La Tradition 1888-02 (N2)

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La Tradition (Paris. 1887) Source gallica.bnf.fr / MuCEM

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REVUE GENERALE des Contes, Légendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

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  • La Tradition (Paris.1887)

    Source gallica.bnf.fr / MuCEM

  • La Tradition (Paris. 1887). 1887-1907.

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  • N 2. 2e Anne. Prix du Numro : Un franc. 15 Fvrier 1888.

    REVUE GNRALEdes Contes, Lgendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

    PARAISSANT LE 15 DE CHAQUE MOIS

    Direction :

    MM, MILE BLEMONT ET HENRY CARNOY

    PARISAux bureaux de la TRADITION

    LIBRAIRIE A. DUPRET3, rue de Mdicis, 3.

  • LIVRAISON DU 15 FEVRIER 1888. 2e Anne.

    TUDE SUR LES CHANSONS DU VALOIS, d'aprs Grard de Nerval.LES ANCIENS CONTEURS. IV. Emprunts faits par La Fontaine aux Contes de Boccace,

    par Henry Carnoy.TUDE SUR LE DRAC DU RHONE. 11e partie, par J.-B. Brenger-Fraud.

    LGENDES BOURGUIGNONNES. I. Dors-tu, Virville? par Charles Rmond.GDON DE TOURNEMINE, conte du Bocage normand, par Victor Brunet.LGENDES DE L'ASIE MINEURE, par Jean Nicolades.LA FTE DE LA TTE DE VEAU, par mile Maison.LA CHANSON DE CARTOUCHE ET SON AUTEUR, par A. Desrousseaux.LE MOULIN QUI MOUD DE L'AMOUR. par Rmy de Gourmont.DEUX CHANSONS DU BUGEY, recueillies par Gabriel Vicaire.LA MARION SU ON POMMI, chanson savoisienne recueillie par Aim Constantin.CHANSON DES MARIETTINIS. VARIATIONS SUR UN AIR DE RONDE. Posies de

    Jacques Madeleine.BALLADE POUR LES PETITS GARONS, posie de Raoul. Gineste.SONNET, par Ed. Guinand.L'ARRESTET. LE RATEAU. Posie en dialecte de Gascogne et traduction de Isidore

    Salles.LE MATELOT DE GROIX, chanson et mlodie populaires recueillies par Charles de Sivry.LES CONTES DE PARIS ET DE PROVENCE, de Paul Arne, par mile Blmont.BIBLIOGRAPHIE, par Henry Carnoy.DINER DE FVRIER DE LA TRADITION.

    COMIT DE RDACTIONMM. Paul ARNE, MM. Charles L'ANCELIN,

    Emile BLMONT, Frdric ORTOLI,Henry CARNOY, Camille PELLETAN,Raoul GINESTE, Charles de SIVRY,Paul GINISTY, Gabriel VICAIRE.Ed.GUINAND,

    ... LA TRADITION parat le 15 de chaque mois par fascicules de 32 48 pages d'im-pression, avec musique et dessins.

    Les abonnements sont reus ds prsent chez M. A. DUPRET, diteur, rue deMdicis. Envoyer un mandat sur la poste.

    L'abonnement est de 15 francs pour la France et pour l'tranger.Il est rendu compte des ouvrages adresss la Revue.Le premier volume de LA TRADITION, pour les nouveaux abonns, est envoy

    franco, moyennant 12 francs.

    Adresser les abonnements M. Dupret, 3, rue de Mdicis.

    Adresser les adhsions, lettres, articles, ouvrages, etc. M. Henry Carnoy, pro-fesseur au Lyce Louis-le-Grand, 33, rue Vavin, Paris. (Les manuscrits noninsrs seront rendus).

    M. Henry Carnoy se tient la disposition des lecteurs de LA TRADITION le jeudide 2 heures 4 heures, 33, rue Vavin.

  • LA TRADITION

    ETUDE SUR LES CHANSONS DU VALOIS

    Un des chapitres les plus intressants des Filles du Feu (1) de Grard deNerval, est consacr aux chansons et aux lgendes du pays de Valois, limi-trophe de l'ancien gouvernement de Picardie, et correspondant l'est del'Oise et au sud de l'Aisne.

    Chaque fois, dit cet crivain, chaque fois que ma pense se reporteaux souvenirs de cette province du Valois, je me rappelle avec ravisse-ment les chants et les rcits qui ont berc mon enfance. La maison dmon oncle tait toute pleine de voix mlodieuses, et celles des servantesqui nous avaient suivis Paris chantaient tout le jour les ballades joyeu-sesde leur jeunesse, dont malheureusement je ne puis citer les airs. Au-jourd'hui, je ne puis arriver les complter, car tout cela est profond-ment oubli ; le secret en est demeur dans la tombe des aeules...

    Grard de Nerval se plaint ensuite de ce qu'on recueille des chansonsde Bretagne ou d'Aquitaine alors qu'on ddaigne les chants des vieillesprovinces o s'est toujours parle la vieille langue franaise.

    C'est qu'on n'a jamais voulu admettre dans les livres des vers composssans souci de la rime, de la prosodie et de la syntaxe ; la langue du ber-ger, du marinier, du charretier qui passe, est bien la ntre, quelqueslisions prs,avec des tournures douteuses, des mots hasards, des termi-naisons et des liaisons de fantaisie, mais elle porte un cachet d'ignorancequi rvolte l'homme du monde, bien plus que ne fait le patois. Pourtantce langage a ses rgles, ou du moins ses habitudes rgulires, et il estfcheux que des couplets tels que ceux de la clbre romance: Si j'taishirondelle, soient abandonns, pour deux ou trois consonnes singulire-ment places, au rpertoire des conclerges et des cuisinires.

    Quoi de plus gracieux et de plus potique pourtant ! Si j'tais hirondelle ! Que je puisse voler, Sur votre sein

    la belle, J'irais me reposer.,.. Il faut continuer, il est vrai, par : J'ai s'un coquin de frre, ou ris-

    quer un hiatus terrible; mais pourquoi aussi la langue a-t-elle repoussce z si commode, si liant, si sduisant, qui faisait tout le charme du lan-gage de l'ancien Arlequin, et que la jeunesse dore du Directoire a tent'en vain de faire passer dans le langage des salons ?

    Ce ne serait rien encore, et de lgres corrections rendraient notreposie lgre, si pauvre, si peu inspire, ces charmantes et naves produc-

    (1) Grard de Nerval, Les Filles du Feu; 1 vol. Paris. Michel Lvy.

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    tions de potes modernes ; mais la rime, cette svre rime francaise, comment s'arrangerait-elle du couplet suivant:

    La fleur de l'olivier Que vous avez aim, Charmantebeaut! Et vos beaux yeux charmants, Que mon coeur aimetant, Les faudra-t-il quitter?

    La musique de cette chanson se prte admirablement ces hardiessesingnues, et trouve dans ces assonances, mnages suffisamment d'ail-leurs, toutes les ressources que la posie doit lui offrir.

    Ces deux chansons ont comme un parfum de la Bible. Malheureuse-ment la plupart des couplets sont perdus parce que personne n'a jamaisos les crire ou les imprimer.

    Bien joli aussi, ce couplet: Enfin vous voil donc, Ma belle, marie, Enfin vous voil

    donc, A votre poux lie, Avec un long fil d'or Qui ne romptqu' la mort !

    Les chansons des soldats et des marins offrent un genre particulier, ditGrard de Nerval. Il n'y est question que d'amours merveilleuses dontles hrones ne sont rien moins que des sultanes, des princesses de renom,des filles de roi, des prsidentes, comme dans cette ballade :

    C'est dans la ville de Bordeaux, Qu'il est arriv trois vais-seaux ;Les matelots qui sont dedans, Vrai Dieu! sont de jolisgalants.

    C'est une dame de Bordeaux Qu'est amoureuse d'un matelot. Va, ma servante, va me chercher Un matelot pour m'amuser.

    G. de Nerval ne cite que les deux premiers vers de cette chanson. Lasuite de l'histoire est plaisante. La servante ramne un matelot, que la

    dame, la prsidente, fait monter dans son salon. Ils y font une collation

    qui trois jours,trois nuits a bien dur. Maisau bout de ce temps, le mate-lot est repris par son amour de la mer et demande son cong. La prsi-dente, pour s'assurer son silence, lui donne cent cus compts. Et lematelot joyeux s'en va en chantant des airs nouvelles. L'histoire finitpar une bonne saillie gauloise :

    Le matelot en s'en allant, A fait rencontre du prsident. Beau prsident, beau prsident, Tu es c... j'ai ton argent !

    Le prsident, il lui rpond : Ce que tu dis, beau matelot ?

    Je dis, Monsieur le prsident, Qu'il fait beau sur la mer voguant!

    Maintenant, voici une autre chanson du Valois, une perle, un bijou exquis, la ballade du Joli Tambour, si populaire par toute la France :

    Un joli tambour s'en allait la guerre...

    Quelque tambour des gardes franaises, sans doute, capable de fairevibrer aux roulements sonores de son tambourin, les coeurs des guerrierset les coeurs des belles !

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    Voici que l'arme dfile devant le roi.

    Fille du roi tait sa fentre...

    Notre joli tambour la demande incontinent en mariage! Au pays deschansons les amoureux ont de ces audaces! Mais le roi, plus pratique :

    Joli tambour, tu n'es pas assez riche !

    Et le tambour des gardes franaises de rpondre :

    J'ai trois vaisseaux dessus la mer gentille, L'un charg d'or,l'autre de perles fines, Et le troisime pour promener ma mie!

    Le roi reste songeur. Puis, au bout d'un instant Grard de Nerval

    n'indique pas ce dtail :

    Joli tambour, dis-moi quel est ton pre? Mon pre, beau

    sire, est le roi d'Angleterre!

    Le mariage va se faire sans doute. Non point. Vous ne connaissez pasencore notre joli tambour. Au roi qui lui offre sa fille, il rpond par unrefus ;

    Dans mon pays, il en est d'plus gentilles ! Sire le roi, gardezdonc votre fille.

    Et il s'en va firement, laissant sans doute la princesse se mourir d'a-mour !... Il est vrai que la version du Valois est diffrente. Le roi refusede donner sa fille. Mais le beau tambour rpond ;

    Tant pis ! j'en trouverai de plus gentilles !

    Du soldat et du marin, l'auteur des Filles du Feu passe aux bergers.Ici et nous devions nous y attendre l'inspiration change. Le bergerest contemplatif et pote. L'imagination n'a rien voir dans ses chansonsqui sont des rves mlancoliques.

    Au jardin de mon pre, Vole, mon coeur vole! Il y a z'unpommier doux, Tout doux !

    Trois belles princesses, Vole, mon coeur vole ! Trois bellesprincesses Sont couches dessous.

