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La sociopsychanalyse de Gérard Mendel Patrice RANJARD Psychothérapeute, Docteur en Sciences de l’Éducation Revue Gestalt - N° 29 - La goutte d’eau et l’océan 131 PSYCHOLOGIE ET EXCLUSION DU SOCIAL Au commencement était le groupe, la famille, le clan, la tribu, bref, du social. Et uniquement du social, car si chaque individu était séparé des autres physiquement, il ne l’était pas psychi- quement. Cet état de l’humain existe encore aujourd’hui. L’impression d’être un Moi, un Je, distinct des autres et relative- ment autonome, n’existe que depuis quelques siècles et seule- ment dans certaines régions du globe. Il n’y a guère plus d’un demi siècle, des ethnologues, connaissant la psychanalyse, découvraient avec surprise que les individus des peuples qu’ils étudiaient n’avaient pas de Moi au sens où nous l’entendons. Les ethnologues inventaient alors le concept de « moi de groupe ». Dans cet état de l’humain il n’est pas de psychologie concevable. Pour que s’invente une psychologie il a fallu qu’émerge une façon d’être homme relativement nouvelle : un individu avec un Moi interne, ayant le sentiment d’exister à l’intérieur de soi, indé- pendamment des autres. Cette particularité a pu exister spora- diquement ça et là depuis longtemps (les ermites qui se reti- raient au désert en sont sans doute des exemples), mais elle n’a commencé à exister de façon non exceptionnelle qu’avec la période nommée Renaissance en Europe. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.151.146.76 - 12/05/2013 16h58. © S.F.G. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 92.151.146.76 - 12/05/2013 16h58. © S.F.G.

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Patrice RANJARD Psychothérapeute, Docteur en Sciences de l’Éducation

Revue Gestalt - N° 29 - La goutte d’eau et l’océan 131

PSYCHOLOGIE ET EXCLUSION DU SOCIAL

Au commencement était le groupe, la famille, le clan, la tribu,bref, du social. Et uniquement du social, car si chaque individuétait séparé des autres physiquement, il ne l’était pas psychi-quement. Cet état de l’humain existe encore aujourd’hui.L’impression d’être un Moi, un Je, distinct des autres et relative-ment autonome, n’existe que depuis quelques siècles et seule-ment dans certaines régions du globe. Il n’y a guère plus d’undemi siècle, des ethnologues, connaissant la psychanalyse,découvraient avec surprise que les individus des peuples qu’ilsétudiaient n’avaient pas de Moi au sens où nous l’entendons. Lesethnologues inventaient alors le concept de « moi de groupe ».Dans cet état de l’humain il n’est pas de psychologie concevable.

Pour que s’invente une psychologie il a fallu qu’émerge unefaçon d’être homme relativement nouvelle : un individu avec unMoi interne, ayant le sentiment d’exister à l’intérieur de soi, indé-pendamment des autres. Cette particularité a pu exister spora-diquement ça et là depuis longtemps (les ermites qui se reti-raient au désert en sont sans doute des exemples), mais elle n’acommencé à exister de façon non exceptionnelle qu’avec lapériode nommée Renaissance en Europe.

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L’étude du Moi interne de cet individu se fait d’abord par la lit-térature, le théâtre et la poésie. Ce n’est qu’au XIXe siècle quedes savants (comme on disait alors) s’y intéressent et que naîtla psychologie comme science. Parmi ses inventeurs, Freud,convaincu de faire de la science. Il invente un « appareil psy-chique » à côté des appareils respiratoire, circulatoire, et diges-tif. Et très vite le social se retrouve exclu : on sait qu’en 1997 ilrenonce à « sa neurotica », abandonne la théorie du trauma-tisme, invente une théorie où tout se passe à l’intérieur de l’in-dividu : pulsions, fantasmes, refoulement, retour du refoulé,symptômes…

Ceux de ses disciples qui constitueront l’establishment psy-chanalytique monteront une garde vigilante autour de cette éli-mination du social. On exclut Ferenczi pour son discours sur Laconfusion des langues, on expurge les lettres à Fliess : le conflitn’est pas interpersonnel, il est purement interne. Bref, la psy-chanalyse s’enferme dans une psychologie à UNE personne.

Du moins La Psychanalyse à majuscules, mais ce n’est pas lelieu de développer l’évocation de conflits qui durent encoreaujourd’hui. Beaucoup sortiront de l’ornière de cette psychologieà une personne, mais sans dépasser une conception réduite dusocial. Réduite aux relations interpersonnelles vécues sur lesmodèles psychofamiliaux. Le premier qui réintroduit réellementle social au sens large dans la psychologie est Vincent deGaulejac avec La névrose de classe. Titre scandaleux en 1987 !Comment peut-on associer ainsi au concept psychologique denévrose un concept sociologique ? Pire : un concept quasi poli-tique ! Pourtant la démonstration est convaincante : on peut êtrenévrosé pour avoir changé de classe sociale. Même si, commeGaulejac le reconnaît, on retrouve, sous la névrose de classe, lanévrose « normale », purement psychique.

