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Rev. dr. unif. 2005-4 737 La sanction des fautes lucratives par des dommages-intérêts punitifs et le droit français Alexandre Court de Fontmichel INTRODUCTION Une faute est lucrative lorsqu’elle est “commise délibérément avec la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire dans le but de réaliser un profit” 1 . La notion de faute lucrative n’a pas fait l’objet d’étude doctrinale approfondie. Tout au plus, peut-on tenter d’en cerner les contours 2 . C’est une faute, de nature délictuelle ou contractuelle, commise sciemment dans l’intention de réaliser des bénéfices. Afin de lutter efficacement contre ces fautes, un important courant doctrinal, reposant en grande partie sur les travaux de STARCK, propose de rehausser la fonction punitive de la responsabilité civile 3 . En effet, pour cette catégorie d’actes, il est certain que si “(…) le juge saisi par la victime d’agissements déloyaux, s’en tient au rigoureux principe de l’indemnisation du dommage certain, personnel et direct, il court le risque d’infliger une condamnation qui ne reflète que très imparfaitement la véritable nocivité de l’acte fautif”, et qu’en tout état de cause, la condamnation qui se borne à ordonner la réparation se révèle souvent disproportionnée par rapport à la gravité de la faute commise 4 . Un des moyens de sanctionner efficacement les fautes lucratives est la condamnation du fautif au paiement de dommages-intérêts punitifs. La condamnation à des dommages-intérêts punitifs est officialisée dans la plupart des pays de droit anglo-saxon. Les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ont été définis comme des “(…) sums awarded apart from any compensatory or nominal damages, usually Docteur en droit ; Avocat à la Cour (Darrois Villey Maillot Brochier – Paris) ; Chargé d’enseignements à l’Université Panthéon-Assas. L’auteur tient à remercier tout particulièrement Mlle Cécile DE SMET pour l’aide apportée dans la préparation de cet article. 1 S. GUEULLETTE (1960, 170), cité par DELEBECQUE, note sous CA Paris 15/09/1992, D. 1993, 98. 2 D. FASQUELLE : “L’existence de fautes lucratives en droit français”, Colloque du 21/03/2002 Faut- il moraliser le droit français de la réparation du dommage ? CERDAG (Université de Paris V). 3 Dans sa célèbre thèse, publiée en 1947, STARCK soulignait magistralement la double fonction de la responsabilité civile, à la fois “garantie” et “peine privée” (B. STARCK, Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile, considérée en sa double fonction de garantie et de peine privé, thèse Paris (1947). Pour une réhabilitation de la fonction normative de la responsabilité civile en droit français, S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ, Paris (1995). 4 CARVAL, supra note 3, 124.

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La sanction des fautes lucratives par des dommages-intérêts punitifs et le droit français Alexandre Court de Fontmichel ∗

INTRODUCTION

Une faute est lucrative lorsqu’elle est “commise délibérément avec la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire dans le but de réaliser un profit” 1. La notion de faute lucrative n’a pas fait l’objet d’étude doctrinale approfondie. Tout au plus, peut-on tenter d’en cerner les contours 2. C’est une faute, de nature délictuelle ou contractuelle, commise sciemment dans l’intention de réaliser des bénéfices.

Afin de lutter efficacement contre ces fautes, un important courant doctrinal, reposant en grande partie sur les travaux de STARCK, propose de rehausser la fonction punitive de la responsabilité civile 3. En effet, pour cette catégorie d’actes, il est certain que si “(…) le juge saisi par la victime d’agissements déloyaux, s’en tient au rigoureux principe de l’indemnisation du dommage certain, personnel et direct, il court le risque d’infliger une condamnation qui ne reflète que très imparfaitement la véritable nocivité de l’acte fautif”, et qu’en tout état de cause, la condamnation qui se borne à ordonner la réparation se révèle souvent disproportionnée par rapport à la gravité de la faute commise 4.

Un des moyens de sanctionner efficacement les fautes lucratives est la condamnation du fautif au paiement de dommages-intérêts punitifs. La condamnation à des dommages-intérêts punitifs est officialisée dans la plupart des pays de droit anglo-saxon. Les dommages-intérêts punitifs ou exemplaires ont été définis comme des “(…) sums awarded apart from any compensatory or nominal damages, usually

∗ Docteur en droit ; Avocat à la Cour (Darrois Villey Maillot Brochier – Paris) ; Chargé

d’enseignements à l’Université Panthéon-Assas. L’auteur tient à remercier tout particulièrement Mlle Cécile DE SMET pour l’aide apportée dans la préparation de cet article.

1 S. GUEULLETTE (1960, 170), cité par DELEBECQUE, note sous CA Paris 15/09/1992, D. 1993, 98. 2 D. FASQUELLE : “L’existence de fautes lucratives en droit français”, Colloque du 21/03/2002 – Faut-

il moraliser le droit français de la réparation du dommage ? – CERDAG (Université de Paris V). 3 Dans sa célèbre thèse, publiée en 1947, STARCK soulignait magistralement la double fonction de la

responsabilité civile, à la fois “garantie” et “peine privée” (B. STARCK, Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile, considérée en sa double fonction de garantie et de peine privé, thèse Paris (1947). Pour une réhabilitation de la fonction normative de la responsabilité civile en droit français, S. CARVAL, La responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ, Paris (1995).

4 CARVAL, supra note 3, 124.

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because of particularly aggravated misconduct on the part of the defendant” 5. L’idée de punir le défendeur en allouant à titre de dommages-intérêts des sommes bien supérieures à la perte subie par le demandeur n’est pas nouvelle. On en trouve des traces dans le Code d’Hammurabi (2000 A-C) et dans les textes bibliques 6.

C’est dans le système de droit nord-américain que cette institution est consacrée de manière générale, à la fois au niveau des États mais également au niveau fédéral. Plusieurs lois fédérales sanctionnent des pratiques illicites du commerce international par l’attribution de dommages-intérêts punitifs ou de “treble damages”, en particulier lorsqu’il s’agit d’atteintes à la concurrence ou lorsqu’une entreprise américaine est victime d’agissements frauduleux du chef de son cocontractant étranger 7.

Il est certain qu’en tout état de cause, la condamnation à des sommes très importantes a un effet dissuasif pour les contrevenants. Par ailleurs, la condamnation à des dommages-intérêts triples, c’est-à-dire le paiement d’une somme dont la valeur est d’un montant égal au triple de la valeur de la créance ou du marché obtenu en contravention de la règle, a l’immense avantage de la simplicité. L’on perçoit alors d’emblée l’intérêt de cette catégorie de sanctions afin de rehausser le caractère normatif de la responsabilité civile.

On le verra, le droit français propose quant à lui certains outils qui ont pour objet de lutter contre les fautes lucratives, mais ne reconnaît pas au juge la possibilité de prononcer des dommages-intérêts punitifs. Fort de ce constat, il apparaissait dès lors naturel de mettre en relation la notion de faute lucrative et celle de dommages-intérêts punitifs et de l’analyser avec le regard d’un juriste de tradition continentale et d’étudier l’éventuelle insertion de ces dommages-intérêts punitifs dans la palette des sanctions déjà disponibles en droit positif français.

Les dommages-intérêts punitifs constituent-ils une sanction appropriée aux fautes lucratives ? Les dommages-intérêts punitifs à la paternité anglo-saxonne peuvent-ils être appropriés par le système juridique français ? Telles sont les deux questions autours desquelles s’articulera cette brève étude.

I. – LES DOMMAGES ET INTERETS PUNITIFS : UNE SANCTION APPROPRIEE ?

Avant de s’interroger sur les avantages d’une hypothétique introduction des dommages-intérêts punitifs en droit français, il convient sans doute de déterminer entre quelles catégories de sanctions déjà existantes ceux-ci pourraient trouver place dans notre ordonnancement juridique.

5 D.B. DOBBS, Handbook on the Law of Remedies (1973), cité par J. GOTAND : “Awarding Punitive Damages in International Commercial Arbitration in the Wake of Mastrobueno v. Shearson Leahman Hutton, Inc.”, Harvard International Law Journal (1997), n° 38, 61.

6 Voir sur l’histoire des dommages-intérêts punitifs, J.-B. SALES / K.B. COLE : “Punitive Damages : A Relic That Has Outlived Its Origins”, Vanderbilt Law Review (1984), 1117, s.

