La Tradition 1887-09 (N6)

38
La Tradition (Paris. 1887) Source gallica.bnf.fr / MuCEM

description

REVUE GENERALE des Contes, Légendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

Transcript of La Tradition 1887-09 (N6)

  • La Tradition (Paris.1887)

    Source gallica.bnf.fr / MuCEM

  • La Tradition (Paris. 1887). 1887-1907.

    1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numriques d'oeuvres tombes dans le domaine public provenant des collections de laBnF.Leur rutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n78-753 du 17 juillet 1978 : *La rutilisation non commerciale de ces contenus est libre et gratuite dans le respect de la lgislation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source. *La rutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par rutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produitslabors ou de fourniture de service.

    Cliquer ici pour accder aux tarifs et la licence

    2/ Les contenus de Gallica sont la proprit de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code gnral de la proprit des personnes publiques.

    3/ Quelques contenus sont soumis un rgime de rutilisation particulier. Il s'agit :

    *des reproductions de documents protgs par un droit d'auteur appartenant un tiers. Ces documents ne peuvent tre rutiliss, sauf dans le cadre de la copie prive, sansl'autorisation pralable du titulaire des droits. *des reproductions de documents conservs dans les bibliothques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signals par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothquemunicipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invit s'informer auprs de ces bibliothques de leurs conditions de rutilisation.

    4/ Gallica constitue une base de donnes, dont la BnF est le producteur, protge au sens des articles L341-1 et suivants du code de la proprit intellectuelle.

    5/ Les prsentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont rgies par la loi franaise. En cas de rutilisation prvue dans un autre pays, il appartient chaque utilisateurde vrifier la conformit de son projet avec le droit de ce pays.

    6/ L'utilisateur s'engage respecter les prsentes conditions d'utilisation ainsi que la lgislation en vigueur, notamment en matire de proprit intellectuelle. En cas de nonrespect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prvue par la loi du 17 juillet 1978.

    7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute dfinition, contacter [email protected].

  • N 6. Prix du Numro : Un franc. Septembre 1887.

    SOCIETE DES TRADITIONNISTES

    LA TRADITION

    REVUE GENERALEdes Contes, Lgendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

    PARAISSANT LE 15 DE CHAQUE MOIS

    Abonnement : France, 13 francs. tranger, 15 francs.Cotisation de Socitaire donnant droit au service de la Revue : 15 francs.

    PARISDUPRET, DITEUR

    3, rue de Mdicis, 3.

  • LIVRAISON DU 15 SEPTEMBRE 1887

    LE PCHEUR DE PORT-MIOU, LGENDE PROVENALE, par J.-B. B.renger-Fraud.

    LES FES DE FRANCE, NOUVELLE, par Alphonse Daudet.LES TROIS GALANTS, CHANSON DE LA BRESSE, recueillie par Gabriel

    Vicaire.LA FILLE DU GEOLIER, CHANSON POPULAIRE, recueillie par Charles

    de Sivry.MOEURS ET SUPERSTITIONS JAPONAISES. I. LE RENARD, par

    Hector Ganiilly.LA DAME DE MONTIGNY-LE-GANELON, par Emile liaison.FANCHY, POSIE de Achille Millien.LA LITTRATURE POPULAIRE. II. OPINION DE Charles Nodier.LA FIANCE DU CONSCRIT, POSIE de Charles Crandmougin.LE PRE LICOQUET, CONTE CHAMPENOIS, par Frdrie Chevalier.QUAND ON EST MARI, CHANSON DU BUGEY, recueillie par Henri

    Bidault.LE CHAT, ROI DES FORTS, LGENDE RUSSE, par Henry Carnoy.A TRAVERS LES LIVRES ET LES REVUES, par C. de Warloy.BIBLIOGRAPHIE, par Auguste Gitie.

    La Tradition parat le 15 de chaque mois. Le prix de l'abon-nement est de 12 fr. pour la France (15 fr. pour l'tranger).

    La cotisation des Socitaires est de 15 francs payables dansle courant du premier semestre de l'anne, et donnant droit l'envoi de la Revue.

    Il sera rendu compte de tous les ouvrages adresss la Revue.Prire d'adresser les adhsions, la correspondance, les articles,

    changes, etc., M. Henry CARNOY, 33, rue Vavin.

    Les manuscrits seront examins par un Comit de rdactioncompos de MM. Emile BLMONT, Henry CARNOY, Raoul GI-NESTE, Ed. GUINAND, Charles LANCELIN, Frdric ORTOLI,Charles de SIVRY et Gabriel VICAIRE. Les manuscrits non ins-rs seront rendus.

  • LA TRADITION

    LE PCHEUR DE PORT-MIOU

    A l'ouest du golfe de Cassis, sur le littoral de la Provence, peu de dis-tance de Marseille, se trouve une baie profonde et. anfractueuse, vri-table fiord semblable ceux des cotes de Norwgc, portant le nom dePort-Miou portus melius , qui a t de tout temps considr commeun excellent point de refuge par les marins de la cote Cello-Lygienne.

    La forme de cette baie de Port-Miou est trs remarquable; les falaisesde son goulet sont, en effet, si abruptes et sont disposes de telle sorteque lorsqu'on vient de la mer pour s'abriter dans sa calanque, il semblequ'on va se briser au pied de rocs inaccessibles et battus aux mauvaisjours par des lames furieuses.

    L'esprit potique et amoureux du merveilleux des Provenaux ne pou-vait rester indiffrent en prsence de ce phnomne curieux de la nature:un rcit populaire sensation devait venir enjoliver l'histoire de ce sitepour bien en graver le souvenir dans l'imagination de ceux qui le voient,pour la premire fois.

    Ce conte dit qu'un jour de grand mauvais temps, une frle barque depcheurs dans laquelle le pre tait le patron, le jeune fils l'uniquematelot, fut oblige de venir chercher un abri sur ce point du littoral.Rester la mer, c'tait la perspective d'une mort certaine : force tait doncde venir tout prix se rfugier clans une calanque de la cote.

    La barque pousse par un vent furieux volait sur les lames cumantes,et approchait avec une rapidit vertigineuse de la terre. Le pre tait la cargue, tout prt a trangler la voile, comme disent les marins, pourmodrer l'abordage la plage quand il serait temps ; le fils tenait le gou-vernail.

    Tout coup, le pre voit avec terreur des rochers qui semblent oppo-ser la barque une barrire infranchissable; saisi de terreur, il crie sonfils de loffer pour essayer de revenir en pleine mer, croyant que la coteest inhospitalire et que, si la barque ne s'en loigne pas, le naufrage estinvitable.

    Mais le fils, qui a devin qu'il y a un passage et. qu'il est possible d'allerabriter l'esquif dans la calanque, n'obit pas l'ordre donn ; au con-

    traire, il met la barre du gouvernail du ct oppos.Le pre, furieux autant que terrifi par le danger qu'il croit courir, se:

  • 162 LA TRADITION

    prcipite sur le pauvre mousse, et d'un coup de barre l'tend raide mort ses pieds, au moment o la barque ayant franchi heureusement la passedifficile, entrait dans la baie calme autant qu'hospitalire de Port-Miou.

    On comprend, sans que j'aie besoin d'insister longuement sur les dtailsde ce drame, tout ce qu'il y a de saisissant dans la lgende, l'imaginationne peut qu'en tre trs vivement frappe. Mais lorsqu'on se demandece qu'il peut y avoir de vrai dans cette affaire on ne tarde pas reconna-tre que, cette fois, comme bien souvent, on se trouve-en prsence d'unelgende de l'antiquit qui s'est perptue jusqu' nous. La preuve quej'en puis donner, c'est d'abord que les Romains la connaissaient, carau commencement de notre re Valre Maxime l'a mise dans sonlivre, o se trouvent, on le sait, tant d'anecdotes et d'histoires invraisem-blables.

    Les Romains attribuaient l'aventure Annibal au lieu de la mettresur le compte d'un pcheur anonyme ; ils leur donnaient pour cadre lacte de Sicile au lieu du littoral de la Provence. Voil les seules diff-rences peu prs.

    II

    LGENDE DU PILOTE D'ANNIBAL. En l'an 580 de Rome, Annibalse trouvant Ptile, dan's le golfe actuel de Policastro, eut besoin, dit lalgende, d'aller Carthage ; il fit quiper une flotte et se confia la di-rection d'un pilote auquel il donna des ordres pour que la traverse se fitaussi vite et aussi bien que possible.

    La flotte partit, le pilotte lui fit ctoyer l'Italie jusqu'au dtroit deMessine ; et l, au lieu de s'engager dans la direction du sud, travers ledtroit,il doubla le cap Pelorus dans l'intention de suivre la cte septen-trionale de la Sicile, et d'arriver ainsi par le plus court chemin enAfrique.

    Mais Annibal, qui ne connaissait pas la gographie de la Sicile, se figuraque la vraie route directe passait par le dtroit de Messine, c'est--direqu'il fallait se diriger vers le sud; il pensa que c'tait pour le trahir quele pilote se dirigeait vers l'ouest. Plein de colre, il donna ordre de le tuerds qu'il eut dpass le cap Pelorus ; et ce n'est qu'aprs que le malheu-reux pilote eut cess de vivre qu'il reconnut son erreur.

    Plein de regrets, il fit lever un superbe tombeau sur ce cap Pelorus aumalheureux pilote, en souvenir de sa fin tragique.

    (Val. Max. T. 2, p. 272).Le lecteur n'a pas besoin que j'entre dans de longs dveloppements

    pour admettre l'identit des deux lgendes ; il acceptera sans peine que cequi est racont aujourd'hui encore sur les ctes de Provence avait t ditbien des fois par les conteurs d'anecdotes du vieux monde romain.

    Je dois ajouter que cette fois comme bien souvent, ce n'est pas chez'les Romains que nous trouvons la priorit de l'ide, c'est dans l'histoire

  • LA TRADITION 163

    grecque. Tant il est vrai, ainsi qu'on l'a fait remarquer mille fois, que lesRomains firent des emprunts incessants aux Grecs dans toutes les cho-ses de l'esprit.

    Pour appuyer mon assertion, voici la lgende grecque que nous trou-vons dans le livre si remarquable de Strabon.

    III

    MEURTHE DE SALGANE. Lorsque la flotte de Xerxs, comman-de par Mgabate, envahit la Grce, le pilote Salgane fut requis de la con-duire depuis le golfe Maliaque'jusqu'au Pire. Il s'acquitta en consciencede son office, et, pour viter les dangers de la grande mer, il dirigea les na-vires dans l'troit canal qui spare l'le d'Eub du continent. Mgabate,inquiet de cette manoeuvre, parce qu'il craignait une trahison,le surveillaitde trs prs, et quand ils furent arrivs prs de l'Euripe, le passage de-vint si troit, qu'il fut persuad que Salgane l'avait conduit dans uneimpasse pour le fourvoyer. Outr de colre, il le fit mettre mort incon-tinent, et reconnut bientt qu'il avait eu tort, car les navires purent con-tinuer leur navigation sans encombre. Aussi, pntr de regrets, il fit le-ver sur le promontoire le plus saillant du passage difficile, un magnifiquetombeau la victime de son aveugle colre.

    (Strabon, T. 2, liv. IX, chapitre II, 9 p. 222).

    IV

    En prsence de ces trois ditions de la mme aventure, le doute n'estpas possible ; il est bien vident que la premire en date est celle de Stra-bon, de sorte que l'on peut penser : ou bien que cette lgende du pcheurde Port-Miou fut apporte sur notre littoral par les Phocens lorsqu'ilsvinrent fonder Massalie sur notre cte celto-tygienne, ou bien que lesRomains l'empruntrent aux Grecs et l'appliqurent un endroit dter-min de leur pays, puis nous la passrent de bouche en bouche, et quenous lui avons fait subir une modification semblable pour l'approprier la configuration de notre littoral.

