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36 KAIER AR POHER N° 45 – Juin 2014 La trève de Saint La trève de Saint La trève de Saint La trève de Saint-Tudec dec dec dec dans la paroisse de Pou dans la paroisse de Pou dans la paroisse de Pou dans la paroisse de Poullaouën laouën laouën laouën Marie GUEZENNEC Le chanoine LE FLOC’H définit la trève comme « une succursale de la mère- paroisse gouvernée par un kure (en français : « un vicaire »), sous l’autorité d’un person ou recteur de la paroisse-mère, fonctionnant à l’instar de celle-ci, avec un territoire, une église tréviale et cimetière, des registres ». La chute de l’Ancien Régime a entraîné la suppression des trèves, érigées en paroisses indépendantes pour les plus importantes, réunies à leur paroisse-mère si l’étendue de leur territoire et le nombre de leurs habitants étaient trop modes- tes. n 1849, les habitants de l’ancienne trève de Saint-Tudec, au nombre de 900 répar- tis dans 35 hameaux, ont adressé une pétition au Conseil Général pour qu’elle soit érigée en commune, compte tenu de l’éloignement du bourg. Leur demande a été refusée. Tout en ayant perdu son statut d’église tréviale, la chapelle de Saint-Tudec a été desser- vie par un prêtre résidant au presbytère, jusqu’à sa vente en 1904 à un habitant du quartier. Les descendants des anciens tréviens ont continué à se faire enterrer dans les tombes familiales qu’ils possédaient dans le cimetière. La dernière inhu- mation a eu lieu le 2 août 1914. L’enclos du placître A l’intérieur de l’enclos, il ne reste que l’église tréviale et une croix à personnages, pas la moin- dre trace de l’ossuaire où l’on recueillait les restes des défunts pour procéder à de nouvelles inhu- mations. Les dernières pierres tombales ont servi à construire le débarcadère à bestiaux sur la place de la mairie, et le pont de Pulufen sur le chemin menant à l’ancienne halte de PLOUNÉVÉZEL. Les murets qui entourent le placître empêchaient les animaux de pénétrer dans l’enclos, un lieu de sépulture sacralisé par la présence de la croix ; les fidèles y accédaient en enjambant un échalier, E EN HAUT La chapelle de St- Tudec vue du nord Photo G. Le Penglaou CI-CONTRE Vue aérienne prise du sud-ouest. Photo DRAC

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36� KAIER AR POHER N° 45 – Juin 2014

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dans la paroisse de Poudans la paroisse de Poudans la paroisse de Poudans la paroisse de Poulllllaouënlaouënlaouënlaouën

Marie GUEZENNEC

Le chanoine LE FLOC’H définit la trève comme « une succursale de la mère-paroisse gouvernée par un kure (en français : « un vicaire »), sous l’autorité d’un person ou recteur de la paroisse-mère, fonctionnant à l’instar de celle-ci, avec un territoire, une église tréviale et cimetière, des registres ». La chute de l’Ancien Régime a entraîné la suppression des trèves, érigées en paroisses indépendantes pour les plus importantes, réunies à leur paroisse-mère si l’étendue de leur territoire et le nombre de leurs habitants étaient trop modes-tes.

n 1849, les habitants de l’ancienne trève de Saint-Tudec, au nombre de 900 répar-tis dans 35 hameaux, ont adressé une

pétition au Conseil Général pour qu’elle soit érigée en commune, compte tenu de l’éloignement du bourg. Leur demande a été refusée. Tout en ayant perdu son statut d’église

tréviale, la chapelle de Saint-Tudec a été desser-vie par un prêtre résidant au presbytère, jusqu’à sa vente en 1904 à un habitant du quartier. Les descendants des anciens tréviens ont continué à se faire enterrer dans les tombes familiales qu’ils possédaient dans le cimetière. La dernière inhu-mation a eu lieu le 2 août 1914.

