuissante.À traversmesyeuxbouffis, jevisunhommemonter l’escalier encourantendirectiondeKyra.
Sous son chandail noir, il semblait plutôt grand etmusclé.Et quand il atteignit le palier,Kyramelâcha.—Allez,Loki,jeneluifaispasvraimentmal,ditKyra,savoixàlalimitedugémissement.Bienquecomplètementétourdie,j’essayaidemerelever,maisellemerefilauncoupdepiedqui
m’étenditàterre.—Çasuffit,éructa-t-il.Ellefitunpasenarrièreengrimaçant.Il se tint un instant au-dessus demoi, puis s’agenouilla. J’aurais pu le repousser etm’échapper,
maisjenemeseraispasrendueloin.Ilpenchalatête,medévisageantaveccuriosité.—Alors,c’estàcausedetoitoutceboucan?dit-ilcommepourlui-même.Ilapprochaetpritmatêtedanssesmains,sansmefairemal,maisenmeforçantàleregarder.Ses
yeuxcouleurcaramelmefixaient.Jevoulusdétournerleregard,maisn’yparvinspas.Undrôledebrouillardm’entourait,etbienquetoujoursterrifiée,jesentismoncorpsserelâcheret
moncerveauperdretoutevelléitédelutter.Mespaupièresétaienttroplourdespourquejeparvinsseàlesgarderouverteset,incapablederésisterdavantage,jem’endormis.Jerêvaid’eau,maisimpossibledemesouvenird’unechoseplusprécise.Moncorpsétaitglacéet
j’auraisdûtremblerdefroid,maiscen’étaitpaslecas.Pourtant,mesjoueschaudesreposaientsurquelquechosededoux.—Tuveuxdirequ’elleestprincesse?demandaMatt,savoixfaisantl’effetd’ungrondementsourd
au-dessusdemoi.Matêtereposaitsursajambe,etplusjem’éveillais,plusjemerendaiscomptequemoncorpsme
faisaithorriblementmal.—Cen’estpourtantpasdifficileàcroire,enfait,ditRhys.Savoixsemblaitvenirdel’autreboutdelapièce.— Une fois que tu as pigé toute l’affaire trylle, la partie princesse n’est vraiment pas très
compliquée.—Jenesaispluscequejedoiscroire,admitMatt.J’ouvris les yeux avec peine.Mes paupièresme semblaient effroyablement lourdes, etmonœil
gauche, tout gonflé, me rappela l’endroit où Kyram’avait fichu un coup. La pièce tanguait, et jeclignaiplusieursfoisdesyeuxpouressayerdelarendrenette.Mavisionfinalementéclaircie,jenecomprispaspourautantcequejedistinguais.Lesolétaiten
terrebattueetlesmurs,enpierresbrunesetgrises,avaientl’airhumidesetendommagés.L’ensembleressemblaitàunvieuxsous-sol…ouàuncachot.Rhys,levisagetuméfié,faisaitlescentpasàl’autreboutdelapièce.Jetentaidem’asseoir,mais
toutmoncorpsmefaisaitmaletmatêtetournait.—Hé,doucement,ditMattenposantlesmainssurmesépaules,maisjenel’écoutaipas.Jeme redressai et m’assis, ce qui demanda un effort bien plus considérable qu’à l’habitude. Je
grimaçaienm’appuyantaumursituéàcôtédenous.—Tuesréveillée!lâchaRhysensouriant.C’était probablement la seule personne aumonde capable d’avoir l’air heureux dans ce type de
circonstance.—Comment te sens-tu ? demandaMatt, qui n’avait pas de bleus visibles,mais il était vrai qu’il
savaitmieuxsebattrequeRhysetmoi.—Super.Jementaiscommeunarracheurdedents.J’avaismalrienquederespirer.Étantdonnéladouleur
cinglantequejeressentaisàlahauteurdemondiaphragme,jedevaisavoiraumoinsunecôtebrisée,maisjenevoulaispasinquiéterMatt.—Quesepasse-t-il?Oùsommes-nous?—J’espéraisquetum’éclaireraissurcepoint,ditMatt.—Jeleluiaidéjàdit,maisilneveutpasmecroire,ditRhys— Où sommes-nous, alors ? demandai-je à Rhys, tandis que Matt haussait les épaules en
grommelant.—Jen’en suispascertain,mais jecroisquenous sommesaupalaisvittraàOndarike, répondit
Rhys.—Ondarike?—Lacapitalevittra,expliquaRhys.Maisjenesaispasexactementàquelledistanceellesetrouve
deFörening.—C’estbiencequ’ilmesemblait,soupirai-je.J’aireconnulaVittraquiaattaquélamaison.Kyraa
déjàessayédem’attraper.
—Quoi?Matt,incrédule,écarquillalesyeux.—Cesgenst’avaientdéjàpoursuivie?—Oui,c’estpourçaquej’aidûpartir.Jerefermailesyeuxparcequ’ilmefaisaittropmaldelesgarderouverts.Lesolsedérobaitsous
mespieds.—Jetel’avaisbiendit,lançaRhysàMatt.Jenemenspassurcestrucs-là.Aprèstoutcequenous
venonsdesubir,j’imaginaisquetum’auraisdonnéunechance.—Rhysnementpas,dis-jeengrimaçant.Ilm’étaitdeplusenplusdifficilederespireretjenepouvaisplusinspirerqueparpetitesbouffées,
cequinefaisaitquem’étourdirdavantage.—Ilensaitbienplussurtoutceciquemoi.Jen’ysuispasrestéeassezlongtemps.—PourquoicesVittrassont-ilsaprèstoi?questionnaMatt.Queteveulent-ils?Jemecontentaidesecouerlatêtepournepasprendreànouveaulerisquedesouffrirenparlant.—Jenesaispas,réponditRhysàmaplace.Jenelesaijamaisvuss’acharnerautantsurquelqu’un.
Maisbon,c’estlapremièreprincessequejecôtoie,etilsontdesprédictionssursoncomptedepuisdéjàlongtemps.J’avaistoujoursvoulusavoircequ’étaientcesfameusesprédictions,maiscommetoutlemondene
medonnaitquedes réponsesvaguesàcesujet, toutceque jesavais,c’étaitqu’un jour, j’auraisdupouvoir.Enattendant,etsurtoutàcetinstantprécis,jenemesentaispaspuissantedutout.Parlermefaisaitsouffriretj’étaisenferméedansuncachot.Etpourcouronner le tout,nonseulement jen’avaispasréussiàmesauver,maisenplus, j’avais
entraînéRhysetMattdanscetraquenardavecmoi.—Wendy,çava?s’enquitMatt.—Oui,mentis-je.—Çan’apasl’airdebienaller,ditRhys.—Tuasperdutoutestescouleursettuarrivesàpeineàrespirer,ajoutaMatt.Jel’entendisseleverprèsdemoi.—Iltefautunmédecin,ouquelquechose.—Quefais-tu?luidemandaRhys.J’ouvrislesyeuxpourvoircequeMattcomptaitfaire.Sonplanétaitsimpleetévident.Ilsedirigea
verslaporteverrouilléepourcognerdessus.—Ausecours!Ilyaquelqu’un?Wendyabesoind’unmédecin!—Qu’est-cequitefaitcroirequ’ilsaurontenviedel’aider?demandaRhys,enéchoàmespropres
pensées.Kyran’avaitpashésitéàmeblesserfurieusementquandellem’avaitattrapée.—S’ilsnel’ontpasencoretuée,c’estqu’ilsneveulentpasqu’ellemeure.Matt,quiavaitcessédetapersurlaporteletempsderépondreàRhys,s’yremitaussitôt,enhurlant
àl’aide.Lesondecevacarmerésonnaitdanslapièceaupointquejenepouvaispluslesupporter.Matête
cognaitdéjàsuffisamment.J’étaissurlepointdedemanderàMattd’arrêterquandlaportes’ouvrit.C’eûtétélemomentidéalpourRhysetMattdecontre-attaquer,maiscelaneleurvintpasàl’esprit.
Ilss’écartèrentjustedelaporte.LeVittraquim’avaitplongéedanslesvapesetquej’avaisvuàlamaisonentradanslapièce,etje
me souvins vaguement queKyra l’avait appelé Loki. Ses cheveux ébouriffésme semblaient d’uneclartésurprenantepourunVittra,presqueblonds.Àcôtédeluimarchaituntroll,quiressemblaitàunvéritabletroll;toutpetit,commeungnome,
maisd’apparencehumaine, avecunepeaugluante et brune. Il portait un chapeau, et des touffesdecheveuxgrisâtress’enéchappaientsurlescôtés.Bienqu’ilarrivâtàpeineàlahauteurdeshanchesdeLoki,lefaitqu’ilfutunvéritabletrolllerendait,d’unecertainefaçon,encoreplusintimidant.RhysetMattdévisageaientlegnome,bouchebée,etj’enauraiscertainementfaitautantsij’enavais
étécapable.Maisjepouvaisàpeinegarderlatêtelevée.—Tudisquelafilleabesoind’unmédecin?demandaLoki,lesyeuxposéssurmoi.Ilmeregardaitaveclamêmelégèrecuriositéqu’auparavant.—C’estKyraquiafaitça?demandalegnomed’unevoixexceptionnellementgravepourunetelle
créature.Il regardait Loki pour obtenir une confirmation, secouant la tête à la vue des blessures qu’elle
m’avaitinfligées.—Ilvafalloirlatenirenlaisse.—JecroisqueWendynepeutplusrespirer,ditMatt,dontlestraitssedurcissaienttantilseretenait.J’étaispersuadéequeseulmonétatl’empêchaitdesautersurLoki.S’illesblessait,ilsneseraient
plusenmesuredem’aider.—Bon,jevaisvoirça,ditLokienapprochantdemoid’unpasfermeetdécidé.Legnomerestaprèsde laportepourempêcherMattetRhysde tenterquoiquecesoit,mais ils
étaientbientroppréoccupésparmonétatpourenvisagerlamoindrefuite.Lokis’agenouilladevantmoietm’observaavecquelquechosequi ressemblaitàde l’inquiétude.
J’avaistropmalpourêtreeffrayée,maisjecroisquejen’auraispaseupeurdelui,detoutefaçon.Ilétaitphysiquementbienplusfortquemoi,aveccetteétrangecapacitéàm’étourdir,peut-êtremêmeplusqueça,maissanssavoirpourquoi,j’étaispersuadéequ’ilm’aiderait.—Qu’est-cequifaitmal?medemanda-t-il.—Ellepeutàpeinerespirer,alorspourcequiestdeparler!décochaMatt.Illuifautunmédecin
sur-le-champ.LokilevalamainpourfairetaireMatt,quisoupiralourdement.—Peux-tuparler?Lokicontinuaitdemedévisager.Quand j’ouvris la bouche, au lieu de parler, une fulgurante quinte de toux s’empara demoi. Je
fermailesyeuxenessayantdeluttercontreelle,maisjetoussaisifortquedeslarmescoulèrentsurmes joues. Puis, je sentis quelque chose d’humide. J’ouvris les yeux, le temps d’apercevoir destraînées rouges étalées sur mes jambes et les pieds de Loki. Je crachais du sang sans pouvoirm’arrêter.
—Ludlow!criaLokiens’adressantaugnome.VachercherSara!Vite!
QUATREVitriol
Loki s’accroupit devant moi en écartant Matt. Il devait se douter que Matt voudrait me tenir et,craignantuneruptureinterne,ilnevoulaitpasqu’onmebougeât.Mattprotestaavecvéhémence,maisLokicontinuad’expliquerquetoutiraitbien.Quelquesinstantsplustard,unefemmeapparut.Elleportaitdelongscheveuxnoirsrassemblésen
queuedechevalets’agenouillaàmescôtésenpoussantLoki.SesyeuxétaientpresqueaussinoirsqueceuxdeFinn,etj’ytrouvaisuncertainréconfort.—Jem’appelleSaraetjevaist’aider.Elleappuyafortementsamainsurmonventre,cequimefitgrimacer.J’avais si mal que je voulais hurler. Mais bientôt, la douleur diminua. Un picotement bizarre,
comme un engourdissement, me parcourut le corps, et il ne me fallut pas longtemps pour mesouvenirdel’endroitoùj’avaiséprouvécettesensation.—Vousêtesuneguérisseuse,murmurai-je,unpeusurprisequ’ellefûtentraindem’aider.Ladouleurdansmapoitrineetmonestomacavaitdisparu.Ellemitsamainsurmonvisagepour
faireégalementdisparaîtrel’œiltuméfié.—As-tumalailleurs?medemandaSarasanstenircomptedemaremarque.Elle avait l’air épuisée, effet secondaire de la pratique de guérison mais, outre cela, elle était
incroyablementbelle.—Jenecroispas.Jem’assisavecunelégèresensationdeflottementquifinitpardisparaître.— Kyra a sérieusement dépassé les bornes, dit Sara, comme pour elle-même. Comment vas-tu
maintenant?—Çava,affirmai-jeenhochantlatête.—Parfait.SaraselevaetfitfaceàLoki.—Ilfaudraquetumaîtrisestespisteursunpeumieux,dorénavant.—Ilsnesontpasmespisteurs,réponditLokiencroisantlesbras.Siquelquechosenevapasavec
lafaçondontilsfontleurboulot,voisçaavectonmari.—Jesuiscertainequemonmarin’aimeraitpasdutoutlamanièredontcettesituationaétégérée.Saraluijetaunregardsévère,maisilnepliapas.—Jetefaisaisunefaveur,réponditLokiposément.Etsijen’avaispasétélà,celaauraitétébien
pire.—Jenetienspasàparlerdeçamaintenant.Ellemejetauncoupd’œiletsortitdelapièce.—Ceseratout?nousdemandaLokiaprèssondépart.—Tuveuxrire.Matt,assisjusque-làsansbroncheràcôtédemoi,selevabrusquement.—Qu’est-cequevousattendezdenous?Vousn’avezpasledroitdenousretenirici!
—Jeprendscelapourunoui.Lokimesourit,leregardabsent,etseretournapours’enaller.Mattessayadeluicouriraprès,maisLoki,déjàdehors,luiclaqualaporteaunez.Onentenditun
cliquetisdistinctifquandleverroufutfermé,etMatts’affalacontrelaporte.—Qu’est-cequisepasseici?hurlaMattentournantversmoi.Etcommentsefait-ilquetunesois
plusentraindemourir?—Tupréféreraismevoircrever?Jeredescendislesmanchesdemonchandailpourm’essuyerlevisageetôterlestachesdesang.—JepourraisfairevenirKyrapourqu’ellefinisseleboulot.—Nesoispasridicule.Mattsepassalamainsurlefront.—Jeveuxsavoircequisepasse.J’ail’impressiondenagerenpleincauchemar.—Net’enfaispas,çafinirapars’arranger,luidis-jeenmetournantversRhys.Disdonc,c’était
quoicedrôledegnome?Unvéritabletroll?—Jen’ensaisrien,réponditRhysensecouantlatête,àpeuprèsaussisurprisquemoi.Jen’enai
jamaisvuavant,maistusaisaussiqu’onessaietoujoursdefaireensortequelesmänksnesoientaucourantderien.—Jenesavaispasqu’ilexistaitdevraistrolls,dis-je.JefronçailefrontenessayantdemesouvenirdecequeFinnavaitpumeraconteràleursujet.—Jepensaisqu’ilnes’agissaitqued’unmythe.—Vraiment?medemandaMatt.Aprèstoutcequivientdesepasser?Tuchoisisdecroireenla
mythologiequitesemblelaplusplausible?—Jenechoisisriendutout,déclarai-jeenmelevant.Je me sentais meurtrie et pleine de bleus, mais c’était à des années-lumière de ce que j’avais
ressentienmeréveillant.—Jecroiscequejevois.Etça,jenel’aijamaisvuavant.C’esttout.—Tuvasbien?Mattm’observaitboiterautourdelapièce.—Ilfaudraitpeut-êtrequetufassesattention.—Non,çava.Jelerepoussai.Jevoulaissurtoutcomprendreoùnousétionsetvoirs’iln’yavaitpasmoyende
sortirdecetendroit.—Noussommesarrivésicicomment?—Ilssontentrésdanslamaisonpareffractionetnousontattaqués.Mattgesticulaitenmontrantlaporte,histoirededésignerLokietKyra.—Cetypearéussiànousendormirjenesaiscomment,etpourfinir,nousnoussommesretrouvés
ici.Nousnenoussommesréveillésquetrèspeudetempsavanttoi.—Épatant.Jepressaimespaumesdemainscontrelaporteetpoussaifort,commesielleallaits’ouvrir.Cene
futpaslecas,maisjedevaisessayer.
—Hé,oùestFinn?demandaRhys, faisantéchoàdesquestionsque jecommençaisàmeposer.Pourquoines’est-ilpasopposéàtoutça?—Qu’est-cequeFinnaàvoirlà-dedans?interrogeaMattavecuntonpourlemoinssarcastique.—Rien.Maisilsetrouvequec’étaitmonpisteur.Unesortedegardeducorpssituveux.Tout en faisant unpas en arrière, je continuai de fixer du regard cette porte que je voulais voir
s’ouvrir.—Ilaessayédemeprotégercontretoutça.—C’estpourçaquetuespartieaveclui?s’enquitMatt.Parcequ’ilteprotégeait?—Situveux,soupirai-je.—Oùest-il?répétaRhys.Jecroyaisqu’ilétaitavectoiquandlesVittrassontarrivés.FurieuxenentendantqueFinns’étaitdenouveautrouvédansmachambre,Mattsemitàrâler.Je
l’ignorai.Jen’avaisaucuneenviedemebagarreravecluiàproposdepropriétéoudesessentimentsenversFinn.—Finnétaitdéjàpartiquandilssontentrés,ajoutai-jeaprèsqueMatteutterminésatirade.Jene
saispasoùilpeutsetrouveractuellement.Jenevoulaispas l’admettre,mais je trouvais toutdemêmeétonnantqueFinnm’eût laisséesans
protection.Peut-êtreétait-ilpartipourdebon.J’avaispenséque toutcecin’étaitquedubluffdesapart,maiss’ilétaitvraimentrestédanslesecteur,ilm’auraitprotégéeaumomentdel’attaque.Àmoinsquequelquechoseneluisoitarrivé.LesVittraspouvaientl’avoircapturéavantdesejeter
surmoi.Mêmes’ilnetenaitpasassezàmoi,ilprenaitsondevoirtellementàcœurques’ilnem’avaitpasprotégée,c’étaitqu’ilnelepouvaitpas.—Wendy?demandaRhys.IlmesemblequeRhysavaitparléauparavant,maistropoccupéeàpenseràFinnenregardantcette
fichueporte,jen’avaisrienentendudecequ’ildisait.—Ilfautquenoussortionsd’ici,dis-jeenmetournantversMattetRhys.—Évidemment,soupiraMatt.—J’aiuneidée.Jememordislalèvreavantdecontinuer.—Même si ce n’est pas lameilleure.Quand ils reviendront, j’userai de persuasion. Je peux les
convaincredenouslaisserpartir.—Tucroisvraimentqu’elleseraassezpuissante?Rhysdittouthautcequi,précisément,m’inquiétait.Jusqu’ici, je n’avais usédepersuasionque sur deshumains sansméfiance commeMatt etRhys,
maisFinnm’avaitexpliquéque,sansentraînement,mesdonsneseraientpasaussifortsquesouhaité.N’ayant pas encore commencé l’entraînement à Förening, je n’avais pas une idée exacte de mapuissance.—Honnêtement,jenesaispas,dus-jeadmettre.—Lapersuasion?MatthaussaunsourcilenobservantRhys.—Est-ce la chose dont tum’as parlé ? Ce trucmagique qu’elle est censée savoir faire sur les
esprits?RhysopinaetMattlevalesyeuxauciel.—Jenesuispascenséesavoirlefaire,objectai-jefaceauscepticismedeMatt.Jesaislefaireetl’ai
déjàfait.—Quand?interrogea-t-il,dubitatif.— Comment crois-tu que je t’ai convaincu de m’emmener voir Kim ? lui demandai-je, faisant
allusion à la fois où il m’avait conduite voir sa mère, ma mère « d’accueil », à la cliniquepsychiatrique.Illadétestaitetnevoulaitenaucuncasquejelarevoie.Toutenculpabilisantterriblement,j’avais
utilisésurluilapersuasion,cariln’yavaitpasd’autremoyenpourmoid’allervoirmamèrepourluiparler.—Tuasfaitça?Lechocdelasurpriseetladouleurfutinstantanémentremplacéenluipardelacolère.Onaurait
ditqu’ilvenaitd’êtregiflé.Jebaissailesyeuxetmedétournai.—Tum’aspiégé?Commentas-tupu,Wendy?Tum’astoujoursditquetunemementiraisjamais
ettumefaisuncouppareil!—Cen’étaitpasunmensonge,répondis-jehonteusement.—Non,c’estpire!Matts’éloignaensecouant la tête,commes’ilnepouvaitsupporter lesimplefaitdese trouverà
mescôtés.—Jenepeuxpascroirequetuaiesfaitça.Combiendefoisl’as-tufait?—Jenesaispas,admis-je.Jen’aipassupendantlongtempsquej’avaiscedon.Maisunefoisque
j’aicompris,jemesuispromisdeneplusl’utiliser.Jedétestefaireça,surtoutquandils’agitdetoi.Cen’estpasbienetjelesais.—Seigneur,eneffet!tonnaMatt.C’estcrueletmanipulateur!—Jesuissincèrementdésolée.Jemetournaiversluipourleregarder,etsesyeuxremplisdedouleurmepeinèrent.—Jeteprometsquejenelereferaipas,enfin,plusjamaissurtoi.—Pardond’interromprecemomentd’effusion,maisilfaudraitpeut-êtrequenoussongionsàfiler
d’ici,lâchaRhys.C’estquoileplan?— Il faut que nous appelions quelqu’un, dis-je, heureuse d’écarter la pensée queMatt devaitme
détester.—Queveux-tudirepar«appelerquelqu’un»?Tuastontéléphoneportable?medemandaRhys,
toutexcité.—Non,jeveuxdire,appelerquelqu’untrèsfort.CommeMattafaittoutàl’heure.Jemontrailaportederrièremoi.—Nousn’avonsqu’àfrapperàlaporteendisantquenousavonsfaim,oufroid,ouqu’ilyaun
mort,quesais-je…Quandilsarriveront,j’useraidepersuasionpourqu’ilsnouslaissentpartir.—Ettucroisvraimentqueçavamarcher?demandaMatt,sansplusaucunetraced’incrédulitédans
lavoix.
Ilmedemandaitjustemonopinion.—Peut-être.MonregardpassasurRhys.—Maisj’aiunefaveuràtedemander.Puis-jem’exercerd’abordsurtoi?— Bien sûr, répondit Rhys, manifestant en haussant les épaules qu’il me faisait une confiance
aveugle.—Qu’entends-tupar«exercer»?questionnaMattavecunepointed’inquiétude.Comme il se rapprochait deRhys, jeme rendis compte avec étonnement qu’il croyait enfin que
Rhysétaitsonfrère.IlvoulaitprotégerRhyscontremoi.Bienquecettereconnaissancemerassurâtetmeremplîtdejoie,jefuslégèrement(d’accord,énormément)peinéedevoirqueMattmeconsidéraitdésormaiscommeunemenace.—Jenel’aipasfaittrèssouvent.Je n’aimais pas le regard suspicieux queMatt posait sur moi et memis à arpenter la pièce en
pensantqueceladétourneraitsonattention.—Etçafaitunbonmomentquejenel’aipasfait.Cette dernière affirmation n’était pas entièrement vraie, puisque j’avais utilisé la persuasion sur
Rhyslaveille,maisjenetenaispasàcequ’ilréagîtcommeMatt.Moinsilyauraitdepersonnesquimedétestaientàcetinstant,mieuxcelavaudraitpourlasuite.—Alors,queveux-tufaire?medemandaMatt.— Je ne sais pas encore. Il faudrait juste que je m’exerce. C’est la seule façon pour moi de
renforcermondon.Malgré les réserves justifiéesdeMatt,Rhysn’yvitaucun inconvénient. Ilétaitcependantétrange
pour moi de pratiquer la persuasion en présence d’un témoin, surtout d’une personne qui y étaitvisiblementopposée,maisjen’avaispaslechoix.Jenepouvaisguèremepermettred’envoyerMattfaireuntourdanslapièceàcôtéouailleurs.JesentaisqueMattm’observaitintensémentducoindel’œiletc’étaitdéboussolant.Maisaprèstout,
mon entraînement y gagnerait peut-être.D’autant que je ne pouvais pas non plusme permettre dedemanderàn’importequelVittrad’allerfaireuntourpendantquej’essayaisdemanipulerlecerveaudugardien.Jedécidaidecommencersimplement.Rhysétaitdeboutfaceàmoietjememisàrépéterdansma
tête:Assieds-toi.Jeveuxquetut’assoies.Sesyeuxbleuscroisèrentlesmiensplacidementaudébut,puisunbrouillardlesvoila.Sonvisage
semblaserelâcheretsonexpressiondevintcomplètementvide.Sansunmot,ils’assitsurlesol.—Ilvabien?medemandaMatt,inquiet.—Oui,çava,réponditRhys,quisemblaitsortird’unprofondsommeil.Ilmeregardaitlesyeuxgrandsouverts.—Alors,tut’ymetsouquoi?—C’estfait.Jen’avaisencorejamaisparlédepersuasionauxpersonnessurlesquellesjel’avaispratiquée,etje
trouvaisbizarredelefaireaussiouvertement.
—Dequoiparles-tu?Rhys fronçait les sourcils en nous regardant, Matt et moi, à tour de rôle, tout en essayant de
comprendre.—Tuasd’abordeul’aircomplètementdanslesvapes,etpuistut’esassisparterre,luiditMatt.—Pourquoit’es-tuassis?luidemandai-je.—Je…Ungroseffortdeconcentrationselisaitsursonvisage.—Jenesaispas.Jemesuisjuste…assis.Secouantlatête,ilmeregarda.—C’esttoiquiasfaitça?—Oui.Tun’asriensentideparticulier?demandai-je.J’ignorais totalement si ce que je faisais pouvait fairemal. Personne ne s’était jamais plaint de
douleurouautre,maisilétaitpossiblequ’ilsn’aientpaspupuisqu’ilsnecomprenaientpascequileurarrivait.—Non.Jen’aimêmepas…Ilsecouadenouveaulatête,incapabled’exprimercequ’ilvoulaitdire.— Je m’attendais à un grand trou noir ou quelque chose comme ça. Mais… je savais que je
m’asseyais.Pluscommeparréflexe,ouunpeucommequandonrespiresanss’enrendrecompte.Lamêmechose.—Hum.Jel’observai,pensive.—Lève-toi.—Quoi?demandaRhys.—Lève-toi,répétai-je.Ilmedévisageauncourtinstant,puisregardaautourdelui.Sonregardsedurcitetsessourcilsse
rejoignirent.—Quesepasse-t-il?interrogeaMattens’approchantdenous.—Je…jenepeuxpasmelever.—Tuveuxquejet’aide?offritMatt.—Non.Cen’estpasça.Rhyssecouaitlatête.—Biensûrquetupourraismehisser,jeveuxdire,tuesplusfortquemoietjenesuispascloué
physiquementausol.Maisc’estjusteque…j’aioubliécommentonfait?—Étrange.Jeleregardai,fascinée.Unefoisdéjà,j’avaisréussiàfairesortirMattdemachambreetilluiavaitfalluunmomentavant
qu’ilnepuisseyremettrelespieds.Cequisignifiaitquelapersuasionavaitdeseffetsderémanencequi,àlongterme,finissaientpardisparaître.—«Étrange»?observaMattavecdédain.Wendy,répare-le!—Iln’estpascassé,dis-jesurladéfensive.
Mais la façon dontMattme regardaitme donna envie de disparaître sous terre. Jem’accroupisdevantRhys.—Regarde-moi,Rhys.—D’accord?Ilmeregardaenhésitant.Jen’étaispascertainedepouvoirrenverserleprocessus.Jen’avaisjamaisessayéauparavantde«
défaire » l’effet d’une persuasion, mais j’imaginais la chose facile. Et si ça n’était pas le cas, ilfaudraitqu’ilresteassispendantunesemaineoudeux.Peut-être.Au lieu de m’inquiéter des possibles répercussions, je concentrai toute mon énergie sur lui. Je
prononçaiseulementdansmatêteàplusieursreprises:Lève-toi.Celapritunpeuplusdetempsquelafois précédente,mais finalement, son regard se brouilla. Il cligna des yeux enme regardant et sereleva.—Ouf,çamarche,m’exclamai-jeenlâchantunsoupirdesoulagement.—Tuenesbiensûre?medemandaMatt,lesyeuxtoujoursbraquéssurRhys.Ayantl’airencoreplusdansleciragequ’avant,Rhysnequittaitpaslesoldesyeux.—Rhys?Çava?—Quoi?Rhyslevalatêteetnousobservaenclignantdesyeux,commes’ilvenaitjustederemarquernotre
présence.—Quoi?Ils’estpasséquelquechose?—Tuesdebout.Jeluimontraisesjambesetilbaissalesyeux.—Oh.Il souleva une jambe pour vérifier qu’elle fonctionnait toujours et ne dit plus rien pendant une
minute.Puis,ilmeregarda.—Jesuisdésolé.Dequoiparlions-nousdéjà?—Tunepouvaisplusterelever.Tutesouviens?luidemandai-jeavecunnœudàl’estomac.Peut-êtreavais-jevraimentcasséRhys.—Ah!oui.Ilsecoualatête.—Çayest,jemesouviens.Maisjepeuxmetenirdeboutmaintenant.C’esttoiquiasfaitça?—Wendy,jen’aimepastropquetujouesavecluicommeça,meditMattcalmement.MattregardaitRhystoutenmejetantunregardencoin.Ilessayaitdegarderunvisageimpassible,
maissesyeuxtrahissaientsapeur.J’avaiseffrayéMatt,maispasdelamêmefaçonquelorsquejem’étaisenfuie.Àcemoment-là,il
avaiteupeurpourmoi,maislà,ilsemblaitavoirpeurdemoi,cequimerendaitmalade.—J’aifinimaintenant.Jem’éloignaideRhys.Mescheveuxnoirsn’étaientpasattachés,etcommej’avaisunélastiqueautourdupoignet,jem’en
servispourlesattacherenunchignonlâche.
—Quoi?medemandaRhysd’unairinquiet.Ilétaitvisiblementsortidel’étatdetransedanslequeljel’avaisplongé,maisjenevoulaispasle
regarder.Mattmerendaithonteused’avoirusédelapersuasionsurRhys,mêmesicederniernes’enétaitpasrenducompte.—Assieds-toi,suggéraMatt.—Pourquoi?Jen’enaipasenvie.—Assieds-toiquandmême,répétaMattd’untonplusferme.CommeRhysnerépondaitrien,Mattditencoreunefois:—Assieds-toi,Rhys.—Jenecomprendspaspourquoiilfaudraitabsolumentquejem’assoie.AufuretàmesurequeMattlebousculait,Rhyssemontraitdeplusenplusagacé,cequejetrouvais
bizarre,parcequejusque-là,jen’avaisjamaisvuRhysénervécontrequiconque.—Jesuistrèsbiendebout.—Tunepeuxpast’asseoir.Mattsoupiraetsetournaversmoi.—Tul’ascoincéautrement,Wendy.—C’estWendyquiafaitça?ditRhysenplissantlefront.Jenecomprendspas.Qu’as-tufait?Tu
m’asditdenepasm’asseoir?—Non,quandjet’aiditdet’asseoir,tun’aspasputerelever.Alorsjet’aiditdeterelever,ettune
réussisplusàt’asseoir.Jesoupirai,horsdemoi.—Jenesaisplusquoidiremaintenant.Jen’oseplusriendiredepeurquetuarrêtesderespirer,ou
jenesaisquoi!—Tupeuxfaireça?demandaMatt.—Jen’ensaisrien!Jelevailesbrasauciel.—Jen’aiaucuneidéedequoijesuiscapable.—Jenepeuxpasm’asseoirpendantunmoment,affirmaRhysenhaussantlesépaules.Cen’estpas
lafindumonde.Jen’aimêmepasenviedem’asseoir.—C’estsansdouteuneffetsecondairedelapersuasion,luidis-jeenarpentantnotrecellule.—Qu’importe, jem’enfiche,ditRhys.Çan’estpasgrave.De toute façon, jen’aiaucuneraison
particulièredem’asseoir.L’importantestquetusachesquetuescapabledelefaire.Tupeuxlefaire,nouspouvonssortird’ici,etquelqu’unàFöreningsauramedébloquer.OK?Légèrementmalàl’aise,jem’immobilisaipourregarderMattetRhys.Cedernieravaitraison.Il
fallait que je nous sortisse de là.Nousn’étions pas en sécurité, et l’incapacité deRhys à s’asseoirn’étaitquesecondaire.Jen’enavaisqueplusenviedenousfairesortird’iciauplusvite.—Vousêtesprêts,lesgars?—Àquoi?demandaMatt.—Àcourir.Jenesaispascequ’ilyadel’autrecôtédecetteportenicombiendetempsjepeuxles
retenir,déclarai-je.Maisdèsqu’ilsouvrirontlaporte,ilfautquevoussoyezprêtsàcouriraussivite
etaussiloinquepossible.—TuvaslesStarWariser?demandaRhys, imperturbable.CommequandObi-Wandit :«Cene
sontpaslesdroïdesquevouscherchez»?—Ouais,maisjenesaispascombienilyadegardiens,nis’ilssontparticulièrementdangereux.CettepenséemeramenaàFinnetaufaitqu’ilavaitétéabsentdelamaisonaumomentdel’attaque.
Involontairement,jetressaillisetsecouailatête.— Sortons juste d’ici, d’accord ? Puisque nous ne pouvons prédire comment ça va se passer,
prenons les choses comme elles viennent. Cela vaudra toujours mieux que de rester assis ici, àattendrequ’ilsdécidentcequ’ilsveulentfairedenous.Parcequ’aumomentoùilslesauront,quelquechosemeditqueçaneserapaslajoie.Mattn’avaitpasl’airconvaincu,maisjepensaiqueriennel’auraitconvaincu.Toutecettehistoire
s’était transforméeenunépouvantablecauchemarparcequejen’avaispasvoulurestersagementàFöreningpourydevenirunefichueprincesse.Si je l’avais fait, riende toutcecineseraitarrivé.MattetRhysseraient sainset saufsdans leurs
maisons respectives, etFinn serait…bon, jene savaispasoù il serait,maiscertainementdansunemeilleuresituationqu’encemoment.L’espritenvahiparcettepensée,jememisàtaperdetoutesmesforcescontrelaporte.Monpoignet
mefaisaitmaltantjecognais,maisçam’étaitbienégal.
CINQGnome
—Quoi?s’enquituneprofondevoixrauquealorsques’ouvraitunjudasrectangulairedanslebasdelaporte.Jemecourbaipouryvoir legnomequi était venuavecLoki.Sesyeuxétaient enfouis sousdes
sourcilsenbroussaille,etjen’étaispascertained’avoirunangledevuesuffisantpourexercersurluimapersuasion.Nimêmesicelafonctionneraitsurdevéritablestrolls.Ilssemblaientêtreuneespèceàpart.—Ludlow,c’estça?questionnai-jeenmesouvenantdunomqueLokiavaithurléquandilavait
demandédel’aide.—N’essaiepasdemebaratiner,princesse.Legnometoussa,seraclalagorgeetcrachaparterre.Avantdesetournerversmoi,ils’essuyale
visagedureversdelamanche.—Ilm’estarrivémaintesfoisdenepascéderauxcharmesdejeunesfillesbienplusbellesquetoi.—Jedoisallerauxtoilettes.Me disant que la franchise et le cynisme porteraient plus de fruits avec ce type d’individu,
j’abandonnaitoutsimulacred’amabilité.—Ehbien,allez-y.Pasbesoindedemanderl’autorisation.Ludlowéclataderireetcen’étaitpasjoliàentendre.—Iln’yapasdetoilettesici.Jenem’accroupiraipas,dis-je,dégoûtéeparcettepensée.—Alors,retiens-toi.Ludlowvoulutfermerlejudas,maisjebloquailepetitvoletdelamain.—Nepourriez-vousdemanderàungardiendem’accompagnerauxtoilettes?—Legardienici,c’estmoi,décochaLudlow,untantinetvexé.—Ah!vraiment?Je lui adressai un petit sourire en coin,me rendant soudain compte que tout ceci s’avérait plus
facilequejenel’avaiscru.— Ne me sous-estime pas, princesse. J’ai l’habitude de dévorer des filles comme toi au petit
déjeuner.—Alorsvousêtescannibale?lâchai-jeengrimaçant.—Ludlow,es-tuentraindeharcelercettepauvrefille?s’écriaunevoixvenantdufond.Ils’écartaetjevisapprocherLoki.—C’estellequimeharcèle!seplaignitLudlow.— Mais bien sûr, s’entretenir avec une ravissante princesse, quelle vie de chien tu mènes, lui
décochaLokisèchement,cequifitricanerMattderrièremoi.Ludlowgrommelaquelquechose,maisLokilevalamainpourlefairetaire.Ensuite,ilétaittrop
prèsdelaportepourquejepussedistinguersonvisage.LejudasétaitàhauteurdesyeuxdeLudlow,quiarrivaitàpeuprèsàhauteurdelatailledeLoki.—C’estquoileproblème?demandaLoki.
—J’aibesoind’allerauxtoilettes.Jemepenchaidavantagepourmieuxlevoiràtraverslejudas.Jevoulaiscaptersonregard,mais
sesyeuxétaienttoujourshorsdemonchampdevision.—Etjeluiaiditdefairedanslacellule,ajoutaLudlowfièrement.—Oh!allons.Ellen’estpasunevulgairemänks.Nousn’allonspaslaréduireàunetellemisère!
leréprimandaLoki.Ouvrelaporteetlaisse-lasortir.—MaisMonsieur,jenesuispascensélalaissersortiràmoinsqueleroinelaconvoque,répondit
Ludlow,l’airinquiet.—Tucroisqueleroivoudraitqu’ellesoittraitéeainsi?demandaLoki.Legnomesetorditlesmains.—Aubesoin,tudirasàSaMajestéquetoutestmafaute.Ludlow opina à contrecœur. Il ferma le judas, sans que je l’en empêche cette fois. J’entendis
cadenasetverrouscliqueterens’ouvrant.—Jen’aimepasça,murmuraMatt.—Nousn’avonsguèrelechoix,luirépondis-jeàvoixbasse.Jenousaienvoyésenprison,ilfaut
quejenousensorte.La porte s’entrouvrit, et je reculai,m’attendant à la voir s’ouvrir en entier. Je pensais queLoki
entrerait,quej’utiliseraismapersuasionetquenousficherionslecamp.MaisluietLudlowrestaientcachésàl’extérieur.—Alors?demandaLudlow.Jenevaispastenircetteporteouvertetoutelajournée.Ludlowouvritunpeuplus,melaissanttoutjustelaplacepourpasser.Jemeglissaidel’autrecôté,
et à peine fus-je passée, il claqua bruyamment la porte. Je l’observai verrouiller à nouveau lesloquets.—Lestoilettessontparlà,ditLoki.Ildésignait leboutducouloir,quiétait faitdesmêmesbriquesfroidesethumidesquecellesqui
tapissaientnotrecellule.Lesolétaitsaleetdestorches,suspenduesauxmurs,éclairaientlepassage.—Merci.JesourisàLokiencaptantfacilementsonregard.Sesyeuxdorésétaienttrèsbeaux,maisj’écartai
cettepenséedemonesprit.Enmeconcentrantaussifortquepossible,jechantaiintérieurement:Laisse-lespartir.Laisse-moi
partir.Ouvrelacelluleetlaisse-nouspartir.Ilnefallutquequelquessecondespourquej’obtinsseuneréponse,maiscenefutpasdutoutcelleà
laquellejem’attendais.Unsourireperplexeapparutsurseslèvres,puissesyeuxpétillèrentd’unejoiemalicieuse.—Jepariequetun’asaucuneenvied’allerauxtoilettes,c’estça?Lokimesouritd’unpetitairsuffisant.—Je…quoi?N’encroyantpasmesyeux,jefulminai.Riennes’étaitpassé.—Jet’avaisbienditquenousnedevionspaslalaissersortir!s’écriaLudlow.—Ducalme,Ludlow,indiquaLoki,lesyeuxtoujoursbraquéssurmoi.Toutvabien.Elleestsans
danger.Jeredoublaid’efforts,pensantquejen’avaispasessayéassezfort.Oupeut-êtreavais-jeaffaiblima
persuasion en l’utilisant sur Rhys récemment. Les guérisseurs étaient fatigués et usés après uneintervention.Jedevaisêtresemblableet,pourtant,jenemesentaispasfatiguée.Jerecommençaiàrépéterlesmêmesmotspourmoi-même,maisLokilevalamainpourm’arrêter.—Doucement,princesse,tuvastefairedumal.Ilrit.—Tuestêtue.Onpeutaumoinst’accorderça.—Etalors?Tuesimmuniséouquoi?luidemandai-je.Plusaucuneraisondenierquej’avaisessayélapersuasionsurlui.Ilétaitvisiblementaucourant.—Pasexactement.Tuesloind’êtreassezconcentrée.Ilcroisalesbrasetmeregardaaveclamêmecuriositéqu’avant.—Maisjedoisdirequetuesassezpuissante,malgrétout.—Jecroyaisquetulatrouvaissansdanger,intervintLudlow.—Elle l’est. Sans entraînement, elle est quasi sans pouvoir, expliquaLoki.Elle sera un énorme
atoutunjour,alorsquepourlemoment,ellen’estqu’unepetitemagiciennedesalon.—Merci,grommelai-je.Jemedépêchaideconcocterunnouveauplan.JepouvaisprobablementéliminerLudlow,maisje
necomprenaispascommentfonctionnaienttouslesverrous.Mêmesijeparvenaisàmedébarrasserdelui,jen’étaispassûredepouvoirouvrirlaportedelacellulepourlibérerMattetRhys.MaisLokiétaitlegrosproblème,surtoutdepuisquejesavaisquejenepouvaisexercermontalent
sur lui. Étant bien plus grand et plus fort que moi, il avait par ailleurs toute la latitude de meneutraliserd’unseulcoupd’œil.—Jetesensréfléchirdurement,ditLoki,unpeuimpressionné.Craignantqu’ilnesoitcapablede liredansmespensées, jemecontractaienessayantdeneplus
penseràrien.—Jenepeuxpasvoircequetuasentête.Sijelepouvais,jenet’auraismêmepaslaisséesortir.
Maismaintenantquetuesdehors,autantenprofiter.—Queveux-tudire?luidemandai-jeavecméfianceenm’écartantdelui.—Holà,tusurestimesl’intérêtquejeteporte.Lokisourit,trèscontentdelui.—Jepréfèremesprincessesenpyjamapropre.Mesvêtementsauraientpuêtre relativementcorrects s’ilsn’étaient tachésde sanget couvertsde
boueauxgenoux.Jesavaisbienquej’étaisdansunsaleétat,maiscen’étaitpasmafaute.—Désolée.J’ail’airgénéralementmieuxaprèsavoirétébattueàmort,répondis-je.Sonsourires’effaça.—Oui,bon,jenecroispasquetuaiesàtesoucierdetonallurepourlemoment.Lokirécupéravitesonairprétentieux.—Jecroisqu’ilesttempsquetuaillesvoirSara.—Monsieur,jetrouvequeçan’estpasunebonneidée,interrompitLudlow.
MaisLoki,luilançantunregardnoir,luiimposasilence.—Etmesamis?questionnai-jeendésignantlacellule.—Ilsnevontnullepart.Lokisouritàsapropreblagueetjerésistaiàl’enviedeleverlesyeuxauciel.—Ça,jelesaisbien.Maisjenepartiraipassanseux.—C’esttonjourdechance.Tuneparspasnonplus.Lokifitunpasenarrièreenmefaisanttoujoursface.—Net’enfaispas,princesse.Ilssontensécurité.Allez.UnepetiteconversationavecSaraestdans
tonintérêt.—J’aidéjàrencontréSara,dis-jeavecunsemblantdeprotestationdanslavoix.Je jetai un nouveau coup d’œil inquiet vers la porte de la cellule,maisLoki s’était déjàmis en
marche.Jesoupiraietfinisparmeconvaincrequedeparlerauxinstancessupérieuresvaudraitsansdoutemieux pour plaider la libération deMatt etRhys.Même si je ne pouvais plaiderma propresortie.—Commentl’as-tusu?luidemandai-jeenlesuivant.Marchantdanslecouloircôteàcôte,nouspassâmesdevantplusieursportesidentiquesàcellesde
notrecellule. Jen’entendisen sortir riendeparticulier etnevisd’autresgnomesmonter lagarde,maisjemedemandaicombiendeprisonnierscroupissaientici.—Suquoi?— Que j’étais… tu sais bien… que j’essayais de te persuader, dis-je. Si ça ne marchait pas,
commentpouvais-tulesavoir?— Parce que tu es puissante, reformula Loki en montrant sa tête. C’est comme de l’électricité
statique.Jelesensquandtuessaiesd’entrerdansmoncerveau.Ilhaussalesépaules.—Tulesentiraisaussisiquelqu’unessayaitsur toi.Jenesuispascertainqueçamarcheraitpar
contre.—ParcequeçanefonctionnepassurlesTryllesousurlesVittras?demandai-jeendoutantqu’il
medonnâtuneréponsefranchetantjetrouvaisdéjàétrangequ’ilmeparlâtdequoiquecesoit.—Non,çamarche.Etsituavaissulefairecorrectement,jen’auraisriensentidutout,m’expliqua
Loki.Cependant,nous sommesplusdifficiles àmanipulerque lesmänks.Si tune t’assurespasdefaireuntravailsoignédepersuasionsurnoscerveaux,nouslesentons.Comme nous atteignions des marches, Loki grimpa quatre à quatre l’escalier sans m’attendre.
Aprèsm’avoirdévoilédesinformationsqu’ilauraitdûtaire,iln’avaitpasl’airinquietlemoinsdumonde par une possible fuite de ma part. J’en conclus qu’il était un bien piètre gardien et que,logiquement,Ludlowauraitdûavoirautoritésurlui.Après qu’il eut poussé les énormes portes en haut de l’escalier, nous nous retrouvâmes dans un
grandvestibule.Pasuncorridor,maisune immensepiècevoûtée.Lesmursétaientenboissombresoulignéderouge,etuntapischargédemotifségalementrougesoccupaitlecentredelapièce.Elleprésentait lemêmegenred’opulencequelepalaisdeFörening,maisenplussombreetplus
riche.Ellerenvoyaitplusl’imaged’unluxueuxchâteau.
—C’estvraimentbeau,dis-jesansdissimulermasurpriseetmonadmiration.—Biensûr,c’estlademeureduroi.Lokimedévisagea,commesurprisdemastupéfaction.—Àquoit’attendais-tu?—Jenesaispas.Aprèscetempspasséausous-sol,j’imaginaisquelquechosedeplusrepoussantet
sale,déclarai-jeenhaussantlesépaules.Iln’yamêmepasl’électricitéenbas.—C’estpourl’effetdramatique.C’estuncachot.Ilmeconduisitdansuncouloirdécorédefaçonidentiqueaugrandvestibule.—Quesepasserait-ilsij’essayaisdem’échapper?lequestionnai-je.Commejenevoyaispersonned’autredanslecoin,jemedisquesijedoublaisLoki,jepourrais
sansdoutem’enfuir.Maispouralleroù?Et jeneseraispaspourautantcapablede libérerMattetRhys.—Jet’arrêterais,répondit-ilsimplement.—DelamêmemanièrequeKyrachezmoi?Merappelanttoutlemalqu’ellem’avaitfait,unesourdedouleurmesaisitaucôté.—Non.Unvoiled’afflictionqu’ilécartavivementpourmesourireavaitassombrisonvisagel’espaced’un
instant.—Jeteprendraissimplementdansmesbrasetteserreraisjusqu’àcequetutepâmes.—Lafaçondonttuprésentesleschosesal’airtrèsromantique.Jefislamoueenmerappelantcommentilm’avaitfaitperdreconnaissanceenmefixantduregard.
Celan’avaitpasétédouloureux,maispasforcémentplaisantnonplus.—C’estcommeçaquejel’imagine.—C’estunpeutordu,dis-je.Ilhaussalesépaulesenguisederéponse.—Pourquoim’as-tuenlevéeetamenéeici?—Jecrainsquetuneposestropdequestions,princesse,ajoutaLokid’untonpresquelas.Tuferais
mieuxdelesgarderpourSara.Elleauratouteslesréponses.Nousmarchâmesensuitesansdireunmot.Ilmeconduisit jusqu’auboutducouloir,enhautd’un
escalier recouvert demoquette en velours rouge, et puis dans un autre couloir, avant de s’arrêterdevantunedoubleporteenboisdécoréedevignessculptées.Desféesetdeslutinsgravésdansleboisévoquaientunevisionfantastique,danslaveinedeHansChristianAndersen.Lokifrappaavecuneélégancetoutethéâtrale,puisouvritlesportessansattendrelaréponse.Jele
suivis.—Loki!s’écriaSara.Tudoisattendred’êtreprésentépourentrerdansmesappartements!Sa chambre ressemblait au reste de la demeure.Un grand lit à baldaquin, défait et recouvert de
drapspourpres,enoccupaitlecentre.D’uncôtédelapiècesetrouvaitunecoiffeuse,devantlaquelleelleétaitassise,juchéesurunpetit
tabouret.Sescheveuxétaienttoujoursattachésenunequeuedechevalserrée,maiselleavaitchangédevêtements,arborantunelonguerobedesatinnoir.
Quand elle se tourna pour nous regarder, le tissu bougea avec une élégante fluidité. Ses grandsyeuxbrunss’élargirentenmevoyantapparaître,maisellesehâtadeseressaisir.Àcôtéd’ellesetenaitungnome,dumêmetypequeLudlow.Bienqu’ayantessayédes’arrangeren
s’habillant d’un petit uniforme de majordome, sa physionomie était laide et son teint blafard. Delongscolliersparsemésdediamantsetdeperlespendaientdesesmains.Jenecomprispaspourquoiaudébut,puisjecomprisqu’illestenaitpourelle,telleuneboîteàbijouxvivante.Lorsquenousentrâmesdanslachambre,unebouledepoilsaboyaetsautadulitpours’arrêterjuste
devant nous. Il s’agissait seulement d’un loulou de Poméranie. Le gros de sa hargne était dirigécontre moi, et après que Loki lui eut intimé l’ordre de se taire, il se tint tranquille. Tout enm’observantducoindel’œilavecméfiance,lechienretournaprèsdeSara.— Je nem’attendais pas à te voir si tôt, dit Sara en se forçant àme sourire avant de lancer un
regardglacialàLoki.Jemeseraishabilléesij’avaissu.—Laprincessecommençaitàtrops’agiter.Lokis’allongeasuruncanapédeveloursplacéaupieddulit.—Aprèslajournéequ’elleaeue,jemesuisditqu’elleméritaitunepause.—Jecomprendsbien,maisjenesuispastrèsprêtepourtoutça.Toutendésignantsatenue,Saranemequittaitpasdesyeux.—Danscecas,tun’auraispasdûm’envoyerlacherchersitôt,luiretournaLokiensoutenantson
regard.—Tusaisbiencequenousdevionsfaire…Hochantlatête,Saras’interrompit.—Maispeuimporte.Cequiestfaitestfait,ettuasparfaitementraison.Ellemesourit,sonexpressiondevenantpresquechaleureuse.Ouaumoinsunpeupluschaleureuse
quecelledemamère,Elora.—Quesepasse-t-il?demandai-je.Mêmeaprèstoutcequ’ilsavaientfait,jenesavaistoujourspascequelesVittrasattendaientdemoi.
Toutcequejecomprenais,c’étaitqu’ilsnepouvaients’empêcherdemevouloir.—Oui,nousdevrionsparler.Toutenréfléchissant,elletapotaitlatabledesesdoigts.—Peux-tunouslaisseruneminute,s’ilteplaît?—Bien.Lokisoupiraetseleva.—Allez,Froud,viens.LepetitchiencourutjoyeusementversLoki,quil’attrapadanssesbras.—Lesgrandespersonnesontàparler.Le gnome déposa délicatement les bijoux sur la table et se dirigea vers la porte. Il marchait
lentementensedandinantàcausedesapetitetaille,maisLokipritsontempspourlelaisserpasserdevantafindesortiraprèslui.—Loki?luilançaSarasansleregarderjusteavantqu’iln’atteignîtlaporte.Arrange-toipourque
monépouxsoitaussiprêtànousrecevoir.
—Commeilteplaira,réponditLokiavecunepetiterévérence.Ilportaittoujourslepetitchienet,ensortant,refermalaportederrièrelui,melaissantseuleavec
Sara.—Commenttesens-tu?medemandaSaraensouriant.—Mieux.Merci.Jen’étaispascertainededevoirlaremercier.Certes,ellem’avaitguérie,maisc’étaitbienàcause
d’ellequej’avaisétéblesséeenpremierlieu.—Tuvoudrassansdoutetechanger,affirmaSaraendésignantmesvêtementsetenselevant.J’ai
sûrementicideschosesquit’iront.—Merci,maisjemesoucieassezpeudesvêtementspourlemoment.J’aimeraisplutôtsavoirce
quisepasse.Pourquoim’avez-vousenlevée?Jesentaisl’exaspérationmegagnertoutenmedoutantquecelatransparaissait,maisellenesembla
rienremarquer.—Jesuissûred’avoirquelquechosepourtoi,continua-t-elle,commesijen’avaisriendit.Elleapprochad’ungrandplacardencoinetenouvritlaporte.—Çaserapeut-êtreunpeugrand,maisjesuissûrequecelaferal’affaire.Aprèsavoircherchéàpeinequelquessecondes,elleretiradelapenderieunelonguerobenoire.— Je me fiche complètement des fringues ! lançai-je. Je veux savoir pourquoi vous me
pourchassez.Jenepeuxvousdonnercequevousvoulezsanssavoirdequoiils’agit.Commeellesedirigeaitverslelit,jenotaichezelleunecertainegêne.Sonregardseposaitpartout
saufsurmoi.Etlorsquecelaseproduisait,elledétournaitlesyeuxaussitôt.Elleallaposerlarobesurlelit.—Vouslesavezrenvoyéspourquenouspuissionsparler,etmaintenant,vousneditesplusrien,
dis-je,deplusenplusfrustrée.—Celafaitsilongtempsquejepenseàcejour.Saratouchalarobeavecamourenlalissantsurlelit.—Voilàquenousysommes,etpourtant,jemesenssipeupréparée.—Sérieusement,quevoulez-vousdire?Son visage se teinta d’une expression douloureuse, pour redevenir impassible et retrouver la
sérénitéaffichéequelquesminutesplustôt.—J’espèrequetunem’envoudraspas,maisjevaism’habiller.Elleseretournapoursedirigerversleparaventquisetrouvaitdansuncoindelapièce.Unescènefantastique,identiqueàcellequiornaitlesportes,yavaitétépeinte,etunerobedebal
rougeetnoirependaitpar-dessus.Sarapritlarobeetpassaderrièreleparaventpoursechangerenprivé.—Savez-vousoùestFinn?interrogeai-je,unedouleuràlapoitrine.—Ils’agitdetonpisteur?medemandaSaraendéposantsarobesurleparavent.Jenevoyaisdépasserquelesommetdesatête.—Oui,dis-je,lagorgeserrée,enm’attendantaupire.—Jenesuispascertainedesavoiroùilsetrouve.Nousnel’avonspas,sic’esttaquestion.
—Mais alors pourquoi n’est-il pas venume sauver ? Pourquoi vous a-t-il laissésm’attraper ?demandai-je.—J’imaginequ’ilsl’ontgardéjusqu’àcequ’ilsvousramènentici.Commeellepassaitlarobepar-dessussatête,sesparolesfurentuninstantétouffées.—Jeneconnaispastouslesdétails,maisjesaisqu’ilsavaientreçuordredeneblesserpersonne,à
moinsquecelanedeviennestrictementnécessaire.—Ouais,etlesordresdeKyraétaientdenepasmeblesser,n’est-cepas?Elleneréponditpasàmonsarcasme.—Pouvez-vousjustemedires’ilvabien?—Lokin’amentionnéaucundécès,dit-elle.—C’estluiquidevaitm’amenerici?Je regardai la porte ferméederrièrenous, comprenant trop tardque c’était à lui que j’aurais dû
posercesquestions.L’idéemevintdecouriraprès lui,maisàcet instant,Sarasortitdederrière leparavent.—Oui,etoutreles…démonstrationsdeKyra,Lokiarapportéquetouts’étaitbienpassé.Ellepassalesmainssursarobeetmedésignacellequiétaitsurlelit.—S’ilteplaît,habille-toi.Nousallonsvoirleroi.—Etilrépondraàmesquestions?Jehaussaiunsourcil.—Oui,jesuispersuadéequ’iltediratout,meréponditSara,lesyeuxbaissés.Jedécidaid’ycroire.S’iltentaitdetournerautourdupot,jeluirentreraisdedans.Jen’avaispasde
tempsàperdreavecdes réponsesvaguesetdesproposévasifs.MattetRhysétaientprisonniers,etRhysnepouvaitmêmepluss’asseoir.Mais il fallait aussi que je me fisse apprécier d’eux pour avoir une chance qu’ils acceptent de
relâcherMattetRhys.Sipourcelajedevaisenfilerunestupiderobenoire,qu’àcelanetienne.JepassaimechangerderrièreleparaventpendantqueSaracontinuaitdesepréparer.Ellemitl’un
descolliersquelegnomeavaitdéposéssurlatableetdéfitsescheveux.Noirs,raidesetbrillantsdanssondoscommedelasoie,ilsmerappelèrentceuxd’Elora.Jemedemandaicequ’Elorapensaitde toutcelaet commentelle réagirait.Allait-elle lancerune
missionpourmerécupérer?Savait-elleseulementquej’étaispartie?Aprèsquej’euspassélarobe,Saravoulutynouerunrubandansledos,maisjenelalaissaipas
faire.Elle tendit lesmainsvers la robe,etquand je luidemandai sèchementde laisser tomber, sonvisage prit une expression tragique. Ses mains restèrent suspendues en l’air pendant un instant,commesiellenepouvaitcroireàcequivenaitdesepasser.Puis,elleleslaissaretomberenhochantlatête.Sans rien ajouter, elle m’entraîna dans le couloir. Au bout, nous arrivâmes devant un autre
ensembledeportessymétriquesàcellesdesachambre.Ellefrappa,etpendantquenousattendionsune réponse, elle lissa encore une fois sa longue robe de dentelle pourpre et noire. Celle-ci étantparfaitementrepassée,jesuspectailàchezSaraunesortedetic.—Entrez,déclaraunevoixrauqueetpuissantederrièrelesportes.
Avantdepousserlesportes,Sarafitunsignedetêtecommes’ilpouvaitlavoir.Lesmursde cette pièce, qui ne comportait aucune fenêtre comme toutes celles que j’avais vues,
étaientenacajousombre.Endépitdesa taille immense,elle ressemblaitunpeuàunecave.Àcôtéd’un mur entièrement tapissé de rayonnages de bibliothèque trônait un bureau massif en bois.Quelquesélégantssiègesrougesconstituaientlerestedumobilier.Faceànous,assissurlaplusgrandedeschaisesauxpiedsenboissculptésdemotifscompliqués,se
tenait un individu. Ses longs cheveux bruns lui tombaient dans le dos, sous les épaules. Il étaitentièrementvêtudenoir:pantalonsrepassés,chemiseetlonguevestequiressemblaitàunerobe.Ilétaitbeau,levisageunpeumarquébienqu’atteignantàpeinelaquarantaine.Assisluiaussi,Lokiselevaquandnousentrâmes.Froud,lepetitchien,avaittotalementdisparu,et
j’espéraiqu’ilsnel’avaientpasdévoréouquelquechosed’horribledugenre.—Ah!princesse.Le roi sourit dès qu’il me vit, mais ne se leva pas. Son regard passa sur Loki en un éclair de
secondeetildit:—Loki,tupeuxdisposer.—Merci,sire,réponditLokiensecourbantavantdefiler.Ilmedonnal’impressionqu’iln’appréciaitguèrelacompagnieduroi,cequinefitquem’inquiéter
davantage.—Alors,allez-vousm’expliquercequi sepasse?demandai-je toutdegoau roi,et sonsourire
s’élargit.—J’imaginequenousdevrionscommencerparlecommencement,dit-il.JesuisleroidesVittras.
Jem’appelleOrenetjesuistonpère.
SIXRoisetcavaliers
Mapremièreréactionfutlapluslogique:Ilment.Penséeaussitôtsuiviede:Ets’ilnementaitpas?Elora,detouteévidence,avaitétéunemèreépouvantableetquinem’aimaitguère.Jepensaisàla
rencontrequejevenaisd’avoiravecSara.Elleavaitcaressémarobeavectantd’amourlorsqu’elleavaitdit:Celafaitsilongtempsquejepenseàcejour.Sara, à côté, se tordait les mains. Elle me regarda pour la première fois et me sourit, pleine
d’espoir.Pourtant,elleavaittoujourssurlevisageuneexpressiondetristessequejenecomprenaispas.Je ne lui ressemblais pas plus que je ne ressemblais à Elora. Leur beauté était inégalable et la
miennenel’atteignaitpas,maisSarasemblaitbienplusjeune,latrentaineàpeine.—Alors…J’avalaipéniblementmasaliveenessayantdeforcermaboucheàparler.JemetournaiversOren.—Tudisqu’Eloran’estpasmamère?—Non,malheureusement,Eloraestbientamère,dit-ilensoupirant.Mêmesicetaveudonnaitplusdevraisemblanceàsesparoles,ilsemadavantagelaconfusionen
moi.Ilauraitétéplusfacilepourluidementir.Sisonplanavaitétédemepersuaderderestervivreàses côtés enprenant fait et causepour lui, il n’aurait euqu’àprétendreque lui etSara étaientmesparents.Maisenm’annonçantqu’Eloraétaitmamère,jegardaisunlienavecelle,cequineluiprofiterait
probablementpas.—Pourquoimedis-tucela?—Tudoisconnaîtrelavérité.Jesaisqu’Eloraestunejoueuse.Chaquefoisqu’ilparlaitd’elle,ilavaitl’airamer,commesicelaluifaisaitmaldeprononcerson
nom.—Unefoisquetuconnaîtraslavérité,ilteseraplusfaciledefaireunchoix.—Dequelchoixparles-tu?demandai-jetoutenayantlesentimentdesavoirdequoiils’agissait.—Leseulquiaitdel’importance,biensûr.Seslèvrestressaillirentetilsouritcurieusement.—Celuiduroyaumequetugouverneras.—Pourêtretoutàfaithonnête,jeneveuxgouverneraucunroyaume,dis-jeentortillantunemèche
decheveuxquivenaitd’échapperàmonchignon.—Pourquoinepast’asseoir?ditSaraendésignantunechaisederrièremoi.Aprèsquejefusinstallée,ellepritunsiègeàcôtéduroi.—Ainsi…tuesmabelle-mère?dis-jeenluisourianttristement.Elleacquiesça.—Oui.—Ah!
Jemetuspendantunmoment,ingérantcequ’onvenaitdemedire.—Maisjenecomprendstoujourspas.Eloram’aaffirméquemonpèreétaitmort.—Biensûrqu’ellel’afait,ditOrenenriantamèrement.Entedisantquej’étaisvivant,elleaurait
étéobligéedetelaisserlechoix,sachanttrèsbienquetunel’auraisjamaischoisie.—Maisalors,commentavez-vous…Jecherchailesmotsexacts.—Commentvousêtes-vous…misensemble…jeveuxdire…commentm’avez-vousconçue?—Nousnoussommesmariés,ditOren.C’étaitbienavantquejen’épouseSara,etcefutuneunion
assezbrève.—TuasépouséElora?demandai-je.Lacolèregrandissaitenmoi.D’abord,quand ilm’avaitditqu’ilétaitmonpère, j’avais imaginéuneaffaired’adultèrecomme
cellequelepèredeFinnavaitvécueavecElora.Jenepensaispasàuneunionofficielle,quechaquepersonnerencontréeàFöreningpouvaitconnaître.YcomprisFinn.Quandilm’avaitdonnéunaperçudel’histoiredesTryllesaucoursd’unerapide
leçon, au sujet de tout ce qu’une princesse devait savoir sur son passé, Finn n’avait fait aucuneallusionaufaitquemamèreavaitétémariéeauroidesVittras.—Oui,brièvement,ditOren.Nousnoussommesmariés,carnouspensionsqu’ilseraitpréférable
pournosdeuxroyaumesdes’unir.LesVittrasetlesTryllesayanteutantdedifférendspendantdesannées,noussouhaitionsrétablirlapaix.Malheureusement,tamèreestlafemmelaplusimpossible,imprévisibleetépouvantabledetoutelaplanète.Ilmesourit.—Bon,enfin,tulesais.Tul’asrencontrée.—Oui,jesaisàquelpointellepeutêtreimpossible.Jesentissubitementmonterenmoicommeunecurieuseenviedeprendresadéfense,maisjetins
malangue.Elora avait été froide, à la limite de la cruauté bien souvent, pourtant quand Oren se mit à la
dénigreràcepoint,celam’offensa.Cependant,jesourisetacquiesçaicommesiderienn’était.—Ilestmêmeincroyabledepenserquej’aipuavoirunenfantavecelle,dit-ilpluspourlui-même,
cequimefitfrémir.Jen’avaispasvraimentenviedemereprésenterEloraetOrenaulit,dansl’intimité.—Avanttanaissance,lemariageaétéannulé.Elorat’aemmenée,puiscachée,etjet’aicherchée
pendanttoutescesannées.—Tun’aspasététrèsbrillantàcetégard,décochai-je.Sonexpressionsedurcit.—Terends-tucomptequetespisteursm’ontbattueàdeuxreprises?Tafemmeadûmesecouriret
mesoignerpourquejenemeurepas.— Cela me navre au plus haut point. Nous avons d’ailleurs pris les mesures nécessaires à
l’encontredeKyra.Ainsi parlaOren, sansmanifester l’ombred’une excuse. J’espérai juste que ses paroles dures et
pleinesderancœurfussentdirigéespluscontreKyraquecontremoi.—Maistun’auraispasététuée.—Commentenes-tusisûr?demandai-jeabruptement.—Appelleçadel’intuitionsouveraine,situveux,réponditOrenévasivement.J’allaisinsister,maisilcontinua.—Jenem’attendspasàcequetunoustombesdanslesbras.Jesaisqu’Eloraadéjàessayédete
convaincredesesbonssentiments,maisj’aimeraisquetuprennesquelquesjourspourapprendreàconnaîtrenotreroyaume,etdéciderpartoi-mêmesituveuxlegouvernerunjour.—Etsijedécidaisdenepasrester?luidis-jeenleregardantcalmementdanslesyeux.—Faisd’aborduntourduroyaume,suggéraOren.Bienqu’ilmesourît,letondesavoixétaitsansambiguïté.—Libèremesamis,laissai-jeéchapper.Toutes ces déclarations d’ascendance parentalem’avaient éloignée de la véritable raison dema
présencedanssonbureau.—Certainementpas,lâcha-t-ilaveclemêmesourireétrange.— Je ne resterai pas uneminute de plus si tu ne les libères pas, rétorquai-je le plus fermement
possible.—Non,tunepartiraspassinouslesmaintenonsprisonniers.Letonrauquedesavoixaccentuaitlasévéritédesesparoles.—Ilssontaucontrairepournousl’assurancequetuconsidérerasmonoffretrèssérieusement.Il me sourit, comme si cela devait compenser cette menace voilée, mais la pointe de malice
contenuedanssonsouriremepaniquadavantage.Lespoilsdemanuquesedressèrenttantjetrouvaisdeplusenplusdifficiledecroirequecethommeétaitmonpère.—Jeteprometsquejenepartirainullepart,dis-jeententantdedissimulerletremblementdema
voix.Situleslibères,jeresteraiaussilongtempsquetuvoudras.—Jeleslaisserais’enallerlejouroùjetecroirai,contra-t-ilavecraison.Lagorgeserrée,jem’efforçaidetrouveruneautrefaçondemarchander.—Quisontcesgensauxquelstutienstant?—Hum…Jesongeaiàluimentir,maisilavaitdéjàcomprisquejetenaisàeux.—Ils’agitdemonfrère,Matt,enfin…demonfrèred’accueiloupeuimporte,etdemonmänsklig,
Rhys.—Ilspratiquenttoujoursça?Orenplissalefront,désapprouvantvisiblementquelquechose.—Elora ne supporte le changement à aucun prix. Je le sais, pourtant, elle a toujours refusé de
rompreaveclatradition.Maistoutcelaesttellementdépassé.—Quoi?—Toutesceshistoiresdemänsklig,c’estdugaspillage,réponditOrenavecungestededédain.— Que veux-tu dire ? demandai-je. Que faites-vous des bébés que vous échangez contre les
substitués?
Lorsqu’un bébé est déposé dans une famille d’accueil, il faut bien s’occuper en retour de celuiqu’onapris.—Nousneprenonspasdebébés,dit-il.MonestomacsenouaàlapenséedesVittrasassassinantdesenfants,commej’avaiscruunmoment
lesTryllescapablesdelefaire.—Nousnouscontentonsdeleslaisserdansleshôpitauxoùilssontnés,oudansdesorphelinats.Ce
quileurarriveensuiten’estpasnotreaffaire.— Pourquoi les Trylles ne font-ils pas la même chose ? demandai-je, car expliqué ainsi, cela
semblaitlogiqueetjemedemandaipourquoitoutlemondenefaisaitpasdemême.C’étaitplusaiséetmoinscher.—Au départ, ils les ont utilisés comme esclaves.Mais désormais, ils ne le font plus que pour
perpétuerlatradition.Ilhochalatête,commesicelaneluifaisaitnichaudnifroid.— C’est un débat sans intérêt de toute façon, ajouta-t-il en soupirant. Nous ne pratiquons la
substitutionquetrèsrarement.—Vraiment?Pour la première fois depuis ma rencontre avec Oren, j’eus le curieux sentiment de pouvoir
m’entendreavecluisurunpoint.—Lessubstituéscourentlerisqued’êtreblessés,perdusoupeuventnousrepousserensuite,ajouta
Oren.C’estdugâchisetceladétruitnotrelignée.Noussommesbienpluspuissantsqueleshumains.Si nous voulons quelque chose, nous n’avons qu’à le prendre. Pourquoi risquer de voir notreprogénituresouilléeparleursmainspataudes?Il avait raison,mais je n’étais pas certaineque sa conception soitmoralement préférable à celle
d’Elora,quipréconisaitlaroublardise,alorsquelui,prônaitlevolpuretsimple.—Elleatoujoursrefusédebousculerlestraditions.L’expressiondesonvisages’assombrissaitquandilparlaitd’elle.—Sadéterminationàvouloirséparerleshumainsdestrollsesttellementinébranlablequ’ellen’a
jamaisentrevul’hypocrisiedelachose;etsonentêtementneproduitfinalementquel’effetinverse,enliantirrémédiablementleursdestinées.Ellen’ajamaisvouluyvoirquel’avantagedefaireéleverlesenfantstryllespardesgardiennes.—Maisc’estunetoutautrechose,dis-je.Jemesouvenaisdemonenfanceauprèsdecettemèred’accueil,quiavaitessayédemetuer,etde
mesliensavecMatt.Jenepouvaisimagineraucunenounous’occupantd’unenfantdelamêmefaçon.—Exactement.Etc’estàcausedecelaquenotremariageaéchoué.Jetevoulais.Ellet’adonnée.Je savaisque son raisonnement était biaiséparune idée fausseque jen’arrivais pas à identifier.
