La tension psychologique, ses degres, ses oscillations

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VOLUME I OCTOBER, 1920 PART 1 THE BRITISH JOURNAL OF PSYCHOLOGY MEDICAL SECTION LA TENSION PSYCXOLOGIQUE, SES DEGRRS, SES OSCILLATIONS’. PAR PIERRE JANET. LA FORCE .ET LA TENSION PSYCHOLOGIQUEa 1. JE suis heureux que le Conseil Acadbmique ait fait choix d‘une Qtude psychologique pour cet enseignement commun. La psychologie est une science qui a toujours kt6 honoree dans 1aGrande Bretagne: les philo- sophes Ecossais, les philosophes Anglais e t aussi les romanciera Anglais nous ont bien souvent montrB le chemin dans l’analyse de l’esprit humain. Les mbdecins psychiatres Anglais ont fait faire bien des progres &la science de l’aliknation et nous comptons parmi eux des maitres que nous aimons. Je me rappelle toujours avec Bmotion que lors d’un de mes premiers voyages & Londres dans ma jeunesse j’ai eu l’honneur et le plaisir d‘btre r e p en qualit6 d’h6te dans la maison du vknhable Dr Hack Tuke, le descendant de William Tuke, fondateur de la Retraite d‘York. Son livre cklAbre, In$hnce of the Mind upon the Body, avait Qtk l’objet de mes premieres Qtudeset j’Qtaisheureux de trouver un accueil aussi aimable auprhs d’un de mes maitres. La psychologie est aujourd’hui plus im- portante que jamais et, on I’a dit bien souvent, le vingtieme sikcle sera le siBcle des sciences de l’esprit. &he de problemes sociaux, pkdagogiques, judiciaires, mbdicaux ne trouveront leur solution que dans une psycho- logie vraiment scientifique et pratique ! Maia cette Qtude si importante se dbveloppe tres difficilement, car son objet t r h complexe, ma1 dBfini, semble tres different de celui des 1 Three leoturee delivered before the University of London. * First lecture delivered May Ilth, 1920. J. of Peyoh. (Md Sect.) I’ 1

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Pierre Janet on psychological tension

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VOLUME I OCTOBER, 1920 PART 1

THE BRITISH JOURNAL O F PSYCHOLOGY

MEDICAL SECTION

LA TENSION PSYCXOLOGIQUE, SES DEGRRS, SES OSCILLATIONS’.

PAR PIERRE JANET.

LA FORCE .ET LA TENSION PSYCHOLOGIQUEa

1.

JE suis heureux que le Conseil Acadbmique ait fait choix d‘une Qtude psychologique pour cet enseignement commun. La psychologie est une science qui a toujours kt6 honoree dans 1aGrande Bretagne: les philo- sophes Ecossais, les philosophes Anglais et aussi les romanciera Anglais nous ont bien souvent montrB le chemin dans l’analyse de l’esprit humain. Les mbdecins psychiatres Anglais ont fait faire bien des progres &la science de l’aliknation et nous comptons parmi eux des maitres que nous aimons. Je me rappelle toujours avec Bmotion que lors d’un de mes premiers voyages & Londres dans ma jeunesse j’ai eu l’honneur et le plaisir d‘btre r e p en qualit6 d’h6te dans la maison du vknhable Dr Hack Tuke, le descendant de William Tuke, fondateur de la Retraite d‘York. Son livre cklAbre, In$hnce of the Mind upon the Body, avait Qtk l’objet de mes premieres Qtudes et j’Qtais heureux de trouver un accueil aussi aimable auprhs d’un de mes maitres. La psychologie est aujourd’hui plus im- portante que jamais et, on I’a dit bien souvent, le vingtieme sikcle sera le siBcle des sciences de l’esprit. &he de problemes sociaux, pkdagogiques, judiciaires, mbdicaux ne trouveront leur solution que dans une psycho- logie vraiment scientifique et pratique !

Maia cette Qtude si importante se dbveloppe tres difficilement, car son objet t r h complexe, ma1 dBfini, semble tres different de celui des

1 Three leoturee delivered before the University of London. * First lecture delivered May Ilth, 1920.

J. of Peyoh. (Md Sect.) I ’ 1

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2 La Tension Psychologique, ses Degrb, ses Oscillations autres sciences. Dans les nombreuses tentatives que j’ai dii faire pour rapprocher lee Qtudes mkdicales des ktudes psychologiques, pour en- seigner B des mkdecins quelques notions psychologiquee j’ai kt6 amen6 peu B peu B me placer B un point devue particulier qui me semble presenter quelques avantages. Permettez-moi de vous indiquer ce point de vue en expliquant sommairement dans ces trois lepons l’importance des notions de force et de tension dans l’interprktation des conduites humaines et en vous montrant la simplification que ces notions apportent dans la description des phknombnes normaux et des phknombnes patho- logiques.

