La transcendance des signification dans l'idéalisme transcenda,ntal de Husserl

download La transcendance des signification dans l'idéalisme transcenda,ntal de Husserl

of 27

Transcript of La transcendance des signification dans l'idéalisme transcenda,ntal de Husserl

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    1/27

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3, 2011ISSN 1782-2041 http://popups.ulg.ac.be/bap.htm

    Le problme de la transcendance des significations danslidalisme phnomnologique transcendantal

    Par ALAIN GALLERAND

    Rsum Sur le modle des reprsentations et des propositions en soi deBolzano, Husserl a envisag les significations comme des units idales-objectives qui sont accessibles plusieurs consciences et qui perdurent au-del des actes psychiques passagers dans lesquels elles se ralisent. Indpen-dantes des oprations subjectives, les units smantiques seraient donctranscendantes, cest--dire extrieures la conscience. Cependant, en posantla subjectivit transcendantale comme un absolu par rapport auquel toutobjet, rel ou idal, se dfinit, la phnomnologie transcendantale-constitutive est finalement incapable de rendre compte de cette transcendancedont elle nie le caractre absolu au profit de la conscience : une fois que lesunits de sens sont dfinies comme des formations logiques issues delactivit catgoriale, leur transcendance nest plus quun sens dtreintentionnellement constitu. Ds lors, peut-on expliquer la transcen-

    dance des units de sens, sans vider ce concept de son contenu essentiel,sans retirer aux significations leur indpendance et leur extriorit vis--visde la conscience ? Lhypothse la plus simple consisterait dire quavant detraduire la manire dont les objets sont reprsents par la conscience, lessignifications conceptuelles sont lies aux proprits que la pense a arra-ches leurs substrats pour en faire des marques distinctives. Mais cetancrage ontologique soulve son tour de multiples difficults, si bien queHusserl, pour expliquer la transcendance des significations sans contrevenir ses principes idalistes, na pas dautre choix que dinvoquer un ancragelinguistique : une fois consignes dans des signes extrieurs, les pensessortent de la sphre prive, acquirent une extriorit, une publicit et unesolidit en vertu desquelles elles se conservent au-del des vcus passagers,

    et sont tout moment accessibles toute conscience. Cependant, si lelangage commun apparat, pour les consciences, comme lultime condition

    1

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    2/27

    de possibilit de la transcendance des significations, il nen demeure pasmoins que la transcendance qui leur revient avant quelles ne soientexprimes car pour Husserl les significations, dont lunit soppose la

    multiplicit des signes susceptibles de les transcrire, ne sont pas ncessaire-ment exprimes demeure un postulat mtaphysique qui pourrait bienseffondrer avec lhypothse dune traductibilit translinguistique du sens quilui sert de corollaire.

    Husserl a depuis longtemps reproch la psychologie de mconnatrela nature des significations. Les reprsentations et les jugements dont parle lalogique (le vainqueur dIna ;Napolon est le vainqueur dIna) ne sont pasles vcus subjectifs des hommes, mais, comme latteste la possibilit derpter une expression sans en altrer le sens, des units idalement

    identiques dans une multiplicit dactes psychiques. Lirrductibilit desunits de sens quelque vcu que ce soit tmoignerait de leur transcen-dance par rapport la sphre psychique : alors quun acte de conscience estun vnement contingent et passager survenant lintrieur du courant deconscience, les significations sont accessibles toute conscience, ellesprcdent les actes individuels qui les expriment et les saisissent, et ellespersistent au-del de la disparition des phnomnes psychiques ponctuels. Enpensant les units smantiques comme des espces dont les actes singuliersdexpression et de comprhension sont les instanciations, Husserl croyait lesavoir mises dfinitivement labri du psychologisme logique qui lesrduisait des contenus de conscience immanents. Pourtant, dans Logiqueformelle et logique transcendantale et Exprience et jugement, lorsquil

    rflchit nouveau sur la nature de la logique, le spectre du psycho-logisme refait surface : ds lors quil sagit de rendre manifeste le domainespcifique de lanalytique logique dans sa puret et dans son originalitidale , il faut pralablement le librer des confusions et des faussesinterprtations psychologisantes dans lesquelles depuis le dbut il tait etrestait emptr 1. Si le problme du subjectivisme logique ressurgit long-temps aprs le combat que lesRecherches logiques ont men contre lui, cestque depuis 1908, devant les difficults souleves par les expressions occa-

    1E. Husserl, Formale und Transzendentale Logik (abrg FTL),Husserliana XVII,P. Janssen (d.), M. Nijhoff, La Haye, 1974, p. 181; trad. fr. S. Bachelard, Logiqueformelle et logique transcendantale, Paris, P.U.F., 1957, p. 233- 234. Cf. aussiErfahrung und Urteil, redigiert und herausgegeben von L. Landgrebe, 7. Auflage,Hamburg, Meiner Verlag, 1999, Philosophische Bibliothek, Band 280 (abrgEU).

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    2

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    3/27

    sionnelles et empiriques, Husserl envisage les units idales de significationde moins en moins comme des espces supra-temporelles se singularisantdans les actes de conscience, mais plutt comme les corrlats intentionnels

    de ces actes. Une signification telle que le vainqueur dInanest ni un actesingulier du signifier, ni une espce runissant plusieurs actes, ni mmelobjet qui est signifi (Napolon), mais un objet intentionnel, auquel Husserldonne le nom d objectit catgoriale , en face dune multiplicit dactes :lobjet tel quil a t pens en relation avec dautres objets (Ina), au moyendun concept (en tant que vainqueur)1.Or, si chaque objectit catgorialecorrespond une opration catgoriale, si chaque manire dont lobjet estpens est lie une dtermination de lobjet dexprience par la conscience,la phnomnologie devait tt ou tard sinterroger sur lorigine subjective des significations, en tant que formations logiques, dans lactivit intention-nelle immanente. Ds lors, bien que la mthode de la rduction, par la

    suspension de toute position dtre transcendant et notamment de toute aper-ception psychologique, cartait le psychologisme et interdisait de prendre lasubjectivit produisant les formations logiques pour une conscience humaineempirique, on peut se demander si la phnomnologie transcendantale-constitutive ne tmoigne pas dune autre forme de subjectivisme tout aussinuisible pour lobjectivitidale et la transcendance des significations. Car lathse mtaphysique idaliste qui constitue larrire-plan ontologique de laphnomnologie depuis les annes 1906-1907, implique une transformationsi profonde du concept de transcendance quelle finit par le vider de sonessence mme, dans la mesure o il semble y avoir une contradiction entre,dune part,lide dune auto-subsistance dobjets en soi antrieurs la con-science et irrductibles ses actes singuliers, et, dautre part, laffirmation

    selon laquelle tous les objets dont nous pouvons avoir conscience (ycompris les units de sens titre dobjets idaux) sont constitus danslactivit intentionnelle, et reoivent de la conscience elle-mme leur sensdtre transcendant. La transcendance ne peut pas tre la fois, selon sonacception classique, ce qui appartient dj aux objets avant que la consciencene les rencontre, et, selon son acception phnomnologique, un mode dtreque la conscience transcendantale donne aux objets quelle vise. En retirantaux objets logiques leur transcendance absolue transforme en un sens dtreintentionnellement constitu, et en les rattachant lintentionnalit consti-tuante titre de simples produits ou objets intentionnels objets dont

    1Cf. E. Husserl, Vorlesungen ber Bedeutungslehre (abrg VuB), Hua XXVI, U.Panzer (d.), Kluwer Academic Publishers, Dordrecht/Boston/Londres, 1987; trad.fr. J. English, Sur la thorie de la signification,Paris, Vrin, 1995.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    3

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    4/27

    limmanence, bien quelle ne soit pas relle mais simplement intention-nelle , leur interdit toute transcendance , la phnomnologie transcendan-tale na-t-elle pas contribu, malgr elle, subjectiviser les formations 1

    logiques ?Aprs avoir mis au jour les falsifications husserliennes du concept de

    transcendance appliqu aux units smantiques, et montr quelles ontempch Husserl de faire droit leur objectivit idale, nous nousinterrogerons sur la possibilit dune entente proprement objective de lasignification, qui en prserve la vritable transcendance en mnageant pourelle une autonomie lgard de toute conscience singulire. Il faudra alorsexaminer deux autres hypothses : celle, traditionnelle, dun ancrage onto-logiquede la smantique dans lesproprits objectivesde lobjet signifi, etcelle dveloppe par Husserl dans ses derniers ouvrages dun ancragelinguistiquedes units de signification dans le corps dun langage commun.