    Quel choix dans ces adjectifs pithtes! Ces refains, Vole, mon coeur,vole, et Tout doux ! nous les retrouvons bien souvent dans les chansonspopulaires. Il nous souvient surtout d'une chanson, Le retour du Marin,que nous avons entendue l'an dernier dans l'un des concerts du cercleSaint-Simon, chanson dans laquelle ce Tout doux ! avait un charme desplus pntrants :

    Beau matelot revient de guerre, Tout doux ! Surtout au dernier couplet : Beau matelot vida son verre, Tout doux ! Sans remercier,

    tout en pleurant, S'en fut rejoindre son rgiment ! Tout doux !

  • 36. LA TRADITION

    Les potes capables de donner de si ravissantes chansons, ne pouvaientils pas aller plus loin? Voici ce qu'en pense Grard de Nerval:

    Est-ce donc la vraie posie, est-ce la soif mlancolique de l'idal quimanque ce peuple pour comprendre et produire des chants dignes d'-tre compars ceux de l'Allemagne et de l'Angleterre? Non, certes; maisil est arriv qu'en France la littrature n'est jamais' descendue au niveaude la grande foule ; les potes acadmiques du XVIIe et du XVIIIe siclen'auraient pas plus compris de telles inspirations, que les paysans n'eussentadmir leurs odes, leurs pitres et leurs posies fugitives, si incolores, sigourmes. Pourtant comparons encore la chanson que je vais citer tous

    ces bouquets Chloris qui faisaient vers ce temps l'admiration des bellescompagnies.

    Quand Jean Renaud de la guerre revint, Il en revint tristeet chagrin. Bonjour, ma mre. Bonjour, mon fils ! Tafemme est accouche d'un petit.

    Allez, ma mre, allez devant; Faites-mol dresser un beau litblanc ; Mais faites le dresser si bas, Que ma femme ne l'en-tende pas !

    Et quand ce fut vers le minuit, Jean Renaud a rendul'esprit.

    Ah ! dites, ma mre, ma mie, Ce que j'entends pleurer ici ? Ma fille, ce sont les enfants, Qui se plaignent du mal de dents.

    Ah ! dites, ma mre, ma mie, Ce que j'entends clouer ici ? Ma fille, c'est le charpentier, Qui raccommode le plancher !

    Ah ! dites, ma mre, ma mie, Ce que j'entends chanter ici?Ma fille, c'est la procession, Qui fait le tour de la maison !

    Mais dites, ma mre, ma mie, Pourquoi donc pleurez-vousainsi ? Hlas ! je ne puis le cacher; C'est Jean Renaud qui estdcd.

    Ma mre! dites au fossoyeux, Qu'il fasse la fosse pour deux, Et que l'espace y soit si grand, Qu'on y renferme aussil'enfant !

    Cette ballade de Jean Renaud ou du roi Renaud est, certainement, unedes plus belles du Romancero franais. Et puisque nous employons cemot, qu'on nous permette une simple parenthse. Quand donc un de nosamateurs de posie populaire, Gabriel Vicaire, Emile Blmont... . nousdonnera-t-il, avec le concours d'un musicien comme notre ami Charles deSivry, ce Romancero franais qui, nous en avons la ferme conviction,ne le ce dera en rien aux autres Romanceros? Mais, passons.

    Cette version de Grard de Nerval n'est pas la plus jolie que nous con-naissions de la ballade du roi Renaud ou Ernaud. Une d'elles surtout, d-bute d'une faon pique :

    Le grand Renaud, de guerre revient, Tenant ses tripes entre sesmains. Sa mre qui est dans sa chambre en haut, A vu venir sonfils Renaud.

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    Sa mre lui annonce la naissance de son fils, et Renaud rpond :

    Ni de ma femme, ni de mon fils, Je ne saurais me rjouir ! Renaud meurt.

    Et quand ce fut vers les minuit, Le grand Renaud renditl'esprit.

    La jeune femme interroge sa mre, comme dans la chanson du Valois,sur les bruits qui frappent son oreille. Puis :

    Ah! dites moi, ma mre, ma mie, Quelle robe mettrai-je aujour-d'hui ? Mettez le blanc, mettez le gris, Mettez le noir pour mieuxchoisir !

    Ah ! dites moi, ma mre, ma mie, Ce que ce noir-l signifie? Toute femme qui relve d'un fils, Du drap de sa mort doit se r'vtir.

    Quand elle fut dans les champs entre, Trois p'tils garonss'sont cris : Voil la femme de ce grand roi, Qu'on enterrahier trois heures.

    La jeune femme comprend, cette fois, la triste vrit :Et sur un ton dolent la mlodie de ces deux derniers couplets

    change. Renaud, Renaud, mon rconfort, Te voil donc au rangdes morts !...

    Elle se fit dire trois messes ; A la premire elle se confesse; A la seconde elle communia ; A la troisime elle expira.

    Cette ballade n'est-elle pas parfaite? Cela ne le cde en rien aux plustouchantes ballades allemandes; il n'y manque qu'une certaine excutionde dtail qni manquait aussi la lgende primitive de Lnore et celledu Roi des Aulnes, avant Gothe et Burger.

    Grard de Nerval cite galement la Complainte de Saint-Nicolas, po-pulaire encore dans le nord de la France, et dont nous avons donn deuxversions dans nos Lgendes de France (1) et dans la Tradition.

    Il tait trois petits enfants, Qui s'en allaient glaner auxchamps.

    A l'un des dners de Ma Mre l'Oye, nous avons entendu chanter cettecomplainte sur un air trs curieux, par M. Loys Brueyre.

    Voici maintenant la ballade : Le roy Loys est sur son Pont, connueencore sous le nom de Ballade du comte Jean.

    La version de Grard de Nerval nous parat relativement moderne.Sous ce nom de La Belle lsambourg, ce thme tait connu au XVIe. si-cle. M. Gabriel Vicaire a publi dernirement cette version ; Mlusine en adonn galement plusieurs variantes. La chanson entendue par Grardde Nerval est certainement la plus curieuse au point de vue musical.

    (1) Henry Carnoy, Les Lgendes de France, Paris, Quantin, 1886.

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    C'est comme un chant d'glise crois par un chant de guerre ; on n'a

    pas conserv la seconde partie de la ballade, dont pourtant nous connais-sons vaguement le sujet.

    Voici le commencement de la chanson, d'aprs la version de M. EugneRolland :

    Le roi Loys est sur ses ponts, Tenant sa fille dans son giron

    Il lui dfend jamais d'aimer, Le beau Lon, franc cavalier. Dfense inutile. La jeune princesse rsiste. Et : Le roi appelle son garon : Que l'on mette ma fille en prison !

    Elle fut sept ans dans cette tour, Sans que personne lui ditbonjour.

    Au bout de sept ans, le roi vient la visiter.

    Bonjour, ma fille, comment vous va ? Hlas ! mon pre, bienmal il va? J'ai les pieds pourris dans les fers, Et le ct mangdes vers !

    Hlas! mon pre, n'auriez-vous pas, Cinq six sous medonner ? Je les donn'rais au glier, Qu'il me desserre un peu lespieds !

    Le vieux roi, toujours tenant son ide fixe, reste insensible. Maisvoici venir le beau Lon :

    Le beau Lon, passant par l, Un mot de lettre il lui jeta. Faites-vous morte ensevelie, Qu'on vous transporte Saint-Denis!

    La suite nous sera donne par la ballade du Valois. Le beau Lautrec (le Lon de l'autre chanson), l'amant de cette noble

    fille, revient de la Palestine au moment o on la portait en terre. Il ren-contre l'escorte sur le chemin de Saint-Denis. Sa colre met en fuite pr-tres et archers, et le cercueil reste en son pouvoir. Donnez-moi, dit-il sa suite, donnez-moi mon couteau d'or fin, que je dcouse ce drap de lin ! Aussitt dlivre de son linceul, la belle revient la vie (ce qui ne secomprend gure dans cette version de Grard de Nerval).Son amant l'en-lve et l'emmne dans son chteau au fond des forts.

    Ici finit la chanson dans les versions connues. Cependant celle du Va-lois par adjonction d'une autre chanson probablement phnomnefort commun en littrature populaire celle du Valois se continue.

    Une fois plong dans les douceurs de la vie conjugale, le beau Lau-trec n'est plus qu'un mari vulgaire ; il pass tout son temps pcher aubord du lac, si bien qu'un jour sa fire pouse vient doucement derrirelui, et le pousse rsolument dans l'eau noire, en lui criant :

    Va-t'en vilain pche-poissons, Quand ils seront bons, Nous en mangerons !

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    Propos mystrieux digne d'Arcabonne ou de Mlusine! En expirant, le pauvre chtelain a la force de dtacher ses clefs de sa

    ceinture et de les jeter la fille du roi, en lui disant qu'elle est dsormaismatresse et souveraine, et qu'il se trouve heureux de mourir par sa vo-lont !... Il y a dans cette conclusion bizarre quelque chose qui frappe in-volontairement l'esprit, et qui laisse douter si le pote a voulu finir par untrait de satire, ou si cette belle morte que Lautrec a tire du cercueiln'est pas une sorte de femme-vampire, comme les lgendes nous en pr-sentent souvent.

    Nous prfrons la fin de la version de Rolland :

    Sonnez, trompettes et violons, La fille aura le beau Lon !

    Fillettes qu'ont envie d'aimer, Pres et mres ne peuvent empcher!

    Du reste, comme le fait remarquer l'auteur des Filles du Feu, les va-riantes et les interpolations sont frquentes dans ces chansons.

    On a recueilli comme une lgende du Bourbonnais, La jeune fille dela Garde, qui commence ainsi :

    Au chteau de la Garde, Il y a trois belles filles; Il y en aune plus belle que le jour. Hte-toi, capitaine, Le duc val'pouser !

    C'est celle qui commence ainsi: Dessous le rosier blanc, La belle se promne. Voil le dbut simple et charmant ; o cela se passe-t-il ? Peu im-

    porte ! Ce serait, si l'on voulait, la fille d'un sultan rvant sous les bos-quets de Schiraz. Trois cavaliers passent au clair de la lune : Montez,dit le plus jeune, sur mon beau cheval gris. N'est-ce pas l la course deLonore, et n'y a-t-il pas une attraction fatale dans ces cavaliers incon-nus ? Ils arrivent la ville, s'arrtent une htellerie claire etbruyante. La pauvre fille tremble de tout son corps.

    Aussitt arrive, L'htesse la regarde. tes-vous ici parforce, Ou pour votre plaisir? Au jardin de mon pre Troiscavaliers m'ont pris.

    Sur ce propos, le souper se prpare: Soupez, la belle, et soyez heu-reuse ;

    Avec trois capitaines, Vous passerez la nuit. Mais le souper fini, La belle tomba morteElle tomba morte.

    Pour ne plus revenir I

    Hlas ! ma mie est morte ! s'cria le plus jeune cavalier: qu'en al-lons-nous faire?... Et ils convinrent de la reporter au chteau de sonpre, sous le rosier blanc.

    Et au bout de trois jours, La belle ressuscite :

    Ouvrez,ouvrez, mon pre, Ouvrez sans plus tarder ! Trois jours j'ai faitla morte, Pour mon honneur garder.