7 Le “Clayton Act”, § 4, 15 USC § 15 (a) 1994, prévoit l’attribution de dommages-intérêts triples lorsque des dommages ont été causés au business ou à la propriété d’une victime en raison d’une violation des dispositions anti-trust du Clayton Act. ; la loi “RICO”, §18 USC § 4 (c) 1994, prévoit les mêmes sanctions. Voir également les lois “Helms Burton” et “d’Amato Kennedy”.

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1. Les sanctions existantes en droit français

Les solutions proposées actuellement par le droit français pour sanctionner les fautes lucratives relèvent, d’une part, des mécanismes de la réparation civile, même si ce n’est pas toujours dans le cadre d’une application orthodoxe des principes qui la gouvernent et, d’autre part, du droit pénal.

a) Sanction des fautes lucratives par les mécanismes de la responsabilité civile

Les fautes lucratives sont présentes tant sur le terrain délictuel que sur le terrain contractuel. Les problématiques spécifiques à chaque type de responsabilité contraignent les juges à adapter les mécanismes classiques de la responsabilité civile à chaque situation.

i) En matière délictuelle

En matière délictuelle, la contrefaçon, c’est-à-dire le fait pour un autre que le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle ou son licencié d’exploiter ce monopole, portant ainsi atteinte aux droits de son titulaire, est l’exemple type de la faute lucrative. Le paiement d’une commission occulte afin d’obtenir un marché et d’évincer un concurrent dans un appel d’offres en est un autre 8.

Que l’on soit en présence d’un acte de contrefaçon, d’un acte de parasitisme commercial ou bien encore du versement d’une commission occulte, l’auteur de la faute est, certes, conscient des risques qu’il encourt, mais choisit d’une manière volontaire et réfléchie de passer outre. Il ressort de la définition même des fautes lucratives que le bénéfice escompté est sans commune mesure avec les dommages-intérêts que l’on serait éventuellement condamné à verser.

En effet, si ces comportements constituent une faute sur le terrain de la responsabilité délictuelle et peuvent assurément engager la responsabilité de l’auteur sur le fondement de l’article 1382 du Code civil 9, il n’en demeure pas moins que ce texte vise d’abord le rétablissement de la situation patrimoniale de la victime affaiblie par le préjudice subi, et non l’appauvrissement du fautif qui s’est enrichi grâce à sa faute.

Or, non seulement l’adéquation entre le préjudice subi par la victime et l’enrichissement du fautif est loin d’être systématique, mais surtout, en droit français, le calcul des dommages-intérêts alloués ne repose que sur le préjudice réel qu’ils sont supposés compenser et ne doivent normalement pas tenir compte des bénéfices réalisés par l’auteur 10.

8 Sur cette faute lucrative et sa sanction en droit du commerce international, voir notamment,

A. COURT DE FONTMICHEL, Le juge, l’arbitre, et les pratiques illicites du commerce international, Editions Panthéon-Assas, LGDJ Diffuseur (2004), spéc. n° 930, s.

9 Art. 1382 Code civil : ”Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer”.

10 Dans une célèbre affaire de parasitisme économique, l’affaire “Champagne”, les créateurs d’un parfum s’étaient cru autorisés à apposer sur leur produit ce nom illustre et internationalement reconnu. Ils savaient parfaitement qu’une sanction leur serait appliquée en cas – probable – de procès. Les dommages-

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Le préjudice, une fois la preuve de son existence apportée, est réparé ou plus exactement compensé en vertu de cette phrase qui résonne comme un dogme en matière de responsabilité civile : “Tout le préjudice, rien que le préjudice” 11. La règle de principe est en effet d’indemniser la victime d’un dommage à hauteur du seul préjudice qu’elle a subi mais rien d’autre 12. Il ne saurait en effet être question que la mise en œuvre de la responsabilité civile permette d’enrichir la victime, comme l’a d’ailleurs rappelé de manière constante la jurisprudence depuis un arrêt de 1964 13.

De ce fait, la fonction normative de la responsabilité civile est passée au second plan en droit français, ce qui n’a pas toujours été le cas, comme l’a relevé le Professeur TERRE lorsqu’il décrivait l’âge d’or de la responsabilité civile comme étant celui où cette institution permettait de “faire d’une pierre deux coups, sinon trois : en réparant le dommage subi, en punissant la faute commise et en assurant, autant qu’il est possible, la dissuasion” 14.

En théorie donc, l’avantage qu’a pu retirer l’auteur de la faute est sans incidence sur le droit à réparation de la victime 15 ; reste qu’en pratique, les juges sont souvent plus ou moins consciemment influencés par la gravité de celle-ci.

En effet, l’on peut aisément percevoir la volonté des juges du fond de “punir” l’auteur d’une faute lucrative.

La première option consiste à réduire au maximum les chances pour le fautif d’échapper au principe même de la réparation civile. La première “astuce” des juges du fond sera par exemple, de rendre plus facile la preuve de l’existence du préjudice.

Cette tendance jurisprudentielle est particulièrement notable en matière de concurrence déloyale, où un préjudice difficilement perceptible sera qualifié par les juges de préjudice possible, en caractérisant par exemple un “risque de confusion” entre les différents acteurs concurrents. Ainsi, la jurisprudence admet depuis un certain temps déjà qu’une victime puisse demander l’indemnisation d’un préjudice affecté d’un certain aléa 16. Il n’y a là rien de révolutionnaire, la perte d’une chance étant déjà considérée par les tribunaux comme un préjudice réparable.

La seconde “astuce” des juges pour faciliter l’octroi de dommages-intérêts est de présumer le lien de causalité entre les faits reprochés à l’auteur et le préjudice de la victime. Ainsi, dans un arrêt du 22 octobre 1985 17, la Cour de cassation a pu juger

intérêts auxquels ils ont été condamnés, se calquant sur un faible préjudice réel subi par les “victimes”, étaient bien inférieurs aux bénéfices réalisés. Voir M.-A. FRISON-ROCHE : “L’affaire Champagne ou l’ineffectivité du droit ou le mépris du juge”, Revue trimestrielle de droit civil (1995).

11 Cf. FASQUELLE, supra note 2 12 Sur l’ensemble de cette question en droit français, l’ouvrage fondamental de Y. CHARTIER, La

réparation du préjudice, Dalloz (1983), spéc. les chapitres I à III. 13 C.Cass. 2ème Civ. 8 mai 1964, JCP 1965.II.14140, note ESMEIN. 14 F. TERRE : “ Propos sur la responsabilité civile”, Archive de philosophie du droit (1977), 40. 15 C. Cass. Com., 11 mai 1999, Bull. Civ. IV, n° 101. 16 C. Cass. Com., 25 novembre 1986, Bull. Civ. IV, n° 218. 17 C. Cass. Com, 22 octobre 1985, Bull. Civ. IV, n° 245.

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“qu’il s’infèr[ait] nécessairement des actes déloyaux constatés, l’existence d’un préjudice résultant des procédés fautifs”.

La deuxième option, qui n’est pas exclusive de la première, consiste à augmenter les sommes allouées à titre de dommages-intérêts, en ne les limitant plus à la simple équivalence du préjudice subi par la victime, notamment par la prise en compte systématique d’un préjudice moral.

De plus, les juges n’hésitent plus à s’affranchir des principes stricts de la responsabilité civile, quant à la méthode de calcul de la réparation à accorder pour chaque préjudice. Se masquant derrière leur pouvoir souverain d’appréciation, les juges tiennent par exemple compte des profits réalisés par les fautifs aux dépens des victimes des dommages, afin d’accroître “l’effet dissuasif de la sanction” 18.

L’on assiste alors à une “réaction répressive” des magistrats, qui n’hésitent pas à sanctionner un fautif espérant tirer de sa faute un profit substantiel ou un avantage concurrentiel. Dans une affaire ayant trait à la contrefaçon – la faute consistant à utiliser un patronyme célèbre pour exploiter une activité concurrente à celle de la famille utilisant elle-même son patronyme à des fins commerciales – les juges ont considéré qu’il fallait, dans l’évaluation des dommages-intérêts “ (…) tenir compte, essentiellement, de l’incidence qu’a pu avoir l’utilisation du nom de Rothschild dans l’enrichissement qu’ont accusé H. Rothschild et ses sociétés et dans la plus value de la valeur des fonds de commerce par eux exploités” 19.

