La transformation, pour quoi faire ? Défis d'aujourd'hui et de demain

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    John Gordon IVJanvier 2010

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    Laboratoirede Recherchesur la Dfense

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    LIfri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,dinformation et de dbat sur les grandes questions internationales. Cr en1979 par Thierry de Montbrial, lIfri est une association reconnue dutilitpublique (loi de 1901).Il nest soumis aucune tutelle administrative, dfinit librement ses activits etpublie rgulirement ses travaux.

    LIfri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dans une dmarcheinterdisciplinaire, dcideurs politiques et experts lchelle internationale.Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), lIfri simpose comme un desrares think tanks franais se positionner au cur mme du dbat europen.

    Les opinions exprimes dans ce texte nengagent que la responsabilit de lauteur.

    ISBN : 978-2-86592-646-6 Ifri 2009 Tous droits rservs

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    Focus stratgique

    Les questions de scurit exigent dsormais une approcheintgre, qui prenne en compte la fois les aspects rgionaux et globaux,les dynamiques technologiques et militaires mais aussi mdiatiques ethumaines, ou encore la dimension nouvelle acquise par le terrorisme ou lastabilisation post-conflit. Dans cette perspective, le Centre des tudes descurit se propose, par la collection Focus stratgique , dclairer pardes perspectives renouveles toutes les problmatiques actuelles de lascurit.

    Associant les chercheurs du centre des tudes de scurit de lIfri etdes experts extrieurs, Focus stratgique fait alterner travauxgnralistes et analyses plus spcialises, ralises en particulier parlquipe du Laboratoire de Recherche sur la Dfense (LRD).

    Lauteur

    Le Dr. John Gordon est un ancien officier de lU.S. Army o il a pass lesquatre dernires annes de service au sein de la Division Concepts,Doctrine and Force Policy au ministre de la Dfense. Depuis 1997, il estanalyste politique la RAND Corporation Washington. Il est lauteur deplus de trente articles dans de nombreuses publications, dontArmy,Military Review, Joint Force Quarterly , Proceedings , et GeorgetownUniversitysNational Security Studies Quarterly .

    Le comit de rdaction Rdacteur en chef : tienne de Durand

    Rdacteur en chef adjoint : Corentin BrustleinTraduction : Centre des tudes de scuritAssistant ddition : Vivien Pertusot

    Ce texte a t prcdemment publi en anglais sous le titre Transforming for What? Challenges Facing Western Militaries Today ,

    Focus stratgique , n 11, novembre 2008.

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    Sommaire

    Introduction ______________________________________________5

    Quest ce que la transformation ?_________________________7

    Les apories du concept _____________________________ 7

    Face aux gurillas__________________________________ 9

    Le cahier des charges venir ______________________________13

    Pas de rival majeur en vue__________________________ 13

    Pas de dsengagement rapide du Moyen-Orient________ 14

    Lavenir des conflits irrguliers______________________ 14

    Des forces moins nombreuses et plus chres _________ 14

    Les problmatiques de demain _____________________________17

    La possibilit dune confrontation avec des puissances rgionales nuclaires ___________ 17

    Le complexe de reconnaissance-frappe est-il rellement viable ? ___________________________ 18

    Protger ou informer ?_____________________________ 18

    Puissance arienne et forces terrestres : le primat du contexte ______________________________ 19

    quilibrer la prparation des forces __________________ 19

    Les besoins quantitatifs propres aux oprations de stabilisation prolonges ___________ 21

    Conclusion______________________________________________23

    Rfrences______________________________________________25

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    Introduction

    n parle beaucoup de transformation dans les milieux militairesoccidentaux, notamment aux tats-Unis. Ce concept renvoie des

    volutions majeures censes amliorer significativement les capacitsmilitaires et lefficacit des armes. Les forces armes de la plupart despays dmocratiques demeurent toutefois confrontes la questionsuivante :en vue de quels types de missions se transforment-elles ?

    Examiner cette question dterminante suppose de se focaliser toutdabord sur la nature des oprations les plus probables court terme, puissur leurs implications pour des forces armes occidentales engages dansla prparation de lavenir.

    Le concept de transformation est souvent associ celui de rvolution dans les affaires militaires (RMA). Une RMA est dfiniecomme un changement important dans lart de la guerre dont dcoulentdes innovations technologiques majeures et/ou de nouvelles mthodesoprationnelles. Les exemples les plus connus de RMA sont lutilisation duBlitzkrieg par les Allemands au dbut de la Seconde Guerre mondiale,lapparition des armes nuclaires la fin de ce mme conflit et le conceptde guerre rvolutionnaire , promu, entre autres, par Mao Ts-Toung.Chaque RMA sest impose comme un dfi aux techniques de combat etaux technologies alors utilises par les forces armes, remettant un grandnombre dentre elles en question. La guerre rvolutionnaire a par exemplesu contourner les effets du dveloppement des armes nuclaires, celles-cintant daucune utilit dans les conflits de basse intensit. mesure queles RMA se dveloppent, elles sont souvent invoques comme justifiantune transformation des appareils militaires, dans la mesure o certainesRMA supposent par dfinition des changements significatifs dans la faondont les armes sorganisent, squipent et oprent1.

    1 David Tucker,Confronting the Unconventional: Innovation and Transformation in Military affairs, U.S. Army War College, octobre 2006, disponible surhttp://www.strategicstudiesinstitute.army.mil/pubs/download.cfm?q=729 ;

    Williamson Murray, Thinking about Revolutions in Military Affairs,Joint Forces Quarterly , t 1997, disponible sur http://www.dtic.mil/doctrine/jel/jfq_pubs/1416pgs.pdf.