Les mkdecins sentaient depuis longtemps la nkcessitk d’we science psychologique, mais ils ne trouvaient pas dans la psychologie dea philo- sophes le guide dont ils avaient besoin. Les philosophes B la suitede Descartes mettaient au premier plan le phknombne de la penske in- tkrieure et considkraient les actions, les mouvements du corps comme des conskquencea secondaires de la penske. Le mkdecin est habituk B re- garder en dehors de lui son malade comme un objet que l’on voit et que Yon entend, il met au premier plan des caractbres qu’il observe ex- Grieurement et il nesait comment mettre en rapport avec sesautres Qtudes des phknombnes purement internes conpus d’une fapon toute diffkrente. Il a bien essay6 de construire une science psychologique sur le modble de la physiologie qu’il connaissait et de mbler B la description des penskes le dessin des fibres et des cellules nerveuses. De belles ktudes de psycho- physiologie ont ktk faites et je n’ai pas A vous parler ici de la belle ex- pkrience de M. Head qui ktudiait sur sa propre sensibilitk les effets de la section d‘un nerf sensitif. Mais ces ktudes de psycho-physiologie qui ne sont nettement ni de la psychologie ni de la physiologie ne portent que sur un petit nombre de phknomhes tr&s Qlkmentaires, sur des sensations considkrkes comme trbs simples et laissent de c6td l’essentiel de la vie psychologique; elles ne peuvent guhe expliquer les troubles de l’esprit, les crimes ou les dklires.

Sans critiquer le moins du monde la psychologie introspective qui reste put-btre la plus a e i e au point de vue mQtaphysique, il faut avoir le courage de nous faire une psychologie B notre usage, pour nous qui avons besoin de nous prkoccuper des nkcessit6s de la pratique. I1 nous faut considkrer la psy chologie d’une manibre vraiment objective et pour .cela changer le point de vue auquel on se place d’ordinaire. Pour le mkdecin, comme pour le natureliste, le veritable objet de la psychologie c’est le phknombne extkrieur qu’il voit chez ses melades, qu’il saisit par lea sene exactement comme le physicien et le chimiate. Pour lui la

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PIERRE JANET 3 psychologie est la description et la classification des conduites humaines, des comportements de l’homme dans les diffBrentes circonstanoes oh il eat place et la penshe n’est qu’une de ces conduites, une attitude, un langage analogue Q ceux que nous voyons au dehorn, mais que sea pro- portions rbduites nous dissimulent en partie. Le mouvement du corps et’le langage ne kont pas la condquence de la pensbe, ils en sont le point de dbpart. Admettre que le psychologue mkdecin, je ne parle pas du psychologue mktaphysicien, n’a rien Q chercher en dehors de ces conduites c’est B mon avis le seul moyen de rendre la psychologie accessible B. des mBdecins et de la replacer dans le csdre des sciences naturelles.

Une psychologie de ce genre commence Q se constituer dam les tra- vaux de ceux qui Btudient la psychologie animale. Mais cette Qtude se borne d’ordinaire B la description des comportements BlBmentaires de l’animal. Les mkdecins alibnistes qui bien avant les naturalistee avaient dBjQ commenck cette anal:se de la conduite ont besoin de pousser plus loin la mdme Btude et d’aborder au mdme point de vue dea conduites plus QlevBes, ces conduites sup6rieures que l’on considhe comme carac- thristiques de la vie humaine. Une psychologie aaiment medicale devra donc prhenter sous forme d’actione et de conduites les opkrations les plus Blevkes de l’esprit humain. Cela semble aujourd’hui diEcile et en apparence inintelligible. Je pense cependant que cette aeuvre pourra dtre rBalide g l c e 1 une ktude plus pBn6trante du langage et de son r6le dam lee actiona de l’homme: c’est dans cette direction que devra se d6- velopper la psychologie pratique dont nous avons besoin.

II. Mdme en se plapant B. ce point de vue que le philosophe trouvera

peut-dtre t r h restreint la psychologie a devant elle une tlche immense, car lea conduites de l’homme sont innombrables et infiniment varikes. Manger sa soupe ausai bien que’ fonder une famille, Bcrire un livre ou faire une confBrence B l’Univernit6 de Londres, ce sont des conduites qui Qvidemment ne sont pas pareilles. Lea moralea, lea litthratures, lea his- toires signalent de telles masses de conduites que nous sommea dkbordks et que now ne savons comment les sborder.

Les premiers psychologues, Q l’exemple des philosophes du 18me sihcle et des philosophes Ecossais, dhcrivaient ces actions en se plapant B un point de vue que j’appellerai le point de vue de la qualith. 11s dB- crivaient autant #actions diffhentes qu’il y a de mouvements diffbrenta: ih r6Qunieesient lea mouvementa qui se ressemblent soit par leur point de depart mit par les organee qui interviennent, tous lea actes d’alimenta-

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4 La Tension Psychobgique, ses Degrh, ses Oscillations tion ou tous les actes oh intervient le langage. C’est une classification nkcessaire sans doute mais encore bien confuse.

Une notion que les mkdecins commencent 21 introduire dans la de- scription des actes de leurs malades est la notion de force. Les philo- sophes convaincus que la penske n’a pas de force et qu’elle plane au- dessus ont peut-btre un peu trop nkgligk cette notion dans leur descrip- tion de l’esprit. On trouve bien dans la psychologie de Spencer des re- marques fort justes sur les actions qui mettent en jeu de gros muscles e t celles qui sont constitukes par le mouvement de petits muscles. I1 ex- plique par cette diffkrence la prkdominance des expressions dans les muscles de la face. Bien des philosophes ont insist6 sur l’kaonomie des forces qui rksulte des opkrations intellectuelles e t ont considkr6 la science comme un prockdk d’kconomie. Ces observations sont importantes mais sont bien disskminkes et l’ktude de la force des actes ne m: semble pas avoir dans la psychologie la place qu’elle mkrite.