Toujours dans le domaine de la concurrence déloyale, les juges peuvent également être sensibles aux économies réalisées par l’auteur d’un acte de parasitisme commercial ou l’avance technologique indûment acquise par le contrefacteur d’un brevet non exploité par son titulaire, deux types d’avantages indus pouvant peser en faveur de la victime dans l’évaluation de la réparation qui lui sera accordée 20.

Toutefois, sous peine d’encourir la cassation, les juges du fond doivent prendre garde de ne pas faire figurer dans la décision d’octroi des dommages et intérêts leur motivation réelle, car elle tient plus à une certaine forme d’éthique qu’à la stricte rigueur juridique. Comme l’a écrit le Professeur TERRE il y a déjà une vingtaine d’années 21, “(…), les juges, sensibles à des considérations tirées de la gravité de la faute, en tiennent compte quelquefois pour augmenter ou diminuer le montant des dommages et intérêts ; s’ils en tiennent compte dans leur for intérieur, sans en rien révéler dans leurs motifs, leur décision ne peut pas être censurée”.

18 CARVAL, supra note 3, particulièrement n°127 et s. 19 CA Paris, 10 juillet 1986, JurisClasseur Périodique (Semaine Juridique) (JCP) 1986, II, 20712, note

AGOSTINI. 20 T. Com, Paris, 10 juillet 1967, cité par M. RODHAIN : “Contrefaçon, réparation et indemnisation”,

Gazette du Palais septembre 1989, p.2 ; CA Paris 31 janvier 1984, Revue trimestrielle de droit commercial (1984), 277, commentaires AZEMA.

21 A. WEILL / F. TERRE, Les Obligations, 4ème éd. (1986).

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Si l’on ne peut reprocher aux juges de rehausser, de manière consciente ou non, le rôle normatif de la responsabilité civile, la démarche n’est pas des plus satisfaisantes car elle relève davantage de la volonté individuelle de magistrats avisés, que d’une politique législative et jurisprudentielle globale. En effet, cette réaction se manifeste sous le manteau protecteur de l’appréciation souveraine des juges du fond et reste hermétique à toute systématisation par la Cour de cassation, au détriment du développement d’une jurisprudence stable et donc d’une certaine sécurité juridique.

Pour que celle-ci soit possible, il appartiendrait d’abord au législateur d’admettre que, pour certaines catégories de fautes, les juges puissent se départir du principe de l’équivalence entre, d’une part, la réparation et, d’autre part, le préjudice subi par la victime de la faute 22. En effet, pour que la responsabilité civile puisse également avoir une fonction de peine privée, l’intervention du législateur est nécessaire 23.

ii) En matière contractuelle

Des fautes lucratives existent également dans la sphère contractuelle 24. Elle peuvent naître de l’inexécution d’un contrat, ou de la conclusion du contrat lui-même.

Pour un exemple d’une inexécution fautive – mais lucrative – d’une obligation contractuelle : un contrat avait été signé entre un entrepreneur et un intermédiaire, dans le cadre d’un contrat de vente de marchandises à la société des chemins de fer pakistanais. L’entrepreneur n’avait pas exécuté la dernière partie du contrat de vente, de sorte qu’il estimait ne plus devoir le paiement des commissions à l’intermédiaire. Les juges du fond, suivis par les hauts magistrats de la Cour de cassation, relevèrent que l’inexécution du marché, et donc sa résiliation, “provenait d’un fait volontaire du groupement qui avait renoncé dans son seul intérêt au bénéfice du contrat acquis” 25. Les commissions au titre du contrat d’intermédiaire étaient donc dues.

Le non respect d’un contrat d’intermédiaire présente un intérêt particulier dans l’étude des fautes lucratives contractuelles du commerce international. Dans un schéma de corruption transnationale, le contrat d’intermédiaire est souvent l’instrument qui sert de support juridique au versement des commissions illicites aux tiers. Il n’est pas rare que l’entrepreneur, une fois le marché obtenu grâce à des paiements occultes, refuse de payer son intermédiaire en soulevant la nullité du contrat sur le fondement de la cause illicite 26.

22 Voir infra sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription. 23 On relèvera qu’un aménagement des pouvoirs du juge a déjà été esquissé dans certains

domaines. Par exemple en matière de concurrence déloyale l’action en cessation est expressément autorisée. En ce qui concerne la contrefaçon, le législateur est allé plus loin puisque les articles 335-6 et 335-7 du Code de la propriété intellectuelle prévoient une confiscation du matériel du contrefacteur ainsi que la “recette” tirée du délit, le tout devant être remis à la victime ou à ses ayants droits.

24 On remarquera à ce titre que dans les pays de Common Law une faute lucrative de nature contractuelle sera rarement sanctionnée par des dommages et intérêts punitifs, certains pays cantonnant cette sanction au seul terrain délictuel (domaine des “torts” en droit anglais).

25 C. Cass. Com, 27 novembre 1967, Bull. Civ. IV, n° 384. 26 COURT DE FONTMICHEL, supra note 8, 375, s.

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La faute lucrative “contractuelle” peut également se matérialiser au stade de la conclusion d’un contrat. Dans l’affaire de la “surréservation” (ou surbooking) de vols, reprochée à la compagnie aérienne SABENA 27, des passagers devaient se rendre à Libreville pour signer un contrat : les billets étaient payés et réservés. L’accès à l’embarquement leur a pourtant été refusé pour une raison à laquelle ils ne devaient pas s’attendre au départ : l’avion était complet.

Le problème de droit auquel se trouvaient confrontés les juges se posait en ces termes: le fait de prendre sciemment un risque d’inexécution d’une obligation contractuelle sans en avertir son cocontractant au moment de la signature du contrat, constitue-t-il un dol par réticence? – C’est ce qu’a considéré la Cour d’appel. Dans un attendu dépourvu de toute ambiguïté, elle a ainsi jugé que “(…), le choix d’une telle politique [la surréservation], en connaissance du risque qu’elle implique de ne pouvoir assurer l’embarquement de la totalité des passagers ayant réservé dans un vol déterminé, est constitutif d’un dol pour ceux des passagers à l’égard desquels le transporteur s’est mis dans l’impossibilité d’honorer ses obligations contractuelles”.

En bref, la compagnie aérienne SABENA n’était pas en mesure de fournir à ses clients ce à quoi elle s’était engagée sans les avoir avertis du risque pesant sur l’exécution de cette obligation. Les juges ont reconnu le dol et l’ont sanctionné, en octroyant des dommages et intérêts significatifs et en tenant compte notamment de la perte de chance de signer leur contrat à Libreville 28.

La réparation du préjudice causé par une faute lucrative contractuelle révèle deux problèmes juridiques particuliers.

En premier lieu, à l’instar des mécanismes de la responsabilité civile extracontractuelle, celle-ci a pour fonction première d’effacer l’appauvrissement causé. En effet, aux termes de l’article 1149 du Code civil, “les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé (…)”.

Les juges doivent prendre en compte, dans l’évaluation du préjudice, le gain manqué (lucrum cessans) ainsi que la perte subie (damnum emergens). Mais, en aucun cas, le profit réalisé par l’auteur du dommage, pas plus que la gravité de la faute, n’est un critère permettant d’augmenter la créance de dommages-intérêts. La Cour de cassation est d’ailleurs venue rappeler, par un arrêt du 3 décembre 2003, le lien nécessaire entre, d’une part, le préjudice et, d’autre part, la faute contractuelle 29.

27 CA Paris, 15 septembre 1992, D. 1993, Jurisprudence (p.) 98, note DELEBECQUE. 28 Cette pratique fréquente des compagnies aériennes a préoccupé le législateur européen. Voir

notamment le Règlement communautaire établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, n°261/2004, adopté le 11 février 2004. Ce texte prévoit la possibilité de remboursement des billets, la prise en charge du passager par la compagnie (frais d’hôtel, frais de bouche) et le droit à une indemnité forfaitaire indexée sur le nombre de kilomètres du voyage pour lequel les voyageurs sont – involontairement – défaillants.

