La Tradition 1887-11 (N8)

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La Tradition (Paris. 1887) Source gallica.bnf.fr / MuCEM

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REVUE GENERALE des Contes, Légendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

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  • La Tradition (Paris.1887)

    Source gallica.bnf.fr / MuCEM

  • La Tradition (Paris. 1887). 1887-1907.

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  • N 8. Prix du Numro : Un franc. Novembre 1887.

    SOCIETE DES TRADITIONNISTES

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    PARAISSANT LE 15 DE CHAQUE MOIS

    Abonnement : France, 13 francs. Etranger, 15 francs.Cotisation de Socitaire donnant droit au service de la Revue: 15 francs.

    PARISA.. DUPRET, EDITEUR

    3, rue de Mdicis, 3.

  • LIVRAISON DU 15 NOVEMBRE 1887

    LES RUSSES CHEZ EUX. III. EN OUKRAINE. - MARIAGE PETIT-RUSSIEN. KOBZARS, par Armand Sinval.

    LA BIQUE, CHANSON POPULAIRE DE LA FRANCHE-COMT, recueillie parOtaries Grandmougin.

    DANS LES PRISONS DE NANTES, MLODIE ET CHANSON POPULAIRES,recueillies par Charles de Sivry.

    LES POTES SEMI-POPULAIRES. I. GABRIEL BROTTIER, TAILLEURBOURGUIGNON, par Charles Rmond.

    LA JAGOUMINO, TEXTE PROVENAL ET TRADUCTION, par Flix Gras.LA BARQUE DU SULTAN MAHOMET II, par Jean Nicolades.LES POIS DANS LES SOULIERS, CONTE PROVENAL, par J-.B. F-

    renger-Braud.LES JARRETIRES, COUTUME PICARDE, par Edmond Desomnres.LES TRADITIONNISTES II. EUGNE ROLLAND, par C. de Warloy.LE ROMANCERO PROVENCAL, par Gabriel Vicaire.LA SOCIT DE RFORME ORTOGRAFIQUE, par Paul Passy.LA CHANSON DES HIRONDELLES, POSIE de Ed. Guinand.LA PETITE GARDEUSE DE MOUTONS, POSIE de Emile Ferr.BIBLIOGRAPHIE, par Henry Carnoy.

    La Tradition parat le 15 de chaque mois. Le prix de l'abon-nement est de 15 fr.

    Il sera rendu compte de tous les ouvrages adresss la Revue.Prire d'adresser les adhsions, la correspondance, les articles,

    changes, etc., M. Henry CARNOY, 33, rue Vavin.

    Les manuscrits seront examins par un Comit de rdactioncompos de MM. Emile BLMONT, Henry CARNOY, Raoul GI-NESTE, Ed. GUI'NAND, Charles LANCELIN, Frdric ORTOLI,Charles de SIVRY et Gabriel VICAIRE. Les manuscrits non ins-rs seront rendus.

  • LES RUSSES CHEZ EUX.III.

    EN OUKRAINE. MARIAGE PETIT-RUSSIEN. KOBZARS.

    J'avais encore bien des choses vous dire sur le Raskol, mais outre quele sujet manque de gaiet, nous aurons assez souvent l'occasion de lerencontrer dans le courant de ce voyage travers l'empire des Tsars pourcomplter peu peu cette tude un peu courte des sectes en Russie.

    Je veux vous parler aujourd'hui du paysan Petit-Russien.En effet, quelques jours aprs mon arrive Kiev, j'eus l'occasion de

    faire un petit voyage aux environs et de visiter un coin de ce beau paysillustr par Mazeppa. Un commerant fianais avait quelques affaires terminer Mihouf et il me fit l'offre de l'accompagner. Vous comprenezque j'acceptai avec empressement.

    Il nous fallait d'abord rejoindre la voie ferre Kazatine ; la tlga surlaquelle nous tions juchs, convenablement installs sur deux bottes defoin, se dandinait de droite et de gauche sur la roule cahoteuse, tandisque notre cocher d'occasion, un paysan petit-russien, assis les jambespendantes sur le brancard de droite, chantait une mlancolique doumka.

    Les petits chevaux rouges trottinaient ; ce sont de maigres coursiersmal peigns qui ne payent pas dmine, mais savent faire beaucoup dechemin en peu de temps sur des routes impossibles dont nos percheronsne voudraient pas.

    Nous passmes le long d'un champ o des paysannes travaillaient. Aus-sitt les quolibets de pleuvoir sur les laboureurs, car j'ai oubli de vousdire que Vasilenko, notre cocher, tait un loustic.

    H ! Katia ! Tu as mis ton bas l'envers! disait-il une malheureuse

    qui avait les pieds nus. Oh ! Valodia, les belles filles n'ont donc pas voulu de toi cette anne ? Allons ! la vieille, chante-nous la chanson des noces, vas-y sans rou-

    gir, la fille n'est pas l ! Hurrah! Stpan ! tu es heureux en mnage? Malheur ! rpondait Stpan, pas encore la plus petite querelle ! Et toi, Marousia, qu'en dis-tu ? Est-ce un bon mari ? Ah ! ouiche ! Il ne m'a pas encore battue ! Pauvre mnage ! s'exclama Vasilenko. Il est vrai, ajouta-t-il en se

    tournant vers nous, que ce malheureux Stpan n'a pas de chance. Figurez-

  • 226 LA TRADITION

    vous, Barines, qu'il est de ce village que vous voyez l-bas enfoui dans laverdure ; c'est un des plus propres des environs ; il faut voir comme leshaies sont bien entretenues, les maisons blanchies la chaux tous lesmois, les carrs bien rguliers, sans compter que les basses-cours sontpartout abondamment fournies ; il y a quelques mnages qui ont jusqu'trois samovars et des cuillers d'argent dans l'armoire. L'isba de Stpantait la seule o les cochons trouvaient des ordures grouin que veux-tu ;pas de haie, des lgumes plants de ci de l sans ordre dans une terre peine retourne, et pas une fleur mettre le dimanche dans les cheveuxd'une jolie fille !

    C'est que Stpan savait mieux tenir en main un verre de wodka qu'unebche, et toutes les jeunes filles de son kobzars se dtournaient de luiquoiqu'il ft trs joli garon.

    Un jour, cependant, il songea se marier ; il avait jet son dvolu surla Marousia que vous venez de voir. C'est il y a deux ans, l'poque de lamoisson,qu'ils pensrent l'un l'autre,et voici comment: chez nous,quandon doit commencer la moisson, les garons et les filles vont aux champs ;une gerbe de bl est coupe par la plus belle que l'on prend pour reine. La

    gerbe est apporte solennellement au plus vieux du village ou le plus sou-vent au pre d la reine. Toute la journe on boit de l'eau-de-vie, les sor-cires disent la bonne aventure, les garons et les filles couronns d'pisde bls dansent sur la place et les Kobzars chantent les exploits des an-ctres. ,

    Le soir, les jeunes s'en vont au bord de la petite rivire qui serpentel-bas droite du chemin, et jettent dans l'eau leurs couronnes ; tous re-gardent avec anxit quelle direction prendront ces bouquets, car ils doi-vent aller infalliblement du ct o la jeune fille trouvera un mari, lejeune homme une fiance... Or, voil que les deux couronnes de Stpanet de Marousia se rencontrrent, s'accrochrent et se mirent voyager decompagnie ! Ah ! cela fit un beau tapage ! un beau garon comme Stpann'tait pas pour dplaire Marousia, mais les parents aucun prix nevoulaient d'un pareil mauvais sujet.

    A partir de ce jour-l, on vit souvent nanmoins les deux amoureux sepromener cte cte, le jeune homme tortillant un brin de paille, ellegrignotant des grains de soleil, et tout le monde disait que a faisait unebelle paire.

    Stpan pourtant n'osait jamais aller passer la soire chez les parentsde Marousia dont les noisettes et les pains d'pice n'taient pas pour lui, ille savait bien.

    Les deux amoureux en taient donc rduits se rencontrer seulementet chanter leurs amours sur quelques-uns de ces airs petits-russiensdont le charme est si pntrant.

    Ah ! disait Stpan en s'appliquant une partie des paroles de laDoumka.

    Combien je suis malheureux! que puis-je faire

    !

    J'aime une jeunefille et je ne puis l'avoir ? Je ne puis l'avoir parce qu'elle est fiance

  • LA TRADITION 227 Elle rit de ma peine, je l'aime pourtant bien; mais on ne veut

    pas de moi parce que je ne suis pas assez riche ; Son fianc a des terres : moi. je n'ai rien ; elle rit de ma peine ; je l'aime pourtant bien !

    J'irai prs de la fontaine, o je la vis pour mon malheur ; J'ycueillerai des fleurs et je les effeuillerai; je regarderai couler l'eau qui les emportera vers elle, et je resterai aprs l tant que la mort meprendra!

    Tandis que Marousia jetait sans doute aux toiles la doumka du ros-signol:

    Rossignol, mon rossignol, toi qui chantes si bien, Ou vas-tu, ovoles-tu, o chanteras-tu toute la nuit ?

    Oui pourrait, s'il est malheureux comme moi, t'entendre chanter lanuit, sans avoir les yeux gonfls et tout baigns de larmes !

    Visite toutes les contres, lesvillages et les villes, tu ne trouverasnulle part une plus triste que moi.

    C'est que par une froide nuit, l'anneau que j'avais au doigt s'esttout -coup dessoud, et mon ami a cessde m'aimer !

    Nanmoins Stpan finit par se dcider faire sa demande. Il prit aveclui deux Svats, les deux plus beaux parleurs du pays ; munis du pain edu sel, ils s'en allrent frapper la porte des parents de Marousia.

    Ouvrez-nous, cria l'un des Svats, nous sommes les ambassadeursd'un grand prince qui vient demander la main de la belle princesse ca-che dans l'Isba.

    Un aigle a travers l'espace, disait l'autre en frappant un secondcoup, et il a vu une colombe aux ailes plus blanches que la neige s'abri-ter sous votre toit : l'aigle veut la colombe aux ailes blanches

    Enfin le premier, frappant un troisime coup, dit: Notre Pan a perdu son ombre ; il ne peut vivre sans elle, il sait

    qu'elle est ici ! A ce troisime coup, la porte s'ouvrit et les Svats entrrent, tandis

    que la jeune fille s'enfuyait derrire la maison, suivant l'usage.Malheureusement la conversation ne fut pas longue, car la demande

    fut formellement refuse et le pain et le sel ne purent tre changs. St-pan vit bien qu'il fallait faire peau neuve ; partir de ce jour-l,on ne levit plus au cabaret, il se mit cultiver le jardin, la haie fut releve et lepays n'eut pas de plus acharn travailleur aux champs.

    Aux arrives de Nol, il se prsenta de nouveau et eut la joie de voir,aprs quelques pourparlers, les parents rappeler la jeune fille... celle-cirentra rougissante et se tint debout, les yeux baisss, tortillant d'une main -les coins de son tablier et de l'autre grattant le pole avec ses ongles,ainsi que c'est la coutume des filles bien leves.

    Allons, Marousia, dit la mre, en veux-tu ? Je ne sais pas, comme les parents voudront ! La rponse tait facile comprendre; Marousia reut en prsent un

    beau foulard, les Svats chacun un mouchoir de toile, et Stpan un essuie-

  • 228 LA TRADITIONmain bord de rouge et de bleu, un de ces beaux essuie-mains que l'onplace dans l'isba au-dessus des Ikones.