    1. Comment lanalyse transcendantale-constitutive des significationsvite-t-elle lcueil du subjectivisme psychologique ?

    Avant dexaminer si lanalyse transcendantale-constitutive implique soncorps dfendant une forme de subjectivisme prjudiciable pour la com-prhension de la transcendance des significations, rappelons dabordcomment Husserl carte le danger du subjectivisme psychologique. Nousnous bornerons ici au cas exemplaire du jugement au sens logique duterme. Celui-ci est dfini depuis 1908 comme le pens en tant que tel: lastructure logique propositionnelle S est p dans laquelle rside la signification

    de lnonc, tmoigne en effet de lobjet tel quil est conceptuellement conu(en tant quep) et jug (comme Squi est p). Ainsi dfini, le jugement nest nilacte psychique singulier contingent et passager quune conscienceaccomplit lorsquelle juge queNapolon est le vainqueur dIna, ni lnoncdans lequel cet acte est exprim, ni mme lobjet auquel elle pense et dontelle parle (Napolon lui-mme comme ralit concrte), mais une objectitcatgoriale, cest--dire un objet pris tel quil est pens ou conceptuellementdtermin (en tant que vainqueur dIna). La signification dnonc est doncun objet intentionnel idalement identique dans une multiplicit infiniedactes disperss dans le temps et lespace : chaque fois que quelquunaffirme, rpte ou comprend que Napolon est le vainqueur dIna, lasignification est immuablement la mme dans la mesure o le mme objet

    1E. Husserl, FTL,p. 86 ; trad. fr. p. 113.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    4

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    5/27

    reoit la mme dtermination (identit stricte du jug en tant que tel).Lirrductibilit de la signification S est p un contenu de conscience rel-immanent attesterait de sa transcendance et de son objectivit idale par

    opposition la multiplicit des vcus apprhends comme des ralitsimmanentes.

    Les choses ne sont cependant pas aussi simples, car pour la phno-mnologie transcendantale-constitutive la conscience ne se contente pas deviser des objets rels ou idaux prexistants qui lui feraient face. Lacte deconscience tmoigne en effet dune vritable activit (Leistung,Handlung)intentionnelle quiproduitou gnre(erzeugt) elle-mme de nouveaux objetsde pense partir de la mise en forme des donnes de lexprience. Ainsi lasynthse dun sujet et dun prdicat dterminant dans lopration de juge-ment est-elle une spontanit cratrice 1qui engendre (erzeugt) un tat-de-choses, qui produit une objectit catgoriale qui nexistait pas auparavant

    dans la sphre de lexprience sensible, puisque celle-ci ne contient que desralits singulires concrtes runissant indistinctement une multiplicit dequalits qui ne sont pas encore explicitement dtaches de leur substrat etreconnectes lui dans une synthse prdicative. De son ct, lobjectitcatgoriale ne simpose pas de lextrieur une conscience qui se contente-rait den recueillir passivement les proprits intrinsques prexistantes ; elledevient une formation (Gebilde) 2 engendre(Erzeugung) rellement etvritablement 3par lintentionnalit ; elle est leproduit(Ergebnis)du travailde la pense sur le matriau empirique, le rsultat (Leistung, Erzeugnis) delactivit catgoriale.

    Cest en tant que vritables produits (Erzeugnisse) quils [les objets logiques :

    concepts et jugements]ont t produits (erzeugt)

    4

    .

    [Ltat-de-choses est] un objet dune espce tout fait nouvelle, ne seprsentant dune manire gnrale quau degr suprieur de la spontanitprdicative comme rsultat (Ergebnis) dune opration (Leistung) prdicativede jugement5.

    Si la pense ne saisissait pas dans ses concepts les donnes sensibles etnapprhendait pas lexistant singulier en tant que ceci (maison, vainqueur

    1E. Husserl,EU,p. 233 ; trad. fr. p. 239.2E. Husserl, FTL, Appendice II, p. 314 ; trad. fr. p. 407.3Ibid., trad. fr. p. 408.4Ibid., p. 188 ; trad. fr. p. 244.5E. Husserl,EU, p. 284-285 ; trad. fr. p. 288.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    5

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    6/27

    dIna) ou cela (glise, vaincu de Waterloo), elle naurait jamais affaire unemaison--ct-de-lglise, au vainqueur-dIna, ni a fortiori un tat-de-choses, mais seulement une chose singulire, un ceci-l indtermin.Cest

    pourquoi il y a une opposition entre, dune part, les objets de lexpriencesensible, pr-donns de manire passive dans la rceptivit, et, dautre part,les objectits catgoriales spontanment faonnes par la pense partir dessubstrats empiriques :

    Les objets extrieurs () se prsentent dans cette activit dexpriencecomme existant dj lavance(comme prsents devant nous ) et unique-ment comme sintroduisant [de lextrieur, puisquun matriau prexistantfrappe nos sens et impressionne la sensibilit]dans lactivit dexprience. Ilsnexistent pas pour nous de la mme faon que les formations de pense (lesjugements, les dmonstrations, etc.) qui proviennent de notre activit depense et purement delle (qui ne proviennent pas du tout dune matire dj

    prsente, extrieure cette activit). En dautres termes, les choses sontdonnes la vie active comme originellement trangres au moi, elles sontdonnes de lextrieur. Les formations logiques en revanche sont donnesexclusivement de lintrieur, exclusivement grce aux activits spontanes et

    en elles1.

    Assurment ce nest pas comme quelque chose d extrieur [ la maniredes ralits mondaines] quelles [les formations logiques idales] font leurapparition dans la conscience [mais bel et bien comme quelque chose quiest engendr lintrieur de la sphre subjective elle-mme 2]3.

    Dans la production (Erzeugen) spontane, cest ltat-de-choses qui estproduit, et non pas une figuration (Darstellung) de ltat-de-choses [prtendu-

    ment prexistant, comme les objets de lexprience sensible que nousrecevons sans les produire et sur lesquels nous oprons simplement diversesprsentations (Darstellung) en dplaant le regard]4.

    Par suite, il est clair quil ny a pas dobjectit catgoriale sans une activitcatgoriale ( les tat-de-choses () ne se constituent originairement quedans des jugements 5), et que, sil est encore permis de parler leur sujet de transcendance , celle-ci ne caractrise plus lindpendance dun objet qui

    1E. Husserl, FTL, p. 85-86 ; trad. fr. p. 112.2Ibid., p. 49 ; trad. fr. p. 63-64.3Ibid., p. 163 ; trad. fr. p. 211.4E. Husserl,EU, p. 302 ; trad. fr. p. 304.5Ibid., p. 290 ; trad. fr. p. 293.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    6

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    7/27

    subsisterait en soi et qui prcderait la conscience qui le vise. Transcen-dante , la signification lest vraisemblablement dans la mesure o elle estirrductible un contenu de conscience singulier (elle nest pas localisable

    tel ou tel moment dans lacte dune conscience dtermine, comme si ellenexistait nulle part ailleurs et demeurait inaccessible aux autres con-sciences) ; mais on aurait tort den conclure quelle est indpendante de touteconscience et de toute opration intentionnelle, car tout ce qui vaut pour moicomme existant, sur un mode rel ou idal, tout ce qui est pour maconscience un objet , toute objectivit (Objektivitt) provient de leffec-tuation (Leistung) subjective 1.

