LA TERREUR, PREMIÈRE RÉVOLUTION SOCIALE

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1/21 lvsl.fr LA TERREUR, PREMIÈRE RÉVOLUTION SOCIALE ? Publié le 12 octobre 2021 par Vincent Ortiz En 1794, Saint-Just déclare : « que l'Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français ; que cet exemple fructifie la terre ». En pleine Terreur, il fait adopter par l'Assemblée ce que la postérité nommera les décrets de Ventôse, qui redistribuent aux « patriotes indigents » les biens des prisonniers convaincus de complicité avec l'ennemi. Cette période de sang et d'euphorie, où se succèdent massacres et bouleversements sociaux majeurs, est à coup sûr la plus polémique de l'histoire de France. Elle n'a cessé de diviser au sein même de la gauche, pour laquelle elle constitue autant un moment fondateur qu'un spectre menaçant. Pour autant, la nature exacte des réformes économiques et sociales menées sous la Terreur est encore aujourd'hui un sujet de débat pour les historiens. Comment comprendre cette période en clair-obscur, où l'on « déclarait la guerre au malheur » avec le renfort de la guillotine ? Comment

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LA TERREUR, PREMIÈRE RÉVOLUTIONSOCIALE ?Publié le 12 octobre 2021 par Vincent Ortiz

En 1794, Saint-Just déclare : « que l'Europe apprenne que vous ne voulez plus unmalheureux ni un oppresseur sur le territoire français ; que cet exemple fructifie laterre ». En pleine Terreur, il fait adopter par l'Assemblée ce que la postériténommera les décrets de Ventôse, qui redistribuent aux « patriotes indigents » lesbiens des prisonniers convaincus de complicité avec l'ennemi. Cette période desang et d'euphorie, où se succèdent massacres et bouleversements sociauxmajeurs, est à coup sûr la plus polémique de l'histoire de France. Elle n'a cessé dediviser au sein même de la gauche, pour laquelle elle constitue autant un momentfondateur qu'un spectre menaçant. Pour autant, la nature exacte des réformeséconomiques et sociales menées sous la Terreur est encore aujourd'hui un sujet dedébat pour les historiens. Comment comprendre cette période en clair-obscur, oùl'on « déclarait la guerre au malheur » avec le renfort de la guillotine ? Comment

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appréhender ce « despotisme de la liberté contre la tyrannie », qui proclamait que« les malheureux sont les puissances de la terre » tout en renforçant lesprérogatives liberticides du Comité de salut public ?

NDLR : cet article s'inscrit dans la série La gauche peut-elle encore changer les choses ?dirigée par Pierre Girier-Timsit.

En juin 1793, les sans-culottes parisiens réclament la Terreur à l’encontre des ennemis de laRépublique ; ils exercent une pression sur la Convention, dominée par les Montagnards,allant jusqu'à contester sa légitimité [1].

Des antagonismes socio-économiques importants voient le jour. Aux revendicationségalitaires des sans-culottes s'oppose la tiédeur des Conventionnels, d'extraction bourgeoiseet influencés par le libéralisme économique en plein essor.

Les sans-culottes réclament conjointement la mise en place d'un appareil derépression contre l'ennemi intérieur et le vote de lois frumentaires destinées àlutter contre la disette.

La Terreur est-elle un moyen pour les sans-culottes d'imposer leur programme économiqueinterventionniste ? Les Montagnards les plus radicaux, comme Robespierre et Saint-Just, sesont-ils servis du tranchant de la guillotine pour appliquer un commencement de révolutionsociale, contre la majorité de la Convention ? C'est la thèse qu'a défendu bec et ongles AlbertMathiez [2] ; Henri Guillemin l'a reprise dans une conférence qui a connu un succèsposthume foudroyant sur Youtube [3]. D'autres nuancent ou contredisent cette dimensionégalitaire, voire socialisante, qu'ils confèrent à la Terreur.

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Portrait de Maximilien Robespierre, musée Carnavalet (auteur inconnu)

Au centre de ces interrogations et de ces contradictions, Robespierre [4]. Trait d'union entreles sans-culottes les plus révolutionnaires et les Montagnards les plus conservateurs, il estl'incarnation des contradictions du gouvernement révolutionnaire de 1793-1794 qui l'ontmené à sa perte - non sans avoir accompli une oeuvre politique dont le spectre a hanté lesdeux siècles suivants de l'histoire de France.

Salut public et révolution sociale

La Terreur ne saurait être analysée comme l'aboutissement d'un dessein préconçu par lesConventionnels ; encore moins comme une politique monolithique menée par une factiondéterminée. Elle est le produit conjoncturel d'une alliance entre un mouvement populaire -les sans-culottes - et un groupe parlementaire - les Montagnards [5]. Unis dans l'opposition,ils développent des relations conflictuelles une fois au pouvoir.

