La Rochefoucauld - Maximes Et Réflexions Diverses

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    2001, mozambookIllustration de couverture : Portrait de La Rochefoucauld (dtail dun mdaillon), gravure du XVIIe sicle.

  • MAXIMES ET RFLEXIONS DIVERSES

  • TABLE DES MATIRES

    RFLEXIONS OU SENTENCES ET MAXIMES MORALESRflexions morales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8Maximes supprimes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77Maximes cartes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90

    RFLEXIONS DIVERSESI. Du vrai . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101II. De la socit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103III. De lair et des manires . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106IV. De la conversation . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108V. De la confiance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110VI. De lamour et de la mer . . . . . . . . . . . . . . . . . 112VII. Des exemples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113VIII. De lincertitude de la jalousie . . . . . . . . . . . . 114IX. De lamour et de la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . 114X. Des gots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116XI. Du rapport des hommes avec les animaux . . . . . . . . 118XII. De lorigine des maladies . . . . . . . . . . . . . . 120XIII. Du faux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121XIV. Des modles de la nature et de la fortune . . . . . . . . . 123XV. Des coquettes et des vieillards . . . . . . . . . . . . . 127XVI. De la diffrence des esprits . . . . . . . . . . . . . . 129XVII. De linconstance . . . . . . . . . . . . . . . 132XVIII. De la retraite . . . . . . . . . . . . . . . . 134XIX. Des vnements de ce sicle . . . . . . . . . . . . . 135

    Appendice aux Rflexions diverses1. Portrait de Mme de Montespan . . . . . . . . . . . . . 1482. Portrait du cardinal de Retz . . . . . . . . . . . . . . 1493. Remarques sur les commencements de la vie du cardinal de Richelieu 1504. Le comte dHarcourt . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152

    Portrait de La Rochefoucauld par lui-mme . . . . . . . . . . 153

  • RFLEXIONS OU SENTENCES ET MAXIMES MORALES

  • RFLEXIONS MORALES

    Nos vertus ne sont, le plus souvent,

    que des vices dguiss.

    1Ce que nous prenons pour des vertus nest souvent quun

    assemblage de diverses actions et de divers intrts, que la fortune ou notre industrie savent arranger ; et ce nest pas toujours par valeur et par chastet que les hommes sont vaillants, et que les femmes sont chastes.

    2Lamour-propre est le plus grand de tous les flatteurs.

    3Quelque dcouverte que lon ait faite dans le pays de lamour-

    propre, il y reste encore bien des terres inconnues.

    4Lamour-propre est plus habile que le plus habile homme du

    monde.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 9

    5La dure de nos passions ne dpend pas plus de nous que la

    dure de notre vie.

    6La passion fait souvent un fou du plus habile homme, et rend

    souvent les plus sots habiles.

    7Ces grandes et clatantes actions qui blouissent les yeux sont

    reprsentes par les politiques comme les effets des grands des-seins, au lieu que ce sont dordinaire les effets de lhumeur et des passions. Ainsi la guerre dAuguste et dAntoine, quon rapporte lambition quils avaient de se rendre matres du monde, ntait peut-tre quun effet de jalousie.

    8Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours.

    Elles sont comme un art de la nature dont les rgles sont infailli-bles ; et lhomme le plus simple qui a de la passion persuade mieux que le plus loquent qui nen a point.

    9Les passions ont une injustice et un propre intrt qui fait quil

    est dangereux de les suivre, et quon sen doit dfier lors mme quelles paraissent les plus raisonnables.

    10Il y a dans le cur humain une gnration perptuelle de pas-

    sions, en sorte que la ruine de lune est presque toujours ltablis-sement dune autre.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S10

    11Les passions en engendrent souvent qui leur sont contraires.

    Lavarice produit quelquefois la prodigalit, et la prodigalit lava-rice ; on est souvent ferme par faiblesse, et audacieux par timidit.

    12Quelque soin que lon prenne de couvrir ses passions par des

    apparences de pit et dhonneur, elles paraissent toujours au tra-vers de ces voiles.

    13Notre amour-propre souffre plus impatiemment la condamna-

    tion de nos gots que de nos opinions.

    14Les hommes ne sont pas seulement sujets perdre le souvenir

    des bienfaits et des injures ; ils hassent mme ceux qui les ont obli-gs, et cessent de har ceux qui leur ont fait des outrages. Lappli-cation rcompenser le bien, et se venger du mal, leur parat une servitude laquelle ils ont peine de se soumettre.

    15La clmence des princes nest souvent quune politique pour

    gagner laffection des peuples.

    16Cette clmence dont on fait une vertu se pratique tantt par

    vanit, quelquefois par paresse, souvent par crainte, et presque tou-jours par tous les trois ensemble.