    Grard de Nerval parle d'une chanson relative la fille d'un ptissier

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    que son pre envoie porter des gteaux chez un galant chtelain. Elletait jolie, la fille, car le chtelain la retient jusqu' la nuit close, et neveut plus la laisser partir. Elle feint de cder, et demande au comte un

    poignard pour couper une agrafe de son corset. Elle se perce le coeur, etles ptissiers instituent une fte pour fter cette martyre boutiquire.

    Voici maintenant les chansons de Causes clbres, les complaintes quel'on chante aux foires et aux marchs, sur l'air de Fualds, la plupart du

    temps. L'intrt est moins romanesque, mais plein de terreur et d'nergie.Un homme revient de la chasse et rpond un autre qui l'interroge :

    J'ai tant tu de petits lapins blancs, Que mes souliers sont pleinsde sang! T'en as menti, faux tratre! Je te ferai connatre ; Je vois les ples couleurs, Que tu viens de tuer ma soeur !

    Ces lignes sont peine des vers.Voici aussi un dserteur qui rencontre la marchausse. On lui a demand : O est votre cong? Le cong que j'ai

    pris, Il est sous mes souliers.

    Il y a toujours une amante plore mle ces tristes rcits : La belle s'en va trouver son capitaine, Son colonel et aussi son

    sergent...

    Le refrain est une mauvaise phrase latine, sur un ton de plain-chant,qui prdit suffisamment le sort du malheureux soldat.

    La chanson de Biron est bien connue :

    Quand Biron voulut danser, Quand Biron voulut danser, Ses souliers fit apporter, Ses souliers fit apporter ; Sa chemise De Venise, Son pour point, Fait au joint, Son chapeau, Tout rond ; Vous danserez Biron !

    Celle-ci galement :

    La belle tait assise, Prs du ruisseau coulant, Et dans l'eauqui frtille, Baignait ses beaux pieds blancs.

    C'est une jeune fille des champs qu'un seigneur surprend au baincomme Percival surprit Griselidis. Un enfant sera le rsultat de leur ren-contre. Le seigneur dit :

    En ferons-nous un prtre, Ou bien un prsident ?

    Non, rpond la belle, ce ne sera qu'un prsident :

    On lui mettra la hotte, Et trois oignons dedans... Il s'enira criant : Qui veut mes oignons blancs ?... Allons, ma mie,lgrement !...

    Pour finir, nous donnerons ces quelques rflexions de Grard de Nervalqui cadrent parfaitement avec les ntres :

    Nous nous arrtons dans ces citations si incompltes, si difficiles

  • LA TRADITION 41

    faire comprendre sans la musique et sans la posie des lieux et des ha-sards, qui font que tel ou tel de ces chants populaires se grave ineffaa-blement dans l'esprit. Ici ce sont des compagnons qui passent avec leurslongs btons orns de rubans; l des mariniers qui descendent un fleuve;des buveurs d'autrefois (ceux d'aujourd'hui ne chantent plus gure), deslavandires, des faneuses, qui jettent au vent quelques lambeaux deschants de leurs aeules. Malheureusement on les entend rpter plussouvent aujourd'hui les romances la mode, platement spirituelles, oumme franchement incolores, varies sur trois ou quatre thmes ternels.Il serait dsirer que de bons potes modernes missent profit l'inspi-ration nave de nos pres, et nous rendissent, comme l'ont fait les potesd'autres pays, une foule de petits chefs-d'oeuvre qui se perdent de jouren jour avec la mmoire et la vie des bonnes gens du temps pass.

    HENRY CARNOY.

    LES ANCIENS CONTEURSIV

    EMPRUNTS FAITS PAR LA FONTAINE AUX CONTES DE BOCCACE.

    On sait que La Fontaine a pris le sujet de ses Contes dans les novelli-ristes qui l'ont prcd.C'est surtout dans le Dcamron de Boccace qu'il ale plus puis.

    Il semble qu'aucune des deux histoires qui composent la premire jour-ne du Dcamron de Boccace n'ait t imite par la Fontaine, ni par aucunde nos conteurs en vers. Il tait, du reste, difficile de le faire sans intro-duire d'altration dans le texte du grand novelliriste italien. Les d'euxpremires nouvelles du Dcamron ont souffert plusieurs corrections im-poses par le concile de Trente. Ces contes sont ceux de L'Hypocrite Cap-pellet et du Juif qui va Rome. La troisime nouvelle (Les trois anneaux)a t accepte facilement, ce conte tant mis dans la bouche d'un Juif. Laquatrime nouvelle est plaisante et gaillarde. Il est tonnant qu'on ne s'ensoit point encore empar, notre connaissance du moins. Les six der-niers contes ne sont que des traits et des bons mots, un peu la faondu Pogge, mais suivant la remarque du crititique anonyme de la Biblio-thque des Romans ces petits contes auroient du sel,s'ils taient bien tour-ns en notre langue.

    La deuxime journe a fourni La Fontaine trois de ses meilleurscontes : L'Oraison de Saint-Julien (IIe nouv.), La Fiance du roi de Garbe(VIIe nouv.) ; Le Calendrier des vieillards (Xe nouv.) La troisime nouvelleest trs agrable ; la quatrime, intressante ; la cinquime, singulire ;la sixime est touchante, et a paru aux Italiens susceptible d'tre mise surle thtre, bien qu'il nous semble difficile de l'accommoder au thtrefranais. La huitime et la neuvime nouvelle sont galement curieuses.A la vrit, il y a dans ces nouvelles, un certain ton tragique qui aura

  • 42 LA TRADITION

    d les faire rejeter par nos conteurs badins. La troisime journe est celleo La Fontaine a puis le plus heureusement et le plus abondamment. Ily a trouv nombre de contes gaillards : Mazet de Lemporechio. Le Muletier,Richard Minutelo, Fronde ou le Purgatoire, Les Oies de Frre Philippe, LeMagnifique, et Le Diable en Enfer. Il n'y reste donc que trois contes dontLa Fontaine ne soit point servi ; mais Molire s'tait empar de l'un (letroisime) et il en avait tir parti pour crire les plus belles scnes deL'Ecole des Maris et de L'Ecole des Femmes. La quatrime nouvelle (FrreFlix de St-Brancace et Pucio) est trs curieuse ; La Fontaine n'a pas eu letemps, probablement, d'en profiter. Il reste encore deux nouvelles danscette journe: Tdalde Elisi et Gillette de Narbonne. Cette dernire nou-velle a t, il y a trois ou quatre ans, mise au thtre, Paris. Si l'oncompte bien ces nouvelles, on en trouvera onze, au lieu de dix. Cela tientaux ditions diffrentes de Boccace.Dans certaines, les Oies du Frre Philippesont remplaces par Le Magnifique.

    La quatrime journe renferme peu d'histoires plaisantes, telles dumoins que les entendait La Fontaine. Ces nouvelles sont surtout tragi-ques. Nous citerons Tancrde, prince de Salerne, lu belle Sigismonde, sa filleet Guiscard amant de Sigismonde. Ce conte a servi de thme plusieurspomes et de nombreuses tragdies crites en diffrentes langues : on ytrouve une princesse qui meurt en dvorant le coeur de son amant queson pre lui prsente dans une coupe.

    La troisime nouvelle est celle des Amours et aventures de trois soeurs ;la cinquime, l'Histoire d'Elisabeth , la sixime, la septime et la huitime,sont galement intressantes ; enfin, la neuvime est des plus tragiques,et l'on y retrouve encore un coeur dvor. Seulement, cette fois, c'est unmari jaloux qui prsente la femme le coeur de son amant. Celte nou-velle est la mme que celle de la lgende bien connue du Sire Raoul deCoucy et de Gabrielle de Vergi.

    La cinquime journe a fourni La Fontaine les contes du Rossignol etdu Faucon. Les plus intressantes nouvelles sont notre avis, la premire,la seconde, la sixime et surtout la huitime.

    La sixime journe n'est plus dans la note des prcdentes. Nous n'yrencontrons gure que des bons mots et des traits d'esprit.

    La septime journe a fourni La Fontaine les contes du Cuvier, duMari cocu, battu et content, du Poirier seconde partie de la Gageure destrois compres. Molire a pris dans la quatrime nouvelle une des plusjolies scnes de Perrin-Dandin et Daucourt le fond de deux de ses corn-dies, Le Tuteur et La Parisienne. Parmi les nouvelles auxquels on n'a pointfait d'emprunts en France, on peut remarquer la premire et la troisimequi sont assez jolies. La dernire nouvelle a t presque entirement re-fondue par le Concile de Trente.

    La Fontaine a pris dans la huitime journe le conte A femme avare,galant escroc. Il et pu trouver d'autres rcits intressants dans cettejourne.

  • LA TRADITION 43

    Dans la neuvime, le grand conteur a pris les thmes du Psautier, du

    Berceau et de la Jument du compre Pierre. Les autres nouvelles sont m-diocres.

    Enfin, la dernire journe n'a rien fourni La Fontaine. Les histoiresde cette srie sont tristes et touchantes.

    Les trois dernires sont les plus jolies. Celle de Titus et Egsippe a tcrite part, et a fourni matire un pome latin, et plusieurs picesde thtre. La dernire, Grislidis, marquise de Saluces, a t mise surtous les thtres et traduite dans toutes les langues.

    H. C.

    TUDE SUR LE DRAC DU RHONEIII

    Non loin des lieux o a cours la lgende de l'Ondin de la Sale, il y aune autre rivire qu'on appelle l'Elster, et qui elle aussi a son ondinun peu diffrent du prcdent, comme on va le voir.

    L'Ondin de l'Elster. Il y avait dans les environs de Leipsick un On-din qui vivait dans l'Elster, et qu'on voyait quelquefois venir dans lesvillages riverains. Un jour, cet Ondin rencontra une servante qui taitmcontente de la modicit de ses gages, et lui offrit de la prendre sonservice.

    L'imprudente accepta et le suivit au fond de la rivire ; mais l elle futsoumise une gne extrmement pnible ; en effet, lorsqu'elle voulutprendre du sel pour assaisonner les aliments qu'elle avait prparer,elle n'en trouva pas.

    Elle alla en demander son nouveau matre qui lui rpondit qu'elle et s'en passer ; de sorte que la pauvre servante fut condamne pendantlongtemps tout faire cuire sans sel. Elle trouvait perptuellement les ali-ments insipides; et Dieu sait tout ce qu'elle souffrit ainsi jusqu'au jouro son engagement tant termin, elle put reconqurir sa libert et quit-ter ce service si dsagrable pour revenir chez les gens qui assaisonnentleur nourriture avec du sel.

    Aussi, dsormais, elle ne se plaignit plus de la modicit de ses gages,et ne chercha pas gagner davantage que ses compagnes en allantservir des matres qu'elle ne connaissait pas.

    Ces deux contes ont une parent vidente avec celui du Drac du basRhne. En effet, l'Ondin de la Sale tait un tre malfaisant, on l'a vu,qui avait certainement l'habitude de manger ou du moins de tuer lesmalheureux qui tombaient en son pouvoir, puisque aprs avoir reu unservice si grand de l'accoucheuse, qui avait dlivr sa femme, il cherchait lui nuire.