Toutefois, si le social n’est plus exclu, comme dans une psy-chologie à une personne, son statut est celui d’une annexe endérivation. La psychologie a plongé une paille dans le social eten aspire ce qui lui convient. Le sociologue Gaulejac est d’abordun clinicien. On est toujours dans une préoccupation cliniqueconcernant l’individu : on admet que cet individu n’est pas une

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monade, qu’il est façonné par ses relations et son environne-ment, que cet environnement ne se limite pas à la famille, maisc’est toujours bien l’individu qui est l’objet de cette psychologie.Autrement dit, le social tel qu’il existait avant l’émergence de l’in-dividu et de la psychologie et tel qu’il a continué d’exister depuis,est toujours hors champ. Deux choses le maintiennent horschamp : le déni de l’échelle et le mépris de l’agir.

Le déni de l’échelle

Dire, comme Robine, que « le changement social commenceà deux », ou, comme beaucoup de Gestaltistes que changer lerapport au social de nos clients c’est changer la société, c’estconsidérer comme négligeable la différence d’échelle. Or l’ex-pression « une goutte d’eau dans la mer » le dit bien : ni une, nimille ni un million de gouttes d’eau ne changent la mer. Quandles psychothérapeutes français auraient amélioré le rapport ausocial de cent mille ou un million de personnes, ça ne change-rait pas un iota à la marche du monde, à la progression de lamondialisation ni à l’emprise de l’idéologie du totalitarisme libé-ral. Ou, pour rester en France, au fait exemplaire qu’un vote lar-gement majoritaire reste sans aucun effet sur la politique des« élites ». Les psychothérapeutes n’ont aucune influence sur lamarche de la société. Si on les supprimait du jour au lendemain,seuls quelques milliers de clients s’en apercevraient.

C’est un problème de définition : une psychologie à deux per-sonnes, est-ce du social ? Pour Jean-Marie Robine, oui ; pourmoi, non. C’est une question de point de vue, au sens propre del’expression : si j’adopte un point de vue ethnocentré, je voisl’homme comme un individu relativement autonome, un« sujet », différent de tous les autres, et en relation avecd’autres. Dans l’humain, dans le phénomène « humain », je dis-tingue nettement un de plusieurs. De ce point de vue, en effet,« le social » commence à deux. Mais c’est l’inverse si j’adopte lepoint de vue historique posé au début de cet article : l’humain estune espèce grégaire, qui vit en groupes, clans, tribus, sociétés.Ces sociétés ont constitué au cours des âges des « civilisa-

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tions » à durée limitée. Dans chacune, les mœurs, les valeurs,l’organisation des sous-groupes ont produit une façon d’êtrehomme particulière. Des façons d’être homme très différentesd’une société à une autre. Dans une de ces civilisations on estmême allé jusqu’à distinguer les individus les uns des autres aupoint que chacun a l’illusion de représenter l’humain à lui toutseul (1). Depuis ce point de vue, le social ne « commence » pas :il est à l’origine. On ne peut même pas dire qu’il cesse à UN. Dece point de vue, les différences visibles ne sont pas entre un etplusieurs, mais entre petits sous-ensembles et grandsensembles. « Le social » concerne des ensembles et desensembles d’ensembles.

C’est là ce qu’on voit si l’on se place à ce point de vue qu’onpourrait nommer « point de vue du social ». On peut ne pas s’yplacer, mais on ne peut faire comme s’il n’existait pas. Or le dénid’échelle fait comme s’il n’existait qu’un seul point de vue pourregarder l’humain : celui de l’individu. C’est pourquoi je l’appelle« déni », car je le considère comme une défense pour ne pasvoir que « le sujet » (individuel) n’est qu’un avatar facultatif etpérissable de l’être humain.

Le mépris de l’agir

Dans son Rapport Lugano (2), Susan George fait émettre à ses« experts » la recommandation suivante : veiller à ce que lesgens soient préoccupés de ce qu’ils sont et surtout pas de cequ’ils peuvent faire. Le conseil est superflu tant la tendance estbien lancée : voyez le développement des tribalismes de toutessortes, régionaux, ethniques, culturels, sexuels… tout est bonpour dégager un « être différent » exigeant d’être reconnu.

Cette valorisation de ce qu’on EST est l’aboutissement d’unephilosophie de l’être, née il y a vingt-cinq siècles en se détachantde l’agir, considéré comme trivial et vulgaire, bon pour lesesclaves et le bas peuple. Déjà Plutarque, admirateur de Platon,niait qu’Archimède se fût véritablement intéressé à la « méca-nique », car « la science d’inventer et composer machines(est) vile, basse et mercenaire ». Un véritable homme de science

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1- Ils parlent même de la « nature humaine »

pour excuser les comportements prédateurs

de certains d’entre eux.