    17La modration des personnes heureuses vient du calme que la

    bonne fortune donne leur humeur.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 11

    18La modration est une crainte de tomber dans lenvie et dans le

    mpris que mritent ceux qui senivrent de leur bonheur ; cest une vaine ostentation de la force de notre esprit ; et enfin la modration des hommes dans leur plus haute lvation est un dsir de paratre plus grands que leur fortune.

    19Nous avons tous assez de force pour supporter les maux

    dautrui.

    20La constance des sages nest que lart de renfermer leur agita-

    tion dans le cur.

    21Ceux quon condamne au supplice affectent quelquefois une

    constance et un mpris de la mort qui nest en effet que la crainte de lenvisager. De sorte quon peut dire que cette constance et ce mpris sont leur esprit ce que le bandeau est leurs yeux.

    22La philosophie triomphe aisment des maux passs et des maux

    venir. Mais les maux prsents triomphent delle.

    23Peu de gens connaissent la mort. On ne la souffre pas ordinai-

    rement par rsolution, mais par stupidit et par coutume ; et la plupart des hommes meurent parce quon ne peut sempcher de mourir.

    24Lorsque les grands hommes se laissent abattre par la longueur

    de leurs infortunes, ils font voir quils ne les soutenaient que par

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S12

    la force de leur ambition, et non par celle de leur me, et qu une grande vanit prs les hros sont faits comme les autres hommes.

    25Il faut de plus grandes vertus pour soutenir la bonne fortune

    que la mauvaise.

    26Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement.

    27On fait souvent vanit des passions mme les plus criminelles ;

    mais lenvie est une passion timide et honteuse que lon nose jamais avouer.

    28La jalousie est en quelque manire juste et raisonnable, puis-

    quelle ne tend qu conserver un bien qui nous appartient, ou que nous croyons nous appartenir ; au lieu que lenvie est une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres.

    29Le mal que nous faisons ne nous attire pas tant de perscution

    et de haine que nos bonnes qualits.

    30Nous avons plus de force que de volont ; et cest souvent

    pour nous excuser nous-mmes que nous nous imaginons que les choses sont impossibles.

    31Si nous navions point de dfauts, nous ne prendrions pas tant

    de plaisir en remarquer dans les autres.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 13

    32La jalousie se nourrit dans les doutes, et elle devient fureur, ou

    elle finit, sitt quon passe du doute la certitude.

    33Lorgueil se ddommage toujours et ne perd rien lors mme

    quil renonce la vanit.

    34Si nous navions point dorgueil, nous ne nous plaindrions pas

    de celui des autres.

    35Lorgueil est gal dans tous les hommes, et il ny a de diffrence

    quaux moyens et la manire de le mettre au jour.

    36Il semble que la nature, qui a si sagement dispos les organes

    de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait aussi donn lorgueil pour nous pargner la douleur de connatre nos imperfec-tions.

    37Lorgueil a plus de part que la bont aux remontrances que nous

    faisons ceux qui commettent des fautes ; et nous ne les reprenons pas tant pour les en corriger que pour leur persuader que nous en sommes exempts.

    38Nous promettons selon nos esprances, et nous tenons selon

    nos craintes.

    39Lintrt parle toutes sortes de langues, et joue toutes sortes de

    personnages, mme celui de dsintress.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S14

    40Lintrt, qui aveugle les uns, fait la lumire des autres.

    41Ceux qui sappliquent trop aux petites choses deviennent ordi-

    nairement incapables des grandes.

    42Nous navons pas assez de force pour suivre toute notre

    raison.

    43Lhomme croit souvent se conduire lorsquil est conduit ; et

    pendant que par son esprit il tend un but, son cur lentrane insensiblement un autre.

    44La force et la faiblesse de lesprit sont mal nommes ; elles ne

    sont en effet que la bonne ou la mauvaise disposition des organes du corps.

    45Le caprice de notre humeur est encore plus bizarre que celui de

    la fortune.

    46Lattachement ou lindiffrence que les philosophes avaient

    pour la vie ntait quun got de leur amour-propre, dont on ne doit non plus disputer que du got de la langue ou du choix des couleurs.

    47Notre humeur met le prix tout ce qui nous vient de la fortune.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 15

    48La flicit est dans le got et non pas dans les choses ; et cest

    par avoir ce quon aime quon est heureux, et non par avoir ce que les autres trouvent aimable.

    49On nest jamais si heureux ni si malheureux quon simagine.

    50Ceux qui croient avoir du mrite se font un honneur dtre mal-

    heureux, pour persuader aux autres et eux-mmes quils sont dignes dtre en butte la fortune.

    51Rien ne doit tant diminuer la satisfaction que nous avons de

    nous-mmes, que de voir que nous dsapprouvons dans un temps ce que nous approuvions dans un autre.