    Le lecteur a t frapp assurment de l'intervention de la sbille pleinede pices d'or qui joue dans ce conte le rle de tentateur, pour mener lavictime mal. Cette sbille ressemble trangement celle que le Drac

  • 44 LA TRADITION

    faisait flotter sur le Rhne pour attirer les imprudents, par l'attrait de la

    cupidit.Dans les deux contes, la femme du Drac a un meilleur coeur que celui

    de son mari ; elle obit un sentiment de sympathie reconnaissante pourla femme qui lui a rendu service, et elle lui sauve la vie, c'est--dire lui

    permet de revenir sur terre, tandis que le Drac malfaisant cherchait dansla Sale nuire l'accoucheuse, et parvenait dans les rues d'Arles, cre-ver l'oeil de la nourrice assez mal inspire pour lui parler aprs sa dli-vrance.

    Quant au conte de l'Ondin de l'Elster, c'est bien videmment une att-nuation de l'ide primitive qui a perdu, dirait on, de son importance etde la gravit des consquences auxquelles les victimes taient exposes,puisque l'imprudente domestique qui coute les propositions de l'tremalfaisant, par pure cupidit, n'est condamne qu' manger des alimentsprivs de sel.

    Qu'on me laisse arrter un moment la pense du lecteur sur ce fait : quedans les superstitions chrtiennes le sel est la chose sacre, bnie. La pri-vation du sel tait, dans l'esprit des populations crdules, l'indice de lapuissance de l'esprit malfaisant, tandis, au contraire, que le sel qui entredans la confection de l'eau bnite, de mme que le signe de la croix, laprire, l'invocation du nom de Dieu ou d'un saint, sont des moyens as-surs d'chapper aux embches de cet esprit malfaisant.

    IV

    Chose extraordinaire, comme on va le voir, la croyance aux Ondins setrouve dans un pays bien loign et dont les habitants n'ont gure derapports soit sociaux, soit ethniques avec ceux de l'Europe. La lgendede Penda Balou, que j'ai rapporte en parlant des croyances au surnatu-rel et des superstitions des peuplades sngalaises, ne saurait, en effet,tre considre comme trangre l'ide des Ondins, car elle en est vi-demment une variante peu loigne, d'ailleurs.

    Lgende de Penda Balou. Prs du village de Balou se trouvent,sur le cours de la Falem, assez prs de l'endroit o cette rivire se jettedans le Sngal, des roches qui forment des rapides pendant la saisonsche, et que l'eau de la rivire couvre presque compltement au momentde l'hivernage.

    Ces rochers noirs et arrondis constituent, certaines poques de l'an-ne, un vritable danger nautique pour les pcheurs dont les barquespeuvent tre brises ou endommages par un choc imprvu ; aussi ont-ilsleur lgende qui ne manque pas d'une certaine posie, comme on va levoir.

    Le village de Balou tait, dans les temps, gouvern par un homme debien qui n'avait que le dfaut d'tre faible, et de laisser commander safemme et sa fille plus qu'il ne fallait.

    Par le fait de cette faiblesse, sa femme avait pris une influence consi-

  • LA TRADITION 45

    drable sur la marche des affaires du pays; et sa fille, la jeune Penda, ad-mirable crature, plus belle que toutes les ngresses des environs plusde dix journes de marche, tait capricieuse, sans trouver jamais, soitchez son pre, soit chez sa mre, un obstacle srieux ses volonts..

    Grce cette indpendance de caractre, Penda, qui tait une beautaccomplie, avons nous dit, qui tait la seule descendante du chef, et qui,par consquent, devait confrer son mari une haute position ds lespremiers jours du mariage, et mme le commandement du village lamort de ses parents, Penda, dis-je, sachant que tous, autour d'elle avaientgrand dsir de lui voir choisir un poux, s'obstinait rester fille. C'est envain que tous les jeunes hommes de Balou lui avaient fait des avances,elle les avait ddaigns tous, sans exception,

    Nombre de jeunes gens des environs, beaux, bien faits, guerriers re-nomms, fils de rois puissants, s'taient pris d'elle, aucun n'avait ob-tenu de rponse satisfaisante ; la fire jeune fille conduisait d'un mot oud'un regard les plus langoureux prtendants.

    Penda jouissait d'une grande libert dans sa maison, elle allait seuleou avec quelques jeunes amies se promener sur les bords du fleuve, sebaigner en eau profonde ; elle faisait, en un mot, ce qu'elle voulait sanscontrle.

    Un observateur et pu remarquer que si, le matin, elle aimait joueravec ses compagnes, quand le soleil baissait, elle se dirigeait volontiersseule du ct de la Falem.

    Les pcheurs la voyaient souvent assise au moment de la nuit tom-bante, sur les rochers dont nous avons parl ; et bien que plus d'un luiavait dit en passant: Penda! prends garde Golok-Salah! l'entte jeunefille s'obstinait rester ainsi jusqu' une heure avance de la nuit, re-gardant couler l'eau dans cet endroit o les gnies se montrent quelque-fois et o les mortels n'ont rien de bon gagner.

    Que faisait Penda pendant ces longues heures, assise sur les roches deBalou ? Elle coutait les paroles d'amour d'un admirable jeune hommequi venait tous les soirs, invisible pour les autres, se mettre ses ge-noux, et lui parler de ses beaux yeux, de son esprit charmant, en un motde tout ce dont les amoureux parlent.

    Les choses duraient ainsi depuis longtemps, lorsque la mre de Pendaprit un jour sa fille part et lui dit : Ton pre se fait vieux, il faut unchef plus jeune au village; par consquent, il serait ncessaire de fairesans retard un choix, parmi les nombreux jeunes gens qui recherchentta main.

    La jeune fille essaya, d'abord, de se dgager par des rponses alatoires,mais sa mre insistant, elle s'mut peu peu et finit-par avouer enfinque son choix tait fait.

    Seulement, au lieu d'un jeune guerrier du pays ou des environs, il s'a-gissait d'un admirable prince plus beau, plus galant, plus noble que per-sonne. Penda lui avait donn son coeur sans savoir son nom, sans con-natre sa famille, et elle lui avait promis de le suivre dans ses tats loin-tains , renonant ainsi de la manire la plus lgre ces projets lgiti-mement caresss par sa famille, par le village entier, de lui voir pouserun homme qui viendrait prendre la succession du roi de Balou.

  • 46 LA TRADITION

    On juge du dsespoir de la mre, de ses supplications, de ses colres ;elle voulut reprendre, tout d'un coup, une autorit qu'elle avait laisschapper, et signifia sa fille que ds le lendemain elle serait fiance unjeune homme qu'elle lui dsigna, et qui devait assurment, faire un mariaccompli.

    La nuit venue, Penda dsole court aux roches et y trouve son adora-teur ordinaire ; elle lui raconte tout. Les deux amants sont aux abois ; lesprojets les plus insenss sont discuts et enfin la pauvre Penda, dans sacandeur de pure jeune fille, accepte de suivre son beau jeune homme etd'abandonner ainsi pays, famille, amis, tout enfin, ne craignant pas dedsobir aux ordres les plus sacrs.

    Elle se jette l'eau pour traverser la rivire, car les prtendus tats dusducteur taient de l'autre ct de la Falem. Mais peine a-t-elle faitainsi le premier pas dans la voie de la dsobissance et de la faute qu'elleest saisie, sans pouvoir opposer de rsistance, entrane au fond de l'eauet conduite dans un palais sous-marin merveilleux de beaut et de gran-deur.

    Pleine d'effroi, elle se sent mourir, mais elle est admirablement ac-cueillie par des captives sans nombre, des serviteurs empresss qui ex-cutent ses moindres volonts, qui lui obissent comme une souve-raine.

    A peine revenue de sa surprise, elle entend la voix de son amoureuxqui lui dit : Ma Penda adore! j'accours prs de toi; tu vas tre mafemme et nous vivrons ternellement ensemble d'un bonheur sans m-lange.

    Elle se retourne pour se jeter dans ses bras. Mais horreur! au lieu dubeau et admirable jeune homme qu'elle tait habitue voir, elle aper-oit un pouvantable caman, aux yeux glauques, la gueule dgo-tante, au dos cailleux, aux pattes crochues, la queue monstrueuse, etau ventre vert,

    On devine facilement l'effroi, la rpulsion, les regrets de la pauvre en-fant; elle avait imprudemment cout les suggestions de Golok-Salah, legnie redout qui s'tait couvert des apparences d'un beau jeune hommepour la faire succomber, mais qui reprenait sa forme hideuse de caman,une fois rentr dans ses tats.

    Penda, plus morte que vive, rsiste l'horrible animal de toutes sesforces, et, prs de succomber, implore le gnie protecteur de sa famille,lui demandant la mort plutt que le dshonneur.

    Ce gnie, qui avait une puissance assez grande pour lutter armesgales contre Golok-Salab, mais qui pourtant n'tait pas assez fort pourl'emporter sans peine, prit acte de la facilit que lui donnait le dsir demourir exprim par la jeune fille, et la transforma en une grosse pierrenoire, la prservant ainsi des atteintes de son monstrueux amoureux.

    C'est donc le corps de Penda que l'on voit aux basses eaux.Toutes les nuits, Golok-Salah vient la supplier de reprendre sa forme

    primitive, pour satisfaire son amour. Et ces bruits sinistres que l'on en-tend parfois dans les environs sont les supplications, les prires, les co-lres de Golok-Salah, les cris d'effroi et de rsistance de Penda.

    Malheur celui qui s'attarde dans les environs, il court grand risquede payer son imprudence de sa vie. Plus d'une fois la colre de Golok-Sa

  • LA TRADITION 47

    lah a bris une pirogue qui avait eu la hardiesse de passer trop prs ducorps de sa bien-aime ptrifie.

    Je n'ai pas besoin, je pense, d'insister trs longuement pour entraner;le lecteur penser comme moi. Golok-Salah n'est ni plus ni moinsqu'un Ondin malfaisant ayant abus de la crdulit et de l'amour d'unepauvre jeune fille, qui a perdu la vie, dans l'aventure, pour ne pas perdrequelque chose de plus prcieux : l'honneur.

    Notons aussi l'intervention d'une puissance surnaturelle, qui est ici legnie protecteur de la famille de Penda, et qui dans notre socit euro-penne est reprsent par la fe marraine de celui ou de celle que l'On-din cherche tromper.

    Je dois ajouter que celte lgende s'loigne tellement de la tournured'esprit des ngres, ce fait, par exemple, de prfrer la mort l'igno-minie pour une femme, est absolument tranger aux penses des n-gresses s'loigne, dis-je, tellement de la tournure d'esprit des ngres,que, pour moi, c'est une preuve premptoire qu'on peut invoquer avecassurance en faveur de l'extranit du conte qui a cours chez les habi-tants de la haute Falem.

    Nous sommes assurment l en prsence d'un produit d'importationcolport par des Griots qui l'avaient puis au loin. Bien plus, je croisqu'il n'a acquis droit de cit dans le pays, qu' cause des dtails drama-tiques qu'il contient, par ailleurs, sans que la question de la vertu de lapauvre Penda ait servi son implantation.