Les observations de la psychologie pathologique nous obligent 21 don- ner beaucoup plus d’importance 21 la notion de la force dans les diverses conduites. Un grand nombre de troubles paraissent consister dans un affaiblissement de tel ou tel groupe de mouvements, par conskquent dans l’aff aiblissement d’une fonction psychologique. C’est lit le pro- bl&me des diverses asthknies localiskes. On connait des Bpuisements de la sensibilitk dont les plus intkressants sont les fatigues visuelles, les asthknopies, des affaiblissements permanents ou passagers des fonctions alimentaires, des fonctions sexuelles ; les kpuisements du langage, de l’attention, de l’kmotion mEme sont tr&s nombreux.

Plus intkressantes peut-&re sont les faiblesses gknkrales de toutes les fonctions psychologiques qui ont k t k si souvent dkcrites dans les ktudes sur Ies neurasthknies, sur les diverses asthknies psychologiques. Sans doute dans ces ktats, comme j’ai essay6 de le montrer 21 propos des psychasthkniques, il y a d’autres troubles que ceux de la simple faiblesse, mais il est important de constater et de distinguer les troubles de la con- duite qui dependent d’un affaiblissement.

La plupart des traitements des maladies nerveuses par le repos, par l’isolement dans des maisons de sant6, par la dissociation des idkes fixes et la liquidation des problemes qui tourmentent l’esprit ne sont en rhalith que des mbthodes pour Bconomiscr les forces. “La plupart des nkvropathes sont des dkprimks, des kpuisks, leurs troubles mentaux tirent leur origine de cette faiblesse meme. Si l’on me permet d’employer une comparaison empruntke au langage de la finance, toutes ces maladies ne sont au fond que diverses mani&res de faire faillite et de tomber dans

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PIERRE JANET la mishe, mais cette ruine, cette mishe ne semble pas avoir chez tous le mbme point de dkpart. La uns avaient d& le dkbut des ressources in- sufEaantes, lea autres ktaient obligks par les circonstances de dkpenser plus que leurs revenus. Beaucoup sont amenks la ruine parce qu’ils ont constamment une certaine dkpense supplkmentaire A ~ 6 t h de leur train de vie ordinaire et que cette dkpense cachke est trop considkrable pour leurs ressources. C’est ainsi que nous avons compris les souvenirs traumatiques et un grand nombre d’idkes fixes. La thkrapeutique dk- coule de cette interprktation, il faut fermer cette fuite: toutes les mk- thodes de dksinfection morale n’ont pas d‘autre but que de supprimer cette dkpense inutile. Comme le malade n’est pas capable de le faire tout seul, il faut l’amener iL liquider cette ancienne affaire qui le mine et lea revenus restants seront suffisants pour les dkpenses de la vie courantel.” La plupart des mkthodes de traitement psychologique sont donc bien des mkthodes d’kconomie qui d’une maniere ou d’une autre essayent de conserver et d’augmenter les forces psychologiques du malade.

I1 ne faut pas croire cependant que l’augmentation de la force soit toujours favorable: des faits bien curieux que j’ai rkunis sous le nom des “paradoxes de l’agitation ” montrent que les probkmes relatifs ti la force psychologique sont bien plus complexes. I1 n’est pas toujours exact que les nkvropathes et les aliknks fassent toujours immkdiatement des progrhs moraux quand ils ont k t 6 reposes et fortifiks. Moreau (de Tours) remarquait dbjh autrefois que certains malades ont des dklires furieux ap rh une bonne nuit de sommeil et qu’ils restent calmes s’ils n’ont pas dormi. J’ai eu l’occasion dans mon dernier livre sur “Les mkdications psychologiques” de dkcrire bien des cas de ce genre2. Au coum de cer- tains traitements reconstituants par des toniques divers on observe une augmentation de poids, une amklioration visible des forces qui per- mettent des actions plus puissantes, plus longues, plus rapides et en mbme temps une augmentation des souffrances, des obsessions, des dklires.

Le fait inverse est encore plus inthressant : il nous montre une amklio- ration de l’ktat nkaopathique au cours des maladies dkbihantes, apres les dkpenaes kpuisantes. La dernihe observation que je viens de recueil- lir peut btre considkrke comme le type d’un tres grand nombre d’autres. Un jeune homme de 35 ans ktait depuis plusieurs mois en pleine crise, incapable de tbute action, tourmentk par les doutes, les sentiments de dkchbance et de honte, et surtout par l’obsession d0 la mort et l’obses-

1 Leu mpdicationep8ych~logiquea, 1919, n. p. 303. a IU., n. p. 93.

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6 La Tension Psychlogique, sea Degrtk, ses Oscillations sion de la folie, en un mot il ktait dam une grande agitation anxieuee. I1 est atteint d‘une angine non diphthritique mais cependant trbs grave avec abchs du pharynx, tempkratures de 39 et 40 pendant plusieurs joure, suppression B peu prbs complete de l’alimentation et il doit sup- porter frkquemment des petites opbrations trbs douloureuses. Pendant ces semaines et pendant les suivantes il est extrdmement affaibli et peut B peine Be tenir debout; mais il prksente en m6me temps un changement radical et merveilleux. I1 n’a plus aucune anxiktd e t quoiqu’il ait B t 4 rkellement en danger il ne pense ni b la mort, ni B lafolie, il accepte les traitements avec la plus grande confiance sans kmettre aucun doute, il supporte courageusement les petites opdrations trbs pdnibles : “ ces souf- frances physiques, dit-il, ne sont rien b ~ 6 t h de mes anciennes soufiances morales,” il prend facilement des rksolutions importantes, en un mot tous les sympt6mes de la nbvrose semblent disparus. Les troubles psychologiques ne rkapparaissent que trois semaines aprbs la gukrison de la gorge au moment oh le malade semble reprendre ses forces.

