La transmission conventionnelle des cr ances · ThŁse pour le doctorat en droit prØparØe sous la...

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UNIVERSITE PARIS X NANTERRE U.F.R. DE SCIENCES JURIDIQUES, ADMINISTRATIVES ET POLITIQUES LA TRANSMISSION CONVENTIONNELLE DES CREANCES ThLse pour le doctorat en droit prØparØe sous la direction de Monsieur le Professeur Thierry BONNEAU PrØsentØe et soutenue publiquement le 26 septembre 2001 par FrØdØric LEPLAT Membres du jury : Monsieur Thierry BONNEAU Professeur lUniversitØ PanthØon-Assas (Paris II) Madame France CASTRES SAINT-MARTIN-DRUMMOND Professeur lUniversitØ PanthØon-Assas (Paris II) Madame Marie-Noºlle JOBARD-BACHELLIER Professeur lUniversitØ Paris X Nanterre Monsieur Laurent RUET Professeur lUniversitØ Paris X Nanterre Monsieur Philippe SIMLER Professeur lUniversitØ Robert-Schuman (Strasbourg III)

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  • UNIVERSITE PARIS X NANTERRE

    U.F.R. DE SCIENCES JURIDIQUES, ADMINISTRATIVES ET POLITIQUES

    LA TRANSMISSION CONVENTIONNELLE DES CREANCES

    Thse pour le doctorat en droit prpare sous la direction de

    Monsieur le Professeur Thierry BONNEAU

    Prsente et soutenue publiquement

    le 26 septembre 2001

    par

    Frdric LEPLAT

    Membres du jury :

    Monsieur Thierry BONNEAU

    Professeur lUniversit Panthon-Assas (Paris II)

    Madame France CASTRES SAINT-MARTIN-DRUMMOND

    Professeur lUniversit Panthon-Assas (Paris II)

    Madame Marie-Nolle JOBARD-BACHELLIER

    Professeur lUniversit Paris X Nanterre

    Monsieur Laurent RUET

    Professeur lUniversit Paris X Nanterre

    Monsieur Philippe SIMLER

    Professeur lUniversit Robert-Schuman (Strasbourg III)

  • 2

    SOMMAIRE

    SOMMAIRE........................................................................................................ 2

    INTRODUCTION................................................................................................ 3

    PREMIERE PARTIE LEXISTENCE DE LA CATEGORIE ........................... 18

    Titre 1 La distinction artificielle entre les modes de transmission ......... 21

    CHAPITRE 1 LHISTOIRE DUNE DISTINCTION ACCIDENTELLE............................. 23

    CHAPITRE 2 LA PORTEE LIMITEE DE LA DISTINCTION EN DROIT POSITIF .............. 90

    Titre 2 La convergence des modes de transmission ............................. 166

    CHAPITRE 1 DE LEGE LATA, DES ESPECES DUN MEME GENRE........................ 170

    CHAPITRE 2 DE LEGE FERENDA, LOPPORTUNITE DUNE UNIFICATION.............. 227

    SECONDE PARTIE LE REGIME................................................................ 282

    Titre 1 - Le rgime commun des modes de transmission......................... 284

    CHAPITRE 1 LA NEUTRALITE DES MODES DE TRANSMISSION DANS LES RAPPORTS

    ENTRE LES PARTIES ........................................................................................... 286

    CHAPITRE 2 LUNITE DE LEFFET TRANSLATIF................................................ 380

    Titre 2 Le rgime propre chaque mode de transmission .................... 497

    CHAPITRE 1 LES DIFFERENCES INHERENTES AU MODE DE TRANSMISSION ....... 499

    CHAPITRE 2 LES DIFFERENCES ETRANGERES AU MODE DE TRANSMISSION ...... 578

    CONCLUSION ............................................................................................... 651

    BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................ 653

  • 3

    1 Ouvrages .............................................................................................. 653

    3 Articles .................................................................................................. 689

    ANNEXE EXTRAITS DE TEXTES ANTERIEURS A LA CODIFICATION ........................ 745

    INDEX .............................................................................................................. 757

  • 4

    INTRODUCTION

  • 5

    1. Lautonomie de la cession, de la ngociation et de la subrogation. La

    transmission conventionnelle des crances ou, plus largement, la transmission

    des crances, appartient premire vue aux institutions consacres par le droit

    positif. La doctrine regroupe dj la cession de crance 1, la ngociation 2 et la

    subrogation 3 sous cet intitul 4. Mais cette classification nemporte pas de

    consquences. Elle demeure un cadre artificiel lintrieur duquel chaque mode

    de transmission conserve son autonomie.

    Lappartenance de la cession de crance, de la ngociation et de la subrogation

    une mme catgorie juridique se justifie principalement par lhistoire 5. A

    lintransmissibilit de la crance, sous lancien droit, succde sa transmissibilit,

    partir du Code civil. Lobligation est constitue par le fait promis, apprci au

    point de vue de sa valeur pcuniaire 6. Ce dnominateur commun lobjet de la

    cession, de la ngociation, et de la subrogation 7 renferme le germe de leur

    1 La cession dsigne la convention par laquelle un crancier (le cdant) transmet son contractant (le cessionnaire), la crance sur le dbiteur (le cd).

    2 La ngociation, transmet la crance avec le titre qui la constate. La transmission du titre dsigne au dbiteur son nouveau crancier.

    3 La subrogation dsignera exclusivement dans ces dveloppements la subrogation consentie par le crancier (le subrogeant) qui transmet la crance au contractant (le subrog) sur le fondement dun paiement.

    4 Cette classification a pour la premire fois t propose par GAUDEMET (Thorie gnrale des obligations, Sirey, 1965, rimpression de l'dition de 1937, p 449 et s.).

    Elle est gnralement reprise par la doctrine contemporaine qui distingue le plus souvent lintrieure de la cession, la cession rgie par le Code civil et la cession dont les formalits sont simplifies, notamment la ngociation : v. notamment : A. BENABENT, Droit civil, Les obligations, Montchrestien, 7e d., n 721, p 449 et s. ; J. CARBONNIER, Droit civil, t.4, Les obligations, PUF, 22e d., 2000, n 314, p 555 et s. ; LARROUMET, Les obligations, t. 4, par J. FRANOIS, 2000, n 337 ; G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil, Les obligations, Sirey, 1989, n 348 ; F. TERRE, PH. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 7e d., 1999, n 1173, p 1063 et s.

    5 V. notamment E. GAUDEMET, Thorie gnrale des obligations, Sirey, 1965, rimpression de l'dition de 1937, p 449.

    Comp. E. FRAUD, La notion de transfert de crance, Rev. rech. juri. 1998-3. 817. Il tablit un rapprochement entre ces modes de transmission en constatant quils ne modifient pas la cause de lobligation transmise. Mais il est ds lors oblig de considrer que lacceptation dune lettre de change est une renonciation et non un nouvel engagement.

    6 R. SALEILLES, Etude sur la thorie gnrale de lobligation daprs le premier projet de Code civil pour lempire Allemand, Paris. 3me d. 1925, n 80.

    Sur la proprit des crances V. notamment le dbat entre et J. DABIN, Une nouvelle dfinition du droit rel, Rev. trim. dr. civ. 1962. 20 et S. GINOSSAR, Pour une meilleure dfinition du droit rel et du droit personnel, Rev. trim. dr. civ. 1962. 573.

    7 A. BENABENT, op. cit., Montchrestien, 7e d., n 721, p 449 ; J. CARBONNIER, op. cit., PUF, 22e d., 2000, n 314, p 555 ; G. MARTY et P. RAYNAUD, op. cit., 1989, n 348 ; M. PLANIOL et G. RIPERT, op. cit., n 1105 ; F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, op. cit., Dalloz, 7e d., 1999, n 1173, p 1063.

  • 6

    loignement. La transmission des crances perd en effet son originalit lorsque la

    crance est assimile un bien 8. Comme les autres biens, la crance se

    transmet par leffet des conventions. La doctrine recherche alors la nature de la

    cession, de la ngociation, et de la subrogation dans lintention des parties 9 et en

    dduit une diffrence de rgime.

    Un esprit diffrent animerait chacun de ces modes de transmission. Selon la

    doctrine classique, la cession, consentie en contrepartie dun prix, poursuit une

    finalit spculative alors que la subrogation, consentie en contrepartie du

    paiement de la dette dautrui serait un service dami 10. La ngociation transmet la

    crance plus rapidement et avec une plus grande scurit que la cession 11 ; cette

    scurit, lie la forme du titre, se justifie pour certains par la notion dacte

    abstrait 12. Mais ces diffrences sestompent. Lopposition classique entre la

    8 F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, op cit., 7e d., 1999, n 1173, p 1063. Ils notent que lobligation envisage comme un bien ne mriterait pas une tude particulire si ce nest par rfrence aux difficults qui furent poses pour sa transmission. La cession de crance est frquemment tudie loccasion des contrats spciaux. Lorsquelle est tudie dans le rgime gnral de lobligation, le regroupement des techniques de transmission dbute alors par un rappel historique de lopration.

    9 V. A propos de la distinction entre la cession et la subrogation C. DEMOLOMBE, op. cit., n 385, p 330 : Ce nest donc pas au sens littral des termes, que lon doit sattacher. Cest la commune intention des parties, rvle par le caractre intrinsque de lopration Ce quil faut rechercher surtout, cest si lopration a t faite dans lintrt du crancier, ou dans lintrt du dbiteur. Dans le premier cas, on doit tre port penser que lacte a le caractre dune cession ; tandis que cest le caractre dun payement avec subrogation, qui doit tre prsum dans le second cas . E. GAUDEMET, op. cit., p 471 : cest l une dlicate question dinterprtation de volont .

    10 C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil franais, t. 4, Paris, 5e d., par G. RAU et Ch. FALCIMAIGNE, 1878, 321. Le but principal de la subrogation est la libration du dbiteur envers le crancier originaire. Alors que celui de la cession serait la vente et lacquisition de la crance. C. DEMOLOMBE, op. cit., n 323, p 269. F. MOURLON, op. cit., p VIII. Le payement avec subrogation nest pas une spculation ; cest un bon office et p 178 si le payement est fait par un tiers dans son intrt particulier et avec subrogation aux droits du crancier : lopration nest plus un payement ; ce nest mme pas un payement avec subrogation ; cest une cession dguise sous lapparence trompeuse dun payement subrogatoire . M. PLANIOL et G. RIPERT, op. cit., p 655, n 1245. Lopposition fondamentale dordre conomique tablie entre la cession et la subrogation, si elle rpond la ralit dans un certain nombre de cas, que la loi a considrs comme typiques, nest pas commande par la situation de fait. Lesprit de systme est venu ici dformer laspect vritable des choses ; mais, au n 1520, p 579, la cession de crance nous apparat comme un acte de spculation, tandis que la subrogation est lauxiliaire dun bienfait ; elle facilite la ralisation dune pense gnreuse, en garantissant au capitalise, qui vient au secours dun dbiteur obr, le remboursement de son avance .

    11 J. CARBONNIER, op. cit., n 317, p 563 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil, Les contrats spciaux, Cujas, 10e d., 1997, n 1250, p 749 ; G. MARTY, P. RAYNAUD et P. JESTAZ, op. cit., n 371 ; F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, op. cit., Dalloz, 7e d., 1999, n 1201, p 1084.