En 1793, la République française apparaît dans une situation critique. Alors que la situationmilitaire empire et que la crainte d'un complot aristocratique se lit sur toutes les lèvres, lespénuries s'aggravent et les troubles sociaux se multiplient. Les sans-culottes réclamentconjointement la mise en place d'un appareil de répression contre l'ennemi intérieur et levote de lois frumentaires destinées à lutter contre la disette. Si l'aristocratie nobiliaire est lapremière visée, c'est avec une intensité croissante celle des riches qui est prise pour cible. Siles revendications économiques les plus immédiates des sans-culottes dépassent rarement lestade de mesures conjoncturelles - le fameux maximum du prix des denrées -, des projets deréforme sociale plus ambitieux voient le jour.

Sur le plan politique, ils réclament la mise en place d'une démocratie plus directe, qui feraitdroit à leur mode d'organisation autonome ; de fait, les sans-culottes, regroupés en sectionset armés, constituent un contre-pouvoir local à la Convention.

C'est à partir du 31 mai 1793 que les Montagnards se retrouvent en position de force, etcommencent à légiférer dans le sens des sans-culottes [6]. La Terreur fut-elle le moyend'imposer un programme de salut public pour sauver la patrie en danger, articulé à une unesérie de réformes sociales en faveur des pauvres ? A-t-elle scellé une alliance entre lafraction la plus patriotique de la sans-culotterie et l'aile la plus révolutionnaire de laMontagne, contre la richesse mobilière - ennemie naturelle de la Révolution ? C'est la thèse

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que défend, non sans brio, Albert Mathiez. Une série d'éléments appellent néanmoins ànuancer cette grille de lecture.

Les premiers mois donnent de nombreuses satisfactions aux sans-culottes. De nombreusesmesures en leur faveur sont adoptées : blocage des prix du pain et des denrées de premièrenécessité (loi du maximum général), création d'une armée de sans-culottes pour le surveiller,impôt progressif pour financer l'effort de guerre, guillotine pour les accapareurs et lesagioteurs... Les droits féodaux sont définitivement abolis, achevant la destruction del'aristocratie terrienne que les soulèvements de 1789 n'avaient fait qu'ébranler ; unprocessus dont on aurait tôt fait de sous-estimer la radicalité, lorsqu'on compare la Franceaux autres pays européens... [7]. Mais les heurts ne tardent pas à survenir...

La politique de la Convention prend une nette dimension de classe, ciblant lesgroupes sociaux aisés à l'aide de son pouvoir coercitif. Le décret du 5 nivôse an II(25 décembre 1793) prend explicitement pour cible les banquiers ;

Sur le plan politique, la Constitution de juin 1793 reconnaît l'existence des assemblées quipermettent aux sans-culottes de se réunir et de se structurer - bien que leurs attributionsdemeurent des plus floues - et proclame le droit à l'insurrection.

La politique de la Convention prend une nette dimension de classe, ciblant les groupessociaux aisés à l'aide de son pouvoir coercitif. La justice révolutionnaire s'attaque aussi bienaux aristocrates émigrés qu'aux bourgeois spéculateurs. Le décret du 5 nivôse an II (25décembre 1793) prend explicitement pour cible les banquiers ; imposé par Robespierre, il faitpréventivement arrêter « et juger les étrangers, banquiers, et autres individus prévenus detrahison et de connivence avec les rois ligués contre la République française ».

Exagérés et Enragés : des mouvements pré-socialistes face à une Convention bourgeoise?

Opportunisme de la part des Montagnards face à une sans-culotterie impatiente, qui menacede se tourner vers des factions plus radicales ? C'est indéniable. Dominant la Convention, lesMontagnards se retrouvent alors aux prises avec plus révolutionnaire qu'eux : les Exagérés et

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les Enragés.

Les premiers se reconnaissent dans le journal radical de Jacques-René Hébert, le PèreDuchesne. Les seconds dans le prêtre rouge Jacques Roux. Tous deux reprochent auxMontagnards leur timidité en matière sociale. Le premier finit par appeler, de nouveau, lessans-culottes à se soulever contre l'Assemblée. Le second prononce des discours humiliantspour les Conventionnels montagnards, qu'il confronte à leur train de vie bourgeois.

Exagérés et Enragés seront rapidement écrasés par la Convention montagnarde. Jeté enprison, Jacques Roux se donnera la mort. Arrêté en compagnie des meneurs exagérés, Hébertsera quant à lui guillotiné. Faut-il y voir les premières réaction d'une Convention bourgeoisecontre un mouvement populaire au programme socialisant ? C'est généralement de cettemanière que l'historiographie libertaire, et une partie de l'historiographie marxiste,interprètent cet épisode [8].