On observe des faits analogues chez beaucoup de malades: une grippe, une f i h e typhoide, un krysipble dkterminent une skdation kton- nante des troubles nerveux. On connait beaucoup d’observations de mklancoliques momentankment gukris par une fievre typhoide, d’obskdks anxieux tout B fait calmks par des maladies fkbriles, d’bpileptiques mBme tres nombreux qui n’ont plus aucun acch pendant une pneumonie, ni pendant la convalescence. Aprbs avoir constatk des faits de ce genre dans une de mes anciennes observations, j’avais supposb que dans quelques cas l’amdlioration Btait due B la fievre, B une excitation en rapport avec l‘intoxication’. Cette explication ne convient pas B tous les cas, car l’amklioration est manifeste dans la pkriode de convalescence quand les malades n’ont plus de fievre et ne sont plus intoxiqubs, mais quand ils sont encore affaiblis. Dans tous ces ca8 l’affdblissement semble 6tre une condition de l’amklioration morale2.

Vest 1& ce qui explique le phknombne si curieux de la dkcharge : bien des troubles nerveux, les crises convulsives, les crises de pleura, les .grandes agitations semblent Btre de grandes dbpenses de forces. Com- ment se fait-il que souvent b la suite de ces phhombnes critiques on observe une certaine amblioration au moins apparente Z Combien de fois ne voit-on pas des malades agitds, anxieux, plus ou moins dblirants qui tombent dans dea crises convulsives, qui hurlent et se dkbattent pendant des heures, puis qui se relbvent sans doute avec une certaine fatigue,

l Etot mental dea hyetdrgues, 2me edition, 1811, pp. 668-609. a L ~ s d i d i o n s p q ~ h o l a g q w , 1919, n. p. 298.

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PIERRE JANET 7 mak avec un sentiment de calme dblicieux, plus heureux et en rbalitA plus normaux qu’avant la crisel? Bien des femmes B la suite d‘une Bmotion, d’m traces qaelconque sentent qu’elles ont besoin de remuer, de crier, de faire un exercice violent et dbclarent qu’elles se porteraient bien m i e u si elles pouvaient casser quelque chose.

Tous ces phbnomhnes nous montrent que la conduite est transformbe t a n a t par la diminution, t a n a t par l’augmentation de la force et nous font sentir de quelle importance serait une Qtude prkcise de cette force psychologique. Malheureusement cette conception de la force dans lea actes, dans la conduite est rest6e des plus vagues et il serait bien nbces- mire de la prbciser. Dans me8 Qtudes je me suis b o d B dQfinir cette force par les variations de trois caracthes, la puissance des mouvemente, leur durbe et leur rapidit& Des malades qui ne peuvent exbcuter une action cortectement que par des mouvements peu puissants, qui ne peuvent rbp5ter l’action ni la continuer, qui n’agissent correctement que s’ils agissent lentement sont des malades psychologiquement aff aiblis ; ils reprennent de la force quand l e u action tout en restant qualitative- ment la m6me prend lea caracteres opposbs.

Je crois bgalement qu’il serait bon dans les descriptions psycholo- giques de distinguer la force latente et la force vive. Certaines tendancea qui ne sont pas activbes possedent cependant m e grande force en rb- serve, en quelque sorte capitalishe. Cette force a’apparait pas directe- ment mais elle joue un grand r81e dens bien des faita psychologiques. I1 J a unb grande diffbrence entre des malades qui semblent bgalement dQprimQs suivant qu’ils ont ou qu’ils n’ont pas bpuisb leurs rbserves pro- fondes. Chez les uns une certaine stimulation, de grands besoins, des dangers pourront faire appel B ces rbserves e t les tirer de leur latence, cheb lee autres toute excitation de ce genre restera inutile. Les forces vives sont au contraire dea forces mobilisbes qui doivent se dbpenser immbdigtement dans des actions plus ou moins compl&tes2. Les diverses Qmotions sont fort diffhrentes suivant qu’elles Qveillent et mobilisent dea tendances plus ou moina puissamment chargbes. C’est la considBration de cea forcea mises en mouvement devant &re dbpensbes ou capitalides de nouveau qui explique les phhomenes d’agitation aujourd’hui plus ma1 connus que lea phbnomhes de dbpression. I! y a IS une foule de pro- blemes des plirs intAressants qui se rattachent B cette notion de force paychologique. Leur examen s’impose et leur Qtude doit &re jointe B I’ancienne description purement qualitative des actions humaines.

1 op. C i t . Ix. p. 300. * Op. cit. IL p. 293.

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8 La Tension Psychlogique, ses Degrh, ses Oscillations

111. Cette Qtude de la force des actes serait cependant bien insuffisante et

les paradoxes de l’agitation viennent de nous montrer qu’elle ne peut expliquer les changements singuliers de la conduite humaine. Beaucoup de malades agissent avec force, ont des actions puissantes, prolonghes, rapides et cependant prksentent des troubles considkrables qui montrent une allhation grave d‘une autre nature. I1 y a dans l’action des pro- prikt4s qui peuvent &re altkrkes par la maladie quoique la force reste intacte et quoique tous les mouvements considkrks en eux-mbmes soient restks possibles. I1 nous faut donc envisager certaines propriQtQs nou- velles de l’action qui lui donnent une perfection particuliere.

