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http://lib.uliege.be https://matheo.uliege.be La succession d'entreprise familiale : la transmission père-fille. Auteur : Bourion, Mathilde Promoteur(s) : Surlemont, Bernard Faculté : HEC-Ecole de gestion de l'Université de Liège Diplôme : Master en sciences de gestion, à finalité spécialisée en management général (Horaire décalé) Année académique : 2017-2018 URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/5345 Avertissement à l'attention des usagers : Tous les documents placés en accès ouvert sur le site le site MatheO sont protégés par le droit d'auteur. Conformément aux principes énoncés par la "Budapest Open Access Initiative"(BOAI, 2002), l'utilisateur du site peut lire, télécharger, copier, transmettre, imprimer, chercher ou faire un lien vers le texte intégral de ces documents, les disséquer pour les indexer, s'en servir de données pour un logiciel, ou s'en servir à toute autre fin légale (ou prévue par la réglementation relative au droit d'auteur). Toute utilisation du document à des fins commerciales est strictement interdite. Par ailleurs, l'utilisateur s'engage à respecter les droits moraux de l'auteur, principalement le droit à l'intégrité de l'oeuvre et le droit de paternité et ce dans toute utilisation que l'utilisateur entreprend. Ainsi, à titre d'exemple, lorsqu'il reproduira un document par extrait ou dans son intégralité, l'utilisateur citera de manière complète les sources telles que mentionnées ci-dessus. Toute utilisation non explicitement autorisée ci-avant (telle que par exemple, la modification du document ou son résumé) nécessite l'autorisation préalable et expresse des auteurs ou de leurs ayants droit.

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La succession d'entreprise familiale : la transmission père-fille.

Auteur : Bourion, Mathilde

Promoteur(s) : Surlemont, Bernard

Faculté : HEC-Ecole de gestion de l'Université de Liège

Diplôme : Master en sciences de gestion, à finalité spécialisée en management général (Horaire décalé)

Année académique : 2017-2018

URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/5345

Avertissement à l'attention des usagers :

Tous les documents placés en accès ouvert sur le site le site MatheO sont protégés par le droit d'auteur. Conformément

aux principes énoncés par la "Budapest Open Access Initiative"(BOAI, 2002), l'utilisateur du site peut lire, télécharger,

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LA SUCCESSION D’ENTREPRISE

FAMILIALE :

LA TRANSMISSION PERE-FILLE

Promoteur : Travail de fin d’études présenté par

Bernard SURLEMONT Mathilde BOURION

Lecteurs : En vue de l’obtention du diplôme de

Fabrice PIRNAY Master en sciences de gestion à finalité spécialisé

Frédéric LOVERIUS en management général

Année académique 2017/2018

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REMERCIEMENTS

Je remercie premièrement M. Bernard SURLEMONT, le Promoteur, d’avoir accepté ce rôle

et d’avoir manifesté de l’intérêt pour mon travail.

Je remercie également M. Fabrice PIRNAY et M. Frédéric LOVERIUS, les Lecteurs, pour

leur aide et les conseils bienveillants qu’ils m’ont apportés.

Je tiens aussi à remercier les différentes personnes et organismes, notamment la Chambre de

Commerce et d’Industrie des Vosges et l’Institut des Entreprises Familiales, qui ont accepté

de me rencontrer pour répondre à mes questions.

Il va de soi que je remercie les 7 filles d’entrepreneurs qui ont accepté de s’entretenir avec

moi et qui m’ont accordé le temps nécessaire pour l’enquête qui constitue une part importante

de ce travail.

Mes remerciements se tournent aussi à ma famille pour leur soutien, à mon conjoint et à mes

collègues pour la patience dont ils ont fait preuve.

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TABLE DES MATIERES

1 INTRODUCTION .............................................................................................................. 8

2 CADRE THEORIQUE .................................................................................................... 10

2.1 Contexte ..................................................................................................................... 10

2.1.1 Entreprise familiale ............................................................................................ 10

2.1.2 Femme et entreprise familiale ............................................................................ 12

2.1.3 Succession intrafamiliale .................................................................................... 14

2.2 Revue de littérature : la succession d’entreprise familiale père - fille ....................... 19

2.2.1 Profils et motivations ......................................................................................... 19

2.2.1.1 Les motivations de la fille-successeur ........................................................ 19

2.2.1.2 Les aspirations du père-cédant .................................................................... 21

2.2.2 Responsabilités et rôles ...................................................................................... 22

2.2.2.1 Les conflits de rôles entre la femme d’affaires et la « fille à papa » .......... 22

2.2.2.2 Le rôle du père ............................................................................................ 23

2.2.2.3 L’interférence entre le rôle du père et celui de la fille ................................ 25

2.2.2.4 La synchronisation des cycles de vie .......................................................... 26

2.2.2.5 L’influence de la mère ................................................................................ 29

2.2.3 Communication et connaissances ....................................................................... 30

2.2.3.1 La communication globale .......................................................................... 30

2.2.3.2 Les niveaux de communications entre le père et la fille ............................. 32

2.2.3.3 L’interaction avec les membres de la famille ............................................. 33

2.2.4 Crédibilité et légitimité ....................................................................................... 38

2.2.4.1 L’acceptation du successeur ....................................................................... 38

2.2.4.2 Les effets de genre ...................................................................................... 40

2.2.5 Management et stratégie ..................................................................................... 44

2.2.5.1 L’apport des femmes dans l’entreprise ....................................................... 44

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2.2.5.2 Le transfert de leadership ............................................................................ 46

2.2.5.3 L’évolution de l’entreprise en termes de performances .............................. 48

3 CADRE METHODOLOGIQUE ...................................................................................... 50

3.1 Méthode ..................................................................................................................... 50

3.1.1 Objectifs ............................................................................................................. 50

3.1.2 Echantillon ......................................................................................................... 50

3.1.3 Collecte de données ............................................................................................ 53

3.1.4 Analyse des données .......................................................................................... 53

3.2 Résultats ..................................................................................................................... 54

3.2.1 Profils des entreprises ......................................................................................... 54

3.2.2 Profils des interviewées ...................................................................................... 54

3.2.2.1 La formation ................................................................................................ 55

3.2.2.2 L’expérience................................................................................................ 55

3.2.2.3 La composition familiale ............................................................................ 56

3.2.3 Conditions de la reprise ...................................................................................... 56

3.2.3.1 L’élément déclencheur ................................................................................ 56

3.2.3.2 Le processus de succession ......................................................................... 57

3.2.3.3 Le parcours et le poste occupé dans l’entreprise familiale ......................... 57

3.2.4 Défis personnels ................................................................................................. 59

3.2.4.1 Les motivations ........................................................................................... 59

3.2.4.2 Les avantages et inconvénients ................................................................... 60

3.2.4.3 Les effets de genre ...................................................................................... 61

3.2.4.4 La remise en question ................................................................................. 62

3.2.5 Défis relationnels ................................................................................................ 62

3.2.5.1 Le père-cédant ............................................................................................. 63

3.2.5.2 La famille .................................................................................................... 64

3.2.5.3 Le personnel interne .................................................................................... 65

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3.2.5.4 Les acteurs externes .................................................................................... 66

3.2.6 Défis organisationnels ........................................................................................ 67

3.2.6.1 La communication ...................................................................................... 67

3.2.6.2 Les conflits .................................................................................................. 68

3.2.7 Apports des filles-successeurs dans l’entreprise familiale ................................. 69

3.2.8 Recommandations des interviewées ................................................................... 71

3.3 Discussion des résultats ............................................................................................. 72

4 CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS ................................................................ 74

5 BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................... 78

6 LISTE DES FIGURES ..................................................................................................... 84

7 LISTE DES TABLEAUX ................................................................................................ 86

8 ANNEXES ....................................................................................................................... 88

8.1 Guide d’entretien ....................................................................................................... 88

8.2 Transcriptions des interviews .................................................................................... 92

8.2.1 Fille n°1 .............................................................................................................. 93

8.2.2 Fille n°2 ............................................................................................................ 104

8.2.3 Fille n°3 ............................................................................................................ 120

8.2.4 Fille n°4 ............................................................................................................ 141

8.2.5 Fille n°5 ............................................................................................................ 154

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1 INTRODUCTION

En partant du constat que les entreprises familiales représentent une part importante de

l’économie1 et que la succession constitue pour elles un tournant important

2, de nombreuses

études se sont penchées sur le sujet afin de comprendre les mécanismes permettant de

surmonter cette étape pour en assurer la pérennité. D’autre part, un certain nombre de

publications se sont penchées sur les problèmes rencontrés lors de succession intrafamiliale,

notamment entre les acteurs, sur les différents enjeux et défis que chacun doit relever. Un

autre constat est qu’il y a peu d’études sur les filles-successeur3 et que la place des femmes au

sein du monde professionnel est en train de changer. Aujourd’hui, les femmes aspirent de plus

en plus à des postes à responsabilités et osent davantage s’affirmer.

Force est de constater que recouper ces sujets laisse entrevoir de nombreuses possibilités sur

l’évolution des femmes au sein des sociétés et notamment dans les entreprises familiales. La

question est donc de savoir qu’en est-il des femmes désireuses de vouloir reprendre

l’entreprise familiale de leur père ? Comment se déroule le changement d’identité dans

l’entreprise suite au changement de direction ? Quelle position adoptent la famille et les

employés face à ce changement ? Comment le père et la fille vont vivre ce tournant ? Et

comment vont-ils réagir ?

Motivé par mon futur projet de reprendre l’entreprise familiale détenue par mon père, ce

mémoire est avant tout un guide quant aux relations entretenues entre le père et la fille tout au

long de ce processus complexe en y intégrant l’influence de la sphère familiale et de

l’entreprise. Au-delà de l’existence de différences qui persistent lors des successions en

termes de genre, je souhaite avant tout combiner le maximum d’informations liées à la

succession et au défi de l’héritière pour avoir une idée des challenges à relever mais

également du déroulé du processus. Peu d’études se sont déjà penchées sur le sujet de la

reprise et du vécu des filles dans ces conditions. Cette recherche permet d’apporter davantage

d’informations sur des femmes ayant repris l’entreprise de leur père ou étant encore engagées

dans le processus de succession. Ce travail cherche la confrontation du vécu de ces femmes

afin de permettre aux filles motivées par la succession de connaitre les challenges qu’elles

devront surmonter et ainsi offrir une meilleure visibilité sur ce qui les attend.

1 Cadieux, Lorrain et Hugron, 2002 ; Le Breton-Miller et Miller, 2016

2 Crutzen, Pirnay et Aouni, 2012

3 Crutzen et al., 2012 ; Koffi et Lorrain, 2005 ; Richomme-Huet et d’Andria, 2012

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Mon cas se situe à un stade plutôt précoce du processus, cette étude est pour moi une manière

de me préparer mais également d’informer mon père sur la relation que nous allons entretenir

lorsque que je me joindrai à lui dans l’entreprise. J’accorde une grande importance aux

rapports que je vais avoir aussi bien avec lui mais également avec les acteurs de l’entreprise et

de la famille. Pour rédiger ce travail, je pars du constat que la fille du père-cédant souhaite

reprendre l’entreprise familiale et qu’elle a affirmé son choix auprès de la famille et du père

qui approuvent cette décision. A ce jour, ce dernier ambitionne de partir en retraite dans

quelques années et commence à préparer les possibilités quant à la reprise de sa fille, qui n’est

pas présente dans l’entreprise. Quant à son fils, ce dernier est au courant des motivations de sa

sœur mais ne souhaite pas intégrer la société et la question ne s’est jamais posée auparavant.

L’influence de la fratrie n’est donc pas prise en compte dans ce travail. L’entreprise familiale

est une entreprise de maintenance industrielle : un secteur d’activité à prédominance

masculine.

Ce travail sera donc constitué en 2 grandes parties : la recherche et l’exploration. Il ne sera

pas organisé en fonction des étapes de la succession mais en fonction des différentes

problématiques que la fille va rencontrer tout au long de la succession. Premièrement, nous

présenterons succinctement un état des lieux de manière à appréhender le succès des

entreprises familiales et l’engouement pour l’entreprenariat féminin et ses spécificités. Cette

partie contexte sera également complétée par les entrants et aboutissants de la succession

intrafamiliale et du processus qui lui incombe. Une revue de littérature viendra présenter les

motivations du père et de la fille et des rôles que chacun devra interpréter au fil du processus.

Cette partie évoquera également quelques notions importantes et clefs de la réussite de la

succession, comme la communication et la légitimité du successeur. Enfin cette partie se

terminera sur les pratiques du père cédant et de la fille successeur dans l’entreprise. La

seconde partie sera dédiée à la méthodologie adoptée pour l’étude qualitative auprès des 5

différents sujets interrogés. Une analyse des résultats s’en suivra de manière à confronter les

énoncés de la littérature. Afin d’illustrer mes recherches, j’ai souhaité interroger des filles

d’entrepreneur ayant été dans mon cas, mais étant à un stade plus avancé voir finalisé du

processus afin d’avoir un retour d’expérience. Pour finir, la clôture permettra de tirer une

conclusion générale sur le travail ainsi que sur la problématique posée et d’observer les

limites de l’étude de manière à fournir, pour les filles dans ce cas, des recommandations pour

la succession qui seront également bénéfiques aux différentes parties prenantes du processus.

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2 CADRE THEORIQUE

2.1 CONTEXTE

Afin de comprendre l’importance de ce travail, pour les filles de cédant, la première partie

évoquera l’étendue des entreprises familiales sur le marché économique et l’importance

d’accorder aux femmes leur chance de les intégrer pour y jouer un rôle qui peut s’avérer

nécessaire. La succession étant le moyen d’accéder à l’entreprise dans notre cas, une partie lui

sera consacrée pour en comprendre les enjeux.

2.1.1 ENTREPRISE FAMILIALE

L’entreprise familiale se définit par la prédominance d’une démarche multicritère comme

l’importance de l’engagement de la famille dans le capital et la gestion quotidienne d’une

entreprise (Lambrecht et Pirnay, 2009). La seconde principale caractéristique est le désir de

continuité par la volonté réelle de transmettre l’entreprise à la génération suivante (Cadieux,

Lorrain et Hugron, 2000). De nombreux auteurs cherchent à définir l’entreprise familiale sous

plusieurs angles mais ce sont ces particularités qui sont intéressantes pour cette étude.

Selon Ghannam et Hanine (2016), les entreprises familiales composeraient 40% à 88% des

entreprises d’un pays dans le monde. Elles occupent des places de plus en plus importantes

sur le marché économique (Vera et Dean, 2005) et font couler beaucoup d’encre de par leur

attractivité. L’attraction vers ce type de structure se justifie par la complexité de ce système et

par la dynamique qui en découle.

Les entreprises familiales sont considérées comme des systèmes : des entités à part entière de

par leur dynamique autour de la sphère familiale et de l’entreprise qui forment ses sous-

systèmes. On parle alors de dynamique car ces derniers évoluent (Lambrecht et Pirnay, 2009).

Il n’est pas possible de séparer les sous-systèmes, créant ainsi une dynamique complexe et

spécifique à ce type d’entreprises. Néanmoins, cette complexité reste intéressante par la

synergie qui s’en dégage dont l’apport est nettement plus important que la simple addition de

ces sous-systèmes (Crutzen et Pirnay, 2013).

En somme, l’entreprise familiale se compose de plusieurs grands sous-systèmes qui sont la

famille, l’entreprise mais également l’individu lui-même. Ces derniers s’influencent

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continuellement et jouent un rôle dans le système global (Lambrecht et Pirnay, 2009). Toute

la complexité des entreprises familiales provient de ses sous-systèmes qui doivent réussir à

cohabiter et collaborer afin que chacun puisse évoluer selon sa dynamique et dégager un

avantage concurrentiel (Lambrecht et Pirnay, 2009). Plusieurs externes sont impliqués dans la

succession (Barach et Ganitsky, 1995), qui peuvent jouer une influence, tels que les employés

de l’entreprise mais également les clients et les fournisseurs, notamment au cours de la

succession.

FIGURE 1 : INTERACTIONS DES PARTICIPANTS DANS L'ENTREPRISE FAMILIALE (BARACH ET

GANITSKY, 1995)

L’entreprise familiale diffère des autres entreprises notamment pas les différents rôles que la

famille occupe, particulièrement à des postes de direction. L’entreprise dite familiale est une

entité unique bénéficiant de l’orientation exceptionnelle que peut apporter la famille

(Lambrecht et Pirnay, 2009). Néanmoins, ce qui la caractérise davantage, c’est ce dont nous

avons évoqué précédemment qui est la volonté de continuité et donc la problématique de la

transmission et du transfert du capital (De Freyman & Richomme, 2009).

C’est sur de telles observations et sur l’essence même des relations entre le prédécesseur et le

successeur que ces travaux ont été orientés en étudiant les relations père-fille mais également

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celles de la famille. De nos jours, on dénombre 30% d’entreprises familiales qui vont faire

face à la succession dans les 5 prochaines années et seulement un tiers d’entre-elles devraient

y arriver (KPMG, 2016). L’opportunité de laisser la chance aux filles qui sont de plus en plus

nombreuses à succéder à leur père est à saisir. Il est par conséquent indispensable de

comprendre les défis auxquels elles vont se confronter lors du bouleversement induit par la

succession de ses sous-systèmes et des parties prenantes.

2.1.2 FEMME ET ENTREPRISE FAMILIALE

Pendant très longtemps, dans la littérature traitant du sujet général des entreprises familiales,

les femmes en tant que propriétaires et dirigeantes ont été mises de côtés (Dumas 1992),

laissant la priorité aux contextes associés à la primogéniture et au patriarcat.

Bien que les entreprises familiales fassent parler d’elles, peu d’auteurs se sont penchés sur le

thème de l’implication et de la reprise d’entreprise par les femmes, en particulier dans le

contexte d’une entreprise familiale (Danes et Olson, 2013 ; Dumas 1998). De nombreux

auteurs étudient ces entités mais la plupart ne prennent pas en compte le sexe du cédant ou du

repreneur, et n’envisagent pas la transmission de l’entreprise familiale sous l’angle du genre

(Constantinidis, 2006).

En 2009, en France, 20% des femmes reprenaient une entreprise par héritage ou donation

(APCE, 2009, cité par Richomme-Huet et d’Andria, 2012). D’une manière générale, les cas

de successions familiales, quel que soit le type de transmission, dans laquelle la femme est

identifiée comme successeur, sont plutôt rares (Richomme-Huet et d’Andria, 2012).

Identifiées comme des « successeurs invisibles », rarement comme naturelles (Dumas, 1989)

le potentiel des filles en tant que successeurs de l’entreprise familiale est souvent inexploité

ou sous-exploité (Constantinidis, 2010). Peu importe la taille ou le secteur de l’entreprise, les

femmes sont encore confrontées à la barrière du genre qui les empêche d’accéder à des postes

de direction (Richomme-Huet et d’Andria, 2012). La littérature met aussi en évidence que les

entreprises familiales sont davantage reprises par des hommes que par des femmes

(Constantinidis et Santin, 2008).

D’après une étude, les postes de direction sont tenus à 77% par des hommes contre seulement

23% pour les femmes, parmi ces dernières, 80% accèdent à ce type de fonctions car elles sont

issues de la famille propriétaire (Crédit Suisse, 2016). Cependant, plus de femmes accèdent à

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des postes de direction par la création d’entreprise que par la succession (Vera et Dean, 2005).

L’influence du genre sur les dynamiques de la famille et de l’entreprise familiale a donc un

sens pour étudier les différents faits dans ce contexte prédéfini par les normes sociales

(Constantinidis et Nelson, 2009).

Toutefois, les femmes sont de plus en plus présentes dans les entreprises familiales (Dumas,

1998) notamment à des postes de direction (Vera et Dean, 2005) et les critères pour devenir

un successeur légitime s’appliqueraient aussi bien aux femmes qu’aux hommes (Bayad et

Barbot, 2002). Néanmoins, d’après Richomme-Huet et d’Andria (2012), les femmes héritent

d’une entreprise moins fréquemment que les hommes. Cela serait expliqué par la solidité des

stéréotypes persistants et définirait alors la succession à la fille comme un phénomène

extraordinaire.

Initialement, la composition de la fratrie de la famille conditionnait les filles en termes de

motivations, de parcours et de visions sur la succession familiale (Constantinidis et Santin,

2008). De nos jours, ce n’est plus forcément le cas et l’entreprenariat féminin représente de

plus en plus une part importante de la croissance liée à enthousiasme croissant des femmes

pour ce statut (Cornet et Constantinidis, 2004) et par conséquent à l’entrain des filles pour

jouer un rôle dans l’entreprise familiale (Constantinidis et Nelson, 2009). Les choses changent

et les femmes-repreneurs ne seraient plus autant considérées comme une source de problèmes,

ce sont les circonstances associées qui semblent complexifier le processus (Richomme-Huet

et d’Andria, 2012).

Comme énoncé précédemment, peu d’études se sont réellement penchées sur la

problématique des femmes entrepreneurs dans les entreprises familiales et le point vue de la

fille du prédécesseur est quant à lui sous-étudié (Constantinidis et Nelson, 2009). Cependant,

le genre doit être pris en compte, bien que l’entreprenariat soit présenté comme « neutre et

asexué » (Cornet et Constantinidis, 2004) car les filles représentent une force importante dans

les entreprises familiales (Dumas, 1998).

Elles commencent à bénéficier de plus de considération à l’idée de succéder à leur père dans

les entreprises familiales (Vera et Dean, 2005). Le fait que la société est davantage structurée

par des caractéristiques masculines survalorisées par rapport à celles féminines dévalorisées,

voir sous-valorisées (Cornet et Constantinidis, 2004), il est évident que l’entreprenariat

féminin est un projet de revalorisation du statut de la femme (Richomme-Huet et d’Andria,

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2012), qui sont victimes des constructions sociales. Plusieurs auteurs s’accordent pour dire

que les rôles changent mais quand une femme opte pour un rôle qualifié de non traditionnel,

des problèmes font surface (Danes et Olson, 2013).

Aujourd’hui les attitudes changes, notamment d’un point de vue social, et les 20-30 ans

aspirent à de nouveaux objectifs professionnels notamment en ce qui concerne l’apparition

des femmes dans les entreprises familiales (Constantinidis et Nelson, 2009). Une approche

égalitaire de la succession, entre les filles et garçons peut alors être possible de la part des

familles si ces dernières admettent la présence de stéréotypes et élaborent des stratégies pour

parer cette influence sociale (Constantinidis et Nelson, 2009).

Les entrepreneurs féminins et masculins présentent des caractéristiques spécifiques (Cornet et

Constantinidis, 2004) qui méritent d’être étudiées pour mieux comprendre certains aspects de

la passation père-fille. Celles que nous pouvons relever sont le profil de ces femmes mais

également leur comportement au sein de l’entreprise, leur stratégie, leur réseau et le

leadership développé (Cornet et Constantinidis, 2004). Les femmes se heurtent à de nombreux

conflits sur les rôles et les relations entretenus avec les différents acteurs mais également sur

leur légitimité (Dumas, 1992).

Il n’est pas question de comparer les hommes et les femmes mais de mieux comprendre en

quoi les femmes présentent leurs propres caractéristiques en termes d’entreprenariat. Pour

comprendre quand surviennent les défis rencontrés, nous verrons comment se déroule la

succession d’entreprise familiale afin de mieux saisir ses mécanismes.

2.1.3 SUCCESSION INTRAFAMILIALE

Il semble que la succession soit un choix spontané de la part des dirigeants (Handler 1990).

Une tendance naturelle a été observée dans les entreprises familiales qui tendent à davantage

préparer leur succession notamment en cherchant un successeur au sein de la famille (Bayad

et Barbot 2002 ; Lambrecht et Pirnay, 2008 ; Vera et Dean, 2005). La succession est un

phénomène crucial dans la vie d’une entreprise tout comme pour son dirigeant s’il souhaite en

assurer la continuité (Bayad et Barbot, 2002 ; Dumas, 1990). Ce projet doit donc être construit

et accepté par la famille ainsi que par l’équipe de direction (Bayad et Barbot, 2002).

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La transmission intrafamiliale est un processus long et complexe et ne doit pas être considéré

comme un évènement (Le Breton-Miller, 2011). C’est un processus lent et graduel faisant

intervenir de nombreux acteurs qui doivent être préparés pour permettre de garantir

l’harmonie familiale ainsi que la pérennité de l’entreprise au fil des générations (Bayad et

Barbot, 2002). Par conséquent, l’anticipation et la préparation représentent des éléments

déterminants pour le processus (Bayad et Barbot, 2002) et cela bien avant que la progéniture

soit nommée dirigeante (Barach et Ganitsky, 1995). Pourtant trop de dirigeants négligent cette

préparation (Bélanger, 2011).

La succession intrafamiliale a un impact sur les sous-systèmes précédemment cités

(Lambrecht et Pirnay, 2009). La prévision avancée du processus permet alors de garantir un

apprentissage optimal et éviter les conflits, les problèmes comportementaux mais également

le népotisme (Le Breton-Miller et Miller, 2016) et ainsi trouver le moment propice pour la

mise en œuvre (Bayad et Barbot, 2002). Le choix de la succession est largement influencé par

la famille au sein de l’entreprise (Crédit Suisse, 2016). Une communication autour du

processus et la planification des actions favorisera la réussite de celui-ci (Haberman et Danes,

2007).

On parle de transmission de pouvoir aux successeurs lorsque ceux-ci acquièrent à la fois le

contrôle managérial des activités et de la stratégie de l’entreprise, mais également la propriété

de cette dernière (Bayad et Barbot, 2002 ; De Freyman et Richomme-Huet, 2010). Ces deux

transmissions s’inscrivent dans une démarche dialectique s’articulant autour des trois axes

formés par le prédécesseur, le successeur et l’entreprise dont les liens sont des composantes

déterminantes pour la transmission (Bayad et Barbot, 2002).

FIGURE 2 : UN MODELE MULTIDIMENSIONNEL DE SUCCESSION DANS LES PME FAMILIALES

(BAYAD ET BARBOT, 2002)

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La transmission managériale comprend la prise de responsabilités de la part du successeur par

l’apprentissage et la formation afin de disposer des capacités entrepreneuriales et de gestion

qui assureront la continuité et le développement des activités de l’entreprise familiale (Bayad

et Barbot, 2002). Cette étape consiste alors au transfert de l’autorité quant aux décisions de

gestion mais également à la gérance des structures de pouvoir et de l’interaction entre les

différents membres de l’entreprise familiale (Haberman et Danes, 2007). C’est au cours de

cette période que le successeur va pouvoir justifier et confirmer son engagement tout comme

son attachement et son implication envers l’entreprise (Bayad et Barbot, 2002). C’est

également là que le successeur développera son propre leadership (Bayad et Barbot, 2002) et

son identité.

En ce qui concerne la transmission patrimoniale qui est généralement associée à la partie

administrative de la succession, elle est en réalité bien plus complexe car elle interfère

régulièrement pendant le processus (Bayad et Barbot, 2002) et souvent de manière invisible.

Un transfert de la propriété anticipé et planifié créé un lien important avec le bon déroulement

du transfert de la direction de l’entreprise contribuant à l’épanouissement du successeur et un

climat prospère pour le dirigeant et son futur dirigeant (Bayad et Barbot, 2002 ; Lambrecht et

Pirnay, 2008). Le repreneur peut ainsi jouir pleinement de sa fonction mais également

bénéficier de l’influence du cédant.

Ces deux dimensions de la transmission décrites précédemment sont complémentaires (Bayad

et Barbot, 2002). Toutefois, le projet de succession est conditionné par de nombreuses

variables qui viendront interférer tout au long du processus tels que les acteurs et leurs

relations mais également l’entreprise et l’interaction de cette dernière avec la famille (Bayad

et Barbot, 2002). En dehors de ces dimensions, la succession peut être influencée par d’autres

facteurs comme la logique économique, juridique et fiscale qui ont une incidence sur la

transmission patrimoniale mais qui ne seront pas davantage développés ici.

Pour illustrer le procédé, Cadieux et al. (2002) ont identifié différentes phases par lesquelles

le prédécesseur et le successeur traversent. Ces étapes contribuent à la mise en évidence de la

complexité de la succession et à mettre en évidence les entrants et aboutissants de la

succession.

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FIGURE 3 : PROCESSUS DE SUCCESSION (CADIEUX ET AL., 2002)

L’étape d’initiation coïncide avec la phase où le père gère seul l’entreprise familiale. Celui-ci

représente alors une figure de modèle (Cadieux, 2007) et possède une grande influence : il

initie l’héritier à l’entreprise dans le foyer familiale en termes de comportement et de valeurs

(Dumas, 1998 ; Koffi et Lorrain, 2011). Le successeur est alors identifié mais n’est pas encore

présent dans l’entreprise familiale, en revanche le plan de succession commence à se mettre

en place (Bayad et Barbot, 2002 ; Le Breton-Miller et Miller, 2016).

L’intégration est une étape cruciale quant à la motivation et la confiance du successeur tout

comme sa légitimité au sein de l’entreprise. La manière dont le cédant va intégrer son

successeur va permettre d’influencer sa crédibilité et donc son acceptation auprès des

différents membres de l’organisation (Plante et Grisé, 2005). Le prédécesseur va enseigner le

savoir-faire et la connaissance qui sont sources de pouvoir (Lambrecht et Pirnay, 2008) pour

l’héritier qui va ainsi développer ses capacités techniques.

La phase du règne-conjoint se caractérise par le transfert des responsabilités, du pouvoir de

l’autorité et de la propriété (Bayad et Barbot, 2002). Le cédant et le successeur travaillent

ensembles jusqu’à ce que l’héritier soit autonome à la gestion de l’entreprise familiale et ait

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acquis le savoir-être transmis par le prédécesseur. Ce dernier commence alors à se retirer

doucement de l’entreprise.

Le successeur assume seul la gestion de l’entreprise lorsque le père se retire définitivement de

l’organisation mais il reste généralement présent sous forme d’une aide plus éloignée. C’est

aussi à ce moment que le processus de transmission patrimoniale est fini et permet de définir

le statut du successeur en plus de la position adoptée au sein de l’entreprise familiale (Dumas,

1998). L’hériter à maintenant acquis la propriété et la direction.

Pour la transmission, un processus doit être mis en place et ainsi que des jalons. Ceux-ci

seront de durée variable en fonction des choix du cédant, du successeur et l’entreprise avec

pour conditions d’être clairs et délimités (Bayad et Barbot, 2002). Plusieurs auteurs estiment

qu’il faut 10 ans de l’intégration à la clôture du projet (Cadieux, 2005 ; Crutzen, Aouni et

Pirnay, 2016 ; Lambrecht et Pirnay, 2008). La planification doit prévoir des ajustements

périodiques qui viendront interférer tout au long du déroulement (Bayad et Barbot, 2002),

permettant de suivre au plus près les besoins du prédécesseur ainsi que ceux de son

successeur. Même si les grandes étapes restent figées et fermes pour éviter les sources de

tensions, une certaine souplesse dans le plan de succession permettra de le viabiliser

davantage le processus (Bayad et Barbot, 2002).

Au-delà de la transmission patrimoniale et managériale, la succession présente une certaine

complexité au niveau de la dimension émotionnelle et psychologique (Ghannam et Hanine,

2016) que nous détaillerons par la suite. Etre une femme est également un facteur influant sur

la durée du processus. Une transmission totale, management et propriété, auprès d’une

femme, peut être d’autant plus long. Accéder à l’entièreté de l’entreprise, en adoptant le mode

de gestion féminin peut aussi poser quelques soucis concernant le financement et l’accès à la

formation (Constantinidis et Cornet, 2006).

En somme, pour qu’une succession d’entreprise familiale se déroule avec succès et soit

considérée comme fructueuse, elle doit, au terme du processus, procurer à l’entreprise une

direction capable de gérer l’entreprise à long terme tout en satisfaisant les parties prenantes

(Le Breton-Miller, 2011).

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2.2 REVUE DE LITTERATURE : LA SUCCESSION

D’ENTREPRISE FAMILIALE PERE - FILLE

2.2.1 PROFILS ET MOTIVATIONS

Le père comme la fille présentent des motivations à la succession intrafamiliale. Ces

inspirations sont généralement la source d’influence au niveau du processus et prendre

conscience de ce qui amène chacun à entamer ce long parcours permet aux personnes

impliquées de déchiffrer les comportements et de mieux les appréhender.

2.2.1.1 Les motivations de la fille-successeur

Pour apprécier le comportement des filles qui font l’objet de ce travail, nous avons cherché à

comprendre ce qui les poussait à suivre la voie de leur père et à distinguer les atouts

personnels et professionnels qu’elles peuvent en tirer.

Dans cette recherche, il est question d’un certain type de profil d’héritières : celles dont la

succession fut un choix et non pas une obligation ou une nécessité, également appelé de type

« pull » (Cornet et Constantinidis, 2004). Pour ces femmes, travailler comme dirigeantes dans

l’entreprise familiale et reprendre ainsi la place qu’occupait leur père, s’inscrit dans la

continuité de leur parcours professionnel et comme opportunité à saisir (Constantinidis et

Cornet, 2006 ; Dumas 1998). Ce sont des successeurs motivés aspirant à aider leurs parents et

bénéficier d’une certaine flexibilité (Constantinidis et Nelson, 2009). Elles perçoivent

l’entreprise familiale comme la leur et désirent prendre part à son développement (Dumas

1998 ; Bayad et Barbot, 2002) en y jouant un rôle engagé afin de contribuer à la pérennité de

l’entreprise familiale (Constantinidis et Nelson, 2009).

Les filles de type pull cherchent à travers la succession un moyen d’épanouissement personnel

et sont motivées par l’entreprenariat (Vera et Dean, 2005). Ce choix, ces femmes le présentent

de manière « positive et affirmative » (Dumas, 1998). Ce type de personnalité montre un

comportement proactif au sein de l’entreprise (Dumas, 1998). Les femmes, avec un important

niveau d’engagement affectif, présenteront une croyance et une excitation importante quant

aux objectifs de l’organisation (Sharma et Irving, 2005). Leur désir de contribution est motivé

par l’alignement de leurs objectifs individuels avec ceux de l’organisation (Sharma et Irving,

2005). Ce profil présente une réelle confiance en l’organisation et un réel partage des valeurs,

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ce qui confère, à ces individus, un sentiment d’assurance quant à leur capacité à contribuer

positivement dans l’entreprise familiale (Sharma et Irving, 2005) notamment dans le cadre de

la relève (Bayad et Barbot, 2002 ; Dumas, 1998).

Dans l’entreprenariat féminin, la famille y trouve une place importante. Selon certains

auteurs, l’engouement des femmes à reprendre une entreprise familiale serait principalement

influencé par la qualité du partage des tâches familiales liées à la parentalité (Richomme-Huet

et d’Andria, 2012). Cet aspect représente aussi des contraintes : celles-ci étant, comme

énoncé, encore responsables en grande partie des taches familiales et domestiques (Vadnjal et

Zupan, 2009), peu de structures sont adaptées pour leur faciliter ces tâches, notamment quand

elles ont des enfants (Cornet et Constantinidis, 2004). Le contexte familial de la fille-

successeur à donc une grande importance (Cornet et Constantinidis, 2004). Les filles

souhaitent en effet s’occuper de l’entreprise familiale mais également en profitent pour

prendre soin de leur père (Dumas, 1989). En agissant de la sorte, elles permettent au père de

montrer moins de résistance à leur céder du pouvoir et à réduire les conflits (Vera et Dean,

2005).

Les filles se voient offrir plusieurs possibilités en rejoignant l’entreprise familiale, notamment

à des postes de direction, en termes de flexibilité mais également d’accès aux secteurs

traditionnellement qualifiés de masculin (Dumas, 1998). Néanmoins, de longues heures sont

nécessaires pour s’engager dans l’entreprise (Dumas, 1998). D’après Vera et Dean (2005),

80% d’entre-elles éprouveraient des difficultés à trouver un équilibre entre leur vie privée et

professionnelle. Le temps requis pour faire fonctionner l'entreprise les emmène loin de leur

temps avec leurs maris et / ou leurs enfants et leurs activités sociales (Vera et Dean, 2005). Le

nombre total d’heures de travail, pour elles, au sein de l’entreprise familiale, s’élèverait aux

alentours de 70 heures par semaines (Cadieux et al., 2002).

Ici, quand la fille a été initialement choisie en tant que successeur, son parcours durant le

processus et généralement assez bien planifié jusqu’au moment où elle reprendra les rennes

seules, elle y est donc davantage préparée (Constantinidis et Santin 2008). Le niveau de

préparation de cette dernière est important en termes d’éducation, expérience et motivation.

Afin de préparer son futur rôle au poste de direction, la fille fera généralement une entrée

progressive dans l’entreprise. Elle passe généralement par le statut de salariée afin d’en

apprendre davantage sur le fonctionnement et l’organisation de l’entreprise (Bayad et Barbot,

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2002) et pour mieux appréhender son futur rôle (Dumas, 1998). Pour accomplir cela, il

appartient au père de l’accompagner en lui témoignant ses motivations.

2.2.1.2 Les aspirations du père-cédant

Le successeur n’est pas le seul à interférer sur le bon déroulement du processus, le père-

cédant conditionne également le plan par son attitude et sa personnalité (Lansberg, 1988, cité

par Bayad et Barbot, 2002). Il doit donc être prêt à accueillir sa fille au sein de la structure

afin de réaliser les ajustements nécessaires pour mettre en place la succession (Barach,

Ganitsky, Carson et Doochin, 1988). Dans le cas où elle apparait comme successeur légitime

dès le départ, auprès des parents, ces derniers l’encouragent à poursuivre des études en lien

avec les activités de l’entreprise mais également en gestion. Ils lui font également volontiers

découvrir l’entreprise familiale (Constantinidis et Santin 2008). De plus, afin de l’aider à

s’épanouir et développer son leadership, le père doit montrer l’intérêt qu’il lui porte en

l’accompagnant dans les différentes étapes du processus (Constantinidis et Nelson, 2009). Le

dirigeant d’entreprise est la personne qui aura le plus grand impact sur la succession de sa fille

(Constantinidis et Nelson, 2009).

Le père entretient une réelle relation avec la société (Dumas, 1990). Pour lui, la retraite peut

parfois être dénuée d’intérêt en l’associant à la peur du vieillir et à la perte d’identité

(Cadieux, 2007 ; Handler, 1990). A travers la relève que va assurer sa fille, il éprouve un

apaisement dans la persistance d’une partie de son identité au sein de l’entreprise (Handler,

1990). Pour réussir à abandonner le contrôle de la société, il doit faire confiance aux capacités

de sa fille à reprendre l’entreprise familiale, ce qui n’est pas toujours évident pour lui (Koffi et

Lorrain, 2011). Quand le prédécesseur s’avère être également le fondateur de la société, ce

dernier montre un attachement encore plus fort à la société qu’il a lui-même fondée car ils ont

une grande influence envers l’autre (Dumas 1990). La succession est plus dure dans ce cas-là,

principalement à cause des résistances du père à partir (Vera et Dean, 2005).

Afin d’assurer la pérennité de son entreprise, le père-dirigeant doit admettre qu’il est temps

pour lui de céder sa place. Etant la personne la plus influente dans la société, c’est de lui que

provient la principale source de changement. C’est donc premièrement à lui d’accepter que sa

fille lui succède pour ainsi se détacher de la société (De Freyman & Richomme, 2009). Les

fondateurs n'ont normalement pas le temps pour de nombreuses activités externes non

professionnelles, ce qui peut les rendre encore plus attachés à l'entreprise (Vera et Dean,

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2005). Leur entreprise présente généralement une part primordiale de leur vie et la cession

représente un des changements les plus importants.

L’influence personnelle est basée sur les différentes expériences et motivations des individus,

il est intéressant de comprendre les influences individuelles pour aligner davantage les

besoins de chacun dans l’entreprise familiale (Handler, 1990). En cherchant à mieux se

connaitre, le père et la fille peuvent davantage anticiper et comprendre les comportements de

l’autre.

2.2.2 RESPONSABILITES ET ROLES

Au cours du processus et aux différentes étapes de la succession, de nombreux conflits de

rôles peuvent venir interférer et le mettre à mal. Prendre conscience des responsabilités de

chacun et de ce qu’il doit apporter permettra d’avancer dans cette aventure plus sereinement.

2.2.2.1 Les conflits de rôles entre la femme d’affaires et la « fille à

papa »

Des conflits de rôles peuvent s’installer suite aux multiples casquettes que la fille du

prédécesseur doit porter (Dumas 1989, 1990, 1992 ; Salganicoff 1990 ; Vera et Dean 2005). Il

est nécessaire pour elle de savoir comment se positionner dans certaines situations.

Une première dualité à l’arrivée de l’héritière est son rôle en tant qu’employée mais

également en tant que membre de la famille dans l’entreprise (Dumas, 1992). Ceci prend tout

son sens auprès des salariés à qui nous devons justifier le pourquoi de son arrivée, afin

d’éviter des interprétations erronées (Dumas, 1992) et d’alimenter les malentendus autour de

la « fille à papa » (Constantinidis et Santin 2008). En tant que fille, elle éprouve de

l’admiration pour son père qu’elle considère comme un mentor et se préoccupe beaucoup

pour lui. C’est d’ailleurs à lui que revient d’apporter l’aide nécessaire dans la transition du

rôle de fille à femme d’affaires (Dumas, 1990, 1992).

En évoluant dans le rôle de femme, un autre conflit va venir s’installer au niveau des rôles que

qu’elle doit tenir : celui d’être la femme d’affaires que le père souhaite pour reprendre les

rênes de l’entreprise mais également celui de mère auprès de la famille, ce qui lui a toujours

été enseigné pendant son enfance (Dumas, 1989, 1990, 1992 ; Vera et Dean, 2005). La

succession engendre plus de flou entre les limites de l’entreprise et de la famille (Barach et

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al., 1988) notamment par ce que les rôles et les règles appliqués dans le cercle familiale se

retrouvent transposés dans celui de l’entreprise (Danes et Olson, 2013). Le poste de gérant

convoité par la fille implique bon nombre de responsabilités et de travail, ce qui est

contradictoire avec les perspectives envisagées sur la flexibilité de sa vie privée et

professionnelle. Ceci est d’autant plus difficile à comprendre de la part du père lorsqu’on sait

que les hommes organisent leur vie en fonction de leur travail (Proulx, 1995, cité par Cadieux

et al., 2002). Ainsi des ambiguïtés se créent autour de l’articulation des fonctions de mère et

de gérante auxquelles elle aspire.

Le rôle de femme implique une adaptation au niveau de la sphère privée et professionnelle en

raison des charges de travail qui lui incombent tant au niveau domestique qu’au niveau de

l’entreprise. Pourtant, le changement des mentalités sur le rôle des femmes permet de

développer de nombreuses structures afin de les aider dans leur quotidien. Les femmes

entrepreneurs ne devraient pas choisir entre vie privée et vie professionnelle épanouie et il est

important que davantage de personnes comprennent leur réalité. Les contraintes induites par

leurs missions familiales et parentales doivent être davantage intégré dans les structures et

dispositifs d’aide à l’entreprenariat féminin (Richomme-Huet et d’Andria, 2012).

Les filles ne savent pas systématiquement quel rôle est approprié dans l’entreprise (Dumas,

1992) d’où la nécessité de réaliser un plan d’action avec le père (employée, apprentie, etc.).

Leurs ambitions dans leur position de femme ne doivent pas non plus interférer avec la

succession et leur place dans l’entreprise, ce en quoi le père peut jouer un rôle important.