    Ds lors, si les objectits catgoriales, en tant que fruit[s] duneactivit 2ou produit[s] (Erzeugnis) du Je 3, sont redevables de leur treaux oprations de la conscience, peut-on encore les envisager comme desobjectits idales transcendant la sphre relle-immanente ? Ne seraient-elles

    pas plutt le produit de lactivit mentale humaine ? La distinction entre lasubjectivit psychologique et la subjectivit transcendantale partir de lamthode de rduction (poch) permet cependant Husserl dviter lcueildu psychologisme. La suspension de toute position transcendante impliqueen effet la mise hors circuit de toutes les aperceptions psychologiques quiposent lintrieur du monde des sujets psychophysiques rels, i.e. deshommes avec un corps et une me incarne. Or, si tout cela (lexistence deshommes, de leur esprit et de leur vie psychique) tombe sous le coup de larduction, et si les analyses phnomnologiques sabstiennent de prsupposerdes objectivits transcendantes, cela signifie que la subjectivit laquellesont reconduites les objectits catgoriales, le sujet des oprations intention-nelles constituantes, nest pas la subjectivit humaine naturelle (un moi

    empirique constitu dans des aperceptions), mais une subjectivit puretranscendantale constituante. Et ses oprations ne sont pas non plus des vcusau sens psychologique du terme, des vnements factuels et contingentssurvenant ponctuellement dans lme humaine, mais lactivit dun moi pur.Ce nest pas dans la ralit (Realitt) du moi en tant qume humaine 4,dans lactivit mentale des hommes lintrieur du monde, mais dans legopurou transcendantalque se constituent subjectivement toutes les objec-tits 5. De la sorte, en se gardant de rapporter les formations objectives

    1E. Husserl, FTL, p. 39 ; trad. fr. p. 50.2Ibid., p. 242-243 ; trad. fr. p. 248.3E. Husserl,EU, p. 237 ; trad. fr. p. 242.4E. Husserl, FTL, p. 238 ; trad. fr. p. 310.5Ibid., p. 262 ; trad. fr. p. 341.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    7

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    8/27

    idales une subjectivit empirique qui les aurait produites au cours de sonactivit mentale, Husserl chappe au relativisme subjectiviste ou psycho-logiste.

    Il est vrai quune fois toute position dtre transcendant suspendue, lavie intentionnelle dans laquelle les formations logiques ont leur origine nesont pas les actes psychiques des hommes en tant que ralits intra-mondaines. Mais cela ne libre pas pour autant les objectits idales de toutesubjectivit, maintenant que la subjectivit transcendantale a pris la place dela subjectivit psychologique. Une fois le psychologisme logique et le sub-jectivisme relativiste qui laccompagne carts, lanalyse transcendantale-constitutive ne traduit-elle pas une autre forme de subjectivisme, transcen-dantalcelui-ci, qui soumet les objets idaux la juridiction de la subjectivittranscendantale et qui finit, de fait, par en nier le caractre transcendant au sens fort et vritable du terme ?

    2. Lidalisme phnomnologique transcendantal : une nouvelle formede subjectivisme niant la transcendance des objets logiques ?

    Bien quelles soient caractrises comme des productions (Erzeugnisse),les objectits catgoriales peuvent encore valoir pour Husserl commeobjectivits aprs leur reconduction leur source subjective transcendantale.En revenant des formations logiques la conscience constituante, rien nestchang par l [leur]objectivit[Objektivitt]() comme rien nest changau monde rel 1. Husserl na pas plus lintention de nier lobjectivit desformations logiques que de supprimer le monde et les objets rels qui le

    composent. On peut et on doit mme continuer de parler de lobjectivitidale des formations logiques 2, notamment du jugement , comme onparle encore de lobjectivit du monde extrieur, car une fois mises entreparenthses, lobjectivit et la transcendance du monde ne sont pas suppri-mes ; seules les prises de position sont suspendues ou neutralises, pour labonne et simple raison que llucidation phnomnologique de la connais-sance oprerait une ptition de principe si elle prsupposait lexistence duntre transcendant en dehors de la conscience. Toutefois, comme nous allonsbientt le vrifier, l objectivit qui caractrise les objets rels et idauxaprs rduction ne sort pas indemne de lpoch: elle nest plus latranscendance absolue dun en soi, mais un sens dtresubjectivement con-

    1Ibid., p. 270 ; trad. fr. p. 351.2Ibid., p. 39 ; trad. fr. p. 50.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    8

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    9/27

    stitu que la conscience pure communique ses propres objets intentionnels.La phnomnologie transcendantale entend en effet expliquer comment desobjectits idales qui prennent naissance dans les activits de jugement, et

    qui apparaissent donc dans le champ de conscience en tant que formations dela spontanit, acquirent le sens-dtre d objets (Objekten), dobjets quiexistent en soi en face de la contingence des actes et des sujets 1. Que lonne sy trompe pas : l en-soi traduit ici seulement une indpendance desobjectits logiques lgard des actes contingents et singuliers des con-sciences empiriques, non pas lgard de la conscience transcendantaleabsolue. La transcendance des objets logiques qui subsistent en soi enface de la contingence des actes et des sujets , nest plus une dterminationontologique absolue, mais un sens dtre intentionnellement constitu, unmode dtre dont ces objets sont redevables la conscience elle-mme :

    Cette effectuation(Leistung) [les oprations catgoriales de la conscience]faitque ce qui est constitu peut tre prsent la conscience effectivementcomme lment objectif, comme lment valable dune manire durable pourla subjectivit et que, dans la communaut de la connaissance et pour cettecommunaut, ce qui est constitu prend le sens dune objectivit idaleexistant en soi2.

    La phnomnologie transcendantale doit donc maintenant rpondre cettequestion : Comment la subjectivit peut[-elle] ()crer(schaffen) en elle-mme, en les tirant purement des sources de sa spontanit,des formationsqui peuvent valoir comme objets idaux dun mondeidal 3? Par quellesoprations intentionnelles la conscience communique-t-elle ses objetsintentionnels (en loccurrence aux objectits catgoriales) un sens dtre

    transcendant, objectif et idal ?Au terme dun acte de jugement, un tat-de-choses est dabord form,

    une objectit catgoriale (un Spens en tant quep) apparat la conscience :S est p,Napolon est le vainqueur dIna. La formation logique initialementproduite et donne la conscience prend ensuite le sens dunobjet lorsqueson identit est reconnue travers la rptition de lopration catgoriale et lasynthse des divers actes : je dis et je rpte S est p; ce qui est l de part etdautre jug dans deux actes numriquement distincts et temporellementspars, cest la mme chose = S est p,Napolon est le vainqueur dIna.Lidentit de lobjectit catgoriale, comprenons-le bien, nest pas un

    1Ibid., p. 270-271 ; trad. fr. p. 351-352.2Ibid.,p. 38 ; trad. fr. p. 49.3Ibid., p. 267 ; trad. fr. p. 348.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    9

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    10/27

    caractre intrinsque absolu ; elle est intentionnellement constitue dans lasynthse didentification : Une telle formation objective [le jugement,ltat-de-choses jug] reste identique dans la rptition, elle est toujours

    nouveau reconnue la manire dun existant permanent 1, elle est un sensidentifiable tout moment dans la rptition de lactivit 2. Le jugementest uneobjectit idalequi se constitue [comme objet identique]prcis-ment dune manire originelle dans de telles actions synthtiques 3, et sontre-idal nest rien dautre que cette unit smantique identifiable ( ltreidal des jugements en tant que sensidentifiables ). Pour Husserl, il est clairque lidentit de lobjectit catgoriale (du jug en tant que tel), paropposition la multiplicit des oprations analogues numriquementdistinctes, est rendue manifeste et construite par la rptition de la synthseprdicative et la comparaison de ses rsultats. Si elle ntait pas identifiabletoujours nouveau en tant que la mme objectit catgoriale (le mme

    jugement, le mme tat-de-choses jug), la formation logique ne pourrait pasvaloir pour nous comme quelque chose dun et dobjectif. Lidentification ousynthse de rcognition est lopration par laquelle lobjet intentionnel (cequi est vis par la conscience, pris tel quil est vis) reoit prcisment unsens dtre objectif. Lidentit de lobjectit catgoriale, comme celle denimporte quel objet de conscience constitu, nest donc pas une qualitontologique intrinsque que lobjet idal possderait par-devers lui,indpendamment de la conscience qui le vise, mais une prestation intention-nelle, une qualit que les objets intentionnels reoivent des oprations inten-tionnelles.

    Lobjectivation est toujours une opration active du je, une conscience de

    croyance active en ce qui est prsent la conscience (). [L objet quiapparat la conscience, et notamment lobjectit catgoriale]Cestce qui estidentifidans des actesspars qui se synthtisent ; dans cette synthse, il estpour la conscience le mme, celui qui peut toujours tre reconnu comme tel,dans des ressouvenirs librement rptables ou dans des perceptions [desjugements sil sagit dune objectit catgoriale] quon peut librementproduire (). Cest prcisment cette identit comme corrlat dunerptition ouverte et sans fin, libre, en vue de laccomplissement dune identi-

    fication, qui constitue le concept prgnant dobjet4.