    Qu'on admette la transmission directe, ou qu'on croie la filiationsuccessive, toujours est-il que le point de dpart de l'ide nous paraitaujourd'hui devoir tre rattach l'imagination grecque. Peut-tre pour-rait-on la faire remonter plus haut si on avait des documents plus pr-cis sur les civilisations Carthaginoise et Phnicienne, en un mot sur lesoeuvres de l'esprit de ceux qui ont prcd les Romains et les Grecs dansla Mditerrane.

    Dans tous les cas, la raison qui a fait appliquer la lgende ici ou l,sur le littoral mditerranen est facilement comprhensible : des hommesde mme nature, c'est--dire ayant une tournure d'esprit semblable, fu-rent frapps par la configuration de certains points du littoral.

  • 164 LA TRADITIONA Ngrepont, en effet, lorsqu'on arrive par la pass du Nord, entre la

    terre et la longue le d'Eube, on voit tout coup la configuration des c-tes devenir telle, qu'il semble qu'on est arriv dans une impasse sans au-cune issue. Or avec des gens imagination potique, et dans un pays odes invasions de barbares avaient laiss dans l'esprit des souvenirs d'actesde frocit stupide, on comprend que la donne de l'aventure de Salga-ne devait se produire et trouver son accueil dans l'auditoire.

    Une fois l'aventure imagine, lorsque les mmes hommes se trouvrentdans un endroit, comme le dtroit de Messine, ou premire vue il sembleque la route d'Italie Carthage passe par le Sud, tandis qu'en ralit ellepasse le long de la cte nord do la Sicile, l'ide que le pilote ne suit pasle chemin qu'il faut suivre vient l'esprit. Et comme c'taient les Cartha-ginois qui jouaient ici le rle que les Pefses avaient jou sur le littoralhellnique, c'est Annibal qu'on attribua l'acte barbare du meurtre d'uninnocent.

    Sur notre littoral, o la vue porte au loin, et o le rle des pilotes n'apas une importance de premier ordre pour la scurit des btiments quiveulent aller d'un point un autre, il tait ncessaire de modifier le cadrede l'aventure. Et comme le seul endroit o'elle pouvait tre applique necomportait pas l'ide d'une flotte, mais seulement d'une petite barque,il s'est agi d'un pcheur au lieu d'un gnral d'arme.

    Cette modification n'enlve rien la gense de l'ide primitive; aussi,que le conteur ait mis en scne Xerxs, Annibal ou un pcheur anonyme,il n'en est pas moins vrai que la filiation de la premire la dernireversion apparat toute claire et toute prcise.

    BRENGER FRAUD.

    LES FES DE FRANCENOUVELLE

    Accuse, levez-vous, dit le prsident.Un mouvement se fit au banc hideux des ptroleuses, et quelque

    chose d'informe et de grelottant vint s'appuyer contre la barre.C'tait un paquet de haillons, de trous, de pices, de ficelles, devieilles fleurs, de vieux panaches, et l-dessous, une pauvre figurefane, tanne, ride, crevasse, o la malice de deux petits yeuxnoirs frtillait au milieu des rides comme un lzard la fente d'unvieux mur.

    Comment vous appelez-vous? lui demanda-t-on Mlusine. . Vous dites?... Elle rpta trs gravement ;

  • LA TRADITION 165 Mlusine. Sous sa forte moustache de colonel de dragons, le prsident eut un

    sourire, mais il continua sans sourciller : Votre ge? Je ne sais plus. Votre profession ? Je suis fe ! . . . Pour le coup l'auditoire, le conseil, le commissaire du gouverne-

    ment lui-mme, tout le monde partit d'un grand clat de rire; maiscela ne la troubla point, et de sa petite voix claire et chevrotante,qui montait haut dans la salle et planait comme une voix de rve,la vieille reprit :

    Ah ! les fes de France, o sont-elles ? Toutes mortes, mes bonsmessieurs. Je suis la dernire; il ne reste plus que moi... En vrit,c'est grand dommage, car la France tait bien plus belle quand elleavait encore ses fes. Nous tions la posie du pays, sa foi, sa can-deur, sa jeunesse. Tous les endroits que nous habitions, les fondsde parcs embroussaills, les pierres des fontaines, les tourelles desvieux chteaux, les brumes d'tangs, les grandes landes marcageu-ses recevaient de notre prsence je ne sais quoi de magique et d'a-grandi. A la clart fantastique des lgendes, on nous voyait passerun peu partout tranant nos jupes dans un rayon de lune, ou courantsur les prs la pointe des herbes. Les paysans nous aimaient, nousvnraient.

    Dans les imaginations naves, nos fronts couronns de perles,nos baguettes, nos quenouilles enchantes mlaient un peu de crainte l'adoration. Aussi nos sources restaient toujours claires. Les char-rues s'arrtaient aux chemins que nous gardions ; et comme nousdonnions le respect de ce qui est vieux, nous, les plus vieilles dumonde, d'un bout de la France l'autre on laissait les forts gran-dir, les pierres crouler d'elles-mmes.

    Mais le sicle a march. Les chemins de fer sont venus. On acreus les tunnels, combl ls tangs, et fait tant de coupes d'arbres,que bientt nous n'avons plus su o nous mettre. Peu peu lespaysans n'ont plus cru nous. Le soir, quand nous frappions sesvolets,Robin disait : C'est le vent ! et se rendormait. Les femmesvenaient faire leurs lessives dans nos tangs. Ds lors a t fini pournous. Comme nous ne vivions que de la croyance populaire, en laperdant, nous avons tout perdu. La vertu de nos baguettes s'estvanouie, et de puissantes reines que nous tions, nous nous som-mes trouves de vieilles femmes, rides, mchantes comme des fesqu'on oublie ; avec cela notre pain gagner et des mains qui nesavaient rien faire. Pendant quelque temps, on nous a rencontresdans les forts tranant des charges de bois mort, ou ramassant desglanes au bord des routes, Mais les forestiers taient durs pour nous,

  • 166 LA TRADITION

    les paysans nous jetaient des pierres. Alors comme les pauvres quine trouvent plus gagner leur vie au pays, nous sommes alles lademander au travail des grandes villes.

    Il y en a qui sont entres dans des filatures. D'autres ont vendudes pommes l'hiver, au coin des ponts, ou des chapelets la portedes glises. Nous poussions devant nous des charrettes d'oranges,nous tendions aux passants des bouquets d'un sou dont personne nevoulait, et les petits se moquaient de nos mentons branlants, et lessergents de ville nous faisaient courir, et les omnibus nous renver-saient. Puis la maladie, les privations, un drap d'hospice sur latt... Et voil comme la France a laiss toutes ses fes mourir.Elle en a t bien punie !

    Oui, oui, riez, mes braves gens. En attendant, nous venons devoir ce que c'est qu'un pays qui n'a plus de fes. Nous avons vutous ces paysans repus et ricaneurs ouvrir leurs huches aux Prus-siens et indiquer les routes. Voil ! Robin ne croyait plus aux sorti-lges; mais il ne croyait pas davantage la patrie... Ah ! si nousavions t l, nous autres, de tous ces Allemands qui sont entrs enFrance, pas un ne serait sorti vivant. Nos draks, nos feux folletsles auraient conduits dans des fondrires. A toutes ces sources puresqui portaient nos noms, nous aurions ml des breuvages enchan-ts qui les auraient rendus fous; et dans nos assembles, au clair delune, d'un mot magique, nous aurions si bien confondu les routes,les rivires, si bien enchevtr de ronces, de broussailles, ces des-sous de bois o ils allaient toujours se blottir, que les petits yeuxde chat de M. de Moltke n'auraient jamais pu s'y reconnatre. Avecnous les paysans auraient march. Des grandes fleurs de nos tangsnous aurions fait des baumes pour les blessures, les fils de la Viergenous auraient servi de charpie ; et sur les champs de bataille, lesoldat mourant aurait vu la fe de son canton se pencher sur sesyeux demi ferms pour lui montrer un coin de bois, un dtour deroute, quelque chose qui lui rappelle le pays. C'est comme cela qu'onfait la guerre nationale, la guerre sainte. Mais, hlas ! dans les paysqui ne croient plus,dans les pays qui n'ont plus de fes, cette guerre-l n'est plus possible.

    Ici la petite voix grle s'interrompit un moment, et le prsidentprit la parole :

    Tout ceci ne nous dit pas ce que vous faisiez du ptrole qu'ona trouv sur vous quand les soldats vous ont arrte.

    Je brlais Paris, mon bon monsieur, rpondit la vieille bientranquillement. Je brlais Paris parce que je le hais, parce qu'il ritde tout, parce que c'est lui qui nous a tues. C'est Paris qui a en-voy des savants pour analyser nos belles sources miraculeuses, etdire au juste ce qu'il entrait de fer et de soufre dedans. Paris s'estmoqu de nous sur ses thtres. Nos enchantements sont devenus

  • LA TRADITION 167des trucs, nos miracles des gaudrioles, et l'on a vu tant de vilainsvisages passer dans nos robes roses, nos ;chars ails, au milieu declairs de lune au feu de Bengale, qu'on ne peut plus penser noussans rire... Il y avait des petits enfants qui nous connaissaient parnos noms, nous aimaient, nous craignaient un peu; mais au lieudes beaux livres tout en or et en images, o ils apprenaient notrehistoire, Paris maintenant leur a mis dans les mains la science laporte des enfants, de gros bouquins d'o l'ennui monte commeune poussire grise et efface dans les petits yeux nos palais enchan-ts et nos miroirs magiques... Oh ! oui, j'ai t contente de le voirflamber, votre Paris... C'est moi qui remplissais les botes des p-troleuses, et je les conduisais moi-mme aux bons endroits : Allezmes filles, brlez tout, brlez, brlez !...

    Dcidment cette vieille est folle, dt le prsident. Emmenez-la. ALPHONSE DAUDET.

    LES TROIS GALANTSCHANSON DE LA BRESSE

    J'ai trois jolis galants, (bis)Le long d'un gai,

    D'un joli mois de mai,J'ai trois jolis galants,

    Tous trois ils me demandent.

    De baraquettes blanches, (bis)Le long d'un gai,

    D'un joli mois de mai,Tout en les apportant,

    Il a fait sa demande.

    Tous trois ils me demandent, (bis)Le long d'un gai,

    D'un joli mois de mai,Y en a un boulanger.

    L'autre valet de chambre.

    Il a fait sa demande, (bis)Le long d'un gai,

    D'un joli mois de mai,Aux quatre coins du lit,

    Le rossignol y chante.

    L'autre valet de chambre, (bis)Le long d'un gai,

    D'un joli mois de mai,Et l'autre cordonnier,

    Celui qui me contente.

    Le rossignol y chante, (bis)Le long d'un gai,

    D'un joli mois de mai,Chante, rossignolet,

    T'auras ta rcompense.

    Celui qui me contente, (bis)Le long d'un gai,

    D'un joli mois de mai,Il m'a fait des souliers,

    De baraquettes blanches.

    T'auras ta rcompense, (bis)Le long d'un gai,

    D'un joli mois de mai,T'auras pour ton diner,

    Quatre pommes d'orange.

    Quatre pommes d'orange, (bis)Le long d'un gai,

    D'un joli mois de mai,T'auras pour ton souper,

    Une salade blanche.

    Cette chanson m'a t dite Bourg-en-Bresse par une bonne originaire deTossiat (Ain). GABRIEL VICAIRE

  • 168 LA TRADITION

    LA FILLE DU GEOLIER

    jour les pri- son - niersII

    C'tait un dimanche matin,Son pre va-t-en campagne ;EU' mit la main sous l'oreillerEt prend les clefs des prisonniers.

    IIIEl F prend les clefs de la prison,A son amant les donne. Sors-t'en de l toi,mon mignon,Voici les port's l'abandon.

    . IV D'la prison je n'sortirai pas,Franois', belle Franoise,D'la prison je n' sortirai pas,Que mon procs n' soit excut l.

    lui font la courVI

    Alors le juge y a d'mand : Qu'est votre amant la belle ? C'est celui qu'a les fers aux pieds,Le plus joli des prisonniers.