    12 J. BOUTERON et L. LACOUR, Prcis de droit commercial, t. 2, Dalloz, 3e d., 1925, n 1171bis, p 14 Lobligation cambiaire est une obligation littrale ou formelle , la lettre de change nest pas seulement un titre formel : cest aussi un titre abstrait, autonome, qui se suffit lui-mme, sans quil y ait lieu den rechercher la cause . M. JEANTIN, P. LE CANNU, Instruments de paiement et de

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    cession de crance, une opration spculative, et la subrogation, un service dami,

    ne convainc plus 13. La doctrine saccorde pour ne plus analyser la subrogation

    comme une fiction drogeant leffet extinctif du paiement, tout en refusant de

    lassimiler sans rserve la cession de crance 14. Les auteurs se rsignent

    justifier la ngociation par les impratifs de scurit et de rapidit du commerce

    alors que ce mode de transmission est sorti du cadre des relations commerciales

    sans perdre son efficacit.

    Les doutes entourant la nature juridique des modes de transmission contrastent

    avec les diffrences fermement tablies entre leur rgimes 15. La cession se

    caractrise par lopposabilit des exceptions ; le cd peut opposer au

    cessionnaire les mmes exceptions quau cdant. Le rgime de la ngociation se

    distingue par linopposabilit des exceptions ; le dbiteur ne peut pas opposer au

    nouveau crancier les exceptions quil pouvait opposer lancien crancier.

    Lopposabilit des exceptions rapproche la subrogation de la cession, mais la

    subrogation se caractrise par lexigence dun paiement qui dtermine notamment

    le moment et lampleur de la transmission.

    Finalement, de la vision objective de lobligation assimile un bien, ressort

    une pluralit de modes autonomes de transmission des crances.

    2. Lunit des modes de transmission. En revanche, lunit renat en adoptant

    une conception subjective de lobligation. La crance dsigne le ct actif dun lien

    de droit entre deux personnes. La transmission des crances introduit un tiers,

    layant cause 16, dans le lien dobligation 17. Lorsque la transmission est issue

    dune convention entre lauteur et layant cause, la force obligatoire de ce contrat

    crdit - Entreprises en difficult, Dalloz, 5e d., 1999, n 254, p 151. Le formalisme cambiaire cr par la loi suscite une apparence qui donne la lettre de change une valeur qui lui est propre et est indpendante de sa cause . E. PUTMAN, op. cit., n 2, p 18. Larchtype des effets de commerce, la lettre de change, est formaliste et abstraite .

    13 V. infra note 437 14 Au XIXe sicle, cette prsentation dominait en doctrine, V. infra n 70. 15 Sur la corrlation ncessaire entre le rgime et la nature dune institution V. J.-L. BERGEL,

    Varit de nature (gale) diffrence de rgime, Rev. trim. dr. civ. 1984. 255. 16 Le terme dayant cause est la traduction littrale de lexpression latine utilise par DUMOULIN

    habens causam. Elle implique une succession dune personne aux droits dune autre (A. WEILL, Le principe de la relativit des conventions en droit priv franais, thse, Dalloz, 1938, n 60, p 107).

    17 V. Ch. LARROUMET, Les oprations juridiques trois personnes en droit priv, thse Bordeaux, 1968, n 7.

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    ne suffit pas justifier latteinte leffet relatif de lobligation 18. En effet, bien que

    le dbiteur ne consente pas lopration 19, celle-ci opre un changement de

    crancier 20. Leffet caractristique de la transmission conventionnelle des

    crances ne se situe donc pas dans les rapports entre les parties 21, mais dans les

    rapports respectifs de celles-ci avec le dbiteur.

    Les diffrences entre la cession, la ngociation, et la subrogation occultent

    leurs traits communs qui se dduisent de leur appartenance la catgorie plus

    vaste forme par la transmission conventionnelle des crances. En raison de sa

    source, la transmission conventionnelle des crances prsente loriginalit de

    droger leffet relatif du lien dobligation sans augmenter le poids de la dette la

    charge du dbiteur. Cette exception leffet relatif du lien dobligation ne se justifie

    que dans la mesure o la substitution de crancier ne nuit pas au dbiteur et se

    distingue ainsi de la cession de contrat 22. Par leffet de la transmission

    18 P. CHAUMETTE, La subrogation sans paiement, Rev. trim. dr. civ. 1986. 33, spc. n 6. La subrogation personnelle constitue une exception au principe de leffet relatif des conventions, puisque la substitution des personnes permet un tiers au contrat de remplacer lun des contractants . Comp. J. GHESTIN, La distinction entre les parties et les tiers au contrat, JCP. 1992. I. 3628, spc. n 17. Lauteur prfre se rfrer une extension de lopposabilit de la convention de cession.

    19 Quel que soit le mode de transmission, le consentement du dbiteur est inutile. Lorsque la crance est transmise par une cession, le dbiteur est un tiers lacte (article 1689

    du Code civil). La signification de la cession, une notification par acte dhuissier, suffit faire produire la cession ses effets lgard du dbiteur (articles 1690 et 1691 du Code civil). En ce sens A. BENABENT, Droit civil, Les obligations, Montchrestien, 7e d., n 727, p 453 ; J. CARBONNIER, t.4, op. cit., n 316, Ph. MALAURIE et L. AYNES, Cours de droit civil, Les contrats spciaux, Cujas, 10e d., n 1219, p 735 ; G. MARTY, P. RAYNAUD et P. JESTAZ, op. cit., n 352 ; F. TERRE, Ph. SIMLER et Y. LEQUETTE, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 7e d., 1999, n 1182, p 1070.

    De mme, lendossement de la lettre de change requiert seulement la signature de lendosseur (article L. 511-8, ancien article 117 Code commerce) et sa remise l endossataire . Larticle L. 512-3 (ancien article 185) du Code de commerce sur le billet ordre renvoie larticle L. 511-8 (ancien 117) du Code de commerce sur lendossement de la lettre de change.

    Quant la subrogation consentie par le crancier, larticle 1250-1 numre ses conditions de validit. Il ne mentionne pas le consentement du dbiteur V. par exemple Civ. I, 23 octobre 1984, Bull. civ. n 276 ; JCP d. E 1984. I.13955.

    20 A. GHOZI, La modification de l'obligation par la volont des parties (Etude de droit civil franais), thse, LGDJ, 1980, prface D. TALLON ; A. SERIAUX, Droit des obligations, 2e d., PUF, Droit fondamental, 1998, n 168, p 614. La transmission opre incontestablement une certaine modification du lien originaire car le dbiteur nest plus tenu envers le mme crancier . Aussi, consacre-t-il un chapitre la modification du lien dobligation dcoup en deux sections respectivement intitules La modification par transmission du lien dobligation et La modification par transformation du lien dobligation .

    21 Rappr. M. PLANIOL et G. RIPERT, op. cit., p 656, n 1246. A propos de la distinction entre la cession et la subrogation les deux oprations peuvent aisment intervenir lune et lautre dans des situations analogues et en vue de buts trs voisins, sinon identiques .

    22 En labsence de dispositions contraire, le consentement du cd est ncessaire

  • 9

    conventionnelle des crances, seul le crancier change alors que la crance se

    conserve. La transmission conventionnelle des crances se distingue ainsi des

    oprations attributives telles que la dlgation crant ncessairement une

    nouvelle obligation en raison dun accord entre le crancier et le dbiteur de la

    nouvelle obligation. Elle se distingue galement du mandat qui ne peut oprer un

    changement de crancier.

    Chaque mode de transmission se caractrise par une atteinte leffet relatif du

    lien dobligation oprant un changement de crancier sans modifier ltendue de

    lengagement du dbiteur. Chaque mode de transmission surmonte diffremment

    lobstacle de la relativit du lien dobligation. La cession de crance tend la force

    obligatoire de la convention entre le cdant et le cessionnaire afin dimposer au

    cd la substitution de crancier. La ngociation droge galement la relativit

    du lien dobligation car il nexiste pas daccord de volont entre chaque porteur du

    titre et le dbiteur. Par leffet dune clause ordre ou au porteur ou par lmission

    dun titre nominatif, le dbiteur accepte par avance de reconnatre la qualit

    dayant cause la personne qui lui sera dsigne conformment aux stipulations

    du titre ngociable. La clause investit un tiers, layant cause, du droit dexiger

    lexcution de lobligation. Enfin, la subrogation occulte latteinte la relativit du

    lien dobligation inhrente la transmission conventionnelle des crances. La

    subrogation affecte la crance du subrogeant au remboursement du subrog qui

    sacquitte de son montant. Par leffet de cette affectation, la crance se transmet

    au subrog qui peut ainsi exercer une action rcursoire contre le dbiteur.

    Ainsi, la cession, la ngociation et la subrogation prsentent les caractristiques

    essentielles de la transmission conventionnelle des crances en drogeant la

    relativit du lien dobligation afin doprer un changement de crancier sans

    augmenter lengagement du dbiteur. Ds lors, la question se pose de savoir sil

    faut maintenir lautonomie de la cession, de la ngociation et de la subrogation ou

    reconnatre lexistence de la transmission conventionnelle des crances.

    Rappr. Civ. I, 6 juin 2000, Bull. civ., n 173 ; D. 2001, 1346, note D. KRAJESKI ; JCP 2000. IV. n 2306 ; RTD Com. 2000, 571, obs. J. MESTRE et B. FRAGES ; Defrnois 2000, art. 37237, n 69. 1125, obs. P. DELEBECQUE (Le fait quun contrat ait t conclu en considratin de la personne du contractant ne fait pas obstace ce que les droits et obligations de ce dernier soient transfrs un tiers ds lors que lautre partie y a consenti).

    Contra. L. AYNES, La cession de contrat, thse, Economica, 1984, prface Ph. Malaurie

  • 10

    3. Un rapprochement rcent. Actuellement, un rapprochement entre la cession,

    la ngociation et la subrogation se dessine en lgislation, en doctrine et en

    pratique.

    Le lgislateur favorise ce rapprochement. La loi du 2 janvier 1981, codifie

    larticle L. 313-23 et suivants du Code montaire et financier, a ainsi cr une

    cession 23 produisant des effets comparables lendossement de la lettre de

    change. Lorsque le cd accepte la cession de crance professionnelle, le

    cessionnaire jouit de la mme protection que celle reconnue au porteur dune

    lettre de change accepte 24. Linopposabilit des exceptions nest plus lapanage

    des titres ngociables.

    En doctrine, un rapprochement entre la cession, la ngociation et la subrogation

    se constate galement. Les tudes portant sur des principes ou des institutions

    plus vastes rvlent des caractristiques communes. Tel est par exemple le cas

    de la thse de Monsieur LARROUMET sur les oprations juridiques trois

    personnes 25, du cours de RAYNAUD sur les conventions ayant pour objet une

    obligation 26 ou des thses rcentes sur lopposabilit des conventions ou de leur

    effet relatif 27. Le rapprochement se peroit galement loccasion des tudes

    portant sur certains aspects de la transmission conventionnelle des crances.