2- Susan George, Le rapportLugano, Fayard 2000.

Co-fondatrice et vice-présidente d’ATTAC,

l’auteur imagine un grouped’experts qui dit comment

rendre le capitalisme définitif. D

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s’occupe de choses « intellectives et incorporelles » et non deces activités « où il faut trop vilement et trop bassementemployer l’œuvre de la main » (3). Je renvoie le lecteur à l’article« Acte et contact, du nouveau dans les fondements philoso-phiques de la Gestalt » qui rapproche la thèse de Mendel surl’acte et la conception du contact en Gestalt, et permet de com-prendre cette idée d’un mépris culturel de l’agir (4). L’acte se réa-lise en voix moyenne, la réalité ne fait jamais tout à fait ce qu’onavait prévu ; de la confrontation entre le projet d’action du sujetet la réalité qui réagit, surgit de l’indéterminé. De cet indétermi-né naît la liberté de l’humain : en agissant il modifie le monde ets’en trouve modifié lui-même. Dans cette perspective, l’hommeest ce qu’il fait et ne se demande pas ce qu’il est. Gérard Mendelécrivait, dans un post-scriptum à l’article évoqué ici, que la philo-sophie « n’a pu ouvrir la dimension du concept qu’au prix d’unelarge déréalisation de notre monde matériel et de notre humani-té très “terrestre”. (Elle n’a pas voulu voir) le phénomène qui nouscrée avec et dans l’acte depuis les origines » (…) « La philoso-phie ne pouvait “être” qu’en hypostasiant l’action dans la tête eten dévalorisant l’acte ».

Individu ou société, être ou agir…

Déni de l’échelle et mépris de l’agir sont liés, car le point devue de l’être regarde vers l’individu tandis que l’agir regarde versle collectif. L’acte individuel est de peu d’effet. Cro-Magnon tailleindividuellement des pierres, mais seule la chasse en groupepeut nourrir la tribu. Aujourd’hui il existe encore quelques indivi-dus qui cultivent leur jardin ou construisent leur cabane, sanseffet sur la société, car s’il s’agit de changer le monde, ou dumoins d’y apporter un changement perceptible, l’individu esthors d’échelle. Il faut le concours d’un grand nombre pour qu’unacte ait des effets visibles sur le monde. Quand les homosexuelsrevendiquent d’être reconnus dans leur « être », il s’agit de leurêtre individuel. Mais ils ne produisent un effet social que parcequ’ils réalisent un acte collectif.

La psychologie s’occupe du psychisme individuel. Elle peut

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3- cité par Pierre Thuillier in D’Archimède à Einstein, les faces cachées del’invention scientifique,Fayard, 1988. p. 27.

4- N° 17 de la revue Gestalt,p. 75 à 91.

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repérer les effets du social dans ce psychisme individuel(Gaulejac), sans changer d’objet. Mais elle ne se pose pas laquestion des effets de l’individu sur le social. Parce qu’elleadmet que l’individu à lui seul ne change pas la société.

La psychothérapie s’occupe de l’être. Elle s’en vante et à justeraison. L’acte pour changer le monde n’est pas de son ressort.Les psychothérapeutes n’ont pas besoin, pour être ce qu’il sontet en être fiers, de prétendre que leur travail a des effets sur lemonde et sur la société.

NAISSANCE DE LA SOCIOPSYCHANALYSE

Pour sortir de ce paradigme de l’être et de sa psychologie, ilfallait d’autres intuitions ne niant pas la différence d’échelle etremettant l’agir en figure. C’est là que prend place l’œuvre deMendel. La sociopsychanalyse ne résulte pas de l’effort d’unepsychologie pour ne pas négliger le social, ni de l’effort d’unesociologie pour ne pas négliger la psyché ; elle n’est pas unescience qui élargirait son objet. Elle ouvre réellement un nou-veau champ à l’invention de nouveaux savoirs. Des savoirsétrangers à toute science déjà constituée, sur l’autorité, le pou-voir, la nature d’homo sapiens. La sociopsychanalyse finira parposer les bases d’une « anthropologie générale ».

Lorsque Mendel dit qu’ « un homme privé de pouvoir est unhomme mutilé », le pouvoir dont il parle n’est évidemment pas lepouvoir sur d’autres hommes (ça, c’est l’autorité), c’est le pou-voir sur ses actes et sur le monde par ses actes. Question inha-bituelle au psychothérapeute : qu’est-ce que ça fait à mon clientd’avoir si peu de pouvoir sur ses actes et aucun pouvoir sur lemonde ?