2.2.2.2 Le rôle du père

Le père doit défendre l’entreprise afin d’exercer suffisamment d’influence pour que sa fille

prenne conscience de la contribution qu’elle peut apporter et ainsi la guider sur la voie du

leadership (Dumas, 1998).

Les changements que vont induire la succession chez le père sont très difficiles et il nécessaire

pour la fille d’en prendre conscience. Le puissant lien que le gérant entretien avec son

entreprise (Cadieux, 2005) ne doit pas constituer des freins à la succession. Le gérant associe

son identité à son entreprise mais également sa position dans l’échelle sociale et familiale ce

qui explique leur accrochement et leurs difficultés à céder (Lambrecht et Pirnay, 2008). Le

prédécesseur doit accepter sa nouvelle vie et faire confiance à son successeur pour la suite de

son entreprise (Lambrecht et Pirnay, 2008). Il doit préparer l’arrivée de son suivant et régler

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les différents aspects tant financiers que fiscaux et juridiques liés à la succession (Lambrecht

et Pirnay, 2008). Lors du processus le père doit non seulement contribuer à la formation de sa

fille d’un point de vue technique et managérial mais il doit aussi l’encourager à poursuivre ce

qu’il a bâti et à la guider vers le succès tout en conservant les liens familiaux encrés dans

l’entreprise (Dumas, 1998).

Un père, notamment s’il est le fondateur de la société, qui est fortement impliqué dans son

entreprise sans autres réels centres d’intérêts, mettra en avant des difficultés à abandonner son

poste (Vera et Dean, 2005). Il doit s’avoir lâcher-prise et montrer à son successeur la certitude

qu’il peut trouver une place dans l’entreprise pour éviter de le décourager (Lambrecht et

Pirnay, 2008 ; Vera et Dean, 2005). Il doit se dessaisir de son rôle au fur et à mesure de

l’avancée du processus pour ne devenir, finalement, qu’un consultant et soutenir sa fille

(Constantinidis et Nelson, 2009). Un des symboles forts de la succession est la cession de son

bureau à son successeur (Lambrecht et Pirnay, 2008). C’est la réalisation de tels agissements,

mêmes petits, qui vont contribuer à assoir la place de la fille au sein de l’organisation et

favoriser sa légitimité.

La personnalité du père joue un rôle primordial dans le développement de la personnalité de

sa fille (Dumas, 1990). Son rôle de mentor est important pour construire l’identité de

l’héritière au sein de la société (Dumas, 1990). Néanmoins, il ne devra pas se cantonner à ce

rôle, il sera à la fois, le père, le dirigeant, le mentor, le modèle et l’entrepreneur (Dumas,

1990). La formation et l’aide qu’il va lui apporter pour l’aider à trouver son identité dans la

société est déterminante pour la suite de l’entreprise (Dumas, 1990). C’est au père et à la fille

de décider ensemble de l’ascension de cette dernière en réfléchissant aux postes qu’elle va

occuper avant de reprendre l’entreprise (Dumas, 1990). Le père doit considérer sa fille comme

une ressource et analyser son besoin et son potentiel pour l’évaluer sur ses capacités et ainsi

mieux travailler à ses côtés (Dumas, 1990).

Le prédécesseur doit s’avoir s’effacer et jouer le rôle de consultant, manifester ses

appréciations auprès du successeur et ainsi lui exprimer la confiance qu’il lui porte (Plante et

Grisé, 2005). Il doit savoir aider son successeur à relever les différents défis afin que le

candidat puisse s’épanouir et s’instruire et ainsi, de lui-même, tirer-profit des compétences et

valeurs véhiculées par la famille (Barach et Ganitsky, 1995).

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2.2.2.3 L’interférence entre le rôle du père et celui de la fille

La difficulté dans une entreprise familiale se situe sur le positionnement des rôles du père et

de la fille. Le lien familial ne permet pas d’avoir une limite nette des fonctions et créé des

confusions au sein des postes de chacun : ils doivent trouver un ajustement dans leurs rôles

mutuels au cours de la passation (Handler, 1990).

Durant la succession, la fille bénéficie de l’aide de son père afin d’organiser sa vie privée

mais également sa vie professionnelle. Le cédant joue un rôle important dans la transmission

d’expériences et de connaissances. Il lui permet également d’accéder à des réseaux en lui

donnant des contacts. Il est également un pilier important pour les relations qu’elle

rencontrera avec le personnel mais aussi avec les clients et les fournisseurs (Constantinidis et

Santin, 2008). Toutefois, une grande confusion est présente à cause de la présence du père aux

cotés de sa fille, rendant le processus plus difficile. Lorsque cette dernière est dans une

situation où elle est clairement identifiée comme dirigeante mais où son père reste toujours le

patron, ceci instaure le doute chez le personnel qui aura tendance à s’adresser à ce dernier tout

comme les clients et les fournisseurs (Constantinidis et Santin, 2008).

Tôt ou tard, le cédant et le successeur entreront en conflit (Dumas, 1989). L’importance de la

qualité de la relation entre le père et sa fille peut alors largement influencer la situation durant

cette phase. L’appui du père sur la position de la fille est primordial durant ce changement de

statut et ainsi conforter sa fille dans son choix de devenir gérante de la société. Il permet

également de renforcer le sentiment de confiance que les différentes parties prenantes

partagent avec la fille (Constantinidis et Santin 2008). Dans une étude de Dumas (1989), 78%

des pères et 89% des filles avouaient avoir des problèmes au niveau de la gestion des rôles.

Durant le processus, le rôle du père-cédant occupe une place primordiale mais tout aussi

contradictoire en permettant de faciliter la succession tout en la freinant (Constantinidis et

Santin, 2008). Certes, il aura le rôle de cédant, il possède une certaine responsabilité envers la

société et le processus de transmission mais en tant que père, il éprouvera la satisfaction de

donner la relève à son successeur. Néanmoins, nous avons auparavant abordé le peu de

préparation de la succession de la part du prédécesseur (Bélanger, 2011). Toute l’ambigüité

autour des rôles de chacun peut être source de conflits, un juste équilibre doit être trouvé

(Crutzen et Pirnay, 2017). Paradoxalement, le fait évoqué précédemment, quant à l’attention

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particulière que porte la fille à son père pour le décharger, peut l’emmener à rester encore plus

longtemps dans l’entreprise.

Le père, par sa position de parent, va naturellement avoir une certaine autorité sur sa fille, qui

qui doutera de sa réaction en tant que : fille obéissante ou en agissant comme une femme

d’affaires responsable (Crutzen et Pirnay, 2013). Une grande majorité d’entre-elles éprouvent

des soucis à se démarquer des traces de leur père qui joue un rôle primordial dans leur

formation. Certaines éprouvent même de la culpabilité quand elles y parviennent : en

montrant ainsi leur force, elles révèlent également les faiblesses de leur père (Dumas, 1898).

Néanmoins la clef d’une passation réussie reste la prise en compte de l’union formée entre

elle et son père (Dumas, 1898) car son rôle de successeur est façonné par celui du

prédécesseur (Handler, 1990).

Néanmoins, les filles ont des relations harmonieuses avec leur père (Dumas, 1898 ; Vera et

Dean, 2005). Vera et Dean (2005) évoquent jusqu’à 90% de bonnes relations entre les deux

personnes. C’est la relation la plus importante au cours de la succession (Vera et Dean, 2005).

L’orientation naturelle des filles vers les relations contribue à atténuer la douleur de la

transition de leur père (Dumas, 1990, 1992), mais peut nécessiter quelques ajustements.

2.2.2.4 La synchronisation des cycles de vie

Certains auteurs s’accordent sur l’existence de moments plus propices à la succession au

cours des cycles de vie des personnes (Dumas, 1992). Le père éprouve généralement le

sentiment d’un besoin d’autre chose où le passage à la retraite l’amène davantage à considérer

l’arrivée de sa fille. Quant à elle, le moment le plus opportun survient lors d’un désir de

changement dans sa carrière (Dumas, 1992).

La succession peut être plus harmonieuse si on synchronise les cycles de vie du cédant et du

successeur (Lambrecht et Pirnay, 2008). Les âges et la maturité sont des éléments importants

pour les rôles que chacun va devoir endosser lors de la succession. L’entrepreneur traverse

différentes phases (Handler, 1990) et endossera différents rôle au fur et à mesure de

l’avancement du processus. Le successeur passant aussi par différentes étapes tout au long de

la transmission, il est important de prêter une attention particulière à l’ajustement de rôles de

manière à évoluer en même temps (Handler, 1990). Un décalage trop important pourrait

suggérer un problème dans l’une des parties. Une certaine synchronisation des âges est

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nécessaire au bon déroulement du processus de successions (Vera et Dean, 2005). Ce qui fait

de la succession un processus ainsi très « lent et évolutif » (Handler, 1990).

FIGURE 4 : PROCESSUS DE SUCCESSION - AJUSTEMENT MUTUEL DES ROLES ENTRE LE

PREDECESSEUR ET LE MEMBRE DE LA GENERATION SUIVANTE (HANDLER, 1990)

Tour à tour, père et fille vont endosser différents rôles (Cadieux, 2007), définissant plus

précisément celui de la fille et permettant au père de se retirer progressivement. L’évolution

de chacun se cale très bien sur les étapes de succession définis par Cadieux et al. (2002) que

nous avons mentionné précédemment.

Initialement, le père agit seul dans l’entreprise et la fille n’a pas de rôle dans l’organisation.

C’est à ce moment précis que la fille peut en profiter pour faire son expérience à l’extérieur de

l’entreprise. Généralement, entre 22 et 29 ans, les jeunes personnes évitent les engagements

lourds (Lambrecht et Pirnay, 2008). C’est à ce moment propice que la fille pourra se faire ses

armes ailleurs, ce qui lui vaudra, par la suite, de plus grandes facilités d’intégration dans

l’entreprise familiale. Avant la trentaine les femmes cherchent leur identité en dehors de

l’entreprise familiale et arrivent plus tard dans l’entreprise pour un poste de direction (Vera et

Dean, 2005). Le successeur n’est pas le seul à devoir se préparer pour la reprise : le père doit

aussi faire son devoir de cédant en préparant l’entreprise au processus qui sera mis en place,

en organisant les aspects administratifs mais également la mise en place de règles quant à la

gestion de l’entreprise et de la propriété (Lambrecht et Pirnay, 2008).

Ensuite, vient l’arrivée de la fille : le père agit encore seul, elle n’a pas clairement de rôle

(Handler, 1990). Il est opportun pour elle d’entrer après son expérience externe et à un âge

plus mature qui se situe entre 28 et 33 ans (Lambrecht et Pirnay, 2008). Dans cette tranche

d’âges, les individus ont tendance à rentrer dans une période de transition où ils prennent leur

existence avec plus de sérieux. Le père s’impose avec un statut de monarque car il détient les

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pleins pouvoirs de la société (Handler, 1990). Pourtant, c’est ici que commence le lâcher prise

du père pour laisser à sa fille davantage de liberté (Lambrecht et Pirnay, 2008). Cependant, le

successeur se cantonne au rôle d’assistant du prédécesseur avec des fonctions encore

relativement limitées. C’est à cette période que le père joue le rôle de formateur et va instruire

le successeur sur le savoir-faire de l’entreprise (Cadieux, 2007). Dumas (1990) met en

évidence l’importance de l’acquisition de la personnalité via l’expérience et les relations

tissées entre le père et la fille durant cette période.

Vers 36-40 ans, la fille a acquis davantage de maturité et rejette le mentor pour agir sous son

propre chef (Lambrecht et Pirnay, 2008). C’est à cette phase que les rôles de chacun vont être

déterminants pour la succession. Au fur et à mesure, elle va gagner en responsabilités et

atteindre un poste de direction tandis que le père de décharge progressivement de la gestion de

l’entreprise familiale (Handler, 1990). A cette étape les rôles de chacun se brouillent mais le

père commence à prendre congés de l’entreprise, laissant son successeur agir en autonomie

(Handler, 1990). Cette étape est généralement difficile à franchir : la suite du processus n’ira

pas plus loin tant que le cédant ne sera pas capable de céder de son pouvoir et continuera de

résister (Cadieux, 2007). Pour bénéficier d’une relation plus épanouie, le père doit avoir

dépassé 40 ans : à cet âge, le cédant est doté d’une plus grande sagesse mais également la

capacité de jugement nécessaire pour aider sa fille (Lambrecht et Pirnay, 2008) et jouer le rôle

de superviseur (Cadieux, 2007).

Enfin, le père n’est plus responsable de la gestion et sa fille prend la relève du prédécesseur

qui joue éventuellement le rôle de conseiller pour l’accompagner dans cette dernière étape. Il

peut éventuellement être présent au conseil d’administration mais son rôle reste limité. Le

père ne doit pas rester accroché à son entreprise et prendre sa retraite, vers la soixantaine, de

manière à conserver suffisamment d’énergie pour ce qui l’attend et jouer le rôle de conseiller

que les personnes atteignent à cet âge-là (Cadieux, 2007 ; Lambrecht et Pirnay, 2008). C’est

maintenant à sa fille de gérer ce nouveau changement. Finalement, le père devra un jour

quitter l’actionnariat pour ainsi la laisser jouir pleinement de ses droits et finaliser le

processus. En réalité, il n’est pas toujours prêt à prendre sa retraite mais son enfant peine aussi

à le croire et à se retrouver seul (Handler, 1990).

Néanmoins, plusieurs facteurs peuvent venir interférer avec cette logique de cycle comme le

désir de la fille de former une famille. Ce souhait passe fréquemment avant la reprise de

l’entreprise familiale, ce qui explique l’arrivée tardive et aggrave davantage le double rôle de

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femme d’affaires et de mère (Vera et Dean, 2005). Un autre point, malgré l’attribution de

nouveaux rôles, concerne la prise de conscience que le cédant restera toujours le propriétaire

de l’entreprise familiale (Cadieux, 2007). La puissante influence du père dans l’entreprise

joue également un frein au positionnement de la fille qui laisse alors le libre champ aux

membres de créer des soucis et malentendus (Dumas, 1992). Le successeur doit aider et

accompagner le père à conduire le changement (Cadieux, 2007). La relation père-fille est

alors importante dans la conduite de celui-ci.

2.2.2.5 L’influence de la mère

La conjointe du cédant, personne jouant parfois un rôle remarquable lors de la succession,

mérite une attention toute particulière sur la relation qu’elle entretient avec sa fille. Souvent

mise de côté, nous souhaitons évoquer brièvement l’influence qu’elle peut apporter.

Le rôle du conjoint du fondateur est tout aussi responsable du bon déroulé de la succession.

Le conjoint possède réellement un rôle de rempart en apportant son soutien. Ce rôle tout aussi

important doit être reconnu par le fondateur. Un support, aussi bien dans l’entreprise que dans

la famille, permet au successeur de s’épanouir correctement dans ces 2 milieux (Bélanger,

2011). La mère favorise notamment le dialogue avec le père et la fille. Dans l’étude de

Crutzen et Pirnay (2013), la communication s’établissait plus naturellement entre la conjointe

et les enfants à 80%.

La mère peut jouer un rôle important quand cette dernière est encore présente dans

l’entreprise, elle apporte à sa fille un soutien fort notamment dans les secteurs majoritairement

masculins. Elle occupe un rôle qui est nettement plus claire et n’interfère pas avec le rôle de

dirigeant qu’occupe le père, ainsi elle ne permet pas la création de confusion et d’ambigüité

comme nous l’avons vu entre le père et la fille. Ce pilier permet à cette dernière de bénéficier

de l’expérience de sa mère qui a également dû se positionner en tant que femme dans la

société (Constantinidis et Santin 2008). La mère peut également contribuer à l’élargissement

du réseau de la fille.

Très peu de recherches étudient réellement la relation entre la mère et la fille quand les deux

travaillent dans l’entreprise familiale (Vera et Dean, 2005). Malgré ce que nous venons

d’évoquer, on peut s’attendre à voir des dyades entre elles cherchant chacune sa propre

identité (Vera et Dean, 2005). Toutefois, d’après une étude (Dumas, 1989), une forme de

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triangulation peut avoir lieu avec la mère qui peut se sentir rejetée de la relation père-fille et

éprouver une certaine jalousie. Elle peut se sentir menacée par l’arrivée de sa fille, notamment

par ce qu’elle entretient une relation d’autant plus proche avec le père lors de la succession.

Communiquer avec elle et pour résoudre les conflits évitera ce genre d’ambiguïté. D’autant

plus que ce genre d’altercation laisse la porte ouverte aux problèmes du passé qui tendent à

ressurgir (Vera et Dean, 2005). Néanmoins c’est au travers de telles épreuves que la fille peut

s’affirmer davantage auprès de la famille et de l’entreprise.

Dans les entreprises familiales et surtout dans celles où la direction est principalement

composée de membres de la famille, il ne faut pas négliger les rôles de chacun ainsi que leurs

intérêts. Il arrive souvent qu’ils aient une conception différente sur les décisions prises par la

fille, sur la répartition des tâches, etc. La nécessité de communication entre le père, la fille et

les autres membres se justifie pour éviter les conflits et ambigüités liées aux rôles et attentes

de chacun dans l’entreprise (Dumas, 1992).

2.2.3 COMMUNICATION ET CONNAISSANCES

Souvent désignée comme un élément clé de la réussite du processus, la communication est

une composante incontournable de la succession et à différent niveau de l’organisation et de

la famille. En comprendre certains aspects peut limiter des malentendus et les sources de

conflits.

2.2.3.1 La communication globale

La clarté des propos et la communication permet à chacun de savoir où il va et où va

l’entreprise. Communiquer dans l’entreprise permet de mettre en place des stratégies

(Lambrecht et Pirnay, 2009). La communication permet de gérer les conflits par l’échange

d’information. Quand cette dernière vient à manquer, un climat d’insécurité s’instaure et les

personnes tendent à interpréter par eux-mêmes pour combler les lacunes (Lambrecht et

Pirnay, 2009 ; Le Breton-Miller, 2011).

La communication, évoquée ici comme un facteur clef du bon déroulé et même du succès du

processus de succession, doit donc être mis en place et cela même bien avant l’arrivée du

successeur (Crutzen et Pirnay, 2013). L’arrivée de ce dernier est généralement la source de

tabous à cause des relations entretenus avec le prédécesseur mais également de

méconnaissance due à la découverte de l’entreprise et de son rôle (Crutzen et Pirnay, 2013).

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L’objectif est donc de maintenir une certaine cohésion et une bonne relation entre les parties

(Crutzen et Pirnay, 2013).

La relation entre le dirigeant et son successeur doit être dans les deux sens : le successeur doit

se sentir rassuré par le prédécesseur, notamment en ce qui concerne ses intérêts, et ce dernier

doit fonder sa confiance sur la capacité du successeur à accomplir le futur rôle qui lui

incombe (Bayad et Barbot, 2002). Les confits générés peuvent véhiculer un manque de

confiance (Danes et Olson, 2013). Ici, la notion de réciprocité et d’altruisme (Crutzen et

Pirnay, 2013) prend tout son sens pour permettre à chacune des parties d’avoir confiance en

l’autre (Bayad et Barbot, 2002).

Le dialogue joue un rôle essentiel dans la réussite du processus de succession malgré sa

complexité et l’objectif d’une bonne communication doit être établie et maintenue (Crutzen et

Pirnay, 2013). Le tout est de savoir quand et comment il doit être mise en place. Pour définir

les attributs d’une communication réussie, les valeurs prônées sont l’honnêteté, la

rationalisation, le respect mais également l’ouverture (Crutzen et Pirnay, 2013). Si la vision

de l’entreprise ou encore sa mission et ses valeurs ne sont pas partagées, les tensions

s’amplifieront avec le temps (Danes et Olson, 2013).

L’intégration du successeur doit passer par une communication formelle permettant de jouer

la transparence avec les employés et ainsi lever les doutes sur le futur de la société. Ces

échanges jouent un rôle primordiale afin d’expliquer aux employés le déroulement du plan par

la valorisation du successeur en présentant ses expériences professionnelles et quel poste il va

occuper dans la société (Plante et Grisé, 2005). Afin de préparer au mieux l’arrivée du

successeur, une différenciation doit être opérée entre les employés de l’entreprise familiale et

les membres de la famille qui n’auront pas la même perception de l’héritier (Plante et Grisé,

2005). Pour les filles, il a été mis en évidence qu’elles nécessitaient d’une visibilité plus forte

pour assoir leur statut : davantage de pouvoir et de contrôle lors du processus de succession

(Dumas, 1989) mais également de plus de communication sur leur rôle dans l’entreprise

familiale.

La communication est un facteur clef pour la compréhension, des membres de l’entreprise

familiale, du rôle de la fille et de sa place dans l’entreprise (Dumas, 1992). Un dialogue sur

son arrivée et sur le processus permet aux employés de renforcer leur sentiment de sécurité

par rapport au futur de l’entreprise par son implication (Dumas, 1992). Agir de la sorte permet

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d’estomper les doutes quant à une éventuelle cession de l’entreprise. L’annonce de la

continuité de l’activité tend à rassurer le personnel (F. Loverius, communication personnelle,

4 Mai, 2018). La nécessité d’informer l’entreprise et la famille au plus tôt se justifie alors

pour préparer les différentes parties (Lambrecht et Pirnay, 2009). De nombreux malentendus

proviennent de la mauvaise interprétation des différentes parties, ceci est notamment dû à un

problème de communication (Crutzen et Pirnay, 2013).

La communication doit être omniprésente et permet de traverser plus facilement le processus

de succession à travers les différentes étapes et jeux de rôles déjà évoqués de manière à laisser

chaque partie le potentiel d’évoluer librement (Lambrecht et Pirnay, 2008).

2.2.3.2 Les niveaux de communications entre le père et la fille

Tout au long du processus le prédécesseur et le successeur vont entretenir une relation

privilégiée basée sur la communication et la confiance afin de surmonter les défis qui se

dressent devant eux. Ils doivent ainsi pouvoir définir leurs stratégies afin d’arriver à une

succession réussie (Barach et Ganitsky, 1995).

C’est graduellement que le successeur va acquérir les compétences nécessaires à son futur

poste aux travers de plusieurs dimensions : l’acceptabilité, la crédibilité et la légitimité et le

leadership (Bayad et Barbot, 2002), développés plus loin. Les différents mécontentements et

déceptions qui se produiront devront alors faire preuve de neutralité d’un point de vue

émotionnel (Crutzen et Pirnay, 2013). De Freyman et Richomme (2009) rappellent qu’il est

important pour la fille-successeur de connaitre les connaissances personnelles possédées par

le père-dirigeant pour la continuité de l’entreprise familiale.

Le successeur faisant ses premiers pas dans l’entreprise familiale doit être formé à ce que

représente le capital social de l’entreprise, peu importe sa forme. Il doit savoir comment il est

formé et doit savoir le cultiver (Le Breton-Miller et Miller, 2016). Il doit contribuer ainsi à

rassurer le prédécesseur en présentant des intentions bienveillantes et en conservant les

valeurs promues par l’entreprise (Bayad et Barbot, 2002) en étant à l’écoute du père et non

pas en interprétant les faits (Crutzen et Pirnay, 2013).

Une certaine connaissance, dite implicite, est transmise durant le processus (Lambrecht et

Pirnay, 2008). Malheureusement, cette dernière est trop souvent acquise par le successeur de

manière subliminale. En effet, l’erreur est de croire qu’avoir été en contact avec la société

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depuis l’enfance du successeur lui a permis d’acquérir cette connaissance implicite, mais cette

condition est loin d’être suffisante. Le père doit donc être plus explicite à ce niveau

(Lambrecht et Pirnay, 2008). D’autant plus qu’une part de la légitimité de la fille est créée par

le biais du savoir acquis dans l’entreprise et surtout auprès de son dirigeant (Cornet et

Constantinidis, 2004). La connaissance implicite se définit par des connaissances sur le

fonctionnement de l’organisation, des caractéristiques des clients et fournisseurs, etc.

De plus, la communication implicite est source de « non-dits » qui peuvent être l’origine de

problèmes et, à la longue, auront un impact de plus en plus important. Il est donc primordial

que le père dialogue avec plus de clarté, notamment sur ses sentiments et émotions (Crutzen

et Pirnay, 2017). D’une manière générale, les parties se doivent d’être les plus transparentes

possibles et d’ouvrir le dialogue (Crutzen et Pirnay, 2013). Les émotions sont la source d’une

grande influence à plusieurs niveaux de l’entreprise familiale que ce soit au niveau de la

gestion, des comportements ou même des résultats de l’entreprise (Ghannam et Hanine,

2016).

Les filles trouvent leur place au sein de l’entreprise grâce à leur relation avec leur père

(Dumas, 1989, 1992). Si les relations entretenues entre eux mais également avec les autres

membres de la famille sont de bonne qualité, le père montrera moins de résistance à déléguer

son pouvoir (Cadieux et al., 2000, 2002 ; Dumas 1998). La communication permet ainsi à

chacun l’accomplissement de leurs objectifs respectifs (De Freyman & Richomme, 2009).

Toutefois, au sein des entreprises familiales, la communication tend à être informelle. Ce type

d’échange informel conserve la dimension émotionnelle de l’entreprise familiale (Lambrecht

et Pirnay, 2009) mais son manque de formalisme rajoute une difficulté supplémentaire à une

bonne harmonie dans les relations.

Les comportements interpersonnels au moment de la succession sont également des renforts

vis-à-vis de l’attitude du père concernant la retraite (Handler, 1990). Si la famille ne s’entend

pas, si les membres ne se font pas confiance et qu’il y a des déséquilibres au niveau du

pouvoir, ceci aggrave les résistances du père à quitter l’entreprise (Handler, 1990).

2.2.3.3 L’interaction avec les membres de la famille

En intégrant l’entreprise familiale la fille du cédant doit prendre conscience de l’importance

de la famille, du rôle qu’elle va jouer mais également de son influence. Dans le cadre des

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entreprises familiales, il y a une interaction entre la famille et l’entreprise (Lambrecht et

Pirnay, 2009). La communication est l’affaire de tous dans l’entreprise familiale et chacun

doit y contribuer (Crutzen et Pirnay, 2013), notamment au cours de la succession (Bélanger,

2011).

L’entreprise familiale représente une entité spécifique avec des valeurs particulières et des

motivations parfois influencées par des facteurs émotionnels (Hirigoyen et Labaki, 2012, cités

par Crutzen et Pirnay, 2013). La communication joue un rôle primordial afin de pallier aux

problèmes générés par cette particularité qui ont tendance à devenir une source de conflits

relativement importante dans les entreprises familiales (Danes et Olson, 2003). Le contexte

familial engendre un manque de structure et de formalisme laissant encore une fois la porte

ouverte aux tensions (Völker et Tachkov, 2011, cités par Crutzen et Pirnay, 2013). Les

principaux conflits mis en évidence concernent les rôles, la succession et les problèmes

administratifs en lien avec la justice (Danes et Olson, 2013). Lors du processus de succession

de nombreux changements sont opérés que ce soit au niveau de la structure de l’entreprise

mais également de sa stratégie. Pour régler tout conflit, des instruments de gouvernances

existent et peuvent être mis en place afin de délimiter les pouvoirs de chacun (Crédit Suisse,

2016).

De manière à éviter les conflits, la famille peut parfois recourir au manque volontaire de

communication (Crutzen et Pirnay, 2013), Nous avons également évoqué plus tôt la présence

de conflits de rôles et d’intérêts dans l’entreprise qui marquent indéniablement un frein à la

communication dans et entre les sous-systèmes (Crutzen et Pirnay, 2013). Les membres de la

famille doivent mettre en place un système de communication formelle organisé et structuré

(Lambrecht et Pirnay, 2009). Ce type de rencontres peut prendre différentes formes comme

une celle d’une réunion ou d’un conseil. En agissant ainsi, cela impose aux membres de la

famille de communiquer entre eux et ainsi maintenir l’échange d’informations et les

interactions sociales.

La famille est une entité fragile qui doit être protégée et pas surchargée par la société

(Lambrecht et Pirnay, 2009). Elle doit pouvoir bénéficier de suffisamment d’espace pour se

développer, notamment pour les individus qui la compose (Lambrecht et Pirnay, 2009). A

noter que reconnaitre les capacités de chacun permet d’avancer dans le processus (Barach et

al., 1988). Les éléments du passé sont parfois difficiles à concilier et peuvent générer des

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conflits (Lambrecht et Pirnay, 2009). Afin que ce processus soit fructueux et pérenne, nous

devons souligner l’importance de trouver et donc de maintenir un certain équilibre entre les

différentes parties, à savoir la famille et l’entreprise. Ainsi il en va de soi que tout le monde se

dirige dans la même direction en prenant compte des priorités de chacun et en les respectant.

Ce type de réflexion ne doit pas avoir lieu lors de la mise en place du processus de succession

mais bien avant (Le Breton-Miller, 2011).

Comme précité, l’arrivée de la fille bouleverse les relations au sein de la famille et de

l’entreprise (Dumas, 1992). L’entreprenariat est un phénomène multigénérationnel (Handler,

1990), la famille doit s’avoir évoluer et s’ouvrir laissant place à des nouvelles générations et

émotions qui évoluent au fil du processus de succession (Ghannam et Hanine, 2016). La

génération sénior se doit d’encourager la génération future et de la former aux valeurs et au

capital de la société (Dumas, 1998 ; Haberman et Danes, 2007). Des valeurs claires facilitent

la succession et soude la famille. Celle-ci et plus précisément les anciennes générations

doivent communiquer leur fierté à la nouvelle génération d’avoir travaillé dans l’entreprise

afin de renforcer l’identité du successeur au sein de l’organisation (Sharma et Irving, 2005).

La famille est donc importante dans la transmission et doit être disponible (Handler, 1990).

Elle bénéficie d’une place de choix dans l’entreprise et s’organiser pour une meilleure entente

permet à la fille de profiter d’un support supplémentaire en termes de soutien moral et de

solidarité. La source prépondérante d’influences interpersonnelles et relationnelles imposées

par la famille met en évidence l’importance de l’interaction sociale comme facteur de succès

de la succession (De Freyman & Richomme, 2009). La famille peut être considérée comme

une force motrice ou à l’inverse mettre en péril l’entreprise (Ghannam et Hanine, 2016). Les

membres doivent faire des efforts afin de réguler le niveau relationnel et émotionnel

(Ghannam et Hanine, 2016). Ainsi, une distinction doit être faite entre la partie relationnelle

qui englobe la confiance, l’identité les normes et devoirs et la partie émotionnelle liée aux

sentiments (Lambrecht et Pirnay, 2009). L’affectivité de la famille est confrontée au

rationalisme de l’entreprise (Ghannam et Hanine, 2016) et la nécessité d’une famille unie est

encore plus justifiée dans le cas où la taille de l’entreprise est grande par rapport à celle de la

famille (Handler, 1990).

La méthode FIRO (Family Fundamental Interpersonal Relationship Orientation) est une

méthode utile pour la planification du changement notamment concernant les rapports

humains dans l’entreprise (Haberman et Danes, 2007). L’inclusion dans l’entreprise familiale,

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qui est la première étape du modèle FIRO basé sur les dynamiques interpersonnelles et sur le

changement, souligne l’importance de définir les rôles et les liens entre les membres dans

l’entreprise (Danes et Olson, 2013). L’inclusion de la fille diminue les conflits et favorise la

collaboration et l’intégration de celle-ci (Haberman et Danes, 2007).

Lambrecht et Pirnay (2009) évoquent qu’au sein de entreprise familiale, des compromis

doivent être réalisés pour « concilier les intérêts de l’entreprise et ceux de la famille ». Afin de

coller davantage au système de l’entreprise, la famille doit formaliser la communication en

organisant formellement des réunions (Crutzen et Pirnay, 2013). N’ayant aucun point de

comparaison sur les comportements à adapter, il est difficile pour la famille de s’accorder

pour travailler ensemble (Dumas, 1992). Il a été mis en évidence que l’organisation

d’évènements familiaux récurrents afin de faciliter le rapprochement entre les différents

membres de la famille était source de bénéfices pour la gestion de l’entreprise familiale (Le

Breton-Miller et Miller, 2016).

La qualité d’adaptabilité des membres est de rigueur (Ghannam et Hanine, 2016) pour faire

évoluer le processus. Elle permettra à tout le monde de trouver son compte en ne laissant pas

toujours les mêmes au pouvoir ou en n’adoptant pas non plus des comportements trop

laxistes. L’unification de la famille se traduira par un sentiment de confiance et de fraternité

(Haberman et Danes, 2007). Pour arriver à ce stade, la famille doit passer par les étapes de

l’inclusion et du contrôle. Au dernier stade, la famille parvient à réaliser, ensemble, les

objectifs fixés, connait les rapports de chacun et leurs interactions. Un tel niveau se traduit par

la bonne intégration du successeur (Haberman et Danes, 2007).

Parfois, les filles ne vont pas hésiter à faire appel à une aide extérieure pour améliorer la

communication ou pour la gestion des conflits (Crutzen et Pirnay, 2013). Certains problèmes

trop ancrés peuvent détériorer la famille et l’entreprise au fil du temps. Une personne externe

permet à la famille de les guider sur différents plans de la succession que ce soit la

communication, la préparation, etc. (Dumas, 1992 ; Le Breton-Miller, 2011). L’aide peut se

manifester par des personnes externes expertes dans ce domaine mais également auprès des

différents experts dont l’entreprise familiale à recours comme des avocats, etc. Une aide peut

donc parfois dénouer les problèmes, permettre aux parties de partir sur de nouvelles bases et

superviser les acteurs (Lambrecht et Pirnay, 2009). Pour la gestion de conflits, la mise en

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place d’indicateurs dits subjectifs peuvent se mettre en place afin d’identifier les problèmes

d’engagement (Danes et Olson, 2013).

FIGURE 5 : MODELE INTEGRATEUR (CRUTZEN ET PIRNAY, 2013)

Malgré l’insistance portée ici sur la gestion des conflits, il faut noter que ces derniers sont

normaux, voir naturels, et sont ainsi nécessaires à l’avancement et l’épanouissement des

parties (Danes et Olson, 2013). Un système de communication bien rodé n’exclut pas les

conflits et donc la sphère émotionnelle (Crutzen et Pirnay, 2013). D’autant plus que ceux-ci

sont bénéfiques pour le rapprochement du père et de la fille en les poussant à régler leurs

soucis ensemble, à renforcer leur créativité et à mettre en place des stratégies pour l’entreprise

(Crutzen et Pirnay, 2013).

Pour gérer les conflits, il ne faut pas non plus aller jusqu’à la suppression des interactions

entre l’entreprise et la famille, cette dernière est le caractère unique qui permet à l’entreprise

d’être exclusive (Lambrecht et Pirnay, 2009). Les sous-systèmes de l’entreprise familiale

décrits précédemment doivent savoir interagir ensemble afin de bénéficier de leur potentiel et

de cette qui se définit comme l’influence bilatérale de l’entreprise et de la famille grâce au

bénéfice relationnel (Lambrecht et Pirnay, 2009).

La communication doit être présente avant, pendant et après le processus de succession et son

importance se justifie par l’importante charge émotionnelle apportée par la famille

(Lambrecht et Pirnay, 2008). D’autre part, en mettant en place un bon système de

communication, l’accès à la légitimité de la fille s’en trouvera facilité.

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2.2.4 CREDIBILITE ET LEGITIMITE

Un enjeu important pour tout successeur reste d’être reconnu et accepté au sein de l’entreprise

qu’il intègre. Démontrer certaines compétences sera nécessaire afin d’être considéré comme

légitime aux yeux des différentes parties (Plante et Grisé, 2005). Toutefois, ce défi est

nettement influencé par les visions socioculturelles confrontant les hommes et les femmes.

2.2.4.1 L’acceptation du successeur

L’acceptation est fondée sur la perception du successeur à être en adéquation avec la culture

de l’entreprise tandis que la crédibilité est plutôt basée sur ses performances (Plante et Grisé,

2005). La légitimité au sein de l’entreprise familiale, facteur important dans le processus de

succession, est constituée de l’acceptation et de la crédibilité de l’héritier (Plante et Grisé,

2005). Elle sous-entend de la part des différentes parties le droit à la direction de l’entreprise

par la soumission à certains critères de performance : autrement dit, la famille et la direction

de l’entreprise doivent accepter le projet de succession (Bayad et Barbot, 2002).

La préparation de l’intégration du successeur par le prédécesseur afin de le former et lui faire

gravir les échelons constitue la première étape importante dans le processus d’acceptation

(Koffi et Lorrain, 2011). La légitimité est également rattachée à l’intégration d’un héritier

suffisamment mûr, et donc âgé, que les autres acteurs associent à de longues études et une

expérience professionnelle accrue (Plante et Grisé, 2005). A rajouter qu’une éducation et

d’une expérience professionnelle à l’extérieur de l’entreprise permettrait une meilleure

acceptation du successeur (Bayad et Barbot, 2002). Cela permettrait d’inverser la tendance

contribuant à avoir plus d’égards et donc d’accroître sa crédibilité envers ces différentes

parties (Constantinidis et Santin, 2008 ; Plante et Grisé, 2005) en améliorant leurs

compétences aussi bien techniques que relationnelles (Haddadj et d’Andria, 2001, cités par

Bayad et Barbot, 2002). Cette expérience externe permet aussi la mobilisation d’un réseau

d’autant plus large, qui pourra aider le successeur. L’avantage de leur retour motivé au sein de

l’entreprise montre par ailleurs leur affection malgré la découverte d’autres milieux

professionnels (Crutzen et Pirnay, 2013) et ainsi leur légitimité au sein de l’organisation.

L’évolution et la formation en interne de l’entreprise familiale constitue également un

avantage bénéfique (Plante et Grisé, 2005) en terme de gain d’expérience et d’aide de la part

des parents d’un point de vue aussi bien technique que psychologique (Constantinidis et

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Nelson, 2009). Des auteurs ont affirmé que la façon la plus valorisante pour le successeur

d’intégrer la société en terme de légitimité était, certes, d’avoir travaillé dans d’autres

entreprises extérieures, mais également de démarrer dans l’entreprise familiale à un niveau

hiérarchique inférieur à ceux des postes de direction (Plante et Grisé, 2005) comme au statut

d’employé, de stagiaire ou encore pendant de simples emplois saisonniers (Barach et al.,

1988). D’une manière générale, une prise de responsabilité croissante est mieux vue de la part

du personnel, et la connaissance des différentes activités de l’entreprise familiale procure

davantage de crédibilité.

Concernant la famille, cette dernière ayant identifié auparavant le successeur, l’intégration de

ce dernier aura moins d’importance au niveau de la légitimité auprès d’elle, mais elle

accordera davantage d’attention aux valeurs familiales qui lui sont prodiguées (Plante et

Grisé, 2005). Dans le cas d’une passation classique avec des candidats externes, ces derniers

sont généralement évalués sur leurs capacités et leurs motivations à obtenir un tel poste. Dans

le cadre de la famille, et vis-à-vis des relations qu’entretiennent les parties prenantes, cet

examen n’est pas réalisé de la même façon, et le cédant peut hésiter à le faire (Crédit Suisse,

2016). Ce qui n’est pas le cas des membres de l’organisation qui vont apprécier les

compétences du successeur pour juger de sa capacité à reprendre la direction de l’entreprise

(Plante et Grisé, 2005). L’acquisition du savoir de l’entreprise par une expérience interne

contribue au successeur de se faire accepter (Koffi et Lorrain, 2011). Le successeur est

considéré comme légitime s’il montre son implication (Bayad et Barbot, 2002 ; Koffi et

Lorrain, 2011) dans l’entreprise familiale mais également en gagnant la confiance des

différents membres (Plante et Grisé, 2005).

De manière générale, pour se faire accepter en tant que successeur, notamment auprès des

employés, l’apparition d’une correspondance entre les objectifs du repreneur et des employés

doit s’opérer (Koffi et Lorrain, 2011). La fille-successeur doit donc aspirer un rôle plus

profond que celui de dirigeant, où elle montrera qu’elle n’est pas la simple héritière mais une

combattante ayant gagné le respect et la responsabilité que sa position lui incombe (Barach et

al., 1988). En adoptant un comportement compatible aux valeurs véhiculées par l’entreprise

familiale, le successeur confirmera son acceptation et sa position au sein de l’organisation

(Koffi et Lorrain, 2011).

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FIGURE 6 : LES DIMENSIONS DE LA SUCCESSION MANAGERIALE DANS LES ENTREPRISES

FAMILIALES (BARACH ET AL., 1988, ADAPTE PAR BAYAD ET BARBOT, 2002)

Pour que les différents partenaires (collaborateurs, clients, fournisseurs, etc.) adhèrent aux

changements initiés à la succession, ces derniers doivent être préparés et informés au plus tôt

et introduits de manière à créer un environnement favorable à l’arrivée du successeur (De

Freyman & Richomme, 2009). Certains partenaires sont importants et procéder de la sorte

permet à la fille-successeur de jouir de relations indispensables à l’activité de l’entreprise

familiale (De Freyman & Richomme, 2009). Néanmoins, le père doit savoir laisser sa fille

gérer ses relations afin de démontrer qu’elle détient le pouvoir au sein de la société. Si le père

cherche à monopoliser les relations et échanges sociaux, le successeur ne pourra plus évoluer

rendant le père indispensable auprès des différents acteurs (De Freyman & Richomme, 2009).

En somme pour garantir le bon déroulement de l’intégration et l’acceptation du successeur, il

est utile de combiner les modes d’entrées du successeur comme l’expérience professionnelle

extérieure, l’entrée dans l’entreprise à un niveau hiérarchique inférieur combiné a une

formation en interne (Plante et Grisé, 2005). La transmission des symboles de pouvoir par le

père-cédant constitue également une influence positive à l’acceptation du successeur

(Lambrecht et Pirnay, 2008).

2.2.4.2 Les effets de genre

Principalement issus des phénomènes de genre, de séparation et de hiérarchisation, les filles

désirant travailler dans des secteurs masculins seront davantage soumises à des problèmes liés

à leur légitimité dans l’entreprise et il est donc important de les identifier (Danes et Olson,

2013).

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Elles sont en effet positionnées comme n’ayant pas les caractéristiques d’un manager et

rencontrent des problèmes à différents niveaux de la succession auprès des différents acteurs

(Constantinidis et Nelson, 2009). Plusieurs notions importantes vont confronter les femmes-

successeurs pour être appréciées comme successeurs acceptables, crédibles et légitimes

(Barach et al., 1988). Ces concepts sont d’autant plus importants car le niveau d’acceptation et

de crédibilité du successeur est considéré comme facteur de succès à long terme du processus

de succession (Plante et Grisé, 2005).

La reprise d’une entreprise par la fille du cédant présente comme première difficulté, la

légitimité, qui est la dimension la plus difficile à acquérir (Bayad et Barbot, 2002), pour

accéder à un tel poste, notamment durant les premières années (Constantinidis et Santin

2008). Elles ne sont généralement pas reconnues comme légitime mais plutôt comme

successeur par défaut malgré des compétences et des aptitudes bien présentes (Bayad et

Barbot 2002 ; Dumas 1989, 1992). Il est difficile pour elles d’être considérées comme

compétentes (Vera et Dean, 2005).

Les filles sont, d’une manière générale, plus scolarisées que les garçons et ont davantage

d’expériences extérieures, ce qui leur confère, normalement, plus de légitimité que leurs

homologues (Plante et Grisé, 2005 ; Vera et Dean, 2005). Le diplôme leur procure alors un

avantage pour leur crédibilité auprès des acteurs de l’entreprise mais également auprès des

externes (Cornet et Constantinidis, 2004) ce qui est un atout majeur pour être reconnue

comme légitime (Barach et al., 1988). A noter qu’elles réalisent souvent d’autres formations à

l’arrivée dans l’entreprise pour détenir davantage de connaissances et obtenir une certaine

crédibilité en tant que futur leader (Constantinidis et Nelson, 2009). C’est souvent autour de

40 et 50 ans que les femmes sont nommées à des postes de direction, pourtant, elles en sont

capables bien avant (Vera et Dean, 2005).