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Jacques-René Hébert. par Edme Bovinet, BNF

Voir dans les Enragés et les Exagérés des mouvements pré-socialistes relève cependant de lagageure. Malgré toute leur radicalité verbale, les Enragés défendent surtout la lutte résoluecontre la vie chère, par le biais d'un contrôle draconien de la circulation des denrées ; une

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mesure que tous les Conventionnels, jusqu'à Marat, rejetaient. Nulle remise en causefondamentale de l'inégale répartition des biens et de la propriété chez les Enragés. Uncommunisme de la consommation [9], radical dans la conjoncture, plus insignifiant dansl'histoire longue du mouvement populaire ; nul communisme de la production. Les viséessociales des robespierristes, plus modérées dans le domaine des lois frumentaires et de lacirculation des denrées, étaient plus larges.

Les Exagérés représentaient quant à eux un étrange attelage : de nombreux sans-culottesmais aussi une grande poignée de millionnaires étrangers, ainsi que des leaders aupositionnement idéologique flou, rejoignant tantôt Danton, tantôt Marat. « Il est difficile dedire si de nombreux politiciens doivent être classés comme hébertistes ou dantonistes »,note avec justesse Jean Massin [10]. Incarnation vivante de cette confusion politique :Anacharsis Cloots, richissime aristocrate étranger, proche un temps de Hébert. C'est commeExagéré que Saint-Just l'a envoyé à la guillotine. Avant cela, Robespierre l'avait fait excluredu Club des Jacobins avec la dernière des violences, prétextant de sa richesse indécente.

Les Exagérés ont-ils été guillotinés parce qu'ils étaient perçus comme suppôts despuissances financières ? Ou au contraire, parce qu'on voyait en eux une menace pour l'ordresocial ? Ces deux interprétations ne sont pas contradictoires. Une grille de lecture marxistetrop rigide semble ici peu pertinente (tant les déterminations de classe des différentesfactions sont hétéroclites et fluctuantes).

Les décrets de Ventôse, rédigés par Saint-Just, sont pensés comme un transfertmassif de propriété des bénéficiaires de l'ancien système vers la grande masse destravailleurs pauvres.

Il faut en effet garder à l'esprit à quel point les révolutionnaires de 1793 étaient hantés parl'imminence d'un complot visant à renverser la République. Une succession vertigineused'intrigues éventées, de faux témoignages et de vraies conspirations - admirablementrestituée par Jean Massin [11] - impliquant des affairistes tantôt liés aux Exagérés, tantôt auxdantonistes, accroissait l'atmosphère de paranoïa dans laquelle vivaient les robespierristes.

Si les motivations de la répression des Exagérés ne sont donc pas exclusivementconservatrices, nul doute que celle-ci donne un brusque coup d'arrêt à l'élan populaire sousla Terreur. Elle prive les robespierristes de la base sociale nécessaire à l'application desréformes économiques les plus ambitieuses qu'ils souhaitaient.

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La Terreur : un terrorisme mâtiné desocialisme ?

Des mesures sociales audacieuses sont portées par la Convention, sous l'impulsion du Comitéde salut public, où siègent notamment Robespierre et deux de ses proches alliés - Saint-Justet Couthon. Les décrets de Floréal (mai 1794) mettent en place un embryon de système deretraite et de protection sociale.

Plus significatifs, les décrets de Ventôse (février et mars 1794) rédigés par Saint-Just. Ils fontentrer dans la loi le séquestre des biens des suspects convaincus d'intelligence avecl'ennemi, et systématisent leur redistribution aux « patriotes indigents ». Dans l'esprit desrobespierristes, ils sont pensés comme un transfert massif de propriété des bénéficiaires del'ancien système vers la grande masse des travailleurs pauvres.

En apparence révolutionnaires, ces textes législatifs se distinguent par leur flou. Leurmodalité d'application est laissée à la discrétion des autorités locales - bourgeoises enprovince, plébéiennes à Paris... jusqu'à la purge des Exagérés. Celle-ci a pour conséquencede substituer aux cadres radicaux de la Commune de Paris des dirigeants plus modérés. Unemutation cruciale pour comprendre le drame de Thermidor...

Comment interpréter cet ensemble de politiques publiques où se mêlent interventionnisme,accroissement de la progressivité des impôts et lois sociales ambitieuses ? Elles mettent àmal l'interprétation simpliste de la Révolution française comme « révolution bourgeoise ». Lacomplainte rétrospective du Conventionnel Boissy d'Anglas à propos de la Terreur (« le richeétait suspect, le peuple constamment délibérant ») n'est pas sans fondements.

Faut-il pour autant voir dans la Terreur une expérience socialisante ? Ce serait passer soussilence le fait que la richesse mobilière est sortie presque indemne de cette période, et queles projets les plus ambitieux de réforme de la propriété n'ont jamais dépassé le stade dudiscours.