    52Quelque diffrence qui paraisse entre les fortunes, il y a nan-

    moins une certaine compensation de biens et de maux qui les rend gales.

    53Quelques grands avantages que la nature donne, ce nest pas elle

    seule, mais la fortune avec elle qui fait les hros.

    54Le mpris des richesses tait dans les philosophes un dsir cach

    de venger leur mrite de linjustice de la fortune par le mpris des mmes biens dont elle les privait ; ctait un secret pour se garantir de lavilissement de la pauvret ; ctait un chemin dtourn pour aller la considration quils ne pouvaient avoir par les richesses.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S16

    55La haine pour les favoris nest autre chose que lamour de la

    faveur. Le dpit de ne la pas possder se console et sadoucit par le mpris que lon tmoigne de ceux qui la possdent ; et nous leur refusons nos hommages, ne pouvant pas leur ter ce qui leur attire ceux de tout le monde.

    56Pour stablir dans le monde, on fait tout ce que lon peut pour

    y paratre tabli.

    57Quoique les hommes se flattent de leurs grandes actions, elles

    ne sont pas souvent les effets dun grand dessein, mais des effets du hasard.

    58Il semble que nos actions aient des toiles heureuses ou mal-

    heureuses qui elles doivent une grande partie de la louange et du blme quon leur donne.

    59Il ny a point daccidents si malheureux dont les habiles gens

    ne tirent quelque avantage, ni de si heureux que les imprudents ne puissent tourner leur prjudice.

    60La fortune tourne tout lavantage de ceux quelle favorise.

    61Le bonheur et le malheur des hommes ne dpend pas moins de

    leur humeur que de la fortune.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 17

    62La sincrit est une ouverture de cur. On la trouve en fort peu

    de gens ; et celle que lon voit dordinaire nest quune fine dissimu-lation pour attirer la confiance des autres.

    63Laversion du mensonge est souvent une imperceptible ambi-

    tion de rendre nos tmoignages considrables, et dattirer nos paroles un respect de religion.

    64La vrit ne fait pas tant de bien dans le monde que ses appa-

    rences y font de mal.

    65Il ny a point dloges quon ne donne la prudence. Cependant

    elle ne saurait nous assurer du moindre vnement.

    66Un habile homme doit rgler le rang de ses intrts et les con-

    duire chacun dans son ordre. Notre avidit le trouble souvent en nous faisant courir tant de choses la fois que, pour dsirer trop les moins importantes, on manque les plus considrables.

    67La bonne grce est au corps ce que le bon sens est lesprit.

    68Il est difficile de dfinir lamour. Ce quon en peut dire est que

    dans lme cest une passion de rgner, dans les esprits cest une sympathie, et dans le corps ce nest quune envie cache et dlicate de possder ce que lon aime aprs beaucoup de mystres.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S18

    69Sil y a un amour pur et exempt du mlange de nos autres pas-

    sions, cest celui qui est cach au fond du cur, et que nous igno-rons nous-mmes.

    70Il ny a point de dguisement qui puisse longtemps cacher

    lamour o il est, ni le feindre o il nest pas.

    71Il ny a gure de gens qui ne soient honteux de stre aims

    quand ils ne saiment plus.

    72Si on juge de lamour par la plupart de ses effets, il ressemble

    plus la haine qu lamiti.

    73On peut trouver des femmes qui nont jamais eu de galanterie ;

    mais il est rare den trouver qui nen aient jamais eu quune.

    74Il ny a que dune sorte damour, mais il y en a mille diffrentes

    copies.

    75Lamour aussi bien que le feu ne peut subsister sans un mouve-

    ment continuel ; et il cesse de vivre ds quil cesse desprer ou de craindre.

    76Il est du vritable amour comme de lapparition des esprits :

    tout le monde en parle, mais peu de gens en ont vu.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 19

    77Lamour prte son nom un nombre infini de commerces

    quon lui attribue, et o il na non plus de part que le Doge ce qui se fait Venise.

    78Lamour de la justice nest en la plupart des hommes que la

    crainte de souffrir linjustice.

    79Le silence est le parti le plus sr de celui qui se dfie de soi-mme.

    80Ce qui nous rend si changeants dans nos amitis, cest quil est

    difficile de connatre les qualits de lme, et facile de connatre celles de lesprit.

    81Nous ne pouvons rien aimer que par rapport nous, et nous

    ne faisons que suivre notre got et notre plaisir quand nous pr-frons nos amis nous-mmes ; cest nanmoins par cette prf-rence seule que lamiti peut tre vraie et parfaite.

    82La rconciliation avec nos ennemis nest quun dsir de rendre

    notre condition meilleure, une lassitude de la guerre, et une crainte de quelque mauvais vnement.