Le rôle féminin associé à la famille et la parentalité est également identifié comme

incompatible avec la position de chef d’entreprise. Ce problème semble d’autant plus

important dans un secteur masculin qui nécessite des caractéristiques qualifiées de masculines

qui rassemblent les connaissances techniques et la capacité de gérer des hommes : les

caractéristiques idéales pour gérer une entreprise, accordant aux hommes la considération des

différentes parties prenantes (Constantinidis et Santin 2008 ; Dumas, 1998). Mais les filles

n’échappent pas aux clichés typiques, ancrés depuis des années, sur leur place en dehors de la

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maison et de la maternité, qui est moins valorisée voir négative (Richomme-Huet et d’Andria,

2012).

Durant la passation, et même encore après, les filles souffrent d’un manque de crédibilité

auxquelles elles doivent faire face. De nombreux auteurs mettent en évidence que les filles

rencontrent des soucis à ce niveau même avec leurs parents fondateurs (Cadieux et al., 2000,

2002 ; Dumas 1998 ; Salganicoff 1990 ; Vera et Dean 2005). En effet, se voir offrir un poste

par sa famille constitue déjà une part importante d’acceptation et de crédibilité (Plante et

Grisé, 2005) mais il est plus difficile pour le père de laisser son enfant gagner sa légitimité

(Barach et al., 1988).

Toutefois, les parents ne sont pas les principaux acteurs avec qui elles peuvent rencontrer des

problèmes de légitimité. Il y a également, au sein de la société, des employés, notamment des

hauts cadres occupant des positions stratégiques (Cadieux et al., 2000, 2002 ; Constantinidis

et Nelson, 2009 ; Dumas 1998 ; Salganicoff 1990 ; Vera et Dean 2005), des partenaires

d’affaires (Cornet et Constantinidis, 2004), mais aussi des clients et des fournisseurs. Ces

derniers agissent de manière à laisser présager que les filles-successeurs doivent travailler

davantage et montrer de quoi elles sont capables (Dumas 1998 ; Salganicoff 1990 ; Vera et

Dean 2005) afin de bénéficier de leur confiance et de leur respect (Constantinidis et Nelson,

2009 ; Constantinidis et Santin 2008).

Ce sont par ailleurs ces relations externes qui sont la source de beaucoup de soucis au niveau

de ces discriminations et stéréotypes. Il semblerait aussi que ces comportements sont plus

importants lorsque la fille est jeune et présente dans un secteur identifié comme masculin

(Constantinidis et Nelson, 2009). Ce phénomène de séparation que l’on peut retrouver créé

alors des problèmes au niveau de la légitimité de ces femmes en tant que dirigeantes car trop

éloignées des caractéristiques adaptées à leur cadre d’un point de vue de la société

(Constantinidis et Santin 2008). Un problème récurrent concerne les managers externes qui

tentent d’isoler la fille des décisions et de fragiliser leur relation avec le dirigeant (Dumas,

1992). Pour éviter les problèmes, notamment avec les hauts cadres et managers, ces derniers

doivent être sensibilisés aux triangulations possibles tout comme aux dyades entre le père et la

fille (Dumas, 1989) afin d’éviter les incompréhensions. Le fait de rencontrer des soucis avec

des hauts cadres seraient exclusif chez les filles (Dumas, 1898). Ces deux parties rentrent

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généralement en conflit pour définir qui aura l’autorité et le pouvoir dans le but de récolter les

louanges du prédécesseur (Dumas, 1898).

Néanmoins, des relations nouées depuis l’enfance de la fille avec des employés, notamment si

elle a déjà été identifiée comme potentiel successeur, constituent en soi des avantages en

termes de support dans l’entreprise (Constantinidis et Nelson, 2009). Elle dispose ainsi de

personnes-ressources dans l’entreprise et en extérieur avec les conseillers du père avec

lesquels elle peut avoir confiance et bénéficier d’une légitimité accrue (Constantinidis et

Santin 2008 ; Cornet et Constantinidis, 2004). Dans une étude de Plante et Grisé (2005), 36%

des personnes interrogées ont mentionné que connaitre l’entreprise et les employés en y

travaillant pendant les études et durant les travaux saisonniers leur ont permis d’avoir un

niveau d’acceptabilité accru. Les filles peuvent avoir une transition de leadership plus fluide

si elles peuvent comprendre et gérer les perceptions des employés non familiaux (Vera et

Dean, 2005).

Dans le cadre du profil de type pull étudié ici, les filles sont moins vues comme les « filles à

papa » ou encore « filles du patron », ce qui, dans le cas contraire, représente généralement

un frein important à leur acceptation et leur crédibilité par les différents groupes d’acteurs

(Constantinidis et Santin 2008). De plus, celles qui appartiennent au scénario où la succession

est davantage liée à un engagement affectif ont moins de difficultés avec les parties prenantes

que celles dont la reprise est une contrainte (Sharma et Irving, 2005). Elles sont généralement

épaulées par leur père mais également par des personnes de confiance parfois rencontrées par

le réseau de contact qu’elles se sont créé au cours de leurs expériences (Constantinidis, 2010).

Elles consultent ainsi des externes comme personnes-ressources comme des experts ou des

consultants en vue de renforcer leur légitimité (Constantinidis et Nelson, 2009). Le soutien

par le biais de réseaux permet également aux femmes de trouver du soutien et des conseils

auprès de consœurs ou de confrères et de comparer leurs expériences à ce sujet

(Constantinidis et Nelson, 2009).

En somme, tous les successeurs doivent traverser différents rites de passage avant de pouvoir

être considérés comme légitimes au sein de l’entreprise familiale. Nous avons observé

d’important problèmes, propres aux filles, qui pouvaient subvenir des différentes parties

impliquées dans le processus. Cependant, les filles-successeurs ne doivent pas se sentir

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dévalorisées car elles sont toutes aussi capables que les hommes à assumer ce rôle (Bayad et

Barbot, 2002), notamment en présentant des spécificités particulières toutes aussi louables.

2.2.5 MANAGEMENT ET STRATEGIE

Selon la littérature, les femmes auraient un mode de gestion spécifique. Elle met en évidence

des différences entre les hommes et les femmes dans la manière dont ils gèrent leur société

notamment en ce qui concerne la perception des compétences, des valeurs ainsi que celle des

objectifs et des critères de réussite (Cadieux et al., 2002 ; Koffi et Lorrain, 2005). Ainsi, des

divergences de la vision de l’entreprise apparaissent entre le père et la fille, en raison des

tendances qui se dégagent mais également à cause de leurs horizons temporels différents

(Lambrecht et Lievens, 2006, cités par Lambrecht et Pirnay, 2008).

2.2.5.1 L’apport des femmes dans l’entreprise

Un élément non négligeable de la passation de pouvoir est de permettre l’épanouissement de

la fille afin qu’elle puisse mettre en place sa stratégie pour la direction de l’entreprise. Le

père-cédant doit l’impliquer dans les décisions d’avenir en s’effaçant petit à petit (Plante et

Grisé, 2005). La gestion adoptée par les femmes dans les entreprises est justifiée,

puisqu’encore une fois, elle permet d’afficher les stratégies qui ne sont pas les mêmes entre

les sexes (Cornet et Constantinidis, 2004). Selon la littérature, les femmes auraient un mode

de gestion spécifique.

Les femmes arborent des valeurs plus « féminines » et tiendraient comptes de plusieurs

sphères dans leur vie : elles ne se concentrent pas uniquement sur leur profession, ce qui est

plutôt le cas des hommes (Cadieux et al. 2002 ; Dumas 1989, 1990 ; Salganicoff 1990 ; Vera

et Dean 2005). Ceci fait que l’entreprenariat féminin présente des spécificités qui lui sont

propres notamment en termes de management (Dumas, 1989). Les femmes adoptent un

management centré sur l’individu (Koffi et Lorrain, 2005) qui coïncide avec les stratégies

d’entreprises familiales en veillant à ce que tous les membres suivent la même voie

(Lambrecht et Pirnay, 2009). Les filles ont tendance à vouloir garder de bonnes relations avec

les parents et cherchent à résoudre les conflits avec leurs proches (Bayad et Barbot 2002 ;

Dumas 1992; Salganicoff 1990). C’est ce critère qui ferait d’elles de meilleurs successeurs

que les fils par leur tendance à préserver leur relation avec leurs proches dont leurs parents

(Ward 1987 cité par Bayad et Barbot, 2002).

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Les femmes se mettent plus facilement en relation avec les autres (Koffi et Lorrain, 2011). En

favorisant l’échange d’informations et le développement des employés pour une prise de

décision plus collective, elles font preuve d’un grand potentiel en termes de leadership (Vera

et Dean, 2005). Elles font davantage confiance, elles sont moins méfiantes, plus conciliantes

et moins directives. Elles adoptent des comportements plus compréhensifs et plus flexibles

(Vera et Dean, 2005). Le management féminin est important pour le climat de l’entreprise et

les relations internes mais également pour le moral des employés (Vadnjal et Zupan, 2009).

D’après l’étude de Constantinidis et Santin (2008), les femmes rencontrées ne rencontraient

pas de problème particulier avec les différents membres du personnel de l’entreprise : les

rapports entretenus étaient globalement bons et le personnel aidait à la formation de la fille.

Encore une fois, les relations créées permettent à la fille de pouvoir s’entourer.

Les femmes privilégient des comportements basés sur l’empathie et le dialogue. Elles

n’apprécient pas l’affrontement et cherchent à résoudre les difficultés en réfléchissant de

manière globale. Pour pallier aux difficultés que ces dernières rencontrent, elles vont

naturellement créer une ambiance, au sein de l’entreprise et des salariés, propice aux

échanges, au respect et en faisant preuve de transparence (Constantinidis et Cornet, 2006).

L’aspect relationnel représente pour elles une préoccupation majeure (Cornet et

Constantinidis, 2004 ; Vadnjal et Zupan, 2009) et tentent d’atténuer les ardeurs masculines

dans les conflits (Vadnjal et Zupan, 2009). En devenant dirigeantes, les femmes introduiraient

un certain nombre de changements dans le style de gestion, par lesquels elles devraient ajouter

leur approche féminine plus douce en tant que qualité au style existant (Vadnjal et Zupan,

2009). Elles adoptent un mangement basé sur le changement, elles sont également persuasives

et parviennent à stimuler les membres de l’organisation (Vera et Dean, 2005). Elles doivent se

voir comme une ressource complémentaire (Vadnjal et Zupan, 2009) notamment dans ces

secteurs typiquement masculins.

La succession est également le transfert du leadership. Les femmes et les hommes sont égaux

en termes de leadership (Koffi et Lorrain, 2011). Les femmes ne devraient pas changer leur

mode de management pour se sentir égales aux hommes. Dans les secteurs masculins, les

femmes auraient tendance à adopter un style de management plus masculin, donc plus axé sur

les tâches que sur l’interpersonnel, hors ceci est une erreur vu le potentiel des femmes dans

une entreprise familiale (Vera et Dean, 2005). Ceci se confirme dans le choix de subordonnés

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qui montrent plus de résistances quand les femmes optent pour ce genre de mangement (Vera

et Dean, 2005).

Selon une étude (Vera et Dean, 2005), 50% des filles souffriraient de comparaison faite sur

leur style de management en comparaison à celui de leur père. Pourtant, elles devraient

s’affranchir de ce genre de rapprochement : les femmes ont une approche appropriée à la

gestion de l’entreprise familiale. De par leurs spécificités mis en avant précédemment, ces

dernières aspirent naturellement à se préoccuper du bien-être de la famille et de l’entreprise

(Salganicoff, 1990).

2.2.5.2 Le transfert de leadership

Le dirigeant à un impact sur la société à plusieurs niveaux : la structure, la culture mais

également sur la stratégie (Dumas, 1990). L’entreprenariat féminin est différent de

l’entreprenariat masculin sur bien des points et mérite qu’on s’y intéresse davantage

notamment pour en comprendre les mécanismes et pour l’exploiter au maximum. Les

singularités sont présentes à différents points de vue en passant par la stratégie adoptée, leur

façon d’être en affaires, leurs motivations : aussi bien professionnelles que privées, leur

parcours antérieur, etc. (Constantinidis et Cornet, 2006).

Le père doit comprendre que sa fille présente un modèle tout à fait différent de lui en tant

qu’homme et personne plus âgée. Il ne devra pas s’étonner de ses comportements si elle

montre un manque d’indépendance et autonomie : les filles ont une tendance naturelle à

s’intéresser à l’avis du père (Dumas, 1990). La connaissance de ses différences permet au

père de moins s’inquiéter sur les capacités de la fille à reprendre la société et donc d’éviter des

malentendus (Dumas, 1990). Il est naturel, pour le père, d’essayer de protéger sa fille et

parfois, il le manifeste en l’excluant des prises de décisions importantes de la société (Vera et

Dean, 2005). Une surprotection par un comportement paternaliste n’est pas une solution car la

fille nécessitent de l’aide concernant son empowerment : le père doit l’aider à exploiter son

potentiel (Dumas, 1989) et à la prise de responsabilités.

Il incombe au rôle du père de sensibiliser sa fille à ses réseaux et à elle d’accepter cette

intégration et ses relations sociales (De Freyman & Richomme, 2009). Il va ainsi lui permettre

de s’appuyer sur différents types d’acteurs professionnels important pour sa carrière et de

renforcer son leadership. Il doit donc la faire accepter auprès de son réseau social pour que ces

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derniers ne doutent pas de ces capacités. Toutefois, c’est aussi à la fille d’évaluer à quel

niveau ces acteurs peuvent être importants et ne pas les rejeter par simple divergence de

vision ou valeurs (De Freyman & Richomme, 2009). Les femmes d’affaires ont tendance à se

tourner vers des réseaux aussi bien masculins que féminins pour enrichir leur savoir mais

également pour bénéficier d’un certain soutien (Constantinidis et Cornet, 2006 ; Cornet et

Constantinidis, 2004). Toutefois, 73% des femmes souhaitent tout de même échanger au sein

d’un réseau spécifique aux femmes-entrepreneur (Cornet et Constantinidis, 2004). Un tel

appui procure à la fille un support important pour sa stratégie en comprenant dans quel milieu

et marché elle évolue (De Freyman & Richomme, 2009).

Cependant, chez les prédécesseurs masculins, on observe une différence dans la manière de

travailler. Là où les femmes favorisent un travail plutôt collaboratif, les hommes ont tendance

à mettre l’accent sur un travail dyatique (Koffi et Lorrain, 2011). La gente féminine a tout à

fait conscience des différences qui s’opèrent entre les hommes et les femmes mais voient cela

plutôt comme un atout. Elles s’en servent pour divulguer des messages positifs et ainsi

développer un nouveau modèle de femmes d’affaires (Constantinidis et Cornet, 2006) et de

leaders.

Concernant le père-dirigeant, il est davantage associé à une nécessité de contrôle et de pouvoir

très présent (Dumas 1990). Les femmes jouent un rôle informel positif par la réalisation

d’actions bien plus subtiles (Vadnjal et Zupan, 2009). La fille doit répondre aux besoins du

père en se positionnant comme un soutien en répondant à ses exigences en tant que père et

employeur (Dumas, 1990). Mais elle ne doit pas se contenter de le suivre et de prendre soin de

lui sinon elle n’acquerra pas les capacités pour reprendre la société (Dumas, 1990). Elle doit

trouver un équilibre entre rébellion et dépendance (Dumas, 1990). Le prédécesseur aura

généralement mis en place des mécanismes de contrôle et une segmentation de l’information

de manière à embrigader la société (Dumas, 1990). Ce genre de comportement antagonique

est rarement observé chez les femmes : pendant la passation de pouvoir, elles cherchent

spontanément à tomber d’accord avec leur père cédant afin d’éviter les rivalités (Bayad et

Barbot 2002). La relation instaurée entre le père et sa fille aspire, de manière générale, à une

certaine complémentarité (Dumas, 1989, 1992).

En optant pour la succession intrafamiliale, le père éprouve davantage le souhait de

transmettre ses connaissances à son enfant. En effet, il émet la volonté que sa fille reproduise

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ce qu’il a réussi à faire et donc il trouve normal qu’elle s’inspire de lui en tout point (De

Freyman & Richomme, 2009). Les filles apprécient à travailler avec leur père, nous avons vu

précédemment que chacun trouvait une certaine complémentarité dans leur rôle, ce qui, d’un

point de vue positif permet à la fille d’entretenir une atmosphère propice à la succession et à

la gestion conjointe, toutefois ceci mène également à une présence plus longue du père

(Dumas, 1989) ce qui pourrait à la longue générer des conflits, des frustrations et une baisse

de crédibilité. Pour le père, cela lui permet davantage de se préparer à son retrait définitif sur

le plan de la perte de pouvoir de s’assurer de la formation de sa fille à la reprise de son poste

et cette dernière de se retirer progressivement de son ombre pour répondre aux besoins de la

société (Dumas, 1989). A noter que l’arrivée d’une nouvelle génération s’accompagne aussi

de l’apport de nouvelles connaissances et l’arrivée des nouvelles technologies qui aide

davantage au départ du père qui se sent souvent dépassé (Handler, 1990).

2.2.5.3 L’évolution de l’entreprise en termes de performances

En entreprise, comme précité, les femmes présentes des différences dans leur manière de

gérer et n’ont pas la même perception que les hommes en termes d’objectifs. Partant de ce

constat, de nombreux auteurs affirment qu’elles favorisent une gestion avec une structure

horizontale, équilibrée, souple et attentionnée (Dumas, 1990). Elles envisagent davantage la

vie en entreprise en encourageant la participation et en partageant le pouvoir et l’information

(Constantinidis et Cornet, 2006).

Leur façon d’être et d’agir dans les affaires leur font parfois réputation d’investir davantage

au niveau relationnel au dépend de la réussite de l’entreprise (Salganicoff 1990). Pour le

développement de l’entreprise, les femmes s’attardent donc au développement personnel de

leur personnel pour obtenir des résultats. D’autant plus que le choix de conciliation de leur

sphère privée et professionnelle démontre un frein réel à la croissance de l’activité (Cornet et

Constantinidis, 2004).

L’entreprenariat féminin montre quelques spécificités et des études ont montré que les

entreprises dirigées par des femmes présentent, en termes de performance basée sur le taux de

survie, de bien meilleurs résultats que celles dirigées par leurs homologues masculins

(Constantinidis et Cornet, 2006). Néanmoins, si les critères se basent sur le succès de

l’entreprise, des résultats plus contrastés ont été mis en évidence mais ils montreraient de

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fortes similitudes dans les résultats, notamment en matière de croissance ou de rendement

(Constantinidis et Cornet, 2006).

Les femmes qui dirigent des entreprises familiales sont en moyenne 1,7 fois plus productives

que celle dirigées par des hommes (Vera et Dean, 2005). Elles adoptent davantage une

stratégie axée sur la continuité plutôt que sur la croissance (Verheul, Risseeuw, Bartelse,

2002, cités par Cornet et Constantinidis, 2004) cependant, d’après l’étude de Cornet et

Constantinidis (2004), 40,5% des femmes souhaitent accroitre le chiffre d’affaire de

l’entreprise en investissant dans de nouveaux équipements et 10% en songeant à l’exportation.

Il est nécessaire aux filles de comprendre certains mécanismes propres à leur manière de gérer

et d’entreprendre. Ici, nous avons vu qu’elles présentent des particularités bien distinctes dans

leur façon de gouverner. Néanmoins, rappelons que ceci n’est qu’une tendance et que chacune

est libre de diriger l’entreprise familiale comme bon lui semble.

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3 CADRE METHODOLOGIQUE

Afin d’imager la revue de littérature précédente sur la transmission d’entreprise familiale de

père en fille, ce travail est complété par une étude qualitative de manière à mettre en évidence

la réalité. Cette partie consiste à expliquer et analyser l’étude qui s’est déroulée auprès de 7

femmes ayant repris la société de leur père ou étant en cours de processus.

3.1 METHODE

3.1.1 OBJECTIFS

L’objectif de l’étude qualitative suivante est de confronter ce qui est disponible dans la

littérature avec des éléments tangibles de la réalité. Afin d’en apprendre davantage sur le

phénomène de la succession vécu par les filles, cette étude consiste en une entrevue

approfondie sur les antécédents et expériences des personnes interrogées. Ce type d’approche

correspond parfaitement à ce qui est recherché puisqu’on s’interroge sur le pourquoi et le

comment des phénomènes décrits précédemment (Yin, 1994). Cette approche par récit de vie

permet de suivre l’évolution de l’évènement étudié ici et d’aborder ainsi le sujet sous divers

angles. Nous avons interrogé les filles sur l’avancée du processus de succession, leur parcours

avant d’intégrer l’entreprise familiale, leur motivation et leurs rapports avec les différentes

parties internes et externes. Basés sur le développement adopté dans la revue de littérature,

nous avons souhaité mettre en évidence les similitudes et les différences dans les expériences

des personnes interviewées. Toutefois, cette étude ne permet pas de faire une généralisation et

d’apporter un support en termes de statistiques ou de comparaisons entre les hommes et les

femmes. L’objectif est de pouvoir émettre des recommandations à l’intention du père et de la

fille pour aboutir à une succession réussie et éventuellement valider l’opportunité de mener

une étude approfondie.

3.1.2 ECHANTILLON

L’échantillon de personnes sélectionnées a été constitué sur plusieurs critères permettant ainsi

d’avoir des cas au plus proches de ma situation. Les critères étaient donc les suivants :

- Transmission intrafamiliale initiée ou finalisée,

- De père en fille,

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51

- Par un choix affirmé de la fille et non par défaut,

- D’une petite-moyenne entreprise d’un milieu dit « masculin »,

- En Belgique francophone.

Pour rechercher les candidats, nous nous sommes tournée spontanément vers différents

contacts et avons démarché quelques organismes comme des associations, des réseaux

d’entrepreneurs et des entreprises de conseils en entreprenariat (l’Association Belges des

Femmes Chefs d’Entreprise, la Chambre des Commerces, l’Institut des Entreprises

Familiales, la société Copilot). Ici, nous avons privilégié l’effet « boule de neige », pour

aboutir sur une plus grande diversité de cas.

Très peu de contacts répondant à nos critères ont été trouvés. Une douzaine de personnes ont

été sollicitées mais seulement 7 femmes nous ont donné une réponse positive. Le temps limité

et les disponibilités des interviewées ont été les principales contraintes. Les personnes

retenues l’ont été par leur diversité en termes de secteur et taille de l’entreprise mais

également par leur position actuelle dans l’entreprise et leur âge ceci afin de mettre en

évidence la complexité de la problématique. Pour ce qui est des autres personnes, ces

dernières n’ont soit pas répondu soit arrêté d’échanger au moment de la prise de rendez-vous.

La prise de contact a été réalisée par mail ou par téléphone en fonction des coordonnées

obtenues. Les personnes ont été informées du cadre de l’enquête et ont eu un bref résumé du

questionnaire. Pour garder une certaine spontanéité dans les réponses, les femmes n’ont pas

reçu le détail du questionnaire. La totalité de ces dernières a accepté l’enregistrement et peu

ont demandé la confidentialité des informations communiquées. Toutefois, elles garderont

toutes leur anonymat dans cette étude. Chaque femme sera donc identifiée par la

dénomination « Fille » suivi du numéro dans lequel les interviews ont été conduites. Après la

rencontre de toutes les femmes, deux ont été écartées en raison d’une reprise avec leur frère.

L’étude de ces 2 cas était trop éloignée de notre recherche et ne répondait pas aux mêmes

problématiques.

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Ci-dessous un descriptif des entreprises de l’échantillon ainsi que des filles interviewées :

TABLEAU 1 : SYNTHESE DES ENTREPRISES CONSULTEES

Entreprise Secteur Génération Taille Phase de

transmission

Année de

transmission

1 Travaux publics & privés 2ème

150 salariés Retrait du cédant 2010

2 Menuiserie 2ème

30 salariés Règne conjoint En cours

3 Industrie alimentaire 3ème

25 salariés Retrait du cédant 1995

4 Boulangerie, pâtisserie, chocolatier et confiseur 4ème

160 salariés Règne conjoint En cours

5 Mécanique & maintenance industrielle 2ème

50 salariés Intégration En cours

TABLEAU 2 : SYNTHESE DES FILLES INTERROGEES

Fille Secteur Age

actuel

Age

d’arrivée

Situation familiale Niveau d’études

1 Travaux publics & privés 47 ans 23 ans Mariée, 5 enfants Supérieur – type long

2 Menuiserie 34 ans 23 ans En couple, enceinte Supérieur – type long

3 Industrie alimentaire 54 ans 27 ans En couple, 2 enfants Supérieur – type long

4 Boulangerie, pâtisserie, chocolatier et confiseur 29 ans 23 ans En couple Supérieur – type long

5 Mécanique & maintenance industrielle 25 ans 21 ans En couple Supérieur – type court

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3.1.3 COLLECTE DE DONNEES

La collecte de données s’est effectuée par le même chercheur entre juin et juillet 2018. Les

données ont été récoltées par le bais d’entretiens individuels semi-directifs en face-à-face avec

les héritières, uniquement sur leur lieu de travail. Le fait de ne pas interroger le père se justifie

par la problématique de ces travaux orientée sur la fille-successeur. Les avantages de tels

entretiens sont la flexibilité et la souplesse qu’ils apportent à l’entrevue permettant au

chercheur d’adapter les questions au cours de l’entretien. L’interview a été menée suivant un

guide d’entretien qui constitue un inventaire de questions factuelles mais également de

développement. Ces dernières ont été classées par thème selon les éléments abordés dans la

revue de littérature, ceci afin d’organiser l’entretien selon une ligne directrice permettant

d’optimiser le temps de l’interview et l’analyse des données. Les interviews ont duré entre 30

et 45 minutes excepté une de 70, l’objectif était de monopoliser ces femmes le moins

longtemps possible dans le but de garder un entretien constructif avec un contenu riche

permettant aux répondantes d’éviter d’accélérer l’entrevue pour gagner du temps. L’entretien

est basé sur l’enchainement d’idée du répondant pour évoquer chacun des thèmes et la

formulation des questions a donc été modifiée en conséquence. La totalité des interviews a été

enregistrée par dictaphone et retranscrite.

3.1.4 ANALYSE DES DONNEES

Pour procéder à l’analyse des données une relecture de chacune des interviews a été réalisée

de manière à identifier les différents thèmes abordés et à définir le corpus. Une analyse

verticale a ensuite été réalisée de sorte à travailler chaque entretien de façon approfondie. Ce

type d’analyses permet d’identifier les principaux éléments de l’entrevue et la logique suivie

par l’interviewée pour appréhender la problématique. S’en suit une analyse horizontale qui

permet de confronter les différentes entrevues pour mettre en avant les éléments récurrents en

termes de similitudes et différences par rapport à la littérature. L’extraction des données

permettra de réaliser une analyse thématique permettant une conclusion générale quant à la

littérature existante. L’examen des interviews a été réalisé sans idée préconçue quant à

l’étayement ou la réfutation des éléments de la littérature.

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3.2 RESULTATS

Les résultats des interviews seront confrontés à la revue de littérature et suivront un

déroulement similaire. Nous verrons ici les profils des filles interrogées ainsi que ceux de leur

entreprise afin de mieux comprendre les enjeux révélés lors de leur succession, du début à la

fin, et des recommandations émises.

3.2.1 PROFILS DES ENTREPRISES

Comme précité, l’étude porte uniquement sur des entreprises à dominante masculine. Les 5

entreprises retenues pour l’analyse viennent de secteurs d’activités très variés et diffèrent par

leur taille allant de 25 à 160 employés.

L’échantillon présente une majorité légère de transmission à la seconde génération

(Entreprises n°1, 2 et 5), les deux autres étant passées à la 3ième

et 4ième

génération

(respectivement les Entreprises n°3 et 4). Hormis une entreprise (Entreprise n°5), toutes les

entreprises proviennent d’un héritage familial et ont été fondées par un membre de la famille.

Dans un cas, la succession est dans la phase d’intégration du successeur (Entreprise n°5). Pour

deux autres, nous sommes dans le contexte du règne-conjoint à des phases plus ou moins

avancées dans cette étape (respectivement les Entreprises n°2 et 4). En ce qui concerne les

deux autres, les filles gèrent seule leur société et le processus de succession est terminé : le

père n’est plus présent à la direction et ne détient plus de part (Entreprises n°1 et 3). En

revanche, pour l’Entreprise n°1, le père reste présent dans la société, mais pour réaliser

d’autres activités.

3.2.2 PROFILS DES INTERVIEWEES

Pour l’étude, nous avons interrogé 7 femmes. Parmi les 5 retenues, leur âge varie de 25 à 54

ans (respectivement les Filles n°5 et 3). Ceci nous permet d’analyser les différents stades de la

transmission et de recueillir des discours avec plus ou moins de recul vis-à-vis de la

succession.

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3.2.2.1 La formation

Les femmes de notre échantillon ont toutes réalisé des études dans le supérieur. Pour la

majorité, elles ont suivi une formation de type long et une seule, un parcours de type court

(Fille n°5).

Toutes n’avaient pas orienté leurs études dans le cadre de la reprise de la société et n’avaient

par conséquent pas réellement envisagé de reprendre l’entreprise à ce moment-là. Néanmoins,

il est intéressant de relever que les deux femmes ayant étudié dans le domaine de la gestion

ont réalisé un mémoire en lien avec la transmission d’entreprises (Filles n°3 et 4).

Par la suite, toutes ont suivi d’autres formations et continuent à se former et à s’instruire. Les

formations complémentaires suivies sont très variées : les matières sont parfois en lien avec la

gestion, la communication, l’informatique, le marketing, la vente, etc. mais également avec la

créativité et le développement personnel. Elles participent à de petites formations ou encore à

des colloques en relation avec leur situation et chacune a évoqué la participation à différents

réseaux afin de se former davantage à la gestion de l’entreprise et au développement

personnel.

3.2.2.2 L’expérience

Concernant les expériences professionnelles de ces femmes, seules 2 d’entre elles ont travaillé

dans des entreprises autre que l’entreprise familiale (Filles n°3 et 5). Leur expérience a varié

entre 3 et 5 ans avant de rejoindre l’entreprise de leur père. Durant ces années, elles ont

exercé des métiers qui n’étaient pas du tout rattaché avec l’activité de l’entreprise familiale

(éducatrice spécialisée, journaliste, conseillère, etc.). La Fille n°5 a également souligné s’être

trompée d’orientation ce qui l’a poussée à rejoindre son père.

Pour les autres, une a directement souhaité rejoindre son père après ses études pour lui

succéder (Entreprise n° 4). Cette arrivée soudaine a également été le cas d’une autre mais

davantage anticipée par obligation du père (Entreprise n°1). Néanmoins, ces 2 femmes ont

souligné la volonté d’intégrer au plus vite l’entreprise de manière à se former auprès de leur

père et participer rapidement à l’activité. Pour la dernière, elle est arrivée, après son diplôme,

en attendant de trouver un poste dans une autre société (Entreprise n°2).

Toutes n’ont pas le même point de vue concernant leur apprentissage : une évoque qu’elle

préférait s’instruire auprès de son père pour acquérir son expérience et son savoir (Fille n°4),

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une autre évoque que l’évolution au sein de l’entreprise a été le « meilleur apprentissage »

(Fille n°2). Ce qui est contraire à l’avis de la Fille n°3 qui apprécie son expérience externe :

cela lui a permis de se découvrir et d’avoir plus de recul sur des situations vécues en tant que

salarié : « Très souvent, je me réfère à ce que j’ai vécu ailleurs, pour être moi-même patron. »

3.2.2.3 La composition familiale

Toutes les femmes interrogées sont actuellement accompagnées. Une seule est mariée (Fille

n°1). Dans l’échantillon, nous en avons 2 femmes avec des enfants (Filles n°1 et 3) et une

actuellement enceinte (Fille n°2).

Concernant leur fratrie, elles ont toutes des frères et des sœurs mais qui n’ont pas souhaité

succéder à leur père ou qui ne se sont pas manifestés. Pour la transmission managériale, ils

n’ont eu aucune emprise. Nous verrons plus tard que leur influence jouera un rôle dans la

transmission patrimoniale. Toutefois, certains d’entre eux ont travaillé (Entreprise n°2) ou

travaillent dans l’entreprise (Entreprise n°4) tout comme certains autres membres de la

famille.

Dans cette partie, nous observons que les femmes choisies présentes des profils relativement

différents tant au niveau de l’âge, de la composition familiale que du parcours. Cette diversité

nous permettra par la suite de mettre en évidence les éléments de corrélation et de discordance

dans les faits et réflexions qui vont suivre.

3.2.3 CONDITIONS DE LA REPRISE

Afin de situer le contexte dans lequel chaque héritière a évolué, nous leur avons posé des

questions sur les conditions de leur arrivée dans l’entreprise et leur situation au niveau de

celle-ci et de la succession.

3.2.3.1 L’élément déclencheur

L’amorce du processus de succession de la fille à son père a été motivée par diverse raisons

qu’elles soient émotionnelles ou rationnelles.

Au départ, toutes les femmes interrogées ne se prédestinaient pas à une carrière au sein de

l’entreprise familiale (Filles n° 3 et 5). Pour la Fille n°2, cela ne devait constituer qu’un

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tremplin à sa future carrière et l’amorce du processus s’est fait de manière naturelle par sa

motivation et son implication en tant qu’employée.

Ce qui a été majoritairement déterminant pour l’amorce de la transmission était l’affection

pour l’entreprise mais également l’âge ou l’état de santé du père (Filles n°2, 3, 4 et 5). Nous

pouvons également rajouter à cela, dans le cas de la Fille n°3, la situation de l’entreprise

familiale qui avait fortement déclinée avec l’état de santé du prédécesseur. Pour ce qui est de

la Fille n°1, ce qui a subitement enclenché la succession était des raisons fiscales concernant

l’adoption de nouvelles lois sur les plus-values.

3.2.3.2 Le processus de succession

Lorsque nous avons abordé le niveau d’avancement et la situation de la succession, toutes les

femmes ont évoqué une succession avec une transmission managériale mais également une

transmission patrimoniale.

Un seul cas se situe à l’étape d’intégration. Son arrivée dans l’entreprise familiale est assez

récente et sa formation est en court, la transmission patrimoniale est évoquée mais rien n’est

encore mis en place (Fille n°5).

Pour deux autres cas, nous nous situons à la phase du règne-conjoint. Pour la Fille n°4, le

règne-conjoint peut être qualifié de précoce et concernant le patrimoine de la société, une

réflexion est en court pour le partage avec les membres de la fratrie. Pour ce qui est de l’autre

cas, la phase du règne-conjoint est sur le point d’aboutir au retrait du père et le partage du

patrimoine semble conduire à des décisions imminentes.

Enfin, pour ce qui est des Filles n°1 et 3 le processus au niveau de la transmission managérial

est clôturé. En revanche, seule la Fille n°1 détient l’entièreté des parts de la société. L’autre

femme cherche à rassembler les parts disséminées dans la famille de manière à en détenir le

plus possible et ainsi devenir l’actionnaire majoritaire.

3.2.3.3 Le parcours et le poste occupé dans l’entreprise familiale

Au niveau des différentes sociétés, les filles n’ont pas suivi le même cheminement en termes

d’évolution dans l’entreprise et ont toutes eu un parcours relativement différent. Hormis un

seul cas, le n°3, toutes les femmes sont arrivées très jeune dans l’entreprise, entre 21 (Fille

n°5) et 23 ans (Filles n°1, 2 et 4).

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Dans 4 cas, elles sont arrivées dans l’entreprise sans avoir un poste en particulier. Elles sont

toutes arrivées et ont réalisé les tâches non attribuées, en suspends ou disponibles pour elles.

- « La secrétaire a eu un arrêt pendant 15 jours, je suis venue la remplacer en urgence,

ça a accroché, ça c'est super bien passé et les gens ici étaient contents de moi. Et puis

quelques mois après elle a eu de nouveau un arrêt, je suis revenue et puis je suis

restée. » (Fille n°5)

- la secrétaire nous a quittés donc j’ai repris son boulot de secrétaire puis après c’est la

compta qui a changé donc j’ai repris le boulot de la compta. Et ainsi de suite quoi. »

(Fille n°2)

La Fille n°1 a été responsable des finances, de la comptabilité et de la gestion des ressources

humaines de la société dès son entrée, avant d’arriver à sa situation de gérante. Elle détenait

également une importante responsabilité car elle avait été, au tout début, nommée

Administratrice de la société.

Concernant la Fille n°2, cette dernière s’est faite engager dans le but d’exercer dans la

communication, matière pour laquelle elle avait suivi des études. A son arrivée, elle dit : « Je

suis arrivée ici et j’ai tout fait sauf de la com’ » et c’est ainsi qu’elle a repris les postes

vacants des employés. Son parcours l’a amenée à passer dans tous les services de l’entreprise

et à prendre graduellement des responsabilités, ce qui l’a menée à son poste actuel de co-

gérante.

La Fille n°3 a eu le parcours le plus difficile : suite aux problèmes explicités auparavant quant

à la situation de l’entreprise, cette dernière est arrivée comme elle le qualifie de « sauveur »

afin de redresser l’activité. Elle occupait donc, à mi-temps, un rôle de gérant sans pour autant

avoir ce titre, qu’elle a aujourd’hui.

Pour ce qui est du cas de la Fille n°4, cette dernière a intégré la société en tant qu’adjointe du

gérant, son père, poste qu’elle occupe toujours actuellement. Elle a, depuis le début, toujours

été clairement identifiée comme membre au sein du comité de direction de l’entreprise

familiale.

Pour notre cas le plus précoce, la Fille n°5, cette dernière est rentrée dans la société, comme

précité, pour remplacer une employée, à plusieurs reprises ce qui l’a convaincue de rester.

Depuis, elle ne possède pas de poste clairement identifié dans la structure et offre davantage

un travail que l’on pourrait qualifier de polyvalent.

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Les observations constatées quant au processus nous mettent en évidence que chaque

succession semble unique et qu’elle peut être mise en place de différentes manières. Les

amorces se sont manifestées différemment mais une convergence du désir de continuité et

l’affection pour l’entreprise familiale semblent primer.

3.2.4 DEFIS PERSONNELS

Dans cette partie, nous avons interrogé les filles sur leurs sentiments personnels liés à la

succession en cherchant leurs aspirations et leurs réserves afin de dégager leur état d’esprit et

leur point de vue.

3.2.4.1 Les motivations

Au-delà de la différence entre les filles s’étant très vite prédestinées à reprendre l’activité et

les autres, tous nos cas présentaient un réel désir d’intégrer l’entreprise familiale. Néanmoins

les sources de motivations et leur résonnement étaient parfois légèrement différents.

Dans l’échantillon choisi, 4 des femmes interrogées ont manifesté un fort désir d’entreprendre

(Filles n°1, 2, 4 et 5). Elles ont mentionné que si cela n’avait pas été au sein de l’entreprise

familiale ça aurait été ailleurs. La continuité des activités et leur développement sont pour

elles de fortes convictions. Deux des filles interrogées ont également montré un certain

enthousiasme à l’idée de relever des défis, dont la succession fait partie en majorité (Fille n°2

et 3).

Au travers les interviews et malgré la difficulté à identifier de tels sentiments, nous pouvons

pour ainsi dire que toutes ces filles présentent un réel attachement envers l’entreprise

familiale. Plusieurs émotions ce sont dégagées au fil des entretiens que ce soit en termes de

continuité, d’admiration du père et d’attachement à l’entreprise que beaucoup considère

comme partie intégrante de leur vie. L’engagement affectif serait donc prédominant « c'est

notre nom, c'est notre génération, c'est notre patrimoine, c'est notre héritage » affirmait la

Fille n°4. Le témoignage le plus poignant a d’ailleurs été celui de la Fille n°3 :

« Je suis née dans cette entreprise, je suis née à la maison et non pas à la clinique, la maison

correspondait avec l'entreprise et j'ai toujours joué, j'ai toujours vécu, j'y étais très attachée

et la voir partir ailleurs ou couler me traumatisait. »

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Malgré de réelles motivations, il est nécessaire de préciser que toutes les filles n’ont pas

d’emblée accepté de reprendre l’entreprise familiale. Contrairement à la Fille n°1 qui qualifie

la reprise « comme une évidence », la Fille n°3 mentionne l’importance d’une certaine

réflexion : « j’ai pris des mois pour réfléchir ». Toutefois, les comportements adoptés

coïncident avec le profil de femmes choisi dans la littérature.

3.2.4.2 Les avantages et inconvénients

Volontairement, la question des avantages et inconvénients que ces femmes peuvent percevoir

au travers de leur activité dans l’entreprise, est restée vague. Le but étant d’identifier

réellement ce qu’elles tiraient de cette expérience et éviter d’orienter la question sur

d’éventuels défis socioculturels identifiés auparavant.

Les bénéfices et difficultés d’une telle expérience diffèrent beaucoup d’une fille à une autre.

Ce qui est ressorti, le plus souvent, en accord avec la littérature, concerne le problème de

conciliation de la vie privée et de la vie professionnelle. Cependant, cet inconvénient s’est fait

principalement ressentir à une époque particulière de leur vie, associée à de gros

changements. A titre d’exemple, la cadette de l’échantillon évoque la multitude de projets

privés qu’elle souhaite réaliser actuellement comme la construction de sa maison (Fille n°5).

Un second exemple est lié aux grossesses de deux femmes interviewées et de la fondation de

leur famille (Filles n°2 et 3).

Chacune des filles voit son ascension comme propice à divers bénéfices aussi bien

pragmatiques qu’émotionnels : la flexibilité, le développement personnel, le sentiment

d’accomplissement, etc. La Fille n°1 nous a même confiés : « on est libre ». D’une manière

générale, un sentiment d’épanouissement se fait ressentir.

Néanmoins, certains aspects négatifs ont été dégagés comme la difficulté de gagner le respect

des employés (Fille n°4), des attitudes à adopter auprès des autres membres de la famille

présents dans la société mais également envers le personnel, les personnes extérieures, etc.

(Filles n°3 e 5). La doyenne de notre échantillon, qui présente plus d’expérience, exprime

aussi le sentiment de lassitude qui s’installe avec l’âge lié à sa longue présence dans

l’entreprise familiale et le besoin de renouvellement.

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3.2.4.3 Les effets de genre

L’influence socioculturelle, étant un défi personnel important, mis en lumière plusieurs fois

dans la revue de littérature, une partie du questionnaire s’y est intéressé. Nous nous sommes

alors penchés sur les défis que les filles devaient relever en tant que femmes, notamment en

tant que femmes dans des univers masculins : celui de l’entreprise familiale dans laquelle

elles évoluent.

A l’unanimité, toutes n’ont pas identifié le genre comme une source de problèmes ou de

conflits quant à leur arrivée dans l’entreprise ou même pour la succession. Des anecdotes ont

été mises en évidence mais elles concernaient davantage des malentendus basés sur des

clichés sur la position des femmes dans une entreprise. Comme elles ont toutes réalisé des

études, ce fait doit être pris en considération comme facteur de légitimité. Le parcours en

interne de la Fille n°2 et le plan de redressement mis en place par la Fille n°3 sont également

des atouts pour leur légitimité dans l’entreprise familiale.