L’enclos du placître A l’intérieur de l’enclos, il ne reste que l’église tréviale et une croix à personnages, pas la moin-dre trace de l’ossuaire où l’on recueillait les restes des défunts pour procéder à de nouvelles inhu-mations. Les dernières pierres tombales ont servi à construire le débarcadère à bestiaux sur la place de la mairie, et le pont de Pulufen sur le chemin menant à l’ancienne halte de PLOUNÉVÉZEL. Les murets qui entourent le placître empêchaient les animaux de pénétrer dans l’enclos, un lieu de sépulture sacralisé par la présence de la croix ; les fidèles y accédaient en enjambant un échalier,

E

EN HAUT La chapelle de St-

Tudec vue du nord Photo

G. Le Penglaou

CI-CONTRE Vue aérienne prise

du sud-ouest. Photo DRAC

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large dalle plate dressée dans une brèche de la clôture. L’accès par l’entrée principale, dont il subsiste les deux piliers, était réservé aux célébra-tions solennelles, religieuses ou familiales. Le portail occidental de l’église était alors ouvert, pour le passage des convois mortuaires, des cortèges de mariages, et des processions.

L’église tréviale Une chapelle s’élevait à son emplacement depuis 1618, dans une parcelle de la garenne appelée Goarem Sant Tudec, contenant 4 journaux de terre froide, qui provenait d’une donation. Le donateur était le sieur de Kerjégu, Noble Hom-me François LE BIGOT. Il déclare avoir fait graver son titre et chiffre sur le portail de la chapelle, sous le clocher, dans un écu surmonté d’un timbre. Sa qualité de fondateur l’autorisait à apposer ses armes sur l’édifice. La famille LE BIGOT possédait la seigneurie de Kerjégu, en toute certitude depuis le 15e siècle. Le rachat pour la succession d’Yvon LE BIGOT est daté de 1434. Un autre membre de la famille habitait en 1447 son manoir de Langle, dans la paroisse voisine de CARNOËT.

La création de la trève imposait la transformation de la chapelle en église. Le mur-pignon à clocher fut conservé, le vaisseau de la nef prolongé, coupé par les deux bras du transept, et terminé par une abside à trois pans. Ce plan en forme de croix latine, et la charpente lambrissée en berceau correspondent aux dispositions générales des églises à vaisseau unique du canton. En revanche, l’intégration de la sacristie dans l’abside est une particularité architecturale sans autre exemple dans le Poher. On y accède par deux portes symétriques dissimulées sous les niches latérales du grand retable en bois qui sépare la sacristie du chœur liturgique. (Enquête de la D.R.A.C.). La date exacte de ces travaux d’agrandissement n’est pas connue. On peut supposer qu’ils sont contemporains de l’installation de moines dans le village de Restarménac’h, dont le nom désigne une demeure monastique. La façade d’un logis porte la date de 1654, avec un calice et le sigle

I.H.S. surmonté d’une croix. Le premier registre de catholicité ne commence qu’au mois de jan-vier 1678.

La croix à personnages Datée de 1705, elle fut élevée sous le vicariat d’Yves DILASSER, curé de la trève ; c’est la seule partie de l’inscription figurant sur le côté ouest du socle, qui ne pose aucune difficulté de lecture : Y. DILASSER/CUXE. L’érosion du granit n’empêche pas de reconnaître le Christ, tête inclinée, jambes fléchies, sur la face ouest, au sommet du fût, et une Vierge couronnée à l’Enfant du côté opposé. La bague du sommet porte une croix, ainsi qu’un décor de calice et de monogrammes dans des écus.

La construction du presbytère Acte passé le 13 novembre 1680 au tablier de Maître SECRÉ, notaire de la Cour royale de Carhaix et juridiction du marquisat du Tymeur, et de maître Gilles BOCHÉ, notaire royal, demeurant l’un et l’autre au bourg de Poullaouën, Messire Guillaume LE ROSELLEC, prêtre et sieur curé de la trève de Saint-Tudec, demeurant au village de Kerouannec déclare « qu’avec le consentement de Pierre LE ROSELLEC son frère et de Françoise COCHART, il a fait construire et bâtir sur la terre dite Garaine de Saint-Tudec une maison et dépendances audit convenant proche le cimetière de

ladite église tréviale, à ses frais et pour la commodité de ses successeurs curés, qu’il transporte à titre de fondation perpétuelle à ladite église tréviale, à condition de dire messes et de profundis et faire prières pour la prospérité du seigneur foncier dudit convenant et le repos de l’âme du dona-teur ».