Mais àma grande surprise, j’étais émue,même si je ne croyais pas tout ce qu’il disait. C’était lapremièrefoisqu’unparent,géniteurounon,avouaitqu’ilvoulaitvraimentm’avoir.—Est-cequej’ai…dis-jeenrefusantdemelaisserenvahirparl’émotion.Ai-jedesfrèresetsœurs
?OrenetSaraéchangèrentunregardquejeneparvinspasàinterpréter,etSarabaissalesyeuxpour
regardersesmains,poséessursesgenoux.Elleétaitexactementlecontraired’Elora.Physiquement,pourtant, elles se ressemblaient beaucoup, avec leurs longs cheveux noirs et leurs yeux sombres,magnifiques,mais lessimilitudess’arrêtaient là.Saraparlaitpeu, touten témoignantd’unechaleurhumaineetd’unenaturesoumise,dontEloraétaittotalementincapable.—Non.Jen’aipasd’autresenfants,etSaranonplus,ditOren.CetteévocationsemblaattristerSara,cequimelaissasupposerquel’absenced’enfantn’étaitpas
sonchoix.—Jesuisdésolée,dis-je.— Elle est stérile, annonça Oren sans esprit de provocation ; cependant, les joues de Sara
s’empourpraient.—Hum…désolée.Jesuissûrequecen’estpassafaute,bafouillai-je.—Non,c’estvrai,c’estlamalédiction,ajoutaOrentrèsouvertement.—Pardon?m’enquis-jeenespérantavoirmalentendu.J’enavaisassezdusurnaturel.Lestrollsetleurstalentssuffisaient,sansyajouterdeshistoiresde
malédictionpar-dessuslemarché.—Lalégendeveutqu’unesorcièreéconduiteaitjetéunmaléficesurlesVittrasaprèsqu’onluieut
volésonenfantafindel’échangercontreunsubstitué.Sonsignedetêtesignifiantqu’iln’ycroyaitguèremerassuralégèrement.—Jen’accordepasbeaucoupdecréditàcettehistoire,qui,aufond,appartientà l’éternellesaga
racontantnostalentsetnosorigines.—C’est-à-dire?—Noussommesdestrolls,lesVittras,lesTrylles,toi,moi,Sara.Noussommestousdestrolls.Ilfitunamplegestedubrasautourdelui.—Ettun’aspasmanquéd’apercevoirlestrollsquiviventautourdenous,ceuxquiressemblentà
desgnomes?—TuveuxparlerdeLudlow?—Exactement.Cesontdestrolls,desVittras,commetoietmoi,expliquaOren,etleuranormalité
semblen’avoirenvahiquenotrecommunauté.—Jenecomprendspas.D’oùviennent-ils?—Denous,affirma-t-il,commesicelaallaitdesoi.Jesecouailatête.—L’infertilitéesttrèsprononcéecheznous,etparmilesraresnaissancesdontnouspouvonsnous
targuer,unebonnemoitiédonnedesgnomes.—Tuveuxdire…Jefronçailenez,abasourdie.—DesVittrascommetoietSaradonnentnaissanceàdestrollscommeLudlow?—Précisément,réponditOren.—Pourlecoup,c’esttrèsalarmant,dis-jetandisqu’Orenfaisaitunsignedetêteindiquantqu’ilne
désapprouvaitpastotalement.— Cette malédiction est causée par notre longévité, non par le fait d’une amère vengeance de
vieillesorcière,maiselleexistebeletbien.Ilsoupiraetsourit.—Toi,manifestement,tuesbienplusbellequetoutcequenousaurionspuimaginer.—Vousn’imaginezpasàquelpointnoussommesheureuxdet’avoirparminous,renchéritSara.Àlavuedesonvisageconfiant,toutm’apparutclairement.JecomprissoudainpourquoilesVittras
me pourchassaient depuis si longtemps avec tant d’ardeur. Ils n’avaient pas le choix. J’étais leurdernierespoir.— Tu n’as pas épousé Elora pour unir vos deux peuples, dis-je en jaugeant Oren. Tu l’as fait
uniquementparcequetunepouvaisavoird’enfantavecl’unedestiennes.Iltefallaitunhéritierpourletrône.— Tu es ma fille, dit-il en élevant la voix, sans hurler, mais suffisamment fort pour qu’elle
résonnâtdanslapièce.Eloran’apasplusdedroitssurtoiquemoi.Turesterasavecnous,parcequetueslaprincesse,etquec’esttondevoir.—Oren.Majesté,imploraSara.Elleapasséuneterriblejournéeetelleabesoinderepos.Cetype
deconversationn’estpasrecommandétantqu’ellen’estpascomplètementguérie.— Et pourquoi n’est-elle pas complètement guérie ? décocha Oren en jetant à Sara un regard
glacial,quiluifitbaisserlesyeux.—J’ai fait toutceque j’aipupourelle, réponditSaracalmement.Etcen’estpasmafautesi,au
départ,elleaétéblesséedelasorte.—SiLokiétaitseulementcapabledesurveillersesfichuestroupes,grognaOren.Samauvaisehumeurn’étaitpassurprenante.Jel’avaissentiestagnersouslasurface.—Lokit’afaitunefaveur,Majesté,répliquaSarapoliment.Cequ’ilafaitvabienau-delàdeses
prérogatives.S’iln’avaitpasétélà,jesuiscertainequeleschosesauraientencoreplusmaltourné.—J’enaiassezdebatailleravectoiausujetdecetimbécile,conclut-il.Silaprincesseabesoinde
sereposer,montre-luisachambreetfiche-moilapaix.—Merci,sire.Saraselevaetexécutaunepetiterévérenceavantdesetournerversmoi.—Princesse,jevaistemontrertachambre.Je voulus protester,mais je compris que lemoment étaitmal choisi.Oren était prêt à s’énerver
contren’importequi,justeparcequ’ilenéprouvaitlebesoin,etjepréféraisquecenefûtpascontremoi.Unefoissortiedesappartementsduroietaprèsquelesportesfurentbienreferméesderrièrenous,
Sarasemitàmefairedesexcusesensonnom.Toutceciavaitétésiéprouvantpourlui.Celafaisaitdix-huitansqu’ilessayaitdemeretrouver,etEloraluiavaitrendulavieimpossible.Toutcelavenaitderessurgirenluicesoir.Sarasouhaitaitmefairecroirequ’Orenn’étaitpastoujoursainsi,maisquelquechosemedisaitque
c’étaitfortloindelavérité.Ils’étaitmontrételquelui-même,medonnantmêmel’impressiond’êtreplutôtdansunbonjour.Lorsquenousfûmesarrivéesdevantunechambrevoisinedelasienne,Saram’yfitentrer.C’était
uneversionpluspetiteetmoinsabondammentmeubléequelasienne,etellemefitdesexcusespour
le manque de vêtements que le placard contenait. Leur demeure n’était donc pas aussi fournie envêtementspourmoiquecelledeFörening.Nonquecelamepréoccupât,carhabillementethabitationétaientlecadetdemessoucis.—Vousnevousattendeztoutdemêmepasàcequejeresteici?luidemandai-jependantqu’elle
faisaitletourdelachambrepourmemontreroùsetrouvaientleschosesutilesetallumerleslampes.Paspendantquemesamissontretenusprisonniersdanslecachot,n’est-cepas?—Ilmesemblequetun’aspaslechoix,réponditSaraprudemment.Savoixnecontenaitpasdemenacecommecelled’Oren.Ellenefaisaitqu’énoncerunfait.—Ilfautquetum’aides,dis-jeenfaisantappelàsonévidentinstinctmaterneletenmerapprochant
d’elle.Ilssontenbas,sanseauninourriture,etjenepeuxpaslesabandonnerainsi.—Jepeuxt’assurerqu’ilssontensécuritéetqu’ons’occuperabiend’eux.Ellemeregardadanslesyeux,pourmefairecomprendrequ’elledisaitlavérité.—Tantquetuserasici,ilsserontnourrisethabillés.—Celanesuffitpas,répliquai-je.Ilsn’ontnilitnitoilettes.Je n’évoquai même pas le charme que j’avais accidentellement infligé à Rhys sans pouvoir le
défaire,etquil’empêchaitdes’asseoir.— Je suis désolée, répondit Sara avec franchise. Je peux te promettre que je vérifierai tout et
veilleraimoi-mêmeàcequ’onlestraitebien.Maisc’esttoutcequejepeuxfaire.—Nepeux-tulesfaireinstallerdansuneautrepièce,parexemple?Lesfaireenfermerdansune
chambreinoccupée?L’idéequ’ilssoienttenusprisonniersnem’emballaitévidemmentpas,maisobtenirqu’onlessorte
ducachotauraitétéunpasdanslabonnedirection.—Orennel’autoriserajamais,celaseraitprendreuntropgrosrisque.Jesuisnavrée.Commeellemeregardait,impuissante,jecomprisquejenepouvaisrienattendredeplusd’elle.—Jevaistetrouverdesvêtementsplusappropriéspourdormir.Aprèssondépart,jem’assissurlelitensoupirant,laissantmoncorpssedétendre.Lesmontagnes
russesdesentimentsquej’avaisescaladéespuisdévaléesm’avaientépuisée.Malgrécetteimmensefatigue,jeneréussispasàm’endormir.Jen’yparviendraispastantquejene
sauraispassiMattetRhysétaientensécurité.
SEPTCachotsethéros
Jenepeuxpasdirequej’avaisunplanentête,niquejesavaisoùj’allais.Saram’avaitapportédesvêtements:unpantalondeyogaetundébardeur,noirstouslesdeux.Aprèsm’êtrechangéeparcequejenetrouvaispasindiquédemebaladerenrobedusoir,jesortisàpasdeloupdanslecouloir.J’essayai de me rappeler le chemin emprunté par Loki pour me conduire jusqu’ici, mais les
lumières, qui avaient été tamisées, rendaient mon expédition dans ces lieux inconnus encore pluscompliquée.D’aprèsmonsouvenir,nousn’avionspasbifurquétrèssouventdanscescouloirs,cequidevraitsimplifierleschoses.Le plus difficile serait en revanche de savoir quoi faire une fois le cachot retrouvé. Peut-être
pourrais-jeutiliserlapersuasionsurlegardien.Ousic’étaitunautregnome,jepouvaisessayerdelemaîtriserpourluifaireouvrirlaporte.Je retrouvai l’escalier en colimaçon qui me conduisit seulement au rez-de-chaussée. Me restait
encoreàtrouverladescenteverslecachot.Lorsquej’atteignislebasdesmarches,j’entendisdesvoix.Medemandantsijedevaiscouriroume
cacher, je m’immobilisai, décidant que le mieux serait de me cacher dans un coin obscur. Je meprécipitaisousl’escalier,oùjemetapisenmefaisantaussipetitequepossible.Les voix augmentaient en approchant. Il s’agissait apparemment d’une discussion sur la façon
d’apprêter la meilleure courge. Mon cœur battait si fort que j’étais persuadée qu’ils pourraientl’entendre, et je retinsma respiration. Quelques instants plus tard, je vis passer les pieds de deuxgnomes.L’und’euxétaitunefemmeavecdelongscheveuxmiteux,quiluidescendaientennattedansledos.
Tous deux étaient très laids, mais à les entendre, ils semblaient inoffensifs. Ils avaient l’air plushumainsetnormauxquecertainsTryllesquej’avaispurencontreràFörening.J’attendis d’être certaine que les gnomes eussent disparu aubout du couloir pourme remettre à
respirernormalement.J’imaginaisquej’auraiseuledessusenlesattaquant,maisjen’avaisaucuneenviedefrapperdesinconnusauhasard.Enplus,ilsauraientpufairedubruitetalertertoutlemondeaupalais,ycomprisOren.Je sortis de sous l’escalier pour me retrouver quasi nez à nez avec Loki. Il était appuyé
négligemmentcontrelarampedesescaliers,leschevillescroisées.Jefaillispousseruncri,maismeretins,sachantquecelaneferaitqu’aggraverleschosesenattirantl’attention.—Salut,princesse,ditLokiensouriant.Onnedortpas?LuietLudlowm’appelaient«princesse»depuisledébut,etjepensaisqu’ilssemoquaientdemoi
etdemonrangchezlesTrylles.Aprèsavoirsuquej’étaiségalementleurprincesse,jecomprisqu’ilsnefaisaientlàquem’honorer.Pourtant, je savais bien quemon titre ne signifiait pas grand-chose pourLoki. Pour lemoment,
j’étaisaussiprisonnière.—Oui,j’étaisjuste…j’avaisfaim,bredouillai-je.—Histoireàpeineplausible,dit-ild’untonsceptique.J’aimeraisbienycroire.
—Jen’airienmangédelajournée.Mêmesiçan’étaitquelapurevérité,mesnerfsavaienttantnouémonestomacquejenepouvais
mêmepaspenseràmanger.—Qu’as-tul’intentiondefaire,medemandaLokisanssesoucierdemonexcuseminable.Mêmesi
tutrouveslecachot,commentlessortiras-tudelà?—Jenevaispaslefairemaintenant.Tucourraisaussitôtmedénoncer,pasvrai?J’étudiai son regard en essayant d’y déceler quelque chose, mais il était aussi ambigu que
d’habitude.—Peut-être.Ilhaussalesépaulescommes’iln’avaitencoreriendécidé.—Fais-moipartdetonplan.Ilnemériteprobablementpasqu’ondérangequiquecesoit.—Qu’est-cequitefaitcroireça?—Turessemblesàquelqu’unquisesaboteraitelle-même,dit-il.J’allaisouvrirlabouchepourprotester,maismaflagranteindignationlefitrire.—Neprendspasçaaussipersonnellement,princesse,çanousarriveàtous!—Jenem’arrêteraipastantquejen’auraipassortimesamisdecetendroit.—Maintenantjetecrois.Ilsepenchaversmoi.—Toutvatellementmieuxquandtudislavérité.—Commesij’étaislaplusfourbe,dis-jeavecdédain.—Jenet’aipasmentijusqu’ici,dit-ilavecunsérieuxinhabituel.—Bon,danscecas,commentjefaispoursortirmesamisducachot?—Cen’estpasparcequejenetemenspasquejevaisrépondreàtesquestions.Ilsourit.—Bien.Jelestrouveraitouteseule.Quelque chose me disait qu’il ne m’en empêcherait pas, même si je ne comprenais pas bien
pourquoi. Si Oren apprenait qu’il avait ne serait-ce que fermé les yeux surmes plans de fuite, ilpasseraitunsalequartd’heure.Quand jepassaidevant luipourmedirigervers ceque je supposais être lehallprincipal, ilme
suivit.J’accélérailepasetilfitdemême.—Parcequetucroisquec’estparlà?medemandaLokiavecunepointedetaquinerie.—N’essaiepasdem’embrouiller,jeconnaismonchemin.Jenemeperdsjamais.C’étaitfaux,jemeperdaissouvent.—N’est-cepasunequalitétrylle,d’ailleurs?—Jenesaispas,jenesuispastrylle.Toinonplus,dureste.—Jesuisàmoitiétrylle,répondis-jesurladéfensive.Pourquoi cherchais-je àm’accrocher à cela ? Je n’avais envie d’être ni trylle, ni vittra, ni autre
chose. La bonne vieille condition humaine m’avait parfaitement convenu jusqu’à aujourd’hui. Etbizarrement, depuis que je me trouvais dans ce bourbier ethnique, je me découvrais quelque peuprotectriceàl’égarddesTryllesetdeFörening,commesijetenaisàeuxplusquejenecroyais.
—Je te trouveplutôt fougueusecommeprincesse, fit remarquerLokipendantque jedévalais lecouloiravecdétermination.—Combiendeprincessesas-tuconnues?—Aucune.Ilpenchalatêteetréfléchit.—Jet’imaginaispluscommeSara.Ellen’estpasfougueusedutout,elle.—Saran’estpasmamère.Àl’instantoùnousatteignîmesleprincipalhalld’entrée,unesubiteenviedem’énervers’empara
demoi,maisjemecalmaienmerappelantquecen’étaitpaslemoment.Jevenaisjustedetrouverlecheminducachot,etmavéritableprioritéétaitd’ensortirMattetRhys.—Etmaintenant,quoi?demandaLokiens’immobilisantaumilieudelapièce.—Jedescendsetleslibère,répondis-jeenmontrantlesgrandesportesquipermettaientd’accéder
ausous-sol.—Non.Décidément,jen’aimepascetteidée,dit-ilensecouantlatête.—Biensûrqueçaneteplaîtpas.Tun’asaucuneenviequejelessortedelà.Moncœurbattaittrèsfortetjemedemandaijusqu’àquelpointLokiaccepteraitdecontinueràme
suivresurceterrain.—Çan’estpaspourça.C’estjustequeçanemesemblepastrèsintéressant.Ilrelevalesmanchesdesonsurvêtement,révélantainsilebronzagedesesavant-bras.—Etpourtoutdire,j’enaiassezdetoutça.Pourquoineferions-nouspasautrechose?—Non,jevaislessortird’ici,répliquai-je.Ilesthorsdequestionqu’onnousretienneprisonniers
ici.Iléclatad’unriresombreetsecoualatête.—Qu’ya-t-ildesidrôle?luidemandai-jeencroisantlesbras.—Tudisçacommesic’étaitmoiquivousretenaisprisonniers.Ildétournaleregard,maisquandilmeregardadenouveauavecsonsourireamer,jepusliredela
tristessedanssesyeux.—Ici,c’estOndarike.Noussommestousdesprisonniers,ajouta-t-il.— Et tu t’imagines que je vais croire qu’on te retient ici contre ton gré ? dis-je, incrédule, en
haussantunsourcil.Tutebaladespourtantlibrementdanscechâteau.—Toiaussi, fit-il remarquerenseretournant.Lesprisonsn’ontpas toutesdesbarreaux,et tu le
saismieuxquepersonne,princesse.—Ainsidonc,tun’espasl’hommedemainenchefduroi?—Jen’aipasditcelanonplus.Visiblementlasséparcetteconversation,Lokihaussalesépaules.—Cequejedis,c’estquepuisquejenepeuxrienpourtesamis,pourquoinepasnousintéresserà
autrechose?—Jeneferairiend’autretantqu’ilsn’aurontpasétélibérés,insistai-je.—Maistunesaismêmepascequejesouhaiteraisfaireàlaplace.Sonexpressionavaitchangé.Demorose,elleétaitdevenuegaie,etquelquechosedanssesyeuxme
fitunecurieuseimpression.Jenemesentaispasmal,niétrange,commelorsqu’ilm’avaitendormie,non,celan’avait rienà
voir avec le pouvoirmagiquevittra.C’était justeun regardquime faisait comme…papillonner àl’intérieur.Avantquej’eusseletempsd’analysermonsentimentetcequeLokicherchaitàmedire,uncoup
très fort frappécontre lesportesprincipalesnous interrompit.Lecorridordans lequelnousétionscontenaitdeuxensemblesdeportes,cellesquiouvraientsurl’étageinférieuretlesplusgrandes,quidonnaientsurl’extérieur.Cellesdesappartementsduroietdelareinesemblaientnainesàcôté.Les coups reprirent de plus belle, me faisant bondir. Loki passa devant moi. Cherchait-il à me
protéger?Ouàmecacher?Quandlesportess’ouvrirentbrusquement,unimmensesentimentdejoiem’envahit.Tove, qui venait de propulser les portes grâce à son don, se tenait de l’autre côté, absolument
irrésistible. Tove était un Trylle malin et puissant que j’avais connu à Förening. Son caractèreantisocialetexcentriquem’avaitplu,maisc’étaitaussiladernièredespersonnesquejem’attendaisàvoirici.Sestalentsluipermettaientdefairebougerlesobjetsavecsonesprit,etrienquepourcela,ilétaitunprécieuxallié.Puis,jevisquil’accompagnait.Derrièrelui,DuncanetFinnattendaientqu’ileûtouvertlesportes
pourseprécipiteràl’intérieur.Moncœurfaillitexploserquandj’aperçusFinn.J’avaiseusipeurqu’iln’aitétéblesséoudenejamaislerevoir,maisilétaitbienlà.—Finn!Tuvasbien!Jem’élançaiversluienpassantdevantLoki.Jepassaimesbrasautourde luiet ilme renditmonétreinteavecune telle forceque jecompris
qu’il avait été inquiet àmon sujet.Mais à peine avais-je eu le temps dem’en rendre compte qu’ilouvritlesbraspourmerepousser.—Wendy,ilfautfiler,dit-ilcommesij’avaisprétenduêtrelàenvacances.—MattetRhyssontici.Ilfautd’abordleslibérer.JemetournaipourcommenceràexpliqueràFinnoùsetrouvaitlecachotetjevisqueToveavait
épingléLokicontrelemur,enhauteur.Deboutquelquesmètresenarrière,ilgardaitunemainlevéeversLoki,qui,ainsisuspendu,grimaçaitdedouleur.—Non,Tove!Neluifaitespasmal!criai-je.Tove me regarda, puis, sans poser de question, fit redescendre Loki et le relâcha. Essayant de
récupérersonsouffle,Lokisecourbaensetenantlescôtes.Tove n’était pas violent de nature,mais après la terrible bataille qu’il avait dûmener contre les
Vittrasquelquesjoursplustôt,onnepouvaitluienvouloird’êtreunpeutropsursesgardes.—Sortonsd’ici,ditDuncanenm’attrapantparlebras,commes’ilcherchaitàm’entraînerdehors.Jeluijetaiunregardagacéquiluifitlâcherprise.—Pardon,princesse.Maisilfautnousdépêcher.—Jeneparspas sansMatt etRhys,dis-je encoreune fois,puis jeme tournaiversLoki.Vas-tu
m’aideràlesrécupérer?Nos regards se croisèrent. Son arrogance avait cédé la place à une expression de douloureuse
confusion, et je savais que ce n’était pas seulement à cause de ce que Tove venait de lui infliger.Quelquesinstantsplustôt,ilavaitcompriscequej’endurais,mêmes’ilsesavaitdansl’impossibilitédem’aider.Maintenantqu’ildisposaitd’unenouvellechance,j’espéraisqu’illasaisirait.—Nousreviendronsleschercher,ditFinn.Aprèsl’énormevacarme,personnen’avaitencoresurgidanslehallpourinspecterleslieux,mais
çan’étaitdésormaisplusqu’unequestiondeminutes.Etjesavaisqu’ilvaudraitmieuxpournousnepasnousretrouvernezànezavecOren.—Non.Nousnepouvonspaspartir,dis-je.Sinouspartons,illestuera.J’imploraiLokiduregard.—Loki,jet’enprie.—Princesse…Lokinefinitpassaphrase.—Tun’aurasqu’àdireauroiquenoust’avonsbrutalisé.Tupourrastoutnousmettresurledos,
affirmai-je.Ilnesaurajamaisquetunousasaidés.Lokinemeréponditpasimmédiatement,cequidutparaîtretroplongpourFinn.Celui-cis’éloigna
demoipourattraperbrutalementLokiparlebras.—Oùsont-ils?demandaFinn.Lokineréponditpas.Sachantquenousdevionsfairevite,jem’élançaiverslecachot,suiviedeprèsparToveetFinn,qui
traînaientLokiparlebras.—Parici,lançai-jeavecuneinquiétudefébrile.J’ouvris si brusquement la porte du sous-sol que je faillis tomber dans l’escalier,maisFinnme
rattrapaparlebras.Duncan,moinschanceux,trébuchasurseslacetsdéfaits.Jelevailesyeuxaucieletattendisqu’ilnousrejoignît.—C’est quoi ce bazar ? s’exclama-t-il en apercevant le gnome qui gardait la cellule deMatt et
Rhys.Cen’étaitpasLudlow,maisungnometoutcommelui.Touss’immobilisèrentàlavuedupersonnage.LaréactionatterréedeDuncan,deFinn,etmêmede
Tove,meplut.Jen’étaisapparemmentpaslaseuleàêtredéconcertéeparcetypedeVittra.Jen’auraissudiresicelaprouvaitqu’Orensavaitbiengarderunsecretousil’ondevaitattribuercelaàElora,maisj’euscommelesentimentqu’ilyavaitunpeudesdeux.—Peuimporte.Jem’approchaidelaporteaprèsavoirécartélegnomedemoncheminsansproblème.Ilnerésistaguère.Ennousdécouvranttouslesquatre,avecFinnquitenaitLokienotage,ilsavait
qu’il n’avait aucune chance. Il fit mine de détaler, mais Tove l’arrêta et le plaqua au mur pourl’empêcherdedonnerl’alarme.—Quelpiètreservicedegarde,fitremarquerDuncan.Il observait le gnome qui pendait du mur pendant que je me dirigeais vers les portes pour les
déverrouiller.—Nousnenousattendionspasvraimentàcetyped’invasion,ditLoki.
Ilfitcetteremarquepéniblement,commes’ilavaitmal,oucommes’ils’adressaitàunpetitenfant.MaisilnefitaucunetentativepouréchapperàlapoignedeFinn.—C’étaitparticulièrementstupide,déclaraDuncanenriant.Elleestlaprincesse,quandmême.Nul
besoind’êtresorcierpourimaginerquenousviendrionslarécupérer.—Non,eneffet,réponditLoki,lesdentsserrées.—Jenecomprendspascesystème!dis-jeaprèsavoirtriturédesloquetsenpureperte.C’était leprocédédeverrouillageleplustarabiscotéquej’avaisrencontrédemavie.Jelevailes
yeuxversLoki.—Tusaiscommentfaire?Ilsoupira.Finnluisecoualebras.LokiobservaitFinncommemoi,maiscelui-cine leregardait
pas,carilavaitlesyeuxposéssurmoi.—Aide-la,c’esttout,ditFinnenluilâchantlebrasàcontrecœur.Sans un mot, Loki approcha de la porte pour la déverrouiller. Je l’observai, sans parvenir à
comprendrecomment il s’yprenait.Verrouset loquetscliquetèrentbruyamment,et j’entendisRhyscrierquelquechosedel’intérieurdelacellule.FinngardaitlesyeuxbraquéssurLokipourlecasoùilferaitungestesuspectetDuncanexaminaitleslieuxenfaisantdescommentairessurl’humiditéducachot.Dèsque laporte s’ouvrit,MattetRhysbondirent, renversantpresqueLokiaupassage.Toutà sa
joie,Rhysmesautaaucou.JenepusapercevoirleregarddeFinn,quejedevinaisfurieux,maisjevisenrevancheceluiqueMattdécochaitàFinn.Toutauraitpuvirerauchaos,maisnousn’avionspasletempsdenousappesantir.—Tuyespourquelquechose,n’est-cepas?demandaMatt,lesyeuxbraquéssurFinn.—Oh,Matt, laisse tomber,déclarai-jeenmedégageantde l’étreintedeRhys. Ilest làpournous
tirerd’affaireetilfautquenoussortionstousd’ici.Tais-toietfilons.—Nousdevrionsêtrearrêtéstrèsviteparquelqu’un,non?demandaDuncan,estomaquédevoir
qu’aucunecontre-attaqueneseproduisait.—Tirons-nousvite,indiquaMattensaisissantlaperchetendue.Tovelaissaretomberlegnomeplaquécontrelemur,ettouss’élancèrenthorsducachot.Je m’arrêtai pour regarder Loki, qui restait planté devant la porte de la cellule avec un air de
profondedétresse.Sonaudacedetantôtavaitcomplètementdisparuetsesyeuxdorésnemequittaientpas.—AttendsunpeuavantdedireàOrenquenoussommespartis,d’accord?luilançai-je—Commetuveux,répliquaLokisimplement.Ilme regardad’une façonqui réveillaenmoi lespetitspapillonnementsque j’avais ressentisun
étageplushaut.—Mercidenouslaisserpartir,dis-je.Mais ilne répondit rien.Sensibleàcequ’il avaitditplus tôt, je songeaià luidemanderdenous
suivre.Maisàpeineallais-jeluiproposerdefuiravecnousqueFinnmefitravalermonidée.—Wendy!m’appela-t-il.Je courus le rattraper. Le contact pourtant léger de sa main lorsqu’il prit la mienne me parut
puissant, sécurisant et m’envoya une série d’agréables picotements dans tout le corps. Tandis quenous nous élancions dans l’escalier, le simple fait de tenir sa main me fit presque oublier qu’ilm’avaitblesséeetquenousétionsentraindenousenfuird’uneprisonennemie.L’airfroiddelanuitmesaisitensortant.Duncanouvraitlamarche,trébuchantdanslenoir,suivi
deprèsparRhys.ToveetMatts’arrêtèrenttouslesdeuxpourvérifierqueFinnetmoisuivionsbienlemouvement,Mattnouslançantdesregardsparticulièrementméfiants.La terre était glacée sous la plante de mes pieds, que branches et pierres cisaillaient. Quand je
ralentissais,Finnserraitmamain,cequimestimulait.L’airavait,commeenpleinhiver,uneodeurdepommedepinglacée,etj’entendisunechouettehululerauloin.Je jetaiuneseulefoisuncoupd’œilenarrière,maiscommelechâteaun’avaitquasimentpasde
fenêtres,jenevisqu’unemassesombresedresserauloin.LaCadillac argentée de Finn nous attendait en bordure de bois. La lune, dont la lueur filtrait à
travers les arbres, se réfléchissait sur la carrosserie. J’accélérai le pas, mais je n’aurais pas eul’énergiedecourirainsijusqu’àFöreningcommej’avaiscraintdevoirlefaire.Quandnousatteignîmesl’auto,Duncanavaitdéjàgrimpéàl’arrière,etMatt,quitenaituneportière
ouverte,attendaitquej’arrivasse.Rhys,deboutàcôtédelui,manifestaitplusd’anxiétéenpiétinantsurplace.—Montez!Allez!ordonnaFinnenlesregardantcommedeuxidiots.Tovefutleseulàs’exécuter,ens’asseyantàl’avantsurlesiègepassager.—Wendy,ditRhys.Jenepeuxpasm’asseoir.—Quoi?Exaspéré,Finnnousregardait,Rhysetmoi,àtourderôle.—J’aiutilisélapersuasionsurluietl’aibloqué…Commejemelançaisdansdesexplicationsmaladroites,Finnm’interrompit.—Dis-luijustederentrerdanscettefichuevoiture,ditFinn.Voyantquejenecomprenaispas,ilajouta:—Utiliselapersuasion.Fais-leasseoirdanslavoiture.Nousnousenoccuperonsenarrivantàla
maison.JeregardaiRhys,àpeinecapabled’apercevoirsesyeuxsouslapleinelune,maisjenesavaispassi
celaavaitdel’importance.Enusantdetoutemaconcentration,jeluidisd’entrerdanslavoiture.Ils’yinstallaquelquessecondesplustardenlaissantéchapperunprofondsoupirdesoulagement.—C’estsiiibondes’asseoir!dit-il.Unsentimentdeculpabilités’emparaànouveaudemoi.Matt entra dans la voiture après lui, sans fermer la portière. Il attendait que je vinssem’asseoir
derrière, près de lui, mais Finn, qui me tenait toujours par la main, me fit passer du côté duconducteur. Je m’assis, puis glissai pour m’installer sur l’accoudoir dumilieu pour que Finn eûtsuffisammentdeplacepourconduire.Mattsemitàrouspéter,maiscommeFinnmettaitlecontact,ilnepestapaslongtemps.Ildutclaquer
laportière,carFinnaccélérait.Denotrecôté,nousobservionsunsilencecrispé.Jecroisquenousnous étions tous attendus à ceque lesVittrasne lâchentpasprise aussi vite, surtout aprèsm’avoir
pourchasséeavecautantd’acharnement.Cettefuitemesemblaitpresque…tropfacile.—C’estbizarre,ditDuncan,ilsn’ontrienfait.Ilsn’ontpasvraimentessayédenousarrêter.—Nousavonsquandmêmeunpeuendommagéleurtroupe,rétorquaToveenessayantdetrouver
uneexplicationplausible.Jesuissûrqu’unebonnepartiedeleurtrouperécupère,oubien…Ils’interrompit,n’osantsansdoutepasconfirmeràvoixhautequelesTryllesavaienttuécertains
desVittrasaumomentdeleurassaut.Duncanfitencorequelquesremarquessurl’étrangetédetoutel’affaire,précisantqu’Ondarikelui
avaitparutellementdifférentdecequ’ilavaitimaginé.Commepersonnen’ajoutarien,ilfinitparsetaire.J’avais réussi à m’installer aussi confortablement que mon siège me le permettait. Une fois en
sécurité,jepouvaisréellementm’abandonneràlafatigueetpeuimportaitsurquoij’étaisassise.Jeposaimatêtecontrel’épauledeFinn,exultantsecrètementderetrouversoncontact.Tandisque
jemelaissaisgagnerparlesommeil,lesimplefaitd’entendresarespirationm’apaisa.
HUITPrédictions
Autantilavaitétébondem’endormirprèsdeFinn,autantleréveilfutdéplaisant.Jesouffraisencoredes derniers coups portés par Kyra, à quoi s’ajoutaient les courbatures causées par la positioninconfortabledanslaquellej’avaisdormi.Au moment où Finn s’arrêta devant la maison, je m’étirai et mon cou, tout tendu, me fit
horriblementmal.Jesortisdelavoitureenfaisantroulermesépaulespourmedétendrelanuque,etvisMattqui,bouchebée,admiraitlademeure.Ilfautdirequ’appuyéeauxfalaisesentourantlefleuveMississippi,elleavaitl’aird’unopulentet
somptueux palais.Recouverte en grande partie de vigne, elle était accrochée à la falaise, soutenueseulement par de fins piliers, et toute la façade donnant sur le fleuve n’était qu’une immense baievitrée. Jeme souvinsde l’impression fantastiquequ’ellem’avait faitequand je l’avaisvuepour lapremièrefois,maispourlemoment,j’étaistropencolèrepouravoirenviedelacontempler.J’auraisaiméexpliquerdestasdechosesàMatt,maisilfallaitd’abordquejeparlasseàElora.Elle
m’avaitencorementi.Sij’avaissuqueleroidesVittrasétaitmonpère,jamaisjen’auraisemmenéRhyschezMatt.Jenelesauraispasnonplusexposéstouslesdeuxaudanger.Quandnousentrâmesdanslademeure,jelaissaiRhysfairevisiterleslieuxàMatt.Nesachantpas
encore comment le débarrasserdu charmeque je lui avais infligé, j’avais choisi de lui intimerderesterdebout,laissantFinnetToves’occuperdeluiparlasuite.Finn me suggéra de commencer par me calmer, mais sans l’écouter, je m’élançai vers les
appartementsd’Elora.Ellenemefaisaitpluspeurdutout.Pasuneseconde.Orenauraitétécapabledemefairephysiquementmal.Elora,danslepiredescas,nepourraitquem’humilier.Lepalais étaitdiviséendeuxailes immenses, séparéesparune rotondequi servait égalementde
halld’entrée.Toutcequelepalaispouvaitcontenirdepiècesofficiellesse trouvaitdansl’ailesud,avecdessallesderéunion,unesalledebal,unegigantesquesalleàmanger, lasalledutrône,ainsiquelesquartiersdupersonneletlachambredelareine.L’ailenordaccueillaitdespiècesplussimples,commemachambre,leschambresd’amisetenfinla
cuisine.Lepetit salonde réceptiond’Elorase trouvaitauboutde l’ailenord,encoin.Deuxdesesmurs étaient entièrement vitrés et elle y passait les trois quarts de son temps à peindre, à lire ousimplementàsedétendre.—Quandallais-tum’annoncerqu’Orenestmonpère?lançai-jeenouvrantbrusquementlaporte.Elora,allongéesuruneméridienne,sagranderobesombreflottantautourd’elle,étaitd’unerare
élégance,même au repos. Si j’avais été jalouse de sonmaintien et de sa beauté dès l’instant où jel’avaisaperçue,jenelesconsidéraisplusmaintenantquecommeunefrêlefaçade.Elleagissaitpourlagalerieetjecraignaisqu’iln’yaitriendeprofondderrièretoutcela.Tandis qu’elle levait le bras pour se protéger les yeux, comme si la lumière avait été trop
aveuglante, jeme tenaisdebout sur le seuil de laporte, lesbras croisés.Commeelle était souventprisedemigraine,c’étaitpeut-êtreprécisémentlecasaujourd’hui.Oupeut-êtrepas,puisqu’elleavaitlaissélesstoresgrandsouverts,permettantàlalumièrefortedumatind’inonderlapièce.
—Jesuisheureusedevoirqu’ilnet’estrienarrivé,dit-ellesanstoutefoisbougersonbras,cequiluiauraitpermisdemevoirvraiment.—Çam’enatoutl’air,dis-jeenapprochantpourmeplacerenfaced’elle.ÉcouteElora,ilfautque
tumedises lavérité.Tunepeuxpascontinuer ainsi àmecacherdeschoses si tu souhaitesque jegouverneunjour.Jeferaisunetrèsmauvaisereinesij’étaislaisséeainsidansl’ignorance.J’avaisdécidédememontrerraisonnable,plutôtquedeluilancerd’unseulcoupàlatêtetoutce
quej’avaisàluidire.—Ehbienmaintenant,tuconnaislavérité.Ellesemblaitdéjàlasséeparlaconversationquivenaitàpeinedecommencer.Ellefinitparbaisser
lebras,soutenantpéniblementmonregardirritédesesyeuxnoirs.—Pourquoimeregardes-tuainsi?—C’esttoutcequetuasàmedire?demandai-je.—Queveux-tuquejetedisedeplus?Eloras’assitd’unmouvementsoupleetgracieux.Commejenebattaispasenretraite,ellefinitpar
serelever,visiblementmalàl’aiseàl’idéequejelaprenaisdehaut.—Jevienstoutjusted’êtreenlevéeparlesVittras,dontleroiestmonpère,ettun’asrienàmedire
?Jelafixaiduregard,perplexe,etelles’éloignaverslabaievitréeenmetournantledos.—Jeseraisplussensibleàtadétressesitunet’étaispasenfuie.Ellecroisa lesbras sur sapoitrineen s’étreignantpresque touten regardantcouler la rivièreau
fonddelavallée.—Jet’avaisrigoureusementinterditdequitterl’enclave,ettoust’ontexpliquéquec’étaitpourta
sécurité. Après l’attaque, tu étais la mieux placée pour évaluer les dangers qui te guettaient si tupartais.Etpourtanttuespartie.Nevienspasmaintenantmereprocherlasituationdanslaquelletut’esmisetoi-même.—Aprèsl’attaque,jepensaisjustementqu’ilsétaienttropmeurtrisetterrifiéspourselancerdans
uneautreinvasion!m’écriai-je.Jen’imaginaispasquelesVittrass’acharneraientàcepointsurmoi,maissij’avaissuavantquiétaitmonpère,j’auraiscertainementenvisagéleschosesautrement.—Tutenaistondestinenmainlorsquetut’esenfuieettulesavais,réponditElorasimplement.—Bonsang,Elora!rétorquai-je.Laquestionn’estpasdesavoirsurquirejeterlafaute,d’accord?
Jeveuxsavoirpourquoitum’asmenti.Tum’asditquemonpèreétaitmort.—C’étaitcequ’ilyavaitdeplusfacileetdeplussimple,répliqua-t-elle,commesiceladevaittout
arranger.Elleavaittrouvéplusfaciledementirpourquejenechercheplusàluicompliquerlavie.—Quelleestlavérité,alors?luidemandai-jedirectement.—J’aiépousétonpèreparcequec’étaitcequ’ilfallaitfaire.Commeellen’avaitrienditdeplussurlesujetdepuislongtemps,jepensaisqu’elleallaits’entenir
àça,maisellecontinua:—LesVittrasetlesTryllessebattentdepuisdessiècles,peut-êtremêmedepuistoujours.—Pourquoi?
Jemerapprochaid’elle,maisellenemeregardapaspourautant.—Pourdifférentesraisons.Ellehaussalégèrementlesépaules.—LesVittrasonttoujoursétéplusvindicatifsquenous,maisnoussommespluspuissants.Celaa
donnénaissanceàuncurieuxrapportdeforces.Ilsonttoujourscherchéàtoutdiriger,plusdeterres,plusdegens.—Ettuascruquelefaitd’épouserOrenmettraitfinàdessièclesdebatailles?—Mesparentslecroyaient.IlsavaientarrangélemariageavantquejenerevienneàFörening.Commemoietmêmesielleenparlaitpeu,Eloraavaitétéuneenfantsubstituée.—Biensûr,j’auraispum’yopposercommetuascontestétonnom.Jedécelaiunedosed’amertumedanssesdernièresparoles.Quandj’étaisrevenuevivreauprèsdes
Tryllescontremongré,ilavaitétéprévuqu’aucoursd’unecérémonied’intronisation,j’abandonnemonprénomcontreunautre,soi-disantplusapproprié.J’avaisrefusé.Grâceàl’attaquedesVittras,quiavait faitcapoter lacérémonie, jen’avaispaseuà lechanger.Eloraavait finiparenconvenir,m’autorisantàgardermonprénom.Jedevenaisdecefait lapremièreprincessedenotrehistoireàavoirpulefaire.—Maistunet’yespasopposée?luidemandai-jeenignorantsapetitepique.—Non.J’aifaitpassermespropresdésirsaprès lebiendupeuple.Etc’estunechosequetuvas
devoirapprendreàfaire.Lalumièrebrillaitdanssescheveuxenformantautourcommeunhalo.Ellesetournaverslabaie
vitréeetlehalodisparut.—Siunsimplemariagepouvaitmettrefinàl’horreur,ilfallaitquejem’yplie.J’aipenséauxvies
etàl’énergiegaspilléesdesTryllesetdesVittras.—C’estpourçaquetul’asépousé,conclus-jeàsaplace.Etensuite,ques’est-ilpassé?—Pasgrand-chose.Nousnesommespasrestésmariéstrèslongtemps.Ellesefrottalebrascommepourfairedisparaîtrelasensationdefroidqu’elleseuleressentait.—Je l’avaisdéjà rencontréquelquesfoisavant lemariage,et il s’était trèsbiencomporté.Jene
l’aimaispas,mais…Elleneterminapassaphrase,etàlafaçondontlesmotsrestèrentsuspendusenl’air, jecompris
qu’elleavaitdûs’yattacher.Je ne pouvais vraiment pas imaginer Elora tenant à quelqu’un. Quand elle flirtait avec Garrett
Strom, cela ressemblait plus à du spectacle pour la galerie. Je ne suis pas certaine qu’ils sefréquentaientvraiment,maisilsemblaitteniràelleetnepassouhaiters’enéloigner.Enoutre,ilétaitunmarkis,cequifaisaitqu’ellepouvaitl’épouserquandelleenauraitenvie.FinnetRhysm’avaient tousdeuxmisedans laconfidenced’une longuehistoired’amoursecrète
entreEloraetlepèredeFinnaprèsledépartdemonproprepère.Commeilavaitétépisteuretmariéà la mère de Finn, ils n’avaient jamais pu s’afficher ensemble officiellement, mais Rhys avaitprétenduqu’ellel’aimaitvraiment.—Ques’est-ilpasséaprèsvotremariage?luidemandai-je.Perduedanssespensées,Eloraenfutbrusquementtiréeparmaquestion.
—Çanesepassaitpastrèsbien,dit-ellesimplement.Iln’étaitpasfranchementcruel,cequiapeut-êtrerenduleschosesencoreplusdifficiles.Jeneparvenaispasàlequitter,entoutcaspaspouruneraisonvalable.Passansqu’ilyaiteudesconséquences.—Maisc’estbiencequetuasfiniparfaire?—Oui.Aprèsquetueusétéconçue,il…Elles’interrompit,cherchantsesmots.— Je ne pouvais plus le supporter. Je l’ai quitté juste avant ta naissance. Puis, je t’ai cachée. Je
voulaistrouverunefamilleassezfortepourtegarderetteprotéger,pourlecasoùilchercheraitàteretrouver.—Est-cepourcelaqueFinnacommencéàmepistersitôt?demandai-je.Habituellement, les pisteurs ne se lançaient à la recherche des enfants substitués que lorsqu’ils
avaientaumoinsatteintl’âgededix-huitans,autrementdit,lorsque,adultes,ilspouvaientpercevoirleurfondsenfiducie.Finnm’avaitpistéedepuisledébutdemadernièreannéeausecondaire,cequifaisaitdemoilaplusjeunedessubstituéesjamaisrevenuesàlamaison.Il avait prétendu que, parce que je déménageais trop, ils avaient eu peur de me perdre mais,
maintenant,jesoupçonnaisplutôtqu’ilsavaientcraintquejesoisd’abordenlevéeparlesVittras.—Oui, acquiesça Elora. Fort heureusement, je n’étais pas encore reine des Trylles quand nous
noussommesséparés.MêmesiOrenestroidesVittras,àl’époque,iln’étaiticiqueprince.Iln’avaitaucundroitsurleroyaume.Sinon,leschosesauraientpuévoluerdifféremment.—Quandes-tudevenuereine?demandai-je,oubliantmomentanémentcequejevenaisd’apprendre
surOren.Je ne pouvais imaginerElora en princesse.Bien sûr, jeune et inexpérimentée, il avait bien fallu
qu’ellepasseparlàelleaussi,maisilyavaitchezelleunetelleallureinnéequ’onavaitdumalàlavoirautrementqu’enreine.—Peudetempsaprèstanaissance.Elorasetournaversmoi.—Maisjesuisheureusequetusoisici.—J’aibienfaillinepasrevenir,décochai-jeenessayantdefairenaîtreenelleunpeud’inquiétude.Ellehaussaunsourcil,maisneditrien.—LeurpisteuseKyram’abattuecommeunchien.SiOrenn’étaitpasmariéàuneguérisseuse,je
seraismorteàl’heurequ’ilest.—Tune serais pasmorte,m’envoya-t-elle en guise de réponse, comme tous ceux à qui j’avais
expliquéqueKyram’avaitblessée.—Jecrachaisdu sang !Unecôtebriséem’aprobablementpercéunpoumon,ouquelquechose
commeça.Mescôtesmefaisaienttoujoursmaletjem’étaisbeletbienvuemourirdanscecachot.—Orennetelaisseraitjamaismourir,rétorquaEloraavecdédain.Elles’éloignadelafenêtrepourvenirs’asseoirsurlaméridienne,maisjerestaidebout.—C’estpossible,admis-je.MaisilauraitputuerMattetRhys.—Matt?
Elleparuttroubléel’espaced’uninstant,affichantuneexpressionpeuhabituellechezelle.—Monfrère,enfin,monfrère«d’accueil»,oupeuimportecommentvouspréférezl’appeler.Comme j’en avais assez de devoir expliquer chaque fois qui il était, je décidai qu’à partir de
maintenant,jenel’appelleraisplusque«monfrère».D’autantque,pourmoi,c’étaitbientoujourscequ’ilétait.—Ilssontici?L’expressiondesonvisagepassadelasurpriseàl’agacement.—Oui,jen’allaispasleslaisserlà-bas.Orenlesauraittuésrienquepourmecontrarier.Jen’étaispascertainequecefutvraiounon,maiscelasemblaitplausible.—Vousavezdonctousréussiàvousensortir?Pendantunecourteseconde,elleeutl’airréellementinquiète.PasaupointoùMattsesentaitinquiet
biensûr,maiscelaressemblaitaumoinsàunsentimenthumain,prochedel’affection.—Oui,c’estbiença.FinnetTovenousontsortisdelàsansaucunproblème.Jefronçailessourcilsenmesouvenantdelafacilitéaveclaquellenousavionsfui.—Ils’estpasséquelquechose?demandaElora,quidevinaitmaperplexité.—Non, déclarai-je en secouant la tête.Et c’est bien ça le problème. Il ne s’est rien passé.Nous
sommessortisdelàpratiquementennousbaladant.—C’estbienparcequ’Orensouhaitaitqu’ilnet’arriverien,tusais.Ellelevalesyeuxauciel.—Ilesttellementarrogant,çal’atoujoursperdu.—Queveux-tudire?—Ilestpuissant,trèspuissant.Ilyavaitdansletondesavoixunepointed’admirationquejen’avaisencorejamaisperçue.—Ilatoujoursétépersuadéqu’ilpouvaits’emparerdecequ’ilvoulait,quandillevoulait,etque
personne ne l’arrêterait. Il est vrai que la plupart des trolls le craignent au point de ne jamais lecontredire.Etils’estimaginé,àtort,quejefaisaispartiedeceux-là.—Mais je suis ta fille. Il devaitbien sedouterque tu tenteraisquelquechose? luidemandai-je,
incrédule.—Commejeledisais,ilestterriblementarrogant.Ellesefrottalestempesetsecalasurlaméridienne.Eloraavaitundondeprémonition,ainsiquecertainspouvoirsentélékinésie.Jeneconnaissaispas
toutelagammedecetypededons,maisj’espéraisensavoirdavantagetôtoutard.Jemetournaipourregarderplusattentivementlestoilesaumoyendesquelleselleprédisaitlefutur.
Ilyavaitdanslapièceseulementdeuxpeinturesterminées,etuneautre,àpeineentamée,surlaquelleelletravaillaitencore.Deladernière,quineprésentaitqu’uneétenduedebleudansuncoin,jenepusrientirer.Lapremièredestoilesterminéesdépeignaitlejardindel’arrièreduchâteau.Ilcommençaitsousle
balconetdévalait lacolline,entièremententouréd’unmurdebriques.Laseulevisiteque j’yavaisfaiteavaitétéidyllique,grâceàlamagiedesTryllesquileconservaitenétatdeperpétuellefloraison.Dans son tableau, le jardin était couvert d’une fine couche de neige, qui miroitait et scintillait
commedesdiamants.Maislecourant,quicoulaitdelachuted’eauverslafontaine,n’avaitpasgelé.Malgré le contexte hivernal, toutes les fleurs étaient écloses. Des pétales roses, bleus et pourpresluisaientsousunecouchedegeléeblanche,quifaisaitressemblerl’ensembleàunjardinexotiquedecontedefées.Eloraétaitextraordinairementdouéepourlapeintureetjeluiauraisfaitpartdemonadmirationsi
j’avaispenséquemonopinionluiimportaituntantsoitpeu.Labeautédecetableaumecaptivaittantqu’ilmefallutunpetitmomentpourremarquerquelquechosedesombre,dansuncoindelatoile.Unesilhouettesetenaitaubord,celled’unhommeauxcheveuxbeaucoupplusclairsquelesmiens,
mais les ombres en rendaient la lecture difficile. Comme il se tenait un peu à l’écart, son visagedemeuraittropfloupourêtrediscernable.Bienquejeneparvinssepasàledistinguerparfaitement,ilm’apparutcommemenaçant.Oubien
c’était cequ’Eloraavaitpu sedirequandelle l’avaitpeint, et en tout cas, cette aura transparaissaitfortement.—Quandas-tucomprisque lesVittrasm’avaientattrapée? luidemandai-je,merendantsoudain
comptequ’elleavaitdûlesavoirdepuisledébut.—Quand Finnme l’a dit, répondit-elle, l’air absent. Il est venu chercher Tove, puis il a filé te
chercher.—Ettuasjuste…J’étais sur le point de lui demander pourquoi elle les avait laissés partir sans le soutien d’une
troupe.Maismonregardfutsoudainaccrochéparsadeuxièmetoileetjem’interrompis.Celle-cimedépeignaitengrosplanàpartirdemataille.L’arrière-plannoiretgris,maisflou,ne
donnaitaucuneindicationsurl’endroitoùjepouvaismetrouver.Jeressemblaisàpeuprèsàcequej’étaisàcet instant,enbeaucoupmieuxhabillée.Mescheveuxétaientdéfaitsetmesbouclesbrunesjolimentcoiffées.Jeportaisunerobeblanchesuperbe,décoréedediamantsassortisàceuxdemoncollieretdemesbouclesd’oreilles.Maisleplusétonnantétaitquejeportaissurlatêteunecouronnefaited’argenttorsadéetornéede
diamants. Commemon visage ne témoignait aucune expression particulière, je n’aurais su dire sij’étaisheureuseoufurieused’êtrecouronnée,maisc’étaitbeletbienunportraitdemoienreine.—Quandas-tupeintceci?Jedésignai la toileenme tournantversElora.Sonbrasmasquait toujourssesyeux,maiselle le
soulevapourvoirdequoijeparlais.—Oh,ça.Ellelaissaretombersonbras.—Netemontepaslatêteavecça.Tudeviendraisfolleàforcedevouloirdécouvrir,ouprévenir,
l’avenir.Ilvautbienmieuxlaisserlesévènementssuivreleurcours.— Est-ce pour cela que tu ne semblais jamais inquiète au sujet de ma mort ? lui demandai-je,
surpriseparmaproprecolère.Elorasavaiteneffetquejenemourraispas.Elleavaitlapreuvequ’unjour,jeseraisreine,etelle
n’avaitmêmepaséprouvélebesoindem’eninformer.Ellesoupira.—Parmid’autreschoses.
—Qu’est-ce que cela signifie ? lançai-je. Pourquoi faut-il toujours que tu sois si énigmatique àproposdetout?—Celaneveutriendire!Elleeutsoudainl’airagacée.—CettepeinturepourraitbiensignifierquetudeviendrasreinedesVittras.L’avenirestbientrop
impalpablepourpouvoirêtrecaptéoumodifié.Etcen’estpasparcequej’aipeintquelquechosequecelaarrivera.—Maistuavaispréditl’attaquedesVittraslorsdelacérémonied’intronisation,rétorquai-je.J’ai
vuletableau.Tuaspeintlasalledebalenfeu.—Ouietjen’aipaspuarrêterquoiquecesoit,répondit-elled’untonglacial.—Tun’asmêmepasessayé!Tunem’aspasprévenue,niannulélacérémonie!—J’aiessayédel’arrêter!Elle me décocha un regard noir qui m’aurait fait reculer peu de temps auparavant, mais plus
maintenant.—J’ai rencontré tout lemonde. J’enaiparléàchacun. Je l’aidit àFinnetauxpisteurs.Mais je
n’avais rien sur quoi m’appuyer. Je n’avais vu que du feu, des lustres et de la fumée. Aucunepersonne.Aucunepièce.Pasmêmeuneidéedumomentoùlachoseseproduirait.Sais-tucombiendelustres nous avons, ne serait-ce que dans l’aile sud ? Que devais-je faire ? Dire à tout le monded’éviterleslustresàtoutjamais?—Jenesaispas,balbutiai-je.Tuauraispufaire…quelquechose.—Jenecomprendsqu’aprèscoupcequesignifientmesvisions,ditElora,pluspourelle-même
quepourmoi.Et il envademêmeavecchacune.C’estpresqueplus contrariantpourmoidevoirl’avenir, puisque je ne sais pas ce que la vision signifie, et que je ne peux l’arrêter. C’est après,seulement,quetoutdevientévident.—Alors,finalementquedis-tu?m’enquis-je.Quejeneseraipasreine?—Non.Jedisquelapeinturenesignifierien.Ellefermalesyeuxetsefrottalesailesdunez.—Jesuisprised’uneterriblemigraine.Jenecroispaspouvoircontinuercetteconversation.—Bon.Commetuvoudras.Jelevailesmainsensigned’impuissance,sachanttrèsbienquejenepouvaisforcerEloraàrien.
J’avaisdéjàdelachancequ’ellen’aitpasappeléFinnpourqu’ilmevire.C’estalorsquejemesouvinsdelui:Finn.Jen’avaispaspuluiparlerpendantleretourenvoiture
àFöreninget,pourtant,j’avaistantdechosesàluidire.Je quittai le petit salon pour partir à la recherche de Finn. J’aurais dû me préoccuper d’autres
chosesencore,maisàcemoment-là,toutcequicomptaitétaitdemeretrouverseuleaveclui.Trouverunmomentoùnouspourrionsparlervraimentetoùjepourrais…Jenesaispas.Mais jedevais levoir.AulieudeFinn,jetrouvaiDuncan.Ilattendaitunpeuplusloindanslecouloir.Appuyécontrele
mur, il jouait avec son téléphone portable, mais quand je sortis de la pièce, il se redressa. Il megratifia d’un sourire timide et lâcha son téléphone, qui tomba aumoment où il pensait le fourrer
rapidementdanssapoche.—Pardon.Duncanseprécipitapourramassersonportablelorsqu’ilmevit.—Jevoulaisjustevouslaisserseulequelquesinstantsavecvotremère.—Merci.Jecontinuaidanslecouloir,maisilmesuivit.—Pourquoim’attendais-tu,aufait?Tuvoulaisquelquechose?—Non,c’estmoivotrepisteurmaintenant.Vousvoussouvenez?Ilsemblaitembarrassé.— Et comme les Vittras veulent vraiment vous capturer, je suis aussi votre gardien de chaque
instant.—Bien,opinai-je.J’avaisespéréque,puisqueFinnm’avaitsauvé lavieunefoisdeplus, ilserait réhabilitécomme
monpisteur.—OùestFinn?Ilfautquejeluiparle.—Finn?balbutiaDuncan.Hum,iln’estplusvotrepisteur.—Oui,ça,jelesais.Cen’estpaspourdénigrertesqualités,maisj’auraisjustesouhaitéparlerà
Finnuninstant.—Non,ouais.Ilsecoualatête.—C’estjusteque…Medemandantpourquoiilétaitsigêné,jem’arrêtaipourl’écouter.—Jeveuxdire,iln’estplusvotrepisteur.Alors…ilestparti.—Ilestparti?Unefoisencore,jeressentiscecoupauplexus,maintenantfamilier.Cela n’aurait pas dû me surprendre et je n’aurais pas dû m’en offusquer. Mais la douleur me
transperçaànouveau,exactementcommequandilétaitpartiauparavant.—Ouais.Duncanbaissalesyeuxenjouantaveclafermetureàglissièredesonmanteau.—Vousêtesensécuritéaumoins.Ilabienfaitsonboulot,non?—Oui,dis-jesansréfléchir.J’auraispuluidemanderoùFinnétaitparti,etpeut-êtreaurais-jedû.Iln’avaitpaspus’enallerbien
loinaussivite.JesavaisqueFinndiraitqu’ilétaitpartipourmeprotéger,moietmonhonneur,ouuntrucdanscegenre.Maisjem’enfichais.Àcetinstantprécis,peuimportaientsesraisons.Toutcequejesavais,c’étaitquej’enavaisassez
d’avoirlecœurbriséàcausedelui.
NEUFSous-estimé
ToveneparvintpasàdébloquerRhysparcequecelane faisaitpaspartiedeses talents.AprèsêtreremontéeaupremieràlasuitedemaconversationavecElora,jedusluienvoyerRhyspourqu’elleleremît d’aplomb. J’aurais pu l’accompagner,mais jemedis qu’Elora avait eu sadosedemapetitepersonnepourlajournée.AvantqueTovenerentrâtchezluisereposer,jeleremerciaipourtoutcequ’ilavaitfait.Sanslui,
jenesuispascertainequenousaurionspunousensortir.MêmesiOrenavaitfaitunpeurelâcherlasurveillance,Toveavaitréussiàpénétrerdanslaplaceetàtenirlestrollsàdistance.RhysavaitcommencéàinstallerMattdansunedeschambresinoccupéesprèsdelamienne,unpeu
plusloindanslecouloir.J’allaivoircommentilsesentait,suiviedeprèsparDuncan,quisemblaittropcontentd’avoirànepasmequitterd’unesemelle.Ilmefallutfairedespiedsetdesmainspourleconvaincrederesteràm’attendredanslecouloir.DuncannefaisaitpasconfianceàMattparcequ’ilétaithumain,maiss’ilcomptaitrestermonpisteur,ilfaudraitbienqu’ils’yfît.Deboutaucentrede lapièce,Matt,quin’avaitpourtant jamaisété legenredegarsà semontrer
déboussolé, avait l’air perdu. Il avait enfilé unpantalonde survêtement qui lui allait correctement,maislet-shirtétaitsiétriquéquejelesupposaiempruntéàRhys.—Alors?Commentçava?demandai-jeenfermantlaportederrièremoi.Sachant que Duncan attendrait dehors, je ne voulais pas qu’il nous écoutât. Je ne souhaitais
nullementparlerdechosessecrètes,jevoulaisjusteavoirunmomentd’intimitéavecmonfrère.—Hum…super?Ilmesourittristement.—Jenesaispas.Jesuissupposéallercomment?—Àpeuprèscommeça.—Riendetoutcecin’al’airréel,tucomprends?Matts’assitsurlelitensoupirant.—Jepassemontempsàmedirequejevaismeréveilleretsortirdecerêveabsurde.—Jesaisexactementdequoituparles.Jeme rappelais à quel point toutm’était apparu déroutant et inquiétant quand j’étais arrivée ici.
C’étaitd’ailleursencorelecaslaplupartdutemps.—Ilfautquejeresteicilongtemps?medemandaMatt.—Jenesaispas.Jen’yaipasvraimentréfléchi.Jevinsm’asseoirsurlelitprèsdelui.J’auraisfranchementpréféréqu’ilrestâtpourtoujours,mais
c’étaittropégoïste.—Jusqu’àcequetoutsecalme,disons.QuandlesVittrascesserontd’êtreunemenace.—Pourquoienont-ilsautantaprèstoi?—C’estunetrèslonguehistoirequejeteraconteraiuneautrefois.Je souhaitais le faire,mais jen’avaispas la forcedeme lancerdansune longueexplication.Du
moins,pastoutdesuite.
—Maisilsvontarrêter,non?demandaMatt.J’opinaicommesij’ycroyaisvraiment.—D’icilà,ilfautqueturestesici.Jeveuxêtrecertainequetunerisquesrien.Jenesavaispascequ’Eloraenpenserait,maisçam’étaitégal.—Ouais,jeconnaisbiença,répondit-ilavecunepointed’ironiequimepinçalecœur.—Jesuisvraimentdésolée,Matt.—Tuauraispumeparlerdetoutça.—Tun’enauraispascruunmot.—Wendy.C’estmoi,OK?Iltournalatêteversmoietjeleregardaiàmontour.—Oui,jesaisquec’estdifficileàcroire,etsijenel’avaisvudemespropresyeux,jetrouverais
celaencoreplusdifficile.Maisjet’aitoujourssoutenue.Tuauraisdûmefaireconfiance.—Jesais.Pardon.Jebaissailesyeux.—Mais jesuiscontenteque tusois icipourpouvoir t’expliquerdeschoses.Çan’étaitpasfacile
pourmoideteteniràl’écart.Jeveuxplusqueçarecommence.—Bien.—MaistudevraisappelerMaggie,dis-je.Ilfautqu’ellesacheoùnoussommesetaussiqu’ellene
doitpasrentreràlamaison,pastoutdesuite.Jenesaispass’ilsiraientjusqu’àl’enleverpouravoiruneprisesurmoi.—Tuesensécuritéici?demandaMatt.Tunecoursvraimentaucunrisque?—Biensûr,affirmai-jeavecplusdeconvictionquejen’enavaisréellement.IlyaDuncandehors
pourveillersurmoi.—Cegarçonestuncrétin,rétorquaMattavectantdesérieuxquej’éclataiderire.—Non,nous sommesen sécurité.Ne t’inquiètepas, lui assurai-je enme levant.Mais tudevrais
appelerMaggie,etmoi,ilfautquejeprenneunedoucheavantdemechanger.—Qu’est-cequejevaisluidire?Jesecouailatête.—Arrange-toipourqu’elleneretournepasàlamaison.Je promis àMatt que je le reverrais plus tard pour lui en dire plus,mais que pour lemoment,
j’avais besoin deme détendre.Duncan tenta deme suivre jusque dansma chambre,mais je ne lelaissaipasentrer.Cenefutqu’unefoissousladouche,protégéeparlebruitdel’eauquicoulaitautourdemoi,queje
melaissaialleràsangloter.Jenesaispasvraimentpourquoijepleurais.C’étaitenpartieenraisondufaitqueFinnm’avaitdenouveauabandonnéedecette façon,maisaussi,et surtout, jen’enpouvaisplus.Jenemesentismieuxqu’unefoishabillée.Toutavaitfiniparbienseterminer,puisquenousnous
en sortions avec des blessures minimes. En outre, j’avais récupéréMatt. Je ne savais pas jusqu’àquandilpourraitresterprèsdemoi,maisaumoins,ilconnaissaitlavérité.Je savais aussi désormais pourquoi j’obsédais tant les Vittras. Bien sûr, le fait de le savoir ne
rendaitpasleschosesplusfaciles,maisaumoins,jecomprenais.En y réfléchissant, le seul véritable point noir était l’absence de Finn. Une sourde douleur me
tenaillait,maisilmefallaitl’ignorer.Ilsepassaitbientropdechosesicipourquejemecomplussedanslamélancolie.Je détestais qu’il fût revenu. S’ilm’avait laissée tranquille pour que je ne le revoie jamais, cela
m’auraitfacilitéleschoses.QuandjeretournaivoirMattdanssachambre,j’ytrouvaiRhys,quiluitenaitcompagnie.Àmon
grandsoulagement,Eloraavaitréussiàledécoincer.Rhysmeditquejeferaisbiendecommencerbientôtmon « entraînement » afin demaîtrisermes dons. Je ne savais pas exactement ce que celasous-entendait,maisjenetenaispasàlecuisiner.Je m’assis sur une chaise rembourrée de la chambre deMatt, bien décidée à tout lui raconter.
PendantleurséjouraucachotdesVittras,Rhysluienavaitunpeudit,maisjesouhaitaiscomblerlesvides.JetrouvaissurtoutimportantqueMattentendîtleschosesdemabouche.Jecommençaiparledébut,expliquantcommentEloram’avaitéchangéecontreRhys.Jeluidisque
Finnavaitétéenvoyépourmepisteretmeramenerici,cequecelasignifiaitd’êtreprincesse,etpuisjeluiparlaidesTryllesetdeleurstalents.Pendantquejeracontais,Rhys,complètementabsorbé,medévisageaitsansunmot.Jenesuispas
certainequ’ileûtétéaucourantdetout.Matt,qui secontentadeposeroccasionnellementquelquesquestions,neditpasgrand-chosenon
plus. Sans paraître particulièrement anxieux ou dérouté, il s’était mis à arpenter la pièce dès quej’avais commencéàparler.Quand j’eus terminé, il s’immobilisaengardant le silencependantuneminute,absorbanttoutcequejevenaisd’expliquer.—Alors?demandai-jetandisqu’ilcontinuaitàsetaire.—Alors…ilvousarrivedemanger,ici?ditMattenlevantlesyeuxversmoi.Jesuismortdefaim.—Ouais,biensûr.Jeluisouris,soulagée.—Jen’appelleraispasnourriturecequ’ilsmangentici,ditRhysenricanant.Quittantlelitsurlequelilavaitétéassis,ilseleva,estimantquelaconversationétaitclose.—Queveux-tudire?demandaMatt.—Bien,pouravoirvécuavecWendy,tudoisbiensavoircequ’ellemange.Semblantserendrecomptequ’ilvenaitpeut-êtredefaireunegaffe,Rhyssereprit.—LesTryllesfontbienplusattentionàcequ’ilsmangentquenous.Ilsneboiventpasdeboissons
gazeusesetnemangentpasdeviande,parexemple.MattdévisageaRhyspendantunmoment,puissetournaversmoi.Etjevisapparaîtredanssesyeux
quelque chose que je n’avais jamais vu, ni ressenti auparavant. En une phrase, Rhys avait pour lapremière fois englobéMatt et lui-même dans unmême « nous », comme s’il s’agissait d’un clubauqueljen’appartenaispas.Jen’avaisjamais(etnepourraisjamaislefaire)considéréMattcommeunêtreinférieur,mêmesi
nous étions évidemment différents. Nous étions distincts et, en dépit de toutes les différencesparfaitementnaturellesquiexistaiententrenous,celamefitundrôled’effetd’entendreinsinuerpar
quelqu’unquenousn’étionspasdelamêmeespèce.—Heureusement, jeconserveunstockdevraienourrituresurgeléeaucongélateur,ajoutaRhys,
tâchantdechangerl’humeurdumoment.Etjesuisplutôtboncuisinier.DemandeàWendy.—Ouais,ilsedéfendbien,mentis-je,maisjen’avaisplussifaimquecela.Monestomacs’étaitserréetj’étaismêmesurprisedepouvoirmeforceràleurenvoyerunsourire.—Allez.Allonsmangerquelquechose.Supposantsansdoutequedeparlersansinterruptionferaitmieuxpassersapetitebourde,Rhysne
parvint pas à se taire, et nimoi niMatt ne l’interrompîmes. Talonnés parDuncan, qui nous avaitemboîtélepasdèsnotresortiedelachambredeMatt,nousdescendîmesàlacuisine.LaprésenceconstantedeDuncanm’exaspéraitplusquecelledeFinnàsesdébuts,mêmesiDuncan
n’avaitrienfaitd’ennuyeux.Peut-êtreétait-ceprécisémentparcequec’était lui,etnonFinn,quimesuivait.Je tiraiun tabouretdesous l’îlotde lacuisinepourm’asseoiretvoir la façondontRhysetMatt
s’entendaient.Rhysfrimaitenfaisantladémonstrationdesestalentsculinaires,maisdèsqueMattlevitfaire,ilpritladirectiondesopérations.J’appuyaimonmentonsurmesmainsenlesobservant,enproieàtoutessortesdesentimentscontradictoirestandisqu’ilsparlaient,riaientetsetaquinaient.Unepartiedemoiétaitraviedevoirqu’ilss’entendaientetsecôtoyaientcommeilsauraientdûle
fairedepuisledébutdeleurexistence.PriverRhysd’ungrandfrèreaussimerveilleuxqueMattavaitétéuneffetsecondaireterriblementcrueldusystèmedesubstitution.Uneautrepartiedemoinepouvaittoutefoiss’empêcherdepenserquej’étaisentraindeperdreun
frère.—Est-cequeçavousennuieraitquejeprenneunpeud’eau?medemandaDuncanenmetirantde
mespensées.—Enquoicelamegênerait-il?Jeleregardaicommes’ilétait idiot,maisilnes’enaperçutpas.Oubiençaluiarrivaittellement
souventqu’iln’enétaitplusétonné.—Jenesaispas.CertainsTryllesn’aimentpasquedespisteursseserventdeleursaffaires.Il se dirigea vers le réfrigérateur pour y prendre une bouteille d’eau pendant que Matt tentait
d’expliqueràRhyscommentretournerunecrêpeauxmyrtilles.—Ah bon, mais comment fais-tu pourmanger et boire si tu ne te sers pas de leurs affaires ?
demandai-jeàDuncan.—Nousachetonslesnôtres.Leréfrigérateurtoujoursouvert,Duncanmetenditunebouteilled’eauendisant:—Vousenvoulez?—Ouais,biensûr,dis-jeenhaussantlesépaules.Ilserapprochaetmetenditlabouteille.—Tufaisçadepuislongtemps?—Depuispresquedouzeans,jecrois.Duncandécapsulasabouteilleetenbutunelonguegorgée.—Ouah,c’estfou,douzeansdéjà!