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    Quest ce que la transformation ?

    a transformation est un concept galvaud et mal compris. Plus quunesimple modernisation , la transformation dans son acception actuelle

    dsigne les changements affectant les mthodes oprationnelles, lesstructures de forces, les priorits de modernisation voire la culture etlorientation des forces armes. De la fin des annes 1980 au dbut desannes 2000, la notion de transformation a t troitement associe lide dun changement fondamental dans la pratique de la guerre li lemploi de plus en plus frquent de systmes modernes de C4ISR(commandement, contrle, communications, renseignement, surveillanceet reconnaissance), associ lutilisation de plus en plus frquente etvarie de munitions de prcision. LoprationDesert Storm , en 1991, asembl donner raison ceux pour qui le complexe de reconnaissance-frappe (reconnaissance-strike complex ) pour reprendre la terminologiesovitique tait devenu la nouvelle forme dominante de combat2. Danscette conception de la transformation, il sagit de mettre laccent sur lessystmes de reconnaissance et de surveillance communiquant la positionde lennemi aux divers tats-majors concerns, afin quils ordonnentrapidement une unit (air, terre ou marine) de dtruire la cible au moyendarmes de prcision. Dans le prolongement de cette logique, le brouillardde la guerre (fog of war ) en viendrait tre en grande partie limin, mesure que les systmes C4ISR seraient amliors et capables de fournirdes donnes prcises sur les positions et les effectifs des forces amies etennemies. Les partisans de la puissance arienne ont t, dune maniregnrale, les plus fervents dfenseurs de cette vision de la transformation,affirmant que cette rvolution suppose dans les affaires militaires rduiraitde faon significative le nombre dunits navales et terrestres ncessairesau cours des futurs conflits3.

    Les apories du concept Cette approche de lart de la guerre prsente de nombreux lmentsconvaincants, comme lont dmontr lcrasement des forces terrestresirakiennes dployes dans le dsert kowetien durant lhiver 1991, etdautres oprations depuis. Lors de lentre en fonction de ladministration

    2 Voir, par exemple, Martin Libicki,Information Warfare: Towards First Principles,RAND, 2000 et Huba de Czege, Revolutionizing firepower; the enablingdestructive and suppressive Element of Combat Power ,Field Artillery Journal, juillet-aot 2003.3

    Donald H. Rumsfeld, Transforming the Military ,Foreign Affairs , vol. 81, n 3,mai-juin 2002.

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    Bush en 2001, de nombreux hauts fonctionnaires civils du Pentagonedfendent une telle vision de la transformation. Loffensive initiale visant renverser les Taliban cette mme anne semble dailleurs valider cettethse, puisquelle nimplique quun nombre rduit de soldats des forcesspciales amricaines, en renfort des forces terrestres locales et soutenuspar des munitions de prcision tires par laNavy et lAir Force 4 .

    Cependant, cette vision de la transformation tout entire axe sur leseul complexe de reconnaissance-frappe demeure problmatique. Aucours des dix annes sparant loprationDesert Storm de lintervention enAfghanistan, de nombreux signes tendent dj montrer que certains deslments qui sous-tendent cette conception de la transformation sontexagrment optimistes. Par exemple, loprationAllied Force au Kosovoen 1999 dmontre que la nature du terrain en loccurrence des collinesboises et des villages au lieu de zones dsertiques offrant une excellentevisibilit fait considrablement chuter la capacit des capteurs mobiles(surtout ariens) dtecter lennemi. Les valuations daprs-guerredmontrent ainsi que les dgts rels infligs aux forces serbes ont tminimes, alors que les forces de lOTAN ont au moins une gnrationtechnologique davance sur leur adversaire5. Les rsultats rels de lacampagne arienne au Kosovo nont pourtant pas sembl convaincre lespartisans de la transformation , qui continuent mettre en avant lesnotions sacro-saintes de near perfect situational awareness (connaissancequasi-parfaite de la situation tactique) et deone-shot-one-kill (pour chaquecoup, une cible dtruite).

    En outre, jusquen 2001, la plupart des forces armes occidentales

    accordent trs peu dattention la guerre irrgulire, quil sagisse decontre-insurrection, de contre-terrorisme et de missions de stabilisation,comme lillustre la dcision prise avant les attentats du 11 septembre defermer lU.S. Army Peacekeeping Institute. Ce dsintrt estparticulirement flagrant pour les forces terrestres qui auraient pourtant dtre particulirement impliques dans la prparation de telles oprations.

    Il a fallu les dures ralits de laprs-11 septembre pour montrerque lart de la guerre relevait toujours pour une large part du domaine delincertitude et de lalatoire. Mme lors de la progression des unitsamricaines vers Bagdad en mars-avril 2003, la quantit dinformation

    disponible sur les forces ennemies demeure extrmement faible. Pour uncommandant dunit blinde progressant au nord vers Bagdad, le combatsapparente davantage la Seconde Guerre mondiale (des affrontementsinattendus contre un ennemi dissimul, le tout dans un climat de confusion

    4 Stephen D. Biddle, Allies, Airpower and Modern Warfare: the Afghan Model inAfghanistan and Irak ,International Security , vol. 30, n 3, hiver 2005-2006,pp. 161-176. Richard B. Andres, Craig Wills et Thomas E. Griffith, Winning withAllies: The Strategic Value of the Afghan Model ,International Security , vol. 30,n 3, hiver 2005-2006, pp. 124-160.5 Voir Bruce R. Nardulliet al. , Disjointed War: Military Operations in Kosovo , 1999 ,

    Santa Monica, RAND, 2002, disponible surhttp://www.rand.org/pubs/monograph_reports/2007/MR1406.pdf.

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    extrme) quau concept de near perfect situational awareness , mis enavant par de nombreux partisans de la transformation.

    En fait, il est tonnant de constater quel point peu de choses ontrellement chang pour le chef interarmes. Le systmeBlue Force Tracker (BFT), install sur de nombreux vhicules de combat, constitueprobablement lamlioration la plus importante en termes desituational awareness : malgr quelques problmes techniques, il a permis au cheftactique de connatre en temps quasi-rel la position des forces amies6.Pour autant, en ce qui concerne la connaissance des forces ennemies, ilny a eu finalement que trs peu damliorations depuis la Seconde Guerremondiale, et moins encore depuis la guerre du Golfe de 1991. De lacompagnie la brigade, les diffrentes units se dplacent en nayant quetrs peu dinformation sur la position et les effectifs de lennemi. Dans cesconditions, les affrontements soudains et inattendus sont la norme, quelennemi soit compos de formations rgulires, comme la garderpublicaine irakienne, ou de milices irrgulires. Souvent dnigr etconsidr comme une relique par les partisans de la transformation, le charde bataille savre dailleurs tre sans conteste le systme darmesterrestre le plus important, grce son blindage et sa capacit riposterpresque immdiatement aprs avoir t pris partie par lennemi7.