Un caractere de l’action se prksente alors 3t notre esprit et mkriterait d’avoir dans la psychologie une importance considkrable s’il pouvait plus facilement btre vkrifik, c’est le pouvoir de l’action ou, comme on l’a dit souvent, son “eficience’’ et la perfection de son adaptation. Les actions ont un but et la psychologie comme la physiologie ne peut se constituer sans une application perpktuelle de I‘idke de finalith. I1 s’agit toujours pour l’btre vivant de conserver sa vie, de se prot6ger contre les influences dangereuses et d’ktendre davantage sa puissance sur les btres qui l’environnent. A ce point de vue les diverses actions ont des valeurs trbs inkgales: certains actes, comme l’kcartement du bras 3t la suite d’une piqure ou d’un choc, sont des actions utiles sans doute mais d’une bien petite eficience. La piqure ou le choc ne sont supprimks qu’un instant, ils peuvent recommencer immddiatement et il faudra un nouveau mouve- ment d‘kcartement qui devra se rkpkter jusqu’A l’kpuisement. Ces actw ne protegent l’btre vivant que dans une trbs petite ktendue et dans un temps tres court. L’animal qui est capable de se dkplacer et de fuir 8. quelhue distance fera un acte kvidemment plus efficient car il se mettra 8. l‘abri bien davantage et il aura klargi 1’Qtendue oh il peut vivre en sQcurith. Les actions dans lesquelles entrent les souvenirs des dangers prkckdents, des prQcautions qui ont k tk utiles et les prkvoyances de l’avenir seront au point de vue de l’adaptation encore plus parfaites car elles klagiront non seulement l’espace mais encore le temps pendant lequel l’btre vivant protbge sa vie. En gknkral, car je ne puis entrer ici dam ces discussions philosophiques, le progrbs de l’action me parait ktendre sa puissance dans l’espace d’abord, puis dans le temps. Let3 premiers btres n’agissent que sur les objets immkdiatement voisins, nous sommes parvenus b envoyer des obus A une centaine de kilometres et nous pouvons Glkgraphier aux antipodes. Les esprits simples agissent

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PIERRE JANET 9 au.jour le lour e t sont tout au plus capables de prhparer leur nourriture pour le lendemain, l’homme supbrieur peut combiner des actions qui modifient la vie humaine pendant des annkes.

Si cela Qtait possible, la psychologie devrait indiquer l’efficience de chacune de nos actions et devrait les ranger en skrie suivant qu’elles ont un pouvoir plus ou moins ktendu. Cela est malheureusement bien diffi- cile, car dans le S U C C ~ S d’une action interviennent bien des facteurs ktrangers e t nous ne savons pas toujours de quoi dQpend le r81e de nos actions dans le monde. I1 faut nous resigner chercher des caractBres plus apparent8 qui permettent de mesurer cette perfection des actions.

C’est alors que nous pouvons remarquer l’importance au moins ap- parente de la complexit6 des actes. I1 y a des actions qui nous paraissent simples, quelle que soit la nature du mouvement exkcutk et quelle que soit sa force. Sans doute de tels actes contiennent toujours une stimula- tion A la pkriphkrie du corps, des phdnombnes nerveux conskcutifs e t de nombreuses contractions musculaires. Mais cette complexitQ est physio- logique, elle est A l’intbrieur du corps, si on se place B l’extbrieur du corps dans le domaine de la psychologie, on trouve que ces actions sont simples, car on ne peut pas les subdiviser sans qu’elles cessent d’btre des actes, des faits psychologiques. Le mouvement d’kcartement, l‘acte de rapprochement du corps, les actions simples d’absorption ou d’excrktion sont de ce genre.

I1 y a au contraire des actions Qvidemment complexes que nous pou- vons subdiviser en groupes de mouvements qui sont encore des actions: poursuivre une proie, faire un voyage comportent knormkment de petites actions successives ou simultankes qui sont rapprochkes. Souvent il ne s’agit pas seulement d’une juxtaposition d’actions mais d’une combinai- son d’actes dont chacun reste plus ou moins incomplet, plus ou moins transform6 pour pouvoir s’associer avec les autres. J’ai essay6 de mon- trer autrefois que les actes de l’intelligence Qlkmentaire comme lee actea relatifs au panier de pommes, au portrait, A l’outil, au chemin, etc. con- tenaient toujours au moins deux tendances combinkes et maintenues Q des niveaux diffkrents d’activation. C’est pour cela sans doute que des actes de ce genre se prksentent toujours sous un double aspect: remplir et vider le panier, faire e t reconnaftre le portrait, ranger l’armoire e t sortir les objets de l’armoire, parce que tan& l’une tant8t l’autre dea deux tendances constitutives prQdominel. Dana d’autres cas les ten- dances rQunies dans un seul acte sont encore plus nombreuses.

1 “La tension pyohologique,” JournaE de pychologie norm& et pathologique, 1916, p. 167.