« Terrorisme mâtiné de socialisme », comme l'a défendu Jean Jaurès, voyant dans la Terreurun « expédiant de justice sociale » ? [12]. Ce serait mésestimer l'importance qu'a revêtue laquestion sociale sous la Révolution...

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Il faut prendre en compte un élément capital, parfois mis de côté par les historiens qui secantonnent à la lecture des textes de lois : en l'absence d'une administration moderne etd'un système de registre unifié, l'application des lois économiques et sociales était souventfonction des rapports de force régionaux. Patriotes indigents, oppresseurs, conspirateurs,malheureux, banquiers à la solde de l'étranger : autant de catégories sociologiques à tout lemoins ambiguës, qui laissaient une large place à l'interprétation des administrateurs locaux...lesquels n'étaient souvent pas en possession de moyens logistiques permettant lerecensement des pauvres ou des biens disponibles. Ainsi, selon qu'une commune ait étédominée par des sections de sans-culottes ou une assemblée de notables, l'application deslois sociales de la Convention variait du tout au tout [13].

C'est ainsi que la Terreur peut être comprise comme l'ère du primat du politique,porté à incandescence. Le jacobinisme issu de la Révolution rompt avec lesexplications théologiques de la genèse du pouvoir et des institutions... sans remplirce vide par les connaissances économiques et sociologiques qui surviendront auXIXème siècle.

À Paris, c'est un basculement dans les rapports de force au sein du pouvoir exécutif de laville qui a scellé le sort de la Convention montagnarde - en partie bien malgré elle.

La revanche de la société réelle contrel'illusion de la politique ?

Les derniers mois de la Terreur ont intrigué les historiens. Alors que les tensions socio-économiques s'accroissent, on y voit les Montagnards recourir avec toujours plusd'empressement au champ lexical de la vertu. Le discours de Robespierre sur l'Être suprêmea lieu alors que des émeutiers de la faim secouent Paris, dont les leaders sont arrêtés surordre du Comité de salut public, puis réprimés avec une violence croissante.

NDLR : Lire sur LVSL l'article de Tristan Labiausse : « La République jusqu'au bout : retour surla culte de l'Être suprême »

Faut-il y voir la marque intellectuelle d'une époque où l'on pensait les questions économiquessous un prisme moral ? Faut-il comprendre que les Montagnards aient voulu sublimer ces

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antagonismes dans un élan fraternel qui unirait riches et pauvres ? C'est le cas pour unnombre non négligeable d'entre eux. Mais pour les plus radicaux - Robespierre et Saint-Just -sans que cette explication soit totalement invalide, il faut davantage y voir une forme deprudence tactique.

Il ne faudrait pas, en effet, passer sous silence certaines de leurs intuitions les plus radicalesquant aux antagonismes économiques qui clivent la société. « Quand l'intérêt des richessera-t-il confondu avec ceux du peuple ? Jamais ! », écrit Robespierre dans l'une de ses notes[14]. Saint-Just développe des considérations similaires, dans ses écrits personnels au coursde l'année 1794 : « là où il y a de très gros propriétaires, on ne voit que des pauvres (...)l'opulence est une infamie ; elle consiste à nourrir moins d’enfants qu’on n’a de mille livresde revenu » (publiés de manière posthume sous le titre de Fragments d'institutionsrépublicaines). Ce fils de notables se radicalise au contact de la Révolution, et finit par écrirequ'il « ne faut ni riches ni pauvres ». Signe de leur prudence, Robespierre et Saint-Just n'ontjamais assumé des positionnements publics aussi radicaux, conscients de la puissance de labourgeoisie émergente au sein de la Convention. Mais ces écrits privés témoignent assez del'ambition de leurs projets sociaux. Une dimension de leur action qui n'avait pas échappé àKarl Marx, lequel a rendu hommage à Robespierre et Saint-Just comme « d'authentiquesreprésentants des forces révolutionnaires : la masse innombrable ».

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Louis Antoine de Saint-Just, par Pierre-Paul Prud’hon, musée du château de Blérancourt.

Pour autant, il est indéniable que Robespierre comme Saint-Just restent prisonniers du cadremental de leur époque. Leurs intuitions radicales en matière économique et socialedemeurent imprécises. Les rapports de force entre salariés et employeurs leur sont inconnus- de fait, un salarié ou un employeur peut être, de manière indifférenciée, un sans-culotte.L'exploitation économique est perçue et dénoncée lorsqu'elle concerne la soumission despauvres aux propriétaires terriens ou aux créancier, mais pas aux patrons [15]. Ainsi, lesmêmes Montagnards qui ont décrété les banquiers comme ennemis du peuple ont par lasuite réprimé, avec une grande brutalité, ceux qui exigeaient des hausses de salaires ou desréformes économiques exagérément interventionnistes - avec une intensité croissante auxderniers temps de la Terreur [16].