    Face aux gurillas Une fois termines les oprations de combat grande chelle, merge uneralit nouvelle, jusqualors ignore par les prcdentes conceptions detransformation : la guerre irrgulire. Les insurrections auxquelles sontconfronts les tats-Unis et les forces de la coalition attestent des besoinsflagrants en matire dexpertise, de systmes et structures de forcesappropris, souvent trs diffrents de ceux requis lors des oprations decombat classique. En sus de cette inadaptation, dautres problmesmergent qui prennent les dirigeants militaires occidentaux largement parsurprise.

    la fin de la guerre froide, la majorit des tats membres delOTAN rduisent considrablement, et raison, la taille de leurs armes. Ilnest en effet plus ncessaire de maintenir un niveau de forces permettantde dissuader une superpuissance aux ambitions menaantes telle quelURSS. Des coupes importantes sont donc ralises dans les effectifs etles structures des armes. En 1990 par exemple, larme de Terreamricaine compte 770 000 militaires actifs, hors rserves. Six ans plus

    6 Le systme Blue Force Tracker a t utilis pour la premire fois lors delinvasion de lIrak en 2003. bord des vhicules, des transmetteurs signalentpriodiquement leur position GPS. Diffrents quartiers gnraux ont la capacit derecevoir et daccder aux donnes recueillies par le systme, qui leur permet defournir en temps quasi-rel des indications sur la localisation des units etvhicules quips du systme.7 John Gordon et Bruce Pirnie, Everybody Wanted Tanks, Heavy Forces in

    Operation Iraqi Freedom ,Joint Force Quarterly, n 39, septembre 2005,disponible sur http://www.dtic.mil/doctrine/jel/jfq_pubs/1539.pdf.

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    tard, ces mmes effectifs ont t ramens 495 000 hommes environ8.Mus largement par leur foi en la capacit du complexe de reconnaissance-frappe anantir tout type dennemi, de nombreux partisans de latransformation souhaitent, jusque pendant lt 2001, poursuivre larduction des effectifs des forces terrestres. Les diminutions de laprs-guerre froide, surtout dans les forces terrestres, se rvlent nanmoinsparticulirement problmatiques, mesure quapparaissaient les exigencespropres la guerre irrgulire (nombre dhommes, cycles dedploiements). En outre, parce que les forces armes amricaines lexception des forces spciales se sont dtournes de ltude de laguerre irrgulire et de sa prparation suite la douloureuse exprience duVietnam, leur expertise dans le domaine est trs rduite. Ce manque decomprhension de la nature des conflits de basse intensit se faitclairement sentir lors des premiers mois dintervention en Afghanistan et enIrak.

    Larme amricaine nest pas la seule avoir souffert dun manquede prparation ce type de guerre. Pendant des dcennies, les armes dela plupart des membres de lOTAN se sont entranes en vue dunhypothtique affrontement avec lUnion sovitique et nont pas faitlexprience de conflits de basse intensit significatifs. En outre, les armessont gnralement des organisations conservatrices, dont il est trs difficilede changer la culture interne ou les orientations. Cette tendance a sans nuldoute constitu une des raisons pour lesquelles les ajustementsncessaires la conduite de la guerre irrgulire dans le contexte delaprs-11 septembre se sont rvls aussi difficiles et dchirants pour laplupart des armes occidentales engages dans des missions de ce type.

    cet gard, larme isralienne des annes 1980 2000 aconstitu une exception intressante. Au cours de cette priode, les forcesarmes israliennes, et plus particulirement larme de Terre, se sontretrouves de plus en plus engages dans des missions de contre-insurrection et de scurit intrieure. Avec le temps, larme de Terreisralienne sest focalise toujours davantage sur ce type doprations. Sielle a certainement contribu amliorer les comptences israliennesdans la lutte contre les insurgs, cette rorientation a probablement affectngativement la capacit de larme de Terre mener des oprationsdenvergure, comme en a tmoign la guerre de 2006 dans le Sud-Liban9.Le cas isralien illustre ainsi combien il est difficile de maintenirsimultanment un haut niveau de comptence aux deux extrmits duspectre conflictuel, depuis les oprations de contre-insurrection jusqu laguerre classique.

    Tout cela ne signifie pas pour autant quil faille rejeter dans satotalit le concept de complexe de reconnaissance-frappe dfendu par

    8 The Military Balance, Londres, International Institute for Strategic Studies, 1990-1991 Edition, p. 18.The Military Balance, Londres, International Institute forStrategic Studies, 1996-1997 Edition, p. 23.9 Matt M. Matthews, We Were Caught Unprepared: The 2006 Hezbollah-Israeli War ,

    The Long War Series Occasional Paper , no. 26, U.S. Army Combat Studies Institute,2008, disponible sur http://carl.army.mil/download/csipubs/matthewsOP26.pdf.

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    de nombreux partisans de la transformation . Lmergence des armesde prcision est une tendance lourde, luvre depuis la fin de la SecondeGuerre mondiale, les premires bombes radioguides ayant t inventespar les Allemands en 1943. La mise au point de capteurs toujours plusperformants, et surtout de systmes de commandement et de contrlencessaires au traitement et au partage des donnes recueillies, acontribu dissiper en partie le brouillard de la guerre. Cependant,lexprience a montr que la capacit des capteurs traquer lennemidpendait troitement du contexte le terrain a ainsi une grandeimportance. Bien que coteuses lunit, les armes de prcision rduisentincontestablement le volume total de munitions ncessaires et plus encoreles dommages collatraux, considration souvent trs importante en guerreirrgulire. Reste que certaines affirmations des partisans de latransformation se sont avres excessivement optimistes, et ceparticulirement en ce qui concerne la connaissance de la situation (situational awareness ). De surcrot, et cest l un point capital, la vision

    dominante de la transformation jusquau 11 septembre 2001 traduisait unparti pris excessif en faveur des missions de guerre classique, les conceptsdvelopps se concentrant ainsi de manire quasi-exclusive sur desoprations grande chelle visant les forces conventionnelles dautrestats. Les exigences inhrentes la prparation aux oprationsprtendument de basse intensit , qui constituent une forme de guerrefondamentalement diffrente, furent totalement ignores par les aptreszls du complexe de reconnaissance-frappe.

