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TERMINOLOGIE ET SYNTAXE DE LA CLASSIFIANCE Colette CORTÈS C.I.E.L., Université Paris 7 Les études syntaxiques présentent de nombreux modèles très élaborés pour le traitement du groupe verbal et du groupe nominal, mais le groupe adjectival y fait souvent figure de parent pauvre. Quant à l'adjectif lui-même, il défie en général les tentatives de classement, tant sont variées ses caractéristiques morphologiques, syntaxiques et sémantiques. Là où une approche générale semble déboucher sur une impasse, il est sans doute nécessaire de développer plusieurs approches, peut-être partielles, mais en tout cas susceptibles de renouveler l'intérêt pour l'adjectif en dévoilant au moins une fonction originale et féconde. On montrera dans cet article que la terminologie peut jouer ce rôle de révélateur de certaines caractéristiques propres à l'adjectif. En effet, les investigations sur le fonctionnement de l'adjectif en langue générale et dans les langues spécialisées, qui se multiplient depuis environ deux ans, débouchent, me semble-t-il, sur un problème central. Un relevé terminologique (que ce soit dans les ouvrages les plus simples de la vie courante (catalogues de vente par correspondance par exemple) ou dans les ouvrages de maintenance d'appareils complexes) montre que certains adjectifs sont plus propres que d'autres à entrer dans la composition d'un terme. Étudier à la fois les régularités morphologiques, syntaxiques et sémantiques des adjectifs constitutifs de termes et les règles de constitution des termes de la forme : [N + Adjectif] sera le but de cet article. La propriété de l'adjectif qui est fondamentale pour la terminologie n'est ni sa forme (adjectif simple / adjectif dérivé), ni sa valence, ni sa signification dans ses différentes acceptions ; ce qui est déterminant, c'est sa capacité

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TERMINOLOGIE ET SYNTAXE DELA CLASSIFIANCE

Colette CORTÈSC.I.E.L., Université Paris 7

Les études syntaxiques présentent de nombreux modèles très élaborés pourle traitement du groupe verbal et du groupe nominal, mais le groupe adjectivaly fait souvent figure de parent pauvre. Quant à l'adjectif lui-même, il défie engénéral les tentatives de classement, tant sont variées ses caractéristiquesmorphologiques, syntaxiques et sémantiques. Là où une approche généralesemble déboucher sur une impasse, il est sans doute nécessaire de développerplusieurs approches, peut-être partielles, mais en tout cas susceptibles derenouveler l'intérêt pour l'adjectif en dévoilant au moins une fonction originaleet féconde. On montrera dans cet article que la terminologie peut jouer ce rôlede révélateur de certaines caractéristiques propres à l'adjectif.

En effet, les investigations sur le fonctionnement de l'adjectif en languegénérale et dans les langues spécialisées, qui se multiplient depuis environdeux ans, débouchent, me semble-t-il, sur un problème central. Un relevéterminologique (que ce soit dans les ouvrages les plus simples de la viecourante (catalogues de vente par correspondance par exemple) ou dans lesouvrages de maintenance d'appareils complexes) montre que certains adjectifssont plus propres que d'autres à entrer dans la composition d'un terme. Étudierà la fois les régularités morphologiques, syntaxiques et sémantiques desadjectifs constitutifs de termes et les règles de constitution des termes de laforme : [N + Adjectif] sera le but de cet article.

La propriété de l'adjectif qui est fondamentale pour la terminologie n'est nisa forme (adjectif simple / adjectif dérivé), ni sa valence, ni sa significationdans ses différentes acceptions ; ce qui est déterminant, c'est sa capacité

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classificatoire. Jean- Claude Milner (1978) a su repérer, à travers des emploistrès divers, cette propriété de l'adjectif qu'il désigne du nom de classifiance.La première partie de ce travail sera consacrée au rappel de la définition queMilner donne de l'opposition classifiance/ non classifiance et à l’illustration decette propriété par des exemples tirés du Catalogue de la Redoute Automne-hiver 2003-2004 et Printemps-été 2004. Nous verrons ensuite qu'il n'existeaucun marquage univoque de la classifiance et que tous les types d'adjectifspeuvent être classifiants ou non classifiants. Toutefois le relevé fait apparaîtredes probabilités plus ou moins grandes de voir apparaître tel type d'adjectifdans telle ou telle situation de communication. Nous essaierons d'observerquelques régularités à propos des termes les plus courants de la forme : [N +Adjectif] en français et nous rechercherons une hypothèse linguistiquepermettant de rendre au moins partiellement calculable et prédictible laconstitution de ces termes.

1. DÉFINITION ET ILLUSTRATION DE LACLASSIFIANCE DE L'ADJECTIF

Dans son ouvrage de 1978, Milner propose une analyse syntaxique etsémantique formalisable et unifiée de phénomènes normalement disjoints dansles grammaires, comme par exemple l'interrogative et l'exclamative. Dans cecadre général, les adjectifs constituent un révélateur de choix, car Milner(1978) montre que certains adjectifs sont compatibles avec l'interrogative etincompatibles avec l'exclamative, alors qu'à l'inverse, d'autres sontcompatibles avec l'exclamative, est non compatibles avec l'interrogative. Ilparle de "distribution complémentaire" entre les deux types de constructions.Les adjectifs compatibles avec l'interrogative et incompatibles avecl'exclamative sont dits classifiants et les adjectifs incompatibles avecl'interrogative et compatibles avec l'exclamative sont dits non classifiants .

Dans le tableau ci-dessous, on indique que les adjectifs classifiants bleu etrouge dans les exemples : des livres bleus et des livres rouges, ont uncomportement très différent des adjectifs comme "époustouflant, divin, génial,stupéfiant, abominable" en ce qui concerne la prédication, la négation etl'anaphore. Dans la première série d'exemples, des livres bleus et des livresrouges), le locuteur porte des jugements d'appartenance à des classe, alors que,dans la seconde série d'exemples (époustouflant, divin, génial, stupéfiant,abominable) le locuteur porte des jugements d'appréciation parfaitementsubjective.

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Tableau 1 Adject i f s c lass i f iants Adject i f s nonc l a s s i f i a n t s

Exemples Vous rangerez les livres, lesbleus à droite, les rouges àgauche. (Exemple Milner 1978, 299)

Époustouflant, divin, génial,stupéfiant, abominable.(Exemple Milner 1978, 299)

Prédication Celui-là est rouge : jugementd'appartenance à une classe.

C'est divin : pas de jugementd'appartenance à une classe.

Contexte négatif Ce livre n'est pas rouge, maisbleu : la négation aboutit à unchangement de classe.

Ce n'est pas génial : lanégation inverse le jugementd'appréciation.

Emploi restrictif,emploianaphorique

Jusqu'à présent je n'ai lu queles bleus.

* Parmi tous ces films, jen'aime que les géniaux.

Comme on le voit, l'emploi de l'adjectif classifiant permet de distinguerune sous classe (livres bleus) au sein d'un ensemble plus vaste (des livres),alors que l'emploi de l'adjectif non classifiant ne permet rien de tel et tous lestests proposés sur ces adjectifs non classifiants aboutissent seulement àmoduler une forme d'appréciation. "C'est un fait bien connu qu'entre lesadjectifs appréciatifs, il y a une sorte de continuité indivisible : d'abominable àaffreux, de divin à extraordinaire, il n'y a ni différence mesurable, nisynonymie positive". (Milner 78, 301)

Il convient d'insister sur le fait que l'opposition classifiant / non classifiantne permet pas de distinguer des listes d'adjectifs étanches, mais que lacomplémentarité porte bien sur des emplois classifiants et des emplois nonclassifiants de l'adjectif, comme Milner le laisse entendre lui-même avec sesadjectifs mixtes ; ainsi l'adjectif heureux est classifiant dans les gens heureuxn'ont pas d'histoire et non classifiant lorsque Germont et la Traviata seséparent à l’acte 2, sur un déchirant : "Soyez heureux... Adieu

". Nous devons donc être bien conscients du fait que nous ne pourrons biendécrire ces propriétés qu'à condition de définir la classifiance commel'interprétation sémantique dérivée d'une combinaison de marquagessyntaxiques, sémantiques et énonciatifs dans un emploi donné de l'adjectif.

Milner (1978) note que la gradation de l'adjectif est un facteur essentiel del'opposition classifiant / non classifiant ; il écrit, page 269, "les adjectifs quin'admettent pas le degré n'admettent pas non plus l'emploi A1 (= dansl'exclamative) : * Dieu est très, assez, plus éternel / * que Dieu est éternel ! ".Il confirme, page 277, l'importance de cette caractéristique sémantique propre àl'adjectif : "En français, c'est un fait qu'il ne peut jamais y avoir ambiguïtéentre une exclamative portant sur un adjectif, et une interrogative toutsimplement parce qu'il est impossible de mettre en question le degré del'adjectif." Nous verrons tout au long de ce travail que, pour l'adjectif, lapropriété d'être ou de ne pas être graduable est un marquage essentiel pour le

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repérage des emplois classifiants ou non classifiants des adjectifs.