S'il faut donner tort à l'interprétation de 1793 comme une révolution bourgeoise, il faut enrevanche souligner leur ignorance de certains rapports de force socio-éonomiquesélémentaires ; et rappeler à quel point dans l'esprit des Montagnards, l'ensemble desquestion économiques et sociales étaient subsidiaires par rapport à leurs objectifsproprement politiques.

C'est ainsi que la Terreur peut être comprise comme l'ère du primat du politique, porté àincandescence. Si le jacobinisme issu de la Révolution constitue une matrice politique siparticulière, c'est qu'il rompt avec les explications théologiques de la genèse du pouvoir desinstitutions... sans remplir ce vide par les connaissances économiques et sociologiques quisurviendront au XIXème siècle. Entre ces deux visions du monde - théologique et rationaliste- émerge le peuple comme acteur de l'histoire. Destructeur des anciennes puissances qui luivoilaient la sienne et démiurge des institutions, il n'est contraint par aucun déterminisme - nithéologique, ni économique.

La figure de Prométhée incarne mieux que toute autre cette conception du peuple, quidécouvre l'infinité de sa puissance après un long sommeil - et qui, privé de sa souverainetédurant des siècles, veut à présent l'étendre sur l'ensemble des phénomènes du réel. Oncomprend l'intérêt que portent Chantal Mouffe et Ernesto Laclau à la Révolution française,qui affirmait l'autonomie du domaine politique, libéré des superstitions religieuses, et pasencore soumis aux lois d'airain de l'économie. Époque naïve où l'on pouvait concevoir lepeuple comme un sujet autonome, indéterminé, créateur de sa propre histoire - avant queKarl Marx ne le déconstruise méthodiquement, comme une fiction verbale permettant delégitimer le pouvoir de la classe dominante.

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Il faut rendre hommage à François Furet qui, dans un beau livre publié peu après lebicentenaire, avait perçu avec beaucoup de finesse cette contradiction entre une froideappréhension économique et sociologique du peuple, et le mythe révolutionnaire du peuplecomme sujet autonome cher aux Montagnards [17]. Il voit dans la période révolutionnaireune tension permanente entre la proclamation de la souveraineté absolue du peuple et laréalité d'un peuple majoritairement illettré, dont une infime proportion seulement se rendaux Assemblées populaires.

Ultime ruse de la raison révolutionnaire : les sans-culottes accompagneront lecortège funèbre des robespierristes de crachats et d'insultes ; ignorant qu'ilsconstituaient sans doute le dernier rempart, dans la Convention et le Comité aulibéralisme économique qui allait se déchaîner dans les années à venir...

De ce gouffre entre le peuple rêvé et le peuple réel naît un nouveau régime de pouvoir, et unnouveau système de légitimation. La souveraineté du peuple étant à la fois proclamée etimpossible, elle doit être incarnée. Les élus du peuple se livrent donc une compétitionvertueuse, pour représenter mieux que les autres la volonté du peuple. C'est la raison pourlaquelle les séances parlementaires prennent les contours de scènes de théâtre jouées dansune « arène de gladiateurs » : par la parole, celui qui parvient à « figurer symboliquement lavolonté du peuple » règne [18]. Un jeu dans lequel excelle Robespierre, « cet alchimiste del'opinion révolutionnaire qui transforme les impasses logiques de la démocratie directe ensecrets de la domination ».

Reprenant les expressions de Karl Marx, Furet voit dans la Révolution française le triomphede l'illusion de la politique : la mise en suspens des rapports sociaux réellement existants etdes intérêts matériels, au profit du mythe du peuple souverain en action, par la voie de sesparlementaires. À l'inverse, le 9 Thermidor est pour lui la revanche de la société réelle : lemoment où les antagonismes de classe et les rapports de production reprennent le dessus, etoù la fiction du peuple unifié, ce délire cher aux révolutionnaires, vole en éclats.

Ruses de la raison révolutionnaire

Cette analyse est à coup sûr éclairante. Mais elle pèche par au moins trois aspects. Nousavons d'abord vu qu'elle est partiellement infondée pour les révolutionnaires les plusradicaux, Robespierre et Saint-Just ayant une conscience embryonnaire des rapports de

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classe. Elle empêche également Furet d'analyser ce nouveau régime de pouvoir - où l'on selégitime par la parole vertueuse, celle qui se fait l'écho de la volonté populaire - en termes declasses sociales. En effet, toute la justesse de son analyse ne fera pas oublier que derrière lethéâtre parlementaire, on trouve des sans-culottes qui menacent d'envahir l'Assemblée, ainsiqu'une bourgeoisie d'affaires qui se livre à un travail d'influence pour défendre ses intérêts.Autrement dit, des rapports économiques et sociaux qui conditionnent toujours l'actionpolitique. Enfin, et par conséquent, une telle grille de lecture interdit de procéder à uneanalyse des acteurs, des bénéficiaires et des victimes de la Terreur en termes de classessociales ; que la rhétorique des révolutionnaires ait cherché à maquiller les antagonismes declasse n'implique en effet pas que ceux-ci aient disparu. Il faut accepter le fait que lesintentions et les actions des révolutionnaires n'ont qu'imparfaitement coïncidé ; et que leursdécisions politiques ont eu un impact sur les structures socio-économiques bien au-delà de cequ'ils souhaitaient.