—Es-tuvraimentlemeilleurqu’ilsaient?luidemandai-jeenessayantd’écartertoutscepticismedutondemavoix.Il avait l’air unpeu tropépatépar la capacitédeMatt à fairedes crêpes. Il nemanifestait pas la
sérénitéoulesérieuxdeFinn,maisencoreunefois,ilvalaitsansdoutemieuxpourluiqu’ilsoitaussidifférentdeFinnquepossible.—Non,admitDuncan,etsimaquestionledérangeait,iln’enmontrarien.Ilsecontentadejoueraveclacapsuledesabouteille.—Maispasloin.Monapparenceesttrompeuse,etj’imaginequec’estpourçaquejesuisbon.Les
gensmesous-estiment.QuelquechosedanslafaçondontilditcelamerappelasoudainementFrissons.Duncanavaitpeut-
êtreunpeudececharmemaladroitetdiscret.—Personnenet’ajamaisditqueturessemblaisaushérifDeweydelasériedesfilmsFrissons?—VousvoulezparlerdeDavidArquette?Jesuisquandmêmemieux,non?J’acquiesçai.—Oh,oui,absolument.Jenepouvaism’imaginerattiréeparsonphysique,mêmes’ilétaitplutôtséduisantdanssongenre.Rhysjuraquandunecrêpeatterritparterre.Patiemment,Mattessayadeluiexpliquercequ’ilfaisait
mal, etcommentyarriver,dumême tonqu’il avaitutilisépourm’apprendreà lacermessouliers,fairedelabicycletteetconduireunevoiture.C’étaitsiétrangedelevoiràprésentengrandfrèredequelqu’und’autre.—Wendy!criaWillaensurgissantdansmondos.J’eusàpeineletempsdemeretournerqu’elleétaitdéjààcôtédemoi.Ellem’entouradesesbraset
sonétreinteintensemetroubla.—Jesuissiheureusequetuaillesbien!—Hum,merci,dis-jeenm’extirpantdesonétreinte.WillaStrom,unpeuplusâgéequemoi,étaitlaseuleTrylleendehorsdeFinnàm’appeler«Wendy
», au lieu de « princesse », ce qui, je le supposais, suffisait à faire de nous des amies. Son père,Garrett,étaitleseulamid’Elora,etWillaavaitétéavecmoid’unegentillesseetd’unsecoursinouïsaprès lepremierdépartdeFinn.Sanselle, lacérémonied’intronisationauraitétéundésastreavantmêmel’attaquevittra.—Monpèrem’aditque lesVittras t’avaientenlevée, etqu’ensuite,personnene savait cequi se
passaitexactement.Willasavaitfairepreuvedesnobisme,maisl’inquiétudequiselisaitsursonvisageétaitsincère.—J’aicouruenapprenantquetuétaisrevenue.Jesuistellementcontentedetesavoirderetour.—Ouais,moiaussi,répondis-jesanssavoirsic’étaitl’exactevérité.—Duncan?Willaledévisageaitcommesiellevenaittoutjustededécouvrirsaprésence.—C’estuneblagueouquoi?Eloran’accepteraitjamaisquetusoissonpisteur.—Vousvoyez?Sous-estimé.Duncansourit.Commeilsemblaitentirerunecertainefierté,jeneledécourageaipas.
—MonDieu!Ilfautquej’englisseunmotàmonpère.Willa fit passer d’un coup de tête les boucles de sa chevelure châtain parfaitement disciplinée
derrièresesoreilles.—Ilnepeutvraimentpasfaireça.—Çava,dis-jeenhaussantlesépaules.Jesuisensécuritéaupalais.Quepeut-ilm’arriverici?Willamedécochaunregardentendumais,fortheureusement,avantqu’elleajoutâtquelquechose,
Matt déclara que le petit déjeuner était prêt. Lorsque j’avais régalé Matt de mon histoired’appartenanceàlatributrylle,j’avaisvolontairementlaissédecôtétoutel’affairedel’attaquevittraetlefaitqu’Orenétaitmonpère.Jepensaisquecelal’auraittropdéboussolé.—Enmangeras-tuaussi?demandaMattàWilla.Enservantlescrêpes,bienélevécommeilsavaitl’être,ilinclutWilla.—Nousenavonsfaiténormément.—Ellessontàlamyrtille?Avecunairdégoûté,Willafitlamoueàlasimpleperspectived’enmanger.—Beurk.Pasquestion.—Ellessontvraimentbonnes.Mattfitglisseruneassietteverselle.Pour je ne sais quelle raison, nous n’aimions que peu de choses en réalité. Nousmangions en
généraldesfruitsfraisetdeslégumes.Bienqu’appréciantlevin,jen’aimaisaucunjusdefruits.Lescrêpesétantpréparéesavecdelafarineetdusucreraffinés,ellesnemeplaisaientpas,maisj’enavaismangépendantdesannéespournepasagacerMatt.—Tunevas toutdemêmepasmangerça?ditWilla, totalementécœurée,enmevoyantprêteà
plantermafourchettedansunmorceaudecrêpe.MattavaitégalementdonnéuneassietteàDuncan.Jesuiscertainequelescrêpesintéressaientaussi
peuDuncanqueWillaetmoi,maisilsuivitsagementlemouvementensaisissantsafourchette.—Ellessonttrèsbonnes,dis-je.Pendantdesannées,destasdegensm’avaientaffirméqu’ellesétaientdélicieuses,maisjedoutais
dunombredepersonnesquilesavaientgoûtéesdégoulinantesdesirop,àlafaçondontMattetRhysvenaientdelespréparer.Duncanetmoirefusâmeslesirop.Personne,enaucuncas,nepouvaitnousforceràenabsorber.—J’ai fait la cuisinependantdes annéespourWendy,ditMatt sans se soucier de la réactionde
Willa.Jesaiscequ’elleaime.Ilavaitengénéralplutôtréussi,maisilyavaitaussipasmaldechosesquejenemangeaisquepour
luifaireplaisir.Ilfautdirequej’auraiscrevédefaimsanscela.— Bien sûr, se moqua Willa. Comme si j’allais brusquement faire confiance à un mänks en
survêtementetàun«préado»pourmefairemescrêpes.—Willa,dis-je.Ilestmonfrère,OK?Alorslaissetomber.—Quoi?Ellepenchalatête,faisantminedenepascomprendre.—Ah!Tuveuxdirequ’ilesttonfrèred’accueil?
—Oui.Jeprisunegrossebouchéequej’enfournaiaussisec.—Tusaisqu’iln’estpastonvraifrère…—Willa!décochai-je,labouchepleine,enrecrachantlemorceau.Çava,jecomprendslefrançais.
Maintenant,laissetomber.—J’arriveàcomprendrecommentceblaireaudeDuncanpeutmangerce truc, indiquaWillaen
lissantdelamainsarobehautecouture,pournepasmontrerqu’elleétaitvexéeparmasaillie.Maistoi,tuesuneprincesse.Ilesttropstupidepour…—Hé!ditMatt.AssisprèsdeDuncan,ils’arrêtademangerpourlafixerduregard.—J’aipigé.Tueschic,jolieetriche.Tantmieuxpourtoi.Maisàmoinsquetuveuillespasserde
cecôtépournouspréparerunbonpetitdéjeuner,jeteconseilledelafermeretdet’asseoir.—Ouah!Rhysrit.Iladoraitqu’onremetteWillaàsaplace.Elle fit la tête, mais ne dit rien. QuandMatt finit par se rasseoir pour manger ses crêpes, elle
s’installasuruntabouretàcôtédemoi.Dès la première fois où j’avais rencontréWilla, j’avais remarqué qu’elle affichait une certaine
suffisance.Elleétaitagréableavecmoiparcequ’ellesentaitbienquenousétionségales,maisaveclesautres,çan’avaitrienàvoir.—J’aisoif,ditWillaaprèsunmoment,avecunemoueboudeuse.Duncanselevaaussitôtpourluidonnerdel’eau,maisMattl’arrêta.Peusûrdelui,Duncanserassit.
Entantquepisteur,ilavaitpasséunebonnepartiedesavieàsurveilleretattendredessubstitués.Lespisteursétaienttraitésparlaroyautécommedupetitpersonnel.—Tusaisoùestlefrigo,déclaraMattentresesdents.Willaouvrit labouche,maisneditrien.Ellese tournaversmoi,espérantqueje luiviendraisen
aide,maisjenefisquehausserlesépaules.Ellesavaitoùétaitleréfrigérateur,aprèstout.Aprèsuneminuted’hésitation,ellefinitparseleverpourallerverslefrigo.Rhysriaitendouce,
maisMattluifitsigned’arrêter.Je trouvais toute l’affaire assez drôle. Finn avait été le pisteur deWilla, assez sévère dans son
genre.Maisellenel’avaitjamaisécouté,nitraitéavecautantderespectqu’ellevenaitdelefaireavecMatt,qui,pourtant,entermedehiérarchietrylle,étaitd’unrangbieninférieuràFinn.En l’espacedecinqminutes,Mattavaitétécapablede la remettreàsaplacemieuxquepersonne
n’avaitjamaissulefaire.Willanemequittapasde tout l’après-midi et semblamême soulagée lorsqueMatt etRhysnous
laissèrent. Rhys voulait jouer à un jeu vidéo de guerre ou un truc comme ça, mais je n’en avaisaucuneenvie.Àlaplace, je restaiavecWilladansmachambre.Duncanrestadehorspendantunmoment,mais
toutàcoup,j’euspitiédeluietlelaissaientrerpours’asseoir.Commeellerangeaitmesvêtementsparcequec’étaitcequ’elleaimaitfaire,assiseparterre,jeme
demandais en la regardant comment il était possible que tout ceci soit devenu ma vie. Elle les
organisaitd’une façonque jenecomprenaispas,bienqu’ellem’eûtexpliquéplusieurs foisàquoicelaservait.Pendant tout ce temps, elle ne fit que répéter comment son entraînement lui avait plu.Willa, qui
avaitunpouvoirsurlevent,n’enavaitfaitaucuncasavantl’attaque.Mais désormais, elle voulait semontrer aussi forte et prête que possible. Elle pensait quemon
entraînementdevraitcommencer toutdesuite,parceque j’étaiscellequiavait leplusbesoind’êtrepréparée.Lasoiréecontinuadesedéroulerainsietjefusextrêmementsurprisedelavoirsejoindreànous
pourledîner.Cettefois-ci,ellemangeamêmecequeMattavaitcuisinéetj’eusvraimentl’impressiond’unmondeàl’envers.J’allaimecoucherpeudetempsaprès,maisjemetournaietmeretournaitoutelanuitdansmonlit
sans trouver le sommeil tant les pensées se bousculaient dansma tête. J’avais l’impression que jevenais juste dem’endormir quandquelqu’unme réveilla en sursaut. Je repoussai l’intrus pourmecacherensuiteauplusprofonddescouvertures.Jecomprisseulementaprèsavoirenfouimatêtedansmonoreillerquejeferaispeut-êtremieuxde
m’inquiéter de la présence d’un étranger dans ma chambre, surtout avec ces méchants trolls quiessayaientdem’enlever.
DIXRepositionnement
—Bonsang!s’écriaToveKronerenquittantsubitementleborddemonlit.Bondissant presque du lit à mon tour pour me jeter sur l’intrus qui venait de me réveiller, je
m’assisetdécouvrisqu’ils’agissaitdeTove.Jenecomprenaispascequej’avaisbienpuluifaire.Ilmesemblaitpourtantque jen’avaisrienfaitd’autrequem’asseoir.MaisToveavaitdéjàfiléà
l’autreboutdelapièce,pressantlespaumesdesesmainssursestempes.Ilétaitcourbéendeuxetsescheveuxnoirstombaientsursonvisage.—Tove?Je lançai les jambes par-dessus le bord du lit pour me lever, et comme il ne répondait pas, je
m’approchaidelui.—Tove?Çava?Vousai-jefaitquelquechose?—Oui.Ilhochalatêteenseredressant.Ilavaitlesyeuxfermés,maisilgardaitlesmainssursestempes.—Jesuisdésolée.Qu’est-cequej’aifait?—Jenesaispas.Commequelqu’unquivenaitd’êtrefrappéauvisage,Toveouvrittrèsgrandlabouchepourétirer
sesmâchoires.—Jesuisvenuvousréveillerpourvotreentraînement.Etvous…—Jevousaifrappé?Commeilhésitait,j’essayaidel’aider.—Non,c’étaitdansmatête.Regardantpensivementauloinpendantuneminute,ilajouta:—Enfait,vousavezraison.C’estunpeucommesivousm’aviezfrappé,maisdansmatête.—Dequoiparlez-vous?—Avez-vousdéjàfaitcelaavant?Aprèsunegrossefrayeur,peut-être?Ilseretournapourmeregardersanssesoucierdemontroubletantilétaitpréoccupéparlesien.—Pasquejesache,maisjenesaismêmepascequej’aifait.—Hum.Ilsoupiraenpassantlamaindanssescheveux.—Vos talents sontenpleindéveloppement,maiscomme ilsdevraientbientôtarriveràmaturité,
c’estpeut-êtrecelaquisepassedéjà.Oupeut-êtreest-ceseulementàcausedemoi.—Quoi?—Jesuismédium,merappelaTove.Votreauraesttrèssombreaujourd’hui.S’ilnepouvaitpasliredanslesesprits, il ressentaitdeschoses.Commedemoncôté jeprojetais
très fort, je pouvais atteindre les cerveaux des gens comme Elora savait le faire et utiliser lapersuasion. Tove, lui, en bon récepteur, pouvait déceler les auras puisqu’il était plus sensible auxémotions.—Qu’est-cequecelaveutdire?demandai-je
—Quevousn’êtespasheureuse.Distrait,Tovesedirigeaverslaporte.—Bon,habillez-vousvite.Nousavonsbeaucoupàfaire.Ilquittamachambreavantque j’eussepuensavoirplus. Jenevoyais toujourspascequeWilla
pouvaitluitrouver.Jen’auraissudiresielleétaitvraimentamoureusedeluiousil’intérêtqu’elleluiportait provenait de ce que la famille de Tove était puissante. S’il advenait que je fusse incapabled’assumermesresponsabilités,lesKroner,etToveenparticulier,étaientlessuivantspourl’accèsàlacouronne.Tove était pourtant beau garçon. Ses cheveux sombres brillaient d’un éclat naturel, et bien que
longsetpeudisciplinés,ilsluiarrivaientsagementsouslesoreilles.Sapeauavaitcettetonalitéverteindescriptible,sortedecouleurdemoussequiétait le lotdesTryllesspécialementdoués.Personned’autrenepossédaitunepeaudecettecouleur,saufpeut-êtresamère,maisenbienmoinsintense.Je ne savais pas pourquoi Tove devait m’entraîner. Je ne suis pas certaine qu’Elora l’aurait
approuvé,mêmes’ilavaitdesrelations.Ilétaitdesurcroîtfarfeluetunpeubizarre.DetouslesTryllesquej’avaispurencontrer,Toveavait les talents lesplusforts.C’étaitd’autant
plusétrangequ’engénéral,leshommesétaientmoinsdouésquelesfemmes.Maispuisquejesouhaitaismieuxmaîtrisermesdons,jemedisqued’ytravaillernemeferaitpas
demal,plutôtquedetraînertoutelajournéeànerienfaire.Jem’habillaienvitesseetsortisdemachambrepourtrouverToveetDuncanengrandeconversation.—Prête?medemandaToveennemeregardantpas.Ilpartitsansattendremaréponse.—Iln’estpasnécessairequetunousaccompagnesDuncan,luidis-jeenm’élançantderrièreTove.Duncancontinuanéanmoinsdemesuivrecommeàsonhabitude,maispluslentement.—Ilvautprobablementmieuxqu’ilvienne,ditToveenreplaçantsescheveuxderrièresesoreilles.—Pourquoi?questionnai-je,pendantqueDuncansouriait,ravidenepasêtreécarté.—Nousavonsbesoindequelqu’unsurquifairedestests,réponditTovecommesiderienn’était,
cequifitdisparaîtreinstantanémentlesourireduvisagedeDuncan.—Oùallons-nous?J’aurais aimé qu’il ralentît un peu, car je courais presque derrièreTove pour ne pasme laisser
distancer.—Vousavezentenduça?Toves’arrêtasibrusquementqueDuncanfaillitluirentrerdedans.—Quoi?Duncan regarda partout autour de nous, comme s’il s’attendait à voir surgir des attaquants de
derrièreuneportefermée.—Jen’airienentendu,dis-je.—Non,biensûrquevousn’avezrienentendu,lançaTove.—Pourquoidonc?Quevoulez-vousdireparlà?—Parcequec’estvousquiavezfaitcebruit,ditToveensoupirant,sansquitterDuncandesyeux.
Tuessûrquetun’asrienentendu?
—Non,réponditDuncan.Celui-cimeregarda,dansl’espoirquejepourraisrendremoinsénigmatiquelecomportementde
Tove,maisjehaussailesépaules.Jen’avaispaslamoindreidéedecedontilparlait.—Quesepasse-t-il,Tove?luidemandai-jeenhaussantletonpourqu’ilmeregardeenfin.—Ilfautquevousfassiezattention.Tovedressal’oreillepourmieuxentendre.—Vousêtes silencieuse,maintenant.Maisquandvousêtesénervée, furieuse, effrayéeou irritée,
vousprojetezdeschoses.Jenepensepasquevouslemaîtrisiez.Jem’enaperçoisuniquementparceque je suis sensible.Duncan, lui, ne peut pas, comme ne peuvent d’ailleurs le faire la plupart desTryllesparcequevousneledirigezpasverseux.Maissijepeuxl’entendre,d’autreslepeuventaussi.—Quoi?Maisjen’airiendit,affirmai-je,deplusenplusagacée.—Vousavezpensé:J’aimeraisbienqu’ilralentisse,ditTove.—Jen’utilisaisaucunepersuasion,niriend’autredanscegenre,répondis-je,médusée.—Jesais.Vousmaîtriserezçaunjour,m’assura-t-il.Etilseremitenmarche.Il nous conduisit en bas. Je n’étais pas certaine de l’endroit où nous allions et fus totalement
surpriseparl’endroitoùilnousamena;lasalledebal,quiavaitétécomplètementdévastéelorsdel’attaque vittra. Avec ses sols en marbre, ses murs blancs rehaussés d’or, un plafond vitré et deslustresendiamants,elleavaitpourtantconnusesheuresdemagnificence,commetouteslessallesdebaldescontesdeféesdeWaltDisney.Après l’attaque, toutétaitdifférent.Leplafonddeverres’étaiteffondré,etpourprotéger lasalle
desintempéries,onavaitrecouvert letroubéantdebâchestranslucidesbleuclair,cequiproduisaituneétrangeambiancelumineuse.Deslustresbrisésetdeséclatsdeverreparsemaientlesol,demêmequedestablesetdeschaisescassées.Lesoletlesmursavaientéténoircisetendommagésparlefeuetlafumée.— Pourquoi sommes-nous ici ? demandai-je, ma voix se répercutant contre les murs de cette
immensesalle,bienquelesonfûtamortiparlesbâches.—J’aimebiencetendroit.Tovelevalesmains,utilisantsatélékinésiepourrepoussertouslesdébrisverslesmurs.—La reine sait-ellequenous sommes ici ?demandaDuncan,qui semblaitmal à l’aisedanscet
endroit.J’essayaidemerappelers’ilavaitétéprésent lorsde l’attaque,mais jen’avaisguèrepuyprêter
attentiontantilyavaitdemondeàsaluercesoir-là.Tovehaussalesépaules.—Jenesuispassûr.—Sait-ellequevousm’entraînez?interrogeai-je.Ilopinaenmetournantledospendantqu’ilregardaitailleurs—Pourquoim’entraînez-vous?Vosdonsnesontpaslesmêmesquelesmiens.—Ilssontsimilaires.Toveseretournapourmefaireface.
—Etiln’yapasdeuxpersonnessemblables,detoutefaçon.—Vousavezdéjàentraînéquelqu’unavantmoi?—Non.Mais je suis lemieuxplacépour le faire avecvous, dit-il en commençant à relever ses
manchesdechemise.—Pourquoi?JelisaislamêmeperplexitédansleregarddeDuncan.—Vousêtestroppuissantepourn’importequid’autre.Personne,autrequemoi,neseraitcapable
devousaideràatteindrevotrepotentiel,cariln’yaquemoiquilecomprends.Ayantfinideroulersesmanches,ilposasesmainssurseshanches.—Vousêtesprête?—Jesuppose,dis-jeenhaussantlesépaules,peucertainedeceàquoijedevaisêtreprête.—Bougezça.Ildésignad’ungestevaguelesdébrisprésentsdanslasalle.—Vousvoulezdire,avecmonesprit?m’enquis-jeensecouantlatête.Jenesaispasfaireça.—Vousavezessayé?contraTove,lesyeuxbrillants.—Ehbien…non,admis-je.—Faites-le.—Comment?Ilhaussalesépaules.—Débrouillez-vous.—Quelbonprofvousfaites,dis-jeensoupirant.Toverit,maisjefiscommeilm’avaitdemandé.Jedécidaidecommencerpetitetjetaimondévolu
sur une chaise cassée tout près. Je la fixai enme concentrant aumaximum.La seule chose que jeconnaissaisvraimentétantlapersuasion,jepensaisyarriverdecettemanière.Jerépétaipourmoi-mêmedansmoncerveau:Jeveuxquecettechaisebouge,jeveuxquecettechaisebouge…—Non!lançaToveenmedéconcentrant.Vousprenezleschosesparlemauvaisbout.—Parquelboutdois-jelesprendre?—Puisqu’ilnes’agitpasd’unepersonne,vousnepouvezluidirecequ’elledoitfaire.Vousdevez
parveniràlabouger,ditTove,commesicelaéclaircissaitleschoses.—Comment?demandai-jeànouveau.Ilneréponditrien.—Celaseraitplusfacilepourmoisivousmel’expliquiez.—Jenepeuxpasvousl’expliquer.Çanefonctionnepasainsi.Enmarmonnant quelques remarques absurdes, jeme retournai vers cette chaise, histoire deme
remettreautravail.Jenepouvaisdoncpasluidiredebouger,maisjedevaislafairebouger.Commentfairepasserça
dansmapensée?Jelouchaiunpeu,commesicelapouvaitaider,etrépétai:Bougelachaise,bougelachaise.—Regardezcequevousavezfaitmaintenant,ditToveJecroyaisqueriennes’étaitproduitetpuisjevisDuncansedirigerverslachaise.
—Quefais-tu,Duncan?demandai-je.—Bien,je…bougelachaise.Jecrois.Ilavaitl’airtroublémaiscohérent,etunefoislachaiseattrapée,encoreplusébahi,ilmeregardaet
demanda:—Etmaintenant,qu’est-cequej’enfais?—Dépose-lan’importeoù,luirépondis-jesansréfléchir.Puis,enmetournantversTove,jeluidemandai:—C’estmoiquiaifaitça?—Évidemment.Jepouvaisvousentendrehautetfort,etsivousaviezrenforcéunpeuplusvotre
persuasion,c’estmoiquiseraisallésaisirlachaise.Ilcroisalesbrassursapoitrineenmeregardantd’unefaçonvoisinedumécontentement.—Jen’aipascherchéàfaireça.Jeneleregardaismêmepas.—C’estpiredanscecas-là,n’est-cepas?demandaTove.—Jenecomprendspas,ditDuncan.Ilavaitreposélachaiseet,sansunnouvelordreàexécuter,avaitdécidédeserapprocherdenous.—Qu’est-ellesupposéefaire?demanda-t-il.—Ilfautquevousmaîtrisiezvotreénergieavantquequelqu’unnefinisseparêtreblessé.Toveme regarda solennellement, ses yeuxverts plantés courageusement dans lesmiens pendant
presqueuneminute,avantdeseretourner.Ilfitdesgestesautourdesatête,àpeuprèsdelamêmefaçonqueLokiquandcelui-ciavaitvoulumesignifierqu’ilsavaitquej’utilisaislapersuasion.—Vousaveztellementdechoses.Celasortunpeucommede…—Del’électricitéstatique?—Exactement!s’exclama-t-ilenclaquantdesdoigtsetenlespointantversmoi.Ilfautquevous
parveniezàlacanaliser,quevousmoduliezvosfréquences,unpeucommepouruneradio.—J’aimeraisbien.Dites-moicomment.—Cen’estpascommedetourneruncadran.Iln’yapasdeboutonarrêtetmarche.Ilmarchaitlui-mêmeencercleslongsetlents.—C’estplutôtquelquechosequevousdevezpratiquer.Unpeucommeunbébésurlepot.Ilfaut
apprendreàreteniretsavoirquandrelâcher.—Voilàuneanalogieparticulièrementprestigieuse,déclarai-je.—Vouspouvezbougerlachaise,ditToveabruptement.Maiscelapeutattendre.Ilfautd’abordque
vousappreniezàretenirvotrepersuasion.IlregardaDuncan.—Duncan,çanet’ennuiepasdefairelecobaye,n’est-cepas?—Bien…non?—Dites-luidefairequelquechose,n’importequoi.IlpenchalatêteennequittantpasDuncandesyeux,puissetournaversmoi.—Maisarrangez-vouspourquejepuisseentendrecequisepasse.—Comment?Jenesaismêmepascommentvousentendez,fis-jeremarquer.—Concentrez-vous.Concentrezvotreénergie.C’estimpératif.
—Comment?répétai-je.Ilpassaitsontempsàmedemanderdefairedeschosessansjamaism’expliquercomment.Ilaurait
aussi bien pu me demander de construire une satanée fusée. Je n’avais pas la moindre idée decommentfaire.—VousétiezplusconcentréequandvousétiezprèsdeFinn,ditTove.Vousétiezplusancrée,au
sensoùl’électricitéestreliéeàlaterre.—Ehbien,iln’estpaslà,décochai-je.—Aucune importance. Ilne faisait riendespécial,continuaTove, imperturbable.C’estvousqui
aviezlepouvoir,vousquivousêtesancréeàlui.Dites-moicomment.Je ne voulais pas me souvenir de Finn, ni de la façon dont j’avais été proche de lui. Une des
principales raisons quim’avaient excitée à propos de cet entraînement, c’était que celam’éviteraitjustementdepenseràlui.EtvoilàqueToveétaitentraindem’expliquerqueFinnétaitlaclédemonsuccès.Charmant.Aulieudem’emportercontreTove, jem’éloignaidelui.Jedétestaiscettemanièrequ’ilavaitde
toutsavoirsansêtrecapabledetransmettresesconnaissances.J’étendismonbrasenfaisanttournermoncouautourdesonaxe,pourrelâcherlestensions.Duncanvoulutdirequelquechose,maisToveluifitsignedesetaire.Finn.Quandj’étaisprèsdelui,qu’est-cequejefaisaisdifféremment?Ilmerendaitfolle.Ilfaisait
battremoncœur trop fort etmonestomac senouait. Ilm’était difficile denepas le regarder sanscesse.Quandilétaitlà,jen’arrivaisplusàpenseràrien.Voilà,c’étaitça.C’étaitpresquetropfacile.QuadFinnétaitlà,jemeconcentraisuniquementsurluietcelacanalisaitmonénergie,enquelque
sorte. Lorsque la partie consciente demon cerveau se concentrait sur une chose, le reste demonespritrentraitenlui-même.Peut-êtremonénergieétait-elleentraindedevenirfolle,maintenantquej’essayaisdenepaspenseràFinn.Finn n’était pas la réponse.Mais quand il avait été près demoi, j’avais réussi àme concentrer.
Quandiln’étaitpas là, j’essayaisdenepluspenseràrienparceque toutmerappelaitsonabsence.Toutsedispersaitetcherchaitàseraccrocheràn’importequoi.Jefermailesyeux.Penseàquelquechose.Concentre-toisurn’importequoi.Finnme vint d’abord à l’esprit, comme il l’avait toujours fait,mais je le repoussai. Je pouvais
penser à autre chose.La chose à laquelle je pensai ensuite futLoki, et comme celame choqua, jel’écartaiinstantanément.Jenevoulaispaspenseràlui.Niàpersonned’autreenfait.Jepensaiau jardinà l’arrièredupalais. Il étaitmagnifiqueet je l’aimais.Eloraenavait faitune
superbe peinture, mais qui ne rendait pas entièrement la magie de l’endroit. Je me souvenais duparfumdesfleursetdeladouceurdel’herbesousmespiedsnus.Despapillonsvoletaientautourdemoietj’entendaislebabillagedufleuveauloin.—Essayezmaintenant,suggéraTove.Je me tournai pour regarder Duncan. Les mains enfoncées dans les poches, il me dévisageait,
bouchebée,épouvantécommesij’allaislefrapper.Enneperdantpasdevuel’imagedujardin,jememisàrépéter:Siffle«Ah!vousdirais-jemaman».C’étaittrèsbanal,àdessein.Jenevoulaispasle
blesser.Sonvisageserelâcha,sesyeuxsevoilèrentetilsemitàsiffloter.Contentedemoi,jemetournai
versTove.—Alors?luidemandai-je,pleined’espoir.—Jen’airienentendu,déclara-t-ilensouriant.Excellenttravail.Toutlerestedelajournée,jecontinuaiàessayerdeschosessurDuncan.Lespremiersessaisnese
révélant pas douloureux,Duncan se détendit progressivement. Étant donné que je le faisais siffler,danser,applaudiretfairetoutuntasdenumérosridicules,onpeutdirequ’ilsemontraitd’unespritagréablementcoopératif.Tove se mit à m’expliquer ce qui s’était mal passé dans le cas de Rhys et de son incapacité à
s’asseoir.Ilsemblaitqueplusjemeconcentraisintensémentlorsquej’essayaisdepersuaderdesgens,pluslecharmerisquaitd’êtredifficileàdéfaire.Rhysétaithumain,cequirendaitsonespritplusmalléablequeceluidesTrylles,etlerendaitplus
perméableà lapersuasion. Jen’avaiseuaucunmalàobtenirqueçamarchesur lui. J’avaisusédebeaucoup trop d’énergie par rapport à ce qu’il aurait fallu. Il fallait que j’apprisse àmaîtriser lesdosesdepersuasionquej’utilisaispourarriveràmesfins.Biensûr,jepouvaisdéfairen’importequelcharmeàlafaçondontj’avaisfaitRhysseleveraprès
s’êtreassis,etviceversa.Maissansfocalisertropfortmonénergie, jepouvaispersuaderdesgenssanseffort,delamêmefaçonquej’avaispuobtenirdeDuncanqu’ilbougelachaise.Sachant qu’elle était potentiellement très dangereuse, je passai le reste de la journée à tenter de
restreindremonénergie.À la finde la journée, j’étaisépuisée.Lefaitque jen’avais rienmangéàmidin’arrangeaitrien,nonpasquejeressentaislafaimenaucunemanière.Toveessayadem’expliquerquetoutcecifiniraitpardevenirunesecondenaturechezmoi,unpeu
commederespireroudeciller,maisdansl’étatoùjemetrouvaisactuellement,ilm’étaitdifficiled’ycroire.Je raccompagnaiTove à la porte avant de regagnerma chambre pour une douche et une sieste.
Duncan redescendit dans sa chambre, au risque deme laisser seule pendant qu’il pouvait enfin sereposer.Fairelecobayen’avaitpasétédetoutreposnonplus.Enretournantàmachambre,jemetrompaidechemin.—Ça,c’estlareineSybilla,expliquaitWillaenmontrantunetoileaccrochéeaumur.Matt,àcôtéd’elle,admiraitletravaildel’artiste.—C’estunedes reines lesplus révérées. Jecroisqu’elleagouvernépendant laLongueGuerre
hivernale,périodebienplusterriblequ’elleenaeul’air.—Unlonghiver?semoquaMatt,etelleéclataderire.C’étaitunsonravissant.JenecroyaispasavoirentendurireWilladelasorteauparavant.—Oui,jesais.C’estidiot.Saqueuedechevallarendaitplusespiègle.Elleremitenplaceunemèchequienjaillissait.—Àdirevrai,toutçaestpassablementstupide.—Oui,jevoisbien,affirmaMattensouriant.—Salut,dis-jeenlesrejoignantaprèsquelquehésitation.
—Oh,salut!Willasouritencorepluslargementalorsqu’ilssetournaientversmoi.Elleétaitcommetoujourshabilléeàmerveilleetresplendissait.Sonhautétaitdécolleté,etjusteau-
dessusreposaitunpendentifendiamant.Elleportaiténormémentdebijoux,dontunbraceletporte-bonheur,unautreauxchevilles,desbouclesd’oreillesetdesbagues,cequiétaittrèsàlamodechezlesTrylles,oùonétaitfascinéparlesbijoux.Mêmesij’enétaismoinsfolle,j’adoraislesbagues.—Oùétais-tupassée?medemandaMattsansparaîtreirriténiinquietlemoinsdumonde.Simplementcurieux.—Jem’entraînaisavecTove.Jehaussailesépaules,histoirededédramatiser,m’attendantàcequeWillameposemillequestions
àproposdeTove.Maisellenesemblapassurprise.—Etvous,quefaites-vous?—Envenanttechercherpourvoirsituvoulaisquenousfassionsquelquechose,jesuistombéesur
tonfrère,quiavaitl’aird’unpauvrepetitchienabandonné.Elleritlégèrementetilsecoualatêteavantdesefrotterlanuque.— Je n’avais rien d’un petit chien abandonné, grimaça-t-il en rougissant. Je ne savais pas quoi
faire,c’esttout.—Exact.Jemesuisditquejepourraisluimontrerunpeuleslieux.Willadésignaitlescorridors.—J’aiessayédeluiraconterl’histoiredetesimpressionnantsancêtres.—Jen’ycomprendspasgrand-chose,ditMattd’unairpresquelas.—Moinonplus,admis-je,cequilesfitriretouslesdeux.—Tuasfaim?medemandaMatt.J’étaisheureusedelevoirreveniràunsujetplusterre-à-terre,commedesepréoccuperdesavoir
sij’avaismangé.—J’allaisdescendreprépareràdînerpourmoi,Rhysetcettefilleaunombizarre.—TuveuxparlerdeRhiannon?suggéraWilla.—Oui,c’estça,acquiesçaMatt.—Elleesttrèssympa,ditWilla.Jen’enrevinspas.Rhiannon était lamänsklig deWilla, ce qui voulait dire qu’elle avait été la fille contre laquelle
Willa avait été échangée à la naissance. Rhiannon était amie avec Rhys, et elle était extrêmementgentille,maisjamaisjen’avaisentenduWillaparlerd’elleencestermes.—ElleetRhyssefréquentent,ouquoi?demandaMatt,s’adressantàWilla.—Jenesaispas.Elleesttrèsamoureusedelui,maisjenesaispassic’estréciproque.Willa avait l’air enchantée, alors qued’ordinaire, quand elle parlait deRhysoudesmänks, cela
semblaitl’ennuyeràmourir.—Alors,qu’endis-tu?demandaMattensetournantversmoi.Tuviensdîner?—Non,merci,dis-jeensecouantlatête.Jesuiscrevée.Jeprendsunedouche,etaulit!—Tuessûre?s’enquit-il.
Jehochailatête.—Ettoi,Willa?Tuasdesplanspourledîner?—Hum.Non,dit-elleensouriant.J’adoreraisdînerici.—Super,déclaraMatt.Jem’extirpaidelaconversationaussivitequepossible.Toutcelaétaitplusqueperturbant.Willa
devenuesoudainbientropgentille,voilàqu’elleacceptaitdepartagerunrepaspréparéparunmänks.Sans parler de la façon dontMatt se comportait et quime semblait…pour lemoins étrange. Je
n’arrivaispasàcomprendrecequisepassait,maisj’étaissoulagéedem’éloignerd’eux.
ONZEAh!vousdirais-je…
Une autre longue journée d’entraînement ne fit rien pour arranger mon humeur. En revanche, jemaîtrisaismieuxmesdonsetc’étaitdéjàbien.Maisilmedevenaitdeplusenplusdifficiledenepaspenser à Finn. Je croyais que le tempsm’aiderait à l’oublier,mais il n’en fut rien. La douleur nefaisaitqu’augmenter.Nouspassâmeslamatinéedanslasalledutrône,oùjen’avaisencorejamaismislespieds.C’était
unvéritableatriumsurmontéd’undômeenverre,quidominaitdetrèshaut lapièceronde.Lemurcirculairederrièreletrôneétaitentièrementvitré.Rappelantcelledel’extérieurdupalais,unevigneviergecouraitsurlesfrisesdoréesetargentéesquidécoraientlesmurs.Étantdonnéelahauteurdeplafond,lapiècenesemblaitpassigrande,etellen’avaitduresteaucune
raison de l’être. Tove expliqua en passant qu’elle était seulement utilisée pour recevoir desdignitaires.Un trône solitaire, capitonné d’un luxueux velours rouge, occupait le centre de la pièce. Deux
siègespluspetitsetmoinsélégantsl’encadraient.Letrônen’étaitpasenbois,maisenplatineciselécommedeladentelle.Ilétaitsertiderubisetdediamants.Jem’enapprochaiettouchaidélicatementlevelourssoyeux,pourconstaterqu’ilétaitneufettrop
moelleux pour avoir déjà servi. Les bras épais enmétal étaient étonnamment lisses au toucher. Jepassailamaindessus,faisantcourirmesdoigtssurlelaçagedesmotifstorsadés.—Àmoinsquevousn’ayezenviedebougercesiègeavecvotreesprit,ilmesemblequ’ilfaudrait
nousmettreàl’entraînement,ditTove.—Pourquoidevons-nousnousymettreici?Quittantlefauteuil,jemeretournaipourleregarder.Ilyavaitquelquechosedanscetrônequime
fascinaitetfaisaitparaîtretoutceciplusréelsansquejecomprissepourquoi.— J’aime cet espace, dit-il en désignant le vide autour de nous. Celam’aide à penser.De toute
façon,lasalledebalestentravauxaujourd’hui.Jem’éloignaidutrônepresqueàcontrecœurpourrejoindreToveetvoirquelleobscureleçonil
avaitencoreenréservepourmoi.Duncansetenaitàl’écartdansuncoindelapièce,histoiredenepasservirdecobayeetdepouvoirrécupérercematin.Tovesouhaitaitquejetravaillasseànouveauàrestreindremespensées,enutilisantcettefoisunetactiquequimeparaissaitencoreplusénigmatique.Jedevaismetenirfaceàunmuret,toutencomptantjusqu’àmille,mereprésenterlejardinetuser
depersuasion.Commejen’avaisutilisécettetechniquesurpersonneenparticulier,jen’auraissudiresicelamarchaitounon,maisTovemeditquel’importantétaitpourmoidecontracterlesmusclespsychiques de mon cerveau. Mon esprit devait alors apprendre à jongler avec des tas d’idéesdifférentes, dont certaines en conflit avec d’autres, ce qui me permettrait d’obtenir une meilleuremaîtrise.Pendant que jem’exerçais, il s’étendit sur le sol, allongé de tout son long sur lemarbre froid.
Duncan, qui avait fini par se lasser, s’assit sur le trône, une jambe se balançant sur l’un desaccoudoirs.Celam’agaça,maiscommejenesavaispasexactementpourquoi,jenedisrien.Jen’étais
pasparticulièrementattachéeauxidéesaristocratiquesetn’allaispasembêterDuncanavecça.—Commentçava?medemandaTove,qui s’exprimaitpour lapremière foisdepuisunedemi-
heure.Nous étions tous restés silencieux pendant que jem’efforçais demaîtriser ce que j’étais censée
devoirmaîtriser.—Fantastique,marmonnai-je.—Parfait.Ajoutonsunechanson.Parleplafondvitré,ilobservaitlesnuagesfilerau-dessusdenostêtes.—Quoi?J’arrêtaidecompteretlaissaitombermapersuasionpourmeretournerverslui.—Pourquoi?—J’arriveencoreàvousentendre,ditTove.Certes,c’estmoinsflagrantqu’avant,maisilresteun
petitmurmurecommeceluiqu’onentendprèsdeslignesàhautetension.Ilfaudraitquevouspuissiezréduirecebruitdansvotretête.—Etfaireunmilliondechosesenmêmetempsvamepermettred’yarriver?demandai-jesansy
croire.—Oui.Vousdevenezdeplusenplusassurée,cequisignifiequevousapprenezàgarderdeschoses
dansvotretête.Ils’allongeaànouveau,mettantfinàladiscussion.—Maintenant,ajoutezunechansonàtoutça.—Quejedoischanter?m’enquis-jeensoupirantetenmeretournantverslemur.—PasAh ! vousdirais-je,maman, grognaDuncan.Allez savoir pourquoi, je n’arrivepas àme
débarrasserdecetair.—J’aitoujourseuunfaiblepourlesBeatles,ditTove.JejetaiunregardàDuncan,quigrimaçaitdesurprise.Ensoupirantànouveau,jememisàchanter
EleanorRigby.Jem’embrouillaiunpeuaveclesparoles,maisparchance,Toveneseplaignitpas.C’était déjà assez difficile de réussir ce que j’avais à faire, sans devoir en plus me souvenir desparolesd’unechansonquejen’avaispasentenduedepuisdesannées.—J’espèrequejenedérangepas.La voix d’Eloramit enmiettemon semblant de concentration et jem’arrêtai de chanter. Jeme
tournaiverselle.Duncansautadutrôneunpeutroptard.Eloraluiavaitdéjàlancéunregardmauvaisquinem’avait
paséchappé.Ilrougitenbaissantlatêteafinquesescheveuxtombentsursesjouesempourprées.—Pasvraiment,dis-jeenhaussantlesépaules.Pourunefois,j’étaisassezheureusedevoirElora,puisquecelasignifiaitquenousinterromprions
unmomentl’entraînement.Elle examinait la pièce avecmépris. Je ne compris pas bien ce qui provoquait chez elle un tel
mécontentement,danslamesureoùelleavaitcertainementétépourbeaucoupdansladécorationdeslieux.Elleavançadanslapièce,salonguerobeflottantautourd’elle.Toveneselevamêmepas,secontentantdelaregardernonchalamment.
— Puis-je voir un instant la princesse en privé ? demanda Elora sans regarder personne enparticulier.Elleavaitréussiàsetenirdetellefaçonqu’ellenoustournaitledosàtouslestrois.Duncanmarmonnaquelquesexcusesen sortant. Il trébuchaen seprenantdans sesproprespieds.
Toves’éloignapluslentement,mettantunpointd’honneuràfaireleschosesàsonrythme.Passantlamaindanssescheveuxenbataille,ilannonçaconfusémentquenousnousverrionsquandj’auraisfini.—Jen’aijamaisaimécettepièce,ditEloraaprèsleurdépart.Ellem’atoujoursfait l’effetd’une
serreplutôtqued’unesalledutrône.Jesaisbienquel’idéederrièretoutçaétaitdemettrel’accentsurnosracinesnaturelles,voirevégétales,maiscelam’atoujourssembléerroné.—Jetrouveçajoli.Mêmesijecomprenaiscequ’ellevoulaitdire,ilmesemblaitquec’étaitquandmêmeunetrèsbelle
salle.Toutceverreluidonnaitunaspectélégant,quoiquelégèrementtropfastueux.—Ton«ami»resteavecnous?Elleavaitprudemmentchoisisesmotsetsedirigeaversletrône.Elleglissalesdoigtssurlebras
du fauteuil comme je l’avais fait auparavant, laissant ses ongles vernis en noir s’attarder sur desdétails.—Monami?—Oui.Ce…garçon.Matt,c’estça?Eloralevalesyeuxversmoipourvérifierqu’ellenesetrompaitpas.—Tuveuxparlerdemonfrère?insistai-jedélibérément.—Nel’appellepasainsi.Tupeuxpenseràluienlenommantcommetuveux,maissiquelqu’un
t’entendaitl’appelercommeça…Elles’interrompit.—Ilvaresteravecnousjusqu’àquand?—Jusqu’àcequejejugebondelelaisserpartirsansqu’ilnecourederisques.Je me redressai, me préparant à une nouvelle querelle, mais elle ne dit rien. Elle se contenta
d’opinerenregardantparlafenêtre.—Tunevaspasm’enempêcher?—Jesuisreinedepuisunbonmoment,princesse,dit-elleavecunpetitsourireencoin.Jesaisdans
quellebataillemelanceretjecrainsdenepouvoirgagnercelle-ci.—Alorstuesd’accord?demandai-je,incapablededissimulermasurprise.—Onapprendàacceptercequ’onapeudechancesdechanger,réponditsimplementElora.—Tuveuxlerencontrer,ounon?ajoutai-je,peusûredecequ’ilfallaitquejedisse.Jenevoyaispasbienpourquoielleavait tenuàmeparler,sicen’étaitpourmedired’arrêterce
quej’avaisentreprisoupourm’expliquerquej’avaismalfaitquelquechose.Carc’étaitlapremièrefoisqu’ellevenaitelle-mêmeàmarencontre.—Ilnefaitaucundoutequejelerencontreraiunjouroul’autre.Lissantsescheveuxnoirs,ellefitunpasversmoi.—Commentsepassetonentraînement?—Bien,dis-jeenhaussantlesépaules.Çan’estpasencoreparfait,maisçaavance.
—Tut’entendsbienavecTove?Sesyeuxnoirsseposèrentsurlesmienscommepourmieuxm’étudier.—Oui,trèsbien.Quelquefûtcequ’elleavaitdétectéenmoi,celaavaitdûlaréjouirparcequ’ellemesourit.Elle
restaunmomentàbavarder,mequestionnaencoresurl’entraînement,maissonintérêts’affaditassezvite.Elles’excusa,prenantprétextedetâchesquil’attendaient.Unefoisqu’ellefutpartie,Tovevintreprendrel’entraînementavecmoi,maisjesuggéraiquenous
allionsplutôtdéjeuner.NousdescendîmesàlacuisinepourydécouvrirMatt,quipréparaitquelquechosepourluietWilla.Rhysétantenclasse,alorsiln’yavaitqu’eux.Willa envoya un raisin surMatt, qui le lui renvoya aussitôt. Elle pouffa. Si Tove remarqua cet
étrangebadinage,ilnefitaucuneremarqueàcesujetetlevaàpeinelenezdesonassiette.Ilmangeaitsansdireunmotpendantque,totalementsidérée,j’observaislecomportementdeMattetWilla.Je mangeai à toute vitesse, et nous retournâmes travailler, laissant Matt et Willa qui n’avaient
toujours pas fini leur déjeuner. Ni l’un ni l’autre ne semblèrent d’ailleurs se soucier lemoins dumondedenotredépart.Le restede la journéeneme laissaplusbeaucoupde tempspour repenserà l’attitudeétrangede
MattetWilla.Danslasalledutrône,l’entraînementsepoursuivitàpeuprèscommeils’étaitdéroulélematin.Enfindejournée,jecommençaisàmesentirfatiguée,maisnem’arrêtaipasavantqueToveeûtdéclaréquecelasuffisait.AprèsledépartdeTove,Duncanmesuivitàl’étagepuisque,quoiquejefasse,jeneparvenaispasà
m’en débarrasser. Je voulais être seule,mais je laissai Duncan entrer dansma chambre. Il nemesemblaitnitrèsgentilnidécentdelelaisserdeboutdanslecouloirtoutletemps.Ilavaitbeauêtregardeducorps,çan’étaitpasnonplusunmachobaraquéencostumeavecune
boucledansl’oreille.C’étaitungaminenjeanétriquéquej’avaisdumalàtraitercommeunemployédeservice.— Je ne comprends pas pourquoi vous détestez tant cet endroit, dit Duncan en admirant ma
chambre.—Jenedétestepascetendroit,répliquai-je,peuconvaincue.Jedéfismonchignondéfraîchipourétalermescheveux,puisjepassailesdoigtsdansdesboucles
rebelles.Duncanexaminaitdesaffairesquitraînaientsurmonbureau,touchantàmonordinateuretàmesCD.J’auraisétémécontentesicesobjetsm’avaientappartenu.Maistoutétaitlàquandjem’étaisinstallée.Bienquecefûtmachambre,trèspeudeschosesm’yappartenaientvraiment.—Pourquoiavez-vousfui?DuncansaisitunCDdeFallOutBoyetparcourutlalistedestitres.—Jecroyaisquetusavaispourquoi.Jemeglissaidansmonlit,m’immergeantdansleflotdecouverturesetd’oreillers,et jepliaiun
groscoussinquejeplaçaisousmatêtepourmieuxlevoir.—Ilmesemblaitquetuavaistoutpigé.—Quand?IldéposaleCDetseretournapourmeregarder.
—Jecroyaisquejen’avaisjamaisl’airdecomprendrequoiquecesoit.—C’est exact, dis-je en écartant unemèche demon front.Mais chezmoi, quand tu es venume
chercher,jepensaisquetusavais.La première fois que je l’avais vu, il avait dit quelque chose. Je ne pouvais pas me rappeler
exactementquoi,maisilavaitlaisséentendrequ’ilétaitaucourantpourFinnetmoi.Ouauminimum,ilsavaitqueFinnavaitétédémisdesesfonctionsenraisondesessentimentspourmoi.Mêmesi jenesavaispluscequeFinnpouvaitbienéprouverpourmoi.Aupointoùj’enétais, je
doutaiscomplètementdelavéracitéetmêmedelaréalitédesessentiments.Nousnousétionsétendusensembledanscemêmelit,nousembrassant,tendrementenlacés.J’avaissouhaitéquecelaailleplusloin,maisFinnavaitarrêtéleschoses,prétendantqu’ilnevoulaitpasmeperturber.Peut-être,aufond,nem’avait-iljamaisvraimentdésirée.Danslecasinverse,ilneseraitpasparti,justecommeça.Impossible.— Je ne vois pas de quoi vous parlez, affirmaDuncan en secouant la tête. Je crois que je n’ai
jamaiscomprisvotredépart.—J’aidûl’imaginer,alors.Je roulai sur le dos en faisant face au plafond.Avant qu’il ne pûtm’en demander davantage, je
changeaidesujet.—Quevousest-ilarrivéalorsàtouslesdeux?—Quand?Ilétaitpassédel’inspectiondesCDàcelledemapetitecollectiondelivres.Ils n’étaient pas épouvantables, mais comme ils avaient été choisis par Rhys et Rhiannon, ils
n’étaientpasexactementma tassede thé.Hormisun livredeJerrySpinelli, jen’auraischoisimoi-mêmeaucundeceux-ci.—Chezmoi.Vousavez filé et lesVittrasm’ont enlevée.Que faisiez-vous?Oùétiez-vousdonc
partis?—Nousn’étionspasbienloin.Finnavaitprévuresterdanslesecteur.Ilpensaitquevousfiniriez
parchangerd’idée.Duncans’emparad’unlivrequ’ilfeuilletanégligemment.—Nousn’étionspaséloignésdeplusd’unpâtédemaisonsquandilsnousontsautédessus.Cetype
auxcheveuxblondshirsutesn’aeuqu’ànousregarderet,hop,nousétionspartis.—Loki,dis-jeavecunsoupir.—Qui?demandaDuncan.Jehochailatête.LesVittrasavaientdûsurveillerlamaisonenn’attendantqu’uneoccasionpoursurprendreFinnet
Duncan.Ilsavaientfondusureux,etLokin’avaitpluseuqu’às’occuperd’eux.Finnpouvaits’estimerheureuxqu’ilsnel’aientpasassommé.Kyra,desoncôté,avaitsembléenchantéedem’amocher.Elle avait dû arriver plus tôt pourme surprendre, pendant queLoki neutralisait Finn etDuncan.
Lokinesemblaitpasappréciertantqueçalaviolence,ets’iln’étaitpasintervenu,Kyram’auraitpeut-êtretuée.—Attendez.
Duncan plissait les yeux en me fixant du regard, comme s’il était subitement en train decomprendrequelquechose.—Vousavezcruquenousvousavionsabandonnéechezvous?—Jenesavaisplusquepenser,répondis-je.Vousêtespartisalorsquejenem’yattendaispasdu
tout.Jenevoulaispasm’enalleravecvous,maiscommevousavezfilésanstropparlementer,j’aipenséque,peut-être…—Est-cepourcelaquevousavezboudéensuite?—Jeneboudaispas!J’avais juste été un peu déprimée aprèsmon retour. Etmême avant cela sans doute,mais je ne
croyaispasavoirboudé.— Je vous assure que vous boudiez, affirma-t-il en souriant. Nous ne vous aurions jamais
abandonnéecommeça.Vousétiezuneproierêvée.Finnnelaisseraitjamaisrienvousarriver.Retournéprèsdemonbureau,Duncans’étaitemparédel’iPod.—Jeveuxdire,ilneparvientmêmepasàvousquitter,alorsquevousêtestotalementensécuritéen
cemoment.—Quoi?Moncœurbonditdansmapoitrine.—Dequoiparles-tu?—Hein?Comprenantunpeutroptardqu’ilenavaittropdit,Duncanpâlit.—Derien.—Non,Duncan,queveux-tudire?Jem’assis,sachanttrèsbienquejedevaisfairesemblantdenepasattachertropd’importanceàtout
cela,maisjenepouvaism’enempêcher.—Finnestici?Tuveuxdireici,ici?—Jen’auraispasdûenparler,dit-il,horriblementmalàl’aise.—Tudoistoutmedire,insistai-jeenmeglissantauborddulit.—Non.Finnmetueraits’ilsavaitquejevousaiditquelquechose.Duncanbaissalesyeuxpourregardersespiedsettripotersaboucledeceinturecassée.—Jesuisdésolé.—Ilt’ademandédenepasmedirequ’ilétaitlà?questionnai-jeavecunnouveaucoupaucœur.—Iln’estpaslàausensdeprésentaupalais,non.Ilmarmonnaitenmeregardanthonteusement.—S’ilvousplaît,princesse,nem’obligezpasàvousledire;sijemeretrouveimpliquédansjene
sais quelle sordide histoire entre vous deux, je n’aurai plus jamais de travail. S’il vous plaît,princesse.Nemelefaitespasdire.Cen’estqu’aprèsqu’ileutprononcécesderniersmotsquejecomprisquej’avaislesmoyensdele
faireparler.Simapersuasionn’étaitpasassezfortepouragirsurdesgarscommeLokietTove,jel’avaisdéjàexpérimentéesurDuncan.Legarçonétaitassurémentsensibleàmescharmes.—Duncan,oùest-il?luidemandai-jeenleregardantdroitdanslesyeux.
Je n’ai même pas eu besoin de chantonner la chose dans ma tête. Dès que je parlai, je vis sesmâchoiresserelâcheretsavisionsebrouiller.Soncerveauétaitterriblementmalléable,aupointquej’en fus gênée. Plus tard, il faudrait que je lui expliquasse la chose et que j’essayasse deme fairepardonner.—IlestàFörening,chezsesparents,ditDuncan,quiclignaitdesyeuxenmeregardant.—Sesparents?— Ouais, ils vivent un peu plus bas dans la rue, dit-il en désignant le sud. Vous suivez la rue
Principalejusqu’auxportesetprenezlatroisièmeàgauchesurunchemindegravier.Vousdescendezunpeulafalaise,etc’estlàqu’ilsvivent,dansunefermette.C’estlamaisonavecdeschèvres.—Deschèvres?m’enquis-jeenmedemandantsiDuncann’étaitpasentraindeseficherdemoi.—Samèreélèvedeschèvresangoras.Ellefaitdeschandailsetdeschâlesenlainemohairpourles
vendre.Ilhochalatête.—Maisj’enaitropdit.Jevaismeretrouverdansunsacrépétrin!—Non,çaira,luiaffirmai-jeensautantdulit.Jemeprécipitaivers lapenderiepourchangerdevêtements. Jen’étaispasmalhabillée,mais si
j’allais voir Finn, il fallait que j’eusse l’air mieux que bien. Duncan continua de protester en setraitantd’imbécilepourm’avoirtoutdit.J’essayaidelerassurer,maismonespritétaitdéjàailleurs.Jen’arrivaispasàcroirequej’eussepuêtreaussistupide.Jem’étaisimaginéque,dèsl’instantoù
Finn avait été démis de ses fonctions auprès de moi, il avait été aussitôt embauché pour pisterquelqu’und’autre.Etjemerendissoudaincomptequ’ilavaitdûyavoirunlapsdetempsmortavantledébutdesonemploisuivant,etqu’ilfallaitbienqu’ilaillevivrequelquepartpendantcetemps-là.S’iln’habitaitplusaupalais,lamaisondesesparentsdevaitlogiquementl’accueillir.Ilavaittrèspeuparléd’euxetilnem’étaitjamaisvenuàl’espritqu’ilspouvaientvivretoutprès.— Elora découvrira tout. Elle sait toujours tout, grommela Duncan comme je m’éloignais du
placard.—C’estpromis.Jenedirairienàpersonne.Enpassantdevantlemiroir,jedécouvrisquej’étaispâleavecunairfourbuetterrifié.CommeFinn
aimaitquemescheveuxnesoientpasattachés,jeleslaissaidéfaits,mêmesic’étaitunvraidésastre.—Ellefiniraparlesavoir,insistaDuncan.—Jem’arrangeraipourquetunesoispasviré,dis-je.Commeilmeregardaitavectoujoursautantdeméfiance,j’ajoutai:—Jesuislaprincesse.Ilfautbienquej’aieunpeudepouvoirtoutdemême.Ilhaussalesépaules,maisjevisquej’avaisréussiàlesoulagerunpeu.—Ilfautquej’yaille.Nedisàpersonneoùjesuis.—Ilsvontpaniquercomplètements’ilsnesaventpasoùvousêtespassée.—Ehbien…Jeregardaiautourdemoienréfléchissant.—Reste ici.Siquelqu’unvientmechercher, tudirasque jeprendsunbainetqu’onnepeutme
déranger.Noussommeschacunl’alibidel’autre.
—Vousêtessûre?dit-ilenhaussantunsourcil.—Oui,mentis-je.Allez,jedoispartir.Etmerci.Duncan ne semblait toujours pas convaincu,mais je lui laissai assez peu de choix. Jem’élançai
hors du palais en essayant d’avoir l’air la moins suspecte possible. Elora avait placé pas mal depisteursensurveillanceautourdupalais,maisjeréussisàmefaufilersansqu’ilsmeremarquent.Enpoussantlesportespoursortir,jemerendiscomptequejenesavaismêmepaspourquoij’étais
tellementpresséedevoirFinn.Que ferai-jeune foisque je l’aurais revu?Leconvaincredeveniravecmoi?Lesouhaitais-jevraiment?Étant donné la façon dont les choses s’étaient soldées entre nous, après quoi étais-je en train de
courir?Jenepouvaisrépondreàcesquestions.Toutcequejesavais,c’étaitquejedevaislevoir.Jedévalai
larouteenlacetsverslesudenessayantdemesouvenirdesindicationsdeDuncan.
DOUZEMembresdelafamille
Larouteengravierempruntaitunepenteescarpée.Sanslebêlementdeschèvres,jen’auraisjamaissusij’avaisprislabonnedirection.Au détour du chemin, j’aperçus la petite ferme blottie au creux de la falaise. Les vignes et les
buissons la cachaient au point que j’aurais pu ne pas la remarquer si ce n’était de la fumée quis’échappaitdelacheminée.Situéunpeuplushautsurunpréenterrasseaccrochéàlafalaise,l’enclosdeschèvresaulongpoil
blancdéfraîchiétaitprotégéparunebarrièreenbois.Lecielcouvertetlefroiddel’airneréussissaientpasàégayercepâletableau.Mêmelesfeuilles
doréesetrouges,unefoistombéesautourdelamaisondeFinn,avaientperdudeleuréclat.Maintenantquejemetrouvaislà,jenesavaisplusquefaire.Jepressaimesbrasautourdemoiet
meredressai.Allais-jefrapperàlaporte?Qu’avais-jeexactementàluidire?Ilétaitparti.Ilavaitfaitsonchoix,etjelesavais.Jemeretournaipourvoirlepalais,ensongeantqu’ilvalaitsansdoutemieuxquejerentrasseàla
maisonsanschercheràrevoirFinn.Unevoixdefemmem’arrêtacependantetjemeretournaiverslamaison.—Jevousaidéjàdonnéàmanger,ditlafemmequis’adressaitauxchèvres.Venantdelapetiteétablesituéeàl’autreboutdel’enclos,elletraversaitlepré.Lebasdesarobe
usée, qui balayait le sol, était tout crotté. Unmanteau sombre jeté sur les épaules, elle portait sescheveuxbrunsrelevésetattachésendeuxchignonssurlescôtés.Commeleschèvresl’entouraientenmendiantpourplusdenourritureetqu’elleétaitoccupéeàlesrepoussergentiment,ellenemevitpastoutdesuite.Lorsqu’ellem’aperçut,elleralentitlepasavantdes’immobiliser.Sesyeuxétaientaussinoirsque
ceuxdeFinn,etbienque trèsbeau,sonvisageavait l’airplus fatiguéque tousceuxque j’avaispucroiseràFörening.Ellenedevaitguèreavoirplusdequaranteans,etpourtant,sestraitsburinésetbrunisétaientceuxd’unepersonnequiavaitdûtravaillerdurtoutesavie.—Jepeuxvousaider?demanda-t-elleenseremettantenmarche.—Hum…Jeserrailesbrasautourdemoiplusfermementenregardantlehautdelaroute.—Jenepensepas.Elleouvritleportillon,repoussaleschèvresversl’intérieurdupréd’unclaquementdeboucheet
refermalabarrièrederrièreelle.Arrivéeàquelquesmètresdemoi,ellem’examinadehautenbas,d’unefaçonquejesentaispeubienveillante,enessuyantsesmainssalessursarobe.Ellefitunsignedetêteetsoupira.—Ilnefaitpaschaudparici,dit-elle.Vousnevoulezpasentreruninstant?—Merci,maisje…J’allaism’excuser,maisellem’interrompit.—Jecroisquevousferiezmieuxdeveniràl’intérieur.
Elle se tourna et se dirigea vers la chaumière. Je restai dehors uneminute,me demandant si jedevaisounonm’enfuir,maiselleavait laissé laporteouverte, laissant lachaleur s’échapperde lamaison,enmêmetempsqu’unedélicieuseodeurderagoût.Leparfumdeslégumescuitsetpréparésavecamourcommecelan’existaitplusnullepart,toutcelasentaitsibon.Quandj’entraidanslamaison,elleavaitdéjàaccrochésonmanteauàlapatèreets’étaitapprochée
delacuisinièreventrue,poursaisirunecuillèreenboisettouillerleragoûtquifumaitdanslagrossemarmiteetembaumait.Lachaumièreétaitdotéeducharmemodesteetancienqu’ons’attendàtrouverchezlestrolls.Elle
me rappelait celledes septnainsdeBlanche-Neige.Le solen terrebattueétaitd’unbrunbrillantàforced’avoirétépiétiné.Latableaucentredelacuisineétaitenboisbrutépais.Unbalaiétaitappuyédansuncoinetunpot
de fleurs reposait sous chaque rebordde fenêtres, qui consistaient endepetitesouvertures rondes.Commelesfleursdujardincheznous,ellesseparaientdevioletetderosebienquelasaisondelafloraisonfûtlargementpassée.— Resterez-vous pour le dîner ? demanda-t-elle en émiettant quelque chose au-dessus de la
marmite.—Comment?interrogeai-je,surpriseparcetteinvitation.—J’aibesoindelesavoir.Elle se retourna pourme regarder en se frottant lesmains sur sa robe pour essuyer les épices
qu’ellevenaitdesaupoudrer.—Carjeferaidespetitspainssinousavonsunepersonnedeplusàdîner.—Oh,non,çava.Monestomaccommençaitdéjààgargouiller,maisjefisnondelatête,comprenantqu’elleavaiteu
peurquejem’imposeetquejen’étaispasréellementinvitée.—Mercibeaucoup.—Quevoulez-vousdonc,alors?Elle posa les mains sur ses hanches, et son regard était aussi dur et sombre que celui de Finn
lorsqu’ilétaitfâché.—Mais,je…vous…Jebafouillai,surpriseparlaquestion.—C’estvousquim’avezproposéd’entrer.—Vousrôdiezautourdecheznous.Jesaisquevousvoulezquelquechose.Saisissantuntorchonaccrochéprèsdubassinmétalliqueservantd’évier,ellesemitànettoyerla
tablequipourtantnemesemblaitpassale.—Pourquoinedites-vouspascequivousamène,qu’onenfinisse?—Savez-vousquijesuis?demandai-jedoucement.Jenevoulaispasavoirl’airarrogante,maisjenecomprenaispaspourquoielleréagissaitainsi.Et
siellesavaitquej’étaislaprincesse,pourquoiéprouvait-ellelebesoind’êtreaussicassante?—Biensûrquejesaisquivousêtes,dit-elle.Etjesupposequevoussavezaussiquijesuis.—Quiêtes-vous?luidemandai-je,mêmesijelesavais.
—JesuisAnnaliHolmes,humbleservantedenotrereine.Ellearrêtad’épousseterlatableafindemeregarderdroitdanslesyeux.—JesuislamèredeFinn.Etsivousêtesvenuepourlevoir,iln’estpaslà.Moncœurauraitfondusijen’avaisétéaussiperturbéeparlamanièredontellemetraitait,comme
siellem’accusaitdequelquechose.Etjenesavaismêmepasdequoi.—Je…jene…bafouillai-je.Jesuissortiemepromener,carj’avaisbesoindeprendrel’air.Jene
cherchaisrienenparticulier.—Commetoujours,rétorquaAnnaliavecunsourirecrispé.—Vousmeconnaissezàpeine.Elleopina.—Peut-êtrebien.Maisj’aibienconnuvotremère.Elleseretournaenposantlamainsurledosd’unedeschaises.—Etjeconnaismonfils.Jecompristroptardd’oùvenaitsacolère.Sonmarietmamèreavaienteuuneaventureilyavait
fortlongtemps,etAnnalil’avaitappris.Alorsévidemment,ellem’envoulait.Pourquoin’yavais-jepaspenséplustôt?Etvoilàque jevenaisbouleverser laviede son fils, aprèsquemamère eutdétruit la sienne. Je
serrailesdents,comprenantsubitementquejen’auraisjamaisdûvenir.Jen’avaispasàennuyerFinn,niàheurtersafamilleplusqu’ellenel’avaitdéjàété.—Maman!Lavoixd’uneenfantappelad’uneautrepièceetAnnali,seressaisissant,fitminedesourire.La fillette, âgéed’environdouzeans, entradans lacuisineen tenantun livred’école toutabîmé.
Elleportaitdescouchesdevêtementsdéchirésconsistantenunerobeuséeetuntricotenlaine,maiselleavait l’air frigorifiéemalgré lachaleurde lamaison.Sachevelureétaitunfouillisdecheveuxfoncéssemblablesauxmiens,etelleavaitlesjouessales.M’apercevant,elleouvritgrandlaboucheetlesyeux.—C’estlaprincesse!—Oui,Ember,jelesaisbien,ditAnnaliavectoutelagentillessedontellesemblaitcapable.—Pardon,j’aioubliémesbonnesmanières,ditEmber.Elledéposasonlivresurlatablepourfaireunerapidepetiterévérence.—Ember,tun’espastenuedefaireça,pascheznous,lagrondaAnnalid’unairlas.—C’estvrai.Jemesensbêtequandlesgensfontça,assurai-je.Annalimedécochaundrôlederegardencoin.Quelquechosemeditqu’ellemedétestaitencore
plusdufaitquej’étaisd’accordavecelle.Commesijecherchaisàm’immiscerdansl’éducationdesesenfants.—OhmonDieu, princesse ! s’écria Ember en s’élançant pour contourner la table et venirme
saluer.Jen’arrivepasàcroirequevoussoyezcheznous!Quefaites-vouslà?Est-ceàcausedemonfrère?Ilestpartiavecmonpère,maisilrevientbientôt.Vousdevriezresterdîner.Toutesmesamiesvontêtremortesdejalousie,àl’école.Seigneur!VousêtesencoreplusbellequeFinnnousl’avaitdit!
—Ember!tranchaAnnaliencomprenantqu’Embern’arrêteraitpas.Nesachantplusquerépondre,jerougisetdétournailesyeux.Mêmesijecomprenaisqu’ilpouvait
êtreexaltantde rencontreruneprincesse, jenevoyaispascequ’ilpouvaityavoird’excitant àmerencontrer.—Pardon,s’excusaEmber,sansquecelanerefroidîtpourautantsonenthousiasme.J’avaissupplié
Finndemeprésenteràvousetil…—Ember,vafairetesdevoirs,lançaAnnalisansnousregardernil’unenil’autre.—Jesuislàparcequ’ilyauntrucquejenecomprendspas,réponditEmberendésignantsonlivre
declasse.—Ehbien,passeàautrechose,alors.—Mais,maman!gémitEmber.—Toutde suite,Ember, rétorquaAnnali fermement, surun tonque j’avaisbienconnuquand je
vivaisavecMattetMaggie,etqu’ilsmegrondaient.Embersoupiraenreprenantsonmanuel,puisellerepartitverssachambreentraînantdespieds.Je
l’entendisencoregrommelerquelquechoseàproposdelaviequiétaitinjuste,maisAnnalil’ignora.—Votrefilleestcharmante,dis-jeunefoisqu’Emberfutpartie.—Nemeparlezpasdemesenfants,décochaAnnali.—Pardon.Jemefrottailesbras,sansplussavoirquoifaire.Jenesavaismêmepluspourquoij’étaislà.—Pourquoim’avez-vousfaitentrersivouspréférieznepasmevoir?—Commesij’avaislechoix.Ellelevalesyeuxaucielenretournantàsesfourneaux.—Vousêtesvenuevoirmonfilsetjesaisbienquejen’aipasledroitdevousenempêcher.—Jenesuispas…Jem’interrompis.—JevoulaisjusteparleràFinn,pasvousl’enlever.Jesoupirai.—Jevenaisjusteluidireaurevoir.— Vous partez quelque part ? demanda Annali en me tournant toujours le dos pendant qu’elle
touillaitsonragoût.—Non.Non,jenepeuxallernullepart,mêmes’ilexistaitunendroitoùj’aieenvied’aller.Jerelevailesmanchesdemonchemisierenbaissantlesyeux.— Je ne voulais vraiment pas vous importuner. Je ne saismême pas pourquoi je suis venue. Je
savaisbienqu’ilvalaitmieuxnepaslefaire.—Vousn’êtesvraimentpasvenuepourl’emmener?Annaliseretournapourmefixerduregardenplissantlesyeux.—Ilestparti,dis-je.Jenepeuxpasleforceràrevenir…Etjenelesouhaiteraispas,mêmesijele
pouvais.Jesuisdésoléedevousavoirdérangée.—Vousn’avezdécidémentrienàvoiravecvotremère.Annalisemblaitsurprise.Jerelevailesyeux.