    Le mariage eut lieu quelques temps aprs, mais devant le pope seu-lement ; car, aprs la crmonie, chacun dut s'en retourner dans sa de-meure respective, attendu que Stpan qui avait beaucoup dpens pourles cadeaux, n'avait plus de quoi acheter les trois viadros d'eau-dr-vie r-

    glementaires, et sans cau-de-vie le mariage ne saurait tre consomm enOukraine. Ce ne fut donc qu'un mois aprs que Marousia put venir habi-ter avec son mari.

    Les jeunes filles du mme quartal se runirent le samedi, s'en all-rent en chantant par les rues, et rentrrent dans toutes les isbas d'alen-tour pour prier les anciens du pays la noce; elles se baissaient jusqu'terre et leur embrassaient les genoux.

    Le dimanche, on attaqua la pyramide de Koroica (gteaux en formede pigeons) dors ; on but toute la journe et, quand vint le soir, onassit la marie dans le ptrin sur l'envers d'une peau de mouton, pourqu'elle devienne riche.

    '

    Le lundi et le mardi on erra de cabarets en cabarets ; le mercreditoutes les femmes s'habillrent en bohmiennes ; une douzaine de boeufsfurent attels la file un tombereau ; des caisses taient places sur lescts de cette voiture, et, sur les planches poses en travers, les femmess'assirent.

    Dans cet quipage, elles allrent mendier de porte en porte ; chacundonnait suivant ses moyens, qui un veau, qui un mouton, d'autres desoies, des canards, du beurre, du millet, du mas. Au retour, les caissestaient pleines, et le jeune mnage eut de quoi vivre plusieurs mois.

    Et Stpan, demandai-je, a-t-il continu bien se conduire ? Ah ! oui, Barine ; mais vous voyez qu'il n'y a pas de bonheur com-

    plet sur la terre ; il parait qu'il n'a pas encore battu sa femme, et sanscela, pas de bon mnage en Oukraine !... ah ! mon Dieu, Barine, voil letrain qui passe ! nous arrivons en retard.

    C'tait vrai ! aussi grce au bavardage de Vasilenko, je dus passer lanuit Kazatine. Nous n'en tions qu' moiti fchs cependant, car toutcela m'avait fort intress et me rappelait en mme temps les crmoniesqui accompagnent encore les mariages dans beaucoup de nos villagesfranais. Chez nos paysans, en effet, les fianailles et les noces sonttoujours rgles comme une vritable reprsentation dramatique ; les pa-roles que l'on y prononce sont des leons apprises par coeur et il n'estjamais permis d'y changer quoi que ce soit.

    C'est ainsi que,dans les Vosges, un cousin ou quelque garon de villagejoue le rle des Svats ; il se prsente le soir dans la maison de la jeunefille comme un voyageur qui demande l'hospitalit pour la nuit ; dans leJura, c'est l'poux qui vient frapper coups redoubls la porte de safemme,en criant : Rendez-moi la faille (brebis) qui m'appartient! Nouspourrions multiplier ces ressemblances et nous reviendrons peut-tre

  • LA TRADITION 229

    quelque jour sur ces moeurs curieuses de nos provinces, qui commencent se perdre et dont nous nous sommes donn la mission de conserver aumoins le souvenir ; mais ici c'est de la Petite-Russie seulement que nousavons parler, ne l'oublions pas.

    J'avais bien compris tout ce que le bon Vasilenko nous avait racont,sauf un mot sur Jequel je dus demander des claircissements mon com-pagnon de route.

    Qu'est-ce donc, lui dis-je, que ces Kobzars aveugles qui chantent lesexploits des anctres ?

    Il me serait difficile de vous donner des renseignements circonstan-cis sur ces mendiants, me rpondit le marchand avec une sorte de d-dain ; je crois qu' l'Universit de Kief on vous mettra mieux que je nepuis le faire au courant dela chose.

    Je n'insistai pas, et voici ce que j'ai recueilli plus tard sur cette raceperdue des Kobzars petits-russiens.

    C'taient des chantres aveugles, qui, comme les antiques rhapsodes,parcouraient les campagnes en mendiant et chantaient les exploits desaeux, les faits glorieux de l'histoire de l'Oukraine, les longues luttes desCosaques contre les Pans polonais. Recherchs d'abord et reus brasouverts, comme autrefois les ades grecs, et chez nous les troubadours etles trouvres, ils devinrent bientt suspects aux Seigneurs et tracasss parla police qui les considrait comme de vulgaires vagabonds.

    Aujourd'hui on s'occupe d'eux et les archologues sont heureux de ren-contrer un de ces chanteurs dont la vaste mmoire contient les archivesde toute une poque de luttes, de succs et de revers. Mais il est trop tard,car on n'en compte plus qu'un en Oukraine, un nomm Ostap Vrza, qui l'Empereur a fait don d'une tabatire enrichie do pierreries ; il a, jecrois, quatre-vingts ans, et vit actuellement Sokolnits, proprit deshritiers Galagane. Il est le dernier de ces chantres qui ont relev sisouvent le courage des Cosaques contre les Polonais; ces chants viennentde Dieu, dit-il, et c'est faire oeuvre agrable que de les chanter et de lescouter. C'est ainsi que les Kobzars devenaient alors des sortes d'aptres.

    Ces chants ont t runis par M. Antonovitch et n'ont pas encore ttraduits en franais, que je sache.

    Voici une de ces doumki que le Kobzar se contente de dclamer sur unton mineur en l'accompagnant de quelques accords sur la bandoura, sortede guitare douze cordes. C'est le chant de Nietscha.

    Voil que du haut de la montagne, le long de la noire campagne, lesCosaques jettent un cri : Sauve-toi, Nietscha !

    Ne vous effrayez pas, soyez calmes, mes Attamans ! J'ai l-baspost une bonne sentinelle, l'arme au poing, l o il faut, Comment vou-lez-vous que moi, le cosaque Nietscha, je pense fuir, et perdre enmme temps mon bon renom de cosaque ?

    Mon Nietscha, je ne rponds pas de toi ! Tiens bien ton chevalpar la bride et monte dessus conime tu as coutume de le faire.

  • 230 LA TRADITION

    Allons donc ! mon bon Schpak (la sentinelle) est un brave garon ;il m'avertira temps quand il faudra fuir.

    Hlas ! mon Nietscha, je ne rponds pas de toi ! Tiens ferme tonpe sous ta tunique; les Polonais viendront sur toi et tu n'auras-pas dequoi te dfendre.

    Enfants, mes camarades, montez cheval et allez voir dans laplaine s'il y a beaucoup de Polonais.

    Le petit garon est revenu et dit : Il y a plus de quarante mille Polonais, ni plus ni moins. Mais le cosaque Nietscha n'en a cure ; il boit le kummel avec sa

    compagne, Chmelnitskaia. Il a mis trois gardes la porte et mange luiseul un beau brochet. Le cosaque Nietscha se fie trop l'eau qui dort.Quarante mille Polonais d'lite arrivent en effet.

    Le cosaque Nietscha regarde par la fentre ; la rivire bouillonnesur les Polonais en armes.

    Moi, jeune Cosaque, je n'ai pas peur des Polonais ; je saurai bienme dfendre contre eux avec mes compagnons.

    Et voil que le cosaque Nietscha crie au jeune cuyer : Selle, mon petit, selle mon bon cheval MOreau : moi le cheval

    Moreau, toi mon coursier Isabelle ! Nous allons exterminer les Polonaisjusqu'au dernier.

    Mais le cosaque Nietscha n'a mme pas le temps de monter achevai...il va de maison en maison, frappant de tous cts, prcipitant de leurschevaux des milliers de Polonais, comme des ftus de paille.

    Le cosaque Nietscha se tourne gauche, et le sang coule commeles flots d'une rivire ;

    Le cosaque Nietscha se tourne droite, et son cheval lui-mme nesaurait sauter par-dessus les cadavres des Polonais ;

    Il parl son cheval : Mon bon cheval, ne touche mme pas la terrede tes pieds.

    Nietscha l'excite de l'peron, tandis que quarante mille Cosaques lepoursuivent l'pe nue.

    Le cheval de Nietscha a but contre un tas de morts... Un Polonais saisit Nietscha par la chevelure... Le cosaque Nietscha le coupe en deux d'un revers de main... Il va falloir te sparer de ta femme et de tes enfants I et tes chevaux,

    Nietscha, o sont-ils ? Chez le Hetmann, devant la mangeoire... Et tes harnais de fer, o sont-ils, Nietscha ?... A Brestof, dans l'curie... Et tes enfants, et ta femme, Nietscha, o sont-ils ? A Brestof, la maison... Quel est le Cosaque qui ira la ville saluer ma femme, malheureuse

    veuve ? Qu'il prenne de l'argent et de l'or, qu'il me rachte et demandema grce...

    Les ennemis polonais n'ont voulu ni de l'or ni de l'argent, mais ils ontfait couper Nietscha en morceaux.

    Hol ! Jeunes Cosaques, qui de vous ira saluer la pauvre veuve, lapauvre mre ? Qu'elle pleure, qu'elle, verse toutes ses larmes, et ne cessede gmir, un noir corbeau croasse dj sur le corps de Nietscha.

  • LA TRADITION 231

    Une heure, une minute, un instant a suffi pour que la tte de Niets-cha roule dans la poussire.

    Les Polonais n'ont eu cure de la beaut de son visage, ils ont dchirson corps et l'ont jet l'eau.

    Ce chanta une multitude de variantes (trente-huit!) et cela seul prouvela grande popularit de ce Nietscha. Sans rapporter ici tous les dtailshistoriques que donne M. Antonovitch, nous rappellerons que ce Niets-cha fut un des plus nergiques rvolts de l'Oukraine au moment dugrand effort tent par Chmelnitski contre les nobles polonais. Aprs ldfaite de Zbaraj, les cosaques durent accepter un trait qui fut sign Zborof (1649) et n'avantageait que certains districts, ceux de Tchernigof,de Kief et de Bratslau. Les autres revenaient au Royaume et aux Pans.Plusieurs insurrections clatrent ; Danilo Nietscha se mit la tte desmcontents, mais, aprs des fortunes diverses, Kalinowski tomba une nuit l'improviste sur la ville o se trouvait le rvolt,et l'annaliste Kohowskirapporte presque textuellement la surprise laquelle la chanson fait allu-sion. Nietscha et son frre, aprs des prodiges de valeur dans les rues deKrasno, finirent par succomber et la ville entire fut brle.

    Les chants les plus clbres, populariss par les Kobzars sont : Les troisfrres qui s'vadent de chez les Turcs, La mort de Phdor Bezrodu, L'oragesur la Mer Noire, etc.

    Une chose qui m'a toujours frapp, en dehors du merveilleux qui est lecaractre commun tous les chants primitifs, c'est la dlicatesse extrmeavec laquelle l'amour est trait dans ces pomes. Que dites-vous de l'ner-gie de cette chanson, surtout dans les dernires strophes ?

    Le Cosaque est parti de l'autre ct du Don, il a dit la jeune fille :Adieu, et vous, mes petits chevaux marrons, allons vivement !

    Attends, attends, cosaque, ta jeune fille pleure; quoi ! tu mequittes I. Penses-y-bien!

    Ne tors pas tes mains blanches, ne frottes pas tes yeux bleus;attends que je revienne de la guerre couvert de gloire.

    Je ne veux rien de plus que toi-mme ! Tu es mon bien aim ! Toutle reste peut prir !

    Le service du Tsar est mon devoir de soldat ; il me faut partir pourdfendre la frontire contre les ennemis.

    Sans toi, l'ennemi sera battu et dtruit ; ne vas pas la guerre, neme quitte pas.