    1Ibid., p. 37-38 ; trad. fr. p. 48.2Ibid., p. 37-38, p. 44 ; trad. fr. p. 48 et 57.3Ibid., p. 65 ; trad. fr. p. 84-85.4E. Husserl,EU,p. 64 ; trad. fr. p. 73.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    10

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    11/27

    L objectivit nest pas la transcendance dun tre en soi absolu, maislapparition la conscience dun objet intentionnel dont l objectivit , etdabord lidentit, sont intgralement dtermines par la conscience.

    La formation catgoriale nest pas seulement redevable de son identit la conscience. En la produisant en diffrents moments du temps et en luipermettant doccuper ainsi diffrentes places temporelles (prsente etpasses), la rptition de lactivit catgoriale rvle galement que laformation logique nest pas assigne une place temporelle fixe, et, cefaisant, elle lui confre une omni-temporalit (Allzeitlichkeit) au-del desactes ponctuels au cours desquels elle apparat la conscience. Un juge-ment , par exemple, ne svanouit pas une fois que lopration du juger estacheve ; ce que jai jug hier (Napolon est le vainqueur dIna), je peux lereprendre tout moment dans un nouvel acte de jugement et le retrouver telquil avait t jug : Napolon est le vainqueur dIna. Une fois de plus,

    labsence de situation temporelle, la validit omni-temporelle qui caractriselobjectit catgoriale par opposition aux contenus de conscience fugitifs,nest pas un caractre ontologique intrinsque et absolu, mais un sens dtreque la conscience communique aux objets quelle a elle-mme constitus envertu du pouvoir qui lui appartient de reformer et de ressaisir nimportequel moment des significations par la ractivation des oprations intention-nelles : cest en tant quobjets notre disposition tout moment1, etseulement en tant que tels, que les formations logiques acquirent unevalidit au-del de lactualit, validit qui ne cesse de se constituer et de seconfirmer dans la ritration de lactivit intentionnelle. Cest seulement entant quobjet indfiniment reproductible, ressaisissable et reconnaissable au-del de ses apparitions singulires, que la formation logique peut valoir

    comme objet supra-temporel. Lomni-temporalit des jugements (des unitssmantiques S est p) nest rien dautre, pour ces formations logiques que sontles jugements, que le pouvoir d tre raliss en tous temps de faonrpte comme les mmes dans des actes individuels de jugement 2, pouvoirqui appartient minemment la conscience.

    Cette effectuation (Leistung)faitque ce qui est constitu peut tre prsent laconscience effectivement comme lment objectif, comme lment valabledune manire durable3.

    1Ibid.,p. 192 ; trad. fr. p. 250.2Ibid., p. 313-314 ; trad. fr. p. 316.3Ibid., p. 38 ; trad. fr. p. 49.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    11

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    12/27

    [Cest]dans les rptitions[de lactivit du juger que le jugement] est donndans son ipsit comme lidentique de celles-ci () [comme] momentimmanent () supra-temporel1.

    Immanent , car tout se passe ici lintrieurde la sphre de la consciencetranscendantale. Sans la ractivation de lactivit catgoriale et la reprise deses rsultats dans des synthses didentification, la formation catgoriale nepourrait traverse[r] la multiplicit temporelle 2 des actes et, par voie deconsquence, ne pourrait se constituer pour la conscience, lintrieur duflux immanent de la vie intentionnelle, comme unit objective supra-temporelle. La transcendance qui revient lobjectit catgoriale en vertude son irrductibilit un contenu de conscience singulier et passager, nestds lors plus lindpendance absolue dun tre vis--vis de la conscience,mais tout au contraire lunit intentionnelle(et intentionnellement constitue)dune multiplicit dactes. Si une signification peut apparatre commequelque chose de transcendant par rapport lacte ponctuel et contingent quila vise, elle le doit prcisment et exclusivement la vie intentionnelle elle-mme ! La transcendancedes objectits catgoriales, implique dans leurpropre sens-dtre 3a le

    sens () dune unit intentionnelleapparaissant dans la subjectivit mme dela conscience4.

    [La transcendance est]le mode dtre que lui[lobjet, rel ou idal]attribueprcisment lexprience elle-mme par laction qui seffectue dans sonintentionnalit[sagissant des objectits catgoriales, cette exprience estla saisie du rsultat de lopration catgoriale (ltat-de-choses) au terme de la

    synthse prdicative]. Si ce qui est saisi par lexprience a le sens dun tretranscendant,alors cest le saisir par lexprience () qui constitue cesens

    5.

    On ne peut tre plus clair : cest la conscience que tous les objets rels ouidaux doivent leur transcendance, qui nest donc plus une dterminationontologique absolue que lobjet possderait par-devers lui, mais seulementun sens dtre que la conscience communique ses objets intentionnels.

    1Ibid., p. 16-17 ; trad. fr. p. 26.2Ibid., p. 313 ; trad. fr. p. 315.3E. Husserl, FTL, p. 122 ; trad. fr. p. 159.4Ibid., p. 242 ; trad. fr. p. 316.5Ibid., p. 240 ; trad. fr. p. 312-313.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    12

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    13/27

    En montrant enfin au 96 de Logique formelle et logique transcen-dantale que la constitution transcendantale des significations nest paslaffaire dune conscience singulire isole, mais une co-constitution inter-

    subjective lintrieur de la communaut (Vergemeinschaftung) des sujetstranscendantaux, Husserl confirme et accentue la subjectivisation des objetslogiques idaux, puisque le statut objectif des formations est ipso factorduit un sens dtre intersubjectif intentionnellement (co)constitu. Comme lesouligne A. Schnell, pour quon puisse parler dobjectivit [en particulierdobjets logiques, de significations objectives ], il faut en outre que lobjetsoit donn pour unepluralitde sujets 1. Il faut donc que chaque consciencepuisse revenir sur les oprations catgoriales dautrui, semparer de leursrsultats, et, en effectuant son tour les mmes oprations, puisse sassurerde lidentit de la formation logique (du jug en tant que tel) : ce qui est jugmaintenant par une personne, cest exactement ce qui tait jug auparavant

    par une autre personne; ce que quelquun a pens, nimporte qui peut lerpter et le penser son tour (ou du moins, sil sabstient de toute prise deposition, le comprendre en se reprsentant ltat-de-choses tel quil est jug) :

    [On peut] rfrer lidentit des sens des jugements [lidentit du jug] touttre (Jedermann) : le mme jugement, en tant quil est ma vise(Meinung)durable nest pas seulement une unit idale de mes vcus subjectifs multiplesmaistout trepeut avoir cette mme vise2.

    Or, une fois de plus, cest prcisment la vie intentionnelle elle-mme, par lareprise des jugements dautrui et la confrontation des rsultats dans dessynthses didentification, qui permet aux formations catgoriales de valoircomme quelque chose d objectif , de recevoir de la conscience elle-mmeun sens dtre objectif intentionnellement constitu. Ce sens dtre objectif,rptons-le, a exclusivement une dimension transcendantale : il nest paslindice dune dtermination ontologique absolue, dune indpendance lgard de la conscience ; il a simplement et uniquement le sens dune intersubjectivit dfinie comme lapossibilit pour une entit smantiquedtre identifie par nimporte quelle conscience.

    Des analyses prcdentes il ressort clairement que la subjectivisationtranscendantale des significations est confirme par leur reconduction lactivit catgoriale. La transcendance et lobjectivit, transcendantalement

    1 A. Schnell, Husserl et les fondements de la phnomnologie constructive,Grenoble, Millon, p. 245.2E. Husserl, FTL, p. 202 ; trad. fr. p. 262 (lgrement modifie).