—Finnm’avaitditquevousneluiressembliezpas,maisjenel’avaispascru.—Merci,répondis-je.Jeveuxdire…Jeneveuxpasluiressembler.J’entendisdesvoixd’hommesau-dehors.Lesmursdelafermetteétaientincroyablementminceset
jejetaiuncoupd’œilparlapetitefenêtrequicôtoyaitlaporte.Àtraverslecarreaugauchiettrouble,jedistinguaideuxsilhouettesquiapprochaientdelamaison.—Lesvoilà,soupiraAnnali.Moncœursemitàbattrelachamadeetjeserraimesmainsl’unecontrel’autrepourlesempêcher
de trembler. Je n’avais toujours pas la moindre idée de ce que je faisais là, et en voyant Finnapprocherdelaporte,jen’eusqu’uneenvie:n’êtrejamaisvenue.Jenesavaisabsolumentpasquoiluidire.Ilyenavaitpourtanttellement,maisçan’étaitnilelieu,nilemoment.La porte de la chaumière s’ouvrit en laissant pénétrer un vent froid, dans lequel j’aurais voulu
pouvoirm’engouffreretfuir.Maisunhommemebloquait lepassage, l’airaussiahurietgênéquemoi.Comme il s’arrêta net sur le seuil, Finn ne put avancer. Pendant uneminute, ilme dévisageasimplement.IlavaitlesyeuxplusclairsqueFinnetleteintplushâlé,maisilyavaittantdeFinnenlui,quejesus
immédiatementquec’étaitsonpère.Ilétaitplutôtbeau,avecunepeauvisiblementplusdouceetdespommettesplushautesquecellesdesonfils.MaisFinnétaitbienplusrudeetfort.Jepréféraiscela.—Princesse,dit-ilaprèsunlongsilence.—Oui,Thomas,lançaAnnalisanschercheràcachersonirritation.C’estlaprincesse,maintenant,
entrezaulieudefaireentrerl’airfroiddanslamaison.—Jevousdemandepardon,ditThomasensecourbantdevantmoi.Ensuite,ilfitunpasenavant,permettantàFinnd’entreràsontour.Finnnefitpasdecourbetteetneditriendutout.Ilaffichaunvisagesansexpressionetsesyeux
étaienttropsombrespourylirequelquechose.Ilcroisalesbrassursapoitrineennemequittantpasdesyeux,sibienquejedétournaileregard.L’airmesemblaitirrespirable,etjenevoulaispasêtrelà.—Qu’est-cequinousvautceplaisir?lançaThomas,puisquepersonnenedisaitrien.Ils’étaitapprochéd’Annalietavaitposésonbrassurlesépaulesdesafemme.Ellerouladesyeux,
sansrepoussersonbras.—Jeprenaisl’air,marmonnai-je.J’avaisdumalàarticulertantmamâchoireétaitparalysée.Maisjemeforçai.—Nedevriez-vouspasrentrerchezvous?s’enquitAnnali.—Si.J’opinai,soulagéedepouvoirsaisircetteperchepourm’échapper.—Jeteraccompagne,ditFinn,quis’exprimaitpourlapremièrefois.—Finn,jenecroispasquecelasoitnécessaire,ditAnnali.—Jedoism’assurerqu’ellerentrebienàlamaison,réponditFinn.Ilouvritlaporteenlaissantentrerlefroid,quimefitl’effetd’unedélivrancetantl’airétaitdevenu
irrespirabledanscettecuisine.—Prête,princesse?—Oui.
J’avançaid’unpasverslaporteenfaisantunvaguesignedelamainàAnnalietThomas,maissansmeretourner,carjen’avaisaucuneenviedelesregarder.—J’aiétéraviedevousrencontrer.DitesàEmberquejelasalue.—Vousêteslabienvenuequandvousvoulez,princesse,ditThomas.J’entendisAnnaliluiflanqueruncoupdecoudealorsquejesortaisdelamaison.Je respiraiprofondémentavantdem’engager sur la routeengravier.Lespierresblessaientmes
piedsnus,maisçam’étaitégal.JepréféraiscettesensationàlatensionbizarrequirégnaitentreFinnetmoi.— Il n’est pas nécessaire que tu m’accompagnes plus loin, dis-je doucement quand nous
atteignîmesleboutducheminengravier.Àpartirdelà,laroutesetransformaitenunlisseruband’asphaltequiconduisaitaupalais.—Si,jeledois,réponditFinnfroidement.C’estmondevoir.—Plusmaintenant.—Mon devoir est toujours de respecter les désirs dema reine, et son plus cher désir est de te
garderensécurité,dit-ilsuruntonpresquesarcastique.—Jemepassetrèsbiendetongardiennage.J’accélérailepas.—Quelqu’unsait-ilaupalaisquetuespartie?demandaFinnenmejetantunregardencoin,tandis
qu’ilmerattrapaitenaccélérantàsontour.Commentas-tusuoùj’habitais?Jene répondis rienparceque jenevoulaispascréerd’ennuisàDuncan,maisFinncomprit très
vite.—Duncan?Excellent.—Oui,Duncan remplitparfaitementsonoffice, rétorquai-je.Etc’estbienceque tudoispenser,
sansquoitunem’auraispaslaisséesoussaprotection.—Ce n’est pasmoi qui décide de qui doit te garder, répliqua Finn. Tu le sais très bien. Je ne
comprendspaspourquoitum’enveuxàcesujet.—Jenet’enveuxpas!J’accéléraiencore lepasetmarchai siviteque jecouruspresque.Celaneme réussitpas, car je
trébuchaicontreunepierrepointue.—Mince!—Çava?medemandaFinnens’arrêtantpourvoircequisepassait.—Oui,j’aibutésurunepierre.Jemefrottailepied.Commejenesaignaispas,jereprismamarche.Celafaisaitunpeumal,mais
j’ysurvivrais.—Pourquoineprenons-nouspastavoiture?—Parcequejen’enaipas.Finnralentitlepasenenfonçantlesmainsdanssespoches.Jeboitaisunpeuetiln’offritpasdem’aider.Jen’auraisdetoutefaçonpasaccepté,maislàn’était
pasleproblème.—Etc’estquoicetteCadillacquetuconduistoutletemps?
—ElleestàElora.Ellemelaprêtepourtravailler,commeàn’importequelpisteurd’ailleurs.Maislesvoituresnenousappartiennentpas.Riennem’appartientenréalité.—Ettesvêtements?demandai-je,surtoutpourl’agacer.Jemedoutaisbienqu’ilsétaientàlui,maisj’avaisbesoindecontinueràargumenteràproposde
quelquechose.—Tuasvucettemaisonderrièrenous,Wendy?Finn s’arrêta en montrant la fermette. Nous avions avancé trop loin pour pouvoir encore la
distinguer,maisjeregardailesarbresquienbarraientlavue.—C’estlamaisondanslaquellej’aigrandietoù,probablement,jemourrai.C’estçaquej’ai.C’est
toutcequejepossède.—Jen’airiennonplusquisoitréellementàmoi,dis-je.Iléclatad’unriresombre.—Tunecomprendstoujourspas,Wendy.Lesyeuxbraquéssurmoi,ilsefenditd’unsourireamer.—Jenesuisqu’unpisteur,alorsarrêteunpeutoutça.Vatenirtonrôledeprincesse,faiscequ’ily
ademieuxpourtoi,etlaisse-moifairemonboulot.—Jen’avaispasl’intentiondet’importunerettun’aspasàmeraccompagneràlamaison.Meretournant,jemeremisàmarcherplusrapidement,etbienplusvitequemespiedsnel’auraient
voulu.—Jeveuxm’assurerquetuyarrivesentoutesécurité,répliquaFinnenmesuivantquelquespasen
arrière.—Situfaisjustetonboulot,alorsfais-le!dis-jeenm’arrêtantànouveaupourluifaireface.Mais
jen’enfaispluspartie,n’est-cepas?— Non, en effet ! cria Finn en s’arrêtant plus près de moi. Pourquoi es-tu venue chez moi
aujourd’hui?Tucroyaisqueçamèneraitàquoi?—Jenesaispas!hurlai-je.Maistunem’avaismêmepasditadieu!—Enquoisedireadieuaiderait-ilenquoiquecesoit?Ilsecoualatête.—Celan’aideenrien.—Si,çaaide!insistai-je.Tunepeuxpasm’abandonnercommeça!—Illefaut!Sesyeuxnoirsbrillantsmefaisaientchavirer.—Tudoisêtreprincesseetjenepeuxempêchercela.Jeneleferaipas.—Jecomprendsbien,mais…Mesyeuxseremplirentdelarmesetjeduslesravaler.—Tunepeuxpascontinueràtecomporterainsi.Tudoisaumoinsmedireadieu.Finnfitunpasdeplusversmoi.Sesyeuxconsumaienttoutd’unefaçonquin’appartenaitqu’àlui,
aupointquel’airglacésemblaitfondreautourdenous.Jemepenchaiverslui,toutencraignantqu’ilneremarquâtcombienmoncœurbattaittropfortdansmapoitrine.Jelevailesyeuxverslui,priantpourqu’ilmetouchât,maisilnelefitpas.Ilnebougeapas.
—Adieu,Wendy,ditFinnsidoucementquejepusàpeinel’entendre.—Princesse!criaitDuncanauloin.JetournailatêtepourapercevoirDuncan,qui,unpeuplushautsurlaroute,agitaitlesbrascomme
unfou.Lepalaisétaitjustelà,derrièrelui,alorsquejenem’enétaispasvraimentrenducompte.JeregardaiànouveauFinn,etvisqu’ils’étaitéloignédemoietretournaitchezlui.—Ilteraccompagnerajusquecheztoi.FinnmontraDuncandudoigtenfaisantunpasdeplus.Commejenedisrien,ils’arrêta.—Tunemedispasadieu?—Non,rétorquai-jeensecouantlatête.—Princesse!criaencoreDuncan.Etjel’entendiscourirversnous.—Princesse,Matts’estrenducomptequevousétiezpartieetilallaitalerterlesgardes.Ilfautque
jevousramèneavantqu’ilnelefasse.—J’arrive.JemedirigeaiversDuncanentournantledosàFinn.JesuivisDuncanjusqu’aupalais,sansregarderuneseulefoisenarrière.J’étaisplutôtfièredemoi.
Jenel’avaispasincendiépournepasm’avoirparlédemonpère,maisj’avaisréussiàplacerunbonnombredechosesquejevoulaisluidire.—JesuisheureuxquecesoitMatt,etnonElora,quisesoitrenducomptequevousétiezpartie,dit
Duncanalorsquenousabordionsladernièrecourbeavantlepalais.Larouteasphaltéeavaitcédélaplaceàunealléedegaletsquiplaisaitdavantageàmesplantesdepieds.—Duncan,est-ceainsiquetuvis?demandai-je—Quevoulez-vousdire?—CommeFinndanscettemaison?Jeladésignaidupouce.—Tuvisdansunechaumièrecommecelle-ci?Jeveuxdire,quandtun’espasoccupéàpister?—Oui,àpeuprès,opinaDuncan.Jecroisquelamienneestunpeumieux,maisjevisavecmon
oncle,quiétaitvraimentunexcellentpisteuravantsaretraite.Maintenant,ilestprofesseuràl’écoledesmänks,cequin’estpastropmalpourlui.—Tuvisdanslecoin?demandai-je.—Oui.Ilmemontralesommetdelacolline,aunorddupalais.—Mamaisonestbiencachéedanslafalaise,maisc’estjustelà,unpeuplushaut.Ilmeregarda.—Pourquoi?Vousvoulieznousrendrevisite?—Non,pasmaintenant.Maismercipourtoninvitation.C’étaitjusteparcuriosité.Est-ceainsique
viventtouslespisteurs?—CommemoietFinn?Duncanréfléchituninstant,puisopina.
—Oui,c’estàpeuprèscommeçapourtouslespisteursquitravaillentdanslesecteur.PendantqueDuncanpassaitdevantpourouvrirlesportesd’entrée,jem’arrêtaipourcontemplerle
palaissurl’immensefaçadeduquels’entrelaçaientdesvignesvierges.Quandlesrayonsdusoleillefrappaient,ilbrillaitmagnifiquement,d’uneblancheurpresqueaveuglante.—Princesse?Duncanm’attendaitdevantlesportesouvertes.—Toutvabien?—Mourrais-tupourmesauver?luidemandai-jeabruptement.—Quoi?—Sij’étaisendanger,accepterais-tudemourirpourmesauver?Est-cequed’autrespisteursont
déjàfaitça?—Oui,biensûr.Beaucoupd’autrespisteursontdéjàdonnéleurviepourleroyaumeet jeserais
honoréd’enfaireautant.—Nelefaispas.J’approchaidelui.—Sijamaistudevaischoisirentretavieetlamienne,sauvetapeau.Jenevauxpaslapeinequ’on
meurepourmoi.—Princesse,je…—Aucundenousn’envautlapeine,dis-jeenleregardantsérieusement.Nilareine,niaucundes
markisoumarksinnas.Ceciestunordredirectdelaprincesseettudoislesuivre.Sauve-toid’abord.—Jenecomprendspas.LevisagedeDuncansetroubla.—Mais…sic’estcequevousdésirez,princesse.—C’estlecas.Merci.Jeluisourisetentraidanslepalais.
TREIZECaptif
ÀlagrandedéceptiondeTove,lasalledebalavaitétédéblayéedetouslesdébrisquijonchaientlesol,maislaverrièrebriséeétaittoujourscouvertedebâches.Tove,quiavaitappréciélaprésencedecesdébrisparcequ’ilsmefournissaientdequoim’exercer,seditqu’après tout, lesbâchesseraientplusfaciles.Duncan ne viendrait pas aujourd’hui. Je crois que sesméninges commençaient à être lessivées,
après que je les eus un peu trop sollicitées. Comme il avait ressenti de drôles d’ondes cérébraleslorsquej’essayaistropfort,nousnoussommestousditqu’ilseraitpréférablequ’ilaillesebaladerailleursquelquetemps.Pendantdesheures,j’essayaidefairebougerlesbâches,ettoutcequej’obtinsfutlapropagation
d’une légèreondulationde lamatièreplastique.Mêmecelameparaissaitdiscutable.Toveprétenditquec’étaitprobablementlefaitdemonaction,maisjesoupçonnaiscelled’unebourrasque.Jecommençaisaussiàavoirmalà la têteet jemefaisais l’effetd’une imbécile, lesbras levésà
poussersurriendutout.—Ilnes’estrienpassé,soupirai-jeenlaissantretombermesbras.—Essayezplusfort,répliquaTove,allongéausolàcôtédemoi,lesbrasrepliéssouslatête.—Jenepeuxpas.Jem’affalaisurlesold’unefaçonfortpeuféminine,maisjesavaisqueToves’enfichait.J’avais
mêmelesentimentqu’ils’étaitàpeineaperçuquej’étaisunefille.—Jenecherchenullementàmeplaindre,maisêtes-voussûrquejepeuxvraimentyparvenir?—J’ensuiscertain.—Certes,maissij’allaisjusqu’àlaruptured’anévrismeàforced’essayerdeschosesdontjesuis
incapable?—Maisnon,dit-ilsimplement.Levant lesbras enouvrant lespaumesdesmains, il fit bouger labâcheau-dessusde lui.Elle se
soulevaetse tenditentre lescordesélastiquesqui la retenaient,puisellese remitenplaceet ilmeregarda.—Faitesça.—Nepourrais-jeplutôtfaireunepause?demandai-jeenlesuppliantpresque.Jecommençaisàtranspirerdufrontetdesmèchesdecheveuxmecollaientauxtempes.—Sic’estvraimentnécessaire.Ilbaissalesbrasetlesrepliasoussatêteànouveau.— Si vraiment cet exercice est trop dur, il faudrait peut-être que vous travailliez davantage là-
dessus.Demain,vousrecommencerezavecDuncan.—Non,jeneveuxpluspratiquersurDuncan.Jeremontailesgenouxpouryposerunejoue.—Jen’aipasenviedeledémolir.—EtRhys?Pouvez-vousvousexercersurlui?
—Non.C’estabsolumenthorsdequestion.Jefixaiunpointsurlesolenmarbreenréfléchissantuninstant.—Jeneveuxpasm’exercersurlesgens.—C’estpourtantlaseulefaçondeprogresser,ajoutaTove.—Jesais,mais…Jesoupirai.—Jen’aipeut-êtrepasenvied’yarriver.Jeveuxdire,exercercepouvoir,oui,ça,jeveuxbieny
parvenir. Mais je ne veux pas devoir l’exercer sur des êtres humains. Même sur des personnesmauvaises.Celanemesemblepascorrect.—Jecomprendscela.Ils’assitetcroisalesjambesentailleurensetournantversmoi.—Maisapprendreàrenforcervotrepouvoirnepeutêtreunemauvaisechose.—JesuispluspuissantequeDuncan,n’est-cepas?—Biensûr!dit-il—Danscecas,pourquoiest-celuiquimegarde?demandai-je.Sijesuisplusfortequelui?—Parcequ’ilestremplaçable,réponditTovesimplement.Jedusavoirl’airhorrifiée,carilsedépêchad’ajouter:—C’estainsiquelareinevoitleschoses,quelasociététryllefonctionne.Et…pourdireleschoses
honnêtement…jesuisd’accordaveccela.—Vousnepouvezpasdécemmentpenserquemavieaplusdevaleursimplementparcequejesuis
uneprincesse?questionnai-je.Lespisteursviventdanslamisèreetnousnousattendonsàcequ’ilsmeurentpournous.— Ils ne vivent pas dans la misère, mais en dehors de cela, vous avez raison. Le système est
totalementabsurde,ditTove.Lespisteurssontcouvertsdedettesdepuisleurnaissance,pourlasimpleraisonqu’ilssontnésicietqu’onnelesajamaisenvoyésrécolterunhéritagequelquepartdanslemonde.Ilssontserviteursàviedepèreenfils,cequiestunefaçonpoliedeparlerd’esclavage.Ettoutceciesttotalementinjuste.C’estseulementaprèsqueTovel’eutexpriméquejemerendiscompteàquelpointilavaitraison.
Lespisteursnevalaientguèremieuxquedesesclavesetc’étaitécœurant.—Maisilfautbienquevousayezdesgardes,continuaTove.D’unefaçonoud’uneautre,toutchef
vivantdanslemondelibredisposedegardesducorps,mêmelesvedettesdelachanson.Celan’ariend’effarant.—Oui,mais dans lemonde libre, les gardes du corps sont salariés. Ils choisissent leur travail.
Personnenelesforce.—VouscroyezqueDuncanaétéforcé?OuFinn?Ilssesontportésvolontairespourceboulot.
Touslefont.Vousprotégerestunimmensehonneur.Dureste,vivreaupalaisn’estpasnonpluscequ’ilyadepire.—Jeneveuxpasquequelqu’unsoitblesséàcausedemoi,dis-jeen le regardantdroitdans les
yeux.—Bien.
Unsourirenarquoiss’installasurseslèvres.—Alors,apprenezàvousdéfendre.Bougezlesbâches.Prêteàdompterlesbâchesunefoispourtoutes, jemerelevai,quandlesonstridentd’unesirène
retentit.—Vousavezentendu?demandaToveenpenchantlatêteversmoi.—Oui,biensûr!criai-jepourêtreentenduepar-dessuslevacarme.—Jevoulaisjusteêtrecertaindenepasêtreleseulàl’entendre,indiquaTove.Cecimefitm’interrogersurcequ’ilpouvaitbienentendredanssatêteenpareilcas.Jesavaisqu’il
entendait des chosesquepersonned’autrenepercevait,mais si cela incluait desbruits commedessonneriesdesirènes,jecomprenaismieuxpourquoiilavaittoujoursl’airaussiperturbé.—C’estquoi?demandai-je.—L’alarmeincendie,peut-être?Ilhaussalesépaulesetsereleva.—Allonsvoir.Lesmainssurlesoreilles,jelesuivishorsdelasalledebal.Àpeineétions-nousdanslecorridor
que l’alarme se tut. Mais mes oreilles continuaient de vibrer. Nous étions dans l’aile sud, où seréglaient les affaires, et je vis dans le couloir surgir un certain nombre d’associés de la reine. Ilsexaminaientautourd’eux.—Pourquoicettesirènes’est-elledéclenchée?hurlalareinedepuislehalld’entrée.Sesparolesproduisirentunautreéchodansmatête.J’avaishorreurdecesordresqu’elle lançait
partransmissiondepenséequandelleétaitencolère.Jeneparvinspasàentendrelaréponseàsaquestion,maisilétaitclairqu’unegrosseagitationavait
lieu,ponctuéedegrognements,dehurlements,declaquementsdeportesetdebruitsdebagarre.Ilsepassait quelque chose en bas, dans la rotonde. Sans hésitation,Tove se dirigea vers l’endroit d’oùprovenaientlesbruitsetjeluiemboîtailepas.—Oùl’avez-voustrouvé?demandaElora,maiscettefoisjenel’avaispasentendudansmatête
puisquenousétionsassezprêtsduhalld’entréeetqu’ellecriaitassezfort.—Ilsebaladaitdansl’enceinte,ditDuncan.Jecourusenentendantlesondesavoix.Jenesavaispasdansquoiilavaitmislespieds,maiscela
nesentaitpasbon.—Ilvenaitd’assommerundesgardes,quandjel’aivu.Elora était debout aumilieu de la courbe de l’escalier quand j’atteignis le hall. Elle portait une
longue robe de chambre. J’en déduisis qu’elle était couchée, aux prises avec une de ses horriblesmigrainesquand l’alarmes’étaitdéclenchée.Elleobservait lapièceavecunhabituelairdedédain,toutensefrottantlestempes.Lesportesd’entréeétaientrestéesgrandesouvertes, laissantpénétrerunechutedeneigematinale
pousséeparlevent.Ungroupedegardessemblaitbatailleraucentredelarotondetandisqueleventsoufflaitparrafalesensecouantleslustresau-dessusd’eux.Duncansetenaitàl’écart,àmongrandsoulagement,carlabagarrenesemblaitpasàleuravantage.Cinq ou six gardes au moins essayaient de maîtriser un individu qui se débattait au milieu du
groupe.Deuxd’entreeux,pourtantgrandsetmusclés,neparvenaientpasàmaîtriser le type. Jeneparvenaispasàvoirsonvisageparcequ’ilnefaisaitqueglisseraumilieud’eux.—Ilsuffit!hurlaElora.Soncrimetransperçalecerveauenprovoquantunedouleurintense.Tovecontinuaitdesetenir la têteàdeuxmainsenpressantfortementsursoncrâne,mêmeaprès
queladouleursefutdissipéedansmoncerveau.Aux ordres d’Elora, les gardes s’écartèrent en laissant l’individu seul au centre du cercle. Je
découvrisenfinquelétaitl’objetdetoutceremue-ménage.Ilmetournaitledos,maisc’étaitleseultrollquejeconnaissaisavecdescheveuxblondsaussiclairs.—Loki?lâchai-je,plussurprisequ’autrechose.Ilsetournaversmoi.—Princesse.Ilmefitunsouriredetraversetsesyeuxpétillèrentenmevoyant.—Tuleconnais?demandaElora,laboucheànouveaupleinedevenin.—Oui.Enfin,non.—Allonsprincesse,voyons,noussommesdevieuxamis,lâchaLokiavecunclind’œil.IlsetournaversEloraenessayantdelagratifierdesonsourireleplusconquérantetouvritgrand
sesbras.—Noussommestousdevieuxamisici,n’est-cepasVotreMajesté?Eloraplissadesyeuxenlefixantduregard.Lokitombasoudainsurlesgenouxavecunhorrible
crigutturaletsetintl’estomacàdeuxmains.—Stop!criai-jeencourantverslui.Laported’entréeclaquaaumêmemoment,faisantvacillerleslustres.EloraquittaLokiduregardpourleposersurmoi,maisheureusement,elleneprovoquapasenmoi
lamêmeatrocedouleur.Jem’immobilisaiavantd’atteindreLoki.Ils’étaitécroulé,lefrontcontrelesol enmarbre. Je l’entendais étouffer et chercher sa respiration. Il tourna la tête pourque jene levissepassouffrir.—Etpourquoidoncdevrais-jecesser?s’écriaElora.Unemainsurlaramped’escalier,ellel’agrippaitsifortquesespoignetsblanchissaient.—Cetrollaessayéd’entrericipareffraction.N’est-cepas,Duncan?—Oui.Duncan,quimeregardal’espaced’uninstant,n’avaitpasl’airtrèssûrdelui.—Jecroisbien.Entoutcas,ilavaitl’air…suspect.—Uncomportementsuspectnetedonnepascarteblanchepourtorturerunindividu!lançai-jeà
Elora.Sonexpressionne fitquesedurcirdavantage. Jesavaisqu’endisantcela jen’arrangeraispas la
situation,maisjenepouvaism’enempêcher.—IlestunVittra,n’est-cepas?s’enquitElora.—Oui,c’estexact,mais…Jem’interrompispourregarderLoki.
Levisagetoujourscrispé,ilavaitréussiàs’asseoiretàseressaisirunpeu.—Ilaétébonavecmoiquand j’étais là-bas. Ilnem’a faitaucunmal, ilm’amêmeaidée.Nous
devrionsaumoinsluimontrericilemêmetypederespect.—Est-cevrai?luidemandaElora.—Oui,c’estvrai.Ils’assitsurlestalonspourlavoir.—J’aidécouvertque j’obtenaisplus facilementceque jevoulaisavecuneattitude respectueuse,
plutôtqueparuneinutileformedecruauté.—Commentt’appelles-tu?demandaElorasanss’émouvoirdesondiscours.—LokiStaad,dit-ilenlevantfièrementlementon.—J’aiconnutonpère.Unsouriren’ayantriendeplaisants’ébauchasurleslèvresd’Elora.Ilressemblaitplutôtàceluique
feraitunadulteaprèsavoirchipélebonbond’unenfant.—Jeledétestais.—Celamesurprend,VotreMajesté,déclaraLokienluisouriantlargement,dissipanttoutsignede
l’agoniedans laquelle il s’était trouvéquelques instantsplus tôt.Monpèreétaitun froidet sombrecrétin.Toutàfaitlegenrequevousaimez.—C’estamusant,parcequej’allaisjustementtedirequetuluiressemblesterriblement.Le sourire glacial d’Elora se figea alors qu’elle descendait les dernièresmarches de l’escalier.
Lokiavaitparfaitementréussiànepassetroubler.—Tuimaginessansdoutequetescharmestesortirontden’importequellesituation.Leproblème,
c’estquejenetetrouvepascharmantdutout.— C’est bien dommage, Votre Majesté, parce que malgré tout le respect que je vous dois, je
pourraisébranlertoutvotremonde.Elora éclata d’un rire qui résonnaplus commeun ricanement en se répercutant sur lesmurs. Je
voulais crier à Loki d’arrêter de la provoquer. J’aurais voulu savoir faire les transmissions depenséesdontElorausaittoutletemps.Maisjedevaisd’abordm’assurerqu’Eloran’allaitpastuerLokisur-le-champ.Ilavaitrisquésavie
àOndarikepourm’aider.Nousn’avionspasbeaucoupparlé,maisils’étaitmisendangerpourmoi.Avantdequitter le palais vittra, il y eut unmomentoù j’avais failli lui demanderdepartir avec
nous. Je ne l’avais pas fait et je n’étais pas sûre d’avoir pris la bonne décision. Quelque chosed’étrange sepassait entreLoki etmoi, une affinité particulièreque je ne comprenais pas et que jen’auraispasdûressentir.Cequim’avait leplus surprise lorsqueLokinousavait aidésànouséchapper, c’étaitqu’il avait
désobéi aux ordres. Il avait la charge des gardiens quime surveillaient et avait fait preuve d’uneinsubordinationpassibledepeinedemort.Etpourtant,ilavaitpréférémasurvieàsondevoir,défiantsonroietsonroyaume,quelquechose
queFinnneferaitjamais.Elora s’immobilisa devant lui. Loki, toujours à genoux, la regardait, et j’aurais préféré qu’il
abandonnâtcestupidesouriremoqueurquinefaisaitquelabraquer.
—Tun’esqu’uneinfimecréaturesansimportance,dit-elleenle toisant.Je teferaidisparaître lejouroùj’enauraienvie.—Jesais,acquiesçaLoki.Sesyeuxnoirsbraquéssur lui,elle ledévisageasuffisamment longtempspourque jecomprisse
qu’elle était en train de lui faire un de ses trucs. Il ne se tordit pas de douleur, mais son sourirenarquoisdisparut.Ellesoupiralourdementavantdedétournerlesyeuxpours’adresserauxgardes:—Emmenez-le,dit-elle.Deuxdes gardes les plus grands vinrent saisirLoki sous les bras pour le soulever par-derrière.
Complètementassomméaprèscequ’Eloraluiavaitfait,Lokineparvenaitmêmepasàtenirdebout.—Oùl’emmènent-ils?demandai-jeàElorapendantquelesgardesl’emportaient.LatêtedeLokioscillaitd’avantenarrière,maisilétaitconscientettoujoursvivant.—Peuimporteoùilsl’emmènent,oucequiluiarrive,celaneteregardepas,chuintaElora.Elle lança un regard autour d’elle afin que les gardes se dispersent. Duncan s’attarda en
m’attendant, et Tove se tint quelques pas en arrière. Ce que j’aimais bien avec Tove, c’était qu’iln’étaitjamaisintimidéparmamère.—Un jour, je serai reine et je saurai ce qu’on fait des prisonniers, dis-je après avoir cherché
l’argumentlemoinsidiotpossible.Elledétournaleregardetneditrienpendantuninstant.—Elora,oùl’emmènent-ils?—Auquartierdesdomestiquespourlemoment,répondit-elle.Ellejetauncoupd’œilversToveetj’euslesentimentques’iln’avaitpasétélà,cetteconversation
aurait été passablement différente. Aurora, la mère de Tove, voulait renverser ma mère, si bienqu’ElorapréféraitqueniToveniellenesoienttémoinsd’unequelconquefaiblesseoud’untroubledesapart.Etautant jen’étaispasd’accordavecsesméthodes,autant jecomprisqu’ilvalaitmieuxrespectersesdésirsenlacirconstance.—Pourquoi?Ilnevapass’enaller?demandai-je—Non. Impossible. S’il essayait, avec ce que je lui ai fait, il s’écroulerait de douleur, répondit
Elora. Je sais que nous devons construire une vraie prison,mais le chancelier ymet toujours sonveto.Lerésultat,c’estquejesuisbienobligéedelegarderlàoùnousavonsdelaplace.Ellesoupiraetsefrottalestempes.—Nousauronsuneréunionpourdéciderdecequenousferonsdelui.—Queferons-nousdelui?demandai-je.—Tun’aurasqu’àassisteràlaréunionpourcomprendrevraimentcequesignifieêtrereine.Mais
tun’auraspasledroitdeprendresadéfense.Sesyeuxseposèrentsur lesmiens,dursetbrillants,ets’adressantdirectementàmonesprit,elle
dit:Tunepeuxpasledéfendre.Ceseraitunactedetrahison,etlaprisedepositionensafaveurquetuasmanifestée,mêmeinfime,pourraittevaloirl’exilsiToverapportaitlachoseàsamère.Elle semblait plus épuisée qu’un peu plus tôt. Sa peau lisse, habituellement d’une blancheur de
porcelaine, venait de laisser apparaître de nouvelles rides autour de ses yeux. Elle posa pendant
quelquessecondeslamainsursonplexuspourreprendresonsouffle.—Ilfautquejem’allongeunmoment,ditEloraentendantlebras.Duncan,s’ilteplaît,conduis-
moiàmesappartements.—Oui,VotreMajesté.Duncan se précipita pour l’aider,mais en passant devantmoi, ilm’adressa une sorte de sourire
d’excuse.Jemecontentaidesecouerlatête,nevoyantpascequ’ilauraitpufaired’autre.LesVittrasavaient
essayé de me tuer ainsi que Finn, Tove et mon frère, en somme, presque toutes les personnesauxquellesjetenais,etLokifaisaitpartiedugroupe.Jen’avaispasledroitdeprendreladéfensedesVittras,maispourLoki,c’étaitdifférent.Mêmesi jesavaisque lefaitdesurgirainsiparaissaitsuspect,Lokin’avait rienfaitqui justifiait
qu’onletorture.Jen’étaispasd’accordqu’onlelaisseentièrementlibredesesmouvements,maisjevoulaisluiaccorderlebénéficedudoute.Jesouhaitaisdécouvrircequ’ilfaisaiticiavantdedéciderdel’enfermeretdejeterlaclé.Dèsqu’Elora futpartie, j’inspiraiprofondémentet secouai la tête. Jesavaisque jen’avais réussi
qu’àl’exaspérerunpeuplusetquecelan’arrangeraitrien.—C’étaitbien,meditTove.J’avaispresqueoubliésaprésence.Jemeretournaiverslui,pourconstaterqu’ilmesouriaitavec
unétrangeairdesatisfactionmêlédefierté.—Quevoulez-vousdire?J’aitoutfaitpouraggraverleschoses.Eloraestfurieusecontremoiet
ellereporterasacolèresurLoki.Deplus,jenesaismêmepaspourquoiilestlà,nipourquoiilestvenuicitoutseul.J’essaiedelesecourirsanssavoirquelssontsesvéritablesmotifs.—Non,çac’esttrèsmalpassé,concédaTove.Jevoulaisparlerdelaporteetdulustre.—Quoi?—AumomentoùEloratorturaitLoki,vousavezfaitclaquerlaporteetlelustreatremblé.Tovegesticulaitpourmontrerlesdeuxobjets,commesicelapouvaitavoirpourmoilemoindre
sens.—Ils’agissaitduvent,jecrois.—Non,c’estvousquiavezfaitça,m’assuraTove.C’était involontaire,maisvous l’avezfait.Et
c’estunprogrès.—Doncchaquefoisque jevoudrai fermeruneporte, il suffiraque j’appelleElorapourqu’elle
torturequelqu’un.Çaal’airassezsimple,aufond.—Connaissantvotremère,çanedoitêtretropcompliqué,ajouta-t-ilensouriant.Nousrepartîmesàl’entraînement,maisj’étaisdistraite.Jeneparvinspasàremuerquoiquecesoit
pendant le restant de la journée. Une fois Tove parti, je me dirigeai vers ma chambre. Je pensaid’abordpasservoirMatt.L’alarmequis’étaitdéclenchéeavaitdûluifairepeur,etRhysétaitencoreàl’école.Jefrappaiàlaportedesachambre,etcommeilneréponditpas,jem’aventuraiàl’intérieur.MaisMattn’étaitpaslà.Meremémorantl’attaquedesVittras,jen’étaispastrèsrassuréeàl’idéedenepassavoiroùilse
trouvait.Avant de décider dememettre à fouiller le secteur de fond en comble, je passai parma
chambreyprendreunchandail.Là,jetrouvaiunmotdeMattpunaisésurmaporte.SuispartichezWilla.Deretourplustard.—MattSuper.Jedéchirailemotetretournaidansmachambre.Jeluiavaisdetoutefaçonditquejeseraisà
l’entraînementtoutelajournée.Iln’avaitdoncpasàm’attendre.Pourtant,j’auraisbienvoulupasserunmomentavecluipourdiscuter,tantcequisepassaitmetroublait.MaisilétaitpartiavecWilla,cequime semblait encoreplus troublant. Jenecomprenaispas cequ’ilspouvaient faire ensemble.Àquoipouvaient-ilsbienpasserleurtemps,euxquidevraientaucontrairesehaïr?Jem’écroulaisurmonlitetm’endormissansaucunmal.Jenem’étaispasrenducomptecombien
j’étaisfatiguée,etjecroisqued’avoirexercémestalentsm’avaitpassablementépuisée.
QUATORZELesyndromedeStockholm
Après lagrosseattaquevittrademacérémonied’intronisation, jem’étaishabituéeauxassembléespourladéfensedupays.Nous nous retrouvions dans le centre de crise de l’aile sud. Lesmurs étaient tapissés de cartes,
parseméesdezonesrougesetvertes,symbolisantlesenclavesd’autrestribustrolls.Une immense table en acajou était installée à un bout de la pièce, à côté d’une planche à dessin
posée derrière. Pour je ne sais quelle raison, Elora et Aurora, la mère de Tove, debout à uneextrémité de la table, supervisaient les réunions ensemble. Aurora n’avait pas confiance dans lamanièredontEloraconduisait lesaffairesdu royaume,mais jenecomprenaispascommentElorapouvaittolérerqu’Auroraeûtunquelconquepouvoirdedécision.Deschaisesparsemaientlerestedelasalle,laplupartdépareilléesparcequ’ellesprovenaientdes
autrespièces.Puisquenosmèresdirigeaient lesdébats,Toveetmoiétions toujours lespremiersàarriver,cequinouspermettaitdechoisirnosplaces,ennousinstallantdepréférenceaufond.Outrenous,leshabituelsétaient:GarrettStorm,pèredeWillaetprobableamantdemamère;le
chancelier, un obèse blafard qui me reluquait d’une façon insupportable ; Noah Kroner, le pèresilencieuxdeTove;etunepoignéedemarkis,demarksinnasetdepisteurs.Maistrèsvite,lasallecommençaàseremplirplusquedecoutume.Desgensquejen’avaisjamais
vusjusqu’icis’installaient,parmilesquelsbonnombredepisteurs.Aucund’euxnepritunsiège,carilenmanquaitetqu’ilsauraientenfreintlesrèglesdepolitesse.Bienquejeluienjoignisdes’asseoirpartroisfois,Duncansetintdeboutderrièremoi.Sefrayantuncheminparmilafoule,Willasurgitquelquesminutesavantledébutdelaréunion.Ses
braceletscliquetaienttandisqu’ellepassaitdevantunpisteurenmesouriant,avantdevenirs’affalerdansunechaiseàcôtédemoi.—Désolée,jesuisenretard.Elleajustasajupeenlatirantsoussesgenoux,écartalescheveuxdesesyeuxetnoussourit.—J’ailoupéquelquechose?—Ilnes’estencorerienpassé,dis-je.—Ilyaunmondefou,non?ditWillaenjetantuncoupd’œilautourd’elle.Commesonpèrenous
regardait,elleluifitunpetitsignedelamain.—Eneffet,acquiesçai-je.Lachaisejusteenfacedemoiétaitvide.Tovelafaisaitbougerd’avantenarrièreavecsestalents
habituels.Lafoulelerendaitnerveux.C’étaittropdebruitpourl’intérieurdesoncrâne.Quandilrelâchaitun
peusespouvoirspourfairebougerdesobjetsàdistance,celafavorisaitladiminutiondesbruitsdanssatête,toutenl’aidantàneutraliserlesparasites.—C’estvraimentunegrosseaffaire?demandaWillaenbaissantunpeulavoix.J’aiapprisquetu
connaissaisleVittraqu’ilsontattrapé.—Jeneleconnaispas.
Jesecouaimescheveux.—Jel’aivuchezlesVittrasquandj’yétaisretenue.Riendespécial.—C’esttoiquil’asmaîtrisé?demandaWillaàDuncanenleregardant.Plutôtquedemedemandersimonpisteuravaitaccompliquelquechose,elleluiposaitdirectement
laquestion.Willatraitaitnosgensavecunpeudedignitéhumaine,etçamefaisaitunpeupeur.Avantdesesouvenirquej’avaisdéfenduLoki,Duncanserengorgeacommeunjeunecoq.Ensuite,
sonexpressionviraàlahonteetilbaissalesyeux.—Jel’aivuassommerungardeetj’aiappeléàl’aide,c’esttout,dit-il.—Commentsefait-ilqu’ilnet’aitpasassomméaussi?luidemandai-je.Jen’avaispaseul’occasiondeparleràDuncandepuislaveille.Jem’étaisdemandécommentils
avaient pu capturer Loki alors qu’il aurait pu tous les plonger dans une léthargie profonde d’unsimpleregard.—Ilnepensaitpasavoiràlefaire.Duncanseredressaànouveaufièrementetjenedisrienquipûtlecontrarier.—Monallurel’atrompéetlesautresgardesl’ontaussitôtplaqué.—Qu’était-ilentraindefairequandtul’assurpris?demandaWilla.—Jenesauraisdireexactement.Duncanhochalatête.—Jecroisqu’ilregardaitparlafenêtre.—IlétaitprobablemententraindechercherWendy,ditTove,l’airderien,tandisquelachaiseen
facedelui,quiallaitetvenaitd’avantenarrière,finitpresqueparmeheurterlestibias.—Pardon.—Attention,dis-jeenéloignantmajambe.J’entouraimesgenouxdemesbras,etEloramedécochaunregardmécontent.Jeneremuaispas,
maisj’entendaissavoixdansmatête:Cen’estpasainsiqu’uneprincessedoits’asseoir.Commejeportaisdespantalons,jedécidaidel’ignoreretmetournaiànouveauversTove.—Pourquoisupposez-vousqu’ilmecherchait?luidemandai-je.Lokim’avaitlaisséefilerunefois,pourquoiaurait-ilessayédem’attrapermaintenant?—Ilvousveut,ditTovesimplement.—Tu es la princesse, fit remarquerWilla, comme si j’avais oublié.À ce propos, est-ce qu’une
soiréeentrefillesteferaitplaisircesoir?—Queveux-tudire?demandai-je.—Ilmesemblequenousnenoussommespasbeaucoupvuesrécemmentetjepensaisqueceserait
sympaquenousnousdistrayionsenregardantdesfilmsetennousfaisantlesongles,ditWilla.Tuasététropsoustensioncesdernierstemps,tuasbesoindetedétendre.—Ceseraiteneffetunbénéficepourvotreentraînement,sivouspouviezvouschangerunpeules
idées,renchéritTove.—Celameplairait,Willa,maisjepensaisdemanderàMatts’ilsouhaitaitfairequelquechosede
particulier, dis-je. Tout ceci a été terriblement déroutant pour lui et je n’ai pas encore pu passerbeaucoupdetempsaveclui.
—Oh,Mattestoccupé.Willaréajustalefermoirdesonbracelet.—Cesoir,ilfaitquelquechoseavecRhys.Untrucdefranginsjesuppose.EnobservantTovebougerleschaisesd’avantenarrière,jem’efforçaidenepasmesentirfrustrée
parcequevenaitdedireWilla.MattetRhysavaientbesoindepasserunpeudetempsensemble,etdemoncôté,j’avaisététrèsoccupée.Cequiétaitbonpoureuxétaitbienpourmoi.Quelqu’unvints’asseoirsurlachaisedevantmoietTovepoussaunénormesoupird’agacement.
Elora le dévisagea, contrairement à sa propre mère, qui ne broncha pas. Je ne comprenais paspourquoicelaseproduisaitsouvent.AuroratoisaitvolontiersEloraetmoi,maisTovefaisaitdeschosesbienplusdéplacées.Ilfaisaitce
qu’ilvoulait,quandillevoulait.J’essayaisdefaireaumoinsunpeusemblant.—C’est vraiment bondé, remarquaWilla une fois encore, tandis que la salle se remplissait de
Trylles,àtelpointqu’ungrandnombredutresterdeboutetquemêmecertainsmarkisetmarksinnasnetrouvèrentpasdechaises.Elora s’éclaircit lavoix, sepréparant àouvrir la séance, lorsquedeuxautrespisteurs firent leur
entréedanslasalle.Bienqueparvenantàpeineàlesdistinguerd’oùj’étais,jereconnusFinnetsonpère,Thomas.Ilsse
trouvèrentuneplacedansuncoindelasalle.FinncroisalesbrassursapoitrineetThomass’appuyaaureborddelabibliothèquemurale.—Bien.Ilsontfaitappelauxgroscouteaux,murmuraTove.—Quoi?m’enquis-jeenquittantFinnduregard.—FinnetThomas,ajoutaTove.Ilssontlesmeilleurs.PardonDuncan,neleprendspasmal.—Pasdesoucis,réponditDuncan,etjecroisqu’illepensaitvraiment.— Nous allons devoir commencer cette réunion, dit Elora en haussant la voix pour se faire
entendrepar-dessuslebrouhaha.Au bout d’une minute, les conversations se turent. Elora parcourut l’assistance du regard, sans
toutefoiss’arrêtersurThomas,delamêmefaçonqueFinnévitaitdemeregarder.—Merci,ditAuroraavecunsouriredecirconstanceenfaisantunpasversmamère.—Comme vous le savez, un intrus a réussi à s’introduire dans le palais, dit Elora calmement.
Grâceànotresystèmed’alarmeetausang-froiddenospisteurs,ilaétéattrapéavantdepouvoirfairedesdégâts.—Est-ilexactqu’ils’agitdumarkisStaad?interrogealamarksinnaLaris.Cette Trylle angoissée avait déjà fait des commentaires sur ma coiffure sauvage et incongrue,
ajoutantquejamaisellen’auraitlecrandesecoifferdefaçonaussiextravagante.—Ils’esteneffetavéréqu’ils’agitbiendumarkisStaad,réponditElora.—Markis?chuchotai-je.CommeWillamejetaitunregardinterrogateur,jehochailatête.LokiStaadétaitdoncunmarkis?J’avaistoujourscruqueLokiétaitunpisteur,commeDuncanet
Finn.Lesmarkisetmarksinnasfaisaientpartiedelafamilleroyale,etàcetégard,ilsétaientprotégés.Ou aumoins étaient-ils dispensés des tâches les plus basses.Willa était unemarksinna et elle était
pourtantunedespluséquilibréesetdesplussimplesquejeconnaisse.—Queveut-il?demandaquelqu’un.—Peuimportecequ’ilveut,répliqualechancelierenselevant,levisagedégoulinantdesueurpar
le simple effort de se tenir debout. Nous devons envoyer un message aux Vittras. Nous ne nouslaisseronspasmanipuler.Nousdevonsl’exécuter!—Vousnepouvezpasletuer!m’écriai-je.Eloramejetaunregardquimevrillalestympans.Danslasalle,toutlemonde,Finnycompris,se
tournaversmoi,etjefusmêmesurpriseparmapropreconviction.—Çan’estpashumain.—Nousnesommespasdesbarbares.Lechanceliers’épongealefrontenmegratifiantd’unsourirecondescendant.—Nousferonsensortequesamortsoitlamoinsdouloureuseetlaplusdoucepossible.—Lemarkisn’arienfaitdemal.Jemelevai,incapablederesterassisealorsqu’onprojetaitunassassinat.—Vousnepouvezpastuerquelqu’unsansmotifvalable.— C’est pour votre sécurité, princesse, répliqua le chancelier, déconcerté par ma réponse. Il a
essayéàplusieurs reprisesdevous enlever et devousblesser.C’estuncrimecontrenotrepeuple.L’exécutionestl’uniquesolutionsensée.— Ce n’est pas la seule, avança Elora prudemment. Même si c’est une solution que nous ne
pouvonsécarter.— Vous plaisantez, dis-je. Je suis celle qu’il a enlevée et je prétends qu’il ne mérite pas ce
châtiment.—Votrepointdevueseraprisenconsidération,princesse,ditAuroraenmedécochantsonfaux
sourirebienveillant.Desmurmuresmontèrentdelasalle.Sanspouvoirdired’oùilvenait,jesuiscertaineavoirentendu
le mot « trahison ». Quelqu’un devant moi marmonna quelque chose à propos du syndrome deStockholm,suivid’unricanement.—Hé,elleestlaprincesse,leurlançaWilla.Montrez-luiunpeuderespect.—Nouspouvonsfaireunéchangeaveceux,ditFinn,haussantlavoixpoursefaireentendrepar-
dessuslarumeurambiante.—Plaît-il?s’enquitAuroraensoulevantunsourcil,tandisqu’Elorafaillitleverlesyeuxauciel.—NousavonslemarkisStaad,continuaFinn.Aprèsleroi,ilestlapersonnalitélaplushautplacée
auroyaumevittra.Sinousletuons,nousn’avonsplusrien.Pourlesavoirprivésdeleurseulespoirdesuccesseurautrône,ilsreviendronttenterdecapturerlaprincesseavecbienplusd’acharnement.—TuproposesquenouscollaborionsaveclesVittras?demandaElora.—Nousnenégocionspasaveclesterroristes!hurlaunmarkis.Eloralevalamainpourlefairetaire.—Nousn’avonspasnégocié,etregardezoùcelanousamenés,ditFinnendésignantlasallede
bal.Durantlemoisdernier,lesVittrassontentrésàdeuxreprisesdanslepalaispareffraction.NousavonsperduplusdeTryllesdansladernièrebataillequ’enpresquevingtans.
Jemerassis,observantFinnquidéfendaitsonpointdevue.Ilavaitunefaçonbienàluideméduserl’assistance,mêmes’ilnemeregardaitjamais.Desurcroît,toutcequ’ildisaitétaitjuste.— Il représente la meilleure monnaie d’échange que nous n’ayons jamais eue, dit Finn. Nous
pouvons utiliser le markis Staad pour les obliger à cesser leurs agressions. Ils ne veulent pas leperdre.—Ce n’est pas lui lameilleuremonnaie d’échange que nous ayons, l’interrompit lamarksinna
Laris.Lameilleure,c’estlaprincesse.Toussetournèrentpourlaregarder.—LesVittrasnesesont jamaisdéchaînéscontrenousàcepoint.Toutcequ’ilsveulent,c’est la
princesse,etenunsens,ilestvraiqu’ilsontdesdroitssurelle.SinousdonnonsauxVittrascequ’ilsveulent,ilsnouslaisseronttranquilles.—Nous ne donnerons pas la princesse, s’écria Garrett Strom en bondissant de sa chaise et en
levantlamain.Elleestnotreprincesse.Nonseulementelleestlapluspuissantedesprétendantesquenous ayons jamais eues,mais en plus, elle est une des nôtres.Nous n’avons pas pour habitude dedonnerauxVittraslesgensdenotrepeuple.—Maistoutcelan’arrivequ’àcaused’elle!Savoixdevenueplusperçante,lamarksinnaLarisselevaàsontour.—Toutceciestuniquementdûaumauvaistraitéquelareineasignéilyavingtansetdontnous
payonstousleprixaujourd’hui!—Voussouvenez-vousdecequisepassaitilyavingtans?demandaGarrett.Silareinen’avait
pasacceptécetraité,lesVittrasnousauraienttousmassacrés.— Il suffit ! cria Elora, et sa voix retentit dans mon crâne, comme dans toutes nos têtes. J’ai
proposé cette réunion pour que nous puissions discuter ensemble des solutions possibles,mais sivousn’êtespascapablesd’argumenterintelligemment,j’ymettraifin.Jen’aibesoindel’autorisationdepersonnepourdirigermesaffaires.Jesuisvotresouveraine,etseulemadécisionl’emportera.Pourlapremièrefois, jecomprenaispourquoiEloraétaitsidure.Sanségardpourelle, lesgens
présentsdanscettesallenefaisaientqueparlerdesacrifiersonenfantunique.—Pourlemoment,jevaisgarderlemarkisStaadaupalaisjusqu’àcequejedécidequoienfaire,
ditElora.Sijechoisisdelefaireexécuteroudel’échanger,ceseramadécisionetjevouslaferaiconnaître.Ellelissaquelquesplisinexistantsdesarobe.—Ceseratout.—IlfautréintégrerFinn,ditToveavantquelafoulenesedispersât.—Quoi?murmurai-je.Non,Tove,jenecroispasque…—Tous lespisteursdevraient êtreopérationnels à l’heurequ’il est, ajoutaTove sansm’écouter.
Touteslescigognessurleterraindevraientêtrerapatriées.FinnetThomasdevraientvivreaupalaistouslesdeux.Mêmesijepeuxm’yinstalleraussipourprêtermain-forte,celanesuffirapas.—Sicelapeutaider,Tovedemeureraaupalais,offritAuroraunpeutropvite.—Nousavonsd’autrespisteursenréserve,ditElora,maisjelavisregarderThomasducoinde
l’œil.Unnouveausystèmed’alarmeaétémisenplaceetlaprincessenerestejamaisseulesansgarde
ducorps.— Ils ont envoyé un markis la récupérer, lui rappela Tove. Thomas et Finn sont les meilleurs
pisteursdontnousdisposions. Ilsont faitpartiedevotregarde rapprochéependantaumoinsvingtans.Elorasemblaconsidéreruninstantcetteproposition.Puis,elleopina.—Présentez-voustouslesdeuxàl’appeldemainmatin.—Oui,VotreGrâce,réponditThomasensecourbant.Finn ne dit rien. Avant de s’en aller, il décocha simplement vers Tove un regard circonspect.
Pendantquelerestedel’assistancesedissipait,jerestaiassiseprèsdeTove,WillaetDuncan.Garrett,Noah,lechancelieretdeuxautresmarksinnass’attardèrentpourparleràEloraetAurora.
Jesentaislacolèreintérieured’Eloraetjesavaisquejedevaisquittercettesalleavantqu’ellenemetombâtdessus.Maisj’avaisbesoind’unmomentsupplémentaire.—Tove,pourquoiavez-vousfaitcela?Ilhaussalesépaules.—C’estlameilleurefaçondevousgarderensécurité.—Etalors?demandai-jeenbaissantlavoix,sachantquedumondeautourdenouspouvaitnous
entendre.Pourquoiest-ilsiimportantdemegarderensécurité?Peut-êtrevaudrait-ilmieuxquelesVittrasmeprennent.LamarksinnaLarisaraisonaprèstout.Sitantdepersonnesdoiventêtreblesséesàcausedemoi,ilvautsansdoutemieuxquejeparte.—Larisn’estqu’unestupideetinfâmesorcière,coupaWillaavantquejeneparvinsseauboutde
ma pensée. Et personne ne te sacrifiera sous prétexte que les temps sont difficiles. C’est insensé,Wendy.—Lacourestfolleetparanoïaque.Iln’yariendenouveaulà-dedans.Tovesepenchaenavantenposantlescoudessursesgenoux.—Vousserezbonnepourvotrepeuple.Encorefaut-ilquevousviviezassezlongtempspourcela.—C’estrassurant.Jemereculaidansmonsiège.—Jeretournechezmoichercherunevalise,ditToveenselevant.—Vouscroyezvraimentnécessairedevousinstallericipourmeprotéger?luidemandai-je.—Sansdoutepas,admitTove.Mais j’aimemieuxcelaplutôtquederesterà lamaison,et ilme
seraainsiplusfaciledevousentraîner.—Bonpoint,dis-je.—Alors…WillasetournaversmoiaprèsledépartdeTove.—Tuasbesoind’unesoiréeentrefilles.Surtoutpuisquelamaisonvaregorgerdegarçonsàpartir
demaintenant.J’auraisacceptén’importequoi,pourvuquecelamesortîtducentredecriseavantqu’Eloraeûtune
chancedemefairelamorale.Etpuis,unesoiréeentrefillesnemesemblaitpassimalvenue.Willapassasonbrasdanslemienetnousquittâmeslapièce.Nouscampâmesdansmachambre toute lanuit. JepensaisqueWillavoulait jouer à essayerdes
vêtements ou à un truc idiot dans ce genre, mais en fait, nous passâmes chacune un pyjamaconfortableafindepouvoirjusteflâner.Après la réunion, comme j’avais poséunequestion sur l’histoire entre lesTrylles et lesVittras,
Willaétaitalléechercherunlivredanslesaffairesdesonpère.Ellemelepassapourquejeleliseetréponditàmesquestionsautantqu’elleleput.Enéchange,jedevaisfaireunkaraokéavecelleetlalaissermefaireunepédicure.Jeneparcouruspasautantlelivrequejel’auraisvouluetjenetrouvaipasgrand-chose.LesVittras
attaquaient, les Trylles répliquaient. Parfois, lesmorts se comptaient parmilliers, d’autres fois, ils’agissaitsurtoutdedommagesmatériels.JerestaiéveilléebientroplongtempsavecWillaet,aumilieudelanuit, le livreavaitétéoublié.
NouschantionsetdansionssurdesmorceauxdeCyndiLauper.Willarestapourlanuit,etcommeelles’étalaentraversenoccupanttoutlelit,jedormistrèsmal.
Au matin, me sentant aussi en forme qu’une vieille serpillière, je titubai hors de la chambre. Jevoulaisdescendremangerquelquechoseetboirede l’eau,puisneplus rien fairependant troisouquatreheures.Duncanne traînaitpasdevantmachambrequandj’ensortiset jemefélicitaidecequ’ilavaitpu
enfindormirdansunechambre.Cen’estqu’aprèsavoirfaitquelquespasdanslecouloirquejecomprispourquoiilavaitpualler
dormir.Finn,lesmainsderrièreledos,avançaitversmoi.Jefulminaiintérieurement.Lescheveuxplaqués
en arrière, il était déjà habillé, vêtu d’un pantalon fraîchement repassé. Mes cheveux étaient toutébouriffésetj’avaisl’airaffreuse.—Bonjour,princesse,ditFinnenarrivantàmahauteur.—C’estça,rétorquai-je.Ilfitunsignedetêteenpassant.Jemeretournaipourvoirsiquelqu’und’autrel’appelait,maisil
n’yavaitpersonne.—Qu’est-cequetufais?demandai-je.—Montravail,princesse.Iljetauncoupd’œilpar-dessussonépaule.—J’arpentelescouloirspourvérifierqu’iln’yaitpasd’intrus.—Ettunemeparlerasmêmepas?—Celanefaitpaspartiedutravail,ditFinnencontinuantàmarcher.—Vraimentparfait,dis-jeensoupirant.Bêtement, une partie demoi avait été excitée à l’idée que Finn reprît du service au palais.Mais
j’auraisdûlesavoir.Lesimplefaitqu’ilsoit làtoutletempsnesignifiaitnullementqueleschoseschangeraiententrenous.Celaneferaitquerendrelasituationplusbizarreetdouloureuse.
QUINZECapuletetMontaigu
—Pourquoies-tuici?demandai-je.Pourtouteréponse,Lokihaussaunsourcil.Sachambre,quin’étaitpasdutoutlacelluleàlaquellejem’attendais,se trouvaitdanslequartier
desdomestiques.Duncanm’avait expliquéque lepalaisavait autrefois regorgéde serviteurs,maisque les dernières décennies avaient vu une réduction importante du nombre de mänskligs et deTryllesvivantàFörening,cequiavaiteupourconséquencederéduireladomesticitéaupalais.Mêmesinousn’avionspasdecachot,jepensaisqueLokiseraitgardédansunendroitsimilaireà
celuioùj’avaisététenuecaptivechezlesVittras.Maiscecin’étaitqu’unechambresemblableàcelledeFinn,saufqu’ellen’avaitpasdefenêtres.Elleétaitpetite,avecunesalledebainattenanteetunlitàuneplace.Pourcouronnerletout,laportedelachambredeLokiétaitgrandeouverte.Unpisteurmontaitla
garde plus bas dans le couloir,mais il ne se tenaitmême pas près de la porte. J’avais convaincuDuncande ledistraireun instantpendantque jeparleraisàLoki,et iln’avaitpasétédifficilepourDuncand’entraînerlegardeunpeuplusloin.Lokiétaitétendusurlescouverturesdesonlit, lesmainsderrièrela têteet les jambescroiséesà
hauteurdeschevilles.Uneassiettedenourritureintacteétaitposéesurlatablebasse.—Princesse,sij’avaissuquetudevaismerendrevisite,j’auraismisunpeud’ordre.Avecunpetitsouriresuffisant,ildésignasachambre.Commeellenecontenaitquasimentrien,elle
nepouvaitêtreendésordre.—Pourquoies-tuici,Loki?répétai-je.Jemetenaisjustederrièreleseuildelaporte,lesbrascroisés.—Jenecroispasquelareineaimeraittellementquejeparte.Ils’assitenbalançantlesjambessurlereborddulit.—Pourquoinepars-tupas?demandai-jecettefois,cequilefitéclaterderire.—Jenepeuxplusm’enaller,maintenant,n’est-cepas?Lokiselevaetapprochademoinonchalamment.Quelquechoseenmoimeditquejedevaisfaireunpasenarrière,maisjen’enfisrien.Commeje
ne voulais pas que Loki détectât chez moi une faiblesse, je levai le menton. Il s’arrêta dansl’encadrementdelaporte.—Jenevoispascequit’enempêche.—Certes,maistamèreaplusd’untourdanssonsac,dit-il.Sijequittaiscettechambre,jeseraissi
maladequejenepourraismêmeplusmarcher.—Commentenes-tusisûr?—Parcequej’aiessayédem’enfuir,ditLokiensouriant.Jen’allaiscertainementpasmelaisser
arrêter par des douleurs physiques, mais je sous-estimais la reine. Elle est très, très bonne enpersuasion.—Çasepassecomment?Elles’estservidepersuasionpourtedirecequit’arriveraitsituquittais
lachambre?demandai-je.Etmaintenanttunepeuxplust’enaller?—Jenesaispasexactementcommentfonctionnelapersuasion.Lasdelaconversation,Lokisedétourna.—Çan’ajamaisétémontruc.—C’estquoitontruc?demandai-je.—Çadépend.Lokihaussalesépaules,puiss’assitparterre,ledoscontresonlit.—Pourquoies-tuvenuici?m’enquis-je.Qu’espères-tuenretirer?—N’est-cepasévident?Ilmesourit,d’unairtoujoursaussimutin.—Jesuisvenupourtoi,princesse.—Toutseul?J’arquaiunsourcil.— La dernière fois que les Vittras sont venus ici, ils ont envoyé une armada et nous l’avons
vaincue.Quecroyais-tuaccomplirenvenanticitoutseul?—Jenepensaispasêtreattrapé.Ilhaussalesépaulesànouveau,trouvantmaquestionabsurde,commesilefaitd’êtreencaptivité
nereprésentaitrienpourlui.—Maisc’estcomplètement idiot !hurlai-je,exaspéréeparsonmanquedesérieuxdansune telle
situation.Tusaisqu’ilsveulentt’exécuter?—C’estcequej’aicrucomprendre.Lokisoupiraetfixalesolpendantunmoment.Quelquechosesepassaenfinenlui,carilsedéridaetseleva.—Jemesuislaissédirequetutebattaispourmoi.Ilapprocha.—Est-ceparcequejetemanqueraistropsijepartais?— Ne sois pas ridicule, lui décochai-je. Je ne cautionne pas le meurtre, même pour des types
commetoi.—Desgenscommemoi,hein?rétorqua-t-ilenhaussantunsourcil.Tuveuxdireunjeunehomme
charitableetdiablementjoligarçon,venudéstabiliserquelqueprincesserebelle?—Tuesvenum’enlever,pasmedéstabiliser,dis-je.Maisilécartacetteidéed’unreversdemain.—Sémantique.—Cequejenecomprendspas,c’estpourquoituesunravisseur,dis-je.Tuesunmarkis.— Je suis ce qui se rapproche le plus d’un prince pour les Vittras, admit-il avec un sourire
narquois.—Alors pourquoi diable es-tu là ? lui demandai-je. La reine ne me laisserait jamais partir en
missiondesauvetage.—Ellealaissécetautremarkisterécupérer,fitremarquerLokienfaisantréférenceàTove.Celui
quim’aplaquécontreunmur.
—C’estdifférent.Ilesttrèsfortetiln’étaitpasseul.JefixaiLokiplusétroitementduregard.—Es-tuvenutoutseul?—Biensûr.Personnen’auraitétéassezstupidepoursejoindreàmoiaprèsladéculottéepriselors
detadernièrevisite.—Cela n’explique vraiment pas pourquoi tu es là, dis-je. Pourquoi t’engagerais-tu tout seul en
connaissantlesrisquesdel’entreprise?Sais-tuaumoinsàquelpointc’estdangereux?Tuaséclatéderirequandjet’aiditqu’ilsvoulaientt’exécuter,maisilssontvraimentdécidésàlefaire,Loki.—Tumemanquaistrop,princesse,etjen’aipaspum’empêcherdevenir.Bienqu’ilessayâtdetravestirsesparolesdesonhabituelseconddegré,jedécelaidanssonsourire
uneformedesincérité.—Arrêtedeplaisanter,dis-jeenlevantlesyeuxauciel.—C’estpourtantlaréponsequetuattendais,non?Quejedisequejesuisrevenuicipourtoi?Sansmettreunpiedhorsdelachambre,Lokis’appuyaauchambranledelaporteetsoupira.—Machèreprincesse,tuasunetrophauteopiniondetoi.Non,jenemesuispasportévolontaire.—Cen’estpascequej’aicru,rétorquai-je,unpeuvexéeetenrougissant.Sicen’estpastoiquias
décidédevenir,alorspourquoit’ont-ilsenvoyé?—Jevousailaisséspartir.Ilregardaleboutducouloir,d’oùDuncanavaitentraînélepisteurpourledistraireplusloin.—C’estleroiquim’aenvoyéafinquejeréparemonerreur.— Pourquoi avais-tu la charge de me surveiller à Ondarike ? Pourquoi toi, et non un pisteur
ordinaire?—Nousn’avonspasbeaucoupdepisteurs,parcequenousn’avonspasdesubstitués.Lokimeregarda.—Lesgnomes,quiexécutentunegrandepartiedusaleboulot,sontextrêmementvulnérables.Les
Vittrasquit’ontpoursuivieladernièrefoissontàpeinepluspuissantsquedesmänskligs,raisonpourlaquelle vous avez pu les vaincre. Je suis le plus fort ; c’est pour cela que le roi m’a envoyé techercher.—Quies-tu?luidemandai-je.Commeilallaitouvrirlabouchepouruneréponseamusanteetsarcastique,jelevailamainpour
l’arrêter.—Mamèreprétendqu’elleconnaissaittonpère.TuesprochedelareineetduroidesVittras.—Jenesuispasprocheduroi,s’opposaLokiavecunsignedetête.Personnen’estprocheduroi.
Maisj’aieuunehistoireaveclareine.Sara,lafemmeduroi,aétémafiancée,ilyalongtemps.—Ahbon?Lesbrasm’entombèrent.—Maiselleestbien…bienplusâgéequetoi!—Dix ans de plus.Dans notre communauté, c’est souvent ainsi que sont arrangés lesmariages
lorsqu’ily apénuriedeprétendants.Malheureusement, avantque jen’atteigne lamajorité, le roi adécidédel’épouser.
—Tul’aimais?demandai-je,surprisemoi-mêmedeconstaterquej’yaccordaisdel’intérêt.—C’étaitunmariagearrangé!Lokirit.—J’avaisneufansquandSaraaépouséleroi.Jem’ensuisremis.Sarameconsidéraitcommeson
petitfrère,etc’esttoujourslecas.—Ettonpère?Eloram’aditqu’elleleconnaissait.—J’ensuispersuadé.Ilpassaunemaindanssescheveuxenchangeantdepiedd’appui.—EloraavécuaveclesVittraspendantunmoment.Justeaprèsleurmariage,elleetOrenontvécu
iciàFörening,maisdèsqu’elleaétéenceinte,Orenainsistépourqu’elles’installechezlui.—C’estcequ’elleafait?demandai-je,surprisequ’Elorasesoitlaissédictersaconduite.—Ellen’apaseulechoix,j’imagine.Quandleroiveutquelquechose,ilpeutsemontrertrès…Lokis’interrompit.—J’étaisàleurmariage.Lesavais-tu?Ilsouritàcetteévocation,etsoncomportementprétentieuxs’évanouit.Ilyavaitquelquechosede
désarmantdanslafranchisedecesourirelorsqu’ilétaitdébarrassédesonhabituelleraillerie,etdanscecas-là, ilétait incroyablementbeau.C’étaitréellementundesplusséduisantsgarçonsquej’avaisjamaisvus,aupointquependantuninstant,tombantsouslecharme,jefusincapablededirequoiquecesoit.—Tuveuxdireaumariagedemamèreetdemonpère?demandai-jeaprèsavoir récupéréma
facultédeparole.—Oui,acquiesça-t-il.J’étaistrèsjeune,âgédedeuxoutroisanspeut-être,etjenemesouvienspas
degrand-chose,saufquemamèrem’yaemmenéetqu’ellem’aautoriséàresterdebouttoutelanuitpour danser. Jeme rappelle avoirmarché dans le hall en jetant des pétales, ce qui n’était pas trèsmasculincommeaction,maisiln’yavaitaucunautreenfantdesangroyalàcemariagepourlefaire.—Oùétaientlesenfants?—LesVittrasn’enavaientpasetlesTryllesétaienttouspartiscommesubstitués,expliquaLoki.—Tutesouviensdumariaged’EloraetOrenalorsquetuétaisàpeineplusgrandqu’unbébé?Ileutunsourirenarquois.—C’étaitlemariagedusiècle,quandmême.Toutlemondeétaitlà.C’étaitunsacréspectacle.Jecomprissubitementqu’ilusaitcontinuellementdesarcasmeetd’humourpourmieuxmetenirà
distance,unpeucommeFinnseprotégeait soussonapparence rigide.Unpeuplus tôt,quandqu’ils’était remémoré sa mère, j’avais détecté en lui une lueur de franchise, la même que j’avais vuapparaîtreàOndarikependantmonemprisonnement,quandils’étaitmontrécompatissant.—Sais-tupourquoiilssesontmariés?—OrenetElora?demanda-t-ilenfronçantlessourcils.Tunelesaispas?—Jesaisqu’Orenvoulaitunsuccesseurautrône,quelesVittrasnepeuventpasavoird’enfantset
qu’Elora cherchait à réunir les tribus, dis-je.Mais pourquoi ? Pourquoi était-il si crucial que lesVittrasetlesTrylless’unissent?—Ehbien,parcequenousnousbattonsdepuisdessiècles,répliquaLokienhaussantlesépaules.
Depuislanuitdestemps,sansdoute.—Maispourquoi?J’ailuleslivresd’histoireetn’aipastrouvéderaisonvalable.Pourquoinous
détestons-nousautant?—Jenesaispas,avoua-t-ilavecungested’impuissance.PourquoilesCapuletetlesMontaiguse
haïssaient-ilsdonc?—Le seigneur desMontaigu avait volé la femme de celui desCapulet, répondis-je. C’était une
histoiredetriangleamoureux.—Quoi?demandaLoki.JenemesouvienspasqueShakespeareaitécritcela.—Jel’ailuquelquepart,dis-jeenignorantlaquestiondeLoki.Maisçan’apasd’importance.Ce
quejeveuxdirec’estqu’ilyatoujoursuneraison.—Jesuissûrqu’ilyenaune,acquiesçaLoki.L’espaced’un instant, il laissa sesyeuxcaramelposés surmoi, son regardsemblantpresqueme
transpercer. Je me rendis soudain compte combien il était proche de moi et comment, dans cettechambre,nousnoustrouvionsàl’abridesregards.Baissantlesyeux,jefisunpasenarrièreenimplorantmoncœurdebattremoinsfort.—Maintenant,lesprincipessontdifférents,finitpardireLoki.LesVittrasenveulenttoujoursplus
etlesTrylless’accrochentàtoutprixàleurempireendécomposition.— Ceux qui ont un empire en décomposition sont plutôt les Vittras, le contrai-je. Au moins
pouvons-nousencoreprocréer.—Ooh,coupbas,princesse.Lokiportalamainàsapoitrinecommes’ilvenaitd’êtretouché.—C’estlavérité,non?—Ehoui.Ilabaissalamainetretrouvasonordinairesouriremutin.—Alors,princesse,quelesttonplanpourmesortird’ici?— Aucun. C’est ce que j’essaie de te dire depuis le début. Ils veulent te tuer et je ne sais pas
commentlesenempêcher.—Princesse!LavoixdeDuncanappelaitdepuisl’autreextrémitéducouloir.Jemeretournaipourl’apercevoirdevantlegardienagacé.JenesavaispascequeDuncanavaitpu
luiraconterpourleretenirsilongtemps,maisilsemblaitavoirépuisésesressources.—Jedoisyaller,dis-jeàLoki.—Tonpisteurtedonnerait-ildesordres?Lokijetauncoupd’œilversleboutducouloir,oùDuncanmesouriait timidement, tandisquele
gardienvenaitreprendresonposte.—Quelquechosecommeça.Maisécoute,ilfautquetutecomportesbien.Faiscequ’ilsdisent.Ne
créepasdeproblème,luidis-je,etilaffichauneexpressionexagérémentinnocente,dustyle«Quoi,moi?».C’estlaseulechancequimerestedepouvoirlesconvaincredenepast’exécuter.—Tesdésirssontdesordres,princesse,ditLokiavecunerévérence.Puis,ilmetournaledospourregagnersonlit.