    Que sest-il pass ? Pourquoi les dfenseurs de la transformation ont-ils t aussi convaincus que leur conception de laguerre future devait prvaloir sur tant dexpriences passes ? Plusencore, pourquoi la plupart dentre eux restent-ils convaincus que lecomplexe de reconnaissance-frappe et le mode de guerre qui y est associreprsentent inluctablement lavenir ? Cet attachement inbranlable desconcepts pourtant de plus en plus mis mal par la ralit des thtresirakien et afghan tient sans doute une confiance illimite dans les vertusde la technologie. Comme la soulign H. R. McMaster, promu gnraldepuis lors, de nombreuses ides dfendues par les transformationnistes se fondent sur une conception fondamentalementerrone de la guerre future. Une fois sur leur lance, il leur a t trsdifficile dadmettre que nombre de ces ides soulevaient des difficultsmajeures10.

    10 H. R. McMaster, Learning from Contemporary Conflicts to Prepare for Future

    War , E-Notes , Foreign Policy Research Institute, octobre 2008, disponible surhttp://www.fpri.org/enotes/200810.mcmaster.contemporaryconflictsfuturewar.html.

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    Le cahier des charges venir

    i les dix dernires annes nous ont appris une chose, cest bien que lesarmes occidentales doivent se prparer une trs large gamme de

    missions. Des oprations pourraient thoriquement avoir lieu en nimportequel point du globe, sur tous types de terrains et tous les niveauxdintensit imaginables, depuis les missions de stabilisation peu risques etimpliquant une violence minimale jusquaux guerres majeures contre desadversaires bien arms. horizon prvisible, toutefois, certaines ralitssemblent la fois simposer dvidence et tre appeles durer.

    Pas de rival majeur en vue Pour au moins quinze ans, et peut-tre beaucoup plus, les tats-Unis etlOTAN ne seront pas confronts un rival vritable, cest--dire global etde premire grandeur. Il nexiste que deux rivaux potentiels la puissanceoccidentale : la Rpublique Populaire de Chine (RPC) et une Russierenaissante. La pire des ventualits qui pourrait se prsenter aux tats-Unis, ainsi qu la plupart des autres nations dmocratiques, serait unealliance entre la RPC et la Russie, toutes deux apportant leur soutien desrgimes politiques radicaux, au Moyen-Orient et ailleurs. La RPC a lescapacits conomiques requises pour devenir un rival militaire majeur, etdailleurs progresse actuellement dans la modernisation de certainescomposantes de ses forces armes. Toutefois, jusqu prsent, elle netmoigne daucune ambition prdatrice comparable celle de lUnionsovitique pendant la guerre froide. Manifestement, la perspective derelations conomiques profitables avec les dmocraties capitalistes est tropsduisante pour que la Chine se risque une confrontation majeure aveclOccident11. De mme, et malgr les efforts de lancien prsident VladimirPoutine, les forces armes russes sont des annes datteindre un niveaude puissance approchant celui qui tait le leur lpoque sovitique. Lescombats de lt 2008 en Gorgie ne contredisent en rien le fait que lesforces armes russes demeurent fondamentalement incapables daffronterdirectement lOTAN. Le seul domaine dans lequel la Russie constitueencore une menace formidable est celui des armes nuclaires, dontlemploi demeure bien entendu trs improbable. Si la RPC et/ou la Russiedevaient sengager sur la voie dune confrontation militaire majeure avecles tats-Unis, lOTAN ou un ensemble quelconque de nations

    11 Michael D. Swaine et Ashley J. Tellis,Interpreting Chinas Grand Strategy, Past,Present, and Future , Santa Monica, RAND, 2000, disponible surhttp://www.rand.org/pubs/monograph_reports/MR1121/ et Wei Pan, The Chinese

    Model of Development , Foreign Policy Center, octobre 2007, disponiblesurhttp://fpc.org.uk/fsblob/888.pdf.

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    dmocratiques, les forces occidentales disposeraient de plusieurs annespour sy prparer.

    Pas de dsengagement rapide du Moyen-Orient Des forces militaires importantes vont tre requises dans la rgion du Grand Moyen-Orient pendant des annes encore. Lune des erreurscardinales de nombreux partisans de la transformation a t de croire quela technologie militaire moderne permettrait dintervenir facilement dans lemonde musulman. Si la premire phase de lopration en Afghanistan,destine renverser les Taliban, a malheureusement sembl conforter cepoint de vue12, les vnements de ces huit dernires annes en ontdmontr linanit. Plusieurs armes occidentales se trouvent dsormaisembourbes au Grand Moyen-Orient dans des oprations la dureapparemment indtermine. Bien que Barack Obama ait clairementannonc vouloir rduire la prsence amricaine en Irak, il faudra

    nanmoins des annes peut-tre des dcennies avant que les tats-Unis puissent en retirer lintgralit de leurs forces. Tant que la soi-disant Guerre globale contre le terrorisme demeurera au premier plan de lapolitique trangre amricaine, on ne pourra exclure la possibilit denouveaux engagements dans la rgion du Grand Moyen-Orient. Ledroulement du conflit irakien a clairement montr que la plupart desoprations menes dans cette rgion relveront de la guerre irrgulire.

    Lavenir des conflits irrguliers La probabilit des missions de basse intensit stend au-del du GrandMoyen-Orient. De nombreuses armes europennes se trouventconfrontes cette ralit du fait de leurs engagements prcdents sur desthtres dAfrique subsaharienne. Malgr la cration rcente de lAfrican Command amricain, le fait est que les Amricains restent, en gnral, trssatisfaits que les Europens assurent le premier rle dans la plus grandepartie de lAfrique. Les vnements des dernires dcennies ont montrque la fin de la pauvret et de la violence ntait pas pour demain sur cecontinent instable. La diffusion de lpidmie du SIDA pourrait mmeaggraver la situation scuritaire en Afrique subsaharienne. En fonction desintrts identifis par les nations europennes et de lampleur dune crisedonne, des oprations militaires prolonges et dassez grande ampleurpourraient tout fait avoir lieu afin de minimiser cette instabilit.