Plus généralement, on pourra dire qu'un adjectif sera lu comme appréciatifou graduable s'il se trouve dans un contexte où son interprétation dépend de lasubjectivité du locuteur qui l'énonce puisqu'elle est la trace du point de vue duseul sujet de l'énonciation. En revanche, un adjectif sera lu comme classifiantsi son interprétation ne nécessite pas ce détour par le point de vue du locuteur.

On peut reprendre les termes de Catherine Kerbrat- Orecchioni :"lorsqu'un sujet d'énonciation se trouve confronté au problème de laverbalisation d'un objet référentiel, réel ou imaginaire, et que pour cefaire il doit sélectionner certaines unités dans le stock lexical etsyntaxique que lui propose le code, il a en gros le choix entre deux typesde formulations :- le discours "objectif" qui s'efforce de gommer toute trace de

l'existence d'un énonciateur individuel ;- le discours "subjectif" dans lequel l'énonciateur s'avoue explicitement

("je trouve ça moche") ou se pose implicitement ("c'est moche")comme la source évaluative de l'assertion." C. Kerbrat- Orecchioni(1980, 71)

Nous allons voir, dans un corpus constitué à partir du Catalogue de laRedoute Automne-hiver 2003-2004 et Printemps-été 2004, comment ces deuxtypes de discours, un discours "objectif" et un discours "subjectif", s'opposentet se répondent en permanence et quel rôle les adjectifs jouent dans cetteconfrontation.

2. TYPES DE DISCOURS ET OPPOSITIONCLASSIFIANCE/ NON CLASSIFIANCE DANSL'EMPLOI DES ADJECTIFS DU CATALOGUE DELA REDOUTE

Mon projet, en ouvrant le Catalogue de la Redoute Collection Automne-hiver 2003-2004 et Collection Printemps-été 2004, était de rechercherquelques exemples d’emplois d'adjectifs classifiants et de repérer en situation leparadigme dont ils font partie. Au-delà de ce relevé fructueux mais attendu,mon incursion dans le Catalogue de la Redoute m'a permis de plonger enpleine opposition classifiance / non classifiance, ce qui a été une découvertetout à fait inattendue.

Nous noterons tout d’abord quelques exemples typiques d’unitésterminologiques de la forme : [N+ Adjectif] à l’intérieur de leur paradigme,puis quelques exemples d’adjectifs non classifiants et nous montrerons que,selon qu’ils fonctionnent comme classifiants ou non classifiants, les adjectifsappartiennent à des structures textuelles dont l’intention communicative est

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fondamentalement différente.

Chaque objet présenté dans le catalogue est décrit dans un paragraphestructuré de façon régulière : la référence commerciale de l’objet est suivie dela description de ses principales caractéristiques (exemples (1) à (4)). Sur leplan linguistique, la référence commerciale de l’objet fait office dedénomination et la description de ses caractéristiques joue le rôle d’un prédicatqui, selon la relation entre dénomination et description, correspond à la copulea(voir)/= se compose de ou à une définition fonctionnelle (sert à/ est utilisépour). Si nous ramenons ainsi chaque paragraphe de description d’un objet à laforme d’un (ou plusieurs) énoncés descriptifs, nous pouvons considérer que lecontexte du catalogue lui-même associe à chaque élément de cet énoncé unepropriété pragmatique particulière :

— la dénomination de l’objet est associée, en tant que sujet de la phrasedescriptive, à un présupposé d'existence.

— la principale relation entre le sujet (qui désigne l’objet décrit) et leséléments de description est une relation partie / tout, mais on trouveaussi couramment la relation fonctionnelle (sert à/ est utilisé pour).

— sur le plan illocutoire, l’énoncé sous-jacent ainsi reconstitué estdescriptif, c’est-à-dire constatif, mais il est aussi porteur d’unerelation stipulatoire dans la mesure où il engage l’énonciateur,puisqu’il sert de base au contrat de vente entre la société La Redouteet les lecteurs du catalogue, qui sont aussi les futurs acheteurspotentiels.

2.1. Étude d'exemples

Exemples de paragraphes descriptifs en a pour partie (Le TOUT est indiquéen majuscules et les parties en italiques)

(1) LES SCIES CIRCULAIRES SKIL Guide parallèle, semelle extralarge pourune bonne stabilité et forme ergonomique pour une bonne prise enmain. Garantie deux ans Modèle 1(5140 A) : 500 W. Vitesse 4200trs/mn. Profondeur de coupe à 90 ° : 40 mm. Lame diamètre : 130mm.(Automne-hiver 2003-2004, 1103)

(2) LES PONCEUSES VIBRANTES BOSCH Ponçage rapide et en finesse dessurfaces planes. Plateau ponçage 92x182 mm. Forme ergonomiqueconfortable et maniable à 1 ou 2 mains. (Automne-hiver 2003-2004,p 1103)

(3) APPAREILS PHOTO ARGENTIQUES Les compacts d’Olympus. Modèle 1Objectif 28 mm. Obturateur de 1 / 140è à 1 / 40 è. Mise au point de 0,8mà l’infini. Sensibilité de 100 à 400 ISO. Flash intégré avec réducteur“ yeux rouges ”. Horodateur. (Automne-hiver 2003-2004, 1165)

(4) LES APPAREILS PHOTO NUMÉRIQUES Olympus. Autofocus. Flashmultimodes (dont anti yeux rouges). Ecran LCD Couleur. Retardateur 12

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sec. XD Card 16 Mo livrée. Liaison USB. Modèle 1 211000 pixels.Zoom numérique x 2,5 Ecran LCD 4,5 cm. Alim 2 piles AA fournies.(Automne-hiver 2003-2004, 1166)

Exemples de paragraphes descriptifs fonctionnels (sert à/ est utilisé pour) :la description fonctionnelle est soulignée

(5) LA SCIE EGOINE ET LA SCIE SAUTEUSE SCORPION BLACK ETDECKER Pour le bois, le plastique, les métaux et les tuyaux en coupesdroites, arrondies et formes diverses.

Les paragraphes descriptifs fonctionnels (sert à/ est utilisé pour) sonttoujours suivis d’une description partie-TOUT :

(5 suite) LA SCIE EGOINE ET LA SCIE SAUTEUSE SCORPION BLACK ETDECKER 400 W. Variateur de vitesse de 0 à 5500 coups/mn. Systèmeexclusif de fixation rapide de la lame. Livrée en coffret avec 2 lames scieégoïne et une lame scie sauteuse. (Automne-hiver 2003-2004, 1103)

(6) LES PONCEUSES EXCENTRIQUES BOSCH Idéales pour le dégrossissagede grandes surfaces planes et bombées, mais aussi pour le ponçage ultrafin et le polissage grâce à son double mouvement excentrique/ rotatif.Diamètre plateau 125 mm. Abrasifs autoagrippants (changementrapide). (Automne-hiver 2003-2004, 1103)

On le voit, la description fonctionnelle (sert à/ est utilisé pour) met enscène un utilisateur qui est aussi le bénéficiaire du produit. Elle apparaît donccomme moins neutre, moins distancée que la description partie / tout.

Dans les exemples (7) et (8), les éléments entre parenthèses sont deséléments de vulgarisation qui permettent au lecteur de repérer la fonction deséléments de description indiquées avec l’abréviation utilisée par le spécialiste.Par leur fonction didactique même, ils font référence au cadre de l'échanged'information entre rédacteur et lecteurs du catalogue.

(7) LES CAMÉSCOPES NUMÉRIQUES SAMSUNG Format mini DV.Fonctions Easy Q (enregistrement simplifié) et Custom Q(mémorisation des réglages préférentiels). Livrés avec télécommande,adaptateur secteur et batterie Lithium. (Automne-hiver 2003-2004,p 1162)

(8) LES CAMÉSCOPES ANALOGIQUES SAMSUNG Format Hi-8. FonctionsEasy Q (enregistrement simplifié) et Custom Q (enregistrement desréglages préférentiels de l’utilisateur). Livrés avec adaptateur secteur etbatterie Lithium longue durée. (Automne-hiver 2003-2004, 1164)

Les vêtements, qui couvrent les trois quarts des pages du catalogue,n’échappent pas à la régularité de structure analysée plus haut avec ladénomination de l’objet à vendre suivie de la description de sescaractéristiques ; la principale relation entre dénomination et descriptioncorrespond ici aussi au prédicat a (avoir) = se compose de (9), mais comme lesvêtements sont des articles de mode qui doivent avant tout flatter le goût, ladéfinition fonctionnelle (sert à/ est utilisé pour) laisse la place à un discourspublicitaire destiné à séduire l’acheteur potentiel ((10) Il a tout pour plaire !!!