    83Ce que les hommes ont nomm amiti nest quune socit,

    quun mnagement rciproque dintrts, et quun change de bons offices ; ce nest enfin quun commerce o lamour-propre se pro-pose toujours quelque chose gagner.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S20

    84Il est plus honteux de se dfier de ses amis que den tre

    tromp.

    85Nous nous persuadons souvent daimer les gens plus puissants

    que nous ; et nanmoins cest lintrt seul qui produit notre amiti. Nous ne nous donnons pas eux pour le bien que nous leur vou-lons faire, mais pour celui que nous en voulons recevoir.

    86Notre dfiance justifie la tromperie dautrui.

    87Les hommes ne vivraient pas longtemps en socit sils ntaient

    les dupes les uns des autres.

    88Lamour-propre nous augmente ou nous diminue les bonnes

    qualits de nos amis proportion de la satisfaction que nous avons deux ; et nous jugeons de leur mrite par la manire dont ils vivent avec nous.

    89Tout le monde se plaint de sa mmoire, et personne ne se plaint

    de son jugement.

    90Nous plaisons plus souvent dans le commerce de la vie par nos

    dfauts que par nos bonnes qualits.

    91La plus grande ambition nen a pas la moindre apparence lors-

    quelle se rencontre dans une impossibilit absolue darriver o elle aspire.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 21

    92Dtromper un homme proccup de son mrite est lui rendre

    un aussi mauvais office que celui que lon rendit ce fou dAth-nes, qui croyait que tous les vaisseaux qui arrivaient dans le port taient lui.

    93Les vieillards aiment donner de bons prceptes, pour se con-

    soler de ntre plus en tat de donner de mauvais exemples.

    94Les grands noms abaissent, au lieu dlever, ceux qui ne les

    savent pas soutenir.

    95La marque dun mrite extraordinaire est de voir que ceux qui

    lenvient le plus sont contraints de le louer.

    96Tel homme est ingrat, qui est moins coupable de son ingratitude

    que celui qui lui a fait du bien.

    97On sest tromp lorsquon a cru que lesprit et le jugement

    taient deux choses diffrentes. Le jugement nest que la grandeur de la lumire de lesprit ; cette lumire pntre le fond des choses ; elle y remarque tout ce quil faut remarquer et aperoit celles qui semblent imperceptibles. Ainsi il faut demeurer daccord que cest ltendue de la lumire de lesprit qui produit tous les effets quon attribue au jugement.

    98Chacun dit du bien de son cur, et personne nen ose dire de

    son esprit.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S22

    99La politesse de lesprit consiste penser des choses honntes et

    dlicates.

    100La galanterie de lesprit est de dire des choses flatteuses dune

    manire agrable.

    101Il arrive souvent que des choses se prsentent plus acheves

    notre esprit quil ne les pourrait faire avec beaucoup dart.

    102Lesprit est toujours la dupe du cur.

    103Tous ceux qui connaissent leur esprit ne connaissent pas leur

    cur.

    104Les hommes et les affaires ont leur point de perspective. Il y en

    a quil faut voir de prs pour en bien juger, et dautres dont on ne juge jamais si bien que quand on en est loign.

    105Celui-l nest pas raisonnable qui le hasard fait trouver la

    raison, mais celui qui la connat, qui la discerne, et qui la gote.

    106Pour bien savoir les choses, il en faut savoir le dtail ; et comme

    il est presque infini, nos connaissances sont toujours superficielles et imparfaites.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 23

    107Cest une espce de coquetterie de faire remarquer quon nen

    fait jamais.

    108Lesprit ne saurait jouer longtemps le personnage du cur.

    109La jeunesse change ses gots par lardeur du sang, et la vieillesse

    conserve les siens par laccoutumance.

    110On ne donne rien si libralement que ses conseils.

    111Plus on aime une matresse, et plus on est prs de la har.

    112Les dfauts de lesprit augmentent en vieillissant comme ceux

    du visage.

    113Il y a de bons mariages, mais il ny en a point de dlicieux.

    114On ne se peut consoler dtre tromp par ses ennemis, et trahi

    par ses amis ; et lon est souvent satisfait de ltre par soi-mme.

    115Il est aussi facile de se tromper soi-mme sans sen apercevoir

    quil est difficile de tromper les autres sans quils sen aperoivent.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S24

    116Rien nest moins sincre que la manire de demander et de

    donner des conseils. Celui qui en demande parat avoir une df-rence respectueuse pour les sentiments de son ami, bien quil ne pense qu lui faire approuver les siens, et le rendre garant de sa conduite. Et celui qui conseille paye la confiance quon lui tmoi-gne dun zle ardent et dsintress, quoiquil ne cherche le plus souvent dans les conseils quil donne que son propre intrt ou sa gloire.

    117La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre

    de tomber dans les piges que lon nous tend, et on nest jamais si aisment tromp que quand on songe tromper les autres.

