La Tradition 1887-04 (N1)

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La Tradition (Paris. 1887) Source gallica.bnf.fr / MuCEM

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REVUE GENERALE des Contes, Légendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

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  • La Tradition (Paris.1887)

    Source gallica.bnf.fr / MuCEM

  • La Tradition (Paris. 1887). 1887-1907.

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  • N 1 Prix du Numro : Un franc. Avril 1887.

    SOCIT DES TRADITIONNISTES

    REVUE GENERALEdes Contes, Lgendes, Chants, Usages, Traditions et Arts populaires

    PARAISSANT LE 15 DE CHAQUE MOIS

    Abonnement : France, 12 francs. tranger, 15 francs,cotisation de Socitaire donnant droit au service de la Revue: 15 francs.

    PARISA. DUPRET, DITEUR

    3, rue de Mdicis, 3

  • LIVRAISON DU 15 AVRIL 1887

    NOTRE PROGRAMME, par Emile Blmont.CONTES DU VIEUX JAPON. I. HANASAKI-JIJI, par T. Dautremer.MARGUERITE DES BOIS, posie de Gabriel Vicaire.MONSTRES ET GANTS. I. LE REUSE DE DUNKERQUE, par A. Des-

    rousseaus.

    LES ANCIENS CONTEURS. I. LES FACTIEUSES JOURNES DEGABRIEL CHAPPUIS DE TOURS, par Henry Carnoy.

    LA COMPLAINTE DU VENDREDI-SAINT, par Andr Theuriet.LES TRADITIONNISTES. I. M. JEAN NICOLAIDES, par C. de War

    loy.UNE PRFACE MONACALE, par Victor Brunet.ORIGINE DE L'HOMME, LGENDE SLOVNE, par Alfred Poupel.LES HANTISES DE LA NUIT, CONTE de Frdric Mistral, traduit

    par Raoul Gineste.A TRAVERS LES LIVRES ET LES REVUES.BIBLIOGRAPHIE.PRIODIQUES ET JOURNAUX,

    La Tradition parat le 15 de chaque, mois. Le prix de l'abon-nement est de 12 fr. pour la France (15 fr. pour l'tranger).

    La cotisation est de 15 francs payables dans le pourant du

    premier semestre de l'anne, et donnant droit l'envoi de laRevue.

    Les abonnements et les cotisations sont reus chez M. A.DUPRET, 3, rue de Mdicis.

    Il sera rendu compte de tous les ouvrages adress a la Revue.Ces ouvrages seront annoncs gratuitement sur la couverture.

    Prire d'adresser les adhsions le plus tt possible M. HenryCARNOY, 33, rue Vavin.

    Les manuscrits seront examins par un Comit de rdactioncompos de MM. Emile RLMONT, Henry CARNOY, Raoul GI-NESTE, Charles LANCELIN, Frdric ORTOLI et Gabriel VI-CAIRE. Les manuscrits non insrs seront rendus.

  • NOTRE PROGRAMME

    Nous aurions voulu n'avoir pas fonder un nouvel organe de la Tra-dition populaire ; et nous avons espr longtemps que ce souci nous seraitpargn. En juillet 1886, nos ides sur le Traditionnisme ont t for-mules par notre ami Gabriel Vicaire dans une Revue spciale, avecadhsion pralable du Comit de rdaction. Il ne restait plus qu' lesappliquer. Ce fut le contraire qui advint. Pourquoi? Comment? il seraitoiseux de le rechercher aujourd'hui. Tenons-nous en au fait : il enrsulte que nous devons mettre nous-mmes notre programme excu-tion. Ce programme, nous allons tout d'abord le prciser et le justifier.

    BUT ET ATTRIBUTIONS DE CETTE REVUE.

    Plusieurs Socits et Revues ont actuellement pour objet la Traditionpopulaire ; mais toutes se restreignent systmatiquement la productionpure et simple des documents originels, sans avoir cure ni tenir comptede la valeur et de l'emploi de ces matriaux dans l'oeuvre suprieure del'Art et du Progrs. Elles estiment ne pouvoir rester rigoureusementscientifiques qu'en restant troitement empiriques. Pour l'amour de la

    Scientifique les voit rpudier ce qui fait le mrite de la Science,Et propter vilain vivendi perdere causas.

    Ce ne sont pas des Revues, proprement parler ; ce ne sont que desRecueils. Il leur manque plusieurs attributions, hors desquelles il est im-

    possible de donner la Tradition tout son sens et toute sa porte : 1 lavarit sans parti pris et toute l'universalit possible dans les recherches ;2 le contrle et le choix des matriaux, c'est--dire la mthode slectivequi peut seule en garantir l'authenticit et la valeur; 3 la critique, laphilosophie, et l'interprtation des documents ainsi obtenus, c'est--direle dveloppement normal des forces et des formes qu'ils contiennent engerme. Ces attributions, nous entendons les confrer notre Revue, qui, ct et comme complment naturel et ncessaire de sa partie docu-mentaire, aura ainsi une porte spculative non moins importante.

  • 2 LA TRADITION

    VALEUR DE LA TRADITION PURE. VOLUTION DE LA TRA-DITION VERS L'ART. ESTHTIQUE DE L' INSCONSCIENT ETESTHTIQUE DU CONSCIENT. LEUR SYNTHSE.

    La valeur intrinsque, la trs haute valeur de la Tradition pure, d laTradition en soi, loin de la mconnatre, nous la reconnaissons autant etplus que personne au monde. La Tradition est le principe, la substancemme de notre entreprise. Nous ne saurions oublier ces lignes signi-ficatives de Baudelaire : La.lgende, le mythe, la fable, sont comme laconcentration de la vie nationale, comme des rservoirs profonds o dor-ment le sang et les larmes des peuples.

    Bacon a rejeuni et renouvel la Science, qui s'puisait pitiner surplace, en la ramenant vers la source intarissable de toute connaissance etde toute nergie, vers l'immense et gnreuse Nature. Avec la mthodeexprimentale, il lui a rendu la clef du monde. La constatation et le rap-prochement d'une multitude sans cesse accrue de phnomnes qu'on nesavait ou ne voulait pas voir, ont rvl en peu de temps l'organisationde l'univers et ses lois. Il n'en va pas autrement pour l'Art que pour laScience : tout deux sont comme le Gant de la Fable, qui ne recouvraitses forces qu'en touchant le sol nourricier. Tant qu'un idal neuf n'a pas,quasi-spontanment, ferment dans les profondeurs obscures des foules, il

    n'y a pas de renouveau possible dans la pense humaine. La Tradition estle primesaut de l'me populaire, l'expression initiale o elle jaillit aujour, prend forme et vie, s'objective, s'affirme, accuse et accentue libre-ment son originalit naissante : d'emble, naturellement, elle y prend sa

    physionomie vraie et normale, elle y rvle son type. En des figures sym-boliques, Hercule, Mose, Promthe, Romulus, se rsument ainsi unerace et un cycle. Chaque peuple ressemble ses hros et ses dieux, quinaissent, vivent, changent et meurent avec lui.

    Est-ce dire que la forme initiale de l'Art en soit aussi la forme

    suprme, que la Tradition soit la fois le premier et le dernier mot dela facult esthtique ? Des savants, des artistes, l'affirment de fort bonnefoi. La Tradition, disent-ils, c'est la chose mystrieuse et divine, lavraie, la pure, la seule rvlation. N'y touchez pas ! Son inconscience faitsa beaut. Le moindre contact d'une main profane froisserait ses ailes

    poudres d'une si fine et si frle poussire de pierreries, ses ailes insaisis-sables de Psych cleste.

    Et puis, c'est la mode aujourd'hui de prconiser en tout et en tous la vieanimale, l'existence vgtative. On ne croit plus qu' une infaillibilit,celle de l'Instinct. En Allemagne, il y a quelques annes, un officier d'ar-tillerie a donn sa dmission pour formuler une Philosophie nouvelle,monstrueusement rudite et admirablement dsespre, o il est dmon-tr que la vie ne vaut pas la peine d'tre vcue, que l'tre est pire que le

  • LA TRADITION 3

    non-tre, que Dieu est l'Inconscient par excellence, et que son incon-science est sa seule excuse. Cette doctrine fait chaque jour de sensiblesprogrs ; elle pntre dans notre cole des Beaux-Arts, elle entre l'A-cadmie franaise. Pour ses adeptes, la maladie et la folie sont la rgle;la sant et 15 raison, l'exception. Le gnie, comme la perle, n'est-il pasun simple cas pathologique? La seule beaut, la seule vertu vraies, nesont-elles pas la vertu et la beaut qui s'ignorent ? Est-ce que la force neprime pas le droit? Nagures on se peignait en buste; c'est en rblequ'on pose maintenant. Triomphe des apptits. Revanche de la bte surl'ange. Les hros de nos romans rappellent ces ironiques statues, o letrain de derrire lient la place du train de devant, et vice versa. Les pos-triorits sont exaltes mme par les potes, qui les couronnent de fleurset d'toiles. Et c'est ce carnaval, brutal et funbre comme un Faune enhabit de croque-mort, qu'on appelle bravement le Modernisme.

    Ce n'est point ainsi que nous croyons devoir tre modernes. Certes,l'Instinct joue dans la Nature et l'Art un rle ncessaire et considrable,le rle initial ; mais la Raison y joue le rle capital. L'Instinct et la Rai-son constituent les deux forces qui se balancent pour rgler le rythmede notre volution. Que l'une ou l'autre manque, c'est la perte dans levide ou la chute dans la boue, c'est le nant. Comme il y a deux sexesmtaphysiques, l'Objectif et le Subjectif, il y a deux sexes esthtiques,l'Inconscient et le Conscient, sentiment et intellect, action et direction,ternel masculin et ternel fminin. L'union de ces deux principes estla condition de toute fcondit et de tout progrs. L'Art a pour fonctiondo complter et consacrer le travail de l'imagination populaire, bauchesouvent sublime, mais o manquent toujours l'harmonie totale et lalumire suprieure. La Tradition correspond au premier veil de lafacult esthtique, son enfance, sa minorit. Or, quelles que soientles grces fraches et ingnues de l'enfance, ni les individus ni les peu-ples ne sont faits pour rester ternellement petits. Dans un grand homme,il y a et il doit toujours y avoir un inconscient, nerveux et sentimentalcomme une femme ; mais il y a et il doit toujours y avoir en outre uneclairvoyante et dominante virilit.