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Des paillettes pour la touche “ fashion ”. Un tissu super confort et une joliebrillance). Dans ce cas, la stratégie du rédacteur consiste à convaincre le lecteurdu bien fondé de son achat.

(9) LA JUPE À GODETS Formée de 7 panneaux. Ceinture en forme.Boutonnée devant par 5 boutons. Surpiqûres ton sur ton. Entièrementdoublée. Tweed 50% laine, 30%, polyester, 20%, acrylique. (Automne-hiver 2003-2004, 74)

(10) LE BATTLE-DRESS Il a tout pour plaire !!! Des paillettes pour latouche “ fashion ”. Un tissu super confort et une jolie brillance grâceau mélange du tissu super extensible 40% polyamide 54 % coton et 6%elasthane . Large ceinture en forme avec passants fantaisie et bouton.Taille descendue. 2 poches biais. 2 fausses poches avec rabat au dosgarnies de paillettes. 1 poche avec rabat et soufflet sur la jambe garniede paillettes. Patte réglable. (Automne-hiver 2003-2004, 72)

L’exemple (10) est très intéressant à un autre titre : il montre bien que lebut des paragraphes de description contractuelle du catalogue est de donnertoutes les informations susceptibles de convaincre un éventuel acheteur et nonpas de l’instruire, fût-ce même sur le vocabulaire de la mode du moment. Eneffet, le mot composé battle-dress, qui désigne la forme féminisée du pantalonde style “surplus de l’armée américaine”, n’est absolument pas défini, si cen’est par la photo.

Très exceptionnellement, on peut trouver un paragraphe parfaitementrédigé, qui a la structure d’une définition de type encyclopédique, comme pourle duffle coat (11) ; mais cette définition a avant tout pour but d’amener unélément publicitaire : un vêtement mythique que l’on porte pour son allureinsouciante et authentique et elle ne fait pas partie du paragraphe contractueldescriptif dont nous venons de parler ; en effet, cette définition, tout commele discours de séduction publicitaire (11 suite a), est présentée en groscaractères colorés et en surimpression sur l’image, alors que seul (11 suite b)constitue un paragraphe de description contractuelle du catalogue en petitscaractères noirs ou bleu foncé (avec néanmoins quelques éléments (superbe,très tendance) relavant du discours de séduction).

(11) LE DUFFLE COAT de son origine à nos jours… A l’origine manteau desmarins avec une capuche pour affronter les tempêtes, le duffle coat étaiten gros drap rugueux. Récupéré ensuite par la Royal Navy, les stars ducinéma et les étudiants des campus, il est devenu un vêtement mythiqueque l’on porte pour son allure insouciante et authentique.

(11 suite a) Contre vents et marées, 7 couleurs, un authentique de qualité quiaime la nouveauté !

(11 suite b) Le duffle coat. Coupé dans un superbe velours de laine 80%laine, 20% polyamide. 7 coloris très tendance. Capuche tenante.Emmanchures droites. Empiècement épaules devant et dos. Fermé parbrandebourgs et boutons bois ; 2 poches plaquées. (Automne-hiver2003-2004, 107)

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L’exemple (11) montre que coexistent, dans le Catalogue de la Redoute,deux types de discours qui correspondent à des stratégies commerciales biendifférentes :

— un discours descriptif contractuel (mis en italique dans les exemples),

— un discours publicitaire de séduction (souligné dans les exemples).

La coexistence de ces deux types de discours se trouve aussi bien dans lespages consacrées à l’habillement que dans les autres rubriques (12).

(12) LES ORDINATEURS PORTABLES PRESARIO COMPAQ Une autonomieremarquable (près de 5 heures) et des performances graphiquesétonnantes ! Modem 5- Kpbs V90. Une sortie TV S-Video. 1 portsouris/clavier, 1 connecteur écran VGA, 1 port parallèle, 2 USB, 1 portmodem, 1 port internet, une sortie hauts-parleurs et une entréemicrophone multisport TM, 1 port IEEE 1394. (Automne-hiver 2003-2004, 1182)

Il est remarquable que les adjectifs jouent un rôle de tout premier plan pourdistinguer ces deux types de discours qui parfois s’entremêlent, comme nousallons le voir en reclassant les adjectifs contenus dans les exemples (1) à (12)dans le tableau 2 en fonction de leur emploi classifiant ou non classifiant, ouautrement dit en fonction de leur emploi dans le discours publicitaire deséduction qui utilise les adjectifs dans leur emploi non classifiant, alors que lediscours descriptif contractuel utilise les adjectifs dans leur emploi classifiant.

Tableau 2 Discours descriptif contractuelEmploi classifiant des adjectifs

Discours publicitaire deséductionEmploi non classifiant desadjectifs

(1) Scies circulaires.Guide parallèle.Semelle extralarge.Forme ergonomique.

Bonne stabilité.Bonne prise en main.

(2) Ponceuses vibrantes.Surfaces planes.Forme ergonomique.

Ponçage rapide et en finesse.Confortable et maniable à 1 ou2 mains.

(3) Appareils photo argentiques,les compacts d’Olympus.

(4) Les appareils photo numériquesOlympus. Zoom numérique.

(5) Scie égoïne.Scie sauteuse.Système exclusif de fixation rapide dela lame.

(6) Ponceuses excentriques.Double mouvement excentrique/rotatif. Abrasifs autoagrippants.

Idéales pour le dégrossissagede grandes surfaces planes etbombées, mais aussi pour leponçage ultra fin(changement rapide).

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Tableau 2(suite)

Discours descriptif contractuelEmploi classifiant des adjectifs

Discours publicitaire deséductionEmploi non classifiant desadjectifs

(7) Les caméscopes numériques. (Enregistrement simplifié).(Mémorisation des réglagespréférentiels).

(8) Les caméscopes analogiques.Batterie lithium longue durée.

(Enregistrement simplifié).(Enregistrement des réglagespréférentiels de l’utilisateur).

(9) La jupe à godets.Formée de 7 panneaux.Boutonnée devant par 5 boutons.Entièrement doublée.

(10) Le battle-dress.Taille descendue.2 fausses poches.Patte réglable.

Une jolie brillance.Tissu super extensible.Large ceinture.

(11) Le duffle coat. Capuche tenante.Emmanchures droites.Empiècement épaules devant et dos.2 poches plaquées.

Un superbe velours de laine.7 coloris très tendance.

(12) Les ordinateurs portables.1 port parallèle.

Une autonomie remarquable(près de 5 heures) et desperformances graphiquesétonnantes !

2.2. Tests

Nous pouvons utiliser un certain nombre de tests syntaxico-sémantiquespour montrer une fois encore que l'opposition classifiance/ non classifiancemarque bien la frontière entre deux types de discours :

— gradation : On peut vérifier que dans l’emploi classifiant desadjectifs, aucune gradation n’est envisageable, alors que dans l’emploinon classifiant, des éléments de gradation sont attestés (superextensible, très tendance) ainsi que des adjectifs exprimant le hautdegré ( idéal, superbe, remarquable). Il faut noter qu’un élémentcomme extra ou ultra peut être utilisé dans un emploi classifiant.Dans cet emploi, ces particules qui marquent le haut degré n’ont plusune valeur d’élément de gradation : Prenons l'exemple de Ecran plat /Ecran extraplat ou de Appareils photo Compacts / Appareils photoUltra-compacts : Un vendeur qui présente sa marchandise peut dire :"Je peux vous proposer des Appareils photo Compacts et même des(Appareils photo) Ultra-compacts, si vous le souhaitez" , alors qu'il

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évitera de dire : "* Je peux vous proposer des Appareils photoCompacts et même Ultra-compacts, si vous le souhaitez". Enrevanche, il pourra dire sans difficulté : "Ils sont performants etmême très performants". Cela montre que dans Ecran plat / Ecranextraplat ou de Appareils photo Compacts / Appareils photo Ultra-compacts, l'adjectif ne sert plus à qualifier un nom, et ce faisant à lesituer sur une échelle scalaire continue, mais à fixer une propriétédéfinitoire, spécifique d'un terme.

— prédication : Lorsqu’un adjectif classifiant est utilisé dans uncontexte terminologique, il permet la formation d’un terme de laforme [N + Adjectif classifiant] et dans ce cas, la reprise du termeentier est indispensable pour que le locuteur puisse porter unjugement d'appartenance à une classe * cet ordinateur-ci est portable(ceci est un ordinateur portable : terme), * cette scie est sauteuse(c’est une scie sauteuse : terme), * la ponceuse que je viens d’acheterest vibrante (est une ponceuse vibrante : terme). En revanche pour leadjectifs non classifiants, la prédication avec l’adjectif est toujourspossible ; elle permet alors un jugement subjectif du locuteur, etnullement un jugement d'appartenance à une classe (Ce velours delaine est superbe. L’autonomie de cet ordinateur portable estremarquable (près de 5 heures) et ses performances graphiques sontétonnantes !)