    Des forces moins nombreuses et plus chres Le cot des armes modernes va en augmentant. Les avances de latechnologie qui ont, dans une certaine mesure, permis la transformationde se concrtiser ne lont fait qu un prix considrable. Mme les forcesarmes amricaines, qui bnficient pourtant de la moiti des dpensesmilitaires mondiales, peinent se doter des systmes quelles veulent,dans les quantits quelles jugent ncessaires. ce jour, les tats-Unis

    12 Stephen D. Biddle, Afghanistan and the Future of Warfare: Implications for Army and Defense Policy , Carlisle, Strategic Studies Institute,

    United States Army War College, novembre 2002, disponible surhttp://www.strategicstudiesinstitute.army.mil/pubs/download.cfm?q=109.

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    consacrent environ 4 % de leur PIB leur dfense, alors que la plupart desnations europennes dpensent nettement moins. De fait, peu de membresde lOTAN atteignent lobjectif fix par lAlliance des 2 % du PIB consacrs la dfense. Avec le vieillissement des populations europennes et enlabsence dune menace manifeste comme lUnion sovitique, raffecterdes fonds au bnfice des systmes de protection sociale et autresbesoins civils est devenu une priorit politique. Les tats-Unis se trouventprogressivement confronts des volutions dmographiques similaires,avec une population vieillissante requrant des dpenses sociales enaugmentation. Lorsque ces attentes sociales se conjuguent aux prix trslevs et toujours croissants des technologies militaires modernes,ainsi quaux cots beaucoup plus importants des armes professionnelles(salaires, retraites) par rapport aux armes de conscription, les pressionssur les budgets de dfense des dmocraties ne peuvent que saccrotre lavenir13. Mme court terme, ces pressions vont saggraver, la crisefinancire actuelle affectant tous les gouvernements occidentaux. Ainsi, il

    est probable que ladministration Obama sera oblige de procder descoupes drastiques dans la programmation de dfense en cours, soit parlabandon pur et simple de certains projets, soit par une rduction desquantits voulues. Pour les forces armes amricaines particulirementlArmy et le Marine Corps la ncessit de reconstituer ou de remplacer lematriel us par des annes de guerre en Irak et en Afghanistanconstituera une charge considrable et rendra encore plus ardu le dilemmeclassique entre rafistoler ce qui existe ou acheter du neuf.

    Dans lenvironnement conflictuel qui se dessine, la probabilitquune menace conventionnelle majeure merge lhorizon des quinze ouvingt prochaines annes est assez faible. Au cours de cette mme priode,il est quasiment certain que limplication dans le Grand Moyen-Orient estappele se poursuivre des annes, essentiellement sous la forme demissions de stabilisation et de guerre irrgulire. Il est galement trsprobable que sy ajoutent des oprations lextrieur du Grand Moyen-Orient, en Afrique ou peut-tre en Asie du Sud-Est (aux Philippines ou enIndonsie, par exemple). Enfin, les forces armes occidentales devrontprendre en compte ces missions dans un contexte politique et budgtaireexerant une pression grandissante sur les dpenses militaires.

    13 Le cot unitaire final du F-35Joint Strike Figh ter est inconnu ce jour, mais laplupart des estimations les plus rcentes le chiffrent au moins 100 millions de

    dollars, comparer avec les 35 millions estims initialement dans les annes1990.

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    Les problmatiques de demain

    tant donn les ralits stratgiques voques prcdemment, quelssont les principaux dfis que devront relever les armes des tats

    dmocratiques au cours des prochaines annes ? Loin dtre une listeexhaustive, ce qui suit entend souligner les problmatiques les plusimportantes auxquelles les armes occidentales risquent dtreconfrontes.

    La possibilit dune confrontation avec des puissances rgionales nuclaires Malheureusement, des oprations militaires majeures contre despuissances rgionales risquent fort dimpliquer lavenir le facteurnuclaire ; or, les appareils militaires occidentaux ne veulent pas prendreen compte cette ralit stratgique et oprationnelle dans leur processusde planification. Toutefois, le club encore restreint des pays dots de larmenuclaire est quasiment assur daccueillir de nouveaux membres au fildes ans. Il va sans dire que les risques associs un conflit contre un tatpossdant ne serait-ce que quelques armes nuclaires seraient bien plusgrands que ceux poss par les acteurs que les tats-Unis ont t amens dfaire depuis la fin de la guerre froide. Les armes occidentales nepeuvent pas se permettre dluder la possibilit davoir un jour affronterun ou plusieurs adversaires rgionaux dots dun nombre militairementsignificatif darmes nuclaires. Plusieurs dfis devraient tre relevs si cettehypothse venait se concrtiser, et notamment le fait que les pays voisins et les allis potentiels seraient probablement peu enclins prendre lerisque dautoriser les forces occidentales stationner sur leur territoire.Lexemple du Japon en cas de guerre dans la pninsule corenne est, cetitre, particulirement rvlateur. Avant le dveloppement darmesnuclaires par les Nord-Corens, les risques encourus par le Japon en casde guerre en Core taient relativement faibles. Quelques naviresmarchands japonais auraient probablement t couls par des sous-marinsnord-corens avant que ceux-ci ne soient traqus ; quelques missilesconventionnels ou arms de ttes chimiques auraient pu toucher, de faonimprcise, des villes japonaises. Dune manire gnrale, cependant, lacapacit de la Core du Nord infliger des dommages significatifs auJapon demeurait trs limite. En consquence, le Japon ne sexposait qude faibles cots potentiels sil laissait les tats-Unis utiliser les basessitues sur son territoire national. Aujourdhui, cette situation aprofondment chang : le risque pos par la nuclarisation de la Core duNord sest considrablement accru, et donc autoriser les Amricains utiliser les bases japonaises constituera une dcision nettement plus

    difficile, impliquant des risques potentiels beaucoup plus importants pour le

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    pays. Une situation similaire risque dmerger au Moyen-Orient, au fur et mesure que diffrentes nations parviennent acqurir des capacitsnuclaires. De telles hypothses ne peuvent tre ngliges par lesresponsables de la planification de dfense des puissances occidentales.