    Le propre de l'homme, quoiqu'on dise Rabelais, n'est pas le rire ; c'estla conscience. Par l seulement, l'homme s'lve au-dessus de l'animal.L'animal a bien une pense et un langage, puisqu'il possde la mmoireet peut comparer ses sensations ; mais, sa pense et son langagerestant invariablement rudimentaires, sa conscience ne saurait devenirmajeure. Chez l'homme, cerveau mieux dou, la pense a pris possessiond'elle-mme en se rflchissant dans le symbole, dans le signe nettementdistingu de la chose signifie. La premier pas de l'tat bestial vers l'tathumain, c'est la transformation du langage des instincts et des motionsen langage des ides ; c'est l'attribution d'une existence propre l'ex-pression considre en elle-mme et sans., liaison physique immdiateavec le sentiment exprim ; c'est la cration du mot, miroir magique o

  • 4 LA TRADITION

    la pense se fixe et se mobilise tout ensemble, o elle s'abstrait et se

    gnralise, se juge et se rectifie pour se dcomposer, et se recomposerlibrement. Le progrs est ainsi li au perfectionnement du langage,oeuvre et instrument tour tour du perfectionnement de la pense. C'esten devenant une conscience de plus en plus claire et profonde de la na-

    ture, que l'homme parvient en dominer les lments aveugles. Aucunebranche de l'activit humaine n'chappe cette loi. La Tradition popu-laire ne sort tout son effet, que rflchie et transfigure dans l'OEuvre de

    gnie. Les popes nationales en sont des preuves clatantes. On a dfinil'Art: Une action continue de l'activit consciente et de l'activit incon-sciente l'une sur l'autre.

    En somme, toute cration de l'esprit humain doit, pour se parfaire,parcourir trois stades : d'abord, conception quasi-spontane d'un idaldans l'imagination populaire, c'est--dire Tradition et Inconscience ; puis,organisation raisonne de cet idal dans l'OEuvre de gnie, c'est--direConscience et Art ; enfin, incarnation de cet idal dans la ralit, c'est-dire Progrs social.

    Nous voulons, en consquence, organiser notre Revue de telle sorte

    que la conception populaire puisse y tre suivie sous toutes ses formes et tous ses degrs. C'est pourquoi la partie documentaire y sera com-

    plte par une partie critique. Il nous reste dire comment nous enten-dons constituer cette partie documentaire et cette partie critique.

    APPLICATION DES PRINCIPES EXPOSS. 1 PARTIE DOCU-MENTAIRE : VARIT, CONTROLE ET SLECTION DES MA-TERIAUX.

    Le premier point de notre programme est l'extension de l'enqute tra-ditionniste toutes les sources possibles de la Tradition.

    Nous n'esprons pas arriver l'universalit, l'absolu n'tant pas de cemonde; mais nous y tendrons de toutes nos forces. Les Revues antrieuresSe sont complaisamment cantonnes dans certains pays et dans cer-taines classes, exclusivement attaches certains objets et certainssentiments. Nous poursuivrons la rvlation de la Beaut inconscientesous toutes les formes qu'elle peut prendre et chez toutes les cratureso elle peut apparatre, sans en ddaigner la plus humble, sans enoublier la plus lointaine, sans en mconnatre la plus trange. Nous nouspermettrons mme l'occasion de descendre, ou plutt de remonter,jusqu' l'animal, au vgtal, au minral; il peut n'tre pas inutile d'tu-dier l'Inconscient l'tat lmentaire. Les jeux, les chants, les arls, lesamours des btes, n'ont-ils pas au plus haut degr la grce naturelle?La fleur est virante; elle sent, elle aime. Et dans ce monde inorganiquedes ptrifications et des cristallisations, o cessent toute dissymtrie ettoute animation vitale, le travail obscur des forces cosmiques produitencore l'harmonie et la beaut.

  • LA TRADITION 5

    Nous ne ferons de ce ct que des excursions discrtes. Vers l'Humani-t convergeront tous nos travaux : et rien d'humain, en fait de Tradition,ne nous sera tranger. Nous ne ngligerons pas plus l'enfant ou l'adoles-cent que le sauvage ou le barbare, pas plus l'ouvrier que le paysan.Chaque rgion, chaque poque, chaque mtier, chaque profession, chaqueAge, chaque milieu, nous apporteront leur prcieux contingent de locu-tions, mtaphores, proverbes, moeurs et coutumes, contes et lgendes,chansons et danses, ftes et croyances, images et monuments. Nous enre-gistrerons les curiosits des patois antiques et des argots modernes, lesfrappantes navets du ftichisme et les superstitions raffines de la d-cadence. Nous mettrons en lumire, avec un empressement gal, les in-ventions et dcouvertes de l'industriel et du voyageur, les improvisationspotiques et musicales des gens de terre et des gens de mer, enfin tout cequi constitue les sciences et les arts de l'ingnu et de l'ignorant. Car il y atoujours eu, et il y a encore partout, une posie, une musique, une bota-nique, une mdecine et mme une astronomie populaires ; car les simpleset les faibles sont gnralement les prcurseurs des malins et des forts ;car la plus haute et la plus fconde conception se rvle souvent l'ori-

    gine sous la forme modeste d'une amusette ou d'un joujou.

    Le second point de notre programme porte sur le contrle et le choixdes documents fournis par la Tradition.

    La mthode slective constitue,cela n'est plus dmontrer, un instru-ment d'investigation ncessaire toutes les sciences et tous les arts. Entoute matire, pour tirer l'ordre du chaos, il faut procder par choix etlimination.

    Un pote crivait rcemment ces lignes dcisives : Tout dire, c'est nerien dire. La littrature a pour devoir de noter ce qui compte, et d'clai-rer ce qui est fait pour la lumire. Si elle cesse de choisir et d'aimer,elle est dchue comme la femme qui se livre sans prfrence.

    Pour une Revue de la Tradition populaire il importe, en principe, decontrler les documents : le faux, ml au vrai, lui te toute valeur ettoute autorit. Il n'importe pas moins de les trier. La rptition multi-plie et superflue fatigue le savant, la mdiocrit persistante dcouragel'artiste. Ce qui est inutile est encombrant et nuisible. Nous nous garde-rons donc des excs d'indulgence. Nous viterons non moins soigneuse-ment les excs de svrit. Le pire des pdantismes est celui qui s'atta-che aux choses les moins pdantes du monde, aux inspirations populaires.Nous accueillerons tout ce qui prsentera, le moindre dtail curieux, lemoindre accent original. Les babioles elles-mmes ont leur importance;il n'est si pauvre fleurette du champ populaire, qui ne charme sa ma-nire les vrais amateurs de traditions. Mais nous bannirons rsolumenttoute redondance strile, tout rabchage insipide d'un thme aux in-nombrables variantes. Il ne suffit pas qu'une chose ait t conte un

    passant sur le bord d'une route par une petite gardeuse d'oie ou par un

  • 6 LA TRADITION

    vieux loup de mer, pour que cette chose ait un intrt et mrite d'tre

    imprime. L'abus des devinettes et des prophties est abtissant. Il est d-

    plorable de retrouver sans cesse la mme histoire, souvent tout--fait

    sotte, sous des travestissements et des maquillages emprunts par les ex-

    ploiteurs tous les dialectes de France et de Brabant. Depuis quelquesannes, nous assistons un dfil de contes populaires, plutt fabriqusque recueillis, qui rappelle les dfils des drames militaires : ce sont tou-

    jours les mmes figurants qui reparaissent, aprs avoir, dans la coulisse,un peu modifi leur ajustement, ou seulement leur attitude, ou mmesans avoir modifi rien du tout. Nous voulons sortir de ce cercle vicieux.Nous carterons ce folklorisme frelat.

    2 PARTIE CRITIQUE : HISTOIRE, PHILOSOPHIE ET INTERPR-TATION DE L'OEUVRE POPULAIRE.

    Comme la partie documentaire, la partie critique recevra tout le dve-loppement qu'elle comporte. On y bauchera l'histoire et la philosophiedes Traditions, leur analyse, leur comparaison, leur synthse ; on y ap-prciera leur valeur littraire ou artistique : on y suivra leur volution del'Inconscient vers le Conscient, leur conscration dans l'OEuvre d'art, leurincarnation dans la Ralit.

    L'histoire des Traditions populaires, c'est l'histoire psychologique dupeuple, l'histoire de son me. Histoire aussi intressante et vraie que l'his-toire matrielle et positive, si souvent fausse par l'intrt, la paresse oula sottise ! La Tradition compare peut jeter de vives lumires sur lesaptitudes spciales des races diverses, sur la lutte des peuples pour l'h-gmonie ou l'existence. On comprend quel intrt il peut y avoir, parexemple, rapprocher tout ce que l'imagination populaire, en Orientd'une part, en Occident de l'autre, a produit sous l'influence d'vne-ments tels que les Croisades.

    Il n'est pas moins intructif de comparer l'histoire la lgende, que decomparer les lgendes entre elles. Nous pourrons chercher par suite dequel lent et sourd travail, tel personnage rel, prince, soldat ou penseur,est sorti de l'histoire pour entrer dans la lgende et former un type idal;comment le Charlemagne de la ralit a engendr le Charlemagne de laposie ; comment le docteur Faust est devenu l'ami du Diable, et Virgileun Saint du Paradis.

    L'volution de la Tradition vers la Science et l'Art offre nos travauxle champ le plus vaste et le plus fertile. N'est-ce point un spectacle singu-lirement attrayant; que la physionomie et la destine des chercheurs etdes trouveurs qui se sont pass de sicle en sicle le flambeau sacr?

    Et quelles figures sympathiques, que ces personnages de transition,d'une,nature la fois si dlicate et si franche, si aristocratique et si fa-milire, qui, tels quoCharles Nodier et Grard de Nerval, servent d'inter-

  • LA TRADITION 7

    mdiair es entre le sentiment des coeurs simples et l'intelligence des espritscultivs,entre les aspirations du sublime et les srnits du beau! D'autres,comme Perrault et Mme d'Aulnoy, guids par une intuition vraimentmerveilleuse, recueillent, concentrent et dterminent la Tradition parseet fugitive. Avec des flocons de neige et des rayons de soleil, ils font unevivante statue, une immortelle Galate. D'autres encore, les RobertBurns et les Pierre Dupont, mi-paysans et mi-citadins, toujours peuple etdj bourgeoisie, unissent, en leur fine ingnuit, l'me qui rve l'mequi pense, la musique la posie, pour rajeunir une nation vieillie et bla-se. On vante les crivains dits vulgarisateurs, qui prtendent mettre lahaute Science et l grand Art la porte des bonnes gens. Nos conteurset potes semi-populaires font une sorte de vulgarisation retourne, qui,au lieu d'aller de haut en bas, va de bas en haut. Comme on initie leshumbles aux clarts et aux dlicatesses des privilgis, ils initient lesclasses dirigeantes aux heureuses trouvailles et aux gnreuses motionsds classes diriges. C'est une belle et utile mission qu'ils remplissent l:loin d'exploiter ce qu'il y a de mystrieusement beau et de profondmenttouchant dans la Tradition, pour rabaisser la haute culture au niveau desmultitudes ignorantes et ramener le monde clair vers les tnbres, ilsveulent et savent allier l'ardeur de la passion la clairvoyance intellec-tuelle, pour mler plus de bonheur et de dignit l'existence de chacun.

    L'unit libre fait la force d'un pays. Quand les seigneurs et les manants,les fiches et les pauvres, spars de coeur et d'esprit, parlent deux languesdiffrentes, comment pourraient-ils s'entendre ? Ils forment deux nationstrangres et hostiles. Qu'ils se comprennent enfin les uns les autres !Quand on se comprend, on est bien prs de s'aimer. Il faut ennoblir laforce et populariser la lumire ; il faut crer une grande me commune,une me hautement et largement nationale, qui puisse, mme avec deslments contraires, constituer un ensemble harmonieux et libre, un or-ganisme intelligent et progressif. Alors surgiront naturellement leshommes de gnie, qui couronneront l'difice.