    VIILors le juge la prend par la main, Relevez-vous, Franoise,Il est jug, il en mourra,Un autre amant il vous faudra.

    VIIIPour d'autre amantje n'en veux pas,O Pierr', mon ami Pierre,Ou mourir cy ou mourir l,Je veux mourir entre tes bras.

    V IXAux pieds du juge ell' s'est jet', Or son amant qui est en haut,D'mand' pardon pour son prisonnier. Il commence s'tendre,

    Puis il demande son bourreau,De le couvrir de son manteau.

    XOr mais le jug' qui est en bas,Regardant cette fille : Descendez-les, mariez-les,Afin qu'il n'en soit plus parl.

    Chanson recueillie par CHARLES DE SIVRY.la musique a t recueillie par MmeMARGUERITE SERTICARI,

  • LA TRADITION 169

    MOEURS ET SUPERSTITIONS JAPONAISESI

    LE RENARDIl existe au Japon un tre privilgi, hros habituel dos popes popu-

    laires et des contes fantastiques raconts le soir au coin du feu (je veuxdire autour du brasero et de la table th), sur le dos duquel la superstition empile toutes les vicissitudes dont la pauvre humanit est assaillie,tous les vilains tours, toutes les mchancets diaboliques qu'ailleurs onimpute au hasard ou au diable ; un tre la fois craint et rvr, auquelon va jusqu' vouer un culte vritable, et qui d'ailleurs, plus malicieuxencore que mchant, apporte son concours l'homme presque aussisouvent qu'il lui tend des piges et lui fait des niches abominables, quoique,cette dernire occupation ressortisse plus directement sa spcialit.

    Cet tre, qui occupe par suite, dans la littrature japonaise, une placeconsidrable, n'est pourtant qu'un simple quadrupde, de l'ordre desmammifres carnassiers ; c'est messire Kitsn ou matre Renard, un malinil est vrai, mais lgrement encombrant, peut-tre, dans cette occasion.Au Japon, du reste, l'imagination populaire parat hante surtout par desanimaux auxquels clic prle des sentiments, des proccupations, des in-fluences dont ils sont fort loigns et ne se soucient gure ; et il n'est pastonnant que la littrature et les arts se ressentent de celte prdisposition, laquelle on trouverait sans peine de nombreuses analogies chez lespeuples occidentaux. Aussi, ct, ou plutt au-dessous du renard, y ren-controns-nous toute une lgion de fauteurs de mauvais tours, tels que leblaireau et le chat, tantt allis, tantt ennemis de Kitsn, mais toujoursennemis de l'homme.

    La spcialit du blaireau, notamment, est de se dguiser en jeunefemme, pour attirer dans ses piges les jeunes cervels qui ne songentmme pas s'assurer, pralablement toute dmarche compromettante,si un bout de queue ne dpasse point la robe de la dcevante beaut.

    Mais le premier de tous ces mauvais farceurs, celui dont la patte setrahit visiblement, pour le Japonais, dans toutes les intrigues dont il estvictime, c'est le Renard. Ce n'est pas le vent qui secoue les portes, branleles cloisons de l'habitation, quand l'ouragan est dchan, c'est Kitsn ;un cri ou un bruit quelconque pris pour tel, retentit dans la nuit et r-veille en sursaut l'aeule effraye, ou sa fille, ou sa petite-fille : c'est unemalice de messire Kitsn, rien d'autre ; une ombre se projette sur la cloi-son sans qu'elle puisse se rendre immdiatement compte de la. cause dece phnomne si simple, elle y voit aussitt non un revenant, comme celapourrait se faire dans un pays plus civilis, elle y voit sans le moindredoute le museau pointu pu la queue du Kitsn dont elle a la tte farcie.

    Toutefois, comme nous l'avons dit, Kitsn est reconnu capable dequoique bien, de beaucoup de bien mme. Ainsi, au tmoignage deM. Aim Humbert, les jardins et les vergers d'Odji-Inari, dans la banlieuede Ydo, sont placs sous sa protection et ne. s'en trouvent pas mal. Il ya mme une chapelle.

    Sa petite chapelle, dit le voyageur, tapisse d'une paisse couched'ex-voto, est prcde d'une avenue o l'on a prodigu les toris peints

  • 170 LA TRADITION

    en vermillon. Il n'y a de l'un l'autre que la distance d'un saut derenard; peine sont-ils hauteur d'homme. Le chemin est d'ailleursmontueux, tortueux, embarrass des racines des sapins du bosquet sacr;on ne peut le gravir qu'avec prcaution et en baissant la tte. C'est danscette humble position qu'on atteint l'esplanade. L, il faut passer entredeux images de granit reprsentant la malicieuse divinit accroupie, laqueue retrousse, le museau en l'air, mais de son oeil oblique poursuivantquiconque s'approche du sanctuaire. Les fidles s'inclinant respectueuse-ment font leurs ablutions, jettent leur pice de monnaie dans le tronc, ets'agenouillent pour prier sur les marches de la chapelle. C'est le dix-septime jour du premier mois qui attire surtout la foule dans les jardinset sur les collines d'Odji-Inari. On contemple de loin, dans le marais, legrand arbre autour duquel a d se clbrer la veille, le sabbat annuel desrenards. On interroge avidement les personnes qui prtendent les avoirvus accourir, chacun prcd de l'un des innombrables feux-follets queles esprits des rizires ont toujours l'obligeance de mettre la disposi-tion de la socit. Selon le rapport des tmoins touchant le caractre dela fte, l'affluence des convives, le plus ou moins de gaiet de leurs mani-festations, on tire des conjectures sur l'anne qui commence, on fait despronostics sur l'abondance et la qualit des rcoltes qu'elle promet. Puison s'assied autour du brasero dans les chambres d'htes des maisons deth, et l'on devise voix basse sur la mystrieuse influence du Kitsndans les affaires de ce monde.

    On voit quel point cette influence est admise. Quels que soient la cir-constance dans laquelle on se trouve inopinment, l'vnement qui seproduise, on ne criera pas la fatalit, la chance, on n'y chercherapas d'autre explication que celle-ci : le renard y a pass.

    J'ai eu, dit un des convives mis en scne par M. A. Humbert, le malheurde perdre un enfant. Le mdecin n'a pu mme indiquer le sige de sonmal. Tandis que la mre se dsolait, la lampe dispose auprs du cadavreprojetait au loin l'ombre de la pauvre femme. Tout le monde qui taitdans la chambre de deuil a pu s'apercevoir que cette ombre dessinait surle chssis la silhouette d'un renard !

    Et les voyageurs, poursuit un voisin, que de fois n'ont-ils pas err dansles rizires, sur les indices fallacieux des feux-follets que Kitsn a lepouvoir de faire cheminer sa guise ?

    Et les propos continuent, donnant du pouvoir mystrieux de Kitsn,exerc on ne peut plus capricieusement, les preuves les plus concluanteset surtout les plus varies.

    Kitsn a bon dos, je vous assure.Il jouit, de plus, du don de mtamorphose, et ce n'est pas d'hier. Sous

    ce rapport, il figure avec avantage dans les annales de l'empire japonais, la date de 1150 notamment. En ce temps-l, les finances de l'empiretaient dans un dsarroi lamentable ; de sorte que le mikado, forc l'conomie, se rsigna congdier sa favorite. L'innocente beaut, dansson affliction, quitta donc le palais, mais sous la forme d'un gentil renardblanc par de six queues disposes en ventail, parure fort rare, maissatisfaisant l'esprit d'conomie qui rgnait alors la cour.

    La chronique populaire cite des cas nombreux de mtamorphoses dejeunes filles en renards et de renards en jeunes filles ; et il n'y a vraimentque des esprits forts, vilaine engeance, capables de douter de leur authen-ticit. Mais peut-tre vaudrait il mieux y croire moins absolument, que

  • LA TRADITION 171

    de se laisser aller aux excs du hros de l'histoire suivante, rapportepar M. Georges Bousquet :

    Un soir, qu'une riche famille recevait ses amis, l'entretien vient tomber sur les renards et leurs exploits. Un des assistants, Tokutaro, unesprit fort, traite ces rcits de fables. Dfi lanc, pari tenu. Notre hommese met en route vers un bois. Sur la lisire, un renard s'enfuit sonapproche; un instant aprs, il voit venir lui une jeune fille qu'il con-naissait. Point de doute, c'est le renard qui a pris cette forme ; et notrehabile homme feint de se laisser emmener par elle,tout en examinant avecsoin s'il ne voit pas dpasser la queue et s'tonnant fort de ne rien d-couvrir. Arriv chez les parents de la jeune fille, qu'il connaissait, il lesprend part et leur dit :

    Vous avez cru que c'tait votre fille qui entrait avec moi, c'est unrenard.

    Notre fille, un renard ! s'crie la mre indigne. Voil bien une in-sulte jeter d'honntes gens !

    Tokutaro soutient son dire et, pour le dmontrer, saisit la jeune filleet l'accable de coups jusqu' ce qu'elle reprenne sa forme. Il frappe sibien qu'elle en meurt. Cette fois, il n'a plus peur d'tre jou par les re-nards, il craint d'avoir tu une innocente jeune fille. Les parents vontqurir main-forte, et on va faire justice du meurtrier, quand passe par lun prtre, qui obtient sa grce la condition qu'il entrera dans les ordreset subira la tonsure. Il s'y soumet de grand coeur. En ce moment, Toku-taro entend un clat de rire ; il ouvre les yeux, le jour parat, et il seretrouve sur la bruyre o le renard lui est apparu. Tout cela n'taitdonc qu'un rve ? Hlas ! non. En passant la main sur son crne pel,il s'aperoit, mais un peu tard, de ce qu'il en cote pour dfier de pareilsennemis. Revenu auprs de ses amis, bafou et honteux, il finit par sefaire moine.

    Et notez que ce Tokutaro tait un esprit fort. Si c'et t un espritfaible, on se demande ce qui ft arriv !

    Kitsn, qui n'en peut mais, est donc tour tour une divinit protec-trice et une bte malfaisante, seul rle qu'on lui laisse chez nous et quilui convienne bien, dans notre conviction ; c'est aussi un joujou, ou plusexactement le principal personnage d'un jeu qui ne tourne pas toujours son avantage, quoique ce personnage soit considr priori comme leplus rus de la compagnie, comme serait le renard dans son tat naturel,suppos qu'il figurt en compagnie d'autres animaux.

    Des rcits de diffrents voyageurs, nous infrons que le jeu du renardprsente d'assez nombreuses varits. L'important, pour le rle principal,consiste s'affubler de telle sorte et prendre des attitudes telles que, lalumire convenablement dispose, l'ombre du personnage projete sur lacloison y dessine la silhouette de l'animal fameux par-dessus tous dansles fastes japonais. En un mot, c'est une sance d'ombres chinoises agr-mente d'une sorte de jeu comparable, en apparence du moins, la morrades Italiens, et dont le rsultat nous parait favorable au perdant, puisquec'est lui qui boit le verre de saki (bire de riz) qui constitue l'enjeu.

    Mais ce n'est l que la premire partie de la fte La seconde, qui donnelieu des manifestations plus bruyantes, n'aurait peut-tre pas moins desuccs chez nous, si on avait le courage de l'y introduire. Voici en quoielle consiste :

    Sur un de ces petits guridons bas qu'on ne trouve qu'au Japon, on

  • 172 LA TRADITION

    place un objet quelconque ; on fait ensuite un noeud coulant au milieud'une longue corde, dont les extrmits sont tenues par deux personnes,de manire que le noeud coulant se trouve suspendu devant le guridon etl'objet qui est plac dessus, dnomm rat, quel qu'il soit, dans ce cas. Ils'agit maintenant, pour le renard, de s'emparer du rat en tendant lamain vers lui travers le noeud coulant, sans s'y laisser prendre le bras ;et pour les gardiens du rat, qui tiennent les deux bouts de la corde, detcher de prendre dans ce noeud, en tirant en mme temps sur la cordeau bon moment, le bras tendu du renard.