Legardienrevint,exécutantunerévérenceencoreplusbassequecelledeLoki.Jeluirépondisparunsourireavantdem’élancerdanslecouloir.Mêmesijen’étaispascertainequecelaauraitserviàquelque chose, j’aurais aimé pouvoir parler un peu plus longtemps avecLoki. J’aurais pu insisterauprèsdugarde,quin’étaitaprèstoutquemonsubordonné,maisjenevoulaispasquelarumeurserépandîtdanslepalaisquej’avaispassédutempsavecLoki.Enl’étatactueldeschoses,j’auraisprisunrisqueinutile.—Pardon,meditDuncanquandj’arrivaiàsahauteur.J’aiessayédelebloquer,maisilaeupeur
des’attirerdesennuis.Cequiestidiotpuisquevousêteslaprincesseetdonc,sapatronne,mais…—Çava,Duncan,lerassurai-jeensouriant.Tuasfaitcequ’ilfallait.—Merci.Ils’arrêtauninstant,visiblementenchantéduminusculecomplimentquejevenaisdefaire.—Sais-tuoùjepourraistrouverElora?demandai-jeenmarchant.—Hum,jecroisqu’elleestenréuniontoutelajournée.Duncanregardasamontreenmerejoignant.—Elledevraitencemomentpasserenrevuetouteslesconsignesdesécuritéaveclechancelier,au
casoùLokineseraitpasunintrusisolé.Je n’étais pas du tout certaine de la raison qui avait amenéLoki ici,mais je ne pensais pas que
c’étaitpourmefairedumal,niàmoiniauxhabitantsdeFörening.Ilavaiteul’airfâchécontreKyralorsqu’elleavaitusédeviolencecontremoiàOndarike,et iln’avaitblessépratiquementaucundesgardesquandilsl’avaientcapturéaupalais.SiKyraoud’autresVittrasétaientvenusaveclui,ilsseseraientcertainementbattusetm’auraientprobablementagresséeparlamêmeoccasion.Lokiétait-ilvenuicipourmeprotéger?Était-cesamanièredemepermettred’échapperànouveau
auxVittras?—JesuispersuadéequeLokiestunemenaceisolée,etqu’iln’enestmêmepasvraimentune,dis-
je.JenecroispaslesVittrasasseznombreuxpourlancerunecontre-attaque.—Est-cecequ’ilvousadit?J’opinai.—D’unecertainefaçon,oui.—Etvousluifaitesconfiance?demandaDuncansansuneoncedesarcasmeoud’irritation.J’avaislesentimentqu’ilcroyaitenmoninstinct.Sij’accordaisducréditàLoki,Duncanenferait
autant.—Oui.Jefronçailessourcils,unpeusurprisemoi-mêmeparlefaitquej’ycroyaisvraiment.—Jecroisqu’ilm’aaidéeàm’enfuird’Ondarike.—Jecomprends.Monexplicationluisuffisant,ilacquiesça.—IlfautquejeparleàEloraentêteàtête,dis-jealorsquenousatteignionslesescaliers.N’a-t-elle
pasunmomentdelibredanssonemploidutemps?—Jen’ensuispascertain,ditDuncan.Jecommençaiàgrimperl’escalieretDuncanm’emboîtalepasengardanttoujoursunemarchede
distanceentrenous.—Ilvafalloirquejevérifieavecsonconseiller,maissivoustenezvraimentàluiparler,jepeux
mettrel’accentsurl’urgencedevotrerequêteafinqu’ellevousreçoiveentredeuxrendez-vous.—Ilfautvraimentquejeluiparle,dis-je.Situconstates,enlesinterrogeant,elleousonconseiller,
qu’ellen’apasdetempsàmeconsacrer, trouveunmomentoùelleseraseule.Je lacoinceraidanssonbains’illefaut.—Bien,indiquaDuncan.Voulez-vousquejecourem’enquérirdecelatoutdesuite?—Ceseraitfantastique.Merci.—Pasdeproblème.Ilsouritlargementet,toujoursheureuxdeserendreutile,repartitd’oùnousétionsvenuspouraller
trouverElora.Jedécidaid’allerjusqu’àmachambrepouryréfléchir.Entreleshistoiresd’enlèvement,deparenté,
d’entraînement avec Tove etmaintenantmes tentatives pour sauver Loki, la têteme tournait. Sansparler du fait qu’hier, lors de l’assemblée pour la défense du pays,mon propre peuple n’avait eud’autreidéeentêtequedemepoussersousunbus.Jemedemandaissicetendroitétaitvraimentfaitpourmoi.Jemefichaiséperdumentdegouverner
unroyaume,alorsquepouvaitbienm’importerdeportertelleoutellecouronne?SiOrensemblaitdiabolique,Eloran’enétaitpasloin.SijepartaisaveclesVittras,ilslaisseraientlesTryllestranquilles,etenqualitédeprincesse,cela
seraitsansdoutelameilleuredeschosesàfaire.—Wendy!s’écriaMattenmetirantdemespensées.J’étaispasséedevantsachambreenregagnantlamienneetsaporteétaitouverte.—Matt,répondis-jemaladroitementalorsqu’iljaillissaitdesachambrepourmetrouver.Ilétaittellementempresséqu’iln’avaitpaslâchélelivrequ’ilétaitentraindelire.—Désolée,jenet’aipasbeaucoupvucesdernierstemps.J’étaisassezoccupée.—Non,jecomprends,dit-il.Jen’étaispourtantpascertainequ’ilcomprenait.Serrantlelivrecontresapoitrine, ilcroisait les
bras.—Commentvas-tu?Est-cequetoutvabien?Personnenemeditrienet,aprèsl’attaquedel’autre
jour…—Cen’étaitpasuneattaque,lerassurai-jeenhochantlatête.C’étaitjusteLokiqui…—Letypequit’aenlevée?LavoixdeMatts’étaitdurcie.—Ouais,mais…J’essayai de réfléchir à quelque chose qui excuserait l’enlèvement, mais je savais que Matt ne
goberaitpasn’importequoi.—Iln’estqu’ungarçon,ilnepeutpasfairegrand-chosetoutseul.Ilsl’ontenferméettoutvabien.
Iln’yaaucundanger.— Comment peut-il n’y avoir aucun danger avec tous ces gens qui entrent ici par effraction ?
s’objecta Matt. La seule raison pour laquelle nous sommes là, c’est parce qu’ils prétendent te
protéger,maiss’ilsn’yparviennentpas…—Noussommesensécurité,insistai-jeenl’interrompant.Cetendroitestremplidegardesetnous
sommesplusprotégésiciquen’importeoùailleursdanslemonde.Je ne savais pas si c’était la vérité,mais je ne souhaitais pas non plus queMatt sortît pour s’en
rendrecompteparlui-même.OrensavaitcombienjetenaisàMattetilauraitévidemmentutilisécelacontremoisi je luiendonnaisl’occasion.LameilleurechosequeMattpouvaitfaireétaitderestersousl’étroitesurveillancedesTrylles.—Jenecomprendstoujourspascequisepasseici,niquisontcesgens,finitpardireMatt.Jesuis
forcédetecroirealorsquejenesaismêmepassituesensécurité.—Jelesuis.Sincèrement.Net’inquiètepluspourmoi.Jeluisouristristement,merendantcomptequec’étaitlavérité.—Etpourtoi,commentçava?As-turéussiàtrouverdequoit’occuper?—Oui, j’aipassédebonsmomentsavecRhys,quiaété trèsgentil.C’estunchic type…bizarre
maisgentil.—Jetel’avaisdit.—Eneffet.Ilsourit.—Etjevoisquetuastrouvéquelquechoseàlire,dis-jeendésignantlelivrequ’ilserraittoujours
sursapoitrine.—Oui,c’estWillaquimel’atrouvé,enfait.Mattdesserralesbraspourmetendrelelivre,unouvrageenvieuxcuirpatinéetreliéàlamain.—Cesonttouteslesesquissesetlescroquisd’aménagementdupalaisdepuisdesgénérations.—Ahoui?Jeluiprislelivredesmainspourlefeuilleter.Lespagesjauniesétaientcouvertesdedessinsetde
planspourladécorationdesrésidenceslesplushuppéesoùavaitvécularoyauté.—J’aiditàWillaquej’étaisarchitecteetelleestalléecherchercelivrepourmoi.Mattapprochapourquejepusseadmirerlesdessinsdeplusprès.—Ilappartientàsonpère,jecrois.Jemesentissubitementstupide.LaseulevraiepassiondeMattavaittoujoursétél’architecture,et
nousvivionsdansunsomptueuxpalaisaccrochéauflancd’unefalaise.Ilétaitbienévidentqueceladevaitl’épater,commentn’yavais-jepaspenséplustôt?Mattcommençaàmemontrerdesdétailssurlesplans,m’expliquantcommeilsétaientingénieux.
J’opinaietmanifestaidel’étonnementquandcelasemblaitapproprié.JerestaiencoreunpeuavecMatt,puisretournaidansmachambremereposer.Jem’étaisàpeine
affaléesurmonlitquej’entendisfrapperàlaporte.Jemelevaiensoupirantpourallerouvrir.C’estalorsquejevisFinn,deboutsurleseuildelaporte,lesyeuxaussiombrageuxqued’habitude.—Princesse,j’aibesoindetoi,secontenta-t-ildedire.
SEIZEMétier
—Pardon?dis-jeaprèsavoirrécupérémavoix.—Lareineatrouvéunmomentpourterecevoir,ditFinn.Maisilfautfairevite.Là-dessus,iltournalestalonsenvitesse.Aprèsavoirfermélaportedelachambrederrièremoi,je
lesuivisdanslecouloir.QuandFinns’enaperçut,ilralentitunpeu,cequisemblaitsignifierquejedevaislerattraper.—Oùest-elle?demandai-je.Commejenemepressaipaspourlerejoindre,ilmeregardarudement.—Oùdois-jeretrouverElora?—Jet’yaccompagne.—Cen’estpaslapeine.Jepeuxlatrouvermoi-même.—Tunedoispasresterseule.Ils’arrêtapourattendrequejel’eusserejoint,puisnousmarchâmescôteàcôte.—Cet endroit regorge de gardes. Je crois être capable deme déplacer dans un couloir jusqu’à
l’endroitoùsetrouveElora,luidis-je.—Peut-être.Jedétestaisdevoiremprunterlescouloirsavecluietfeindrequesaprésencem’importaitpeu.Le
silencedevinttropabsurdeentrenous.Jedécidaidelerompre.—Alors…çafaitqueleffetdetravailleravecsonpère?demandai-je.—C’estsatisfaisant,réponditFinn,quasientresesdents.—Satisfaisant?Jescrutaisonvisageàlarecherched’unsignecapabledetrahirunquelconquesentiment,maisil
étaitdemarbre.Sesyeuxsombresregardaientdroitdevantluietseslèvresrestaientpincées.—Oui.Jenevoispasdedescriptionplusappropriée.—Es-tuprochedetonpère?demandai-je.Commeilneréponditpas,jecontinuai.—Tusemblesentoutcastrèsprochedetamère.Elleal’airdetenirbeaucoupàtoi.—Iln’estpasfaciled’êtreprochedequelqu’unqu’onneconnaîtpas,dit-ilcalmement.Monpère
étaitabsentpendantlamajeurepartiedemonenfance.Quandilestrevenu,c’estmoiquiaidûpartirtravailler.—C’estbienquevoussoyezréunisencemomentpourcetravail.Celavouspermetdepasserun
peudetempsensemble.—Jepourraist’endireautantconcernantlareine.Ilmeregardaducoindel’œilavecunbrindetaquineriedansleregardquicontrastaitavecleton
glacialdesesparoles.—Tonpèresemblebienplusfacileàapprocherquemamère,m’opposai-je.Aumoins,ilal’air
vaguementhumain.—Tutesouviensquecemotestuneformed’insulteici,merappelaFinn.Nousluttonscontrecela.
—Oui,c’estcequejevois,grommelai-je.—Jesuisdésolédelafaçondontleschosessesontpasséesàl’assembléepourladéfensedupays.Ilbaissalavoix,s’exprimantdecettedoucemanièreconspiratricedontiln’usaitquelorsquenous
étionsseulstouslesdeux.—Cen’estpastafaute.Enfait,tuesvenuàmonsecours.Jet’ensuisreconnaissante.—Jenesuispasd’accordaveccequis’yestdit.Finnralentitlepaspours’arrêterdevantunelourdeporteenacajou.—Niaveclafaçondontilsvousonttenurigueuràtoiettamèredecequis’étaitpassé.Maisilne
fautpasleurenvouloir.Ilssontjusteapeurés.—Jesais.Jem’arrêtaiprèsdeluienprenantuneprofondeinspiration.—Puis-jetedemanderquelquechose,situpeuxmerépondrehonnêtement?—Biensûr,dit-il,mêmes’ilsemblaitpeusûrdelui.—Necrois-tupasquejeferaismieuxdepartiraveclesVittras?Ilouvritgrandlesyeux.J’enchaînaiavantqu’ilnerépondît.—Jenedemandepassiçaseraitmieuxpourmoietjetiensàcequetumettestessentimentsentre
parenthèses, quels qu’ils soient, mais ne serait-ce pas dans l’intérêt des Trylles et des gens deFöreningquejepartechezlesVittras?—Lefaitque tuveuilles tesacrifierpourcesgensestexactement la raisonpour laquelle ilsont
besoindetoiici.Ilmeregardadroitdanslesyeux.—Ilfautqueturestesici.Nousavonstousbesoindetoi.Lagorgeserrée,jebaissailesyeux.Mesjouess’empourpraientetj’avaishorreurquelesimplefait
d’avoiruneconversationavecFinnpouvaitmemettredansuntelétat.—Elorat’attendàl’intérieur,indiqua-t-ilcalmement.—Merci,dis-jeenhochantlatête.Sansleregarder,j’ouvrislaportepourpasserdanslebureau.Jen’avaisjamaispénétrélecabinetprivédelareine,quiressemblaitenfaitàsesautresbureaux.
Beaucoupderayonnagesdebibliothèque,unimmensebureauenchêneetuneméridiennerecouvertedevelours,installéedevantlabaievitrée.Unepeintured’Eloraétaitaccrochéeaumur,etàlavuedescoupsdepinceau,j’auraispariéqu’ils’agissaitd’unautoportrait.Eloraétaitassiseàsonbureaurecouvertdepaperasserie.Unencrieràportéedemain,elletenait
prudemmentunstylo-plumeenivoireau-dessusdespapiers,commeeffrayéeàl’idéededevoirlessigner.Commeellen’avaitpasencorelevélatêteetquesachevelurenoirependaitdechaquecôtédeson
visagetelsdesrideaux,jen’étaispascertainequ’ellem’avaitvue.—Elora,ilfautquejeteparle.J’approchaidubureau.—C’estcequejemesuislaissédire.Dépêche-toi,carjen’aipasbeaucoupdetempsaujourd’hui.Quandellelevalesyeuxsurmoi,jefaillislâcheruncridesurprise.
Je ne lui avais jamais vu un visage aussi défait. Sa peau, habituellement lisse et sans défauts,m’apparutâgéeetcommeridéeenunenuit.Sonfrontcomportaitdesplisprofondsquin’yétaientpaslaveille.Sesyeuxnoirsavaientlégèrementviréaublanccrémeux,commedanslescasdecataractedébutante.Une lignedecheveuxblancsparcourait sachevelure le longde la raiecentraleet jemedemandaipourquoijenel’avaispasremarquéelorsdemonarrivéeaupalais.—Alors,princesse,soupiraElora,quisemblaitagacée.Queveux-tu?—JevoulaisteparlerdeLo…euh,dumarkisvittra,bafouillai-je.—Ilmesemblequetuenaslargementassezditàcesujet.Ellesecoualatêteetunegoutted’encrequis’échappadustylotombasurlebureau.—Jenecroispasquetudevraisl’exécuter,dis-jed’unevoixplusassurée.—Tuasénoncétessentimentsd’unefaçononnepeutplusclaire,princesse.—Politiquement,celan’apasdesens,continuai-je,carjenevoulaispaslaisserleschosesenrester
là.Letuerneferaqu’inciterlesVittrasànousattaquerànouveau.—Quenousexécutionsounonlemarkis,lesVittrasn’arrêterontpas.—Justement !dis-je. Ilnesertà riende lesagresser.Tropdepersonnesontdéjà trouvé lamort
inutilement.Pourquoienaugmenterlenombre?—Jenepeuxpluslegarderprisonnierbienlongtemps,ditElora.Dansunraremomentdefranchise,sonmasquetombaetjevisqu’elleétaitexténuée.—Cedontjemeserspourleretenirestentrain…dem’épuiser.— Je suis désolée, dis-je simplement, peu certaine de savoir comment réagir à cet aveu
d’impuissance.—VotrejeuneMajestédevraitêtresatisfaitedemevoirchercherunesolutionencemoment.LafaçondontelleprononçaMajestéavaitquelquechosed’amer.—Queprojettes-tudefaire?demandai-je—Jesuisentraind’étudierd’ancienstraités.Elletapotaitlespapiersétalésdevantelle.—J’essaiede trouverun exemplede conventiond’échangepourquenouspuissions relâcher le
markisenachetantlapaixpournous.JenesaispassiOrencesseradevouloirt’enlever,maisnouspouvonsgagnerunpeudetempsavantqu’ilnelanceunenouvelleattaque.—Oh,fis-je,troubléel’espaced’uninstant.Jen’avaispasprévuqu’ellefassequoiquecesoitenfaveurdeLoki.—Qu’est-cequitefaitcroirequ’Orenpeutmonterunenouvelleattaque?LesVittrassemblenttrop
affaiblispourcombattredésormais.—TunesaisriendesVittrasetdetonpère,réponditElorad’untonàlafoislasetcondescendant.—Lafauteàqui?Sijesuisdansl’ignoranceàproposdetout,c’estparcequetum’ymaintiens.Tu
espèresquejevaisdirigerceroyaumetoutenrefusantdem’enparler.—Jen’enaipasletemps,princesse!lâchaElora.J’auraispariéavoirvuapparaîtredes larmesdanssesyeux,maisellesavaientdisparuavantque
j’enfussecertaine.—Jedésireraistantpouvoirtouttedire,maisjen’enaipasletemps!Tun’asbesoindesavoirque
l’essentiel.J’aimeraisqu’ilensoitautrement,maistelestlemondedanslequelnousvivons.—Queveux-tudire?interrogeai-je.Pourquoin’enas-tupasletemps?—Jen’aimêmepasassezdetempspourcettediscussion.Eloramecongédiaavecunsignedetête.—Tuasdupainsur laplancheet j’aiuneréuniondansdixminutes.Si tuveuxque jesauve ton
précieuxmarkis,jetesuggèredefileretdemelaisseraccomplirmatâche.Jetraînaiencoreunpeudevantsonbureauavantdemerendrecomptequejen’avaisplusrienàlui
dire.Pourunefois,EloraétaitdemoncôtéetelleneferaitpasexécuterLoki.Ilvalaitmieuxquejepartisseavantdedirequelquechosequilaferaitchangerd’avis.Danslecouloir,jem’attendisàtrouverFinnpourm’accompagneràmachambre,maisàsaplace,
cefutTovequejevis.Appuyécontrelemur,iljouaitavecuneorange,l’airabsent.—Quefaites-vouslà?luidemandai-je—Ravidevousvoirmoiaussi,réponditToved’unairdétaché.—Non,jevoulaisdirequejenem’attendaispasàvoustrouverlà.—Jevenaisvoustrouverdetoutefaçon,c’estpourcelaquej’ailibéréFinn.Tovesouritensecouantlatête.—Jesuissupposéem’entraîneraujourd’hui?J’aimaisbienl’entraînementavecTove,maisj’auraistrouvépréférabledepouvoirprendreunjour
oudeuxdereposafindenepassaturercomplètement.—Non.Tovelançal’orangeenl’airalorsquenousnouséloignionsdubureaud’Elora.—J’habiteiciencemomentetjemesuisditqu’ilseraitbonquejevérifieoùvousétiez.—Oh,c’estvrai.J’avaisoubliéqueToves’installaitaupalaispourenassurerluiaussilasécurité.—Pourquoivousinquiéteràmonsujet?—Jenesaispas.Ilhaussalesépaules.—Vousavezl’air…—Monauraestdécoloréeaujourd’hui?luidemandai-jeenleregardantducoindel’œil.—Enréalité,oui,acquiesça-t-il.Elleestd’unbrundélavécesdernierstemps,presquejaunesoufre.—Jenesaispascequ’estlacouleurjaunesoufre,etmêmesijelesavais,jen’enconnaispasla
signification,dis-je.Vousparlezd’aurassansjamaisexpliquercequ’ellesreprésentent.—Lavôtreesthabituellementorange.Ilmemontra le fruit commesi celadevait illustrer sespropos,puis jouaavec sonorangeen la
faisantpasserd’unemainàl’autre.— Elle dégage inspiration et compassion. Elle devient violette lorsque vous vous trouvez en
présencedegensquevousaimez.Cetteaura-làdégageamouretprotection.—Ahbon?Jehaussaiunsourcil.—Hier, en réunion, lorsque vous vous êtes levée pour défendre quelqu’un en qui vous croyez,
votreauraétaitdorée.C’étaitéblouissant.Toves’immobilisa,perdudanssespensées.—Etquesignifielacouleurdorée?demandai-je—Jenesaispasexactement.Jen’avaisjamaisrienvudetel.Celledevotremèreatendanceàêtre
grise teintéederouge,maisquandelleestenpleinereprésentationdereine,sonauraestparseméed’éclatsdorés.—Ce qui voudrait dire que le doré signifie… quoi ? Que je suis unemeneuse ? demandai-je,
incrédule.—Peut-être.Ilhaussaànouveaulesépaulesetseremitenmarche.Il descendit l’escalier, et bienquedésirantme retrouver seule, je le suivis. Ilm’expliqua tout ce
qu’ilsavaitàproposdesaurasetdelasignificationdeleursdifférentescouleurs.Lafonctiond’uneauram’échappaittoujours.Tovedisaitquecelaluipermettaitd’yvoirplusclair
danslecaractèred’unepersonneetsursesintentionsréelles.Quanduneauraétaitvraimentpuissante,illapercevait.Hier,pendantlaréunion,lamiennedégageaitautantdechaleurqu’enété,lorsqu’onseprélasseausoleil.Ilentraausalonetselaissatomberdansunfauteuilprèsdelacheminée,quin’étaitpasallumée.Il
commença à peler son orange et à en jeter les peaux dans l’âtre. Jem’assis sur le canapé le plusprocheetregardaiparlafenêtre.L’automne avait commencé à céder la place à un hiver précoce et une lourde neige verglacée
tombaitdéjà.Lebruitqu’ellefaisaitenheurtantlavitreressemblaitàceluid’unepluiedepiècesdemonnaie.—Quesavez-vousaujustedesVittras?luidemandai-je.—Hum?Tovemorditdanssonorangeetmeregarda.Lejuscoulaitsursonmenton.Jereformulaimaquestion.—Ensavez-vousbeaucoupsurlesVittras?—Unpeu.Ilmetenditunquartierd’orange.—Vousenvoulezunpeu?—Non,merci,rétorquai-jeensecouantlatête.Qu’entendez-vouspar«unpeu»?—Jevoulaisparlerd’unquartieroudeux,maisjepeuxvousladonnerenentiersivousvoulez.Ilmetenditl’orange,quejerefusaipoliment.—Non,jevoulaisquevousmedisiezcequevoussavezdesVittras,redis-je.—C’esttropvague.Tovegrignotaunautremorceaud’orange,puis fit lagrimaceet jeta le restedans le foyerde la
cheminée.Ilessuyasesmainssursonpantalonetregardaautourdelui.Ilavaitl’airailleursaujourd’hui,aupointquejemedemandaissilavieaupalaisn’étaitpaspesante
pour lui. Peut-être y avait-il trop demonde, avec trop de pensées prisonnières d’unmême espace.D’habitude,ilnevenaiticiquepourquelquesheuresàchaquevisite.
—Savez-vouspourquoilesVittrasetlesTryllessebattent?demandai-je.—Non,dit-ilensecouantlatête.Jecroisquec’estàcaused’unefille.—Vraiment?m’enquis-je.—N’est-cepastoujoursainsi?Ilsoupiraetselevapourapprocherdumanteaudelacheminée,puisilbougealespetitesfigurines
enivoireetenboisquis’ytrouvaient,enutilisantpourlesdéplacertantôtsesdoigts,tantôtsonesprit.—J’aientendudireunefoisqu’HélènedeTroieétaittrylle.—Jecroyaisqu’HélènedeTroieétaitunmythe,dis-je.—Toutcommelestrolls.Il saisit une figurine en ivoire représentant un cygne enlacé par une liane de bois et le toucha
délicatementdudoigt,commes’ilcraignaitd’enabîmerl’ornement.—Quipeutdistinguercequiestréeldecequinel’estpas?—Etdonc?LestrollsetlesVittrassontlamêmechose?Quecherchez-vousàdire?—Jenesaispas.Tovehaussalesépaulesetreposalafigurinesurlacheminée.—Jenem’intéressepastropàlamythologiegrecque.—Bien.Jem’allongeaisurlecanapé.—Alorsquesavez-vous?—Jesaisqueleurroiestvotrepère.Ilarpentaitlapièce,portantsonregardsurtoutsansvraimentrienregarder.—Etcommeleroiesttenace,ilnes’arrêterapastantqu’ilnevousaurapaseue.—Voussaviezqu’ilétaitmonpère?luidemandai-jeenleregardant,ébahie.Pourquoinem’avoir
riendit?—Cen’étaitpasàmoidelefaire.Il regardait laneige tomberdehors.Approchantde lavitre, il y appliqua sapaumedemain,qui
laissauneempreintehumideàcausedelachaleurdesapeau.—Vousauriezdûmeledire,insistai-je.—Ilsneletuerontpas,ditTove,l’airabsent.Ilsepenchapoursoufflersurlavitre,quisecouvritdebuée.—Qui?—Loki.Lemarkis.Ildessinaquelquechosesurlabuéeavantdel’effaceravecsoncoude.—Eloram’aditqu’elleallaitessayerde…—Non, ilsnepeuventpas le tuer, assuraToveenme faisantdenouveau face.Votremèreest la
seulepersonne,outrevousetmoi,suffisammentpuissantepourleretenirprisonnier.—Attendez,attendez.Jelevailesbrasauciel.—Quevoulez-vousdireparpersonnen’estassezpuissantpour le retenir?J’aivu lesgardes le
maîtriserquandilaétécapturédanslehall.MêmeDuncanaaidéàledompter.
—Non,lesVittrasfonctionnentdifféremmentdenous.Toves’assitàl’autreboutducanapé.—Nostalentsrésidentlà.Iltapadudoigtuncôtédesoncrâne.—Nouspouvonsremuerdesobjetsetmaîtriserlevent.—Lokipeutassommerdesgensrienqu’avecsonespritetlareinevittraestcapabledelesguérir
ensuite,dis-je.—La reine vittra a du sang trylle.Ceci remonte à une génération ou deux, et c’est ce qui lui a
permisdedevenirreine.QuantàLoki,ilestdumêmesangquenous,sonpèreétaittrylleavant.—Maintenantilestvittra?demandai-je,mesouvenantqu’Eloram’avaitditavoirconnulepèrede
Loki.—Ill’aétépendantunepériode,maisilestmort,ajoutaTovecommesiderienn’était.—Quoi?Pourquoi?—Trahison.Tovesepenchaenavant,etàl’aidedesonesprit,soulevaunvaseau-dessusdelatablevoisine.Je
voulaisclaquerdesdoigtspourluidiredemeprêterattention,maisjesavaisquec’étaitexactementcequ’ilcherchaitàfaireparcettemanœuvre.—Nousl’avonstué?demandai-je.— Non. Je crois qu’il a cherché à s’enfuir pour revenir à Förening et que les Vittras l’ont
supprimé,dit-ilensemordantlalèvre,toutenseconcentrantsurlevasequ’ilfaisaitflotterenl’air.—Oh,Seigneur.Jem’allongeaiunpeusurlecanapé.—CommentLokipeut-ilencoresupporterlesVittras?—JeneconnaispasplusLokiquejen’aiconnusonpère.Levaseredescenditseposergentimentsurlatable.—Jenepeuxpasvousdirecequ’ilspensent.—Maisvous,commentsavez-voustoutcela?—Vouslesauriezaussi,sic’étaitdansl’ordredeschoses.Tovesoufflaprofondément,apparemmentpluscalmeaprèsavoirbougécevase.—Étudier notre histoire fait partie de l’entraînement que vous avez entrepris.Mais à cause des
attaques,ilestplusimportantquevoussoyezpréparéeàvousbattre.—EnquoilespouvoirsdesVittrasdiffèrent-ilsdesnôtres?demandai-jepourenrevenirausujet
quimepréoccupait.—Lapuissance.Ilfléchitlebraspourmefaireunedémonstration.— Ils sont physiquement inégalables. Même leur esprit est plus impénétrable, ce qui rend
compliqué,pourdespersonnescommevousetElora,delesmaîtriser.C’estmêmeplusdifficilepourmoi de les bouger. Sinon, comme chez nous, plus ils sont puissants, plus ils sont élevés dans lahiérarchie,cequiexpliquepourquoiunmarkiscommeLokiestterriblementpuissant.—MaisvousavezenvoyévaldinguerLokicommeunrienaupalaisvittra,luirappelai-je.
—Oui,j’yaibeaucoupréfléchi.Perturbé,ilfronçaitlessourcils.—Jecroisqu’ilm’alaissélefaire.—Quevoulez-vousdire?Pourquoi?—Jenesaispas.Lokim’alaissélemaîtriser,etici,illesalaisséslecapturer.Lepouvoird’Elora
surluiestréel,enrevancheceluidesautresgardes…Tovesecouanégativementlatête.—Ilsn’auraientpasunechancefaceàlui,s’ilnelepermettait.—Pourquoiferait-ilça?demandai-je.—Jen’enaipas lamoindre idée,admitTove.Mais ilestbienplus fortquenous tous.Elorane
seraitpascapabledeleretenirassezlongtempspourqu’ilsletuent.—Etvous?demandai-jetimidement.—Jecroisqueoui.Jeveuxdire,j’ensuiscapable,maisjeneleferaipas.—Pourquoi?—Jecroisqu’ilnefautpas.Iln’arienfaitpourblesserquiconqueici,pasvraiment,etjeveuxvoir
cequ’ilvafaire.Ilhaussalesépaulesenmeregardant.—Etvousnevoudriezpasquejelefasse.—Vousvousopposeriezauxvolontésd’Elorasijevousledemandais?Ilacquiesçad’unsignedetête.—Pourquoi?Pourquoiferiez-vousquelquechosepourmoietnonpourelle?—Maloyautévousestacquise,princesse.Tovemesourit.—JevousfaisconfianceetlesautresTryllesapprendronteuxaussiàlefaire,quandilsaurontvu
cedontvousêtescapable—Dequoisuis-jecapable?demandai-je,troubléeparl’aveudeTove.—Nousmeneràlapaix,dit-ilavectantdeconvictionquejen’eusplusrienàajouter.
DIX-SEPTApathique
AprèsavoirentenducequeToveavaitàdireàproposdeLoki,j’eusenviedeluiparler.Ilnes’étaitpas montré très ouvert avecmoi, mais je voulais savoir pourquoi il était venu ici. Qu’espérait-ilgagnerenforçanttoutseullesportesdupalaisdesTrylles?Maisàmagrandedéception,lesgardiensdeLokiavaientrenforcéleurvigilance.Desrumeursausujetdemaconversationavecluiavaientcirculéetlesgardiensavaientdécidéde
sedonnerdeuxfoisplusdemalpourquejenepussel’approcher.Duncans’étaitfaittirerlesoreillespourm’avoirlaisséerencontrerLoki,etquandilrevintdedisgrâce,ilrefusaquejem’approcheduprisonnier.J’auraispuuserdepersuasionavecDuncan,maisjeluiavaisdéjàsuffisammentfatiguélecerveau
enpratiquantcelasurlui.SansenavoirencoreparléàTove,jem’étaisjurédeneplusmeservirdepersuasionsurquiconque.D’ailleurs,ilseraitaussibienpourmoiquejeprofitassedelajournéepourmereposer.Demain,je
reprendraisl’entraînement,etensuite,jepourraisessayerdevoirLoki.J’étaiscertainedetrouverunmoyenpourcirconvenirlesgardessansavoirrecoursàlapersuasion.Je ne restai pourtant pas longtemps toute seule.Duncanm’escorta jusqu’àma chambre et je n’y
étaispasinstalléedepuiscinqminutesqueRhys,quisortaitdel’école,m’yretrouva.Ilavaitfaitunepizza etm’invitait dans sa chambrepour regarder avec lui des filmsde sérieBetmedétendre encompagniedeMattetWilla.Comme je trouvais que je n’avais pas passé assez de temps avec chacun d’eux, j’acceptai et
demandai à ce que Duncan soit admis. Je m’assis sur le divan en veillant à laisser une distancerespectableentreRhysetmoi,maisjen’euspastropàm’ensoucier,cardetoutefaçon,Mattveillaitaugrain.Ilparaissaitcependantlâcherunpeudelestquantàsesdevoirsdegrandfrèreetsemblaitplusse
préoccuper de Willa, qu’il taquinait en riant avec elle. Mais ce fut elle qui me surprit plus quen’importequi.Ellemangeaitvraimentde lapizza.Mêmemoi, jen’enmangeaispas,maisWilla ladévoraitensouriant.Afindenepasfairecommelapremièrefoisoùj’avaisregardédesfilmsdanslachambredeRhys,
cette fois-ci, jem’arrangeaipournepasm’endormiravant la fin. Jem’excusaienpartant,pendantquetousregardaientencoreEvilDead.Enrouteversmachambre,jecroisaiFinn,quifaisaitsaronde.Jeluidisbonsoir,maisilfitmine
denepasmevoir.Duncans’excusaàlaplacedeFinnpoursaconduite,cequim’agaçadavantage.JenevoyaispaspourquoiFinndevaitlaisseràd’autrespisteurslesoindemeréconforter.Lelendemainmatin,Tovemeréveillaàl’aube.Commeilvivaitaupalais,iln’avaitplusderouteà
faire.C’étaitdurdeseréveillersitôt,maisl’insomniedeToves’étantaggravéedepuisqu’ilhabitaitici,jenepouvaisluienvouloirnimeplaindre.Nouspassâmesunelonguejournéeàtravailler.Àlacuisine,quiétaitordinairementdéserte,nous
trouvâmeslechefoccupéàpleintempsenraisondunombreplusimportantdegardesetdegensqu’il
fallait nourrir au palais. Au grand désarroi de ce chef, Tove voulait m’entraîner à déplacer descasserolesetdespoêles.Jem’attendaisàquelquechosecommedansMerlin l’enchanteur,avec lesplatsquivoltigeraient,
mais il ne s’agissait pasde cela. Jeparvins à faire tenir en l’air deuxcasseroles en fonte et faillisdécapiterDuncanavecunepoêlequej’envoyaiàtraverslapièce.Unepartiedemoiétaitravieàl’idéed’avoirenfinpufairebougerdesobjetsavecmonesprit.Tove
prétenditquecelaavaitquelquechoseàvoiraveclafaçondontlaporteavaitclaquéquandEloraavaitfaitmalàLoki.Celaavaitdébloquéenmoiunpotentielénergétiquequi,jusque-là,nerépondaitpas.Lapartiedemoiquiétaitexcitéefinitparêtrecomplètementvidéeparcellequiétaitépuisée.Enfin
d’entraînement,jenem’étaisjamaissentieaussifatiguéedemavie.Duncanvoulutmesoutenirpourgrimperl’escalierjusqu’àmachambre,etbienquetentéeparlaproposition,jerefusai.Ilfallaitquejeparvinsseàgérertoutcelamoi-même.JenevoulaisplusquedespersonnescommeDuncanetFinn,nimêmeTove,risquentleurviepour
moi.Etmêmes’iln’étaitpasquestionqu’ilsperdentleurvie,jenevoulaisplusavoirbesoind’eux.J’étaisplusfortequelaplupartd’entreeuxetjesouhaitaism’ensortirtouteseule.Jesavaisquecelan’arriveraitpasenunjour,maisjetravailleraisaussidurquenécessairejusqu’à
deveniraussifortequecequ’onattendaitdemoi.Après une longue phase d’entraînement, je fis une courte pause. Nous devions assister à une
assemblée pour la défense du pays. Tove,Duncan etmoi nous y rendîmes en compagnie d’Elora,avecquelquesgardestriéssurlevolet.Quandnousarrivâmesdanslasalle,Finnetsonpère,Thomas,yétaientdéjà.Jeleurdisbonjour,etalorsqueThomasmerépondit,Finnm’ignora.Encoreunefois.Laréunionn’apportapasgrand-chosedeneuf.Eloranousfitpartdesderniersévènements.Iln’y
avaiteuaucunenouvelleentréeenforcedesVittras.Lokines’étaitpaséchappé.Ellepassaenrevueavec les pisteurs la composition de l’équipe de gardes. Je voulus lui demander quel était son planpour l’échangedeLoki avec lesVittras,maisElorame lançaun tel regardque je comprisque cen’étaitpaslemomentd’aborderlesujet.À la fin de la réunion, tout ce que je voulais, c’étaitme rendre dansma chambre, prendre une
longuedouchechaudeetmecoucher.Justeavantdepassersousladouche,jemerendiscomptequejen’avaisplusdesavonetmedirigeaiversleplacardducouloirpourenprendre.Moncerveaumefaisaitl’effetd’êtreengourdietcommecourt-circuité.Sanssavoirpourquoi,jene
sentaisplus lesextrémitésdemesorteilsnidemesdoigts.Unemigrainegagnaitmoncrânepar labaseducouetlavisiondansmonœilgauchesebrouillait.L’entraînementdecette journéeavaitétéplusdifficilequejen’avaisvoulul’admettre.Toveavait
suggéré à plusieurs reprises que nous fassions une pause, mais j’avais refusé et j’en ressentaismaintenantplusdurementleseffets.CefutsansdoutepourcetteraisonquejefushorsdemoiquandFinnpassaànouveauàmescôtés
sansmesaluer.J’étaissortieenpeignoirdanslecouloirpourchercherdusavonlorsquejel’aperçusqui faisait sa ronde. Je luidisbonsoirquand ilarrivaàmahauteur,maissansunmotnimêmeunsignedetête,ilpassasonchemin.C’enétaittrop;lecoupdegrâce.
—C’estquoitonproblème,Finn?m’écriai-jeenlecontournantpourluifaireface.Ils’arrêtauniquementparcequecemouvementbrusquel’avaitsurpris.Ilmeregarda,bouchebée,
enclignantdesyeux.Jecroisquejenel’avaisjamaisvuaussiinterdit.—Biensûr,commetoujours,tunevasrienmedireettecontenterdemeregardersansbroncher.—Je…je…bégayaFinn.Jesecouailatête.—Non,vraimentFinn.Jelevailamainpourl’empêcherdecontinuer.—Si tu t’en fiches au point de ne pas te rendre compte que j’existe, inutile de temettre à faire
semblantmaintenant.—Wendy.L’airexaspéré,ilsoupira.—Jenefaisquemonboulot…—Peuimporte,lecoupai-jeenlevantlesyeuxauciel.Oùexactementest-ilinscritdanstafeuillede
route que tu doives te comporter comme un salop avec la princesse et l’ignorer ? C’est stipuléquelquepart?—Jefaissimplementdemonmieuxpourteprotégerettulesaistrèsbien.—J’aibiencomprisquenousnepouvionsêtreensemble.Etjenesuispasàcepointdépourvuede
volontéquelesimplefaitdetecroiserdansuncouloirm’obligeàtesauterdessus.Jeclaquailaporteduplacard.—Iln’yaabsolumentaucuneraisonpourquetusoisaussigrossieravecmoi.—Jenelesuispas.L’expressiondesonvisage,quis’étaitradoucie,seteintaitmaintenantdedouleuretd’embarras.—Je…Ilbaissalesyeux.—Jenesaispascommentjesuiscensémecomporterentaprésence.—Etpourquoisupposerquelemeilleurcomportementconsisteraitàm’ignorer?demandai-je.Àmagrandesurprise,jevisdeslarmesluimonterauxyeux.—Voilàpourquoi jenevoulaispas être ici, dit-il en secouant la tête. J’ai imploré la reinepour
qu’ellemelaissepartir.—Tul’asimplorée?questionnai-je.Maisc’enétaittrop.Finnn’imploraitpas.Ilavaitbientropdefiertéetdesensdel’honneurpourimplorer.Etpourtant,
ilavaittantsouhaités’éloignerdemoiqu’ilavaitdûimplorer.—Oui!Illevaledoigtversmoi.—Maisregarde-toi!Regardecequejetefais!—Tuasdoncconsciencedecequetumefais?demandai-je.Tulesaisetpourtanttucontinues?—Jen’aipaslechoix,Wendy!s’écria-t-il.Queveux-tuquejefasse?Dis-le-moi,situsaisceque
jedoisfaire.
—Jeneveuxplusrienvenantdetoi,admis-jeentournantlestalons.—Wendy!Finnm’appela,maisjecontinuaidem’éloigner,déterminée.—Jesuistropfatiguéepourtoutça,Finn,marmonnai-jeavantd’entrerdansmachambre.Àpeineavais-jereferméquejem’appuyaicontrelaporteetquej’éclataiensanglots.Jenesaispas
pourquoi, d’ailleurs.Cen’était pas queFinnmemanquait.C’était plutôt comme si je ne parvenaisplusàmaîtrisermesémotions.Ellesm’envahissaientendéclenchantdespleursdésespérés.Jem’écroulaisurmonlitetdécidaiqueleseulremèdeseraitdedormirprofondément.
DIX-HUITSecrets
IlfallutvingtminutesàDuncanpourmeréveillerlelendemainmatin.Ilessayad’aborddefrapperàlaporte,mais jen’entendis rien.Quand ilme secouaaprès être entré, celaneme réveillapasnonplus.Ilfutalorsconvaincuquej’étaismortejusqu’àcequeTovesurgissepourm’aspergerlevisaged’eau—Quesepasse-t-il,bonsang?m’écriai-jeenm’asseyant.De l’eau coulait sur mon visage et je clignai des yeux pour voir Tove et Duncan à travers les
gouttes.Tousdeuxsetenaientlatête.Moncœurbattaitfortetj’écartailescheveuxdemesyeux.—Vousl’avezencorefait,princesse,ditToveensefrottantlestempes.—Quoi?demandai-je.Qu’est-cequisepasse?—Cetteclaqueavecvotrecerveau.TovegrimaçaitencoreetDuncanavaitdéjàbaissésamain.—Nous vous avons effrayée en essayant de vous réveiller, et tout en dormant, vous avez réagi
violemment.Maiscelasedissipemaintenant.—Désolée.Jesortisdulitdansmonpyjamatouttrempé.—Celan’expliquepourtantpasladouche.—Vousnevousréveilliezpas.Duncanexpliquacequis’étaitpasséavecdegrandsyeuxremplisd’inquiétude.—J’aieupeurquevousnesoyezmorte.—Jet’aiditqu’ellenel’étaitpas.Toveluilançaunregardsanséquivoqueenouvrantgrandlesmâchoirespourlesétireretessayer
dedissiperladouleurprovoquéeparlaclaquequejeluiavaisaccidentellementoctroyée.—Vousallezbien?demandaDuncanenapprochantdemoipourdétecterd’éventuellesblessures.—Oui,jevaisbien,endehorsd’êtremouilléeettoujoursfatiguée.—Pasd’entraînementaujourd’hui,m’informaTove.—Quoi?Jemetournaivivementverslui.—Pourquoi?Jecommencetoutjusteàyarriver.—Jesais,maisc’est tropéreintant, répondit-il.Vousallezvous faireuneélongationouquelque
chosedugenre.Nouspourronsnousexercerdavantagedemain.J’essayaideprotester,maisdefaçonsipeuconvaincantequeTovenem’écoutamêmepas.Lefait
estqu’aprèsunebonnenuitdesommeil,jemesentaistoujourscomplètementépuisée.Toutuncôtédemoncerveaumeparaissaitétrangementengourdi,commesiunemoitiédemacervellesommeillait.Cequin’étaitévidemmentpaslecaspuisquejenevenaispasdesubirunaccidentcérébral.Maiseneffet,j’avaisbesoindefaireunepause.Tovepartitfairecequ’ilfaisaitgénéralementdesontempslibreetDuncanmepromitunejournée
dedétente,quecelameplûtounon.
Dans l’ordredeschoses, ilme fallaitcommencerparôtermesvêtementsmouillés,puisprendreunedouche.Quandjesortisdelasalledebain,jetrouvaiDuncansurmonlitdéfait.Ildressaitlalistedes choses agréables qu’il serait possible de faire pendant la journée, mais rien ne me semblaitvraimentemballant.— Trouves-tu relaxant de bavarder avec des amis ? lui demandai-je en essuyant mes boucles
mouilléesavecuneserviette.Commej’avaistoujoursmalàlatête,jepréférais,pourchanger,gardermescheveuxdéfaits.—Oui,affirmaDuncansansconviction.—Bien.Danscecas,jesaisquoifaire.Jejetailaserviettesurunechaise,etDuncansedéplaçasurlecôtédulit.—Quoi?Duncanm’observaenplissantlesyeux.Commejen’avaispasmanifestéd’enthousiasmepourses
idées,ilsemontraittrèsméfiantenverslamoindredemesenvies.—Jevaisallerbavarderavecunami,dis-je.—Quelami?Sautantdulit,Duncanmesuivitdeprèsalorsquej’ouvraislaportedelachambre.—Justeuncopain.Jehaussailesépaulesenempruntantlecouloir.—Vousn’avezpastantd’amisqueça,fitremarquerDuncan.Commejefissemblantd’avoirl’airoffensée,ils’empressad’ajouter:—Pardon.—Çava.C’estexact,dis-jetandisquenouspassionsdevantleschambresdeRhysetdeMatt.—Oh,non.Duncansecoualatêtequandilcomprit.—Princesse,vousêtescenséevousreposer,etdureste,lemarkisvittraestloind’êtreunami.—Iln’estpasnonpluscequ’onpeutappelerunennemietjesouhaitejusteluiparlerunpeu.—Princesse,soupira-t-il.C’estunemauvaiseidée.—J’aibiennotétesinquiétudes,Duncan,etmêmesijenetienspasàabuserdemonautoritésur
toi,jesuistoutdemêmelaprincesse.Tunepeuxdoncm’enempêcher.—Vousnedevezpasluiparler,c’esttout,ajoutaDuncanenmesuivantdeprès.Lareineadonné
desinstructionsauxgardesaprèsvotredernièrevisite.—Situn’approuvespas,tun’espasobligédevenir,affirmai-je.—Biensûrquejeviens,rétorqua-t-il,irrité,enaccélérantlepas.Jenevaiscertainementpasvous
laisserluiparlerentêteàtête.—Jeconnaistescraintes,maistoutirabien.Jeleregardai.—Jeneveuxpasquetutemettesdansl’embarraspourmoi.Situdoisrester,trèsbien.—Non,pastrèsbien.Ilmeregardaitavecunairdereproche.—Mafonctionveutquejevousprotègeetnonl’inverse,princesse.Nesoyezpassipréoccupéepar
mapropresécurité.Au moment d’atteindre l’escalier, un gros tapage se fit entendre. Quelqu’un frappait à la porte
d’entrée, ce qui n’arrivait jamais, car en général, les gens utilisaient la sonnette qui carillonnaitbruyamment.Étonnamment calme, Elora pénétra dans la rotonde et se dirigea vers la porte, la longue traîne
noiredesarobebalayantlemarbrederrièreelle.Nousétionstoujoursàl’étage,avecunevueplongeantesurElora,maiscommejenevoulaispas
risquerqu’ellemevît, jemebaissaipourmecacherderrière la rambarde.Duncanfitdemême.JedistinguaisparfaitementEloraàtraverslesbarreauxenbois.Elle était seule, et avantd’ouvrir laported’entrée, elle s’arrêtapour regarderderrière elle.Son
visageétaitpluslisseetavaitl’airmoinsvieilliquel’autrejour,maissescheveuxétaientparcourusdedeuxnouvellesmèchesblancheséclatantes.—Pourquoiva-t-elleouvrirlaporte?murmuraDuncan.Etsansaucungardeauprèsd’elle?—Chuuut!Jelefistaired’ungestedelamain.Nevoyantpersonneàl’horizon,Eloraouvritlaporte.Uncourantd’airglacials’engouffradansle
hall d’entrée et Elora dut retenir la porte pour l’empêcher de se refermer sous l’effet de labourrasque.UnefemmesefaufilaetElorarepoussalalourdeporteavectoutelagrâcedontelleétaitcapable.
Lacapuchedesacapevertfoncécachaitlevisagedelafemmequiportaitunerobeensatinbordeaux,dontlebas,humideetsaliparleséléments,flottaitautourd’elle.—C’esttellementgentilàvousd’êtrevenueparcetemps.Elorasefenditd’unsourire,lemodèlecondescendant.Elle remit ses cheveux en place de façon que les mèches blanches y soient moins visibles. La
femmeneditrienetElorafitungesteverslepremierétage,cequimeparutbizarre.L’ailesuddurez-de-chausséeétaitcelleoùseconduisaientlesaffairesduroyaumeetElora,aucontraire,dirigeaitsoninvitéeverssesappartementsprivés.—Venez,ditEloraalorsqu’elleetl’inconnuetraversaientlehall.Nousavonsbeaucoupdechoses
àvoirensemble.J’attrapai lebrasdeDuncanpournousprécipiterdanslecouloiravantqu’Eloranecommençâtà
monter les escaliers. Il n’y avait sur le palier qu’un placard à balais, dont j’ouvris la porte aussisilencieusementquejepus.Unefoisàl’intérieur,jetirailaportetoutdoucement,ennelaissantqu’unepetitefentepermettant
devoircequisepassait.Duncan,coincédansmondos,s’appuyaitcontremoipourtenterluiaussidedistinguerquelquechosepar le trou,et je lui filaiuncoupdecoudedans l’estomacpourqu’ilmelaissâtrespirer.—Aïe!grogna-t-il.Silence!grondai-je.—Vousn’êtespasobligéedehurler,chuchotaDuncan.—Jen’aip…
J’étaissurlepointdeluidirequejen’avaispascriéquandjecomprisqu’enfait,jen’avaismêmepasparlé.J’avaisàpeinepensélemotqu’ilavaitentendu.Jevenaisdefaireletruchabitueld’Elora,quiconsistaitàparlerdirectementaucerveaudesgens.Duncan, tum’entends ? demandai-je dansma tête pour réessayer,mais il ne répondit rien. Il se
tenaitseulementsurlapointedespiedspourregarderpar-dessusmatête.J’auraisbienrecommencé,maiscommej’entendisEloraatteindrelehautdel’escalier,jepréférai
meconcentrersursonpassage.Ellesetenaitentrel’inconnueetleplacardàbalais,etjeneparvinspasàvoirlevisagedelafemme,toujoursàdemidissimuléparlacapuchevertedesacape.J’attendis quelques secondes qu’elles soient passées pour ouvrir la porte du placard. En me
penchant un peu, je vis leurs deux silhouettes s’éloigner dans le couloir. Elles passèrent devant lepisteur,leseulgardienaupremierétage,quimontaitlagardedevantlacelluledeLoki.Lerez-de-chausséegrouillaitdegardes.Ilyenavaitenpermanenceunoudeuxdansmonproche
environnementmais,enrevanche,lepremierétageétaitplutôtdésert.—PourquoiEloraferait-ellevenirquelqu’unàcetétage?demandaDuncanenfaisantunpasde
côtépouressayerdelesvoir.—Jenesaispas.Sais-tuoùellessedirigent?—Non,lareinenem’invitejamaisdanssesquartiersprivés,indiquaDuncan.—Ouais,moinonplus.Jedécidaid’espionner la reinepourcomprendrepourquoielleagissait si secrètement.Suiviede
près par Duncan, je longeai le mur, aussi étroitement que possible. Nous avions l’air de deuxpersonnagesdeLooneyTunesquand ilsessaientdesecacherderrièredesarbres longilignesoudepetitsrochers.Elora poussa une énorme porte au bout du couloir et je m’immobilisai. C’était sa chambre à
coucher.Jen’yavaisjamaispénétré,maisc’étaitcequ’onm’avaitexpliqué.Jemepressaicontrelemurenm’aplatissantautantque jepus, etquandElora se retournapour refermer laportederrièreelle,parchance,ellenelevapaslesyeux.—Qu’est-cequ’ellepeutbienfaire,nomd’unepipe?demandai-je.—J’allaisteposerlamêmequestion,ditLoki,meprenantcomplètementparsurprise.Sachambren’étaitqu’àuneoudeuxportesde l’endroitoùnousessayionsdenouscacher.Loki
s’adossa au chambranle de sa porte, aussi loin qu’il pouvait prétendre avancer dans le couloir et,commeils’adressaitàmoi,songardienledévisagea.Ayant concentré toute mon attention sur les déplacements d’Elora, j’avais oublié que Loki était
retenuprisonnieraumêmeétage.Jem’écartaidumuretmeredressaienlissantmescheveuxencoremouillésdumieuxquejepus.—Celaneteregardevraimentpas.Àdessein,jem’approchailentement,cequidéclenchachezluiunpetitsouriresuffisant.—Jem’enfichepasmal,maistoiettoncopainlà,ditLokiendésignantDuncan,vousavezl’airde
deuxrecaléssortisd’unesuperécoled’espions.—Jesuisravied’apprendrequetut’enfiches,dis-jeencroisantlesbras.—Maisjesuiscurieux.
LefrontdeLokiseplissacommepourmanifesterunréelintérêt.—Pourquoiespionnes-tutapropremère?—Vousn’avezpasàrépondreàsesquestions,princesse,ditlegardienenjetantsurLokiunregard
oblique.Jepeuxfermerlaporteetvouspouvezvousenaller.—Non,çava.Jeluisourispolimentavantd’envoyeruncoupd’œilsévèreàLoki.—As-tuvuavecquiparlaitmamère?—Non.LesouriredeLokis’agrandit.—Etjepariequetoinonplus.—Toutcecinemeparaîtpastellementrelaxant,princesse,intervintDuncan.—Duncan,çava,jevaisbien.—Mais,princesse…Duncan!Àmagrandesurprise,matransmissiondepenséel’atteignitdenouveaudepleinfouetet
jemedépêchaid’enprofiter.Leregardant,jedisdansmatête:Jevaisbien.S’ilteplaît,entraînelegardienailleurs.—Bien.Duncansoupira.Ilsetournaverslegardien.—Laprincesseabesoind’êtreseuleunmoment.—Maisj’aireçudesconsignestrèsstrictes…—Elleestlaprincesse,ajoutaDuncan.Tenez-vousvraimentàdiscutersesordres?Autant que le gardien, Duncan semblait contre l’idée deme laisser seule. En s’éloignant, il me
regardaavecunairdereproche,etlegardemaugréaenexpliquantqu’ilauraitdestasdeproblèmessilareineapprenaitcequisepassait.—Jevoisquetuasapprisunnouveautour,ditLokiengrimaçant.—J’aiplusd’untourdansmonsac,dontcertainsquetunesoupçonnesmêmepas,dis-je.Lokiarquaunsourcilensigned’approbation.—Situveuxmemontrerunoudeuxtrucs,maporteesttoujoursouverte.Ilmontraitsachambre.Ilfitunpasdecôtépourmelaisserpasseraucasoùjesouhaiteraisentrer.Jene saispasceque j’avaisen têteexactement,mais je leprisaumot. Je franchis le seuilen le
frôlantlégèrementaupassage.Puisqu’iln’yavaitpasdechaise,jem’assissursonlit,aussidroitequepossible.Jenevoulaispasavoirl’airàl’aise,niluiinspirerdefaussesidées.—Faiscommecheztoi,princesse,plaisantaLoki.—Jesuischezmoi,luirappelai-je.C’estmamaison.—Pourlemoment,indiquaLokiens’asseyantsurlelit.Ils’arrangeapours’asseoirprèsdemoietjebougeaisurlecôtédefaçonàlaisserunmètreentre
nous.—Jevoiscequec’est,ajouta-t-il.—Tovem’aparlédetoi.Jesaiscombientuespuissant.— Et pourtant, tu viens seule dans ma chambre ? demanda-t-il en se penchant en arrière et en
s’appuyantsurlesbraspourmeregarder.—Tusaiscommejesuispuissante,rétorquai-je.—Touché.—Connaissant ta force, le roi t’avait confié lamissiondeme surveiller, dis-je.Tum’as laissée
filer.—C’estunequestion?Lokidétournalesyeuxetôtauneéchardedesachemisenoire.—Non.Jesaisquec’estcequetuasfait.Jecontinuaideledévisager,espérantquecelafiniraitparluifairelâcherquelquechose,maisson
expressionnefitqueserenfrogner,commes’ils’ennuyaitdeplusenplus.—Jeveuxsavoirpourquoitum’aslaisséepartir.—Princesse,quandtuesentréedansmachambre,jepensaisquetuvoulaist’amuseretnonparler
politique.Roulantsurlecôté,ilfitlamoueetmeregardaenaffichantunfauxairabattu.—Loki,jesuissérieuse!—Moiaussi.Ilserassitbiendroit,enprofitantdel’occasionpours’approcherplus,unemainappuyéesurlelit
justederrièremoi,desortequesonbrasmefrôlaitledos.—Pourquoirefuses-tudemedirelaraisonpourlaquelletum’aslaisséem’enfuir?demandai-jeen
m’efforçantdegarderlemêmeton,toutenleregardantdroitdanslesyeux.—Pourquoitiens-tutantàlesavoir?demanda-t-ild’unevoixgraveetsérieuse.—Parceque.J’aibesoindesavoirsitutefichesdenousounon.—Etsic’étaitlecas?Ilgardalesyeuxbraquéssurmoienlevantlementonensignededéfi.—Tumeferaisexécuter,alors?—Non,biensûrquenon,dis-je.Ilhochalatêteenm’examinant,etsoudain,ilcomprit.—Tuesenfaitconsternéeparcetteidée.—Oui,exactement.Maintenant,vas-tumedirepourquoitum’aslaisséefiler?—Pourlamêmeraisonsansdoutequetuneveuxpasmetuer.—Jenecomprendspas.Jevoulaissecoueretbaisserlatête,maisj’avaistroppeurdebriserlecontactavecsonregard.Je
necherchaispasàuserdepersuasionsurluiouquoiquecesoitdanscegenre,maisc’estseulementenparvenantàmaintenirsonattentionquejepouvaisobtenirqu’ilcontinuâtdeparler.—Jecroisquetucomprends,princesse.Ileutdumalàavalersasaliveetprituneprofondeinspirationavantdecontinuer.— Je sais ce que c’est que d’être prisonnier et il m’a semblé réconfortant de voir quelqu’un
s’échapper,pourunefois.—Jeveuxbiencroireça,admis-je.Maispourquoirevenirensuiteici?Pourquoimelaisserpartir
sic’étaitpourrecommenceràmepoursuivre?
—Jetel’aidéjàdit.Ordresduroi.—Ilt’aenvoyéiciseul?—Pasexactement.Lokihaussalesépaules,maissansmelâcherdesyeux,metransperçantpresqueduregard.—J’aidemandéàvenirseul.Jeluiaiditque,puisquetumefaisaisconfiance,jepouvaisobtenir
quetureviennesavecmoi.Moncœurbondit.Jesavaisquej’auraisdûm’énerveretm’enprendreàlui,maisjenelefispas.—Tucroisvraimentcequetudis?luidemandai-je.—Jenesaispas.Mais jen’aipascherchéàplanifierquoiquecesoit.Toutceque jemedisais,
c’estquesilesautresvenaientavecmoi,ilsn’auraientdecessedet’avoirramenéeaveceuxetjenetrouvaispascelahonnête.—TunevasdoncpasessayerdemetraînerdeforceàOndarike?m’enquis-je.Ilplissaunpeudesyeuxcommes’ilréfléchissaitréellementàlachose.—Non.Ceseraitbientropd’ennuis.—Tropd’ennuis?interrogeai-je,sceptique.Nepourrais-tupassimplementm’étourdirànouveau
etmejetersurtesépaules?Oumieuxencore,pourquoinepasl’avoirfaitquandtuesarrivéici,aulieudetelaisseremprisonner?—Jenemesuispaslaisséemprisonner.Iléclataderire.—C’estvraiquejenemesuispasbattuautantquej’auraispu,maislàn’estpaslaquestion.Jene
voulaispast’emmenerdeforce.Jevoulaisjustefairecommesij’avaisessayé,pourqueleroin’aitplusderaisondevouloirmamort.Jepenchailatêtepourl’observer.—Tun’esdonciciqueparcequetucherchesàsauvertapeau?—Çaenatoutl’air,non?—Viens-tudemefairequelquechose?luidemandai-je.Je me sentais soudain un peu étourdie et mon pouls s’accélérait. Ses yeux caramel semblaient
m’hypnotiser et mon estomac faisait des siennes. La seule fois où j’avais éprouvé une sensationsemblableavaitétéaucontactdeFinn.EtjenevoulaissurtoutpasimaginerquejepouvaisressentirquelquechosedesimilaireavecLoki,commesi j’étaisattiréepar lui.JepréféraispenserqueLokim’avaitlancéundesessortilèges,unpeucommelorsqu’ilm’avaitendormie.—Commequoi?Lokihaussaunsourcilensigned’étonnement.—Jenesaispas.Quelquechosecommele tourdemagieavec lequel tum’ashypnotisée l’autre
jour.—Non.Jenefaisriendetel.Illaissaéchapperunlongsoupir,presquederegret.—Etjedoutefortquejenelerefasse.—Pourquoicela?questionnai-je.Il revêtit un sourire légèrement en biais tandis qu’il approchait plus près demoi. L’espace d’un
instant, j’euspeurqu’il ne cherchât àm’embrasser, et commemoncœurbattait la chamade, jemerendiscomptequejecraignaisplutôtqu’ilnelefîtpas.Ilnemequittaittoujourspasdesyeuxetcefutmoiquibaissailesmienspourscrutersonvisage.
Avec son teint bronzé, lisse et sans défaut, une mâchoire solide et pourtant délicate, Loki étaitétonnantdanssongenre,etilmesemblequej’avaisessayédel’ignorerdepuislapremièrefoisoùjel’avaisrencontré.Ses lèvres allaient toucher les miennes quand il s’arrêta net. Je sentis le souffle chaud de sa
respirationsurmajoue.—Jeveuxsavoir si,quand tuesavecmoi, tu t’y trouvesde tonpleingréetnonparceque tuy
seraisforcée.Ils’interrompit.—Etlà,jevoisquetunebougespas.—Je…je…J’essayaidebafouillerquelquechoseavantdedétournerleregardetdesauterdulit.—Etalors,quisefichedequi,maintenant?Lokisoupiraets’allongeaànouveausurlelitenmeregardant.Inspirantungrandcoup,jecroisailesbrassurmapoitrine.—Wendy!criaDuncanduboutducouloir.JetournailatêtepourvoirFinn,qui,deboutdansl’encadrementdelaporte,nouslançait,àLokiet
moi,unregardnoir.—Princesse,tudoisquittercettepièceimmédiatement,ditFinn.Savoixsemblaitposée,maisjesentaisbienqu’àl’intérieur,ilfulminait.—Dequois’agit-ilexactement?demandaLokienmeregardantconfusément.Pourquoitousces
pisteurstedonnent-ilssansarrêtdesordres?Tuespresquereine.Tuaslepouvoirsurtout.—Tuferaismieuxdelafermeravantquejenet’yoblige,Vittra,décochaFinn,lesyeuxbrûlants,
enfixantLokiduregard.Desoncôté,Loki,quinesemblaitpasmenacélemoinsdumonde,semitàbâiller.—Finn…soupirai-jetoutenquittantlapièce.JenepouvaisparleràLokidevantFinnetnesouhaitaispasavoirunealtercationavecFinndevant
Loki.—Pasmaintenant,princesse,ditFinnentresesdents.Dèsquejefussortiedelachambre,Finnattrapalaporteetlaclaquaderrièrelui.Jeluifisface,me
préparantàletancerpoursonexcèsdezèle,maisilm’attrapalebrasavantquej’eneusseletempsetm’entraînadanslecouloir.—Finn,çasuffit!J’essayaidedégagermonbras,maisilétaitphysiquementbienplusfortquemoi.—Lokiaraison.Tuesmonpisteur.Cessedemetirercommeçaetdemedirecequej’aiàfaire.—Loki?L’airsceptique,Finns’arrêtapourmedévisager.—Tuas appelépar sonprénomunprisonniervittraqui a essayéde t’enlever et tuvoudraisme
donnerdesleçonsdepossessivité?—Jenetedonnedeleçonsurriendutout!m’écriai-jeenréussissantàdégagermonbrasdeson
emprise.Maissijedevaislefaire,ceseraitpourt’expliquerquetuesunvéritablecrétin.—Hé,vousdevriezvouscalmerunpeu…tentades’interposerDuncan.Toutpenaudetinquiet,ilsetenaitàquelquesmètresdenous.—Duncan,n’essaiepasdem’expliquercommentfairemonboulot!lançaFinnenlemenaçantde
sondoigt levé.Tues lepisteur leplusnul et incompétentque j’aievudemavie, et à lapremièreoccasion,j’entoucheraiunmotàlareinepourqu’elleterenvoie.Crois-moi,c’estunefaveurquejetefais,carelledevraittoutsimplementtebannir!LevisagedeDuncanserenfrognaetpendantunmoment,jecrusqu’ilallaitsemettreàpleurer.Au
lieudecela,ilsecontentadenousregarder,bouchebée,puisbaissalesyeuxavantd’acquiescer.—Finn!hurlai-je.J’auraisvoululegifler.—Duncann’arienfaitdemal!CommeDuncantournaitlestalonspours’enaller,jelerappelai:—Duncan,non.Inutiledepartir.Ilcontinuasoncheminetjen’insistaipas.Peut-êtreaurais-jedû,maisjesouhaitaisd’abordm’en
prendreàFinn.— Il n’a fait que te laisser seule avec le Vittra ! s’écria Finn. Je sais que tu as des penchants
morbides,maisc’estleboulotdeDuncandet’empêcherd’agirainsi.— Je suis en train d’en apprendre davantage sur les Vittras pour mettre fin à cette bataille
lamentable!ripostai-je.Danscecadre-là,j’interrogeaisunprisonnieretjenevoispascequecelaad’extraordinaire.J’étaisenparfaitesécurité.—Ahoui,un«interrogatoire»,lançaFinn.Tunefaisaisqueflirteraveclui.—Flirter ? répétai-je en levant les yeux au ciel. Tu te comportes de façon infecte parce que tu
pensesquej’étaisentraindeflirter?Cen’estpascequejefaisais,etmêmesiçaavaitétélecas,çanetedonnenullementledroitdenoustraiter,moi,Duncan,oun’importequi,decettefaçon.— Je ne suis pas infect, insista Finn. Je fais mon travail. Du reste, ceux qui fraternisent avec
l’ennemi sont méprisés, princesse. Si lui ne te fait pas de mal, les Vittras ou les Trylles ne s’enpriverontpas.—Nousnefaisionsqueparler,Finn!— Je t’ai vue,Wendy, renvoya Finn. Tu flirtais. Tu avais même défait tes cheveux avant de te
faufilerdanssachambre.—Mescheveux?Jelestouchai.—Jenelesavaispasattachésparcequej’avaismalàlatêteàforced’entraînementetquiplusest,
jenemesuispasfaufilée.J’étais…Non,tusaisquoi?Jen’aipasàt’expliquerquoiquecesoit.Jen’airienfaitdemaletjen’aiaucuneraisonderépondreàtoninquisition.—Princesse…—Non,jeneveuxplusrienentendre!éclatai-jeensecouantlatête.Jeneveuxvraimentpasdecela
maintenant.Va-t’en,Finn,c’esttout!Jeluitournailedospourreprendremarespiration.Jelesentaisquiattendaitdeboutderrièremoi.
Finalement,ilpartit.Jem’entouraidemesbraspourneplustrembler.Jenemesouvenaispasdeladernièrefoisoùj’avaispiquéunetellecolère,etjen’arrivaispasàcroirequeFinnaitpus’adresseràmoietDuncandecettemanière.Àl’autreboutducouloir,laportedelachambred’Elora,quifitunbruitens’ouvrant,metirade
mespensées.Sansprendrelapeinedemecacher,jelevailesyeuxpourvoirElorapousserlalourdeporte.Lafemmeàlacapevertesortit,etcommeellen’avaitpasremissacapuche,jepusdistinguerson
visage.EllesouritàElora,dumêmesourireplastiqueethypocritequ’elleavait toujourseu.Quandellem’aperçut,sonsourirenes’effaçapas.C’étaitAurora,etjen’avaisaucuneidéedelaraisonpourlaquelleellevoyaitmamèreensecret.
DIX-NEUFArrangements
IlmefallutfaireungroseffortpourpersuaderDuncanderester.Jeletrouvaientrainderépétersondiscoursdedémission.Ilétaitterrifiéàlapenséed’avoirpunoustrahir,lareineoumoi,maisaprèsquej’eusréussiàluifairecomprendrequ’iln’enétaitrien,ilacceptaderester.Jepassailerestedelajournéeàmeconformeràchacunedesessuggestions,ycompriscellequi
voulait que je me reposasse tranquillement. Ce qui signifiait que, même si mon esprit parcouraitcentmètresàlaseconde,jedevaism’étendresurmonlitetregarderuneséried’épisodesdeMadameestserviesurlachaîneHallmarkencompagniedeDuncan.Maislapausem’avaitfaitdubien.Enmeréveillantlejoursuivant,ilnemesemblapasquej’avais
récupéré toute mon énergie, mais j’avais l’air suffisamment reposée pour que Tove proposât dereprendrel’entraînement.Pendantlaséance,j’expliquaiàTovequej’avaisusédetransmissiondepenséesurDuncan,etque
çan’avaitmarchéquelorsquej’étaisfâchée.Partantdececonstat,Tovepassalamajeurepartiedelamatinée à tenter de m’énerver pour que je m’en servisse. Quelques fois, ça marchait mais, dansl’ensemble,jen’étaisagacéequ’enpureperte.NousnouspréparionsàfaireunepausedéjeunerquandThomassurgit.Depuisqu’ilétaitrevenuau
palais,ilsurveillaitEloraetellel’avaitenvoyémechercher.—Alors…commençai-je, histoire de remplir le silencepar dubavardage tandis quenousnous
dirigionsversl’atelierd’Elora.Çasepassecommentdepuisvotreretouraupalais?Je le regardai.Mêmes’ilyavaitdans sonallurequelquechosedeplusdoux, sescheveuxbruns
lissés en arrière le faisaient ressembler davantage à Finn.Une chose étrangeme traversa l’esprit,qu’ilavaitl’aird’unhommeentretenu.—C’était différent à l’époque où je vivais ici,me réponditThomas de lamême façonposée et
détachéequeFinn.—Ahbon?m’enquis-je.—Lareineaimequ’onrefasseladécoration,ditThomas.—Ellenem’ajamaissemblétrèsamoureusedeladécoration,dis-jehonnêtement.—Lesgensnesontpastoujourscedontilsontl’air.Comme jen’avais rienà ajouter à cela,nouspoursuivîmesnotre chemin jusqu’aupetit salonen
silence.Thomasmetintlaportepourquej’entrassedanslapièce,oùjetrouvaiElora,allongéesursaméridienne.—Merci,Thomas.Eloraluisourit,d’unsourirequiétaitprobablementleplussincèrequejeluieussejamaisconnu.Thomas fit une révérence avant de s’en aller,mais il ne dit rien. Je trouvais cela presque triste.