    Pour aider cette oeuvre d'une si grande porte sociale, nous deman-derons aux artistes, aux philosophes, d'interprter la Tradition populaire,de la rduire sa plus pure expression et de l'lever sa plus haute in-tensit, de l'clairer, de l'illustrer, de lui chercher la forme logique etidale.

    Quelques crivains contemporains ont dj montr ce qu'on peut obte-nir par l'analyse et la synthse de la Tradition, par la mthode del'embryognie applique l'tude des incubations morales et intellec-tuelles. Que de choses encore trouver, rvler, sur les faits et lespersonnages les plus saillants de notre histoire et de toutes les histoires !Jeanne d'Arc, cette figure unique et souveraine, qui rsum, qui incarnedans une si divine candeur, la tradition et le gnie de la France premire,a-t-elle un monument littraire achev? Il existe sur elle de bonnes tudesfragmentaires ; Michelet a crit des pages merveilleuses ; mais tout cela

  • 8 LA TRADITION

    est incomplet. Il faudrait montrer l'action de la jeune me franaise surJeanne et le rayonnement de Jeanne sur les destins ultrieurs de la pa-trie, sans oublier comment l'Eglise et Voltaire ont trait la Pucelle. Sait-on bien dans quelle large mesure et de quelle puissante faon l'incons-cience publique collabore aux grandes ides et aux grandes oeuvres, laRforme et la Rvolution? Le vritable auteur de la Marseillaise et desambes, n'est-ce pas le peuple de 1792 et de 1830? Que firent de grand,de beau, de bon, Rouget de l'Isle et Auguste Barbier, quand le gnie desfoules se ft retir d'eux et ne fconda plus leur mdiocre cervelle ?

    Notre sicle est le sicle des peuples. Quoiqu'on puisse dire ou faire, tort ou raison, son gnie est dmocratique. Partout Jacques Bonhommeouvrant l're de la solidarit universelle, est le protagoniste du drame con-temporain. L'esprit nouveau ne mprise personne ; dans l'humanit,dans la nature, rien ne lui est indiffrent ; nulle part il ne voit ni quan-tit ni qualit ngligeables. L'infiniment petit n'est-il pas aussi profondque l'infiniment grand? La multitude prenant conscience d'elle-mme,tel est le rsum de l'histoire actuelle. C'est par le sentiment que lamultitude a commenc vivre et vaincre. D'abord elle a eu pour agirces raisons de Pascal que la raison ne commit pas, mais que la raisondoit apprendre connatre, pour que l'harmonie s'tablisse et que le

    progrs s'effectue. Il importe au plus haut point maintenant, d'tablir unaccord libre et durable entre l'instinct et la raison. Il faut rgnrer l'un

    par l'autre l'esprit et le coeur, reconcilier dfinitivement ces deux frresennemis, si l'on veut reconstituer, avec un meilleur principe de groupe-ment, la Socit dsagrge.

    Nous esprons donc que l'on s'intressera une Revue, o nous vou-lons mettre en lumire toutes les ressources que la Nature offre l'Art etau Progrs ; et non seulement les mettre en lumire, mais encore com-mencer les mettre en oeuvre.

    Pour la Rdaction :

    MILE BLMONT.

    CONTES DU VIEUX JAPONI

    HANASAKI-JIJI

    (Le vieillard qui fait fleurir les arbres morts).Autrefois, dans les temps anciens, vivait un heureux couple,

    dj vieux, et dont l'unique consolation tait un petit chien toutmignon.

    Un jour, ces vieilles gens s'avisrent de creuser la terre un en-

  • LA TRADITION 9

    droit o leur chien avait gratt, et ils y trouvrent une grandequantit d'or.

    A ct d'eux vivaient deux mchantes gens, qui, apprenant labonne fortune de leurs voisins, voulurent avoir le mme profit etdemandrent leur chien. Ils l'obtinrent; mais le chien ne voulaitpas du tout gratter; alors ils le forcrent, et quand ils eurent biencreus, ils ne trouvrent que de mauvaises choses. Ils entrrentdans une grande colre et turent le chien ; puis ils l'enterrrent aupied d'un petit sapin, sur le bord de la route.

    Le sapin se mit pousser si vite que le bon vieillard put l'abat-tre peu aprs pour en faire un mortier riz. Quand il y mettait del'orge pour le piler, ou toute autre graine, la graine sortait dumortier en grande profusion, et lui rendait bien plus qu'il n'avaitmis. Le mchant vieillard, alors, encore envieux et jaloux, de-manda son voisin de lui prter son mortier. Mais quand il s'enservit, le mortier tomba en morceaux mang par les vers. Il le jetaalors au feu et le brla.

    Le bon vieillard prit des cendres de son mortier, et s'aperutqu'en les rpandant sur les arbres morts, ceux-ci fleurissaient. Leprince de la contre, apprenant cela, lit venir le vieillard et luidonna de l'or, de l'argent et des pices de soie en grande quantit.Il ne fut plus connu que sous le nom du Vieillard qui fait fleurirles arbres morts.

    Le voisin, cette fois encore, voulut faire l'preuve, et essayer defaire pousser des fleurs sur les arbres desschs, avec la cendre dumortier brl . Mais quand il en prit une pince et la rpandit de-vant le prince, loin de voir pousser des fleurs, le prince reut toutela cendre dans les yeux, et fit rouer de coups par ses hommes lemchant vieillard, qui s'chappa grand'peine, la tte fracasse, ettout couvert de sang.

    Sa femme l'attendait avec impatience, et, le voyant venir de loin,pensa :

    Mon mari aussi a t rcompens, car je le vois revenir avecdes vtements de pourpre.

    Mais tandis qu'elle se rjouissait, son mari approchait, et lafin elle s'aperut que les vtements de pourpre n'taient que desang.

    Le mchant vieillard se mit au lit et il y mourut en peu detemps (1).

    Traduction de J. DAUTREMER.

    (1) Contes du vieux Japon, traduits par J. Dautremer. Collection illustre de petitsvolumes japonais, dits par Kobounsia, 2, Minami Sayguitsio, Tokio.

  • 10 LA TRADITION

    Marguerite des bois,Vous souvient-il encore,Marguerite des bois,Du soleil d'autrefois ?

    Et du matin chantantEt de la frache aurore,Et du matin chantantO je vous aimais tant.

    On m'a parl de vousChez Marthe, la voisine,On m'a parl de vous,Mon fin petit coeur doux.

    Je sais que vous pleurez,Le soir, la cuisine,Je sais que vous pleurezSur vos souliers dors.

    Vous aviez rarementGentillesse me dire,Vous aviez rarementPiti de votre amant.

    Vous m'avez dsolAvec votre sourire,Vous m'avez dsolEt je m'en suis all.

    Vous chasse qui voudra,O folles alouettes,Vous chasse qui voudra,Il s'en repentira.

    Moi, je vais en fortCueillir les violettes,Moi, je vais en fortAttraper le furet.

    Mes nippes mon cou,Je fais mon tour de France,Mes nippes mon cou,Je m'en vais, Dieu sait o.

    Tous les chemins sont verts,Et vive l'esprance,Tous les chemins sont verts,Dans le vaste univers.

    J'ai couch quatre nuitsEn plein chteau des belles,J'ai couch quatre nuits.Sans perdre mes ennuis.

    Et je reviens encorAvec les hirondellesEt je reviens encorO sont les boutons d'or.

    Rien n'est aussi charmantQue nos filles de Bresse,Rien n'est aussi charmantQue leur habillement.

    Au petit jour, leurs yeuxSont remplis de tendresse,Au petit j our, leurs yeuxOnt la couleur des cieux.

    Marguerite des prs,Quand le soleil vous dore,Marguerite des prs,Jamais vous ne pleurez.

    Marguerite des bois,Vous souvient-il encore,Marguerite des bois,Du soleil d'autrefois ?

    GABRIEL VICAIRE.

  • LA TRADITION 11

    MONSTRES ET GANTS

    I

    LE REUSE DE DUNKERQUE

    Autrefois, chaque anne, Dunkerque, le jour de la ducasse oukermesse, on promenait solennellement, dans les principaux quar-tiers de la ville, les clbres mannequins gants : Reuse, papa; Gen-tille, sa femme, et leur progniture, fort bel enfant au maillot quin'avait gure plus de trois mtres de hauteur.

    Cette charmante famille tait prcde d'un tambour-major, defifres et de tambours.

    Reuse papa, haut de dix mtres, marchait gravement, comme ilconvient un personnage de son importance, et le peuple l'accla-mait continuellement.

    Son pouse le suivait, et cinq pages portaient gracieusement laqueue de sa robe; huit violons l'escortaient en jouant les airs lesplus gais de leur rpertoire.

    Quant au petit bambin, qui tait dans la poche du Reuse, il criaitsouvent papal et avalait, sans les mcher, les nombreux gteaux oukoukes que ses admirateurs lui lanaient, profusion et en poussantdes cris de joie.

    Que sont devenus Gentille et le petit Reuse?... On l'ignore. Tou-jours est-il que depuis bien longtemps, Reuse, papa, habite seul laTour Saint-Eloi, et que lorsque de loin en loin, un jour de ftequelconque, il en sort pour se promener, il est seul, toujoursseul.

    Htons-nous de dire, cependant, qu'il recueille pour lui seul toutesles acclamations qui, jadis, lui taient adresses en mme tempsqu' sa femme et son poupon chri.

    Quand, au son des cloches et du .carillon, il quitte provisoire-ment sa demeure, un immense cri sort de toutes les poitrines :Vive. Reuse papa ! Hourra I Ces mots retentissent chaque instantpendant tout le temps que dure le cortge, et l'on chante encore avecautant d'entrain qu'autrefois la chanson suivante :

    (1) Le chant de Reuse, dit Victor Derode (Histoire de Dunkerque), parat treemprunt l'hymne Creator Aime Siderum, et remonter au X sicle. Les parolesqui y ont t adaptes ne sont qu'une parodie du pome primitif.

  • 12 LA TRADITION

    FLAMAND.

    1er couplet.En als de groote klokke

    Luidde klokkc luiddeRouse komt Uit.

    Koerd uw ens om do Reusede Rouse

    Koerd uw ens on gyschoone bloom.2e couplet.

    Moodor zet don pot op't vierDen pot op't vicr.Den Reuse is hier.

    Kecrd uw ens om, etc.3 couplet.

    Moodor goefthom eonen botteramEenen botteramDen Reuse is gram.

    Kecrd uw ens om, etc.4 couplet.

    Moodor Geeft den caf potDen caf potDen Reuse is zot.

    Keerd uw ens om, etc.

    TRADUCTION.

    1ercouplet.Voil la grosso cloche qui sonne.

    Le Reuse sort.Tournez-vous une fois,

    Reuso,Tournez-vous une fois,

    Belle fleur ! (*)2 couplet.