    118Lintention de ne jamais tromper nous expose tre souvent

    tromps.

    119Nous sommes si accoutums nous dguiser aux autres quen-

    fin nous nous dguisons nous-mmes.

    120Lon fait plus souvent des trahisons par faiblesse que par un

    dessein form de trahir.

    121On fait souvent du bien pour pouvoir impunment faire du mal.

    122Si nous rsistons nos passions, cest plus par leur faiblesse que

    par notre force.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 25

    123On naurait gure de plaisir si on ne se flattait jamais.

    124Les plus habiles affectent toute leur vie de blmer les finesses

    pour sen servir en quelque grande occasion et pour quelque grand intrt.

    125Lusage ordinaire de la finesse est la marque dun petit esprit, et

    il arrive presque toujours que celui qui sen sert pour se couvrir en un endroit, se dcouvre en un autre.

    126Les finesses et les trahisons ne viennent que de manque dhabilet.

    127Le vrai moyen dtre tromp, cest de se croire plus fin que les

    autres.

    128La trop grande subtilit est une fausse dlicatesse, et la vritable

    dlicatesse est une solide subtilit.

    129Il suffit quelquefois dtre grossier pour ntre pas tromp par

    un habile homme.

    130La faiblesse est le seul dfaut que lon ne saurait corriger.

    131Le moindre dfaut des femmes qui se sont abandonnes faire

    lamour, cest de faire lamour.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S26

    132Il est plus ais dtre sage pour les autres que de ltre pour soi-

    mme.

    133Les seules bonnes copies sont celles qui nous font voir le ridi-

    cule des mchants originaux.

    134On nest jamais si ridicule par les qualits que lon a que par

    celles que lon affecte davoir.

    135On est quelquefois aussi diffrent de soi-mme que des autres.

    136Il y a des gens qui nauraient jamais t amoureux sils navaient

    jamais entendu parler de lamour.

    137On parle peu quand la vanit ne fait pas parler.

    138On aime mieux dire du mal de soi-mme que de nen point

    parler.

    139Une des choses qui fait que lon trouve si peu de gens qui parais-

    sent raisonnables et agrables dans la conversation, cest quil ny a presque personne qui ne pense plutt ce quil veut dire qu rpondre prcisment ce quon lui dit. Les plus habiles et les plus complaisants se contentent de montrer seulement une mine atten-tive, au mme temps que lon voit dans leurs yeux et dans leur

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 27

    esprit un garement pour ce quon leur dit, et une prcipitation pour retourner ce quils veulent dire ; au lieu de considrer que cest un mauvais moyen de plaire aux autres ou de les persuader, que de chercher si fort se plaire soi-mme, et que bien couter et bien rpondre est une des plus grandes perfections quon puisse avoir dans la conversation.

    140Un homme desprit serait souvent bien embarrass sans la com-

    pagnie des sots.

    141Nous nous vantons souvent de ne nous point ennuyer ; et nous

    sommes si glorieux que nous ne voulons pas nous trouver de mau-vaise compagnie.

    142Comme cest le caractre des grands esprits de faire entendre en

    peu de paroles beaucoup de choses, les petits esprits au contraire ont le don de beaucoup parler, et de ne rien dire.

    143Cest plutt par lestime de nos propres sentiments que nous

    exagrons les bonnes qualits des autres, que par lestime de leur mrite ; et nous voulons nous attirer des louanges, lorsquil semble que nous leur en donnons.

    144On naime point louer, et on ne loue jamais personne sans

    intrt. La louange est une flatterie habile, cache, et dlicate, qui satisfait diffremment celui qui la donne, et celui qui la reoit. Lun la prend comme une rcompense de son mrite ; lautre la donne pour faire remarquer son quit et son discernement.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S28

    145Nous choisissons souvent des louanges empoisonnes qui font

    voir par contrecoup en ceux que nous louons des dfauts que nous nosons dcouvrir dune autre sorte.

    146On ne loue dordinaire que pour tre lou.

    147Peu de gens sont assez sages pour prfrer le blme qui leur est

    utile la louange qui les trahit.

    148Il y a des reproches qui louent, et des louanges qui mdisent.

    149Le refus des louanges est un dsir dtre lou deux fois.

    150Le dsir de mriter les louanges quon nous donne fortifie notre

    vertu ; et celles que lon donne lesprit, la valeur, et la beaut contribuent les augmenter.

    151Il est plus difficile de sempcher dtre gouvern que de gou-

    verner les autres.

    152Si nous ne nous flattions point nous-mmes, la flatterie des

    autres ne nous pourrait nuire.

    153La nature fait le mrite, et la fortune le met en uvre.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 29

    154La fortune nous corrige de plusieurs dfauts que la raison ne

    saurait corriger.

    155Il y a des gens dgotants avec du mrite, et dautres qui plaisent

    avec des dfauts.