Les héritières sont globalement conscientes de leur féminité et estiment que cela représente

davantage un atout et n’ont pas de souci particulier avec cette idée : « je n’ai jamais refusé

ma féminité » (Fille n°3). Une majorité de ces femmes pensent que nous ne devons pas parler

de genre mais plutôt de personnalité (Filles °1, 2 et 3). Toutefois, le conditionnement de

l’image de la femme reste présent dans certains raisonnements, les Filles n°2 et 5 nous ont fait

part d’apriori tels que :

- « est-ce qu'on va être respecté étant donné que ce n'est que des hommes ? » (Fille n°2)

- « quand on est une femme dans un domaine masculin on doit prouver plus qu'eux. »

(Fille n°5)

Affirmer que les règles socioculturelles associées au genre disparaissent n’est peut-être pas

une réalité exacte et les propos des interviewées doivent par conséquent être nuancés. Une des

plus jeunes a effectivement énoncé un fait : « Par exemple, un magasinier qui va jouer de son

charme et qui ne le ferait pas avec un homme forcément. » Ce genre de comportement n’est

pas associé à de réels problèmes de la part de ces femmes mais ce sont des faits encore biens

présents.

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3.2.4.4 La remise en question

N’identifiant pas clairement de problèmes liés à leur statut de femme, les interrogations

concernant leurs doutes et leur remise en question se sont posées de manière désintéressée.

Ceci nous a ainsi offert une plus grande diversité de réponses quant aux inquiétudes qui

peuvent se manifester chez les héritières.

Comme souligné par la Fille n°2 : « on gère des gens quoi, je ne suis pas toute seule et ça

n'implique pas que moi ». Les Filles n°2 et 3 estiment qu’il est sain de se remettre

régulièrement en question et cette dernière affirme :

« Mais je me pose très souvent la question : "est-ce que je suis toujours la bonne personne ?

Est-ce que je suis toujours la bonne personne à la bonne place ? Est-ce que je fais les choses

comme il faut ? Est-ce que je dois déléguer autrement?" ».

Néanmoins, elles concluent qu’elles n’émettent pas de doutes sur leur capacité et s’estiment

rassurées. C’est également le cas pour 2 autres filles, mais qui, quant à elles, font preuve

d’une très grande certitude, depuis leur arrivée dans l’entreprise familiale (Filles n°1 et 5).

Une des plus jeunes, la Fille n°4, nous a parlé, à plusieurs moments, de doutes sur sa

légitimité, sur sa position dans l’entreprise, sur la difficulté de la tâche, etc. La Fille n°3

exprime un sentiment similaire survenue à son arrivée : « C'était trop j'avais peur de ça, on

me confiait trop de responsabilités, on me faisait trop confiance… ». Cette hésitation s’est

également fait ressentir par les témoignages des filles qui consultent leur père lors de grosses

décisions (Filles n°2 et 4). D’une manière générale, les femmes plus âgées de l’échantillon

semblent plus sereines. Cependant, nous pouvons nous rendre compte que le doute est un

élément subsistant dans le temps mais qui s’avère enrichissant.

Avec ce panel de femmes, à des âges et des processus de succession plus ou moins évolués,

un contenu relativement riche a pu être dégagé de leurs perceptions et sentiments notamment

entre nos sujets les plus âgés et les plus jeunes qui n’appréhendent pas la succession tout à fait

de la même manière.

3.2.5 DEFIS RELATIONNELS

La complexité de la succession a été en partie identifiée en raison du nombre important

d’acteurs venant interférer. Dans cette partie, nous nous sommes attardés sur les relations des

filles au cours du processus avec les divers intervenants.

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3.2.5.1 Le père-cédant

Dans cet échantillon, 4 filles sur 5 nous ont parlé de leur satisfaction quant à la relation

qu’elles entretenaient, et entretiennent toujours, avec le père qui représente, pour elles, une

figure de modèle.

Toujours pour 4 de nos cas, le père a été très favorable à la reprise de la société par sa fille et

joue, ou a joué, un rôle crucial, voir « principal », dans l’accompagnement et la formation,

« J'ai envie de dire que c'est vraiment le rôle de père, où on donne la main et on

accompagne » (Fille n°4). Les filles interrogées ont manifesté une réelle admiration pour leur

père et nous évoque les très bonnes relations qu’ils entretiennent. Pour ce dernier point, seul

le cas n°3 nous a fait pas part du déclin de sa relation avec son père lors de son arrivé dans la

société, ce dernier n’a d’ailleurs pas encouragé sa fille et ne lui a apporté aucun soutien.

Hormis le dernier cas évoqué, le désir de continuité de la part du père est relativement présent

et ils éprouvent une certaine satisfaction quant à la succession de leur fille. La Fille n°1 nous

témoigne que son père est « hyper fier » et la Fille n°2 nous parle du sentiment de quiétude

qu’il éprouve suite à son arrivée. Toutefois, dans les 5 cas les pères ont présentés des signes

de résistance même si cela n’a pas été clairement exposé dans les réponses des filles à cette

question. Parmi les signes mis en évidence, beaucoup semblent liés à la perte de pouvoir et à

la peur de se retirer de l’activité :

- « il ne voulait pas que j'ouvre le courrier le matin et il signait tous les jours les lettres

au début et il ne voulait pas que je signe. » (Fille n°1)

- « Donc du jour ou lendemain je crois ne plus avoir de décisions à prendre, de projets

de développement pour l’entreprise, ça je crois que pour lui ce serait, c’est plus

compliqué. » (Fille n°2)

- « dans son esprit [le père], je crois que, l'entreprise allait mourir avec lui, il allait

rester accroché au gouvernail, l'entreprise coulait lentement mais gentiment […] ils

allaient mourir ensemble …» (Fille n°3)

Un autre aveu équivoque de la Fille n°1 est la présence quotidienne du père dans l’entreprise

familiale sans pour autant y travailler. D’autres difficultés nous ont été également confiées

comme la négligence, systématique, du prédécesseur en ce qui concerne les formalités

administratives, liées à la succession, l’obligeant à « parler de quand il ne sera plus là ». Une

dernière résistance évoquée concernait les problèmes financiers de ce dernier qui avait peur de

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ne pas pouvoir s’en sortir une fois mis à la retraite (cas n°3). Néanmoins, notons que les pères

encore présents dans les sociétés (Entreprises n°2, 4 et 5) n’ont pas encore atteint l’âge de la

retraite.

Malgré cela, les Filles n°1, 2 et 4 révèlent l’enthousiasme de leur père à l’idée de dégager plus

de temps pour eux en évoquant notamment des jours d’absences, mais également le partage

des tâches et même de leur bureau. La succession représente globalement un élément positif

pour lui malgré des comportements discutables en citant, à titre d’exemple, l’absence de

préparation de la succession dans 100% des cas, ce qui confirme ce qui été dit dans la

littérature.

3.2.5.2 La famille

Au cours des différents entretiens, la famille a été évoquée à plusieurs niveaux et au cours de

diverses problématiques que nous allons détailler ci-dessous.

Premièrement, toutes les filles interrogées nous ont parlé de l’existence de frères et sœurs

dans leur fratrie. Pour les Filles n°1, 2, 3 et 4, la présence de cette dernière présente une réelle

problématique en ce qui concerne le partage du patrimoine de l’entreprise familiale, voir

même un frein nous confie la Fille n°2 en raillant : « sinon ce serait déjà fait ». Les filles nous

font part de l’important souci de valorisation et de justice entre elles et la fratrie. La présence

de cette dernière a été un réel problème pour la Fille n°3 qui a déclaré que : « la personne la

plus injuste avec moi c’était mon frère », notamment lors du rachat des parts. C’est cette

appréhension qui a conduit, la Fille n°1 à l’ultimatum : « De tout temps, j'ai dit que je

reprendrai toute seule où je ne la [l’entreprise familiale] prends pas. »

Quand nous avons évoqué l’influence de la famille et le rôle qu’elle a pu jouer dans la

transmission, aucune des interviewées n’a réellement révélé et décelé des attitudes les ayant

aidées et supportées au cours de ce périple. Seule la Fille n°3 nous a parlé de sa cousine, qui

l’appui pour le rachat des parts dispersées lors des héritages, et de son oncle, qui était le

second actionnaire majoritaire de la société, qui l’a soutenue dans la reprise et la aidée à se

positionner face au père qui ne souhaitait pas quitter l’activité. Pour le reste, la famille n’a pas

tellement été présente et une d’elles a proclamé : « la famille c’est la famille, le boulot c’est le

boulot » (Fille n°1).

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Le seul témoignage important recueilli sur l’importance de la famille a été celui de la Fille n°3

qui a évoqué des problèmes de gérance des jalousies, d’incompréhensions, de règlements de

comptes, etc. comme la littérature le disait. Cette femme nous a également confié : « en

général quand il y a une génération qui se présente pour reprendre, la génération au-dessus

règle ses comptes. » C’est ainsi qu’elle nous a parlé de divers problèmes familiaux qu’elle a

dû gérer et qui n’avaient rien à voir avec l’entreprise.

D’autre part, deux des filles nous ont souligné l’importance du rôle de leur conjoint. La Fille

n°2 a mentionné l’intérêt d’avoir un conjoint compréhensif face aux sacrifices que

représentent la reprise et l’investissement dans l’entreprise familiale. La Fille n°3 a également

formuler cet aspect en développant le rôle de son mari pour les tâches dans le foyer

notamment avec les enfants.

3.2.5.3 Le personnel interne

Egalement considéré dans la littérature, comme des membres importants dans le processus de

succession, un questionnement a été opéré pour connaitre l’influence de cette partie dans la

transmission.

D’une manière générale, les filles entretiennent de bonnes relations avec le personnel de

l’entreprise familiale. Comme certaines le font remarquer, il n’est pas possible de s’entendre

avec tout le monde mais globalement cela se passe bien. Ce sont les deux plus jeunes filles de

l’échantillon, les Filles n°4 et 5, qui nous ont fait remarquer certains comportements

déstabilisant chez certains employés, curieux de tester leur assurance et leur légitimité. La

Fille n°1 a également fait remarquer la période de tests, par laquelle elle est passée lors du

règne-conjoint, pour évaluer qui du père ou de la fille détenait le pouvoir. Les femmes les plus

âgées n’ont pas réellement mis en évidence de réels apports de la part du personnel (Filles n°1

et 3). Le témoignage de l’une d’elle (Fille n°3) laisse plutôt entrevoir ce qu’elle doit leur

apporter : « Il faut savoir que les gens ne s'occupent que d'une chose : c'est d'essayer

d'évaluer vos compétences pour voir si ils vont garder leur job et leur salaire. […] que vous

soyez alors femme, homme, petit, grand, jaune, vert, brun ils en ont mais alors rien à kicker ».

A travers ces anecdotes, on s’aperçoit que le personnel tente de juger la capacité des filles à

reprendre l’entreprise familiale avant de les accepter.

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Ici, deux des filles ont fait remarquer leur position de confidente auprès des employés. La

Fille n°5 cherche absolument à se rapprocher du personnel comme l’a fait la Fille n°3.

Cependant, cette dernière nous a mis en garde quant à la perte de ce statut lors de l’annonce

officielle de son rôle de dirigeante et de l’éloignement soudain de tout le personnel. Pour elle,

ils ne représentent plus forcément un soutien et la voit comme le gérant qui doit tout savoir et

tout régler. Ils se reposent beaucoup sur elle ce qui la force à montrer qu’elle est toujours

compétente. C’est également elle qui nous a parlé de l’image de gérant qu’elle doit dégager et

ainsi prêter une attention particulière à ce qu’elle laisse transparaitre car le personnel est trop

vite influençable : « c'est comme des éponges, c'est un peu comme des enfants quoi. Ce qu'on

ne dit pas, ils le ressentent. »

Toutefois à travers certains récits, les employés ont été évoqués comme support à certains

moments de l’apprentissage de la fille-successeur mais également à d’autres périodes plus

difficile comme lors des grossesses de la Fille n°3 ou lors de sa succession. Aujourd’hui, la

Fille n°2 nous parle du respect des uns envers les autres et de la reconnaissance du personnel

envers elle. Le personnel a réagi de manière positive à la succession dans chacun des cas. Le

Fille n°2 évoque l’apaisement des employés de savoir que la relève est assurée : « ça les

rassure de se dire qu’il y a une suite » et qu’ainsi l’avenir de l’entreprise est assuré.

3.2.5.4 Les acteurs externes

Derniers acteurs cités dans le processus de succession, nous avons interrogé les femmes sur

leur rapport avec les clients et les fournisseurs. Nous avons également cherché à savoir si

d’autres intervenants était venus interférer au cours de la démarche de transmission.

En ce qui concerne les externes liés à l’entreprise, les filles sont généralement accompagnées

par leur père à leur arrivée dans l’entreprise familiale, mais beaucoup connaissent l’héritière

depuis son jeune âge et entretiennent de bonnes relations. Toutefois, il arrive que les

personnes extérieures émettent des commentaires négatifs envers les filles du cédant. La Fille

n°2 a notamment abordé ce sujet en rapportant des paroles de personnes dénigrant son statut

de repreneur en la dévalorisant pour avoir opté pour une voie facile déjà appréhender par le

père : « ah tu travailles avec ton père, tu es la fille de, oui bah alors c’est facile ». La Fille

n°3 nous a également fait part d’un client qui ne la considérait que par égard pour son père :

« vous êtes une gamine et vous ne m'intéressez pas, je vous reçois uniquement par respect

pour votre père ».

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Néanmoins, toutes les filles ont parlé de différents externes qui les aidaient beaucoup pour la

succession notamment des experts tels que des notaires, des experts-comptables, des

conseillers, etc. Beaucoup de personnes externes interfèrent et marquent leur passage par des

interventions, parfois pertinentes et constructives, comme le témoigne la Fille n°3 par un

conseil très important qu’on lui a donné : « À 35 ans, quelqu'un m'a appris […] "le vendredi

après-midi tu pars quand tu veux, […] et quand tu pars, tu montes dans ta voiture et tu

empoignes la grosse tenture bien sombre et tu la fermes jusqu'au lundi matin et tu ne penses

plus au boulot"... et ça je crois que ça m'a sauvée. »

Les sources d’influences sur la succession sont nombreuses et interfèrent régulièrement au

cours du processus. Même si tous les récits ne mettent pas en avant de problèmes majeurs,

leur intervention a suscité une part de réflexion chez nos interviewées.

3.2.6 DEFIS ORGANISATIONNELS

Un autre aspect développé au cours des entretiens traitait de la part qu’occupe la

communication dans un tel processus. Nous avons également cherché quels étaient les conflits

rencontrés au cours de ce parcours.

3.2.6.1 La communication

A différents niveaux et aux différentes étapes du processus, la communication a démontré être

un élément « capital » (Fille n°2) de la transmission, ce qui rejoint les constatations faites

dans la littérature.

A l’arrivée de la fille-successeur, tous n’ont pas opéré de la même manière pour annoncer la

nouvelle. Certains se voulaient plus discrets mais d’autres souhaitaient faire part, de manière

formelle, à l’entreprise entière, de l’événement. La Fille n°4 témoigne à ce sujet : « Il a

également fait l'organigramme pour que ce soit bien clair pour tout le monde ». Toutefois,

toutes ont été unanimes quant à l’annonce officielle de la succession où de l’amorce du

processus : rien n’a été communiqué. Pour la plupart, les choses se sont faites comme ça et de

manière naturelle. Agir de la sorte à parfois crée des ambiguïtés, notamment au niveau du

personnel qui s’est senti menacé ou troublé :

- « J'étais allé en direct voir un ouvrier […] C'est juste que je n’avais pas capté qu'il

fallait que je passe par lui [le responsable de production] pour ne pas lui donner

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l'impression que je détrônais son truc. Et donc il a complètement pété un câble et il

s'est complètement transformé » (Fille n°2)

- « C'est vrai que parfois pour certaines personnes mon rôle est flou. » (Fille n°4)

Il arrive également que la fille elle-même ne sache rien à ce que son père prépare pour la

succession, comme c’est le cas pour la Fille n°5.

Autrement, en ce qui concerne la communication entre le père et la fille, celle-ci semble

certaine et les filles ont toutes une approche différente de procéder. Pour les Filles n°1 et n°5,

cela se passe plutôt en privé : la première évoquait le fait de déjeuner systématiquement avec

le père et la seconde les longues conversations en dehors de l’entreprise. Pour la Fille n°4, le

partage du bureau avec son père avait également le but d’améliorer le partage d’informations.

La Fille n°2 et son père ont, quant à eux, décidé de se réunir, absolument tous les matins, pour

parler de l’entreprise. La mise en place d’un certain formalisme pour les échanges semble être

une bonne chose. C’est notamment au cours de réunions officielles que les plus jeunes filles

de notre échantillon évoquent l’importance de l’information transmise. En effet, ces 2

dernières nous ont confiés, parfois, le manque de communication venant de leur père qui ne

prenait pas toujours la peine de les consulter et de les informer sur certains évènements allant

parfois jusqu’à l’encontre d’une décision déjà prise:

- « Je vais plus le consulter que lui ne vient me consulter » (Fille n°2)

- « il faut lire en lui. […] Je l’entends dire des autres mais moins de lui. » (Fille n°5)

Mais ceci est interprété, par les filles, comme l’habitude d‘avoir été seul à la direction pendant

longtemps et que le problème finira pas s’arranger.

En ce qui concerne les employés, une communication naturelle s’est créée et les filles

n’hésitent pas aller vers eux pour recueillir des informations. La Fille n°3 nous parle d’une

réelle relation de confiance qui s’est instaurée, avec beaucoup de franchise.

3.2.6.2 Les conflits

L’aventure de la succession n’est pas un long fleuve tranquille et les sources de conflits sont

relativement nombreuses dans le cadre de la succession.

En interne, plusieurs types de malentendus ont été évoqués. Généralement des conflits entre le

père et la fille sont survenus au cours de prises de décisions. Ces désaccords ont été marqués

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parfois suite à des différends générationnels mais également par les différences de caractères

et d’expériences de chacun sur des questions de gestion, mangement, leadership, etc. :

- « Et puis s’ils font une erreur, ça ne sert à rien de crier comme il criait il y a 20 ans.

Parce que avant ça marchait, aujourd'hui le gars il va vous dire : "bah je prends la

porte, au revoir, merci". Donc au niveau management on a dû s'accorder, parce qu'on

était pas du tout pareil. Lui il était plus l'ancienne génération : "je crie de toute façon

ça va marcher ! ". Et moi, j'étais plus du style, "ben non ça ne va pas marcher"... donc

il faut s'adapter. » Fille n°2

- « C'est vrai que c'est quelque chose qu'il n'acceptait pas toujours, parce que selon lui

le chef prend sa décision. » Fille n°4

Toutefois, le fort aspect émotionnel dégagé par la famille provoque également des tensions

notamment en termes de jalousie. C’est d’ailleurs ce qu’appréhendent les filles qui n’ont pas

encore finalisé la transmission patrimoniale. Une présence du père qui tend à s’éterniser a

d’ailleurs fait l’objet de tension et de grosses répercussions, la Fille n°3 en témoigne : « Je l’ai

mis dehors, mais je ne souhaite pas ça à mon pire ennemi […]. J'ai fait une dépression après

ça d'ailleurs ». Pour cette dernière, la famille est l’origine de la majorité de ses conflits et

déplore le problème de la perméabilité famille-entreprise lors de gros évènements. Cette

dernière affirmation illustre certaines formulations de la littérature.

Les conflits sont perçus de manières différentes par les filles, mais ils sont bien présents et

leur ampleur peut conduire à de gros dégâts tant pour l’entreprise, la famille, que l’individu

lui-même. Les divers changements inférant lors de la succession sont la source de diverses

controverses dont la communication semble souvent être la solution.

3.2.7 APPORTS DES FILLES-SUCCESSEURS DANS L’ENTREPRISE

FAMILIALE

Le dernier thème abordé lors des interviews concernait ce que pensait avoir apporté les filles à

l’entreprise familiale et ce qu’elles avaient notamment tenté de mettre en place depuis leur

arrivée. Comme énoncé précédemment, les femmes n’estimaient que très faiblement les

discussions autour du genre ce qui a amené davantage une réflexion en termes de fille-

successeur plutôt qu’en tant que femme.

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De par leurs formations et leur parcours, les filles semblent avoir apporté beaucoup en termes

de compétences. La Fille n°1 parle notamment des études qu’elle a réalisées par rapport à son

père. Pour l’entreprise, ces dernières ont donc apporté de nouvelles connaissances et de

nouvelles techniques, voire de la créativité pour la Fille n°3, que ce soit en gestion, en

stratégie de vente, en marketing, etc. La majorité d’entre-elles nous ont également parlé d’un

apport de formalisme, de rigueur et de structure à différents niveaux de la société : aussi bien

administratifs qu’opérationnels. Elles nous parlent ainsi de l’amélioration de la

communication notamment par l’usage de tableau de bord et d’indicateurs (Fille n°1) et la

gestion du site internet et des réseaux sociaux (Fille n°2) mais également par l’apport de

nouvelles technologies (Fille n°1 et 3), la gestion des plannings (Filles n°2 et 4),

l’amélioration continue, etc. Toutefois, deux d’entre elles, les Fille n°3 et 4, nous ont relaté

avoir souhaité importer peut-être trop de changement : « je suis arrivée tellement avec des

idées neuves que je heurtais tout le monde » (Fille n°3) et ainsi vouloir révolutionner

l’entreprise familiale. Néanmoins, la Fille n°1 et 3 se sont qualifiées de « sauveur » à leur

arrivée par leur apport précédemment cité.

En effet, à travers plusieurs discours, nous pouvons discerner l’aide apportée par les filles vis-

à-vis de leur père. Beaucoup de ces derniers ont ainsi été déchargés dans leur fonction comme

nous a confié l’une d’elles : « il s’est beaucoup retranché sur moi » (Fille n°2). Cet

allègement s’est aussi manifesté par le partage des responsabilités que les filles ont tenté de

mettre en place, en embauchant de l’aide via une assistante, mais également en réorganisant

les services de manière à identifier un responsable pour chaque et ainsi répartir le pouvoir.

Beaucoup nous ont parlé d’un style mangement plus « participatif » et « collaboratif »,

qu’elles ont tenté d’opérer.

En accord avec la littérature, les femmes semblent avoir apporté une nouvelle figure de

dirigeant plus à l’écoute du personnel, plus empathique, plus calme et davantage centré sur

l’individu et sur ce qu’il affectionne. Ceci rejoint les faits exposés concernant la bonne entente

globale avec les employés. Les femmes se montrent ouvertes en partageant plus

d’informations. Le personnel interne est davantage investi dans les prises de décisions et tout

se fait avec beaucoup plus de transparence. C’est d’ailleurs elles qui souhaitent, de surcroît,

s’occuper des ressources humaines de l’entreprise plutôt que le père.

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Même si elles préfèrent parler de personnalité, leur position de femme a été évoquée et

défendue dans les cas n°2, 3 et 5. Les filles n°3 et 5 ont œuvré pour la gente féminine de deux

manières différentes :

- « j'ai remis sur pied d'égalité les hommes et les femmes au niveau du salaire, avec un

tour de force parce que j'ai proposé aux hommes de passer en dessous de l'index pour

que les femmes les rejoignent… et les femmes ont augmenté à un moment où les

hommes n’augmentaient pas… et ils ont signé, tous. Donc on a pu avoir depuis très

longtemps une parité salariale, ce qui est encore très rare. » (Fille n°3)

- « ça fait déjà maintenant quelques mois qu'on a engagé des femmes dans l'atelier […]

et on se rend compte que dans une équipe ça apporte beaucoup. Et certains qui n'y

croyaient pas du tout au début, moi j'ai poussé pour ça et maintenant des responsables

sont épatés du résultat […] le résultat ici il est génial. » (Fille n°5)

Ici l’apport de la femme a été mis en évidence mais toutes ne sont pas prédisposées à ce genre

de comportement et nous parlerons ici de tendance. D’une manière générale les filles-

successeurs, de par leur psychologie amènent à d’autres modes de gestion notamment dans

ces univers très masculins. Des bases fondamentales ont été ainsi implémentées comme la

communication et l’équité : « Moi je trouve ça génial quoi, être une femme dans un milieu

masculin je trouve que ça peut vraiment être un avantage. » (Fille n°2)

Il n’est pas question de juger l’apport des femmes en termes de performance mais notons que

la Fille n°3 a réussi à développer l’entreprise en proposant de nouvelles gammes de produits

et en créant une filiale en France tout en veillant à conserver l’héritage et à faire subsister la

famille. Un souffle de jeunesse, de modernité et de féminité qualifie l’apport varié des filles

tant au niveau managérial que stratégique.

3.2.8 RECOMMANDATIONS DES INTERVIEWEES

Souhaitant nous inspirer de ces femmes pour les filles désireuses de succéder à leur père dans

l’entreprise familiale, la dernière partie du questionnaire était consacrée aux recommandations

qui pouvaient être faites pour se préparer. Nous avons ainsi rassemblé la pluparts des

commentaires évoqués lors des interviews dont certains se sont répétés à plusieurs reprises.

La liste de conseils suivants s’adresse surtout pour la fille et le père en recommandant :

- D’être sûre de soi pour la fille, d’être bien dans sa tête et présenter une réelle volonté à

la reprise,

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- D’avoir des expériences extérieures avant d’intégrer l’entreprise familiale,

- De savoir se retirer et s’effacer en ce qui concerne le père,

- De préparer la succession le plus tôt possible,

- De transmettre à quelqu’un de capable et être capable de transmettre,

- De continuer à se former et à se développer,

- De montrer de l’intérêt au processus,

- D’instaurer un dialogue clair entre le père et la fille,

- De s’entourer et de se faire conseiller par des experts,

- De respecter le cédant,

- D’identifier clairement qui est le responsable de l’entreprise familiale au cours du

processus,

- De se préparer à gérer l’entreprise et la famille,

- De savoir prendre de la distance dans les conflits familiaux,

- De ne pas se laisser submerger par l’entreprise,

- De toujours gérer quoi qu’il arrive,

- De ne pas faire attention aux critiques et dépasser les clichés qui persistent.

3.3 DISCUSSION DES RESULTATS

L’analyse des résultats de l’étude qualitative nous a permis de mettre en évidence certaines

convergences avec la revue de littérature. A plusieurs reprises nous avons donc observé la

difficulté que présentait le processus notamment avec la présence de problématiques sur la

préparation de la succession, les rôles de chacun, les conflits, l’importance de la

communication, l’implication de divers acteurs aussi bien internes qu’externes, les périodes

de doutes et l’implication de la famille à plusieurs niveaux. Le bilan de cette étude nous

confirme la multitude de facteurs influents, renforçant l’idée que la transmission reste un

évènement complexe qui se doit d’être correctement appréhendé par les différentes parties.

L’étude s’est également avérée juste sur le comportement proactif des filles envieuses de

suivre leur père et sur le fort aspect relationnel qu’elles développent. Cependant, l’absence de

certains points dans les témoignages nous montre quelques divergences,

particulièrement concernant le peu de problèmes liés à leur légitimité, au genre, et vis-à-vis de

l’absence de la mère et à son influence sur la fille.

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Les résultats nous ont également démontré que ces filles, qui ont été naturellement identifiées

comme successeurs, présentaient une certaine assurance et avait un comportement résolu,

engageant et démontraient un fort leadership. Les femmes ayant réussi leur succession

semblent être épanouies et sûre d’elles. Elles ont réussi à développer leur entreprise et

contribuent à la pérennité de l’entreprise familiale. Leurs cadettes présentent une grande

maturité et semblent également suivre ce chemin d’ouverture et de plénitude. Toutes n’ont pas

eu le même parcours mais leur détermination leur a permis de les mener là où elles souhaitent

être aujourd’hui et d’être des successeurs légitimes. Ces femmes présentent également des

comportements engagés et œuvrent pour la place des petites-moyennes entreprises ainsi que

pour l’intégration des femmes dans leur organisation.

Malgré l’orientation de certaines questions sur le genre, les filles n’ont pas nécessairement

relevé de défis particuliers à ce niveau. Certaines nous ont fait part d’apriori sur le sujet et

certaines ont simplement mentionné des anecdotes. D’une manière générale, elles s’entendent

pour évoquer davantage l’importance de la personnalité plutôt que le statut de femme.

Néanmoins, ce qu’elles peuvent parfois rapporter nous oblige à penser que les clichés sur la

position socioculturelle des femmes sont encore bien présents à cause de réflexions et

attitudes sexistes. De ce fait, affirmer que l’influence du genre semble disparaitre est

discutable, même si cela ne semble pas constituer de frein à la succession, son influence peut

venir perturber des filles moins fortes psychologiquement. L’approche de la succession en

termes de genre n’est pas remise en cause quant aux rapports entre le père et la fille qui

tendront toujours à des divergences liées à leur psychologie, mais pourrait l’être quant à la

vision des femmes dans les entreprises familiales issues de secteur dits masculins.

Adopter ce genre d’étude, afin de récolter des récits de vie, n’a pas toujours été évident et il

est important de souligner que les résultats diffèrent d’une interview à l’autre. La tournure que

prenait l’entretien pouvait parfois mener à des malaises qui ont occasionné l’adaptation des

questions. Les discussions ne faisaient pas l’objet des différences présentes entre les hommes

et les femmes dans ce contexte mais bien de mettre en évidence les points clés et

problématiques rencontrés par les filles en tant que successeur et femme. Les filles nous ont

ainsi apporté des réponses relativement riches en contenu malgré le caractère plus loquace de

certaines et les différences d’interprétation des questions.

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4 CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

Ce travail permet de mieux comprendre les facteurs influents de la succession intrafamiliale

père-fille en évoquant différentes problématiques importantes et certains éléments clés à la

réussite du processus. La revue de littérature nous a permis de rassembler beaucoup de

données sur le déroulement de la succession, sur les attitudes du père et de la fille et sur les

différentes parties prenantes. Par la suite, l’étude qualitative réalisée auprès de 5 sujets en

Belgique francophone, nous a permis de nuancer les constats et d’affiner nos observations des

différents phénomènes observés. Cette étude nous a permis de confronter les avis de femmes,

d’âges variés, avec des parcours de succession dissemblables et différents par leur stade

d’avancement. Même si une étude de la succession en termes de genre permettrait de mieux

comprendre certains phénomènes, notamment au niveau des motivations et du relationnel, le

processus en lui-même ne semble pas en être affecté.

La prise en compte de critères relativement sélectifs pour la réalisation du travail a axé l’étude

sur un type particulier de succession : celui de l’engagement affectif. Toutefois, l’analyse a

permis d’illustrer les problématiques exposées et de conforter dans l’idée que la succession est

un évènement complexe faisant intervenir de nombreux acteurs et de nombreux défis. Il serait

judicieux d’observer les différences de succession afin de dégager si les problèmes rencontrés,

auparavant, par les filles restent inchangés ou si les attitudes des nouvelles générations

permettraient d’observer de nouvelles tendances et d’amoindrir les différences entre les filles

et les garçons des pères-cédants. Il serait également censé d’étudier dans quelle mesure les

clichés sur les femmes restent présents dans le milieu des entreprises-familiales.

L’étude menée ne permet pas de tirer de généralisation sur les résultats récoltés. Notre

échantillon n’étant pas représentatif des multitudes et de la diversité des successions mises en

place entre un père et une fille, une étude qualitative permettrait de dégager l’importance des

tendances évoquées au niveau des différents défis. Devant les multiples problématiques mises

en avant dans ce travail, il ne nous a pas été possible de présenter une revue de littérature

exhaustive de l’information disponible. Ici, nous avons choisi les éléments qui nous

semblaient les plus pertinents pour les filles étant dans ce scénario de succession. L’influence

de la fratrie qui a été volontairement tue pourrait être prise davantage en considération pour la

transmission patrimoniale, de même que la taille de la société et la prise en compte d’un

cédant fondateur ou non. Toutefois, chaque succession semble unique et le nombre important

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d’intervenants empêche de faire des généralisations. La réalisation de l’étude en elle-même

présente également quelques limites par les biais qu’elle comporte notamment sur les cas

choisis, qui représentent uniquement des cas de succession qui se déroulent globalement bien

ou qui ont été clôturés par un succès. Il aurait été judicieux de rencontrer des cas d’échec,

mais les femmes avec qui nous avons été mis en contact n’ont pas souhaité nous recevoir. Ce

genre d’étude pourrait également être complété par les interviews des autres parties prenantes

telles que celle du père, des membres de la famille et du personnel de l’entreprise familiale.

Le travail empirique qui a été réalisé par le même chercheur montre également des limites par

sa subjectivité et son manque d’expérience dans ce domaine.

Cette étude m’a énormément apporté et m’a réellement fait prendre conscience des divers

facteurs influençant la succession. En ce qui me concerne, je pense continuer à forger mon

expérience à l’extérieur pendant quelques années avant de rejoindre mon père dans

l’entreprise familiale. Je pense que la succession est projet commun que chaque partie doit

construire et il est par conséquent primordial pour chacun de se sentir prêt. Je ne pense pas

être encore assez mature et posséder l’ouverture d’esprit nécessaire pour reprendre un tel

poste avant mes 30 ans. Néanmoins, je souhaiterais intégrer l’organisation suffisamment

longtemps avant que mon père songe à partir en retraite. Me laisser encore un peu de temps

est également le moyen pour moi d’observer si mon frère change d’avis quant au rôle qu’il

pourrait jouer dans l’entreprise familiale. Pour le reste, je pense avoir une connaissance assez

importante des problématiques sur le rôle des parties, sur la communication et sur la légitimité

pour appréhender la transmission plus sereinement. Toutefois, mon père et moi gardons, tous

deux, à l’esprit que des éléments peuvent changer et que la succession puisse ne pas aboutir.

Dans ce cas, je pense tout de même à devenir entrepreneur et la non-continuité de l’entreprise

familiale ne devra donc pas être interprétée comme un échec pour ma carrière4.

Pour clôturer ce travail, nous souhaitons émettre quelques recommandations vis-à-vis des

filles :

- Soyez forte et faites-vous confiance,

- Ne vous laissez pas impressionner par les clichés et stéréotypes,

- N’hésitez pas à faire des expériences en dehors de l’entreprise familiale,

4 Lambrecht et Pirnay, 2009

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76

- Réalisez le projet de succession avec votre père et les personnes importantes dans le

processus et formalisez-le,

- Faites preuve de franchise et n’hésitez pas à communiquer et participez au

réseautage,

- Apprenez à connaitre les parties prenantes, respectez-les et conservez l’esprit de

famille,

- Pensez aux éléments de gouvernances et faites appels à des experts ou à des

personnes externes,

- Sachez prendre du recul dans les conflits et n’hésitez pas à mettre des limites entre

l’entreprise et la famille.

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77

Page 80: La succession d'entreprise familiale : la transmission père-fille.€¦ · surmonter cette étape pour en assurer la pérennité. D‘autre part, un certain nombre de publications

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6 LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Intéractions des participants dans l'entreprise familiale (Barach et Ganitsky, 1995)

.................................................................................................................................................. 11

Figure 2 : Un modèle multidimensionnel de succession dans les PME familiales (Bayad et

Barbot, 2002) ............................................................................................................................ 15

Figure 3 : Processus de succession (Cadieux et al., 2002) ....................................................... 17

Figure 4 : Processus de succession - Ajustement mutuel des rôles entre le predecesseur et le

membre de la génération suivante (Handler, 1990) ................................................................. 27

Figure 5 : Modèle integrateur (Crutzen et Pirnay, 2013) ......................................................... 37

Figure 6 : Les dimensions de la succession managériale dans les entreprises familiales

(Barach et al., 1988, adapté par Bayad et Barbot, 2002) .......................................................... 40

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7 LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Synthèse des entreprises consultées ...................................................................... 52

Tableau 2 : Synthèse des filles interrogées .............................................................................. 52

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88

8 ANNEXES

8.1 GUIDE D’ENTRETIEN

PREAMBULE :

Autorisez-vous l’enregistrement de l’entretien ?

Demandez-vous à ce que l’entretien soit confidentiel ?

***

ENTREPRISE :

Secteur

Date de création – génération – précédentes transmissions

Taille de l’entreprise (nombre de salariés, filiale)

Présentation de l’entreprise (histoire, activité, etc.)

***

1. Présentation succincte du travail et de l’interviewée

***

PROCESSUS DE SUCCESSION :

2. Comment se déroule/s’est déroulée la transmission (managériale et patrimoniale) :

avait–elle été planifiée ? Quels ont été les étapes ? La durée ? Où en êtes-vous ?

***

SITUATION INITIALE :

3. Quel est votre formation initiale ? Avez-vous suivi d’autres formations ? Etaient-elles

en lien avec la succession ?

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4. Avez-vous eu des expériences professionnelles en dehors de l’entreprise familiale ?

(quand, fonction et durée) Pourquoi cette décision ?

5. Avez-vous été initié à l’entreprise familiale et comment? (emplois

saisonniers/stages/employé, âge et durée)

6. Quand et comment a débuté le processus ? (contrainte ou choix, élément déclencheur,

employé ou poste de direction, etc. ?) Quel âge aviez-vous ? Comment s’est déroulée

votre intégration ? (communication, formation, apprentissage)

***

MOTIVATIONS :

Prédécesseur :

7. Quelles étaient les raisons et les motivations qui l’ont poussé à la transmission ? Quel

âge avait-il au moment de la transmission ?

8. Quels ont été les freins et les résistances de la part de votre père ? Pendant combien de

temps ?

Successeur :

9. Quelles étaient vos motivations d’accéder à la direction de l’entreprise familiale?

(flexibilité vie privée et pro, opportunité de carrière, salaire, etc.)

10. Aujourd’hui, que diriez-vous des avantages et inconvénients à travailler dans

l’entreprise familiale ?

***

RÔLES :

Prédécesseur :

11. Quel(s) rôle(s) à jouer votre père durant la transmission ? Et après ?

Successeur :

12. Quel est votre fonction actuelle dans l’entreprise ? Quel rôle assumez-vous ?

13. Avez-vous connu des tensions liées à votre rôle : conflit femme d’affaire vs mère de

famille, ou avec votre père ou un autre acteur ? (rivalité, rôles multiples)

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Famille :

14. Comment positionnez-vous la famille et son rôle dans la transmission ? (influence)

15. Un membre de la famille a-t-il joué un rôle particulier ? (mère, frère/sœur)

Acteurs interne :

16. A quel niveau les employés ont-ils influencé le processus ? Quel a été leur rôle ? Quel

rapport entretenez-vous ?

Acteurs externes :

17. Avez-vous eu recourt à des tiers ? (professionnels ou non)

18. Quel type de relation entretenez-vous avec les clients, fournisseurs ou autres

partenaires externes ?

***

COMMUNICATION :

19. Quelle relation entretenez-vous avec votre père ? Comment qualifiez-vous votre

relation et votre niveau de communication ? Et avec votre famille ? (pendant et après

la succession)

20. A quel degré évaluer vous la confiance que vous avez l’un envers l’autre avec votre

père ?

21. Comment qualifiez-vous le rôle de la communication dans la transmission ? A quel

niveau ? (famille, entreprise) Quels sont les points importants ?

22. Faites-vous parti de réseaux ? (soutien, stratégie, etc.)

***

LEGITIMITE :

23. Quels ont été les difficultés et les défis au cours du processus ? Y avait-il un élément

en particulier ?

24. Avez-vous eu des doutes concernant vos capacités, vos compétences ou encore votre

légitimité ? Quel est votre ressenti par rapport à ça ?

25. Pensez-vous qu’être une femme a joué un rôle ?

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***

GESTION :

26. Quel mode de gestion votre père avait adopté ? Quels étaient ses objectifs et sa vision

future de l’activité ?

27. Comment s’est déroulée la collaboration avec votre père ?

28. Quel type de management avez-vous mis en place ?

29. Quel est votre stratégie pour l’entreprise familiale et vos objectifs ?

30. Pensez-vous avoir apporté quelque chose en tant que femme ?

***

OBSERVATIONS :

31. Comment avez-vous perçu la succession ? Etes-vous satisfaite ? Qu’auriez-vous

amélioré ?

32. Avez-vous des recommandations ?

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92

8.2 TRANSCRIPTIONS DES INTERVIEWS

Préalable

Les transcriptions qui vont suivre ont toutes été menées par le même guide d’entretien dont

les questions et les formulations ont été adaptées en fonction du contenu et de la tournure que

prenait l’interview. Les thèmes des questions ont été expliqués au début de l’entretien et

chaque femme était libre de développer les questions comme elles les entendaient durant

l’échange.

Par respect du souhait de confidentialité de certaines interviews, tous les éléments tels que les

noms et informations susceptibles de dévoiler l’identité des femmes interviewées ainsi que

celle de leur société ont été remplacés de manière à conserver leur anonymat.

Afin de garantir l’authenticité des informations et la spontanéité dégagée par ces femmes,

nous avons choisi de réaliser des transcriptions intégrales. Le contenu qui va suivre est le plus

fidèle possible de ce qui a été dit au cours de l’interview et reprend donc la totalité des propos.

Nous avons délibérément conservé les interjections, les intonations, les fautes de langue, les

pauses, etc. en ne supprimant que ce qui rendait la lecture trop difficile.

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8.2.1 FILLE N°1

ENTREPRISE :

Secteur : Travaux publics & privés

Date de création – génération – précédentes transmissions : Création de l’entreprise en 1974

par le père de l’interviewée. Transmission à la 2ème

génération.

Taille de l’entreprise (nombre de salariés) : +/- 150 salariés

Présentation de l’entreprise : Entreprise spécialisée dans les travaux publics, privés, routiers,

hydrauliques, ferroviaires et utilitaires.

INTERVIEW :

Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter brièvement ?

[Fille n°1], je suis la gérante de la société bâtie par mon père en 1974. J’ai 47 ans et je suis la

mère de 5 enfants.

Concernant le processus de succession, est-ce qu'il est encore en cours, comment ça s'est

déroulé ?

Non, c'est fini. On est 6 frères et sœurs chez moi. De tout temps, j'ai dit que je reprendrai toute

seule où je ne la prends pas. Parce que je n'ai pas envie de passer mes dimanches et mes fêtes

de famille à me disputer avec ma famille. Tout le monde était assez d'accord, personne d'autre

n'était intéressé par la reprise. Il y a eu une année en Belgique, où ils parlaient d'imposer les

plus-values sur les actions. Il était vraiment très proche de la signature. En 1995, j'ai racheté

20 % de l'entreprise mais il me manquait les 80 autres pourcents. Car comme je disais il fallait

que j’aie tout. Au mois de novembre, l'année où il allait imposer cet accord, j'ai dit à mon père

: « écoute, je veux bien mais si on attend que même les plus-values internes. Donc maintenant

tu te décides. » Donc en un mois et demi on a fait les conventions et on les a signées. Pour

finir, j'ai fait un crédit vendeur, parce que demander aux banques des sous, de toute façon ça

revient au même, tu dois sortir l'argent de la société pour payer. Donc il vaut mieux payer ton

père qui touche un petit intérêt, qu'une banque. D'autant plus qu'avec les banques il fallait la

garantie de ci, de ça. Donc crédit vendeur. Et maintenant tout est payé.

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Donc c'est finalisé. Ça a duré combien de temps?