    Mre, mets le pot au l'eu.Le Reuse est ici.

    Tournez vous une fois, etc.3 couplet.

    Mre, donne-lui une tartine.Le Reuse est fch.

    Tournez-vous, etc.4e couplet.

    Mre, donne la cafetire.Le Reuse est furieux.

    Tournez-vous, etc.

    Ceci s'adressait sans doute Gentille.

    Que signifie la promenade du Reuse?C'est une question laquelle il n'est pas facile de rpondre d'une

    manire positive.Les uns pensent qu'elle a eu primitivement pour but de tourner

    en ridicule les Reuses ou Finnois que les Arcs, dont les Flamandssont les descendants, finirent par vaincre, aprs avoir soutenu con-

    tre eux des luttes homriques, mais d'autres prtendent qu' l'po-que trs recule o la Flandre portait le nom de Ruthnie, des chefsmilitaires voulurent opprimer le peuple qui les chassa et se moquad'eux ensuite dans les ftes publiques.

    Ce qui parat certain, c'est que le Gant Dunkerquois n'est pas la

  • LA TRADITION 13

    reprsentation d'un personnage, mais la personnification d'unerace, d'une caste autrefois matresse du pays, que le peuple a voulubafouer, aprs l'avoir chasse.

    Mais qui pense cela quand le Reuse se promne? quand l'an-nonce de sa prsence dans un cortge attire Dunkerque de nom-breux visiteurs ?

    Les vieillards le revoient avec joie ; les jeunes, que des rcitslgendaires s'y rattachant ont merveills, ne cessent de l'admirer;les excursionnistes le regardent tonns, et tous, l'unisson, crient maintes reprises : Vive Reuse papa ! hourra !

    A. DESROUSSEAUX.

    LES ANCIENS CONTEURS

    LES FACTIEUSES JOURNES DE GABRIEL CHAPPUIS (1).

    Les Factieuses journes de Gabriel Chappuis de Tours forment un recueildes plus rares, compos de cent nouvelles divises en dix journes, l'i-mitation du Dcamron de Boccace. Quelques-unes des nouvelles sont assezcomiques pour pouvoir soutenir le titre de Factieuses journes que Chap-puis jugea propos de donner son livre; quelques autres contiennentdes dtails et des plaisanteries vritablement trop libres rentrant dans lecadre des Kruptadia; enfin, certaines histoires sont loin d'tre comi-ques et rappellent le tragique de quelques contes de Boccace.

    Cet ouvrage de Chappuis est peu prs ignor de notre poque, etcependant il obtint lors de sa publication un succs prodigieux. Le got a

    chang depuis. Les Factieuses journes sont crites dans un style d'uneplatitude dsesprante ; aussi part quelques-uns les rcits nous

    paraissent-ils plus que mdiocres.Gabriel Chappuis fut un des crivains les plus fconds et les plus esti-

    ms du XVIe sicle. La Croix-du-Maine et Duverdier, auteurs des Biblio-

    thques franoises, en font de grands loges, et disent qu'il soutint digne-ment le titre d'Historiographe de France qu'il obtint aprs Bellefort, etcelui de Secrtaire et Interprte du roi, s-langues espagnole et italienne.Gabriel Chappuis, malgr le complment D. T. de sa signature, tait n Amboise. Son frre Claude Chappuis tait valet de chambre et biblio-

    (1) Les Factieuses journes, contenant cent agrables Nouvelles, la plupartadvenues de notre temps, les autres choisies desplus excellents ailleurs trangers,par G. C. D. T. (c'est--dire, Gabriel Chappuis de Tours). Paris, 1584, un vol.in-8.

  • 14 LA TRADITION

    thcaire de Franois Ier. Gabriel fit d'excellentes tudes. Il composa, tout

    jeune encore, un pome sur le couronnement du duc d'Anjou comme roide Pologne. Ce pome fut suivi d'une foule de publications qui compren-nent 68 numros bibliographiques.

    Plusieurs de ces ouvrages sont des traductions du latin, de l'italien etde l'espagnol, traductions gnralement exactes, mais sans aucune valeurni saveur littraire. Chappuis mourut en 1611, peine g de soixanteans.

    Au sicle dernier, on estimait beaucoup sa traduction de l'Orlando

    furioso de l'Arioste, parce qu'elle tait la seule qui offrt deux suites dif-frentes de ce pome. Ces deux suites avaient t traduites de Pcscatorede Ravennes, et contenaient la mort de Roger et autres pisodes.

    En dehors du Roland furieux, Gabriel Chappuis a publi sept livresdes Amadis (du XVe au XXIe), quatre livres du Roman de Primalon deGrce, une partie de la Diane de Montemajor (roman espagnol), l'Histoiredes Amours extrmes d'un chevalier de Sville, dit Luceman, et de la belledemoiselle Arbolea (d'un style ennuyeux et mme assommant), les CentNouvelles de J.-B. Giraldi (trs intressantes). Chappuis a publi en outreune foule de livres de dvotion, d'ouvrage de philologie tirs du latin, del'espagnol et de l'italien, des dialogues, des lettres, des traits de Philoso-phie, de gros livres d'histoire universelle ou particulire, comme : L'tat,Description et Gouvernement des Empires, Royaumes et Rpubliques duMonde, en XXIV livres ; la Continuation des annales de France, de NicoleGilles ; l'Histoire de son temps ; l'Histoire du Royaume de Navarre ; l'Histoiredes guerres de Flandre, etc.

    Chappuis n'a jamais t qu'un traducteur ou qu'un collectionneur m-diocre. Les meilleures nouvelles de ses Factieuses journes ont t tirespar lui des Novellieristes italiens et franais, particulirement du recueilde Fr. Sansovino (1571), des Cent Nouvelles de Mme de Goms, des Contesdu Pogge, du recueil de Nouvelles italiennes de Celio Malaspini, et de quel-ques fabliaux du moyen-ge.

    Les plus curieuses histoires de l'ouvrage sont justement celles qu'il atires des crivains qui l'ont prcd. Nous citerons particulirement la4e nouvelle de la premire journe, la 2e nouvelle de la seconde journe,le 3e nouvelle de la cinquime journe, la 4e nouvelle de la huitimejourne, la 5e nouvelle de la neuvime journe, et enfin quelques factiesdans les 3e, 4e, 6e, 7e et 10e journes (Facties de Gonelle et d'Arlotto).

    HENRY CARNOY.

    LA COMPLAINTE DU VENDREDI SAINTLe jour des Rameaux est pass. Dans nos villages de la montagne

    langroise, derrire chaque porte, au dessus de chaque manteau de

  • LA TRADITION 15

    chemine, un brin de buis vert ou de saule en fleur a remplac lespquottes dessches de l'an dernier. Nous sommes au coeur de lasemaine sainte. Les cloches sont parties et, la place des clairessonneries, monte le bruit strident des crcelles que les enfants agi-tent aux carrefours des rues pour annoncer les heures des offices.Les champs eux-mmes, o le travail chme, semblent recueillis etdans l'attente de quelque vnement mystrieux. Les oiseaux seulsy gazouillent doucement en cherchant la place de leur nid.Voicicependant que de babillardes voix d'enfants rsonnent dans le che-min qui mne la fort, des voix tapageuses, effarouchant lesmerles parmi les branches et troublant les fauvettes en train decouver. Ce sont les coliers du village qui vont visiter les fermesenclaves en plein bois et quter des oeufs en chantant la Complaintedu Vendre-Saint.

    Elle est nave, colore et fleurie comme un vitrail du moyen-ge,cette complainte qui me reporte tendrement mes premires annesde jeunesse ! Vieille de plusieurs sicles, oeuvre d'un pote in-connu, elle garde dans ses couplets rimant par assonance, la trace,des gnrations successives qui se la sont transmise oralement. Destrophe en strophe un mot se dtache du texte primitif, indiquant,comme un tmoin, une poque nouvelle, un des ges nombreux quecette cantilne de la Passion a traverss. Elle dbute par uneinvocation semblable celles que devaient faire les jongleurs et m-nestrels du XIVe sicle, errant de chteau en chteau, lorsqu'ilscommenaient un fabliau ou une chanson de gestes :

    Seigneurs et dames, plaisez-vous d'couterUne complainte piteuse raconter,De Notre-Dame qui eut le coeur dolent,Quand elle sut qu'on a pris son enfant.

    Pleurez, pleurez, hommes, femmes et enfants,Pleurez, pleurez de coeur triste et dolent ;Pleurez de coeur pour le bon Jsus-ChristQui, sur la croix, pour nous s'en va mourir.

    Puis viennent d'nergiques imprcations contre tous les complicesdu meurtre divin. Pilate ni Judas ne sont pargns :

    Tratre Judas, tu fus bien dloyal,D'avoir trahi, vendu le sang royal ;Trente deniers aux Juifs, tu l'as vendu,Tu en seras puni et confondu.

    Tu le vendis le jeudi au dner,A la lanterne le soir il fut men ;Le vendredi, il fut crucifi,Son corps en croix fut pendu et clou...

    Oh ! cette complainte, avec son rythme lentement scand, sa m-

  • 16 LA TRADITION

    lope triste et dolente comme le rcit lui-mme, quand je me la fre-donne tout bas il me semble que les annes reculent, pareilles unrideau qui se dchire et s'carte; et je revois la fort o les htresdplissent leurs bourgeons ; j'entends, au long des prs, les ruis-seaux grossis par la dernire fonte des neiges, et l-haut, dans leciel, au-dessus des bls verts, la gaillarde musique des alouettes,tandis qu'un vent frais m'apporte les odeurs mieilleuses des prime-vres et des saulaies en fleurs...

    Les quteurs d'oeufs s'parpillent dans les sentiers de la fort. Lesdeux enfants de choeur, Jacques et Mamms, ceux qui savent lemieux la chanson, marchent crnement en claireurs ; Evre et Sul-pice portent tour de rle le panier garni de foin o l'on dposerales oeufs; le Bourguignon, la tignasse jaune et embroussaille,pique droite et gauche des reconnaissances travers les hal-liers pour voir s'il n'y trouvera pas un nid, et le petit Jean-Louis,qui ferme la marche, s'attarde tailler des sifflets dans un brin desaule encore moite de sve. Entre les branches peu feuilles, lesoleil sme des gouttes d'or sur ces blouses bleues ou bises, et surces ttes brunes ou blondes dont la plus ge compte quatorze ans peine. Les merles sifflent allgrement sur leur passage, et l-bas, au fin fond du bois, le coucou leur jette son double appel so-nore, qu'ils contrefont en l'accompagnant d'clats de rire.

    Quand le taillis s'claircit, et qu'ils aperoivent au revers deschamps les toits de tuile d'une ferme, leur bataillon se reforme etils s'avancent en bon ordre dans la cour o, avec des gloussementsaigus, les poules s'effarent; puis ils s'arrtent au seuil de la maison.Les deux enfants de choeur entonnent le premier couplet de la com-plainte, et le reste de la bande les accompagne l'unisson.