— contexte négatif : la négation d’un terme [N + Adjectif classifiant]aboutit à un changement de classe (Ceci n’est pas une scie sauteuse,mais une scie circulaire), tandis que la négation d’un adjectif nonclassifiant inverse le jugement d’appréciation (Les performancesgraphiques de cet ordinateur ne sont plus aussi étonnantesaujourd’hui).

— emploi anaphorique : un terme [N + Adjectif classifiant] peut êtrerepris par l’emploi anaphorique de l’adjectif classifiant (Entre lesordinateurs de bureau et les ordinateurs portables, les préférés dePierre sont les portables), alors que l’emploi anaphorique de l’adjectifnon classifiant est beaucoup plus difficile (*Parmi les velours delaine, ceux que je préfère sont les superbes).

2.3. Réseau terminologique et paradigme

Un autre élément déterminant pour définir une structure [N + Adjectifclassifiant] comme un terme est la question de savoir si, oui ou non, il entredans un paradigme, même réduit à un petit nombre de termes, c'est à dire s'ilrelève d'un réseau terminologique, même minimal. Signalons quelques

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exemples, en partie déjà cités et toujours extraits du Catalogue de la Redoute :

— les téléviseurs extraplats ≠ les téléviseurs plats

— caméscopes numériques ≠ caméscopes analogiques

— appareils photo numériques ≠ appareils photo argentiques

— scie égoïne ≠ scie sauteuse ≠ scie circulaire

— ponceuses vibrantes ≠ ponceuses excentriques

— cireuse aspirante ≠ cireuse shampooineuse

— chemise manches longues ≠ chemise manches courtes

— veste zippée ≠ veste boutonnée.

Les unités terminologiques prennent leur statut en fonction du domaine àdécrire et on observe ici le rôle centrale de la taxinomie : les vestes zippées etles vestes boutonnées font partie des vestes. Elles sont en relation de co-hyponymie par rapport à Veste qui représente leur hypéronyme.

Notons que le paradigme ne se réduit pas à la forme [N + Adjectifclassifiant], mais qu’il peut aussi comporter des éléments de la forme : [N+N] : balai mécanique ≠ balai vapeur.

En revanche les adjectifs non classifiants ne constituent pas de termes etils ne se présentent pas groupés dans des paradigmes dans le Catalogue de laRedoute, qu'il s'agisse du gril diététique (1151), des aspirateurs performants(1134) ou de la soie conquérante (83).

2.4. Discours objectif, discours subjectif

Pour terminer cette analyse de mon corpus, je voudrais souligner que, dansla majorité des articles de présentation des produits du Catalogue de laRedoute, s'imbriquent un discours subjectif destiné à promouvoir desarguments de vente qui flattent le goût des consommateurs et un discoursobjectif qui sert à décrire les produits avec la plus grande précision possible. Ilimporte d'observer que, dans de très nombreux cas, l’opposition entre adjectifclassifiant et adjectif non classifiant est le seul signal qui permet de distinguerces deux types de discours.

Ainsi, dans l'exemple (13), l'adjectif incontournable est le seul élémentsubjectif qui sert ici de marquage spécifique à l'implication des deux discours(Le discours subjectif est souligné et le discours objectif est en italique). Dansl'exemple (14), les adjectifs contenus dans les groupes nominaux : "dernièresrecherches, ligne moderne et belles couleurs" relèvent également du discourssubjectif, alors que les adjectifs : électronique et télescopique relèvent dudiscours objectif.

(13) CHEMISE MANCHES LONGUES La basique incontournable. Cintréepar pinces devant et dos. poignets devant et dos. Poignets boutonnés.

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Boutons ton sur ton. Bas rayé. (Printemps-été 2004, 40)

(14) ASPIRATEUR UNIVERSE ET SPECIALIST DE PHILIPS Gamme issuedes dernières recherches en matière de facilité d'utilisation. Dotée enplus d'une ligne moderne et de belles couleurs. 6 niveaux de filtration.Variateur électronique. Tube télescopique métal. Indicateur deremplissage du sac Capacité du sac 3L. Enrouleur de cordon. Cordon7m.Rayon d'action 10 m Niveau sonore 76 db Dim 31 x 26 x 44 cm.Poids 5,9 kg. (Printemps-été 2004, 1136)

Les exemples (15) et (16) sont un peu plus complexes. Pour marquer lediscours subjectif, l' exemple (15) combine des adjectifs relevant du hautdegré : 100% créatif, totalement économique, un adjectif subjectif de couleur :chatoyant et enfin une invitation au voyage qui justifie l'emploi adjectival dedeux substantifs : Folk Tendance bohème, inspiré du folklore tzigane.L'exemple (16) est en deux parties : il comprend un texte publicitaire présentéen grandes lettres de couleurs en haut d'une page, puis l'article descriptifcorrespondant en petites lettres noires ; le texte publicitaire est paradoxalementà la première personne : le consommateur est directement mis en scène et sonenthousiasme débordant se traduit par de nombreuses marques de gradation :totalement accro, couleurs presque "délavées", finition très sportswear, cotonpeigné si doux sur ma peau, et se termine par un jugement péremptoire quis'interprète comme une promesse d'achat : ça change tout! Ce discourspublicitaire se poursuit à la fin de l'article descriptif, avec à nouveau une séried'adjectifs gradués et un jugement péremptoire : la plus belle qualité de coton,plus souple, plus résistant et vraiment plus doux, ça j'aime.

(15) URBAN SHOP 100% créatif, totalement économique. Folk Tendancebohème pour ce LINGE DE LIT brodé de couleurs chatoyantes,directement inspiré du folklore tzigane. Ça tombe bien, j'adorevoyager. Pur coton. Coloris garantis à 60°. (Printemps-été 2004, 801)

(16 A) Je suis totalement accro des unis Soft Grey ! Leurs couleurs presque"délavées", leur finition double piqûre très sportswear et ce cotonpeigné si doux sur ma peau... ça change tout!

(16 B) Les unis SOFT GREY : Pur coton peigné, tissage serré (57 fils parcm2). Finition double piqûre. Coloris garantis à 60°. Valeur sûre.

(16 C) Détail SOFT : tous les unis sont en coton peigné ... la plus bellequalité de coton, plus souple, plus résistant et vraiment plus doux, çaj'aime. (Printemps-été 2004, 793)

Comme on le voit, la ligne éditoriale du Catalogue de la Redoute reposesur deux types de discours imbriqués :

— l’un, stipulatoire et contractuel, propose une description objective desproduits,

— l'autre, subjectif, projette l'image d'un client potentiel d'avanceenthousiaste à l'idée de consommer les produits Redoute et met enscène un rapport très valorisant du consommateur à l'objetconsommé.

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C. CORTÈS - Syntaxe de la classifiance

Pour l'analyse linguistique que nous envisageons dans ce travail, ilconvient de considérer que la propriété classifiante d’une suite [N + Adjectif]repose sur l’interaction entre l’intention discursive (objective ou subjective)qui sous-tend le texte et le potentiel de l’adjectif. C’est précisément à l’étudede la participation de l’adjectif à la formation des termes que nous consacreronsle chapitre suivant.

Dans ce chapitre, qui se veut résolument ouvert sur la terminologie et ladéfinition de termes de la forme [N + Adjectif classifiant], nous laisseronstotalement de côté les emplois non classifiants de l'adjectif, pour nousconsacrer à l'étude des adjectifs classifiants.

3. ÉTUDE DES PROPRIÉTÉS DES ADJECTIFSSUSCEPTIBLES DE FORMER UN TERME DE LAFORME [N + ADJECTIF CLASSIFIANT]

Quelle est la part de l'adjectif dans le processus de dénominationterminologique de la forme [N + Adjectif classifiant] ? Nous allons voir qu'iln' y a aucun marquage univoque, mais tout de même quelques tendancescomme la fonction (épithète ou attribut) de l’adjectif, la place de l’adjectifépithète, des facteurs morphologiques, syntaxiques, sémantiques et discursifs.

Nous montrerons en 3.1. que la fonction déterminative des adjectifspostposés est directement en relation avec la fonction classifiante que leurconfère le discours classifiant dans lequel ils s'insèrent. Puis nous proposeronsen 3.2., à partir du classement des adjectifs du français de Jan Goes (1999) quiplace la propriété "être adjectif" sur une échelle de prototypie, une hypothèsequi consiste à postuler une relation [N + Adjectif non prototypique] au coeurde la terminologie en français. Enfin, en 3.3., la présentation de l'étude desadjectifs dénominaux et déverbaux par Marie-Claude L'Homme (2004) nouspermettra de confirmer l'importance des adjectifs dérivés dans la créationterminologique.