Depuis que je suis dedans on savait que j'allais la reprendre, il n'était pas fort pressé puisqu'il

ne voyait pas trop l'utilité. Le déclencheur, ça a été cette histoire d'imposition des plus-values

internes. Et ça, ça a été super vite mais ça fait longtemps qu'on savait que c'était moi qui

reprendrais. On a fait une réévaluation de la valeur de la société par notre réviseur à l'époque

et puis on s'est mis d'accord sur la valeur. De toute façon tout ce que je payais c'est l'entreprise

qui le paye, donc il ne pouvait pas exagérer la valeur sinon il n'y avait plus d'entreprise. Mais

il ne fallait pas quand même sous-estimer la valeur puisque c'était pas très bien vis-à-vis des

frères et sœurs. Mais j'ai fait une bonne affaire puisque depuis on a bien progressé. Ça a été

très vite à partir du moment où il a été décidé de le faire. Moi il y avait un problème aussi,

c'était que si il me donner la société, la valeur de la société aurait été évalué à sa mort. Donc si

j'avais doublé la valeur, c'est les autres qui auraient touché. Et si j'avais diminué de moitié,

c'est moi qui aurais gagné mais ça ne valait pas la peine de reprendre. Donc ça c'était hors de

question, donc je l'ai racheté à mon père et pas à mes frères et sœurs.

Donc ça c'était tout ce qui est transmission de propriété, mais tout ce qui est de la

transmission managériale, combien de temps cela a pris, comment cela s’est déroulé?

Nous au départ, on était une entreprise normale, il y avait mon père, un autre gars qui est parti

entre-temps, il y avait le directeur commercial qui était la déjà, la personne qui est directeur

travaux était déjà là aussi, mais il n'y avait pas encore de formalisation. Il n'y avait pas de

structure. Puis un jour on s'est décidé, en se disant que si tu meurs demain il faut qu'on sache

te remplacer. Donc moi tout ce qui était partie administrative, droit, GRH tout ça… la seule

chose que je ne maîtrise pas et que je ne maîtriserai jamais parce que je n'ai pas du tout envie

de maîtriser, c'est la technique… et tout ce qui était exécution de chantier. Donc, ça c'était fait

puisque je les ai eus et je les ai eus petit à petit. Et après on a mis en place un directeur

travaux, un directeur exécution, ensuite l'autre directeur commercial. Ça s’est fait très

rapidement du jour où on a dit qu'on le ferait, et ça s'est fait il y a 8 ou 9 ans.

Ok très bien. Pour dérouler je vais vous questionner sur votre situation initiale, des

motivations qui vous ont poussé à aller dans la société et après du déroulé dans la société

comment ça s'est passé. Quel est votre formation initiale ?

J'ai fait une maîtrise en finance banque assurance.

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Et par la suite vous avez suivi d'autres formations pour pouvoir arriver à ce poste, ou

suite à la succession?

Non, car dans la chambre de commerce il y avait des petites formations avec des autres

patrons où on discutait des pratiques. Maintenant je fais partie de [Nom de l’organisation],

c'est un truc français ou on a des formations toute une journée. J'essaie toujours de faire au

moins 10 ou 15 formation par an, 15 jours par an. Et puis je lis beaucoup.

Tout à l'heure vous m'aviez parlé que vous êtes rentrée assez tôt dans l'entreprise, mais

avez-vous eu des expériences à l'extérieur ?

Non, aucune. Même en tant qu'étudiante, parce que quand j'ai voulu aller ailleurs il n'a pas

voulu. J'ai eu une opportunité de job mais il a refusé, il a voulu que je vienne ici. J'ai recopié à

la main des livres d'inventaire, parce qu'il n'y avait pas d'ordinateur à l'époque. Je n'ai jamais

eu d'autres expériences ailleurs.

Et donc votre première intégration dans la société, c'était pour un stage?

En tant qu'étudiante, je suis venu à 16 ans comme tout le monde. Comme étudiante, j'ai

travaillé 1 mois puis un autre mois. Ce n'était pas gai en plus. Par exemple ma dernière année

d'étude, j'étais dans un des bureaux et j'étudiais tout le temps là. Et donc je n'ai pas eu d'autres

expériences, mais depuis j'en fais beaucoup dans les organisations professionnelles et je suis

présidente à gauche et à droite, donc je vois plein d'autres façons de fonctionner. Mais je n'en

ai pas trouvé encore des meilleures que la nôtre. Quand on est fier de soi c'est déjà ça.

Donc si je comprends bien, lorsque le processus d'intégration a commencé, vous étiez

déjà employé ?

Non je n'étais pas employé j'étais indépendante. J'étais encore à l'école, et il fallait pour la

société anonyme 3 administrateurs, donc j'ai été nommée administratrice et à l'époque on était

d'office indépendant.

Et vous êtes toujours indépendante ?

Non mais elle n’est pas que j'y étais.

Et quand s'est passé la transition ?

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En 1995, et maintenant on peut être administrateur et employé. Mais avant c'était interdit.

Une fois que vous avez su que vous alliez reprendre la société, qu'avez-vous mis en place

avec votre père, que ce soit au niveau de la communication ou de l'information ?

C'était en 1995, donc les réseaux sociaux ça n'existait pas à l'époque, il y avait très peu

d'informatique et les communications c'était tapé à la machine et puis tu collais un avis.

C'était surtout du bouche-à-oreille. Et le jour où je suis arrivé on m'a donné les finances la

comptabilité et la GRH. Donc quand tu t'occupes de la GRH, et bien tous les hommes savent

que c'est toi qui t'en occupes. Donc il n'y a pas eu beaucoup de communication, en interne ça

a été facile. Et pour les personnes extérieures, tout le monde savait que j'étais la fille du

patron, il n'y a donc rien eu de formelle.

Outre le fait qu'il y a eu un aspect économique qui vous a poussé à racheter et qui a

déclenché le processus de succession, quels étaient les motivations pour votre père?

Mon père il fallait forcément qu'il le donne à quelqu'un, il n'allait pas durer éternellement

même s'il est encore là. Et comme il avait 6 enfants, s'il voulait que son entreprise survive il

fallait quand même bien qu'il y ait quelqu'un qui la dirige. En plus il est bourgmestre, donc il a

quand même un peu beaucoup de travail. Il avait un autre collaborateur qui n'était plus là,

donc il lui fallait absolument quelqu'un dans l'entreprise. Donc sa motivation c'était la survie

de l'entreprise principalement. Et la paix de la famille.

Et à ce moment-là quel âge avait-il au début de la transmission?

50 ans.

Pendant la succession, est-ce que vaut père a présenté des réticences, a-t-il été freiné par

certains aspects?

Non, il y a juste qu'il fallait le faire. Il faut s'asseoir à une table, discuter et faire les papiers.

Ce qui l'ennuyait prodigieusement.

Donc il n'y a pas eu de soucis de se retirer ?

Non pas du tout c'est même le contraire, dès que je suis venu et que je devais faire quelque

chose par exemple rencontrer les banques, il n'est jamais venu avec moi. Il faut faire tes

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expériences, si tu ne fais pas tes expériences tu es foutu. Et quand je suis arrivée, je suis

arrivée en sauveur puisque je sortais de l'école et que j'avais des techniques que lui ne

connaissait plus. Il n'est jamais eu aucun souci à transmettre l'entreprise, d'ailleurs il est hyper

fier de sa fille. La seule chose qui l'ennuyait c'était de perdre un peu du pouvoir qu'il avait. Par

exemple, il ne voulait pas que j'ouvre le courrier le matin et il signait tous les jours les lettres

au début et il ne voulait pas que je signe. C'était le genre de truc auquel il apportait de

l'importance, sinon pour le reste ça c'est hyper bien passé. Il fallait juste le pousser à le faire

parce qu'il n'aime pas faire ses papiers. Et comme dans ma famille personne ne voulait venir

et être chef, c'était bien.

Quelles étaient vos motivations à vous exactement de reprendre l'entreprise familiale?

Tout d'abord, je ne veux pas de chef. Je ne saurais pas être dirigée je n'ai pas le caractère pour.

Et pourquoi l'entreprise familiale, parce qu'il y en avait une, j'allais pas en chercher une autre.

C'est venu comme une évidence et le domaine m'intéresse. Mais dans tous les cas j'aurais été

indépendante, je n'aurais sûrement pas travaillé sous les ordres de quelqu'un ou alors de

quelqu'un fort, fort intelligent et qu'il pourrait m'apprendre quelque chose.

Et maintenant que pouvez-vous me dire sur les avantages et les inconvénients d'être

chef?

Les avantages dans une entreprise familiale c'est qu'on décide tout seul quand on a les moyens

financiers admettons que tout vas bien, si ça ne va pas bien là on a tous les autres qui

viennent. L'avantage c'est qu'on décide, on n'a pas besoin de rendre des rapports, on fait

comme on veut on est libre. Ça c'est le gros avantage de l'entreprise familiale.

Et par rapport à la vie privée ?

Moi j'ai 5 enfants. Chez nous on est indépendant dans la vie. Je pars du principe que

l'éducation c'est rendre indépendant quelqu'un. Je n'ai pas de problème de conciliation, j'ai

quand même une baby-sitter qui vient gérer mes enfants parce qu'il n'y a pas de miracle. Mon

premier mari c'est le directeur travaux qui travaille encore ici, donc ce n'était pas possible non

plus que ce soit lui qui le fasse. Mais je n'ai pas non plus de scrupule, si il y a des examens des

enfants ce n'est pas les examens des parents. Je n'étudie pas quand les enfants sont en examen.

Si je ne les vois pas pendant je n'en fais pas une maladie. Je n'ai pas besoin d'être avec eux en

permanence, ils n'ont pas besoin de moi en permanence. Et de toute façon maintenant avec le

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GSM, c'est quand même un peu facile. Je n'ai jamais eu de problème de conciliation de ma vie

privée professionnel. Mais s'il faut que je parte pour aller les chercher ou faire quelque chose,

il y a toujours moyen je n'ai que 5 km à faire. Ce qui ne doit pas être le cas de tout le monde.

Très bien. Je souhaite parler des rôles de chacun, quel rôle a joué votre père durant la

transmission ?

Non en fait comme je disais, on a eu chacun nos tâches. J'ai fait tout ce qu'il n'aime pas, GRH,

tout ce qui est banque. Au début chacun faisait ses tâches, si j'avais besoin d'aide je lui

demandais. On a eu des clashs de temps en temps parce qu'on était pas d'accord, parce qu'il

est aussi têtu que moi. Mais sinon dans l'ensemble ça se passe super bien, mais il n'a pas eu de

rôle précis de conseiller.

Tantôt on parlait de la division précise des tâches. Est-ce que ça a généré des conflits liés

aux rôles que vous avez?

Non, sur les rôles on a pas eu beaucoup de conflits. Par contre parfois sur des choses qu'il

faisait où que je n'étais pas d'accord, ou sur des choses que je faisais et qu'il n'était pas

d'accord là ça pouvait parfois péter. Mais très, très, très rarement, et maintenant plus du tout.

Mais on avait vraiment des rôles différents. Je sais que dans d'autres entreprises, les autres

veulent rester et restent accrochés à l'entreprise. Mais mon père est président du foot et depuis

qu'il a 25 ans il est à la commune. Donc il avait déjà autre chose que l'entreprise. Si

l'entreprise disparaissait je ne suis pas sûre qu'il serait heureux, mais en attendant c'est une

entreprise ce n'est pas sa vie.

Mais le fait qu'il soit encore là est-ce que ça crée des tensions ?

Non puisqu'il ne travaille plus du tout pour l'entreprise. Les anciens savent encore qu’il y est,

mais les nouveaux ne connaissent plus du tout.

Mais chez les employés ça ne crée pas des sources d'ambiguïté?

Un moment il y en a qui ont joué un peu, il venait près de moi et puis près de lui. Et

maintenant il n'y en a vraiment plus, de toute façon c'est moi. Et encore, j'ai décidé de ne

travailler qu'un jour semaine.

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Et vous pensez que les employés ont joué un rôle dans la succession? Est-ce quelque

chose est ressorti des employés ?

Ici, ils ont presque tous grandi en même temps que moi, ils sont tous rentrés en même temps

que moi. Je parle des employés de bureau mais pas les ouvriers sur chantier. Ils m'ont toujours

connue donc je n'ai pas eu de problème. Mais je suis persuadé que dans d'autres entreprises la

succession à une fille ou un fils est plus difficile, surtout si le père n'est pas clair en disant « ce

n'est plus moi c'est lui/elle ». Il ne faut pas que le père aille par derrière. Surtout quand il y a

des employés plus vieux qui sont dans l'entreprise depuis longtemps. Ici j'en avais deux mais

ça s'est bien passé.

Nous sommes dans une entreprise familiale, est-ce que la famille a joué un rôle ?

Encore une fois non, puisque c'était clair dès le départ et que personne n'était intéressé.

Et en termes de support ?

Oufti non, je n'ai pas besoin de support psychologique, je n'en ai pas l'utilité. Je ne vois

franchement pas où j'aurais été. Ça n'a ni été un frein ni quelque chose de positif. La famille

c'est la famille, le boulot c'est le boulot. Et ça je suis sûr que c'est au moins 80 % de la réussite

d'une entreprise, c'est de ne pas être complètement submergé par l'entreprise. Savoir se

déconnecter, j'y arrive et papa aussi. Parce que celui qui bouffe de l'entreprise toute la journée,

même si il adore, c'est la cata.

Donc il y a quand même une grande part de communication avec votre père j'ai

l'impression…

Oui on s'entend très bien. Déjà, on mangeait tous les midis ensemble. Maintenant plus parce

qu'il a beaucoup de boulot et que moi j'ai d'autres choses ailleurs donc je ne suis pas toujours

là. Mais quand je suis ici et bien je retourne avec lui. Donc la communication c'était fort

informelle et c'était très bien.

Et donc au niveau de la confiance ça a influencé selon vous pour pouvoir vous laisser

reprendre la société?

Oui la confiance moi je l'ai eu tout de suite, j'étais l'aînée, la première de la famille. Il n'avait

pas fait d'études mais il était très intelligent, il voulait que je fasse ingénieur mais j'avais pas

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très envie d'être ingénieur. Mais de toute façon on fait tous ensemble on habite le même

village on sort au même endroit et pareil avec toute ma famille. On se voit tout le temps.

Mais alors on parlait de communication et de confiance, est-ce qu'il y a eu différents

types de communication mis en place? Est-ce que à un moment vous ne vous êtes pas dit

si la famille empiète sur le boulot, où le boulot sur la famille? Est-ce que vous régler ça à

un moment ou un autre?

Non ça n'a jamais été le cas.

Et pour communiquer, est-ce que vous faites partie d'un réseau pour partager avec eux

?

Oui donc je le disais tantôt [Nom de l’organisation], tout ce qui est organisation

professionnelle de la construction, donc ça en fait déjà un paquet. En fait j'ai récupéré un peu

près tous les mandats de mon père plus d'autres. Les réseaux uniquement femme, je n'aime

pas. Je déteste, pas que je déteste les femmes, ce serait la même chose si j'étais un homme et

que c'était exclusivement homme. Je trouve que c'est ridicule, que c'est dommage de juger sur

le genre.

Et du coup c'est bien que vous parliez du genre, les femmes ont souvent des problèmes

de légitimité dans la société.

Encore une fois, moi pas. Et pourtant je suis dans un monde d'hommes.

Parfait. Mais du coup à ce niveau vous n'avez eu aucune difficulté, pas de défi

particulier ?

Aucun, mais franchement aucun, ce n'est pas de la prétention, je ne me masque pas, je n'en ai

jamais eu. Si une fois mais ce n'était pas un problème, c'est quand je suis à la foire Agricole et

que je discute et que le gars a cru m'avoir au téléphone en pensant que j'étais la secrétaire. Les

seuls, il y a parfois, ce sont des malentendus mais sans conséquence. Mais jamais moi

personnellement.

Donc du coup vous n'avez jamais eu de difficultés avec des acteurs externes, par

exemple des clients, des fournisseurs, les partenaires? En tant que femme …

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Non, mais moi je ne me suis jamais positionnée en tant que femme. Je ne sais même pas ce

qu'est la position d'une femme. Je ne sais pas comment on doit faire.

Et du coup vous n'avez jamais eu de remise en question, de doute concernant vos

capacités?

Moi, les miennes?

Oui.

Non (rires).

Et bien très bien…

Les femmes endossent encore trop souvent le rôle de mère et de ménagère. Ce que je ne fais

pas parce que je déteste. Je ne fais pas à manger je ne fais pas les courses, je ne sur-couve pas

mes enfants. J'adore mes enfants, je fais plein d'activités avec eux. À part ça je ne sais pas trop

ce que c'est le genre… Je crois qu'il y en a quand même qui en joue.

Tout ce qui est au niveau gestion maintenant, en fonction de ce qu'avait prévu votre

père, ses modes de gestion, le vôtre, ses objectifs?

Ça n'a plus rien à voir, parce que c'était une autre époque. C'est peut-être fait d'avoir une

transmission d'entreprise je ne sais pas. Avant par exemple faire des budgets on en avait

jamais fait. Il n'y avait déjà pas d'informatique, il n'y avait pas d'ordinateur. Il n'y avait pas

non plus du tout d'organisation administrative. Je pense que c'est surtout ça, je pense que le

prochain stade c'est quand même moi qui vais le faire parce que ce sera trop tard si j'attends

que mes enfants le fassent. C'est l'organisation informatique plus qu'administrative. En fait

mon père est toujours très rigoureux mais il était toujours en retard sur tout. Donc c'est très

compliqué. Avec ce que j'ai mis en place, on n'est plus en retard, avec la même rigueur que

mon père. Donc ce qui a changé beaucoup c'est on va dire faire les choses dans les délais. Et

mettre en place des tableaux de bord des choses comme ça qui n'existaient pas à l'époque.

Donc en termes de gestion conjointe, on peut dire que vous étiez assez bien

complémentaire. Et avec l'avancement de ce qu'on a maintenant, vous avez continué ce

cheminement à deux.

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Oui mais à l'époque c'était, ils appellent ça du management paternaliste, mais c'était à peu près

ça à l'époque. Maintenant ça ne marche plus et tant mieux.

Parce que vous en termes de management, vous avez un style particulier par rapport à

celui de votre père?

Non, mais déjà, sûre, beaucoup plus participative que lui ne l'était sauf qu'il ne faut pas croire

que ça plaît tant au gens. Plus participative ça c'est sûr et certain. Mais lui il décide et puis

c'est tout. Son frère et lui décidaient et les autres faisaient. Mais c'était comme ça à l'époque.

À mon avis depuis que je suis sortie des études il y a bien eu 10 styles de management qui

sont sortis.

D'accord et est-ce que vous c'est que le fait d'être une femme à influencer certains types

de management?

Honnêtement, les styles de management c'est souvent fait par les hommes déjà.

Ou un apport quelconque en tant que femme.

Je ne sais pas, il y a des gens qui vont sans doute vous dire que les femmes apportent de la

sensibilité que les hommes n'ont pas. Moi je n'y crois pas. Je ne sais pas, j'en sais rien. Il y a

un nouveau style que j'adore et que j'aimerais bien implémenter, c'est le management par

appétence. Faire en sorte que les gens fassent ce qu'ils aiment le mieux. Être beaucoup plus

collaboratifs, mais ce n'est pas très facile même si c'est des gens jeunes parfois qui sont quand

même vieux. Moi j'adore le changement, je trouve que c'est gai.

Ok, après quelques observations, votre ressenti par rapport à la succession. Est-ce que

vous satisfaite? Qu'est-ce que vous auriez amélioré, est-ce que vous avez des

recommandations pour des filles par exemple dans mon cas.

Moi je suis assez satisfaite mais j'ai de la chance. Je sais que si les parents ne lâchent pas le

lest et ne laissent pas les enfants faire leurs expériences c'est la cata. Je l'ai vu dans d'autres

entreprises. Dans une autre entreprise par exemple, il a fallu que le patron ait un accident, le

fils a repris et ça se passe bien. C'est dommage qu'il y a toujours besoin d'avoir un événement

déclencheur. Il faut arriver à faire la succession sans qu'il y a besoin de passer par là. Moi j'ai

eu de la chance ce n'était pas un problème de santé. Mais quand c'est un problème de santé, il

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faut tout faire dans le rush et ça doit être beaucoup plus compliqué pour la personne qui

reprend. D'ailleurs moi dès que je peux, je vais attendre encore un an ou deux parce que l'aîné

n'a que 19 ans, mais je le mets en route pour arriver et essayer d'avoir toutes les possibilités,

arrivé en mettre en place la revente, 1 enfants 2 enfants 3 enfants j'espère qu'il n'y en aura

qu'un ce que j'ai dit pour moi est valable pour tout le monde je pense. Mais bon ce n'est pas

moi qui vais décider pour tout et je mets en route pour arriver à faire. Mais il faut pas attendre

un déclencheur, il faut le faire. Parce que le déclencheur c'est rarement quelque chose de

positif. Pour le reste, je pense que c'est une façon d'être des gens qui fait que ça passe ou que

ça ne passe pas. Tous les patrons ne sont pas des patrons généreux ou malin, il y a des patrons

qui sont bêtes comme leurs pieds sans vouloir juger, ils ne se rendent pas compte qu'ils font

plus de mal à leur entreprise que de bien. Donc dans ce cas-là je pense que ce qui serait pas

mal c'est de prendre des alliés comme les banquiers parfois, qui permettent de cadrer et

organiser la succession.

D'ailleurs est-ce que vous avez eu de l'aide de professionnels extérieurs pour la

succession justement?

Quand on a décidé qu'on allait la mettre en place, j'ai pris contact avec quelqu'un. On a fait un

brainstorming je m'en souviens encore. Le problème c'est que c'est impossible de le faire tout

seul à moins d'être un notaire, et encore un bon notaire. Non j'ai eu l'adresse d'un notaire par

l'intermédiaire d'une connaissance. Il faut aussi transmettre à quelqu'un qui est capable ce qui

n'est pas facile à avoir quand on est parent, car on a quand même un biais positif vis-à-vis de

ses enfants. Il faut que les deux parties soient capables.

Ok bah très bien. Merci.

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8.2.2 FILLE N°2

ENTREPRISE :

Secteur : Menuiserie

Date de création – génération – précédentes transmissions : Création de l’entreprise en 1993

par le père de l’interviewée. Transmission à la 2ème

génération.

Taille de l’entreprise (nombre de salariés) : +/- 30 salariés

Présentation de l’entreprise : Entreprise spécialisée dans la menuiserie d’intérieur et

d’agencement.

INTERVIEW :

Commençons par une petite présentation succincte de vous.

De moi ? [Fille n°2], 34 ans. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, que je travaille ici

depuis 11 ans. Je suis en couple puisque je suis enceinte et que je vais accoucher en aout et ce

sera mon premier bébé. Et ici depuis 11 ans. Parce que je sais que vous allez me poser des

questions après.

Ok, pas de souci. Pour commencer, le processus de succession : où est-ce vous en êtes

actuellement. Est-ce qu’il y a quelque chose de planifier, des étapes, où ça en est

exactement ?

Chez nous c’est un peu particulier, parce que oui on en parle souvent mais c’est pas encore

finaliser, donc quand je ne sais plus, qui vous a dit que ça prenait 10 ans, ça prend 10 ans.

Parce que on en parle, allez … j’vais dire depuis vraiment 3 ans. Et donc ici on doit encore

faire appel aux révisions d’entreprise parce qu’il faut valoriser etc. parce qu’un j’ai un frère et

une sœur et que par rapport à eux il faut forcément être correct. Et donc dans la répartition,

c’est juste pour ça en fait, ce qui nous prend le plus de temps c’est la valorisation et la

répartition entre mon frère et ma sœur pour que tout soit juste. Sinon ce serait déjà fait en fait.

D’accord, très bien. Donc votre situation initiale, quelle formation vous avez ? Est-ce

que vous avez suivi d’autres formations à la suite, quand vous êtes arrivée ici ?

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Oui, donc moi à la base je suis formée en communication. Donc à la base c’était pas du tout

prévu que je travaille avec mon père. Moi je voulais faire de l’organisation d’évènements. Et

puis après, discussions faisant, je suis venue travailler avec lui. Et après par contre j’ai dû me

reformer dans le domaine d’RH. Donc j’ai fait un diplôme spécial en Ressources Humaines,

un diplôme spécial en gestion, en management, et puis j’ai fait des formations plus

spécifiques achat, et plusieurs formations ressources humaines, et gestion. Ça m’a pris 6 ans

en cours du soir.

Avant d’arriver ici, est-ce que vous avez des expériences à l’extérieur de l’entreprise ?

Non.

Non ? Vous êtes arrivée directement ici ?

Oui, oui, j’ai eu fini en Juin et je suis arrivée ici en Octobre.

Ok, très bien. Avant ça, comment vous avez été initiée à l’entreprise familiale, est-ce que

vous aviez déjà travaillé ici auparavant pour un stage, ou emploi saisonnier, etc. ?

Non, bah non mais nous on était très, très souvent ici étant jeunes puisque mon père était tout

le temps ici, donc nous même pendant les vacances scolaires on venait l’aider à faire des

trucs, les archives, pour vous dire bêtement on avait un réfectoire là-bas, qui est désaffecté

maintenant, mais c’est nous qui l’avons peint. On passait beaucoup, beaucoup de temps ici

puisque lui était de toute façon toujours ici donc oui l’entreprise moi j’y ai grandi. C’est chez

moi. Donc voilà, comment j’ai été initié ? En passant énormément de temps ici quoi.

Ok, très bien. Et alors du coup, quand vous êtes arrivée ici après vos études, vous êtes

arrivée à quel poste ? Et pourquoi ? Quelles ont été les événements qui ont fait que vous

êtes rentrés ici finalement ?

Qu’est-ce qui a fait que je suis rentrée ici ? Je cherchais … bon je suis sorti en Juin et je

m’étais dit Juillet-Aout je vais me la jouer tranquille, je sors des études, j’ai pas trop envie de

chercher donc j’ai pas cherché. Puis après je me suis mise un peu à chercher du boulot. Et

puis, en parlant bêtement avec mon père, il me dit « bah tiens pourquoi tu viendrais pas

travailler chez nous justement pour t’occuper de la communication ? ». Et euh … j’ai dit ouais

à la limite pourquoi pas puisque c’est mes études de base donc moi j’étais bien contente sauf

que je suis arrivée ici et j’ai tout fait sauf de la com’. Parce qu’en fait de fil en aiguille, la

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secrétaire nous a quittés donc j’ai repris son boulot de secrétaire puis après c’est la compta qui

a changé donc j’ai repris le boulot de la compta. Et ainsi de suite quoi. Donc et puis ce que

j’ai apprécié dans le parcours que j’ai fait c’est que j’ai commencé vraiment à la base et puis

que ça m’a permis de voir toutes les étapes de l’entreprise et ça je trouve qu’il n’y a pas

meilleur apprentissage quoi.

Ah bah oui non mais c’est très bien. Et du coup vous aviez quel âge quand vous êtes

arrivée ici alors ?

Donc ça fait … J’avais 23 ans … 23 oui, oui ça doit être ça. Non 22, 22 ! Ça change pas

grand-chose.

Et du coup quand vous êtes arrivée, est-ce qu’il y a eu quelque chose pas de mis en

place ? Une communication faite auprès des employés ? Autre chose ?

Absolument pas parce que le but c’était justement, fallait pas marquer le coup. Donc moi je

rentrais dans l’entreprise mais je rentrais pas dans l’entreprise pour reprendre l’entreprise

déjà, et je rentrais pas dans l’entreprise en tant que la fille de mon père. Ça c’était hors de

question, c’est quelque chose que ni lui ni moi on voulait. J’étais pas la fille de [Nom du père]

quoi, j’étais, je venais ici, je venais faire mon travail et fallait que je fasse mes preuves en tant

que moi, [Fille n°2], je porte son nom donc voilà c’est comme ça mais j’étais pas « la fille

de » quoi, fallait que je fasse mon taff. Donc on n’a pas fait de communication parce que je

prenais un poste de secrétaire à la base, fin je devais faire de la com’ mais voilà on n’a pas dit

« tiens elle vient elle va s’occuper de ça, ça ou ça » puisque très rapidement j’ai repris les

boulots de ceux qui n’étaient plus là.

D’accord, ok. Donc vous avez travaillé ici plusieurs années à différents postes mais un

jour la question de la succession s’est posée. Et qu’est ce qui a déclenché ça ? Qu’est-ce

qui a motivé votre père à penser ça ou peut-être ça venait de vous ou de vos frère et

sœur ?

Non, c’est-à-dire que mon père et moi on a une relation très, très euh … On dialogue

beaucoup. On parle tout le temps, tout le temps, tout le temps. D’ailleurs tous les matins on se

fait une réunion tous les 2 pour parler de l’entreprise de choses et d’autres. Et c’est venu un

peu euh, bon maintenant la question elle se pose parce que je suis sa fille et que donc je

travaille avec lui qu’à la base c’était pas du tout prévu mais qu’à un moment donnée on se dit

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bon bah tiens c’est quoi la suite ? Et donc on a pas fait quelque chose de très particulier, c’est

venu très naturellement. On s’est dit tiens, bah ouais je crois qu’un jour je lui ai dit que moi je

serais contrariée que la société sorte de notre famille quelque part et ni mon frère ni ma sœur

n’ont manifesté un intérêt quelconque pour l’entreprise puisqu’ils font d’autres choses et donc

de fil en aiguille c’est un peu venu assez naturellement. A quelle période je ne saurais même

pas vous le dire d’ailleurs. Ouais, non c’est venu très, très naturellement et puis au fur et à

mesure comme ici on est entre 25 et 30, et tout le monde se parle et se connaît. Donc au fur et

à mesure même la communication avec nos gars s’est faite très, très naturellement. Donc

aujourd’hui pour rire il m’appelle « patronne » et ça me fait rire mais c’est venu naturellement

et puis quelque part eux aussi ça les rassure de se dire qu’il y a une suite. Mais il n’y a pas eu

de communication spécifique « voilà [Fille n°2] reprendra l’entreprise à telle date ».

Et chez votre père, un élément déclencheur en particulier l’a poussé ? Quel âge avait-il

à ce moment-là ?

Cinquante ans tout juste, oui. Je crois que c’est quand il a commencé à 55, 56. Il a commencé

à se dire bon j’approche de la soixantaine et donc là je dirais qu’il y a peut-être 5 ans qu’on

commence sérieusement à parler de la reprise de l’entreprise, parce que lui, quelque part, il

avance dans l’âge aussi et il faut quand même prévoir quelque part. Mais il y a un dialogue

clair, ça se dessine comme ça pour l’instant, mais si il y a quelque chose qui foire on est tous

les deux conscients que voilà. Le but c’est quand même de faire de cet outil quelque chose qui

se pérennise quoi. Donc voilà ça a été plutôt naturel, y’a pas eu de … On est très peu grosse

procédure nous.

Ok, aujourd’hui ça suit son chemin, mais votre père voyant que vous preniez de plus en

plus de pouvoir car vous allez le remplacer… Est-ce qu’il a manifesté des réticences ou

une certaine résistance ? Est-ce que lui a montré quelque chose en particulier qui fait

qu’il s’accroche encore ?

Je dirais que, je crois que parfois il doit être partagé entre deux sentiments, bien que pas

vraiment. Mais il est content que je prenne un peu de pouvoir et qu’à la limite lui il est

beaucoup moins dans l’opérationnelle et beaucoup plus dans le développement futur. Et donc

il s’ennuie moins dans le quotidien donc il est assez satisfait de cette prise de position parfois.

Mais on sent quand même que, et ça je ne lui dirais pas devant lui, mais on sent que c’est lui

qui l’a créée. Quand on dit les entreprises de nos pères ou de nos mères sont leurs bébés c’est

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pas de la blague c’est vraiment son entreprise, fin c’est lui qui l’a créée et je crois qu’il a

même, s’il est prêt à transmettre etc… je crois qu’il aura quand même du mal. Parce que c’est

un truc que lui a créé quelque part, fin c’est toute sa vie, il s’est complétement investi dedans

donc même s’il ne se l’avoue pas moi je suis convaincue, même s’il est très content de savoir

qu’il y a une perspective, il a un peu du mal à lâcher le truc.

Oui, parce qu’il a quand même d’autres activités à côté ou pas ?

Il a plein de projet, mon père c’est quelqu’un de super actif donc même s’il avait pas

l’entreprise il pense à 10 000 choses. Je veux dire, il a sa maison où il a des chevaux, des

machins et tout, où il pense à développer, fin il veut ouvrir un gite, il pense à développer de la

permaculture, fin plein de trucs. Il est très euh, donc il a 1000 projets, 1000 idées à la seconde

donc même si il arrêtait ici demain, il n’aurait pas la perspective de ne rien faire mais faut

savoir que ce qu’il a créé lui, le plus gros truc qu’il a créé c’est l’entreprise. Donc du jour ou

lendemain je crois ne plus avoir de décisions à prendre, de projets de développement pour

l’entreprise, ça je crois que pour lui ce serait, c’est plus compliqué. Mais il ne freine pas

l’évolution de l’entreprise, il ne me freine pas même moi dans mon évolution. Donc oui c’est

assez simple.

Et vous alors, c’était quoi vos motivations à reprendre le rôle de votre père ? De

reprendre la direction de l’entreprise ?

Moi à la base, à la toute base, je trouve que, moi j’ai vraiment beaucoup d’admiration pour

mon père en fait, donc je trouve que ce qu’il a créé c’est fabuleux. Et avant de venir ici j’étais

pas convaincue que j’allais reprendre l’entreprise, et puis au fur et à mesure de l’implication,

moi je suis entière, moi je sais pas faire les choses à moitié : je fais tout ou je fais rien. Et puis

au fur et à mesure de travailler ici et de voir les choses qu’on fait et qu’on réalise et qu’on est

capable de sortir, je me suis dit : ouais c’est un bon challenge. Moi je suis très challenge donc

je trouvais que c’était surtout pour … allez … pour dire une femme dans une entreprise de

menuiserie et j’aime bien les exemples, comme je vous le disais tantôt [Nom d’une

connaissance] qui a repris l’entreprise de son père, c’est une entreprise de construction. J’ai

envie de dire qu’elle était pas non plus prédestinée et je trouve que c’est bien en fait. Moi j’ai

l’âme de toute façon d’entreprendre, donc ici ou ailleurs j’aurais entrepris. Ça c’est clair et

donc c’est un bel outil quoi.

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Ok. Et maintenant que vous êtes à un poste important. Qu’est-ce que vous diriez en

termes d’avantages et d’inconvénients d’être à ce poste. Parce que, au de là de vos

motivations, maintenant vous vous rendez compte qu’il y a des choses qui sont vraiment

bien et d’autres qui …

Bah ce qui est bien c’est qu’on développe… Je trouve ce qui est fascinant dans le fait

d’entreprendre c’est que déjà on gère une entreprise, on gère 25-30 personnes donc c'est-à-

dire que économiquement c’est aussi intéressant pour tout le monde et donc c’est quelque part

un moteur. Et puis on crée quelque chose, donc moi, rien que ça, c’est un sentiment qui me

plait beaucoup donc ça c’est le gros avantage pour quelqu’un comme moi, parce que j’aime

entreprendre et j’aime faire des choses. Mais l’inconvénient c’est euh… C’est-à-dire qu’il

faut, déjà il faut s’accompagner de quelqu’un qui comprend, ça c’est sûr et certain. Il faut

quelqu’un qui est capable de comprendre le métier d’indépendant et d’entrepreneur, parce que

sinon là je crois que c’est compliqué. Enfin moi je l’ai vécu avant donc il comprenait pas du

tout donc c’était vraiment compliqué. Et alors l’inconvénient c’est mener la vie privée la vie

professionnelle, ça faut pouvoir le faire et c’est franchement pas toujours évident. Ici je vais

être en congé maternité, c’est un combat hein. Ça va pas être facile, je le sais déjà. Même si

on organise tout pour que ça aille. Forcément j’ai un poste que personne ne peut prendre donc

il va falloir que je mène le fait d’être nouvellement maman avec le fait d’être toujours

présente dans l’entreprise, même si je suis pas effectivement ici, tout est organisé pour que

j’ai accès à tout d’où je serai et donc quelque part je vais dire, allez, quelqu’un qui est

employée dans une entreprise il a largement, fin elle prend ses 3 ou 4 mois j’en sais rien de

maternité, elle se la joue tranquille et tout va bien. Moi ce sera pas du tout le cas quoi. Donc

ça c’est l’inconvénient mais c’est un choix.

Ok alors venons-en au rôle qu’a joué votre père jusque maintenant pendant la

transmission. Quel rôle il a joué ? Est-ce que vous avez identifié chez lui une attitude

particulière ?

C’est lui le moteur. Sans lui ça peut pas se faire. Parce que moi je pousse pas à la finalité de la

transmission, c’est-à-dire que c’est pour ne pas non plus créer un choc psychologique. Parce

que c’est lui qui doit à un moment donné dire « Ok c’est maintenant » parce que moi il sait

que de toute façon je suis prête donc quand il dit OK c’est OK. Si il dit c’est pas OK c’est pas

OK. C’est lui qui décide donc le rôle c’est lui qui le tient. Parce que notre expert-comptable

qui vient 2 fois par mois nous dit toujours « vous mettez un temps certain pour finaliser ».

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C’est la vérité mais je lui ai dit « moi je le forcerai pas ». Tant que lui dit pas « c’est

maintenant » et n’appuie pas sur le bouton pour dire « c’est maintenant », il se passera rien.

Parce que c’est lui qui doit décider, parce que c’est lui qui doit dire à un moment donné « Ok

c’est le moment ». Faut dire que nous c’est un peu compliqué parce que j’ai un frère et une

sœur, en fait ça l’ennuie de parler de ça parce qu’il est obligé de parler de quand il sera plus là

donc il est là tout va bien. Et là, il est obligé de se projeter à quand il sera plus là. Donc il a

déjà 61 ans et puis se projeter à quand il sera plus là c’est vraiment pas le genre de truc avec

lequel il a envie de batailler quand il se lève le matin. Pour lui ça c’est un peu plus compliqué.

Mais le rôle qu’il a c’est le rôle principal, c’est lui qui déterminera quand est-ce que ce sera

effectif.

Ok d’accord. Donc actuellement on peut dire que vous êtes co-gérant tous les deux ?

Oui.

Ok et comment ça se passe à ce niveau, est-ce que vous avez des conflits ? Parce qu’a 2

gérants il peut y avoir des sources de conflits.

Non parce qu’il est euh … Pour ça on est très, très complémentaire, donc il a toute sa partie

technique, le technicien c’est lui de toute façon. Et je dirais que niveau gestion c’est moi mais

c’est toujours, toujours, enfin toujours ça dépend quel sujet parce qu’il y a des trucs … mais

c’est toujours en coordination. Y’a rien qui se fait sans que l’autre ne soit au courant. Donc on

ne saurait pas être en conflit sur un truc, dire « tiens t’as fait ça et moi je l’aurais pas fait

comme ça ou quoi ». Et puis je lui laisse aussi le … C’est lui le décideur final si on veut, y’a

des choses faut pas exagérer, mais investissements machines ce genre de choses c’est de toute

façon lui. On en discute, on en débat, on donne nos points de vue et puis la décision est finale

mais y’a rien qui se fait sans que l’autre soit au courant en fait. Donc c’est assez facile.

Très bien. Du coup comme on est dans une entreprise familiale, est-ce qu’il y a une autre

personne de votre famille qui s’est dégagée en jouant un rôle particulier ?

Non. Mon frère a essayé de travailler avec mon père mais ça n’a pas marché.

D’accord ok, mais au-delà de ça même pour vous, quelqu’un en support ou quoi ?

Non.

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Non, Ok. On a parlé de la communication avec votre père, vous avez dit que vous

communiquiez beaucoup.

Ah oui, tout le temps. Chez nous c’est capital, parfois on communique trop je crois aussi mais

c’est mieux trop que pas assez. On se dit parfois peut-être trop de choses, on passe peut-etre

trop de temps à … maintenant c’est ce qui nous permets de bien gérer l’entreprise. Nous on

est, même quand on est pas ensemble, ici c’est exceptionnel il est parti, faut vous dire qu’il est

parti et que il a rendez-vous de toute façon il saurait pas m’appeler mais sinon si il est pas ici

à l’entreprise on s’appelle 30, fin il m’appelle 30 fois sur une journée. Parfois d’ailleurs ça me

soule un peu mais, à la limite toute action qu’il fait il m’appelle il me dit « voilà j’ai fait ça

machin tout ça ok d’accord voilà » et on est au courant de tout et puis le matin il arrive on se

mets 30, 45 60 minutes ici on discute de nos trucs en aparté de l’organisation, de la réunion

qu’on va faire après, des sujets qu’on va aborder, de ce qui est important, pas important et du

futur.

D’accord donc au niveau de la communication vous avez quand même mis quelque

chose en place pour que vous avez quand même un... quand vous dites les matins par

exemple quand vous vous voyez…

Ah mais moi tout le temps. Tous les jours, je n’ai pas encore vécu une journée où on n’a pas

fait notre petit topo de début de journée et savoir comment …

Bon très bien. Donc du coup la relation avec votre père vous diriez qu’elle se passe assez

bien ?

Niquel oui.

Et au niveau de confiance ?

Oui, pareil.

Je crois que vous avez répondu à toutes les questions sur la communication. Donc , vous

diriez que la communication à ce niveau c’est vraiment très important ?

C’est capital. Je comprends pas comment on pourrait faire sans. Sans communication j’y crois

pas du tout en fait.

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Ok et est-ce qu’il y a des personnes externes qui vous aident à ce niveau pour la

succession en terme de communication ?

On fait appel à notre comptable externe et expert fiscal parce que lui il est là depuis 26 ans

dans l’entreprise et donc lui c’est même devenu un ami et donc lui c’est un peu un conseillé

sur le sujet aussi. Et puis on s’entoure aussi de notre avocat et on passe par la banque pour

leur service de succession quoi. Mais ou sinon non, parce que les choses sont claires entre

nous et qu’on est transparent.

Mais du coup vous parliez de conseillers ? Est-ce que vous vous tournez aussi vers des

réseaux par exemple pour parler de ce que vous viviez en tant que femme dirigeante ?

C'est pour ça que j'ai fait [Nom de la formation]. C'est la première année, on était la toute

première génération, on est des repreneurs et ça m'intéressait fort d'avoir l’avis d'autres

finalement qui sont exactement dans le même cas que nous. Expérience fabuleuse. Moi je

conseille ça à tout le monde, au début tout le monde était un peu timide, frustré, tout le monde

se regarde un peu. Et puis après les langues se délient, et puis chacun parle un peu de son

entreprise et de comment il voit les choses, il y en a même une qui devait reprendre

l'entreprise de son père qui finalement ne l'a pas reprise. Cela permet d'avoir des dialogues et

de se confronter chacun à ce qu'on veut vraiment et ce qu'on ne veut pas, et voir aussi ce qu'il

se passe chez l'un ou chez l'autre et voir qu'on est pas tout seul en fait. Et ça je trouve que

dans un cas comme le notre c'est quand même super important.

Surtout en tant que femme, du coup ce qui m'emmène à la suite, sur les problèmes que

vous avez pu rencontrer jusqu'à maintenant. Que ce soit interne de l'entreprise, avec de

la famille, même avec des externes, tout ce qui est client fournisseurs, est-ce qu'il y a eu

des soucis particuliers?

Parce que je suis une femme?

Pas forcément, des problèmes particuliers qui se sont dégagés?