29 C. Cass. 3ème Civ. 3 décembre 2003, Bull Civ II, n° 221.

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En deuxième lieu, il faut également tenir compte de l’article 1150 du Code civil, qui précise que “(l)e débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée”. En matière contractuelle, les parties peuvent – et ce sera souvent le cas en pratique – organiser conventionnellement les conséquences d’une inexécution contractuelle, notamment par des clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité ou par des clauses d’évaluation forfaitaire des dommages-intérêts comme les clauses pénales. Toutefois, la preuve d’une manœuvre dolosive ou d’une faute lourde – généralement constituée en présence d’une faute lucrative – permettra de paralyser l’effet de ces clauses. Il est en effet constant, depuis un arrêt de la Chambre des requêtes de 1932, que “ (…) la faute lourde, assimilable au dol empêche le contractant auquel elle est imputable de limiter la réparation du préjudice qu’il a causé aux dommages prévus ou prévisibles lors du contrat et de s’en affranchir par une clause de non responsabilité” 30.

Mais, quand bien même l’on réussirait à prouver cette faute lourde équipollente au dol, l’on se heurterait alors à l’article 1151 du Code civil, selon lequel “même en cas de dol commis par le débiteur, les dommages-intérêts ne doivent comprendre, à l’égard de la perte éprouvée par le créancier et des gains dont il a été privé, que ce qui est une suite directe de l’inexécution de la convention”.

Les mécanismes de la responsabilité civile, aussi bien au plan délictuel que contractuel, ne permettent, en l’état du droit positif, qu’une sanction imparfaite des fautes lucratives, tant leur mise en œuvre n’est pas satisfaisante. Mais ce ne sont pas là les seules sanctions que proposent le droit français: les sanctions pénales et la pratique de l’amende civile seront maintenant brièvement envisagées afin de faire honneur à leur tradition répressive et dissuasive.

b) La sanction des fautes lucratives par le droit pénal et par “l’amende civile”

L’objet de cette étude n’est pas de dresser une liste exhaustive de toutes les sanctions pénales qui peuvent être attachées à une faute lucrative, qui serait également constitutive d’une infraction pénale. Les domaines d’intervention du droit pénal sont si nombreux, qu’un tel exercice dépasserait de loin les compétences de l’auteur.

C’est au droit pénal que revient le rôle traditionnel de droit “punitif”. Tel est, sans aucun doute, le choix du législateur français 31. D’ailleurs, c’est à une véritable inflation législative que l’on a assisté ces dernières années, dans des domaines aussi variés que le droit de l’environnement ou la réglementation des produits.

30 Req. 24 octobre 1932, Recueil périodique Dalloz (DP) 1932 1, 176, note EP. Voir également et

plus près de nous Cass. Ass. Plén., 30 juin 1998, Bulletin des arrêts de la Cour de cassation : chambres civiles (Bull Civ ) n° 2.

31 Pour une critique de ce choix et les difficultés de mise en œuvre du droit pénal, voir tout particulièrement CARVAL, supra note 3, spéc. n° 262 et s.

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Ce qui en revanche est intéressant d’être souligné, c’est la manière dont le droit pénal tient compte des profits réalisés par l’auteur d’une infraction lucrative afin d’accroître la sanction.

En ce qui concerne le délit d’initié – délit qui consiste pour une personne à utiliser des informations boursières privilégiées ayant une coloration confidentielle et obtenues dans le cadre de son emploi, dans le but de réaliser un profit –, la peine prévue au plan pécuniaire est indexée sur le gain réalisé par l’auteur de l’infraction. En effet, aux termes de l’article L 465-1 du Code pénal, “est puni d’une peine d’emprisonnement et d’une amende de 1 500 000 euros dont le montant peut être porté au-delà de ce chiffre, jusqu’au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l’amende puisse être inférieure à ce même profit (…)”.

L’idée de cette peine est simple : le montant de l’amende à laquelle le fautif pourra être condamné, est calqué sur le profit qu’il a tiré de la commission de l’infraction et ne peut lui être inférieur. En outre, il n’y a aucun risque que le paiement par l’auteur de l’infraction enrichisse une victime, puisque ces sommes sont destinées au Trésor public.

Un autre exemple dans lequel la répression se greffe sur le caractère lucratif de l’infraction peut être trouvé dans la loi sur les nouvelles régulations économiques (loi NRE) du 15 mai 2001. Cette loi prévoit, en effet, qu’une amende civile 32 pouvant aller jusqu’à 2 000 000 euros peut être prononcée à l’encontre d’entreprises qui se seraient permis des pratiques restrictives de concurrence, cette stipulation étant aujourd’hui codifiée à l’article L 442-6 du Code de commerce 33. Il est intéressant de relever que, dans les travaux préparatoires, il est indiqué de manière expresse que le but recherché par le législateur est “d’éviter qu’une entreprise considère que mettre en œuvre une pratique restrictive de concurrence lui donnera toujours un avantage dans la concurrence, même si elle doit réparer le dommage causé aux concurrents” 34.

Ces comportements répréhensibles sont nécessairement enfermés et prévus par un texte qui se doit d’être particulièrement bien rédigé et extrêmement précis sur les éléments constitutifs de l’infraction reprochée (infraction pénale, ou “infraction civile”). Or, c’est justement ce manque de clarté qui peut être reproché à cette

32 L’amende civile est une sanction pécuniaire prévue par une loi civile et prononcée par une

juridiction civile en cas de violation de certaines règles juridiques limitativement énumérées. 33 Cet article dispose en ses deux premiers alinéas : “Engage la responsabilité de son auteur et

l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

1°) de pratiquer, à l’égard d’un partenaire économique, ou d’obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d’achat discriminatoires et non justifiées par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence (…)”.

34 Doc. A.N (Assemblée nationale) n° 2319, 35.

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législation sur les pratiques restrictives de concurrence. Le texte qui définit l’infraction reste obscur, ce qui est d’autant plus regrettable que la sanction en jeu est de taille 35.

A titre d’exemple, l’article L. 442-6.1 al 2 qui sanctionne le fait “d’obtenir ou de tenter d’obtenir d’un partenaire commercial un avantage quelconque ne corres-pondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu”, ne précise ni ce que l’on doit entendre par un avantage manifestement disproportionné, ni quelle est la méthode permettant de calculer la valeur du service rendu.

Si les sanctions pénales ou les “amendes civiles” permettent de dépasser le seul cadre de l’indemnisation de la victime, elles risquent toutefois de se heurter au principe de l’interprétation stricte. Il en résulte que les sanctions pénales infligées aux auteurs de comportements en fraude à la loi, dans un but lucratif, seront nécessairement limitées à certaines infractions et ne pourront s’étendre à d’autres comportements qui n’auront pas été prévus de manière expresse par le législateur. Certes, il pourrait y avoir une multiplication légale de cas prévus par la loi, mais en tout état de cause, leur vertu ne sera effective que pour l’avenir, ce qui réduit d’autant leur aspect préventif.

Les dommages-intérêts punitifs se proposent de réunir, dans un même outil, les vertus réparatrices de la responsabilité civile et le caractère répressif indispensable à la dissuasion. Ils présentent à cet égard des avantages certains, mais également quelques effets pervers, que l’on ne peut garder sous silence.

2. Avantages et inconvénients de l’octroi de dommages-intérêts punitifs

Les dommages-intérêts punitifs ont très certainement vocation à “moraliser” davantage la responsabilité civile dont la logique actuelle est avant tout indemnitaire. De plus, les dommages-intérêts punitifs pourraient avoir un rôle à jouer sur le terrain de la détection des pratiques illicites.

a) La moralisation de la responsabilité civile ?

La première vertu des dommages et intérêts punitifs est la dissuasion. Lorsqu’ils dépassent ou au moins équivalent au gain retiré illicitement par l’auteur d’une faute lucrative ils rehaussent alors la fonction normative de la responsabilité civile.

Pour reprendre la phrase du Professeur PERROT, cité par Monsieur SAINT ESTEBEN 36, lorsque des juges octroient de tels dommages et intérêts, particulièrement en matière de concurrence déloyale, “il s’agit de faire en sorte que le profit espéré par l’entreprise, quand elle met en œuvre une pratique anticoncurrentielle et qu’elle est éventuellement sanctionnée par la suite, ne l’emporte pas sur celui qu’elle pourrait obtenir en se comportant d’une manière concurrentielle (…)”. Dans le processus

35 M. BEHAR-TOUCHAIS : “L’amende civile est-elle un substitut satisfaisant à l’absence de dommages-intérêts punitifs ?”, Les Petites Affiches, 20 novembre 2002, n° 232, 36.