Quand j’ai rencontré Gérard Mendel, peu après la parution deLa révolte contre le père, en 1968, il cherchait à réunir un grou-pe de personnes analysées en vue « d’inventer un équivalent dudivan pour le social ». Sur le divan se découvre l’individu avecses conflits inconscients : sur quoi pourrait se découvrir le social(et ses conflits inconscients) ?

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Dans La révolte il apportait le concept de sociogenèse partiellede l’inconscient. Aucun rapport avec la « genèse sociale desconflits psychiques » qu’introduira Gaulejac vingt ans plus tard.Car il ne s’agit plus de l’inconscient de tel individu, il s’agit detous les membres d’une société. À la fin des années soixante,Mendel a élaboré les fondements de ce qu’il nomme sociopsy-chanalyse : La crise de générations, en 1969 et Pour décoloni-ser l’enfant en 1971, constituent déjà avec La révolte contre lepère (1968) un ensemble théorique cohérent. Pour aller plus loinil lui faut un groupe. Ce sera le Groupe Desgenettes, du nom dela rue où il se réunissait, dans le cabinet de psychanalyse deGérard Mendel.

Les groupes de sociopsychanalyse (groupes SP)

La Petite Bibliothèque Payot publiera, de 1972 à 1980 huittomes de Sociopsychanalyse, volumes collectifs où sont rela-tées les interventions et les élaborations théoriques de Mendelet du groupe (5).

Très vite naissent d’autres groupes SP qui se lancent dansdes « interventions SP » selon le dispositif que nous verrons plusbas. L’ensemble des groupes est considéré comme une institu-tion non hiérarchisée, non pyramidale. Un colloque annuel réunittous les groupes. Il est organisé par un groupe différent chaqueannée. Chaque groupe n’a que deux obligations : écrire sur sonactivité dans le bulletin (6) et participer au colloque annuel avectous ses membres. Dans ce colloque, chaque groupe présentecollectivement son activité (généralement une intervention dansune organisation), puis tous les groupes se séparent et en dis-cutent chacun de son côté. Ensuite, en plénière, chaque grouperend compte de sa discussion. Il n’y a pas de rapporteur : tousles membres doivent prendre la parole. Il n’y a pas de discussiongénérale. Ces dispositions évitent l’appropriation de la parolepar des ténors, et permettent que chaque groupe reste seul« propriétaire » du pouvoir sur ses actes et du pouvoir de sesactes.

On notera en particulier que Mendel ne joue pas le rôle de

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6- Bulletin pris en chargechaque année par un groupedifférent.

5- Les deux derniers titresméritent d’être cités, La misèrepolitique actuelle et Pratiquesd’un pouvoir plus collectifaujourd’hui.

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mentor : s’il apparaît, que dans telle intervention SP, tel groupea commis des erreurs, ce groupe l’apprendra (en restant maîtrede ses apprentissages) de la bouche de tous les autres groupes,et non pas d’un maître. Certes les paroles du groupeDesgenettes et de Mendel en particulier sont plus attendues queles autres, elles sont généralement plus riches d’expérience etde savoir, mais tout est mis en œuvre pour éviter le phénomènehabituel dans lequel un « grand » pompe à son profit le pouvoircréé par des « petits ».

« L’équivalent du divan »

Venons-en à cet « équivalent du divan », nommé plus tard « ledispositif ». Son fondement est le non mélange des niveaux hié-rarchiques. Se réunissent les personnes qui font le même travail,au même niveau de la division technique et hiérarchique du tra-vail. Est présent à la réunion un membre du groupe de socio-psychanalyse, pas forcément le même à chaque fois. La réunionest enregistrée. L’enregistrement sera écouté au cours d’uneréunion du groupe SP. Des messages y sont alors élaborés, quel’intervenant suivant transmettra au groupe en intervention. « Cequi se passe dans un groupe, dit Mendel, ne peut être comprisque dans un groupe ». Lorsque le dispositif est mis en œuvre defaçon complète, il comprend un ou plusieurs groupes pourchaque niveau hiérarchique. Chaque groupe a l’obligation defaire circuler un compte rendu de ses réunions. En cas dedemande, la réponse écrite est obligatoire mais différée.

C’est tout ? Eh oui ! Mais essayez de proposer à des profs queles élèves se réunissent seuls, sans adulte… Proposez à unchef d’atelier que ses ouvriers se réunissent seuls, sans lui…Vous verrez que toute personne en position hiérarchique ressentcomme potentiellement dangereux que ses subordonnés seréunissent sans lui. Dès les premières interventions on a vu queles personnels réunis sans leur hiérarchie se sentaient gênés etcoupables. On ne les invitait pourtant pas à parler de leurschefs ! On leur proposait de parler de leur travail collectif, de sonorganisation, de sa place dans le travail global de l’institution (ou

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organisation). Des questions, on le voit, non psychologiques.Des questions d’ordre politique, concernant le pouvoir du groupesur son acte, et le pouvoir de son acte (pouvoir qu’a cet acte dechanger quelque chose dans le monde). Ce que Mendel appel-lera bientôt actepouvoir en un seul mot.