3.1. Fonction déterminative des adjectifspostposés et classifiance

Comme nous l'avons vu dans le Catalogue Redoute, les adjectifsclassifiants relevés sont tous postposés, ce qui est généralement reconnucomme une propriété des adjectifs restrictifs en français, appelés aussidéterminatifs. Cette propriété correspond à la possibilité de restreindrel'extension du nom. Pour nous adjectif déterminatif est exactement synonymed'adjectif restrictif.

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Cahier du CIEL 2004

"Dans l'article épithète du GLLF, H Bonnard reconnaît la "caractérisationrestrictive" comme marque propre de la postposition, avec des exemplescomme : un ballon ovale, une fête nocturne. Cette épithète distinctive a, oun'a pas (selon le déterminant sélectionné), le pouvoir d'identifier l'objet dediscours présenté. Son pouvoir distinctif est sans doute plus évident si le GNa un déterminant défini : le ballon ovale, la fête nocturne. On comprendraalors que l'épithète est nécessaire et suffisante pour isoler un objet possible etun seul là où le substantif seul n'y suffirait pas. (...) Quand il ne s'agit pasd'isoler un objet de référence et un seul dans un contexte spécifique, l'adjectifpostposé va servir à délimiter un sous-ensemble, à opérer une sous-catégorisation. C'est ce que font les adjectifs restrictifs et c'est la raison pourlaquelle ils sont postposés." (Michèle Noailly 1999, 98-99)

Dans notre corpus tiré du Catalogue de la Redoute, on voit bien que nousavons affaire à des adjectifs postposés qui ont tous cette fonction restrictivepar rapport au nom et qui délimitent un sous-ensemble des objets proposés aucatalogue (les téléviseurs extraplats/ les téléviseurs plats, les caméscopesnumériques / les caméscopes analogiques, les appareils photo numériques /appareils photo argentiques, la scie sauteuse / la scie circulaire, les ponceusesvibrantes / les ponceuses excentriques, etc.).

Jan Goes (1999) rappelle que, dans la tradition grammaticale, les adjectifsrestrictifs postposés n'ont pas toujours été confondus avec les autres adjectifs.“ Le terme épithète apparaît déjà dans la Rhétorique d'Aristote, où il désigneun élément stylistique, surajouté, et non une fonction grammaticale. Cettedéfinition restera telle quelle pendant de nombreux siècles : aux XVII e etXVIII e siècle encore, on distinguera entre l'épithète qui est un "nom adjectif"- et l'adjectif. Le premier est un simple ajout au "nom substantif" et appartientau domaine rhétorique (ex : le dur caillou); le second est indispensable à lacompréhension et détermine le nom substantif : il appartient au domainelogico-syntaxique (ex : l'homme juste est en paix avec lui-même). (...) PourNoël et Chapsal, tout adjectif qui n'est pas attribut est tout simplement uncomplément modificatif du substantif, tout de moins du point de vue del'analyse logique. ” (Jan Goes 1999, 77)

Interrogeons-nous sur les facteurs déterminants de la place de l'adjectifépithète. Jan Goes en propose plusieurs :

— Facteurs morphologiques : Jan Goes montre que le suffixe joue unrôle négligeable.

"Reste la nature de la base. Assez curieusement, les auteurs cités neparlent que très peu de la base du dérivé. (...) Or toutes les statistiquesindiquent la tendance générale à la postposition des adjectifsdénominaux et déverbaux.Nous pensons que les adjectifs dérivés gardent des éléments dusémantisme verbal ou nominal de leur base, ce que Corbin appelle " le

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sens prédictible hérité de la base". Cette hypothèse permet d'établir unlien entre la morphologie, la syntaxe et la sémantique de l'adjectifdérivé". (Jan Goes 1999, 88)

— Facteurs syntaxiques : (AS = suite Adjectif + Substantif, SA = suiteSubstantif + Adjectif).

"Lorsque le SN est introduit par le déterminant un (ou un autredéterminant indéfini), il n'y a qu'une seule fonction qui favorisel'antéposition : la fonction sujet (39,6% AS).Les fonctions attribut etCOD ont plutôt l'effet contraire : 29,3% de AS. La présence d'uncomplément prépositionnel auprès du substantif indéfini favorise AS(55%). Le déterminant le (ou un autre déterminant défini) favorisel'antéposition dans presque toutes les constructions." (Jan Goes 1999,89)

— Facteurs sémantiques :"C'est dans une large mesure le substantif qui impose une variation desens AS-SA à l'adjectif, ou ne le fait pas". (Jan Goes 1999, 97)"En postposition, nous avons affaire à la rencontre de deux parties dudiscours dans un rapport de sens plus nettement déterminatif ; c'estpourquoi la désémantisation sous l'influence de substantif sera moinsimportante (désémantisation = le sens de l'adjectif antéposé s'inscrit àl'intérieur du sémantisme du substantif qualifié et de cette façon, il peutêtre affaibli)." (Jan Goes 1999, 99)

A ces facteurs morphologiques, syntaxiques et sémantiques, qui nedépassent pas les frontières du groupe nominal, il convient, comme nousl'avons montré au chapitre 2, d'ajouter l'influence du contexte discursif danslequel est employé l'adjectif postposé, c'est-à-dire, pour les adjectifs duCatalogue de la Redoute étudiés dans cet article, l'influence du discoursclassifiant ou non classifiant dans lequel ils s'insèrent. C'est seulement auniveau de la construction discursive que l'on peut espérer proposer une analyseunifiée et homogène, face à la complexité des formes de l'adjectif. Au niveaufonctionnel, il y a un grand intérêt à se servir de la notion de classifiance et àdistinguer trois types de fonctionnement sémantique des adjectifs en général :

— les adjectifs qui relèvent de la sphère de l'actualisation du groupenominal (comme les indéfinis) et qui commutent avec lesdéterminants (certains/ les),

— les adjectifs non classifiants qui correspondent à ceux qui sont ditsgénéralement qualificatifs,

— les adjectifs classifiants qui correspondent à ceux qui sont ditsgénéralement déterminatifs ou restrictifs.

On peut aller jusqu'à faire l'hypothèse que, dans le cadre du discoursclassifiant, la postposition s'attache à une fonction. Je propose de confondre,dans le cadre d'un discours classifiant, la fonction de l'adjectif déterminatifpostposé avec sa fonction classifiante. C'est une hypothèse qu'il faudra testersur un très grand nombre d'analyses de corpus à l'avenir, mais elle a pour

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l'instant le mérite d'une relative simplicité et d'une grande clarté.

Si nous analysons de plus près le classement des adjectifs proposé par JanGoes, nous voyons se dessiner une thèse complémentaire à celle-ci et quiporte non pas seulement sur la place de l'adjectif, mais sur la nature desadjectifs qui entrent dans la composition des termes [N + Adjectif]. Etantdonné que le classement des adjectifs du français proposé par Jan Goes (1999)repose sur une échelle de prototypie sur laquelle se répartissent les différentesclasses d'adjectifs, nous allons essayer de montrer en 3.2. qu'une relation [N +Adjectif non prototypique] est au coeur de la terminologie en français.

3.2. Une relation [N + Adjectif non prototypique]au coeur de la terminologie en français ?

Partons du classement des adjectifs du français proposé par Jan Goes(1999) en fonction de leur capacité à exercer un maximum de fonctionsadjectivales, du qualitatif au déterminatif, de l'épithète à l'attribut. Sonclassement s'appuie sur la notion de prototypie ; le taux de prototypie d'unadjectif se mesure à partir des propriétés suivantes : le caractère adnominal(Attr), la capacité à s'antéposer et se postposer (ANTEPOST), la gradation(Grad).

— [+/- Attr] : "Le propre de l'adjectif - attribut ou épithète - serait derester adnominal, malgré le détachement relatif qui peut être opéré parla construction attribut. C'est là le comportement de l'adjectif "idéal",disons donc prototypique. Certains adjectifs refusent ladistanciation impliquée par la fonction attribut, mais restentadnominaux dans leur fonction épithète ; ils s'éloignent parconséquent du prototype. Refuser la fonction épithèteconstitue cependant un refus du caractère adnominaltout court : les éléments en question ne sont donc plus desadjectifs. C'est pourquoi nous avons considéré la fonction épithète(postposée) comme nécessaire (mais non suffisante), tandis quel'attribut est non nécessaire et non suffisant. Sans être plusfondamentale que l'attribut, la fonction épithète prend plus de poidscomme critère." (128) Cette capacité à être utilisé en fonctionépithète et attribut est notée, dans la formulation de Jan Goes : [+/-attr].