    Le complexe de reconnaissance-frappe est-il rellement viable ? Il sagit l dune question fondamentale. Les schmas dinvestissement, lesstructures de forces et les concepts oprationnels diffreront grandementselon que lon accordera plus ou moins de crdit la combinaison formepar les armes de prcision et les systmes modernes de reconnaissance,de surveillance et de renseignement (ISR ). Larme amricaine staitengage avant le 11 septembre sur la voie dune transformation acclredans ce sens, et continue de le faire aujourdhui dans une large mesure.Comme prcis plus haut, ces doutes portent moins sur la combinaisonISR-armes de prcision, dont le potentiel est tangible et dmontr, que sur

    son degr de pertinence. Voir dans cette technique militaire la panace esten effet dangereux, comme lont montr les interventions depuis le Kosovo.Lutilit relle du complexe de reconnaissance-frappe en contre-insurrection est galement discutable. Certes, lassociation des armes deprcision et des systmes de renseignement, de surveillance et dereconnaissance sest rvle avantageuse, en particulier pour limiter lesdommages collatraux et les pertes civiles. Il est en revanche difficiledapprcier dans quelle mesure ces systmes peuvent se substituer deseffectifs prsents au sol, tant donn que les populations menaces parune insurrection ont lvidence besoin dune protection permanente etrapproche.

    Protger ou informer ? En lien avec la question prcdente, il apparat indispensable desinterroger sur la possibilit pour les armes occidentales de substituerdans une large mesure linformation comprise commesituational awareness aux moyens plus traditionnels de protection au niveautactique. Il sagit ainsi de savoir si les armes peuvent se rorienter enbloc, en abandonnant les vhicules blinds lourds (la plupart des chars debataille psent 60 70 tonnes) au profit de vhicules plus lgers, rouesou chenilles, moins exigeants dun point de vue logistique etthoriquement plus faciles dployer sur de grandes distances. Les leonsdes oprations rcentes sont mitiges cet gard mais penchent tout demme vers une approche plus traditionnelle de la protection des forces.Larme de terre amricaine a, par exemple, t oblige daugmenter lepoids de la famille de vhicules FCS (Future Combat System ) de moins de20 tonnes initialement presque 30 tonnes en grande partie en raisondes enseignements tirs progressivement de lIrak, o les units se sontfait rgulirement surprendre au niveau tactique par des embuscades etdes engins explosifs improviss (IED)14. En sens inverse, il est nettementmoins vraisemblable quun ennemi puisse dplacer des forces importantes(plusieurs brigades ou divisions) sans tre repr par les systmes ISRmodernes. Ceci constitue bien sr un atout important pour les chefs

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    John Gordon et Bruce Pirnie, Everybody Wanted Tanks, Heavy Forces inOperation Iraqi Freedom ,op.cit .

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    militaires occidentaux, puisque la surprise au niveau opratif est dsormaisbeaucoup plus improbable. Au niveau tactique, en revanche, depuis labrigade jusquau fantassin ou au vhicule individuel, le brouillard de laguerre est toujours bien prsent. Bnficier dunesituational awareness dehaut niveau aux chelons tactiques les plus bas est appel, pour lavenirprvisible, demeurer une conjoncture occasionnelle, et dpendretroitement du terrain et de la nature de ladversaire (identifier des insurgsvtus comme des civils et reprer des forces conventionnelles ennemiessont ainsi deux choses profondment diffrentes)15.

    Puissance arienne et forces terrestres : le primat du contexte Il sagit l de lun des domaines o le potentiel avr du complexe dereconnaissance-frappe a dj suscit une certaine volution, en particulierdans le cadre doprations de combat conventionnel menes contre lesforces armes dun autre tat. Les oprationsDesert Storm , Allied Force

    et, dans une certaine mesure, Enduring Freedom et Iraqi Freedom ontmontr que les responsables politiques et militaires sont de plus en plusenclins substituer toute autre option des attaques de prcision menes distance de scurit, quil sagisse datteindre directement lobjectifrecherch (cas de Allied Force ) ou, au minimum, dendommagersrieusement les capacits de ladversaire avant dengager les forcesterrestres (cas de Desert Storm ). Mme lorsque les forces terrestresdoivent tre employes relativement tt dans la crise comme enAfghanistan et dans la deuxime guerre dIrak , le recours aux frappes deprcision permet de rduire sensiblement le nombre dunits terrestresrequises. Il semble clair que les prfrences de la plupart des forcesnavales et ariennes vont continuer daller plutt la partie haute duspectre, cest--dire aux oprations conventionnelles. De la mme manire,la propension sappuyer sur cette mthode pour les oprations classiquesva augmenter en parallle lamlioration continue des capacits offertespar le couple systmes ISR-armes de prcision. Dans lintervalle, les forcesnavales et ariennes sont essentiellement appeles intervenir en soutiendes forces terrestres, qui occuperont un rle prminent dans des conflitsirrguliers la fois bien plus frquents et bien plus longs. Si les forcesterrestres, ariennes et navales manifestent des rsistances dordreculturel, qui vont dailleurs perdurer, lvolution vers une telle distributiondes rles semble pourtant aussi claire quindniable.

    quilibrer la prparation des forces Dcoulant des considrations qui prcdent, le problme fondamental desforces occidentales est de devoir tout faire ; comment alors se prparerau mieux des missions allant de la simple opration de stabilisation aucombat de haute intensit contre un adversaire puissant et dot de larmenuclaire, en passant par tout lventail des missions intermdiaires ? Ilsagit vritablement l du dfi majeur auquel sont confrontes les forcesoccidentales de ce premier quart de sicle. La culture de la plupart des

    15 John Gordon, David Johnson et Peter Wilson, Air Mechanization, an Expensiveand Fragile Concept , Military Review, janvier-fvrier 2007, disponible sur

    http://usacac.army.mil/CAC2/MilitaryReview/Archives/English/MilitaryReview_20070228_art010.pdf.