    Ici encore, ce n'est pas toujours messire Renard qui sort vainqueur del'preuve ; il lui arrive souvent, au contraire, de se laisser prendre, carsi vivement qu'il agisse, les deux gardiens du rat ne sont pas endormisnon plus, et il suffit que le bout du doigt du renard se trouve pris dansle noeud coulant pour qu'il ait perdu. Dans ce cas-l, c'est ses frais quecoule le saki, et il demeure pris jusqu' ce que quelqu'un de la compagnieintervienne en sa faveur. Dans le cas contraire, c'est--dire si les gardienstirent la corde trop tard et quand le renard triomphant s'est empar durat et que sa main s'est dgage du passage dangereux, c'est ceux-ci rgaler la compagnie.

    Pendant toute la dure des exercices du jeu du renard, la galerie pincedu samsim ou guitare trois cordes, chante et bat des mains en cadence.

    Quant Kitsn, mis toutes les sauces, le rle qu'on lui prle ici n'estpas des plus relevs ; mais on sait qu'il se rattrape l'occasion (1).

    HECTOR GAMILLY.

    LA DAME DE MQNTIGNY-LE-GANELONNon loin de Cloyes, sur la cte septentrionale du Loir, se dresse le gros

    bourg de Montigny-le-Ganelon, firement camp sur des rochers graniti-ques. Au-dessus s'lve, orgueilleux et superbe, son magnifique chteaufodal tout plein de grands souvenirs : adventures galantes, mles deshistoires de cape et d'pe, qui inspiraient jadis la verve des troubadours.

    C'tait, en ce temps-l, une petite ville close et fortifie comme une

    place de guerre. Le chteau, dment flanqu de bastions, ajoutait sesmoyens de dfense et facilitait au seigneur de cans l'entreprise de sesdesseins belliqueux au dehors, sr qu'il tait de ne point trouver la placeprise son retour : genre de rapt trs la mode au moyen ge. Certes,Montigny-le-Ganelon a bien perdu de son importance ; mais il est facile dose faire une ide de ce qu'il devait tre, alors qu'clair par les derniers

    rayons d'un soleil couchant, sa majestueuse silhouette se dessinait de profil travers les premires brumes du soir. En dpit des ans couls, mon

    imagination le revoit toujours ainsi, et souventes fois je me surprends

    (1) D'aprs le Journal des Voyages.

  • LA TRADITION 173

    vivre en esprit sur les remparts du vieux chteau, guettant l'ennemi ousongeant dame Yolande, tout bas, bien bas... Chut ! voici son seigneuret matre qui passe suivi de ses gens d'armes ; s'il avait doutance de monrve d'amour, ce soir je serais pendu la poterne comme un vil ladre, etles vautours viendraient dvorer ce coeur qui a battu pour elle...

    Jadis, la seigneurie de Montigny relevait de la tour de Chteaudun.D'aprs la tradition du pays, Charlemagne en avait gratifi le chevalierde Ganelon, qui le trahit ensuite Roncevaux. On verra pourquoi tout l'heure.

    La fille de Ganelon s'tant fiance Roland, pour lequel son pre avaitde l'aversion, deux fois lche et flon, ledit chevalier de Ganelon l'auraitlivr au roi Marsile. Ainsi le veut la croyance populaire, telles enseignesque dans les rixes frquentes qui survenaient, nagures encore, entre lesgens de Montigny et ceux de Cloyes, ces derniers jetaient leurs voisinsle mot de trahison en manire d'injure et de dfi. Je me souviens d'avoirmoi-mme jet ce mchant reproche mes camarades de l'autre ct duLoir : Montigny-le-Ganelon, o s'est fait la premire trahison ! telle taitla formule, reste pour la plupart, sinon pour tous, l'tat d'nigme.

    De tout temps, du reste, ceux de Montigny ont eu la rputation d'tre

    querelleurs endiabls. Quand on les interroge l-dessus, volontiers ilsdisent : Que voulez-vous ? c'est un bien d'hritage. De fait, ce sont

    gens de l'ancienne Gaule, souvent battus, jamais vaincus, toujours rebel-les, les derniers reprsentants de la nationalit gauloise demeurs purs detout mlange ; or, chez les individus comme chez les peuples, les senti-monts et les moeurs se transmettent et se continuent d'ge en ge, jus-qu'au jour o d'autres moeurs, impuissantes jusque-l sur ces derniersvestiges d'une race, finissent pas s'y acclimater, au grand dommage de

    l'esprit national.Aux ftes patronales des communes environnantes, les jeunes gens de

    Montigny se prenaient souvent de dispute avec ceux des pays voisins, etil en rsultait presque toujours des luttes corps corps, d'aucunes fois coups de pierre, en se servant de la fronde. Y a-t-il eu trve ou armistice ?J'en doute. Qui sait si cet esprit querelleur, ce besoin de batailles n'tait,n'est pas un souvenir instinctif, faisant suite aux habitudes guerrires con-tractes par leurs aeux, lorsque Montigny tait ville fortifie, qu'on yfaisait le guet et que le chteau tait confi leur garde.

    J'ai souvenance d'avoir entendu raconter plusieurs lgendes des bordsdu Loir : mais aucune n'est aussi profondment reste dans ma mmoire

    que celle connue dans le pays dunois sous le nom de : La Dame de Monti-

    gny-le-Ganelon. Encore aujourd'hui, les vieillards de nos campagnes la ra-content leurs petits-enfants, comme leur ayant t narre eux-mmes

    par dfunts nos anctres ; car, pour n'tre point barons, ils se flattent

  • 174 LA TRADITION

    d'avoir des anctres comme ceux-ci, et n'ont point tort, par ma foi I Decette lgende, aussi bien, paraissent dcouler certains faits dignes de re-marque, cause du singulier surnom que portent depuis trois sicles lesdeux villages dont elle fait mention. Ainsi que toutes les vieilles histoires,le rcit qui m'en est parvenu se ressent un peu du surnaturel, embelliqu'il a t par une longue srie de narrateurs l'imagination plus oumoins noire. Que le lecteur veuille bien faire la part du diable !

    Dj depuis prs de deux ans, sinon davantage, le seigneur deMontigny tait parti pour de lointains pays o la guerre avait portses ravages, laissant au chteau son pouse et quelques serviteurs.Celui-l tait vraiment possd de la folie de l'pe ; il disait volon-tiers de sa longue rapire : Madame ; ce dont la chtelaine semontrait fort jalouse, non point qu'elle l'aimt, au moins ! Lapreuve du contraire se verra par la suite ; mais d'ores et dj, quechacun retienne bien ceci :

    Le coeur de la femme est un puits o oncques aucun hommen'est descendu.

    Combien diffrente tait la chtelaine de son poux ! Autant celui-ci avait l'humeur cordiale et compatissante, autant celle-l, aucontraire, se montrait dure et hautaine, et grande tait la craintequ'elle inspirait ses vassaux ; car ils avaient souffrir de sonmauvais caractre, lorsque le chtelain la quittait pour se mettreen voyage ; aussi le retour du matre tait-il attendu avec impa-tience et ft avec joie par tous ces pauvres gens.

    Donc, on attendait son retour, et des mois entiers s'coulaientsans nouvelles aucunes. Ce fut dans cet intervalle d'attente que ladame de Montigny fit un soir, la tombe de la nuit, la rencontred'une mendiante, accompagne de sept petits enfants qui semblaienttous avoir le mme ge. La pauvresse s'approcha d'elle pour luidemander l'aumne ; mais la dame lui dit avec duret :

    Une chienne ne porte pas plus de petits que vous d'enfants ! A ces mots, la mendiante, qui n'tait ni plus ni moins qu'une

    sorcire, lui rpondit : Vous riez de moi, madame; eh bien, pour votre punition, vous

    aurez en une seule couche autant de rejetons qu'une laie a de petits.Aprs quoi la pauvresse disparut, et la chtelaine revint au ch-

    teau, riant fort de ce qu'elle venait d'entendre. Or on affirme quequelque temps aprs, la dame mit au monde neuf enfants, et cela lemme jour. Elle devint furieuse et ordonna que l'on se mt la re-cherche de la maudite sorcire ; puis, ayant fait venir une de sessuivantes, elle lui dit :

    Mon seigneur poux doit revenir bientt ; comme je redoutesa colre, enlve huit de cette marmaille, et les va jeter dans leseaux du Loir.

  • LA TRADITION 175

    La servante enferma dans un sac les huit pauvres petites inno-centes cratures, et, favorise par la nuit, elle se dirigeait vers leLoir qui baigne la base des coteaux de Montigny, lorsque tout coup elle entendit venir de son ct des gens d'armes cheval sui-vis d'autres pied : c'tait la troupe du seigneur de Montigny.Celui-ci, venant elle, lui dit d'un ton enjou :

    O vas-tu, cette heure, ma mie ? Elle lui rpondit qu'elle allait noyer des petits chiens ; mais son

    matre lui ayant demand les voir, elle dut lui faire confidence.Le brave chtelain fut tellement pntr de douleur en appre-

    nant les fautes de son pouse qu'il entra, contre son ordinaire,dansun grand courroux et jura chtiment; cette fin,il fit lever secrte-ment les huit pauvrets dans le bourg ; puis, un jour, d'aucuns disentsept ans aprs leur naissance,il les fit amener au chteau,mit au mi-lieu d'eux celui que la chtelaine avait adopt, et les ayant tous vtusde la mme manire, il envoya qurir sa femme et lui fit cettedemande :

    Madame, o est votre fils ? montrez-le moi ? Elle ne le put, car ils se ressemblaient tous comme des bessons.

    Devenue confuse, puis interdite, elle se jeta aux pieds de son mari ;mais il la repoussa et lui dit :

    Quelle mort avez-vous mrite ? Elle de rpondre qu'elle mritait qu'on la jett du haut du ch-

    teau, enferme toute nue dans un tonneau garni de pointes et delames, ne trouvant pas ce supplice disproportionn sa faute.

    Le chtelain ayant donn ses ordres, la malheureuse roula de lasorte jusque dans le Loir dont le courant l'entrana loin de Monti-gny. Un homme d'armes la suivait en criant aux curieux des paysriverains :

    Laissez passer la justice du haut et puissant seigneur de Mon-tigny-le-Ganelon !...

    Enfin la dolente chtelaine tant arrive vers le soir entre Saint-Jean et Saint-Claude, villages situs au-dessous de Bouche-d'Aigre, .sur le Loir, elle se mit crier merci.

    L'homme d'armes, qui la devait suivre jusqu' Saint-Jean, pourla retirer morte ou vive,eut piti de ses plaintes; il retira la cruellemachine et en fit sortir la victime,dans un bien piteux tat, je vousassure. Elle demanda des hardes pour se couvrir ; on lui apportaun manteau, et, quand elle l'eut mis sur son pauvre corps meurtri,elle s'cria en rendant l'me :

    Ah ! froid mantel !... C'est depuis cette poque que les villages de Saint-Claude et Saint-

    Jean portent le surnom de Froidmantel.Pour ce qui est du seigneur dont il est parl cans, au fond, c'tait

    un loyal coeur et une vaillante lame ; il dut regretter par la suite

  • 176 LA TRADITION

    d'avoir t sans misricorde, et reconnatre, part lui, qu'unefemme ne met pas au monde neuf enfants, d'un seul coup, sans l'in-tervention d'une puissance trangre, esprit malin ou dmon.

    EMILE MAISON.

    FANCHY. Le bon vin m'endort,Et l'amour me rveille.

    (Vieille chanson).Fanchy, le gars faraud, s'en revient de la fle,Son chapeau sur l'oreille et des bagues aux doigts;II se cambre, il se carre, il incline la tte,El siffle mieux qu'un merle en passant par les bois.