La chapelle et le calvaire vus du sud-ouest Photo G. Le Penglaou EN BAS à gauche Catafalque de la chapel-le avec inscription en breton signifiant : Songez bien, fils de l’homme, que vous n’êtes que poussière et cendre et que vous retournerez encore en poussière et cendre. Photo Ed. Flohic Détail du calvaire La Vierge à l’enfant

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Au

village de Kervouannec

où il de-meurait, Guillaume

LE ROSELLEC faisait partie de la consortie qui

exploitait l’un des quatre convenants du village, le convenant Rosellec défriché par ses ancêtres. La situation n’avait rien d’exceptionnel. Le prêtre ne participait pas aux travaux de la terre ; il représentait et défendait le groupe dans tous les actes passés devant des notaires et les procureurs de la seigneurie de LALLUNEC, dont dépendait le village, ou les différends entre convenanciers pour des règlements amiables. Ces interventions avaient un prix. Guillaume LE ROSELLEC percevait une quote-part des béné-fices que la consortie se partageait. Ainsi pouvait-il faire construire à ses frais le presbytère de la trève de Saint-Tudec, dont il était le desservant depuis environ une année. Le seigneur foncier de la Garenne, sur une par-celle de laquelle est construit le presbytère, était en 1680 Charles-Sébastien FLEURIOT, seigneur comte de Kerjégu en POULLAOUËN, Langle en CARNOËT, et autres seigneuries ou lieux nobles. Guillaume LE ROSELLEC lui adresse au château de Kerloet de QUEMPER-GUÉZENNEC dans les actuelles Côtes-d’Armor, où il réside, l’acte notarié attestant qu’il a bien respecté ses volontés. La seigneurie était passée de la famille LE BIGOT aux FLEURIOT à la suite du mariage de Mauricette-Ursule LE BIGOT avec Sébastien FLEURIOT, seigneur de Kerloet. Leur fils, Charles-Sébastien, avait ajouté de LANGLE à son patronyme.

François LE BIGOT, marié à Mauricette GUYNEMENT, avait transmis son héritage à leur fils Sébastien. Sébastien LE BIGOT et Marie ARREL avaient eu trois enfants : Joseph, Mauricette-Ursule et Marie-Luce. Le décès de Joseph LE BIGOT sans postérité fit de Mauricette-Ursule sa principale héritière, conformément à l’Assise au Comte Geffroy de 1185, qui avait fixé les règles du partage noble. Mauricette-Ursule ne donna à sa sœur Marie-Luce, dame de

BOTEREL, que la modeste terre roturière de Kerhalvez en CARNOËT.

Pierre LE ROSELLEC et Françoise

COCHART étaient les seuls tenanciers du convenant de Saint-Tudec, et à ce titre dispo-saient de droits sur la parcelle du presbytère. En cédant ces droits convenanciers, ils soutenaient le projet de fondation perpétuelle dont bénéficiait l’église tréviale, seule propriétaire du fonds et des édifices.

Le territoire de la trève Dans la déclaration qu’il adresse en 1681 aux commissaires chargés de la Réformation du terrier royal, Charles-Sébastien FLEURIOT de LANGLE reconnaît posséder dans la paroisse de POULLAOUËN : le manoir de Kerjégu avec ses appartenances et dépendances, une chapelle dédiée à Saint Antoine près de la maison, une autre dédiée à Saint Yves, le moulin de Kerjégu dit Lavallot (lieu planté de pommiers), le conve-nant et le village de Lavallot, cinq tenues au village de Quénéc’hstéphan, la rabine menant du manoir de Kerjégu au bourg de Saint-Tudec, les villages de Kerdu, du Lojou, de Toulanroudou. Cette source d’information est corroborée et complétée par les registres de catholicité tenus par les curés de la trève. Ils précisent en effet de quels villages sont originaires les familles qui font célébrer baptêmes, mariages, enterrements dans l’église tréviale. Les familles de charbonniers qui travaillent et vivent dans la forêt de Fréau comp-tent parmi les tréviens. Le réseau des chemins qui reliaient les villages entre eux enserrait le territoire de la trève. Les tenanciers des convenants devaient s’entendre pour entretenir les chemins qui délimitaient l’étendue de la trève. L’entretien de la rabine entre le manoir de Kerjégu et l’église tréviale figurait au nombre des corvées dont étaient redevables les vassaux de la seigneurie. Son tracé est parfaitement repérable sur la carte.