36 Colloque CERDAG du 21 mars 2002 supra note 2, intervention de M. SAINT ESTEBEN, “Pour ou contre les dommages et intérêts punitifs”.

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décisionnel conduisant à la faute, le chef d’entreprise analysera alors avec davantage de précaution le risque économique qu’il encourt. Comme l’a très justement écrit le Professeur CARVAL, “en condamnant le défendeur à la restitution des profits illicites, le tribunal lui signifie que la sanction civile n’est pas un élément dont on peut, lors d’une pesée préalable au passage à l’acte, deviner qu’elle n’effacera pas le caractère avantageux de la faute” 37.

On ne peut toutefois nier l’effet potentiellement pervers de ce type de sanction privée. L’allocation d’une somme élevée (ou tout au moins qui dépasse substantiel-lement le préjudice réel de la victime) peut avoir l’inconvénient majeur de conduire à l’enrichissement injustifié du demandeur. En effet, contrairement aux amendes qui peuvent être prononcées par le juge civil en vertu de la loi sur les “nouvelles régulations économiques” (NRE) 38 et qui sont perçues par le Trésor public, les dommages-intérêts punitifs sont versés à la victime du comportement fautif.

Cet enrichissement sera d’autant moins justifié lorsque la victime aura également participé à la faute. Une jurisprudence de la CJCE (arrêt Courage), relative à l’indemnisation d’une entreprise n’ayant participé que de manière accessoire à une entente illicite, laisse en tout cas la porte ouverte à de telles manœuvres, dans l’hypothèse où serait généralisée – voire légalisée – l’attribution de dommages et intérêts punitifs afin de sanctionner les accords anticoncurrentiels.

En effet, dans cette décision 39, la Cour a estimé qu’une partie à un contrat constituant une entente anticoncurrentielle, pouvait se prévaloir de l’illicéité de ce contrat pour en refuser l’exécution et demander l’allocation de dommages et intérêts lorsque le juge national n’avait pas établi que le demandeur avait une responsabilité significative dans la réalisation du contrat illicite. La Cour ne donnant pas de définition de ce qu’elle entend par “responsabilité significative”, une telle notion pourra sans doute prêter le flanc à des interprétations divergentes par les juges nationaux.

En tout état de cause, l’attribution de dommages et intérêts punitifs devrait être réservée uniquement à un demandeur qui subit un véritable préjudice et qui, en aucune manière, n’a participé de près comme de loin à sa réalisation. Il serait peut-être à craindre, dans le cas contraire, que certaines entreprises détournent l’attribution de ces dommages et intérêts de leur finalité et utilisent la condamnation d’un défendeur comme un moyen de s’enrichir ou d’obtenir un avantage concurrentiel sur le marché.

Des gardes fous sont donc nécessaires. Le premier serait d’élargir le champ d’application de la règle nemo auditur propriam turpitudinem allegans. Cette règle empêche l’auteur d’une immoralité de demander, à la suite de l’annulation du contrat, la restitution des sommes par lui versées. Ce principe est aujourd’hui cantonné en droit français à un rôle relativement subsidiaire. La règle nemo auditur est généralement utilisée en présence d’une nullité découlant non d’une illicéité

37 CARVAL, supra note 3, n°68. 38 Voir supra note 33. 39 CJCE, Courage Ldt / Crehan, 20 septembre 2001, Affaire C-453/99, Recueil 2001, 6297.

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mais d’une immoralité manifeste et a pour effet de paralyser les restitutions subséquentes à l’annulation du contrat. Elle devrait également pouvoir s’appliquer en présence d’une illicéité et devrait aussi permettre de paralyser les demandes de dommages-intérêts.

D’ailleurs, et c’est peut-être là un enseignement de la jurisprudence de la CJCE précitée, l’arrêt Courage invite implicitement les Etats membres à faire fonctionner cette règle de paralysie en présence d’une partie qui a eu une responsabilité significative dans la distorsion de concurrence, c’est-à-dire en présence d’une simple illicéité et non d’une immoralité.

La Cour indique en effet que “ le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que le droit national refuse à une partie, dont il est constaté qu’elle porte une responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence, le droit d’obtenir des dommages-intérêts de son cocontractant. En effet, conformément à un principe reconnu dans la plupart des systèmes juridiques des Etats membres et dont la Cour a déjà fait application, un justiciable ne saurait profiter de son propre comportement illicite, lorsque celui-ci est avéré”.

Il existe d’ailleurs en droit interne des précédents notables de cet élargissement du champ d’application matériel de la règle nemo auditur au-delà de stricte immoralité. La motivation de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 30 septembre 1993 dans l’affaire Westman est à cet égard exemplaire 40. Pour la Cour, “sur le plan du droit civil, les contrats tendant à la corruption ou au trafic d’influence sont annulés pour immoralité ou illicéité de la cause ou de l’objet (art. 1133 C.civ), et (…) donnent lieu à l’application de l’adage nemo auditur, (…) l’application de l’adage précité vise à faire obstacle à l’exécution d’un contrat immoral ou illicite en ôtant toute sécurité à la partie qui l’a exécuté la première“.

Le second garde fou serait de coupler les dommages-intérêts punitifs avec l’introduction, en droit interne, de l’obligation de minimiser son préjudice. Certains auteurs plaident 41 d’ailleurs pour l’introduction parallèle aux dommages et intérêts punitifs du “duty to mitigate” 42. L’idée étant ici, non plus de “responsabiliser” l’auteur de l’acte fautif mais de “responsabiliser” la victime. La violation de l’obligation, pour la victime, de modérer son dommage, se traduirait par la mise en œuvre d’une responsabilité autonome, engagée à raison du dommage causé au responsable et consistant pour celui-ci à être tenu d’une réparation qui aurait pu être limitée.

40 CA Paris, 30/09/1993, Rev. Arb. (1994), note BUREAU. 41 Notamment G. VINEY, Colloque du CERDAG supra note 2, intervention conclusive. 42 V. PERRUCHOT-TRIBOULET, in Regards croisés sur les principes du droit européen du contrat et sur

le droit français, C. Prieto (Ed), PUAM 2003, 530, qui décrit la force de séduction de l’obligation de minimiser son préjudice connue des système de Common Law et qui relève que ce devoir de minimiser son préjudice est “admis dans certains pays de droit romanistes, comme la Belgique, l’Allemagne, l’Italie et la Grèce et dans le nouveau Code civil du Québec, et il est d’usage courant dans le droit du commerce international. D’ailleurs les arbitres l’appliquent depuis longtemps dans leurs sentences, les codifications lui font un très bon accueil (article 7.48 des Principes UNIDROIT et article 9:505 des Principes du droit européen du contrat)”.

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Au-delà de la moralisation de la responsabilité civile, les dommages-intérêts punitifs peuvent également avoir une certaine vertu en ce que leur insertion en droit français pourrait aider à détecter, en amont, des comportements illicites.

b) La détection de l’illicite

L’allocation de sommes “généreuses” à la victime d’une pratique illicite incite cette dernière à dénoncer le fautif. En l’état actuel, peu d’entreprises osent dénoncer certains partenaires, estimant que les sommes pouvant éventuellement être obtenues à titre de dommages-intérêts sont trop faibles par rapport au manque à gagner qui résulterait de la rupture des relations commerciales avec le partenaire fautif. Ceci est particulièrement vrai lorsqu’une entreprise est en état de dépendance économique vis-à-vis d’une autre.

Le but louable est de faire en sorte que les victimes ne soient pas exclues de la réparation de leur préjudice pour des raisons, là encore, économiques, mais il ne faudrait pas qu’en luttant contre les fautes lucratives, les dommages et intérêts punitifs incitent des victimes à le devenir et à intenter des procès, à leur tour lucratifs.

On le perçoit, si la condamnation à des dommages et intérêts punitifs se révèle être une sanction appropriée face à des fautes commises dans un but lucratif puisqu’elle permet d’effacer le profit réalisé et de sanctionner l’auteur d’un comporte-ment répréhensible, elle peut se heurter en droit français à quelques critiques.

La question qu’il est alors permis de se poser, à l’heure où le législateur envisage d’introduire ce mécanisme dans notre droit 43, est dans quelle mesure, à quelles conditions et après quels éventuels aménagements cette sanction serait appropriable.