    Jamais ils ne s'loignent les mains vides. Les mnagres les plusregardantes tiennent en rserve pour les chanteurs quelques oeufsdu poulailler ; souvent mme, celles qui ont la main librale y ajou-tent une poigne de noisettes, des pommes sches au four ou unrayon de miel. A mesure que la tourne se poursuit, le panierdevient plus pesant. Evre et Sulpice commencent trouver que cen'est pas une sincure de le porter et appellent la rescousse lesdeux flneurs de la bande : le Bourguignon et Jean-Louis, qui neprtent leur bras qu'en rechignant.

    Cependant on est arriv l'extrmit de la paroisse, l o unegrosse ferme dresse ses btiments confortables et couverts de tuileneuve, la naissance d'une gorge dont les prs verts s'vasent et

  • LA TRADITION 17

    dvallent mollement entre deux pentes boises. L'entre de la fermeest tourne vers la plaine, o des seigles dj drus ondulent pertede vue et o des colzas en fleurs mettent a et l de larges tachescouleur d'or. La faade de la maison d'habitation donne en pleinsoleil sur un rustique jardin o des abeilles bourdonnent autourd'un rucher. L'aspect de cette demeure est avenant et hospitalier,et, chaque anne, les quteurs y reoivent un gnreux accueil.Pourtant, cette fois, au moment o, aprs avoir pouss la porte claire-voie, ils font leur apparition sous les fentres ouvertesdu rez-de-chausse, une servante accourt et leur enjoint de re-brousser chemin, parce qu'il y a quelqu'un de malade dans lamaison.

    Oui, il y a une malade dans la grande chambre du rez-de-chaus-se, une enfant de dix ans, une fillette rachitique et plotte, neau fond d'un entre-sol; dans quelque rue noire et humide du vieuxParis. Ses parents, de petits boutiquiers, l'ont envoye lacampagne, chez la grand'mre, dans l'espoir que l'air des bois luireferait le sang et lui raffermirait les os ; mais il est dj trop tard.La fillette n'a plus de jambes pour se promener dans les sentiersreverdis ; ses poumons sont atteints et l'air de la fort est trop vifpour eux. Elle reste tout le jour couche sur un immense lit bal-daquin, ple comme les muguets des bois, toute frle de corps,avec une tte norme o de grands beaux yeux bruns luisent fi-vreusement. La grand'mre, robuste et alerte encore, adore sonunique petite fille et se dsole de voir que les drogues des mdecinsrestent impuissantes ; elle s'ouvrirait volontiers les veines pour in-fuser un peu de son rouge sang de paysanne cette malingre enfantde la ville.

    Au bruit que mne la servante en renvoyant les quteurs, la petitemalade soulve sa tte et s'informe de ce qui se passe. On lui expli-que d'o viennent ces enfants et pourquoi ils courent la campagne,alors elle s'crie qu'elle veut les entendre chanter et exige qu'onles rappelle. Ils reviennent timidement se placer devant la fentre,d'o la malade, aux yeux bruns avidement ouverts peut apercevoirleurs faces bien portantes, hles et roses par la marche, ettous ensemble ils entonnent la complainte.

    La fillette, attentive, semble couter avec ravissement cette cu-rieuse chanson, et s'intresser au naf rcit de la Passion. Quand ilsattaquent le couplet final :

    O filles et femmes qui voulez Dieu servir,Donnez des oeufs ces enfants petits,Et vous irez tout droit en Paradis,Droit comme un ange auprs de Jsus Christ.

    Une rougeur monte aux joues blanches de la malade, ses yeuxintelligents brillent d'un clat humide, et elle fait recommencer la

  • 18 LA TRADITION

    complainte. Puis elle veut offrir elle-mme des oeufs aux chanteurs;on en apporte toute une panere sur le lit et elle les distribue laronde avec de ples sourires. Depuis longtemps la grand'mre nel'a vue si amuse et si vivante, et, dans son contentement, elle don-nerait volontiers tout le contenu de son garde-manger aux qu-teurs. Elle les attable devant le lit, leur sert chacun une part detarte avec un verre de vin, et, quand ils se lvent merveills, elleglisse encore dans la main des deux plus petits une pice blanche.L'un aprs l'autre, ils vont gauchement prendre cong de la ma-lade, et chacun lui murmure de bon coeur un souhait de meilleuresant.

    Au revoir, mes Gachenets, dit la fermire, priez le bon Dieupour elle, afin qu'elle soit tout fait gurie quand vous reviendrezl'an prochain !...

    Ils reprennent leur panier qui pse lourd, retraversent le jardin,et, quand ils disparaissent au tournant de la route, on entend en-core leurs voix qui chantent :

    Et vous irez tout droit en Paradis,Droit comme un ange auprs de Jsus-Christ !

    Aprs le dpart des quteurs, la petite malade a laiss sa tteretomber sur l'oreiller, ses yeux se sont ferms, elle s'assoupit etrve. Elle rve qu'elle est gurie et qu'elle se promne le longd'un chemin tout neigeux d'aubpines, un joli chemin qui montedroit vers le ciel bleu. A mesure qu'elle marche, les arbres en fleurssecouent de blancs dbris sur sa tte et une bonne odeur de prin-temps lui entre dans les narines. Quant elle arrive au sommet du _chemin, tout l-haut en plein en plein azur, le ciel s'ouvre. Elle en-tend des voix d'anges qui chantent en choeur le dernier couplet dela complainte. Et tout d'un coup elle voit venir elle le petit Jsus,souriant dans son aurole d'or ; il la prend par la main, la conduitvers un trne qui luit comme argent clair, et la fait asseoir sescts. Autour d'eux, les anges aux ailes frissonnantes se rangent enhaie le long des avenues bleues du Paradis, et au loin, du ct de laterre, comme une lointaine musique dlicieuse, on entend les clo-ches de Pques qui annoncent la Rsurrection...

    Jour jour, l'anne s'grne : printemps, t, automne, hiver...Puis les pines noires refleurissent, et la Semaine-Sainte revient. Levendredi, aprs l'office du matin, les coliers reprennent leur panieret s'en vont de nouveau de ferme en ferme travers les bois. Ce

  • LA TRADITION 19

    sont toujours les mmes quteurs, seulement les deux enfants dechoeur ont pouss comme des asperges sauvages. Cela se voit leurs vtements, dont l'encolure est trop troite et les manches tropcourtes. Le Bourguignon s'acharne comme de coutume la recher-che des nids, et Jean-Louis a toujours le mme amour pour les sif-flets de saule. Gament ils cheminent dans les tranches fleuries deprimevres et gayes par le sifflet des merles. Ils ont gard pourla fin la grosse ferme aux toits de tuile neuve, qui est la corne dubois. Ils se rappellent le bon accueil de l'an pass. Ils revoient enpense le ple sourire et les grands yeux de la petite malade, etl'eau leur vient la bouche au souvenir de la tarte arrose du vinclairet, de la panere d'oeufs et des pices d'argent...

    Voici les murs gris de la ferme et la faade blanche sur le jar-din, avec le rucher bourdonnant d'abeilles. Mais les volets de lagrande chambre du rez-de-chausse sont hermtiquement clos, et,comme ils poussent la porte claire-voie, ils aperoivent la vieillefermire, en robe noire et en coiffe de deuil, occupe sarcler lescarrs du potager. La bonne femme les a vus aussi, et tout d'uncoup elle se met pleurer... Ils comprennent que la fillette malades'en est alle pour toujours, et, n'osant plus chanter, ils s'arrtent,tent leur casquette et se regardent avec embarras... On les faitentrer nanmoins; la servante leur apporte de quoi goter, lavieille fermire dpose des oeufs dans leur panier, puis, au momentdu dpart, glisse une pice blanche dans la main de chacun des en-fants : a, leur dit-elle en renfonant un sanglot, c'est pour lapetite qui est au ciel.

    Les coliers s'en reviennent, le coeur triste et dolent commedans la complainte. Il y a en eux quelque chose de lourd qui arrtele rire sur leurs lvres et les fait parler voix basse. Au milieude la fte du printemps, travers la fort qui gazouille et s'pa-nouit, brusquement et pour la premire fois, l'ide de la mortles hante et chemine avec eux comme une maussade compagne enhabits de deuil.

    ANDR THEURIET.

    LES TRADITIONNISTESI

    JEAN NICOLAIDES

    M. Jean Nicolades, notre collgue de la SocitdesTraditionnistes, est n Indg-Sou,l'ancienne Csare, en Asie-Mineure, la fin de l'anne 1846.Son pre, Nicolas Zooglou, mourut peu aprs Constantinople. Sa

  • 20 LA TRADITION

    mre, Hadji Photny, ne Papaantonoglou-Eustache, se vit force detravailler des ouvrages de couture pour russir lever ses deux filsJean et Vikentios.

    M. Jean Nicolades suivit Indg-Sou les leons d'un excellent profes-seur, Basile Philippidis, qui avait attir toute la jeunesse studieuse desenvirons. Le fils de Nicolas Zooglou fut charg, vers 1861, d'enseignerla grammaire dans cette mme cole. Il suivit son professeur Philippidislorsqu'il fut plac comme directeur des coles de la ville.

    M. Jean Nicolades quitta Csare en 1863, pour aller continuer sestudes Constantinople. Il se mit tudier les dialectes grecs, le turc,l'arabe, le persan, l'italien et le franais.

    Entre temps, il donnait des leons dans des familles de Nochorie, de

    Candilly et des les des Princes.En 1871, apprenant que Basile Philippidis tait Trieste d'Autriche, il

    le rejoignit pour aller ensuite dans l'le de Chios. On tait au mois de dcembre, dit-il. Je fus charm de trouver le

    printemps l o j'attendais les rigueurs de l'hiver. Les arbres taient toutverts, les orangers et les citronniers disparaissaient sous l'or des fruitsmrs. La beaut de l'le m'entrana, et je passai quelques annes dansce site charmant.

    En 1880, M. Nicolades vint Paris. Je le mis en relations avec plu-sieurs traditionnistes, et nous le dcidmes recueillir le riche Folk-Lore de l'Asie-Mineure et des les de l'Archipel Ottoman.

    Ds son retour, il fut nomm inspecteur des tabacs, et, courant les lesde l'Archipel, parcourant les villages, interrogeant les pcheurs, lesptres et les paysans, il rassembla une immense collection de notes rela-tives aux contes, aux lgendes, aux chansons, aux usages et aux cou-tumes du pays.

    Puis, pour complter son travail, il s'enfona parmi les peuplades del'Asie Mineure, courut mille dangers et acheva ses Traditions popu-laires qui lui avaient demand quatre ans de recherches.

    L'anne derrire, le Folk-Lore de Constantinople le tenta. N'ayantd'autre ambition que celle d'tre utile la science, il abandonna sesfonctions officielles et s'embarqua pour Stamboul.

    Voici ce qu'il nous crivait dernirement au sujet de cette missionvolontaire.

    Il n'y a pas Constantinople de population compacte. Les Turcs dela Turquie d'Europe, de l'Asie-Mineure et du littoral levantin sont mlsde telle sorte que l'on ne saurait distinguer si une tradition est albanaise,bosniaque, bulgare, serbe, gorgienne, circassienne, tatare, arabe ou tur-que. On pourrait en dire autant pour les traditions grecques, arm-niennes et tziganes.