    Comme il sort du taillis pour entrer dans la plaineO les seigles barbus commencent jaunir.Assises, brune et blonde, au bord de la fontaine,Deux filles, d'un oeil froid le regardent venir.

    L'oeil estfroid, moins pourtant qu'il ne veut le paratre ;Le coeur l'est-il aussi, pour un si beau garon ?Prenez bien garde vous, belles, l'amour est tratre!.,.Fanchy s'approche, leste et gai comme un pinson.

    La sente qu'il suit passe vingt pas des deux filles :Il se dtournera pour leur parler d'amour...Mais non : droit devant lui, sous l'ombre des ramilles.Il s'en va crnement, sans faire aucun dtour.

    Un clair a jailli des yeux noirs de la brune ;Son dpit se rvle: Ah! garon mal appris !.. L'autre suit d'un regard doux comme un clair de luneLe gars trop fier... Vos coeurs, belles, sont dj pris !

    Tant pis !... Fanchy n'est pas de ceux que l'amour mne,Il rit quand les amants content leur dsespoir ;Lui, pour qui le canton n'aurait pas d'inhumaine,Passe souvent auprs des belles sans les voir,

  • LA TRADITION 177

    Au bouchon le plus proche, il va boire bouteille,Il s'loigne entonnant un vieil air sans faon: Moi, le bon vin m'endort et l'amour me rveille... Et les chos du val rptent sa chanson.

    Mais tout coup sa voix au tournant de la haieS'teint... Que dis-tu l, Fanchy, mon bel ami?Arrte, pense-t-il, ta chanson n'est pas vraie :Est-ce que le bon vin t'a jamais endormi ?

    ACHILLE MlLLIEN.

    LA LITTERATURE POPULAIREII

    OPINION DE CHARLES NODIERCharles Nodier fui, comme on sait, avec Grard do Nerval, George Sand et

    H. Babou, un profond admirateur des traditions conserves dans le peuple parvoie de tradition orale. La plupart des chefs-d'oeuvre de Charles Nodier ont tinspirs par dos contes et par des lgendes qu'il avait recueillis soit au cours deses voyages, soit dans des ouvrages ignors, dcouverts sur les rayons do nosbibliothques: Trilbij, la Lgende de Soeur Batrix, Trsor des Fves et Fleur desPois, la Fe aux Miettes, etc. Quelque jour nous reviendrons sur l'oeuvre doCharles Nodier et nous essayerons de montrer la part qui revient la Traditiondans ces nouvelles d'une allure si gaie, d'un style si accompli et si original.

    La Tradition doit tre le recueil des archives des choses populaires. Nous pen-sons que nos lecteurs seront heureux de retrouver dans notre revue, ne ft-cequ' titre de documents, ce que pensaient de la littrature populaire les ma-tres crivains dont l'avis, ce nous semble, peut faire autorit dans les questionsde littrature et d'art.

    Voici d'abord l'introduction place par Nodier on tte de la Lgende de SoeurBatrix.

    Il toit bien convenu en France, il y a une vingtaine d'annes, quetous les trsors de la posie sont renferms sans exception dans le Pan-theum mythicum de Pomey, et dans le Dictionnaire de la Fable de M. Nol.Un nom inconnu de Phurnutus, une fable ignore de Palphate, un rcittendre et touchant qui ne remontoit pas aux Mtamorphoses, toute idequi n'dvoit pas pass la filire ternelle des Grecs et des Romains,toit rpute barbare. Quand vous en aviez fini avec les Alodes, les Pha-tontides, les Mlagrides, les Labdacidcs, les Danadcs, les Plopides, lesAtridcs et autres dynasties malencontreuses, fatalement voues aux Eu-mnides par la docte cabale d'Aristote et surtout par la rime, il ne vous

  • 178 LA TRADITION

    restoit plus qu'un parti prendre : c'toit de recommencer et on recom-menoit. La patiente admiration des collges ne se lassoit jamais de cesbeaux mythes qui ne disoient pas la moindre chose l'esprit et au coeur,mais qui flattoient l'oreille de sons purs la douce euphonie des Hellnes.C'toit Bacchus n avant terme au bruit d'un feu d'artifice, et que Jupiterhberge dans sa cuisse, par l'art de Sabasius, pour y accomplir le tempsrequis une gestation naturelle. C'toit le fils de Tantale, servi aux dieuxdans une olla podrida digne des enfers et dont Minerve, plus affame quele reste des immortels, est oblige de remplacer l'paule absente par uneomoplate d'ivoire. C'toit Deucalion repeuplant le monde avec les osse-ments de sa grand'mre, c'est--dire jetant des pierres derrire lui. C'toitje ne sais quel autre conte absurde et solennel dont il falloit connotre lesdtails ridicules et souvent obscnes ou impies, sous peine de passer pourignorant et pour stupide aux yeux de la socit polie. En revanche, ondcernoit des rcompenses et des couronnes l'heureux enfant qui toitparvenu rassembler dans sa mmoire le plus grand nombre possible deces inepties classiques, et, s'il m'en souvient bien, le premier prlat dudiocse daignoit imprimer son triomphe le sceau de sa bndictionpontificale. Cette mthode d'abrutissement et de dgradation intellec-tuelle, qui manquoit rarement son effet, s'appeloit l'ducation.

    Cependant notre civilisation ne ressembloit plus depuis bien desannes celle qui s'toit nourrie, pendant tant de sicles, des fablespuriles du paganisme. L'ironie de Socrate avoit port le premier coupaux fantmes des mythologies. Ils s'toient vanouis sous le fouet deLucien. Une nouvelle croyance s'toit introduite,grave, majestueuse, tou-chante, pleine de mystres sublimes et de sublimes esprances. Avec elletoient descendus dans le coeur de l'homme une multitude de sentimentsque les anciens n'ont point connus, la sainte ferveur de la foi, le nobleenthousiasme de la libert, l'amour, la charit, le pardon des injures. Uneposie, mieux approprie aux besoins du christianisme, toit ne aveclui et cette posie avoit aussi ses mythes et ses histoires. Pourquoi cettenouvelle source d'inspirations merveilleuses et de tendres motions fut-ellenglige par ces habiles artisans de la parole, qui charment de leurs r-cits les ennuis et les douleurs de l'humanit ? Pourquoi la lgende pieuseet touchante fut-elle relgue la veille des vieilles femmes et desenfants, comme indigne d'occuper les loisirs d'un esprit dlicat et d'unauditoire choisi ? C'est ce qui ne peut gure s'expliquer que par l'altrationprogressive de cette prcieuse navet dont les ges primitifs tiroientleurs plus pures jouissances et sans laquelle il n'y a pas de posie vrita-ble. La posie d'une poque se compose, en effet, de deux lments essen-tiels : la foi sincre de l'homme d'imagination qui croit ce qu'il raconte,et la foi sincre des hommes de sentiment qui croient ce qu'ils entendentraconter. Hors de cet tat de confiance et de sympathie rciproques oviennent se confondre des organisations bien assorties, la posie n'estqu'un vain nom, l'art strile et insignifiant de mesurer en rhythmes com-

  • LA TRADITION 179

    passs quelques syllabes sonores. Voil pourquoi nous n'avons plus deposie dans le sens naf et original de ce mot, et pourquoi nous n'en au-rons pas de longtemps, si nous en avons jamais.

    Pour en retrouver de foibles vestiges, il faut feuilleter les vieux livresqui ont t crits par des hommes simples, ou s'asseoir dans quelquevillage cart au coin du foyer des bonnes gens. C'est l que se retrouventde touchantes et magnifiques traditions dont personne ne s'est jamaisavis de contester l'autorit et qui passent de gnration en gnration,comme un pieux hritage, sur la parole infaillible et respecte des vieil-lards. L ne sauroient prvaloir les objections ricaneuses de la demi-ins-truction, si revche, si mausade et si sotte, qui ne sait rien fond, maisqui ne veut rien croire, parce qu'en cherchant la vrit qui est interdite notre nature, elle n'a gagn que le doute. Ces rcits qu'on y fait, voyez-vous, ne peuvent donner matire aucune discussion ; ils dfient la cri-tique d'une raison exigeante qui rtrcit l'me et d'une philosophie d-daigneuse qui la fltrit ; ils ne sont pas tenus de se renfermer dans lesbornes des vraisemblances communes, dans les bornes mme de la pos-sibilit, car ce qui n'est pas possible aujourd'hui toit sans doute possibleautrefois, quand le monde, plus jeune et plus innocent, toit digne encoreque Dieu fit pour lui dus miracles ; quand les anges et les saints pouvoientse mler sans trop droger de leur grandeur cleste, des peuples sim-ples et purs dont la vie s'couloit entre le travail et la pratique des bon-nes oeuvres. Les faits qu'on vous rapporte n'ont pas besoin, d'ailleurs, detant d'claircissements ; n'ont-ils pas le tmoignage du vieil aeul qui lessavoit de son aeul, comme celui-ci d'un autre vieillard qui en a t letmoin oculaire ? Et dans cette longue succession de patriarches nourrisdans l'horreur du pch, s'en est-il jamais rencontr un seul qui aitmenti ?

    O vous ! mes amis, que le feu divin qui anima l'homme au jour desa cration n'a pas encore tout fait abandonns ; vous qui conservezencore une me pour croire, pour sentir et pour aimer ; vous qui n'avez

    pas dsepr de vous-mmes et de votre avenir, au milieu de ce chaos desnations o l'on dsespre do tout, venez participer avec moi ces enchan-tements de la parole, qui font revivre la pense l'heureuse vie des si-cles d'ignorance et de vertu ; mais surtout ne perdons point de temps, jevous en conjure ! Demain peut-tre il serait trop tard ! Le progrs vousa dit : Je marche, et le monstre marche en effet. Comme la mort physi-que dont parle le pote latin, l'ducation premire, cette mort hideusede l'intelligence et de l'imagination, frappe au seuil des moindres chau-mires. Tous les flaux que l'criture trane aprs elle, tous les flaux de

    l'imprimerie, sa soeur perverse et fconde, menacent d'envahir les der-niers asiles de la pudeur antique, de l'innocence et de la pit, sous uneescorte de sombres pdants. Quelques jours encore, et ce monde naissant,que la science du mal va saisir au berceau, connoitra un ridicule alphabetet ne reconnotra plus Dieu ; quelques jours encore et ce qui reste, hlas !

  • 180 LA TRADITION

    des enfants de la nature, seront aussi stupides et aussi mchants queleurs matres. Htons-nous d'couter les dlicieuses histoires du peuple,avant qu'il les ait oublies,avant qu'il en ait rougi et que sa chaste posie,honteuse d'tre vue, se soit couverte d'un voile comme Eve exile duParadis.

    J'ai jur, quant moi, de n'en jamais couter, de n'en jamaisraconter d'autres...

    CHARLES NODIER.

    LA FIANCE DU CONSCRIT. Mon bien aim sert sa patrie,Il est parti tambours battantsMe disant: Jeanne ! je t'en prieJeanne! ne pleure pas, attendsQue j'aie un jour fini mon temps !

    Il est parti pour la grand'ville,Il m'crivait fidlement,Et moi bien triste, mais tranquille,

    J'attendais toujours le momentO me reviendrait mon amant!

    Lon, Ion, la, je chante ma peineAux forts, aux champs, la plaine.Mais les merles joyeuxBabillent au bord de l'eau claire,Lon, lon, laire,Et le soleil rit dans les cieux.

    Ah ! je maudis tout au village,Les fenaisons et les labours,Je voudrais tre sur la plageD'o j'attends en vain tous les joursDes nouvelles de mes amours !

    Ah! tout n'est pour moi que souffranceCar voil dj bien des soirsQu'il est loin, bien loin de la France,Et loin de mes tristes espoirs,Au pays des Pavillons-Noirs !Lon, Ion la, etc.

    Peut-tre l-bas, sous les armes,Mourra-t-il, avant son congAh ! coulez sans honte, mes larmes !Car chacun sait bien ce que j'ai.En voyant combien j'ai chang.