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    13

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    14/27

    redfinies partir de lomni-temporalit et de lintersubjectivit, ne sont pourles formations logiques quun sens dtre intentionnellement (co)constituqui na plus rien dabsolu ; elles ne sont rien dautre, pour une formation

    logique initialement produite dans lactivit logique, que la possibilit dtresaisie tout moment par toute conscience transcendantalement rduite. SiHusserl parle encore de transcendance propos des objets idaux et enparticulier des units smantiques, cest donc au prix dun formidable appau-vrissement conceptuel, corrlat dune interprtation idaliste de ltre, dontJ.-F. Lavigne1 a montr les effets sur la comprhension phnomnologiquedes tants intramondains, et dont on retrouve ici lcho dans la sphre catgo-riale des significations.La transcendance de lunit de signification nest pascelle dun objet qui subsisterait en soi antrieurement et indpendamment dela conscience qui le vise ; elle revient lobjet tel quil est pens par laconscience. Il sagit donc de la transcendance simplement intentionnelle

    dun objet intentionnel immanent, un objet qui nest pas par lui-mme et enlui-mme transcendant, mais qui est vis commetranscendant.Il est vrai quelimmanence de lobjet intentionnel (spcialement du pens en tant que tel),comme dit Husserl, nest pas relle mais simplement intentionnelle ,puisquil est ici question de ce qui est vis par lacte, et non de sescomposantes intrieures. Lobjet intentionnel (en loccurrence lobjectitcatgoriale) nen demeure pas moins immanent en ce sens quil appartient lessence de lacte : tout acte a par dfinition en lui et avec lui, de manireinsparable, son vis en tant que tel (le percevoir est par exemple perceptiondela chose).

    La relation intentionnelle du percevoir nest bien entendu pas une relation

    flottante ni dirige dans le vide, mais elle a, en tant quintentio,un intentumqui lui appartient essentiellement (wesenhaft)2.

    La chose appartient la perception en tant que son peru3.

    De mme, le penser (lopration catgoriale) a son pens pris en tant que tel(son objectit catgoriale). Comme le note Jean-Franois Lavigne, linclu-sion de lobjet intentionnel dans les composantes essentielles de lacte( dans sa teneur psychique propre et essentielle 4) implique labandon

    1J.-F. Lavigne,Accder au transcendantal ? Paris, Vrin, 2009.2E. Husserl, Phnomenologische Psychologie, Vorlesungen SS 1925, W. Biemel(d.), M. Nijhoff, La Haye, 1962, Hua IX, p. 261.3Ibid.4Ibid.,p. 243.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    14

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    15/27

    dune dimension dextriorit absolue, celle de lobjet en soi, de ltant telquexistant hors-conscience 1. Cette consquence que J.-F. Lavigne relvepour les objets de lexprience sensible sapplique galement aux objectits

    catgoriales (significations) de lactivit catgoriale.Husserl ne dmentira jamais linclusion de la transcendance, titre de

    sens dtre intentionnellement constitu, dans la vie intentionnelle imma-nente. Les Mditations cartsiennes le confirmeront sans aucune ambigutau 41 :

    Tout ce qui existe pour la conscience se constitue en elle-mme, et () toutmode dtre, y compris celui qui est dfini comme transcendant en un sensquelconque, y a sa constitution particulire. La transcendance, sous quelqueforme que ce soit [celle de lobjet rel et de lobjet idal], est un caractredtre immanent qui se constitue au sein de lego. Tout sens concevable, touttre concevable, quon les dise immanents ou transcendants, relvent du

    domaine de la subjectivit transcendantale2

    .

    Dans lidalisme phnomnologique transcendantal radical, il ny a aucuneplace pour un objet transcendant au sens fort et vritable du terme depuisque la subjectivit transcendantale est pose comme un absolu par rapportauquel tout est relatif:

    Un tre ral et idal qui transgresse la subjectivit transcendantale totaleest un contresens3.

    Une extriorit en dehors de luniversum du sens possible est un non-sens4.

    Cest pourquoi, en posant une quivalence entre tre et sens dtre (toutobjet, rel ou idal, est constitu par la conscience dans la vie intentionnelle

    1J.-F. Lavigne,Accder au transcendantal ?p. 147.2Cf. E. Husserl, Cartesianische Meditationen und Pariser Vortrge (1929), Hua I,S. Strasser (d.), M. Nijhoff, La Haye, 1950, p. 116-117 ; trad. fr. sous la direction deM. de Launay, Mditations cartsiennes et les Confrences de Paris,Paris, P.U.F.,1994, p. 132.3E. Husserl,Erste Philosophie (1923-1924), zweiter Teil : Theorie der phnomeno-logischen Reduktion, Hua VIII, R. Boehm (d.), La Haye, M. Nijhoff, 1959,Supplment XXX la leon 53, p. 482.4E. Husserl, Einleitung in die Philosophie. Vorlesungen 1922/23, Hua XXXV,B. Goosens (d.), Dordrecht/Boston/Londres, Kluwer Academic Publishers, 2003,p. 271 ; trad. fr. A. Mazz, Confrences de Londres,inAnnales de Phnomnologie,n 2/2003, p. 197.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    15

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    16/27

    et tout mode dtre, immanent ou transcendant, est un sens dtre communi-qu par la conscience, au cours de ses oprations, aux objets quelle vise1),lidalisme phnomnologique transcendantal exclut par principe une distinc-

    tion entre une thse pistmologique, selon laquelle ce qui est objet deconscience lest sur la base dune ralisation subjective (Leistung), et unethse ontologique qui garantirait pour les significations un statut idal-objectif indpendant des ralisations subjectives de la conscience. Lida-lisme husserlien nest pas seulement une conception de la connaissance quiaurait pour but de dcrire comment nous prenons conscience dentits rellesou idales existant en soi ; il sagit bel et bien dune prise de position onto-logique : nul objet, rel ou idal, nest pensable en dehors et indpendam-ment de la conscience qui le pense ; autrement dit, pour exprimer les chosesgrossirement, tre cest tre vis par la conscience. Les objets idauxnchappent pas la rgle : la phnomnologie transcendantale a bel et bien

    lintention, aprs avoir mis en vidence lidalit des formations logiques,den explorer la constitution subjective 2par un retour () des formeslogiques aux oprations subjectives 3. Ce qui est idal apparat insr(hineingestellt) dans la sphre subjective et en tant que formation jaillit delle(aus ihr als Gebilde entspringt) 4. Les objectits catgoriales telles que lestats-de-choses dans lesquels les noncs puisent leur signification (le jugen tant que tel), rptons-le, ne sont pas des objets qui existeraient en soidans un monde rel ou idal indpendamment de la conscience, mais bel etbien le rsultat des oprations spontanes de lentendement qui dcide depenser un objet au moyen de telle ou telle dtermination conceptuelle,dlaissant alors les autres proprits objectives (Napolon pens en tant quele vainqueur dIna et non en tant que le vaincu de Waterloo) et oprant

    parfois des dterminations contraires la structure ontologique de lobjetvis (Napolon pens en tant que le vainqueur de Waterloo). Lobjectitcatgoriale (le pens ou le jug en tant que tel), cest lobjet tel quil a tpens par la conscience, lobjet tel quil a t mis en forme et faonn dansles oprations catgoriales (concepts et jugements), et non lobjet tel quil esten soi (une ralit ultime, un tout runissant indistinctement plusieurs

    1 () ce qui est constitu prend le sens dune objectivit idale existant en soi ,E. Husserl, FTL, p. 38 ; trad. fr. p. 49.2E. Husserl, FTL, p. 273 ; trad. fr. p. 354.3E. Husserl,EU,p. 45 ; trad. fr. p. 54.4E. Husserl, FTL, p. 39 ; trad. fr. p. 50.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    16

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    17/27

    parties)1. Cest pourquoi, volontairement ou non, dans le mensonge, lerreurou lhypothse contrefactuelle au pass (et si Napolon avait remport labataille de Waterloo), on peut aboutir des formations catgoriales (tats-de-

    choses) qui nont aucune existence vritable dans le monde rel ou idal :Napolon pens en tant quil est le vainqueur de Waterloo ; 1000 pens entant quil est le nombre le plus grand ; 2 pens en tant quil est suprieur 3.

    Ds lors, une question se pose nous : une comprhension de la trans-cendance des significations qui, sans aucune transformation conceptuelle, enconserve les caractres essentiels (lantriorit et lindpendance ontologiquede ce qui existe en soi et par soi)2, est-elle encore possible ? Ou bien faut-ilse rsoudre admettre avec Husserl que les significations, comme tout objet,rel ou idal, ont besoin de la conscience pour tre et pour recevoir de celle-ci leur sens dtre transcendant ? Peut-on encore concilier dans unephnomnologie idaliste-transcendantale lextriorit des significations

    lgard des consciences et leur caractre constitu ?