Quand j'ai commencé, tout début que j'ai commencé ici, ça m'a fait bien rire. À l'époque le

responsable de production, qui n'est plus responsable de production mais qui est toujours dans

l'entreprise aujourd'hui. J'étais allé en direct voir un ouvrier, je lui avais dit « tiens est-ce que

tu sais faire ça pour telle date ?» parce que je ne sais plus c'est qui qui le demandait,

franchement c'était il y a 11 ans. Et je me souviens de sa réflexion : « ouais c'est parce que

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c'est la fille de qu'elle va devoir se la péter » où ce genre de truc. Mais moi je suis pas du tout

comme ça. C'est juste que j'avais pas capté qu'il fallait que je passe par lui pour ne pas lui

donner l'impression que je le détrônais son truc. Et donc il a complètement pété un câble et il

s'est complètement transformé, après on a remis un peu les choses au clair. C'est le seul

incident que j'ai eu ici. En externe ce qui est le plus, à la limite peut-être soit un peu plus

chiant, c'est quand on dit oui je travaille dans l'entreprise de mon père : « ah bah c'est facile

alors ! » … Ben oui viens à ma place. Non c'est plus difficile pour moi c'est beaucoup plus

difficile quand on travaille dans l'entreprise familiale parce que ce n'est pas les mêmes

applications, on n'est pas en vacances. Contrairement à tout ce que beaucoup peux croire, j'ai

encore eu le cas il y a pas longtemps. Il y a une personne qui me dit : « ah tu vas être congé

maternité, comment ça va aller ? », je dis « ça va aller comme ça va aller mais de toute façon,

je ferai mon travail de chez moi de toute façon. » elle me répond : « il ne peut pas te laisser

des libertés ? c'est quand même ton père. » Mais non on gère une entreprise, on ne gère pas un

champ de blé à côté. Et je lui dis : « ce n'est pas lui qui ne veut pas, je ne veux pas de

traitement de faveur ça ne m'intéresse pas. C'est notre entreprise. » Et puis je l'ai regardé et je

lui ai dit : « tu sais, nous, si on ne travaille pas on ne bouffe pas. » Donc un moment donné il

faut être conscient de ça. Quand je dis, en tant que femme aucun souci, quand je suis dans un

milieu exclusivement masculin et ça, ça pouvait faire rebuter parfois parce que on se dit : «

merde, est-ce qu'on va être respecté étant donné que ce n'est que des hommes ? ». Ça ne m'a

jamais posé souci. Et le plus important pour moi ce n'était pas d'être respecté en tant que

femme, mais c'était d'être respecté en tant que personne et pas en tant que fille de mon père.

Et ça je crois que ça a été ma plus grande satisfaction, c'est que je ne me suis pas imposé en

tant que la fille de mon père, je me suis naturellement imposé, mais pas imposé… Les gens

me reconnaissent parce que aussi je leur apporte quelque chose de toute façon quoi. Parce que

je suis plus apaisante que mon père, chaque fois qu'il y a un souci ils savent qu'ils peuvent

venir me voir. Mais ça c'est tout l'avantage d'être une femme par contre. Moi je trouve ça

génial quoi, être une femme dans un milieu masculin je trouve que ça peut vraiment être un

avantage. Parce que les hommes ont tendance à vous respecter, à ne pas ne pas venir gueuler,

ceux qui le font entre hommes. Ils prennent plus de gants quand c'est avec une femme. Et ils

savent qu'une femme est quand même, un peu plus compréhensive qu'un homme. Et un peu

plus sensible. Et donc la relation se fait franchement naturellement. Ça ne m'empêche pas, si

je ne suis pas contente, de dire que je ne suis pas contente. Et que chacun reste à sa place,

mais toujours dans le respect. Donc moi en tant que femme je n'ai pas eu de souci, par contre

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sur l'extérieur ou quoi, briser l'image : « ah tu travailles avec ton père, tu es la fille de, oui bah

alors c'est facile. » C'est un combat que je n'ai pas vraiment envie de mener, quelque part. Si

ça leur fait plaisir de le penser grand bien leur fasse, moi je sais le travail que je fais tous les

jours. Mais bon ça c'est à la limite le plus chiant.

Et avec la famille, ça a été?

La famille, étant donné qu'ils n'ont jamais euh …, ni mon frère ni ma sœur … Enfin, mon

frère a essayé, mais avec mon père ça n'a pas fonctionné. Ma sœur elle est dans le médical

donc rien à voir. Non, ça n'a jamais posé… Je vous répondrai quand l'entreprise sera

effectivement transmise. On verra bien à ce moment-là. Parce que, pour l'instant tout le

monde est d'accord sur tout mais on verra bien si … c'est toujours le nerf de la guerre ça. Mais

pour l'instant non tout le monde s'en fout.

Ok. Et du coup, vous n'avez jamais eu de doute ?

Si, bah si. Souvent, très souvent. Et je trouve que c'est sain d'ailleurs. D'ailleurs, c'est [Nom du

formateur] qui m'a dit ça un jour : « si tu n'as jamais doute, c'est pas normal. » Si, si, moi très

souvent, d'ailleurs moi je me remets en question constamment. Parce que, faut quand même

être conscient qu'on va être à la tête d'une entreprise qui gère des gens. Avec mon père on s'est

toujours dit, si je ne suis pas capable, il doit me le dire. Si il sent que quelque part je n'ai pas

la capacité, ce n'est pas parce que je suis sa fille que d'office j'aurai la capacité de reprendre

une entreprise. Donc on s'est toujours dit, que si lui il ne me sent pas capable, il faut

absolument qu'il me dise : « écoute, dirige-toi vers autre chose. » Et si moi, je sens qu'il va y

avoir un pépin, que je ne le sens pas, où que je vais foirer, ou que je ne suis pas confiante…

Alors là c'est moi qui dois lui dire « écoute il faut qu'on trouve une solution. » Parce qu'on

gère des gens quoi, je ne suis pas toute seule et ça n'implique pas que moi. Donc ça, il faut en

être conscient. Donc moi j'ai des doutes constamment.

Ok, donc à plusieurs niveaux ? Par rapport à vos capacités, compétences ?

Oui, parfois je me dis, allez... Non, je dirais qu'au niveau de ma capacité, à l'heure

d'aujourd'hui je suis plutôt rassurée sur le fait que j'y arriverais. Ce qui m'inquiète plus, c'est le

personnel. Aujourd'hui, ça m'inquiète plus que ce que ça ne m'inquiétais il y a 10 ans. C'est

que le personnel tourne beaucoup plus qu'avant. Et donc, dans les ouvriers je dirais non. Dans

les ouvriers, on reste assez stable malgré 2-3 rotations, ce qui est normal dans une entreprise.

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Par contre, on a dur à trouver des gens qualifiés pour le bureau d'étude. Et là je suis un peu

plus inquiète, parce que clairement, moi ici je travaille, donc à mon travail il y a, [Nom de

l’employé 1] qui travaille avec moi au niveau de la comptabilité. Il y a [Nom de l’employé 2]

qui travaille au niveau de la gestion, [Nom de l’employé 2] qui a 25 ans, qui travaille au

niveau de la production. Donc lui il gère tout ce qui est production, et [Nom de l’employé 3]

qui a 59 ans et qui lui de toute façon et en fin de carrière et qu'on doit remplacer absolument

parce qu'il s'occupe du bureau d'étude. Et on a beaucoup de mal à trouver des gens en fait

pour succéder aux anciennes générations. Et là ça, ça me fait peur. Parce que par exemple,

[Nom de l’employé 2] il a 25 ans, il est un peu tombé comme un chou dans la production bien

qu'il était destiné à ça. Mais il y a été vite mis parce que [Nom de l’employé 3] est tombé

malade pendant 6 mois. Donc il a dû reprendre prendre le poste. Mais [Nom de l’employé 2]

il habite en France, et sa copine est venu ici faire ses études d'architecte donc lui il a cherché

un boulot par ici. Sa copine finit dans 1 an et demi. Donc, si on veut être un peu réaliste, à

moins qu'il ne décide de rester en Belgique. Mais enfin, quand même, à chaque weekend qu'il

a l'occasion de rentrer chez lui il rentre chez lui. À moins qu'il ne reste ici, il faut tout

recommencer encore une fois. Dans un an et demi c'est reparti. Mais c'est, il y a la formation

de la personne, le temps de se mettre dedans. Quelqu'un comme [Nom de l’employé 2], on a

mis super longtemps à le trouver. Et aujourd'hui, nos annonces s'arrête jamais on recherche

constamment. D'ailleurs parfois les gens se demandent quoi. On recherche constamment, c'est

pas faute d'essayer des gens, c'est vraiment pas facile. Et ça par contre ça me fait peur. Parce

que je me dis, si je trouve pas un allié comme lui aujourd'hui, parce qu'avec lui ça fonctionne

super bien. Si je ne trouve pas un allié comme lui, là, on a un problème. Il me faut un vrai

responsable de production avec moi. Parce que je ne peux pas être à la gestion et à la

production, ça c'est clairement pas possible. D'ailleurs ce n'est même pas sain. Donc de ce

côté-là, oui, j'ai des grosses craintes. Donc on fait tout pour, pour trouver le personnel

adéquat, mais ce n'est pas facile. C'est des profils, c'est vraiment pas évident. On a eu un

ingénieur architecte qui a travaillé pour nous, qui venait d'Italie. Finalement j'ai l'impression

qu'on ne les trouve que ailleurs qu'en Belgique. [Nom de l’employé 2], il a fait en France

ingénieur bois, ce qu'il n'y a pas ici. Et ça c'est une formation de feu quoi, lui sa formation on

dirait qu'il a été fait pour nous. C'est le top. Mais des profils ainsi il y en a un tous les 5 ans

quoi. Un Ingénieur architecte on en avait un, il est resté 3 ans, il a fait ce qu'il avait à faire

c'était super. Il faut savoir qu'on l'a formé aussi, parce que quand il est arrivé, au bâtiment il

ne connaissait rien du tout à part sa formation. Et puis il est parti, maintenant il est directeur

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Europe pour une entreprise de profil de châssis. Ce type était d'une intelligence absolument

fascinante, et il parlait 5 langues, il était à la limite surdimensionné pour une entreprise

comme nous. Mais, on lui a proposé le poste, il est venu, il s'est investi super bien. Et puis un

jour, forcément il a voulu voler plus haut quoi. Donc voilà… [Pause] C'est là que je dis que ça

ne va pas être super facile quoi. Et c'est là qu'à la limite est la crainte. Ici nous on a un client il

investit, il investit, il investit, il est dans les sanitaires, il fait un bâtiment ici, avant il fallait les

faire en 3 mois. Aujourd'hui, on commence en février, le finir en décembre. Il trouve pas de

gens, et là je trouve qu'on est dans un vrai problème quoi. C'est super inquiétant parce que

finalement, on n'a plus vraiment le personnel formé pour, et si ça dépend du personnel... Parce

que on a beau dire au niveau des ouvriers, oui on peut simplifier effectivement, mettre des

procédures en place, on simplifie, il y a de plus en plus de numérique aussi. Donc du moment

qu'on a des gens formés sur le numérique, ils ne sont plus obligés d'être menuisier …

menuisier comme on les avait à l'époque. Mais dans les bureaux ce n'est pas pareil quoi, pour

être bureau d'étude il faut avoir la formation du bâtiment. Et là c'est un peu compliqué. Donc

si j'avais une crainte, c'est celle-là. Et c'est une raison pour laquelle je me remettrais en

question.

D'accord, ok. Donc ce qui nous emmène à tout ce qui est gestion, objectifs de

l'entreprise. Qu'est-ce que votre père avait envisagé pour l'entreprise ? Qu'est-ce que

vous vous voyez ? Qu'est-ce que j'avais mis en place ? Qu'est-ce que mettriez en place ?

Donc aussi bien au niveau stratégique que management.

Alors au niveau management, quand je suis arrivée on n'était pas du tout pareil. Aujourd'hui,

on commence à s'accorder. Mais management, il a super évolué. Ce qui était vrai il y a 20 ans

ne l'est plus du tout aujourd'hui. On ne peut plus gérer les gens comme avant avec un bon

coup de poing sur la table et en imposant une idée. Aujourd'hui c'est terminé tout ça. Moi mes

études en mangement mon beaucoup appris parce que les gens évoluent. Et la priorité

aujourd'hui faut être honnête, ce n'est plus le travail. Je le vois bien avec nos gars ici, c'est des

gens dévoués, c'est des gens disponibles mais quand ils ont fini leur journée, il ne faut pas leur

dire à 15h45 quand ils ont fini ce qu'ils vont faire demain. Parce que de toute façon demain

matin ils arriveront ils auront oublié tout ce qu'on a dit. Ils partent d'ici, c'est après, c'est

qu'est-ce que je faire de ma vie à moi. Et c'est bien légitime à la limite. Et puis s’ils font une

erreur, ça ne sert à rien de crier comme il criait il y a 20 ans. Parce que avant ça marchait,

aujourd'hui le gars il va vous dire : « bah je prends la porte, au revoir, merci ». Donc au

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niveau management on a dû s'accorder, parce qu'on était pas du tout pareil. Lui il était plus

l'ancienne génération : « je crie de toute façon ça va marcher ! ». Et moi, j'étais plus du style,

« ben non ça ne va pas marcher »... donc il faut s'adapter. Et donc là, avec celui qui était à

l'époque le responsable de production, et qui est aujourd'hui au bureau d'étude, pour leur faire

comprendre qu'il fallait procéder différemment avec les gens aujourd'hui qu'il y a 20 ans, ça a

été un petit combat. Mais aujourd'hui on est plutôt accordé. De toute façon, tout ce qui est

ressources humaines, c'est chez moi, c'est plus facile. Mais pour ça, mon père est assez ouvert

et évolutif. On a eu encore le cas la semaine passée, je lui ai dit : « et bien tu sais quoi ? Tu

me surprends ». Parce qu'il aborde des situations qui avant il aurait abordé avec beaucoup

d'énervement et aujourd'hui avec une sérénité. Moi il me fascine. Même moi, à la limite, je

serais incapable de ça. Parce qu’aujourd’hui on est quand même confronté à, certaines fois, on

a eu un jeune à l'essai la semaine passée. Et nous quand on voit que quelqu'un est menuisier

de formation, et qu'il est jeune, on se dit qu'il faut essayer, lui donner sa chance parce que c'est

notre rôle quelque part. Et donc effectivement on lui a donné sa chance. Et puis c'est ça qui

me fait aussi un peu peur dans l'avenir. On fait un débriefing avec lui à la moitié de la semaine

pour voir comment il ressent le travail, si ça lui plaît. Et le gars il ne sait pas, il vous répond

clairement qu'il ne sait pas, mais il ne sait pas pourquoi il ne sait pas. Ça fait un an et demi

qu'il a fini ses études, il n'a toujours pas trouvé de travail. Et nous on lui dit : « tu sais, on te

donne une opportunité donc c'est pour te former. On n'a pas dit que tu devais faire toute ta

carrière ici, mais ça donne une opportunité de te former, une première expérience. Et puis

après en étant formé chez nous tu peux déjà faire plus de choses ». Mais non le type, il a pas

envie quoi. Il n'a pas envie, ça ne l'intéresse pas. Alors là je le vois rester d'un calme

olympien, et de vraiment chercher à comprendre pourquoi à un moment donné le gars n'a

même pas envie d'essayer quoi. Et j'ai trouvé sa réaction très, très psychologue, très

pédagogique. Parce que moi sur le moment je n'aurais pas pu. Là, c'est vraiment, on s'est

inversé les rôles, parce que normalement c'est moi qui doit être beaucoup plus sereine. Mais

c'était tellement désinvolte, tellement ouais « j'ai pas envie quoi ». Et je me dis bah merde, si

la jeunesse aujourd'hui a déjà pas envie alors qu'elle sort de l'école, mais qu'est-ce qu'on fait

demain. Je trouve que de ce côté-là il a beaucoup aussi évolué.

C'est vous qui avez apporté ça ?

Je ne sais pas. Je ne sais pas si c'est moi ou si c'est le fait que, faut être honnête, en prenant de

l'âge on s'assagit. Maintenant, bon, sans doute que le fait qu'on discute ensemble et tout. Il y a

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des choses que avec mes formations, et le fait qu'on est pas le même tempérament, qu'on

discute, et que j'explique mon point de vue sur certains points au niveau management et tout.

Sans doute que ça a dû jouer, mais aussi il devient plus psychologue avec le temps et

beaucoup plus serein. Ça lui va bien.

Et du coup, vous aviez dit que vous, par exemple, vous aviez apporté par exemple plus

d'empathie dans la relation avec les employés, je vais qualifier ça comme ça. Est-ce que

vous pensez avoir apporté autre chose dans la gestion de l'entreprise ?

C'est-à-dire que, à son point de vu je lui ai apporté la sérénité puisque aujourd'hui il a

totalement confiance, il ne dépend plus de quelqu'un de l'extérieur. D'ailleurs c'est ce qui le

perturbe beaucoup dans le fait que je vais être beaucoup moins présente puisque je vais être

maman. Enfin, beaucoup moins présente, pour 2 mois et demi hein. Que je vais travailler de

chez moi en fait, que je serai plus ici dans l'action propre. C'est ce qui le perturbe parce qu'en

fait il s'est beaucoup retrancher sur moi. Il y a beaucoup de choses dont il s'occupe plus

puisque je suis là et que je veille à tout. À mon avis, ce que j'ai apporté aussi c'est certaines

procédures dans certains domaines au niveau de la gestion des ressources humaines, au niveau

de la gestion du planning, ou ce genre de chose. Et au niveau de la communication aussi

quand même. Parce que c'est moi qui m'occupe quand même du site internet, des réseaux

sociaux. Et donc ça oui clairement.

Très bien. Donc, dernière question… Comment vous percevez la succession ? Est-ce que

satisfaite ? Est-ce que vous auriez voulu améliorer quelque chose ? Est-ce que vous avez

des recommandations ? Un feedback par rapport à ça.

Par rapport au fait de succéder à son père ou à sa mère, peu importe ?

Oui.

Moi je crois que la seule recommandation c'est qu'il faut que le dialogue soit clair entre la

personne qui reprend et la personne qui cède. Parce que si ce n'est pas clair, pour moi je ne

vois pas comment ça peut se faire. Et je crois qu'il faut toujours quand même respecter la

personne qui cède. Parce que je ne crois pas que ce soit évident en fait de céder son entreprise.

C'est pour ça que moi je ne lui mets pas la pression, je sais qu'on y arrivera parce qu'on sait

déjà ce qu'on veut, on sait déjà vers quoi on va. C'est juste qu'il faut formaliser certaines

choses et que dans notre cas, étant donné que je ne suis pas toute seule, c'est un peu plus

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compliqué. Qu'il faut régler ça avant. Dans la succession, celui qui reprend, il faut quand

même être sûr de soi, enfin sûr de soi, je ne sais pas si on peut être sûr à 100 % de ce qu'on

fait mais faut vraiment le vouloir. Parce que si c'est pour faire plaisir à papa ou à maman, moi

je dis, il ne faut surtout pas le faire. Parce qu'il s'agit de notre vie aussi. Je dirais que moi, au

début que j'étais ici, peut-être que je le faisais, peut-être je me disais allez je vais reprendre

parce que je voyais que lui il était satisfait aussi d'avoir sa fille qui travaille avec lui, et que

forcément c'est une satisfaction pour un père de remettre à son enfant et de se dire qu'on a

transmis. Et je me dis qu'à un moment donné peut-être j'étais dans cette perspective, dans cet

état d'esprit de me dire que je vais le faire pour lui faire plaisir. Et puis je me suis recadré. Je

me suis dit bon, faut pas déconner, c'est quand même ta vie, pose-toi les bonnes questions.

Est-ce que tu veux vraiment ? Est-ce que tu fais ça pour lui faire plaisir ? Comment tu te vois

quand il sera plus là ? Et est-ce que c'est ça que tu veux vraiment ? Et donc je crois que c'est

des questions super importantes à se poser.

Très bien, merci, c'est terminé.

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8.2.3 FILLE N°3

ENTREPRISE :

Secteur : Industrie alimentaire

Date de création – génération – précédentes transmissions : Création de l’entreprise en 1926

par le grand-père de l’interviewée. Transmission à la 3ème

génération.

Taille de l’entreprise (nombre de salariés) : +/- 25 salariés

Présentation de l’entreprise : Entreprise spécialisée dans la production de condiments.

INTERVIEW :

Alors pour commencer, je souhaiterais une présentation succincte de vous.

J'ai 54 ans je suis divorcée, j'ai 2 enfants de 21 … de bientôt 21 et 22 ans. Sinon j'ai un

diplôme de Sciences éco, un master, que j'ai réalisé à Namur. J'ai travaillé pendant quelques

années dans le conseil... notamment à Paris et en Algérie. J'ai été beaucoup journaliste

notamment pour la presse économique dont [Nom du périodique] mais aussi pour d’autre

publications… et puis voilà… les hasards de la vie font qu'il y avait un de mes amis

consultant qui suivait le bilan de l'entreprise familiale et le président de la [Nom de

l’organisation 1] qui est un client qui faisait la même chose et en quelques mois les deux

m’ont dit « Tu sais là, ton papa il a l'air de lâcher un peu prise. Le chiffre d'affaires diminue,

c'est un peu inquiétant. On ne te conseille pas de reprendre mais si tu veux reprendre, il faut y

aller assez vite ». Je suis rentrée dans l'entreprise début 91 et j'ai repris la direction compl…

je suis rentré à mi-temps parce que … on en reparlera sûrement, mais à mi-temps j'ai fait ... je

faisais suffisamment de changement, Il ne fallait pas faire plus, je suis restée journaliste à mi-

temps. Et au bout de 4 ans les actionnaires familiaux m'avait demandée d'inciter mon papa à

prendre sa retraite pour ses 70 ans … ça je ne le souhaite pas à mon pire ennemi. Parce que

mettre à la retraite un papa qui n'a pas envie de partir ce n'est pas évident, vaut mieux qu'il ait

envie de partir et… et je suis à la tête de la boîte depuis le 1er janvier 1995,

D'accord et vous êtes la combientième génération ?

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La troisième. Donc la boîte a selon la manière dont on compte 100 ans.

Et en termes de taille ça représente quoi ?

Alors ce n’est pas très grand, ici on est 14 en Belgique et j'ai construit une usine en France où

on est une dizaine. J'ai enfin … on a encore une autre activité qui occupe 3 personnes qui fait

visiter l'entreprise et on organise des visites d’entreprise dans 35 autres entreprises de la

région.

Ok très bien. Alors chez vous, concernant le processus de succession je suppose que

chez vous tout est terminé ?

Alors là oui c’est clair ! Enfin non ... ce n'est jamais terminé. Parce que, je n’ai pas, je…

enfin un gros problème de cette succession c'est que mon père n'a jamais racheter les parts

familiales pour lui, donc encore moins pour moi, ce qui fait que je n’ai naturellement hérité

que 10-11% des parts … et comme mon père est décédé il y a 5 ans et mon oncle, seulement il

y 1 an, euh … je n’en finis pas de racheter des actions. C'est un processus qui coûte de plus en

plus cher car la boite a pris beaucoup de valeur. Et bah là encore, au mois de Mai, j'ai encore

dû mettre 40000 € sur la table et je ne savais plus où aller les chercher en cash quoi. Sur les 4

dernières années j'ai mis plus de 300000 € en cash sur la table, En gros c'est les économies

d'une vie. Ça reste très compliqué.

Parce que vous cherchez à racheter tout, toutes les parts ou être au moins actionnaire

majoritaire ?

Disons qu'à partir du moment où on a déménagé et où on a bâti le nouveau bâtiment, qu’il

faut rembourser jusqu'en 2028, les banquiers on dit « on aimerait bien que tu aies au moins la

majorité ». Donc là, j'ai commencé à racheter des parts et puis, bah par le jeu des héritages de

mon père et de mon oncle, il y a eu des descendants, des deux, qui avaient envie de vendre

leurs actions et je ne pouvais pas les laisser partir ailleurs ... je n'ai pas trop le choix. Alors il y

a parfois une autre actionnaire, une cousine, qui reprend une autre partie des parts aussi mais

c'est un peu entre guillemets reporté le problème … mais ça aussi, l'inconvénient que

beaucoup de gens croient, enfin ça c'est une des grandes questions de la succession familiale,

plus ça grandit plus c'est compliqué à chaque génération, de qui va reprendre à chaque fois ...

et si on commet la moindre erreur et qu'on perd un gros client, bah on s'est endetté pour tout

perdre. Ça c'est … la succession familiale, énormément de gens ne comprennent pas. S’il y a

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un truc à retenir c'est quand on reprend une entreprise familiale c'est qu'il faut aussi gérer la

famille. Donc si on est pas bien soi-même dans sa tête, capable d'arranger tout partout, alors il

ne faut pas le faire parce qu'on ne survivra pas. On se retrouvera confronté … je crois que la

personne la plus injuste avec moi c'était mon frère qui n'a jamais mis un pied dans l'entreprise

et qui exigeait un prix au-dessus de tout parce qu'il a vu sur internet qu’une entreprise ça

valait tant et on avait voulu démontrer pendant un an et demi avec les experts-comptables et

tout… c'était une valeur en accord… mais non il avait vu sur internet une entreprise ça valait

autant et c'est difficile de vivre ça… en général quand il y a une génération qui se présente

pour reprendre, la génération au-dessus règle ses comptes. Donc, moi, quand les actionnaires

familiaux m'ont demandée de reprendre, gentiment, il y a des trucs qui sont revenus à la

surface et qui dataient pas de moi mais qui dataient de mon père et de mon oncle quand ils

étaient enfant « déjà quand j'avais 4 ans papa machin… ». Il y a une grosse dizaine d'années,

j'ai dit « écoutez, moi j'ai repris l'entreprise familiale mais je ne veux pas mourir accroché au

volant et j'aimerais bien trouver quelqu'un d'autre dans la famille et moi continuer une autre

carrière ». Donc je cherchais dans la génération en dessous de moi et il y en a des pelleté. car

je recherche une parmi tous les descendants de mon grand-père et ça faisait une dizaine de

personnes … et paff ! Ça a commencé en règlement de compte dans ma génération, c’est

assez dingue. Il faut être vachement bien dans sa tête car inévitablement on va devoir gérer

des jalousies et des trucs qui n’ont rien à voir avec la boite. Ici encore la dernière assemblée

générale, j'ai une de mes actionnaires, cousine, dont je suis très proche, qui s‘est

décommandée. Je leur avais dit « allez, on a fait une bonne année cette année, j'arrête les

sandwichs et je vous offre un étoilé ! ». Et bah quand elle a su que sa sœur serait là, elle s'est

décommandée et moi ça me fait mal parce que … je leur offre un étoilé Michelin, en plus je

suis très, très proche d'elle, c'est presque ma sœur... et bah à table la sœur a fondu en larme,

en disant que c'est à cause de moi que sa sœur était pas là ... il faut gérer : que vous soyez

crevée, fatiguée, que vous ayez perdu un client qui vous est complètement découragée ou que

ça aille bien ou que vous ayez bu un verre, deux verre ou trois verres, il faut gérer. C’est pas

simple.

Est-ce que la succession avait été planifiée ?

Absolument pas.

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Et en termes de durée, est-ce que ça s'est beaucoup étalé dans le temps?

Ah non, non, non parce que moi j'ai travaillé 4 ans à mi-temps et j'ai mis mon père dehors.

Alors comme il habitait à côté, c'était pas forcément évident … il a fallu gérer ça aussi. il faut

empêcher aussi, à un moment donné … j’ai commencé mon mémoire sur la succession dans

les entreprises familiales puis je me suis penchée sur le management buy-out… il y a un truc

que j'ai retenu, le vrai danger dans les entreprises familiales est qu'on soit un papa, une

maman, un fils, un neveu, un machin c'est le « oui mai plus tard » ... « oui t’as une bonne idée

mais tu le feras plus tard ». Il a un tas de gens qui ont des idées formidables à 25 ans et qui se

retrouvent, à 45 ans, complètement cassés sans avoir rien pu mettre en place et un moment

donné la scission doit être très nette. Chez moi ça a été « tu peux te balader encore un peu

dans l'entreprise » mais on va encore ensemble dans les banques expliquer que « tu n'as plus

droit à une carte de banque », ça a été un petit peu une bagarre avec les banques d'ailleurs …

Donc on a été physiquement dans chacune des banques avec un extrait du moniteur montrant

que c'était moi … Un moment il faut céder la place. Un moment, il a dit « moi je ne m'occupe

plus que de ça ou de ça » et c'est très clair. « Je vais manger au restaurant avec les clients de

mon d'âge » parce que toi, 27 ans, aller au restaurant avec des mecs de 60-70 ans … et des

clients de 72 ans qui sont toujours actifs … il a dit « moi je continue les restaurants avec la

bande de clients de mon âge et on essaie de vous mettre en contact aussi avec le fils qui

reprend là-bas et tout et comme ils sont en train de construire un entrepôt au Luxembourg et

que c'est compliqué, je m’occupe du projet immobilier luxembourgeois avec toi quand même

car c’est du lourd, je veux bien m'en occuper avec toi ». Mais à un moment voilà… Si on est

ensemble trop longtemps ça ne va pas. Ça c'est sûr… 6 ans, 4 ans pas plus. Parce que après

on rentre dans les pas du précédent ou la précédente et ce n'est pas toujours approprié. Et puis

on a moins la pêche aussi. Je me faisais la réflexion cet après-midi, devant certains problèmes,

je me dis « alors oui on a beaucoup avancé, on a beaucoup progressé mais qu'est-ce que

j'aimerais retrouver dash de mes 34 ans ». C’est toujours les mêmes problèmes qui se

reproduisent pour la 1287ème fois. C'est un danger aussi quand on vieillit, on a plus les

mêmes pêches ou alors on commence à préparer la suite où on va se dire tiens ça c'est quand

même un investissement risqué … il a forcément un dash qu'on n’a plus.

Alors concernant votre formation initiale, vous m'avez dit que vous aviez une formation

de base qui vous amener au métier de journaliste…

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Alors ma formation de base, Sciences éco à Namur, c'est mon père qui a quand même

manœuvrer, alors quelque part il devait avoir quand même dans la tête, pour une raison ou

pour une autre, même si officiellement il ne m'attendait pas pour lui succéder, parce que je

voulais faire l'architecture d'intérieur mais il a très bien manœuvrer et il m'a emmené à une

journée portes ouvertes au milieu de tous les babas cool en salopette et en jean avec des fleurs

dans les trucs et j'ai dit « bon bah d'accord ce n'est pas pour moi ». Et il a dit oui mais tu sais

ta cousine elle vient de rater sa première bac sciences éco à Namur 2 fois en plus… essaye on

ne t'en voudra pas si tu veux ». J'ai essayé, j'y suis arrivée et hop j'étais embarquée et j'ai fait

science éco. Alors ça m'a mené au journaliste un peu par hasard, j'ai toujours aimé écrire et

mon mémoire sur le management de buy-out et surtout la loi fiscale française qui favorisait ce

genre de chose à fait que les facs de Namur on publier mon mémoire et moi j'ai eu l'occasion

de publier un résumé dans [Nom du périodique]. Ça m'a valu pas mal de propositions, donc

j'ai été travaillée au cabinet [Nom de l’organisation 2], à ce moment-là, qui voyait beaucoup

d'entreprises familiale disparaître faute de successeur, car c'est important dans ce cadre-là le

management buy-out, et qui envisageait qui ait aussi une loi fiscale qui favorise ça en

Belgique pour éviter que les entreprises familiales sans successeur ou successrice ne

disparaissent. Et j'ai été engagée 5 mois au cabinet là-bas, où j'ai monté un projet avec,

quelqu'un que vous connaissez peut-être, le gérant [Nom de l’organisation 3] et on est allé

tous les deux présenter ça au ministre du Budget, à l'époque, qui avait refusé et je me suis dit

« bon je me casse » et entre-temps j'avais postulé à [Nom du périodique] parce que [Nom du

périodique] avait trouvé mon résumé très sympa. Et puis sur 180 postulants, on m'a expliqué

que j’étais dans les 15 derniers et puis à un deuxième entretien, on m'a dit que j’étais dans les

4 derniers et on m’a dit que je devais quitter le cabinet ministériel. On a été deux à être

engagés et je me suis lancée dans le journalisme comme ça. Par mon mémoire en fait, comme

quoi les mémoires mènent a tout. Donc si on vous propose un jour de publier il ne faut pas

hésiter.

J’en prends note. Du coup, par la suite, pour la succession de l'entreprise familiale, est-

ce que vous avez suivi d'autres formations ?

J'ai toujours suivi des formations, toute ma vie. Toujours. Comme à l'unif, on ne vous apprend

pas à vendre, je me suis dit un jour qu'elle est le truc que je n'ai aucune envie de vendre : des

Tupperware. Je hais les Tupperware, ces boîtes en plastique hors de prix. Et donc je me suis

inscrite chez Tupperware et puis pendant pfff ... je crois pendant 3 ans, j'ai vendu des

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Tupperware sachant que tous les lundis matins, on avait une formation à la vente gratuite. Et

en plus ça faisait rentrer du beurre dans les épinards de mon petit studio à Bruxelles et donc ça

c'est une manière rentable de suivre un cours de vente et je me suis dit si je peux vendre des

Tupperware, des trucs que je déteste, alors je peux vendre tout et n'importe quoi. J’ai suivi un

cours de, enfin ca à moins bien donné, de commerce international pour comprendre les termes

douaniers et les machins comme ça. Et puis des langues, beaucoup de cours de langue,

énormément de cours de langue, le néerlandais et l'anglais parce qu'en Belgique sans le

néerlandais, l'anglais c'est impossible, l'allemand parce que pour mon métier de journaliste, il

fallait suivre des conférences de Siemens. Par exemple Siemens ne voulais pas traduire donc

Siemens m'a payée des cours d’allemand. J’ai suivi des cours d'informatique, bien sûr, des

cours plus concrets comme répondre au téléphone, organiser une réunion, toutes ces choses-

là…et puis quand j'ai commencé à reprendre, alors là, je me suis rendu compte qu'on était pas

du tout formés à la gestion du changement, donc là je suivais un très gros cours de gestion du

changement parce qu'avec mon petit mi-temps je suis arrivée tellement avec des idées neuves

que je heurtais tout le monde. Là, j'ai vraiment suivi une formation sur comment on gère le

changement et puis, ça a toujours continué, j'essaye tous les ans de m'extraire un, deux, trois

jours de l'entreprise dans un séminaire de réflexion ; soit sur la stratégie, soit sur la vente, soit

sur une nouvelle méthode de créativité. J'ai suivi, en 27 ans, 3 formations à la créativité pour

trouver des solutions à des problèmes, parce que quand vous êtes patron, les gens arrivent en

disant « chef on a un problème, on a tout essayé, ça ne marche pas, il y a pas de solution,

qu'est-ce qu'on fait ? », et parce que vous êtes le patron vous devez savoir ce qu'on fait, ça a

un moment, c'est très désarçonnant, et puis je me suis allée à trois séminaire de créativité et

j'ai finalement suivi pour mon métier 3 très grosses formations à la négociation en grande

surface, qui est un monde à part, et puis de tout, de l'informatique, plein, plein de trucs, on a

jamais fini.

Vous m'aviez dit que vous aviez eu des expériences professionnelle autres, pendant

combien de temps vous avez travaillé ailleurs avant de rentrer dans l'entreprise?

Pendant 5 ans … 5 ans ailleurs. Oui de 22 à 27 et puis de 27 à 31 j'ai gardé un mi-temps dans

le journalisme freelance et à 31, je voulais garder du journaliste, pendant 2 ans, et puis j'ai dit

non c'était pas possible quoi, que maintenant j'ai repris mais je suis pas payée, j'ai ma

chronique dans [Nom du périodique] toutes les 6 semaines, c'est gai. J’ai mis 5 ans vraiment

ailleurs, avec deux tours du journalisme, du conseil en Belgique, à Paris, à Alger, euh …

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[pause]. Pour mon mémoire je me plaisait bien dans la société qui faisait du management buy-

out et du coup j’avais prolonger, toujours pas payée et finalement j'ai travaillé, je devais rester

3 mois, et finalement je suis restée 6 mois point, on avait monté un beau dossier, qui n'avait

pas abouti et qui était le rachat [Nom du périodique]. C'était une très vieille dame à l'époque

qui était propriétaire et à la fin elle a pas lâché, du coup bah ils m'ont dit « non on n'a pas de

poste pour vous » … oui 5 ans, je pense qu'il faut minimum 2-3 ans pour se connaître soi-

même et pour connaître d'autres milieux. Très souvent je me réfère à ce que j'ai vécu ailleurs,

pour être moi-même patron. Des trucs injuste que certains patrons m'ont fait vivre … j'ai eu le

privilège d'être viré et ça, ça aide bien après quand on doit soi-même virer des gens, parce

que du coup, on dit que on aurait aimé que ce soit différent et du coup on m’avait viré comme

ça en disant « tu prends tes crayons, on te suit tu dis pas au revoir », tu fais le tour en cinq

minutes … ce genre de truc pour s'en remettre … et donc du coup je pense que je licencie les

gens différemment. Parce qu’on est obligé de licencier, il y a rien à faire et je pense que je

licencie plus humainement que d’autres. Le fait de l’avoir vécu, c'était un aspect positif pour

ça. Non, il faut, on ne se connaît pas soi-même, on ne sait pas comment on réagit dans le

milieu du travail, on ne sait pas si on se plaît dans une petite structure, si on se plaît comme

indépendante, moi j’étais journaliste freelance et mon apport d'argent était limitée à ce que

j'étais capable d'écrire et donc on se voit très vite des limites… et il y a des gens qui se

plaisent que tout seul parce qu'il ne fonctionne pas bien en équipe et ce qu'on vit au niveau de

l'enseignement pour les travaux en équipe, c'est un beau brouillon, c'est très intéressant mais

c'est encore autre chose, que lorsqu'il y a des promotions, des salaires derrière, des postes,

etc., pour moi c'est totalement essentiel au moins de passer 2- 3 ans ailleurs et si possible dans

plusieurs sociétés.

Et du coup comment vous avez été initiée à l'entreprise familiale?

Depuis l'âge de 8 ans j'ai travaillé dedans. Mais on habitait à côté donc c'était mon terrain de

jeu. Et pour moi travailler c'était du jeu, c'est vrai que les ouvrières quand j’avais 15-16 ans

Elles me disaient : « écoute avec tout le boulot que tu fais on va dire à ton père que tu dois

être payée » et elles l'ont fait… mais j'ai toujours été dedans.

Donc vous m'avez dit que vous avez rejoint l’entreprise familiale suite au fait que avec

votre père avait des soucis …

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C'est que 2 personnes de mon entourage ont souligné, un consultant dont j'avais confiance et

un client de la société, qui m'ont dit, tous les deux, « on ne te conseille pas d'y aller mais si tu

veux y aller c'est tout de suite, parce que ça fait 2-3 ans déjà qu'il y a une courbe décroissante

qui est amorcée ». Ça, ça a été vraiment les 2 coups de fouet. Quand le patron d'un de vos plus

gros clients vous dis ça, parce que j'étais en interview, parce que j'étais aussi journaliste en

franchise et lui était le président [Nom de l’organisation 3] et qu'après la réunion il m'a dit

« Mlle [Fille n°3], asseyez-vous, le journalisme mène a tout à condition d'en sortir, votre père

blablabla »… Qui était pour moi le « je franchis le pas » sinon ça peut s'éterniser aussi c'est

comme je disais aussi à force de pas être dedans, si on rentre pas, on loupe le coche.

Mais est-ce que vous êtes sentie obligée de rentrer dans la société ?

Ah non, non, non j'ai pris des mois pour réfléchir. Je me suis demandée « est-ce que c'est

vraiment ça que tu voulais ? », parce que c'est un fameux défis et forcément la boite, elle allait

sur 2 pattes maintenant depuis 2-3 ans, peut-être même une pâte et demi … et quand on rentre

on découvre toujours des trucs, en plus qu'on ne sait pas ! Non, non c'est un choix tout à fait

volontaire. Et j'ai dû faire aller pour rentrer parce qu'il ne voulait pas que je rentre.

Et comment ça s'est passé votre arrivée dans l'entreprise ?

Alors ce que j'ai fait, j'ai pondu tout un plan de reprise. Alors … le client, le produit, les

machines ... j'ai pondu tout mon projet de reprise par écrit. Je l'ai donné à mon père je l'ai

envoyé à mon oncle, qui était le deuxième actionnaire à l'époque, Il était en Espagne à ce

moment-là. Mon père m'a ri au nez. Mon oncle, il m'a invité au restaurant, dans un hôtel super

chic, il a approuvé tout mon plan d'affaires et lui il m'a dit « oui mais le jour où tu te maries et

que tu as des enfants, qu'est-ce qui se passe pour l'entreprise ? » et je lui ai dit « bah je fais

comme tout le monde ! Je ne vois pas où est le problème. ». Et il a répondu ok alors c'est bien.

Donc après, ça avec l'accord de mon oncle, qui avait quand même autant de part que mon père

quasiment, je suis alors retournée présenter le truc mon père et il m’a dit « en fait toi tu

cherches un job c'est tout ! » … il a toujours été très encourageants comme papa. Et puis,

quand je suis arrivée et ben… je n'avais pas de bureau, pas de téléphone, pas de voiture,

j'avais rien. Mais ils ne sont pas tous comme ça, j'ai un papa qui était après moi les mouches.

J'ai eu une discussion avec un de mes employés, la semaine dernière, parce que en tant que

chef d'entreprise je fais partie du groupement d'entreprise du Québec, la filiale belge, et je me

suis engagée ici à jouer le jeu « paff t’es morts ». Donc imagine, je sors d'ici, un camion qui

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passe, je suis écrasée je suis morte, qu'est-ce qui se passe ? Pour ma boîte, pour mes enfants

… est-ce que mes papiers sont en ordre ? L’assurance ? tout ça … qui va succéder, quels sont

les codes pour signer les salaires ? Jeux intéressant parce qu'on se rend compte qu'on n'est

jamais prêt et puis un conseiller m'a dit « mais tu t'en fous, tu es morte ! », et mon père il s'en

foutait et dans son esprit, je crois que, l'entreprise allait mourir avec lui, il allait rester

accroché au gouvernail, l'entreprise coulait lentement mais gentiment … bah voilà, ils allaient

mourir ensemble … il n'a à aucun moment préparer sa succession ou alors ça m'a échappée.

Est-ce que votre père avait des motivations à céder l'entreprise ?

Il en a eu aucune, de toute sa vie il n'a jamais cherché à racheter les parts de son frère et à les

rassembler. Je crois que l'erreur vient de mon grand-père. Mon grand-père n'a pas choisi le

bon enfant pour lui succéder. Je pense fondamentalement, mais je peux me tromper hein,

quand mon père est rentré dans l'entreprise, on était en 1951 et à ce moment-là, c'était le fils

aîné… Et donc mon grand-père a choisi l'aîné des fils et je pense que ce n'était pas forcément

le bon choix mais c'était comme ça. Donc mon père, je ne peux pas vraiment lui en vouloir. Il

était fait pour être banquier c'était un homme de chiffres il passait son temps à expliquer au

banquier qu’il s'était trompé dans les calculs de taux d'intérêt etc., c'était un banquier qui avait

pour passion d'être chef d'orchestre pour les opéra… et il s'est retrouvé dans une usine de

fabrication de produits alimentaires.

Et du coup votre père avait quel âge quand on est arrivé dans la société ?

Mon père avait 65 ans et pour ses 70 ans je l'ai mis dehors, mais je ne souhaite pas ça à mon

pire ennemi. J'ai fait une dépression après ça d'ailleurs mais une vraie …Mais voilà c'était…

il fallait passer par là.

Et donc en termes de résistance et de frein de la part de votre père ?

Bah ça n'a été que ça

Tout au long du processus ?