    Ainsi, la thse de Madame PARDOEL 28 sur les conflits de lois en matire de

    cession de crance englobe la subrogation consentie par le crancier. Il ressort de

    la comparaison du droit franais et allemand entreprise par Madame CASHIN-

    23 Th. BONNEAU, Droit bancaire, Montchrestien, 4e d., 2001, n 582, p 378 et s. M. DE JUGLART et B. IPPOLITO, op. cit., n 283 ; G. RIPERT et R. ROBLOT, Trait de droit commercial, t. 2, LGDJ, 16e d., 2000, n 2428-1, p 452 ; J.-L. RIVES-LANGE et M. CONTAMINE-RAYNAUD, op. cit., n 526.

    24 Larticle L. 313-29 du Code montaire et financier (ancien article 6 de la loi du 2 janvier 1981) est formul dans des termes identiques ceux de larticle L. 511-12 (ancien article 121) du Code de commerce.

    25 Ch. LARROUMET, Les oprations juridiques trois personnes en droit priv, thse, Bordeaux, 1968.

    26 P. RAYNAUD, Les contrats ayant pour objet une obligation, Cours de DEA, Les Cours de droit, 1977.

    27 F. BERTRAND, L'opposabilit du contrat aux tiers, thse, Paris II, 1979 ; J. DUCLOS, L'opposabilit (Essai d'une thorie gnrale), thse, LGDJ, 1984, prface D. Martin ; Y. FLOUR, L'effet des contrats l'gard des tiers en droit international priv, thse, Paris II, 1977 ; J.-L. GOUTAL, Essai sur le principe de l'effet relatif du contrat, thse, LGDJ, 1981, prface H. BATIFFOL.

    28 D. PARDOL, Les conflits de lois en matire de cession de crance, thse, LGDJ, 1997, prface P. LAGARDE.

  • 11

    RITHAINE 29. Il apparat enfin dans le domaine voisin des garanties

    conventionnelles sur crances tudies par Monsieur LEGEAIS 30. Le

    rapprochement entre les modes de transmission se peroit surtout loccasion

    des monographies sur la ngociation ou la subrogation. Ainsi, Monsieur CAUSSE

    qualifie la transmission des titres ngociables 31 de cession de contrat, aprs avoir

    tabli de nombreux rapprochements avec la cession de crance. Quant

    Monsieur DESPAQUIS 32, il justifie le rgime de lobligation cambiaire par un

    quilibre entre le droit commun des obligations et lapparence. Enfin, Monsieur

    ENDREO 33 analyse la transmission de la provision dune lettre de change laide

    de la cession de crance. En dernier lieu, la rcente thse de Monsieur NIZARD 34

    confirme que le titre ngociable nest pas un simple instrumentum, mais quil

    permet, en chappant aux lourdes formalits de larticles 1690 du Code civil, de

    faciliter le transport simplifi du droit quil constate. A propos de la subrogation,

    Monsieur MESTRE 35 a fermement tabli que ce procd ne repose pas sur une

    fiction permettant exceptionnellement la survie de la crance teinte par le

    paiement du subrog 36. La subrogation, comme la cession, ralise une

    29 E. CASHIN-RITHAINE, Les cessions contractuelles de crances de sommes dargent dans les relations civiles et commerciales franco-allemandes, LGDJ, 2000, Prface F. RANIEREI, Avant-propos F . JACQUOT.

    30 D. LEGEAIS, Les garanties conventionnelles sur crances, thse, Economica, 1986, prface P. REMY et Avant-propos de J. STOUFFLET.

    31 H. CAUSSE, Les titre ngociables (Essai sur le contrat ngociable), thse, Litec, 1993, prface B. TEYSSIE.

    32 J.-M. DESPAQUIS, L'obligation cambiaire- Essai sur la nature de l'obligation cambiaire, thse, Reims, 1996.

    33 G. ENDREO, La provision, garantie du payement de la lettre de change, thse, Nantes, 1980. 34 F. NIZARD, La notion de titre ngociable, thse, Paris II, 2000, Dr 21, 2001, T 001

    (http://www.droit21.com). 35 J. MESTRE, La subrogation personnelle, thse, LGDJ, 1979, prface P. KAYSER, n 639 ;

    p 698. Pourquoi ne pas admettre que la subrogation personnelle, rglemente au niveau du paiement, soit en ralit une cession de crance qui seffectue, de manire originale sur le fondement dun paiement ? . Nanmoins, les exceptions gnrales que ces juges dans le silence des textes, ont apportes leffet translatif, loin de contredire cette analyse, viennent la renforcer, en mme temps que la complter. Elles rvlent, en effet loriginalit de linstitution quant au fondement juridique de la transmission de la crance .

    Ce rapprochement entre la subrogation et la cession est notamment admis par Ph. MALAURIE et L. AYNES, op. cit, Cujas, 10e d., n 1206, p 721. La subrogation est davantage devenue un mode de transfert de la crance, li au paiement .

    36 Parmi les auteurs analysant la subrogation comme une fiction ou une exception lextinction de la crance aprs le paiement : G. BAUDRY-LACANTINERIE et L. BARDE, Trait thorique et pratique de droit civil, Des obligations, t. 12, Paris, 1902, n 1516, p 574. La subrogation est une fiction juridique, par suite de laquelle une crance, paye avec des deniers fournis par un tiers et par consquent teinte par rapport au crancier, est rpute subsister avec tous ses accessoires au profit de ce tiers, afin dassurer lefficacit de son recours pour le remboursement des fonds quil

  • 12

    transmission de la crance. A partir de ce rapprochement, Monsieur MOULOUNGI 37

    conteste linterdiction du profit dans la subrogation, lune de ses diffrences par

    rapport la cession.

    En pratique, le rapprochement entre la cession, la ngociation et la subrogation

    se constate galement. Le choix du mode de transmission dpend moins de sa

    nature ou de ses effets caractristiques que dun bilan cot-avantage 38.

    Laffacturage offre un exemple o la subrogation se substitue une cession.

    Laffacturage ralise une opration de crdit lorsquun client transmet ses

    crances terme son affactureur, en contrepartie dun paiement immdiat. A

    cette fin, laffactureur utilise la subrogation, alors que cette transmission dune

    crance en contrepartie de lobligation den payer le prix caractrise normalement

    la cession de crance. La subrogation savre cependant plus avantageuse.

    Lopposabilit de la transmission aux tiers ne requiert pas laccomplissement des

    formalits onreuses de la cession de crance rgie par le Code civil. Cependant,

    la subrogation prsente linconvnient de limiter lampleur de la transmission au

    montant du paiement effectu par le subrog. Laffactureur ne pourrait pas se

    rmunrer du crdit consenti son client en lui versant une somme infrieure la

    valeur nominale de la crance transmise. La pratique a nanmoins remdi cet

    inconvnient. Laffactureur sacquitte du montant total de la crance mais impute

    a verss . C. DEMOLOMBE, Trait des contrats ou des obligations conventionnelles en gnral, t. 1, Paris, 1868, n 315, p 262. La subrogation, ce nest pas la vrit ; cest la fiction. Ce nest pas le droit pur ; cest lquit. Il est vrai ! . GAUTHIER, Trait de la subrogation de personnes, Paris, 1853, n 8, p 5. Ce nest que par une drogation la rigueur du droit que le paiement peut, en certain cas, et au moyen de la subrogation, faire revivre au profit de celui qui paie les droits du crancier originaire . F. LAURENT, Principes de droit civil, t. 18, Paris, 3e d. 1878, n 6, p 16. La fiction tablie dans lintrt du subrog, consiste en ceci, cest quil est cens avoir plutt achet la crance que lavoir pay. La subrogation est donc une cession fictive . F. MOURLON, Trait thorique et pratique des subrogations personnelles, Paris, 1848, p VIII. Le paiement avec subrogation est une opration double face. Entre le subrog et le dbiteur ou ses ayants cause, cest une cession fictive par suite de laquelle le tiers dont largent a servi la libration du dbiteur succde tous les droits quavait le crancier originaire. Entre le subrog et le subrogeant, cest un payement extinctif de la dette . M. PLANIOL et G. RIPERT, Trait pratique de droit civil franais, t. 7, LGDJ, 2e d., avec P. ESMEIN, J. RADOUANT,1954, n 1219, p 626. La subrogation est donc linstitution juridique en vertu de laquelle la crance paye par le tiers subsiste son profit et lui est transmise avec tous ses accessoires, bien quelle soit considre comme teinte par rapport au crancier . Mais les auteurs cartent lide de fiction, la subrogation repose sur des besoins pratiques vidents, il vaut mieux se contenter de lanalyser (p 652, n 1244).

    37 C. MOULOUNGI, L'admissibilit du profit dans la subrogation, thse, LGDJ, 1995, prface F. GRUA.

    38 E. PUTMAN, Droit des affaires, t. 4, Moyens de paiement et de crdit, PUF, Thmis droit priv, 1995, n 4.

  • 13

    immdiatement une commission 39. Ainsi, il est subrog dans la totalit de la

    crance en ne dcaissant quune partie de son montant.

    4. Un rapprochement utile. Ce rapprochement amorc entre la cession, la

    ngociation et la subrogation mrite d'tre systmatis. En effet, une thorie

    gnrale des modes de transmission rpond aux interrogations actuellement

    suscites par leur mutation. Les procds rcemment crs par la loi comportent

    des zones dombre, faute de sinsrer parfaitement lintrieur de lun des trois

    modes de transmission connus 40. Les procds plus anciens voluent. La

    dmatrialisation des valeurs mobilires, impose par la loi, remet en cause

    linopposabilit des exceptions traditionnellement lie linstrumentum en papier

    des titres ngociables 41. La dmatrialisation des effets de commerce, souhaite

    par la pratique 42, semble difficilement ralisable. Le droit cambiaire est peu

    compatible avec les nouvelles technologies note Monsieur BONNEAU loccasion

    dun arrt de la Cour de cassation qui refuse dassimiler une cl informatique la

    signature dun effet de commerce 43.

    Par ailleurs, une thorie gnrale des modes de transmission complte le

    rgime de la cession, de la ngociation et de la subrogation en prcisant le

    principe et les limites de la transposition des rgles dgages loccasion de

    chacun de ces modes de transmission. Autrement dit, la catgorie juridique de la

    transmission conventionnelle des crances tablit un droit commun de la cession,

    de la ngociation et de la subrogation 44.

    39 Th. BONNEAU, op. cit., n 579, p 376 ; M. DE JUGLART et B. IPPOLITO, Trait de, Montchrestien, 3e d., par L. M. MARTIN, 1991, n 294 ; J.-L. RIVES-LANGE et M. CONTAMINE-RAYNAUD, op. cit., Dalloz, 6e d., 1995, n 585.

    Comp. les doutes quant la validit de lopration M. VASSEUR, Droit et conomie bancaire, Les oprations de banque, Fasc. 1, Les cours de droit, 4e d., 1987-1987, p 308.

    40 V. par exemple la loi du 25 juin 1999 et ses dcrets du 29 juillet et 3 aot 1999 organisant le refinancement des tablissements accordant des prts immobiliers. Ces textes sont codifis aux articles L. 515 et suivants du Code montaire et financier. Sur ce nouveau mode de mobilisation des crances : Th. BONNEAU, Droit bancaire, Montchrestien, 4e d., 2001, n 843, p 570 et s.