    3. Comment rendre compte de la transcendance des significations ?

    Lhypothse dun ancrage ontologique

    La critique de lidalisme phnomnologique et de la dformation quilinflige au concept de transcendance doit cependant rpondre une objection.On admettra assez facilement la transcendance des ralits mondaines, carlexprience sensible dans laquelle elles nous sont donnes comprend unmoment impressionnel qui tmoigne indubitablement dune antriorit etdonc dune indpendance de ltre de ltant sur la conscience sensible qui le

    rencontre. La conscience ne pourrait pas apprhender le peru selon tel ou telsens (un stylo, un buvard) et en constituer lidentit dans la synthse desapparitions successives (devant moi il y a un stylo), si le peru ne simposaitpas elle en affectant la sensibilit. En dautres termes, il y a uneprcdencede ltre de ltant sur son apparition, qui a elle-mme pour corollairelindpendance ontologique de cet tre vis--vis de la conscience (persit).

    1 Cette distorsion entre la signification et ltre, ltat-de-choses tel quil est jug(objectit catgoriale) et ltat-de-choses tel quil est en soi (ltre tel quil est, en soiet par soi, vritablement dtermin), apparat nettement travers la notion decatgorial assomptif, corrlat des tournures assomptives dans lesquelles la position,dans ltre, de ltat-de-choses vis est neutralise ou mise entre parenthses. Cf.E. Husserl, VuB, 28 et 29.2Ce que J.-F. Lavigne (op. cit.,p. 42), propos du monde extrieur et des choses quilhabitent, appelle laprcdenceet lapersit.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    17

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    18/27

    En revanche, sagissant de la transcendance prsume des significations, onpeut dautant moins sappuyer sur une dimension affective et sur letmoignage dune impression sensible que les objectits logiques nappar-

    tiennent plus la sphre rale, et que les oprations catgoriales danslesquelles elles se constituent tmoignent dune activit entirement sponta-ne. La contribution de lexprience sensible est, en la matire, extrmementmodeste, puisquelle donne tout au plus le matriau sur lequel sexercerontles mises en forme catgoriales. Dans ces conditions, peut-on vritablementrendre compte dune transcendance absolue des significations (avec laprcdenceet lapersit que le concept de transcendance implique), ou bienfaut-il reconnatre que cette transcendance nest rien dautre quuneprestation intentionnelle ?

    Pour quune vritable transcendance des units smantiques (leurindpendance ontologique et leur antriorit lgard de toute forme de

    conscience) devienne intelligible, lhypothse la plus simple consisterait souligner leur ancrage ontologique. Les significations, en effet, ne traduisentpas seulement la manire subjective dont les objets ont t reprsents oupenss (le vainqueurdIna, le vaincu de Waterloo) ; elles refltent peut-tre dabord dans la pense et le discours lespropritsdes objets, la maniredont les choses auxquelles nous faisons rfrence sont elles-mmes con-stitues. Car cest prcisment au moyen de certaines proprits (Beschaffen-heit) quun objet est reprsent en nous sur un mode mental ou verbal : jepeux penser Napolon en tant que vainqueur dInaet le dsigner commetel,parce quil sagit l dune qualit intrinsque de lobjet vis avant dedevenir dans les oprations de pense et le discours un mode de reprsen-tation et une dtermination (Bestimmung) subjectives. Les dterminations

    catgoriales, notamment les dterminations prdicatives, seraient alors lintrieur du jugement la transposition logique des proprits qui, indpen-damment de lactivit de la conscience (persit), sont dj (prcdence)inhrentes au substrat. Le jeune Husserl lui-mme a peut-tre furtivementvoqu cet ancrage ontologique des significations lorsquil dclarait :

    Toute proprit intrinsque (Beschaffenheit), quelle soit absolue ou relative,peut loccasion servir de signe [signe ou marque distinctive] pour reprer(merkzeichen) lobjet qui la possde1.

    1E. Husserl, Zur Logik der Zeichen (Semiotik), Hua XII, L. Eley (d.), La Haye,M. Nijhoff, 1970, p. 340-341 ; trad. fr. J. English, Sur la logique des signes (1890),Articles sur la logique,Paris, P.U.F., 1975, p. 416.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    18

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    19/27

    La thse dun ancrage ontologique de la smantique rejoint en tout cas laconception traditionnelle du jugement apophantique fonde sur le parall-lisme des concepts logiques (sujet, prdicat) et ontologique (substance,

    proprit). Sous la forme S est p, lnonc attribue un substrat reprsentpar Sune proprit reprsente par p. La structure logique de la propositionreflterait la structure ontologique de ltre organis en substances etaccidents.

    Lhypothse dun ancrage ontologique des units logico-smantiquessoulve cependant plusieurs difficults. On aurait tort de croire que lesconcepts ou reprsentations qui forment les units de sens sont des structurescomplexes qui reflteraient, ne serait-ce que partiellement, la structure onto-logique de lobjet. Car tout dabord les dterminations au moyen desquellesun objet est pens ne correspondent pas toujours ses proprits, soit parcequelles appartiennent un autre objet auquel elles ont t indment

    empruntes (Napolon est le vainqueur de Waterloo), soit parce que lejugement est subjectif (Paris est ma ville prfre). Dans ce dernier cas, ladtermination prdicative ne renvoie aucune proprit intrinsque quejaurais pu extraire de son objet et qui lui appartiendrait avant que jaie pume reprsenter cette ville ou mme savoir quune ville qui porte ce nomexiste. En runissant certaines dterminations contradictoires on peut mmeforger des significations auxquels aucun objet vritable, rel ou idal, necorrespond : cercle carr, fer en bois. Cela, Husserl, lecteur de Bolzano, lesavait bien. Il importe galement, comme Husserl ne cesse de le souligner, dedistinguer entre ltat-de-choses tel quil est pens ou jug (lequel donne lnonc de jugement sa signification) et ltat-de-choses tel quil est vri-tablement (qui constitue plutt le rfrent de lnonc), comme le met en

    vidence la notion de catgorial assomptif : si Napolon avait t levainqueur de Waterloo, alors Napolon peut bien tre pens et signifi(dsign et nonc) comme le vainqueur de Waterloo, il nen demeure pasmoins quil nest pas et ne sera jamais le vainqueur de Waterloo, et que ladtermination catgorialeNapolon-en-tant que-vainqueur-de-Waterlooainsique ltat-de-choses qui en rsulte (Napolon-est-le-vainqueur-de-Waterloo,le fait prsum que Napolon soit le vainqueur de Waterloo1) ne corres-pondent aucune proprit de lobjet lui-mme et donc aucun tat-de-choses vritable. Lhypothse dun ancrage ontologique est enfin incapabledexpliquer une reprsentation simple, comme le concept de point, car il nya manifestement l aucune proprit de lobjet qui a t reprsente.Lobjetnest pas pens partir dune de ses dterminations intrinsques ou extrin-

    1Le fait quil soit prtendument tel.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    19

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    20/27

    sques (en tant que p) ; il est saisi en tant que substance idale comme S.Toutes ces remarques nous permettent de conclure que les significationsconceptuelles tmoignent moins de la faon dont un objet est constitu que

    de la manire dont il est subjectivement pens ou reprsent par la con-science, mme si plusieurs consciences et cest prcisment ce que lathorie phnomnologique de la signification tente dexpliquer peuventfinalement penser la mme chose partir de vcus diffrents.

    4. Lhypothse dun ancrage linguistique

    Si lancrage ontologique est incapable de rendre compte de la transcen-dance des significations, peut-tre celle-ci sexplique-t-elle plus simple-ment partir dun ancrage linguistique dans des signes crits. Cest en toutcas lultime hypothse que dfend Husserl dans un texte, publi en annexe dela Krisis, intitul Lorigine de la gomtrie. Tout dabord, force est deconstater quhistoriquement les propositions qui composent le systmethorique de la gomtrie euclidienne apparaissent initialement comme desformations de sens (Sinnbildungen) rsultant de lactivit intentionnelle(Leistung) du proto-gomtre, celui qui les a pour la premire fois penses etnonces. Or lexistence gomtrique nest pas existence psychique, ellenest pas existence de quelque chose de personnel dans la sphre personnellede la conscience ; elle est existence dun tre-l, objectivement, pour tout lemonde 1. Le thorme de la somme des angles, par exemple, nest pasquelque chose de priv et de passager destin svanouir avec les actescognitifs phmres et contingents de tel ou tel mathmaticien. Ds lors,

    comment un contenu de sens qui se prsente de prime abord dans lespacespirituel dune subjectivit humaine singulire peut-il donc valoir ensuitecomme objectivit idale supra-temporelle, comme proposition ayant unevalidit inconditionne pour toute conscience au-del des actes singuliers etfugaces ? Comment une formation logique peut-elle transcender les con-sciences singulires dans lactivit desquelles elle se ralise ?