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10 La Tension Psychologique, ses Degrh, ses Oscillations C’est aussi A la complexitk que l’on peut rattacher la difference frapq

pante que l’on constate entre les actions effectukes sans conscience, avec distraction et les actions accompagnkes de conscience personnelle, c’est B dire compliqukes par la reaction personnelle qui est l’essentiel de la con- science. C’est aussi B cette observation qu’il faut rattacher le difficult6 des actions sociales. Une action faite quand on est seul est tou’jours plus simple et plus facile qu’une action faite devant tkmoins. La presence d’autres hommes quand on la perpoit, apporte toujours de la compli- cation A l’action et cette complication va croissant dans les diverses actions sociales : l’acte accompli devant des spectateurs est plus simple que l’obkissance, l’obkissance quoique ddj B plus compliquke est plus simple que le commandement e t surtout plus simple que la collaboration qui demande des alternatives de commandement e t d’obkissance. C’est pourquoi il ne faut pas se figurer que l’on rend toujours une action plus facile quand on prktend aider celui qui agit. TrBs souvent cette aide complique knormkment l’action et tel malade peut encore faire une action quand il est tout seul, mais en devient incapable quand une autre personne veut le regarder, le surveiller, le commander e t surtout l’aider.

La complication ne signifie pas seulement la multiplicitk des actions successives ou simultandes qui sont dkclenchkes B la suite d’une seule stimulation, elle implique un autre caractBre, c’est l’unit4 de la com- binaison. Certains individus nous semblent faire des actions nombreuses, skparkes les unes des autres ayant chacune une courte ktendue dans Yespace et dans le temps: un petit oiseau vole, se pose, saute quelques pas, mange un grain, pousse un petit cri, selon des circonstances ex- tkrieures e t accidentelles sans que tous ces actes semblent rkunis entre eux. D’autre part nous savons que des hommes peuvent prkparer un projet d’avenir, le caresser pendant des mois e t des annkes, y subordon- ner toutes leurs actions, employer leur vie Q le rkaliser: lea actions sont alors ktroitement rkunies par une certaine unitd. De quoi dkpend oette unit42 I1 est probable qu’une certaine tendance est maintenue prksente ii un degrk d’activation plus ou moins complet pendant toute la skrie des actions partielles qui sont modifides par sa prdsence. Mais peu im- porte en ce moment: il nous suffit de constater ce degrk plus ou moins grand d’unification des actions complexes. C’est ce caractere qui se re- trouve dans une foulc de ph6nomBnes psychologiques, dam la rkflexion prolongke, dans le projet, dans l’essai, dans la recherche scientifique, dans une foule d’actions importantes e t puissantes.

Une autre notion doit s’ajouter B ces remarques sur les degrks de complication de l’action, c’est la notion de l’kvolution des tendances.

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PIERRE JANET 11 Les tendances qui constituent l’esprit n’ont pas toutes $tk fomkes. au mdme moment: lea unes sont bien plus rkcentes que lea autres. Il y a en now des tendances anciennes contemporaines des premiers animaux, d’autres ont ktk acquises par lea premiers hommes, certaines acquisi- tions sont de date rkcente et enfh certaines actions sont transform4es par nous-mbmes dam le moment prksent. Ces diverses tendances B des actes de plus en plus compliquks et de plus en plus rkcents se super- posent lea unes aux autres A propos d’un mbme objet. I1 semblenen ap- parence qu’il s’agit d’une seule et mdme fonction qui se complique de plus en plus. Toutes lea fois que lea hommes prennent de la nourriture, il s’agit en somme de l’acte de manger. Mais cet acte de l‘alimentation ne reste simple que dans des cas tr&s particuliers; il se complique t r h vite si nous devons manger devant d’autres hommes et en d m e temps qu’eux, il peut devenir trbs delicat quand il doit se faire suivant cer- taines r6gles du savoir vivre et quand en le faisant nous nous exposom B la critique des autres. C’est ce que je montrais autrefois quand j’es- sayais d’indiquer combien la simple alimentation differe de l’acte de diner en ville en portant un habit noir et en parlant 8. SCI voisine. I1 en eat de mdme pour lea actes gknitaux qui ont une base trbs simple et tres ancienne et qui se compliquent 8. l’inhi par l’addition de tendances socialea, puis d’actes intellectueh 8. propos de conskquencea possibles, puis de tendances 8. la critique morale, etc. On croit qu’il s’agit toujours de la mdme action, mais en rkalith l’acte s’est transform6 en se perfec- tionnant et en devenant plus adapth par l‘kvolution. I1 a pris une per- fection toute particubhe, bien distincte de sa qualit6 primitive et mdme de sa force.

Si tous ces caracMres d’eficience, de complexitk, de systematisation, d‘bvolution ktaient bien connus Q propos de chaque action, il serait facile d‘apprkcier l’acte et de noter son degrk de perfection. Mais toutes ces ktudes sont rudimentaires et encore bien difficiles, aussi me aemble-t-il intkresaant d‘insister sur une mkthode d‘observation qui peut en pratiqub nous renseigner assez bien Bur le degrk d’kvolution des ache et sur leur degr6 de perfection psychologique.