    41 Sur les consquences de la dmatrialisation lgard de la notion de valeur mobilire A. REYGROBELLET, La notion de valeur mobilire, thse, Paris II, 1995, n 978 et s.

    42 V. M. VASSEUR, La lettre de change-relev, de l'influence de l'informatique sur le droit, Rev. trim. dr. com. 1975. 203.

    43 Th. BONNEAU, note sous Com., 26 novembre 1996, JCP d. E, 1997. II. 906, n 7. 44 Elle permet ainsi dtablir un droit commun de la ngociation alors que lattention se

    concentre habituellement sur certaines formes rglementes de ce mode de transmission, telle la lettre de change

  • 14

    5. Linadaptation de la cession de crance. Mais la prsence de plusieurs

    techniques pour atteindre le mme objectif surprend. Elle rvle linadaptation de

    la cession de crance rgie par le Code civil. Ce jugement de valeur contribue

    pourtant la comprhension de la transmission conventionnelle des crances

    dont ltude implique une rupture pistmologique entre le droit et sa

    connaissance 45.

    Le droit se prsente formellement comme une pyramide de normes 46. Chaque

    norme dicte un impratif hypothtique dont la validit se dduit du rattachement

    lordonnancement juridique. La conformit de la norme aux valeurs

    fondamentales lgitime la contrainte exerce 47. Lensemble forme un systme

    autonome vis--vis des autres systmes sociaux, bien quils voluent chacun sous

    linfluence de leurs actions rciproques 48. La procdure dmocratique devrait

    Sur lutilit dun droit commun : J. GHESTIN, La transmission des obligations en droit positif franais, LGDJ. 1980. in Travaux des IX Journes d'tudes juridiques J. DABIN. spc. p 79. Il constate propos des titres ngociables que leur thorie gnrale reste faire en droit franais . Le mme constat est fait pour le droit belge par M. FONTAINE, La transmission des obligations de lege ferenda, LGDJ. 1980. in Travaux des IX Journes d'tudes juridiques J. DABIN. 611, spc. p 639. En revanche, une telle thorie existe en Suisse (Code suisse des obligations articles 965 1155) et en Italie (Code civil italien articles 1992 2027).

    45 V. sur ces deux ples P. AMSELEK, Elments d'une dfinition de la recherche juridique, 297. La recherche se dploie dans une double direction, en vue de fonder la fois le statut de lobjet de recherche et le statut de lactivit de recherche tourn vers cet objet

    Les thories de la connaissance du droit suscitent un regain dintrt V. notamment C. ATIAS, Epistmologie juridique, PUF, 1985 ; X. LAGARDE, Rflexion critique sur le droit de la preuve, thse, LGDJ, 1994, prface J. GHESTIN, n 1, p 1 qui part du constat quil ny a pas de science purement empirique du droit pour en dduire la ncessit de dgager les concepts ncessaires pour aborder le droit positif de manire scientifique .

    Cet appel la science lissue dune rflexion sur les mthodes de la connaissance juridique nest pas sans prcdent (V. le mouvement de la libre recherche scientifique et notamment F. GENY, Science et technique en droit priv positif, Sirey, t. 1, 1914 ; F. GENY, Mthode d'interprtation et sources en droit priv positif, t. 1, LGDJ, 1996, rimpression de l'dition de 1919).

    46 H. KELSEN, Thorie pure du droit, Trad de la 2e d. De la Reine Rechtslehre par Ch. Eisenmann, Dalloz, 1962, p 299 et s.

    47 Comp. H. KELSEN se contente dune lgitimit formelle : le jugement de valeur objectif nonce soit quune conduite effective est conforme une norme considre comme objectivement valable et est en ce sens bonne soit quune conduite effective contredit une telle norme et est en ce sens mauvaise, cest dire contraire une valeur H. KELSEN, op. cit., p 23.

    Cette vision restrictive chasse lide de justice que PERELMAN rintroduit : Nous sommes amens distinguer trois lments dans la justice : la valeur qui la fonde, la rgle qui lnonce, lacte qui la ralise . De mme quun acte juste est relatif la rgle, la rgle juste sera relative aux valeurs qui servent de fondement au systme normatif (Ch. PERELMAN, Justice et Raison, 2e d. Universit de Bruxelles, 1972 ; B. HUISMAN et F. RIBES, Les philosophes et le droit - Les grands textes philosophiques sur le droit, Bordas, 1988, p 330).

    48 La thorie des systmes est gnralement attribue au biologiste LUDWIG von BERTALANFFY, lauteur de General system Theory publi en 1968. Cette thorie stend depuis lensemble des

  • 15

    assurer la rgulation du systme juridique par rapport aux autres systmes

    sociaux, et garantir ainsi sa rationalit et sa lgitimit 49. Mais ce schma idal

    reflte imparfaitement le droit positif. Les normes reposent sur des valeurs

    ncessairement relatives et imparfaites 50. En outre, la modification de

    lordonnancement juridique requiert une dcision ; rien ne garantit la rgulation du

    systme juridique. Face linaction du lgislateur, linterprte ne jouit que dune

    libert encadre ; au-del du Code civil, mais par le Code civil 51.

    La connaissance du droit se heurte des obstacles qui lui sont propres 52.

    Dune part, le droit se prsente apparemment sous la forme dun ensemble

    organis de propositions. Dautre part, des organes habilits disposent du

    monopole de la cration et de linterprtation des normes lissue dune

    procdure qui en garantit la lgitimit. Au monopole de la contrainte lgitime

    rpondrait le monopole de la connaissance lgitime 53. Tel nest pas le cas. Le

    domaines de la connaissance et spcialement lconomie v. J.-L. LE MOIGNE, La thorie du systme gnral, Thorie de la modlisation, PUF, 4e d., 1994.

    Sa transposition au droit a principalement t tente par des auteurs allemands dont N. LUHMANN (En langue franaise v. Lunit du systme juridique, APD, 1986, p 163) et G. TEUBNER (Deux ouvrages sont traduits : G. TEUBNER, Le droit : un systme autopotique, PUF, Trad. de l'all. par G. Maier et N. Boucquey, 1993 ; G. TEUBNER, Droit et rflexivit - L'auto-rfrence en droit et dans l'organisation, LGDJ, 1994, trad. de l'allemand par N. Boucquey). Lide de systme a galement fait lobjet du tome 31 des Archives de philosophie du droit (1986), intitul Le systme juridique avec larticle de Ch. GRZEGORCZYK, Evaluation critique du paradigme systmique dans la science du droit, ainsi que plusieurs publications en franais parmi lesquelles v. : N. BOBBIO, Nouvelle rflexions sur les normes primaires et secondaires, in La rgle de droit, Bruylant, 1971 ; J.-L. LE MOIGNE, Le systmes juridiques sont-ils passibles d'une reprsentation systmique ?, Rev. rech. juri. 1985-1. 155 ; P. ORIANNE, Introduction au systme juridique, Bruylant, 1982 ; M. VAN DE KERCHOVE et F. OST, Le systme juridique entre ordre et dsordre, PUF, 1988, ORIANNE, Introduction au systme juridique, Bruylant, 1982 ; M. VAN DE KERCHOVE et F. OST, Le systme juridique entre ordre et dsordre, PUF, 1988.

    Ces thories inspirent de nombreux auteurs comme C. ATIAS, op. cit., n 86, p 168, n 97, p 191 ; J.-L. BERGEL, Thorie gnrale du droit, Dalloz, 1999, 3e d., n 8, p 8.

    49 J. HABERMAS, Droit et dmocration - Entre faits et normes, Gallimard, NRF essais, 1992, trad. de l'allemand, 1997, Dans cet ouvrage, lauteur applique au phnomne juridique le concept de discussion au centre de son uvre. La lgitim de la contrainte suppose que les citoyens puissent tout moment se concevoir comme les auteurs du droit auquel ils sont soumis.

    50 Ch. PERELMAN, op. cit. , 1972 ; B. HUISMAN et F. RIBES, op. cit., p 331. Toute valeur tant ncessairement arbitraire, il nexiste pas de justice absolue, entirement fonde sur la raison

    51 SALEILLES, Prface F. GENY, Mthode d'interprtation et sources en droit priv positif, t. 1, LGDJ, 1996, rimpression de l'dition de 1919.

    52 C. ATIAS, op. cit., n 13, p 20 A propos des obstacles la reconaissance dune pistmologie juridique : Ou bien il ny pas de connaissance du droit : ou bien cette connaissance na rien de scientifique .

    53 V. sur lencadrement de lenseignement du droit au XIXe : J.-L. HALPERIN, Histoire du droit priv franais depuis 1804, PUF, 1996, n 24, p 49 et s. La loi du 22 ventse an XII (13 mars 1804) donne lEtat le monopole de lenseignement juridique, les professeurs prtent un serment dobissance, ils exercent sous la surveillance dinspecteurs gnraux.

  • 16

    droit se distingue de sa connaissance. Le droit est lobjet de la science juridique.

    La connaissance du droit construit une explication rationnelle qui ne prjuge pas

    de la cohrence du phnomne juridique 54, mais impose au contraire den

    douter 55. Lobjectivit nat de la rupture entre lobjet et le sujet, autrement dit,

    entre le droit et sa connaissance 56. Si la pratique du droit est un art, sa

    connaissance nen demeure pas moins une science. La rupture entre le droit et sa

    connaissance nimpose cependant pas dabandonner le raisonnement juridique

    traditionnel ; le droit connat dj une rigoureuse mthode danalyse, mme si

    cette mthode, tourne vers lapplication des normes, napprhende que

    partiellement la complexit du systme juridique 57 ; la loi nexprime pas tout le

    droit. La diversit des sources du droit autorise la multiplication des points de vue

    et des approches 58. En proposant une explication rationnelle du phnomne

    juridique, la connaissance du droit rejoint ainsi, par dautres voies, les

    proccupations des acteurs de la scne juridique la recherche de cohrence et

    de prvisibilit.

    Ces prmices dictent la mthode retenue pour tudier la transmission

    conventionnelle des crances. La cohrence du systme juridique supposerait

    qu lunit de la nature de la transmission conventionnelle des crances

    corresponde lunit de son rgime. A priori, les dispositions du Code civil rgissant

    la cession de crance se prsentent comme le droit commun de la transmission

    conventionnelle des crances. Mais lopposabilit de la cession de crance exige

    une signification ou une acceptation par acte authentique. Ces formalits

    54 Lexpression de phnomne du droit, par opposition science du droit, est emprunte J. CARBONNIER, Droit civil, t. 1, Introduction, PUF, 26e d., 1999, n 3, p 19.

    55 Friedrich A. HAYEK, Droit, lgislation et libert, t. 1 Rgles et ordre, PUF, Quadrige, 1973, Trad. En 1980 par R. AUDOUIN, p 6 Nombre dinstitutions de la socit qui sont des conditions indispensables la poursuite efficace de nos buts conscients sont en fait le rsultat de coutumes, dhabitudes, de pratiques qui nont ni t inventes, ni ne sont observes afin dobtenir des buts de cette nature .