    Que diront les Cosaques quand ils sauront que j'ai tout mis en oubli,le service du Tsar et les ennemis et ma propre gloire ?

    Mon ami, mon coeur, je sacrifie tout pour toi, va donc pour uneanne la guerre, et ne m'oublie pas !

    Non, je ne t'oublierai pas, tant que je serai sur terre ; adieu! adieu!Je ne t'oublierai pas, tant que j'aurai un souffle de vie !

    Dans le cycle des chants se rapportant aux combats des Cosaques contreles Orientaux, il est parl souvent d'un garon emmen en esclavage chezles Turcs. Eh ! bien, qui se charge d'aller dlivrer le jeune homme ? c'estsa fiance ; c'est elle qu'il appelle de prfrence tout autre.

  • 232 LA TRADITION

    Il en est de mme de la fille qui n'a de confiance qu'en son bien-aim.L'une de ces chansons montre la captive des Turcs implorant le secours deson pre, puis de sa mre ; mais ni l'un ni l'autre ne vient ; elle appellealors le bien aim qui accourt et la dlivre.

    La chanson Serbe qui correspond celle-ci (car dans les langues slaves,les mmes pomes se retrouvent quelques variantes prs), va encoreplus loin : la fille est tombe l'eau, sa mre, son pre, ses frres, loin dela secourir, lui jettent des pierres en lui disant : Noie-toi, noie-toi, tu n'espas mienne. L'amant arrive et tire la jeune fille de l'eau en lui disant: Viens moi,car tu es mienne. Une autre chanson morave nous montreun esclave qui supplie sept de ses parents sans pouvoir les attendrir, jus-qu' ce que sa bien-aime vienne enfin le racheter.

    (A suivre), ARMAND SINVAL.

    CHANSON POPULAIRE DE LA FRANCHE-COMTI

    Yan eune bique en note quetchi(6is)Que menge nos chs et note pirchi,Pesant l'ou saut d'o cabri !Yentends l'ou rinsignol etPesant l'ou saut d'o cabriolet ! (1)

    II

    Quemenge nos chs etnte pirchi. (bis)Le loup qu' l rgaide p ls palis,Fesant l'ou saut d'ou cabri, etc.

    III

    Lo loup qu'l rgaide p ls palis :(bis) Bique, y vouro bin te teni,Pesant l'o saut, etc...

    IV

    Bique, y vour bin te teni, (bis)Y fer ra matresse de ti, etc..

    V

    Y fer m matresse de ti. (bis) Y an a in bin pu b que ti ; etc...

    IV

    Y an a in bin pu b que ti ; (bis)Y a l'ou bouquin deNancy, etc..

    VII

    Y a l'ou bouquin de Nancy; (bis)E m fa far' tros p'tets biquis..,

    (1) Traduction. Nous avons une bique dans notre jardin Qui mangenos choux et notre persil ; Faisant le saut du cabri ! J'entends le rossi-

    gnolet, Faisant le saut du cabriolet. Le Loup qui la regarde par les pa-lis : Bique, je voudrais bien te tenir ; Je ferais de toi ma matresse ! J'en ai un bien plus beau que toi, J'ai le bouc de Nancy. Il m'afait trois petits biquets, L'un Paris l'autre Nancy, Et l'autre qui estau Paradis; Les anges en furent tout bahis, De voir un bouc auParadis, ...

  • LA TRADITION 233

    VIII

    E m fa far' tros p'tets biquis. (bis)L'un Paris, l'autre Nancy...

    IX

    L'un Paris, l'autre Nancy, (bis)Et l'autre qu' au Prdis.

    X

    Et l'autre qu' au Prdis, (bis)Ls anges en furent tout aboyhi...

    XI

    Ls anges en furent tout aboyhy, (bis)D'voir in bouquin au Prdis,Faisant l'ou saut d'o cabri,Yentends l'on rinsignoletFesant l'ou saut.d'o cabriolet.

    (Chant par M. Laurent, Neurey-en-Vaux (Hte-Sane).CHARLES GRANDMOUGIN.

    II

    Que personn' n'y va voireQue la fill' du gelier. (bis)Va lui porter boire,A boire et manger.

    III

    Va lui porter boire.A boire et manger,, (bis)Un coup de vin d'ia LoireEt sa main baiser; -

    IV

    Un coup de vin d'la LoireEt sa main baiser, (bis) Ah dites-moi, la belle,Qu'avez-vous pleurer ?

    V

    Ah ! dites-moi, la belle,Qu'avez-vous pleurer ? (bis) On dit par tout' la ville

    Que demain vous mourrez !

  • 234 LA TRADITION

    VI

    On dit par tout' la villeQue demain vous mourrez ! (bis) Las, si demain je meurs,Dliez-moi les pieds.

    VII

    Las si demain je meurs,Dliez-moi les pieds. (bis)La fillette jeunetteSe reprit pleurer.

    VIII

    La fillette jeunetteSe reprit pleurer, (bis)Le prisonnier alerte,Dans la Loire a saut.

    IX

    Le prisonnier alerte,Dans la Loire saut, (bis)Vivent les filles de Nantes,Et tous les prisonniers.

    Ah ah!

    Chanson recueillie par CHARLES DE SlVRY.

    GABRIEL BROTTIER, TAILLEUR BOURGUIGNON.

    On voit Auxerre, l' angle de la rue Bureteau et de la rue Joubert,une vieille maison de bois qui date du XVIe sicle, trs vermoulue et trscurieuse. Son poteau cornier est dcor de deux cussons : l'un, celui quiregarde la rue Joubert, se compose de deux croissants enlacs et accosts dedeux H ; l'autre, donnant sur la rue Bureteau, reprsente un plat barbesuivi de ses quatre satellites rglementaires, le peigne, les ciseaux, la lan-cette et le rasoir. Ce sont les armoiries professionnelles des BROTTIEK,barbiers Auxerre depuis les temps les plus reculs.

    Dans cette maison naquit, le 15 novembre 1785, GABRIEL BROTTIEK.Ce descendant de l'illustrissime maison des Brottier, se sentant peu de

    got pour la taille et la barbe , lcha la savonnette de ses aeux pourle passe-carreau du tailleur. Mais, la coupe du droguet n'tait pas saseule occupation, pas mme la principale. Gabriel avait deux passions,deux folles matresses : la Muse et la Bouteille. Il caressait l'une dansson arrire-boutique et il caressait l'autre au cabaret du Veau-qui-tte ou celui des Vendanges de Bourgogne , pour ne pas faire de

    jaloux.Constamment l'afft du moindre pichet boire ou du moindre can-

    can trousser en couplets de charivari. Gabriel Brottier, le tailleur-pote,tait bien la plus fine langue et le plus sec gosier que oncques on ne vitdans la bonne ville d'Auxerre, o cependant, comme chacun sait, les lan-gues fines et les gosiers secs ne manquent pas plus que la bonne humeuret le petit chablis.

    Pour ce qui est du gargari, notre homme l'et ds, sa prime-jeunesse

  • LA TRADITION 235

    parfaitement calibr a tenait, parait-il, de famille; mais, en tant quepote, il ne se rvla lui-mme et ses compatriotes qu' l'ge de29 ans, ce qui advint l'occasion d'un vnement mmorable dans lesannales de la Haute et Basse-Bourgogne.

    L'Auxerrois est, sans conteste, le plus belliqueux, sinon le plus bravedes Bourguignons bourguignonnants. Au moindre coup de tambour, il tres-saille ; au premier coup de clairon, il sursaute ; et si la grosse caisse re-tentit, oh ! alors, si la grosse caisse retentit, ma foi, l'Auxerrois ne sepossde plus, il tourbillonne. Quand un rgiment doit passer Auxerre,l'habitant d'Auxerre se campe, non pas seulement sur sa porte, commeen d'autres pays de France, mais bel et bien une bonne lieue desfaubourgs, au loin sur la route de Lyon ou sur la route de Paris, selonque les troupiers viennent de l'Est ou de l'Ouest, du Midi ou du Nord.L, l'habitant d'Auxerre attend et accueille comme ils le mritent letambour-major la canne norme, et la musique et les cymbales dont iraffole.

    Un jour donc, sur la fin de 1815, le 6e lanciers, dernier de l'arme, taitattendu Auxerre. Il devait, venant de Paris, se rendre Carcassonnepour y tre dissous. Ce jour-l, ds l'aube, il fit une pluie battante, cequi, comme bien l'on pense, n'empcha pas tout Auxerre d'tre sur lepont, sans mtaphore, sur le pont d'Yonne. Mais, le rgiment n'ar-rivait pas. Une heure... deux heures se passent... rien ! Aussi Auxerren'tait pas content. Auxerre avait la tte dans l'eau et les pieds dans laboue. Auxerre trpignait, rclamait : Les lanciers ! sur un air qui,pour n'tre pas encore celui des lampions , n'en tait pas moins ex-

    pressif. Tant et si bien, qu' la fin, on vit se dessiner vaguement dans lelointain humide quelque chose comme une masse grise qui s'avanait surla route. Ah ! les voil !... Mais, en y regardant mieux, et la masse se

    rapprochant, on put bientt juger qu'au lieu d'un escadron, ce n'taitqu'un simple bataillon.

    On commenait se demander comment il se faisait que ces braveslanciers fussent pied, lorsque tout Auxerre partit d'un colossal clat derire...

    Ce qu'on avait pris pour l'avant-garde de lanciers n'tait autre qu'unfort dtachement de vignerons, la hotte au dos d'o mergeaient, commede fires Jances, les manches des pioches, et qui rentraient la hte, chas-ss des vignes par la pluie croissante.

    Tiens, dit un farceur, c'est le 7' de lance!

    Le lendemain, la premire chanson de Brottier, Le septime de lance ,courait dans Auxerre o elle devint bientt populaire. La voici :

  • 236 LA TRADITIONAir de : Fanfan la Tulipe.

    IOn dit qu' la prise d'Auxerre,A ti--taille, coups d'tis liens,Nous grand'ps ont pris l'grand-CaireEt que j'soummes tcurtous Egyptiens.

    REFRAIN.En avant, tous les va-d'la-gueule,On est mieux farci qu'epoili,

    Ouvrez-vous l'sifletPou la soupe au lait!Pou nous, je r'niflonsLa miotte et l'ougnon !

    Il est nuit, c'est Pougy que nous peule,En avant, tous les va-d'la-gueule,On est mieux farci qu'epoili !

    IlOn dit qu'c'est l'cas d'Saint-AntouneQu'est l'noyau d'nout' rgiment;

    Si j'soummes passi gras qu des mouenosJ'ons d'meilleurs tempraments.

    IIIPour la r'monte de la lance,J'avons les quartiers du Pont.Pas tr ben pus bas qu'la panse,On r'counais l l'talon.

    IVJ'ontendons chanter les fouinesD ct du trou-Foinchy,En faisant roti des couines.D'avec du bs d'errachis.

    VTrois dardennes de panse aux m'lottesOnt rgal ma Louchon.Quand j'mangeons dans nout'grelotteJe n'pensons pus au bourgeon.

    Brottier composa encore, sur le mme sujet, les Lanciers Peullons (leslanciers de la pelle, les vignerons) et successivement plusieurs chansonssur d'autres motifs et vnements locaux.