  • LA TRADITION 181 Hlas! s'il a perdu la vie,Tais-toi pour toujours, ma voix,Car je veux tre ensevelieL-haut, au bord du petit boisO je l'embrassai tant de fois.Lon, lon, la, etc.

    CHARLES GBANDMOUGIN.

    LE PRE LICOQUETCONTE CHAMPENOIS.

    Pan, pan ! Qu'est l? C'est le pre Licoquet, son sac etsa gerbe de bl. Entrez, entrez, mon brave pre Licoquet. Qu-'ya-t-il pour votre service ? Je confie mon bien votre bonne garde,tandis que je vais faire ma tourne dans le pays. C'est bien, monbrave pre Licoquet. Mettez l votre gerbe de bl, et allez vous-en .

    Pan, pan ! Qu'est-l ? C'est le pre Licoquet qui vientchercher sa gerbe de bl. Ah ! mon pauvre pre Licoquet ! vousaviez laiss votre bl la porte de notre poule ! Elle a tout picor. J'irai me plaindre, j'irai me plaindre. Pas tant de plaintes nide procs, vous n'avez qu' prendre notre poule et vous en al-ler .

    Pan, pan ! Qu'est-l ? C'est le pre Licoquet son sac et sapoule. Entrez, entrez, mon brave pre Licoquet. Qu'y a-t-il pourvotre service ? Je confie mon bien votre bonne garde, pendantque je vais faire ma tourne dans le pays. Trs bien, mon bravepre Licoquet. Laissez-l votre poule et allez-vous en .

    Pan, pan ! Qu'est-l ? C'est le pre Licoquet qui vientchercher sa poule. Ah ! mon pauvre pre Licoquet. Vous aviezlaiss votre poule la porte du chien. Il l'a trangle. J'iraime plaindre. Pas tant de plaintes ni de procs, vous n'avez qu'prendre le chien et vous en aller.

    Pan, pan ! Qu'est l? C'est le pre Licoquet, son sac etson chien. Entrez, entrez, mon brave pre Licoquet. Qu'y a-t-ilpour votre service? Je confie mon chien votre bonne gardependant que je vais faire ma tourne dans le pays. Trs bien,mon brave pre Licoquet. Laissez-l votre chien et allez-vous en .

    Pan, pan ! Qu'est l ? C'est le pre Licoquet qui vientchercher son chien.

    Ah ! mon pauvre pre Licoquet ! Votre chiens'est battu avec notre pourceau, et le pourceau l'a tu ! J'iraime plaindre, j'irai me plaindre. Pas tant de plaintes ni de pro-cs, vous n'avez qu' prendre notre pourceau et vous en aller.

  • 182 LA TRADITION

    Pan, pan ! Qu'est l ? C'est le pre Licoquet,son sac et sonpourceau. Entrez, entrez, mon brave pre Licoquet. Qu'y a-t-ildonc pour votre servi ce? Je confie mon bien votre bonne gardependant que je vais faire ma tourne dans le pays. Trs bien,mon brave pre Licoquet. Mettez l votre pourceau et allez-vousen.

    Pan, pan! Qu'est l? C'est le pre Licoquet qui vientchercher son pourceau.Ah ! mon pauvre pre Licoquet, votrepourceau tait dans l'table, et d'un coup de corne notre boeuf l'aoccis. J'irai me plaindre, j'irai me plaindre. Pas tant deplain-tes ni de procs, vous n'avez qu' prendre notre boeuf et vousen aller.

    Pan, pan ! Qu'est l ? C'est le pre Licoquet, son sac etson boeuf. Entrez, entrez, mon brave pre Licoquet. Qu'y a-t-ilpour votre service ? Je confie mon bien votre bonne garde,pendant que je vais faire ma tourne dans le pays. Trs bien,mon brave pre Licoquet. Vous n'avez qu' mettre l votre boeufet vous en aller.

    Pan, pan ! Qu'est-l? C'est le pre Licoquet qui vientchercher son boeuf. Votre boeuf tait dans l'table ct de no-tre cheval, et le cheval l'a occis d'un coup de pied. J'irai meplaindre, j'irai me plaindre. Pas tant de plaintes ni de procs,vous n'avez qu' prendre notre cheval et vous en aller.

    Pan, pan ! Qu'est l ? C'est le pre Licoquet avec sonsac et son cheval ? Entrez, entrez, mon brave pre Licoquet.Qu'y a-t-il pour votre service. Je confie mon bien votre bonnegarde, pendant que je vais faire ma tourne dans le pays. Trsbien, mon brave pre Licoquet, laissez l votre cheval et allez-vous en.

    Pan, pan ! Qu'est-l ? C'est le pre Licoquet qui vientchercher son cheval. Ah ! mon pauvre pre Licoquet ! notreservante, Catherine, a voulu mener votre cheval la rivire, etelle l'a laiss se noyer. J'irai me plaindre, j'irai me plaindre. Pas tant de plaintes ni de procs, donnez-nous votre sac. Nousy mettrons la servante. Vous n'aurez qu' la prendre et vous enaller.

    Le pre Licoquet prend de confiance le sac, le charge sur sondos et s'en va.

    Tout en montant une montagne, la tombe de la nuit, il entenddes gmissements dans le sac. Il se demande si Catherine touffeou si elle a faim. En mme temps le sac pse sur ses paules.

    Arriv au haut de la montagne, il dlie le sac, pour savoir ceque Catherine demande, et en mme temps pour se reposer.

  • LA TRADITION 183

    Aussitt, un gros chien qu'on avait empaquet la place de Ca-therine, s'lance et se sauve toutes jambes, avant que le pre Li-coquet se soit aperu de la tromperie.

    Le pre Licoquet l'appelle grands cris :Catherine, Catherine! Ne t'enfuis pas!... Tiens voil des

    pommes ! Tiens voil des pommes ! Recueilli par FRDRIC CHEVALIER.

    QUAND ON EST MARICHANSON DU BUGEY

    I III

    Quand on est mari,Les femmes vous chagrinent,Dedans le cabaretElles viennent vous chercherEn nous disant,En nous traitant d'ivrognes: Tu manges tout mon bien,Mes enfants n'auront rien !

    Refrain

    Parlons de boire,C'est l toute ma gloire ; (1)Parlons d'aimer,Jamais nous marier.Oh ! j'aimerai toujoursMa chre, chre, chre,Oh! j'aimerai toujoursMa chre libert !

    II

    Si j'eusse-s-pousUne femme qui soit riche,Toujours au cabaretElle viendrait me chercher. Mari, venez-vous en,Le petit enfant pleure,Mari, venez-vous en,N' dpensez plus d'argent. Femme, va-t-en,Je te rendrai contente,Lorsque je m'en irai,Jet contenterai.

    Si j'eusse-s-pousUne femme qui soit pauvre,Avant que djeuner,Il faudrait travailler :Mais en bien travaillantSe donnant de la peine,Mais en bien travaillantVivre trs mal content.

    IV

    Si j'eusse-s-pousUne femme qui soit laide,J'aurais devant les yeuxCe grand visage affreux,Je suivrais pas pasCe que mon coeur dteste,Je suivrais pas pasCe que mon coeur n'aime pas.

    V

    Si j'eusse-s-pousUne femme qui soit drle, (2)Elle aurait des amantsQui mang'raient mon argent.Hlas ! pour moi,Quel triste mariage,En mangeant mes cus !Encor me fait cocu !

    Recueilli Rossillon (Ain) par HENRI BIDAULT.

    (1) Var. : boire est une victoire.(2) Jolie.

  • 184 LA TRADITION

    LE CHAT, ROI DES FORTSLGENDE RUSSE

    Il tait un paysan qui avait un Chat, mais un Chat si mchant quec'tait une calamit.

    Le paysan finit par s'en ennuyer, et par se rsoudre se dfairede ce vilain animal. Il le prit donc, l'enferma dans un sac et l'em-porta au plus pais de la fort. Alors il le lcha en disant :

    Qu'il s'gare ! Le Chat marcha, marcha, longtemps, longtemps, et parvint enfin

    une chaumine o vivait un forestier. C'est bien, se dit le Chat. Je resterai dans le grenier et. pour

    vivre, je poursuivrai les oiseaux dans les arbres et les souris sousla mousse.

    Ainsi il fit, et longtemps il vcut exempt de soucis.Un jour arriva o le Chat rencontra la Renarde. Voil bien des annes que je vis dans la fort, pensa la Renarde,

    et je n'ai point encore vu pareil animal ! Elle se dcida cependant aborder l'tranger. Je te salue, tranger! dit-elle de sa voix la plus aimable. Le salut te soit rendu ! murmura le Chat. Dis-moi, bon jeune homme, qui es-tu? Par quelles circons-

    tances te trouves-tu en ce pays ? Quel est ton nom ? Hrissant son poil, le Chat rpondit : Je suis envoy des forts de Sibrie pour tre votre staroste,

    votre roi, si vous aimez mieux. Quant mon nom, je m'appellemonseigneur Matou fils d'Ivan.

    Ah ! Monseigneur Matou fils d'Ivan, je n'avais pas entenduparler de toi ; je ne te connaissais pas. Mais prsent, sois monhte !

    Matou Ivanovitch suivit dame Lisavla la Renarde. Lorsqu'on ft la tanire, la Renarde rgala son hte, puis l'interrogea.

    Dis-moi, Matou fils d'Ivan, es-tu mari? Non. Ni moi non plus. Prends-moi pour pouse. Je le veux bien ! Et ce jour-l on clbra les noces de Lisavta la Renarde et de

    Matou Ivanovitch.Le lendemain, la Renarde s'en alla aux provisions afin d'avoir de

    quoi vivre avec son jeune mari, et le Chat resta au logis. Tout encourant sous les halliers, Lisavta rencontra frre Lvon, le Loup.

    Veux-tu m'pouser? dit le Loup. Laisse-moi, sot! Ne sais-tu point que je suis marie ? Qui as-tu pous ?

  • LA TRADITION 485 Est-ce que tu n'as pas entendu dire que notre pre le tzar nous

    a envoy des forts de la Sibrie un staroste nomm Matou Ivano-vitch? Je suis maintenant la femme du staroste.

    Non, Lisavta, je ne le savais point. Mais pourrais-je voir tonmari ?

    Diable ! mon Matou est si mchant ! Si quelqu'un ne lui platpas, il le dvore aussitt ! Aie soin de lui prparer un mouton et dele lui apporter en hommage. Tu dposeras ton prsent, puis tu tecacheras pour qu'il ne te voie point; autrement, je ne rponds derien !

    Frre Lvon, le Loup, s'en fut chercher un mouton,et Lisavta laRenarde continua son chemin.

    Un peu plus loin, celle-ci rencontra Michka, l'Ours, qui lui de-manda sa main.

    Ah ! Michka aux jambes torses ! Ne sais tu pas que je suismarie ?

    Qui as-tu pous ? Mais le staroste que notre pre le tzar nous a envoy des forts

    de la Sibrie. Ne pourrait-on le voir, Lisavta ? Diable ! Mon Matou est si mchant ! Si quelqu'un ne lui plat

    pas, il le dvore aussitt. Va, prpare un boeuf et apporte-le lui enhommage. Seulement, tu te cacheras !

    Michka aux jambes torses s'en fut chercher un boeuf.Une heure plus tard, le Loup apporta son mouton, le dpouilla et

    resta l pensif. Tout coup, il vit l'Ours avec son boeuf. Bonjour, frre Michka ! Bonjour, frre Lvon ! N'as-tu pas vu Lisavta la Renarde avec

    Matou Ivanovitch, son mari ? Non, frre, voil longtemps que je les attends. Va donc les appeler. Je n'irai pas. frre Michka aux jambes torses. Vas-y, puisque

    tu es le plus hardi. Je suis hardi, c'est vrai, mais je n'aime point parler aux grands

    de la terre. En ce moment arriva, venant de je ne sais o, messire Louche

    le Livre. Viens donc ici, Diable Louche ! lui crirent Michka et Lvon. Et Louche d'accourir. Sais-tu o demeure la Renarde, frre Louche? Je le sais Michka, fils d'Ivan. Va donc au plus vite, et dis-lui que Mikhalo Ivanovitch avec

    son frre Lvon Ivanitch sont prts depuis longtemps. Ils l'attendentavec monseigneur Matou le staroste ; ils dsirent leur faire hom-mage d'un boeuf et d'un mouton.