Un article éclairant d'Albert Soboul permet de suivre la fluctuation des salaires journaliersparisiens sous la Terreur, et ainsi de prendre le pouls des rapports de classe entre travailleurssalariés et employeurs [19]. On constate qu'en 1793, les salaires subissent une augmentationconsidérable. Il s'agit de la phase de la Révolution au cours de laquelle les sections de sans-culottes prennent un pouvoir croissant au sein de la capitale, et où des révolutionnairesradicaux dirigent la Commune de Paris - la plupart rejoindront la faction des Exagérés.Exerçant un pouvoir parallèle à celui de la Convention, ils tolèrent une hausse des salairesbien plus élevée que ce que permet la loi - qui limite les salaire au même titre que les prix[20].

Dans un premier temps, Robespierre et les Montagnards soutiennent essentiellement pourdes raisons politiques le pouvoir parallèle des sections de sans-culottes et leur organisationsur le mode de la démocratie directe, permettant à ces hausses de salaires de subsister. Enappuyant la domination politique des sans-culottes, ils pérennisent cet état de fait favorableaux salariés face à leur employeur.

À partir de l'année 1794, la Convention montagnarde entreprend la purge des Exagérés.L'organisation démocratique des sections de sans-culottes est mise à mal, leur pouvoirencadré, et les principaux cadres de la Commune de Paris sont alors remplacés par despersonnalités d'extraction plus bourgeoise, proches du train de vie des Montagnards. S'ilssont encore considérés comme des sans-culottes, ils appartiennent davantage à la classe desmaîtres et des artisans que des salariés.

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On assiste alors à une stagnation, puis une baisse drastique des salaires. Essentiellementpour des raisons politiques, encore, les robespierristes ont initié une dégradation du niveaude vie des travailleurs parisiens. La fin de la domination politique des sans-culottes les pluspauvres et les plus radicaux sur la Commune de Paris a sans doute eu des conséquences plusimportantes que ce qu'ils concevaient.

C'est ainsi que la dimension sociale de la politique révolutionnaire a progressivement diminuéau cours de l'année 1794. La Terreur, à l'origine réclamée à cor et à cri contre les classesaisées par les sans-culottes, s'est progressivement retournée contre eux. Sans que lesMontagnards aient eu une claire conscience de léser les classes inférieures en exerçant unepurge contre les Exagérés, ils ont réduit à néant l'assise sur laquelle leur politique socialereposait.

Robespierre et Saint-Just comprenaient-ils qu'ils sapaient les bases populaires de leursprojets sociaux ? L'ignorance du détail des réunions du Comité de salut public laisse unelarge place à la spéculation. Mais c'est durant leur mandature que le Comité a pris de sévèresmesures pour réprimer les agitations ouvrières et les émeutes de la faim. Ils ne se sont pasnon plus opposés aux diverses mesures libérale mises en place par la Convention vers la finde la Terreur - parfois inspirées du Comité - : dérogations légales au maximum,assouplissement du contrôle des accaparements... Ils ont, enfin, toléré la politique drastiquede baisse des salaires menée par leurs alliés au sein de la Commune de Paris, à quelquesjours de leur chute [21].

Albert Mathiez, pourtant, croit voir une opposition discrète mais croissante de Robespierre etSaint-Just à cette bifurcation. À l'aube du 9 Thermidor, une passe d'armes oppose Saint-Justau négociant Robert Lindet ; le premier accuse le second de saboter les décrets de Ventôse,en empêchant la mise en place des commissions destinées à redistribuer les biens dessuspects aux pauvres [22]. Le 8 Thermidor, Robespierre dénonce publiquement la pressionexercée par l'aristocratie des riches sur les Comités et la Convention : « La contre-révolutionest dans toutes les parties de l'économie politique (...) Elle a pour but de favoriser les richescréanciers, de ruiner et de désespérer les pauvres ». Plusieurs indices indiquent que dansleurs derniers jours, Robespierre et Saint-Just souhaitaient en revenir à l'esprit originel de larévolution - celle qui proclamait que les malheureux sont les puissances de la terre, celle desprojets sociaux aux larges vues que l'on trouve dans les Fragments d'institutionsrépublicaines de Saint-Just [23]. Mais le mal était fait.

C'est ainsi que l'on trouve, coalisés contre Robespierre le 9 Thermidor, des représentants de

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la bourgeoisie d'affaires aussi bien que des sans-culottes. Les premiers, lésés par le dirigismede la Terreur, comme les seconds, ulcérés par les baisses de salaires, tenaient lesrobespierristes pour responsables de l'ensemble des mesures économiques prises depuis unan.