    156Il y a des gens dont tout le mrite consiste dire et faire des

    sottises utilement, et qui gteraient tout sils changeaient de con-duite.

    157La gloire des grands hommes se doit toujours mesurer aux

    moyens dont ils se sont servis pour lacqurir.

    158La flatterie est une fausse monnaie qui na de cours que par

    notre vanit.

    159Ce nest pas assez davoir de grandes qualits ; il en faut avoir

    lconomie.

    160Quelque clatante que soit une action, elle ne doit pas passer

    pour grande lorsquelle nest pas leffet dun grand dessein.

    161Il doit y avoir une certaine proportion entre les actions et les

    desseins si on en veut tirer tous les effets quelles peuvent pro-duire.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S30

    162Lart de savoir bien mettre en uvre de mdiocres qualits

    drobe lestime et donne souvent plus de rputation que le vrita-ble mrite.

    163Il y a une infinit de conduites qui paraissent ridicules, et dont

    les raisons caches sont trs sages et trs solides.

    164Il est plus facile de paratre digne des emplois quon na pas que

    de ceux que lon exerce.

    165Notre mrite nous attire lestime des honntes gens, et notre

    toile celle du public.

    166Le monde rcompense plus souvent les apparences du mrite

    que le mrite mme.

    167Lavarice est plus oppose lconomie que la libralit.

    168Lesprance, toute trompeuse quelle est, sert au moins nous

    mener la fin de la vie par un chemin agrable.

    169Pendant que la paresse et la timidit nous retiennent dans notre

    devoir, notre vertu en a souvent tout lhonneur.

    170Il est difficile de juger si un procd net, sincre et honnte est

    un effet de probit ou dhabilet.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 31

    171Les vertus se perdent dans lintrt, comme les fleuves se per-

    dent dans la mer.

    172Si on examine bien les divers effets de lennui, on trouvera quil

    fait manquer plus de devoirs que lintrt.

    173Il y a diverses sortes de curiosit : lune dintrt, qui nous porte

    dsirer dapprendre ce qui nous peut tre utile, et lautre dorgueil, qui vient du dsir de savoir ce que les autres ignorent.

    174Il vaut mieux employer notre esprit supporter les infortunes

    qui nous arrivent qu prvoir celles qui nous peuvent arriver.

    175La constance en amour est une inconstance perptuelle, qui fait

    que notre cur sattache successivement toutes les qualits de la personne que nous aimons, donnant tantt la prfrence lune, tantt lautre ; de sorte que cette constance nest quune incons-tance arrte et renferme dans un mme sujet.

    176Il y a deux sortes de constance en amour : lune vient de ce que

    lon trouve sans cesse dans la personne que lon aime de nouveaux sujets daimer, et lautre vient de ce que lon se fait un honneur dtre constant.

    177La persvrance nest digne ni de blme ni de louange, parce

    quelle nest que la dure des gots et des sentiments, quon ne ste et quon ne se donne point.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S32

    178Ce qui nous fait aimer les nouvelles connaissances nest pas tant

    la lassitude que nous avons des vieilles ou le plaisir de changer, que le dgot de ntre pas assez admirs de ceux qui nous connaissent trop, et lesprance de ltre davantage de ceux qui ne nous con-naissent pas tant.

    179Nous nous plaignons quelquefois lgrement de nos amis pour

    justifier par avance notre lgret.

    180Notre repentir nest pas tant un regret du mal que nous avons

    fait, quune crainte de celui qui nous en peut arriver.

    181Il y a une inconstance qui vient de la lgret de lesprit ou de sa

    faiblesse, qui lui fait recevoir toutes les opinions dautrui, et il y en a une autre, qui est plus excusable, qui vient du dgot des choses.

    182Les vices entrent dans la composition des vertus comme les

    poisons entrent dans la composition des remdes. La prudence les assemble et les tempre, et elle sen sert utilement contre les maux de la vie.

    183Il faut demeurer daccord lhonneur de la vertu que les plus grands

    malheurs des hommes sont ceux o ils tombent par les crimes.

    184Nous avouons nos dfauts pour rparer par notre sincrit le

    tort quils nous font dans lesprit des autres.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 33

    185Il y a des hros en mal comme en bien.

    186On ne mprise pas tous ceux qui ont des vices ; mais on mprise

    tous ceux qui nont aucune vertu.

    187Le nom de la vertu sert lintrt aussi utilement que les vices.

    188La sant de lme nest pas plus assure que celle du corps ; et

    quoique lon paraisse loign des passions, on nest pas moins en danger de sy laisser emporter que de tomber malade quand on se porte bien.

    189Il semble que la nature ait prescrit chaque homme ds sa nais-

    sance des bornes pour les vertus et pour les vices.