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    armes occidentales reste ce jour fortement marque par un parti pris enfaveur de la prparation au combat de haute intensit . De fait, lagrande majorit des dpenses militaires est toujours oriente en prioritvers lacquisition de systmes darmes destins ce type de conflit(navires de guerre, nouveaux avions de combat, vhicules blinds dansune large mesure). Dans le cas des tats-Unis, il suffit de regarder lesprogrammes F-22A et F-35 de lUS Air Force, lintrt persistant de lUS Navy pour les porte-avions et leFuture Combat System de lUS Army pourse convaincre que la tendance investir dans la prparation desoprations de combat majeures se poursuit. En Europe, le Royaume-Uniinvestit massivement dans leFuture Rapid Effects System pour son armede terre, tandis que la Royal Navy ( linstar de la marine franaise)commande des porte-avions et les avions de combat qui pourront yembarquer (des F-35B dans le cas britannique). Trouver le juste quilibreentre haute et basse intensits dans la prparation des forces narien dais, car une mme unit militaire ne peut exceller dans toutes les

    missions envisageables : les priodes dvolues lentranement des forcessont limites et la culture des organisations militaires ne change pasfacilement. Trouver le bon quilibre est et restera donc un dfi majeur. Estfondamentalement en jeu ici le statut des guerres irrgulires : doivent-elles tre considres comme un sous-genre de la guerre classiquerequrant le mme entranement (lide tant quune unit bien prpareau combat de haute intensit est prte pour dautres missions), ouconstituent-elles linverse une catgorie part entire ncessitant unerorientation majeure et durable de tout ou partie des forces disponibles ?Cest dans cette voie que sest engage larme allemande. LaBundeswehr a ainsi choisi de spcialiser une partie de ses units dans lesmissions de combat tandis que lautre se destine aux oprations destabilisation. Il faut toutefois relever que cette approche tient notamment ce que la Bundeswehr repose toujours sur des conscrits qui restent moinsdun an sous les drapeaux, ce qui limite mcaniquement le nombre depersonnels susceptibles dtre dploys hors dEurope16. Ce modle va lencontre des traditions de la plupart des membres de lOTAN, enparticulier les Etats-Unis et le Royaume-Uni, qui estiment que leurs forcesarmes doivent tre polyvalentes. Depuis longtemps, larme de terreamricaine considre que des units formes avant tout au combat dehaute intensit peuvent, avec un peu dentranement et quelques matrielsspcifiques, donner satisfaction dans des oprations du bas du spectre desconflits. Les missions dites de basse intensit , telles que les oprationsde maintien de la paix ou de contre-insurrection, sont frquemment dcritescomme une sous-catgorie du combat de haute intensit. Lesexpriences de lIrak et de lAfghanistan ont pourtant montr quil existeune relle diffrence entre les savoir-faire requis dans les oprations decombat majeures et ceux dont une organisation militaire a besoin pourcombattre efficacement une insurrection. De fait, cette mentalit du quipeut le plus, peut le moins a lourdement contribu lincomprhension

    16 Ministre de la Dfense,White Paper 2006 on German Security and the Future of the Bundeswehr , 2006, Ministre de la Dfense, disponible sur

    http://www.bmvg.de/fileserving/PortalFiles/C1256EF40036B05B/W26UWAMT995INFOEN/W_2006_eng_DS.pdf.

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    manifeste par larme amricaine quant sa situation au Vietnam dansles annes 1960 et en Irak de 2003 200617.

    Les besoins quantitatifs propres aux oprations de stabilisation prolonges Il a fallu en gros vingt-trois jours larme amricaine pour atteindreBagdad et renverser le rgime de Saddam Hussein, ce qui a paru alorsfacile. Au moment dcrire cet article, les forces de la coalition ont tengages pendant plus de 2000 jours dans des oprations de contre-insurrection qui incluent, entre autres, un effort considrable dereconstitution des forces de scurit irakiennes. Les rbellions armes onttendance durer longtemps en moyenne 12 ans depuis la fin de laSeconde Guerre mondiale18. Comme rappel prcdemment, toutes lesarmes occidentales ont sensiblement rduit les structures de forces et lenombre de leurs soldats la fin de la guerre froide ; ctait l une raction

    logique la disparition de lUnion sovitique. Cest ainsi que les Amricainset les pays europens ont t pris au dpourvu quand il a fallu fournir unnombre important de troupes, en particulier de forces terrestres, pour desoprations de stabilisation stalant sur plusieurs annes, dabord dans lesBalkans au milieu des annes 1990, puis de faon plus marque dans lafoule du 11 septembre 2001. La rduction du nombre des unitsdisponibles et la diminution des effectifs ont alors gnr dnormescontraintes pour de nombreuses armes europennes, et plus encore pourles forces amricaines y compris sur le corps des Marines. En outre, laprofessionnalisation des armes dans la plupart des pays europens ayantconsidrablement augment le cot de la main-duvre militaire parrapport celui des armes de conscription de la guerre froide, il est devenudifficile dentretenir des units et des soldats en nombre suffisant dolemploi accru des personnels et des units de rserve, et le recours trsimportant la sous-traitance. Lutilisation de socits de scurit privesest nanmoins devenue de plus en plus controverse, compte tenu decertains vnements survenus en Irak, et il ne va pas de soi que le recoursrpt des rservistes (dont lemploi civil constitue souvent la principalesource de revenu) puisse constituer une solution viable si les besoinsaccrus des forces terrestres en hommes taient appels se poursuivredans lavenir.

    17 Pour plus dinformations sur lexprience amricaine au Vietnam, voir Andrew F.Krepinevich,The Army and Vietnam , Baltimore, Johns Hopkins University, 1986.18 David Gompert et John Gordon,War By Other Means, Building Complete and

    Balanced Capabilities for Counterinsurgency , Santa Monica, RAND, 2008,disponible sur http://www.rand.org/pubs/monographs/2008/RAND_MG595.2.pdf.

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    Conclusion

    ette tude a mis en lumire la complexit des dfis auxquels sontconfrontes les armes occidentales dans leur prparation de lavenir.