On devine ce qui apparaît dans cette situation : le groupe apeu de pouvoir sur son acte, qui est organisé par la hiérarchie,et généralement aucun contrôle sur le pouvoir de son acte. Parexemple si une entreprise fabrique des objets dangereux (quipeuvent blesser), les ouvriers qui les fabriquent n’y peuvent rien,même s’ils le savent. Le pouvoir créé par leur travail est commepompé vers le haut de l’organisation, par le jeu du phénomèneautorité : l’organisation fonctionne comme une famille, avec desrapports enfants/parents à tous les niveaux. Les chefs estimentinadmissible que les subordonnés parlent ensemble hors de leurcontrôle, et les subordonnés se sentent coupables de parler dutravail hors la présence du chef. Alors qu’en vérité, l’atelier, l’en-treprise, la société n’est pas une famille (7).

C’est que deux niveaux apparaissent distincts, que la visionhabituelle du social confondait : le psychique et le politique. Lesrelations interindividuelles, l’autorité, la culpabilité relèvent dupsychique ; le travail, la coopération, le pouvoir créé par le tra-vail et sa « métabolisation » (Mendel) c’est le niveau politique.Dès le premier numéro de Sociopsychanalyse (8), Mendel parled’interprétation « régressive » lorsque des phénomènes qui relè-vent du politique sont interprétés en termes psychologiques. Parexemple si l’on ne voit dans un conflit entre subordonné(s) etchef(s) que l’aspect transférentiel œdipien. On dira plus exacte-ment « régression du politique au psychofamilial », puis on dis-tinguera définitivement personnalité psychofamiliale et person-nalité psychosociale.

Cette distinction est fondamentale pour le sujet qui nous oc-cupe, psychothérapie et société. La personnalité concernée parl’autorité et la culpabilité, est la « personnalité psychofamiliale ».L’autre, la personnalité psychosociale. La première ne peut pasne pas se développer : quelle que soit la société où naît un bébé

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7- Livre synthèse de 1992, La société n’est pas unefamille, La Découverte.

8- Sociopsychanalyse 1,Payot 1972, G. Mendel, De la régression du politiqueau psychique.

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humain, il est élevé par une famille, avec tout ce que sa néoté-nie (9) implique d’angoisse d’abandon, et il développe un psy-chisme mis en forme par le familial. La personnalité psychoso-ciale, celle qui me fait sentir membre d’un groupe et responsabledes actes effectués par ce groupe, se développe… ou ne sedéveloppe pas. Le plus souvent l’autorité veille à empêcher toutdéveloppement de la personnalité psychosociale et trouve dansla culture individualiste un allié puissant. Un des moyens d’em-pêcher son développement est justement l’interprétation régres-sive : décrire en termes psychologiques des conflits qui sont enréalité des conflits de pouvoir, des conflits concernant les buts etl’agir collectifs.

J’y reviendrai en conclusion. Mais dès maintenant une préci-sion : cette distinction de deux personnalités concerne descontenus du psychisme : rien à voir donc avec le concept ges-taltiste de fonction personnalité du self. Si un individu constate,en sortant d’un groupe où il aurait vécu le plaisir d’un actepou-voir collectif, que c’était bon et que ça fait désormais partie delui, un Gestaltiste dira qu’il a fait jouer sa fonction personnalité.Un « mendeliste » ajouterait qu’il a enrichi sa personnalité psy-chosociale, mais le Gestaltiste n’a pas à s’en préoccuper.

Revenons au dispositif SP. Ce qu’il fait apparaître c’est le plai-sir de réfléchir ensemble, de décider ensemble, de mettre enœuvre ensemble. Le plaisir de coopérer et d’être efficacesensemble, puis de voir les effets de ce qu’on a réalisé ensemble.C’est un plaisir très profond et nourrissant pour les personnes etqui lutte efficacement contre l’angoisse existentielle de solitude.(Lorsque la fonction personnalité du self s’exerce sur ce plaisir-là, c’est la personnalité sociale qui se développe).

Soulignons que ce plaisir n’a rien à voir avec ce qui se passedans les groupes-stages (qui n’ont pas d’acte à produire sur l’ex-térieur), qui relève exclusivement du psychofamilial et s’interprè-te selon des théories psychologiques : Bion et ses hypothèsesde base, Anzieu et son illusion groupale, la Gestalt et laconfluence. Dans un groupe-stage, l’individu peut vivre l’impres-sion de se diluer, de perdre son individualité dans la fusion grou-pale. Ce qui peut aussi être délicieux, mais lorsque la fonctionpersonnalité du self s’exerce sur ces délices, c’est la personna-

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9- Néoténie : le petit d’hommenaît très largement inachevé,

ce qui rend possible un rapport à la vie et des

apprentissages sans communemesure avec ceux des autres

animaux, même le chimpanzé.