    Comment lidalit gomtrique () en vient-elle son objectivit idale partir de son surgissement originaire intra-personnel dans lequel elle se

    1E. Husserl, Lorigine de la gomtrie,Hua VI, p. 367 ; trad. fr. J. Derrida, Paris,P.U.F., 1962, p. 178-179.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    20

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    21/27

    prsente comme formation dans lespace de conscience de lme du premierinventeur1?

    La cl du problme rside alors pour Husserl dans linstitution dun langagecommun. la question prcdente il rpond aussitt : Cest par la mdia-tion du langage qui lui procure, pour ainsi dire, sa chair linguistique 2. Lesformations logiques sont exprimables dans un langage, et cette possibilit desextrioriser dans un systme de signes objectif, de sincarner dans dessignifiants, leur permet de dpasser les circonstances singulires etcontingentes de leurs apparitions la conscience :

    () il appartient () ltre objectif [de tous les produits spirituels,formations scientifiques, littraires, politiques] dtre exprim et toujours denouveau exprimable dans un langage plus prcisment, quand on lesconsidre seulement en tant que signification, en tant que sens dun discours

    davoir lobjectivit, ltre-l-pour-tout-le-monde ()3

    .Il est vrai que lincorporation dans des signes sensibles confre aux forma-tions logiques une existence objective dans le monde : le thorme math-matique est l sous nos yeux sous la forme matrielle visible dun nonccrit en franais sur le tableau noir de la classe, ou formul dans un langagealgbrique sur la page dun manuel. Chaque transcription lui confre uneindividuation spatio-temporelle et le rend accessible toute conscience sousune forme extrieure sensible. Mais comment lincorporation dans le mondesensible ne trahit-elle pas lidalit du sens ? Comment une trace crite, aulieu de traduire simplement un vcu singulier, peut-elle mettre sous nos yeuxune signification idale ? Car il faut que la trace crite (lnonc crit au

    tableau) ne soit apprhende ni comme une ralit matrielle extrieure(simples traits la craie dpourvus de signification) ni comme un signenexprimant rien dautre quun vcu subjectif (le professeur de mathmatiquea crit l ce que lui et lui seul pensait sans viser une signification universelleet objective). Comment ce qui est crit peut-il valoir pour nous comme unesignification idale qui, la diffrence des ralits physiques ou psychiques(ce qui a t pens tel moment par quelquun et ce qui a t crit l sur letableau), nest pas individualise dans le temps et dans lespace ? Comment, partir dune formation purement intra-subjective, lincarnationlinguistique produit-elle lobjectif [lidalit objective dune unit de

    1Ibid.,p. 369 ; trad. fr. p. 181.2Ibid.3Ibid.,p. 368 ; trad. fr. p. 179.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    21

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    22/27

    sens] ? 1. De prime abord, on a en effet du mal comprendre par quelmiracle, une fois nonce, la formation logique intrieure du gomtre proto-fondateur (le thorme tel quil a t pour la premire fois pens par Euclide)

    peut devenir une objectivit idale, au lieu de rester une formation psychiquepassagre ou, pire encore, de basculer dans le camp des ralits matrielles etde rester une simple forme sur le tableau.

    Comment la formation constitue de faon intrapsychique en vient-elle laspcificit dun tre intersubjectif, comme objectit idale qui, prcisment entant que gomtrique et en dpit de sa source psychique, nest toutefoisrien moins quun ral psychique2?

    Si le langage dans lequel sont incorpores ou sdimentes les significationsnest pas envisag par les interlocuteurs comme une simple ralit physique(une trace crite) ou psychique (lacte contingent et fugace de celui qui vient

    de penser et de sexprimer), cest quil est dj lui-mme de part en partstructur en units idales. Les signes appartenant aux langues naturelles, ladiffrence des actes dexpression des sujets parlants et de leurs actespsychiques, ne sont pas des vnements spatio-temporellement localiss,mais bel et bien dj eux-mmes des units idales, par opposition lamultiplicit de leurs occurrences verbales et crites relles ou possibles : Lemot Lwe nadvient quune seule fois dans la langue allemande, il estlidentique des innombrables expressions par lesquelles nimporte qui levise 3. En sincarnant dans le corps sensible dun signe linguistique, lunitde sens ne perd donc pas son objectivit idale, bien au contraire : cest danslidalit des formations linguistiques que lidalit du sens se manifeste lemieux auprs des consciences. Peu importe alors que le sens sincorpore danstel ou tel signifiant ; il peut recevoir une multiplicit dexpressions possibles(Lwe, lion) dans la mesure o chacune delles, avant que tel ou tellocuteur ne prenne la parole, est dj lintrieur dun systme linguistiqueune unit idale parmi dautres (le mot Lwe , le mot Katze ), et nonune ralit matrielle singulire spatio-temporellement circonscrite linstardunflatus vocis.

    1Ibid.,p. 369 ; trad. fr. p. 181.2Ibid.,p. 370 ; trad. fr. p. 184. Ou un ral physique, si le destinataire, cause de sonjeune ge, dune mauvaise vue ou des dgradations subies par le message (caractres moiti effacs), apprhende les traces crites comme de simples formes dpourvuesde signification.3Ibid.,p. 368 ; trad. fr. p. 180.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    22

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    23/27

    Pour Husserl, le processus dobjectivation des units de sens saccom-plit plus prcisment en trois tapes. Tout commence, lintrieur du sujetpensant, par la ractivation dans le ressouvenir de la formation logique

    passe travers la rptition de lactivit catgoriale qui la produite unepremire fois : jai pens que dans un triangle rectangle la somme des anglesest gale deux droits ; je peux ensuite reprendre tout moment le contenude mon jugement et penser nouveau les choses comme auparavant. Il sagitl de lactivit possible dun ressouvenir dans lequel le vivre pass estcomme re-vcu activement de part en part 1. Les deux oprations catgo-riales, prsente et passe, sont alors runies dans une synthse didentifi-cation : ce qui a t pens auparavant par moi et ce qui est maintenant jugpar moi, cest exactement la mme chose, savoir le thorme de lasomme des angles. Le jug en tant que tel (la signification dnonc : dans untriangle rectangle) est le mme stricto sensu. Plus prcisment, car nous

    ne sommes pas encore sorti de la sphre intra-subjective, les formationspsycho-logiques prsente et passe (ce que jai pens aujourdhui et autre-fois, sans que cela ait pu encore revtir une valeur intersubjective) sontidentiques.

    Pour sextraire dfinitivement du sujet et de ses formations de pense,pour transgresser la sphre psychique et amorcer une vritable objectivation,il faut que la formation logique endosse une valeur intersubjective. Elle luiest communique par un langage commun : la communaut de langage (lethorme crit dans une langue naturelle ou formelle) permet dautresconsciences de saisir et de comprendre ce que les autres ont pens par-deverseux, faisant ainsi de la formation psychique singulire et passagre une pos-session intersubjective. Dans la connexion de la comprhension mutuelle

    par le langage, la production originaire et le produit dun seul sujet peuventtre re-compris activement par les autres 2.Pour que lobjectivation de la formation psycho-logique soit pleine-

    ment acheve, il ne suffit pas que cette formation ait franchi la sphrepsychique singulire et soit comprise et rpte (reproduite) par une autreconscience ; en tant quobjectit idale il faut galement quelle dpasse leslimites de ce qui a t pens ou compris effectivement par les uns et lesautres. Elle doit persister au-del des changes effectifs singuliers inter-personnels et perdurer dans son tre mme si personne ne pense actuellement elle. Cette prsence perdurante au-del de lactualit des multiples viesintentionnelles qui communiquent dans lchange linguistique, la formation

    1Ibid.,p. 370 ; trad. fr. p. 184.2Ibid.,p. 371 ; trad. fr. p. 185.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    23