    BRENGER-FRAUD.(A suivre).

    LEGENDES BOURGUIGNONNESI

    DORS-TU VIRVILLE ?

    La maison des Soeurs, Gmeaux, qui tait autrefois une sorte defief, est reste clbre par la lgendaire existence de l'un de ses pro-pritaires M. de Virville.

    Voici ce qu'on en raconte dans ce beau village des environs deDijon :

    La jeunesse de M. de Virville s'tait passe sous les drapeaux. Ilfut brave soldat et vaillant capitaine dans les grandes armes de laRpublique et de l'Empire. Mis la retraite aprs Waterloo, il taitvenu se fixer Gmeaux. Son lieu de naissance ? sa vie prive? on les ignorait. Le jour, il ne se montrait non plus que chat-huant ;la nuit, il tait toujours sur pied.

    Quand tout le village reposait, les voisins du capitaine taientsoudain rveills par une voix caverneuse, terrible Dors-tu,

  • 48 LA TRADITION

    Virville? Tarderas-tu toujours ? Et l'cho rptait ce toujours ! avec des vibrations tranges, et les vitres des croises en frisson-naient.

    La voix tait celle d'un homme cheval, prcde d'un galopformidable et suivie de hennissements terrifiants.

    Quand Virville avait rpondu Gnral, vos ordres ! laporte-cochre roulait sur ses gonds et les deux cavaliers partaienttantt dans une direction, tantt dans une autre.

    Ils allaient... allaient... emports dans une course vertigineuse,volant avec la rapidit de l'clair sur leurs coursiers aux jarretsd'acier et aux sabots d'airain. C'tait un tourbillon noir qui bienttdisparaissait l'horizon comme une fume lgre.

    Impossible de suivre la piste de Virville et de son mystrieuxcompagnon. Quelquefois cependant, en entrebaillant prestement laporte ou la fentre, les plus hardis avaient vu les deux cavalierspasser dans la rue comme un ouragan, mais sans distinguer autrechose que deux grands manteaux noirs qui recouvraient hommes etchevaux des pieds la tte.

    Chose plus surprenante encore ! on avait souvent vu, entre onzeheures et minuit, devant la croix des Halles, un cavalier immobile,la tte incline sur le cou d'un superbe cheval noir, le corps perdudans les larges plis de son manteau. C'tait videmment le visiteurde M. de Virville. Mais pourquoi cette halte et ce profond silencedevant une croix ?

    On se le demanda pendant bien des annes. A la fin, on crut avoirpntr ce secret.

    Ces mystrieux cavaliers allaient sur les champs de bataille loin-tains o leurs compagnons d'armes taient tombs. Et l, les appe-lant tour tour par leurs noms, ils les voyaient se lever de leurstombes les uns aprs les autres, les gnraux et les capitaines, cheval, casque en tte et sabre en main.

    Aprs les chefs, se levaient, eux aussi, les soldats ! Et tous se ran-geaient leur place de bataille, et alors se formaient les noirs ba-taillons hrisss de baonnettes, et alors s'alignaient, frmissants,les sombres escadrons.

    Puis, une voix surhumaine criait, formidable En avant! ....Et ce signal, perdment, escadrons et bataillons chargeaient unennemi invisible dans la profondeur des nuits.

    On n'entendait plus, au loin, que le bruit des sabots des chevaux,le froissement des sabres et le frmissement des baonnettes.

    Et quand le soleil se levait, rouge, sur la plaine humide, chaquegoutte de rose qui scintillait la pointe de l'herbe verte tait unegoutte de sang !

    Voil ce qu'on racontait Gmeaux sur les courses nocturnes deM. de Virville et de son compagnon. Quant au cheval de bronze et

  • LA TRADITION 49

    d'acier qui se trouvait toujours heure dite pour servir de monture M. de Virville, il fut vu un soir par Jules Bonnot, un esprit fort

    qui ne craignait ni dieu ni diable.On savait que chaque nuit d'expdition, cette bte surnaturelle

    montait Gemelos et se rendait l'heure voulue la porte de sonmatre.

    Jules Bonnot se posta au bon endroit et attendit.Il n'attendit pas longtemps. Le cheval arriva sur la colline, d-

    coupant ses belles formes de coursier enchant sur le ciel plein d'-toiles. Il se prparait descendre dans le village, quand, aperce-vant Jules Bonnot, il poussa un hennissement de colre, et l'impru-dent curieux, tremblant de tous ses membres, vit aussitt le chevalgrandir... grandir.... dmesurment au point de devenir plus grosqu'un lphant.

    Sans doute il grossit encore davantage, mais notre homme n'etpas le temps d'en voir plus, car la frayeur ayant fini par lui glacerle sang, il tomba la face contre terre et s'vanouit tout net.

    C'est dans cette posture que Jean Desprunes et sa femme La Jehan-notte, le trouvrent le lendemain matin en allant sarcler leur champd'avoine.

    Enfin, une nuit, la voix du cavalier tranger retentit encore de-vant la porte de M. de Virville.

    M. de Virville n'y rpondit pas. Il dormait cette fois son derniersommeil.

    La nuit qui prcda ses funrailles, une longue file de chevaliersnoirs, aux formes fantastiques, passa prs des Halles, chacun d'euxinclinant profondment la tte devant la vieille croix.

    L'me de M. de Virville vint prendre place parmi eux sous laforme d'un chevalier tout bard de fer la cuirasse tincelante... etla troupe disparut (1).

    (Lgende recueillie Gmeaux (Cte-d'Or).CHARLES RMOND.

    (1)M. de Virville a vcu longtemps Gmeaux. Il tait affili unefranc-maonnerie militaire, comme il y en eut tant sous la Restauration.Ses courses nocturnes taient frquentes par cette raison mme. De lla lgende Dors-tu Virville ? qui est une des plus rcentes de laBourgogne et qui, comme presque toutes les lgendes, a un fondhistorique.

  • 50 LA TRADITION

    GDON DE TOURNEMINECONTE DU BOCAGE NORMAND

    Gdon de Tournemine, seigneur de la Brousse Champ duBoult, tait le fils d'un roturier qui avait achet un vieux pigeon-nier dont il avait pris le nom. Gdon de Tournemine s'estimaitquand mme le pair et le compagnon des conqurants d'Hastingsou de St-Jean-d'Acre ; aussi le seul mot d'galit prononc devantlui par un membre quelconque de la bourgeoisie avait-il le don del'exasprer. Le cur de Champ du Boult qui connaissait ce ctvulnrable, se plaisait provoquer la colre du puissant seigneurGdon de Tournemine ; mais celui-ci ne lui gardait pas rancuneplus de deux ou trois jours.

    Un soir Gdon de Tournemine arriva au presbytre, porteurd'un norme diurnal. Il se jeta plutt qu'il ne s'assit clans un fau-teuil, et interpellant le cur d'un ton furieux, lui dit :

    Il est inou de voir notre Saint-Pre le Pape tolrer de pareilsagissements! Je lui crirai ce sujet; car, en vrit, il est cho-quant pour des gens comme moi d'tre tmoins de pareillesinfamies !

    Le cur de Champ du Boult laissa passer l'accs de colre duseigneur de Tournemine dont la perruque s'en allait de travers ;puis, il lui demanda de quoi il s'agissait :

    Morbleu, rpondit Gdon, n'est-ce pas une honte pour moid'entendre tous les dimanches nommer mon jardinier dans la pr-face de la messe ?

    Votre jardinier, dit le cur ; je ne comprends pas ! Oui, Salutare, mon jardinier dont vous citez le nom chaque

    dimanche ! Et, ouvrant d'un geste furibond, son gros diurnal, Gdon de

    Tournemine fit voir au cur le mot Salutare clans une srie deprfaces.

    Le cur, d'abord stupfait, eut le temps de se remettre et il son-gea tirer parti de celte situation. Il prit donc son ton le plusonctueux pour rpondre son interlocuteur :

    Mon digne seigneur, je dois vous apprendre que les anctresde Salutare furent de riches et puissants barons. Au temps de leursplendeur, ils firent de nombreuses donations la cure, et mesprdcesseurs reconnaissants placrent leur nom dans toutes lesprfaces. Aujourd'hui, leur descendant ruin, est jardinier chezvous ; mais le noble nom qu'il porte figurera quand mme clansles prfaces jusqu' la consommation des sicles !

    Puisque Salutare n'est point un nom de vilain, il faut le

  • LA TRADITION 51

    maintenir dans la prface. Et moi aussi, je ferai une donation lacure afin que le noble nom de Tournemine se trouve galementdans la prface !

    Je suis votre disposition, mon seigneur, il suffira que ladonation soit en bonne et due forme !

    Seulement, comme je suis plus riche que le pauvre Salutare,je dsire que mon nom soit plac avant le sien !

    Cela dpendra de l'importance de votre don; il faut qu'il soitsuprieur celui de la famille Salutare. Donnez, par exemple, lavigne de dix arpents et le pr de quarante arpents qui jotent lejardin de la cure !

    Accord ! reprit Gdon de Tournemine, qui s'en alla sa-tisfait.

    Deux jours aprs, le tabellion royal de St-Sever avait minutet grossoy l'acte de cession de la vigne et du pr la cure deChamp du Boult.

    Vint le dimanche, Gdon de Tournemine trnait dans le bancseigneurial, jouissant d'avance de sa vanit satisfaite.

    La messe commena, Gdon, impatient, attendait la prfac.Il arriva enfin ce moment dsir qui devait placer au pinacle leseigneur de la Brousse.

    En effet, le cur de Champ du Boult chanta de sa plus bellevoix :

    Vere dignum et justum est, etc.. C'est le noble seigneur deTournemine, seigneur de la Brousse, qui a donn, par acte authen-thique, son pr et sa vigne la cure de Champ du Boult, pour treplac dans la prface de la messe avant. Salutare, son jardinier,Est-il idiot ?.. .

    En entendant ces paroles, Gdon de Tournemine prouva untel saisissement qu'il s'affaissa en poussant un cri. Quand on lereleva, il tait mort. Dieu fit paix ce pauvre d'esprit (1).

    VICTOR BRUNET.

    (1) Bon nombre de contes populaires circulent Champ du Boult et dansles commuues voisines sur Gdon de Tournemine, mort vers 1760. On ra-contenotamment qu'un dimanche, le cur de la paroisse parla ainsi de cevieux seigneur, au prne de la messe: Nous recommanderons, mesfrres, vos prires, Notre Saint-Pre le Pape, notre voque et tous les bienfaiteursde cette glise ; nous demanderons surtout Notre-Seigneur de maintenirM. de Tournemine dans sa mdiocrit, car, si par malheur, il devenaitriche, il ne vaudrait pas le Diable !

  • 52 LA TRADITION

    LGENDES DE L'ASIE MINEUREI

    JSUS ET LE SORCIER

    Jsus passant dans une ville, s'arrta devant la maison de l'undes habitants.