Now observons facilement par l’ktude des diverses maladies mentales que lea tendances lea plus r6centes sont de toutes lea plus fragiles. On s’ktonne Q tort de voir qu’up malade ne modifie pas sea conviotions par l’expkrience des insuccBs, de constater qu’il est inaccessible 8. l’expkri- 0nce. L’aptitude 8. modifier sea tendances non par l’habitude, mais par un petit nombre d’expkriences auxquelles on attribue une grande force, eat une disposition trBs r6cemment acquise, qui n’est mdme pas encore

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12 La Tension Psychologique, ses Deqrh, ses Oscillations &gale chez tous les hommes et qui disparaft tr&s aiskment. On parle 58110

ceme des troubles de la mkmoire, de l’incapacitk de fixer des souvenirs nouveaux, de la maladresse pour utiliser les souvenirs, pour appeler au secoum dans une situation prksente tous les souvenirs qui s’y rattachent. Mais il faut bien comprendre que la mkmoire est une operation fort Blevbe et tardive et que l’usage de la mkmoire personnelle dans la con- duite est une sorte de mkthode experimentale qui s’est dkveloppde plus tard encore et que toutes ces operations fragiles sont tr&s aiskment at- teintes par la maladie. Les actes compliquks et systkmatises sont atteints de la m&mc maniQre: nous venons de voir que l’alimentation et lea actes sexuels se sont infiniment compliquks, c’est pourquoi il y aura si facilement des troubles du diner en ville, c’est pourquoi il y aura toute une pathologie des fianpailles et du voyage de noces. Enfin il est kvident que la maladie rkduit l’efficience des conduites: le malade est de plus en plus incapable d’ktendre son action dans l’espace et dans le temps et A la fin le dkment ne peut m&me plus entretenir sa vie sans le secours des personnes qui l’entourent.

Si lee actes les plus dlevks et les plus parfaits disparaissent les pre- miers, au contraire les actes priniitifs et simples subsistent plus long- temps et souvent se prksentent m2me avec une force plus considkrable. M. Head nous a montrk dans un domaine plus restreint oh les vkrifica- tions scientifiques sont plus precises la disparition de la sensibilite bpi- critique et la persistance ou meme I’augmentation de la sensibilitk proto- pathique dam les altkrations du syst&me nerveux. Au fond c’est l A un fait bien simple: apr&s les terribles bombardements qui ont dkvasth nos villes, les toits des maisons et leu ktages supkrieurs sont dktruits mais les caves subsistent e t prennent m&me plus d’importance car on se met A les habiter. Inversement quand la maison se reconstruit ou quand les maladies mentales se gukrissent et que les fonctions mentales se restau- rent, on voit les caves et les fonctions infkrieures perdre de leur impor- tance, on voit au-dessus rkapparaitre les actes plus compliquks et plus recents et enfin les plus parfaits viennent restaurer le sommet de 1’Qdifice.

Ces ktudes sup les dkcadences graduelles e t les restaurations progres- sives au cours des maladies de l’esprit peuvent nous procurer une mk- thode pour apprkcier la valeur de telle ou telle opkration psychologique dont nous apprkcions ma1 la complexitk e t 1’Qvolution. Prenons comme exemple les operations psychologiques si importantes qui sont csrac- teriskes par le travail. Nous verrons dans notre prochaine lepon que le travail. joue un rale considerable dans une foule de ‘conduites. I1 est facile de rechercher ce que deviennent ces conduites du travail chez lee

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PIERRE JANET 13 malades qui ont des nevroses pbriodiques avec abaissement et re lhe- ment progressif et rbgulier de l’esprit. Le travail est trouble ou diaparait dans la plupart des nkvroses depressives et cela d& le dbbut. Lea tics professionnels, les phobies et les obsessions professionnelles, lea aboulies professionnelles sont bien connues. D& que la depression est profonde, tout travail devient impossible et cependant bien des operations psycho- logiques, le raisonnement, l’imagination, le langage, les perceptions sub- sistent parfaitement. D’autre part, quand le malade se relbve, le travail rkapparait graduellement en passant d’une manibre inverse par lee mbmes phases qu’au dkbut. N’est-il pas logique d’en conclure que le travail est une opdration compliquee et tardive qui s’Q1bve au-dessus de la plupart des autres opbrations psychologiques? La meme Btude peut btre faite sur les autres opkrations mentales, soit chez les mbmes malades, soit chez ceux qui prksentent des abaissements profonds et subita dans des syncopes, dans des acc&s Bpileptiques et chez lesquels on peut aa- sister au rkveil, au relbvement graduel des fonctions.

Ce sont ces diverses Qtudes d’analyse psychologique, d’histoire de l’bvolution humaine et d’observation mkdicale qui peuvent nous fournir les blements du tableau hibrarchique des tendances psychologiques. Ce tableau si important disposerait toutes les actions les unes au-dessus des autres suivant leur ordre de perfection et d’bvolution. Sans doute noua rencontrerons bien des di&cultbs, car lee actions humaines peuvent prendre bien des aspects diffkrents: une action inferieure peut simuler une action Rupkrieure qui est en rkalitA absente, la mbme action peut ne pas avoir la meme valeur chez tous les hommes. Mais toutes ces diffi- cultes peuvent btre diminukes par des examens soigneux et des com- paraisons suffisamment larges et on trouvera que les grandes lignes de cette hihrarchie sont ZI peu prbs les mbmes chez tous les hommes.