    Nous avons mis quatre ans recueillir les documents de nos Tradi-tions populaires d'Asie-Mineure ; je ne sais si jamais j'arriverai crirele Folk-Lore de Constantinople.

  • LA TRADITION 21

    Si je travaillais dans les villages nos chres tudes, un volume neme demanderait pas plus d'un an.

    Dsignez-moi la province de la Turquie d'Asie ou d'Europe ou du littoral levantin o vous voulez que je me rende. Je partiraiaussitt.

    Ici, il faut rester un an dans une province, faire le tour du pays,passer et repasser par chaque village, possder toutes les langues deBabel pour russir recueillir les traditions populaires.

    Les voies de communication ne rappellent en rien celles de votrecher pays, car elles laissent bien dsirer ! Je ne vous parle pas des vo-leurs et des bandits, que l'on peut rencontrer chaque pas, ni des autresincommodits du voyage. Si vous connaissez un voyageur qui ait eu lemalheur de parcourir la Turquie, il vous donnera de plus longs dtails.Et cependant, un Franais est un personnage chaudement recommandpar son ambassadeur au ministre de l'intrieur, tandis que Jean Nico-lades n'est qu'un misrable raya chien de chrtien ! ...

    Voici un exemple de la difficult que l'on prouve recueillir lestraditions populaires.

    La dame Galiope Glyplena qui m'a racont la fable Le Chat et lesSouris, n'a qu'un petit-fils, dont je fus jadis le professeur. Il m'aimepeut-tre plus tendrement que ma propre mre.

    Un jour, celte femme vint me rciter cette fable. Je la priai de lareprendre. Tu vas, me rpondit-elle, crire le conte que je viens dete dire ; tu ne fais cela que pour me rendre ridicule ! Je fis le possi-ble et l'impossible, aid en cela par son fils qui est prtre, pour la dci-der. Elle refusa absolument. Quelques jours plus tard, je renouvelai mesinstances, mais auprs du prtre seulement. Lors d'une fte, il fut plusheureux, et sa grand'mrc lui raconta la fable. Grce sa mmoire pro-digieuse, il put me la copier en avril 1884.

    Et maintenant voici quoi j'en suis rduit pour surmonter les diffi-cults que je rencontre Constantinople.

    Pour recueillir les traditions turques, je suis entr dans une familleottomane o je donne des leons de franais. Les Turcs, bien entendu,ne connaissent point les honoraires des professeurs et je ne reois pointle moindre liard.

    Comme je ne puis entrer en relations avec les femmes turques, jedonne encore des leons de franais dans une famille grecque qui habite ct du quartier ottoman, sous celte condition que la mre de meslves frquente les maisons turques et me note les coutumes desharems.

    Entre temps, je vais chez un journaliste armnien qui m'occupe des traductions de journaux franais et je l'interroge sur les conteurs desa nation.

    J'agirai de la sorte pour recueillir les traditions des autres races per-dues dans la vieille Byzance.

  • 22 LA TRADITION

    Je ne parle pas du danger que l'on court visiter les mosques, lescouvents, les cimetires ottomans. Les Turcs sont si intolrants et si fana-tiques ! Et je laisse de ct le chapitre dpenses !

    Je frquente les cabarets o se runissent les voleurs, les escarpes etles gueux de la capitale, afin d'entendre un joli conte, de surprendre unecoutume ou de noter un roman. Je rentre chez moi couvert de poux! Etceux qui me voient disent : Cet hommeest fou !

    Il nous est arriv plus d'une fois de nous plaindre des difficults quenous rencontrons pour recueillir les traditions populaires de la France. Ilfaut avouer que nos petits ennuis sont bien peu de chose lorsque nousles mettons en regard de ceux que trouve M. Nicolades.

    Notre collgue est un missionnaire de la science. Nous lui envoyonstous nos voeux et tous nos encouragements.

    C. DE WARLOY.

    UNE PRFACE MONACALEL'abbaye de Saint-Sever, au diocse de Coutances, appartenait

    l'ordre des bndictins de la congrgation de Saint-Maur.Les moines de cette abbaye observaient-ils religieusement les

    rglements de leur ordre ? Se livraient-ils, au contraire, aux plai-sirs de la table et aux jouissances des sens? L'histoire n'en ditabsolument rien; quant la tradition, elle consigne un pisode de-venu des plus populaires.

    Au sicle dernier, un dimanche, un nouveau moine qui devaitchanter la grand'messe dans l'glise abbatiale, o assistaient aussiles gens du bourg, se promenait-dans l'intrieur du clotre en rci-tant son brviaire. Il remarqua plusieurs fois, non sans surprise,qu'un bruit insolite se produisait l'intrieur d'un, cellier dont laporte ouvrait sur le clotre. Pensant que tous les moines se trou-vaient dans leurs cellules, il crut qu'un larron s'tait introduit danscet appartement pour y commettre quelque rapt. Il s'approcha doncde la porte ; et, l'ouvrant brusquement, il aperut autour d'unetable parfaitement servie les trois dignitaires: le pre Abb, le prePrieur et le pre Procureur, qui faisaient grand accueil des metsgras et buvaient d'excellent vin.

    Les trois suprieurs de l'abbaye,, aussi bien que le moine, nesavaient quelle contenance garder. Enfin, le pre Abb, qui recou-vra le premier son sang-froid, raconta au moine que lui et sesdeux collgues avaient l'autorisation spciale de faire gras les di-manches et les ftes chmes ; mais comme cette dispense n'taitpoint connue des religieux de l'abbaye, il demanda au moine deleur promettre de garder le secret sur ce fait. Le moine, en rus

  • LA TRADITION 23

    Bas-Normand, jura de ne rien rvler aux hommes de ce qu'il avaitvu. Les suprieurs ne. s'aperurent point de la singularit de ceserment ; ils laissrent aller le moine et continurent de sacrifier audiable de la gourmandise.

    Quant au moine, il riait dans sa barbe, suivant le dicton. Il com-mena la messe, officia la procession et constata que les troisdignitaires se prlassaient dans leurs stalles. Il chanta l'vangile ;puis il entonna la prface qui, ce jour-l, ne provoqua aucun assou-pissement.

    En effet, le moine bndictin raconta ainsi dans la deuximephrase la scne dont il avait t tmoin :

    Vere dignum et justum est, oequum et salutare, nos tibi semper et ubi-que gratias agere, fer Dominum nostrum Jesum Christum. Trs suntmonachi in monasterio quos reprekensi manducantes carnem et bibentes,vinum : pater abbas, pater prior et pater procurator. Mihi fecerunt jurarenemini dicere ; nemini dixi, nemini dico, nemini dicam : tibi soli, oDeus. Et ideo, etc.

    Les trois dignitaires de l'abbaye passrent par toutes les cou-leurs de l'arc-en-ciel, tandis que les religieux, se regardant d'abord la drobe, poussrent enfin un immense clat de rire. Et on ditque la messe ne fut point acheve.

    VICTOR BRUNET.

    ORIGINE DE L'HOMME(LGENDE SLOTNE).

    Au commencement, il n'y avait rien, si ce n'est Dieu.Or, le Signeur dormait, et son sommeil dura des millions

    d'annes.Tout coup il se rveilla brusquement et regarda l'espace sans

    bornes. Chacun de ses regards cra une toile.merveill, le Seigneur se mit parcourir les cieux afin de con-

    templer son oeuvre, et jamais il n'en put trouver la fin. Il voyageaainsi des centaines de sicles sans jamais se fatiguer, allant d'toileen toile et de soleil en soleil.

    Enfin, il rencontra notre terre, et comme il tait las il voulut sereposer. Une goutte de sueur tomba : cette goutte s'anima, granditet forma le premier homme.

    L'homme est donc n de Dieu ; mais il a t cr pour la souf-france ; sorti de la sueur divine, il ne peut gagner son pain qu' lasueur de son front.

    ALFREB POUPEL.

  • 24 LA TRADITION

    LES HANTISES DE LA NUIT

    La vieille Renaude se rchauffe au soleil assise sur un billotdevant sa maisonnette.

    Elle est fltrie, abattue et ride comme une figue trop mre. Detemps en temps, elle chasse les mouches qui se posent sur son nez;puis, humant les rayons, elle se met rver et sommeille en bran-lant la tte.

    Eh bien, brave Renaude, vous faites un petit somme ? Que voulez-vous que je fasse ? A vrai dire, je suis l sans dor-

    mir ni veiller. Je rvasse, je patrentre. Mais force de prier Dieuon finit par s'assoupir.... Oh! la mauvaise chose, quand on ne peutplus travailler ! On s'ennuie, voyez-vous ? On s'ennuie comme deschiens !

    Vous allez vous enrhumer, l, au soleil, avec la rverbrationqu'il y a.

    Oh! o, vai ! m'enrhumer.... Vous ne voyez pas, pauvre demoi, que je suis sche comme un copeau; si l'on me faisait bouillir,je ne fournirais peut-tre pas une goutte d'huile.

    A votre place, moi, je m'en irais tout plan-plan voir un peules commres de votre ge. Cela vous ferait passer le temps.

    Oh ! o, vai, bonnes gens, les commres de mon ge, il n'enreste pas beaucoup. Qu'y a-t-il encore, voyons ? La pauvre Gene-vive qui est sourde comme une charrue ; le vieille Patantane, quibat la berloque ; Catherine du Four, qui passe son temps gmir...J'ai bien assez de mes plaintes. Autant vaut demeurer toute seule.

    Que n'allez-vous au lavoir, vous bavarderiez un moment avecles lavandires.

    Avec les lavandires? En voil des bonnes pices qui tout le longdu jour frappent tort et travers et sur quoi : sur les uns et surles autres ! Elles ne disent que des choses dplaisantes. Elles semoquent de tout le monde, puis elles rient comme des niaises :

    quelque jour le bon Dieu les punira. Oh non, ce n'est plus commedans notre temps.

    Et de quoi parliez-vous dans votre temps ?

    II

    Dans notre temps ? Ah ! On se racontait des histoires, des contes,des sornettes, qui faisaient le plus grand plaisir couter : la Bte Sept-Ttes, Jean Cherche-la-Peur, le Grand Corps-sans-Ame...,Parfois rien qu'une de ces histoires durait trois ou quatre veilles.

    A cette poque on filait du chanvre et du lin. L'hiver, aprs le

  • LA TRADITION 25

    souper, nous partions avec nos quenouillles et nous nous runis-sions dans quelque grande bergerie. Dehors, au loin, nous enten-dions hurler le vent-terral et les chiens japper aux loups. Mais nousautres, bien au chaud, nous nous serrions les unes contre les autressur le fumier de brebis, et du temps que les hommes allaient traireles btes ou leur donner manger, et que les beaux agneaux age-nouills poussaient de leur tte en remuant la queue le sein pleinde lait de leurs mres, nous autres femmes, comme je vous le dis,en tournant notre fuseau, nous coutions ou disions des contes.

    Mais je ne sais d'o a provient, dans ce temps on parlait dequantit de choses dont on ne parle plus aujourd'hui et que pour-tant pas mal de personnes, que vous avez connues, des personnestrs dignes de foi, assuraient avoir vues.