    C'tait un frondeur, un malin singe, fort mauvais garde national sousles Bourbons qu'il excrait cordialement. Le conseil de discipline l'en-

    voya plus d'une fois coucher la salle de police. Un jour mme, il futcondamn quarante-huit heures de prison ; mais, avant de se laisser

    prendre, il soutint un vritable sige dans sa maison, d'o l'on ne put letirer que par la force. Ses amis.adressrent une supplique au prfet,comte de Goyon, pour obtenir sa grce. Brottier tait pre de famille,assez misrable et mritait toute indulgence ; mais le prfet, fonction-naire grave et esprit troit, ce qui arrive souvent chez les fonctionnaires

    graves, prenant au srieux les escapades du chansonnier, refusa net. C'estalors que le prisonnier barbouilla la craie ce couplet sur la porte de sacellule :

    Certain marquis, loin du canon,Ds le berceau, dans sa mollesse,Va, confiant l'dredonTous les titres de sa noblesse.Pour ce saltimbanque du jour,Je lui dcerne la girole.Pour son Matre et lui tour tourTout a s'crit avec d'la crole.

    bis.

    Charles X et de Goyon taient lestement traits, quoique en franaisd'Auxerre. Ni l'un ni l'autre n'eurent l'esprit de l'oublier et Brotlier seVit en butte tant de vexations mesquines, tant de tracasseries bureau-cratiquement administratives de la part des autorits de son dparte-ment, que sa nature indpendante ne put s'y faire et qu'il se vit forc de

  • LA TRADITION 237

    quitter Auxerre. II se rendit Paris o il mena une vie assez tourmente.Le temps n'tait plus rire et d'ailleurs le pauvre pote n'tait plus dansson lment. Sa lyre tait brise.

    Enfin, aprs la rvolution de 1830, le cur de Saint-Roch, son compa-triote, le nomma suisse de son glise. C'est dans ces majestueuses autantque difficiles fonctions que Gabriel Brottier, aux environs de 1840, renditchrtiennement son me . Dieu.

    Farceur jusqu'au bout, le suisse de Saint-Roch, un instant avant demourir, fit appeler M. le cur, son ami, et lui remit un pli cachet, surlequel tait crit : Ceci est mon testament. Quand le pote fut mort, etcela ne tarda gure, le bon cur brisa le cachet, dplia le prcieux papieravec prcaution et lut :

    Mon cher monsieur le cur, Voil mon testament. Je n'ai rien. Je donne tout aux pauvres. Priez

    pour moi et faites graver sur ma tombe la devise d'Auxerre, notre bon pays :

    Cl-GIT BROTTIER,Pauvr'chansonnier,

    Enfant d'Auxerre, Nourri de vin, Apre la gueule, Lger de la main !

    Nous ne possdons pas, tant s'en faut, toutes les oeuvres potiques deGabriel Brottier, car le tailleur bourguignon ne prit jamais soin de lescrire (1). Les chansons qu'il a composes et dont quelques-unes sontvenues jusqu' nous, sont les oeuvres les plus considrables qui aient tconserves en dialecte auxerrois. A ce titre,, elles offrent un rel intrt,Quant leur mrite littraire, nous ne prtendons pas qu'il soit grand.Peu ou pas de composition ; absence de suite dans les ides ; ce sont des

    couplets btons rompus, chant spontan d'un homme sans instruction.Elles n'en sont que plus typiques. Elles ont un entrain de bon aloi, un

    esprit narquois et en un mot le sel bourguignon, fait des grains les plusfins du sel gaulois, ce qui leur donne une saveur de terroir toute particu-lire.

    CH. RMOND,

    (1) Nous avons recueilli quatre chansons de Brottier, leur source mme, Auxerre. C'est peu prs tout ce qu'on se rappelle de lui dans son paysnatal. Nous les ferons connatre dans un prochain numro aux lecteurs deLa Tradition, CH. R-

  • 238 LA TRADITION

    I

    Paire, me laissas souleto ? Vau querre madestraleto Aurai pou dins lou caste. Vau querre moun long coutuDeman, dedins la bouscasso,Te menarai la casso.Coucho-te, revendrai tard.,Aco di, lou comte part :S'en vai veire sa gourrino.La michanto Jacoumino.

    II

    Quau pico moun fenestroun ? Es lou comte d'Anteroun. Mostro-me ta fiho morto,Se vos que duerbe ma porto ! Noun ause trempa mi manDins lou sang de moun enfant! Toun enfant ! crido la drolo,Que la jalousie rend foloVai dire a toun serviteurDe la couire dins sou four ! Noste four vuei noun brulavo. Fai l'enterra dins ta cavo ! Oh ! quente suplice afrous ! Fai-la traire dins toun pous! Aco di, la Jacoumino,De durbi noun fai plus mino.

    III

    Lou comte torno au casteu : Moun fournie, levo te le ;Bouto au four forco ramado,Que faras grosso fournado ! Mestre, fai lou serviteur,Que fau couire dins lou four?

    (1) Extrait du Romancero Provenal,par Flix Gras. (Savine, diteur).

    A mademoiselle Isabello Arne.

    Couseiras dins la brasieroLa persouno la proumieroQue vuci te demondaraS'as de pan ben fres tira.O se noun, au plus aut'rouleAquest vspre, te pendoule!

    Piei, lou comte desvaria,Vai sa fiho reviha.Ah ! l'afan de JacouminoLou bourroulo e lou carcino I Ma flha, levo-te leVs, que vai faire souleSus li mount lou jour s'aubouro,Per la casso es dj l'ouro....... -

    IV

    Quand n'en soun dins la fourst,M lebri, 'm chin d'arrst: Oi ! fai lou comte sa fiho.Ai oublida la mangiho.Entorno-te, moun enfant,Vai au four querre de pan !....

    V

    La chatouno, oubssnto,E douceto e complasnto.S'adus le, sus soun destriDavans l'oustau do fournie.Mai coume n'en duerb la porto,Deven blavo coume morto !Se reviro quatecantE se sauvo travs champ ;Car sis iue venon de veireCauso que noun se pou crire !N'en an vist tout en coumbour,Lo mitroun que dins soun four,m sa longo fourchinoEnfournavo Jacoumino !....

    FLIX GRAS.avec traduction franaise littrale,

  • LA TRADITION 239

    A mademoiselle Isabelle Arne.

    I

    Mon pre, vous me laissez seulette ? Je vais chercher ma hache !J'aurai peur dans le chteau ! Je vais chercher mon grand couteau. Demain, dans la fort, je te

    mnerai la chasse. Couche-toi, je reviendrai tard. Cela dit, le comte s'loigne. Il va voir sa matresse, la-mchante Jacou-

    mine.

    II

    Qui frappe ma fentre ? C'est le comte d'Antheron. Montre-moi ta fille morte, sinon je n'ouvre pas ma porte. Je n'ose tremper mes mains dans le sang de mon enfant ! Ton enfant ! s'crie la drlesse que la jalousie rend folle. Va dire

    ton serviteur de la cuire dans ton four ! Notre four aujourd'hui n'a pas brl. Fais-la jeter dans ta cave. Oh ! l'affreux supplice ! Fais-la jeter dans ton puits !Cela dit, la Jacoumine ne fait plus mine d'ouvrir.

    III

    Le comte retourne au chteau : Mon fournier, levez-vous vite, mettez au four grandes rames, car

    vous ferez grosse fourne ? Matre, rpond le serviteur, que faut-il cuire dans le four ? Tu cuiras dans le brasier la premire personne qui viendra te

    demander si tu as du pain frais tir. Sinon, au plus haut peuplier, ce soit',je te fais pendre !

    Aprs, le comte va rveiller sa fille !Ah I le dsir de la Jacoumine le torture et le dvore ! Ma fille levez-vous vite ! Voyez, le soleil apparat, sur la montagne

    le jour claire : pour la chasse voici l'heure...

    IV

    Quand ils sont dans la fort, avec leurs chiens d'arrt et leurs lvriers : Oh ! fait le comte sa fille, j'ai oubli la mangeaille ! Retourne vile,mon enfant, va au four chercher du pain !...

  • 240 LA TRADITION

    V

    La fillette, obissante, et complaisante, et douce, arrive sur son chevaldevant la maison du fournier. Mais, comme elle en ouvre la porte, elle

    plit comme une morte ! Elle se retourne soudain et se sauve travers

    champs ; car sesyeux viennent de voir chose incroyable : ses yeux ont vule mitron tout en nage qui, dans son four, avec sa longue fourche, enfour-nait la Jacoumine !...

    Traduction de l'auteur.

    Dans le voisinage de Constantinople, il y a une barque de quarantemtres de longueur. Cette barque a vingt-cinq rames de chaque ct, etchacune de ces rames doit tre manie par trois rameurs.

    Les chrtiens pensent que cette barque fut enleve aux Gnois par l'em-pereur Constantin, et qu'ensuite les Turcs l'ont conquise sur les Grecs.

    Quant aux Turcs, ils disent qu'elle fut construite par les ordres deSultan Mahomet II, et que le bois qui fut employ a t emprunt touteles espces d'arbres qui existent de par le monde entier.

    Il faut se garder de jeter ou de faire des ordures dans le voisinage dela barque. Le malheureux qui oserait se livrer cette abomination seraitaussitt atteint de paralysie. On cite nombre de sacrilges qui moururentmisrablement pour avoir jet des ordures sur la barque de Sultan-Mahomet II.

    Voici quelques histoires ce sujet.

    Un gardien p.... une nuit ct de la barque. Le matin il setrouva couch dans son lit comme l'ordinaire, seulement le littait au beau milieu de la route. Les passants tonns s'taient ras-sembls en grand nombre et ils se demandaient si l'homme n'taitpas fou. Le gardien ne fut pas moins tonn. Mais, rflchissant, ilcomprit d'o venait ce prodige.

    Se levant, il eut un profond repentir et il se mit crier : Pardon, grand Dieu ! Pardon ! mille fois pardon d'avoir p...!

    Je ne suis plus digne de te servir ! Je jure de ne plus jamais re-mettre les pieds dans la barque !

    Et ce jour-l il abandonna ses fonctions de gardien.

    Pendant un violent incendie, un tison enflamm tomba sur le toitqui sert d'abri la barque de Sultan-Mahomet II.

    Le lendemain, les gardiens furent fort tonns de voir que letoit avait disparu. Ils montrent sur la barque et ils reconnurentque le toit tait brl. Mais, par miracle, le tison s'tait teint entombant sur la barque et celle-ci avait t prserve.

  • LA TRADITION 241

    L'hiver de 1885-1886, S. M. le Sultan fit rparer le btiment oest garde la barque de Sultan-Mahomet II.

    Un des bateliers qui chaque jour sont chargs de porter leslgumes au palais imprial, se dit en passant devant la barque :

    Pourquoi dpenser tant d'argent pour un bateau? Cela n'envaut pas la peine !

    La nuit qui vint, le batelier se rveilla en sursaut et se mit crier :

    Pardon, grand Dieu ! mille fois pardon de t'avoir offens ! Les autres bateliers lui demandrent ce qui venait d'arriver.Il leur raconta ce qui suit : Dans mon sommeil, je vis que je faisais une visite la bar-

    que de Sultan-Mahomet II. A peine y eus-je mis les pieds, qu'unsauvage lion s'lana pour me dchirer. Je ne sais comment je puslui chapper. C'est la suite de mon pch, de mon impit, carj'avais pens ce matin qu'il tait inutile de dpenser une fortesomme pour rparer le monument de la barque !

    La barque tant pourrie la base, S. M. le Sultan y fit faire quel-ques rparations.

    Les morceaux de bois et les copeaux qu'on a retirs pour lestravaux passent pour gurir de la fivre. Les gardiens les ont con-servs soigneusement et ils en offraient nagure encore aux visi-teurs.

    Le Sultan ayant fait dfense expresse de donner de ces copeauxun ouvrier enleva en cachette un petit morceau de la barque.Le lendemain, il accourut rapporter ce copeau en disant au gar-dien :

    Je voulais m'en servir pour gurir la fivre, mais j'ai eu descauchemars affreux qui m'ont pouvant toute la nuit. Aussi ai-jejug prudent de rendre le morceau de bois.