    56 Comp. X. LAGARDE, thse prcite. 57 Deux tendances existent en pistmologie : le rductionnisme (le centre de gravit est le

    sujet, le complexe peut se ramener au simple), lantirductionnisme (le centre de gravit est lobjet et sa structure, le complexe ne peut se ramener au simple).

    Lide de systme juridique carte une approche rductionniste. Il ny a pas de phnomnes simples ; le phnomne est un tissu de relations (G. BACHELARD, Le nouvel esprit scientifique, PUF, Quadrige, 1er d. 1934, 5e d. 1995, p 143).

    58 M. CARBONNIER travers les notes dhistoire, de thorie juridique, de sociologie, de politique lgislative et de pratique judiciaire de ses manuels de droit civil marque un net intrt pour les sciences auxiliaires du droit.

  • 17

    anachroniques, onreuses, et inadaptes la sauvegarde des intrts quelles

    sont censes protger forment un obstacle injustifiable la transmission

    conventionnelle des crances. Larticle 1690 du Code civil, directement inspir de

    lancien droit, na jamais t rform la diffrence de son homologue belge 59.

    Ladaptation du systme juridique a emprunt dautres voies : accessoirement, par

    la multiplication de dispositions lgislatives cartant ponctuellement le rgime du

    Code civil, principalement, par le recours deux autres modes de transmission, la

    ngociation et la subrogation, permettant datteindre le mme objectif que la

    cession de crance tout en chappant aux formalits de larticle 1690 du Code

    civil.

    6. Lexistence et le rgime de la transmission conventionnelle des

    crances. La cession, la ngociation et la subrogation appartiennent ainsi une

    catgorie plus vaste, la transmission conventionnelle des crances. La seule

    justification de la distinction entre les modes de transmission est la ncessit

    d'chapper aux contraintes du droit commun de la cession de crance. Ni

    lhistoire, ni la fonction de la cession, de la ngociation ou de la subrogation

    nautorise dautres diffrences entre les modes de transmission. En revanche, la

    cession, la ngociation et la subrogation prsentent une nature juridique commune

    et un rgime commun dduit de ladage nemo plus juris (nul ne peut transmettre

    autrui plus de droit quil nen a 60). En effet, linopposabilit des exceptions

    frquemment associe la ngociation nest pas lie au mode de transmission,

    mais lengagement souscrit par le dbiteur qui forme lobjet de la transmission.

    Lapparence renforce par ailleurs la protection des tiers. Ainsi, linopposabilit des

    exceptions est lie la nature de la crance transmise et non au mode de

    transmission. Lengagement du dbiteur nest jamais aggrav sans son

    consentement 61. Ainsi, la cession, la ngociation et la subrogation poursuivant et

    ralisant le mme objectif peuvent utilement tre rassembles.

    59 Loi du 6 juillet 1994 sur laquelle v. Rev. trim. dr. civ. 1996. 60 Trad. H. ROLAND et L. BOYER, Adages du droit franais, Litec, 3e d., 1992, n 328, p 382. 61 Quel que soit le mode de transmission choisi, le porteur dun effet de commerce bnficie de

    linopposabilit des exceptions. Il profite par exemple de la mme protection lorsque la crance lui est transmise par lendossement du titre ou par une subrogation.

  • 18

    Ainsi, lexistence de la catgorie forme par la transmission conventionnelle

    des crances (Premire partie), correspond un rgime transcendant la diversit

    des modes de transmission (Seconde partie).

  • 19

    Premire partie Lexistence de

    la catgorie

  • 20

    7. Lvolution des catgories juridiques. La qualification consiste classer une

    donne dans une catgorie juridique pour lui faire produire un effet de droit 62. Elle

    porte essentiellement sur des faits, rattachs aux prsupposs dune rgle

    juridique, afin de dire le droit applicable au cas concret. Une dmarche analogue

    peut galement sappliquer aux normes juridiques afin de les rattacher des

    catgories gnrales, et permettre ainsi den prciser le rgime 63.

    Rationnellement, llaboration des catgories prcde lapplication dun rgime ;

    mais le rgime rejaillit en ralit sur leur dlimitation. Laffirmation se vrifie

    loccasion de la qualification des faits 64 ; elle vaut galement pour la qualification

    des normes 65. Cette influence du rgime sur les catgories juridiques modifie leur

    physionomie et leur place au sein du systme juridique, assurant ainsi leur

    volution en labsence dintervention du lgislateur. La transmission

    conventionnelle des crances rpond ce schma.

    8. La transmission conventionnelle des crances, catgorie juridique. La loi

    ne consacre pas expressment une catgorie regroupant la cession, la

    ngociation et la subrogation. Pour admettre la transmission conventionnelle des

    crances en dehors des cas expressment prvus par les Codes, la doctrine 66

    sest essentiellement efforce den nier loriginalit : les crances, comme tous les

    biens, se transmettent par leffet dune convention. Paradoxalement, ce consensus

    autour de lexistence de lopration nuit aujourdhui aux principaux modes de

    62 Rappr. B. ANCEL, Qualification, Enc. Dall. Int. 1998, spc. n 1. Le mot qualification dsigne le raisonnement par suite duquel on dcide que tel fait ou telle srie de faits relve du champ dapplication dune rgle de droit dtermine et dune seule .

    63 J.-L. BERGEL, op. cit., n 181. Pour tablir des concepts, il faut partir de lobservation du droit positif et des ralits sociales Les rsultats de cette observation et les critres qui sen sont dgags sont traduit en concepts par voie dinduction. On en vient alors ranger les phnomnes et les notions juridique de mme nature en catgories auxquelles sattachent, par voie de consquence, certaines rgles propres. Cette catgorisation repose sur des traits constants .

    64 F. TERRE, L'influence de la volont individuelle sur les qualifications, thse, LGDJ, 1956, n 6, p 6. Cest pour atteindre un but donn que parties et juge utilisent une qualification dtermine .

    65 Sur lapproche fonctionnelle des catgories juridiques v. notamment P. LAGARDE, Recherches sur l'ordre public en droit international priv, thse, Paris, 1957; VEDEL, La juridiction comptente pour prvenir, faire cesser ou rparer la voie de fait administrative, JCP. 1950. I. 851 .

    Les notions conceptuelles peuvent recevoir une dfinition complte selon les critres logiques et leur contenu est abstraitement dtermin une fois pour toutes . Les notions fonctionnelles procdent directement dune fonction qui leur confre seule une vritable unit (VEDEL, art. prcit, n 4).

    66 Sur lassimilation de la crance un bien ds le dbut du XIX v. infra n 66.

  • 21

    transmission. Les frontires entre la cession, la ngociation, et la subrogation

    restent incertaines. De laveu de nombreux auteurs 67, les critres distinguant

    traditionnellement la cession de la subrogation ne convainquent plus ; le

    scepticisme sinstalle face la profusion des thories contradictoires sur la nature

    des titres ngociables 68.

    Lapparente diversit des modes de transmission masque leur appartenance

    la catgorie juridique plus vaste forme par la transmission conventionnelle des

    crances. La cession, la ngociation et la subrogation ont pour seul objectif

    dassurer la transmission conventionnelle des crances. Le systme juridique sest

    adapt lentrave gnre par les formalits du droit commun de la cession de

    crance grce des techniques de substitution. Le seul objectif de la distinction

    entre la cession, la ngociation et la subrogation est de soustraire la transmission

    conventionnelle des crances aux formalits de larticle 1690 du Code civil.

    La cession, la ngociation et la subrogation ralisent la mme opration. La

    distinction artificielle entre ces modes de transmission (Titre 1) ne saurait masquer

    leur convergence (Titre 2).

    67 V. notamment A. BENABENT, op. cit., n 724, p 452 propos de diffrence entre la cession et la subrogation, cette dualit est en elle-mme une difficult.. ces deux techniques ont des lments en commun et des points divergents sans vritable explication rationnelle .

    J. FLOUR ET J.-L. AUBERT, Droit civil, Les obligations, t. 3, Le rapport d'obligation, Armand Colin, 1999, n 392, p 241 Dans une section sur la comparaison entre la subrogation et la cession de crance, les auteurs concluent que les deux mcanismes sont spars par des diffrences qui tiennent une volution historique diffrente, plus quelles ne sont imposes par la logique. Celle-ci aurait plutt command dunifier cession de crance et subrogation consentie par le crancier .

    68 V. infra n 259 et s.

  • 22

    Titre 1 La distinction artificielle entre

    les modes de transmission

  • 23

    9. La pluralit de techniques au service dun mme objectif. Lhistoire montre

    que les codificateurs ont rompu non intentionnellement le mouvement de

    rapprochement entre les modes de transmission conventionnelle des crances

    qui stait antrieurement dgag. Lexgse constate la distinction entre la

    cession, la ngociation et la subrogation introduite par la codification et tente de la

    justifier en associant un objectif diffrent chacun de ces modes de

    transmission 69. Nanmoins, ces diffrences ne convainquent plus la doctrine

    contemporaine ; plusieurs techniques poursuivent le mme objectif 70.

    En effet, la distinction entre les modes de transmission a aujourdhui pour seul

    objectif de soustraire lopration aux formalits anachroniques et inutilement

    contraignantes de larticle 1690 du Code civil. La cession, la ngociation et la

    subrogation sont des techniques neutres et substituables les unes aux autres afin

    de raliser une substitution de crancier dans le lien dobligation.

    La distinction entre les modes de transmission accidentellement introduite lors

    de la Codification (Chapitre 1) na aujourdhui quune porte limite en droit positif

    (Chapitre 2).

    69 V. infra n 65. 70 V. infra n 88.

  • 24

    CHAPITRE 1 LHISTOIRE DUNE DISTINCTION ACCIDENTELLE

    10. La rupture. Les historiens attachent aujourdhui une grande importance aux

    ruptures 71. La codification napolonienne marque une rupture dans lhistoire de la

    transmission conventionnelle des crances. Elle rompt fortuitement le

    rapprochement entre la cession, la ngociation et la subrogation.

    Avant 1804, le dogme de lintransmissibilit des crances prvaut. Ainsi,

    POTHIER considre quune crance tant un droit personnel du crancier, un droit

    inhrent sa personne, elle ne peut pas, ne considrer que la subtilit du droit,

    se transporter une autre personne 72. Nanmoins, des procds de substitution

    contournent cet obstacle. La cession de crance et la ngociation proviennent

    respectivement du droit romain et du droit germanique o elles palliaient

    lintransmissibilit des crances. Elles tendent se fondre au cours de lancien

    droit franais. Par ailleurs, jusquau Code civil, rien ne distingue la subrogation

    consentie par le crancier de la cession de crance ; la seule forme de

    subrogation qui existe depuis le droit romain est une transmission impose au

    crancier.

    Le Code civil admet sans rserve la transmission conventionnelle des

    crances. Mais au lieu dachever le rapprochement des diffrents modes de

    transmission, la codification en consacre plusieurs formes. A ct de la cession de

    crance, le Code civil admet galement la subrogation consentie par le crancier,

    71 Sur les ruptures structurales v. notamment F. BRAUDEL, Ecrits sur lhistoire, Flammarion, 1969, p 131, M. FOUCAULT, Larchologie du savoir, Bibliothque des sciences humaines, Gallimard, 1969, p 12 et s.