[Malaise]

Disons qu'à un moment ça l'arrangeait que je reprenne une série de corvée [pause]. C’est

compliqué… bon il y a dans toutes les familles des trucs …

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[Partie supprimée à la demande de l’interviewée – Récit de problèmes familiaux]

Donc tout ça, ça à compliquer les choses dans la mesure où il n'avait pas forcément tout ce

qu'il fallait de côté pour vivre avec une pension d'indépendant, avec un niveau de retraite

d'indépendant qui est ridiculement basse d'où la difficulté aussi de s'en aller … D’où 1000

complications que je vais vous passez … la personnalité des gens va avec l’entreprise. Ce

n'était pas vraiment des freins tous les jours mais il ne voulait pas partir car il savait bien qu'il

ne s'en sortirait pas.

[Partie supprimée à la demande de l’interviewée – Récit de problèmes familiaux]

Ce n'est pas toujours facile.

[Partie supprimée à la demande de l’interviewée – Récit de problèmes familiaux]

J’ai construit l'usine française en 2001 et en 13 ans il n'avait jamais accepté de mettre un pied

dans l'usine en France il n'a même jamais été la voir. On vit avec ça. Je n'ai jamais eu un

compliment en... Je suis rentrée 91, il est mort en 2013, je n’ai, en 24 ans… si j'ai eu deux

compliments du bout des lèvres c'est tout. Il faut être costaud. Ma sœur est chez les psy depuis

toujours et moi je bosse. Moi ça va je vis avec ça… il y a eu des moments plus dur… il y a eu

des moments où… [Pause] je faisais de la sophrologie car moi j'étais hyperactif donc j'arrivais

on parlait un peu de la situation histoire de faire le point et finalement il y a des moments où

on faisait plus le point d'un point de vue psychologique… elle m'a un peu servi de psy

pendant cette période difficile. Si ce n'est pas ça c'est autre chose, je n'ai pas à me plaindre. Il

n'a jamais été violent, il n'a jamais été ivrogne, …

[Partie supprimée à la demande de l’interviewée – Récit de problèmes familiaux]

Il nous a payé nos études, il considérait que c'était de son devoir. Tant qu'on voulait faire des

études il les payait. Mais dès qu'on avait le diplôme ça s'arrêtait donc on avait intérêt à trouver

du boulot très vite et pour lui il avait fini ses responsabilités. C'était terminé. Il ne payait plus.

Mais tant qu'on voulait faire des études, mon frère et moi, on a fait des études universitaires là

il y avait aucun souci. C'était pour une bonne cause. Il avait sa notion des obligations, des

devoirs. C'est bête à dire mais le fait que ces 2-3 dernières années, avant qu'on ne m'interpelle

parce que la boîte commencer à descendre, c'était juste après le décès de sa maman il s'était

engagé vis-à-vis de son père à ce que sa mère ne manque jamais de rien et donc même s’il

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n’avait pas la patience d'entreprise, il l'a tenu à bout de bras plus ou moins bien, plus ou moins

mal, jusqu'au moment où sa mère est morte. Et le jour où sa mère est morte, il est venu au

boulot et il a fait son boulot mais il n'a plus… il n'a plus… il était plutôt du genre à être

gentil avec les fournisseurs mais méchant avec les clients. Il avait respecté sa promesse à son

père, il avait tenu ses responsabilités et donc tous ses enfants étaient diplômés, sa mère était

décédée sans jamais avoir manqué de rien et donc dans son esprit, il ne devait plus rien à

personne.

[Partie supprimée à la demande de l’interviewée – Récit de problèmes familiaux]

Il avait sa logique à lui et quand on l'a comprend, il était très logique avec lui-même. [Rires]

Et vous, c'était quoi vos motivation à reprendre l'entreprise familiale qu'est-ce qui vous

a poussé à le faire ?

Il y avait un défi, et je m'étais donné un certain nombre d'années pour le relevé. Et d'ailleurs

après j'ai eu beaucoup de mal à m'en donner un deuxième, parce que j'ai mis 10 ans à relever

le premier défi qui était … je suis rentrée en 91 et en 2001 on fêtait, euh ... enfin c'était

officiellement les 75 ans … et je m'étais donnée comme défi qu'en disant « j'ai assez redressé

la boîte pour qu'on puisse fêter dignement les 75 ans ». Et on a sorti un très beau livre de

prestige, on a fait une fête avec le personnel, on a fait une énorme porte ouverte avec plus de

6000 personnes, on a fait une grande fête avec les pièces de théâtre et tous les VIP avec tous

les clients les fournisseurs et tout ça. J'ai relevé mon défi et j'ai réussi et après j'ai vraiment eu

du mal à me fixer de nouveau. Je suis née dans cette entreprise, je suis née à la maison et non

pas à la clinique, la maison correspondait avec l'entreprise et j'ai toujours joué, j'ai toujours

vécu, j'y étais très attachée et la voir partir ailleurs ou couler me traumatisait. C’était mon côté

sauveur… je ne me voyais pas laisser couler cette boîte sans avoir la formation et les

compétences pour essayer de la sauver. Et puis un côté un peu tordu, mais la boîte, elle allait

tellement mal que même si je me plantais, personne ne m'en voudrait. Donc en ce sens-là,

c'était plus facile pour moi de reprendre une entreprise qui allait mal, en voyant l'ampleur du

défi, qu’en reprendre une qui allait bien où j'aurais eu trop peur de casser ce qui avait été

construit avant.

Quels sont les avantages et inconvénients que vous tirez d'être à ce poste maintenant ?

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Beaucoup trop longtemps… c'est le souci dans une PME comme ça, c'est qu'on a besoin de se

renouveler. On a besoin de renouveler les gens à des postes et tout… quelque part cette

entreprise est beaucoup trop… pas bonne image, parce que l'entreprise est toujours à l'image

de son patron. Mais… [Pause], là ça va faire 23 ans que je suis à la direction et c'est trop.

Mais d'un autre côté je ne trouve pas 3000 candidats pour me succéder [rires]!! Alors je me

remotive mais je fais très attention parce que, j'ai peur que ma lassitude ne nuise à l'entreprise.

Parce que les entreprises c'est des éponges, comme je vous l'ai dit j'ai fait une dépression

quelques temps après cette histoire avec mon père… et au bout de 3 mois... [Réflexion] Il y a

des personnes qui ont commencé à aller mal dans mon personnel et au bout de 6 mois j'avais

deux personnes qui partaient en dépression… c'est comme des éponges, c'est un peu comme

des enfants quoi. Ce qu'on ne dit pas, ils le ressentent. En plus, dans mon entreprise, j'ai pas

mal de gens qui sont là depuis très longtemps, dont une qui est là depuis avant moi, elle est là

depuis 28 ans ... c'est pas la plus performante quoi … alors moi c'est chouette parce que j'ai

l'expérience donc il y a plein de problèmes qui se posent où j'ai au moins une, deux ou trois

solutions. Mais forcément je ne vais pas toujours en chercher une nouvelle parce que j'en ai au

moins deux ou trois que j'ai déjà expérimenté dans le passé alors que quelqu'un d'autre va en

chercher une nouvelle et puis c'est toujours cette dash, franchement tout le monde de mon

entourage m’entendrait il dirait : « tu es folle ! », je suis toujours hyperactive donc j'ai

toujours 1000 projets et je sens à l’intérieur de moi que je ne l'ai plus. Mais je ne changerai

quasi rien à ce que j'ai vécu. C'était très chouette. Et très dur à la fois. Mais très gai et en

général j'ai toujours bien vécu ce qui m'arrivait Ce qui m'a permis aussi de ne jamais être

malade. Parce que je crois que lorsqu'on vit bien les situations on est moins malade. La

maladie c'est toujours le corps qui se révolte contre quelque chose. Ça, ça m'a permis aussi

d'être souvent sur le pont et de faire beaucoup de choses. Donc j’ai eu le coup des franges, pas

au début, au début je rassemblais mon conseil d’administration, j'ai essayé de faire la

gouvernance beaucoup mieux que mon père et il me disait « voilà il y a ça, il y a ça, il y a ça...

on te fait confiance » [rires]. C'était trop j'avais peur de ça, on me confiait trop de

responsabilités, on me faisait trop confiance… mais finalement on s'habitue, quand on

s'habitue, et alors c'est difficile de… et alors je me remets beaucoup en question mais

maintenant je suis arrivée à un stade où je considère qu’avec tout que j'ai fait, si quelqu'un

d'autre souhaite me remettre en question, qu'il me le dise gentiment. Non mais j'ai eu une

chouette vie, je ne regrette pas une minute. Mais maintenant comme je vous dis je n'avais pas

rêvé d'y rester si longtemps…

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Pour arriver là où vous êtes maintenant, est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre de votre

famille qui vous a aidé où avez-vous eu de l'aide au niveau des employés?

Oui mon oncle qui était le directeur général de [Nom de l’organisation 4] en Espagne. On m'a

beaucoup soutenu pour créer le projet en France, et il m'a soutenu aussi pour déménager la

chaîne et il y a un couac… et après on a vécu l'enfer complet, mais d'une manière générale,

oui avoir le deuxième actionnaire familiale qui a… [Réflexion] 30 % des parts de son coté,

moi j'ai racheté 20 % des parts en m’endettant au moment où j'ai repris. Donc on n’allait pas

s’opposer telle qu'elle a mon père, on avait la majorité, s’il fallait quoi. Donc mon oncle m'a

beaucoup soutenu mais de très loin car il était en Espagne. Mais lui avec son grand groupe et

moi ma petite société, c'était deux mondes différents. Et puis, j'ai beaucoup travaillé en

confiance avec mes employés, donc oui, j'ai été beaucoup soutenu par ma secrétaire à l'époque

notamment, pas celle de mon père… dans le personnel j'ai toujours beaucoup partagé avec

eux, j'ai toujours été très franche très honnête. J’ai pris les grosses décisions avec eux,

toujours. Ça crée une confiance qui parfois surprend les nouveaux qui arrivent “ mais non ça

n'existe pas un patron qui … elle essaie de nous entourlouper… elle nous fait confiance là

mais je suis sûr qu'il y a un truc sur ma bagnole pour savoir…” mais non c'est parce que je

suis comme ça.

Est-ce que vous avez eu recours à des tiers pour arriver ou pour vous en êtes ?

Comme je vous ai dit j'ai fait beaucoup de formation et dans les formations, on va chercher les

conseillers …

[Interruption involontaire de l’enregistrement]

Donc nous en étions sur les externes qui vous ont aidé et est-ce que vous vous êtes

appuyé par sur des réseaux ?

Ah les réseaux… je me suis appuyée sur quelques consultants… mais pas spécialement pour

la succession mais notamment pour avancer et pour évoluer. Les réseaux… je suis quelqu'un

qui fait un peu les choses à l'envers, j'ai beaucoup de réseaux, non pas parce que je vais

chercher des trucs mais parce que j'essaie d'apporter. Donc je suis rentrée assez rapidement

dans les commissions PME de [Nom de l’organisation 5]. Et on m'a dit récemment que la

première fois où j'avais été réunion avec l'administrateur délégué ça avait été un tsunami

[rires]. J’ai toujours eu énormément, passé énormément de temps gratuit, pour faire entendre

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la voix des petites et moyennes entreprises dans les organes de décision. Mais des facto ça fait

un réseau. Quand je suis revenu à Namur, j'avais passé un an à Paris un autre à Bruxelles, je

ne connaissais plus grand monde. Donc j'ai adhérer à [Nom de l’organisation 6] à [Nom de

l'organisation 7], pour essayer de rencontrer des gens de Namur. Et puis ça m'a vite lassée

parce qu'on se retrouve plus avec des offres de services, par exemple le banquier machin, la

boîte d'intérim là… [Nom de l’organisation 8]… je suis dans beaucoup d'endroits c'est vrai,

mais rarement de moi-même. Dans [Nom de l’organisation 8], j'y suis rentrée parce qu'on m'a

demandé d'être un des membres fondateurs. Mais oui, sur mon Linkedin j'ai 750 contacts, je

crois et je n'ai que des gens que je connais, je n'accepte pas quelqu'un que je ne connais pas.

Donc c'est la catastrophe quand je dois changer de GSM. Oui je connais plein de monde

partout et surtout plein de monde me connaît. Je me suis très souvent retrouvé dans des débats

télévisés pour défendre la cause des PME face au syndicat au politicien et tout ça. Et la télé,

ça, évidemment, ça marche, ça donne tout de suite une très grosse notoriété mais qui peut être

négative aussi. Je trouve que les réseaux mais alors… pas les réseaux de femmes, je déteste

les réseaux de bonnes femmes. C'est un bon résumé hein ? Et régulièrement, je fais l'immense

effort, parce qu’on me sollicite de tous côtés, d'aller à une réunion de ceci et de cela… je sors

effarée quoi, parce que je trouve que c'est pas professionnel. Je n'aime pas les réseaux de

femmes car je n'en trouve pas un seul qui me corresponde et mes copines chef d'entreprise

disent la même chose que moi. On ne se plaît pas dans ces réseaux de bonnes femmes. Et pas

non plus les trucs trop chic et truc de machin de golf, ce n'est pas pour moi non plus. Moi je

suis plus dans des réseaux très pieds sur terre. Maintenant s'il y a autant de femmes dans ces

réseaux de femmes chefs d'entreprise c'est qu'il y a… c'est que ça leur apporte quelque chose.

Et que moi, je ne suis pas comme ça. Mais c'est vrai que c'est assez sidérant de voir mes

copines qui disent « non mais non quoi je n'irai pas là ». Mais quand j'y vais, je vois toutes

ces femmes qui sont super heureuses de se retrouver et d'avoir de l'entraide et du support. Je

crois que dans ma tête, il y a la moitié d'un mec. Et c'est ça qui me permet aussi de gérer des

entreprises industrielles et des choses comme ça. Et quand je suis en réunion et quand je suis

dans un réseau c'est plutôt ma moitié mec qui parle. Je suis donc allée peut-être 3-4 fois, parce

que j'ai été super sollicitée, elles font des après-midi où il y a 4 activités il y a une initiation

Facebook, au conseil, cours de djembé, bon allez à la limite ça, ça défoule, ça donne du

rythme mais aussi maquillage et danse orientale j'ai vu… non mais faut pas déconner quand

même les filles et elles adorent ! Il y en a des centaines et elles adorent moi, je comprends

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pas. Écoute-moi, si je veux faire de la danse orientale c'est parce que… voilà… je ne

comprends pas !

Et en termes de communication à l'intérieur de la société…

Il faut savoir que les gens ne s'occupent que d'une chose : c'est d'essayer d'évaluer vos

compétences pour voir si ils vont garder leur job et leur salaire. Et tout le reste ils s'en foutent

comme de l'an 40. Et j'ai eu une chance, que je n'ai pas mesuré au début, c'est que dans

l'entreprise tout allait mal, alors je me suis attaquée à tout en même temps, comme je suis

quelqu'un d'hyper active, et ça a été perçu comme de l’équité, ça a été perçue comme mon

sens de la justice puisque j'ai fait un petit peu pour telle machine, un petit peu pour telle

machine, un petit peu pour lui, un peu pour lui… et finalement je me suis occupée de tout le

monde mais je ne l'ai pas fait exprès du tout. Et eux, ils ont cru que je le faisais exprès et je l'ai

su qu'après lors d'une interview où ils ont dit que j'avais été « super juste dès que qu’il avait

un petit peu d'argent elle aidait un peu chez tout le monde » et pourtant c'est juste qu'il n'y

avait rien qui allait, je ne l’ai pas fait exprès. Et ça, c'est… c'est important, c'est les deux trucs

que j'ai retenu a posteriori dont je ne me rendais pas compte : que vous soyez alors femme,

homme, petit, grand, jaune, vert, brun ils en ont mais alors rien à kicker, ce qui les intéresse

c'est : est-ce que vous êtes compétent et qu'ils vont garder leur job. L’autre point c'est : est-ce

qu'elle va avoir des favoris ? Et mais je n'ai absolument pas capté ça … c'est important de

s'occuper de tout le monde. J'ai été très, très bien acceptée mais il me connaissait tous aussi

parce que… parce que j'avais beaucoup déjà travaillé comme étudiante. Et je dirais que dans

les clients d'une manière générale, j'ai presque toujours été bien acceptée. J'ai eu quoi, chez

[Nom de l’organisation 7], j'ai eu un acheteur qui était près de la retraite et qui était très

désagréable, il parlait flamand, il m'avait dit : « de toute façon je comprends pas ce que vous

me dites, vous êtes une gamine et vous ne m'intéressez pas, je vous reçois uniquement par

respect pour votre père »… « Non tu me reçois parce qu’on a un contrat à négocier ! ». Il y a

a contrario, quelqu'un qui m'a dit un truc mais qui aurait pu me choquer mais que j'ai pris

comme l'un des plus beaux compliments de ma vie. Au bout de 10 ans, entre une grosse

structure et une petite c'est l'élément de pérennité, c'est souvent pour la petite, dans les grosses

structures les gens bougent beaucoup plus. Donc au bout de 10 ans, j'ai fait le tour de tous les

acheteurs de grande distribution avec qui j'étais en affaires pendant 10 ans et il y en avait

qu'un qui était toujours au même poste… et un jour je l'ai emmené au resto et après avoir bu

un verre ou deux il m'a dit « quand je vous ai vu arriver, toute mignonne, toute fine, je me suis

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dit c'est quoi cette fille à papa, elle va planté la boîte en 6 mois ! » et il me dit : « maintenant

quand je vois ce que vous avez fait au bout de 10 ans mais waouh ! Chapeau ! ». On peut le

prendre de deux manières, il m'a pris pour une poupée au début mais on peut le prendre

comme un vrai compliment sur base de ce que j'ai fait et je l'ai toujours pris de cette manière.

J'ai très, très rarement rencontré des problèmes au fait d'être une femme, quasiment jamais,

j'ai eu une fois un chauffeur étranger, grande gueule… une machine qui ne rentrait pas dans

l'usine et on a fait des points avec les employés pour la faire rentrer et quand il m'a vu sur la

machine pour essayer de la faire rentrer, le mec il est rentré pour gueuler pendant trois quart

d'heure en disant que c'était mal organisé etc., etc. et au bout de 3h il est parti en klaxonnant

« super comme boite ! Vous êtes vraiment extraordinaire ici madame ! Vous êtes un vrai

patron voilà ! », mais j'ai eu très peu, ou alors je ne les ai pas vu comme ça, ça ne m'intéresse

pas moi, je suis dans la compétence, dans l'excellence, dans l'amélioration continue, essayer

que ça soit toujours mieux tout beau donc s'il y a un mec qui… je veux pas non plus, je n'ai

jamais aguicher, je n'ai jamais été en décolleté pour aller négocier, mais je n'ai jamais refusé

ma féminité. Je ne me suis jamais déguisée en homme avec des longs pantalons et des

chaussures plates pour être prise au sérieux. J'ai toujours essayé d'être habillée correctement et

en fonction d’où je vais. J'ai toujours essayé d'être moi-même de garder ma féminité. Il y a eu

des moments compliqués, que ça un homme aurait pas vécu, ce sont mes 2 grossesses.

Malheureusement elles ne sont pas très bien passées mais les produits sont là aujourd'hui.

Mais pour [Nom de la fille 1], après 5 mois, j’ai commencé à la perdre. J'ai dû travailler

couché sur le côté gauche pendant 3 mois. Sans plus pouvoir aller voir les clients, etc., mais

mon personnel s'est très bien adapté ils ont rouvert le bureau de mon père qu'il était fermé, ils

ont redescendu un vieux canapé en cuir vert, du temps de mon grand-père du grenier, ils ont

installé une petite table avec un téléphone et un bloc-notes et j'ai travaillé comme ça. Puis un

an et demi après je suis revenu de vacances enceinte de 3 mois et là ça a recommencé, ils

m'ont regardé et ils m'ont dit : »bon chef on va aller chercher le canapé », et je suis resté 5

mois allongé mais je suis allée travailler tous les jours. Alors il y a des clients qui ne le

prennent pas bien. Il y a des clients qui disent « Ah bah non, vous devez venir nous voir ! », et

moi je leur disais que je ne pouvais pas sinon je perdais mon bébé, « mais vous n’avez qu'à

former quelqu'un d'autre ! » [Rires]… “On est 10 dans l'entreprise je peux pas, il faut que

vous patienter un peu, dès que j'ai accouché je reviendrai”. Mais c'est rare. J'ai eu une ou deux

personnes qui ont fait des réflexions comme ça… Mais des personnes de peu de valeur. Donc

ce n'est pas grave.

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Donc selon vous vous estimez que vous avez très peu de problème concernant votre

légitimité ? Mais avez-vous eu quand même des moments de doute ? Vous êtes-vous

remise en doute concernant votre compétence et vos capacités à reprendre?

Tous les jours depuis 27 ans. Mais la réponse à chaque fois c'est « non c'est bon ». Mais je me

pose très souvent la question : « est-ce que je suis toujours la bonne personne ? Est-ce que je

suis toujours la bonne personne à la bonne place ? Est-ce que je fais les choses comme il faut

? Est-ce que je dois déléguer autrement? ». Jusqu'à présent, j'ai trouvé les moyens de me dire

que ça allait. Mais le fait de se poser des questions, on prend un peu de recul et on voit les

choses autrement… [Réflexion] Ce qui est compliqué, c'est qu'il n'y a personne pour vous dire

quand vous arrêtez. Comme je suis hyperactive, je ne suis pas quelqu'un de stresser, À 35 ans

je me suis retrouvée à la tête d'une entreprise, 2 enfants en bas âge, 15000 projets, et quelques

petits problèmes cardiaques… à 35 ans… et là j'ai suivi des formations, notamment des

formations sur la gestion du stress, même si je ne suis pas quelqu'un de stresser, j'ai appris à

gérer la matrice des priorités entre importance et urgence, à gérer mes projets et puis j'ai dû

apprendre assez vite à gérer en fonction de moi-même. Je suis un petit lapin Duracell avec des

piles rechargeables : je travaille comme une dingue et puis j'ai besoin de m'arrêter totalement

et mes piles se rechargent très vite. Je le paye maintenant avec un problème de santé qui

correspond à mon mode de vie. Mais je ne peux pas en vouloir à mon corps parce que c'était à

cause de ma façon de vivre. Mais ce que je veux dire, quand vous êtes patron, comme ça et

qu'en plus vous avez envie de bien faire, il n'y a jamais personne qui vous dit « arrête fais

attention à toi là, c'est la limite ». Il n'y a pas grand monde qui vous dit « bravo et merci ».

Donc c'est fatiguant mais vous, vous devez dire bravo et merci à tout le monde mais on ne

vous le dis pas souvent. Peut-être des fois, une fois par an un actionnaire qui est content de

son dividende. Ou des fois sincère ça arrive aussi… [Rires] c'est très compliqué mais vous la

jeune génération vous êtes en avance sur nous pour ça vous arrivez beaucoup plus facilement

à équilibrer vie privée et vie professionnelle, vie sociale, vie pour soi… nous on était des

stakhanovistes, on était des golden boy. Ca j'ai eu du mal et je dois encore régulièrement…

justement ma chronique de samedi dernier, si vous allez sur le Linkedin de l'entreprise, c'était

[Nom de l’article]. Ca il faut l’apprendre de nous-mêmes car il n'y a personne pour nous le

dire. Beaucoup de femmes vivent dans cette dualité : quand je suis au boulot je me sens

coupable de ne pas être avec mes enfants et quand je suis avec mes enfants je me sens

coupable de ne pas travailler. Il faut éviter ça à tout prix. Et profitez de l'instant. À 35 ans,

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quelqu'un m'a appris à fermer la très lourde tenture, en velours épais, en me disant : « le

vendredi après-midi tu pars quand tu veux, dans tous les cas l’entreprise ferme à midi. Donc

tu pars à midi tu pars à 2h, tu pars à 7h du soir, tu fais ce que tu veux, au moins tu es

tranquille il n'y a plus personne et quand tu pars, tu montes dans ta voiture et tu empoignes la

grosse tenture bien sombre et tu la fermes jusqu'au lundi matin et tu ne penses plus au

boulot »… et ça je crois que ça m'a sauvée. C'est vraiment un truc qui m'a énormément aidé à

tenir le coup. Et apprendre à dire non. Non à être sur les listes des élections politique, non à

être membre de ceci, être membre de cette association, pour présider ça, etc., dire non

gentiment, poliment… La première fois que le [Nom du parti politique] m'a demandée d'être

sur sa liste, j'ai dit non mais ça, je l'ai payé et j'ai eu à la suite un contrôle de l'environnement

et de la TVA qui sont venus de Bruxelles.

Nous arrivons dans les dernières questions, qu'est-ce que vous, vous avez voulu mettre

en place dans la société en termes de gestion, de stratégie, de management ?

C'est tellement loin. Je vous dis, je dois encore tout avoir dans mon petit plan écrit qui doit

être quelque part. Il y avait tout à faire donc on reprend des cours, il fallait développer les

ventes, développer de nouveaux produits, réparer des machines, retrouver de la rentabilité… à

cette époque-là il y avait beaucoup d'argent placé dans banque et les taux d'intérêt étaient

élevés donc on gagnait beaucoup d'argent sur les banques et ça épongait les pertes sur la

production… chaque pot de moutarde qui sortait creusait un gouffre financier que les taux

d'intérêt des banques épongeaient. Il fallait redresser tout ça. Il fallait revoir le marketing, il

n'y avait même pas une machine à écrire électrique alors vous imaginez un ordinateur… il y

avait tout le bâtiment qui s'écroulait, les machines tenaient avec des ficelles, les ventes étaient

en baisse, le personnel fâché faisait des conneries, s'arrêtait de travailler, il y avait des fortes

têtes négatives… Si mon père avait le malheur de réprimander une nana elle prenait les

ingrédients les plus chers et elle les jetait à l'égout. Il y avait tout à faire.

Et au niveau management qu'est-ce que vous avez essayé de mettre en place ?

Notamment avec les employés qui en étaient à ce stade ?

Une relation de confiance mais qui s'est un peu deletée le jour où je suis devenue le patron.

Parce que, tant que j'étais la fille du patron et l'assistante, j'étais un peu la confidente de tout le

monde, ils venaient me raconter leurs trucs… et ça c'est dur aussi, du jour au lendemain, je

suis devenu le patron, ça s'est arrêté là… c'est dur, cétait là, en 1 jours ça a changé. Il faut être

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très solide. Voyez, pendant 4 ans j'étais la confidente de tout le monde, c'était très pratique

aussi, je savais donc à peu près tout ce qui se passe dans la boîte. Et là, la grande vie

solitaire… je suis là, je reprends, je fais mon petit discours en janvier et puis personne ne me

parle parce que je suis le patron. C'était dur. Mais c'était tout quoi, j'allais voir les nouveaux

clients, je proposais des nouveaux produits, je négociais avec les nouveaux fournisseurs…

Tout. Les achats, la gestion du personnel, j'ai remis sur pied d'égalité les hommes et les

femmes au niveau du salaire, avec un tour de force parce que j'ai proposé aux hommes de

passer en dessous de l'index pour que les femmes les rejoignent… et les femmes ont

augmenté à un moment où les hommes n’augmentaient pas… et ils ont signé, tous. Donc on a

pu avoir depuis très longtemps une parité salariale, ce qui est encore très rare. J'ai négocié

avec les banquiers, les fabricants de machine et réparateur de machine... J'ai essayé de

dégager un peu de sous pour investir dans des machines plus modernes pour remplir les

pots… ça allait tellement mal qu'on aurait pu tout remplir les pots à la main, étiqueter à la

main que ça aurait été tellement vite.

Vous avez fait énormément de choses… et est-ce que vous pensez en tant que femme

avoir apporté quelque chose en particulier ? Par rapport à votre père ?

Je dis ça parce que le fils de mon compagnon qui est dans le cas d'une reprise… il y a

beaucoup de similitudes entre sa reprise et la mienne. Parce qu'il a une autre manière que son

père de gérer le personnel et ça se fait tout en douceur. Je pense que c'est surtout une question

de personnalité. Homme-femme… non je n'y crois pas. Enfin moi, j'ai eu la chance d’avoir

un mari qui trouvait normal de s'occuper des enfants autant que moi et on avait un bol

monstre dans le sens où on avait des boulot très différent tous les deux, on était indépendant,

mais nos piques d'activités étaient à des moments différents, Donc, il y avait des moments

dans l'année ou c'est lui qui s'occupait des enfants et moi d'autres. Par exemple, quand on a

fait l'entreprise en France, il a investi dedans et s'est beaucoup plus occupé des enfants. Il est

toujours actionnaire aujourd'hui alors qu'on est divorcé aujourd'hui depuis 9 ans. J'avais cette

chance. Et dans votre génération, chez les gens d'un certain niveau de formation, il y a

beaucoup plus ça de manière naturelle. Nous on était encore des cas un peu exceptionnel.

Quand je vois tous ceux qui ont un diplôme universitaire ou un niveau un peu plus… je vois

que c'est beaucoup plus naturel chez eux. J'ai eu cette chance et je crois que dans votre

génération beaucoup de nanas auront cette chance, ou l’ont, après ce n'est pas vrai pour tout le

monde. Il y a toujours quelques couillon perdu dans la planète. Dans l'ensemble c'est quelque

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chose qui est devenu beaucoup plus naturel pour que la femme puisse avoir une carrière et

c'est quelque chose de logique. Je vois dans ma génération, je suis sorti de l'unif en 86, il faut

voir les filles qui sont sortis dans les 10, et qui par la suite, qui ont simplement suivi la

carrière de leur mari. Un moment les filles il faut dire stop ! C'est une question de personnalité

ce n'est pas une question d'être femme.

Pour clôturer que diriez-vous de votre niveau de satisfaction quant à la succession,

comment vous avez perçu la succession ? Qu’est-ce que vous auriez changé ? Quelles

recommandations vous feriez?

Vous allez avoir beaucoup d'exemples mais une succession n'est pas l'autre et la vôtre seras

unique… [Réflexion] Comme je vous l'ai dit : qui dit entreprise familiale, dis entreprise et

famille. Quoi qu'on fasse, même s'ils sont très séparés, même s'il n'y a personne à

l'entreprise… Ma sœur est venue dans l'entreprise que j'avais lancée pour faire les visites.

J’étais la patronne de ma sœur aînée, à sa demande, à la stupeur générale, mais sinon je n'ai eu

personne à l'entreprise et ça je pense que c'est, pour moi, une grande force. Je suis allée, il y a

3 semaines, chez un de mes concurrents, tout jeune, qui reprend, il y a ses deux sœurs, son

père, sa mère… et je lui ai demandé comment il faisait… ça je pense que ce n'est pas une

bonne idée d'avoir toute la famille ou alors il faut vraiment avoir une tribu très soudés mais

non, non, non, non… il faut un chef, qui doit être le plus compétents possible. Il faut aussi être

prête à gérer des trucs dans la famille que vous ne connaissez même pas aujourd'hui et qui

vont apparaître tout au fil… [Réflexion] j'ai vu et entendu des trucs dont je me serais vraiment

bien passé quoi. Des règlements de comptes familiaux des jalousies, des trucs qui datent de

l'enfance… si je n'avais pas été chef d'entreprise je n'aurais rien su de tout ça. Quand il y a un

gros événement dans la famille ça a des répercussions sur l'entreprise. Et quand il y a des gros

éléments dans l'entreprise ça a des répercussions sur la famille. En 2013, mon père est mort,

on avait le devis pour la nouvelle entreprise, il y a eu un gros changement dans la famille et

on a déménagé l'usine c'était un énorme changement et les deux ensemble ça a pété mais ça a

foutu un bras… ça a failli couler la boîte. Ça pour des histoires de jalousie et de trucs…

c'était en 2013 donc j'avais repris depuis 18 ans j'étais dedans depuis 22 ans ils ont failli faire

couler la boîte pour des trucs mais… aberrant ! En plus ils avaient signé 6 mois avant… pour

des jalousies, des incompréhensions… beaucoup de gens dans la famille ne connaissent rien à

la gestion mais alors rien. Et ça c'est dur. Parce que quand vous les avez comme actionnaire et

qu'ils essaient d'influencer un autre actionnaire… c'est ce qui s'est passé, une cousine jalouse a

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commencé à mettre le bras… donc si j'ai un conseil, soyez prêtes à prendre de la distance et à

un peu regarder les histoires de famille comme un match de ping-pong dans lequel vous êtes

le moins concernée possible alors que ça vous touche. Mais il faut y arriver, comme le dit ma

sœur, à respirer à travers ses émotions pour relâcher la boule et arriver à prendre de la hauteur.

Il y a un moment, vous allez devoir gérer des situations familiales juste parce que vous êtes à

la tête de la boîte. Ça n'a rien d'ingérable sauf si vous êtes quelqu'un qui cherchez facilement

les noises ou quelqu'un de jaloux… sauf si vous souffrez très, très vite de ce genre de

situation, très tendu, parce que vous les prenez de plein fouet et c'est difficile de prendre du

recul quand on voit des trucs aussi… et ça n'en finit jamais. Et si vous y croyez et que vous

voyez des pistes de développement, alors acheter des actions le plus tôt possible. Comme ça,

vous serez plus tranquille et ça vous coûtera moins cher. Mais filles, père enfin … il y a

peut-être un côté positif, un homme fais moins le coq quand c'est une nana qui lui succède que

lorsque c'est un mec. Il se sent peut-être moins obligé de la ramener pour prouver que c'est lui

le chef de meute. Enfin je sais pas… je pense que mon père, fondamentalement, m'aimait

énormément mais après ça ne se voyait pas, enfin pas toujours. Tout ce que j'ai fait, même le

foutre dehors, je pense que dans le fond de lui-même, il savait que c'était ce qu'il fallait faire

même si ça ne l’arrangeait pas… il valait mieux que je fasse les choses qui ne lui convenait

pas plutôt que de faire couler la boîte. Voilà c’est quelques idées…

Pour moi c'est tout bon, donc si vous n'avez rien à rajouter l’entretien est fini, je vous

remercie.

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8.2.4 FILLE N°4

ENTREPRISE :

Secteur : Boulangerie, pâtisserie, chocolatier et confiseur

Date de création – génération – précédentes transmissions : Création de l’entreprise en 1909

par l’arrière-grand-père de l’interviewée. Transmission à la 4ème

génération.

Taille de l’entreprise (nombre de salariés) : +/- 160 salariés

Présentation de l’entreprise : Entreprise spécialisée dans la fourniture de matière première,

équipement et aménagement pour les boulangers, pâtissiers et glaciers.

INTERVIEW :

Alors juste pour commencer, je vous demande une présentation succincte de vous et de

l'entreprise.

Donc d'abord pour l'entreprise, donc nous sommes une entreprise familiale, mon père

représente la troisième génération et donc moi la 4ème

. Et à la base c'était des entreprises

distinctes, chaque enfant avait une société, les circonstances de la vie ont fait que mon père a

racheté toutes les sociétés puisque ses frères et sœurs sont décédés très jeunes. Et donc c'est

devenu qu'une seule société comme le fondateur l'avait fait. Au niveau de la société du coup

on fait 5 métiers différents, on a l'activité chocolaterie qu'on vient de céder ici au mois de

février, donc une fabrication de praline qui reste sur le site mais qui est indépendante. Pour le

reste on est grossiste pour boulanger-pâtissier, grossiste au niveau matière première, ça c'est

l'activité principale, la plus génératrice de chiffre d'affaires. Ensuite on fait le gros matériel,

c'est très vaste ça va du four jusqu'au batteur en passant par les machine à couper le pain...

Avec un service après-vente 24 heures sur 24. On a une activité « cash and carry », là ce sont

des magasins en libre-service, en entrée libre, donc ouverte aux particuliers aussi. On a 4

magasins en Wallonie. Et euh … La dernière activité c'est l'aménagement de magasins, et

donc là on fait des magasins avec des surportes, donc on fabrique des comptoirs en sous-

traitant une partie avec des menuisiers. Et puis moi, j'ai 29 ans, j'ai fait des études en sciences

de gestion, ça va faire 6 ans que je travaille dans la société. Dès que j'ai eu terminé mes études

j'ai rejoint la société. Je sais que c'est mieux d'avoir son expérience ailleurs mais il faut savoir

que je suis la plus jeune de toute la famille et que mon père vieillissant tout doucement, j'avais

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plus des années non plus à attendre et comme je voulais profiter un maximum pour être avec

lui et bien j'ai décidé de rejoindre la société sans faire mon expérience ailleurs.

D'accord très bien. Juste un petit statut, donc actuellement dans la transmission vous en

êtes où ? Que ce soit au niveau managérial ou patrimonial.

Niveau patrimoine il n'y a encore rien de fait, niveau action, etc., rien du tout. Niveau

managérial, l'organigramme est très clair, je suis son adjointe juste à côté de lui mais il est

toujours là et c'est lui le patron et je suis son bras droit.

D'accord, et au début comment s'est passée votre rentrée dans l'entreprise ?

Et bien je suis rentrée directement dans son bureau avec lui à ses côtés et à ce poste.

Ok donc depuis que vous êtes rentrée il y a 6 ans vous êtes à ce niveau. Donc situation

initiale, vous m'avez dit que vous aviez une formation en sciences de gestion, par la suite

est-ce que vous avez suivi d'autres formations?

J'ai fait des formations qui ne donnaient pas de diplôme, j'ai fait [Nom de la formation 1] et

j'ai fait avec la [Nom de la formation 2]. C'était très enrichissant, tous les deux avec une petite

préférence pour la formation de la [Nom de la formation 2]. J'ai fait [Nom de la formation 3]

aussi. Voilà c'est plus des formations personnelles pour le développement.

C'est dans le but de la succession ?

Oui tout à fait. C'est très enrichissant de rencontrer les personnes qui vivent la même chose

que nous.

Très bien. Avant de rentrer dans l'entreprise familiale, quels ont été vos premiers pas

dans l'entreprise?

Disons que moi j'ai été bercée dedans, j'ai la chance d'avoir des parents qui sont tous les deux

indépendants, dans des business différents. Donc mes jobs d'été c'était la moitié chez maman

la moitié chez papa. Et sinon reste de l'année j'allais à l'école ici tout près, donc après les

cours j'allais une fois chez maman une fois chez papa. Même si ils sont toujours ensemble

mais en fonction des jours je venais soit ici soit chez ma maman pour étudier.

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Et donc par la suite vous êtes rentrée dans l'entreprise familiale, est-ce que c'était plutôt

un choix ou alors une contrainte parce que vos frère et sœur n'avait pas envie de

reprendre?

Ça n'a jamais été une contrainte et jusqu'au bout mon père m'a poussée à faire ce qui me

plaisait sans me sentir obligée. J'ai pas toujours voulu faire ça et puis au fur à mesure de mon

parcours scolaire j'ai préféré m'orienter vers l'économie. Et puis j'ai demandé à mon père

quelle option était la meilleure pour reprendre entreprise, et c'était sciences de gestion.

Quand vous êtes arrivée dans l'entreprise, comment ça s'est passé? Votre intégration,

comment ça s'est déroulé et qu'est-ce que vous avez mis en place ?

Au début c'est vrai que ce n'est pas toujours facile, la petite jeune qui arrive qui débarque avec

ses nouvelles idées. Mais ça s'est bien passé je n'ai pas vraiment à me plaindre. Ce que j'ai mis

en place, et bien au début j'ai d'abord au beaucoup observé pour voir comment ça se passe. Et

puis on arrive avec nos grandes théories de l'école. Et comme je suis quelqu'un de très carrée

j'avais envie de mettre beaucoup de procédure, mais ça ne colle pas aux entreprises familiales

tout ce qui est procédure. Il faut le savoir, les entreprises familiales la gestion est

complètement différente de ce qu'on apprend à l'école. On a pas des conseils d'administration

comme on peut le voir dans certaines entreprises, ni de réunions mensuelles où on présente les

chiffres. Chez nous on se réunie autour de la table en se disant ce qu'on doit faire, mais on ne

fait pas des plans des stratégies sur 5-6 ans. C'est plus au quotidien. Ça, ça m'a un peu

impressionnée quand j'ai commencé à venir ici, c'est fort différent de ce qu'on apprend à

l'école. C'est là que [Nom de la formation 1] a été intéressante puisque là on prend ce qu'on a

appris à l'école et on l'applique aux entreprises familiales, parce que c'est une gestion

différente. Donc quand je suis arrivée j'ai d'abord beaucoup observé et puis j'ai émis des

petites suggestions. Mais les projets d’il y a 6 ans ne sont pas encore réalisés non plus parce

que le monde ne s'est pas fait en un jour.

Ok et votre père lui il a mis des choses en place de son côté pour faciliter le fait que vous

arriviez directement sur le poste d'adjoint de direction?

Déjà ce qu'il a fait c'est d'être dans le même bureau, c'était vraiment beaucoup plus facile

parce que comme ça j'assiste à toutes ses conversations téléphoniques ou même les rendez-

vous. Donc au niveau communication c'était vraiment très bien, parce qu'on a pas toujours le

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temps de se dire les choses. Il a également fait l'organigramme pour que ce soit bien clair pour

tout le monde le poste que j'occupais. D'ailleurs quand j'ai été diplômée il avait fait un mail à

tout le monde pour dire que j'allais rejoindre la société. Après au niveau mise en place, j'ai

rejoint directement le comité de direction.

D'accord, et la succession est-ce qu'il y a un plan qui est mis en place pour que vous

preniez au fur à mesure son rôle?

Non, c'est un peu au feeling. C'est à partir d'aujourd'hui tu feras ça. Sinon les décisions, il dit

toujours que j'ai quartier libre mais pour les grosses décisions je vais quand même lui

demander.

D'accord, quel âge avait votre père quand vous êtes rentrée dans l'entreprise?

55 ans.

Et du coup lui c'était quoi ses motivations au fait que vous repreniez sa place?

C'est la continuité j'imagine, c'est quand même chouette de voir qu'il y a une suite après nous.

Une chose a toujours été très claire pour lui, même pendant mes études, c'est qu'il a toujours

voulu remettre à quelqu'un de capable, qu'il soit de la famille ou pas. Donc j'imagine que si il

m'a donné le ce poste là c'est qu'il a estimé que j'étais capable, donc il y a eu une évaluation

qu'il a fait lui-même. Donc je suppose qu'il était ravi de voir qu'il avait une fille capable de le

faire.

Ok très bien. Est-ce que votre père émet des freins ou des résistances à certains niveaux

? Parce que vous arrivez, vous prenez un peu de ses responsabilités, est-ce que un

moment il a manifesté des résistances au fait que vous lui preniez un peu de son travail?

Non, c'est plutôt l'inverse. Encore la semaine dernière, il a demandé à revoir certaines choses

pour pouvoir passer en 4/5e. Donc c'est plutôt l'inverse, c'est plutôt se décharger, d'ailleurs on

a engagé une assistante pour nous deux pour se décharger de certaines choses. Le seul frein,

c'est que parfois il a toujours eu l'habitude de diriger tout seul pendant 30 ou 40 ans, parfois il

prend une décision alors que j'avais peut-être émis un avis à la personne. Mais c'est pas un

frein c'est plutôt un manque de communication quand il y a 2 chefs et bien le personnel ils

savent parfois ce qu'il faut faire. Alors que moi avant de prendre une décision je vais vérifier

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que lui n'ait pas donné un avis avant. Donc moi je vais plus le consulter que lui ne vient me

consulter, parce qu'il n'a pas encore ce réflexe-là.

Et du coup, vous c'était quoi vos réelles motivations à reprendre son poste?