Enfin,jel’auraispeut-êtreconsidéréainsisij’avaisapprouvéquemamèreaituneaventureavecunhommemarié.—Tuvoulaismevoir?demandai-jeàEloraenm’asseyantsurlecanapéleplusprèsd’elle.—Oui.J’auraispréférétevoirdansmonbureau,mais…
Elle hocha la tête et s’interrompit, comme si je savais ce que cela voulait dire.Même simoinséprouvéequeladernièrefois,ellesemblaitencoreépuisée,maisenvoiederétablissement.—As-tufaitdesprogrèsaveclesVittras?demandai-jeencore.—Enfait,oui.Elora,quiétaitallongée,seredressadefaçonàs’asseoirunpeumieux.—J’aiétéencontactaveclareinedesVittras.ElletientbeaucoupaumarkisStaadpourdesraisons
quim’échappent,maiselleestdésireused’accepterunéchange.—Voilàuneexcellentenouvelle,dis-je,mêmesimonenthousiasmeétaitunpeuforcé.BienquecontentequeLokinesoitpasexécuté,jemesentaisbizarrementunpeutristedelevoir
partir.—Eneffet,acquiesçaElora.Ellen’avaitcependantpasl’airheureuse.Ellesemblaitfatiguéeetmélancolique.—Quelquechosenevapas?demandai-jegentiment.Ellefitunsignedetêtenégatif.—Non,enréalité,tout…suitsoncours.Ellelissasarobeens’efforçantdesourireunpeu.—LesVittrasontacceptédeneplusattaquerjusqu’àaprèslecouronnement.—Lecouronnement?m’enquis-je.—Lecouronnementlorsduqueltudeviendrasreine,expliquaElora.—Maisjeneseraipasreineavantunbonmoment,non?demandai-je,avecunecertainenervosité.Malgrél’entraînementintensifquej’avaissuivirécemment,jenemesentaisabsolumentpasprête
pourgouverner.—Jeveuxdire,untrèslongmoment,n’est-cepas?—Pasavantunmoment,non,ditEloraensouriantévasivement.Mais le tempsa ledondevous
rattraperplusvitequ’onnecroit.—Entoutcas,jenesuispasdutoutpressée.Jemereculaidanslefondducanapé.—Tupeuxgarderlacouronneaussilongtempsquetuveux.—C’estcequejeferai,meréponditElora,enriantcettefois.Maissonriresonnaitcreuxettriste.—Attends.Jenecomprendspas.Leroiaacceptédefairelapaixjusqu’àaprèsmoncouronnement,
non?Maisalors,nesera-t-ilpastroptardpourm’enlever?—Orencroittoujourspouvoirs’emparerdetoutcedontilaenvie.Etcommeilnedésirequece
quialeplusdevaleur,ilsaitquetuenaurasbienplusunefoiscouronnée.Ildoits’imaginerquetuserasensuiteunemeilleurealliée.—Pourquoiserais-jeunealliée?demandai-je.—Tuessafille,répondit-ellepresqueavecregret.Ilnevoitpaspourquoitunepartageraispasses
vues.Ellemefixaitdesonregardsombretoujoursdistant.—Tudoisteprotéger,princesse.Nefaisconfiancequ’auxpersonnesprochesdetoi,etpartousles
moyens,défends-toi.—J’essaie,larassurai-je.JemesuisentraînéetoutelamatinéeavecTove,quitrouvequejefaisdes
progrès.—Toveesttrèspuissant,acquiesçaElora.C’estpourquoiilestessentielquetuleconservesprèsde
toi.—Ilestlogéauboutducouloir,nonloindemachambre,dis-je.—Ilestpuissant,poursuivit-elle.Maispasassezpourgouverner.—Jenesaispas,dis-jeenhaussantlesépaules.Ilesttrèsperspicace.—Etfarfeluetsouventirrationnel.Sonregardrestavaguependantunmoment.—Maisilestloyaletseratoujoursdetoncôté.—Oui…Jenevoyaispasbienoùellevoulaitenvenir.—Toveestunchictype.—Jesuissoulagéedetel’entendredire.Elorasoupiraensefrottantlatempe.—Jen’auraispaseul’énergiedemequerelleravectoiaujourd’hui.—Nousquerelleràproposdequoi?—Tove.Ellemeregardacommesic’étaituneévidence.—Jenetel’aipasdit?—Medirequoi?Jemepenchaienavant,totalementabasourdie.—Jecroyaistel’avoirsignifiétoutàl’heure.Sonfrontseplissa,marquantdavantagederides.—Toutvasivite.—Quoi?Commençantàm’inquiéterpourelle,jemelevai.—Dequoiparles-tu?—Tuviensàpeined’arriver,etjepensaisavoirplusdetemps.Ellesecoualatête.—Enfin,detoutefaçon,toutestarrangé.—Maisdequoiparles-tu?répétai-je.—Tonmariage.Elora leva les yeux versmoi, se demandant pourquoi je ne comprenais pas ce qu’ellem’avait,
selonelle,déjàexpliqué.—ToietToveserezmariésdèsquetuaurasatteinttesdix-huitans.—Ouah!Jelevailesmainsenfaisantunpasenarrière,commesiceladevaitmeprotégerdequelquechose.—Quoi?
—C’estleseulmoyen.Elorabaissalesyeuxetsecoualatête,commepoursignifierqu’elleavaitfait toutcequiétaiten
sonpouvoirpourl’éviter.EtconnaissantsonaversionpourAurora,jen’eusaucunepeineàimaginerqu’elleavaittoutfaitencesens.—Pourprotégerleroyaumeetlacouronne,ajouta-t-elle.—Quoi?répétai-je.Maisjevaisavoirdix-huitansdanstroismois.—Aumoins,Aurora s’occupera de tout, dit Elora d’un ton las.D’ici là, elle saura préparer le
mariagedusiècle.—Non,Elora.Jelevaietsecouailesmainsverselle.—JenepeuxpasépouserTove!—Etpourquoidonc?s’enquit-elleenclignantdesyeux.—Parcequejenel’aimepas!—L’amourestuncontedeféesracontéparlesmänksàleursenfantspourqu’ilsleurdonnentdes
petits-enfants,ditEloraenécartantmaréponse.L’amourn’arienàvoiraveclemariage.—Je…Tunepeuxdécemmentpast’attendreàcequeje…Jesoupiraiensecouantlatête.—Jenepeuxpas.—Tudoislefaire.Elorasesoulevadesaméridienneenpoussantsursesbras.Puis,elleselevaetseretintunmoment
au dossier, comme si elle allait tomber. Une fois certaine d’avoir retrouvé son équilibre, elleapprochademoi.—Princesse,iln’yapasd’autresolution.—Desolutionàquoi?questionnai-je.Jepréfèrenepasêtrereineplutôtqued’épouserquelqu’un
quejen’aimepas.—Nedispascela!lançaElora,sonvenind’autrefoisayantcommeresurgidanssesparoles.Une
princessenedoitjamaisdireça!—Bien…Jenepeuxpas!Jerefusedel’épouser!Pasplusluiquequiconquecontremavolonté!—Princesse,écoute-moi.Elorasaisitmesbrasenmeregardantdroitdanslesyeux.—LesTryllespensentdéjàque l’ondevrait te renvoyerchez lesVittrasauprèsde tonpère,et il
n’enfaudraitpaspluspourréjouirAuroradetesavoirainsidestituée.—Peuimportelacouronne,ellen’ajamaiscomptépourmoi.—Unefoisdestituée,tuserasexiléepourallervivreaveclesVittras,etjesaisquetunepensespas
tropdemaldumarkisStaad,poursuivitElora.Ilestpossiblequetuaiesraisonencela,maisleroi,lui,estmauvais.J’aivécuavecluipendanttroisans,etj’aidûpartirquandtuesnée,cequiprouvecombiencethommeestmauvais.— Je ne retournerai pas chez les Vittras, dis-je. Je partirai vivre au Canada ou en Europe, peu
importeoù.—Ilteretrouvera.Etmêmesiçan’étaitpaslecas,tondépartsigneraitlafindenotrepeuple.Tove
estpuissant,maispasassezpourdirigerunroyaumeous’opposeràOren.LesVittrasattaqueraientlesTryllespourlesexterminer.Orentueraittoutlemondeici,enparticulierceuxquetuaimes.—Tun’ensaisrien,dis-jeenreculantafind’éviterqu’ellenemetouchât.—Oui,princesse,j’ensaisquelquechose.Sesyeuxcaptèrentmonregard,sasincéritésanséquivoque.— Tu as eu cette vision ? demandai-je en me retournant pour trouver un tableau, une toile
dépeignantledésastredontelleauraiteulaprémonition.—J’aivuqu’ilsavaientbesoindetoi,ditElora.Ilsontbesoindetoipournepasdisparaître.Jenel’avais jamaisvueaussidésespéréeetcelameflanquaunesacréepeur.J’aimaisbienTove,
mais pas de façon romantique, et je ne voulais pas épouser quelqu’un que je n’aimerais pas d’unvéritableamour.Surtoutensachantquej’enaimaisvraisemblablementunautre.MaisEloraplaidaitsacausehabilement.Ellecroyaitsincèrementtoutcequ’elledisait,etmêmes’il
mefaisaithorreurdel’admettre,jesavaisqu’elledisposaitd’unargumentimparable.—Elora…Labouchesècheetlagorgeserrée,jenepusqu’ajouter:—Jenesaispasquoidire.—Épouse-le,princesse,ordonnaElora.Ilteprotégera.— Je ne vais pas épouser quelqu’un juste pour qu’il soit mon garde du corps, répondis-je
calmement.Tovealedroitd’êtreheureuxetj’aimeraisbienavoiraussicettechance.—Princesse,jene…Ellefermafortementlesyeuxenpressantsesdoigtssursestempes.—Princesse.—Jesuisdésolée.Cen’estpascontretoiquejemebats,dis-je.—Non,princesse,je…Elletenditlebraspours’accrocheraudossierducanapéetnepastomber.—Elora?Jemeprécipitaiverselleenplaçantmonbrasderrièresondospourlasoutenir.—Elora,qu’est-cequinevapas?Du sang coulait de ses narines, mais ça n’était pas un simple saignement de nez. J’avais
l’impression qu’une de ses artères avait rompu. Ses yeux basculèrent vers l’arrière et son corpss’amollit.Elles’évanouitdansmesbrastandisquejeparvenaisàpeineàlasoutenir.—Àl’aide!criai-je.Quelqu’un!Àl’aide!
VINGTDynastie
Thomasaccourutlepremier.IlallongeaElorasurlesol,oùellefutprisedeconvulsions,commesiellefaisaitunepetiteattaque.Jem’étais accroupie près d’elle, mais Thomasm’écarta pour pouvoir s’en occuper. Assise par
terre en priant pour que mamère allât bien, je m’appuyai au canapé pendant qu’il essayait de laréanimer.—Wendy,ditFinn.Jenel’avaispasentenduarriver.Jeleregardaiàtraversleslarmesquibrouillaienttout.Ilmetendit
lamainpourquejemeredressasseetmeremissedebout.—VachercherAuroraKroner,ditThomasàFinn.Maintenant.—Bien,monsieur,réponditFinn.Metenant toujourspar lamain, ilm’entraînaprécipitammenthorsde lachambre,car toutn’était
désormais plus qu’une question de minutes. Comme en caoutchouc, mes jambes engourdies mefaisaientdéfaut,maisjem’efforçaisdelesfaireavancer.—RassembleTove,Willa etmêmeDuncan, dit Finn quand nous eûmes atteint le grand hall. Je
reviendraivouschercherensuite.—Qu’adoncElora?luidemandai-je.—Jen’aipasletemps,Wendy.Finn,quisemblaitvraimentpeiné,fitunsignedelatête.—Jereviendraitechercherquandilserapossibledet’endireplus.—Vas-y,dis-jeenl’engageantàfilerenvitesse.Finncourutjusqu’àlaported’entréeetsortitdupalaisenmelaissantdanslehall,seuleetpaniquée.DuncanmetrouvalàoùFinnm’avaitlaissée.Quandlesautrespisteursavaientlancélaprocédure
deconfinement,illesavaitentendusdirequ’Eloras’étaitévanouie.Jelesvoyaismaintenantcourirentoussens,cequin’arrangeaitenrienlefaitquemamèreétaitpeut-êtreentraindemourir.Duncansuggéraquenousmontionsdansmachambre,maisjenevoulaispasm’éloignerautant.Je
voulaisrestertoutprès,aucasoùquelquechoseseproduirait.Nousnousassîmesdanslesalon,oùilessayademeréconforter,sanssuccès.QuandFinn revint quelquesminutes plus tard accompagné d’Aurora, ils se précipitèrent dans le
couloir.Sarobeballonnaitderrièreelleetsescheveuxdéfaitsflottaientdanssondospendantqu’ellecourait.GarrettetWillasurgirentpeuaprès.Garrettdescendits’enquérirdel’étatd’EloratandisqueWilla
s’assit avec moi. Elle mit son bras autour de mes épaules en me rappelant à plusieurs reprisescombienEloraétaitforte.Riennesauraitl’arrêter.—Mais…etsiellemeurt?demandai-jeenfixantlefoyeréteintdelacheminée.Avecceventglacialquicinglaitlesvitres,ilfaisaitterriblementfroidausalon.Duncan,àgenoux
devantl’âtre,essayaitdepuisunmomentd’yallumerunfeu.—Ellenemourrapas,ditWillaenmeserrantplusfort.
—Non,Willa,honnêtement,qu’arrivera-t-ilsilareinedécède?—Ellenedécéderapas.Willas’efforçaitdemesourire.—Nousn’avonspasànouseninquiéterpourlemoment.—Çayest,j’aipresqueréussiàallumerlefeu,déclaraDuncanpourchangerdesujet.—Maisc’estdugaz,Duncan,luiditWilla.Tun’asqu’unboutonàtourner.—Oh.Duncanfitcequ’elleditetuneflammevivemontadansl’âtre.Enobservant la tachedu sangd’Elora surma chemise, je fus surprise devoir dansquel état de
terreurj’étais.Jenevoulaisvraimentpasqu’ellemourût.Elle qui semblait toujours si forte, si pondérée, je me demandais combien elle souffrait en ce
moment. Aujourd’hui, nous nous étions retrouvées dans son atelier, alors qu’elle voulaitme voirdanssonbureau.Jecomprisqu’ellenes’étaitpassentieassezfortepourbouger.Ellen’auraitjamaisdû rester debout ou faire des efforts, encoremoins se quereller avecmoi. Sans le savoir, j’avaiscontribuéàaffaiblirsonétatdéjàfragilisé.Pourquoinem’avait-ellepasditcombienellesesentaitmal?Enréalité,jeconnaissaislaréponse.
Sonsensdudevoirpassaitavanttout.—Princesse,ditFinnenmetirantdemespensées.Ilsetenaitàl’entréedusalon,lestraitsduvisagetendus.—Ellevabien?L’apercevant,jesautaidemonsiègeenm’extrayantdesbrasdeWilla.—Elleademandéàtevoir.Enévitantdecroisermonregard,Finndésignal’atelier.—Elleestréveillée?Elleestvivante?Ellevabien?Sait-ellecequis’estpassé?Est-cequ’Aurora
l’aguérie?demandai-je.Tropdequestionsmesubmergeaientpourqu’ileûtletempsd’yrépondre,maisjeneparvenaispas
àmemaîtriser.—Ellepréféreratouttedireelle-même,ditFinnsimplement.—Çaluiressemblebien,dis-jeenopinant.Elleétaitréveillée,etsiellevoulaitmevoir.C’étaitbonsigne.WillaetDuncanmelancèrentdessouriresréconfortantsquiavaientpourtantdumalàmasquerleur
inquiétude.Jeleurdisquejeseraisvitederetouretquetoutiraitbien.Jenesavaispassic’étaitvraiounon,maisjedevaissoulagerleuranxiétéd’unefaçonoud’uneautre.Je remontai lecouloiravecFinn jusqu’aupetit salon. Ilmarchait lentementetposément. J’aurais
souhaitécourirversElora,maisjem’efforçaideresteràsahauteur.J’entouraimonbusteavecmesbrasenlefrottantdemesmains.—Elleestfâchéecontremoi?luidemandai-je.—Lareine?Finnsemblasurpris.—Non,biensûrquenon.Pourquoileserait-elle?
—Jen’étaispasd’accordavecelle,quandelle…Peut-êtrequesi jenem’étaispasopposéeàcepoint,elleneseraitpastombéeaussi…malade.—Non,tun’yespourrien.Ilsecoualatête.—Enfait,c’estbienquetuaiesétéavecelleàcemoment-là.Encela,tul’assecourue.—Queveux-tudire?—Tuaspuappeleràl’aidepartapensée.Ilsetapalefront.—Nousétionstroploinetsitun’avaispasfaitcela,nousn’enaurionsriensu.Situn’avaispasété
avecelle,Eloraseraitactuellementdansunbienplusfâcheuxétat.—Qu’est-cequinevapasavecelle?luidemandai-jedirectement.Lesais-tu?—C’estàelledeteledire.J’auraisvoulupresserFinndequestions,maisnousétionspresquearrivés.Dureste,jenetrouvais
pasconvenabled’argumenteravecluidanscescirconstances.Soncomportementavaitentièrementchangé.Ilétaitplusgentiletplussombre.Ilavaitànouveauun
peulaissétombersagardeavecmoi,etmêmesijenecherchaispasàentirerparti, j’appréciaislasensation familière d’être près de lui sans qu’un immense mur se dresse entre nous. Il m’avaitmanqué.Aurora sortait du petit salon aumoment où nous arrivions. Sa peau, habituellement sans défaut,
avait pris une teinte grise. Ses yeux noirs étaient voilés, et sa coiffure tombait en bouclesdésorganiséesautourdesonvisage.Enessayantdereprendresonsouffle,ellese tenaitappuyéeaumurpournepasperdrel’équilibre.—Marksinna?Finncourutpasserunbrasautourd’ellepourlasoutenir.—Vousallezbien?—Jesuisseulementfatiguée,ditAuroratandisqueFinnl’approchaitd’unechaisedanslecouloir.Ellesedéplaçaitcommeunevieilledame,etsesoscraquèrentquandellefinitpars’asseoir.—Irais-tucherchermonfils?J’aibesoindem’allongeretjevoudraisqu’ilm’aideàrentreràla
maison.—Oui,biensûr,réponditFinnenmelançantunregarddésolé.Princesse,çanet’ennuiepasd’aller
voirlareinetouteseule?—Pasdutout.VachercherTove.Toutirabienpourmoi.Finn partit chercher Tove pour sa mère et j’entrai dans l’atelier. Je me sentais coupable
d’abandonnerAuroraseuledans lecouloir,ellequisemblaitsiépuisée,mais il fallaitquej’allassem’occuperdemapropremère.Laportedupetitsalonétaitentrouverteetjerestaiunmomentdanslecouloirpourobserver.Elora, allongée sur sa méridienne dans la même position que lorsque j’étais arrivée, était
maintenantrecouverted’uneétoledefourrurenoire.Sescheveuxailedecorbeau,quiavaientencoreéclairci, apparaissaient maintenant principalement blancs avec des mèches noires, au lieu ducontraire.Elleavaitlesyeuxfermésetlesangsursonvisageavaitdisparu.
Garrettavaitapprochéunechaisepours’asseoirtoutprèsdesatête.Iltenaitunedesesmainsdansles siennes et la regardait avec inquiétude et adoration.Ses cheveux enbataille étaient encore plushirsutesqued’ordinaireetunpeudesangd’Eloratachaitsachemise.Thomasmontait lagardedel’autrecôté.Ilavait lamêmeattitudestoïquequ’onttouslespisteurs
quand ils sont de garde, mais ses yeux étaient douloureusement posés sur Elora. Son regard netémoignait pas de lamême intensité que celui deGarrett,mais il y brillait tout demême quelquechosecommelerefletdecequiavaitpuexister,desannéesplustôt,entreluietElora.Quand elle ouvrit les yeux, c’est Thomas qu’Elora vit en premier. La mâchoire de Garrett se
contracta.Ilserralesdents,maisneditrien.Ilnelâchapasnonplussamain.—Elora?lançai-jetimidementenentrantdanslapièce.—Princesse.Savoixétaitfaibleetellefituneffortpourmesourire.—Tusouhaitaismevoir?demandai-je.—Oui.Elleessayades’asseoir,maisGarrettplaçadoucementsamainsursonépaulepourl’enempêcher.—Elora,tudoistereposer,luidit-il.—Jevaisbien,dit-elleenlerepoussanttoutenseredressantpours’adosser.Ilfautquejeparleà
mafilleenprivé.Pouvez-vousnouslaisserunmoment?—Oui, VotreMajesté, dit Thomas en se courbant.Mais pour votre santé, s’il vous plaît, faites
attention.—Biensûr,Thomas.Ellelegratifiad’unsourireetilluifituneautrerévérenceavantdes’enaller.—Jeseraiunpeuplusloindanslecouloirsivousavezbesoindemoi,ditGarrettenhésitantàse
lever.Commeilnesedirigeaitpasverslaporte,Eloraleregardadurement.— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi ou envoyez la princesseme chercher.
D’accord?ajouta-t-ilenfin.— Si cela peut vous fait sortir plus vite, j’accepte tout ce que vous voulez, conclut Elora en
soupirant.Garretts’arrêtaenpassantàcôtédemoi,commes’ilallaitmedirequelquechose,probablementde
ne pas m’affoler. Elora prononça son nom et il se dépêcha de quitter la pièce. Il ferma la portederrièreluietjeprissonsiègeàcôtéd’Elora.—Commenttesens-tu?luidemandai-je.—J’aicertainementdéjàétémieux.Ellereplaçasurellelacouverturedefourrurepours’installerplusconfortablement.—Maisjevaisvivrepourmebattreunjourdeplusetc’estcelaquicompte.—Ques’est-ilpassé?m’enquis-je.Pourquoit’es-tuévanouie?—Quelâgemedonnes-tu?demandaEloraentournantlesyeuxversmoi.Quelquesjoursplustôt,ilsétaientnoirs,maisàcetinstant,ilsportaientlevoilegrisdelacataracte.Ilétaitdifficiledeluidonnerunâge.Quandjel’avaisvuepourlapremièrefois,j’auraisditqu’elle
avait environ cinquante ans. Une fort belle cinquantaine mais, même à ce moment-là, malgré samagnifiqueprestance,ellenesemblaitplustoutejeune.Etmaintenant,ainsiétendue frêleet fatiguéesursaméridienne,Elorasemblaitencoreplusâgée.
Elleavaitl’aird’unevieilledame.Jen’allaispasleluidire,bienentendu.—Hum…Quarante,peut-être?—Tuesgentille,maistumensmal.Elleseredressaunpeusursachaise,defaçonàsetenirpresqueassise.—C’estunechosequetuvasdevoirtravailler,carl’horribleréalitédelatâcheduchefimpliqueun
grandnombredemensonges.— Jem’entraînerai au bluff plus tard, dis-je. Tu as l’air bien, si c’est cela que tu demandes, tu
semblesseulementfatiguéeetabattue.—Jesuisfatiguéeetabattue,admitElorad’untonlas.Etjen’aiquetrente-neuf.—Trente-neufquoi?demandai-je,perplexe.Elleposasatêtesursamainpourmieuxmeregarder.—J’aitrente-neufans,dit-elleensouriantdavantage.Çaal’airdetechoquer.Jenet’enveuxpas,
bienque jesoisétonnéeque tun’aiespascompriscelaplus tôt. Je t’aiditque j’aiépousé tonpèrequandj’étaistrèsjeuneetquejet’avaiseueàl’âgedevingtetunans.—Mais…bafouillai-je.Est-cecelaquinevapascheztoi?Tuvieillistropvite?—Pasexactement.Ellesemorditleslèvres.—C’estleprixàpayerpourl’usagedenosdons.Quandnousnousenservons,ilsnousépuisentet
nousvieillissent.—Touscestrucsquetufais,commelesordresenvoyésparlapenséepourretenirLokiprisonnier,
celatetue?demandai-je.Elleopina.—J’enaipeur.—Maisalorspourquoilefaire?J’auraisvouluhurler,maisjegardaiuntonaussicalmequepossible.—Jecomprends,danslecasoùils’agitdesedéfendre,maisquetuappellesFinndecettefaçonau
quotidien?Pourquoilefaire,sicelatedétruit?—La transmissiondepenséen’estpascequinoususe leplus.Et jen’utilisecequinousépuise
qu’encasdestrictenécessité,commelorsqu’ilfautretenirunprisonnier.Cequimefatigueleplusestlapeintureprécognitive,quejenemaîtrisepas.Je regardai plusieurs des toiles qu’Elora avait posées contre la baie vitrée. De l’autre côté du
couloir,unepièceferméeàcléétaitrempliedesestableaux.—Queveux-tudire,tunelemaîtrisespas?questionnai-je.Tun’asqu’ànepaslefaire.—Jenepeuxpasvoircesimagesquiremplissentmatête.Ellefitungesteverssonfront.—Unpessimismeinsurmontables’emparedemoietnedisparaîtquelorsquejemelibèredeces
visions.Jenepeuxlesempêcherdesurgiretilm’esttropdouloureuxdelesignorer.Jedeviendrais
follesij’essayaisdelesgarderenmoi.—Maiscelatetue.Jemelevaid’unbond.— Pourquoi donc enseigner aux autres Trylles à utiliser leurs dons, si c’est pour qu’ils
s’affaiblissentetvieillissenttropvite?—C’estleprixàpayer.Ellesoupira.—Nousdevenonsfoussinousnelesutilisonspasetnousvieillissonsquandnouslefaisons.Plus
noussommespuissants,plusnoussommesmaudits.—Qu’est-cequetuinsinues?demandai-je.Quejedeviendraifollesij’arrête?—Jenesaispasvraimentcequidoitt’arriver.Eloraposasonmentonsursamainpourmedévisager.—Tuesaussilafilledetonpère.—Quoi?Jesecouailatête.—Veux-tudirequec’estparcequej’aiaussidusangvittra?—Précisément.—Tovem’aparléd’eux.Ilm’aditqu’ilsétaienttrèsforts,maisjenelesuispas.Jeme souvins des bagarres que j’avais connues au cours dema brillante scolarité, et comment
j’avaisreçuautantdecoupsquej’enavaisdonné.—Jenesuispascommeça.—Certainssontphysiquementforts,clarifiaElora.JecroisqueceLokiStaadesttrèsfort.Simes
souvenirs sont exacts, il était capable de soulever un piano à queue à l’époque où il apprenait àmarcher.—Oui,ehbien,pasmoi.—Orenestdifférent.Ilest…Elles’interrompitpourréfléchir.—Tul’asrencontré.Quelâgeluidonnes-tu?—Jenesaispas,dis-jeenhaussantlesépaules.Unpeuplusjeunequetoi,sansdoute.—Quandilm’aépousée,ilavaitsoixante-seizeans,etc’étaitilyavingtans,ditElora.—Ouah.Quoi?Jemelevai.—Tuesentraindemedirequ’ilapresquecentans?Etqu’ilseraitplusquedeuxfoisplusâgéque
toi?Commentsefait-ilquetuaiesl’airplusâgéeetluiplusjeune?—Ilestenquelquesorteimmortel.—Ilestimmortel?Jeladévisageai,bouchebée.—Non,princesse, j’aiditqu’ilétaitenquelquesorte immortel,précisaEloraprudemment.Oren
vieillitaussi,maisbienpluslentement,etilguéritégalementtrèsvite.Ilestdifficiledeleblesser.Ilestundesderniers«pursang»delalignéevittra.
—C’estcequifaitquejesuissispéciale?Est-cepourcelaquetunet’espasinquiétéelorsquejet’aiditquemamèred’accueilm’avaitpresquetuée?J’appuyaimesmainssurledossierdelachaisepourmetenir.—Tupensesquejesuiscommelui.—L’espoirestquetusoiscommenousdeux,réponditElora.QuetuaieslesdonsdesTryllespour
bouger et maîtriser les choses, et les aptitudes des Vittras à guérir. Il faut aussi que tu aiessuffisammentdeforcepourlesmaîtriser.—DouxJésus.Mesmainstremblaientetjedusmerasseoir.—Jecomprendsmieuxmaintenantlesémotionsd’unchevaldecourse.Jen’aipasétéconçue.J’ai
étécroisée.L’accusationfittressaillirElora.—Celanes’estpaspassécommeça,pasexactement,dit-elle.—Vraiment?Jelaregardai.—C’est pour cela que tu as épousémon père, n’est-ce pas ?Afin de pouvoir faire demoi une
parfaitepetitearmebiologique.Une fois fait, tu l’asquittépourmegarderpour toi toute seule.Etc’estpourcelaqu’alieumaintenantcettequerelleinterminable?Afindesavoirquimepossédera?—Non,cen’estpasvrai.Elorasecoualatête.—J’aiépousétonpèresurordredemesparentslorsquej’aieudix-huitans.Orensemblaitgentil
audébut.Tout lemondem’avaitditquec’était la seule façondemettre fin auxquerelles etque jepouvaisarrêtercesbainsdesangsijel’épousais.Alorsj’aiaccepté.—Quelsbainsdesang?demandai-je.LesVittrasetlesTryllessebattaientàproposdequoi?— Les Vittras sont en train de disparaître. Leurs dons se réduisent, ils n’ont presque plus de
ressources,etOrenatoujourssupposéqu’ilétaitendroitdepossédertoutcequ’ilvoulait.Eloramarquaunepausepourreprendresonsouffle.—Ilvoulaitprécisémenttoutcequenousavions.Notrerichesse,notrepopulation.»Maiscequ’ildésiraitpar-dessustout,c’étaitmonpouvoir,poursuivit-elle.Celuidemamère,au
départ.Quandellearefusésesavances,ilalancédesguerressansfincontrenous.Nousétionsalorsun grand peuple, possédant des villes un peu partout dans le monde, et il nous a réduits à lapossessiondequelquesterritoiresisolés.—Etc’estçaquetuasépousé?Unhommequimassacraittonpeupleparcequetamèren’avaitpas
vouludelui?m’enquis-je.—Ilsnem’ontpastoutexpliquéquandnousnoussommesfiancés,maisOrenavaitacceptédefaire
la paix en échange demamain.Mes parents pensaient n’avoir pas le choix etOren avaitmis sescharmes en action. Il n’a peut-être pas le don de télékinésie,mais il sait semontrer très persuasifquandilveut.— Alors tu l’as épousé et vous avez uni vos deux peuples. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
demandai-je.
—Quelques villes se sont révoltées, car elles refusaient de se mélanger aux Vittras, dit Elora.Commemesparentsétaienttoujoursroietreine,ilsontessayédelesraisonner.Ilsnousontenvoyés,Orenetmoi,commeambassadeurspourlesfaireadhérerànotrepointdevue.»Danslapremièreville,desgensnousontquestionnés.Enfin,luienparticulier.Ils’estdébrouillé
pourlescharmer,etenusantunpeudemapersuasion,nousavonsréussiàconvaincremêmelesplusardentsopposantsdesejoindreàl’alliancevittra.Cecis’estavéréparlasuiteuneerreurfatale.» Jen’ai jamais aiméOren,mais audébutdenotremariage, il comptait pourmoi. Jemedisais
qu’unjour,jefiniraispeut-êtreparl’aimer.Cequejen’avaispascompris,c’estcombienildevaitseforcer pour paraître ainsi, et pendant notre tournée de propagande, sonmasque a commencé à secraqueler.»Nous nous sommes arrêtés dans un village au Canada pour une assemblée publique avec des
Trylles,commenousenavionseudansd’autresvilles.Eloramarquauneautrepausepourregarderparlafenêtre,verslefroidhivernal.—Toutlemondeétaitlà,ycomprislesenfantsmänskligs,touslespisteursetleursfamilles.» Quelqu’un a demandé à Oren ce qu’il espérait gagner avec tout cela, et pour une raison qui
m’échappe,çal’amishorsdelui.Enbaissantlesyeux,ellelaissaéchapperunprofondsoupir.—Ilacommencéàhurlerenagressantlesvillageoisetenlesattaquant.Commeilssesontmisà
répliquer…Orenlesatoustués.Nousétionslesdeuxseulssurvivants.» Il a ensuite raconté l’histoire à sa façon et je ne l’ai pas contredit, parce que je ne savais que
faired’autre.Mesparentsm’avaientconvaincuequenousavionsbesoindepaix.Orenétaitmonmarietjem’étaisfaitecomplicedumassacredesgensdenotrepeupleparcequejenem’étaispasopposéeàlui.Quandbienmêmejel’auraisfait,j’auraisététuéemoiaussi;maiscelanechangeaitrienaufaitquejen’avaisrienfaitpourlessauver.—Jesuisdésolée,dis-je,sanstropsavoircommentréagiràsaconfession.—Orenaétéconsidérécommeunhérosetmoi…Elles’interrompit,observant,leregardvide,lacouvertureenfourrurequilarecouvrait.—Pourquoies-turestéeaveclui?demandai-je.—Tuveuxdire,aprèsavoircomprisquej’avaisépouséunmonstre?medemandaEloraavecun
souriretriste.Jen’étaispasencorecommejesuisdevenue.J’étaisbienplusconfiantequemaintenant,pleined’espoiretdésireusedecroire,desuivre.Voilàaumoinsunechosedontjepeuxremerciertonpère,celledem’avoirfaitcomprendrequejedevaisdirigeràmontour.—Qu’est-cequit’afinalementpousséeàpartir?—Orenafaituneffortaprèsnotreretouraupalais.Ilaessayédesemontreraimable,aussigentil
qu’ilpouvaityparvenir.Ilnem’apasbattueniinsultée,maisilétaitcondescendantenverslamoindredemespenséesoudemesparoles.Delasorte,aumoins,nousétionsenpaix.Pasdeguerre.Pasdemorts. Ne serait-ce que pour ça, un mauvais mariage me semblait valoir la peine. Je pouvais lesupporteràlaconditionqu’iln’yaitpasd’autresmorts.»Puis,jesuistombéeenceintedetoiettoutachangé.Eloraseréinstallamieuxsursachaise.
—Jen’avaispasencorecomprisquetuétaistoutcequ’ilavaitjamaisdésiré.Uneparfaitehéritièrepourletrône.Nousavionsessayépendanttroisansd’avoirunenfantetl’attenteavaitétépourluitrèsdureàsupporter.»Dèsqu’ilasuquej’attendaisunenfant,c’étaitcommesionavaittournéuninterrupteurenlui.Elorafitclaquersesdoigts.—Ilestdevenuencoreplusdominateur. Ilneme laissait jamaisquitter lachambre. Ilnevoulait
mêmepasquejesortedemonlit,aucasoùjepuisseteperdre.»Mamère etmoi avons commencé à chercher des familles d’accueil pour toi. Je savais que je
devaistelaisserpartircommesubstituée,nonparcequec’étaitcequenousfaisionshabituellement,maisparcequejenepouvaispaslaisserOrent’élever.MaisOrenn’apasvouludecela.Toutcequ’ilsouhaitait,c’étaitt’avoirpourluitoutseul.»Sibienque,lorsqueleroi,monpère,adécrétéquetudevais,commetouteprétendanteautrône,
partircommesubstituée,Orenm’aemmenéeàOndarike,oùilm’ainstalléeetenferméecommeuneprisonnière.»Deuxsemainesavanttanaissance,monpèreetmamèreontpénétréenforcedanslepalaisvittra
pourm’enlever.ToutcommedenombreuxTrylles,monpèreaététuépendantlabataille.Mamèrem’a emmenéedansune famillequ’elle avait trouvée en secret : lesEverly.C’était unedécisiondedernièreminute,maisilssemblaientpossédertoutcedonttuauraisbesoin.»Aprèstanaissance,je…Elles’arrêta,totalementperduedanssespensées.—Tuquoi?questionnai-jevivement,commeellenedisaitrien.— C’était ce que je pouvais faire de mieux pour toi, répondit-elle. Je sais que tu as eu des
problèmesavec ta familled’accueil,mais jen’avaisni le tempsni lesmoyensd’être exigeante. Jesouhaitaisseulementquetusoishorsdeportéed’Oren.—Merci,dis-je,sanstropdeconviction.—Dèsquetuesnée,jesuispartie.Tagrand-mèret’agardée;jen’avaispaslechoix.Ilfallaitse
dépêcherpourque lesVittrasneretrouventpas ta trace.Noussommespartiesnouscacherdansunendroit sûr, un chalet auCanada.Lorsqu’Oren vivait ici, nous ne lui avions pas parlé de tous nosendroitssecrets,carnousneluifaisionspasconfiance.Ellefermalesyeuxetinspiraprofondément.—Maisilnousatrouvéesdanslechalet.»Cemarkisquiteplaîttant?ditEloraenfaisantungesteendirectiondelachambredeLoki.C’est
sonpèrequiaconduitOrenjusqu’ànous.C’estluiquiafaittuertoutlemonde.»Orenatuémamèresousmesyeux,puisilajuréqu’ilterécupéreraitdèstonretour.Eloraavaitlagorgenouée.—Ilm’a laisséevivreuniquementpourque jevoiequ’il tiendrait sapromesse. Ilvoulaitque je
sachequ’ilavaitgagné.
VINGTETUNConfessions
J’auraisvouluposerd’autresquestionsàElora,maiselleavaitdéjàl’airépuisée.Ellen’auraitjamaisvoulul’admettre,maisilétaitassezévidentqu’ilétaitpréférablequ’elledormepourrécupérerplutôtquedemeparler.Nousparlâmesencoreunpeu,puisjem’excusai.Avantd’atteindrelaporte,jemem’arrêtaietme
retournai.Eloras’étaitdéjàreculéesursaméridienne,lesmainsposéessurlesyeux.Garrettattendaitdanslecouloirenfaisantlescentpas.Thomassetenaitunpeuplusloinpourlui
laisserlechamplibre.QuantàAuroraetFinn,ilsétaientpartisdepuislongtemps.—Commentest-elle?medemandaGarrett.—Elleest…bien,jecrois.Jen’étaispassûredel’étatréeld’Elora.—Ellesereposeetc’estçaquicompte.—Bien.Garrettacquiesça.Ilfixaduregardlaportedupetitsalonpendantunmoment,puissetournavers
moi.—Votreconversationavecelles’estbienpassée?—Oui.Jemefrottailanuque.Jenesavaispastropquoienpenser.Eloraavaitétésifroideavecmoidepuisquejel’avaisrencontrée,glacialeaupointquejecroyais
qu’elleme détestaitmais, à présent, je n’en étais plus si sûre. Je n’avais aucune idée de ses vraissentimentspourmoi.Eloran’étaitguèreplusâgéequemoi lorsqu’elleavaitépouséunhommepresque trois foisplus
vieuxqu’elle;unhommequ’elleneconnaissaitpasetquis’étaitavéréimpitoyableetcruel.Maiselleavaitsacrifiésonbonheuretsonbien-êtrepoursonroyaume.Puis, elle avait tout risqué pour défendre l’enfant qu’elle portait, pour me défendre. Ses deux
parentsavaientperdulavieenl’espacedequelquesmois,assassinésparsonpropreépoux,pourunefilledontellenepourraitmêmepaspartagerl’enfance.Jemedemandaisiellemedétestait,siellem’envoulaitpourlamortdesesparentsetpourtousles
ennuiscausésparOrendepuismanaissance.Je ne savais pas combien Elora avait été proche de ses parents, mais avant la cérémonie
d’intronisation,elleavaitsuggéréquejeprennecommeprénomceluidesamère,Ella.EtEloraavaitépargnéLoki,dontlepèreavaitfaittuersapropremèreetfaillicausersamortetla
mienne.Pourtant,lorsquel’occasionluiavaitétédonnéedesevenger,ellenel’avaitpasfaitsurLoki.Jecommençaisàpenserquejel’avaistotalementmaljugée.L’insistance d’Elora pour que tout soit parfait afin que je devinsse reine devenait plus
compréhensible.Tantdechosesavaientétésacrifiéespourquejepusse,unjour,montersurletrônedesTrylles.J’eusmalaucœurà lapenséedemon ingratitudeàsonégardetdecequ’elleavaitdû ressentir.
Aprèstoutcequ’elle,safamilleetlapopulationtryllesavaientfaitpourmoi,jeleuravaisdonnésipeuenretour.EnrelevantlesyeuxsurGarrettetenapercevantsonregardsoucieux,jemerendiscompted’une
autrechose.Safemme,lamèredeWilla,étaitdécédéebienavantqueWillaneretourneàlamaison.Jemedemandaisiellen’étaitpasmortedansunedesbataillesquemonpèreavaitengagéescontrelesTrylles,etsiGarrettn’avaitpasperduquelqu’unqu’ilaimait,àcausedemoi.—Jesuisdésolée,luidis-je,leslarmesauxyeux.—Dequoiparlez-vousdonc?Garretts’approcha,surprisparcettemanifestationd’émotion,etmitsamainsurmonbras.—Eloram’atoutdit.J’essayaidefairepasserlenœudquej’avaisdanslagorgeenavalantmasalive.—Toutcequis’estpasséavecOren.Jesuisnavrée.—Pourquoiêtrenavrée,Wendy?Toutcecis’estpasséavantvotrenaissance.—Jesais,maisj’ail’impressionque…j’auraisdûmieuxmecomporter.Quejedevraismieuxme
comporter, me repris-je. Après tous les ennuis que vous avez traversés, vous méritez une reineirréprochable.—C’estsûr,admitGarrettensouriant.Etdumomentquevouslesavez,c’estquenoussommessur
labonnevoie.Ilbaissaunpeulesyeuxpourmeregarder.—Jesuiscertainquevousserezunereineformidableunjour.Jenesavaispassijedevaislecroire;enrevanche,jesavaiscertainementquejedevaisfairetoutce
quiétaitenmonpouvoirpourquecelaseproduisît.Jenelaisseraispastombermonroyaume.Jenepouvaispas.Garrettdevaitallers’occuperd’Eloraetjelelaissailaretrouver.Thomasrestaderrièrelaporte,
montanttoujourslagardetoutenleurdonnantdutempsensemble.Duncan,WillaetMattm’attendaientprèsdel’escalier.EnapercevantMatt,jenepusmeretenir.Les
larmescoulèrentsurmesjouestandisqu’ilmeprenaitdanssesbras.Une fois que je fus calmée, nous pûmesmonter dansma chambre.Duncan nous apporta du thé
chaud et je le fis asseoir pour lui en servir une tasse. Je détestais qu’il se comporte comme unserviteur.Willaseblottitsurlelitàcôtédemoi,meréconfortantd’unemanièrequimefitpenseràtanteMaggie.Ellememanquait.—C’estvraiqu’ellesemeurt?demandaMatt.Ilétaitpenchésurmonbureauetfaisaittournersatassevideentresesdoigts.Commejen’étaispassûredecequeDuncanetWillaconnaissaientdemonhistoireetdecomment
lesdonsdesTryllespouvaientfairedutortàceuxquilespossédaient,jenevoulaispasendiretroppour qu’ils ne s’inquiètent pas, surtout Matt. Je laissai donc de côté les principales histoires decomplotsetmecontentaideleurdirequ’Eloraétaitmalade.—Jecrois,dis-je.Elle ne l’avait pas énoncé de la sorte, mais je l’avais vue vieillir avec une telle rapidité. Elle
semblaitsoudainâgéedesoixante-dixans,mêmeaprèsqu’Auroral’eutsoignée.
—Quellepoisse,ditDuncanens’asseyantsurlecoffreaupieddemonlit.—Tuétaisentraindeluiparlerquandelles’estévanouie?medemandaWilla.Lecoudeappuyésurl’oreilleràcôtédumien,ellelevalatêtepourmeregarder.—Ouais.Lepire,c’estquejem’opposaisàtoutcequ’elledisaitquandcelas’estproduit.—Oh,pauvrechou.Willaétenditlamainpourlaposersurmonbras.—Maistusaisbienquecen’estpastafaute,hein?—A-t-elleditdequoiellemourait?demandaMatt.Lesridesdesonfrontsecreusaient;ilsavaitquej’avaisomisdeparlerdequelquechose.—TuconnaisElora.Jehaussailesépaules.—Ellen’estpastrèsprolixe.—C’estvrai,affirmaMattensoupirant.Cetteréponsesemblalesatisfaire.—Jen’aimepaslesmaladiesmystérieuses,c’esttout.—Ehbien,personnen’aimeça,ditWillaavecunepointedetaquinerie.—Àproposdequoivousquerelliez-vousaveclareine?demandaDuncanenchangeantdesujet.Jeluiensusgré,jusqu’aumomentoùjemesouvinsquelleétaitlaréponseàsaquestion.JedevaisépouserToveKroner.—Ohmince.Penchantlatêteenarrière,jemecognaiàlatêtedulit.—C’étaitquoi?demandaWilla.—Rien.Jesecouailatête.—Justeunstupidedésaccord,c’esttout.—Stupide?Mattvints’asseoirsurlelit,àmespieds.—Stupidecomment?—Tusaisbien.Deschosessansintérêt.Jepataugeais.—Eloraveuttoujoursquejesoisunemeilleureprincesse,plusponctuelleettout…—C’estvraiquetudevraisêtreplusponctuelle,acquiesçaMatt.Maggienecessaitdetelerépéter.Cette évocation de Maggie me brisa le cœur. Je ne lui avais pas parlé depuis que nous étions
revenusàFörening.Mattl’avaitfaituneoudeuxfois,maismoi,j’avaisévitésesappels.J’avaisétépasmaloccupéerécemment,maislavraieraisonétaitque,sij’entendaislesondesavoix,ellememanqueraitencoreplus.—Commentva-t-elle?demandai-jeentâchantd’oublierlapeinequejeressentais.—Ellevabien,réponditMatt.ElleestàNewYorkchezdesamis,trèsperturbéeparcequisepasse.
Jenecessedeluidirequetoutvabien,quenoussommesensécuritéetqu’elledoitsimplementfaireprofilbas.
—Bien.—Il faudraitquandmêmeque tu luiparles,ditMattenme lançantun regardde reproche. Jene
peuxpasfairel’intermédiaireenpermanence.—Jesais.Grattantlapeinturefragiledematassedethé,jebaissailesyeux.—Jenesaispascommentrépondreàsesquestions.Commeoùnoussommes,etquandnousallons
revenir,ouquandjelareverrai.—Jenesaispasnonpluscommentluirépondre,maisjefaiscommesi,ditMatt.—Wendyaeuunedure journée, intervintWillaenvenantàmonsecours.Jenecroispasque le
momentsoitbienchoisipourluifairelaleçon.—Tuasraison.Mattluisouritavantdemeregarderpours’excuser.—Pardon,monintentionn’étaitpasdetetomberdessus,Wendy.—Non,çava,dis-je.Tunefaisquetondevoir.—Àl’heurequ’ilest,quesais-jeencoredemondevoir?réponditMattd’unairlas.Quelqu’uncognaàlaporteetDuncanbonditpourallerouvrir.—Duncan,arrête,dis-jeensoupirant.Tun’espaslemajordome.—Peut-être,maisiln’empêchequevousêtestoujourslaprincesse,ditDuncanenouvrantlaporte
demachambre.—J’espèrequejen’interrompsrien,ditFinnenmeregardant,sansprêterattentionàDuncan.Àlaminuteoùsesyeuxnoirsseposèrentsurlesmiens,marespirationsebloqua.Ils’arrêtasurle
seuildelaporte,sescheveuxnoirsunpeudéfaits.Savesteétait toujoursimpeccablementrepassée,maiselleportaitencorelestracessombresdusangd’Elora.—Non,pasdutout,répondis-jeenm’asseyantunpeuplusloin.—Enréalité,nousétions…commençaMattd’untonsec.—Nousallionspartirjustement,l’interrompitWillaensautantdulit.Mattluienvoyaunregarddereprocheauquelelleréponditparunsourire.—Nousétions justeen traindedirequenousavionsquelquechoseàvoirdans tachambre,pas
vrai,Matt?—C’estça,bougonnaMattenselevant.Finns’écartapourqueMattetWillapuissentpasser.—Maisnoussommesjustede l’autrecôtéducouloir,ajouta-t-ilenpassantdevantFinneten lui
décochantunregardd’avertissement.WillaattrapaMattparlamainpourqu’ilcontinuâtd’avancer.Etcommetoujours,Finnfitceluiqui
neserendaitpascomptedesmenacesdeMatt,cequinefitqu’énerverencorepluscedernier.—Allez,Duncan,insistaWillaenentraînantMatthorsdemachambre.—Quoi?demandaDuncanavantdecomprendre.Ah,oui.Je…Hum…J’yvais.Duncanfermalaportederrièrelui,melaissantseuleavecFinn.Jem’assisbiendroiteàl’extrémité
du lit,mes jambesballottantdans levide.Finnse tenait toujoursdeboutprèsde laporte, sans riendire.
—Tuasbesoindequelquechose?dis-jeprudemment.—Jevoulaisvoircommenttuallais.Commeilm’observaitdesonregardcuisantquimebrûlait,jebaissailesyeux.—Jevaisbien,enl’étatactueldeschoses.—Lareinet’a-t-elledonnédesexplications?demandaFinn.—Jenesaispas.Jehochailatête.—Jenesaispassijeparviendraiunjouràcomprendrecemonde.—T’a-t-elleditqu’elleétaitentraindemourir?demandaFinn.L’entendreleprononcernefitquerendrelaréalitéencorepluspénible.—Oui,ellemel’adit.Commeellem’aexpliquécequifaisaitquej’étaissispéciale;quejesuisun
parfaitmélangedeTrylleetdeVittra.Unecuvéerêvée,ensomme.—Ettunemecroyaispasquandjetedisaisquetuétaisspéciale.C’étaitcequ’onpouvaitconsidérercommeuntraitd’humourdeFinn,quienprofitapoursourire,
sil’onpouvaitappelercelasourire.—Visiblement,tuavaisraison.Jetiraimescheveux,encoreemmêlésaprèsquejemefusallongéedessus,etypassailesdoigts.—Commentprends-tutoutcela?demandaFinnenapprochantdupieddemonlit.Ils’immobilisaprèsdelacolonne,touchantnégligemmentlesatindudessusdelit.—Êtrel’éluedesdeuxcampsdansuneépiquebatailleentretrolls?—Siquelqu’unpeutsupporterça,c’estbientoi,dit-ilpourmerassurer.Levantlesyeuxverslui,jediscernaidanssonregardunpeudesonattachementpourmoi.J’aurais
voulumejeterdanssesbrasetm’yretrouveràl’abri,protégée,etl’embrassersurlestempes,surlesjoues,sentirsabarbenaissantemegrifferlapeau.Mêmesic’étaitcequejesouhaitaisdésespérément(jelevoulaistellementquecelamefaisaitmal),
jesavaisquepourdevenirunegrandeprincesse,jedevaismeressaisir.Quitteàenmourir.—Eloraveutquej’épouseTove,laissai-jeéchapper.Jen’avaispaseul’intentiondeleluiannoncerdecettefaçon,sachantquecelagâcherait l’instant
présentenbrisantlamagiedumoment.—Alors,elletel’adit?répliquaFinnensoupirant.—Quoi?Jeclignaidesyeux,ahurieparsaréponse.—Queveux-tudireparellemel’adit?Tulesavais?Depuisquand?—Jenesaispasexactement.Ilsecoualatête.—Jel’aisuilyalongtemps,bienavantquejenevousrencontre,toietTove.—Quoi?Je le regardai, bouche ouverte, incapable de trouver les mots correspondant au trouble et à la
colèrequejeressentais.—Cemariageétaitprévudelonguedate,celuidumarkisKroneretdelaprincesseDahl,expliqua-
t-ilcalmement.Jecroisquecelan’aétéfinaliséquetrèsrécemment,mêmesic’estcequenecessaitdevouloirAuroraKroner.La reinea toujourssuquec’était là sameilleureoptionpourgarder letrôneetteprotéger.— Tu le savais ? répétai-je, incapable de maîtriser ma douleur. Tu savais qu’elle voulait que
j’épousequelqu’und’autreettunem’enasjamaisriendit?Ilsemblaitsecouéparmaréaction.—Cen’étaitpasmonrôle.—Cen’étaitpeut-êtrepastonrôledepisteur,maisenqualitédegarsquim’aembrasséedanscelit,
si,ilmesemblequec’étaittonrôledemedirequejedevaisenépouserunautre.—Wendy,jet’airépétémaintesfoisquenousnepourrionsjamaisêtreensemble…—Medirequenousnepouvions être ensemblen’estpas lamêmechose, et tu le sais trèsbien,
l’interrompis-je.Commentas-tupu?Ilesttonami;ilestmonami,ettun’asjamaiseul’idéedemeledire?—Non,jenevoulaispasmemêlerdevotrerelation.—Temêlerdequoi?—J’aieupeurquetunetemettesàledétester,justepourennuyertamère.Jenevoulaispasdecela.
Jesouhaitaisquetusoisheureuseaveclui,ditFinn.Mêmesitunetemariaispasparamour,aumoinsseriez-vousbonsamis.Jepensaisquevouspourriezavoirunevieheureuseensemble.—Tu…quoi?J’eusl’impressionquemoncœursedéchirait.Pendantuninstant,jenedisplusrien.Jenepouvais
plusarticuler.—Tut’attendsàcequejel’épouse.—Oui,biensûr,ditFinnd’untonpresquelas.—Tunevasmêmepasessayerde…Jeravalaimeslarmesettournailatête.—QuandEloramel’adit,jemesuisopposéeàelle.Jemesuisbattuepourtoi.—Jesuisdésolé,Wendy,medit-ild’unevoixsombreetgrave.Ilapprochaetlevalamain,commes’ilavaitl’intentiondemetoucher,puisillalaissaretomber.—MaistuserasheureuseavecTove.Ilteprotégera.—J’aimeraisbien,pourunefois,quequelqu’uncessedeparlerdeluiencestermes!Exaspérée,jemerassisenreculantsurlelit.—Toveestunepersonne!Ils’agitdesavie!Nemérite-t-ilpasmieuxquededevenirgardedu
corpsàvie?—Ilyapire,danslavie,qued’êtretonépoux,réponditFinnposément.—Nefaispasça.Jesecouailatête.—Inutiledeplaisanter.N’essaiepasnonplusd’êtregentil,déclarai-jeen lui lançantunmauvais
regard.Tum’ascachécela.Pireencore,tunet’espasbattupourmoi.—Tusaistrèsbienpourquoijenepeuxpas,Wendy.Sesyeuxnoirsseconsumaientenmêmetempsqu’ilserraitlespoingscontreseshanches.
—Maintenantquetusaisquituesetcequetureprésentespourceroyaume,tupeuxcomprendrequejenepeuxmebattrepourt’avoiràmoitoutseul.Tureprésentestropdechosespournotrepeuple.—Tuasraison,Finn,jenet’appartienspas,acquiesçai-jeavantdebaisserlesyeux.Jen’appartiens
àpersonne.En tout cela, j’ai le choix et toi aussi.En revanche, tun’as aucunement ledroit demepriverdumienenmedisantquijedoisépouser.—Cen’estpasmoiquiaiarrangécemariage,répliquaFinn,incrédule.—MaistupensesquejedoisépouserTove,etcommetun’asrienfaitpourempêchercela,quidit
quetunel’auraispasarrangétoi-même?J’essuyaimesyeuxetilneditrien.Jem’étendissurlelitenroulantsurleventrepournepluslui
montrerquemondos.Quelquesminutesplustard,jel’entendiss’enalleretlaporteserefermersurlui.
VINGT-DEUXAccord
CommeilétaitprévudevoirarriverSaraElsing,lareinedesVittras,àquinzeheureslelendemain,pour récupérer Loki, des assemblées pour la défense du pays s’enchaînèrent toute lamatinée. J’yassistaiavecTove,AuroraKroner,GarrettStrom,lechancelieretunchoixrestreintdepisteurs,telsFinnetsonpère.Eloraneparticipaitévidemmentpasàlaréunion.Ellen’enavaitpaslasantéetneretrouveraitses
forcesqu’aprèsledépartdeLoki.Au moment de la pause déjeuner, Tove m’invita à me joindre à lui, mais je refusai. J’aimais
toujoursbienTove,maisjetrouvaisétrangedelecôtoyerdésormais,sachantquenousétionscensésnousmarier.Etpuis,jesouhaitaisavoiruneultimeentrevueavecLokiavantqu’ilnepartît.Ceseraitpeut-êtrela
dernièrefoisquejepourraisluiparler.Cette fois-ci, je ne me servis pas de Duncan pour faire le sale boulot. J’envoyai promener les
gardes moi-même. Ils protestèrent, mais avec un regard glacial, je leur rappelai que j’étais laprincesse.Ilm’étaittotalementégalquel’oncancaneensuite.PuisqueLokis’enallait,iln’yauraitdetoutefaçonplusdesujetdecommérages.—Oooh,j’adorequandtuesdéchaînée,lançaLokienvoyants’éloignerlesgardes.Appuyécontrelemontantdupieddesonlit,ilsouriait,contentdelui,commed’habitude.—Jenesuisnullementdéchaînée,dis-je.Jevoulaisjusteteparler.—Tuesvenuemedireaurevoir,sijecomprendsbien?Ilhaussaunsourcil.— Je sais que je vais terriblement temanquer,mais si tu souhaites éviter cela, tu n’as qu’àme
suivre.—Toutvabienpourmoi,merci.—Vraiment?Tunepeuxtoutdemêmepasprétendreêtreexcitéeparlaperspectiveduprochain
mariage.—Dequoiparles-tu?demandai-jeenmeraidissant.—J’aientendudirequetuallaisépousercemarkisinsipide.Lokifitunvaguegestedelamainenselevant.—Jetrouvececiridicule.Ilestennuyeux,inintéressantettunel’aimesabsolumentpas.—Etqu’ensais-tu?rétorquai-jesurladéfensive.Jemeredressai.—Lesgardienssontd’incorrigiblespipelettesparicietj’aitoutentendu.Ilmesouritenapprochantlentement.—Et j’aiégalementdeuxyeux. J’aibienvuquelsmélodramesse tramaiententre toietcetautre
pisteur.Fini?Frit?C’estquoisonnomdéjà?—Finn,répliquai-je.—Oui,c’estça.
Lokiappuyasonépaulecontrelaporte.—Jepeuxtedonnerunpetitconseil?—Biensûr.Jeseraienchantéederecevoirlesconseilsd’unprisonnier.—Parfait.Loki se pencha aussi près demoi qu’il le put avant d’être pris de terribles douleurs pour oser
franchirleseuildesachambre.—N’épousejamaisquelqu’unquetun’aimespas.—Quesais-tudoncde l’amouroudemariage? luidemandai-je.Tuétais toutprogrammépour
épouserunefemmeplusâgéequetoidedixansavantqueleroinetelachipe.—Detoutefaçon,jenel’auraispasépousée.Lokihaussalesépaules.—Passijenel’aimaispas.—Etmaintenant,tuprétendsêtreintègre?décochai-je.Tum’asenlevéeettonpèreétaituntraître.—Jen’aijamaisprononcéunmotaimableàproposdemonpère,ditLokicalmement.Etjenet’ai
jamaisrienfaitdemal.—Tum’asenlevée!luilançai-jeànouveau.—Ahoui?Lokipenchalatête.—Cedontjemesouviensplutôt,c’estqueKyrat’aenlevée,etquemoi,j’aiessayédel’empêcher
de te battre àmort. Ensuite, quand tu crachais le sang, j’ai envoyé chercher la reine pour qu’ellet’aide. J’ai été gentil parce que tume l’avais demandé. Quels terribles crimes ai-je donc commisenverstoi,princesse?—Je…je…bafouillai-je.Jen’aijamaisditquetuavaiscommisdeschosesterribles.—Alorspourquoinemefais-tupasconfiance,Wendy?Il nem’avait jamais appelée parmon prénom, et l’affection que cela sous-entendaitme surprit.
Mêmesonregard,danslequelselisaitencoreunebonnedosedemalice,avaitquelquechosedeplusprofond.Quandilnes’efforçaitpasdesemontrerdiaboliquementbeau,ill’étaitréellement.Le lien que je voyais se tisser entre nousme troublait,mais je ne voulais surtout pas qu’il s’en
aperçût.Enoutre,peuimportaitlanaturedemessentimentspourlui.Ilpartaitlejourmêmeetjenelereverraisprobablementjamais.— Je te fais confiance, admis-je. Je te fais vraiment confiance. Je ne sais pas pourquoi et je ne
comprendspaspourquoitum’asaidée.—Tuveuxlavérité?Ilmesourit,d’unefaçonquisemblaitsincère.—Tuaspiquémacuriosité.—Tuasrisquétaviepourmoiparsimplecuriosité?demandai-je,sceptique.—Àpeinesortieducoma,laseulechosequit’importaitaétédesavoircommentallaienttesamis.
Et tu n’as pas cessé ensuite. Tu étais bonne. Et de toute ma vie, je n’avais rencontré une tellegénérosité.Ildétourna lesyeux, fixantunvaguepoint sur le solducouloir. Ilme semblaitqu’il essayaitde
dissimuler la tristessedesonregard,mais je ladiscernai ;uneétrangesolitude,quicontrastait tantaveclasoliditédesonapparencephysique.Lokisecoualatête,commepourchasserlesentimentquil’avaitenvahiuninstant,puisilmesourit
detravers,d’unefaçonincroyablementlugubre.—Jepensaisque,pourunefois,lefaitd’agirdécemmentmevaudraitquelquerécompense.C’est
pourquoijet’ailaisséepartir,etpourquoijenet’aipasramenéeauroi.—Sitoutestaussihorriblequetuledis,là-bas,pourquoinerestes-tupasavecnous?demandai-je
sanstropréfléchir.—Non.Ilbaissalesyeux.—C’esttentant,maistonpeuplenel’autoriseraitpasetlemien…Disonsqu’ilneréagiraitpastrès
biensijenerentraispasàlamaison.Etquecelameplaiseounon,c’estlà-baschezmoi.—Jeneconnaiscesentimentquetropbien.Jesoupirai.MêmesiFöreningcommençaitàmefairel’effetd’êtreunpeuchezmoi,jenecroyais
pasqu’elleledeviendraitjamaiscomplètement.—Tuvois?Jetel’aidit,princesse.LesouriredeLokirevinttoutnaturellement.—Toietmoi,nousnesommesguèredifférents.—Tudiscelacommesiçaavaitdel’importance.—Celan’enapas?—Non,pasvraiment.Tut’envasaujourd’huietc’estpourrejoindremesennemis.Jelaissaiéchapperunprofondsoupir,toutenressentantunedouleurdanslapoitrine.—Avec un peu de chance, je ne te reverrai jamais. Parce que sinon, cela voudra dire que nous
seronsenguerreetquejedevraitefairedumal.—Oh,Wendy,c’estpeut-êtrelachoselaplustristequej’aiejamaisentendue,ditLoki.Ilavaitl’airdelepenservraiment.—Maislavienedoitpassystématiquementapparaîtreaussicatastrophiqueetsombre.Tunevois
jamaisleboncôtédeschoses?—Pasaujourd’hui.Je fis non de la tête. J’entendis Garrett m’appeler depuis l’autre extrémité du couloir, ce qui
signifiaitqueledéjeunerétaitterminéetlesréunionssurlepointdereprendre.—Jedoisrepartir.Jeteverrailorsquenousferonsl’échangeensemble,aveclareinedesVittras.—Bonnechance,ditLoki.Jemeretournaipourpartir.J’avaisàpeinefaitquelquespasquandj’entendisLokim’appeler.—Wendy!Ilsepenchaithorsdesachambreaupointquecelalefaisaitgrimacerdedouleur.—Sicequetudisestvraietquenousdevonsnousrevoiruniquementlorsquenosdeuxroyaumes
serontenguerre,toietmoineleseronsjamais.Jenetecombattraipas.Ça,jepeuxtelepromettre.Lesréunionssepoursuivirent,chacuneaumêmerythmeexténuant.Lesparticipantsn’enfinissaient
pasderépéterlesmêmeschoses.QuefairesilesVittrasrechignaientàfairel’échange.Quefairesi
lesVittrasattaquaient.QuefairesilesVittrasessayaientdem’enlever.Etcelaaboutissaitchaquefoisàlamêmeconclusion:combattre.Toveetmoiuserionsdenosdons,
lespisteursseserviraientdeleurforceetdeleurstalents,etlechancelierseplanqueraitdansuncoin.Ladernièreétape,avantl’arrivéeofficielledelareinevittra,futdesignerletraité.Ilavaitdéjàété
envoyéchezlesVittraspourqu’Orenyapposesagriffe,cequ’ilavaitfaitd’uneencrerougesang.Garrettavaitensuiteapporté le traitéàEloradanssachambre,pourqu’elleyajoute lasienne.Unefoisqu’ilfutderetouraveclepapier,ilnerestaitplusqu’àattendrel’arrivéedeSaradanslecentredecrise.À deux heures trente, Elora relâcha Loki, qui promit de se tenir tranquille. Faisant fi de sa
promesse,ThomasetFinnletraitèrentcommes’ils’agissaitd’unebombeprêteàexploser.Puisquenousdevions rencontrer ladignitaired’unenationennemie, jemedisqu’ilvalaitmieux
quejemeprésentasseenvraieprincesse.Jem’habillaid’unerobevioletplutôtsombreetdemandaiàWilladem’aideràrefairemacoiffure.—Sijem’étaisdoutéquetuseraisaussimagnifique,jemeseraishabillépourl’occasion,plaisanta
LokilorsqueFinnetThomasl’amenèrentdanslecentredecrise.Finnleflanquabientropdurementsansraisonvalablesurunsiège,maisLokineprotestapas.—Pasdefamiliaritésaveclaprincesse,ditDuncanenluijetantunregardagacé.—Toutesmesexcuses,ditLoki.Jen’aimeraisd’ailleurspasêtrefamilieravecquiconqueici.Loki parcourut la pièce du regard.Duncan, Finn,Thomas,Tove, le chancelier etmoi étions les
seulsàattendrelavenuedeSara.Lerestedelamaisonsetenaitprêtaucasoùnousaurionsbesoind’aide,maisnousnevoulionspasdonneràSaral’impressionquenousl’encerclionsàsonarrivée.—Avez-vous changéd’avis et souhaitez-vousm’exécuter ? demandaLoki. Parce quevous avez
tousl’airdevousrendreàunenterrement.—Pasencore,dis-jeentripotantmonbraceletetenregardantl’horloge.—Quandalors,princesse?demandaLoki.Parcequ’ilneresteplusqu’unquartd’heureavantque
jenesoissortid’ici.Jeroulaidesyeuxetl’ignoraisimplement.Aumomentoùlasonnettetinta,j’étaisentraind’arpenterlapièce.Jebondispresqueenl’entendant.
Mêmesil’échangedevaitsepasserproprementetsimplement,jenesavaispastropàquoim’attendre.MonpèreavaitdéjàmentiettrahilesTryllesparlepassé.—Allons-y,dis-jeeninspirantprofondément.Letraitéquej’avaisenmainétaitunrouleaudepapiernouéparunrubanrouge.Jeconduisistoutle
mondejusqu’auhalld’entrée.DuncanmarchaitjustederrièremoietTovesetenaitàmadroite.FinnetThomastenaientchacunLokiparunbras,aucasoùilauraitdécidédesedémeneroudesebattre,etlechancelierfermaitlamarche.Deux gardes avaient fait entrer la reine et attendaient près d’elle. Elle se tenait au centre de la
rotonde, la capuche de sa cape retombée et les joues rosies par le froid. Des flocons de neigecollaientencoreàsarobepourpre.HormisLudlow,lepetitgnomequej’avaisvuchezlesVittras,elleétaitvenueseule.—Princesse.
Enmevoyant,Saramesouritchaleureusement.Elle fitunepetite révérence,que je lui rendisenfaisantattentionqu’ellefûtidentique.—Reine.J’espèrequetuasfaitbonvoyage,dis-je.—Oui,endépitdesroutesunpeuglacées.Desesmainsgantéesdevelours,ellefitungesteverslesportesderrièreelle.—J’espèrequenousnevousavonspasfaitattendre.—Non,vousêtesarrivésàl’heure,l’assurai-je.—Elleestlàmaintenant,ditLoki.Jeneregardaipasderrièremoipourvoirs’ils’opposaitàFinnetThomas.—Vouspouvezmelaisserpartir?—Pasavantquel’accordsoitfinalisé,ditFinnenserrantlesdents.—Mareine,nepourrions-nousenfinir,s’ilteplaît?demandaLokiavecexaspération.Cepisteur
commenceàmetripoter.—Lemarkisnevousapasposé tropdeproblèmesaumoins?demandaSara, les joues rouges
d’embarras.—Pas trop, répondis-jeavecunpetit sourire.Sinousvous le rendons,vousacceptezdefaire la
paixjusqu’àmoncouronnement.C’estbiença?—Oui,acquiesçaSara.LesVittrasnevousattaquerontpastantqu’Eloraserareine.Maisdèsquetu
serascouronnée,lecessez-le-feuprendrafin.Je lui tendis le traité. Je m’attendais à ce qu’elle le déroulât pour vérifier son contenu, mais
visiblementdécidéeànousfaireconfiance,ellesecontentad’opinerànouveau.—Peuvent-ilsmelibérermaintenant?demandaLoki.—Oui,dis-je.J’entendis les bruits d’une altercationderrièremoi, puisLoki passaprèsdemoi en remettant sa
chemiseenplace,sousleregarddésapprobateurdeSara,tandisqu’illarejoignait.—Toutestréglé?demandaLoki.—C’estcequ’ilsemble,réponditSara.Princesse,tusaisquetueslabienvenueaupalais.—Jesais,admis-je.—Leroiasouhaitéquejetepassecetteinvitation,ditSara.SituretourneschezlesVittraspour
occupertaplaceàcôtédelui,iloffriral’amnistieàFöreningetàtoutesapopulation.Jebafouillai l’espaced’uninstant,nesachantquerépondre.Jenevoulaispasm’yrendreetjene
faisais aucune confiance au roi,mais il était difficile d’ignorer complètement cette proposition. Jevoulaisquetousceuxauxquelsjetenaissoientensécurité,ycomprisMattetFinn.Jelançaiuncoupd’œilversLoki,supposantqu’ilallaitmesourireoumetaquinerpourquejele
rejoignisse,maissonsourirenarquoisavaitaucontrairedisparudesonvisageetsesyeuxcaramelétaientpresqueemplisdeterreur.—Princesse,ditToveenmetouchantlebrasau-dessusducoude.Ilnousrestepasmaldetâchesà
accomplircetaprès-midi.Peut-êtredevrions-nouslibérernosinvités.—Oui,biensûr.Jesourisfaiblement.