    190Il nappartient quaux grands hommes davoir de grands

    dfauts.

    191On peut dire que les vices nous attendent dans le cours de la

    vie comme des htes chez qui il faut successivement loger ; et je doute que lexprience nous les ft viter sil nous tait permis de faire deux fois le mme chemin.

    192Quand les vices nous quittent, nous nous flattons de la crance

    que cest nous qui les quittons.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S34

    193Il y a des rechutes dans les maladies de lme, comme dans celles

    du corps. Ce que nous prenons pour notre gurison nest le plus souvent quun relche ou un changement de mal.

    194Les dfauts de lme sont comme les blessures du corps : quel-

    que soin quon prenne de les gurir, la cicatrice parat toujours, et elles sont tout moment en danger de se rouvrir.

    195Ce qui nous empche souvent de nous abandonner un seul

    vice est que nous en avons plusieurs.

    196Nous oublions aisment nos fautes lorsquelles ne sont sues que

    de nous.

    197Il y a des gens de qui lon peut ne jamais croire du mal sans

    lavoir vu ; mais il ny en a point en qui il nous doive surprendre en le voyant.

    198Nous levons la gloire des uns pour abaisser celle des autres. Et

    quelquefois on louerait moins Monsieur le Prince et M. de Turenne si on ne les voulait point blmer tous deux.

    199Le dsir de paratre habile empche souvent de le devenir.

    200La vertu nirait pas si loin si la vanit ne lui tenait compagnie.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 35

    201Celui qui croit pouvoir trouver en soi-mme de quoi se passer

    de tout le monde se trompe fort ; mais celui qui croit quon ne peut se passer de lui se trompe encore davantage.

    202Les faux honntes gens sont ceux qui dguisent leurs dfauts

    aux autres et eux-mmes. Les vrais honntes gens sont ceux qui les connaissent parfaitement et les confessent.

    203Le vrai honnte homme est celui qui ne se pique de rien.

    204La svrit des femmes est un ajustement et un fard quelles

    ajoutent leur beaut.

    205Lhonntet des femmes est souvent lamour de leur rputation

    et de leur repos.

    206Cest tre vritablement honnte homme que de vouloir tre

    toujours expos la vue des honntes gens.

    207La folie nous suit dans tous les temps de la vie. Si quelquun

    parat sage, cest seulement parce que ses folies sont proportion-nes son ge et sa fortune.

    208Il y a des gens niais qui se connaissent, et qui emploient habile-

    ment leur niaiserie.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S36

    209Qui vit sans folie nest pas si sage quil croit.

    210En vieillissant on devient plus fou, et plus sage.

    211Il y a des gens qui ressemblent aux vaudevilles, quon ne chante

    quun certain temps.

    212La plupart des gens ne jugent des hommes que par la vogue

    quils ont, ou par leur fortune.

    213Lamour de la gloire, la crainte de la honte, le dessein de faire

    fortune, le dsir de rendre notre vie commode et agrable, et len-vie dabaisser les autres, sont souvent les causes de cette valeur si clbre parmi les hommes.

    214La valeur est dans les simples soldats un mtier prilleux quils

    ont pris pour gagner leur vie.

    215La parfaite valeur et la poltronnerie complte sont deux extr-

    mits o lon arrive rarement. Lespace qui est entre-deux est vaste, et contient toutes les autres espces de courage : il ny a pas moins de diffrence entre elles quentre les visages et les humeurs. Il y a des homme qui sexposent volontiers au commencement dune action, et qui se relchent et se rebutent aisment par sa dure. Il y en a qui sont contents quand ils ont satisfait lhonneur du monde, et qui font fort peu de chose au-del. On en voit qui ne sont pas

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 37

    toujours galement matres de leur peur. Dautres se laissent quel-quefois entraner des terreurs gnrales. Dautres vont la charge parce quils nosent demeurer dans leurs postes. Il sen trouve qui lhabitude des moindres prils affermit le courage et les prpare sexposer de plus grands. Il y en a qui sont braves coups dpe, et qui craignent les coups de mousquet ; dautres sont assurs aux coups de mousquet, et apprhendent de se battre coups dpe. Tous ces courages de diffrentes espces conviennent en ce que la nuit augmentant la crainte et cachant les bonnes et les mauvai-ses actions, elle donne la libert de se mnager. Il y a encore un autre mnagement plus gnral ; car on ne voit point dhomme qui fasse tout ce quil serait capable de faire dans une occasion sil tait assur den revenir. De sorte quil est visible que la crainte de la mort te quelque chose de la valeur.

    216La parfaite valeur est de faire sans tmoins ce quon serait capa-

    ble de faire devant tout le monde.