  • 186 LA TRADITION

    Bien ! dit Louche le Livre. Et, sautant sur ses longues jambes, il courut la demeure du

    staroste.Michka l'Ours dit : Il faut nous cacher. Moi, je grimperai sur un pin. Et moi, que ferai-je? Je ne sais pas monter sur les arbres ! Je t'enfouirai sous des broussailles et des feuilles sches. Bien pens, frre Michka ! L'Ours plaa son compre sous un amas de mousses et de feuilles

    sches et lui-mme grimpa sur un arbre.Dans l'entre-temps, le Livre tait arriv chez la Renarde. Pan, pan ! Qui est l ? C'est moi, Louche le Livre ! Que veux-tu ? Mikhalo Ivanovitch avec son frre Lvon Ivanitch m'ont

    envoy dire qu'ils sont prts depuis longtemps. Ils t'attendent avecton mari, Matou le staroste. Ils veulent vous faire hommage d'unboeuf et d'un mouton.

    Merci, Louche. Nous y allons. Et le Chat partit avec la Renarde.L'Ours, du haut du pin, les vit venir. Enfin, frre Lvon, voici Lisavta avec son mari. Mais comme

    notre staroste est petit ! A peine arriv, le Chat se jeta sur le boeuf, le poil hriss, et se

    mit des dents et des pattes arracher, la chair tout en grommelantet jurant comme s'il avait t en colre.

    Hum! hum ! c'est peu ! c'est peu! Pourquoi ne m'a-t-on apportqu'un boeuf?

    Diable ! pensa l'Ours. Il n'est pas grand, notre staroste, mais ilest vorace. Il mange tout seul ce que ne mangeraient pas dix oursrunis. De plus, il dit que c'est peu ! S'il allait me voir et me d-vorer !

    Lvon le Loup voulut voir le staroste Matou. Pour ce faire, il d-rangea les brousailles qui taient devant ses yeux.

    Une souris ! pensa le Chat. Et d'un bond il se prcipita l'endroit o il avait vu les feuilles

    s'agiter. Il tomba tout juste sur les yeux du Loup et s'y accrochaavec ses griffes.

    Lvon, pouvant, bondit et se sauva toutes jambes. Le Chat,non moins effray, se jeta droit sur l'arbre et grimpa du ct del'Ours.

    Bon, voil que le staroste m'a vu! se dit Michka aux jambestorses.

  • LA TRADITION 187

    Fou de terreur, il se laissa tomber bas du pin, s'enfona lesctes, et s'enfuit dans la fort.

    Depuis ce temps, tous les animaux eurent peur du Chat, et, destaroste, ils le firent le roi, le tzar des forts.

    HENRY CARNOY.

    A TRAVERS LES LIVRES ET LES REVUESI

    LA LGENDE DU TH

    Santillane, du Gil-Blas, raconte ainsi la lgende du th : Un jour, un fils de roi des Indes-Orientales, descendant de Boudha, nom-

    m Darma, aborda sur les ctes chinoises, port par une pirogue la formefantastique pousse par des gnies invisibles, serviteurs du Grand-Tout. Ilcherchait la retraite et la mortification et s'imposait les privations les plusdures. Non content de ne se nourrir que de racines et de ne boire que de l'eau,il avait fait voeu de ne jamais se livrer au sommeil, ni le jour ni la nuit.

    Or, il advint qu'une nuit d'extase, en contemplation trop prolonge de lalune,l'oeil du Grand-Tout, ses paupires se fermrent malgr lui etqu'il s'endormit sur le sol. Au rveil, dsespr d'avoir manqu son sermentet dormi comme un Simple mortel, il rsolut de se punir par o il avait pchet de se mettre en garde contre le retour d'une semblable faiblesse en s'tantle moyen mme d'y succomber. En consquence, il se coupa les paupires, lesjeta terre et les pitina sans merci pour les chtier d'avoir cd la tenta-tion, puis s'loigna pour regagner sa hutte.

    Le jour suivant, comme il passait l'endroit o il avait accompli son ter-rible sacrifice, il vit un petit arbrisseau, jusqu'alors inconnu, la place o ilavait jet ses paupires. Surpris de ce prodige, il cueillit quelques feuilles, lesmangea et leur trouva une saveur dlicieuse, un parfum merveilleux qui luicommuniqurent aussitt une force nouvelle ; ses nerfs palpitrent, le sangcircula plus chaud dans ses veines, la gaiet descendit dans son coeur. Il avaittrouv un remde contre le sommeil et, du mme coup, le th tait n pour laChine,

    II

    SUPERSTITIONS PARISIENNES

    C'est M. Ernest d'Hervilly que nous devons ce curieux chapi-tre. Il ne nous dplat pas de constater avec le spirituel crivainque, en dpit de ses allures voltairiennes, la Ville-Lumire est lamieux fournie en croyances bizarres et en superstitions absurdes.

    Ainsi, par exemple, la recelte des Compagnies de transports publics, om-nibus, fiacres et tramways, baisse sensiblement chaque vendredi, tant il estencore de gens qui n'osent sortir de chez eux, ce jour-l, Paris !

    Voulez-vous un autre exemple, bien plus singulier, de superstition pari-sienne. Mais, ce n'est pas propos de la prtendue influence du vendredi.

    Le directeur d'un grand comptoir de minralogie m'a appris qu'il n'est pas

  • 188 LA TRADITION

    rie semaine o on ne vienne chez lui, pour se procurer, avec une ordonnancearrache au scepticisme du mdecin, une pierre d'aigle, sorte de gode, oupierre creuse, qui passe, depuis des sicles, pour faciliter les accouchements,rien que par sa prsence dans la chambre de la patiente !

    Que les gens qui se hrissent de pointes en cornaline contre le mauvaisoeil ou qui ont dans leur poche des ftiches pour conserver la veine aujeu, n se htent pas de sourire des dames qui croient la pierre d'aigle.

    Elles sont innombrables, les superstitions parisiennes, une colone entirene suffirait pas leur numration.

    Salire Renverse, couverts en croix, fer touch pour dtourner le mauvaissort, voeu fait pendant que passe un cheval pie ; croyance aux avertissementssinistres d'un chien qui hurle la lune, ou d'un chat-huant qui gmit ; dangerde mort pour quelqu'un, si l'on entre avec une lumire dans une chambre oil y en a dj deux.

    fit le fameux treize table ! Et la croyance consolante l'usage de ceux qui ne regardent pas o ils

    mettent leurs pieds, comme si le bonheur, ce prix l, tait bien agrable ? Mais je m'arrte aprs cette courte citation.

    m

    LE JEU DE LA MOUCHE

    Alfred de Musset raconte, dans Bernerette, comment celle-ci par-vint distraire une socit qui's'ennuyait, avec le jeu de la mou-che.

    Je vois que ce jeu, dit M. Ch. Frmine, dans le Rappel, tait un des passe-temps favoris des anciens Florentins. Seulement, le morceau de sucre de Ber-nerette tait remplac par une pice d'argent que chacun des joueurs posaitdevant soi. Aprs quoi ils attendaient en silence, sans faire un seul mouve-ment, l'arrive d'une mouche qui, se posant sur telle ou telle pice, dcidaitdu gagnant.

    Ce jeu des plus simples vient d'tre retrouv par un voyageur qui n'estautre que Revoil, sur la cte occidentale d'Afrique.

    Cette fois l'enjeu est un oeuf. Huit ou dix indignes, accroupis en rond surle sable, plantent chacun un oeuf devant eux, puis ils gardent un silence etune immobilit absolus. Comme les mouches sont fort nombreuses dans lepays, le jeu est trs actif et les oeufs disparaissent rapidement par douzaines.La partie n'est pas toujours paisible ; elle se termine mme assez souventd'une faon sanglante par exemple quand on s'aperoit qu'un des joueursa fraud, qu'il a du miel au bout du doigt et qu'il le pose sur l'oeuf ce quiest un attrait pour la mouche.

    IV

    COUTUMES ANNAMITES

    Nous trouvons, dans l'Avenir du Tonkin, au milieu de dtails as-sez amusants sur le Tt, jour de l'an des Annamites, des renseigne-ments sur les superstitions qui ont cours en Annam, l'occasionde cette fte.

    La nuit du premier de l'an, si les chats miaulent, c'est un indice que lesanimaux froces, tigres, loups, lphants, sangliers, seront craindre dansl'anne ;

  • LA TRADITION 189 Pendant les jours de fte, on doit s'abstenir de faire des reproches ses

    subordonns, ses domestiques, sous peine d'tre expos avoir leur enfaire toute l'anne ;

    Les personnes en deuil doivent se dispenser de visiter leurs amis et con-naissances, moins qu'elles ne se rsignent quitter leurs habits blancs (ha-bits de deuil chez les Annamites) ;

    Il est d'un bon prsage de voir entrer tout d'abord dans la maison, le premier jour de l'an, un personnage de marque ; c'est au contraire un signe re-grettable d'tre visit en premier lieu par une personne de petite extraction.

    Et le grand dner qui marque le jour del fte se termine parune crmonie assez singulire; elle consiste peser l'eau de l'an-ne qui vient de s'couler et en comparer le poids celui d'unemme quantit d'eau de la nouvelle anne.

    Si cette dernire est relativement lourde, c'est un mauvais pr-sage et un signe d'inondations probables. Dans le cas contraire,l'air de cette anne sera agrable et les violences du fleuve serontbnignes.

    C. DE WARLOY.

    BIBLIOGRAPHIEW. A. Clouston. Popular Taies and Fictions, their migrations and

    transformation. London, William Bluckwood and Sons 1887. (2 vol.XVII et 485 p. 515p.).Voici un ouvrage qui occupe parmi les publications multiples que les tudes

    folk-loriques, ont produites une place particulire. On a soin de rpter, dansla prface de tout nouveau recueil de contes, que les mmes thmes se retrou-vent partout, depuis la Sicile jusqu' la Laponie, depuis la Chine jusqu' l'Is-lande, et que les incidents mmes prsentent une ressemblance remarquabledans les pays les plus divers. Rechercher les causes de cette similitude estl'un des grands problmes de la science du folk-lore : je n'ai pas besoin derappeler que la plus clbre des solutions suggres jusqu'ici, celle de Benfey,est actuellement gnralement adopte, sans satisfaire cependant tout le mon-de.

    Jusqu'ici on ne s'est gure occup du classement des thmes. C'est lcependant un ouvrage prliminaire indispensable, si l'on veut aborderla question des origines et retracer les voies que les sujets ont prisesdans leurs prgrinations. Or, dans l'tat toujours embrouill de la question,il y a avantage a faire ce travail prliminaire. Le meilleur qui ait t faitdans ce sons, est d au Dr. Hahn, l'auteur des Griechische Mrcheu. LaFolklore-Society de Londres vient, par une traduction anglaise faite par lienderson, de donner une nouvelle importance ce beau travail. Ajoutons encore-les notes du Dr. R. Koehler ot le commentaire de Cosquin.

    C'est un ouvrage de ce genre que nous prsentons aux lecteurs de cette Re-vue. Le titre pourrait laisser quelques doutes sur la nature du livre. L'auteurne traite qu'incidemment la question des origines, ou plutt, Benfeyiste convain.cu, il accorde une origine asiatique tous les contes qu'il analyse. C'est aussil'ide qu'il dfend dans son introduction, o il nous parle des principales col-lections de contes du moyen tige, et appelle l'attention sur les recueils de ser-mons faits par les moines des sicles antrieurs ; ces ouvrages mriteraientd'tre dpouills, comme il faut leur accorder une grande importance au point

  • 190 LA TRADITION

    de vue de la transmission des sujets. J'objecterai cotte partie que l'auteur nemontre pas assez d'exactitude, chose indispensable dans des recherches d'ordrepurement historique. Aussi prsente-t-il ses conclusions avec beaucoup do pru-dence: il se peut... nous pensons etc.