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    24/27

    logique lacquiert prcisment grce au logossous sa forme crite : une foisconsignes dans des expressions crites, une fois dposes dans des signesgraphiques, les formations spirituelles cessent de svanouir avec les actes

    passagers des interlocuteurs ; elles sont tout moment disponibles. Lesproduits de lesprit, deviennent ainsi des acquis linguistiques persistants 1accessibles toute conscience, un bien culturel commun que toute con-science peut reprendre, comprendre et penser2. Et sil ny a pas de signifiantsans signifi, si les signes graphiques, comme on la dit, ne sont pas desimples objets sensibles, mais portent en eux leur signification, incorporedans la matire verbale, la reprise du mot rveille aussitt la significationexprime que chacun peut nouveau ressaisir et comprendre, sur la base dece qui est crit, mme sil na pas une intuition qui lui donnerait en chair eten os ltat-de-choses vis. Linterlocuteur se contente alors dune simplesaisie de ltat-de-choses tel quil a t pens, et cela suffit la compr-

    hension de la signification de lnonc, mme si les choses dont on parle nesont pas actuellement sous nos yeux.Comme on peut le voir, lexplication husserlienne de la transcendance

    des significations partir de leur ancrage linguistique a lavantage deconcilier dune part linterprtation phnomnologique-transcendantale, puis-que la constitution de la transcendance requiert lactivit catgoriale et satranscription linguistique (laquelle suppose son tour linstitution de signes),et dautre part le caractre absolu de cette transcendance, car une fois quela conscience leur a donn une forme crite, les significations outrepassenteffectivement les sujets parlants individuels, dans la mesure o le systmelinguistique, en tant quinstitution culturelle collective, est au-dessus desactes dexpression (ou de comprhension) rels et possibles de telle ou telle

    conscience et simpose tous les interlocuteurs. Faut-il pour autant enconclure que Husserl est parvenu rendre compte de la transcendance des significations sous une forme intgralement intelligible sans aucunprsuppos mtaphysique ? Non, car il continue de penser que les units desens, avant dtre exprimes, ont dj par-devers elles une objectivit idaledistincte de la multiplicit des langues naturelles susceptibles de les accueillir

    1Ibid.,p. 372 ; trad. fr. p. 188.2 Il faudrait plus prcisment distinguer ici, comme le fait Husserl, la simplecomprhension de lnonc, sur la base dune saisie de ce qui est l pens par autrui(je reois lopinion de Pierre qui croit que 2 > 3), et, le cas chant, ladhsion cequi est nonc ou, dans le cas contraire, son refus sur la base cette fois duneintuition de ltat-de-choses vis ou de limpossibilit de cette intuition (jecomprends quil a jug que 2 > 3, mais je ne partage pas pour autant son jugement).

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    24

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    25/27

    et de les revtir dun vtement grammatical. Distincte de ses multiplestranscriptions possibles dans les diffrentes langues vernaculaires (lion,Lwe), il y aurait une unit idale de sens, lide ou le concept de lion,

    partout strictement identique qui garantit la traduction inter-linguistique (lionet Lwe signifient la mme chose). Si Husserl, partir des oprationslinguistiques scripturales pour tre plus prcis des sujets, parvient expliquer comment les significations deviennent pour nous, les consciencespensantes et parlantes, quelque chose qui transcende les vcus individuels, enrevanche, la transcendance des units idales de sens avant toute pense etexpression humaines (conformment laffirmation, sur laquelle sachve la1reRecherche logique, selon laquelle il y a des significations, telles que lalongueur des dplacements parcourus par tous les dinosaures au cours de leurexistence ou le nombre de cigarettes fumes au cours de la confrence deYalta, qui ne seront sans doute jamais penses et exprimes1) apparat

    comme un postulat mtaphysique qui pourrait bien svanouir avec soncorollaire linguistique, savoir lide que les units de sens supra-linguistiques sont traduisibles dune langue lautre2. Lhypothse dunetraduction translinguistique ainsi que lide, qui en est la condition depossibilit, que le sens est une unit idale au-del des systmes linguistiquessinguliers, pourraient-elles en effet rsister longtemps une analyseimpartiale du langage ? Quil nous suffise dvoquer ici lexemple deslangues qui ne distinguent pas explicitement le meurtre (en tant que pur etsimple homicide) de lassassinat3:

    la vrit, la langue latine saffaisse sous lide mme de meurtre. Lhomme a t assassin ; comment cela va-t-il sonner en latin ? Inter-

    1 Il y a () dinnombrables significations qui, au sens relatif habituel du mot, sontdes significations simplement possibles, car elles ne parviennent jamais lexpression et, en raison des limites de la facult humaine de connatre, elles nepourront jamais parvenir lexpression 1reRecherche logique, 35.2 La gomtrie est identiquement la mme dans la langue originale dEuclide etdans toutes les traductions ; elle est encore une fois la mme en chaque langue, sisouvent soit-elle, partir de son nonciation orale ou de sa notation crite originales,exprime sur le mode sensible dans les innombrables expressions orales ouconsignations crites et autres ,ibid.,p. 368 ; trad. fr. p. 180.3Pour ce qui est de lexamen de la thse, apparemment vidente et irrfutable, selonlaquelle la gomtrie euclidienne est une langue mathmatique universelle dontla comprhension, partir des diverses traductions possibles, est identique etimmuable, on se reportera larticle de R. Brisart, Husserl et le mythe des objets ,Philosophie, n 111, Paris, ditions de Minuit, p. 49-50.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    25

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    26/27

    fectus est, interemptus est, ce qui exprime simplement un homicide ; de lvient que la latinit chrtienne du Moyen ge fut oblige dintroduire unvocable nouveau, auquel la dbilit des conceptions ne stait jamais hausse.

    Murdratus est,dit le dialecte plus sublime des ges gothiques1

    .

    Les latins et les mdivaux avaient-ils rellement en tte le mme senslorsquils nonaient respectivement interemptusest et murdratusest ?Y-a-t-il quelque part, au-del des lexiques des langues naturelles historiquementformes, des penses supra-linguistiques (celles du meurtre et de lassassinat,distinctes du simple homicide involontaire et de la mort naturelle acciden-telle) qui puissent sexprimer dans toutes les langues et qui puissent tretraduites, sans altration, dans une transparence et une quivalence parfaites, partir dun systme linguistique donn, dans nimporte quel autre systme ?Il est permis den douter, car ce que les latins pensaient sous la forme delnonc interemptus est nest manifestement pas ncessairement et

    explicitement un homicide volontaire avec prmditation, la cause de la mortpouvant par ailleurs tre aussi bien humaine (involontaire ou volontaire, avecou sans prmditation) que naturelle. Cest pourquoi interemptus est ne selaisse pas toujours traduire purement et simplement par murdratus estou il at assassin. Dans les deux dernires formules la pense ou le sens est plusprcis, puisquil renferme analytiquement lide ou le caractre de prm-ditation qui fait prcisment dfaut lvnement tel quil est pens par leslatins sous le concept plus vaste et plus flou d interemptus2. Faut-il ds lorsen conclure, contre Husserl, que le sens nest pas hors langage, que chaquelangue construit ses propres units smantiques, dont les conditions dmer-gence sont historiquement circonstancies, et que leur prsence sous formede signes institus est pour ces units la seule forme possible dobjectivit oude transcendance ? Une transcendance linguistiquement constitue et

    1T. De Quincey, De lassassinat considr comme un des beaux-arts,Paris, Ides-Gallimard, 1962, p. 33.2 Le texte de Gleason (Introduction la linguistique, trad. fr. Dubois-Charlier,Larousse, 1969, p. 9-10) sur les noms de couleur en franais, chona et bassa(respectivement langues de la Zambie et du Libria) jetterait galement le doute surlide que les units lexicales dune langue sont parfaitement traduisibles dans uneautre langue au moyen dun terme quivalent qui vhiculerait exactement la mmesignification, comme sil y avait au-dessus des diverses langues vernaculaires desunits idales de sens dont elles sont les vtements grammaticaux. Impossible, parexemple, de traduire hui (bassa) par vert, car ce terme recouvre un spectre beaucoupplus large qui embrasse toutes les couleurs que nous dsignons au moyen des motsindigo,bleu et vert, sans avoir notre disposition un terme aussi gnrique.

    Bulletin danalyse phnomnologique VII 3 (2011) http://popups.ulg.ac.be/bap.htm 2011 ULg BAP

    26

  • 8/12/2019 La transcendance des signification dans l'idalisme transcenda,ntal de Husserl

    27/27

    27

    historiquement structure dbarrasse du mythe dune signification idalesupra-temporelle et extra-linguistique.