Une des principales motivations c'est vrai, forcément être chef d'entreprise ça représente des

sacrifices au niveau de sa vie personnelle j'en suis bien consciente et je me suis dit que je

n'avais pas envie qu'il ait fait tout ça pour rien. Pour qu'un gars qui n'ait rien à voir avec la

famille ni rien s'en mette plein les poches. Donc ça je ne voulais pas, et donc j'ai envie de faire

évoluer ce pourquoi il a sacrifié sa vie. Ça c'est vraiment ma principale motivation et puis le

fait aussi que c'est notre nom, c'est notre génération, c'est notre patrimoine, c'est notre

héritage.

Et maintenant que vous êtes dans l'entreprise, quels sont les avantages et les

inconvénients d'être à ce poste?

Les avantages c'est clairement la fierté, d'avoir rejoint l'entreprise familiale et de dire que c'est

« nous ». Les inconvénients, c'est pas toujours facile comme toutes les sociétés, il faut savoir

se faire respecter, le personnel c'est pas toujours évident, la manœuvre, après ce n'est pas lié à

ce que ce soit une entreprise familiale. Donc vraiment les avantages et les inconvénients au

fait d'être dans une entreprise familiale…

Et d'un point de vue privé peut-être?

Non parce que j'ai l'avantage d'avoir un copain qui est indépendant, donc lui c'est 200%

boulot et il sait bien que notre priorité c'est le boulot donc quand je rentre tard j'ai jamais de

remarque ou quoi que ce soit. Ça se combine bien.

D'accord très bien. Parce que votre situation familiale actuellement ?

Juste un compagnon, on n'a pas d'enfant et on n'est pas marié.

Ok très bien. Donc là je rentre plus dans les détails des rôles, quel rôle joue votre père

exactement jusqu'à maintenant?

J'ai envie de dire que c'est vraiment le rôle de père, où on donne la main et on accompagne.

Donc il explique les choses, il donne des informations, des conseils. Il serait plutôt conseillé,

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formateur. Je suis encore vraiment dans la phase d'apprentissage, c'est pour ça que je voulais

rejoindre la société tout de suite parce qu'il y a tellement de choses à savoir et d'expérience. Et

pour avoir tous vécu au moins une fois avec lui et ne pas voir des choses … seule … si

possible.

Ok, mais ça n'a jamais généré de conflit entre vous deux? Lié à votre rôle de bras

droit…

Des conflits non, des choses comme les mésententes par manque de communication mais ça

ne va pas au conflit pour autant. On apprend de nos erreurs. Il y a parfois des désaccords sur

certaines actions à prendre mais c'est toujours lui le chef et on ne peut pas être toujours

d'accord sur tout.

Parce que du coup c'est lui qui tranche ou comment ça se passe?

Oui quand même, sauf si c'est des petits investissements.

Oui mais en cas de conflit ?

Ah oui toujours. Même s'il me donne toujours l'occasion de me justifier de m'expliquer et

peut-être de le faire changer d'avis. Mais au final c'est lui qui décide.

Très bien. Comme on est dans le cadre d'une entreprise familiale, il y a l'influence de la

famille... Quelle est l'influence de la famille dans votre cas, est-ce qu’un membre de la

famille joue un rôle particulier, autre que votre père?

Non, on aurait peut-être pu dire ça du temps de ma grand-mère et encore une fois qu'elle s'est

retirée des affaires elle ne participait plus à rien. Sinon les autres membres de la famille qui

travaillent dans la société sont sous ses ordres donc forcément ils jouent un rôle mais pas

décisionnelle au-dessus de lui. Et pour ce qui est des externes, donc il y avait une personne

externe au niveau des actionnaires, justement elle vient de sortir ici fin juin. Et même en tant

qu'actionnaire, elle approuvait toutes les décisions.

Au niveau de la communication, vous avez souligné que de temps en temps vous avez des

problèmes de communication avec votre père. Mais quelle est l'importance de la

communication lors d'un processus de succession comme ça ? Comment vous justifiez le

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fait que la communication c'est quelque chose d'important, est-ce que vous avez mis des

choses en place?

C'est essentiel. Et on n'est pas très bon là-dedans. C'est vrai que parfois pour certaines

personnes mon rôle est flou. Ils ne savent pas exactement ce que j'ai le droit de faire ou non,

et ça c'est vrai que ce n'est pas facile à faire comprendre aux gens et ce n'est pas facile de

communiquer là-dessus non plus. Quand on dit oui c'est son adjointe elle a 100% des

pouvoirs, il y en a qui ne comprennent pas. Donc ce n'est pas toujours facile. Et le fait de dire

que je rentrais en adjointe de direction, on n'a pas été claire si j'allais reprendre ou pas. On n'a

pas dit oui dans 5 ans j'arrête et c'est elle qui reprend. Et ça ce n'est pas facile à communiquer.

Et avec votre père en particulier, au-delà des petits soucis de temps en temps?

Très bonne. S'il y a un truc qui le dérange, il va me le dire et réciproquement. Donc c'est une

très bonne relation, mais j'ai la chance d'avoir un papa exceptionnel. Parce que je me souviens

quand j'étais à la [Nom de la formation 1], et certaines personnes avaient beaucoup de mal

avec leur père. Mon père me soutient et ferait tout pour m'aider. Jamais il ne ferait quelque

chose contre moi.

Donc le niveau de confiance entre vous…

Ah oui c'est bien.

Hormis tout ce qui est aspect patrimoine, tout ce qui est notaire et avocat. Est-ce que

vous ressentez quand même le besoin d'avoir une personne externe pour vous aider dans

les relations?

Oui. Parce-que en fait on en a déjà parlé de savoir comment va faire, etc. Mais le problème

c'est que les lois évoluent tout le temps. Et donc on a difficile à dire le temps que ça va

prendre. À côté de ça il a la volonté de préparer si jamais il devait lui arriver quelque chose,

mais en même temps préparer pourrait faire que ça ne soit pas du tout avantageux pour mes

sœurs et moi. Donc c'est très difficile de savoir comment faire, mais on a déjà vu des banques

pour ça, des conseillers, pour savoir quelle est la meilleure solution. Mais on n'a pas encore

pris de solution. Mais c'est clair qu'on doit demander de l'aide pour ce genre de chose puisque

c'est très compliqué.

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Vous avez parlé de vos sœurs, est-ce que elles sont dans la société?

Donc j'ai deux sœurs, une qui travaille chez ma maman et une qui travaille dans la société

mais au magasin de Namur. Donc elle, elle ne préférerait pas prendre de responsabilités.

Mais après au niveau actionnariat, tout ce qui est patrimoine, comment ça se passera

avec vos sœur?

Donc la volonté de mes parents, puisque nous on n'est pas dans l'activité de maman, c'est de

donner 100 % des actions à ma sœur qui travaille avec elle. Et de répartir les actions de

Bruyères entre mon autre sœur et moi en sachant que mon père aimerait que je sois

majoritaire par rapport à mon autre sœur et donc la différence je devrai la financer. En gros ce

serait ça.

Et vous avez déjà réfléchi à des plans pour voir comment ça allait se faire ?

Et bien c'est assez simple, enfin non c'est pas simple. On peut faire ça sous forme de rente

viagère ou alors tout simplement un achat un financement à la banque, donc il y a vraiment

beaucoup de possibilités. Oui je sais ce qui existe, on le sait tous les deux. Mais le problème

c'est qu'on ne sait pas ce qui est le plus avantageux, parce que une rente viagère il peut encore

vivre 20 ans comme il peut décéder l'année prochaine donc ce n'est pas évident de savoir ce

qui est le plus avantageux.

D'accord et pour vous aider dans cette démarche des fois est-ce que vous vous tournez

vers des réseaux? Est-ce que vous faites partie d'un réseau en particulier?

Il y a [Nom de l’organisation 1], j'allais de temps en temps à leurs colloques. Il y a la [Nom de

l’organisation 2] qui organise également des colloques. Donc oui, quand il y a un thème qui

nous intéresse notamment la transmission du patrimoine, on y participe. Mais c'est assez

divers.

D'accord. Donc là j'aimerais rentrer dans les problèmes de légitimité, est-ce que vous

avez rencontré des problèmes particuliers quand vous êtes entrée dans l'entreprise?

Forcément. Quand on arrive et qu'on a 25 ans, et qu'il y a un gars il a 30 ans de boîte et qu'on

lui dit maintenant tu ne feras plus comme ça tu feras comme ça, ce n'est pas toujours très bien

pris. Il y a l'âge qui fait et puis le fait qu'ils m'ont vu naître. Il faut savoir que chez nous il y a

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un travailleur sur 5 qui a plus de 20 ans de maison. Donc forcément ça ce n'était pas toujours

facile à gérer, et même vis-à-vis du personnel qui ne m'a pas vu naître, ils se disent que je suis

nouvelle et que je me permets déjà de faire des choses. Après la légitimité ça se construit avec

le temps, quand je demande de faire quelque chose il faut absolument que j'explique pourquoi

il doit le faire et là ça devient légitime parce qu'il y a un raisonnement. C'est plus légitimité et

même crédibilité en fait.

Et du coup votre principal défi?

C'est de s'imposer, de faire sa place. C'est clair qu'en tant que "fille de", en tant que femme,

puisque chez nous on a en majorité des hommes, c'est pas toujours facile il faut le reconnaître

et puis en tant que jeune personne de 25 ans.

Et en tant que femme particulièrement, est-ce qu'il y a eu des choses plus dur?

Pas plus qu'un homme je pense, mais c'est vrai que j'ai parfois des difficultés qu'un homme

n'aurait pas. Mais ça que ce soit une entreprise familiale ou pas, ça c'est partout. Par exemple

un magasinier, qui va jouer de son charme et qui ne ferait pas avec un homme forcément.

Et votre relation avec les différents employés comment vous la qualifieriez ? Comment

eux se positionnent par rapport à tout ça?

Dire bonne serait peut-être utopique parce que quand on est patron on est jamais super bien

apprécié. Chez nous on est très familier, on se fait tous la bise, je ne peux pas dire qu'elle est

mauvaise non plus maintenant c'est clair qu'il y a des personnes avec qui ça ne passe pas mais

ça je pense que c'est partout.

Ok donc il y a des personnes avec qui ça ne passe pas mais est-ce qu'il y a des personnes

qui se dégagent et qui vous aident davantage dans l'entreprise?

C'est clair qu'avec le temps on voit très vite sur qui on peut s'appuyer, j'ai des personnes qui

me disent que je peux compter sur eux et ça, ça fait plaisir à voir. Que ce soit dans les jeunes

parce que je suis rentrée en même temps qu'eux.

Et donc davantage des personnes de votre âge?

Non de tout âge.

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Ok, donc ça c'est un point de vue des employés. Mais d'un point de vue externe, est-ce

que vous avez rencontré des soucis avec des clients, des fournisseurs, et encore des

partenaires?

Non aucun. Les fournisseurs je les connaissais parce qu'à chaque fois nos portes ouvertes

j'étais là en tant qu'étudiante donc jamais. Maintenant je ne veux pas dire que j'ai les mêmes

pouvoirs que lui sur nos fournisseurs parce qu'il a une certaine assise. Mais de là à dire que

j'ai des problèmes non.

Très bien. Après concernant la partie gestion. J'aurais voulu savoir ce que votre père

avait prévu? Quel était son mode de gestion, et parler du votre en comparaison et ce que

vous voulez mettre en place au niveau stratégie et management.

Ce qu'il y a, c'est que lui, pendant des années il était seul donc il n'y avait pas de comité de

direction, donc toutes les décisions il les prenait tout seul. Un peu avant que j'arrive il avait

mis en place un comité de direction, dans lequel il y a chaque personne qui est chef de

département, une personne de chaque service et on discutait ensemble de décisions du

quotidien. Donc ça c'est ce qui est mis en place et ce que j'aimerais garder parce que prendre

des décisions tout seul c'est pas facile. Maintenant c'est clair que, mon père l'a toujours dit, il

faut une personne à la tête, une seule, et des personnes autour. Mais si on est quatre à devoir

trancher ça ne marche pas et ça je suis entièrement d'accord avec lui. Donc sa structure c'est

une seule personne et des piliers dans chaque département et je compte appliquer la même

chose. L'idéal c'est d'avoir vraiment un chef dans chaque service, et de déléguer en disant tu

gères ton service de A à Z et tu me rapportes à moi. Maintenant on est plus de 160, je ne sais

pas être partout et voir tout ce n'est pas possible, donc chaque personne doit prendre ses

responsabilités.

Donc ça c'était plutôt stratégie, et au niveau management qu'avez-vous apporté?

Alors là c'est clair qu'on a tout à fait deux leaderships très différents. Mon père a un leadership

très autoritaire et moi j'ai plutôt à un leadership participatif en demandant « mais toi qu'est-ce

que tu en penses, qu'est-ce que tu ferais ? ». Donc moi je vais plus aller demander l'avis des

autres, est-ce que c'est par manque d'expérience ou est-ce que je suis comme ça, je pense que

je suis comme ça tout simplement. Je n'aime pas imposer mon point de vue même si je sais

que c'est moi qui vais prendre la décision mais je vais poser la question en demandant l'avis et

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en expliquant pourquoi je fais autrement. C'est vrai que c'est quelque chose qu'il n'acceptait

pas toujours, parce que selon lui le chef prend sa décision. Et grâce à la formation [Nom de la

formation 2], ils ont donné des outils pour savoir quel leadership on était et donc je lui ai fait

faire le même test et donc je lui ai dit voilà tu es comme ça et moi je suis comme ça. Il faut

qu'on sache comment chacun fonctionne et comme ça, ça va fonctionner, mais il faut savoir

qu'on est différent l'un et l'autre et il l'accepte tout à fait et qu’on n’a pas la même manière de

gérer les gens ou de gérer les décisions. Mais encore une fois ça passe par la communication

et là c'est vrai que la formation m'a beaucoup aidée là-dessus. C'est ça qui m'a permis d'avoir

les outils pour lui expliquer, lui en parler.

Est-ce que vous pensez que le rôle de femme à apporter quelque, dans le management?

Je ne sais pas si c'est vraiment le rôle de femme ou mon caractère mais moi je suis quelqu'un

de très carrée et j'aime bien qu'on mette un peu de tout dans les cases. Et lui il était plutôt une

question au feeling, et donc moi j'aime bien, je commence à mettre des procédures ou des

choses comme ça ce qui ne plaît pas toujours à tout le monde. C'est vrai qu'on dit que les

femmes sont plus organisées mais est-ce que c'est un peu ça, j'aime bien faire des plannings.

Lui c'est plutôt à la dernière minute et moi ça me stresse et j'aime pas, moi je vais m'y prendre

un mois à l'avance et mes informations seront prêtes.

D'accord très bien. Une dernière question, comme votre mère est indépendante et

travaille dans une société, elle vous aide parfois ?

Et bien elle me soutient c'est sûr, elle est contente de ce que je fais, elle est fier de moi.

Maintenant vraiment m'aider au niveau de la société, dans l'entreprise, non. Elle me soutient

beaucoup, ça c'est certain. Elle m'encourage quand on a une grosse journée, par des messages

ou des petites attentions comme une fleur quand on a des coups durs ou des trucs comme ça.

Même si elle joue un rôle extérieur mais c'est clair que le soutien personnel, que ce soit le

compagnon ou les parents c'est vrai qu'ils jouent un rôle essentiel. Et mes sœurs aussi dans le

même ordre d'idée, un petit message ou encore téléphoner. Elles s'intéressent à ce qu'on fait et

ça c'est chouette.

Je voudrais votre point de vue sur la succession, ce que vous en pensez jusqu'à

maintenant, quel niveau de satisfaction vous en tirez, qu'est-ce que vous aimeriez

améliorer?

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Si je devais améliorer, ou avoir un petit regret, c'est le fait de ne pas avoir structuré la

transmission. De dire bah voilà dans 10 ans on cède le pouvoir, il y a ça, ça, ça comme étape.

Mais le problème quand je lui demande ce genre de chose, il dit qu'il ne sait pas mettre ça par

écrit parce qu'il ne sait pas tout ce qu'il a à m'apprendre et que ça vient un peu en fonction des

cas. C'est peut-être le manque de structure dans la transmission, c'est pas facile c'est vrai que

c'est une difficulté de savoir ce que l'avenir me réserve encore et ce que je n'ai pas encore

découvert. Après ça fait partie du challenge aussi, quand je vois lui il a du tout apprendre tout

seul. Donc si un jour je suis confrontée à des choses qu'il ne m'a pas expliqué, j'apprendrai par

moi-même et puis c'est tout. On apprend de ses erreurs, si un jour je me trompe et bien je ferai

mieux la prochaine fois.

Et d'ailleurs en parlant de se tromper, vous n'avez jamais eu de doute ou de remise en

doute sur vos compétences ou vos capacités ?

Ce serait mentir que de dire non, si bien sûr. Il y a des fois où je me dis qu'on a parfois des

petits soucis, je me dis que je ne suis pas faite pour ça c'est trop compliqué. Parfois quand ça

se passe mal avec un employé et qu'il remet en doute mal légitimité. Oui des fois j'ai eu envie

de tout plaquer et de dire « oui je vais faire un CV », parce que j'en ai jamais fait. J'ai déjà

pensé mais je l'ai jamais fait. Mais c'est clair que les deux formations que j'ai faites mon

conforter dans l'idée que c'est ce que je veux faire. Je veux reprendre la société, c'est vrai que

ça représente des sacrifices et des difficultés mais c'est ce que je veux faire. Et puis je ne me

vois pas faire autre chose parce que c'est mon entreprise, c'est ma vie et voilà. Et donc c'est

vrai que si parfois on a des moments de doute ce ne sont plus les mêmes que j'avais avant la

formation. Si maintenant j'ai des doutes c'est pourquoi c'est si dur, et ce n'est pas je vais faire

autre chose.

Donc juste dernier point. Quelles recommandations vous me feriez pour une succession?

Moi ce qui m'a été le plus difficile c'est mon manque de confiance en moi et ça, ça m'a joué

des tours. Certains en ont profité pour me casser ou pour me dire que j'avais pas ma place ici.

Donc si j'avais un conseil, c'est ce blindé et savoir ce qu'on veut et être sûr, ne pas laisser les

gens nous mettre des doutes, c'est ce qu'on veut c'est ce qu'on veut point. Et si il y a des gens

qui se mettent en travers il faut les mettre sur le côté. Ça c'est vraiment pour moi, si on a la

volonté et les capacités, il faut se blinder et prendre confiance en soi et ça c'est vrai que c'est

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encore une difficulté que j'ai aujourd'hui, parfois je manque de confiance en moi. Je sais que

c'est ce qu'il faut faire mais j'arrive pas à le dire où le faire.

D'accord très bien, merci pour cet entretien.

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8.2.5 FILLE N°5

ENTREPRISE :

Secteur : Mécanique et maintenance industrielle

Date de création – génération – précédentes transmissions : Rachat de l’entreprise en 2013 par

le père de l’interviewée. Transmission à la 2ème

génération.

Taille de l’entreprise (nombre de salariés) : +/- 75 salariés

Présentation de l’entreprise : Entreprise spécialisée dans la fabrication de pièces mécaniques

et d’équipements mécano-soudés, la fabrication et pose sur chantier de constructions

métalliques, la réalisation de travaux de tôleries ainsi que la maintenance d'outils de

production.

INTERVIEW :

Pour commencer j'aimerais une petite présentation de vous et de l'entreprise.

Donc moi c'est [Fille n°5], mon père c'est [Nom du père]. Il a racheté l'entreprise en 2013,

avant c'était deux société dont il était directeur et dans lesquelles il a été ouvrier d'abord. Donc

il travaille depuis 1999. Quand il a racheté il a fusionné les deux et les a renommées [Nom de

l’entreprise]. Entre-temps il racheté 2 autres sociétés. Dont une qui a refusionnée avec [Nom

de l’entreprise] et l'autre qui est resté unique. Moi je suis arrivé ici en 2014, j'avais commencé

un peu avant mais je ne venais que de temps en temps. Et en 2014 j'ai commencé ici suite à un

remplacement de la secrétaire. À la base je suis éducatrice spécialisée, donc ça n'a rien à voir.

La secrétaire a eu un arrêt pendant 15 jours, je suis venue la remplacer en urgence, ça a

accroché, ça c'est super bien passé et les gens ici étaient contents de moi. Et puis quelques

mois après elle a eu de nouveau un arrêt, je suis revenue et puis je suis restée.

Très bien. Donc pour la taille de l'entreprise, de salariés, ça représente quoi à peu près ?

On est plus ou moins 75 collaborateurs.

Est-ce que je peux un peu plus sur votre âge et votre situation familiale ?

J'ai 25 ans et je suis célibataire.

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Donc processus de succession, est-ce que actuellement il y a quelque chose qui est prévu

ou planifié?

Donc moi j'ai suivi la formation [Nom de la formation], pour les successions d'entreprises

familiales, donc ça c'est un premier pas que mon papa a fait pour engager la situation. Il a

acheté en 2013 donc c'est récent, mon père a 51 ans donc la succession ne se fera pas dans 2

ans. Maintenant on collabore beaucoup, les décisions qui se prennent on en discute, mais je ne

suis pas consultée pour toutes les décisions. Même en dehors on en parle très souvent, il me

demande mon avis sur plusieurs choses. Moi je lui donne mon avis quand il ne me le demande

pas, je n'ai pas un titre spécial ici, je fais un peu de tout. Oui je suis employée administrative

et commerciale mais je m'occupe de l'autre société [Nom de la filiale] toute seule donc la

gestion administrative et la gestion des employés. Pour ça c'est moi qui fais tout jusqu'à la

facturation. Dans cette société il a 7 ou 8 machines, il y a 3 hommes.

Donc concernant la succession, tout ce qui est passation de patrimoine, comment vous

allez hériter des actions? Et tout ce qui est managérial, comment vous allez au fur et à

mesure prendre la place de votre père ? Donc c'était ça surtout la question, s'il y a

quelque chose de prévu à ce niveau ?

C’est au fur et à mesure et mon père est très ouvert, donc si j'ai envie de faire quelque chose

d'autre je lui en parle et il n'est pas contraire du tout. D'ailleurs le 13 juillet, je commence dans

le groupement des chefs d'entreprise des successeurs, ce sont des entreprises du Québec.

Et au niveau patrimoine, avez-vous déjà parlé de comment ça allait se dérouler ?

Dans mon optique, si je veux quelque chose je vais le racheter. Donc ce ne sera pas un don, ce

sera un rachat.

Dans votre situation initiale vous aviez dit que vous êtes éducatrice, c'est quoi votre

formation de base ?

Éducatrice spécialisée.

Suite au fait que vous rentriez dans l'entreprise, est-ce que vous avez suivi d'autres

formations?

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J'ai appris énormément sur le tas, même sur les machines, c'est un truc qui m'intéressait je ne

voulais pas faire un métier dont je ne connaissais pas le sens, donner des ordres des ouvriers

c'est bien mais quand on ne sait pas de quoi on parle ça sert à rien. Toujours maintenant quand

il y a des commandes qui doivent sortir et que les gens n'ont pas le temps, j'y vais il ne faut

pas avoir peur de se salir les mains. C'est pas parce que c'est un milieu d'hommes qu'on n'a

pas de place.

Donc du coup vous êtes rentrée assez jeune dans l'entreprise, est-ce que vous avez des

expériences professionnelles quand même en dehors ou pas ?

Oui j'ai travaillé comme éducatrice spécialisée, j'ai fait deux intérim de trois quatre mois. Et

depuis que j'ai 15 ans je fais des jobs étudiants en usine. Mais j'ai commencé ici j'avais 21 ans

donc euh … c'était tôt quoi.

Et du coup comment vous avez été initiée à l'entreprise familiale. Avant 2013, avant que

ce soit les entreprises de votre père, vous veniez déjà ici?

Non, moi et mon père on ne se parlait pas jusqu'à ce que j'ai 18-19 ans. Mes parents sont

divorcés, j'ai un petit frère et je m'occupais beaucoup de lui qui avait des problèmes sa maman

à lui. Et donc je me suis rapprochée de mon papa après, lui ici il évoluait en tant que directeur

et ensuite il a racheté. Mon père est quelqu'un qui aime partager, il dit tout le temps qu'il fait

ça pour ses enfants. Il avait envie que quelqu'un s'intéresse à son truc, ma sœur ça ne

l'intéresse pas, mon petit frère est petit et c'est pas son domaine. Et moi j'ai vraiment accroché,

donc c'est ça qui nous a rapproché, c'est un peu le travail.

Ok, donc quand vous êtes arrivée à l'entreprise vous m'avez dit au début que c'était

pour un remplacement. Vous avez perçu ça comme étant une contrainte, un choix, de

travailler là et de continuer ?

D'abord je voulais rendre service, en me disant que c'était une expérience à prendre. Et

comme j'aimais pas trop ce que je faisais en tant qu'éducatrice. Donc je voulais voir, je suis

allée et j'ai bien aimé. Je me suis dit que j'allais avoir des lacunes en compta, finalement j'ai

remarqué que quand on veut apprendre, on apprend sur le tas. C'est sûr que avoir fait des

études dans le domaine ça m'aurait aidée, maintenant j'ai la chance ici d'avoir des gens qui

communiquent beaucoup et qui partagent leurs informations et leur savoir. J'ai demandé au

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comptable pour me former un petit peu, et comme je me débrouille avec les ordinateurs et

bien ça va très bien.

Et comment ça s'est passé quand vous êtes rentrée dans l'entreprise, votre intégration

auprès des employés, dans l'environnement de l'entreprise, comment ça s'est déroulé ?

Pas mal du tout. Les gens ont été plutôt sympas. Donc c'est vrai qu'au début comme c'était un

milieu masculin, je me suis dit que ça allait peut-être être délicat. Moi je suis quelqu'un qui se

fiche du regard des autres, donc de base c'était déjà bien. Et puis quand je suis arrivé ici, j'ai

vu qu'il y a les gens qui me parlent parce que je suis la fille du patron, et les gens qui

m'apprécie parce que j'ai dû gagner leur confiance. Ici mon rôle dans la société, maintenant

qu'on a un syndicat, c'est un peu de collecter les sentiments de tout le monde, voir comment

ça se passe, ce qui va ce qui ne va pas. Parce que plus on est plus il y a des gens qui ont des

attentes différentes, qui veulent plus de choses, qui veulent des augmentations, etc... Je

voulais que même si je suis la fille du patron, on peut me parler à moi. C'était mon but, je

n'avais pas envie que des gens me cachent des choses parce que je suis la fille du patron.

Donc j'ai gagné leur confiance, il y a certaines personnes avec qui ça va très bien et il y a

toujours des gens avec qui ça passe moins bien. Mais l'intégration a été super facile je trouve.

Maintenant je ne suis pas quelqu'un de timide, gênée ou quoi donc ça aide peut-être. Dans les

bureaux j'ai eu vraiment des collègues géniaux. Aujourd'hui on est beaucoup plus mais j'ai pas

de souci.

Mais maintenant, quels ont été les motivations qui ont poussé votre père a pensé à la

succession? Est-ce qu'il y a eu un événement déclencheur?

Non mais mon père au niveau de santé ça va, mais il y a eu quelques petits soucis quand

même. Sachant qu'il est tout seul aussi, il n'est pas marié, en voyant que mon frère et ma sœur

ne sont pas intéressé ou pas pour le moment, et que moi j'accroche… Et même en dehors on

parle du travail parce qu'on en a envie, 90 % de ma vie est consacrée à [Nom de l’entreprise]

et ça ne me dérange pas du tout.

Donc il était motivé pour que vous soyez ici avec lui. Mais est-ce qu'il a présenté des

freins ou des résistances à certains moments ?

Mon père il aime bien qu'on gagne les choses par soi-même, ici par exemple je n'ai pas

d'avantages je suis une des seules à ne pas avoir de véhicule de société ou quoi. On pourrait

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penser l'inverse vu que je suis sa fille, mais maintenant moi je ne m'en plains pas parce que je

pense ça aussi et depuis que je suis petite ça a toujours été comme ça. Même au niveau

salarial, j'ai dû m'en demander l'année passée que les choses bougent. Mon père a un

partenaire, il a un associé qui a des parts de la société. Et donc pour ma demande, il voulait

que je me justifie auprès de son associé d'une augmentation potentiel ou de ce que je voulais.

Parce qu'elle voulait que je fasse comme tout le monde.

D'accord, mais au niveau de tout ce qui est perte de pouvoir, le fait qu'il perde un peu de

son statut il n'y a pas de souci à ce niveau pour le moment?

Non, en soi ce n'est pas une personne comme ça.

Ok très bien. Vous maintenant, quelles sont vos motivations d'accéder à un poste comme

celui de votre père ?

Et bien les responsabilités, j'aime bien ça et c'est pour ça que je m'occupe de [Nom de la

filiale]. De toute manière c'est toujours une histoire de collaboration sinon ça ne marche pas.

Mais moi c'est ça, c'est les responsabilités, savoir que les gens sachent qu'ils peuvent compter

sur moi, qu'on a vraiment un impact. En plus en Belgique, les PME sont en majorité en

difficulté donc c'est pas évident, on sait bien qu'il y en a pas beaucoup qui réussissent. Donc

contribuer à une évolution constante c'est quelque chose que j'aime bien, et je ferai comme lui

si je dois reprendre. Avec les nouvelles technologies, lui aussi il s'intéresse beaucoup à ça et

c'est un truc qui m'intéresse également.

Et maintenant que vous êtes dans l'entreprise, est-ce que vous voyez d'autres avantages

ou inconvénients à venir travailler dans l'entreprise familiale ?

Comme je vous l'ai dit c'est 90 % de ma vie, donc ça reste quand même un inconvénient

puisqu'ici niveau vie privée j'ai acheté ma maison l'année dernière, je dois travailler dedans, je

dois combiner plusieurs choses. Et quand on est jeune et qu'on a des projets qui sont autant

privés que professionnels, et bien il faut savoir faire avec les deux. J'ai mon compagnon qui

travaille dans la société aussi, je dois rester la même avec lui qu'avec les autres. Il y a des

inconvénients mais j'essaie de pas les percevoir de cette manière-là

D'accord et des avantages aussi peut-être?

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Je ne vois pas mes journées passées, je n'ai pas la pression, je n'ai pas l'impression de perdre

mon temps. Donc c'est que c'est quelque chose d'intéressant, je me sens concernée par les

problèmes de la société comme par les réussites. Le matin je ne me pose pas de questions c'est

logique pour moi de venir ici et de faire ma journée.

Ok très bien. Maintenant je vais passer au rôle que chacun joue. Votre père joue quoi

comme rôle avec vous dans l'entreprise ?

C'est plutôt un mentor, on va dire que je suis autonome dans mon travail, ça arrive souvent

qu'il m'appelle et qu'il me demande de venir rédiger des mails pour lui. Il essaie également

que j'ai un rapport commercial qui évolue avec les clients puisqu'il pense quand même à la

succession donc il sait vers où il faut que j'aille mieux que moi. Dans sa tête tout est déjà

claire, c'est juste qu'il ne communique pas beaucoup sur ces sujets-là. Donc il faut lire en lui.

Il me prend souvent avec lui quand on a l'occasion pour aller voir des clients. Donc oui je

considère plutôt ça comme un mentor, puisque même sur les machines c'est lui qui me montre

comment ça marche.

Est-ce que par exemple avec votre père vous avez de temps en temps des conflits au

niveau du rôle ? Comment se passent vos rôles l'un avec l'autre?

Moi j'aimerais toujours avoir plus de responsabilités et c'est mon problème en fait et lui il le

sait bien et il me freine de temps en temps. J'ai tendance à vouloir aller trop vite souvent.

Et comme nous sommes dans une entreprise familiale, est-ce que d'autres personnes de

la famille ont une influence sur le processus, le fait que vous soyez là?

Non il n'y a personne.

Ok très bien. Vous avez souligné l'histoire de la communication avec votre père,

comment qualifieriez-vous la communication avec lui ?

On communique beaucoup sur le travail, mais au niveau de son ressenti et ce que lui il pense,

je pense qu'il ne va pas en parler comme ça il faut vraiment qu'on en vienne à ça où qu'on lui

pose une question directement. Sinon moi directement on parlera du sujet concret du travail

mais pas vraiment de ce que lui pense de mon travail. Je l'entends dire des autres mais moins

de lui.

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D'accord, et vous aimeriez qu'il y ait des améliorations là-dessus?

Et bien franchement je n'ai pas vraiment à me plaindre de la situation ici avec mon père,

depuis qu'on travaille ensemble on s'entend beaucoup mieux. Oui c'est un petit truc qui

pourrait être mieux mais ce n'est pas important, à l'heure d'aujourd'hui en tout cas ce n'est pas

important.

Mais jusqu'à maintenant est-ce que vous avez essayé de mettre des choses en place pour

que la communication se fasse mieux ? Que ce soit des choses formelles ou informelles?

Il y a le fait aussi que je commence à participer aux réunions de conseil d'entreprise etc...

Comme ça quand il y a des choses qu'il ne me dit pas, je suis là et je les entends aussi. C'est

pas forcément des fois qu'il n'a pas envie de me le dire, c'est juste que des fois il ne pense pas

à me le dire.

D'accord très bien. Est-ce que il y a un moment où vous vous appuyez quand même sur

des réseaux communiquer sur tout ça, pour savoir un peu comment ça se passe? Pour

avoir un support pour vous, que ce soit au niveau de votre place ici ou votre stratégie de

voir les choses ou même pour les affaires ou quoi?

Donc moi j'ai participé à le [Nom de l’organisation 1] qui m'a appris beaucoup de choses et

j'en suis ressortie vraiment contente. Ici, il y a le [Nom de l’organisation 2], on va voir ce que

ça m'amène. Maintenant je vais souvent dans les salons, souvent c'est moi qui présente la

société quand on participe à des salons, je vais beaucoup chez les sous-traitants aussi. Donc je

rencontre des gens avec qui ça arrive qu'on discute des choses comme ça ou pas. Mais je ne

me pose pas trop de questions en fait.

Ok très bien. Donc comme vous êtes une fille, souvent dans une entreprise surtout là à

dominance masculine, il y a des fois des soucis. Est-ce que vous avez rencontré des

difficultés particulières?

Il y aurait pu en avoir mais franchement je n'en ai pas eu.

Non, donc vous n'avez pas eu par exemple des remises en doute sur vos capacités, vos

compétences à arriver dans l'entreprise?

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Non je me suis dit que si je voulais arriver à quelque chose il fallait que je m'en donne les

moyens c'est tout. C'est sûr que quand on est une femme dans un domaine masculin on doit

prouver plus qu'eux. Mais je n'ai pas de souci parce que je sais ce que je fais comme travail, je

sais ce que je vaux. Je ne me dis pas que je pourrais faire mieux, je fais mon maximum.

Ok, et donc pas de souci avec les employés ? Et comment est votre relation avec eux ?

Pour ma part ça va avec tout le monde je n'ai pas de souci. Maintenant je pense que si ils ont

un problème avec moi ils ne me le diront pas directement. Niveau entente je m'entends bien,

je suis déjà aller boire un coup avec mes collègues. Pour en revenir à la question d'avant, ça

fait déjà maintenant quelques mois qu'on a engagé des femmes dans l'atelier. Donc on a une

usineuse, on a une conductrice, on a une deuxième tourneuse avant qui est partie maintenant.

Et on a de plus en plus de CV féminins, et on se rend compte que dans une équipe ça apporte

beaucoup. Et certains qui n'y croyaient pas du tout au début, moi j'ai poussé pour ça et

maintenant des responsables sont épatés du résultat. Dans une équipe ça adoucit les mœurs, le

résultat ici il est génial.

Ok, mais est-ce qu'il y a des personnes qui se sont dégagés plus que d'autres? Vous

m'avez parlé des personnes qui vous ont aidées, mais il n'y a pas eu des relations

particulières que vous avez noué avec certains? Dans le cadre de votre arrivée ici, des

gens qui vous ont soit aidée soit poussée vers le bas ?

En général la plupart m'aide quand j'ai un problème, mais on va dire que j'arrive assez bien à

me débrouiller toute seule. Maintenant moi je pose énormément de questions donc quand je

pose des questions ils me répondent. Et quand je ne suis pas sûre de ce qu'on demande, je vais

demander à mon père. Et sinon pousser vers le bas non, mais c'est vrai qu'il y en a qui me

mettent un peu plus au défi pour que je me prouve deux fois plus des choses. Des fois je le

prends bien et des fois je le prends moins bien parce que ce n'est pas à moi de tout faire non

plus. Aujourd'hui j'ai une fonction indéterminée, donc quand il y a un truc à faire c'est « oh

est-ce que tu veux bien faire ça ». Moi je veux bien tout faire mais à partir du moment où ça

sert à quelque chose, pas quand ça ne sert à rien.

Très bien, donc la dernière partie c'est concernant la gestion. Vous m'avez parlé du

développement de l'entreprise que votre père souhaite et vous aussi. Au-delà de ça, est-

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ce que il y a d'autres stratégies que vous souhaitez mettre en place, vous ou même votre

père pour l'entreprise?

Je n'y ai pas vraiment réfléchi, maintenant d'autres stratégies... On a racheté à côté donc dans

deux trois mois on va commencer à construire. Donc en fait ici le slogan et la façon de

travailler ici c'est "la solution globale" puisque nous ce qu'on propose en fait c'est l'usinage du

début à la fin et c'est une stratégie qu'on continue à développer parce qu'on voit que ça

intéresse beaucoup les grosses entreprises. Donc on est passé ici en mars en EN9100, et donc

l'année prochaine aussi le but ça va être de démarcher des potentiels clients en 9100.

D'accord très bien. Et au niveau management, qu'est-ce que vous avez mis ou vous

aimeriez mettre en place?

Non … je ne sais pas quoi vous dire. [Pause] je n'ai pas vraiment réfléchi à ça.

Ok. Vous avez dit que le fait d'apporter des femmes dans l'entreprise ça a servi à

beaucoup de choses, vous pensez avoir apporté quoi en tant que femme dans l'entreprise

?

Et bien déjà le fait que je m'intéresse à tout, je pose beaucoup de questions, que j'essaye de

tout connaître. Il n'y a pas une seule personne que je connais pas son nom ici donc je trouve ça

super important. Le matin je fais le tour je dis bonjour à tout le monde. Je pense qu'en tant que

femme ce qu'on peut apporter dans une grosse société où il y a beaucoup d'hommes, c'est un

peu de calme et de douceur. Il n'y a rien à faire, des hommes quand il y a des femmes ils sont

contents. Ça ne sert à rien d'être sévère tout le temps, c'est les hommes qui ont ce rôle-là. Oui

il faut être impartial, quand on a quelque chose qu'on veut il faut l'obtenir on va pas le

demander comme un petit chien. J'arrive à faire les deux, j'arrive à être dure mais en restant

juste et j'arrive à être calme, gentille, positive. En général je suis tout le temps positive aussi,

et optimiste. Les gens ont besoin de ça, quand on est négative ça ne va pas.

Est-ce que quelquefois vous sentez le besoin d'avoir une personne externe pour vous

aider? Est-ce que des fois vous sentez le besoin d'avoir quelqu'un d'externe qui n'est pas

du secteur de l'entreprise ni de la famille pour vous aider de temps en temps?

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Non, pas à l'heure actuelle. C'est possible que ça arrive plus tard, j'en avais parlé avec [Nom

du formateur] parce que lui parler aussi que il apporter son aide dans des sociétés que ce soit

pour des entreprise, des chartres familiales ou plein de choses.

Ou pour faciliter la communication ?

Oui voilà, moi j'essaie d'abord de faire par moi-même, si je vois que ça ne va pas je ferai

autrement. Jusqu'à présent ça n'a jamais été le cas.

Ok très bien. On arrive juste à la fin du questionnaire, je voudrais juste que vous me

disiez comment vous percevez ça pour le moment : le fait que vous êtes là, que vous allez

succéder à votre père au fur à mesure, comment vous vous sentez ? Est-ce que vous êtes

satisfaite? Est-ce qu'il y a des choses que vous voudriez améliorer, les recommandations

à faire pour des filles comme moi ? Un feedback par rapport à tout ce qui arrive en ce

moment.

Non moi je suis super contente, parce que si mon père n'avait pas pris ce chemin là j'aurais

toujours été éducatrice aujourd'hui et j'aurais pas été heureuse comme ça. Franchement mon

travail me convient à merveille, j'ai tout le temps envie d'évoluer, de faire des nouvelles

choses, de voir des nouvelles choses, de rencontrer des nouvelles personnes, de voir comment

ça se passe ailleurs. Je trouve que je n'aurais pas pu avoir une meilleure place, surtout qu'ici je

n'ai pas de frein par rapport à ce que je dois faire. Je me mêle de tout et ça ne dérange pas les

gens, j'aime bien de tout savoir et être au courant de tout je trouve ça intéressant. Que ce soit

l'entreprise de mon papa, j'ai cette liberté de pouvoir faire ça. Les gens aussi viennent vers

moi, il rencontre des nouvelles personnes en recrutement et bien on vient me demander mon

avis alors que je ne suis pas en ressources humaines donc ça ne me concerne pas. Dans

l'atelier les ouvriers avaient trop chaud hier, donc j'ai dit à mon père « est-ce qu'on ferait pas

venir le camion de glace ? ». Et les gens au fur à mesure on gagne un peu de leur confiance.

Le truc que je trouve le plus important, on va pas se voiler la face, dans une entreprise c'est

gagner de l'argent. Sinon ça ne marche pas les salaires faut les payer de toute manière, mais

faut innover tout le temps il faut tout le temps aller rechercher des clients. Il faut tout le temps

à but, on ne se dit pas « ah bah on a réussi c'est bon !». Il y a tout le temps quelque chose à

faire en plus pour aller plus loin, les gens sont tout le temps motivés. Les gens ne s'arrêtent

pas à leurs acquis et c'est ça que j'aime bien. Et puis je trouve que la mécanique c'est super

intéressant, le fait de pouvoir voir un produit fini. De voir qu'on part d'un bête truc, et qu'on

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finit par avoir un truc qu'on sait que ça va aller dans une valve, une machine etc., … Participer

à ça je trouve ça génial. Je n'ai pas l'impression de faire ce que je fais pour rien.

Ok d'accord très bien. Que me recommanderiez-vous en particulier ?

Je pense que le mieux c'est de s'intéresser à tout au maximum. J'ai remarqué que les gens

quand on leur montre de l'intérêt ils aiment bien, ils sont contents. Ce que je trouve c'est de

travailler avec son père, après ça dépend de la relation que vous avez avec votre père et de

plein de choses… Pour ma part, ça a arrangé plein de choses. Maintenant ça dépend des

caractères, de comment on est. Mais si vous vous entendez bien avec votre père et que vous

travaillez ensemble, maintenant on se voit souvent mais à la fois pas souvent. Mais moi je

trouve ça génial, en plus de construire quelque chose avec sa famille c'est toujours mieux que

de travailler pour un patron qu'on ne connaît pas. On n'a pas de but, pas d'objectif, on ne sait

pas dans 10 ans où l'on sera. Ici, je sais bien que oui ça peut foirer dans 2 ans la boîte mais en

tout cas je sais que moi et mon père on aura tout fait pour que ce ne soit pas le cas.

Très bien merci j'en ai terminé.

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EXECUTIVE SUMMARY

The objective of this master’s thesis is to shed light on the process of father-daughter

successions in family businesses. Nowadays, women are increasingly drawn towards

entrepreneurship careers and family businesses still constitute an important sector of the

economy. The combination of these factors has led to a rise in the number of father-daughter

successions. One of the main challenges for these family businesses is to ensure the

sustainability of their operations in the long run. This dissertation investigates the process of

father-daughter successions and looks at the impact of family ties and the business

environment on such successions. The present work aspires to guide women who are chosen

as successors to their father by providing them with the necessary information on the

challenges they might face, in order to guarantee a profitable succession.