— ANTEPOST : "A côté de la fonction épithétique elle-même, c'est lasouplesse de l'adjectif que nous considérerons comme une critère deprototypie : à cet égard, la possibilité de faire le mouvementANTEPOST (= de l'antéposition à la postposition de l'adjectif) se

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révèle d'une importance cruciale". (107) L'adjectif prototypique doitavoir une zone AS (adjectif + substantif) = SA (Substantif +Adjectif) assez large, et un taux d'antéposition relativement élevé.Cette propriété est notée : [+ AS] [+ SA] (---> [+ ANTEPOST]).

— [+/- Grad] : La troisième propriété de l'adjectif prototypique est lagradation. Elle est notée [+/- très].

Cette grille de propriétés permettant de définir le taux de prototypie desadjectifs est appliquée systématiquement par Jan Goes à toutes les classesd'adjectifs, qu'il répartit en fonction de leur morphologie lexicale : il opposeles adjectifs primaires (A : grand, court) et les adjectifs non primaires (B :harmonieux, remarquable), et parmi ces derniers, il distingue les adjectifsdénominaux, déverbaux, déadjectivaux, et les adjectifs synchroniquement nondérivés.

C'est sur le croisement des critères de définition de la prototypie et descritères de morphologie lexicale que se fonde le classement des adjectifsproposé par Jan Goes. Nous résumons ci-dessous son classement. Maisauparavant, il convient toutefois de mettre en garde contre une lecture tropsimpliste des listes d'adjectifs proposées ci-dessous. Les exemples d'adjectifsdonnés ici sont uniquement une aide à la compréhension de la classificationdécrite. Comme les deux premières parties de cet article l'ont montré, on nepeut classer en fait que les emplois prévisibles des adjectifs dans un contextedéterminé. Il faut lire les listes données dans le travail de Jan Goes comme dessuites de paris sur des probabilités d'emplois fondés sur des statistiques defréquence.

A Les adjectifs primaires

"Les adjectifs primaires sont les adjectifs non dérivés qui appartiennent auvieux fonds de la langue." (227) "Ce sont les seuls adjectifs à donner desadjectifs déadjectivaux. (...) Il est exceptionnel qu'un adjectif primaire n'acceptepas la gradation (l'adjectif bai par exemple), fait qui laisse présumer d'un solideancrage dans la catégorie de l'adjectif." (228)

A1 Les adjectifs primaires voisins du prototype ou prototypiques.

— A11 Les adjectifs voisins du prototype sont presque exclusivementantéposés, ce que note la taille relative [+ AS] / [+ SA], [+ AS]apparaissant plus fréquemment que [+ SA] : exemples : grand, petit,bon, jeune, vieux, beau, long gros, seul, mauvais, haut propre, joli.

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[+ très] [+ AS] [+ SA] (---> [+ ANTEPOST]) [+ attr] 1

Ces adjectifs ne sont pas prototypiques à cause de deux propriétés :

— leur désémantisation fréquente, et pas seulement avec des humains(un joli recul),

— une construction attributive assez rare.

— A12 Les adjectifs primaires prototypiques cumulent toutes lespropriétés de l'adjectif : type court, ancien, faible, fort, léger, pur , vif

[+ très] [+ AS] [+ SA] (---> [+ ANTEPOST]) [+ attr]

A2 Les adjectifs primaires du groupe 2 : en dehors du prototype.

[+ très] [- AS] [+ SA] [+ Attribut] ---> [- ANTEPOST] (rond, rouge)

Les adjectifs de ce groupe (ex : rond, rouge), qui comprend notammenttous les adjectifs de couleur, ne s'antéposent que très difficilement,alors qu'ils se prêtent facilement à un emploi déterminatif (ballon rond,billet vert). Les adjectifs de couleur ne peuvent pas former d'adverbes,ils acceptent la gradation et peuvent fonctionner comme attributs.

A3 Les adjectifs primaires du groupe 3 : adjectifs d'extension très réduite etrefusant la gradation. (bai)

[- AS] [+ SA] [+ attr] ---> [- ANTEPOST] [- très]

Les adjectifs de ce groupe ne s'antéposent jamais, ne qualifient parfoisqu'un seul substantif (cheval bai) et certains d'entre eux peuventcependant remplir la fonction d'attribut .

B Les adjectifs non primaires

Les adjectifs non primaires sont des adjectifs dérivés. Le suffixe pèse peudans la définition de l'extension. Jan Goes classe donc les adjectifs nonprimaires à partir de leur base (dénominaux BA, déverbaux BB, déadjectivauxBC). La tendance générale est à la postposition pour les adjectifs dénominauxet déverbaux, tendance qui se trouve renforcée pour les participes (présents ou

1 Le symboles employés par Jan Goes se lisent de la façon suivante :

- [+ très] : adjectif graduable,

- [+ AS] [+ SA] (---> [+ ANTEPOST]) : l'adjectif A11 peut être pré- ou postposé. Laposition en petite capitales [+ SA] est attestée, mais moins souvent que laposition en grandes capitales [+ AS]. En A12, AS et SA ont la même taille car leurfréquence est comparable.

- [+ attr] : l'adjectif peut être épithète (ce qui est le cas de tous les adjectifs, le cas

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passés) et les substantifs épithètes.

BA Les adjectifs dénominaux.

— BA1 Les adjectifs dénominaux voisins du prototype ouprototypiques.

BA11 Les adjectifs voisins du prototype : accidentel, allégorique,allusif, anguleux, attentif, audacieux, autonome, autoritaire...

[+ très] [+ AS] [+ SA] (---> [+ ANTEPOST]) [+ attr]

L'antéposition est possible, mais relativement rare. Ces adjectifspeuvent presque tous qualifier un substantif

BA12 Les adjectifs dénominaux prototypiques : gracieux, chaleureux,énigmatique, harmonieux, légendaire, puéril, ténébreux, typique,voluptueux, vulgaire .

[+ très] [+ AS] [+ SA] (---> [+ ANTEPOST]) [+ attr]

— BA2 Les adjectifs dénominaux du groupe 2 (en dehors du prototype) :boueux, broussailleux, coutumier, désertique, limitatif, temporairethéorique, torrentiel

[+ très] [- AS] [+ SA] [+ attr] ---> ([- ANTEPOST])

La gradation s'apparente ici à la quantification (étang trèspoissonneux, sentier très boueux) et l'antéposition est exceptionnelle.

— BA3 Les adjectifs dénominaux du groupe 3 : agricole, annuel,asthmatique, astronomique, bilingue, cubique, cylindrique, imberbe,polaire, homéopathique rectiligne, thermal.

[- AS] [+ SA] [+ attr] ---> [- ANTEPOST] [- très]

Il s'agit d'adjectifs spécialisés (sciences et techniques : carnivore),d'adjectifs qui désignent les courants culturels et socio-politiques etd'adjectifs dimensionnels (circulaire, ovoïde). S'ils forment desadverbes, il s'agit d'adverbes de phrase (biologiquement parlant)

— BA4 Les adjectifs dénominaux du groupe 4 : adjectifs exclusivementépithètes : poulet fermier, lait d'un taux protéique élevé, manteauneigeux.

[- AS] [+ SA] ---> [- ANTEPOST] [- très] [- attr]

BB Les adjectifs déverbaux

non marqué) ou attribut.

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Ils sont deux fois moins nombreux que les adjectifs dénominaux. Lesprincipaux suffixes rencontrés sont : -able, -atoire, -if, -eur. "Lepourcentage d'adjectifs attributs est plus élevé que pour les adjectifsdénominaux. De même nous avons trouvé beaucoup plus d'adjectifs aveccompléments (soucieux de, profitable à). Les formes en in- exceptées, lesadjectifs déverbaux proches du prototype acceptent facilement la gradation,mais ils forment beaucoup plus difficilement des adverbes."(Jan Goes1999, 264)

— BB1 Les adjectifs déverbaux voisins du prototype ou prototypiques.

BB11 Les adjectifs voisins du prototype :

[+ très] [+ AS] [+ SA] (---> [+ ANTEPOST]) [+ attr]

acceptable, indicible, innommable progressif, soucieux, sinueux

BB12 Les adjectifs déverbaux prototypiques :

[+ très] [+ AS] [+ SA] (---> [+ ANTEPOST]) [+ attr]

abominable, agréable, remarquable, irrésistible, inaccessible,indispensable, malveillant

— BB2 Les adjectifs déverbaux du groupe 2 :

[+ très] [- AS] [+ SA] [+ attr] ---> [- ANTEPOST]

abusif, prometteur, secourable, vindicatif

Ces adjectifs se caractérisent par l'absence totale d'antéposition et neforment pas d'adverbes.

— BB3 Les adjectifs déverbaux du groupe 3 :

[- AS] [+ SA] [+ attr] ---> [- ANTEPOST] [- très]

administratif, impondérable, indécelable, portable, végétatif

Ces adjectifs, qui n'admettent pas la gradation mais des adverbesmodificateurs possibles comme rapidement, n'admettent pasl'antéposition ni la formation d'adverbes ; enfin un complément en parest parfois possible (la côte est abordable par de gros bateaux).