    72 POTHIER, Trait du contrat de vente, in Oeuvres compltes, Paris, red. par Rogron et Firbach, 1835, 551, p 755.

  • 25

    et le Code de commerce traite de lendossement des lettres de change et billets

    ordre.

    Trois institutions ne peuvent avoir la mme nature juridique. Puisque le Code

    civil admet la transmission conventionnelle des crances loccasion de la

    cession, la doctrine sattache alors la distinguer de la ngociation et de la

    subrogation. Dans un premier temps, les auteurs soulignent les diffrences entre

    les modes de transmission, mais les critres dgags sont aujourdhui

    abandonns.

    Ainsi, lhistoire des modes de transmission conventionnelle des crances

    montre que leur rapprochement (Section 1) est accidentellement interrompu par la

    codification (Section 2), bien que la doctrine tende dsormais revenir sur cette

    distinction (Section 3).

    Section 1 Le rapprochement antrieur la codification

    11. Lassimilation du droit germanique par le droit romain. Avant la

    codification, ni lancien droit franais, ni les systmes juridiques qui le prcdent

    nadmettent la transmission conventionnelle des crances. Les modes

    contemporains de transmission sont issus des techniques de substitution

    destines contourner lobstacle de lintransmissibilit des crances. Lvolution

    des modes de transmission sous lancien droit aurait d conduire leur unification

    au moment de la codification.

    La distinction actuellement opre entre la cession, la ngociation et la

    subrogation ne peut se prvaloir de la tradition historique. Lopposition entre la

    cession et la subrogation consentie par le crancier nexiste pas avant la

    codification. La cession tend assimiler la ngociation. En effet, aprs les

    invasions, les procds de transmission issus du droit romain et de lancien droit

    germanique coexistent dans lancien droit franais, mais les institutions romaines

    tendent absorber les institutions germaniques. La ngociation conserve

    nanmoins une partie de son originalit en sincorporant aux usages commerciaux

    qui jouissent jusqu la Rvolution dune significative autonomie.

  • 26

    Les modes contemporains de transmission des crances proviennent de deux

    systmes juridiques ( 1) qui tendent sunifier sous lancien droit franais ( 2).

    1 Les deux origines des modes de transmission

    12. Lopposition entre le droit romain et lancien droit germanique. Les deux

    principaux systmes juridiques lorigine de lancien droit franais utilisent des

    techniques de transmission diffrentes. En droit romain, le crancier occupe le

    rle principal dans les contrats ; il accomplit ainsi les solennits exiges. En

    revanche, dans lancien droit germanique, le dbiteur occupe une place

    prpondrante ; sa promesse forme lessence du contrat 73. Ds lors, pour

    remdier lintransmissibilit des crances, le droit romain recherche des

    procds de substitution du ct du crancier (A) alors que lancien droit

    germanique les situe du ct du dbiteur (B). Cette dualit se retrouvera sous

    lancien droit franais o elle tendra cependant sestomper.

    A Lunit de la cession et de la subrogation en droit romain

    13. Lintransmissibilit des crances. Le droit romain ne distingue pas la

    cession de crance et la subrogation consentie par le crancier. La subrogation

    dsigne une cession force de crance. Afin de limiter les risques de contresens

    inhrents linterprtation dun systme juridique loign dans le temps, les

    procds romains lorigine de la cession et de la subrogation doivent

    pralablement tre replacs dans leur contexte 74.

    Bien que les noms de cession et de subrogation seront employs, ils ne

    dsignent pas en droit romains de vritable procds de transmission. En effet, ce

    systme juridique ignore le droit de crance et, a fortiori, sa transmission

    conventionnelle. Des classifications, telles que celle tablie par GAUS qui range

    les obligations parmi les biens incorporels, ne doivent pas induire en erreur. Dans

    73 A. WAHL, Trait thorique et pratique des titres au porteur franais et trangers, Paris, 1891, n 36, p 34.

    74 La philosophie grec influenant de ce systme juridique concoure limiter les risques de contresens. Sur linfluence de la philosophie grecque en droit romain v. M. VILLEY, Leon d'histoire de la philosophie du droit, Dalloz, 1962, p 30.

  • 27

    la pense antique, le cosmos est fini et hirarchiquement ordonn 75. De son

    observation se dduit un modle harmonieux des rapports sociaux. La justice

    sassigne pour objectif de respecter, et de restaurer lquilibre chaque fois quun

    dsordre la troubl ; de rtablir les proportions 76. Le droit se dcouvre avec une

    prcision mathmatique 77. Lobligation joue un rle essentiel pour rtablir cette

    harmonie. En revanche, elle ne confre aucune prrogative comparable un droit

    subjectif. Lobjet dun trait de droit, comme celui des institutes de GAIUS, est de

    dcrire ce monde vu juridiquement. Il suffit de reprendre, dans cette description

    objective, le plan trs simple usit dans la science grecque . Le plan de ces

    institutes oppose les choses aux personnes. Puis, au sein des choses relevant du

    droit humain, GAIUS spare les biens corporels, des biens incorporels comprenant

    les obligations 78. Il ne faut cependant pas se mprendre sur les similitudes avec

    notre systme juridique. Lobligation ne confre pas un droit subjectif au crancier.

    De mme que la proprit est une puissance personnelle 79 et intransmissible 80

    sur les biens ; les crances forment exclusivement le ct actif dun lien de droit

    entre deux personnes.

    14. Droit romain et les interprtations modernes tournes vers le droit positif.

    Sil existe autant de faons daborder le pass que dattitudes en face du

    prsent 81, la distinction entre les procds lorigine de la cession de crance et

    75 A. KOYRE, From the Closed World to the Infinite Universe, Baltimore, 1957. Trad. Du monde clos lunivers infini, Paris, 1962.

    76 M. VILLEY, op. cit., p 28. 77 ARISTOTE se sert des mathmatiques de PYTHAGORE pour formuler les principes de la justice

    rparatrice ou commutative. Lgal qui tient le milieu entre lun et lautre, est ce que nous appelons le juste ; et, en rsum le juste qui a pour objet de redresser les torts, est le milieu entre la perte ou la souffrance de lun et le profit de lautre (ARISTOTE, Ethique Nicomaque, Le livre de poche, 1992, Trad. J. B. Saint-Hilaire, Livre V, Chap. IV).

    78 GAIUS, Institutes, texte tabli et traduit par J. Reinach, Paris, 1950, Second Comm., n 12. Les choses sont ou corporelles ou incorporelles . Sont incorporelles les choses quon ne peut toucher, telles que les choses qui consistent en un droit, comme une succession, un usufruit, les obligations, de quelque manire quelles aient t contractes.

    79 F. ZENATI et Th. REVET, Les biens, PUF, Droit fondamental, 2e d. 1997, p 122. 80 Seul les biens se transmettent F. ZENATI, op. cit., p 143 La thorie du transfert de proprit

    est largement tributaire de celle de la nature de la proprit. Si on l'analyse la proprit comme un bien aprs lavoir incorpore dans son objet, force est den dduire que la transmission de la chose emporte celle du droit et que le droit de lacqureur nest autre que celui de lalinateur. Si lon analyse au contraire la proprit comme un lien attachant un bien une personne et indissociable de cette dernire, force est den dduire que la transmission concerne le seul bien et quelle consiste dans lextinction et la constitution simultanes de deux prrogatives en la personne des parties. Cette dernire conception nest que la rplique de celle du droit romain .

    81 F. BRAUDEL, Ecrits sur lhistoire, Flammarion, 1969, p 97.

  • 28

    de la subrogation en offre un excellent exemple. Aux risques de contresens

    inhrents lanciennet du droit romain sajoutent les risques de confusion entre

    ce droit et son interprtation comme source de droit positif jusqu laube du XXe

    sicle. Son enseignement en France ne poursuit officiellement un objectif

    purement historique qu partir de 1895 82. Surtout, jusqu la codification de 1900,

    les pandectes 83 forment le droit commun subsidiairement applicable en

    Allemagne 84. La distinction entre la cession de crance et la subrogation

    napparat que dans les interprtations du droit romain par la doctrine germanique

    au XIXe sicle afin de lintroduire dans le droit positif allemand.

    En ralit, la cession se distingue en droit romain de la subrogation par sa

    source et non par ses effets. La cession a pour objectif de transmettre

    conventionnellement une crance (1) alors que la subrogation impose au

    crancier de transmettre ses droits (2).

    1 La cession

    15. Novatio et procuratio in rem suam. Le ct actif de lobligation ne se

    dtache pas de la personne du crancier. Le droit romain nadmet pas la

    transmission des crances 85. Nanmoins, GAIUS atteste de lexistence de deux

    procds de substitution 86 : la novatio par changement de crancier qui existe

    82 Dcret du 30 avril 1895 cit par E. CUQ, Les institutions des romains, t. 2, Paris, 1902, dans sa prface.

    83 Le terme latin dsigne selon le dictionnaire latin-franais de F. GAFIO, Hachette, 1934, V. Pandectes, les compilations des traits des principaux jurisconsultes romains effectue sous lempereur Justinien .

    84 R. SALEILLES, Etude sur la thorie gnrale de l'obligation d'aprs le premier projet de code civil pour l'empire allemand, LGDJ, 3e d., 1925, n 2. dont lauteur contribue sa diffusion en France.

    85 P. F. GIRARD, Manuel lmentaire de droit romain, Paris, 8e d. Par F. Senn, 1929, p 776. 86 GAIUS traite du 18 au 39 de lalination et de ses diverses formes pour les diverses

    espces de biens. Aprs avoir cit, comme mode daliner les choses corporelles, il passe lexamen des choses incorporelles, et arriv aux crances. Daprs GAIUS 2, 38, 39 : Obligationes quoquo modo contractae nihil eorum recipiunt. Nam quod mihi ab aliquo debetur, id si velim tibi deberi, nullo eorum modo, quibus res corpalese ad alium transferuntut, id effecere possum. Sed opus est ut jubente me tu abeo stipuleris ; quae res efficit, ut a me liberetur et incipiat teneri ; quae dicitur novatio obligationis. Sine hac vero novatione, non poteris tua nomine agere ; sed debes ex persona mea, quasi cognitor aut procurator meus, experiri ( Si je veux que ma crance devienne la votre, je ne pourrait oprer ce transfert par lun des modes usits pour transfrer les choses corporelles, mais il faudra que, sur mon ordre, vous stipuliez de mon dbiteur une novation ou que vous le poursuiviez en justice ma place Trad. par P. GIDE, Etudes sur la novation et le transport

  • 29

    ds la priode des actions de la loi 87 (a) et la procuratio in rem suam (b) qui se

    dveloppe partir de lpoque des procdures formulaires 88, directement

    lorigine de la cession de crance.

    a - La novatio

    16. La novatio par changement de crancier. La premire technique utilise

    pour transmettre des crances fut la novation par changement de crancier

    (novatio). Sur lordre de son crancier, le dbiteur promet de donner au nouveau

    crancier ce quil doit lancien. La porte de ce procd de substitution fut

    dbattue.