    Entre dans ma demeure, dit l'homme. Et Jsus entra dans la maison pour s'y reposer.L'homme prit toutes sortes d'instruments cabalistiques et se

    mit mlanger des poudres et des liquides. Jsus s'tonna. Que fais-tu ? demanda-t-il. Ne le vois-tu point? Je m'oc-

    cupe de prparer des poudres pour l'art des enchantements et dessortilges. Tu fais des sorcelleries? Oui, dit l'homme. Ehbien ! que tu russisses toujours !

    C'est cause de cette parole de Jsus que la sorcellerie russiratoujours.

    II

    JSUS ET LE SEMEUR.

    Jsus-Christ accompagn de ses aptres, allait de Jrusalem Bethlem. Au bord de la route tait un semeur occup ensemen-cer son champ.

    Que fais-tu l, mon ami? demanda Jsus. Je sme despierres ! rpondit l'homme. Que ton champ te donne des pier-res ! dit Jsus.

    Et il continua sa route.Le laboureur attendait des pois pour la rcolte prochaine, mais

    le champ restait toujours nu et strile. A la fin, il se rappela dupassage de Jsus et il fouilla son champ ; il n'y trouva qu'une in-finit de petites pierres rondes de la forme d'un pois.

    Le champ devint un lieu de plerinage. Les chrtiens fouillrentla Terre des Pois de Pierre, et aujourd'hui c'est peine si de temps autre on dcouvre encore quelque caillou de Jsus.

    (D'aprs M. Thodore Thopdjou, d'Indg-Sou).III

    JSUS ET LES DEUX FIANCS

    Accompagn de ses disciples, Jsus passa par des champs fer-tiles. Sous un poirier, un jeune homme se tenait debout, la bou-

  • LA TRADITION 53

    che ouverte, tandis qu'autour de lui taient des poires mres tom-bes de l'arbre.

    Jsus se tourna vers ses disciples : Savez-vous, leur dit il, pourquoi cet homme se tient la

    bouche ouverte sous cet arbre charg de fruits? Non, matre,rpondirent-ils'. Ne voulant point se donner le travail de ramas-ser les fruits tombs, cet homme attend qu'une poire lui tombedans la bouche.

    Les aptres se mirent rire de la paresse du jeune homme etils continurent leur chemin.

    Un peu plus loin, Jsus s'arrta devant une jeune fille merveil-leusement belle occupe moissonner un champ. Cette enfanttait accable de fatigue, mais elle n'en continuait pas moins sontravail.

    Voyez-vous cette jeune fille? demanda Jsus. Oui, r-pondirent les disciples ; elle est excellemment laborieuse. Ehbien! elle est destine pouser le jeune homme qui se tient labouche ouverte sous le poirier. C'est grand dommage ! s'cri-rent les disciples.Pourquoi une jeune fille aussi laborieuse est-elledestine pareil paresseux ? C'est, dit Jsus, pour que cethomme puisse vivre. Comment saurait-il mener sa vie jusqu'aubout s'il ne possdait point une femme courageuse !

    De nos jours, pareil mariage ne saurait se faire. Aussi les unionssont-elles mal assorties.

    (Cont Indg-Sou, en 1886).JEAN NICOLADES.

    LA FTE DE LA TTE DE VEAULa ville de Vernon (Eure) clbre tous les ans, le jour de l'Ascension,

    une fte dite de la Tte de Veau, dont l'origine, pour parler en style con-sacr, se perd dans la nuit des temps. Ce jour-l, chaque habitant deVernon, pauvre ou riche, noble ou roturier, bourgeois ou manant, traitesesproches, ses ami, et doit, selon la tradition, avoir, n'et il que cela,une tte de veau sur sa table. Aussi, quoique les bouchers de Vernonfassent une vritable hcatombe de ces larmoyants ruminants, l'approvi-sionnement ferait-il dfaut si la plupart des consommateurs ne se pour-voyaient dans les localits voisines. Toutes les boucheries, plusieurslieues la ronde, sont mises en rquisition, et, tel est le besoin gnral,que n'importe le nombre, tout est retenu huit et mme quinze jours l'avance, et enlev avec une prestigieuse furia. On ne saurait se faire uneide de la quantit de vinaigrette et de petit bleu qui se dbitent ce jour-l dans la petite cit vernonnaise.

    Autrefois, pour mettre leur conscience en repos avant de se charger

  • 54 LA TRADITION

    l'estomac, les Vernonnais suivaient processionnellement le clerg par lesrues. Celui-ci consacrait ainsi la tte de veau ; puis, aprs le gueulton, ven-dez-vous sur la place d'Armes, o l'on dansait jusques la nuit, et quel-quefois jusques l'aurore, au milieu des ceintures dtaches, des chignonsarrachs et autres menus accidents de toilette. Terpsychore n'a pointperdu ses droits ; mais, hlas ! l'Eglise ne bnit plus la tte de veau. Les

    esprits forts me reprocheront peut-tre cet hlas ! Mais, que voulez-

    vous, lecteur ? Je suis dj un homme du temps pass.EMILE MAISON.

    LA CHANSON DE CARTOUCHE ET SON AUTEUROn lit ce qui suit dans une brochure intitule : Les Potes de Lille, qu'un

    de nos concitoyens, M. Henri Pajot, a publie en 1854 : Lamblin (Antoine-Joseph) dit Bois-sans-soif, cit dans le Bulletin du

    Bouquiniste (5e volume, page 84), est auteur d'une complainte sur Cartou-che de 110 couplets numrots, ayant pour titre : La vie mmorable et tra-gique du fameux Louis-Dominique Cartouche, excut Paris, le 28 novem-bre 1721, sur l'air de la Belle Judith. Elle se termine par cet avis : Cetteincomparable chanson, est vendue et distribue par Antoine-Joseph Lamblin,dit Bois-sans-soif, chanteur, plerin de Saint-Jacques et de St-Salvalor, deRome et de Lorette,. etc.,demeurant en la cour du Porchelez, au vieux March-aux-Moutons, derrire les Augustins. Ledit Lamblin possde un merveilleuxsecret pour gurir les dents gtes et non gtes en trois minutes.

    L'article de Ch. Ribault de Laugardire donne une trs bonne et trsexacte apprciation de celte complainte (Bull. du Bouquiniste).

    Ladite complainte, dont voici le premier couplet :

    Peuples de France et de Paris,Venez entendre de ma bouche,Les cruauts et perfidies,Commis's par moi, cruel Cartouche.Je ne crois pas sous le soleil,Qu'on pourrait trouver mon pareil,

    a t trs populaire dans la Flandre franaise.On l'a imprime Lille chezla veuve Pillot et chez Martin-Muiron. Cela rsulte de deux exemplairesqu'un de nos collectionneurs, M. Georges Humbert, a bien voulu nous com-muniquer. Nous devons faire remarquer, toutefois, que ni l'un ni l'autre neporte le nom de l'auteur, ni le curieux avis touchant la gurison en troisminutes des dents gtes ou non gtes qui accompagne les couplets.

    D'ailleurs, dans cet avis, Lamblin est signal comme chanteur de Lillevendant et distribuant la chanson, mais on ne le dit ni Lillois, ni l'auteurde cette fameuse production, et nous ne savons sur quels renseignements

  • LA TRADITION 55

    M. Pajot s'est appuy pour le faire figurer dans sa Galerie des potes deLille.

    C'est un point que nous serions heureux de pouvoir claircir.A. DESROUSSEAUX.

    LE MOULIN QUI MOUD DE L'AMOURIl n'est pas impossible, peut-tre, pour un pote, d'imiter l'inimitable

    chanson populaire, c'est--dire de s'approprier par l'tude cette potiqueparticulire laquelle obissent, sans en avoir conscience, les auteursanonymes des chansons.

    A opposer l'extrme recherche des Parnassiens et des Symbolistes,galement striles, o s'abolit la clart et le bon sens, on trouveraitdans la simplicit ncessaire la forme populaire plus d'un effetnouveau.

    On dira si celle tentative est originale ou seulement bizarre.Remarquons que tous les sujets peuvent tre traits en vers rythmiques

    et assonnancs. L'assonnance, avec ou sans refrain, supporte parfaite-ment le lyrisme ; j'essaierai de le prouver un jour. C'est d'ailleurs unethorie sur laquelle je me rserv de revenir tt ou tard plus au long.

    Cette chanson est imite d'un thme sudois.

    LE MOULIN QUI MOUD DE L'AMOUR

    Je connais un joli meunier,O violette,

    La violette double, double,La violette doublera.Je connais un joli meunier,Je l'ai choisi pour bien-aim,Je l'ai choisi pour bien-aim.

    S'il refuse ma blanche main,O violette,

    La violette double, double,La violette doublera.S'il refuse ma blanche mainJe me laisserai mourir de chagrin,Je me laisserai mourir de chagrin.

    Belle, ma belle, comptez sur mot,O violette

    La violette double, double,La violette doublera.

    Belle, ma belle, comptez sur moi,Je ne vous dlaisserai pas,Je ne vous dlaisserai pas.

    Voyez mon beau moulin, l-bas,O violette,

    La violette double, double,La violette doublera.

    Voyez mon beau moulin, l-bas,Qui tourne, tourne au gr de l'eau,Qui tourne, tourne au gr de l'eau.

    Belle, ma belle, nuit et jour,O violette,

    La violette double, double,La violette doublera.

    Belle, ma belle, nuit et jour,Mon beau moulin moud de l'amour,Mon beau moulin moud de l'amour.

    REMY DE GOURMONT.

  • 56 LA TRADITION

    DEUX CHANSONSDU BUGEYJ'ai fait une brune;

    Elle est bien pour fair' mon bonheur.Elle est trop jeune,C'est mon malheur.

    J'ai sur mon blanc visageUn petit certain don, je ne sais quoi;

    Les amants s'engagent,Quand ils me voient.

    Asseyons-nous table,Cher ami, cher voisin, cher cousin.

    Asseyons-nous table,Jusqu' demain.

    Buvons ma chopinette,Fumons ma pipe et mon tabac,

    Tenant ma matresseEntre mes bras.

    Je mne ma femme vendre,Je la donne pour cinq sous ;De cinq sous reviens quatre,Et de quatre rien du tout.

    J'en suis saoulDe ma femme,L'aurai-je toujours'?

    Je vous la donne l'preuve ;Attachez-la au verrou:

    Crainte que le verrou casse,Boutez-la dedans le four.

    J'en suis saoul, etc.

    Bouchez le four des pines,Mettez le feu l'entourlJe vais criant par la ville,Venez voir brler le loup.

    J'en suis saoulDe ma femme,L'aurai-je toujours ?

    Chansons chantes par Jean-Marie Suchet, dit Trois-Vieilles, sacristain deRossillon (Ain).

    GABRIEL VICAIRE.

    LA MARION SU ON POMMIPATOIS DE THNES, ARRONDISSEMENT D'ANNECY (HAUTE-SAVOIE)

    La Marion su on pommi,Qu se guinguinv,Qu s guinguinv de c,Qu s' guinguinv d l,Qu s guinguinv.

    T m'argut bin tan, bossu;T-ou que d' se si drla...

    T' bin brva, t' d' mon g,T sar ma mia...

    Lo Bossu vin pass,Qu la rgardv....