II. – LES DOMMAGES-INTERETS PUNITIFS : UNE SANCTION APPROPRIABLE ?

Il n’existe selon nous aucun obstacle de droit interne à l’introduction des dommages-intérêts punitifs en France. En outre, ni le droit international privé européen ni le droit international privé conventionnel ne semblent condamner cette pratique.

1. Le droit interne

Aucun principe constitutionnel ne constitue un obstacle dirimant à l’introduction de dommages-intérêts punitifs en droit français, aussi, l’intégration de dommages-intérêts punitifs en droit français est aujourd’hui une possibilité.

a) Les principes constitutionnels

Il convient à titre liminaire de souligner que ni la Constitution du 4 octobre 1958, non plus que la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, ne contiennent des dispositions réservant au seul juge répressif le pouvoir d’infliger des peines. En d’autres termes, le juge pénal n’a pas le monopole de la sanction. Le

43 Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, présenté à M. le

Garde des Sceaux le 22 septembre 2005, voir infra.

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Conseil constitutionnel lui-même a estimé que des sanctions ayant un caractère de punition pouvaient être prononcées par une autorité extrajudiciaire et même par une autorité extra juridictionnelle 44.

Il est en revanche permis de s’interroger sur la compatibilité de l’insertion des dommages-intérêts punitifs dans le droit français avec certains principes découlant de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui appartient au bloc de constitutionnalité.

L’article 8 de la Déclaration relatif à “toute sanction ayant le caractère d’une punition” prévoit que “la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée”. Il est admis que, de cette disposition, découlent deux principes fondamentaux : le principe de légalité des délits et des peines et le principe de proportionnalité.

Le principe de légalité impose qu’un tribunal ne peut prononcer une sanction “punitive” à l’encontre d’un individu que si une loi, promulguée avant le fait, l’a expressément prévu. Ce principe imposerait-il au législateur de dresser une liste des fautes lucratives pour lesquelles l’octroi de dommages-intérêts punitifs, peine privée, serait permis ? – Une réponse négative paraît devoir s’imposer.

En théorie, on remarquera, qu’hormis en matière pénale, domaine dans lequel les libertés individuelles sont directement en jeu, le Conseil constitutionnel adopte une interprétation souple du principe de légalité. En matière administrative par exemple, le principe de légalité se trouve satisfait “(…), par la référence aux obligations auxquelles le titulaire d’une autorisation administrative est soumis en vertu des lois et règlements” 45.

En pratique, le principe même d’une liste de fautes lucratives inscrite dans un texte de loi ne pourrait tenir compte, ni de l’imagination toujours plus féconde des fautifs, ni de la situation conjoncturelle dans laquelle la faute lucrative s’inscrit. En effet, un même agissement délictuel, par exemple la contrefaçon, peut être générateur d’un profit considérable pour le contrevenant, comme ne pas l’être, en fonction d’éléments notamment micro-économiques qui échappent en grande partie à toute qualification juridique générale.

Le principe de proportionnalité, pour sa part, met à la charge du législateur le devoir de n’édicter que des peines “strictement nécessaires”. On remarquera immédiatement que ce principe vise “des peines” c’est-à-dire des sanctions qui par essence ont une fonction punitive. Cette précision nous semble importante, car le principe de proportionnalité ne peut ainsi être opposé au principe même de la

44 Cons. const. n° 82-155 DC, 30 déc. 1982, Recueil, 88 ; Cons. const. n° 88-248 DC, 17 janv. 1989,

Rec. 18, relative au Conseil supérieur de l’audiovisuel qui indique que “la loi peut, sans qu’il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, doter l’autorité administrative indépendante chargée de garantir l’exercice de la communication audiovisuelle de pouvoirs de sanctions dans la limite nécessaire à l’accomplissement de sa mission”.

45 Cons. const. n° 88-248 DC, 17 janv. 1989, Rec. 18, considérant n° 37.

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punition, ni être assimilé à une consécration constitutionnelle des seuls dommages-intérêts compensatoires.

Ce à quoi ce texte constitutionnel oblige, c’est de rendre proportionnelle la peine au manquement constaté. En revanche, il n’impose pas de ne réparer qu’à hauteur du préjudice causé par l’acte fautif. Aussi, pour ce qui est des peines privées connues du droit français telles que la clause pénale ou l’astreinte, le principe de proportionnalité, dans son prolongement civiliste, permet au juge de lutter contre les excès manifestes (article 1152 Code civil relatif aux clauses pénales) ou de tenir compte des difficultés liées à la situation patrimoniale du débiteur au moment de la liquidation de l’astreinte (article 36 de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991).

b) L’avant-projet de réforme du droit des obligations

Fort de l’absence d’incompatibilité des dommages-intérêts punitifs avec les principes supra-législatifs énoncés plus haut, et consciente de l’importance qu’il y a de rehausser la fonction normative de la responsabilité civile en droit français, la Chancellerie réfléchit aujourd’hui à l’insertion éventuelle de ce type de sanctions dans le Code civil.

Ainsi, un “avant-projet de réforme du droit des obligations (articles 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (article 2234 à 2281 du code civil)” a été présenté au Garde des Sceaux (Ministre de la Justice), le 22 septembre 2005. L’exposé des motifs de cet avant-projet de réforme, sous le sous-titre III “de la responsabilité civile” nous renseigne sur les fonctions assignées à la responsabilité par les auteurs du projet.

Selon le Professeur VINEY “[si] les textes proposés accordent la première place à la réparation, conformément au droit actuel”, une nouvelle disposition, l’article 1372 “ouvre prudemment la voie à l’octroi de dommages-intérêts punitifs. Elle soumet le prononcé de cette sanction à la preuve d’une ‘faute délibérée, notamment d’une faute lucrative’, c’est-à-dire d’une faute dont les conséquences profitables pour son auteur ne seraient pas neutralisées par une simple réparation des dommages causés. Elle exige également une motivation spéciale et impose au juge de distinguer les dommages-intérêts punitifs des dommages-intérêts compensatoires” 46.

La proposition d’article 1371 prévoit que : ” L’auteur d’une faute manifestement délibérée, et notamment d’une faute lucrative, peut-être condamné, outre les dommages-intérêts compensatoires, à des dommages-intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor public. La décision du juge d’octroyer de tels dommages-intérêts doit être spécialement motivée et leur montant distingué de celui des autres dommages-intérêts accordés à la victime. Les dommages-intérêts punitifs ne sont pas assurables”.

46 Avant projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, Rapport à

Monsieur Pascal Clément, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, 25 septembre 2005, 148 (accessible sur le site Internet du Ministère de la Justice français : <http://www.justice.gouv.fr/publicat/rapport/ rapportcatalaseptembre2005.pdf)>.

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On remarquera dans cet avant-projet le rôle central confié au juge dans la qualification de la faute lucrative, dans le calcul des dommages-intérêts, ainsi que la ventilation possible de ceux-ci, à la discrétion du juge, entre la victime de la faute et le Trésor public.

Hormis cette dernière possibilité, il est permis de se demander si la rédaction de cette nouvelle disposition ne se limite pas en réalité à insérer dans le droit français un nouveau type de faute, dont les contours sont déjà connus par la pratique, afin de donner un support textuel à l’évolution jurisprudentielle existante.

Ces dommages-intérêts punitifs “à la française” se départiraient ainsi de leurs cousins américains, dont les sommes peuvent être fixées à l’avance dans le corps même de la règle (voir notamment la pratique des treble damages), et mettraient le juge au cœur du dispositif.

Nul doute que, dans l’hypothèse où l’article 1371 du Code civil deviendrait un jour règle de droit positif, une longue pratique judiciaire serait alors nécessaire pour trouver un juste équilibre entre ces nouveaux pouvoirs prétoriens et le principe de proportionnalité cité plus haut.

2. Le droit international privé européen et international

Une négociation en cours au sein du Conseil “Justice et Affaires intérieures” cristallise à elle seule la position du législateur communautaire face aux dommages-intérêts punitifs. Il s’agit de la négociation de la proposition de règlement “Rome II” sur la loi applicable aux obligations non contractuelles. On peut également utilement se tourner vers les travaux de la Conférence de La Haye de droit international privé, afin d’apprécier la réaction des Etats face aux dommages-intérêts punitifs.

a) La proposition de règlement “Rome II”

Certains Etats membres ont une position radicalement hostile aux dommages-intérêts punitifs. C’est notamment le cas de l’Allemagne et, jusqu’à une époque récente, de la France. D’autres Etats membres connaissent ce type de sanction, notamment le Royaume-Uni. Ces différentes conceptions nationales se sont confrontées lors de la négociation de la proposition de règlement sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (proposition de règlement Rome II).