    Sultan-Mourat voulut faire un voyage aux Indes dans la barquede Sultan-Mahomet II. Il ordonna de mettre le bateau la mer.Les matelots obirent.

    Vous tes las, dit Sultan-Mourat. Couchez-vous et dormez; nousne partirons que demain.

    A peine furent-ils couchs, qu'ils se sentirent pris d'une extase.Et ils virent que la barque marchait avec une incroyable vitesse travers d'immenses forts ; ils entendaient mme le bruit des bran-ches casses et des arbres entrechoqus.

    Quand les matelots s'veillrent, ils reconnurent que la barquetait toujours au mme endroit que la veille.

  • 242 LA TRADITION

    Le sultan ordonna de retirer la barque sur la plage.Lorsque ce travail fut achev, les rameurs trouvrent entre les

    planches de la coque des branches de muscadier nouvellementrompues et charges de fruits verts.

    L'un commena parler son voisin :

    .J'ai vu la barque traverser d'immenses forts ; j'entendais lecraquement de branches casses.

    J'ai vu pareille chose ! Et moi aussi ! Et moi aussi ! -Tous les matelots furent persuads qu'ils avaient voyag tra-

    vers les forts.Et, de fait, on assure que Sultan-Mourat avait fait le voyage des

    Indes durant le sommeil des rameurs.

    (D'aprs Cara Hassan-Oglou-Hadji-Moustafa, Turc, gardien de la barque deSultan-Mahomtt II, n Tache-Quiopru, g de 47 ans).

    JEAN NICOLAIDES.

    CONTE DE LA PROVENCE

    Un jour, il arriva qu'une tartane reut sur les ctes de Provenceun gros coup de vent. La voile se dchira, l'antenne se rompit, legouvernail se dmonta ; et un certain moment l'quipage fut surle point d'tre noy.

    Au comble de la terreur, pour sa vie et pour celle de ses mate-lots, le capitaine pensa que le moment de faire un voeu solenneltait venu, et il s'cria : Bonne Mre, si vous nous lirez de l, jevous promets que dimanche prochain nous ferons l'ascension dela colline de Notre-Dame-de-la-Garde, tous ensemble, avec unepoigne de pois chiches dans les souliers.

    Le vent diminua, on put rparer les avaries, et bientt le tempsfut assez maniable pour que la barque atteignt le port de Mar-seille.

    Le samedi suivant, le capitaine dit ses matelots: Mes enfants,vous savez que j'ai fait un voeu au nom de tout l'quipage, aussiil faut que pas un de nous ne manque demain matin. De plus,comme c'tait un homme consciencieux il avait, achet un kilo-gramme de pois chiches il en denna une poigne chaque mateloten lui rappelant qu'il fallait la mettre consciencieusement dans sessouliers, parce que, dans sa pense, il avait voulu dans son voeuque la difficult de marcher ajoutt l'oeuvre mritoire du p-lerinage.

  • LA TRADITION 243

    Le lendemain matin, la premire heure, chacun, fut prt ; etvoil l'quipage qui se met en marche. Je laisse penser si l'as-cension fut pnible. Ces corps trangers qui avaient t mis dansles souliers blessaient les pieds, chaque pas apportait une nou-velle souffrance ; aussi chacun trbuchait, tombait chaque ins-tant et suait sang et eau pour faire l'ascension.

    Seul, le loustic de la barque marchait guilleret en tte du cor-tge, d'un pas assur et lger, riant des msaventures de ses cama-rades, et poussant une exclamation de plaisanterie toutes les foisque quelqu'un tombait par terre.

    Enfin on arrive, on entend dvotement la messe ; puis, quand lacrmonie fut finie, chacun tira ses souliers pour se dbarrasserdes" incommodes pois chiches qui avaient rendu l'ascension si diffi-cile; car le voeu ne portait pas qu'on les garderait dans les sou-liers une fois la messe entendue.

    Mais le loustic ne se dchaussa pas, et lorsqu'on lui en demandala raison, il rpondit : Je n'en ai vraiment pas besoin, ils ne megnent pas.

    Comment ! dirent en choeur tous les autres matelots, tu n'aspas t horriblement gn par eux la monte ? Nous autres, nousavons souffert mort en passion. Parbleu,rpartit l'autre,si vousaviez eu comme moi la prcaution de les faire cire, au pralable,vous n'auriez pas plus souffert que moi. Le patron avait promis la Bonne Mre que nous mettrions une poigne de pois chichesdans les souliers, mais il n'avait, pas ajout que nous nous abstien-drions de les taire bouillir auparavant!

    BRENGER FRAUD.

    COUTUME PICARDE. AUCHONVILLERS (SOMME).C'est aujourd'hui lundi, deuxime jour de la fte communale. Hier,

    les jeux de ballon et quelques autres divertissements, trop peu varis,hlas ! dans nos pauvres campagnes, ont amus paysans et enfants ; puisle soir, le bal a attir la rustique jeunesse du village et des environs, ettous ces gars aux larges paules, aux jarrets solides, et ces filles rougeaudes, dont la poitrine puissante se trouve mal l'aise dans le corsetdes dimanches, ont saut, tourbillonn, dans jusqu'aux premires lueursdu jour.

    Tout coup le violon de la veille se fait entendre. C'est la crmoniedes Jarretires qui commence.

    Les jeunes gens du village accompagnent le vieux mntrier et chan-

  • 244 LA TRADITION

    tent au refrain. L'un d'entre eux, affubl d'une redingote dmode quilui descend aux talons, et coiff d'un ancien chapeau haut de forme des

    plus burlesques, porte une perche orne d'un cerceau l'un des bouts;les autres suivent ; et toute cette bande joyeuse tombe comme une ava-lanche dans chaque maison qui possde une jeune fille en ge de danger;pas une n'est oublie ; et c'est alors un mlange de bruyants clats derire qui se prolongent comme un cho, et de petits cris d'tonnement oud'effroi. La jeune fille, surprise dans son nglig du matin, et le regardencore voil par un sommeil trop tt interrompu, a l'air embarrassedevant tous ces garons ; elle sent qu'une vive rougeur colore ses jouesplies par la fatigue du dimanche ; elle se retourne vivement pour cacherson trouble, et fait, semblant de ne pas trouver dans l'armoire la jarre-tire qu'elle y a pourtant toute prpare d'avance.

    Les parents rient de l'embarras o ils voient leur enfant, pendant qu'aucoin do l'tre l'aeule repasse en sa mmoire ses souvenirs d'enfance.Elle aussi a donn sa jarretire il y a quelque cinquante ans. Jeune fillealors, forte et droite, elle avait pour amoureux le plus solide gaillard duvillage. Comme elle tait fire, lorsque au bras de son Pierre, elle se pro-menait dans la salle du bal, et comme elle tait heureuse lorsqu'il l'enla-ait de son bras d'hercule aux premires mesures de la valse !... Hlas !ce temps est loin, et depuis bien des chagrins ont assailli l'aeule !... Il ya cinq ans dj que son pauvre Pierrot est dans la tombe !... A ce der-nier souvenir, une larme glisse, silencieuse, sur son visage rid; puis sonoeil humide se lve lentement sur les jeunes gens, et devant toutes cesfigures panouies, la vieille oublie subitement sa tristesse et sourit en

    voyant sa petite-fille qui apporte enfin le fameux ruban, et timidementle donne au porte-jarretires. Pendant que ce dernier le suspend au cer-ceau, un autre jeune homme offre l'ingnue sa rude main de paysan,et sans faon, la prenant par la taille, danse avec elle quelques pas de

    polka. Puis toute la troupe s'chappe, et toujours prcde du violoneuxqui recommence son ternel del tarte pimmes ,..... elle va dans une autremaison trouver une autre jeune fille qui ornera le cerceau d'une nouvellejarretire.

    Quand toutes les rues ont t suivies, et que chaque danseuse a livrson ruban, le cortge reprend la route du bal et y rentre. Les jeunes fillesarrivent bientt aprs ; les couples se formeut au fur et mesure, et quel-ques quadrilles prcdent la Vente des Jarretires.

    Plusieurs jeunes gens sont prposs cette vente. L'un figure le no-taire : ample redingote, chapeau noir et cravate noire entourant un gigan-tesque col de chemise en papier, d'o sort un menton qu'il s'efforcede rendre triple ; d'ailleurs l'air trs grave et trs digne, ou du moins

    s'efforant d'tre tel. Ce pseudo-notaire porte l'oreille un norme porte-plume et la main un registre o il doit inscrire l'acte de vente.

    Prs de lui et juch sur une table boiteuse, apparat le crieur. Celui-civeut tre amusant autant que le notaire essaie d'tre srieux. Il porte un

  • LA TRADITION 245

    accoutrement qu'il a compos le plus bizarrement possible : sur sa tteenfarine, il a quilibr un vieux chapeau que des coups de poing rptsont transform en accordon ; dans un vtement hors d'usage, il s'esttaill un habit queue, une basque dpassant l'autre, et sur les ctsdeux normes poches d'o il n'oublie jamais de laisser pendre la moitid'un grand mouchoir carreaux. Un gilet fond vert-pomme avec desfleurs jaunes dissimule mal une paire de bretelles qui tirent de-toute leurforce sur un pantalon trop court ; un vrai pitre de foire, enfin, avec cettediffrence qu'aux ftes foraines c'est un paillasse qui imite les paysans,et qu'ici c'est un paysan qui singe les paillasses des villes.

    Enfin un troisime remplit de son mieux les fonctions de garde-cham-ptre, et rpte, en voix de basse, la mise prix du crieur.

    Aprs maintes simagres de ce burlesque trio, chacune des jarretiresest adjuge sa propritaire, comme il est convenu d'avance ; et c'est chaque vente une explosion de rflexions et de bons mots qui, certes, nesont pas toujours bien spirituels, mais qui, je vous l'assure, excitent levrai rire et cette franche gaiet, dbarrasse de toute tiquette, que l'onrencontre trop rarement dans les soires parisiennes.

    Quand la dernire jarretire est vendue, l'orchestre soulve toute lajeunesse dans un galop frntique, puis danseurs et danseuses vont aucabaret dpenser en sirops et en chopes de bire le produit de la vente,et avant de se quitter, tous ces Romos picards donnent leurs Juliet-tes rendez-vous pour le bal du soir.

    EDMOND DESOMBRES.

    II

    EUGNE ROLLANDLes tudes de Traditionnisme prennent en France, chaque jour,

    une importance plus grande. Il y a trente ans, qui se souciait duVieux fonds populaire ? qui songeait recueillir les antiques l-gendes, les contes merveilleux, les naves chansons, les curieuxusages; les superstitions bizarres transmis par les aeux traversla longue suite des sicles? Quelques lettrs seuls, Nodier, deNerval, Souvestre, Babou, Deulin, avaient t frapps du charmeexquis, de l'intime posie de cette littrature traditionnelle, et ilsavaient compris le parti qu'en pouvait tirer la littrature savante,je veux dire celle des crivains de race.

    Dans les pays voisins, surtout aprs la publication des Kinder

    (1) Cette srie sera continue dans le vol. II de la Tradition.

  • 246 LA TRADITION

    und Hausmaerchen des Frres Jacques et Guillaume Grimm, ons'tait mis recueillir avec une pit filiale les contes, les lgendes,les chansons piques, amoureuses ou satiriques, les usages tradi-tionnels des anctres. Et l'on tentait dj d'lever des thoriespour expliquer les rapprochements que l'on pouvait observerentre les traditions de peuples diffrents de race, de langue etd'habitat.