    M'arguta p tan, bossu ;D n' s p ta ma...

  • LA TRADITION 57P'tr la ma, bossu,Fan t' cop ta bossa...

    Quan la bossa fu cop,Lo bossu coinnv...

    Pleura dan p tan, bossu,On t' rndr ta bossa...

    Quan la bossa fu rndit,Lo bossu hantv.

    To l' mand' cm lo bossu ;Tt nian lu boss...

    AIM CONSTANTIN

    Traduction. I. La Marion tait sur un pommier, Laquelle se dandinaitavec affectation,

    Laquelle se dandinait de , de l etc.. II. Le bossuvint passer, Lequel la regardait... III. Tu me regardes bien tant,bossu; Est-ce que je suis si jolie?

    IV. Tu es bien jolie, tu es de mongot; Tu seras ma bonne amie... V. Ne me regarde pas tant, bossu ;Je ne suis pas ta bonne amie... VI. Pour tre ta bonne amie, Il fautte couper ta bosse... VII. Quand la bosse fut coupe, Le bossu criaitcomme un cochon qu'on tue... VIII. Ne pleure donc pas tant, bossu, On te rendra ta bosse !... IX. Quand la bosse fut rendue, Le bossuchantait... X. Tout le monde est comme le bossu ; Tous tiennent leur bosse.

    Remarquesphontiques. L' reprsente un son grle, intermdiaire entre l'emuet et l' ouvert. h, avec cdille sous le c se prononce comme le th duranglais. en se prononce comme en dans les mots latins meus, gentes...

    CHANSONDES MARIETTINISDans les fleurs peine closes,Dans les lilas et les roses,

    Nous ferons nos nids.

    Mariettinis !

    Des nids prs des sources vives,Pleins de promesses furtives

    Et de doux nennis.

    Mariettinis !

    Marions nous, ma petiteMariette, et que bien vite

    Nos maux soient finisMariettinis !

    Nous serons, comme en un rveQui plus jamais ne s'achve,

    Pour toujours unis.Mariettinis!

    Adieu les souffrances rudes,Les mornes inquitudes

    Dont je me plaignis.Mariettinis !

    O les heures de tendresse,Nuits d'une seule caresse,

    Et longs jours bnis !Mariettinis !

  • 58 LA TRADITION

    Confiances attendries,Petites coquetteries,

    Bonheurs infinis

    Mariettinis !

    Mariettinis, mariettinis,Mariettinis d'amour !

    VARIATION SUR UN AIR DE RONDE

    Comme j'tais dans mon jardinAu mois de la saison nouvelle,Cueillant des roses pour ma belle,Un rossignol vint sur ma main.

    Joyeux, lev de bon matin,Je cueillais des pivoines blanches,Des marguerites, des pervenches,Des roses et du romarin.

    Un rossignol vint sur ma mainIl s'y posa, battant de l'aile,

    Et, me racontant de ma belle,Il me dit trois mots en latin.

    De ce doux langage incertain

    Qu'il ne faut pas que je rpte.J'eus l'me en fleur, le coeur en fte,Car il m'en dit beaucoup de bien.

    JACQUES MADELEINE.

    BALLADE POUR LES PETITS GARONSAux barrires, aux champs de foire,O les familles font gaiementLa promenade obligatoireDu dimanche ; soudainementEclate un joyeux tintementQui de Montrouge la VilletteEst un signal de ralliement :C'est la cloche de la galette !

    Au diable soit la balanoire,Le paillasse et le bonimentDu thtre de Monsieur Grgoire !Les gteaux ont plus d'agrment ;Aussi plus d'un petit gourmandQui n'a rien pour sa margoulette,Songe avec dsapointement :C'est la cloche de la galette !

    A Marius.

    Les odeurs de la patissoireAttirent ainsi qu'un aimantTous les gamins au rfectoire,O roussit le beurre normand.Ils sont dans l'baudissement,

    Lorgnant brioche et tartelette.Le plus doux avertissement,C'est la cloche de la galette !

    ENVOI

    Et toi, mondoux Prince Charmant,Dj port pour la gueulette,Vite, ne perds pas un moment :

    C'est la cloche de la galetteRAOUL GINESTE.

  • LA TRADITION 59

    L'ARRESTET LE RATEAU

    L'Arrestet que trubalhabeSus lou rbs d'un barat.Debat terre, en un hourat,Lou crapaut que s'estuyabe.De les cinq dens de l'utis,Ue, l'esquiau que l'attrape.Lou praube, chens d'aut abis,Biste, en un cout que s'escape.Aute den de l'arrest etA qui, qu'ou trauque le pet.Lou crapaut, pley d'obedience,Taleu qu'es' boute au mitan ;Aute den qu'arrecoumence,Au cap qu'en attrape autan : Ah ! se ditz, lous yours de hesteNe soun pas heyts enta you !

    Qu'a resoun : dap trop de mestes,Malurous lou serbidou.

    (Dialecte de Gascogne).

    Le rteau travaillaitSur le revers d'un foss.Sous la terre, dans un trou,Se cachait le crapaud.Des cinq dents de l'outil

    Une, dans le dos, l'attrape.Le pauvre, sans autre avis.Vite s'chappe dans un coin.Autre dent du rteau

    L, lui traverse la peau.Le crapaud, plein de soumission,Aussitt se place au milieu.Autre dent recommenceEt l'atteint la tte... Ah ! fit-il, les jours de fteNe sont pas faits pour moi !

    Il a raison : avec trop de matres,Malheureux le serviteur.

    ISIDORE SALLES

    SONNETA Madame C. G.

    Chaque anne a pass lgre sur ta tte,Respectant tes cheveux et tes illusions ;Laissant ton esprit ses admirations.Et sur ta lvre rose un sourire de fte.

    Ton coeur n'a pas sombr dans la noire tempte,Il a gard la fleur de ses motions ;Et tes regards bercs de chastes visionsOnt encore aujourd'hui leur puret parfaite.Ainsi tu vieilliras, jeune ternellement,Aime, aimante, ayant, comme un rayonnement,Le bonheur sur le front et dans l'me la joie :

    Et la mort bien longtemps en oubliera sa proie ;Car elle prend d'abord, ivre de nos douleurs,L'envie et le remords, les regrets et les pleurs !

    ED. GUINAND.

  • 60 LA TRADITION

    LE MATELOT DE GROIX

    Embarqus sur le Saint-Franois.(bis)Le vent du Nord vint souffler

    Qu'on mette la chaloupe l'eau. (bis)Quand la chaloupe fut l'eau

    Tra cl ri tra, etc.

    III

    Le vent du Nord vint souffler (bis)Qu'on prenne un ris dans les huniers!

    Tra d ri tra, etc.

    IV

    Tra d ri tra.

    VII

    Quand la chaloupe fut l'eau,On n'retrouva plus qu'son couteau,

    Tra d ri tra

    VIII

    Qu'on prenne un ris dans les huniers (bis)Mon matelot dans l'eau tomb.

    On n'retrouva plus qu'son couteauSon garde-pipe et son chapeau.

    Tra d ri traLa la laTra d ri tra la 1re

    Tra cl ri tra.

    V

    Mon matelot dans l'eau tomb, (bis) Qu'on mette la chaloupe l'eau !

    Tra d ri tra.

    Chanson recueillie sur les ctes de

    Bretagne par CH. DE SIVRY.

  • LA TRADITION 61

    BIBLIOGRAPHIE

    Contes de Paris et de Provence. Le beau volume, illustr parMyrbach, que notre ami et collaborateur Paul Arne vient de publier,chez l'diteur Alph. Lemerre, sous ce titre attrayant Pomes de Pariset de Provence, se recommande tout particulirement aux tradition-nistes.

    Paul Arne, le dlicat et pittoresque pote des Alpes provenales, na-turalis prosateur parisien, est, en effet, un des prcurseurs du mouve-ment, si heureusement accentu aujourd'hui, qui ramne notre littra-ture aux sources vives de l'inspiration nationale. Un des. premiers, il asu interprter l'esprit vraiment franais, dans son originalit naturelle etinconsciente, avec son charme sincre et pntrant.

    C'est plus que de la verve et mieux que de l'humour : c'est le coeur dela patrie qui, sans y songer, a plus d'esprit que les gens les plus spiri-tuels du monde ; c'est le libre panouissement, le rayonnement dlicieuxde tout ce qui est bon et beau sans effort ; c'est la fine et touchante r-vlation de ce lien mystrieux qui rattache l'existence phmre de laplus chtive crature aux lois divines et au rythme universel de la sou-veraine harmonie; c'est le ciel tout entier qui se rflte et brille dans lafracheur tincelante d'une goutte de rose matinale dans la mlancoliesouriante d'une larme furtive.

    Mais il faut lire tous ces contes, si profondments nafs et tendres,pour bien sentir toute la saveur de leur sentiment, toute la puissance deleur style. Il faut suivre sous les chtaigniers des bois de Clamart laFe-aux-Oublies qui donne pour rien du plaisir couleur de feuilles mortesau pauvre Petit-An. Il faut pcher la grenouille avec le gentil Fifrerouge, que terrifient les yeux embroussaills et les longues moustachesdu sergent La Rame. Voici Bnistan, sa femme Tardive, son chat Ga-nagobi, ses magiques clous d'or, et ses vingt histoires de Jean de l'Ours-combattant l'Archidiable.

    Et voil vingt autres histoires non moins vridiques et non moins in.tressantes : les Mocassins de Friquet, les propos de la petite vieille quidemande quoi jouent les enfants au paradis, l'Aventure du livre auxlouis d'or, celle de la tortue Cendrillon (une tortue-salamandre), l'Annedes rossignols, le Ngre qui achte du soleil pour perroquets, l'Apprentis-sage de Sextius Tastavin, l'admirable Dmon de la. nature morte , lessublimes Haricots de Pitalugue , le dernier Chant des Cigales, la Mortdes Hirondelles, etc.

    A chaque page, c'est une ravissante vocation des proverbes antiqueset nouveaux,des lgendes vieilles et jeunes o fleurit et fredonne l'me duterroir. Entendez-vous, au Mas des Antoine, ces voix musicales qui chan-tent, autour de la bche symbolique, la chanson de Nol : Allgre! all-gre! Et voyez-vous clater en pleine lumire ce paysage mridional, sicomplet en deux lignes : La tartane accosta sous les remparts d'uneville blanche, autour de laquelle il y avait une plaine de sable, un cime-tire sans murs et un petit bois de palmiers.

    Entre ces rcits divers et ondoyants, les lecteurs de la Tradition re-trouveront la Chapelle du Diable, qui s'appelle dans le volume; Le bontour d'un saint. Par celui-l, ils peuvent juger des autres.

    Que le traditionniste Paul Arne continue donc de plus belle consa-

  • 62 LA TRADITION

    crer, dans une forme dfinitive et imprissable, ce qu'il y a de meilleurchez nos braves gens de Provence et de Paris ! C'est faire oeuvre mritoire, par ce temps de sophistication universelle, de souveraine mdiocritet de vulgarit envahissante.

    EMILE BLMONT.