    III

    Tenez, ma tante Mian, la femme du rempailleur de chaises dont lespetits-fils demeurent au clos du Pain-Perdu.Un jour qu'elle allait cher-cher des souches mortes, elle rencontra la Galine Blanche, une bellepoule qu'on aurait cru apprivoise. Ma tante se baissa pour l'attrap-per avec la main..., mais, pan! la poule s'enfuit et s'en va un peu plusloin picorer dans l'herbe. Mian s'approche de nouveau avec prcau-tion de la poulette qui semblait se mettre au repos pour se laisserattraper. Mais tout en lui disant Petite ! tite ! tite ! juste au mo-ment o elle croyait l'attraper, zou ! la poule se sauvait et ma tantede plus en plus actionne la suivait. Elle la suivit, elle la suivitpeut-tre bien une heure de chemin. Puis, comme le soleil s'taitcouch derrire les collines, Mian eut peur et retourna sa maison.Il parat qu'elle fit bien, car si malgr la nuit, elle avait voulusuivre cette Galine Blanche, qui sait Vierge Marie, o elle l'auraitconduite.

    IV

    On parlait aussi d'un cheval ou d'un mulet, d'autres disaientune Grosse Truie, qui apparaissait parfois aux libertins qui sor-taient de cabaret.

    Une nuit, Avignon, une bande de coureurs qui venaient defaire bombance, aperurent un cheval noir qui sortait du Conduitde Cambaud.

    Oh! le superbe cheval ! fit l'un d'eux. Attendez je vais sauterdessus.

    Et le Cheval se laisse tranquillement monter. Tiens il y a encore un place, dit un autre ; moi aussi je vais

    l'enjamber.Et zou, voil qu'il l'enjambe.

  • 26 LA TRADITION

    Voyez il y a encore de l place, s'crie un autre jouven-ceau.

    Et le voil qui grimpe encore.Et mesur qu'ils montaient, le Cheval Noir s'allongeait, s'allon-

    geait tellement que, ma foi ! douze de ces fous l'avaient dj enfour-ch quand le treizime s'cria : Jsus ! Marie ! grand saint Joseph !je crois qu'il y a encore une place... Mais peine avait-ii parlque le monstre s'envola et nos douze joyeux Passe-bon-temps seretrouvrent subitement tout droit sur leurs jambes.

    Heureusement, heureusement pour eux! Car si le dernier n'avaiteu la bonne inspiration de s'crier : Jsus ! Marie ! grand saintJoseph ! la bte de malheur les emportait srement tous audiable.

    V

    Savez-vous de quoi l'on parlait encore ? D'urte sorte de gens quiallaient minuit danser en rond dans les landes et qui buvaientensuite les uns aprs les autres la Tasse d'Argent. On les appelaittes sorciers et les masques. Et dans ce temps l, il y en avait Unpeu partout. J'en ai bien connu quelques-Uns, mais par considra-tion pour leurs enfants je ne veux pas les nommer. Il parat cepen-dant que c'tait une mauvaise engeance, car une fois mon grandpre qui tait ptre, l-bas aux Grs, en passant la nuit derrire leMas des Prtres, voulut regarder par l'arcade et que vit-il, monDieu ! il vit des hommes qui jouaient la paume avec des enfants,ds enfantelets tout nus qu'ils avaient pris dans les berceaux etqu'ils se renvoyaient de mains en mains des uns aux autres! Celafait frmir.

    VI

    Eh bien ! n'y avait-il pas encore des chats sorciers ? Oui, il yavait des chats noirs qu'on appelait Matagot et qui faisaient venirl'argent dans les maisons o ils restaient.

    Vous n'avez pas connu la vieille Tartavrelle qui laissa tant d'cusquand elle trpassa?

    Eh bien ! elle avait un chat noir, et tous ses repas elle ne man-quait jamais de lui jeter sa premire bouche sous la table.

    J'ai toujours entendu dire qu'un soir, la tombe de la nuit, monpauvre oncle Cadet, qui allait se coucher, vit, dans l'ombre, un chatqui traversait la rue.

    Lui, sans penser mal, lui envoya un coup de pierre...Mais le chat, se retournant, dit mon oncle en le regardant d

    ct : Tu as touch Robert !

  • LA TRADITION 27

    VII

    Que de choses tranges pourtant! Aujourd'hui tout cela est traitde songes ; rien n'effraye plus, et cependant il fallait bien qu'il yet quelque chose de vrai, puisque tous en avaient peur...

    Eh ! disait Renaude, il y en avait bien d'autres de btes quidepuis ont disparues.

    Il y avait la Chaucho-Vieio (l'touffe-vieille) qui, la nuit, s'ac-croupissait l sur nos pieds et nous empchait de respirer. Il yavait la Garamaudo, il y avait les petits Follets, il y avait leLoup-Garou, il y avait le Tire-Graisse, il y avait... que sais-je en-core?...

    VIII

    Mais, tenez, je l'oubliais, il y avait l'Esprit-Fantasti ! Celui-l onne viendra pas me dire qu'il n'a jamais exist : je l'ai entendu et jel'ai vu... Il hantait notre table. Mon pauvre pre que Dieu aitson me dormait une fois dans le grenier. Tout coup j'entendsouvrir le grand portail, l-bas. Je vais regarder de la fente, de lafente de la fentre, et qu'est-ce que j'aperois ? Je vois toutes nosbtes, le mulet, la mule, l'ne, la cavale et le petit chevreau qui,fort bien attachs avec leur licol, s'en allaient, sous la lune, boire l'abreuvoir. Mon pre vit bien vite ce n'tait pas la premire foisque cela lui arrivait que c'tait le Fantasti qui les menait boire,il se remit dans sa paille et ne dit rien...

    Mais le lendemain matin il trouva le portail tout grand ouvert !Ce qui, dit-on, attire le Fantasti dans les curies, c'est les grelots.Le bruit des grelots le fait rire, rire, rire comme un enfant d'un andevant qui on agite le hochet. N'allez pas croire cependant qu'ilsoit mchant ; il s'en faut de beaucoup, mais il est trs espigle ettaquin.

    S'il est dans ses bons moments, il trille les bestiaux, leur tressela crinire, leur donne de la paille blanche, nettoie l'guierIl est mme remarquer que l o se trouve le Fantasti, il y a tou-jours une bte plus gaillarde que les autres : cela vient de ce quele petit Esprit capricieux l'a prise en affection, et comme dans lanuit il va et vient dans le ratelier, il lui donne le foin qu'il grapillaux autres.

    Mais si par male chance le hasard fait qu'on drange dans l'ta-ble quelque chose contre sa volont, a ! a ! a ! la nuit suivante, ilvous fait un sabbat de maldiction ! il embrouille et salit la queuedes btes, il leur prend les pieds dans leurs traits ensonnaills, ilrenvers avec fracas la planche des colliers, il brandit dans lacuisin l pole et la cremaillre, en un mot c'est un vrai remue

  • 28 L TRADITION

    mnage... Tellement que mon pre, ennuy la fin de tout ce ta-page, rsolut d'en finir.

    Il prend une poigne de pois rams, monte au grenier, parpillela graine dans le foin et dans la paille, et crie au Fantasti : Fan-tasti, mon ami, tu me chercheras une par une ces graines depois.

    L'Esprit qui se complat aux menus amusements et qui aime ceque toute chose soit toujours bien sa place, se mit, parat-il, trier les petits pois et farfouiller, car nous trouvmes despetits tas un peu partout dans le grenier.

    Mais (mon pre le savait bien) il finit par prendre en grippe cetravail de patience et s'enfuit du grenier, si bien que nous ne levmes plus.

    Si, pour en finir, moi je le vis encore une fois. Imaginez-vousqu'un jour, j'avais peut-tre onze ans, je revenais du catchisme.En passant prs d'un peuplier, j'entendis rire la cime de l'arbre : jelve la tte, je regarde et je vois au bout du peuplier l'Esprit-Fan-tasti qui,riant dans les feuilles, me faisait signe de grimper. Ah ! jevous en laisse juge ! Je n'aurais pas grimp pour cent oignons ! Jeme mis courir comme une folle et depuis a t fini.

    IX

    C'est gal, je vous rponds que quand venait la nuit et qu'onracontait de ces choses autour de la lampe, il n'y avait pas de dan-ger que nous sortions. Ah ! quelle peur nous avions, pauvres petiteschattes !

    Puis nous devnmes grandes, arriva le temps des amoureux, etles drles nous criaient la veille :

    Allons, petites, venez, nous allons faire, au clair de lune,un brinde farandole.

    Pas si nigaudes, rpondions-nous, et si nous rencontrionsl'Esprit-Fantasti ou la Galine-Blanche.

    Ho ! les grandes btes ! nous disaient-ils, vous ne voyez pasque tout a c'est des contes de ma grand'mre la borgne ! N'ayezpas peur, venez, nous vous tiendrons compagnie.

    Et c'est ainsi que nous sortmes, et peu peu, ma foi, en causantavec les grands drles, les garons de cet ge, vous le savez, n'ontpas de bon sens, ne disent que des btises et vous font rire par force et peu peu, peu peu, nous n'emes plus peur; et depuis, jen'ai plus entendu parler de ces apparitions de nuit.

    X

    Il est vrai que depuis nous avons eu assez d'ouvrage pour nouster l'ennui. Telle que vous me voyez, j'ai eu onze enfants que j'ai

  • LA TRADITION 29

    tous mens bien; et j'en ai nourri quatorze sans compter lesmiens.

    Ah ! voyez-vous, quand on n'est pas riche et qu'on a tant de mar-maille qu'il faut emmailloter, bercer, allaiter, dsemmerder, c'estune belle besogne, et quel vacarme !

    Allons, brave Renaude, le bon Dieu nous conserve ! Bah ! maintenant nous sommes mrs; il viendra nous cueillir

    quand il voudra ! Et, disant cela, la bonne vieille chassa de nouveau les mouches

    avec son mouchoir, et, baissant la tte, elle se mit encore som-meiller tranquille en buvant son soleil.

    FRDRIC MISTRAL.Traduit par RAOUL GINESTE.

    A TRAVERS LES LIVRES ET LES REVUES

    I

    UNE CHANSON VAUT BIEN UN BIBELOT.

    M. Paul Ginisty crit, dans sa chronique du 21 janvier, au GilBlas :

    Ce n'est pas sortir du domaine de la curiosit que do parler du caractristi-que rveil d'attention qui s'est manifest, depuis quelque temps, en faveur denos vieilles traditions franaises. Usages typiques, lgendes, dictons, supersti-tions, proverbes, on recherche avec soin tout ce qui, dans nos provinces, agard une saveur de sincre originalit. Je sais tel folk-loriste, comme MM. PaulSbillot, Henry Carnoy, Gabriel Vicaire, Achille Millieu, Alphonse Certoux, EmileBlmont, qui note sur son carnet la dcouverte d'une expression do terroir,d'un couplet, voire d'un juron, avec autant do joie qu'une autre place dans unevitrine un bibelot longtemps dsir.