    Deux lettrs franais, Luzel et Blad, commencrent collec-tionner les rcits populaires de leurs provinces, la Basse-Breta-

    gne et la Gascogne, et publirent dans des revues locales de joliscontes emprunts aux paysans, aux vieux conteurs des veilles.Quelques autres chercheurs les suivirent dans cette voie, mais sansparvenir vaincre l'indiffrence du public.

    Il fallut toute l'initiative, tous les efforts d'un rudit franais, M.Eugne Rolland, pour gagner dfinitivement les lettrs et les sa-vants la cause du Folk-Lore.

    Avant de rappeler les travaux de M. Rolland, quelques dtailsbiographiques sur le clbre traditionniste ne seront peut-tre pashors de propos.

    M. E. Rolland est n en 1846 Metz. Il appartient une vieillefamille lorraine habitant Rmilly, sur la Nied. quelques lieues deMetz,-dont plusieurs membres se sont distingus dans les lettres,les arts et les sciences ; qu'il nous suffise de citer Adolphe Rol-:land, le charmant pote des Souvenirs, dont nagure encore, unedition nouvelle obtenait un si vif succs, Aguste Rolland, lepaysagiste, et l'ingnieur Rolland, de l'Institut, mort rcemment.

    M. Eugne Rolland se destina d'abord l'tude de l'conomiepolitique, et suivit les cours de feu Batbie au Collge de France;mais bientt il dlaissa Turgot, Stuart Mill, Bastiat, Say et F.Passy pour... le sanscrit. La vieille langue des Brhmes lui donnale got des recherches philologiques; les popes des Aryas, peut-tre aussi le nom lgendaire de Roland, le hros de Roncevaux,le conduisirent l'tude des lgendes populaires et des contesmerveilleux dont sont remplis les livres sacrs de l'Inde.

    La premire publication, notre connaissance, de M. Rolland,est le Vocabulaire du Patois du pays Messin, tel qu'il est actuelle-ment parl Rmilly, ancien dpartement de la Moselle, canton dePange (Romania, t. II), travail qui fut suivi d'un Supplment conte-nant des notes sur le patois de Woippy, prs Metz, et de Landroff,prs Faulquemont (Romania, V, p. 189).

    En 1877, avec la collaboration de M. Henri Gaidoz, et l'annemme o il ditait ses Devinettes ou finigmes populaires de laFrance (Paris, 1877, Vieweg), M. Rolland fonda Mlusine, Re-cueil de Mythologie, Littrature populaire, Traditions et Usages(Viaut, libraire, 42, rue St-Andr-des-Arts)

  • LA TRADITION 247

    Le premier numro de la premire revue franaise de Tradition-nisme parut le 25 janvier 1877. Mlusine publia d'intressants,articles, de savantes tudes, des notes curieuses sur les traditionsde la France et de l'tranger; elle groupa quelques chercheurs etforma quelques vocations. Nous trouvons dans le premier volumels noms de MM. Gaston Paris, Ernest Renan, Ch. Joret. L. L-ger, Ph. Kuhff, Bonnet, Henry Carnoy, Bourgault-Ducoudray, R.Koehler, Bonnardot, Merlet, Fleury, etc. Ce fut en lisant la pre-mire livraison de Mlusine que je me passionnai pour la littra-ture populaire, et ce fut clans celte revue que je publiai mes pre-mires recherches sur les traditions de Picardie. Le peintre PaulSbillot, alors rdacteur au Bien public, ayant eu rendre comptede la nouvelle publication laquelle personne au journal ne trou-vait d'intrt, songea aux contes populaires de son pays natal, laHaute-Bretagne, et, abandonnant chroniques et paysages, se mit recueillir le Folk-Lore du pays gallot.

    Mlusine cessa de paratre au bout d'un an d'existence, endcembre 1877. Elle n'avait russi qu' grouper 17 abonns enFrance ! mais bien une centaine l'tranger. Aprs cette infruc-tueuse tentative, M. Rolland ne se dcouragea pas et ne se con-sidra point comme battu. Cette mme anne, il commena lapublication de sa faune populaire de la France (6 vol. in 8 ;Paris, 1877-1883, Maisonneuve), immense travail digne d'un domGrenier ou d'un du Cange, dans lequel sont runis mthodique-ment les noms savants, populaires et dialectaux, les croyances,superstitions, proverbes, chansons, etc., relatifs chacun desanimaux sauvages ou domestiques, oiseaux, reptiles, poissons,insectes de la France. Puis vinrent : le Recueil des Chansonspopulaires de la France (4 vol. grand in-8, Paris, 1884-1887) ; lesRimes et jeux de l'Enfance (Paris, 1883,1 vol. in-8, Maisonneuve),important recueil de chansons, formulettes et devinettes enfan-tines; la collection des Almanachs des Traditions populaires (Paris,Maisonneuve, 3 vol.), recueil malheureusement interrompu. Bien-tt paratra la. Flore populaire de la France, travail pour lequell'auteur a runi plus de cent mille notes.

    Entre temps,. M. Eugne Rolland fondait en 1878, le Diner de maMre l'Oye, et organisait des runions de traditionnistes chaque,vendredi soir, d'abord'au caf Voltaire, puis au caf de la Rgenceet l'Univers. Nous n'avions plus de recueil priodique, c'tait l-notre revue parle avec des collaborateurs comme MM. Ploix,Jean Rville, Gabriel Vicaire, Dr Leclerc, Frdric Ortoli,Bonnardot, Bogisic, Bianou, Hjalmar Pettersen, Ch. Joret. Blad,Brueyre, de Charencey, Gilliron, Vinson, Dr Janvier, de Puymai-gre, feu de Ronchaud, de Sivry, etc. Les folk-loristes on lesdsignait alors de ce nom barbare apprirent se connatre et

  • 248 LA TRADITION

    purent se communiquer leurs lectures, leurs travaux, leurs ides.M. Rolland tait le prsident incontest de notre modeste clan.

    Un soir, au caf Voltaire, le groupe s'augmenta d'une vingtaine denouveaux venus qui, la file, taient venus s'asseoir autour de M.Rolland et lui prodiguaient des : Cher Matre I n,'en plus finir.Rolland n'y comprenait rien. Lorsque tout--coup, un des surve-nants lui dit: Cher M. Zola ... . Les tradilionnistes inconnustaient djeunes crivains naturalistes ! et ils avaient cru recon-natre en Eugne Rolland l'auteur des Rougon-Macquart !... Et ilest de fait qu'un portrait de Zola est la fois un portrait physi-que russi de Rolland I

    Au mois de mars 1884, Mlusine reparaissait. Depuis la fin de1877, les tudes de traditionnisme s'taient multiplies; la revuepouvait vivre. Et elle vcut. Et maintenant Mlusine est une desplus importantes revues de Folk-Lore de l'Europe. L'lan taitdonn, si bien qu'en 1887, les tradilionnistes franais se comptentpar centaines, et que trois revues, la Mlusine, la Revue des Tradi-tions populaires et la Tradition sont consacres en France, tant larecollection qu' l'lude des traditions populaires.

    Telle est l'oeuvre oeuvre qui n'en est qu' ses dbutsde M.Eugne Rolland. On nous permettra de nous arrter ici ; nous au-rons plus d'une fois encore l'occasion de revenir sur le savant di-recteur de Mlusine.

    C. DE WARLOY.

    Ce n'est certes pas aux lecteurs d cette Revue qu'il est besoin d'expli-quer longuement l'importance du mouvement littraire connu sous lenom de Flibrige. Il y a beau jour que les aptres de la Renaissance m-ridionale ont parmi nous cause gagne. Nul ne songe leur reprocherd'tre franchement de leur province, de garder avec soin l'accent du paysnatal, pas plus que de prfrer toute autre la langue du cr si pi-quante, si claire, si savoureuse et si image.

    Quant aux sottes accusatious de sparatisme, elles feraient aujourd'huihausser les paules. On comprend fort bien que l'amour passionn de lapetite patrie, loin de nuire au culte de la grande, ne peut que l'entreteniret le dvelopper. Comme l'a dit l'auteur des Charbonniers :

    J aime mon village plus que ton village,J'aime ma Provence plus que ta province,J'aime la France plus que tout I

    IL s'est trouv d'ailleurs que ces patoisants taient tout simplement;pour la plupart, de grands potes, et ceux-l mme qui regrettent qu'ilsn'aient pas crit en franais s'inclinent volontiers devant leur talerit.

  • LA TRADITION 249Tmoin le succs du nouveau livre de Flix Gras, le Romancero Pro-vencal.

    Dj trs connu par son beau pome des Charbonniers et sa geste deToloza, Gras est de ceux qu'on cite d'ordinaire en compagnie d'Aubanelet de Mistral. Il se distingue par la fougue de l'imagination, la richessedu stylo, l'clat des images. Sa posie a je ne sais quoi d'oriental. On ditqu'il ressemble un prince maure et que les gens de son pays sont derace sarrasine ; ce serait alors un cas d'atavisme.

    Par dessus tout, il a, chose rare aujourd'hui, le temprament pique.Son Romancero est une suite de petites popes qui, toutes, se rapportenta la Provence et la glorifient. Les papes d'Avignon, les Sarrasins, lesvieux barons d'autrefois en font presque tous les frais. Il en est au restepour tous les gots, de gracieuses, de tendres, de terribles, voire de sim-plement pittoresques.

    On s'y aime pleine bouche, on s'y tue sans compter. Un souffle ardentcourt dans ces pages qui rappellent les plus belles romances maures-ques, Elles brlent, elles tincellent. Chaleur et flamme, tout s'y ren-contre.

    Dans une note qui a fait le tour des journaux, l'diteur affirme quel'auteur a tir tous ses sujets de son propre fond. Peut-tre n'est-ce pasabsolument exact. Mais qu'importe ? Il n'y a rien de nouveau sous lesoleil, Salomon l'a dit avant nous et tel qui croit inventer ne fait biensouvent que se souvenir. L'essentiel est de refondre et de renouveler son usage les vieux thmes, matire essentielle des potes de tous lestemps, de les rendre siens par la forme, de les marquer son effigie.Flix Gras y a russi mieux que personne. On ne lui demandera pascompte de ses emprunts, s'il en a fait. 11a cr dans le vrai sens du mot.Ses inventions portent son empreinte, elles sont bien lui.

    En mme temps, il a su leur donner une forme populaire qui est ravir. Il n'y a l ni dcalque, ni pastiche, ni imitation. Rien de plus ais,de plus naturel. Supposez un homme du peuple de quelque culture et deriche imagination, il ne parlera pas autrement. Chaque pice, admira-blement coupe, forme un petit drame o l'nergie n'exclut pas la grce.Le dialogue abonde, vif, serr, rapide comme dans la vie mme. Les r-pliques se pressent et se heurlent comme deux pes dans une passe d'ar-mes. La phrase vole plutt qu'elle ne court. Cette fois, la rhtorique, sichre aux populations mridionales, est bien mise en oubli. C'est la na-ture seule qui parle.

    Je voudrais donner au lecteur une ide de cette posie tout la foissimple et clatante. Je n'ai que l'embarras, du choix. La Romance de Mi-rabelle, le Pape d'Avignon, le Roi des Sarrasins, Jeannette du Cotillon vert,Guilhem de Cabestang, la Jacoumine, le Baron de Maguelonne, la Dame Ti-bor, la Romance du Roi don Pierre, seraient citer en entier. Je prfremontrer comment le pote a su rajeunir et transformer les antiques l-gendes de l tradition chrtienne. Je ne garantis pas son orthodoxie.