—Sivousvoulezbiennousexcuser,uncertainnombredetâchesm’attendent.—Certainement.Sarasourit.—Nousnesouhaitonspasabuser.—C’estaussibiencommeça.Semblantsoulagé,Lokimesourit.—Ondariken’estpasunendroitpouruneprincesse.—Markis,ditSarasanss’énerver.Ellefituneautrerévérence,quejeluirendis.Puis,elleseretourna.LegnomeLudlow,quin’avait
pasditunmot,ramassasatraînepourqu’ellenebalayâtpaslesol.Commeilssedirigeaientverslaporte,Lokifitminededirequelquechose,maisSaralefittaire.Iljetaunrapidecoupd’œilpar-dessussonépaulepourmeregarder.J’étaissurprisedevoiràquel
point j’avais de la peine qu’il s’en allât.Nous n’avions pas passé beaucoup de temps ensemble et,pourtant,jemesentaisétrangementprochedeluidepuislepremierinstantoùjel’avaisvu.Etbrusquement,dèsqu’ilfuthorsdemavueetdemavie,j’eusuneirrépressibleenviedepleurer.Unefoisqu’ilsfurentpartis,jepoussaiunprofondsoupir.—Celanes’estpastropmalpassé,dis-je.Etc’étaitvrai,enfait.Lapiredeschosesavaitétél’accumulationdetension.Lechanceliertranspiraitcommeunbœuf,maiscelan’avaitriendenouveau.JesourisàToveavec
gratitude.J’avaisaimél’avoiràmescôtés.Renfortetsoutiens’avéraientextrêmementimportants.—Cespetitsgnomesmedégoûtent,ditDuncanentressaillantrienqu’enpensantàLudlow.Jene
comprendspascommentilsfontpourvivreaveceux.—Jesuissûrqu’ilsn’enpensentpasmoinsdetoi,grommelaFinn.—Jepensequenoussavonstouscequ’ilnousresteàfaire,dit lechancelierentordantsesdeux
mainsgrassouillettes.—Quoi?demandai-je,n’ayantpaslamoindreidéedecequenousdevionsfaire.—Ilnousfautlesattaquerpendantquelatrêveestencours,répondit-il.Lasueurcoulaitdanssesyeuxperçantsetsoncostumeblancétaitcouvertd’auréoleshumides.—Leprincipemêmedelatrêveestlapaix,dis-je.Enlesattaquant,nousl’annulonsetnousrevoilà
enguerre.— Il faut les surprendre pendant qu’ils ne s’y attendent pas, insista le chancelier, lesmâchoires
tremblantes.C’estnotreseulechancedeprendreledessus.Jesecouailatête.—Non,c’estlaseulechancequenousayonsdenousreconstruireaprèsladernièreattaqueetde
trouverlesmoyensderésoudrececonflitàl’amiable.IlnousfautréunifieretrassemblerlesTryllespour être aussi forts que possible.Ou trouver ce que nous pourrons offrir auxVittras pour qu’ilscessentdenousimportuner.—Danscecas,noussavonscequenouspouvonsleuroffrir,déclaralechancelierenmeregardant.—Nousnenégocieronspasaveceux,lâchaFinn.Lechancelierledévisagea.
—Bienentendu,tunenégociesrienavecpersonne.—Onnepeutécarterlanégociation,ditTove.AvantqueFinneûtletempsdeprotester,ilcontinua:—Nousn’allonsévidemmentpasleurdonnerlaprincesse,maisnousnepouvonséliminerd’autres
optionspourautant.Ilyaeuassezdemorts.Etaprèscesannéesdeguerre,personnen’ajamaisprisledessus.Ilnousfautdoncessayerquelquechosededifférent.—Exactement,acquiesçai-je.Etilseraitbondetirerpartidecettetrêvepourtrouverunesolution.—Vouspenseztrouverquelquechosedenouveauàmarchander?segaussalechancelier.Chacun
saitpourtantqu’onnepeutsefierauroidesVittras!—Qu’ilsoitfourbenesignifiepasquenousdevionsnouscomportercommelui,dis-je.—Etlaseuleraisonpourlaquellenousavonsgagnéladernièrebatailletientaufaitqu’elleaeu
lieusurnotreterrainetqu’ilsn’ontpasenvoyéleursmeilleurscombattants,ajoutaTove.Sinouslesrencontrionschezeux,ilsauraientledessus.Ilsnousécraseraientcommeilsl’onttoujoursfait.Nousdevonstirerleçondenoserreurs.—Bien ! s’exclama lechancelieren levant lesmainsen l’air.Faitescommevousvoudrez.Vous
aurezlesmainscouvertesdesang,pasmoi.Lechancelierbattitenretraite.JesourisàTove.—Mercipourvotresoutien,dis-je.—Jesuiscommeça,rétorquaToveenhaussantlesépaules.
VINGT-TROISProposition
Après ledépartdeSaraetdeLoki, jemontai raconteràEloracomment jem’yétaisprise.Garrettétaitassisprèsd’elledans lepetit salonoùelleétaitallongée.Lacouleurdesapeaus’étaitunpeuilluminée,maisellesemblaittoujoursaussiépuisée.J’expliquaibrièvementleschoses.Tousdeuxsemontrèrentfiersdemoi.C’étaitmapremièretâche
officielledeprincesseet jem’enétaisbien tirée.Eloraaffirmaque j’avaisbienmené l’affaire.Enrepartant,jemesentistouteragaillardie.Surlechemindemachambre,jetombaisurTove,quirevenaitdelacuisine,avecunepoignéede
raisins.Ilm’enoffritun,maiscommejen’avaispasenviedemanger,jefisnondelatête.—Est-cequevousvoussentezunevraieprincesse,maintenant?medemandaToveengrignotant
quelquesraisins.—Jenesaispas.J’ôtailelourdcollierdediamantsquej’avaisportépourtenirlerôle.—Dureste,jenesaispassiceseraunjourlecas.J’aitoujoursl’impressiond’êtreunimposteur.—Entoutcas,vousavezl’aird’unevraieprincesse.—Merci.Jemeretournaiversluipourluisourire.—Etvous,vousavezétéformidableaujourd’hui.Vousétiezconcentréetroyal.—Merci.Illançaunraisindanssaboucheouverteetsourit.—J’aipasséuntempsfouàréorganiserlemobilierdemachambreavantlaréunion,çaadûaider.—Eneffet.Nousmarchâmes ensuite unpeu en silence, luimangeant ses fruits etmoi tripotantmon collier.
Pourtant,lesilenceentrenousnesemblaitpasbizarre,etjetrouvaiscelatrèsbien.Êtrecapabledesetrouveravecquelqu’unsansqueriennesoitforcé,étrangeoueffroyablementguindé.Jecommençaisaussiàcomprendrecequ’EloraetFinnvoulaientdire.Toveétaitfort,intelligentet
gentil,maissesdonsl’épuisaienttroppourqu’ilsoitunmeneur.Ilavaitaccompliuntravailétonnantenm’assistant et enme soutenant, et je savais qu’en n’importe quelle circonstance, il serait àmescôtés.—Alors.Tove avala son dernier raisin et s’arrêta. Il regarda le sol en replaçant ses cheveux derrière ses
oreilles.—Jesuissûrquelareinevousaparlédel’arrangementfaitparelleetmamère.Ils’interrompit.—Voussavez,ausujetdenotremariage.—Ouais.J’opinai,toutenmesentantétrangementmalàl’aisedel’entendreainsiabordercesujet.— Je n’aime pas les voir espionner et comploter à notre sujet comme si nous n’étions que des
pionssurunéchiquier.Tovesemorditl’intérieurdelajoueetregardaleboutducouloir.—Celan’estpasbienetjel’aiditàAurora.Ilfautqu’ellecessedemetraitercommeun…Jene
saispas.Commeunpion.—Ouais.J’étaisbiend’accord.—Elle s’imagine tout le tempspouvoirmediriger et je saisquevotremère fait demêmeavec
vous.Ilsoupira.—Unpeucommesielless’étaientfaitdenousdesidéesbienprécisessurcequenousdevionsêtre
avantd’arriver,etqu’ellesrefusentdemodifierleuropinionmêmeaprèss’êtrerenducomptedequinousétionsvraiment.—Ouais,c’estvrai,dis-je.—Jesuisaucourantpourvotrepassé.Illevalesyeux,lesposantsurlesmiensunbrefinstant.—Auroram’aexpliquépourvotrepère.Ellem’aditquevous risquezdeperdre la couronneà
causedelui,enraisondeserreursdevosparents.C’estidiotparcequejeconnaisvotrepuissanceetvotreattachementaupeuple.—Merci?dis-jesansgrandeconviction.—Ilfautquevoussoyezreine.Quiconqueaunpeudesenscommunlesait.Leproblème,c’estque
laplupartdesgensnesaventrien.Ilsegrattalanuqueetchangeadepiedd’appui.—Jenechercheraienaucuncasàvousôtercela.Quoiqu’ilarrive,jamaisjenevousprendraila
couronneetjevousdéfendraicontrequiconqueessaieradelefaire.Jen’ajoutai rien à cela. Jen’avais jamais entenduToveparler autant et nevoyaispasbienoù il
voulaitenvenir.—Jesaisquevousêtesamoureusede…enfin,pasdemoi,dit-ilprudemment.Etjenesuispasnon
plusamoureuxdevous.Maisjevousrespecteetjevousaimebien.—Jevousrespecteetvousaimebienaussi,dis-jeensouriantfaiblement.—Maisilyaàlafoisplusieurschosesetaucune,ajouta-t-ilensoupirant.Celan’apasdesens.Je
veuxdirequevousavezbesoind’aidepourconserverletrôneetdequelqu’unàvoscôtés,etça,jepeuxlefaire.Mais…c’estjusteparcequejepenseque…jeleveux.—Quoi?demandai-je,etillevasesyeuxvertmoussesurmoienmeregardantintensément.—Est-ceque…Jeveuxdire,voulez-vousvousmarier?demanda-t-il.Avecmoi?—Je…euh…Jenesavaispasquoidire.—Sivousnevoulezpas,celanechangerarienentrenous,répliquaToveenvitesse.Jenevousl’ai
demandéqueparcequecelamesembleunebonneidée.—Ouais, affirmai-je sans savoir commentcontinuer, jusqu’àcequequelquesmots finissentpar
m’échapper.Jeveuxdireoui.Jeleveux.Jeleferai.Jeleferais…Jevousépouserai.
—Ouais?Tovesouriait.—Oui.Lagorgeserrée,jem’efforçaidesourire.—Bien.Ilsoupiraenregardantleboutducouloir.—C’estbien,non?—Ouais,sansdoute,dis-je.Jelepensais.—Ouais,opina-t-il.Mais,jemesensnauséeux,maintenant.—Celamesemblenormal.—Bien.Ilopinadenouveau,cettefoisenmeregardant.—Danscecas,jevouslaisse…fairecequevousavezàfaire.Etjevaisfairedemême.—OK,opinai-je.—Trèsbien.Ilmetapagentimentsurl’épaule,puishochalatêteetpartit.Jene savaisvraimentpas ceque jevenaisd’accepter. Jen’étaispas amoureusedeToveet jene
pensaispasqu’illefûtdemoi.Nousnouscomprenionsetnousrespections,cequin’étaitdéjàpasmal.Maissurtout,c’étaitcedont
le royaume avait besoin. Elora était convaincue qu’épouser Tove était la meilleure chose qui pûtm’arriverainsiqu’auxTrylles.Jedevaisfairecequiétaitlemieuxpournotrepeuple,etsiceladevaitpasserparunmariageavec
Tove,qu’ilensoitainsi.J’auraispumeretrouvermariéeàquelqu’undebienpire.Après avoir changé de robe, j’entraînai Duncan avec moi jusqu’à la bibliothèque. Il m’aida à
trouverdebons livresd’histoiresur lesTrylleset jem’yplongeai.Finnm’avaitunpeudéblayé leterrainavantlacérémonied’intronisation,maissi jecomptaisgouvernerunjourcepeuple, j’avaisbesoindemieuxcomprendrequiilétait.Jepassai le restantde la soiréedans labibliothèque, rassemblant autantd’informationsque je le
pouvais.Recroquevillé sur l’un des fauteuils,Duncan finit par s’endormir. Il était tard quand je leréveillai pour qu’ilme reconduisît àma chambre. Je n’aurais su dire quel degré de protection unDuncanàdemiendormipouvaitm’apporterexactement,maisçan’étaitpasgrave,carjenepensaispasenavoirréellementbesoin.Lematinsuivant,jemerendisavecTovedansl’atriumpourunpeud’entraînement.J’étaiscontente
de revenir à la routine. Duncan nous accompagna, et même s’il dut remarquer quelque chose debizarreentreToveetmoi,ilneditrien.Celamefaisaitundrôled’effetd’êtrenouvellementfiancée,maisTovefitsonpossiblepourmetenirconcentréesurletravailàfaire.Jecommençaisàmieuxmaîtrisermesdonsetjelessentaisserenforcer.AyantassisDuncansurle
trône,jelesoulevaiau-dessusdusolsansquecelanemedemandâtautantdeconcentrationqu’avant.Unedouleursourdecommençaàm’élancerderrièrelesyeux,maisjedécidaidel’ignorer.
QuandTovesoulevaunechaisepour la faire léviterencerclesetm’expliquercequ’ilsouhaitaitquejefisse,jenepusm’empêcherdepenseràElora.Fragiliséeparl’utilisationdesespouvoirsquil’avaientvidée,elleavaitl’airsivulnérable.Jesavaisquenousdevionsutilisernostalentspourrestersainsd’esprit,Toveenparticulier,pour
qui le fait d’user de ses dons était le seulmoyendenepas devenir fou.Mais celam’inquiétait. Jen’avaispasenviequ’ilfinîtcommemamère,envieillissantprécocement,pourmouriravantmêmel’âgedequaranteans.À la fin de l’entraînement, jeme sentais fatiguéemais heureuse. J’avais acquis une plus grande
confianceenmoiendevenantplusforte,cequimeplaisait.JeretournaivoirElora,quiétaittoujoursentrainderécupéreraupetitsalon.Elleétaitsortiedesa
méridienne,cequimesembladebonaugure,ets’étaitremiseàpeindre.Assisesuruntabouretdevantlabaievitrée,ellefaisaitfaceàunchevalet.Le châle qui l’enveloppait avait glissé d’une de ses épaules, mais elle ne semblait pas l’avoir
remarqué.Seslongscheveux,quiapparaissaientmaintenantplusargentésquenoirs,pendaientdanssondos.—Crois-turecommandédefairecequetufais?luidemandai-jeenentrantdanslapièce.— J’ai eu une terriblemigraine ces derniers jours et il faut que jem’en débarrasse, dit-elle en
donnantunlargecoupdepinceausursatoile.J’avançai pourme trouver derrière elle et mieux voir ce qu’elle peignait mais, jusque-là, il ne
s’agissait que d’un ciel bleu sombre.Elora cessa de peindre et posa son pinceau sur le rebord duchevalet.—Tuasbesoindequelquechose,princesse?Elletournasonvisageversmoietjefussoulagéedeconstaterquel’aspectlaiteuxavaitdisparude
sesyeux.—Non.Jesecouailatête.—Jevoulaisjustevoircommenttuallais.—Mieux,dit-elledansunprofondsoupir.Jeneseraijamaispluslamême,maisjemesensmieux.—C’estdéjàbien.—Oui,c’estcequejemedis.Elleseretournapourregarderlecielgrisparlafenêtre.Laneigeglacéeetleventavaientcessé,
mais le ciel demeuraitmaussade. Les érables et les ormes, qui avaient perdu presque toutes leursfeuilles,setenaientdroitsetnus,commemortspourl’hiver.Lesconifères,quiparsemaientlafalaise,avaient l’airfragiliséspar lemauvaistempsqu’ilsavaientsubi,certainesdeleursbranchesployantsouslepoidsdelaglacerestéecollée.—Tovem’ademandéeenmariage,luidis-je.Elletournalatêtepourmeregarderànouveau.—Etj’aiaccepté.—Tuasacceptél’arrangement?demandaEloraenhaussantunsourcilensigned’émerveillement.—Oui,acquiesçai-je.C’est…Sic’estcequ’ilyademieuxpourleroyaume,c’estcequejedois
faire.Jehochailatêteànouveau,commepourmieuxm’enpersuader.—EtToveestunchictype.Ilferaunbonépoux.Àpeineavais-jeditcelaquejemerendiscompten’avoiraucuneidéedecequipouvaitfaireoune
pasfaireunbonépoux.Jen’avaispratiquement jamaisvécuauprèsdecouplesmariéset jen’avaisjamais eu de petit ami. Je ne savais pas dans quelle catégorie placer Finn, mais il ne devaitvraisemblablementpascompterpourgrand-choseàcetégard.CommeEloramedévisageaittoujours,j’avalaimasaliveenm’efforçantdeluisourire.Cen’était
paslemomentdem’angoisseràproposdecequej’avaisaccepté,etd’iciaumariage,j’auraisbienletempsd’apprendreàquoicorrespondaitlerôled’épouse.—Oui,j’ensuisconvaincue,murmuraEloraenregardantànouveausatoile.—Tul’esvraiment?—Absolument,dit-elleenmetournantledos.Jeneteferaipascequ’ilsm’ontfait.Sijesavaisque
tudoisaccomplirunechoseterribledansl’intérêtdesTrylles,jeteledemanderaisquandmême,carcelafaitpartiedetesdevoirs.Maisje t’expliqueraisexactementpourquoi.Jamaisjenete laisseraisdansl’ignorance.—Merci,dis-jesincèrement.Regrettes-tud’avoirépousémonpère?—J’essaiedenepasavoirderegrets,répondit-elled’untonlasenattrapantunpinceau.Ilestmal
venupourunereined’avoirdesdoutes.—Commentsefait-ilquetunetesoisjamaisremariée?—Quiaurais-jeépousé?JefaillisrépondreThomas,maiscelan’aurait faitquelamettreenrogne,puisqu’ellenepouvait
épouser un pisteur qui, de surcroît, était déjàmarié.Mais sa colère ne serait pas venuede là.Elleauraitétéfurieusequejeconnaissecettehistoire.—Garrett?demandai-je.Eloraémitunsonquiressemblaàunrire.—Ilt’aimeetestunmarkisdistingué.Ilremplitbienlesconditions.—Iln’estpassidistinguéqueça,dit-elle.Ilestgentil,oui,maislemariageestplusquecela.Jete
l’ai déjà dit, princesse, l’amour n’a rien à voir avec le mariage. C’est la mise à niveau de deuxgroupes,etjen’aieuaucuneraisondememettreauniveaudequiconque.—Tuneveuxmêmepastemarierpourleprincipe?Tunetesensjamaisseule?—Unereinepeutéprouverbeaucoupdechoses,maislasolitude,jamais.Ellelevasonpinceau,letenantjustedevantlatoilecommesielleallaitpeindre,maisn’enfitrien.— Je n’ai pas besoin d’amour ou d’un homme pour me sentir entière. Le jour viendra où tu
comprendrascombiencelaestvraipourtoiaussi.Lessoupirantspasseront,maistoi,turesteras.Jeregardaiparlafenêtresanssavoirquoirépondreàcela.Cetteidéeavaitquelquechosedenoble
etdigne,enmêmetempsquedetragique.Croirequejefiniraismavietouteseule,quejemourraisseule,n’avaitrienderéconfortant.—Deplus,jenevoulaispasqueWillasoitensituationd’accéderàlacouronne,ajoutaEloraense
mettant àpeindre.C’est cequi se serait produit si j’avais épouséGarrett.Elle serait alorsdevenue
princesseetuneprétendanteautrône,etjen’ytenaispas.—Willa n’aurait pas fait une mauvaise reine, dis-je, étonnée moi-même de constater que je le
pensaisvraiment.Willa m’avait réellement surprise depuis que je vivais au palais et je croyais qu’elle avait
égalementmûri. Elle faisait preuve de générosité et d’une perspicacité dont je ne l’avais pas cruecapableaudépart.—Peuimporte,ellenedeviendrapasreine,c’esttoiquileseras.—Pasavantlongtemps,j’espère.Jesoupirai.—Ilfautquetusoisprête,princesse.Ellemeregardapar-dessussonépaule.—Ilfautquetutepréparesàcela.— C’est ce que j’essaie de faire, assurai-je. Je m’entraîne et je participe à toutes les réunions.
J’étudiemêmeenbibliothèque,etpourtant,jen’aitoujourspaslesentimentdepouvoirtenirlerôled’unereineavantdesannées.—Ilneterestepasdesannées,affirmaElora.—Queveux-tudire?Quandserai-jereine?Combiendetempsmereste-t-il?—Tuvoiscettepeinture?Eloradésignaunetoilequej’avaisdéjàvuedanssachambre,poséecontreuneétagère.C’étaitunportraitdemoiengrosplan,avecàpeuprès lamêmeapparencequemaintenant,sauf
que vêtue d’une robe blanche. Je portais sur la tête une couronne de platine travaillée garnie dediamants.—Etalors?Jeseraireineunjour.Nouslesavonsbientouteslesdeux.—Non,regardebiencettepeinture.Ellepointalemanchedesonpinceauverslatoile.—Regardetonvisage.Quelâgeas-tu?—J’ai…Jeplissailesyeuxenapprochantdelatoile.Jen’auraissudireexactement,maisjen’avaispasl’air
bienplusvieillequemaintenant.Jemeredressai.—Jenesaispas.Jediraisvingt-cinqans,peut-être.—Peut-être,admitElora,maiscen’estpasmonimpression.—Quelleesttonimpression?demandai-je.Ellemetournaledossansrienlaisserdeviner.—Commentdeviendrai-jereinedetoutefaçon?—Tu seras reinequand lesmonarquesaupouvoir serontdécédés, réponditElora, commeside
rienn’était.—Tuveuxdirequejedeviendraireineaprèstamort?demandai-je.Moncœursemitàcognerdansmapoitrine.—Oui.—Cequiveutdireque…
Jedusinspirerprofondémentavantdepouvoircontinuer.—Quetupensesmourirbientôt.—Oui.Elleseremitàpeindrecommesinousétionsentraindeparlerdelapluieetdubeautemps,etnon
desamortprochaine.—Mais…dis-jeensecouantlatête.Jenesuispasprête.Tunem’asrientransmisconcernanttout
cequejedevraissavoir!—C’estpourcelaque je t’aibrusquée,princesse.Sachantque jen’avaispasbeaucoupde temps
devantmoi,ilfallaitquejesoisdureavectoi.Ilfallaitquejesoiscertainequetuserasàlahauteur.—Etqu’endis-tumaintenant?—Jepensequeoui.Elleseretournaversmoi.—Pasdepanique,princesse.Quelquesoit leproblèmeque tuaiesàaffronter, ilne faut jamais
paniquer.—Jenepaniquepas,mentis-je.Moncœurbattaitlesquatrecentscoupsetlatêtemetournait.Jem’assissurlecanapéderrièremoi.—Jenesuispasencoremorte,ajoutaElora,semblant toutàcoupunpeuennuyée. Il fautque tu
écoutesattentivementcequejedisetquetutiennescomptedetout.—Ilnes’agitpasdeça,dis-jeen ladévisageant. Jeviensàpeinede faire taconnaissance,nous
commençonstoutjusteànouscomprendreettevoilàentraindemourir?—Nesoispassisentimentale,princesse,megrondaElora.Nousn’enavonspasletemps.—Tun’espastriste?demandai-je,leslarmesauxyeux.Oueffrayée?—Princesse,vraiment.Ellerouladesyeuxetmetournaànouveauledos.—Jedoispeindremaintenant.Jeteconseillederetournerdanstachambrepourteressaisir.Une
princessenedoitjamaisêtrevueenpleurs.Jelalaissaicontinuersontableau.Monuniqueconsolationétaitqu’Eloraavaitditqu’uneprincesse
nedevaitjamaisêtrevueentraindepleurer,nonquejenedevaisjamaispleurer.Jemedemandaisicen’étaitpaspourcelaqu’ellem’avaitdemandédelaquitter.Nonpourquejepleurasse,maispourqu’ellepûtlefaire.
VINGT-QUATRETryllique
Si Loki avait déjà eu le temps d’apprendre que mon mariage était planifié, il ne faudrait paslongtempspourquetoutlemondelesût.Pensantqu’ilseraitpréférablequemesamisl’apprennentdemabouche,jelesréunistousensemble.Willa et Duncan seraient probablement emballés, mais je ne savais pas comment Matt et Rhys
prendraientlachose.Sansdoutepasaussibien.Nousnousretrouvâmesdanslesalondel’étage,quiavaitautrefoisservidesalledejeuàRhys.Le
plafond était décoré d’une fresque représentant des nuages, et dans un coin, il restait une étagèrerempliedevieuxjouets.Matts’assitentreRhysetWillasurlecanapé,etDuncans’installaparterre,adosséausofa.—J’aiquelquechoseàvousdire.Jemetenaisdeboutdevanteux,jouantaveclabagueautourdemonpoucepourtenterdemecalmer
lesnerfs.Le regard suspicieux deMatt n’était pas fait pourm’aider. Rhys, par-dessus lemarché, souriait
commeunimbéciletoutexcité.Ilavaitétécontentquejel’inviteiciparcequenousnenousétionspasbeaucoupvuscesdernierstemps.IlavaitétéoccupéàdemultipleschosesavecMattetj’avaisentendudirequ’ils’étaitmisàfréquenterRhiannon.—Dequois’agit-il?demandaMattsuruntondéjàrude.—Debonnesnouvelles,insistai-je.— Alors lâche le morceau, s’écria Willa avec un sourire perplexe. Je n’en peux plus de ce
suspense.Elle avait essayé deme tirer les vers du nez avant l’arrivée des autres, mais je voulais le leur
annonceràtousensemble.—Jevoulaisquevoussachiezque,euh…Jem’éclaircislavoix.—Jevaismemarier.—Quoi?grognaMatt.—Sansblagues!lâchaWilla,lesyeuxbrillants.Avecqui?—Alorsc’estbienvrai?Duncanm’observait,laboucheouverte.Luiaussiavaitdéjàdûavoiréchodelarumeur.—AvecToveKroner.—Tove?demandaMatt,d’untonincertain.Cetypeestunfarfeluetjenecroyaismêmepasquetu
l’appréciais.—Non,jel’aimebien,dis-je.Ilestuntypebien.—Ohlà,là,Wendy!hurlaWilla.Pleined’enthousiasme,ellesautaducanapéenfilantpresqueuncoupdepiedàDuncansurlatêteet
courutversmoipourm’enlacer.—C’estgénial!Jesuissiheureusepourtoi!
—Oui,félicitations,acquiesçaRhys.Quelveinard!—Jen’arrivepasàcroirequevousnem’ayezriendit,renchéritDuncan.J’étaisavecvousdeuxce
matin.—Ehbien,nousn’enavonspasencoreparlé,dis-jeenmedégageantdel’étreintedeWilla.Même
sijedoutequenoussoyonscensésenparler,j’aipenséquevousdeviezlesavoir.—Maisjenecomprendspas.Visiblementperturbéparcettenouvelle,Mattseleva.—Jecroyaisquetut’étaisemmourachéedecetautregars,Finn.—Ehbiennon,dis-jeenbaissantlesyeux.Jenesuisemmourachéedepersonne.Jelaissaiéchapperunsoupir.—Toutça,c’estdupassé.Jemesurprismoi-mêmeàpenserquecelapouvaitaussibienêtrevrai.Jen’avaispasexactement
oubliéFinn,maisj’avaiscommencéàadmettrequenousnepourrionsjamaisêtreensemble.Etcelan’étaitpasàcausedenotredifférencedeclasse,carj’auraisvaincucetobstacle,jemeseraisbattue,j’auraislégiféré.Mais cette perpétuelle absence de volonté que Finn mettait à me faire confiance, ce refus du
moindreeffortpourêtreavecmoi,toutceciavaitfiniparm’épuiser.Jenepouvaiscontinueràaimertouteseule,àsensunique.—Tonmariagevaêtremagnifique!Willamaintenaitsesmainscroiséesdevantsapoitrinepouréviterdesejeterencoreunefoissur
moipourm’enlacer.—Àquandlegrandjour?—Jenesaispasencore,admis-je.Dèsquej’auraidix-huitans.—C’estdansmoinsdetroismois!s’écriaMatt.—Ilnousresteàpeineletempsdenousypréparer!pâlitWilla.Ilvayavoirtantàfaire!Puis,ellegrimaça.—Oh,maisAuroravacertainementmettrelamainsurtoutça,n’est-cepas?—Oh.Ouais.Jemerenfrognaiàmontour,merendantcomptequej’allaisrécupérerlapirebelle-mèrequisoit.—J’aibienpeurqueoui.—Jesuisbigrementcontentd’êtreungarçonpournepasavoiràorganisercegenredechoses,
déclaraRhysavecunsourireencoin.—Lespréparatifs,c’estcequ’ilyadeplussympa,insistaWillaenpassantunbrasautourdemes
épaules.Choisirlescouleurs,lesrobes,lesfleursetlesinvitations!C’estleplusmarrant!—Wendy,tuessûrequecelateconvientvraiment?questionnaMattenmeregardantdanslesyeux.—Maisbiensûr,Matt,ditWillaenroulantexagérémentlesyeux.C’estlerêvedetouteslespetites
filles.Êtreunjourlaprincessequivaépousersonprincelorsd’ungrandmariagesomptueux.—Techniquement,Toveestunmarkisetnonunprince,fis-jeremarquer.—Bon,enfin,tuvoiscequejeveuxdire,rétorquaWilla.C’estuncontedeféesdevenuréalité.—Willa,arrêteunpeu.
LeregardglacialdeMattseposasurWilla,quiseraiditetôtasonbrasdemonépaule.Ilsetournaversmoi.—Wendy,épousercegarçon,est-ceréellementcequetuveux?J’inspiraiprofondémentetj’acquiesçai.—Oui.C’estcequejeveuxvraiment.—Danscecas,ditMattàcontrecœur.Sic’estcequetuveux,jetesoutiens.Maiss’iltefaitdumal,
jeletuerai.—Jen’enattendaispasmoinsdetoi,répliquai-jeensouriant.Maistoutirabienpourmoi.Remplied’excitation,Willacontinuaitsonbabillageenénuméranttoutesleschosesfabuleusesqu’il
allait falloir planifier, mais je ne l’écoutais plus. Rhys et Matt, qui n’avaient vraiment pas envied’entendretoutça,s’esquivèrentpourallers’occuperàquelquechosedebienplusamusant.Entantquegardeducorps,Duncannepouvaits’enaller;dureste,ilsemblaitbienpluscaptivéquemoiparcequeWillaracontait.Ellefinitparselasserelle-même.Elleditqu’ellerentraitchezelleprendrequelquesaffaires,afin
depouvoir revenir tôt le lendemain, fraîche et disposepour commencer à tout organiser.Lorsquenousquittâmes lapièce,Willaétaitencoreen traindedresser la listede toutcequ’il fallaitqu’elleapportât.—Jetevoisdemain,d’accord?ditWillaenmeserrantlebras.—Ouais.—C’estsuperexcitant,Wendy,merappela-t-elle.Faiscommesi,aumoins.—Jevaisessayer,dis-jeenm’efforçantdesourire.Elleritdevantmonmanquedeconvictionavantdepartirpourdebon.Unefoishorsdusalon,je
m’appuyaiaumuràcôtédelaporte.Duncan,quisetenaitàcôtédemoi,neditrien.Willaavait raison.Toutecetteaffaire ressemblaitàuncontedefées.Maispourquoinevoyais-je
pasleschosesainsi?Enregardantdistraitementdans lecouloir, j’aperçusFinn,qui faisaitsa rondedusoir. Inspectant
l’ailenord,ilavançaitversmoi,maisquandilmevit,ils’arrêta.Sesyeuxsombresseposèrentsurlesmiensl’espaced’uninstant,puisilmetournaledosetrepartitensensinverse.Le lendemain, je me réveillai tout excitée à l’idée de m’entraîner et de ne plus penser à mes
fiançailles,maisj’étaisàpeineéveilléedepuisdixminutesqu’Aurorasurgitdansmachambre.EllearrivaavantqueWillan’eûtletempsdesemontrer,luicoupantainsil’herbesouslepied.Willan’enfutpastrèsheureuse,maisellefitdesonmieuxpourresterpolie.Nousnousretrouvâmesdanslagrandesalleàmanger,parcequ’Auroraavaittantdedocumentsà
étalerqu’illuifallaitlatablelapluslongue.Elleavaitapportédeslistesd’invitésavecdesplansdetables,deschartesdecouleursetdeséchantillonsdetissus,desmagazinesetdespatronsderobes,deslivres,bref,toutcedontonpouvaitrêverpourlancerlespréparatifsd’unmariage.— Il faut évidemment que nous organisions une fête pour les fiançailles cette fin de semaine,
puisque lemariage n’est que dans quelquesmois, ditAurora en tapant du doigt sur un calendrierqu’elleavaitétalésurlatable.Jem’assisenboutdetable,Aurorad’uncôtéetWilladel’autre.Auroraétaitpenchéesurlatable,
sarobeverteflottantautourd’elle.Willa,lesbrascroisés,observaitAuroradehaut.—Avantlesfiançailles,ilnousfauttrouvervotrechartedecouleursetdresserunelistedesinvités
pourlemariage,ditAurora.— C’est trop tôt, indiquaWilla. Nous n’arriverons jamais à faire cela en même temps que les
préparatifsdelafêtedefiançailles,quin’estquedansquelquesjours.— Il faut que les invitations pour le mariage soient prêtes le plus tôt possible. Nous les
distribueronslorsdesfiançailles,ditAurora.Quelestlejourdevotreanniversaire,princesse?—Euh,le9janvier,dis-je.— Pourquoi faudrait-il distribuer les invitations ? demanda Willa. Ne pouvons-nous pas les
envoyerparlapostecommetoutlemonde?—Parcequenousnesommespastoutlemonde,rétorquasèchementAurora.Noussommestrylles
etnoussommeslaroyauté.Lacoutumeveutquenousdonnionslesinvitationsenmainspropres,lorsdesfiançailles.— Bien, dans ce cas, il nous faudrait au moins une semaine supplémentaire avant la fête de
fiançailles,ditWilla.—Jenevaispasmequerelleravectoiàcesujet,réponditAuroraenseredressantetensefrottant
lefront.Entantquemèredupromis,c’estmoiquilanceladatedesfiançailles.Cecineteregardepas.Jelesprogrammeetlespréparequandbonmesemble.—Bien.Willa leva lesmains au ciel, comme si cela lui importait peu,mais je voyais bien qu’elle était
furieuse.—Faitescommevousvoulez.C’estvotredroit.—Bon,alorsexaminonsd’abordlafêtedumariage.Aurorameregarda.—Quivoudriez-vousinviterpourvotremariage?—Euh…Jehaussailesépaules.—Willacommepremièredemoiselled’honneur,évidemment.—Merci.WillaenvoyaàAuroraunsourirenarquoisdesatisfaction.—Bienentendu.AuroraluisouritàpeineetinscrivitlenomdeWillasurunefeuilledepapier.—Quid’autreencore?—Jenesaispas.Jesecouailatête.—Jeneconnaispasbeaucoupdemonde.—Excellent.J’aipréparéunelistepourvous.Auroraattrapasurlatableunelistedetroispagesetmelatendit.—Ilyalàunnombredejeunesetintègresmarksinnastriéessurlevolet,quiferontdeparfaites
demoisellesd’honneur.
—Ils’agitjustedeleursnomsetdequelquesfaitsauhasardlesconcernant,dis-jeenexaminantlaliste.KennaTomasadescheveuxnoirs,destachesderousseur,etsonpèreestlemarkisd’Oslinna.Celanemeditrien.Suis-jetenuedechoisirdesinvitésdansunelisted’étrangersenfonctiondeleurcouleurdecheveux?—Sivouspréférez, jepeux leschoisirpourvous,offritAurora.Mais je lesaiclasséesdansun
ordredégressif,delaplussouhaitableàlamoinsintéressante,pourvousfaciliterlatâche.— Je peux l’y aider, assuraWilla en s’emparant de la liste avant qu’Aurora eût une chance de
remettrelamaindessus.Jeconnaisungrandnombredecesfilles.Ellepassaimmédiatementaubasdelalisteetj’éprouvaisunepetitesatisfactionàconstaterqu’elle
choisissaitlesjeunesfillesqu’Auroraappréciaitlemoins.— Je ne peux pas juste avoirWilla ? demandai-je. Je suis sûre que Tove n’a pas non plus une
grandequantitédegarçonsd’honneur.Nouspourrionsnouscontenterd’unpetitmariage.—Ne soyezpas ridicule, ditAurora.Vous êtes la princesse.Vousnepouvezpas vous contenter
d’unpetitmariage.—Auroraaraison,admitWilla,regrettantdedevoirsemontrerd’accordavecAurora.Iltefautun
immensemariage.Ilfautleurfairecomprendrequetuesuneprincesseaveclaquelleilvadésormaisfalloircompter.—Nelesavent-ilspasdéjà?demandai-jehonnêtement.Willahaussalesépaules.—Iln’yapasdemalàleleurrappeler.—Puisquevotrepèreesthorscourse,Noahpeut le remplaceretmarcheravecvousdans l’allée
centrale,ditAurora,quiinscrivaitautrechosesurunboutdepapier.—Noah?interrogeai-je.Votremari?—Oui,c’estunbonchoix,répliquaAurora,l’airderien.—Maisjeleconnaisàpeine,dis-je.—Bien,maisvousnepouvezmarchertouteseule,ditAuroraenmejetantunregardconsterné.—Pourquoiest-cequeMattnepourraitm’accompagner?demandai-je.Ilm’apratiquementélevée,
detoutefaçon.—Matt?demandaAurora,sanscomprendre.Quandellesesouvintdequiils’agissait,elleplissalenezensignededégoût.—Cegarçonhumain?Certainementpas.Ilnedevraitmêmepasvivreaupalais,etsionapprenait
qu’ilestici,vousseriezlariséeduroyaume.—Bon,bon…Jemedépêchaidepenseràquelqu’und’autrequeNoah.—EtpourquoipasGarrett?— Garrett Strom ? s’enquit Aurora, atterrée, probablement ennuyée de ne pouvoir écarter ce
candidatparfaitementacceptable.—Ilestpresquesonbeau-père,décrétaWillaavecunsourirematois.Quesonpèremeprîtlebrascejour-làconstitueraitpourelleetsafamilleunsurcroîtdeprestige.Cen’étaitpourtantpaspourcetteraisonquejel’avaischoisi.J’aimaisbienGarrettetilétaitceque
jepouvaisavoirdeplusproched’unefigurepaternelledécente,parici.—Sic’estlevœudelaprincesse,ditAurora,quieffaçaavecréticencelenomdesonépouxpourle
remplacerparceluideGarrett.Ellescontinuèrentainsi longuementet,auboutd’unmoment, jedusm’excuser.J’avaisbesoinde
m’extrairedeleursmesquineriesetautreschamailleriesquicommençaientàmepeser.Jedéambulaidanslecouloir,avecpourseulobjectifdemetrouvern’importeoù,pourvuqu’ellesn’ysoientpas.En approchant du centre de crise, j’entendis des voix. Je m’arrêtai et jetai un coup d’œil à
l’intérieur.Lechancelierblafardétait assisdevantunmonceaudepaperassesétalées sur lebureau.Finn et Tove s’entretenaient, debout de l’autre côté, et Thomas cherchait quelque chose dans labibliothèque.—Quefaites-vouslà,lesgarçons?demandai-jeenentrantdanslapièce.—Lesgarçonsiciprésentsontunplanimbécilequej’écoutemalgrémoi,réponditlechancelier.— Ce n’est pas idiot du tout, répliqua Finn en lançant un regard noir au chancelier, bien trop
occupéàépongerlasueurdesonfrontpours’enapercevoir.—Noussommesentraindechercherlemoyend’étendrelatrêve,expliquaTove.Nouspassonsen
revue des traités anciens passés avec les Vittras ou d’autres tribus pour voir s’il a pu exister unprécédent.—Vousaveztrouvé?m’enquis-je.J’approchaidubureaupourexaminerquelquespapiers.Laplupart étaientécritsdansun langage
que je ne comprenais pas, des symboles comme en russe ou en arabe. Quand j’avais exploré labibliothèque,j’avaisremarquéquec’étaitunecaractéristiquedestexteslesplusanciens.—Rienderévélateurpourlemoment,maisnousvenonstoutjustedecommencer,réponditTove.—Vousnetrouverezrien,rétorqualechancelierensecouantlatête.LesVittrasn’étendentjamais
leursaccordsdetrêve.— Quel genre de chose pourrait l’étendre ? demandai-je sans tenir compte des remarques du
chancelier.—Nousnesavonspasexactement,admitTove.Maisilarrivesouventqu’ontrouveicioulàdansle
langagedesfaillesutilisablescontreeux.—Desfailles?—Oui,commedansLenainTracassin,ditFinn.Quelquechosed’aussiastucieuxapuêtreglissé
dansundeleurstraités.Celaparaîtimpossible,etpourtant,onpeutparfoisrompreunaccordàcausedeça.—J’aientenduleurtraité.Ilnedisaitriendetel,hormisquelapaixs’arrêteraquandjeseraireine,
dis-je.Etquesepasserait-ilsijenedevenaispasreine?—Non,ilfautquetusoisreine,ditFinnens’emparantd’unlotdedocuments.—Maiscelaapporteraitunepaixinfinie,n’est-cepas?demandai-je.Sijenedevenaisjamaisreine.—J’endoutefort,ditTove.Leroitrouveraittoujoursunmoyendecontournerleproblèmeetcela
nelerendraitqueplusfurieux.—Mais…Jem’interrompisetsoupirai.
—Iltrouveraunmoyendetoutcontournerdanscecas,ycomprisuneéventuelleextensiondelatrêve.Àquoibontoutescesrecherches?—L’extension n’est pas notre but,me dit Tove enme regardant.Nous trouverons une solution
intermédiaire, si c’est tout ce que nous pouvons faire pour l’instant, mais nous cherchons aussiquelquechosequimettefinàtoutcela.—Vouscroyezquecelaexiste?demandai-je.—Leroinecomprendquelaviolence,maugréalechancelier.Ilfautquenouslesattaquionsdès
quepossibleavectoutcequenousavons.—Nous avons essayé, rétorqua Tove, exaspéré.Maintes et maintes fois ! Le roi est immunisé
contrenosattaques!Nousneparvenonspasàleblesser!EnentendantlesparolesdeTove,quelquechosed’autrem’apparut.QuandilavaitparlédeLoki,il
avaitditque seulsElora, lui etmoiétionsassezpuissantspour le retenir etqu’iln’étaitmêmepaspersuadéquenouspuissionsl’exécuter.Or,leroiétaitencoreplusfortqueLoki.Personnen’avaitjamaisréussiàl’arrêter.Eloran’étaitpasassezpuissanteetToveétaittropfarfelu.
Maisj’avaislaforceduroietlespouvoirsd’Elora.—Vousvoulezquejetueleroi,dis-je.Vousvoulezprolongerlatrêvepourquej’aieplusdetemps
pourm’entraîner.Comme Tove et Finn n’osaient me regarder dans les yeux, je compris que j’avais vu juste. Ils
espéraientquejetuassemonproprepère.
VINGT-CINQContedefées
Thomasattrapaungroslivresuruneétagèredelabibliothèqueetlelâchabruyammentsurlatable.Delapoussièrejaillitdelareliureencuir.Toveavaitétésioccupéàévitermonregardqu’ilfitunbondlorsquelebouquincognalatableavecunbruitsourd.—Voilàquipourraitservir,ditThomasendéplaçantlelivre.Maisc’estécritentryllique.—Qu’est-cequec’est?demandai-je,impatientedechangerdesujetpouréviterceluiduparricide.—C’est l’ancien langage desTrylles, expliquaFinn en désignant les documents que j’avais vus
écritsensignessymboliques.Iln’yaqueTovequisachelesdéchiffrer.—C’estunelanguemorte,ajoutalechancelier.Jenecomprendspascommentquelqu’unpourrait
encorelaconnaître.—Cen’estpassidifficile.Toveattrapalelivreetenfittournerlespages,cequifitvolerlapoussièremoisie.—Jepeuxvousl’enseignersivousytenez.—Oui,ilseraitbonquejel’apprenne,répondis-je.Maispasàlaminute.Noustentonsdetrouverle
moyend’étendrecettetrêve,non?Enquoipuis-jeêtreutile?—Examinecesdocuments.Finn,quiavaittriéunepartiedespapiers,m’entenditunepetitepile.—Regardesitupeuxtrouverquelquechosequiconcernedestraitésoudestrêves,mêmes’ilne
s’agitpasdesVittras.Toutpeutservir.Toves’assitdansundesfauteuilsencuirusépourparcourirlelivre.Jem’installaiparterreavec
maliassededocuments,prêteàplongerdanslejargonjuridiquetrylle.Celasemblaitécritdeboutenbout de façon énigmatique et sibylline.C’était souvent si obscur que j’eus à demander de l’aide àplusieursreprises.Jeme sentismoins embarrassée cependant quandTove appelaFinnpour lui demander de l’aide
afindecomprendreunpassage.Finnsepenchaau-dessusdufauteuilpourvoirlapagedontildiscutalasignificationavecTove.Ilm’apparuttellementétrangequeFinnetToves’entendentsibien.Finn,quiavaittoujourssemblé
d’unejalousieférocedèsquejeflirtaisavecungarçon,semblaittoutàfaitàl’aiseavecTove,àquij’étaispourtantfiancée.LorsqueFinn leva lesyeuxdu livre,sonregardrencontrabrièvement lemienet jepusy lireun
désirquirefaisaitsurface.Celam’avaitmanquéetjemedemandaiencoreunefoissij’avaisprislabonnedécision.—Princesse?Auroraappelaitdepuislecouloir.Mêmesijenefaisaisqu’êtreassiseparterrepourliredesdocuments,j’imaginaisqu’ellen’aurait
pas approuvé. Afin d’éviter une énième leçon de bonne conduite féminine, je bondis et posai lespapierssurlebureau.—Princesse?lançaànouveauAuroraenpassantlatêteparl’entrebâillementdelaporte.Ah!vous
voilà. Et avec Tove, parfait. Nous avons besoin de vous pour passer en revue les détails desfiançailles.—Oh,c’estvrai,serappelaToveenmettantlelivredecôtéetenmelançantunsourireétrange.
Lestrucsdumariage.Ilfautfaireçamaintenant.—Ouais,acquiesçai-je.J’observaiFinnducoinde l’œil.Sonexpression sedurcit,mais ilne levapas lesyeux.Touten
suivantToveetAurora,quiexpliquaitcequenousavionsàfairepourlemariage,jelançaiunregardversFinnpar-dessusmonépaule.Aurora me retint en otage avec Tove bien trop longtemps, et Willa ne fit rien pour alléger
l’atmosphère.ÇaauraitététellementplussimplesiAuroraetWillas’épousaient.Lorsqu’Aurorasedécidaenfinànouslaisserpartir,mêmeWillasemblasoulagéedes’échapper.Duncanm’attendait,etnousdescendîmesàlacuisinepourdînerensemble.Toveretournatravailler
aucentredecrise,etWilladitqu’elleavaitunplan.Jesavaisquej’auraisdûaiderTove,maisj’étaismortedefaim.Ilfallaitd’abordquejemangeasseunmorceau.J’expliquaiàDuncancequeToveetFinnétaiententraindechercheretquecertainsdesdocuments
étaientécritsentryllique.Duncanmeditqu’ilpensaitavoirvuunlivresurlalanguetrylleàl’étage,dans le salon de jeu de Rhys, ce qui était logique, car il m’expliqua que bon nombre de mänkstraversaientunepériodeoùilsessayaientd’apprendrecegenredechoses.Jen’avaispasréellementbesoind’apprendretoutcelapourlemoment,mais j’avaisenviedeme
faireuneidéedecequ’étaitcettelangue.Dèsqueledînerfutterminé,jemedirigeaiverslesalon.Laporteétaitfermée,maiscommec’étaitunechosefréquenteaupalais,j’entraisansfrapper.Jen’essayaisnullementd’épier,maispuisqueMattetWillanem’avaientpasentendue, j’avaisdû
fairetrèspeudebruit.Oupeut-êtreétaient-ilsparticulièrementabsorbésparcequ’ilsfaisaient.Willaétaitallongéesur ledossuruncanapé,Mattau-dessusd’elle.Elleportaitune robecourte,
commeàl’ordinaire,etMatt,lamainposéesursacuisse,soulevaitlebasdesarobe.SonautrejambeétaitenrouléeautourdelatailledeMattetelleagrippaitsescheveuxblondsenl’embrassant.—Oh,monDieu!m’écriai-jesanslevouloir.—Wendy!hurlaWillatandisqueMattsautaitpoursedégagerd’elle.—Quesepasse-t-il?questionnaDuncan,prêtàbondirdevantmoipourmeprotégerd’unéventuel
danger.—Silence!hurlaWillaenremettantsarobeenplacepourserecouvrir.Fermezlaporte!—Oh,d’accord.Jetirailaportederrièremoiendétournantlesyeux.Ilsnefaisaientriendeparticulièrementexplicite,mais ilestvraiquejen’avaisencorejamaisvu
Mattensituationcompromettante.Luiquinesortaitpratiquementjamaisavecdesfilles,iln’enavaitguèreramenéàlamaison.Çamefaisaittoutdrôledeledécouvrirsexuellementattiréparquelqu’un.Quandjemedécidaiàleregarder,ilrougitsansoserreleverlatête.Lescheveuxtoutébouriffés,il
ne faisait que tenter d’aplanir les plis de sa chemise. Le rouge à lèvres deWilla avait laissé desmarquessursajoueetsabouche,maisjen’euspaslecouragedeleluisignaler.—Ouah!Vousdeux?
Duncanleursourit.—BravoMatt.Jen’auraisjamaisimaginéWillacapabledesortiravecquelqu’unquinesoitpasde
saclasse.—Laferme,Duncan,lançaWillaenledévisageaetenreplaçantsonbraceletdecheville.—Nesoispasvulgaire,grognaMatt.Duncanfitunpasenarrière,commes’ils’attendaitàcequeMattlefrappât.—Etgarde-toibienderépétercelaàquiquecesoit,l’avertitWilla.Tusaiscequiarriveraitsicela
transpirait.Willaétaitunemarksinna,etmêmesisesdons,enmatièredepuissance,n’avaientrienàvoiravec
lesmiens,elleétaitunedesplusfortesquiexistaientencore.Mattétantunhumainissud’unefamilled’accueil, cela le reléguait au rang le plus bas de l’échelle sociale, plus bas encore que celui despisteursoudesmänks.SiMattdevaitêtreaccuséd’avoirsouillélesangroyaldeWilla,ilsseraientbannistouslesdeux.Sachant qu’ils étaient mes amis les plus chers, je ne voulais pas que cela se produisît. Non
seulement ils me manqueraient terriblement, mais il n’était pas impossible que les Vittras s’enprennentàeux.Pourleursécurité,ilfallaitdetoutefaçonqu’ilsrestentàFörening.—Biensûrquejenedirairien,répliquaDuncanencroisantlesdoigtssursoncœurensignedesa
bonnefoi.Jen’aijamaisrienditàpersonneàproposdeFinnetdelaprincesse.—Duncan,tais-toi,décochai-je.JenetenaispasnonplusàcequeMattseremémorâttoutcelaàcetinstantprécis.— S’il te plaît, ne sois pas fâchée, ditWilla, croyant que j’étais en rogne contre elle. Nous ne
voulions pas que tu découvres notre relation de cette façon.Nous attendions lemoment opportunpourt’enparler,maistuétaistellementprisecesdernierstemps.—Etcelanechangeenriennossentimentspourtoi,s’empressaMatt.Noust’aimonstouslesdeux
énormément,ajouta-t-ilengesticulantpoursemontrerdudoigtetdésignerWillasans la regarder.C’estmêmeunedeschosesquinousaréunis.Nousnevoulonspastefairedepeine.—Lesamis,jenesuispasdutoutpeinée,dis-jeensecouantlatête.Jenesuispasnonplusfâchéeet
encoremoinsétonnée.—Vraiment?Willapenchalatêtedecôté.—Non.Vouspassieztellementdetempsensemble,etàflirterlaplupartdutemps,qu’ilmesemblait
bienyavoiranguillesousroche.C’estjustequejenem’attendaispasàtombersurvouscommeça.—Pardon.Mattrougitdavantage.—Jenevoulaisvraimentpasquetunousdécouvrescommeça.—Non,çava.Jehaussailesépaules.—Cen’estpassiterrible.Je les regardai l’un après l’autre. Avec ses yeux sombres inquiets et ses boucles brunes qui lui
tombaient sur les épaules,Willa était très jolie. Elle avait déjà prouvé sa loyauté et sa gentillesse
enversmoi.— Vous me semblez tous les deux bien assortis, dis-je finalement. Et je veux que vous soyez
heureux.—Nous sommesheureux,ditWilla en souriant et en échangeant avecMatt un sourire complice
doubléd’unregardamoureux.—Oui,noussommesheureux,renchérit-ilenquittantWilladesyeuxpourfinalementmeregarder.—Bien.Maisilfautquevoussoyezprudents.Jenetienspasàcequevoussoyezprissurlefait,
bannisetdéportésloindemoi.J’aibesoindevousdeux.—Oui,jesaisquetuasbesoindemoi,ditWilla.Auroratedévoreraittoutecruesijen’étaispaslà.—Nemerappellepasça.JegrimaçaienmejetantsurundesvieuxpoufsdeRhys.—Quandjepensequejenesuisfiancéequedepuisquarante-huitheuresàpeine.Toutlemondeest
terrifiéparlesVittras,maismoi,c’estcemariagequimetue.—Situneveuxpasl’épouser,nel’épousepas,ditMattens’assoyantsurlecanapéàcôtédeWilla.Ilavaitprissavoixdegrandfrèremécontent.—Tun’espastenuedefairequoiquecesoitquitedéplaise.—Non,ilnes’agitpasdeTove.Jesecouailatête.—Jesuiscontentedel’épouser.—Tues«contente»del’épouser?WillaéclataderireenplaçantsonbrasdansceluideMatt.—Commec’estromantique.—Tuauraisdûvoircommentilafaitsademande,dis-je.—Oùest tabaguede fiançailles,d’ailleurs?demandaWillaen regardantmesmains.Onest en
traindelamettreàtataille?—Jenesaispas.Jelevaimesmainsverseux,commesijem’attendaisàvoirsurgirparmagieunebagueàl’unde
mesdoigts.—Jen’enaipasreçu.—C’esthorrible!s’exclamaWillaenposantsatêtesurl’épauledeMatt.Ilvafalloirremédierà
celaauplusvite.J’entoucheraiunmotàAurorademain.—Non !m’écriai-je. S’il te plaît, ne lui en parle pas.Ellem’obligerait à choisir quelque chose
d’immonde.—Commentpourrait-ellevousobligeràfairequelquechose?demandaDuncan,assisparterreen
tailleurtoutprèsdemoi.Vousêteslaprincesse.Ellevousdoitlerespect.—TuconnaisAurora,soupirai-je.Ellesaityfaire.—C’estvraimentbizarre.Duncanmeregardacommes’ilmevoyaitsousunjournouveau.— Je pensais que la vie de la royauté était tellement différente de la nôtre, que vous aviez une
libertéabsolue.
—Lalibertéabsoluen’existepas,répliquai-je.Puisquetupassesvingt-quatreheuresparjouravecmoi,tudoissavoirquellessontmesplagesdeliberté.— C’est totalement déprimant, dit Duncan en réfléchissant à la chose, les épaules rentrées. Je
croyais que votre vie était ainsi parce que vous êtes nouvelle dans le rôle,mais ça sera toujourscommeça?Vousdevreztoujoursrendrecomptedetousvosfaitsetgestes?—Ondiraitbien,acquiesçai-je.Lavien’estpasuncontedefées,Duncan.—Etvoussavezcequ’ondit,plusd’argent,plusdesoucis,intervintWilla.—Bon,voilàquiestrassurant,aumoins!dis-jeenmelevant.Commeça,toutvabienpourmoi.
J’ai encorebeaucoup à étudier ce soir. Je vais insérer unpeud’entraînement dansmon emploi dutempsavantdevoirAurorademain.Crois-tupouvoirl’occuperd’icilà?—S’illefaut,grommelaWilla.—Ne te surmène pas,me ditMatt aumoment où je sortais de la pièce. Profite de ton enfance
pendantqu’ilt’enresteunpeu.Tuesencorejeune.—Honnêtement,jecroisqueletempsdemonenfanceestrévolu,dis-jefranchement.
VINGT-SIXOffre
Willasedégageaplustôtqueprévudestravauxpréparatifs.Elleprétextaundînerprogramméavecsonpère,maisjesuspectaisqu’ellenepouvaitplussupporterAurora.Nous étions dans la salle de bal. La toiture en verre, qui avait finalement été réparée, était
recouverted’unecouchedeneigedonnantà lapièce l’aspectd’unecave lugubre.Auroram’assuraquelaneigeseraitôtéeàtempspourmesfiançailles,commesicesujetavaitdequoim’inquiéter.Ellepapillonnaitdanslasalle,décidantdesendroitsoùl’onplaceraitlestablesetladécoration.Je
l’aidai aussi souvent qu’elle m’en lassait le loisir, c’est-à-dire fort peu souvent. Sa malheureuseassistantecouraitcommeunefolleentoussenspourfairetoutcequ’Auroraexigeait.Lorsqu’ellefinitparlacongédierpourlasoirée,j’étaisassiseaupianoàqueueetjejouaisledébut
deLaLettreàÉliseenboucle,seulepartiequejeconnaissais.—Vousdevriezprendredesleçonsdepiano,ditAurora.Ellelâchasurlepianounelourdechemisenoireremplied’informationsconcernantlemariage,ce
quifitvibrerl’instrument.— J’ai peine à croire que vous n’en ayez reçu.Dans quelle sorte de famille d’accueil êtes-vous
donctombée?—Voussaveztrèsbiendansquellefamilled’accueilj’aivécu.Sachantquecelalui tapaitsur lesnerfs, jecontinuaidejouerlesmêmesmesuresdeplusenplus
fort.—Vousavezrencontrémonfrère.— À ce propos, dit-elle en tirant de sa coiffure quelques épingles à cheveux pour laisser les
boucless’étaler.Ilfaudraitquevouscessiezdel’appelervotrefrère.C’estdemauvaisgoût.—Jesais,répondis-je.Maisc’estunehabitudequ’ilestdifficilederompre.—Ilyapasmald’habitudesquevousdevriezbriser.Ellepassalesdoigtsdanssescheveux.— Si vous n’étiez pas princesse, je ne prendrais même pas la peine de vous aider à vous en
débarrasser.—Ehbien,mercipourvosefforts,marmonnai-je.—Jesaiscommevousêtesfacétieuse,maisiln’yapasdequoi.Elleouvritsonporte-documentspouryfarfouiller.— Comme Frederique Von Ellsin n’a plus assez de temps pour vous dessiner une robe de
fiançaillessurmesure,ilvavousapporterdemainàmidisesplusbeauxmodèlespourquevouslesessayiez.—Formidable,dis-jesansmentir.Frederiqueavaitconçumarobepourlacérémonied’intronisationetj’avaisbeaucoupappréciésa
personnalité.—Princesse!lâchaAurora.Pourriez-vousarrêterdejouercemorceau?—Biensûr,acceptai-jeenfermantlecouvercledupiano.Ilsuffisaitdeledemander.
—Merci.Auroramedécochaunsourirepincé.—Vousdevrieztravaillervosmanières,princesse.—Mes manières sont impeccables quand il le faut, soupirai-je. Mais pour le moment, je suis
fatiguéeetnousn’avonspasarrêtédelajournée.Pourrions-nousreprendretoutcelademain?— Vous pouvez vous estimer heureuse que je vous laisse épouser mon fils, lança-t-elle en
refermantbruyammentsondossier.Vousêtesmalélevée,ingrate,etdecefait,sansaucuneféminité.Votremèreafaillinousfairemassacreràplusieursreprisesetmonfilsauraitdûêtreprétendantàlacouronne, pas vous. S’il n’éprouvait pour vous cette fascination incompréhensible, il vous auraitrenverséeetauraitprislaplacequilerevient.—Ouah.Jeladévisageaislesyeuxgrandsouverts,nesachantabsolumentquerépondreàcela.—Cemariageestundéshonneur.Ellefitclaquersalangue.—Siquelqu’undécouvreunjourquecepisteurdeFinnvousasouillée,Tovedeviendralariséede
toutleroyaume.Elleplaçalesmainsdechaquecôtédesatête.—Vousneconnaissezpasvotrechance.—Vousavezcomplètementraison.Jemelevai,lesmainssurleshanches.— J’ai une chance fabuleuse que votre fils soit différent de vous. Je vais être reine, pas vous.
Reprenezvotreplace,marksinna.Pâlissantsoudain,ellelevaversmoisesyeuxnoirsremplisdestupeurenclignantdespaupières,
comme si elle n’en croyait pas ses oreilles.L’organisation de toutes ces fêtes était pour elle aussidifficilequepourmoiet,l’espaced’uninstant,elleavaitoubliésonrang.—Princesse,jesuissincèrementdésolée,bafouilla-t-elle.Jenepensaispascequej’aidit.Jesuis
terriblementtenduecesdernierstemps.—Nouslesommestous,luirappelai-je.Aurorafinitderassemblersesaffairesenbredouillantencorequelquesexcuses.Ellesedépêchade
quitterlasalledebal,expliquantqu’elledevaitrentrerchezelle.Jamaisellen’avaitfiléaussivite.Jenesavaispassi j’avaiseuraisondenepasmelaissermarchersur lespiedsparcettefemmemais,pourl’instant,peum’importait.Tout ce que je savais, c’était que je disposais enfin d’un rare moment de solitude, sans gardes
autourdemoi.PasdeDuncan,pasdeTove,nid’Aurora.J’avaisgrandbesoindeprendrel’air.Jemedépêchaiavantquequelqu’unnemetrouvât.Sij’attendais,jesavaisquequelqu’unsurgirait
pourmedemanderquelquechose,justehistoiredefairelaconversation,maisjen’avaispasenviedediscuter.J’avaissurtoutbesoind’unmomentpourrespirer.M’engouffrantdanslecouloirdel’ailenord,jesortisencourantparuneportelatéralequidonnait
surunétroitsentierdegravierbordédehauteshaies.Ilcontournaitlamaisonendescendantlelongdelafalaise,avantd’ouvrirsurunjardinravissant.
Laneigequi recouvrait les lieux faisait tout scintillercommedesdiamantsà la lueurde la lune.Malgrélefroidhivernalquiauraitdûtuerlesplantes,touteslesfleursbleues,rosesetviolettesétaientécloses,lageléeblanchesaupoudrantleurspétaleslesrendantencoreplusbelles.Les lianesde lierreetdeglycinequigrimpaient le longdumurn’avaientpasperdude leurvert
intense.Mêmelapetitechuted’eauquicouraitaumilieuduvergerd’arbresenfleursn’avaitpasgelécommeelleauraitdûlefaire.Unefinecouchedeneigedurciecraquaitsousmespiedsnus,sansquecelamegênât.Jedescendis
lapentedelacollineencourantetenglissantparmoments,maissansjamaistomber.Commedeuxbancsdejardinincurvésétaientdisposésprèsdel’étang,jem’assissurleplusproche.J’adorais ce jardin, qui était pour moi comme un écrin magique. Je m’adossai et inspirai
profondément.Mon souffle se dispersa dans la nuit froide comme du brouillard, et la lune faisaitétincelerdefinesparticulesd’airgivrécommedescristaux.J’étaisrestéetroplongtempsenferméeaupalais.Lecraquementd’unebrindillemetirademespenséesetjemeretournaipoursaisird’oùvenaitle
bruit.Jenevispersonne,hormisuneombrequisedéplaçait le longd’unehaiecôtoyant lemurdebriques.—Quiestlà?demandai-je.Jepensaisqu’ils’agissaitdeDuncanoud’unautrepisteurvenumechercher.Commepersonnene
répondit,jecommençaiàmedemandersimonidéedeveniricitouteseuleavaitétébonne.Jesauraismedéfendre,maisjen’avaisaucuneenvied’avoiràlefaire.—Jesaisqu’ilyaquelqu’un.Jemelevaietmarchaiautourdubancenépiantàtraverslesarbres.J’aperçusunesilhouetteprèsdumur,tropéloignéedemoipourquejepussedistinguersonvisage,
maislalunequibrillaitluisaitdanssescheveuxtrèsclairs.—Quiestlà?répétai-je.Je me redressai pour avoir l’air la plus imposante possible, ce qui n’est pas simple pour une
princesseenrobe,seule,lesoirdansunjardin.—Princesse?s’enquitunevoixsurprisequej’entendisserapprocher.Quand la silhouette sortit dederrièreunarbrepour sedirigerversmoi, jeparvins finalement à
mieuxladistinguer.—Loki?demandai-je.Unsentimentdejoiem’envahit,immédiatementsuivid’uneinterrogation.—Quefais-tulà?—Jesuisvenutevoir.Ilsemblaitàpeuprèsaussidéconcertéquemoi.—Ettoi,quefais-tudehors?—Jesuissortieprendrel’air.Maisjenecomprendspas.Commentsavais-tuquejeseraislà?—Jenelesavaispas.Jesuisentréparici.Ildésignaitlemurderrièrelui.—Jen’aieuqu’àl’escalader.Tudevraisvraimentfairesurveillerlecoin.
—Pourquoies-tulà?—Nefaispascellequineseraitpascontentedemevoir.Sonsouriremutinéclairaànouveausonvisage.—Jesuissûrquetuasétémalheureusedepuismondépart.—Pasdutout,décochai-je.J’aipréparémesfiançailles.—Oui,j’aientenduparlerdecettehorribleaffaire.Ilplissalenezensignededégoût.—C’estpourçaquejesuisvenu,pourtetirerdelà.—Metirerdelà?répétai-je.—Telunchevalierenarmurereluisante.Lokiouvritgrandlesbrasenmefaisantunerévérence.—JevaistejetersurmonépauleetescaladerlemurcommeRaiponce.—Raiponce s’est servie de ses cheveuxpour qu’unprince puisse s’y accrocher et grimper à la
tour,nonpours’enéchapper,répondis-je.—Pardonne-moi.LesVittrasnecroientniauxlégendesdebonnesfemmesniauxcontesdefées.—Moinonplus,dis-je.Etjen’aipasbesoinqu’onmesauve.Jesuisbienlàoùjesuis.—Oh,allez!dit-ilensecouantlatête.Tunecroispascequetudis,princesse.Enaucuncastune
devraisêtreenferméedansunhorriblechâteau,fiancéeàuncinglébarbant,etêtreobligéedesortirencatiminipouravoirunechancederespirerunpeud’airfrais.—Tesattentionsmetouchent,Loki,maisjesuisheureuseici.Or,mêmeaprèsavoirénoncélachose,jen’étaispascertained’enêtreconvaincue.—Jeteprometsunevied’aventures.Lokiagrippaunebranchepours’ybalanceretatterrirensuitesurlebancavecunegrâceétonnante.—Jet’emmèneraidansdesendroitsexotiques.Tudécouvriraslemonde.Jetetraiteraicommeune
princessedoitvraimentêtretraitée.—Toutcelam’al’airtrèsbien,répliquai-jeenluisouriant.J’étaisflattéeparlaproposition,mêmesijeneluifaisaisqu’àmoitiéconfiance.—Mais…pourquoi?—Pourquoi?Lokiéclataderire.—Pourquoipas?— Je ne peux pourtant pas m’empêcher de penser que tu essaies de me faire fuir mes
responsabilitésdeprincessetrylle,pourquejerejoignelacausevittra,dis-jehonnêtement.—Tupensesquec’estleroiquim’ademandédevenircesoir?Lokiritànouveau.—Leroimedéteste,meméprise,menacetouslesmatinsdemefairedécapiter.Lareineestvenue
merécupérercontresesvolontés.Toutcequ’ilvoulait,c’étaitquevousenfinissiezavecmoi.—Tuvois,jen’aivraimentaucuneenvied’allerretrouvercemonde-là,déclarai-jeavecunemoue
dedégoût.—Quiparlederetournerlà-bas?JetedemandedefuiravecmoilesTryllescommelesVittras,ces
stupidesfamillesroyalesetleursrèglesimbéciles.Ilfaisaitdegrandsgestesautourdenous.—Est-cepourcelaquetuavaisl’airfurieuxquandSaraasuggéréquejevienneavecvous?—Ça,c’étaithorrible,admit-il.Pendantuneffroyableinstant,j’aicruquetuaccepteraisetquece
seraitlafindetout.Jepenchailatêteverslui.—Lafindetout?—Leroinet’auraitplusjamaislaisséerepartirettun’auraispassurvéculà-bas,expliqua-t-il.— Qu’est-ce qui te fait croire que je ne pourrais survivre face au roi ? demandai-je. Je suis
puissante,intelligenteetmêmecourageuseparfois.—C’estexactementpourça.Parcequetuesbonneetcourageuse,gentilleetbelle.Ilsautadubancpouratterrirjusteenfacedemoi.—Leroidétruittoutcequiestbeau.—Danscecas,commentas-tupusurvivresilongtemps?J’entendais bien garder un ton mutin, mais à peine avais-je posé ma question que ses yeux se
remplirentdetristesse.Illesbaissaaussitôt.—Cettehistoireesttroplonguepourcesoir,princesse,maisjepeuxt’assurerquemasurvieaun
prix.Ilavalaavecpeine,s’éclaircitlagorge,etsonsourireréapparut.—Maisdis-moi,neviens-tupasdemetraiterdebeaucourageux?—Pasdutout.Jerisenm’éloignantdelui,tropconscientedesaproximité.Ilsemblaitémanerdeluidelachaleur
enmêmetempsquetropdecharme.—Bon,etquesepasserait-ilsij’acceptaistonoffre?Oùirions-nous?Queferions-nous?—Trèscontentquetumeposeslaquestion.Sonvisages’illumina.—J’aiunpeud’argent,pasbeaucoupbiensûr,maisj’aipucacherquelques-unsdesvieuxbijoux
demamère.Sijelesmettaisengage,nouspourrionspartirn’importeoù,fairetoutcequinouspasseparlatête.—Celaneressembleenrienàunplanviable.—LesîlesVierges,réponditLokienvitesseavantdefaireunnouveaupasversmoi.Ilnefautpas
de passeport pour s’y rendre, et il n’y a là-bas aucun troll, d’aucune sorte. Nous passerions nosjournéesdansl’océanetnosnuitssurlaplage.Ils’arrêtaetsonsouriresincèremefitmal.—Justenousdeux,conclut-il.—Jenepeuxpas,indiquai-jeavecunsignedetête.Jedétestaismerendrecompteàquelpointl’idéedes’enfuirloindetouteslespressionsettensions
dupalaisétaittentante.—Jenepeuxlaissertomberleroyaume.J’aiundevoirenversluietsonpeuple.—Tun’asdedevoirqu’enverstoi-même,celuid’êtreheureuse!insistaLoki.
—Non,cen’estpasvrai.Tropdechosesmeretiennentici,sansmêmeparlerdemonfiancé.—Nel’épousepas.Ilpouffarienqu’àl’idée.—Épouse-moiplutôt.—T’épouser?Jeris.—Tum’asditunjourquejenedevaismemarierqueparamour.—Oui,c’estvrai.Dansundesesraresmomentsdefranchise,Lokiétaitextraordinairementbeau.Ilapprochaencore
demoi,aupointquenousnoustouchionspresque.—Wendy,épouse-moi.—Ça…Jesecouailatêteensignedestupéfaction.—Çan’avraimentaucunsens,Loki.Jeteconnaisàpeineettues…tuesmonennemi.— Je sais. Je ne te connais pas non plus depuis longtemps,mais j’ai senti… quelque chose qui
passaitentrenousàlaminuteoùjet’aivue.Jesaisquetul’assentiaussi.Jebredouillai,cherchantàlecontrermaissansyparvenir.—Loki,uneconnexiondecetypenesuffitpasàconstruireunevieàdeux.—Jeme fichede savoird’où jeviensetqui est tonpeuple,dit-il simplement. Jepeux te rendre
heureuseettupeuxmerendreheureux.Nouspourrionsavoirunavenirmerveilleux.Sesyeuxposéssurlesmiensbrillaientcommedel’ormalgrélafaiblelumière.Unevaguesereine
m’envahit tandisqu’unesensationde relâchementmesaisitentièrement.Aumomentoù jecomprisqueLokiétaitentraind’essayerdem’endormir,lasensationpritfin.—Que vient-il de se passer ? lui demandai-je aumoment où le brouillard se dissipait demon
cerveau.Lokise tenaitàquelquescentimètresdemoiet jesavaisquejedevaism’éloignerdelui,mais je
n’enfisrien.—Jeneteferaipascela,dit-ilcalmement.Cequejet’aiditavantestvrai.Jeveuxêtrecertainque,
quandtuesavecmoi,c’estparcequetuleveux,etnonparcequetuyesobligée.—Loki…Jetentaideprotester.Ilmitsesmainssurmonvisageetellesmeparurentchaudesalorsqu’ellesauraientdûêtrefroides
aprèssonescaladedumur.Ilsepenchasurmoiets’arrêtaavantdem’embrasser.Sesyeuxplongésdanslesmienscherchaientuneformederésistance,maisjen’enopposaiaucune.Sa bouche contre lamienne, sa chaleurm’envahit. Il goûtait sucré et froid, et sa peau sentait la
pluie. Mes genoux faiblirent et mon cœur cognait contre ma poitrine. Ses mains se déplacèrent,s’emmêlantdansmescheveuxetmepressantcontrelui.Je jetaimesbrasautourde luiet je lesentis fortetpuissantcontremoi.Jeparvenaisàsentirses
musclescommeunmarbrechaudet je savaisqu’ilpouvaitm’écraser s’il levoulait.Mais la façondontilmetouchaitétaitpassionnéeetdélicateenmêmetemps.