    Il sagit fondamentalement de savoir pour quelles missions se transformer.De toute vidence, la conception premire de la transformation, tout entireaxe sur le complexe de reconnaissance-frappe et la notion de RMA , amontr ses limites. En outre, nombre de prsupposs et de prdictionsavances par les RMAistes se sont rvls exagrment optimistes etont t dmentis par les vnements de ces dix dernires annes. Faut-ilpour autant rejeter en bloc les conjectures et les concepts des partisans dela rvolution dans les affaires militaires ? Certainement pas ! Lagnralisation des armes de haute prcision, lamlioration des capteurs etles progrs en matire de rseaux de commandement et decommunication se sont traduits par des bnfices considrables, dailleursappels se poursuivre. Reste toutefois prciser de faon nettement plusraliste ce que ces technologies et concepts peuvent et ne peuvent pasaccomplir. Une fois ces ralits et lincertitude du contexte internationalprises en compte, quoi les armes occidentales doivent-elles se prpareravec des effectifs et des budgets limits ?

    Les forces armes des pays occidentaux doivent se prparer unlarge spectre de missions, depuis lengagement militaire majeur jusqu laguerre irrgulire. Au vrai, horizon prvisible, les systmes darmesprioritairement conus pour la grande guerre vont continuer dabsorberlessentiel des budgets dquipement des armes occidentales. Enparallle, ces mmes forces occidentales continueront tre engagesdans des guerres irrgulires de longue dure. Ces oprations prolongeset coteuses en effectifs exerceront une pression constante sur la volontpolitique, les structures de forces, les budgets et les militaires eux-mmes.Toutefois, moins dune rduction significative de la radicalit politique

    travers le monde, ces oprations sont probablement invitables.

    Conserver un quilibre adquat entre les comptences requisespour les conflits du haut du spectre et les savoir-faire indispensables laprparation et la conduite des oprations du bas du spectre constitueainsi le dfi le plus srieux auquel sont confrontes les armesoccidentales aujourdhui et dans un avenir prvisible. Les choix faits cetgard sont appels avoir un impact considrable sur la taille, la structure,lentranement, lquipement et la culture des armes occidentales. Malgrles orientations et les conseils suggrs par les bureaux spcialiss delOTAN, il est probable que ces choix seront faits au niveau national, ce qui

    risque de se traduire par des approches sensiblement divergentes dun

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    pays lautre, comme cest dj le cas avec la Bundeswehr, trs diffrentedes modles anglais ou amricain.

    Alors que les armes occidentales poursuivent et affinent leurrflexion sur le contenu de la transformation, il est indispensable quellessinterrogent galement sur son but. Les vnements des dix derniresannes ont clairement montr que la flexibilit et la capacit mener desmissions extrmement variables dans leur nature, leur dimension et leurdure constituent lexigence la plus pressante et la plus lourde. Il estprobable que ceci est appel demeurer le dfi principal pour bien desannes.

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    Rfrences

    Documents officiels

    MINISTRE DE LA DFENSE,White Paper 2006 on German Security and the Future of the Bundeswehr , ministre de la Dfense allemand, 2006,disponible sur http://www.bmvg.de/fileserving/PortalFiles/C1256EF40036B05B/W26UWAMT995INFOEN/W_2006_eng_DS.pdf.

    Ouvrages et monographies

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    GOMPERT David et John GORDON,War By Other Means, Building Complete and Balanced Capabilities for Counterinsurgency , SantaMonica, RAND, 2008, disponible surhttp://www.rand.org/pubs/monographs/2008/RAND_MG595.2.pdf.

    KREPINEVICH Andrew F.,The Army and Vietnam , Baltimore, JohnsHopkins University, 1986.MATTHEWS Matt M., We Were Caught Unprepared : The 2006

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    NARDULLI Bruce R.et al. , Disjointed War : Military Operations in Kosovo ,1999 , Santa Monica, RAND, 2002, disponible surhttp://www.rand.org/pubs/monograph_reports/2007/MR1406.pdf.

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    TUCKER David, Confronting the Unconventional : Innovation and Transformation in Military affairs, Carlisle, Strategic Studies Institute,U.S. Army War College, octobre 2006, disponible surhttp://www.strategicstudiesinstitute.army.mil/pubs/download.cfm?q=729.

    The Military Balance , Londres, International Institute for Strategic Studies,1997.

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    Articles de revues

    ANDRES Richard B., Craig WILLS et Thomas E. GRIFFITH, Winningwith Allies : The Strategic Value of the Afghan Model ,International Security , vol. 30, n 3, hiver 2005-2006, pp. 124-160.

    BIDDLE Stephen D., Allies, Airpower and Modern Warfare : the AfghanModel in Afghanistan and Irak ,International Security , vol. 30, n 3,hiver 2005-2006, pp. 161-176.

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    GORDON John, David JOHNSON et Peter WILSON, Air Mechanization, anExpensive and Fragile Concept ,Military Review, janvier-fvrier 2007,disponible sur http://usacac.army.mil/CAC2/MilitaryReview/Archives/English/MilitaryReview_20070228_art010.pdf.

    GORDON John et Bruce PIRNIE, Everybody Wanted Tanks, HeavyForces in Operation Iraqi Freedom ,Joint Force Quarterly , n 39,septembre 2005, disponible surhttp://www.dtic.mil/doctrine/jel/jfq_pubs/1539.pdf.

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    Informations aux lecteurs

    Si vous tes intress(e) par dautres publications de la collection, veuillezconsulter la section Focus stratgique sur le site Internet de lIfri :

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    Laurent Fromaget, Le feu dans le modle de guerre occidental. Delintgration tactique aux dommages collatraux ,Focus stratgique ,n 17, juin 2009.

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    Anne-Henry de Russ, Transformation et contre-insurrection.Implications capacitaires pour les forces armes occidentales ,Focus stratgique , n 16, mai 2009.

    http://ifri.org/downloads/Focus_strategique_16_deRusse.pdf

    Louis-Marie Clouet, Achats en urgence contre programmation :lefficacit des oprations darmement en temps de guerre ,Focus stratgique , n 15, mars 2009.

    http://ifri.org/downloads/Focus_strategique_15_Clouet.pdf

    Laurent Gayer, Pakistan : du dsordre la guerre civile ? ,Focus stratgique , n 14, fvrier 2009.

    http://ifri.org/downloads/Focus_Gayer_23_02_09.pdf

    Aline Leboeuf, Entre dveloppement et scurit : les interventionsallemandes en crise , Focus stratgique, n 13, janvier 2009.

    http://ifri.org/downloads/Focus_securite_dev_Allemagne_Leboeuf.pdf