Carte de la commu-ne de Poullaouën.

En rouge les contours de la trève

de Saint-Tudec.

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S a i n t - T u d e c

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Les chapelles Saint Yves et Saint Antoine, que déclarait Charles-Sébastien FLEURIOT de LANGLE, n’existent plus. Dans leur répertoire des Eglises et Chapelles du Diocèse de Quimper, publié en 1959, René COUFFON et Alfred LE BARS signalaient une chapelle disparue au village de Saint-Yves. « La statue du saint se trouve dans un arbre à proximité de l’emplacement de l’ancien édifice ». Il n’y a plus de ferme à Saint-Tudec, ni de moulin à Lavallot, où la ferme occupe l’emplacement de l’ancien convenant.

23 mai 1970 POENT EO – Il est temps Il était temps de sauver de la ruine la chapelle, ancienne église tréviale de Saint-Tudec. « Que va-t-on décider à Saint-Thudec ? Poullaouën a déjà perdu dix chapelles !... Dix chapelles détruites, quatre debout. Saint-Thudec est celle qui a le plus de charme. Elle n’est pas encore en ruine. Pas encore. La somme nécessaire à « revoir » la toiture n’est pas à ce jour très élevée. Il ne faut pas attendre. Pourquoi ne pas former une Asso-ciation d’amis qui prendra en mains le sort de la chapelle ? Si, demain, ils se réunissaient ? De-main, dimanche de la Trinité, date de l’ancien pardon ! Oui, pourquoi pas ? DA ZANT THU-DEC, TUDOU, WAR’HOAS ! ». Le cri d’alarme lancé dans le Télégramme par Ke-ranforest, et son encouragement final furent entendus. Grâce à l’Association de sauvegarde du patrimoine artistique de Poullaouën, la toiture de Saint-Tudec fut réparée, le clocheton remis d’aplomb, la tradition du pardon relancée et maintenue jusqu’à nos jours. L’Association fit également réparer la toiture en mauvais état de la chapelle Saint-Sébastien, fondée par les seigneur et dame du Tymeur Charles de PLOEUC et

Marie de SAINT-GOUESNOU.

Saint Tudec ermite Dans le sud de la Cornouaille, LANDUDEC tire son nom de

l’ermitage, lann en vieux-breton, où aurait vécu un saint personnage venu d’Outre-Manche. La paroisse bretonne a son homonyme Llandudwg au pays de Galles. Bernard TANGUY voit dans l’hagionyme TUDEC un diminutif de Tutwal, alias

TUGDUAL, qui passe pour avoir fondé l’évêché de TRÉGUIER. Il aurait fondé d’autres ermitages au sud de

la Cornouaille, à LANDUDAL, et sur l’Ile-Tudy. La chapelle de SPÉZET (29) construite en son honneur en 1661 figure sur le cadastre commu-nal de 1820. Le jour de son pardon, les pèlerins déposaient à ses pieds des bonnets remplis de seigle, pour obtenir la guérison de leur surdité ou de leurs maux de tête (Claire ARLAUX). Saint-Thudec est l’une des sept chapelles disparues de SPÉZET. Dans le Morbihan, une chapelle de GUISCRIFF est placée sous le patronage de saint Tudec.

Marie GUEZENNEC

DOCUMENTATION.

� Archives départementales 1E 2145 A.D. 22 et 51 J 10 A.D. 29. � Bernard TANGUY, Dictionnaire des noms de

communes, trèves et paroisses du Finistère. � Inventaire Général des Monuments et des

Richesses Artistiques du Finistère. CARHAIX-

PLOUGUER.

Statue de saint Tudec dans l’église de Landu-dec (29)

CI-CONTRE Statue du saint dans la chapelle de Saint-Tudec en Poullaouën. Photo DRAC