Le 9 Thermidor, par Max Adamo. Alte Nationalgalerie,

Ultime ruse de la raison révolutionnaire : les sans-culottes accompagneront le cortègefunèbre de Robespierre de crachats et d'insultes ; ignorant qu'il constituait sans doute ledernier rempart, dans la Convention et dans le Comité, au libéralisme économique qui allaitse déchaîner dans les années à venir... Cette scène retiendra l'attention de Victor Hugo : «cette foule, est-ce qu’elle n’a pas ri sur le passage de Jésus, devant la ciguë de Socrate, lebûcher de Savonarole et de Jeanne d’Arc ? Est-ce qu’elle n’a pas craché à la face fracasséede Robespierre ? ».

L'imprécision du projet social des robespierristes, leur mauvaise appréhension desantagonismes économiques et sociaux, leur avaient coûté la vie. Les mouvements socialistes

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et marxistes des siècles suivants ne l'oublieront pas. Pour autant, ils demeureront fascinéspar le peuple souverain comme sujet politique. Illusion, fiction, abstraction ? Peu importe : lepeuple des robespierristes, la nation révolutionnaire, demeuraient des mythe mobilisateurspuissants et incontournables - au demeurant pas incompatibles avec une lecture en termesde classes sociales.

De même, les libéraux ne parviendront pas à conjurer le spectre de 1793. Deux sièclesd'historiographie critique - de Benjamin Constant à François Furet - échoueront à tuer l'attraitsuscité par la Révolution française. Le souvenir de la République montagnarde devait serappeler à tous ceux qui voulaient réduire la société à un agrégat d'atomes, d'agentséconomiques indépendants les uns des autres ; et la société de consommation devaitéchouer à tuer le rêve de la nation jacobine.

La revanche de l'illusion de la politique sur la société réelle ?

Notes :

[1] Par commodité, nous parlerons des Montagnards comme du groupe parlementaire opposéà la Gironde, qui a initié les lois terroristes de 1793 et 1794 - en gardant à l'esprit tout ce queces dénominations comportent de simplification, et qu'elles sont largement le produit d'unereconstruction a posteriori des événements.

[2] Albert Mathiez, Girondins et Montagnards, Paris, Verdier, 1993. Voir notamment leschapitres « La révolution sociale des robespierristes » et « Les séances des 4 et 5 Thermidoran II aux deux comités de salut public et de sûreté générale ».

[3] La conférence de Henri Guillemin, intitulée sur Youtube « Henri Guillemin expliqueRobespierre et la Révolution française » a été visionnée un demi-millions de fois. Un ouvrageen a été tiré (Henri Guillemin, 1789 : silence aux pauvres, Paris, Utovie, 1989).

[4] Si un nombre incalculable d'historiens l'ont dépeint comme le principal responsable de laTerreur - que ce soit pour l'en blâmer ou tresser ses louanges - les travaux récents etsalutaires de Jean-Clément Martin ont déconstruit cette lecture de l'histoire. Ils ont remis enquestion, avec des éléments importants à l'appui, sa centralité dans les événements de 1793et 1794. C'est donc ici davantage comme un catalyseur de la Terreur que comme l'un de sesinitiateurs que nous le considérerons.

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[5] En gardant à l'esprit les contradictions politiques qui fracturaient les Montagnards, etl'hétérogénéité sociale des sans-culottes - artisans, maîtres ou salariés selon les sections. Ceséléments sont par exemple absents de l'oeuvre-phare de François Furet, - loin d'êtreinintéressante par ailleurs, cf supra. Nous citerons le court mais dense ouvrage de SophieWahnich (La liberté ou la mort : essai sur la Terreur, Paris, La Fabrique, 2003), qui offre denombreux éléments établissant le malaise des Conventionnels face à la demande de Terreurpopulaire, leurs tentatives pour la canaliser par l'entremise des lois.

[6] Le 31 mai 1793, les sans-culottes envahissent l'Assemblée et démettent une trentaine dedéputés girondins de leurs fonctions, accusés d'intelligence avec l'ennemi. Dès lors, lesdéputés des bancs de la Montagne acquièrent un indéniable ascendant sur la Convention.

[7] Éric Hobsbawm (The age of Revolution (1789-1848), Abacus, 1988) note que l'aristocratieterrienne s'est largement maintenue au cours du XIXème siècle en Europe, et que la Francefait figure d'exception.

[8] On se reportera au passionnant La révolution française d'Éric Hazan (Paris, la Fabrique2013).

[9] Nous empruntons à l'historien Hugo Rousselle cette expression, auteur d'une thèse surl'histoire des droits-créances.