  • 250 LA TRADITION

    mais c'est l, me semble-t-il, qu'il a t sinon le plus ingnu, car il ya bien de l'art dans son fait et mme de l'artifice, du moins le plus ori-ginal.

    Voici le dbut de la Romance de Jsus. Elle ne perd pas trop la tra-duction :

    C'est la blonde Maa qui s'habille bon matin. Dans le jardin royal, sur leversant des Alpilles, elle va cueillir des lys. Elle on emplit son tablier bleu.Tant elle en emporte dans ses bras qu'elle n'en peut plus !

    Sous l'amandier clair, la chaste fille se repose. Les dards du soleil lui tien-nent les cils clos. Lentement une douce vision vient envahir son coeur : ellerve qu'elle est la plus belle fleur du jardin.

    Elle croit tre le lis blanc balanc par la brise : elle croit qu' ses piedss'tale un tapis de violettes. Et elle se complat aux chants des oiseaux et elle

    tressaille d'aise aux baisers du blanc soleil. trange est son plaisir quand l'abeille se pose sur son calice blanc que

    son aile caresse. Son harmonieux bourdonnement lui semble un doux langage.Oh ! plaisir cleste ! Oh ! chastes tressaillements !

    Maintenant l'abeille en ange s'est transforme. Maintenant tout son par-fum va dans son haleine. Maintenant l'ange lui dit : Tu enfanteras un fils,tu l'appelleras Jsus, il sera l'homme Dieu !

    Soudain elle ouvre les yeux et voit, sous l'alle, l'ange blouissant de per-les et d'or, qui regagne l-bas le grand palais d'Arles !

    N'est-ce pas l une bien jolie transcription du mystre de l'Annoncia-tion? Et voil du coup le bon Dieu qui est Provenal. Aussi avec quelleonction il bnit la Provence :

    Belle terre d'amour ; parce que lu m'as vu natre, tes champs seront fer-tiles, drus seront tes pturages. Les autres nations auront toutes pri que tuseras encore un Paradis en fleur.

    Provence, frais jardin, tu seras toujours fconde ; ternellement les coupsde rames argenteront les vagues de tes mers, tes hommes dfendront leurs li-berts, tes femmes garderont la grce et la beaut.

    Tout ct voyez s'jouir la belle Magdeleine, une Magdeleine avant lapnitence, telle qu'et pu l'imaginer un matre imagier du XVI 0 sicle,un peu parpaillot :

    Aussitt qu' sa vitre le jour brille, la belle Magdeleine entonne un chantd'amour.

    Elle pose ses pieds blancs sur le tapis de soie, et devant son miroir ellecrie : J'ai soif d'amour.

    Avec la gerbe de ses cheveux blonds, elle fait deux tresses qui ondulentsur ses hanches et baisent ses talons.

    a Elle prend l'ampoule d'or et de senteurs, arrose et ses flancs, et son ventre,et ses mamelles roses.

    Elle met des anneaux blouissants de diamants aux orteils do ses pieds,aux doigts de ses mains.

    Avec le ruban bleu, elle ceint d'une main leste son front d'ange que vontfltrir toutes les hontes !

    Puis elle appelle ses pages, les grands et les petits, et, superbe, elle montesur son alfran.

  • LA TRADITION 251 Suivie de ses gens, elle va en chevauche. Voici qu'elle rencontre deux

    chevaliers d'arme. Les deux cavalcadours la saluent aussitt. Oh ! galants chevaliers, entrez en mon chteau !Ils entrent au chteau de la gentille pucelle. Dans la vaisselle d'or, un festin

    leur est servi. Magdeleine a quitt son vtement de soie, et a pris dans ses bras le plus

    jeune des deux. La pucelle n'a plus d'autre vtement que la gerbe dlie de sa chevelure

    d'or. Puis elle a fait venir l'autre chevalier, et lui a livr sa chair jusqu' l'au-

    rore ! Le lendemain il en arrive d'autres, et dans le voisinage on apprend vite

    qu'au chteau il y a toujours orgie nouvelle. Y accourent affols les vieillards et les enfants. L toute chair qui hurle

    apaise sa faim. Et sept annes durant, les gens de Galile ont vu grands scandales par

    monts et par valles, J'ai tenu donner en entier cette curieuse page, toute riche et fleurie

    la manire de la Renaissance, parce qu'elle montre merveille les deuxqualits matresses de Flix Gras, l'ardeur et l'clat. En regard, il fau-drait citer, comme contraste, la nave histoire de Jeannette au Cotillonvert ou les terribles aventures du baron de Maguelonne et de Jacoumine.Mais on doit se borner.

    Je renvoie donc le lecteur curieux d'en apprendre davantage, au Ro-mancero Provenal. Il y verra comment il est possible d'tre neuf et hardien remontant aux sources mmes de la tradition. Les potes d'aujour-d'hui s'ingnient de mille faons renouveler leur art puis. En hainedu commun,ils tombent volontiers dans la manire et l'incohrence. C'estchercher midi quatorze heures. Pourtant la verte fontaine est encorel, sous les chnes, comme au temps des fes, toujours claire et pure,ternellement jaillissante.

    Le rossignol y vient boire. Faites-en autant.GABRIEL VICAIRE.

    (1) Le volume se termine par une collection d'airs nots. Ceux des deuxromances dont j'ai donn des extraits sont du maestro Aima Rouch, et re-marquables par la fracheur du coloris et la justesse de l'accentuation. Lesautres airs sont de vritables airs populaires, connus de longue date enProvence.

    Neuilli sur Seine, 27.10. 87.Cher Monsieur,

    Vous me demandez de mtre vos lecteurs au courant des travaus dela Socit de Rforme Ortografique: je le fais d'autant plus volontiersque je suis assur d'avanse de leur simpatie -

  • 252 LA TRADITION

    Dabord, il importe de ne pas confondre, corne on le fait souvant, laSocit de R. 0. avec l'Association fontique des professeurs delangues vivantes. Cete dernire socit, dont j'ai l'honeur d'tre przi-dant, vize rformer nos mtodes d'enseignemant des langues, qui sontpitoyables corne chacun sait. Les membres de \'Association fontique,convaincus que l'tude del langue parle doit prcder cel de la languecrite, enseignent la prononsiation avant l'ortografe, et se servent dansce but d'une transcripsion fontique qu'ils ont choizi, de la le nom.Mais l'Association, qui est internationale et conte 115 membres, nes'ocupe pas de rforme ortografique (1).

    La Socit de Rforme Ortografique, au contraire, a pour but stricte-mant restrint la simplification de l'ortografe fransaize. C'est une oeuvremodeste en aparanse, mais d'une importanse capitale : qui peut dire,en fet, jusqu' quel point les & chinoizeries de notre ortografe retar-dent l'instrucsion de nos enfans, entravent l'ducation populaire, emp-chent notre belelangue de s'etandre et de se dveloper ? Simplifier notrenotation ortografique, surcharje de caractres inutiles et d'un emploiembarassant, ce serait suprimer dis pour cent au moins de travail perdudans la plus gnrale de nos industries ; conformer cete notation a desprinsipes raizonables et clairs, ce serait suprimer une bien plus forteproporsion de travail perdu dans notre instrucsion nationale, et dispan-ser les maitres d'enseigner corne des dogmes des rgles arbitraires etconfuzes qui ne peuvent que fausser, aprs l'avoir tortur, l'esprit desenfans . Ainsi parle M. Gaston Paris. Et M. L. Havet exprime la mmepense en dizant: Tel lecteur srieus demandera peuttre si l'ortografevaut qu'on l'amliore: c'est si peu de choze aus yeus de l'home fait, cetetude enfantine! A ce lecteur de bone foi je rpons que come lui je trou-ve nos rgles mprizables, mais que des milions d'enfans peinent a lesaprandre, et que l'importanse de ce qui n'en a pas se mezure au temsqu'on y perd .

    Le mme auteur, parlant des prtansions timolojiques de notre orto-grafe, dit: II y a de braves gens qui aimeraient a la voir respecter pourses vellits timolojiques. Qu'il leur soit.dit, avant qu'ils ouvrent labouche, que le seul emploi de cet argumant serait un brevet d'ignoranse. MM. M. Bral, P. Meyer, A. et J. Darmesteter, en un mot tous les linguis-tes comptans ont fait des dclarations analogues.

    La Socit de Rforme Ortografique, s'inspirant de ces ides, a dcla-r la guerre a notre mode d'criture traditionel. Acueillie dabord par unimmanse clat de rire, ele a rzist au rdicule, qui pourtant, dit on, tueen Franse. Aus plaizanteries et aus quolibets, les rformateurs rpon-daient en dfiant qui que. ce soit de traiter srieuzemant et publique-mant la question de l'ortografe et de conclure contre la reforme:et ce dfi, vint fois rpt, n'a jamais t relev. Peu peu, les adzionssont venues, timidemant dabord, puis plus nombreuzes. Tandis que legrand public restait indifrant, les instituteurs, condns par leurs fonc-sions a toucher du doit les vices de notre sistme ortografique, se mon-traient simpatiques aux ides de rforme. Au Congrs d'Instituteurs du

    (1) Dizons, en passant, que la Vile de Paris vient de mtre la; disposition ,del'Association fontique trois de ses cours

    1complmantaires, pour y faire l'expriahse

    de la mtode qu'ele prconize.

  • LA TRADITION 253

    mois de septambre de cete ane, nous propozions deus rzolutions, quitaient votes, l'une a une grande majorit, l'autre l'unanimit desmembres przans. Voici le texte de ces rzolutions.

    1 On viterait le surmenaje en simplifiant l'ortografe.Le Congrs met le voeu que l'Acadmie fransaise et l'Acadmie

    des Inscripsions et Bles Letres s'entandent pour la formationd'une comission mixte, charje d'tudier les simplifications ratio-nles a aporter a l'ortografe.

    2 La dicte ne sera plus liminatoire a l'examen du certificatd'tudes primaires ; maison conlinura a la noter de 0 10, enenlevant deus poins par faute. Au dessous de 5 fautes, on enlveraun point par faute a l'ensamble des notes obtenues, dans les autresmatires ...

    Ces deus*rzolutions montrent quel chemin les ides de rforme ont

    dj fait.En lizant cete letre. les lecteurs de la Tradition ont pu s'apersevoir

    que l'ortografe simplifie dont nous nous servons est trs loin d'tre fo-ntique . C'est sur l'avis des linguistes dont j'ai cit les noms plus hautque nous nous somes abstenu jusqu'ici d'crire fontiquemant, dabord parcrainte de trop froisser les habitudes, puis parsque, la fontique tantune sianse toute nouvle, il faut aler avec prcaution dans les aplicationsqu'on en fait, de peur d'avoir a revenir sur des dcizions prcipites.

    Cepandant et c'est peut tre ce qui intressera le plus vos lecteursnous avons aussi un alfabet fontique,destin surtout auxmaitres quivoudraient exprimanter la mtode fontique d'enseignemant de la lec-ture. Deus de nos collgues, MM. Maxton et Roussey, l'ont dj fait avecsucss. Si notre alfabet continue doner de bons rzultats, nul douteque nous n'en tandions les aplications, aprs l'avoir amlior s'il le faut.En atandant, il peut servir, outre l'enseignemant de la lecture,a des tra-vaus siantifiques, notamant a la notation des prononsiations populaires,et, avec quelques additions faciles, a cel des patois. Ce dernier pointocupe pluzieurs membres del Socit, qui nous ont fait esprer des tra-vaus sur les patois lorain, francontois, niois, provansal. Il serait a sou-aiter, en efet, que toutes les persones s'ocupant de dialectolojie fus-sent tant soit peu fontistes. Les textes en patois reproduits en ortogra-fe uzule sont les trois quarts du tems presque inintellijibles, ou dumoins ne donent qu'une ide bien faible de l'orijinal ; une notation fo-ntique, mme grossire, serait bien prfrable. Peut tre la Traditionpourait ele tenter quelque chozeavec notre alfabet.