    Ces amateurs-l sont vraiment dsintresss; ils n'ont pas cette petite glo-riole de l'ostentation dont no peuvent se dfendre les curieux, ordinairement.Leurs trouvailles ne charment qu'un petit cercle de lettrs, friands d'inattendu,comme eux; elles no leur valent point les compliments du premier venu. Leurplaisir est tout pour eux.

    En ces derniers mois, ce sont surtout les chansons populaires, avec leurs nafVetez et grces , comme disait Montaigne, qui sont l'objet d'investiga-tions opinitres. Aux environs do 1853, un mmoire d'Ampre sur la posiepopulaire do la France avait bien amen, de la part des Socits do province,do fcondes enqutes, mais le mouvement s'tait un peu arrt. Il a repris au-jourd'hui, avec une ardeur nouvelle, pour la musique aussi bien que pour lesparoles. C'est qui dcouvrira un air ancien, clos strophes ingnues en patoisou on langue familire. Entre les musiciens, M. Ch. do Sivry est un des amouroux les plus fervents do ces mlodies primitives, et on lui doit de bien intressantes transcriptions.

    Oh ! les adorables vieilles chansons, si exquisement simples, qu'on a re-

  • 30 LA TRADITION

    trouves l, en les notant d'aprs les inconscients refrains de quelcruc paysanneen cheveux blancs ou de quoique petit berger! Quelle grce elles ont conserve, travers leurs archasmes, qui ont des douceurs caressantes !

    II

    SAINT ANTOINE.

    Pourquoi les charcutiers ont-ils choisi saint Antoine pour leurpatron ? se demande le chroniqueur de l'Estafette,

    On raconte qu'un jour une laie amena saint Antoine ses petits cochonsqui taient tous aveugles. Le saint leur rendit la vue. Ds ce moment, la laieno voulut plus le quitter; et voil pourquoi dans toutes les imagos reprsen-tant saint Antoine, on voit figurer un cochon.

    La corporation des charcutiers, institue par Louis XI, ftait solennelle-ment son patron. Les saucissours c'est ainsi qu'on les nommait alors serunissaient pour manger dans un festin plusieurs cochons qu'on avait prala-blement pars de rubans et de fleurs.

    Ajoutons qu' Rome, la Saint-Antoine donne lieu une crmo-mie trs populaire. Pendant la semaine, on conduit, pour trebnits, une petite glise ddie ce saint, tous les animaux dRome et des environs.

    C. DE W.

    BIBLIOGRAPHIEEmile Blmont. Pomes de Chine, posies prcdes d'une Prface de

    M. Paul Arne. Un joli volume in-12. A Lemerre, diteur, passage Choisoul,(3 francs).

    Nous arrivons un peu tard, peut-tre, pour parler nos lecteurs du joli vo-lume que M. Emile Blmont a publi le mois dernier sous ce titre : Pomes deChine. Cependant nous ne voulons point laisser passer cette occasion qui nousest offerte de dire combien exquis sont les vers de M. Blmont, et com-bien dlicate est leur inspiration puise dans les sources vives do la tradi-tion orientale, de la littrature populaire d'une nation qui a su conserver, endpit dos sicles accumuls, la navet, la fracheur d'ides, le charme intimequi semblent le propre des peuples jeunes.

    Comme le lait fort bien remarquer M. Paul Arne, dans l'intressante prfacequ'il a crite en tte du livre, les Chinois des Pomes de Chine ne sont pas cesinvraisemblables magots de paravent, ni ces non moins invraisemblables man-darins emmarquiss que la diplomatie nous envoie, mais de vrais Chinois telsqu'ils se rvlent dans leur littrature. Plus sages que les Japonais, les Chi-nois entendent demeurer fidles leurs traditions, leurs costumes, et auxbeaux vers de leurs potes que le peuple chante encore. Savez-vous pourquoiles potes vont aux Chinois ? demande M. Paul Arne. C'est que, entre lesChinois et le pote, il existe un idal commun, C'est que, dans ce moment otous les peuples un peu japonais leur manire, dispersent au vent, commeune inutile cendre, les alluvions du pass, le pote se sent devenir, non pasractionnaire, mais traditionniste, et que le Chinois est surtout un homme detraditions. .

  • LA TRADITION 31

    Naturiste et tradilionniste, tel est le pote chinois, aussi bien le pote inconnuqui composa les chansons populaires qui se vendent sur les petits cahiers unsou, que Li-Ta-P et Thou-Fou, ces lettrs lgants.

    Du vin clair, une barque fine,Un peu de musique et d'amour,C'est en ce terrrestre sjourLa batitude divine.

    c'est tout ce que chante le pote chinois !M. Emile. Blmont, pour ses Pomes de Chine, a fait un heureux choix dans

    les anthologies chinoises et dans les dernires et nombreuses publications re-latives l'Extrme-Orient. Ainsi il a consult le Livre des Vers, les Posies del'Epoque des Thang, la Chine familire et galante de Jules Arne, les ouvragesdu gnral Tcheng-Ki-Tong. Mais il a fait surtout oeuvre de pote et de potesachant merveille manier les rimes d'or en composant de toutes ces exqui-ses posies chinoises, un livre unique qui donne chaque vers l'intense sen-sation de la vie chinoise, un de ces petits tableaux artistement peints sur la-que o l'on voit dfiler les tours de porcelaine, les jonques aux voiles de nat-tes, les bateaux de fleurs illumins, les petits jardins clos o fleurissent les p-chers et les abricotiers, les lacs dormants sur lesquels passe un vol de cigognes,les petits ponts de jade qui mnent au palais de l'Impratrice, toute une na-ture que peuplent de simples et braves gens qu'un rayon de lune fait sourire,qu'un mot d'amiti enchante.

    Les Pomes de Chine ne seront pas qu'un fin rgal de lettrs ; les tradition-nistes y trouveront d'intressants renseignements sur la posie populaire chi-noise. Il faudrait peu de livres comme celui de M. Emile Blmont pour remet-tre les Chinois la mode en faisant disparatre ce qui nous reste du Japo-nisme.

    Goblet d'Alviela (Comte). Introduction l'Histoire gnrale desReligions, rsum du cours public donn l'Universit de Bruxelles, en 1884-1885. 1 vol. in 8 de 178 pages, Bruxelles, librairie C. Muquardt ; Paris,Ernest Leroux, 28, rue Bonaparte. 1887.

    Est-il indispensable de connatre le Folk-Lore, usages,coutumes, traditions etsuperstitions des diffrents peuples, pour tudier avec profit l'Histoire des Re-ligions ? Telle est la question que s'est pose M. Goblet d'Alviela dans son In-troduction l'Histoire gnrale des Religions, question que l'minent savant r-sout par l'affirmative. Trop longtemps on n'a voulu voir dans les traditions po-pulaires que des mythes diguiss, ou pour mieux dire, des altrations demythes. On a commenc dans ces dernires annes faire bonne justice decelte thorie que contredisent toutes les recherches des traditionnistes. Pournous le doute n'est plus possible ; le folk-lore est antrieur aux religions ; lesanciennes coutumes, les usages, les superstitions que l'on retrouve presqueidentiques do partout l'tat de survivances, sont la base des mythologiesplus ou moins compliques qui se sont successivement partag le monde. Etnous sommes de l'avis de M. le comte G. d'A. lorsqu'il dit (p. 145) que l'ethno-graphie et le folk-lore peuvent (et doivent) concourir lucider les premiresformes dos croyances religieuses.

    L'auteur, ainsi qu'on pont le voir en maints" passages de son Introduction,abonde dans les ides que M. Andrew Lang a si ingnieusement et si savam-ment dvelopps dans sa Mythologie. Les thories de Lang sont encore discu-tes avec acharnement. Cependant, en partisan convaincu du savant anglais,nous applaudissons l'appui que leur prte le savant belge.

    Nous recommandons la lecture du volume de M. Goblet d'Aviela. Et nousn'exprimerons que ce regret, c'est que cet ouvrage ne soit qu'un rsum,qu'une sorte de sommaire. Les grandes lignes seules apparaissent ; nous aime-

  • 32 LA TRADITION

    rions les dtails que n'a pas manqu de donner le professeur dans son cours l'Universit de Bruxelles.

    Henri Gaidoz. La Chasse et Saint-Hubert. Tome Ier de la Biblio-theca Mythica. Un volume in-S ; Alphonse Picard, diteur, rue Bonaparte.(Prix : 6 francs).

    Nous ne pouvons que signaler dans le numro d'avril de la Rvue, l'impor-tant ouvage que vient do publier M. Henri Gaidoz, l'minent traditionniste qui,avec M. Eugne Rolland, dirige la Mlusine.

    Le mois prochain nous donnerons un compte-rendu dtaill de ce volume.

    H. C.

    PRIODIQUES ET JOURNAUXL'Estafette. 15 janvier, 28 janvier, 9 fvrier. Contes du temps pass.

    I. L'Arbre qui chante. II. La Princesse du chteau d'ivoire. III. L'Habilefileuse. IV. Le Pre Maugrant. Henry Carnoy.

    Mlusine. a mars 1887. L'Antropophagie. Henri Gaidoz. Usages dela fodalit. A. de la Borderie. La Haute-Bretagne au XVIe sicle. Nol duFail. Chansons populaires de la Basse-Bretagne. E. Ernault. Le PetitChaperon rouge. A. Millien. Proverbes et Dictons relatifs la mer. Obla-tions la mer et Prsages. La Vieille et la Jeune. Henri Gaidoz. Botiana. Dictons gastronomiques. Quelques Ides de sauvages. Voyages etVoyageurs. Sauv.Les Dcorations.

    Revue des traditions populaires. 25 janvier 1887. Notes Sur laMythologie des anciens Lettons. Deux lgendes lettonnes. Zinciem Wissen-dorff. Souhaits de' bonne anne en Hainaut. A. Haron. Cadiou le Tail-leur. Luzel.

    Superst. Iconographiques. Sbillot. La Chanson de Renaud.Ch. de Sirry. Ftes du dpartement de l'Ain. Ch. Guillon. Le Coucou, laCarpe et la Taupe. Achille Millien. Le Pater dos bons Buveurs. Henry Corot.

    Chants populaires du Bas-Quercy. Edmond Galabert. Le Folk-Lore enAngleterre. Loys Brueyre.

    Revue des traditions populaires. 25 fvrier 1887. Sobriquets etSuperstitions militaires. A. Haron. Le pauvre Laboureur. J. Tiersot. LeJour des Rois en Normandie. L. Bonnemre. Los Mines et les Mineurs.Sbillot. La Tte des Femmes. A. Millien. Le Jaloux. Gabriel Vicaire. Un pote populaire : Brle-Maison. A, Desrousseaux. Le Folk-Lore en An-gleterre. Loys Brueyre.

    Saturday Review. 8 janvier 1887. English and red Indian folklore(Analyses de : Swainson, Folk-lore of british Birds, et de : Pelitot, Traditionsindiennes du Canada Nord-Ouest).

    Le Grant : HENRY CARNOY.

    Laval. Imprimerie et Strotyple E. JAMIN.