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lité psychofamiliale qui s’enrichit. Rien de tel en tout cas ne peutse produire dans les groupes « naturels » réunis dans le disposi-tif sociopsychanalytique où l’on est au contraire d’autant plus« individué » qu’on se sent membre et coresponsable du groupe.

Le dispositif est bien pour le social un équivalent du divan : unoutil à faire tomber les masques. On considérait comme toutnaturel que les organisations de la société soient structuréescomme des familles, que les ouvriers fassent ce qu’on leur dit etne soient pas payés pour penser, que le colonel soit le père durégiment et le Président de la République un père pour lanation… Le dispositif fait apparaître que cela n’a rien de naturel,qu’on pourrait tout à fait fonctionner autrement, et que ce fonc-tionnement sert à pomper le pouvoir créé par le travail (parl’acte) au profit de ceux qui occupent le haut de l’organisation.On l’a oublié, mais l’expression France d’en haut, France d’enbas nous vient de Mendel : « À la coupure politique entre droiteet gauche s’ajoute celle, ancienne mais qui s’aggrave, et quin’épargne pas les organisations de gauche, entre un “En-haut”de quelques dizaines de milliers de décideurs et un “En-bas” deplusieurs dizaines de millions d’exécutants ayant perdu toutemotivation individuelle » (10).

Entre dispositif SP et divan, une autre différence : l’agir. Nonqu’il n’y ait pas d’acte en psychothérapie : tout un chapitre deL’acte est une aventure est consacré à « l’actepsychanalytique » (11), mais cet acte s’agit au sein de la relationet ne sort pas du cabinet, il n’a pas d’effet sur le monde. C’est lepatient éventuellement qui ultérieurement agira sur son environ-nement, mais c’est alors la goutte d’eau dans la mer. Tandis quel’acte du dispositif modifie immédiatement quelque chose de laréalité extérieure (organisation qui accepte la mise en place dudispositif) : les messages envoyés, par le groupe en intervention,aux autres groupes de l’organisation, modifient immédiatementquelque chose, et de même font les réponses données à cesmessages.

Cet ancrage dans la réalité, pour la modifier, est essentiel dansl’œuvre de Mendel. Lorsqu’il devait se présenter, ce qu’il faisaitcomme psychanalyste ET sociologue, il ne manquait jamais d’in-

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Patrice Ranjard

Revue Gestalt - N° 29 - La goutte d’eau et l’océan

10- Ces quelques lignesfigurent sur la quatrième decouverture de Cinquante quatremillions d’individus sansappartenance, Laffont 1983.

11- L’acte est une aventure,La Découverte, 1998, chap. 35.

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sister sur l’aspect praticien, en en soulignant le rôle actif aucontact de la réalité sociale.

Les réalisations

Le dispositif a été mis en œuvre des centaines de fois dansbeaucoup d’organisations différentes. Des exemples sont briè-vement présentés dans un petit livre d’une centaine de pagesqui présente, à côté de l’intervention sociopsychanalytique, septtypes d’interventions dans les organisations, fondées sur desapproches théoriques différentes (12).

Par exemple la Société des Transports Poitevins applique ledispositif depuis 1986. Un film (13), un livre (14), un article (15) enont rendu compte. Je n’ai pas été surpris qu’en juillet 2005, cettesociété lance une campagne « Testez gratuitement le bus », quipermettra à cent automobilistes d’utiliser le bus à la place de leurvoiture pour les déplacements pendulaires. C’est l’expressiond’un pouvoir non nul sur l’acte global de l’organisation.

Dans l’Éducation Nationale, un dispositif particulier a été éla-boré avec des Conseillers d’Orientation, et mis en œuvre pareux. Le groupe Desgenettes se chargeant de la formation despremiers C. O. et de la supervision dans la durée. Une associa-tion (16) gère encore un bulletin (17). En 1987 un premier livre inti-tulé La démocratie dans l’école, de C. Rueff et J-F. Moreau fai-sait le bilan d’environ cinq années de fonctionnement. En 1997Claire Rueff réécrivait ce livre (épuisé) et donnait le bilan dequinze ans de pratique et plus de 250 interventions. Depuis, nonseulement ça continue, mais des essaimages ont eu lieu enBelgique et en Argentine.

Le DECE (Dispositif d’Expression Collective des Elèves) a surles élèves des effets socialisants, mais d’une socialisation diffé-rente de celle qui a lieu à partir de la famille (plus ou moins élar-gie) et qui fait partie de la personnalité psychofamiliale. Mendelparle de « processus de socialisation non identificatoire ».

Les profs sont généralement étonnés de l’évolution qu’ils per-çoivent d’un trimestre à l’autre. Ils parlent de classes « plus cohé-

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La sociopsychanalyse de Gérard Mendel

Revue Gestalt - N° 29 - Décembre 2005

12- G. Mendel et J-L. Prades,Les méthodes de l’intervention

psychosociologique,Paris 2002.