    En terminant, permtez moi d'adresser un apel a vos lecteurs en faveurde notre Socit. La plupart, j'en suis sur, nous aprouvent et voudraientnous voir russir. Mais il ne sulit pas de former des souaits : il faut unconcours actif. La cotization de membre de la Socit est trop minimepour frayer persone ; et ceus qui y entrent sont surs de s'y trouver enbone compagnie. J'espre que nous conterons pluzieurs menbres parmiVos lecteurs.

    Croyez mes sentimans dvous.PAUL PASSY.

    Adresser les adzions M. E. Faivre, 33, rue Tournefort, Paris.(Cotizations : Adrants, 2 francs; membres actifs, 5 francs; soci-taires. 10 francs).

  • 254 LA TRADITION

    LA CHANSON DES HIRONDELLES.

    Les hirondelles sont parties !

    Hier, lorsque tombait la nuit,Autour de mes chesneaux blotties,Elles se rassemblaient sans bruit.Les hirondelles sont parties !

    Elles tenaient un grand conseil :Vers quel point inconu du monde,Vers quel .site chaud et vermeilIrait leur course vagabonde?...Elles tenaient un grand conseil.

    Elles coutaient les plus sagesParlant de vallons innomms,De blancs et d'odorants rivagesO leurs vols s'taient embaums.Elles coutaient les plus sages.

    Toutes rpondaient la fois : Gagnons l'Afriqne aux lauriers roses,Ou la Provence aux rouges toits,Ou l'Espagne aux fentres closes. Toutes rpondaient la fois.

    Enfin la plus vieille hirondelle,Coulumire des longs parcours,Franchit l'espace d'un coup d'aile

    Et ft taire les vains discours.C'tait la plus vielle hirondelle.

    A son appel strident et sr,La troupe s'est toute envole,Et comme un nuage en l'azur,A fui dans la nuit toile,A son appel strident et sr.

    O sont-elles quand l'heure estsombre?

    Quand les vents d'hiver embrumsTiennent nos champs dserts dans l'om-Et nos tristes logis ferms ?... [breO sont-elles quand l'heure est sombre?

    Elles sont aux pays lointains

    Pleins de chaleur et de lumire,Suspendant leurs nids incertainsA quelque joyeuse chaumire.Elles sont aux pays lointain s.

    Elles sont o la brise est douce,O, grce des climats meilleurs,Les bois verdissent sur la mousseEt les mimosas sont en fleurs:

    Elles sont o la brise est douce.

    ED. GUINAND.

    LA PETITE GARDEUSE DE MOUTONS.

    Elle s'appelle Madeleine.Dans sa courte robe de laine,Sous son bonnet de calicot,Admirez-vous comme elle est gente,Avec sa figure engageanteA mine de coquelicot.

    Jamais la petite ne chme ;Blottie en sa niche de chaume

    A ct du vieux chien poilu,

    Tous les jours, dimanche et ftes,Elle est aux champs gardant les btes,Ainsi le matre l'a voulu.

    Certes son pre n'est pas riche,Mais, s'il tait un peu moins chicheIl eut gard l'enfant chez lui.Car c'est dur d'aller cette geMener les bestiaux au pacageDevant que le soleil ait lui.

  • LA TRADITION 255

    Malgr mitaines-et capote,Quand vient le froid elle grelotteEl son visage devient bleu.Sa main migonne et potelePeut peine, elle est si gele !Aux brindilles mettre le feu.

    Lorsque la flamme lente et mince

    Parat enfin, le froid qui pinceL'abandonne pour un moment.Et Madeleine soupire d'aise,En passant de la grosse braiseDans ses sabots, bien vilement.

    Quelques noix, un peu de fromage,Un morceau de pain de mnage,Voil chaque jour son repas.De ce menu, las! bien sommaire,Plus d'une fillette sa mreDirait: Maman, je n'en veux pas...

    Puis, lorsque tombe la vespre,Dans sa capote bien serreElle regagne la maison.Aprs la soupe, elle se coucheRvant de l't dans sa couche...L't, c'est sa bonne saison!...

    EMILE FERR

    BIBLIOGRAPHIE

    W. M. Luzel. Contes populaires de la Basse-Bretagne. Troisvol. in-8 cu de XX 452, 454,480 pages. Maisonneuve et Ch. Leclerc, diteurs,-25 quai Voltaire. (22 fr. 50).

    Le nom de M. Luzel est connu de tous ceux qui s'occupent de rechercher etd'tudier les traditions populaires et particulirement les contes et les lgen-des. Un des premiers en France, avec MM. Blad et Cerquand, l'rudit bretons'est pris de passion pour la littrature orale. Ds 1844, M. Luzel se fit conteraux veilles les rcits merveilleux conservs dans la mmoire des vieux Bretons,car c'est en Bretagne que l'auteur des Contes populaires qui viennent de para-tre dans la riche collection Maisonneuve et Ch. Leclerc, c'est en Bretagne, di-sons-nous, qu'il s'est cantonn, de mme que M. Blad a choisi la Gascogne,P. Sbillot, le pays gallot, Frdric Ortoli, l'le de Corse, Cosquin, la Lorraine,Henry Garnoy,: la Picardie, Jean Fleury, la Normandie, etc. En 1865, M. Luzelpubliait quelques rcits populaires dans le Conteur breton. Puis il donnasuccessivement plusieurs ouvrages dont les plus importants sont: Sainte-Try-phine et le roi Arthur (mystre breton); Gwerziou Breiz-Izel (Posies populai-res de laBasse-Bretagno, en 2 vol.) Les Veilles bretonnes (Contes et lgendes).Lgendes chrtiennes de la Basse-Bretagne (2 volumes); et enfin ses Contes po-pulaires de. la Basse-Bretagne.

    Ces trois volumes forment un des plus curieux recueils lgendaires franaisque nous possdions. Ils sont diviss en XII livres ou parties.: I. Voyagesvres le soleil(S contes) ; II. Recherche de la Princesse aux cheveux d'or (7 con-tes) ; III. Mythe de Psych (6 contes) ; VI. Le fidle serviteur (3 contes) ; V. Le Corps-sans-Ame (1 conte) : VI. Le Magicien et son Valet (6 contes) ; VII. Les trois frres (8 contes) ; IX. Contes talismans (5 contes) ; X. Ma-rtres et Sorcires (5 contes) ; XI. Contes divers (11 contes) ; XII. Contesfactieux (7 contes),

    Ou voit par cette seule enumration tout, l'intrt de l'ouvrage de M. Luzel.L'rudit breton a eu la nonne fortune de rencontrer d'excellents conteurs lammoire vraiment prodigieuse. Nous citerons particulirement Barba Tassel,de Plouaret, et Marguerite Philippe, de Pluzunet, Ce sont en effet, dit M. Lu-zel, mes conteurs ordinaires et on peut dire qu' elles deux, elles possdent lasomme assez complte, des vieilles traditions orales du pays, gwerziou, soniou,

  • 256 LA TRADITION

    contes et rcits do toute nature. Barba Tassel m'a t d'un secours prcieuxpour les traditions du canton de Plouaret, qui, dans mon enfance, avaient d-j fait mes dlices, au foyer dos veilles du manoir paternel do Keranborgne,et que j'ai t heureux do retrouver, pour la plupart, fidlement conservesdans sa mmoire. Porteuse de dpches tlgraphiques du bureau de Plouaretet des lettres de convocation de la mairie, elle est constamment par les che-mins , malgr ses soixante-douze ans, et chante toujours avec plaisir, un vieuxgwerz, ou rcite un conte merveilleux, avec beaucoup de verve, surtout quand-elle a bu une goutte d'eau-de-vie, pour lui dlier la langue.

    Marguerite Philippe m'a livr tout le trsor de littrature populaire connuentre le bourg do Pluzunet la montagne de Br, Guingamp, Pontricux, Trguieret Lannion. Doule d'une intelligence mdiocre, elle possde une excellentemmoire, aime avec passion les vieilles chansons et les contes mervcilleux-auxquels elle n'est pas loigne de croire, et conte simplement et avec ungrand respect pour la tradition. Fileuse la quenouille de profession, et pleri,ne par procuration, elle est aussi presque constamment sur les routes, se diri-geant vers quelque place dvote des Ctes-du-Nord, du Finistcrre ou du Mor-bihan, pour implorer le saintdont c'est la spcialit de gurir le mal de la per-sonne qui l'envoie, ou do son cheval, ou de sa vache, ou de son porc ; et raptporter une fiole pleine de l'eau do sa fontaine ; car chaque chapelle en Bretagnea sa fontaine dont l'eau est rpute propre gurir quelque infirmit physiqueou morale. Partout o elle passe, elle s'enquiert des traditions courantes de lalocalit, coule, apprend, et, deux ou trois fois par an je lui donne un rendez-vous Plouaret, pour me faire part des acquisitions nouvelles dont s'est enri-chi son trsor. C'est vraiment tonnant tout ce qu'elle m'a chant ou cont, etje lui aide grandes obligations, tant pour mon recueil do Gwerziou-Breiz-Izel,ou Chants populaire de la Basse-Bretagne, que pour la prsente collection.

    Los trois nouveaux volumes do M. Luzel seront d'excellents matriaux pourl'Histoire du Conte en France, M. Luzel est, avec notre excellent ami M. Blad,un matre conteur. Grce ces deux savants, la France n'a rien envier l'Allemagne. Leslrres Grimm n'ont rien donn do plus parfait.

    Revue des patois, Recueil trimestriel consacr l'tude des patois et an-ciens dialectes romans de la Franco et des rgions limitrophes, publie parL. Cldat, professeur la Facult des Lettres de Lyon. (Abonnement : 15francs.). Bouillon et E. Vieweg, diteurs, 67, rue de Richelieu.

    Voici une revue bien curieuse et bien intressante et qui no tardera pas,nous l'esprons, prendre une bonne place ct de ses soeurs anes la Ro-mania et la Revus des Langues romanes, et aussi ct des revues de Tradi-lionismo. La Revue des patois, rpond un besoin. Elle groupera les cher-cheurs et les rudits qui. chacun dans leur province respective, tudient lesdialectes franais. En mme temps, elle nous promet et nous donne dj des contes et des chansons populaires patoises indits qui viendront s'ajou-ter celles dj recueillies par M. Bugeaud, Weckerbin et Ghampfleury, Eu-gne Rolland, Cie do Puymaigro, Frdric Ortoli, Gabriel Vicaire, Ch. Guillon,Julien Tiersot, P. Sbillot, etc... et l'importante collection des M. S. de laBibliothque Nationale. Nous citerons dans len 2 d'abord une savante tude deM. L. Cldat, puis un Conte patois de M. Nizicr du Puitspelu, une Randonnede M. Ch. Joret, des Lgendes et chansons patoises do MM. F. Brunot, F. Fer-tiault, Dr Gonnot, Tronchon, Combior, J. Martin. Nous reviendrons plus d'unefois sur les travaux de la Revue des patois.

    HENRY CARNOY.

    Le Grant : HENRY CARNOY.

    Laval, Imp. et slr. E. JAMIN, 41, rue de la Paix.

  • Laval. Imprimerie et strotypie E. JAMIN.