— BB4 Les adjectifs déverbaux du groupe 4 :

[- AS] [+ SA] ---> [- ANTEPOST] [- très] [- attr]

compilatoire, directeur, éjecteur, fureteur, hallucinatoire, interrogateur,rotatif, sauveur, voyageur

Ces adjectifs ne qualifient qu'un groupe très restreint de substantifs(dispositif accélérateur, panneau indicateur, mère porteuse, pigeonvoyageur). Jamais antéposés, ils refusent la gradation.

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Nous laisserons de côté l'étude des adjectifs déadjectivaux (BC) et desadjectifs synchroniquement non dérivés (BD), qui n'ont pas un rôle aussiimportant que les dénominaux et les déverbaux pour la terminologie.

Que conclure de toutes ces observations? Au début de ce sous-chapitre3.2., nous nous demandions s'il y avait lieu de postuler une relation [N +Adjectif non prototypique] au coeur de la terminologie en français. Au termede ce parcours, nous pouvons répondre positivement à cette question : nousvoyons que les adjectifs déterminatifs classifiants que nous avons repérés dansle Catalogue Redoute par exemple sont essentiellement des adjectifs nonprototypiques qui relèvent généralement des groupes 3 et 4, etoccasionnellement du groupe 2. Ils conservent certes tous la propriété deconstituer du matériau adnominal, mais ils n'admettent guère la gradation,toute antéposition est impossible, et ils ne peuvent que très rarement êtreutilisés en position attribut. Dans l' exemple de "scie circulaire" ou "sciesauteuse", les adjectifs s'analysent de la façon suivante :

[- AS] [+ SA] ---> [- ANTEPOST] [- très] [- attr]

Les adjectifs dénominaux, qui constituent une classe très prolifique pour laterminologie, ont toutefois une place à part : les seuls adjectifs prototypiquesqui apparaissent dans une unité terminologique sont les dénominaux (lecunéiforme monumental, une pierre volcanique). Des adjectifs comme typique,ou vulgaire, qui relèvent, selon Jan Goes, de la classe B12 des adjectifsdénominaux prototypiques, peuvent se trouver dans des unités terminologiquesen tant qu'adjectifs classifiants : tumeur typique, latin vulgaire, nom vulgaired'une plante ou d'un animal. "L'emploi relationnel2 semble donc accessible àtout adjectif dénominal, pourvu qu'il ait un substantif support adéquat." (JanGoes (1999, 255)

Cela montre qu'il convient sans doute de donner une place à part à lasyntaxe des adjectifs dénominaux (exemple relevant de la classe 2 : laitmaternel et 3 : fruit juteux). Pour cela, on peut reprendre ici une des thèses deD. Corbin selon laquelle un dérivé possède un "sens prédictible hérité de labase" ; l'influence de la base sur le calcul du contenu sémantique de l'unitéterminologique est si importante que l'on arrive fréquemment à uneparasynonymie entre la paire [N + Adj] et la paire [N de N] : calcul budgétaire/calcul du budget ; élection présidentielle/ élection du président, analysesémantique / analyse du sens, etc. On peut se demander alors s'il n'y aurait paslieu, dans le cas où ces paires parasynonymiques sont attestées, de postulerune syntaxe fondamentale commune [N + N] sur laquelle se fonderait

2 Pour Jan Goes, l'adjectif "relationnel" est équivalent à ce que nous avons appeléjusqu'ici adjectif déterminatif ou adjectif restrictif.

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l'interprétation sémantique de l'unité terminologique et de considérer le suffixeadjectival dans [N + Adj] et la préposition dans [N de N] comme lesmarquages superficiels et, dans certains cas, équivalents de la relation destructure profonde [N + N].

Cette hypothèse permettrait en outre de proposer un cadre syntaxiqueélégant pour rendre compte d'unités NN dans lesquelles le deuxième substantifest proche des adjectifs déterminatifs, dont il possède les caractéristiquessyntaxiques (pas de gradation, antéposition impossible, refus de la positionattribut.) : tarte maison, vêtements sport, problème cheveux .

La syntaxe profonde [N + N] pourrait ainsi rendre compte d'un grandnombre d'unités lexicales dont le premier élément est un substantif et lesecond soit un substantif, soit un adjectif, soit un groupe prépositionnel, quiont tous en commun leur fonction classifiante.

3.3. Une étude terminologique sur corpus desadjectifs dénominaux et déverbaux

Bien sûr, il convient toujours de mesurer ses hypothèses à l'aune d'étudesterminologiques poussées et je voudrais pour finir évoquer un travail en coursdans ce domaine : l'analyse dirigée par Marie-Claude L'Homme (2004) desadjectifs dérivés sémantiques (ADS) dans la structuration des terminologies.Cette étude porte sur les adjectifs dénominaux et déverbaux dans lastructuration de trois corpus spécialisés : ceux de l'informatique, du droit et dela médecine. L'auteur insiste notamment sur le lien particulier entre le nom oule verbe formant la base de l'ADS et le substantif qui sert de base à l'unitéterminologique : "l'adjectif de "relation" exprime un actant du nom qu'ilmodifie et est souvent distingué des autres en raison d'un comportementsyntaxique différent (par exemple, il ne peut être modifié par un adverbe etadmet difficilement la position attributive)". Elle observe également quel'identification automatique des termes tient pour acquis "que le termecontenant la forme nominale correspondante sera sémantiquement équivalente(ex : épanchement sanguin = épanchement du sang)".

Si elle ne parle pas directement de classifiance des adjectifs, elle observeavec F. Maniez (2002) que "les groupes comprenant un adjectif relationnelsont plus susceptibles de former un terme complexe, alors que ceux quicomprennent un adjectif qualificatif se comportent comme des collocations".

M.-C. L'Homme (2004) définit les Adjectifs dérivés sémantiques (ADS)par deux propriétés essentielles : ils sont construits par conversion ou paraffixation sur une base nominale (constitutionnel) ou verbale (programmable)et ils ont un sens prédictible à partir de celui du verbe et du nom de base : onpeut le paraphraser à partir du nom ou du verbe de base (imprimante

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configurable : qui peut être configurée). Cela exclut de son champ d'étude ceque Jan Goes appelle les adjectifs synchroniquement non dérivés, des "adjectifscomme clinique, dont la contribution à la structuration lexicale d'un domainene fait pas de doute, mais dont le sens ne peut se décrire à partir d'une basenominale ou verbale".

Les résultats donnés dans M.-C. L'Homme (2004, 92) sontessentiellement de nature statistique, ce qui se révèle être un apport capitalpour comprendre la structure terminologique des domaines étudiés. Ainsi elleobserve une distribution différente des adjectifs selon les trois corpus(informatique CI, droit CD, médecine CM). Nous reproduisons ici lestableaux donnés par M.-C. L'Homme (2004, 92).

Le tableau 3 (M.-C. L'Homme (2004, 92)) montre que les Adjectifsdérivés sémantiques dénominaux et déverbaux (ADS) représentent environ lequart des adjectifs dans le corpus de l'informatique (CI), et près de la moitiédans les corpus du droit (CD) et de la médecine (CM).

Tableau 3 CInformatique CMédecine CDroitADS 208 407 377Autres adjectifs (qualificatifs, numéraux,adjectif régissant un syntagmeprépositionnel)

570 407 429

Adjectifs de type "clinique" 71 46 52Expressions figées ou semi figées, titres(personne morale, caractères gras CourSuprême)

136 103 125

cas problèmes 15 40 17

Le tableau 4 indique la répartition des adjectifs dénominaux et déverbauxdans chacun des trois corpus étudiés, avec une grand majorité d'adjectifsdénominaux dans tous les corpus : 85,3% CM, 78,2% CD et uneaugmentation sensible des adjectifs déverbaux dans le corpus informatique :39,4% CI. La présence de nombreux adjectifs déverbaux en informatiques'explique par l'importance de la description de processus dans ce domaine.

Tableau 4 CInformatique CMédecine CDroitAdjectifsdénominaux

126 60,6% 347 85,3% 295 78,2%

Adjectifsdéverbaux

82 39,4% 60 14,7% 82 21,8%

M.-C. L'Homme (2004) étudie également les relations sémantiques entreADS et leurs bases respectives, nominales (Tableau 5) ou verbales (Tableau 6)en fonction des corpus concernés. Elle juge également indispensable à l'avenir

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d'étudier les distributions et la polysémie des ADS. (Exemple : législatif :Texte législatif = texte de loi / Pouvoir législatif = pouvoir de légiférer).