13- J.P. Lebel, Le bout de ses actes, 52 min, Prod,

Périphérie-France 3, 1993.

14- Weiszfeld, Roman,Mendel, Vers l’entreprise

démocratique,La Découverte, 1993.

15- J.F. Moreau, Un dispositif d’expression etde communication de longue

durée en entreprise, in Rev.Intern. de Psychosociologie,N°10-11, Paris ESKA, 1999.

16- APECE, Association pourl’expression collective des

élèves, 16 rue CamilleDesmoulins, 18000, Bourges.

17- La démocratie dansl’école, du titre du livre de

Claire Rueff, La Découverte etSyros, Paris 1997.

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rentes ». Eux mêmes découvrent le plaisir de parler ensemble deleurs élèves d’une façon qui n’est pas le déballage de la salle desprofs. Mais le développement de leur personnalité psycho-socia-le ne démarre pas : ils ont trop à y perdre, comme je l’ai montréen détail dans mon livre malheureusement intitulé Les profs sui-cident le France (18).

Sociopsychanalyse et démocratie

Mendel et le groupe Desgenettes ont dépensé énormémentd’énergie pour faire reprendre ce dispositif de socialisation nonidentificatoire par le Ministère. On avait l’accord de trois établis-sements de la région parisienne, on proposait de former (gratui-tement) des « emplois-jeunes » à l’animation du dispositif… Rienà faire ! Un dispositif qui fait participer TOUS les membres, sansextraire du troupeau des « délégués » placés un peu au dessus,ça n’intéresse ni les hauts fonctionnaires ni les élus. Un disposi-tif qui refait circuler l’énergie dans les deux sens entre le haut etle bas, ça n’intéresse pas le haut !

Processus de socialisation non identificatoires et régulationnon autoritaire des conflits ont quelque chose à voir avec ladémocratie ! Dans un grand nombre de livres (19) Mendel a tentéde fournir aux « élites », en particulier socialistes, matière à pen-ser la démocratie. « La démocratie ne peut se développer –écrit-il dans Le vouloir de création (20) – si l’apprentissage desoutils de son fonctionnement (la capacité d’expression, l’écoutede l’autre, l’acceptation du pluralisme, les techniques de concer-tation et de communication) n’a pas lieu très tôt à l’école ».

Peut-être y a-t-il des gens qui de bonne foi s’imaginent que lachute d’un régime totalitaire peut faire place à une démocratie…Ce que dit la sociopsychanalyse, c’est que des générations desociété autoritaire ont formé des individus qui ne possèdentaucune des caractéristiques indispensables au fonctionnementde la démocratie.

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Patrice Ranjard

Revue Gestalt - N° 29 - La goutte d’eau et l’océan

18- Sociopathologie du corpsenseignant, Ed. Robert Jauze,Paris, 2003. Le contenu est :pourquoi les profs ne peuventaccepter aucun changementsignificatif dans le système ;ce qu’ils ont à y perdre.

19- Une bonne demi douzaineentre 1975 et 1986. Et, en2003, Pourquoi la démocratieest en panne ; construire ladémocratie participative,La Découverte.

20- Page 86, voirbibliographie.

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Sociopsychanalyse et formation

Beaucoup de psychothérapeutes ont aussi des activités deformation, en entreprise ou en institutions publiques. Ils n’ontpas besoin de connaître l’œuvre de Gérard Mendel pour perce-voir que les organisations laissent peu de pouvoir aux salariés,et sentir que ceux-ci seraient plus épanouis dans leur travail s’ilsen avaient davantage. Mais sans les concepts de la sociopsy-chanalyse, il ne peuvent que s’imaginer qu’en travaillant à leurniveau ils vont desserrer un peu le carcan organisationnel.

Les concepts SP leur permettraient de sortir de l’illusion : dansson groupe-stage, le formateur, payé par l’employeur, offre uneimage parentale, il mobilise la personnalité psychofamiliale, etne peut en aucun cas mobiliser la personnalité psychosociale.Dans notre culture, celle-ci ne peut se mobiliser que si l’autre estcourt-circuitée. Et pour cela il faut, condition essentielle, neréunir que des personnes qui font le même travail au mêmeniveau hiérarchique. Deuxième condition, que l’intervenant nevienne pas remplacer le chef manquant en offrant une imageparentale. Dans l’intervention SP, l’intervenant se présentecomme représentant de son groupe SP et la séance enregistrée,sera écoutée en groupe SP. Il n’est même pas sûr que l’interve-nant de la fois suivante sera la même personne. Le groupe SPest payé (ou du moins défrayé) par le groupe qui a demandé l’in-tervention (sauf si celui-ci a, institutionnellement, le pouvoir defaire financer l’intervention sur un budget qui lui est propre). Toutest fait pour limiter le phénomène autorité.