    Flix Arnaudin. Contes populaires recueillis dans la Grande-Lande, le Born, les Petites-Landes et le Marensin ; traduction fran-aise et texte grand-landais. Un vol. pet. in-8 de.312 p.; Paris, EmileLechevalier, diteur, 39, quai des Grands-Augustins (5 fr.).

    La rgion du sud-ouest que M. Flix Arnaudin a entrepris d'explorer,est une contre neuve et qui se rvle pour la premire fois aux tradi-tionnistes. Nombre de provinces franaises n'ont encore rien fourni nos tudes, non point parce qu'elles n'offriraient rien aux chercheurs,mais parce que les curieux de traditions populaires n'ont pas dirig leursrecherches de ce ct. Par contre, il est telle province que nous pour-rions citer qui a fourni la matire d'une douzaine de volumes un col-lectionneur. Nous n'en demandons pas autant pour chacune de nos pro-vinces. Loin de l ! Un bon volume suffirait et amplement, sous cettecondition que les rcits, chansons, usages, etc., traditionnels donnsdans l'ouvrage, seraient curieux, indits et n'offriraient point des thmescent fois redits, ressasss, sans aucun intrt, la plupart du temps. Maispassons.

    Le volume de M. Arnaudin est le premier d'une collection qui com-prendra des contes, des lgendes et des chansons populaires. J'ai toutcollectionn, dit l'auteur, avec un soin gal, assistant aux veilles desfileuses, aux noces, aux batteries, aux grenags, errant de lande enlande la poursuite des vieux ptres, coutant, questionnant, ajoutantchaque jour quelque pi la gerbe, au demeurant n'ayant nulle illusionsur le cas que le grand public ferait de mon entreprise des contes, deschansons en patois, qui pis est, ce n'est pas de ce bois-l que le grandpublic se chauffe mais travaillant surtout pour le petit nombre d'ru-dits et de curieux qui s'intressent aux recherches dont le folk-lore estdevenu aujourd'hui un peu partout l'objet.

    L'ouvrage compte dix numros : I. Le Forgeron Misre; II. LaVieille et les trois Voleurs ; III. Compre Louison et la Mre duVent ; IV. Le bon Dieu et le Diable ; V. La Robe regrette ; VI. Le Joueur de fifre ; VII. Le Coq ; VIII. Grain-de-Mil ; IX,Les Chevreaux et le Loup ; X. Le Renard et le Loup.

    Le texte en patois intressera les linguistes. L'auteur a suivi son textepresque littralement, conservant dans sa traduction les locutions dialec-tales les plus curieuses.

    Les contes donns dans le volume sont intressants, mais on les re-trouve dans les autres collections franaises. Nous avons not cepen-dant quelques dtails curieux. Le conte du bonhomme Misre ne se ter-mine point par le voyage de Misre dans l'autre monde, ainsi qu'il arrivedans les versions des autres provinces. Dans le rcit de Compre Loui-son, la mre du Vent donne au pauvre diable une serviette, un canardet une bquille; le canard joue le rle de l'ne aux cus des contes simi-laires. A noter galement la tin plaisante de l'histoire : un juge qui veutvoler les objets magiques en est puni par une matresse vole de coups

    de bquille ! La lgende Le bon Dieu et le Diable que l'on rencontredj dans Rabelais n'offre de particulier que l'pisode du moulin deglace racont de si jolie faon par Laisnel de la Salle dans ses Lgendesdu Centre. La Robe regrette est plutt une croyance mise en rcitqu'une lgende. Le Joueur de Fifre se rapporte au cycle des Animaux

  • LA TRADITION 63

    reconnaissants; le conteur met en scne un brochet, une fourmi et uneabeille secourus par le hros et qui plus tard le rcompenseront en venantbout de trois tches extraordinaires : une bague retrouver dans l'Adour,un plein sac de millet dispers rassembler en tas, une jeune princesse reconnatre parmi ses soeurs. Le Coq est le conte bien connu de Moitide Coq. Ici, c'est bien un coq entier. Ses compagnons sont : un nid degupes, une lagune, un loup et un renard. Grain de Mil est une rduc-tion du Petit-Poucet. L'histoire commence comme dans la clbre bal-lade anglaise de Thomas du Pouce. Les pisodes sont nombreux dans lercit grand-landais. Quelques-uns sont trs curieux. La partie la plusintressante du volume est dans les deux contes d'animaux. M. Arnau-din nous parat les tenir en peu d'estime cependant. Nous y avons notune foule de traits communs avec les contes russes, kabyles, indiens oungres donns dans les collections de E. Hins, Rivire, Prof. Hartt, etde l'auteur des contes de l'Oncle Remus. M. Arnaudin ne devrait pasngliger cette srie dans les volumes qu'il a en prparation.

    Charles Buet. Paul Fval. Souvenirs d'un ami. 1 vol. in-12 de400 pages. Paris, 1888, Letouzey et An, diteurs, 17, rue du Vieux-Colom-bier (3 fr. 50).

    Le livre que M. Charles Buet consacre Paul Fval sera un nouveausuccs pour notre collaborateur. Ce livre, qui dbute par une bien cu-rieuse ddicace Hippolyte Violeau, renferme une quantit de lettresadresses par Paul Fval Barbey d'Aurevilly, Alphonse Daudet, AlbricSecond, Jules Claretie. Lon Bloy, H. de Villemessant, Oscar de Poli, et l'auteur lui-mme. Une critique trs analytique des oeuvres du grandconteur, les dtails les plus imprvus sur sa vie, sur sa famille, sur saconversion, des anecdotes piquantes, de nombreux portraits de person-nalits littraires les plus en vue, une grande indpendance de jugement,des citations de Louis Veuillot, de M. de Pont martin, de Brucker, unefoule de notes et de notices suivant au jour le jour les menus incidentsdu journalisme, tout enfin contribue faire de ce nouvel ouvrage deM. Charles Buet un livre tout particulier destin avoir un grand reten-tissement.

    Les traditionnistes trouveront dans ce volume quelques renseignementssur les chansons populaires introduites par Paul Fval dans ses romans.Nous avouerons avoir t tromps plus d'une fois en lisant le grand ro-mancier. Certaines de ses chansons ont une allure et une facture popu-laires. D'aprs M. Ch. Buet et Fval lui-mme, ces chansons ont tfaites par l'crivain breton !

    Albert Soubies. Une premire par jour. 1 vol. in-12 charpentier, de 446 pages. Paris, 1888. A. Dupret, diteur, 3, rue de Mdicis.

    M. Albert Soubies, le critique dramatique et musical bien connu, vientde publier un curieux volume qui ne manquera pas d'intresser tousceux qui s'occupent de l'art du thtre. Ce livre n'est ni un diction-naire ni une histoire des premires clbres ; c'est, propos du thtre,une suite de causeries de tout genre : renseignements historiques, cu-riosits dramatiques, jugements, parallles, rectifications, souvenirs per-sonnels, anecdotes; de tout un peu, comme disait Henri Heine. Et, eneffet, le volume de M. Albert Soubies se lit avec le mme plaisir qu'unrecueil d'anecdotes. La plupart des documents que nous y avons rencon-trs sont des moins connus. L'auteur a su faire un choix intelligent. Lesujet est aride une premire par jour, du ler janvier la saint Sylves-tre! M. Soubies s'en est tir son honneur.

    Georges Courteline. Les Femmes d'Amis, 1 vol. in-12 avec dessins, Marpon et Flammarion (3 fr. 50).

    Sous ce joli titre : Les Femmes d'Amis, Georges Courteline, dont lesGats de l'Escadron avaient obtenu l'an dernier un si franc et si lgi-

  • 64 LA TRADITION

    time succs, a runi une suite d'tudes de moeurs d'une observation vi-goureuse et d'une gat vraiment extrme.

    Pris au plus vif de la vie moderne, ces tableaux fourmillant de dtailset clatants de couleur, sont appels fixer l'attention du public, que nepeut manquer de sduire la note si originale et si parisienne de l'auteurdes Femmes d'Amis.

    Les diteurs Marpon et Flammarion ont donn des soins exceptionnels la publication de cet ouvrage qu'illustrent de nombreux dessins ducharmant artiste Steinlen.

    F. de Claramond. Le Neveu de Sadi, conte persan. 1 vol. in-8de 236 pages illustr par Achille Sirouy,. Hennuyer, diteur, 47, rue Laf-fite (2fr. 25).

    M. F. de Claramond est un rudit doubl d'un lettr. Voici dans lajolie collection de M. Hennuyer un volume qui se chargerait de le prou-ver. L'auteur nous reporte une poque dj lointaine, au temps du gracieux Sadi, l pote des Roses, dont M. de Claramond nous fait ce por-trait : C'tait un homme d'une cinquantaine d'annes environ. Saphysionomie noble et spirituelle, son regard limpide et doux, l'lgancede ses manires, tout en lui rvlait l'homme suprieur, fait pour,com-mander. Il avait mrit d'tre lu par les habitants de Djsabald hetkou-dar (maire de village). Il rendait la justice la satisfaction gnrale,prlevait les impts avec quit et s'opposait, l'occasion, aux taxes queles seigneurs de l'Azerbidjan voulaient, contre tout droit, imposer auxpaysans. Ses dcisions taient toujours excutes sans murmures, tanttait grande la rputation de sagesse qu'il s'tait acquise par ses lumireset sa fermet.

    L'ouvrage de M. de Claramond renferme plusieurs passages intres-sants sur les moeurs persanes, et donn des dtails curieux sur le grandpote qui a fourni le titre du volume.

    Le Neveu de Sadi est publi dans une collection consacre la jeu-nesse. Le style, d'une grande simplicit et le sujet du conte justifientM. de Claramond d'avoir donn un ouvrage des plus littraires danscette srie des publications de M. Hennuyer. L'diteur, au reste, s'entend ces tours de force. Ajoutons que de curieux dessins d'Achille Sirouyencadrent merveille le texte du Neveu de Sadi.

    HENRY CARNOY.

    DINER DE LA TRADITIONLe mardi, 7 fvrier, a eu lieu au Rocher de Cancale, 78, rue Montor-

    gueil, le dner mensuel de la Tradition. Assistaient au dner : MM. Jac-ques Madeleine, Raoul Gineste, Henry Carnoy, Frdric Ortoli, Dr Cons-tantin Stravelachi, Dr Hadji-Demetrios, Edmond Desombres, Lon Du-rocher, Mme A. Labey... MM. Madeleine et Raoul Gineste ont dit des verstrs applaudis que nous insrons dans ce numro de la Revue. Mme La-bey a rcit un monologue fort amusant; M. Lon Durocher nous a donnla primeur d'une des scnes de son Thtre fantaisiste qui va paratrechez Dupret. M H. Carnoy a lu une posie ravissante de M. Achille Mil-lien. Cette pice sera reproduite dans notre numro de mars. Les au-tres convives ont chant des mlodies grecques, corss, etc.

    Le prochain dner aura lieu le mardi 6 mars 1888.

    Le Grant : HENRY CARNOY.

    Laval, Imp. et str. E. JAMIN, 41, rue do la Paix.