[10] Jean Massin, Robespierre, Paris, Alinéa, 1993, p. 198.

[11] Ibid.

[12] Jean Jaurès, ibid.

[13] Sur l'application du programme social de la Terreur, voir Jean-Pierre Gross, Égalitarismejacobin et droits de l'homme, 1793-1794 : La Grande Famille et la Terreur, Paris, Arcantères,2000. Il n'y voit nulle révolution socialiste, mais constate une application modérée des textesde la Convention dans la plupart des cas.

[14] Jean Massin, Robespierre, Paris, Alinéa, 1993, p. 192.

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[15] On rappellera que Robespierre était hébergé par un maître menuisier, qu'il neconsidérait pas moins comme un sans-culotte que ses employés. Lors du vote de la loi LeChapelier, qui interdit toute forme de coalition salariale, c'est dans une solitude absolue queMarat relaie la protestation d'ouvriers du bâtiment. Tout aussi significatif est le fait que lestravailleurs pauvres aient fait porter leurs revendications sur le blocage des prix plutôt quesur la hausse des salaires.

[16] Outre l'envoi à la guillotine des Enragés et des Exagérés, on citera la fermeture du clubdes Cordeliers - plus radical et plébéien que celui des Jacobins - et l'arrestation des émeutiersde la faim durant les derniers mois de la Terreur.

[17] François Furet, Penser la révolution française, Paris, Gallimard, 1989.

[18] Timothy Tackett note - cela n'a rien d'anodin - que les aristocrates au sein del'Assemblée se distinguaient par leur mauvaise maîtrise de la parole, peu habitués à en userpour justifier leur statut. Au contraire, de nombreux députés du Tiers faisaient professiond'avocats. L'expression « d'arène de gladiateurs » lui est empruntée (Par la volonté dupeuple, Aubier, Paris, 1992). Il s'intéresse à la charge émotionnelle générée par les séancesde l'assemblée : enthousiasme et attendrissement des députés acclamés par le peuple,humiliation générée par les défaites parlementaires accompagnées de huées, peur ressentielorsqu'on « votait sous les poignards ». Il n'est pas inutile de croiser la lecture du livre deFuret avec celui de Tackett : le premier s'intéresse au nouveau système de domination par laparole né sous la Révolution, le second au régime émotionnel qui l'accompagne. Lire aussisur LVSL l'article d'Antoine Cargoet « Comment les émotions ont fait la Révolution ».

[19] Albert Soboul, « Le maximum des salaires parisiens et le 9 Thermidor », Annaleshistoriques de la Révolution française, 26e Année, No. 134, 1954.

[20] L'article 8 de la loi du 29 septembre 1793 limite les salaires à leur équivalent de 1790,plus la moitié ; les prix, de leur côté, sont limités à leur équivalent de 1790, plus le tiersseulement. Cette loi, censée être à la faveur des salariés (les prix étant davantage limitésque les salaires), a cependant des implications variables selon que l'on considère une régionoù la pression populaire a conduit à une hausse de salaires importantes depuis 1790, ou uneautre dans laquelle ils demeurent faibles. En conséquence, dans les régions où la pressionpopulaire est la plus élevée, les autorités locales rechignent à appliquer cet article 8.

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[21] La Commune de Paris, dirigée par les robespierristes, publie un arrêté visant àl'application de l'article 8 de la loi du 29 septembre 1793, qui porte sur le blocage dessalaires à leur niveau de 1790, plus un tiers - ce qui équivaut, dans la capitale, à unediminution considérable. Les autorités municipales comprendront trop tard leur erreur, ettenteront de se défausser de leurs responsabilités.

[22] Commissions qui, effectivement, n'avaient pas été créés. Albert Mathiez, Girondins etMontagnards, Paris, Verdier, 1993. Le chapitre « Les séances des 4 et 5 Thermidor an II auxdeux comités de salut public et de sûreté générale » analyse de manière chirurgicale Lesséances qui ont conduit à la rupture entre Robespierre, Saint-Just et leurs collègues.

[23] Pour Jean Massin (op. cit.), durant les deux dernières séances du Comité de salut public,Robespierre et Saint-Just ont tenté d'élaborer un décret basé sur les Fragments d'institutionsrépublicaines. On notera que, de même que Saint-Just avait affronté le négocient Lindet,Robespierre avait porté le fer contre le directeur du Comité des finances Cambon, l'accusantde mener une politique trop favorable aux grands financiers ; que Barère avait défendu undécret qui contredisait directement ceux de Saint-Just en Ventôse, proposant la vente auxenchères des biens des suspects. Que Lindet, Cambon et Barère figurent parmi les auteursdu coup d'État du 9 Thermidor indique que les motivations d'ordre socio-économiques n'yétaient pas étrangères, et que la bourgeoisie d'affaires y voyait une occasion rêvée de mettrefin au dirigisme de la Terreur.