Le formateur conscient de cette limite peut faire réfléchir songroupe sur le fait que l’institution fonctionne comme une familleet que ce n’est pas juste car ce n’est pas une famille… mais iln’est pas sûr qu’il soit payé pour ça !

Sociopsychanalyse et psychothérapie

La sociopsychanalyse peut apporter aux psychothérapeutesun renoncement analogue : ce n’est pas dans le cabinet du psy-chothérapeute ni dans la relation thérapeutique que peut se

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développer la personnalité psychosociale du client. Répétons-le : le psychothérapeute s’occupe de la personnalité psychofa-miliale, et il n’a pas besoin pour être fier de ce qu’il fait, de s’ima-giner que son acte a des effets sur la personnalité psychosocia-le de ses clients.

Il faut toutefois souligner que le psychothérapeute occupe uneposition privilégiée d’où il lui est très facile de contribuer à l’étouf-fement de la personnalité psychosociale. Il lui suffirait de cultiverl’interprétation régressive comme fait, par exemple, la psychana-lyse avec la théorie des pulsions : de même que les troubles misen place dans des relations précoces peuvent être réduits à despulsions et fantasmes « intra-monadiques », de même des souf-frances originées dans le fonctionnement social peuvent êtreréduits à des troubles relationnels d’origine psycho-affective.

Sociopsychanalyse et Gestalt-thérapie

Je ne suis pas sûr que le gestaltiste encoure le même risque.Le fait de se centrer sur la frontière-contact diminue l’importancedes contenus psychiques et exclut en principe l’interprétation.S’il y a résistance au contact, le Gestaltiste ne commence paspar chercher ce que ça révèle de caché. N’empêche que, si sonclient lui parle de ses difficultés avec son chef, et que le Gestalt-thérapeute, attentif à la frontière-contact entre client et chef, pri-vilégie les projections du client sur le chef, il risque tout de mêmede favoriser une « régression du politique au psychofamilial ».

En outre, les Gestalt-thérapeutes ont, dans leur culture histo-rique, Paul Goodman et sa préoccupation du social et du poli-tique. Préoccupation reprise et maintenue vivante par les pre-mières générations de Gestalt-thérapeutes. Je me demandemême si le Gestaltiste n’est pas menacé par le danger inverse :celui de croire que, parce qu’il est conscient du social et évite les« régressions du politique au psychique », il développe par sontravail la personnalité psychosociale de ses clients, et produitdonc par là un effet sur la société. Quitte à nier la différenced’échelle (la goutte d’eau et la mer).

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CONCLUSION

La psychothérapie n’est pas à l’échelle du social, elle n’a pasd’effet sur la marche de la société. En marge de cette marche,elle panse des blessés, répare des éclopés, remet sur pied desestropiés. Elle leur fournit une seconde chance, une possibilitéde reprendre leur brouillon et de devenir des individus haute-ment humanisés (en tant qu’individus, c’est-à-dire sans ladimension sociale).

La psychanalyse a exploré ce que Mendel nomme la person-nalité psychofamiliale, tout en affirmant qu’il n’y a rien d’autre àexplorer : à ses yeux, elle dit tout l’homme. Les psychothérapiescampent sur la même position. La sociopsychanalyse affirme aucontraire que le psychofamilial n’est pas le tout de l’homme ; quel’homme se crée aussi dans l’acte réalisé en coopération, que levrai sujet humain est le sujet de l’actepouvoir, et que la psycha-nalyse n’a rien à dire de cela.

En tant que théorie, la Gestalt-thérapie n’est pas vraimentprise dans ce dilemme : en parlant d’organisme dans son envi-ronnement, elle ne préjuge rien sur « psycho » ou « socio ». Ilme semble qu’il y a là une problématique ouverte, qui pourraitêtre reprise par les Gestaltistes qui travaillent avec des groupeset des organisations. Que deviennent tous ces concepts socio-psychanalytiques si « l’organisme » est un collectif (un petitgroupe de personnes) ou une organisation complexe ?

BIBLIOGRAPHIE

G. MENDEL : La psychanalyse revisitée, La Découverte, Paris, 1988,206 p. – La société n’est pas une famille, La Découverte, Paris 1992,307 p. – L’acte est une aventure, du sujet métaphysique au sujet del’actepouvoir, La Découverte, Paris, 1998, 571 p. – Le vouloir de créa-tion, autohistoire d’une œuvre, en collaboration avec Roger Dosse,L’Aube, Paris 1999, 155 p. – Une histoire de l’autorité, permanences etvariations, La Découverte, Paris, 2002, 284 p. (Voir Revue Gestaltn° 25)

G. MENDEL et J. L. PRADES : Les méthodes de l’intervention psycho-sociologique, La Découverte, Paris, 2002, 120 p.

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