L’objectif de cet instrument est l’élaboration de règles de conflit de lois communes à tous les Etats membres en matière extracontractuelle. Il s’agit donc d’un instrument qui permet potentiellement la désignation d’un droit étranger (même d’un Etat tiers à l’Union) afin de définir les conditions ainsi que les modalités de la réparation d’un délit transfrontière (que cela soit en matière environnementale, en matière d’atteinte aux droits de la personnalité, ou bien encore en cas d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle).

La question, connue en droit international privé, peut être résumée comme suit : si la loi applicable à la réparation du préjudice autorise le prononcé de dommages-

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intérêts punitifs, le juge saisi (par hypothèse le juge d’un Etat membre) peut-il appliquer cette loi ou, à l’inverse peut-il ou doit-il l’écarter en considérant que son application serait contraire à son ordre public au sens du droit international privé ?

Certains Etats, notamment l’Allemagne, étaient favorables à la deuxième branche de l’alternative et ont vigoureusement plaidé pour que le projet de texte contienne une disposition spécifique, qualifiant les dommages-intérêts punitifs de contraires à l’ordre public communautaire (article 24) 47.

Cette solution a finalement été abandonnée. Pour des raisons politiques d’abord. En effet, un consensus n’a pu se dégager sur l’opportunité d’une telle condamnation, à l’échelle européenne, des dommages-intérêts punitifs. Pour des raisons juridiques ensuite. En premier lieu, admettre que la communauté dresse une liste de ce qu’elle entend comme ressortissant de l’ordre public en matière de réparation du préjudice, c’est déjà lui reconnaître une compétence législative sur le terrain du droit matériel. En deuxième lieu, et c’est sans doute là un point décisif, le mécanisme de l’ordre public (qu’il soit interne ou communautaire), dans sa fonction d’éviction de la loi étrangère normalement compétente est une notion par essence évolutive et allergique à toute cristallisation textuelle.

Après avis du Parlement européen, la condamnation radicale des dommages et intérêts punitifs via la notion d’ordre public communautaire a été laissée en chemin. C’est par le biais du mécanisme de l’ordre public du juge saisi que l’application d’une loi d’un Etat tiers autorisant le prononcé de dommages et intérêts punitifs pourra être écartée, le Parlement européen précisant par ailleurs que l’interprétation de l’ordre public doit rester du ressort des Etats membres 48.

On ne manquera pas, enfin, de souligner la position ambiguë du législateur européen face aux dommages-intérêts punitifs. Alors que dans la proposition de règlement Rome II, il a été question, un temps, de qualifier les dommages et intérêts non strictement compensatoires d’incompatibles avec l’ordre public communautaire, la proposition de directive relative aux respects des droits de propriété intellectuelle prévoyait, au même moment, en son article 17§1 que la partie lésée par le contrefacteur pouvait se voir octroyer “(…) des dommages-intérêts fixés au double du montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrevenant avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit de propriété intellectuelle en question”. Cette première rédaction a par la suite été abandonnée 49.

47 L’article 24 du projet (dommages et intérêts non compensatoires) disposait : “L’application d’une

disposition de la loi désignée par le présent règlement qui conduirait à l’allocation de dommages et intérêts non compensatoires, tels que les dommages et intérêts exemplaires ou punitifs, est contraire à l’ordre public communautaire”, COM (2003) 427 Final, 22/07/2003.

48 Parlement européen, avis du 23 janvier 2004 (2003/168 COD). 49 Directive n° 2004-48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle,

JOCE 30 avril 2004, n° L 157, 45.

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b) Le droit international privé conventionnel : l’exemple des travaux de la Conférence de La Haye de droit international privé

Le 30 juin 2005 a été signée à La Haye la Convention sur les accords d’élection de for 50. Le chapitre III de cet instrument porte notamment sur la reconnaissance et l’exécution d’un jugement rendu par un Etat contractant désigné dans un accord exclusif d’élection de for.

La question de la reconnaissance et de l’exécution des jugements prononçant des dommages-intérêts punitifs a été débattue lors de ces travaux. Le résultat de ces discussions figure à l’article 11 de la dite Convention :

“Article 11 – Dommages et intérêts 1. La reconnaissance ou l’exécution d’un jugement peut être refusée si, et dans la mesure où, le jugement accorde des dommages et intérêts, y compris des dommages et intérêts exemplaires ou punitifs, qui ne compensent pas une partie pour la perte ou le préjudice réels subis. 2. Le tribunal requis prend en considération si, et dans quelle mesure, le montant accordé à titre de dommages et intérêts par le tribunal d’origine est destiné à couvrir les frais et dépens du procès.”

On le voit, une lecture stricte de cette disposition n’interdit pas, bien au contraire, de reconnaître et/ou d’exécuter un jugement prononçant une condamnation à des dommages-intérêts punitifs.

Non seulement le refus de reconnaissance ou d’exécution est toujours une liberté pour le juge de l’Etat requis, mais, de plus, si celui-ci décide de ne pas reconnaître ou de ne pas rendre exécutoire sur son territoire le jugement de l’Etat du tribunal d’origine, ce n’est que dans la mesure où ce jugement accorde des dommages et intérêts (y compris des dommages punitifs) qui ne compensent pas une partie pour la perte ou le préjudice réel subis. Ainsi, des dommages-intérêts punitifs qui accorderaient une compensation supérieure au préjudice réel, ne justifieraient donc pas un refus de reconnaissance ou d’exécution 51.

REMARQUES CONCLUSIVES

Cet état des lieux ne peut être sans conséquence sur le terrain de la reconnaissance et de l’exécution en France des jugements étrangers ou des sentences arbitrales accordant des dommages et intérêts punitifs.

Au regard de ces évolutions, peut-on encore prétendre que la condamnation à des dommages punitifs prononcée par un juge étatique qui connaîtrait ce type de

50 Texte consultable en ligne sur le site de la Conférence de La Haye à l’adresse suivante :

<www.hcch.net> et reproduit dans la présente Revue p. 871. il convient de préciser que cette convention internationale n’est pas en vigueur.

51 Sauf recours à l’article 9 e), c’est-à-dire en cas d’incompatibilité manifeste avec l’ordre public de l’Etat requis, ce qui ne manquera sans doute pas de poser de délicats problèmes de frontières entre ces deux dispositions.

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sanctions ou bien par un arbitre du commerce international serait contraire à l’ordre public international français ?

L’hypothèse envisagée est celle d’une sentence “étrangère” ou d’un jugement étatique condamnant une partie à des dommages punitifs dont l’exécution est recherchée en France.

En droit français, la question de la reconnaissance et de l’exécution des sentences arbitrales sur le territoire est en grande partie soumise au droit international conventionnel et, en particulier, aux dispositions pertinentes de la Convention de New York de 1958.

Au titre de l’article V(2)(b) de cet instrument, un tribunal peut refuser la reconnaissance et l’exécution sur son territoire d’une sentence arbitrale qui serait contraire à son ordre public. Les juridictions françaises ont interprété l’exception d’ordre public (inséré à l’article 1502-5 NCPC) comme faisant référence à l’ordre public international français.

Le respect de l’ordre public international du for est également une condition de la régularité d’un jugement étranger en droit international privé général. Il en est ainsi en droit international privé français, selon une jurisprudence toujours d’actualité de la Cour de Cassation de 1964 52.

En ce qui concerne la reconnaissance et l’exécution des jugements à l’intérieur de l’espace judiciaire européen, tant la Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale 53 que le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22/12/2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, légitiment le refus de reconnaissance et d’exécution d’un jugement rendu par le tribunal d’un Etat membre par sa contrariété manifeste à l’ordre public de l’Etat requis 54.

Que l’on soit en présence d’un jugement étranger ou d’une sentence arbitrale, il s’agit, dans les deux cas, de contrôler l’intégration de ce jugement ou de cette sentence, dans l’ordre juridique du for et l’ordre public international dont il est question ne peut être que l’ordre public international du for 55.

52 Cour de cassation, 07/01/1964, Revue critique de droit international privé, 1964, p.344, note

BATIFFOL, Journal de droit internationa., 1964, 302, note GOLDMAN, JurisClasseur Périodique, 1964, II. 13590, note B. ANCEL, Grands arrêts D.I.P. n°42.