Relation Verbe-adjectif Tableau 51. L'actant 1 verbeCI évoluer, évolutif (spécification évolutive)CM activer, activateur (pouvoir activateur)

prévenir, préventif (traitement préventif)CD déroger, dérogatoire (clause dérogatoire)

discriminer, discriminatoire (acte discriminatoire)2. L'actant 2 peut être verbéCI paramétrer, paramétrable (carte paramétrable)CM injecter, injectable (préparation injectable)CD dissocier, indissociable (disposition

indissociable)2. L'actant 2 est verbéCI formater, formaté (document formaté)CD justifier, injustifié (intrusion injustifiée)

Relation Nom-adjectif Tableau 61 L'actant A possède, a, avec+ nomCI défaut, défectueux (secteur défectueux)CM symptôme, symptomatique (patient

symptomatique)cellulaire (zone "richement' cellulaire)

CD énergie, énergique (mesure énergique)Paraphrase par Prep + nomde base

expriment un "actant" non modifié (agent, patient,instrument, etc)

CI Bureautique, bureautique (tâche bureautique)public, public (service public)

CM plasma, plasmatique (concentration plasmatique)os, osseux (atteinte osseuse, fragment osseux)

CD état, étatique (intervention étatique)gouvernement, gouvernemental (interventiongouvernementale).

Le travail de M.-C. L'Homme (2004) confirme l'importance quantitativedes adjectifs dérivés de noms et de verbes dans la terminologie du droit, de lamédecine et de l'informatique, et montre la variété des structures sémantiquesqui caractérisent ces adjectifs.

Cette étude confirme également le rôle fondamental des adjectifs postposésdéterminatifs classifiants dans la terminologie et l'importance relative desdéverbaux et des dénominaux. Une étude sémantique complémentairedémontrerait sans difficulté la richesse d'interprétation de la structure [N + Adj]

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C. CORTÈS - Syntaxe de la classifiance

qui s'apparente dans le cas des ADS aux relations sémantiques [N+N] et à [N+V], confirmant ainsi le statut hybride que Jan Goes reconnaît à l'adjectif,"entre nom et verbe". Il convient donc d'ajouter au statut hybride de l'adjectifle statut hybride de la structure [N + Adj], qui, dans le contexte classifiant dela terminologie, a la rigueur d'un terme inclus dans un paradigme, mais de parson histoire dérivationnelle, s'ouvre à une grande souplesse d'interprétation enfonction de la terminologie considérée et du discours classifiant dans lequelelle s'inscrit.

Après avoir montré dans les chapitres 1 et 2 de cet article l'importance dela notion de classifiance et la façon dont cette notion prend corps dans lediscours classifiant attesté dans le Catalogue de la Redoute, nous nousproposions de montrer quelles sont les principales propriétés de l'adjectif quicontribuent à la formation d'un terme de la forme [N + Adjectif classifiant].Tout d'abord, nous avons souligné la coïncidence entre la fonctiondéterminative des adjectifs postposés et leur fonction classifiante (3.1.), puis,en nous appuyant sur le classement des adjectifs du français proposé par JanGoes (1999), nous avons montré que, quelle que soit sa classe, l'adjectif nonprototypique entre généralement dans la formation d'un terme : c'est donc unerelation [N + Adjectif non prototypique] qui est au coeur de la terminologie enfrançais (3.2.); la classe des adjectifs dénominaux fait toutefois exception (cequi lui confère une importance supplémentaire pour la création des termes),puisque c'est la seule qui offre la possibilité de former un terme de la forme [N+ Adjectif classifiant] à partir d'un adjectif prototypique. Enfin l'étude desadjectifs dénominaux et déverbaux par M.-C. L'Homme (2004) montre (3.3.),d'une part, l'importance du domaine de spécialité dans lequel s'inscrit le terme,et confirme, d'autre part, la complexité et la souplesse sémantiques desadjectifs dénominaux et des déverbaux dans différents types de corpusspécialisés.

CONCLUSION

Au début de cet article, nous étions à la recherche d'une hypothèselinguistique permettant de rendre au moins partiellement calculable etprédictible la constitution de termes de la forme [N + Adj]. Nous n'avons puqu'effleurer cet objectif et nous ne pouvons, en conclusion, qu'indiquerquelques pistes prometteuses pour des recherches supplémentaires.

Les études sur l'adjectif que nous venons de présenter montrent que lastructure d'un terme [N + Adj] tire sa valeur d'au moins trois planssyntagmatiques indissociables, qui exercent tous une influence égale sur lacohésion entre les deux parties du terme :

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— le discours classifiant dans lequel le terme est employé,

— la place du terme dans le paradigme et dans le type de corpus auquel ilappartient,

— la relation syntaxico-sémantique entre [N] et [Adj], qui dépend elle-même :

— du caractère plus ou moins prototypique de l'adjectif (cf JanGoes 1999)

— de l'histoire dérivationnelle de l'adjectif lorsqu'il s'agit d'undérivé (cf M.-C. L'Homme 2004).

Une syntaxe de la classifiance repose nécessairement sur l'étude desadjectifs, mais elle devrait aussi étudier l'ensemble des épithètes classifiantspossibles dans un corpus donné, qu'ils soient ou non de nature adjectivale.Dans ce cadre, il serait nécessaire de chercher comment construire une syntaxecommune à des types de relations comme [N + Adj], [N+N], [N+ prep + N].A l'inverse, il conviendrait peut-être de réinterpréter l'absence de déterminantdans le GN : [N+N], [N+ prep + N] comme une forme d'adjectivisation.

Comme on le voit, ce type d'étude nous mène à la frontière du groupenominal et du mot composé, autrement dit à la frontière de la syntaxe et dulexique. On peut alors se demander si des propositions en termes de "patterns"ne seraient pas plus adaptées que la syntaxe classique pour rendre compte deces questions fondamentales pour la description des langues.

En tout cas, la question de la classifiance semble être au coeur du langage,car elle caractérise la compétence des sujets parlants dans l'interprétationterminologique. En effet, lorsqu'on se penche sur le slogan publicitaire (17),noté dans le métro le 8 mars 2004, on voit qu'il est tout à fait raisonnable deposer l'hypothèse que la connaissance des moules terminologiques classifiantsfait partie de la compétence des sujets parlants : en effet sans mettre en œuvrecette compétence, les lecteurs de cette affiche ne sauraient la comprendre.

(17) Des cils bonnet D, forcément ça avantage!

Pump up the volume. Mascara volume pigeonnant. (Bourjois Paris, notédans le métro le 8 mars 2004)

L'exemple (17) montre également qu'il convient de postuler une secondecompétence des sujets parlants : celle qui concerne l'opposition entre undiscours classifiant et un discours non classifiant. Ici, en effet, c'est un moulenormalement dévolu à la classifiance qui est utilisé à contre emploi dans uncontexte non classifiant. Et c'est ce contexte non classifiant qui entraînel'interprétation non classifiante de "bonnet D" ( = "qui assure du volume"),alors que dans tous les contextes où le locuteur connaît cette expression(lorsqu'elle définit un type de soutien-gorge), elle est classifiante.

Ce travail ne prétendait pas traiter de l'ensemble des phénomènes de

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C. CORTÈS - Syntaxe de la classifiance

classifiance, mais simplement montrer son importance pour les études determinologie. Ainsi s'ouvre un champ de recherche très prometteur oùlinguistique et terminologie ne pourront que bénéficier de féconds apportsmutuels.

BIBLIOGRAPHIE :

Goes, J. (1999) L'adjectif. Entre nom et verbe. Champs linguistiques Duculot. DeBoeck et Larcier Bruxelles.

Kerbrat- Orecchioni, C. (1980) L'énonciation. De la subjectivité dans le langage.Linguistique. Armand Colin ; Paris.

L'Homme, M-C. (2004) Adjectifs dérivés sémantiques (ADS) dans la structurationdes terminologies. Conférence "Terminologie, ontologie et représentation desconnaissances" organisée à l'Université Jean Moulin Lyon I, Atala 22 et 23janvier 2004.

Riegel, M. (1985) L'adjectif attribut. PUF Linguistique nouvelle ; Paris.Milner, J-C. (1978) De la syntaxe à l'interprétation. Quantités, insultes,

exclamations. in Travaux linguistiques. Seuil ; Paris.Milner, J-C. (1989) Introduction à une science du langage. Des Travaux. Seuil ;

Paris.Michèle Noailly, M. (1999) L'adjectif en français. Ophrys ; Paris.Flaux, N. et Van de Velde D. (2000) Les noms en français : esquisse de classement.

Ophrys ; Paris.Schnedecker C. (2002) L'adjectif sans qualité(s) Langue Française 136 Larousse ;

Paris. (décembre 2002)Wilmet, M. (1983) Les déterminants du nom en français. Essai de synthèse Langue

Française 57 Larousse Paris (15-33).Wilmet, M. (1986) La détermination nominale PUF ; Paris.

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