    17. Ressemblance entre la novatio et la cession. A lpoque classique, leffet de

    la novatio se limite une transformation de lobligation 89. Dailleurs, le droit de

    cette poque nadmet pas la novation par changement dobjet 90. En effet, la

    novatio sert rsoudre les questions suscites par la succession de deux

    conventions entre les mmes personnes et portant sur la mme chose 91. La

    novatio teint lancienne obligation et ne laisse subsister que la nouvelle. Estimant

    que la novatio ne peut pas crer une nouvelle obligation, mais seulement

    transformer la forme dune obligation prexistante 92, GIDE en dduit que le droit

    des crances, Paris, 1879, p 240 Comp. Les obligations, de quelque manire quelle aient t contractes, nadmettent aucun de ces modes dalination. En effet, si je veux que ce qui mest d par un tiers te soit d, nous ne pouvons obtenir ce rsultat par aucun des modes dalination des choses corporelles. Ce quil faut, cest sur mont invitation, tu stipules du tiers, ce qui a pour effet de le librer de ses obligations mon gard et de lengager vis vis de toi : cest ce quon appelle une novation dobligation. Sans cette novation, tu ne pourras actionner en ton propre nom, et tu dois procder de mon chef, comme si tu tais mon connaisseur ou mon procureur, GAIUS, Institutes, texte tabli et traduit par J. Reinach, Paris).

    87 Ces procdures formalistes reposent ncessairement sur une loi. Elles nexistent quen nombre limit (P. F. GIRARD, op. cit., p 1025 et s.).

    88 Cette priode souvre par la loi Aebutia date du milieu du IIe sicle av. J.-C (J.-P. LEVY, Histoire des obligations, Les cours de droit, 1995, p 5). Le procs est li par le magistrat lui-mme qui en rdige le programme pour le juge. Le magistrat qui a le pouvoir daccorder laction sollicite par le demandeur ou dadmettre lexception rclame par le dfendeur. (P. F. GIRARD, op. cit., p 1055 et s.).

    89 J.-P. LEVY, op. cit., p 187 cite ULPIEN (D. 46, 2, 1, pr.) qui dfinit ainsi la novation : prioris debiti in aliam obligationem transfusio atque translatio (le transfert dune dette antrieure dans une nouvelle obligation).

    90 J.-P. LEVY, op. cit., p 187. La novation par changement de personne ne parat dailleurs admise quen droit prtorien.

    91 J.-P. LEVY, op. cit., p 188. 92 P. GIDE, op. cit., p 9.

  • 30

    romain admet la cession de crance : Aujourdhui les deux ides de novation et

    de cession sont, non seulement distinctes, mais incompatibles ; elles se

    confondaient en droit romain 93.

    18. Diffrences entre la novatio et la cession. Bien que lopinion de GIDE reflte

    apparemment la prsentation de lopration propose par GAIUS 94, ce dernier na

    pas t repris dans la compilation de JUSTINIEN. Surtout, la novatio produit un effet

    trs diffrent dune cession. GIDE le reconnat 95. Non seulement la novatio

    requiert le consentement du dbiteur, mais elle se distingue en outre dune

    vritable transmission par ses effets. Certes, la novatio donne au cessionnaire une

    crance qui a le mme objet que lancienne. Mais, le dbiteur perd la possibilit de

    se prvaloir des exceptions qui affectent lancienne obligation sil ne dclare pas

    expressment les rserver. Par ailleurs, la novation ne transmet pas en principe

    les accessoires de lancienne obligation. De mme, le bnfice de la mise en

    demeure qui faisait courir les intrts de lancienne obligation ne peut plus tre

    invoqu 96. La novatio prive toujours le dbiteur de la facult dopposer une

    exception de compensation ou de dol 97, la caution doit ritrer son

    engagement 98. GIDE reconnat ces diffrences.

    19. Conclusion. Finalement, la novatio apparat aux yeux des auteurs romains et

    de GIDE comme un mode de transmission des crances, mais cette qualification

    ne se justifie pas au regard des critres actuels de lopration. En tout tat de

    cause, la notion de droit subjectif est inconnue du droit romain. Aussi, la novatio

    dsigne-t-elle seulement un procd de substitution destin remdier

    lintransmissibilit des crances. Elle est rapidement supplante par la procuratio

    in rem suam directement lorigine de la cession de crance.

    93 P. GIDE, op. cit., p V. 94 Selon GIDE lerreur consiste traduire obligationes nihil eorum recipiunt par les

    obligations ne sont susceptibles daucune espce de transfert . Alors que GAIUS dclare seulement inapplicables les formes de transfert des biens corporels (P. GIDE, op. cit., p 240 texte et note 1).

    95 P. GIDE, op. cit., p 14. La cession de crances au temps des Romains ressemblait fort peu... ce quelle est de nos jours .

    96 P. F. GIRARD, op. cit., p 778. 97 P. GIDE, op. cit., p 263. 98 P. GIDE, op. cit., p 269.

  • 31

    b La procuratio in rem suam

    20. La procuratio in rem suam la fin de la Rpublique. Au terme de son

    volution, un second procd de substitution, la procuratio in rem suam, se

    rapproche le plus dune vritable cession. Il apparat lpoque de la procdure

    formulaire, en mme temps que la reprsentation en justice 99. La procuratio in

    rem suam dsigne un mandat judiciaire 100 donn par le cdant au cessionnaire

    afin dexiger le paiement de la crance. Le cdant dispense le cessionnaire de lui

    rtrocder les sommes ainsi obtenues. Ce procd ne requiert pas le

    consentement du dbiteur, contrairement la novatio.

    La procuratio in rem suam comporte nanmoins des risques. Ainsi, la

    rvocation ou le dcs du cdant mettent un terme au mandat. Pour consolider

    ses droits, le cessionnaire doit engager la procdure formulaire au nom du cdant.

    La litis contestatio 101 fixe alors les termes du litige 102. Le nom du cdant figure

    dans lintentio de la formule dlivre par le magistrat 103, mais la condamnation est

    prononce au nom du cessionnaire 104.

    Le recours la litis contestatio ne supprime pas tous les inconvnients de la

    procuratio in rem suam. A ses dbuts, ce procd ne concerne que des crances

    chues, il est ferm aux personnes ne pouvant pas ester en justice ou plaider pour

    99 A cette poque, le Prteur tend lapplication des formules de la loi par une formule avec transposition de personnes. Il transfre dune personne une autre le bnfice ou la charge dune obligation dduite en justice : il lui suffit de remplacer dans la condamnatio le nom de la personne qui figure dans lintentio comme sujet actif ou passif du droit, par celui de la personne qui doit avoir le bnfice ou la charge de lobligation (E. CUQ, op. cit., p 735).

    100 Il existe deux sortes de reprsentants : le cognitor constitu en prsence de ladversaire et en termes sacramentels et le procurator qui a dabord t un administrateur gnral des biens dautrui, puis un mandataire charg dune mission spciale (P. F. GIRARD, op. cit., p 1089 et 1090, note 2).

    101 P. F. GIRARD, op. cit., p 1072. La procdure formulaire se droule schmatiquement en deux tapes, la premire sous lhospice dun magistrat, et la seconde, dun juge. Un principe de division interdit au magistrat de statuer. La premire phase de linstance sachve par la litis contestatio, une sorte de novation judiciaire qui fixe le litige. Le magistrat dlivre une formule nommant le juge et lui indiquant sa tche sous forme conditionnelle. Ainsi, le magistrat demande au juge de vrifier si quelque chose existe, et, selon le cas, dabsoudre ou de condamner.

    102 P. F. GIRARD, op. cit., p 1074. En effet, le juge ne connat que la formule dlivre par le magistrat et doit se placer lpoque laquelle elle est dlivre pour statuer sur le litige.

    103 P. F. GIRARD, op. cit., p 1078 Lintentio est la partie de la formule o figure la prtention du demandeur .

    104 E. CUQ, op. cit., p 748.

  • 32

    autrui, et exige, sous peine de dchance, quune fois le procs ouvert, un

    jugement soit rendu dans le dlai de 18 mois de premption de linstance 105.

    21. La procuration in rem suam sous lEmpire. Sous lEmpire, lefficacit de la

    procuratio in rem suam se renforce, mais de nouvelles restrictions apparaissent.

    Les rformes consolident le droit du cessionnaire. Dune part, elles lui

    accordent une action utile lorsquil ne dispose pas, ou plus, des actions du cdant,

    les actiones mandatae 106. Le bnfice de laction utile 107 est dabord consacr

    en matire de transmission titre universel, puis loccasion de la vente dune

    hrdit, et enfin, en matire de transmission des crances titre particulier 108.

    Une constitution de GORDIEN III 109 accorde au cessionnaire une action utile

    lorsque le cdant dcde ou rvoque le mandat. Le cessionnaire exerce cette

    action en son nom, la diffrence de laction tire du mandat qui est exerce au

    nom du cdant 110. Le recours un mandat ne semble ds lors plus utile : lorsque

    le negotium oblige le crancier cder ses droits, le cessionnaire dispose toujours

    dune action utile 111. Dautre part, la consolidation des droits du cessionnaire se

    manifeste par les limites apportes la rvocation du mandat. Une constitution de

    GORDIEN III 112 remplace la litis contestatio par la denunciatio 113 ou par la

    reconnaissance manant du dbiteur qui rsulte dun paiement partiel entre les

    mains du nouveau crancier 114. Ces procds protgent notamment le

    105 P. F. GIRARD, op. cit., p 779 texte et note 1. 106 P. F. GIRARD, op. cit., p 780. 107 V. sur cette action infra n 22. 108 P. GIDE, op. cit., p 334 et s ; R. SALEILLES, op. cit., p 66, note 1. 109 C.4, 10, De O. et A., 1, cit par J.-P. LEVY, op. cit., p 185 qui la date de lanne 243. Selon

    P. F. GIRARD, op. cit., p 780 note 1. La situation en cas de rvocation est prvue par un texte dULPIEN, D., 3, 3 De proc., 55 qui ne parat cependant pas maner de ce jurisconsulte.

    110 P. F. GIRARD, op. cit., p 780 note 1 ; WINDSCHEID cit par R. SALEILLES, op. cit., p 67, note 2. 111 V. propos de la vente isole dune crance et de la dot constitue laide dune crance

    VALERIEN et GALIEN, C., 4, 10, De O et A., 2 (E. CUQ, op. cit., p 780 note 4). 112 C.,8,41, De. nov., 3 : Si delegatio non est interpositae debitoris tui ac proptera actiones

    apud te remanserunt, quamvis creditori tuo adversus eum solutionis causa mandaveris actiones, tamen, antequam lis contestur vel aliquid ex debito accipiat vel debitori tuo denutiaverit, exigere a debitore tuo debitam quantitatem non vetaris et eo modo tui creditoris exactionem contre eum inhibere .

    Ce texte dat de lanne 240 est attribu GORDIEN III (J.-P. LEVY, op. cit., p 185). Comp. les doutes quant la date du texte en raison dune interpolation (P. F. GIRARD, op. cit., p 781, note 2).

    113 J.-P. LEVY, op. cit., p 185. Le crancier se rend chez le dbiteur accompagn de tmoins afin de conserver la preuve de la denunciatio.