53 Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968), J.O.C.E, 28/07/1990, N° C 189/2. 54 J.O.C.E L 12, 16/01/2001, 1. Ce règlement est entré en vigueur le 1er mars 2002 entre tous les États

membres de l’Union européenne à l’exception du Danemark. 55 Certains auteurs ont suggéré que le texte de l’article 1502-5 renvoyait à un "ordre public

réellement international", c’est-à-dire un ordre public qui aurait une véritable source internationale et dégagée de la comparaison des exigences fondamentales de divers droits étatiques et du droit international public (L. MATRAY : “Arbitrage et ordre public transnational”, Etudes Sanders, 241, s ; J.-H. MOITRY : “Arbitrage international et droit de la concurrence, vers un ordre public de la lex mercatoria”, Revue de l’Arbitrage (1989), 3). Ainsi pour J.-B. RACINE, “la notion d’ordre public réellement international doit (...) être préférée car elle met l’accent sur la nécessité de soumettre la sentence internationale à un contrôle fondé sur des conceptions elles-mêmes internationales” (J.-B. RACINE, L’arbitrage commercial international et l’ordre public, Paris LGDJ (1999),

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Cet ordre public international se définit traditionnellement comme les “ (…) principes de justice universelle considérés dans l’opinion française comme doués de valeur internationale absolue” 56.

L’ordre public international étant donc par essence évolutif afin d’être toujours en adéquation avec la réalité sociale, juridique et politique, son contenu tiendra nécessairement compte des constats et évolutions décrits plus haut.

En premier lieu, on a vu que la responsabilité civile était historiquement attachée à l’idée de sanction. On en trouve d’ailleurs des traces dans la jurisprudence française relative à la réparation et à la sanction des comportements anticoncurrentiels. En deuxième lieu, le système juridique français connaît des dommages-intérêts qui ont très certainement une vocation coercitive : il s’agit du mécanisme de l’astreinte ou de celui de la clause pénale 57. En troisième lieu, la loi sur les nouvelles régulations économiques admet sans aucun doute qu’un juge civil puisse condamner l’auteur de certains comportements anti-concurrentiels à des amendes civiles afin de punir l’auteur de la faute. L’article L 442-6 II de cette loi sanctionne certains comportements commerciaux déloyaux comme, par exemple, l’abus de dépendance, la rupture brutale des relations d’affaires ou l’insertion de clause abusive. En quatrième lieu, le Conseil constitutionnel lui-même a estimé que des sanctions ayant un caractère de punition pouvaient être prononcées par une autorité extrajudiciaire et même par une autorité non juridictionnelle. En cinquième lieu un projet de réforme du Code civil envisage expressément l’introduction de ce type de sanction dans notre droit. En sixième lieu, aucun texte de droit international privé européen ou international ne condamne le principe même des dommages et intérêts punitifs …

Aujourd’hui, il ne semble donc pas que le principe même de la punition, ni le fait que cette sanction soit prononcée par un juge civil ou même par une personne privée, puissent rendre les dommages-intérêts punitifs contraires à l’ordre public international français.

Toutefois, comme le relève M. ORTSCHEIDT, raisonnant en matière d’arbitrage international, “(…), ces constatations n’excluent pas que dans certains cas, l’allocation

477). Nous ne partageons pas cet avis. La finalité du contrôle est de savoir s’il convient de reconnaître l’efficacité d’une sentence dans l’ordre juridique français, de la même manière que s’il s’agissait d’un jugement étranger. Comme le souligne Mme IDOT, “(...) la mission (du juge étatique) est de contrôler la sentence pour vérifier que son intégration dans un ordre juridique interne est possible et tolérable. Il est logique que ce contrôle soit effectué par rapport à cet ordre juridique. L’ordre public international visé par l’article 1502-5 NCPC ne peut être que l’ordre public international tel qu’il est conçu en France” Cette conception fait écho à celle de la Convention de New York de 1958 qui fait d’ailleurs référence à l’ordre public international de l’Etat d’accueil de la sentence arbitrale (art. (2(b)) (L. IDOT, note sous Cour de cassation (1ère Civ.), 15/03/1988, Revue de l’arbitrage (1990), 115). En ce sens également, voir Ph. FOUCHARD / E. GAILLARD / B. GOLDMAN, Traité de l’arbitrage comercial international Litec Paris (1996), n° 1648.

56 Cour de cassation (Ch. civ.) 25/05/1948, R.C.D.I.P., 1949, 89, note BATIFFOL, S. 1949, 1 21, note NIBOYET, J.C.P. 1948, II. 4532, note VASSEUR, Grands arrêts D.I.P. n°19.

57 La jurisprudence française admet d’ailleurs que l’arbitre puisse prononcer des condamnations au paiement d’astreintes. Voir par exemple, Cour d’appel de Paris, 10/03/1995, Revue de l’arbitrage (1996), 143, obs. DERAINS.

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de dommages-intérêts multiples ou punitifs par l’arbitre heurte l’ordre public international français” 58. Ce sera le cas chaque fois que le montant alloué est excessif et disproportionné par rapport à la gravité de la faute, c’est-à-dire in fine, lorsque le principe constitutionnel de proportionnalité sera violé. Une telle remarque vaut également pour un jugement étranger.

A notre avis, seul le caractère manifestement excessif de la condamnation devrait entraîner une réaction du juge français de l’exequatur. Mais, même dans ces cas là, rien ne devrait selon nous empêcher le juge de reconnaître ou de rendre exécutoire le jugement étranger ou la sentence arbitrale internationale, en réduisant, s’il l’estime nécessaire, les sommes allouées à titre de dommages-intérêts.

Reconnaître ce pouvoir de réduction des sommes allouées au juge de l’Etat requis, serait sans doute un instrument d’intégration équilibrée et respectueux des jugements étrangers et des sentences arbitrales internationales dans notre ordre juridique, pour autant que cette prérogative puisse s’articuler convenablement avec l’interdiction de réviser au fond les sentences arbitrales ainsi que jugements étrangers.

PUNITIVE DAMAGES FOR “FAUTES LUCRATIVES” AND FRENCH LAW (Abstract) Alexandre COURT DE FONTMICHEL, Doctor of Law; Barrister (Darrois Villey Maillot Brochier – Paris); Lecturer at Université Panthéon-Assas (France).

A “faute lucrative” (fault committed for personal gain) is an act done with intent to cause damage and with knowledge that damage will probably result, and the reckless acceptance of such risk for monetary benefit. Punitive damages, in that they take account of the degree of fault in setting damages, are regarded by many as an appropriate legal tool to penalise this type of misconduct.

This article sets out, first, to analyse the salient characteristics of this type of sanction, which has its roots in the Common Law tradition, and to compare it with the traditional damage-award mechanisms and sanctions for “faute lucrative” in French law. One thing is certain: French law, with its traditional civil law mechanisms and its application in tort law, offers at best an imperfect response when it comes to penalising “faute lucrative”. Yet the need to “punish” the offender, over and above the full coverage of the damage suffered by the victim, makes itself felt both in theory and in practice. The author explores the response given by French jurisprudence in both contract and tort cases, and offers a brief overview of the legal solutions that have emerged so far, for example the Loi sur les nouvelles régulations économiques of 15 May 2001. To award punitive damages might help to “raise the moral tone” in matters of civil liability, and this is no doubt why a preliminary draft Act to reform the law of obligations and limitation of action, which proposes to add punitive damages to the array of sanctions that already exist in French law, was submitted to the French Justice Minister in 2005.

Second, the author seeks to establish whether the French legal system can bring punitive damages into play with respect to domestic constitutional principles and to certain European

58 J. ORTSCHEIDT, La réparation du dommage dans l’arbitrage commercial international, Dalloz, Paris

(2001), n° 678.

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private international law and private international treaty law instruments For example, the question arises of whether punitive damages square with the constitutional principles of legality and proportionality of sanctions. However, leaving the criminal justice aspect aside, a flexible interpretation of these principles by the Constitutional Council would, in the author’s view, show that there is in fact no incompatibility. The author also examines the “neutral” stand on punitive damages taken by Community law and private international treaty law, in particular in light of the current work on a draft regulation on the law applicable to non-contractual obligations (Rome II) or the text of the final act of the Convention on Choice of Court Agreements signed at The Hague on 30 June 2005.