Nous rencontrons Bgnlement bien des difficult68 quand nous essayons d’appliquer ces notions sur la valeur hidrarchique des actes B des con- duites complexes prolongees pendant un certain temps. Ces conduites contiennent des actes nombreux qui semblent btre de valeur inkgale. I1 est probable cependant que ces diverses actions sont moins diffbrentes. qu’ellea ne paraissent et qu’elles appartiennent pour la plupart un mbme niveau. I1 faut d‘ailleurs tenir compte surtout du niveau des actes les plus Qlevks qui donnent leur caractere ZL la conduite considbrhe. D’autre part tous ces actes surtout les plus klevQs ne sont pas toujours terminks et n’arrivent pas toujours B leur activation complbte: une ten- dance A la rkflexion, A l’effort moral qui reste A 1’Qtat imparfait de d6sir n’a pas la mbme valeur qu’un acte de rb3exion ou de travail entihrement

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14 La Tension Psychologique, ses Degre‘s, ses Oscillations effectuk. J e ne fais que signaler ces difiicultks d‘apprkciation, car je crois qu’elles peuvent Btre surmondes et qu’il est trhs important d’ap- prkcier les conduites 8. ce point de vue.

I1 nous faut donc ajouter 8. la notion de la hikrarchie des tendances celle de la tension des conduites ou de la tension psychologique en gknkral. I1 y a des conduites de basse tension dans lesquelles des ten- dances infkrieures sont seules en exercice et des conduites de haute ten- sion qui rkclament la mise en jeu de tendances klevkes dans la hik- rarchie et leur activation compl8te. Un esprit aura une faible tension quand il sera forck de se contenter souvent des actions du premier genre, il aura une forte tension quand il exkcutera facilement et frkquemment des actions du second genre. I1 y aura d’ailleurs entre ces deux extremes d’innombrables intermkdiaires. D’une maniBre gknkrale le degrk de la tension psychologique ou l’klkvation du niveau mental d’un individu dkpend du degrk qu’occupent dans la hikrarchie les tendances qui fonc- tionnent en lui et du degrk d’activation auquel il peut porter les plus kIev6es de ces tendances. Ainsi entendue la tension psychologique joue un r61e extsmement important dans l’interprktation des conduites nor- males ou pathologiques et dans l’intelligence des caracthres.

Pour ne prendre que quelques exemples, la mesure de cette tension nous permettra de determiner les conduites de mBme niveau qui seules peuvent &re cornparkes entre elles et considkrkes comme kquivalentesl. Elle permettra surtout de comprendre les lois de la force psychologique, car la force mesurke seule ne donne aucun renseignement prkcis sur la. valeur d’une conduite et nous amhne ti ces contradictions bizarres que nous venons de signaler. Comme je le disais dans mon dernier livre, I1 est probable que dans la conduite normale chez des individus bien kqui- librks une certaine relation doit &re maintenue entre la force disponible e t la tension et qu’il n’est pas bon de conserver une grande force quand la tension a baissk, il en rksulte de l’agitation et du dksordre2. Une com- paraison permet d’illustrer cette loi peu connue : des individus qui n’ont pas l’habitude de l’ordre e t de l’kconomie ne savent pas se conduire e t font des actes dangereux s’ils ont entre les mains tout d’un coup une grosse somme d’argent. “Si je me suis abominablement enivrke,” me dit une pauvre femme, “c’est la faute de mon patron qui m’a remis 8. la fois 70 francs; je ne puis tolkrer ti la fois que 25 francs, que voulez-vous, 70 francs je ne sais qu’en faire, alors je les bois.” La tension psycholo- gique grace A l’exbcution des actes klevks qui sont coQteux et avantageux,

1 Lea d i c e t i o m p y c h o l o g i p w , 1919, II. pp. 18, 19. ’ Op. dt . u pp. 301-303.

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PIERRE JANET 15 grLce It la mise en reserve qui rbsulte des derniers degrbs de l’activation pemet d’utiliser de grandes forces disponibles. Mais quand cette ten- sion reste faible il vaut mieux ne disposer que de petites forces et par consequent il est dans certains cas avantageux de dissiper les forces sur- abondantes d’une manihre quelconque afin de retablir la proportion entre la force et la tension. Telle est l’idee gbnerale de la dbcharge qui doit jouer un r6le important dans l’interprbtation de beaucoup de phenombes pathologiques.

Cette influence de la tension sur la repartition des forces semble db- pendre de ce fait c’est qu’une action Qlevde dbpense de la force et l’em- ploie d’une manihe particuli8re. Quand une action est supbrieure B une autre la force qu’elle exige pour s’accomplir semble btre bien supkrieure A celle qui est nbcessaire pour l’acte inferieur. On peut le constater en btudiant le phQnomBne si curieux de la derivation oh des actes tres nom- breux depensant une force considkrable semblent remplacer un seul acte supkrieur en apparence tr&s simple qui n’a pas pu dtre executkl. Sans doute les actes de haute tension qui semblent si coiiteux peuvent dans certains cas devenir dangereux et determiner de l’kpuisement. Mais d’autre part ces actes supbrieurs, quand ils peuvent dtre exbcut4e cor- rectement, non seulement modifient le monde d’une manihre puissante et durable, mais encore transforment l‘esprit, arrbtent lea agitations et determinent la formation des tendances nouvelles : quoique coilteux ils constituent un placement des plus avantageux.

Ces considerations un peu terre B terre me semblent aujourd’hui necessaires dans une etude psychologique qui puisse devenir pratique- ment utile. Les applications pratiques de la psychologie rbclament avant tout une description et une analyse des conduites et des actes qui les constituent. Ces actes ne doivent pas seulement 6tre Qtudies dans leur qualitb, mais encore dans leur force et dans leur degrb de perfection. De telles etudes sont encorl B leur dbbut et j’ai simplement essay6 de vous en indiquer l’intkrbt.

Op. cit. u. pp, 78, 79; cf. O b e m et pychuaidnie, 1903. T. p. 559.

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