Je voulaism’abandonner à lui, à son invitation, mais la voix de la raisonme poursuivait.Mesentrailles,aprèsavoirpalpitécommedespapillons,semirentàsetordreenfaisantdesnœuds.—Non,Loki.Cherchantl’airpourrespirer,jeretiraimabouchedeseslèvres.Toutenfaisantunpasenarrière,
jeposaimesmainssursapoitrineafindelerepousser.—Jenepeuxpas,pardon.—Wendy.Levisagegagnéparuneexpressionvulnérableetdésespérée,Lokimeregardam’éloigneretcela
mefitmal.—Jesuisdésolée.Maisçan’estpaspossible.Craignantdechangerd’avissij’hésitaispluslongtemps,jemeretournaietcourusverslepalais.
VINGT-SEPTSacrifice
Lesjourssuivantsfurentembrouillés.JefistoutmonpossiblepournepluspenseraubaiserdeLoki,niàladouleurterriblequej’éprouvaisàlapenséequejenelereverraisjamais.Ilfallaitjustequejecessassed’ypenserpourmepréoccuperuniquementdemonserment.L’entraînement avec Tove me donnait un lancinant mal de tête à l’arrière du crâne. Faire des
préparatifs avec samèreme faisaitmal également, dans cequime restait de cerveauvalide.Willaavaitfaitdesonmieuxpourjouerlesintermédiaires,maisAuroranesemblaitpasdisposéeàoubliernotreprécédentealtercation.CommeElorasesentaitmieux,ellenousrejoignitunaprès-midi.Jemedisaisquedel’avoiravec
nousdisperseraitunpeulestensions,maisiln’enfutrien.QuandAuroranes’enprenaitpasàmoi,elles’enprenaitàElora.Etquandellenelefaisaitpas,touteslesdeuxs’enprenaientàmoi.JepassailaplupartdemessoiréesavecDuncandanslabibliothèque,àétudierlepluspossiblela
vie des Trylles. Je trouvai un dictionnaire tryllique, que je dus consulter souvent pendant que jeparcouraisdesdocumentsanciens.Ilétaitimpossiblededevinerdequoiils’agissait,danslamesureoùlesTryllesn’utilisaientpasl’alphabetlatin.Ainsilemottrylliques’écrivait-ilТрыллиц.Assiseàlatableaveclapetitelampedebureaupourtoutelumière,jepassaismontempslenezdans
unlivre.Duncanparcouraitlesrayonnagespourtrouver,parmidescentainesdebouquins,celuiquiseraitleplusintéressant.Ilensavaitàpeineunpeuplusquemoisurl’histoiredesTrylles.—Onpasseunenuitblanche?Finnm’effrayatantquejefaillishurlerdepeur.Ilétaitdeboutauboutdubureauoùj’étaisassiseet
jenel’avaispasentenduvenir.—Ouais,jesuppose.Jepoursuivismalecture,m’efforçantderesterconcentréesurlespagesjauniesdulivreplutôtque
surFinn.Je ne lui avais pas parlé depuis que j’avais embrassé Loki, et d’une certaine façon, j’avais
l’impressionbizarredel’avoirtrompé.C’étaitd’autantplusstupidequej’étaisfiancéeàTove,etquecequecebonvieuxFinnetmoipartagionss’étaitenvolédepuislongtemps.—Ilfautquej’aillechercherquelquechose,ditDuncanensaisissantceprétextepoursortir.Il n’avait pas à le faire, dans lamesure où Finn etmoi n’avions besoin d’aucune intimité,mais
c’étaitgentilàluid’ypenser.Ilmelançaunsouriredesoutienavantdesedéfiler,melaissantseuleavecFinn.—Tucherchesquoi,exactement?demandaFinnenmontrantlapiledebouquinssurlebureau.—Toutetn’importequoi,dis-jeenhaussantlesépaules.Quelquechosemeditquejedevraispeut-
êtrecommenceràmieuxconnaîtremonhistoire.—C’estunehistoireimmense,ditFinn.—Ouais.Jem’enrendscompte.Jem’adossaiàmachaisepourpouvoirleregarder.Lafaiblelueurdelalampeneparvenaitguèreà
éclairersonvisage,maiscommesonexpressionétaitdetoutefaçonindéchiffrable,celan’avaitpas
beaucoupd’importance.—Lesfiançaillessontpourdemain,dit-il.Neferais-tupasmieuxd’êtreàl’étageavecWillapour
tepomponnerettefairebelle?—Non.Jeferaicelademainmatin,dis-je.Jesoupiraienpensantàlalonguejournéequim’attendait.—Àcetégard,desfélicitationssontsansdoutedemise.—Vraiment?Jefermailelivrequej’étaisentraindelireetmelevai.Comme je ne voulais plusme trouver près de lui encore une fois, jemedirigeai vers l’étagère
pouryreplacerlelivre.Jen’étaispascertainequecesoitlebonemplacement,maisilmefallaituneexcusepourm’éloigner.—Tuvastemarier,ditFinnd’unevoixcalmeetposée.Desfélicitationssontappropriées.—Peuimporte.Jepoussailelivredanslerayonnageetmeretournaipourluifaireface.—Tunepeuxm’envouloirdetesoutenir,ajoutaFinnenteintantsesmotsd’incrédulité.—Jesuislibredet’envouloirpourcequebonmesemble.Jem’appuyaicontrel’étagère.—Maisjenetecomprendspasdutout.—Qu’ya-t-ilàcomprendre?—Tum’aspresquearrachélebrasparcequetucroyaisquejeflirtaisavecLoki,maislejouroùje
décided’épouserTove,tunoustraitestousdeuxcommesiderienn’était.—C’estcomplètementdifférent.LeVittraétaitmauvaispourtoi.Ilt’auraitfaitdumal.Toveestton
promis.—Monpromis?pouffai-je.C’estpourluiquetumeprotégeais?Pourêtrecertainquepersonne
nemesouilleraitavantqueTovenepuissem’avoir?—Non,biensûrquenon.Jenefaisaisqueteprotégertoi.Tonnom,tonimage.—Ah!Etc’estdonccequetufaisaisenenfonçanttalangueaussiprofondémentdansmagorge
l’autrejour?—Jenesaispaspourquoituéprouvestoujourslebesoind’êtreaussigrossière.Ilbaissalesyeuxensignededésaccord.—Jenesaispaspourquoiilfauttoujoursquetusoisaussicommeilfaut!répliquai-je.Nepeux-tu
medireaumoinsl’effetqueçatefaitquej’épousequelqu’und’autre?Tut’enfichescomplètement?—Biensûrquenon!criaFinn,leregardbrûlant.—Danscecas,pourquoinefais-turien?luidemandai-jeavecdeslarmesdanslesyeux.Pourquoi
n’essaies-tupasdem’enempêcher,aumoins?—ParcequeTovesauras’occuperdetoi.Iltedéfendra.Finnavaitlagorgeserrée.—Ilpourrafairepourtoi,etavectoi,deschosesquejenepourraijamaisfaire.Pourquoidevrais-
jet’enleverça?—Parcequetutiensàmoi.
—C’estbienparcequejetiensàtoiquejenepeuxpas!—Jene tecroispas, indiquai-jeensecouant la tête.Tun’enas rienà faire,mêmequand jesuis
aveclui.Commentas-tuputemontreraussifurieuxquandj’étaisavecLoki?Tuasadmisêtrejalouxquandj’étaisenlacéeavecRhys.MaisquandjesuisavecTove,tut’enfiches.—Jenem’enfichepas.Ilsoupira,frustré.—Maisçan’estpaspareilpourmoiquandtuesavecTove.Celanem’ennuiepasautant.—Pourquoidonc?demandai-je,consternée.—Parcequ’ilestgai,Wendy!finitpardireFinn,exaspéré.J’étaistropabasourdiepourpouvoirréagir.JemerepassaichaqueinstantpasséavecTovepourme
rendrecomptequecequevenaitdedireFinnparaissaitfinalementévident.—Ilesthomosexuel?demandai-jecalmement.—Neluidispasquec’estmoiquitel’aidit,d’accord?Honteux,Finngrimaça.—Jenedevraispasfaireça.C’estuntrucintime,cen’estpasàmoidedévoilersasexualité.—Maisalorspourquoim’épouse-t-il?—Quet’a-t-ilditquandilt’ademandéeenmariage?—Iladit…qu’ilcroyaitenmoietqu’ilvoulaitquejedirigelepays.Jemeremémorailaconversation.—Qu’il le faisait pourme soutenir, pour notre peuple. Pour lesmêmes raisons quim’ont fait
acceptersaproposition.»Ilestgai,répétai-je.Aprèsavoirabsorbélanouvelle,uneautrechosemefrappa.—C’estpourcelaqueça t’estégal.Tusaisque jene l’aimepasetque jene l’aimerai jamaiset
donc, tu préfères que je l’épouse ? En revanche, tu croyais que j’aimais Loki, ou que j’aurais pul’aimer.—C’estbienplusgravequecela,Wendy,ditFinnensecouantlatête.Lokit’auraitblessée.—Maiscen’estpascelaquit’amisenrogne.Tuétaisjalouxquejepuisseenaimerunautre.Lacolèrem’envahit.—Tupréfèresquejeviveunmensongeplutôtquedetrouverlebonheuravecquelqu’und’autre.— Parce que tu crois pouvoir trouver le bonheur avec un markis vittra ? lança Finn. Il est
dangereux,Wendy.Jen’aijamaisfaitconfianceàcetypequitournaitautourdetoi.—Tuneluiaspasfaitconfianceparcequetusavaisquejel’aimaisbien!lançai-je.—Oui!s’écriaFinn.Ettunedevraispas.Ilestdangereux!—Tuneleconnaismêmepas!criai-jeàmontour.—Tuveuxt’enfuiraveclui?L’expressiondesonvisagesefigea,commepourtenterdecachersadouleur.—C’estçaquetuesentraindemedire?Quej’aiessayédet’empêcherdevivreuncontedefées
aveclui?—Non,cen’estpascequejedis.
Jeravalaismeslarmes.—J’ai refusédem’enfuir avec luiparceque je savaisqu’il fallait que je reste icipour aider le
royaume.Maisjen’enrevienspasdecequetupeuxêtreégoïste.Tuprétendsquetoutcequetufaisestpourmoi,etsic’étaitvrai,tum’auraisencouragéeàêtreheureuseaulieudemecoincericiavectoi.—Commentpuis-jetecoincerici?interrogeaFinn.—Commeça!J’agitailesmainsentrenousdeux.— Je ne peux t’avoir et je ne peux pas vivre sans toi. Je suis coincée entre ces deux faits sans
aucuneéchappatoire.Jet’aime,jenepeuxm’enempêcher,maistoi,tut’enfiches!—Wendy.Sonexpressionseradoucitetilavançaversmoi.Enreculantd’unpas,jemecognaiàlabibliothèquesanspouvoirallerplusloin.Ilapprochapour
metoucher,maisjelerepoussai.—Non!criai-je.Leslarmescoulaientsurmonvisage.—Jedétestequetumefassesça.Jedétestequetumerendesfolle.Jetedéteste!Iltenditlamainpourécarterunemèchedecheveuxdemonfront.Jejetailatêteenarrière,maisil
neretirapassamain.Ils’étaittellementapprochéquejesentaissoncorpscontrelemien.J’essayaidelerepousservivement,maisilnebronchapas.Ilnebougeraitpas.Sesmains,poséessurmonvisage,meforçaientàluifaireface.Son regard noir et profondme coupait le souffle, comme toujours. Il traça une ligne avec ses
doigtslelongdelanaissancedemescheveux.Peuàpeu,jemelaissaidésarmer,maisledésirnemequittaitpas.Il se pencha sur moi pour m’embrasser, sa bouche pressée sauvagement contre la mienne. Un
frémissementintensejaillitdemoncœurpours’étendreàtoutmoncorps,quisemitàfrissonner.Sabarbenaissantemegriffaitlapeautandisqu’ilm’embrassaitdésespérément.Quandseslèvresparcoururentmoncou,jegémisenagrippantsescheveuxdemesdoigts.Lepoids
desoncorpsnousfitbasculercontrelabibliothèque,leslivress’écroulèrentautourdenous,etnousaveceux.—Finn!C’étaitlavoixdeThomasquirésonnait,etnousinterrompit.Toujoursallongésurmoi,Finncessadem’embrasser.Ilrespiraitbruyammentetparà-coups,sans
cesser deme dévisager.Dans ses yeux, je lisais le désir qui le consumait, enmême temps qu’uneformedeterreur.Ilcomprenaitqu’ilvenaitdefairequelquechosed’horrible,sanssavoircommentrevenirenarrière.—Finn!hurlaThomasànouveau.Lâche-laavantquequelqu’untevoie!—Bien,monsieur.Finnsedégageademoietserelevaentrébuchantsurleslivresétalés.Jetiraisurmarobeavantde
melever,beaucouppluslentementquelui.
—Sorsd’ici!aboyaThomas.Vat’arranger!—Oui,monsieur.Pardon,monsieur.Finngardaitlesyeuxbaissés.J’essayaid’attraperunregardaupassage,maisilavaittrophonte.Il
s’enfuitdelapiècesansseretourner.—Jesuisdésolée,marmonnai-jesanstropsavoirquedire.J’avaisencorelegoûtdeFinnsurleslèvresetjesentaistoujourssabarbedequelquesjourssurma
joue.—Vousn’avezpasàvousexcuserauprèsdemoi,ditThomas.L’expressionaveclaquelleilmeregardaitétaitbienmoinsdurequecellequ’ilavaitréservéeàson
fils.—Ilfautvousprotéger,princesse.Regagnezvotrechambre,oublieztoutcequis’estpasséiciet
priezpourquepersonnenelesachejamais.—Oui,biensûr,opinai-jeenvitesse,toutenmarchantprudemmententreleslivres.J’étaispresquesortiedelabibliothèquequandThomasm’arrêta.—Monfilsneparlepasbeaucoupdesavie,ditThomas.Jem’arrêtaisurlepasdelaporte,meretournantpourleregarderpar-dessusmonépaule.—Nous n’avons jamais été proches l’un de l’autre. Ce travail est difficile. Il vous plonge dans
l’isolement,etc’estcequevousetmoiavonsencommun.—Jenemesenspasisolée,répondis-je.J’aitoujoursdumondeautourdemoi.—Vousavezeudelachance,maisiln’enserapastoujoursainsi.Ilpassasalanguesurseslèvres,marquantunepause.—Parfois,vousdevezchoisirentreamouretdevoir.C’estunchoixdifficile,leplusdurquevous
aurezàfaire,maispourlequeliln’existequ’uneseuleréponsejuste.—Etvousvoulezdirequecetteréponseestledevoir?demandai-je.— Je veux dire que, pourmoi, le devoir a toujours été la seule réponse, expliqua prudemment
Thomas.EtledevoirseratoujourslaseuleréponsepourFinn.—Oui.Jebaissailesyeux.—Jenelesaisquetrop.—Onregardesouventlespisteursdehaut.Illevalamainpourquejemetusseavantquejerépondisse.—Pas tout lemonde,maisbeaucoup.Onnousplaint.Maisnousmenonsuneviehonorableque
nousconsacronsaupeuple,enayantconsciencedel’importancedenotremission.Cellequicontribueàaméliorerlavieduroyaume.» La reine vit autant au service du peuple que le pisteur, si ce n’est davantage. Votre mère a
entièrement sacrifié sa vie pour son peuple. Il n’y a pas de plus grand honneur. Pas d’action plusélevée.Telestl’honneurquivousrevient,princesse.—Jesais,dis-je,encoreplusanéantieparcetteperspective.—Endéfinitive,vousapprendrezqueparlesacrifice,vousrecevrezplusquevousnedonnez,dit-
il.Ce fut un plaisir pourmoi dem’entretenir avec vous, princesse.Àprésent, je vais vous laisser
regagnervotrechambre.—Oui,biensûr,dis-je.Thomasmefitunerévérenceetpartit.Jecourusjusqu’àmachambreentenantmarobepournepas
me prendre les pieds dedans. Àmon grand soulagement, mes cheveux défaits tombaient surmonvisage,carjen’auraispassupportéquequelqu’unyvîtlahontequej’éprouvaisàcetinstant,nileslarmesquitachaientmesjoues.
VINGT-HUITHonneur
—Tuesmagnifique,assuraWillaàmonrefletpourlacentièmefois.Ellesetenaitderrièremoi,etdeboutfaceaumiroir,j’étaispersuadéequejeparaissaisadmirerma
robeblanche,alorsquejemereconnaissaisàpeine.Quelques jours avantmes fiançailles, j’avais embrassé deux garçons différents. Le plus étrange
étaitquejemesurprisplussouventàrepenseraubaiserdeLoki,quimesemblaitrétrospectivementtellement plus vivifiant, soufflant un vent nouveau surma vie. Bien que le baiser de Finnme soitapparumerveilleuxsurlemoment,ilm’avaitlaisséedépourvued’énergie.Lokim’avaitdemandédel’épouser tandisqueFinnm’avait repoussée,commeàsonhabitude,etcommeilcontinueraitde lefaire.J’avais voulum’effondrer en larmes après tout celamais, finalement, ce que je ressentais pour
LokiouFinnn’avaitpasd’importance.Celan’enavaitplus.J’étaisuneprincesseinvestied’undevoirenverssonpeupleetsonfiancé.ToveetFöreningméritaientlemeilleur,etjedevaismemontreràlahauteur.Ilfallaitquejedevinssecedontilsavaientbesoin.—Allez,Wendy.Willamepritparlebraspourm’entraîner.—Lafêtevacommencer.Tun’asplusletempsdetecontempler.J’opinaietlasuivis,pensantqu’ilmerestaitencoreunpeudetempspourmeressaisir,maisàpeine
étais-jesortiedemachambrequejetombaisurTove.Ilattendaitàlaporte.—Pardon,dit-ilenvoyantmonexpression.Monintentionn’étaitpasdevoussurprendre.—Non,çava.J’avaislabouchecommeanesthésiée,aupointqu’ilm’étaitdifficiledeparler.—Jevouslaisseensemble,lestourtereaux,déclaraWillaenmedécochantunclind’œilcomplice
avantdes’enaller.»J’espèrequecelaneportepaslapoissedevousvoiravantlafêtedefiançailles.Ilplongealamaindanssapoche.—Jenesaispastrèsbiencequeveutleprotocole,maisj’aiquelquechosepourvous.J’aipensé
préférabledevousledonneravantlacérémonie.—Vousn’aviezpasàm’offrirquoiquecesoit.—Oui,mais je l’ai fait,ditToveensortantunepetiteboîtede sapoche.Cela faitpartiedemes
attributions. J’aurais dûvous l’offrir quand jevous ai demandée enmariage,mais il faut direquec’étaitunedemandepassablementboiteuse.—Jen’aipastrouvé.Jeluisouris.—C’étaitadorable.—Bonenfin,j’espèrequelabaguevousplaira.Ilmetenditlaboîte,lecouverclerougetoujoursfermé.—Mamèreladéteste.
—Danscecas,jesuissûrequejevaisl’aimer,dis-je.Ilrit.Jesaisislaboîte,quej’ouvrisavecdesmainstremblantes.C’étaitunanneaudepurplatineparsemé
depetitsdiamantsetsculptéenformedelierreenserrantunegrosseémeraude.—Oh,Tove,elleestmagnifique.Enlapassantàmondoigt,jefussaisieparsabeauté.C’étaitunebagueexquiseetunsibeaugeste.Bienqu’ilnem’eûtrienditetquejenevoulaispasluienparler, jesavaisqueFinnavaitraison.
Toveétaithomosexuel.Nousneserions jamaisamoureux l’unde l’autre,maisnousétionsamisetnouspouvionstrouveruneformedebonheurensemble.Avecunpeudechance.—Vraiment?Tovepassalamaindanssescheveuxavecunpetitsouriredesoulagement.—Bien.J’étaisvraimentinquiet.Jenesavaispasdutoutcequevousenpenseriez.—Non,elleestabsolumentparfaite.Jeluisourisavecdeslarmesdanslesyeux.—Bien.Ilsemorditleslèvres.—Vousêtesvraimentravissanteaujourd’hui.— Merci. Vous êtes également splendide, indiquai-je en désignant son costume. Belle
métamorphose,markis!—Merci,princesse.Ilmetenditlebras.—N’est-ilpastempsquenousnousrendionsànosfiançailles?—Certainement,dis-jeenpassantmonbrasdanslesien.Ensemble,nousmarchâmesjusqu’àlasalledebal,pourdevenirlesdirigeantsdontlepeupletrylle
avaitbesoin.
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Unjour:troispointsdevue(UNEHISTOIRETRYLLE)
Unjour:troispointsdevue(UNEHISTOIRETRYLLE)
1.FINN
Samedi28octobreL’automneétaitd’unfroidinhabituel.Delapluieverglaçanteétaittombéedrutoutelamatinée,cequin’avait pas empêché les voyageurs de venir à Förening pour la fête de fiançailles de la princesse.Depuis la fermette familiale blottie dans le creux de la falaise, Finn avait entendu les voitures quimontaientverslepalais.Àcausedelacérémonie,sonpèreétaitoccupéàgarderlepalaisencasdenouvelleattaquevittra.
Maisdepuislatrêveinstauréerécemment,Finnpensaitpeuvraisemblablequecelaseproduise.C’estpour cette raison qu’il avait demandé à la reine l’autorisation de ne pas faire partie du corps degardesenservicependantlesfestivités.Ils’opposait trèsrarementauxdésirsdeSaMajesté,maisilsavaitquecettefois, il lefallait.S’il
étaitunechosequ’ilavaitapprise,c’estqu’onnepouvaitpluslelaissergraviterautourdeWendy.Aprèscequis’étaitpassédanslabibliothèquelesoirprécédent,Finnétaitdécidéàmettrefinàsa
liaisonaveclaprincesse.Nonqu’ilsaientréellementdémarréquoiquecesoitdesérieux,maisleurrelationavaitdérapé.Il ne comprenait même pas son attirance pour elle. Incorrigible, elle le provoquait chaque fois
qu’ellelepouvait.Ilétaitmêmecertainque,parfois,ellenelecontredisaitqueparcequ’elleaimaitladiscussion.Bienqu’intelligente,elleavaitdesréactionsirrationnellesetselaissaitbientropsouventemporterparsesémotions.Prendresoind’elleallaitcontretoutelogique,etFinns’étaitjuréd’enfinir.Pasintégralement:illa
respectaitetnesouhaitaitquesonbonheur,maiscejeuqu’ilsjouaientdevaitcesser.MêmesiWendyn’étaitpasencoreenmesuredes’enrendrecompte,ilsavaitqu’elleseraitplusheureusesanslui.Etunjour,ilfiniraitluiaussiparêtreheureuxsanselle.Dèsqu’ilenauraitlachance,FinnquitteraitFöreningpours’employeràunetâchequileconduirait
aussiloinquepossibledelaprincesse.Pour le moment, il avait dû accepter d’aider sa mère à s’occuper des chèvres. Pendant ces
fiançailles, il n’était pas complètement certain que les Vittras n’attaqueraient pas et ne voulait pass’aventurertroploindupalais.Aucasoù.Aveccefroiddecanard,laplupartdeschèvresrestaientdanslapetiteétable.Commeellesavaient
renversé toutes les bottes de paille queFinn et sa famille avaient pris la peine d’empiler, Finn lesréinstallaitpourquelesbêtespuissentgrimperdessus.Au-delàduchampderrièrelui,ilentenditclaquerlaported’entréedelamaison,etsajeunesœur,
Ember,sortitpoursedirigerversl’étable,lesolcrissantsoussespieds.—C’estpasjuste,gémitEmber.Finnlançaunebottedepaillesaledanslepréetseretournaverselle.—J’imaginequetun’espasvenuem’aider.—Pasvraiment,rétorqua-t-elle.
Embers’étaitdonnébeaucoupdemalpourbiens’habilleraujourd’hui,cequin’étaitpasfacileétantdonnélepeudejoliesrobesqu’ellepossédait.Annali,enbonnecouturière,luifaisaitpresquetoussesvêtements, mais comme Ember était un garçon manqué, elle préférait de beaucoup utiliser lesvêtementsqueFinnnemettaitplusetqu’illuipassait.La robequ’elleavaitmiseaujourd’huiétaitunpeupetitepourelle.Le tissubleu,qui luiarrivait
justeau-dessusdesgenoux,tiraittropsouslesbras.Sesbouclesbrunesétaientencoretoutesfrisées,maiselleétaitparvenueàlesretenirenarrièreavecquelquesbarrettesfixéesstratégiquement.Pourpouvoirsortiretmarcherjusqu’àl’étable,elleavaitenfilélesimmensesbottesencaoutchouc
desonpère,quicognaientlourdementlesol.—Toutlemondedansleroyaumevaauxfiançailles.Embers’appuyacontrelemurenregardantleplafond,oùroucoulaientquelquespigeons.—C’estpasjustequemamannemelaissepasyaller.—Toutlemondeyva,maispasmoi,corrigeaFinn.Mamannonplusetlaplupartdetesamisn’y
vontprobablementpas.— Mais toi, tu pourrais y aller, contra Ember en le regardant de ses yeux si sombres qu’ils
semblaientpresquenoirs.Tropgrandspoursonvisage,ilslafaisaientpasserpourplusjeunequesesdouzeans.—Maisjen’yvaispas.Il sedétournad’elle, espérantainsiéviterunenouvelleconversationàproposde laprincesse,et
s’emparad’uneautrebottedepaille.—Bien,danscecas,jedevraispouvoiryalleràtaplace.— Je n’y étais pas invité en tant qu’ami, lui rappela-t-il. J’aurais été là-bas pour assurer la
surveillanceettun’aspasencorereçuuneformationsuffisantepourgarderlepalais.—J’aicommencémaformation.Embercaressaitnonchalammentunechèvrequigrignotaitlebasdesarobe.—Ilnemeresteplusquetroisansavantd’obtenirmondiplômedepisteuretjesuislapremièrede
maclasse.—Jesuisbiencertainquetuesformidable,dit-ilenluisouriantpourmarquersasincérité,mais
ellecontinuaitdebouder. Ilyaura tantd’autres fêtesauxquelles tu seras invitée.Etune foisque tuaurascommencéàyassister,tuterendrascompteàquelpointellessontennuyeuses,sansintérêtetcommetuauraispréférén’yêtrejamaisallée.—Sûrementpas,marmonnaEmber.Finnsoupiraetapprochad’elle.Baissantlesyeux,elledonnauncoupdebottedansuncaillouqui
setrouvaitlà.Elleinspiraprofondément.Quandelleexpira,unpanachedebrumesortitdesabouche.—Çamefaitdelapeinededevoirteledire,Ember,maisnevapast’imaginerquelavieaupalais
estplusuncontedeféesqu’ici.Certes,lesrobesysontplusbelles,maisc’estàpeuprèstout,ditFinn.Ilfaitfroidetj’aifinidenettoyer.Sinousrentrionsdanslamaison?Embersecoualatête.—Jen’enaipasenvie.—Tuessûre?
—Oui. Je préfère rester dehors àmegeler àmort avec les chèvres plutôt que de retournermebagarreravecmaman.Finncherchaquelquechosed’autreà luidire,maisEmberétait têtuecommeunemule.De toute
façon,elleregagneraitlamaisonquandelleauraittropfroid,etàenjugerparlachairdepoulequil’avaitdéjàgagnée,ellenetarderaitpasàrentrer.Quand il quitta l’étable, Ember le suivit, mais seulement pour arpenter lourdement la cour au
milieu des chèvres qui avaient décidé de rester dehors. Elle sauta dans une flaque d’eau glacée,éclaboussanttoutautourd’elle,visiblementpourlibérerunpeudesafrustration.La chaleur du foyer le surprit agréablement quand il ouvrit la porte de la maison. Même s’il
pouvaitcritiquerdurementsaviedepuissonplusjeuneâgeàFörening,aucunendroitaumondeneluisemblaitaussiaccueillantquelafermefamiliale.Finnnesavaitpasexactementcequesamèreétaitentraindefairecuire,maiscelasentaitaussibon
quedupain fraisà lacannelle.Annali, assiseà lavieille tabledecuisine, était en trainde repriserquelquespantalonsetvestesusés.Finnsavaitcoudre,maissamèreétaitbienmeilleurecouturière.—Tasœurestencoredehors?demandaAnnalienlevantlatêteversFinn.—Oui.Ellejouedanslepré.Finnapprochadel’évierpourlaversesmainscouvertesdecrasse.—Bien.J’avaispeurqu’elletentedes’infiltreràcettefête.Elle tirasur lefildesonaiguilleetregardasonfils.LesépaulesdeFinnseraidirentdèsqu’elle
mentionnalafêteetellefronçalessourcils.Finn finit de se laver les mains et se pencha sur l’évier métallique pour regarder par la petite
fenêtrerondesituéeau-dessus.IlvitEmbercontinuerdepataugerdanslepré.—Tusais,jepourraisl’emmenerlà-bas,ditFinnprudemment.Histoirequ’ellevoiedequoiçaa
l’air.—Non,répliquaAnnalisèchementensecouantlatête.Ilyatropdemonde,etçaneseraitbienni
pourtoinipourelle.—Maissiellevoyaitcequec’estvraiment,commec’estennuyeuxetàquelpointtoutlemondey
estguindé,peut-êtrefinirait-elleparneplusparlersansarrêtdelaprincesseetdupalais.Ellelesamissuruntelpiédestal.Annalibougonna.—Jemedemandedequielletientça.—Ahbon,alorsc’estmafaute?dit-ilensetournantpourluifaireface.—Jen’aipasditça.Toutencontinuantdecoudre,ellelevalesyeuxverslui.—Ilnes’agitpasseulementdetoi.Oudetonpère.C’estaussicesfichuesécolesdepisteurs.On
passetellementdetempsàenseigneràcesenfantsqu’ilsnesontriencomparésàlafamilleroyale.—Cen’estpashorribleàcepoint,insistaFinn.Annali n’avait pas complètement tort,mais elle exagérait grandement.On enseignait aux enfants
quelesTryllesdehautrangavaientplusdetalentsetquec’étaitàcelaqu’ilsdevaientleurrang.Unebonnepartdelaviedespisteursétaitcertesdévolueàlesprotéger,maisc’étaitaussiunetâchenoble
etd’ungrandhonneur.C’étaitpeut-êtreuneformedenoblessedifférentedecelledelafamilleroyale,maisonapprenait
toutdemêmeauxenfantspisteursqu’ilsfaisaientpartieintégrantedelasociététrylle,qu’ilsétaientimportantsetavaientautantdevaleurquelesmarkisetmarksinnas.—C’estsuffisammenthorriblecommeça,soupiraAnnali.Ilyadesjoursoùj’aimeraispouvoir
sortirEmberdecetteécoleetl’emmenerloind’ici.—Pourquoinelefais-tupas?demandaFinn.S’éloignantdel’évier,iltiraunechaisepours’asseoirenfacedesamère.—Situdétestestantqueçacetendroit,pourquoinepars-tupas?Ellesecoualatête,faisantcommesiellen’yavaitjamaisréfléchi.—Oùirions-nousdonc?—Oùtuveux,répondit-ilavecunriresec.Tun’espasprisonnièreici.—Cen’estpasl’effetquecelafait,admit-elle.—Pourquoin’es-tupaspartie?demandaFinndoucement.Pendantuninstant,Annalineditrien.Bienqu’ilsn’enparlassentquerarement,ellesavaitqueFinn
étaitaucourantdecequis’étaitpasséentresonpèreetlareine.Ileutétéimpossiblequ’ilnelesachepas.Ilsvivaientdansunepetitemaison,oùAnnalietThomasavaientpasséunebonnepartiedesonenfanceàsequerellerausujetd’Elora.—Tonpèreneseraitjamaisparti.Annaliarrêtadecoudreenregardantsimplementlepantalonqu’elleréparait.—Etendépitdetout,jel’aimais.Jenepouvaislequitter.—Commentpeux-tuencorel’aimeraprèstoutcequ’ilt’afaitendurer?demandaFinn.—Non.Ellefitunsignedetêteenleregardant.—Tun’aspasàt’enfairepournotremariage.J’aipardonnéàtonpèreetc’esttoutcequicompte.—Situledis,répliquaFinn,quinesouhaitaitpaspousserplusloinlaconversationsurlesujet.— C’est pour cela qu’il est si important que tu t’éloignes de cette famille pendant qu’il en est
encoretemps.Elledéposasonouvrageetétira lebraspar-dessus la tablepourposer samainsur la sienne.Sa
peauétaitsècheetcalleuseaprèsdesannéesdedurlabeur.—Jesaispourquoitun’aimespaslareineetsafille,maiscen’estpaslamêmechosepourmoi,dit
Finn.—Non,c’estpire.Tupeuxavoirunevieheureuse,tupeuxaimerquelqu’unquit’aimeraenretour,
maisçanesauraitêtrelaprincesse.Jamais.Lesyeuxacajoud’Annalil’imploraient.—Tusaisquesitucontinuesdanscettevoie,tun’ytrouverasquemalheurpourtoietlaprincesse.
Ilfautquetupassesàautrechose.Lagorgeserrée,ilbaissalesyeux.—Jesais.C’estpourçaquej’accepterailepremierboulotvenupourm’enallerd’ici.—Bien.
Elleluisouritfaiblement.—Tumemanqueras,biensûr,maisilfautquetut’occupesdetoi.Tavieentièrenedoitpasêtreau
servicedesautres.FinnretirasamaindecelledesamèreaumomentoùEmbersurgitdanslamaison.Lefaitd’être
restéedehorsnesemblaitpasavoirmodifié sonhumeur.Ellecommençaàôter sesbottesavecsespieds,maisquandAnnali lagronda,Ember lesenlevaprécautionneusementpour lesplacerensuiteprèsdelaporte.Bienqu’elleparûtdécidéeàbouder,Finnessayadeladérider.Illuisuggérademettreunpantalon
pourqu’ilpûtl’entraîneraucombat.Àl’écoledespisteurs,ilsapprenaientpasmaldetechniquesdedéfense,ycompriscellesdesartsmartiaux.Cela sembla lui convenir et elle se dépêchade se changer.Sonbut principal dans la vie était de
devenirungrandpisteur comme sonpère et son frère, et chaque instantqueFinnpassait à l’aiderdanssonentraînementlacomblait.C’estainsiqu’ilpassalerestedel’après-mididehors,danslaboueetsouslapluie,àenseigneràsa
sœuràsebattre.Nil’unnil’autrenesebattirentaussibienqu’ilsauraientpu,carilsavaienttouslesdeux l’esprit encore absorbépar cette histoire de fiançailles.Mais en leur faisant oublier combientousdeuxsouhaitaientsetrouverailleurs,celalesdétendittoutdemêmeunpeu.Etparfois,c’était toutcequeFinnpouvait fairedemieuxpour lui-même.Sedistraire jusqu’àen
oubliercequ’ilnepouvaitposséder.Ilavaitunefamillequil’aimaitetunemaisonrempliedechaleurmalgrésonhistoire,etilsavaitquetoutlemondenepouvaitendireautant.
2.TOVE
Samedi28octobreIlneparvenaitpasàserappelerdesnomsdetoutlemonde.Dansl’ensemble,Tovesetrouvaitmêmeplutôtchanceuxdesesouvenirdunomdesafiancée.Cefutpourquoiquelorsqu’ilsétaientprésentésàdesgens,ToveparlaittrèspeuetlaissaitàWendylesoindefairelessalutationsrequisespendantlesfiançailles.Aumoins,lestadedesprésentationsdelacérémonieétait-ilachevé.Ilsvenaientdesedirigervers
lasalleàmanger.IlobservaWendy,assiseàcôtédelui,quisouriaitsilargementquecelasemblaitluifairemal.Sonauraétaitfroissée,d’unecouleurcacad’oie,etilsedemandaitpourlaénièmefoiss’ilavaitvraimentbienfaitdelademanderenmariage.Cela lui avait pourtant semblé lameilleuredes choses à faire sur lemoment.D’unpoint devue
politique,ilfallaitqu’ellerègnesurlepays,etsonsoutienainsiqueceluidesafamillenepouvaientquel’aider.Surleplanpersonnel,Tovenevoulaitpasqu’elles’obligeàfairecelatouteseule.Deplus,cen’étaitpascommesi l’unou l’autreavaitpuépouserquelqu’unqu’ilaimait.Maisau
moins, tousdeuxs’aimaientbien.Ilvalaitmieuxépouseruneamieplutôtquedepassersaviedansuneprisonfroideàl’imagedumariagedesesparents.Maisparfois,lorsqueWendysouriaitpolimentàunenouvelleinsultevoiléedesamère,Toves’en
voulaitdel’avoirainsiinvolontairementpiégée.Ilavaitfaittoutçapourl’aider,maispeut-êtreétait-ceparpurégoïsme, leurs fiançaillesempêchantAurorade luiposer tropdequestionsquantà sonmanquedepetiteamie.Toven’avaitquebrièvementenvisagédequitterFörening,d’acceptersonsortetd’êtrebanni.Mais
ilnepouvaitretournerdanslemondedeshumains.Sesdonslefaisaientsecomporterdefaçontropbizarre.Quandilsavaientcommencéàsemanifesteraudébutdesonadolescence,onl’avaitmisdeforcedansunhôpitalpsychiatrique.Serendrecomptequ’ilétaittrylleavaitétéuntelsoulagementpourlui.QuandFinnl’avaitpistéet
retrouvépourluiexpliquerqu’iln’étaitpasfou,quetoutcequ’ilentendaitetpercevaitétaitbienréel,çaavaitétéundesplusbeauxjoursdesavieC’estpourcelaqu’ilnepouvaitpartir.Renonceràlachancedepouvoirtomberunjouramoureux
étaitunlourdprixàpayer,maiscelavalaitlapeine.Pouvoirvivresaviehorsd’uninfâmeasiledefousétaitdéjàbienbeau.Maispeut-êtreétait-ilinjusted’exigerlamêmechosedeWendy.—Commentçava?luidemandaTovedoucement.—Hein?Elleétaitentraindesaisirdistraitementunefeuilledesaladedevantelle.Il n’avait pas mangé beaucoup lui-même, mais des évènements comme celui-ci lui faisaient
toujours perdre l’appétit. Bien qu’il eût passé la matinée à se vider de ses pouvoirs, sa têtebourdonnaitetilsentaitmonterdanssoncrâneunemigrainedepuislebasdelanuque.
—Commentçava?répétaTove.Ilsepenchaenavantetposasesbrassurlatableaprèsavoirrepoussésonassiette.Elorafitunbruitavecsalanguequandilplaçasescoudessurlatable,maiselleneditrien.Laseule
chosepositivedecettefêteétaitqueWendysetrouvaitassiseàcôtéd’Aurora,etToveàcôtéd’Elora,cequileurévitaitàtouslesdeuxdefairelaconversationàdesétrangerspendantledîner.Tove,Wendyet leursparents,ainsiqueGarrettetWilla,étaient tousassisà lagrande tablede la
salledebaltoutjusterénovée.Assistousdumêmecôté,ilsavaientl’airdeparticiperàlaCène.Lesinvitésétaientinstallésunpeupartout,leursvoixserépercutantdanslasalledebalenungrondementsourd.—Super.Wendys’efforçadeluisourire.—Etvous?—Ilestencoretemps.Ilsepenchaversellepourluimurmurerquelquechosequelesautresnepouvaiententendre.—Nouspouvonsencoreannulertoutça.Sivousvoulez.—Non.Enbaissantlesyeux,ellesecoualatêted’unefaçonquineluiindiquapassiellelepensait.—Jeneveuxpas.—Tove,queconspires-tuencore?Aurorasepenchaenavantpourmieuxlevoir.—Nousnefaisonsquenousmurmurerdesmotsdoux.Toveluisouritlégèrementetelleplissalesyeux.—Tusaisbiencommentsontlesjeunesamants.Wendy rit d’un rire franc et son sourire était éblouissant. Elle rayonnait tant, quand elle était
heureuse,quemêmeluiappréciaitsabeauté.—Non.Sourianttoujours,ellelevalesyeuxversluietsonauraviraplusverslejaune.Ilavaitréussiàla
détendreunpeu.—Jesuisheureusequevoussoyeziciavecmoi;carsiçan’avaitpasétélecas,j’auraisdûfaire
toutcelatouteseule.Etvoussavezbienquelemalheuraimelacompagnie.—Jesais,approuva-t-il.Quelquechoseavaitdû sepasser enelle,parceque sesyeuxbruns semblaientpeinésetque son
sourires’évanouitsoudain.—Àmoinsquevousnecherchiezàmedirequevousnevoulezplusdetoutcela.Sivousvoulez
vous retirer, je ne vous en voudrais pas. Je ne faisais que blaguer en parlant dumalheur et de lacompagnie.Jeneveuxpasquevoussoyezmalheureux.—Non,jenesuispasmalheureux,réponditviteToveenl’interrompantpresque.Etjeneveuxpas
meretirer.Vousépouserestloind’êtrelapirechosequipuissem’arriver.Commed’êtrebanniduroyaumeetenfermédansunemaisondefous.Celaseraitbienpire.Maisil
neleditpas.Aulieudecela,illuisouritetelleparutsoulagée.
Ilpritunegrandegorgéedevinensecalantsursachaise.Tove essayait de se convaincre du fait qu’il n’avait rien à se reprocher.Wendy savait qu’il ne
l’aimaitpasd’amour,etellenel’aimaitpasnonplus.Maistousdeuxétaientencorejeunes,etWendypouvaitunjourtomberamoureusedequelqu’unqu’ellepourraitépouser.Si cela se produisait, si Tove apprenait qu’elle était amoureuse de quelqu’un avec qui elle
souhaiteraitvivre,ils’écarteraitvolontiers.C’étaitlaconcessionqu’ilétaitprêtàfaire.—Vousdevriezfinirdemanger,princesse,ditAurora.Elleavaitbeaus’adresseràWendy,sesyeuxétaientbraquéssurlabaguedefiançaillesqueportait
celle-ci.Tovel’avaitlui-mêmechoisieetAuroraladétestait.Ellepassaunebonnepartiedelasoiréeàjeterdescoupsd’œilfurtifssurl’émeraude,cequifitsourireTovechaquefoisqu’ils’enaperçut.—Jecroisavoirfini,enfait.Wendyposasafourchettesursonassietteets’adossaàsachaise.—Tantmieux.Parcequelebalvabientôtcommencer.—Ilfautquenousdansions?rechignaTove.—Biensûr,ditElora.Latraditionveutquelesfiancésouvrentlebalàleurfêtedefiançailles.—Bon.Mais rien ne dit que l’amour aime danser devant des centaines d’étrangers,marmonna
Tove.—Lemariagen’a rienàvoir avec l’amour,ditElora, commesiToveavaitbesoinqu’on le lui
rappelât.Un domestique vint ramasser les assiettes vides, et l’orchestre semit à jouer. Samère avait fait
venir un orchestre de dix musiciens qui était installé au bout de la pièce, non loin de la tableprincipale.Avectouteslestablesquiencombraientlasalle,ilnerestaitpasbeaucoupd’espacepourlapistede
danse. Iln’yauraitpasdeplacepourplusquequelquescouples,maisçan’étaitpasgrave,puisqueseulsToveetWendydevaientdanser.Quandlesondel’orchestreaugmenta(Tovecrutquec’étaitunmorceaudeDebussy),Auroralui
lança un regard sévère. Malgré les parasites provoqués par la foule, il l’entendait clairement luidemanderd’inviterWendyàdanser.Ensoupirant,Toverepoussasachaisepourselever.Illuitenditlamainendemandant:—Puis-je?—S’illefaut.Wendymit samain dans la sienne.Dès qu’elle fut debout, un tonnerre d’applaudissements se fit
entendre.ToveguidaWendyautourdelatable.QuandilspassèrentderrièreAurora,celle-cisiffla:—Souriez.Ondiraitquevousallezàunenterrement!Lesapplaudissementscessèrentquandilsatteignirentlapistededanse,maistouslesregardsétaient
braquéssureux.Tovetrouvaittrèsembarrassantdesentirtouscesyeuxledévisager.Ils’efforçaderesterconcentrésurWendypourlesoublier.—J’auraisdûboireplusdevinpendantledîner,ditTovependantqu’ilss’essayaientàunevalse
lenteetquelquepeuétrange.
—Pardon.Elleplissalefrontquandillaregarda.—Çava?Vousavezl’airunpeu…lessivé.—Tropdemonde,admit-ilengrimaçant.Avantlejourdenotremariage,ilfaudraquejepassela
nuitàbougertoutcequejepeux,afind’êtrecomplètementépuisé.—Est-cequeçaaidesivouspensezàautrechose?demandaWendy.Jeveuxdire,sinousparlons
pouroccupervotreesprit,celaaide-t-ilàécarterlebruitdefond?—Unpeu.—OK,alors…Elleregardaautourd’ellecommesiellecherchaitunsujetdeconversation.—Quelhymnechoisirons-nouspournotremariage?—Vouspensezqu’Auroran’enapasdéjàchoisiun?demandaToveavecunsourireironique.—Non,etjenelalaisseraipaslefaire,l’informaWendy.Toveavaitdûparaîtreimpressionnéparcequ’elleritunpeu.— Je sais bien que ceci est une sorte de fauxmariage,mais il sera pourmoi le seul et unique.
Puisqu’AuroraetWillachoisissenttoutlereste,jevoudraisaumoinsavoirmonmotàdirepourlachanson.Illavit.Àpeinependantuneseconde,maisilvitquesonauras’étaitassombrieendevenantpresque
noirequandelleavaitditqueceseraitsonuniquemariage.Son expression n’avait pourtant pas changé. Elle avait appris à mieux mentir, à faire semblant
d’êtrecequelesTryllesattendaientd’elle.C’étaitcertainementpourlemieux,maisunepartdeluifuttristedeconstaterqu’elleperdaitdéjàunpeudesoninnocence.—Àquellechansonpensiez-vous?demandaToveensedépêchantd’effacersonmalaise.—Jenesaispasenvérité.Wendyritànouveau.—Jen’aipasvraimentréfléchiàmonmariageavanttrèsrécemment.Maisjesaisquejeneveux
rienderingardnidesupercliché.—Alors,EndlessLoveestàécarter?plaisantaTove.—J’enaipeur.Ellepenchalatêteverslui.—Etvous?Aviez-vousunechansonentête?—Non,jenesaispas.Ilhaussalesépaules.—Jenepensaispasavoirmonmotàdire.— Pourquoi ne choisirions-nous pas quelque chose ensemble ? demandaWendy. Qu’est-ce que
vousaimez?—Euh…Tove réfléchit à une musique qu’il aimait bien et qui pourrait se montrer adaptée pour la
cérémonie.—J’aitoujourseuunfaiblepourEttaJames.
—Vraiment?Wendyhaussaunsourcil.—Oui,vraiment.Pourquoisemblez-voustoujourssisurpriseparlamusiquequej’aime?demanda
Tove.VousetDuncanétiezchoquésquej’aimelesBeatles.—Jenesaispas;çamefaitsansdoutebizarredevousimaginerentraind’écouterdelamusique.Ellesecoualatête,faisantdansersesbouclesbrunessursesépaules.—Jenesauraisdirepourquoi.—Enfait,j’aimeénormémentlamusique,dit-il.Elleaideàréduirelebruit.—Sansdoute.Elleinspiraprofondémentetlefixad’unregardparticulièrementétrange.—Quoi?demandaTove,quicraignaitavoirfaitunebêtise.—J’ensaissipeusurvouset…Elles’interrompitetilattenditqu’elletrouvâtsesmotspourcomplétersapensée.—Etpourtant,jevaispasserlerestedemonexistenceavecvous.—Ehbien,celavouslaissepasmaldetempspourapprendre,non?Toveessayaitdesemontrerjoyeux,maisilsavaitcequ’ellevoulaitdire.Finalement,lemorceauseterminaàpointnomméetilsretournèrents’asseoir.Malheureusement,
ce n’était pas encore le moment de délivrance sur lequel comptait Tove. Les invités avaientmaintenantledroitdevenirjusqu’àleurtable,enprincipepouroffrirleursvœux,maissurtoutpourseplaindredequelquechose.Lechanceliers’arrangeapourmonopoliserunebonnepartiedutempsoctroyéàcettetradition.Les
gens faisaient la file derrière lui pour approcher de la table,mais il continuait à palabrer sans sesoucierlemoinsdumondedelagênequ’ilcausait.LapauvreWendyenfaisaitencoreunefoislesfrais,lespetitsyeuxperçantsduchancelierbraqués
sur elle. La seule chose positive était que, apparemment trop contrarié par la tournure qu’avaientprise les évènements, il ne put se permettre la moindre pensée obscène concernant la princesse.C’étaitpourToveunsoulagementdenepaslirelespenséessordidesdecethorribleindividu.—Pardon, je ne voudrais pas vous importuner, dit lemarkisBain en attirant à lui le regard de
Tove.Celui-ci avait été trop occupé à observer le chancelier pour remarquer le markis qui s’était
approchédelatable.—Euh,non.Vousnemedérangezpas.Tovecoinçasescheveuxderrièresesoreillesensepenchantsurlatable.—Pasdutout.—J’aiplusoumoinscoupélafile,admitBainhonteusementenmontrantdudoigt lechancelier,
qui continuait son incessant bavardage avecWendy.Mais je ne voulais pas forcément parler à laprincesse.Jeveuxdire,jelevoulais,maisvousétiez…disponible.—Commejesuiseneffetdisponible…toutvabien,luiditToveenluisouriant.Bain avait la charge du placement des substitués, et de ce fait, Tove l’avait déjà aperçu souvent
autourdupalais,maisilsnes’étaientjamaisentretenus.Tovel’avaittoutdesuiteremarqué,carBain
possédait lesyeuxbleus lesplusbrillantsqu’il avaitvusde savie,d’une rareté incroyabledans lacommunauté trylle.C’étaitmêmesi rareque,dans tout le royaume,Toveneconnaissaitqu’unseulautreTrylleauxyeuxbleus.Celasignifiaitquequelquepart,plusieursgénérationsenarrière,undesancêtresdeBainvenaitde
Skojare,unetribudetrollspluspetiteetconnuepoursonattirancepourl’eau.Quoiqu’ilenfût,TovesefichaitpasmaldelalignéesanguinedeBain.Poursamère,celaavaitdel’importance,maissurdessujetscommecelui-ci,sonopinionnecomptaitpas.—Jevoulaisvoussouhaiterbonnechance,ditBain.—Chance?demandaTove,peucertaind’avoirbiencompris.—Pourvotrefuturmariage,ajouta-t-ilendésignantWendy,assiseàcôtédelui.EtToveserenditcomptetristementqu’ilavaitcomplètementoubliéqu’elleétaitlà.—Biensûr.Toveseforçaàsourireetopina.—Merci.—Jedoisdirequej’aiétéunpeusurprisd’apprendrequevousétiezfiancéàlaprincesse.Bainpassaunemaindanssescheveuxbrunsenbaissantlesyeux,commes’ilétaitgênéparcequ’il
venaitdedire.—Nonquevousnesoyezpasunbonchoix.Parcequevousl’êtes.Je…Tovesepenchaencoreplussurlatable,pourdired’unevoixétouffée:—Jevousassurequejesuislepremiersurprisd’épouseruneprincesse.Bain releva les yeux vers lui, laissant son regard s’attarder sur Tove un peu plus qu’il était
convenable.Àpeineunpeuplus âgéqueTove, il était élancé et plutôtmignon, unpeu commeunjeuneJohnnyDepp.Celafaisaitencoreplusressortirsesyeuxetlerendaitirrésistible.—Ehbien,jesupposequejevousverraiunpeuplussouventdanslesecteur,ditBainenfaisantun
pasenarrière.Puisquedésormaisvousallezvivreettravaillerici.—Super,ditToveavantdesereprendretrèsvite.Jeveuxdire,oui.Jevousverraiparici.Quand Bain quitta la table, Tove détourna les yeux à contrecœur. Il se cala dans son siège en
soupirant,puisremarquaquelechancelierétaittoujoursentraindemonopoliserWendy.—Vousavezeuvotretour,ditToveencoupantlechancelieraumilieud’unephrase.Filez.—Excusez-moi ? demanda le chancelier, interloqué, en ouvrant ses petits yeux aussi grand que
possible.Aurorase racla lagorgepourattirer l’attentiondeToveetessayerde l’empêcherd’être impoli,
maisill’ignora.—Vousm’avezbienentendu.Toveledévisagea.—Allez-y.Lechancelierbafouilla,maisfitcequiluiétaitdemandéensetordantlesmainstoutens’éloignant
delatable.Unefemmesurvintaprèslui,maisavantqu’elleeûtletempsd’ouvrirlabouche,WendylançaàToveunsourireentenduenarticulantsilencieusementlesmotsMercibeaucoup.Lafemmeleurfitderapidesfélicitations,cequiconstituaitunagréablechangementderythmepour
lequelTovevoulutlaremercier,maisilavaitoubliésonnom.Heureusement,Wendys’interposapourlefaire,luiévitantainsideperdrelaface.Pendantquesepoursuivaitcequisemblaitêtreuneinterminableprocessiondesympathisants,Tove
se surprit en train de chercherBain des yeux aumilieu de la foule.Bien qu’il ne parvînt pas à leretrouver,celaconsolidaitsonengagementàépouserWendy.Ilyavaituneautreraisonégoïste,unequileculpabilisaitdavantage,quilepoussaitàlapiégerdans
toutceci.Cependant, iln’existeraitpourTovequ’une seule façond’instaurerde réelschangementsdans la société trylle, commeceluidepermettreàchacunde tomberamoureuxdequi ilvoulait. Ilfallaitqu’ileûtlepouvoir,qu’ilfûtroi.
3.LOKI
Samedi28octobreTandisqu’ilfaisaitlescentpasdanssacellule,lalampevacillaau-dessusdeluietLokiluilançaunregard furieux. Il détestait le cachot, mais pas pour les raisons qu’Oren aurait souhaitées. Il luisemblaitsimplementtoujoursexagéréavecsesbriqueshumides,sonsolimmondeetlesgnomesàlaporte.Toutétaittropprévisiblepourêtreterrifiant.Nonseulementça,maisenplus,lebâtimentn’étaitpastrèssolide.Alorsqu’Orenpensaitavoirété
assezmalinpourenchaînerLokiaumuravecde lourdesmenottesetdeschaînesenfer, ilavaitpufacilementlesarracherdubéton.Àprésent,ilmarchaitdanssacelluleentraînantderrièreluiunblocdebriquesaccrochéàdeschaînes,maisaumoinspouvait-ilbougerlibrement.Lesloquetsdesécuritédelaported’entréecliquetèrentens’ouvrantetLokibougonna.—Situpensespasserautantdetempsavecmoi,sire,tuferaismieuxdemefaireinstallerdansla
suitenuptialeàcôtédelatienne,ditLokitandisquelaportecommençaitàs’ouvrir.Celat’éviteraitd’avoiràfairetoutcetrajetpourdescendrejusqu’ici.—Désoléedetedécevoir,maiscen’estquemoi,indiquaSaraenentrantdanslacellule.Lokis’immobilisapourlaregarder.Ilnepensaitpasqu’elleseraitvenueluirendrevisite.Elleavait
juréqu’elles’enlaveraitlesmainss’ilrataitsamission,cequiétaitlecas.Depuisqu’ilétaitrevenuàOndarike,elleneluiavaitmêmepasadressélaparole.Etlavoiciquiarrivaitaucachotenportantunplateauavecunpeudenourritureetunverred’eau.Il
l’observapourvoirsisonvisageneportaitpasdetracesdebleusoudemarques,etcommeiln’envitpas,ildétournalesyeux.—Queveux-tu?demandaLoki.—Envoilàdesfaçonsdeparleràsareine,ditSara.En entrant, elle ferma la porte derrière elle et remarqua qu’elle était sérieusement cabossée,
probablementenraisondestentativesdeLokipours’échapper.Ilavaitbeauprétendrequesavieluiimportaitpeu,ilnesebattraitpasainsis’ilnevoulaitsurvivre.—C’estvrai.Lokiluienvoyaunsouriremoqueur.—Pourquoinemejettes-tupasaucachot?Celameserviraitdeleçon.Oh,attends…—Tusaisbienquejenevoulaispasquetusoisenferméici,ditSara.Jen’aijamaissouhaitétevoir
ainsi.—Non?Ilsecoualatête.—Tunel’aspourtantpasempêchédem’enfermerici.—Etquedevais-jefaire,Loki?Saraapprochadelui,l’airsuppliant.—Tuaséchouéettulesais.
Loki ne répondit rien. Il regardait par terre, lesmâchoires serrées. Comme il ne portait pas dechemise, Sara vit les traces toutes fraîches de fouet qui luimarquaient le dos. Pour lemoment, iln’avaitquepeudelignesrougevifsurlapeau.Mais le roi ne faisait que commencer. Il était connupour fairedurer ses châtimentspendantdes
mois,quelquefoisdesannées,entorturantsesvictimesinlassablement.—Jet’aiapportéàmanger,ditSaradoucementenluitendantleplateau.Ill’observaavecmépriset,pendantuninstant,Saraeutpeurqu’ilnejetâtleplateauausol.Aulieu
decela,iltenditlebraspourprendreleverred’eau,seschaînescliquetantcontreleplateauenmétal.Avantdeprendreunegorgée,ilmurmura:—Merci.Puis,ilavalarapidementleverred’eauetlereposasurleplateau.—Tuneveuxpasmangerunpeu?demandaSara.Ilfitnondelatête.—Tudevrais.Tudoisprendredesforces.—Ilvautmieuxquejeneretrouvepasmesforces,dit-ilenpassantunemaindanssescheveux.La
mortviendraplusviteainsi.—Nedispascela.Ellesemorditleslèvres.—Tunelepensespas.—Jenepensepasquoi?Lokiéclatad’unriresinistre.—Biensûrquesi!Orenvametorturerjusqu’àcequejecrève,alorsoui,autantenfinirleplus
vitepossible.C’estlaseulechosesensée.—Peut-êtrepas.Endisantcela,SaraneparvintmêmepasàregarderLokidanslesyeux.—Oui, ilne le ferapeut-êtrepas,admitLokid’un tonamer.Peut-êtreaurais-je lachanced’être
immortelcommeOrenetdepasserlerestedel’éternitédanscecachot.Pasmal,non?—Pourquoinel’as-tupastoutsimplementramenée?lançaSara,surpriseelle-mêmeparletonde
savoix.Elle avait toujours les yeuxbaissés, et quand elle releva la tête, ses yeuxbruns étaient pleins de
larmes.—Situavaisramenélaprincesse,tuneseraispaslà.Illaregardaunmoment,puissecoualatêteendétournantlesyeux.—Jenepouvaispasluifaireça.—Situtepréoccupesd’elle,tuauraisdûlefaire,continuaSara.Ilt’auraitmariéàelle.Tuaurais
puvivreavecellepourtoujoursengouvernantceroyaume.— Tout d’abord, tu sais aussi bien que moi que le roi n’abandonnera jamais le pouvoir,
désapprouva Loki. Il tient seulement à posséder la princesse parce qu’elle est le dernier jouet envoguechezlesTrylles.Ilnelalaisserajamaisluiprendrelepouvoir.—Ilvabienfalloirqu’ilseretireunjour,insistaSara.Illuifautunehéritière.
— Il ne veut que d’une héritière qui se pliera à ses quatre volontés, dit Loki en se remettant àmarcher.Wendyn’arienàvoiraveclui.Ilferatoutcequ’ilpeutpourlabriser,pourlatransformerenunehorriblebrutecalculatrice.Illadétruira.—Non,jel’enempêcherai.Jelaprotégerai.—Tuveuxdire,commetum’asprotégé?Ilseretournaverselleenhaussantunsourciletellesemorditlalèvre.—J’aiessayé.Savoixsebrisa.—Maisiln’yavaitrienquejepuissefaire.—Jesais.Lokisoupira,regrettantcequ’ilvenaitdedire.— Je ne t’en veux pas. C’était mon choix. Le roi m’a envoyé la chercher. Je savais à quoi
m’attendresijenelaramenaispas.Etjenel’aipasfait.—Tun’avaispasàrevenir.Lavoixtremblante,elleposaleplateauausolpourpouvoirs’essuyerlesyeux.—AprèsêtrealléàFöreningl’autrejour,tun’avaisqu’ànepasrevenir.—Jenecomptaispaslefaire.Lokisetutuninstant,sedemandants’ildevaitluidireounonlavérité.— Le roi m’a renvoyé la chercher, sachant que j’avais réussi à gagner sa confiance, mais j’ai
demandéàWendyqu’elles’enfuieavecmoi.Etjelevoulaisvraiment.Sielleavaitditoui,jel’auraisemmenéeloindetoutça.—Maisellearefusé?demandaSara.La gorge serrée, il ne dit rien pendant une minute. Les épaules basses, il paraissait découragé
commeSaranel’avaitjamaisvujusqu’ici.—Finalement,toutestpourlemieux,ditLoki.Sielleétaitpartieavecmoi,sonpeupleauraitvécu
un enfer.Oren aurait prétendu qu’ils avaient brisé la trêve et ilsm’auraient gardé en otage. Il lesauraitattaquésavectoutcequ’ilpouvaitetlesTryllesn’auraientpaseudeprincessepoursedéfendre.—C’estpourçaquetuesrevenu,compritSara.Situétaisrestééloigné,Orenlesenauraitblâmés
etseseraitjetésureux.—Il lesaurait tuéset il l’auraitenlevée,acquiesçaLoki.Àseule finque jenesouffrepas, jene
trouvaispasquecebaindesangvaillelapeine.—Loki.Elleapprochadeluienessayantdemettresamainsursonbras,maisillarepoussa.—Ilfautquetut’échappes.Ellebaissalavoix,aucasoùlegardienauraitpul’entendre.—Jepeuxt’aider.—Jecroisqu’ilesttroptardpourmoi,Sara.Illuisourittristement.—Enrevanche,tudevraist’enallerpendantqu’ilenestencoretemps.Laportes’ouvritderrièreeux,etSaras’éloignadeluipromptement.
Orenjaillitdanslapièce,lesmanchesdesachemisenoireretrousséesetleboutonsupérieurdéfait,commes’ilpensaitenfinir.Ilportaituneépéedanslamaindroite,lesdiamantsdelagardescintillantsursamain.—J’auraispréféréquetumedisesquetuvenaisvoirLokiaujourd’hui,ditOrend’unevoixrauque
ensouriantàsafemme.J’auraisput’épargnerlevoyage.—Jenefaisaisqueluiapporteràmanger.Saradésignaitleplateauausol.—Ilmesemblaitqu’ildevaitgarderunpeudeforce.—Maisnon,jen’aipasbesoindeforce.LokirepoussaSarad’unreversdemainenfaisantcliqueterseschaînesetenmontrantl’épée.—Leroivientpourmetuer.Lesourired’Orens’élargittandisqu’ilregardaitLoki.—Tupeuxplaisanterautantquetuveux;bientôt,tumendieraspouravoirlaviesauve.—Comment préfères-tu que jemendie, sire ? demandaLoki. Sur les genoux ?Parce que ça, je
peuxlefairetoutdesuite,situveux.—Loki,lerabrouaSara.—Mareine,veux-tunous laisser, s’il teplaît?demandaOrensans la regarder. J’aibesoind’un
momentseulavecnotreprisonnier.—VotreMajesté.Lesyeuxgrandsouvertsetpleinsdeterreur,SarasetordaitlesmainsenregardantOrenpuisLoki.—S’ilvousplaît,nefaitesriend’irréfléchi.—Jenefaisjamaisriendetel,lançaleroi.Maintenant,laisse-nous.SaralançaunregardversLokicommepours’excuser.Ilvoulutopiner,fairequelquegestequilui
ferait comprendreque ça allait, qu’elle pouvait s’en aller etmêmequ’il l’encourageait.Mais il nepouvaitpas.Silerois’enétaitaperçu,celaauraitpusignifierqu’elleavaitdemandélapermissiondeLokietSaraauraitfiniparpayercelatrèscher.Aucontraire,Lokinefitriend’autrequederegarderleroistoïquement.Saraquittalecachotsans
unmotniàl’unniàl’autre,etlaporteserefermaavecunbruitlourdderrièreelle.—Mafemmetienttropàtoi,ditOrensimplement.—Toutdépenddeceque l’onentendpar« trop»,déclaraLokienhochant la tête,commepour
considérer lachose.Dumomentque tues incapabled’aimerquiquecesoitpuisque tun’aspasdecœur,jesupposequ’uneinfimedosed’attachementteparaîtdéjàdetrop.Leroiéclataderirebruyammentetlevasonépéeenl’agitantenmêmetempsqu’ilparlait.Lokidut
faireuneffortpournepasgarderlesyeuxfixéssurlemétalquibrillaitdanslalumière.—Jevaist’accorderça,Loki.Jet’aitoujourstrouvédrôle.Jenel’aijamaisditàpersonne,maistu
mefaisrire.—Jemesuistoujoursprispourlebouffonduroi,ditLoki.—Ettul’asété.Untrèsbonbouffonmême.OrensefrottalementonetfitfaceàLoki.—Maissituavaisétébonàautrechose,nousn’enserionspaslà.Veux-tuquejetedisecequejene
peuxvraimentpassupportercheztoi?—Moncharmede jeunehomme?Mastupéfiantebeauté?Mescheveuxindomptables?suggéra
Loki.—Tun’asjamaissuquandlafermer.Orenseretournaversluietbranditsonépée.IllapointatoutdroitsurLoki,etquandlapointedela
lametransperçasapoitrinejusteau-dessusducœur,Lokinebronchapasd’unmillimètre.Ilavalasasaliveencontinuantdefixerleroidanslesyeux.Orennepoussapaslalameplusprofondément.Leroiplissadesyeuxenledévisageant.—Jepourraistetueràl’instantmême.—Jem’attendaisàcequetulefasses,admitLoki.—Jesais.Orensouritlargement.—C’estpourcelaquejenevaispaslefaire.Il retira l’épée qui avait pénétré dans la poitrine de Loki en n’y causant qu’une blessure
superficielle. Sans bouger, Loki dut se retenir pour ne pas réagir à la douleur tandis que du sangcoulaitsursapeau.—Jeveuxtefairesouffriràlafaçondonttum’asfaitsouffrir.—Ahbon,tusouffres?décochaLoki.Tunesaismêmepascequec’estqueladouleur.Tun’as
jamais…AvantqueLokipûtfinirsaphrase,leroilepritentraîtreenlecognantdetoutesapuissanceàla
mâchoireaveclagardedesonépée.LesdiamantspénétrèrentlapeaudeLoki.LeroifrappasifortqueLoki dut rassembler toutes ses forces pour ne pas s’écrouler. Il refusait de donner àOren ceplaisir.Ilseredressa,crachantdusangsansyprêterattentionetsansquitterOrendesyeux.Sescheveux
étaienttombéssursesyeux,maisLokinelesrepoussapas.—Tupeuxesquintermonvisageetmescheveux,maisjeseraitoujoursplusbeauquetoi,ditLoki
ensouriantmalgréladouleurquiletenaillait.Baissantlavoixcommes’ilconspiraitavecLoki,Orensepenchaenavantpourluidire:—Jesaisquetuveuxquejetetue,Loki.C’estpourçaquejeneleferaipas.Jesaisaussiquetu
peuxàpeinesurvivresansinteraction.Mêmequandjevienspourtefrapper,celatemaintientenvie.Tun’attendsqueça.—Oh,oui,jemelanguistellementderecevoiruncoupdepoingdanslamâchoireouuncoupde
fouetdansledos,répliquaLoki.J’aiécritdejolispoèmessurlafaçondonttumebattaisquandj’étaisenfant.—Tunesaisriendelavéritabletorture,continuaOren,sansécoutercequeLokivenaitdedire.—Tuasraison.Leseffetsdecetteépéenesontriencomparésàceuxdubannissement.Jesuisprêt
àsupporterlaguillotinequandtuveux,pourvuquequelqu’unassisteauspectacle.—Tupeuxtoujourscontinueràplaisanter,maisiln’yauradésormaispluspersonnepourrirede
tesblagues,ditOrenenregagnantlasortie.J’interdisàSaradetevoiretauxgardesdeteparler.Tun’aurasplusrien.Quandjeseraisortid’ici,tonseulsouhaitseraden’avoirjamaisvulejour.
—C’estcequej’aitoujourssouhaité,sire,ditLokienexpirantprofondément.Oren éclata de rire en quittant le cachot.Loki l’entendit rire longtemps après la fermeture de la
porte,pendantqu’Orens’éloignait.N’ayant aucun autremoyen d’exprimer sa frustration, il attrapa le plateau et le balança dans la
pièce.Celui-cis’écrasacontrelemur,secabossantavantderetomberparterre.Lokise jetadedoscontre lemurense tenant la tête.Àlavérité, ilnesavaitabsolumentpass’il
serait capable de survivre à tout cela. Isolement, tortures, constantes menaces de mort ; même sic’étaitexactementceàquoiils’attendait,celanerendaitpasleschosesplussupportables.—Aumoinsfaut-ilespérerquecetteprincesseenvaillelapeine,marmonnaLokipourlui-même.Maisàpeineeut-ilprononcécesparolesqu’ilseremitàpenseràelle;labontéqu’ilavaitluedans
sesyeuxetlefaitqu’ellel’avaitdéfenduensebattantpourluisauverlavie,alorsquesonpeupleàluinel’avaitjamaisfait.Ilsn’avaientpasséquepeudetempsensemble,maiselleluiavaitfaitéprouverplusdesensationsqu’iln’enavaitjamaisconnu.Elleenvalaittrèscertainementlapeine.Qu’importecequeluiferaitleroi,Lokirecommencerait
volontierstout,sicelasignifiaitqu’ilpourraitéviteràWendylemêmedestin.
ÀPROPOSDEL’AUTEUREAMANDAHOCKINGfaitpartiedesauteursàsuccèsduUSATodayaveclatrilogiedesTryllesetsessix autres romans publiés à compte d’auteure. Après avoir vendu plus d’un million de livres,originellementparussurInternetsousformedelivresenligne,saproductionestconsidérée,àl’èrenumérique,commel’exempled’unformidablesuccèsd’autoédition.Ellevitdansl’ÉtatduMinnesota,oùelletravailleàlarédactiondesonprochainlivre.Rendez-vous
sur son site Internet auwww.amandahocking.blogspot.com ouwww.trylleseries.com (les deux sitessontenanglaisseulement).