    Je suis convaincu que ce n'est pas l non plus le but du livre ; il est pluttdans le travail de classement que l'auteur a fait subir une multitude decontes connus. Or,dans l'tude des contes,l'importance des rfrences ne sauraittre trop hautement estime ; nous en arrivons ainsi des vues d'ensemble surles lments qui entrent dans la composition des conts. C'est pour cette

    raison que l'on doit regretter gnralement dans les recueils 'le manqued'index, et on en comprend toute l'utilit, en prsence d'un travail commecelui de Hahn dj cit. Comment, p. ex. voir clair dans le commentaire si sa-vant de Cosquin, si le lecteur n'a pas constamment la plume la main pourprendre des notes ? Ne peut-on pas, aprs la rcolte norme qui a t effectue,dire que les arbres empchent de voir la fort, et ne serait-il pas temps docommencer un index compar des thmes et des traits communs ?

    Sous ce rapport, le livre de Clouston a une importance considrable.C'est un pas vers la ralisation du voeu que je viens d'exprimer.Clouston n'a pas donn son livre la forme d'un dictionnaire ; son ou-vrage a une forme littraire. Il est mme fort soign et d'une lectureagrable. Son plan est d'une simplicit extrme. Dans une srie d'essais,il traite un nombre considrable de contes : il part gnralement d'untexte connu, le plus souvent au point de vue du lecteur anglais, et dmontrel'existence du mme sujet ailleurs. Il donne les contes cits dans une analysesuccincte, et indique les ouvrages o il a puis. On dsirerait plus d'exactitudedans l'indication des sources. Dans le classement des contes qu'il communique,l'ide prconue de l'prigine asiatique a considrablement influ sur le choixdes matriaux qu'il voulait comparer ; de cette faon, au lieu de s'arrter long-temps aux collections europennes, que le lecteur continental a gnralemententre les mains ou qu'il peut consulter facilement, l'auteur aborde aussitt lesrecueils asiatiques, qui, cette fois, ne nous sont gure accessibles et nous sontmme souvent inconnus. Ce que Clouston a lu en fait de contes orientauxest inoui. Toute la riche littrature, publie dans l'Inde en traduction anglai-se, lui est familire, et ce point de vue, le lecteur du continent a peut-trelieu de se fliciter de l'oubli, (volontaire, je crois,) o sont laisss la plupart denos recueils europens. Il est regrettable nanmoins que l'auteur ne les aitpas compris dans son travail et ne nous ait point indiqu les points communs,mme sous la forme de simples notes.

    Mentionnons quelques-uns des sujets traits pour donner une ide du livre,et de la manire dont l'auteur s'est acquitt de sa tche.

    Le premier essai reprend l'histoire de Fortunatus, avec sa bourse et son cha-peau enseignant comment un jeune homme se doit gouverner, un livre bleu trspopulaire dans les pays germaniques et romans (v. GRAESS : Lekrbuch, II, Bd. 3eAbt. I, p. 191-195). Nisard no le mentionne pas, quoiqu'il existe en Franco dansune dition imprime Rouen, en 1656.

    Les objets magiques jouent un rle trs important non seulement dans lescontes populaires, mais aussi dans les fictions du moyen ge et de l'antiquitgermanique. Le dieu Lolci a des bottes qui le transportent o il veut tre ; Wie-land le Forgeron, dans l'Edda, possde une pe, Balmung, si tranchante que,lorsque Wieland fendit son rival Emilius.la lame parut celui-ci de l'eau froidedcoulant de son corps. Secoue-loi, dit Wieland ; il le fit, et voil que les deuxmoitis tombrent des deux cts. La Tarnkappe du Niebelungenlied ren-tre encore dans cette catgorie d'objets magiques.

    Les objets dous de proprits merveilleuses figurent gnralement dans lescontes comme tant la cause d'une dispute entre des gants, dos nains, etc.Clouston retrouve des incidents similaires dans les contes de nombreux peu-

  • LA TRADITION 191

    pies : il rsume une version persane, kalmouke, sanscrite, indienne, mongole,hindoue, norwgienne et slave.

    Deux contes italiens mentionnent un autre objet magique, notamment unoeuf portant l'inscription : Celui qui mangera ma tte, deviendra empe-reur ; celui qui mangera mon coeur no manquera jamais d'argent.

    Un autre conte lui fournit l'occasion, tout en restant dans le mme ordred'ides, de parler de L'Arbre qui fait pousser des Cornes ; il fait remarquer bondroit que dans les contes, le bien est toujours rcompens et le mal puni. Cetteconclusion ressort du cycle trs rpandu du Tischlein deck'dich, o, parmi lestrois objets obtenus par suite d'une bonne action, il y a toujours un bton quichtie le voleur des deux premiers objets ; la mme ide se retrouve dans unautre cycle,o figurent souvent dos personnages sacrs (Jsus, St-Pierre et d'au-tres) et o le hros, comme rcompense, continue faire ce qu'il a commencau matin. Le mchant, avare ou avide, est toujours puni : il continue verserde l'eau son cochon, et inonde la maison ; ailleurs la punition est plus comi-que, et le peuple y ajoute souvent de son gros sel.

    La liste des objets magiques est trs tendue; dans ces rapprochements desthmes, l'auteur cependant ne l'puise pas. J'ajouterai, comme mritant unemention plus dtaille, la Flte magique, qui force danser et qui se trouve sifrquemment dans nos contes europens. (1).

    Une foule d'autres sujets sont traits avec le mme luxe de rapprochements.Le thme d'Amour et Psych est mis en regard de huit contes, emprunts auxcollections modernes ainsi qu' la littrature du moyen ge ; du thme LesAnimaux reconnaissants ou Les Animaux qui font connatre des secrets, nousavons ici une dizaine de versions, depuis le Panlchatantra et l'histoire d'Andro-cls jusqu' nous. Le Livre et la Tortue est cit dans des versions de Fidji, deMadagascar et de Ceylan.

    Le genre si curieux dos Randonnes (Biquette), est reprsent ici par treize ex-emples. L'auteur part du conte bien connu de The House that Jack built et lerattache son prototype dans le Talmud, dont il donne l'interprtation. Outreles exemples europens, auxquels on peut ajouter ROLLAND : Rimes et Jeux del'Enfance (chap. IV) il cite une histoire analogue de Cachemire, du Pandjab, deMadagascar et de Ceylan.

    Le premier volume de cet ouvrage no s'occupe que des contes merveilleux ;le deuxime a pour objet les contes bass sur des faits de la vie ordinaire,qui contiennent peu de dtails invraisemblables et dont quelques-uns sont in-dubitablement fonds sur des vnements rels.

    J'indiquerai quelques chapitres qui mritent tre signals.Le Couple silencieux (p. 15) est le titre du groupe, dont l'histoire fondamen-

    tale esta peu prs celle-ci : Une femme est occupe ptrir de la pte, lorsquela porte s'ouvre ; le mari ni la femme ne veut la fermer, et ils engagent cepari que celui qui parlera le premier, aura la fermer. Arrivent des trangers,qui voyant ce mutisme obstin, veulent embrasser la femme : le mari perdson pari.

    Clouston a suivi ce conte dans plusieurs variantes, parmi lesquelles douxversions arabes, une version turque et une version indienne. Le premier contearabe, dont l'ge n'est pas indiqu, est remarquable. Des voleurs arrivent dansla maison, et emportent tout; le lendemain l'officier de police trouve la portetoujours ouverte, entre et n'obtenant pas de rponse, se met en colre, et veutfaire couper la tte aux silencieux personnages. Le bourreau est sur le pointd'excuter l'homme lorsque la femme s'crie : Piti, c'est mon mari ! Oh oh !dit celui-ci en tapant des mains, va fermer la porte!

    1. L'auteur la rappelle seulement propos de la lgende du Joueur de Flte deHameln ; encore n'y a-t-elle pas d'action sur les hommes. Ella n'a d'autre pouvoir quede charmer les rats et les souris, que le joueur entraine dans le Weser.

  • 192 LA TRADITION

    Une histoire, figurant dans divers recueils du moyen-ge, est celle des filousqui font accroire un paysan que ses moutons sont des cochons. Elle se trouvenotamment dj dans les Gesta Romanorum, Eulenspiegel, le Conde Lucanor,dans Jacques de Vitry (13e sicle) et ailleurs. Clouston la poursuit jusqu'.sonprototype (?) dans Bidpa. Dans cet essai, lu thorie d'emprunt serait plusfacilement accepte : l'auteur l'ait prouve de plus d'exactitude dans la partiehistorique de ces recherches.

    Parmi les histoires universellement rpandues, citons encore celle du Matrevoleur, de Whittington et son Chat, ainsi que celle de Llewyn, et son fidle chienGellert ; enfin le conte intitul Little Fairly, o je veux m'arrter un instant.

    Le type de l'histoire est le n 61 de Grimm : dus Burle (1). Ce cycle de con-tes est trait avec des dveloppements considrables. L'incident du prtre quiest attrap par le mari de la femme dont il est l'amant, faisait les dlices du

    moyen-ge. Il forme le sujet d'un fabliau franais, intitul Le povre clerc (v.MON, Nouveau Recueil, I, 104 ; MONTAIGLON, Recueil, v. 192).

    Cette farce se trouve sous deux formes ; le hros fait dcouvrir, au moyend'un rcit arrang, les mets dlicats que la femme a prpars pour le cur, sonamant qui s'est cach. Sous cette forme, le conte est encore connu Venise (BER-NONI, Fiabe popolari veneziane, Veneza, 1873, p. 33). On peut comparer encoreBASILE (trad. Liebrocht, I, 253), quoique le thme soit dj fort affaibli dans ceconte. Dans un conte syrien (PRYM et SOCIN, p. 293) la femme est trahie parun renard.

    Dans la 2e forme, le hros remplit le rle de sorcier. Ce thmo est trs popu-laire au moyen ge, et les versions dans lesquelles il existe, comme Schwanken Allemagne, sont trs nombreuses. Outre les rfrences de Clouston, on peutencore ajouter le Blue-book du Fryer Bacon et les Contes aux heures perduespar le sieur D'OUVILLE (Paris, 1C51, II, 182). Il s'introduisit de bonne heure authtre et HANS SACHS en fit un jeu de carnaval en 1551, CERVANTES un inter-mde (la Cueva de Salamanca), et RAIMOND POISSON 11658-1735) une comdiefranaise (Les Fous divertissants). Inutile d'insister plus longuement sur lagrande popularit de ce thme. Les variantes rsumes par Clouston sonttrs nombreuses et font preuve de ses vastes lectures.

    Cette analyse tendue peut donner au traditionniste une ide de la grande utilitde cet ouvrage pour l'tude compare du conte. J'mettrai ici le dsir que l'au-teur, dans une 2e dition, complte ses indications bibliographiques, ainsi quesa table des matires, surtout au point de vue dos lments contenus dans lescontes cits. Une liste dos sources ne serait pas non plus sans valeur, surtoutpour le lecteur moins familier avec les collections orientales, sur l'ge des-quelles on dsirerait tre renseign.

    L'excution typographique fait honneur aux diteurs, qui ont fait de ce livreun vritable joyau.

    AUG. GITTE.

    1. Clouston cite Andersen : le petit Claus et le grand Claus. Quoique ce contene contienne que les lments authentiques, je ferai remarquer en passant que le char-mant littrateur danois a enjoliv les thmes populaires et ne peut tre cit dans un ouvrage scientifique.

    Le Grant : HENRY CARNOY.

    Laval, Imp. et str. E. JAMIN, 41, rue de l Paix.