    114 P. F. GIRARD, op. cit., p 781.

  • 33

    cessionnaire contre le risque dun paiement effectu entre les mains du cdant ou

    dune remise de dette.

    Mais les constitutions impriales posent des limites spciales, puis gnrales,

    la procuratio in rem suam pour lutter contre les abus constats. Ainsi, JUSTINIEN

    interdit, sous peine de dchance, quune personne protge cde sa crance

    son tuteur ou son curateur 115. Lorsque la cession nest pas consentie titre

    gratuit ou titre de dation en payement, ANASTASE offre au dbiteur la facult de

    se librer en remboursant au cessionnaire le prix quil a pay 116, et, pour djouer

    les fraudes cette rglementation qui consisteraient acheter seulement une

    partie de la crance puis sen faire donner le surplus, JUSTINIEN dcide que la

    cession sera dans cette hypothse rpute faite titre onreux pour le tout 117.

    22. Action utile et action directe. Au terme de lvolution du droit romain, la

    question se pose de savoir si la transmission des crances fut admise. Cette

    question agita les pandectistes allemands jusqu la fin du XIXe sicle. La rponse

    dpend de lopposition entre laction directe et laction utile.

    Le cessionnaire dispose toujours contre le dbiteur de laction utile. Le

    cessionnaire exerce cette action en son nom. En revanche, le cessionnaire ne

    dispose de laction directe que sil a obtenu au pralable un mandat du cdant. Le

    cessionnaire exerce cette action directe au nom du cdant. Cette distinction entre

    laction directe et laction utile apparat lpoque classique 118. Elle se maintient

    au Bas-Empire, bien quelle ne prsente plus cette poque quun intrt

    historique 119. En effet, lutilisation des formules est abolie ; la sparation entre le

    magistrat et le juge disparat ; dsormais le magistrat juge le procs. Si le cdant

    exerce laction directe, le cessionnaire peut la paralyser par voie dexception grce

    laction utile 120. En tout tat de cause, thoriquement le droit reste lancien

    115 E. CUQ, op. cit., p 846. 116 E. CUQ, op. cit., p 846. 117 E. CUQ, op. cit., p 846. 118 A lpoque classique, laction utile dsigne laction cre par le Prteur pour tendre

    lapplication des formules de la loi. Le Prteur consacre une telle action dans un cas analogue celui prvu par la loi bien quune condition requise manque. La formule ainsi tendue par une fiction est qualifie dutile, par opposition la formule directe ou vulgaire (E. CUQ, op. cit., p 735).

    119 E. CUQ, op. cit., p 871. 120 R. SALEILLES, op. cit., p 66.

  • 34

    crancier, le principe de lintransmissibilit est sauf 121. Selon DONNEAU, la

    cession ninvestit le cessionnaire que dun droit sur lmolument de la crance,

    mais non de la qualit du cdant 122. Ainsi, la cession du prix de vente permet au

    cessionnaire dexiger un paiement de lacheteur, mais le cdant conserve la

    qualit de vendeur. La majorit des romanistes allemands estiment que les

    crances ne se transmettent pas en droit romain 123.

    23. Conclusion. Finalement, bien que lintransmissibilit des crances prvale en

    droit romain, la novatio, puis la procuratio in rem suam servent de techniques de

    substitution. Cette dernire donnera directement naissance la cession de

    crance. Il nexiste ainsi quune seule technique voisine de la transmission

    conventionnelle des crances en droit romain, la procuratio in rem suam. La

    subrogation ne se distingue pas de la cession de crance ; elle ne dsigne pas un

    mode de transmission distinct.

    2 La subrogation

    24. La cession dactions et successio in locum creditoris. Le terme

    subrogation nexiste pas en droit romain ; il remonte lpoque des bnfices du

    droit canonique 124 et dsigne la succession dune personne aux droits dune

    autre 125. Nanmoins, la subrogation nat de la fusion de deux institutions du droit

    romain, la cession dactions 126 et la successio in locum 127, qui rassemblent la

    plupart des hypothses de subrogation lgale actuellement admises 128. Il nexiste

    pas en droit romain une subrogation consentie par le crancier. Seule la

    121 R. SALEILLES, op. cit., p 67. 122 R. SALEILLES, op. cit., p 69. 123 R. SALEILLES, op. cit., p 70. 124 Le bnfice ecclsiastique est un patrimoine attach une dignit ecclsiastique (Le

    Nouveau petit Robert, V. Bnfice). 125 Ph. RENUSSON, Trait de la subrogation de ceux qui succdent au lieu et place des

    cranciers, Paris, 3e d., M. DCCXXIII, Chap. I, n VIII. 126 P. F. GIRARD, op. cit., p 832, note 3 ; J. MESTRE, thse prcite, n 12 et s., p 22 et s. 127 Littralement, prendre la place de [quelquun], succder quelquun. 128 Comp. J. MESTRE, thse prcite, n 12, p 22 et s. Il prsente la subrogation comme une

    institution inacheve en droit Romain et gnralise sous lancien droit. De nouveaux cas de subrogation apparaissent effectivement sous lancien droit dans des situation que le droit romain ne pouvait envisager comme la subrogation de celui qui sacquitte dune lettre de change ou de la communaut ayant pay la dette dun conjoint.

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    procuratio in rem suam se rapproche de la transmission conventionnelle des

    crances. Ni la cession daction, ni la succession in locum creditoris ne sont

    lorigine de la subrogation consentie par le crancier.

    Les techniques lorigine de la subrogation dsignent exclusivement des

    hypothses o la transmission simpose au crancier (a) ; le droit romain ne

    distinguant pas la subrogation consentie par le crancier de la cession de crance

    (b).

    a Les cas de subrogation impose au crancier

    25. Des cessions imposes par la loi ou le juge. Bien quelle soient prsentes

    comme des institutions lorigine de la subrogation, la cession dactions (a1)

    comme la successio in locum (a2) dsignent des hypothses o la transmission

    est impose au crancier par la loi ou par le juge.

    a1 La cession daction

    26. Les recours du tiers solvens. La cession dactions 129 se rencontre

    loccasion du paiement de la dette dautrui. Le tiers solvens qui sacquitte de la

    dette dautrui dispose dune action rcursoire contre le dbiteur fonde sur le

    mandat (action mandati) ou sur la gestion daffaire (action negotiorum gestorum

    contraria) 130. Ces actions se rvlent cependant inefficaces en cas dinsolvabilit

    du dbiteur. La cession des actions du crancier au tiers solvens remdie ce

    risque. Aprs le paiement par le tiers solvens, laction en paiement ne prsente

    plus dutilit pour le crancier garanti. En revanche, cette action est utile au tiers

    lorsquelle est garantie par un privilge, un gage ou une hypothque 131. Mais

    deux obstacles sopposent la transmission. Dune part, le paiement par le tiers

    129 La cession dactions na pas directement de rapport avec le bnfice de la cession dactions consacre par le Code civil en matire de cautionnement par larticle 2037 du Code civil qui apparat en Italie au XIV sicle (J. BRISSAUD, Cours d'histoire gnrale du droit franais public et priv, Paris, red. par Brissaud de l'ouvr. de 1898-1904, p 539, note 4).

    130 P. F. GIRARD, op. cit., p 809 propos des actions de la caution. 131 P. F. GIRARD, op. cit., p 809.

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    teint la crance et ses accessoires. Dautre part, rien noblige le crancier

    transmettre ses droits.

    27. La transmission de la crance impose. Les jurisconsultes 132 surmontent

    ces obstacles. Comme la crance peut tre vendue pour un prix gal son

    montant nominal, nimporte qui, mme au dbiteur, et qualors le paiement du

    prix nteint pas la crance vendue, ils ont conclu de l que lacte du fidjusseur

    qui paie sa dette en demandant la cession des actions doit sanalyser en une

    opration de ce genre 133. Il ne reste plus qu imposer au crancier la

    transmission de ses droits la caution.

    Le crancier commet un dol sil refuse de cder sa crance la caution.

    Comme toutes les exceptions, le dol ncarte pas directement la prtention de

    ladversaire, mais repose sur un fait distinct qui paralyse laction. Lorsque le juge

    admet lexception, il se contente de paralyser laction du demandeur 134. Le

    bnfice de la cession dactions profite toux ceux qui doivent payer la dette

    dautrui : la caution 135, le codbiteur solidaire 136, ou le tiers dtenteur de

    limmeuble hypothqu 137.

    28. Conclusion. La cession daction nest pas un mode autonome de transmission

    conventionnelle des crances. Elle ne se distingue de la procuratio in rem suam

    que par sa source. La cession daction impose seulement au crancier de

    transmettre ses droits au tiers solvens qui sacquitte de la dette la place du

    dbiteur afin de lui confrer les avantages attachs la crance.

    132 Le bnfice de la cession dactions est dj connu de JULIEN, D., h., t., 17, pr. PAPINIEN, D., 21, 2, De evict., 65 mentionne lexception de dol en cas de refus du crancier de cder ses droits.

    PAUL, D., h. t., 36 semble admettre que la cession puisse tre demande aprs le paiement alors que selon MODESTIN, D., 46, 3, De solut., 76, la cession doit tre faite ou convenue avant le paiement.

    133 P. F. GIRARD, op. cit., p 810. 134 P. F. GIRARD, op. cit., p 1094-1095. 135 P. F. GIRARD, op. cit., p 810. 136 P. F. GIRARD, op. cit., p 792, note 3. 137 P. F. GIRARD, op. cit., p 832.

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    a2 - La successio in locum

    29. Les cas de successio in locum creditoris 138. La successio in locum

    sappuie sur le mme mcanisme que la cession dactions, mais elle joue

    principalement en prsence de crances hypothcaires. Lhypothque ne

    prsente plus dintrt pour le crancier garanti aprs le paiement de la dette,

    mais cette sret savre de la plus grande utilit pour le tiers qui sacquitte de la

    dette 139.

    Ainsi, la crance hypothcaire se transmet 140 : celui qui prte une somme

    dargent destine payer le crancier hypothcaire 141, lacqureur dun

    immeuble hypothqu qui en paye le prix entre les mains du crancier

    hypothcaire 142, au crancier hypothcaire qui dsintresse un autre crancier

    hypothcaire 143, et, en cas de novation par changement de dbiteur, au crancier

    qui conserve ainsi son rang lorsque la nouvelle crance est garantie par

    lhypothque qui garantissait dj lancienne crance 144.

    Lorsqu'un crancier hypothcaire dsintresse un autre crancier hypothcaire,

    le jus offrendae pecuniae 145 permet de contraindre celui-ci accepter le

    paiement 146. La dchance de laction hypothcaire sanctionne le refus

    daccepter le paiement car, dans ce cas, la dette ne sest pas teinte par la faute

    du crancier hypothcaire 147. La nature de la successio in locum fait lobjet dune

    controverse.

    30. Transmission de la crance, de lhypothque ou du rang ? Une opinion

    ne en Allemagne au XIXe sicle 148, introduite en France par LABBE 149, et depuis

    138 V. C.8, 18 (19). 139 P. F. GIRARD, op. cit., p 832. 140 E. CUQ, op. cit., p 833. 141 D. 20, 3, Quae res. pig