    217Lintrpidit est une force extraordinaire de lme qui llve au-

    dessus des troubles, des dsordres et des motions que la vue des grands prils pourrait exciter en elle ; et cest par cette force que les hros se maintiennent en un tat paisible, et conservent lusage libre de leur raison dans les accidents les plus surprenants et les plus terribles.

    218Lhypocrisie est un hommage que le vice rend la vertu.

    219La plupart des hommes sexposent assez dans la guerre pour

    sauver leur honneur. Mais peu se veulent toujours exposer autant

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S38

    quil est ncessaire pour faire russir le dessein pour lequel il sex-posent.

    220La vanit, la honte, et surtout le temprament, font souvent la

    valeur des hommes, et la vertu des femmes.

    221On ne veut point perdre la vie, et on veut acqurir de la gloire ;

    ce qui fait que les braves ont plus dadresse et desprit pour viter la mort que les gens de chicane nen ont pour conserver leur bien.

    222Il ny a gure de personnes qui dans le premier penchant de

    lge ne fassent connatre par o leur corps et leur esprit doivent dfaillir.

    223Il est de la reconnaissance comme de la bonne foi des mar-

    chands : elle entretient le commerce ; et nous ne payons pas parce quil est juste de nous acquitter, mais pour trouver plus facilement des gens qui nous prtent.

    224Tous ceux qui sacquittent des devoirs de la reconnaissance ne

    peuvent pas pour cela se flatter dtre reconnaissants.

    225Ce qui fait le mcompte dans la reconnaissance quon attend

    des grces que lon a faites, cest que lorgueil de celui qui donne, et lorgueil de celui qui reoit, ne peuvent convenir du prix du bien-fait.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 39

    226Le trop grand empressement quon a de sacquitter dune obli-

    gation est une espce dingratitude.

    227Les gens heureux ne se corrigent gure ; ils croient toujours

    avoir raison quand la fortune soutient leur mauvaise conduite.

    228Lorgueil ne veut pas devoir, et lamour-propre ne veut pas

    payer.

    229Le bien que nous avons reu de quelquun veut que nous res-

    pections le mal quil nous fait.

    230Rien nest si contagieux que lexemple, et nous ne faisons jamais

    de grands biens ni de grands maux qui nen produisent de sembla-bles. Nous imitons les bonnes actions par mulation, et les mau-vaises par la malignit de notre nature que la honte retenait prison-nire, et que lexemple met en libert.

    231Cest une grande folie de vouloir tre sage tout seul.

    232Quelque prtexte que nous donnions nos afflictions, ce nest

    souvent que lintrt et la vanit qui les causent.

    233Il y a dans les afflictions diverses sortes dhypocrisie. Dans lune,

    sous prtexte de pleurer la perte dune personne qui nous est chre, nous nous pleurons nous-mmes ; nous regrettons la bonne opi-

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S40

    nion quil avait de nous ; nous pleurons la diminution de notre bien, de notre plaisir, de notre considration. Ainsi les morts ont lhonneur des larmes qui ne coulent que pour les vivants. Je dis que cest une espce dhypocrisie, cause que dans ces sortes dafflic-tions on se trompe soi-mme. Il y a une autre hypocrisie qui nest pas si innocente, parce quelle impose tout le monde : cest laf-fliction de certaines personnes qui aspirent la gloire dune belle et immortelle douleur. Aprs que le temps qui consume tout a fait cesser celle quelles avaient en effet, elles ne laissent pas dopi-nitrer leurs pleurs, leurs plaintes, et leurs soupirs ; elles prennent un personnage lugubre, et travaillent persuader par toutes leurs actions que leur dplaisir ne finira quavec leur vie. Cette triste et fatigante vanit se trouve dordinaire dans les femmes ambitieu-ses. Comme leur sexe leur ferme tous les chemins qui mnent la gloire, elles sefforcent de se rendre clbres par la montre dune inconsolable affliction. Il y a encore une autre espce de larmes qui nont que de petites sources qui coulent et se tarissent facilement : on pleure pour avoir la rputation dtre tendre, on pleure pour tre plaint, on pleure pour tre pleur ; enfin on pleure pour viter la honte de ne pleurer pas.

    234Cest plus souvent par orgueil que par dfaut de lumires quon

    soppose avec tant dopinitret aux opinions les plus suivies : on trouve les premires places prises dans le bon parti, et on ne veut point des dernires.

    235Nous nous consolons aisment des disgrces de nos amis lors-

    quelles servent signaler notre tendresse pour eux.

    236Il semble que lamour-propre soit la dupe de la bont, et quil

    soublie lui-mme lorsque nous travaillons pour lavantage des

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 41

    autres. Cependant cest prendre le chemin le plus assur pour arri-ver ses fins ; cest prter usure sous prtexte de donner ; cest enfin sacqurir tout le monde par un moyen subtil et dlicat.

    237Nul ne mrite dtre lou de bont, sil na pas la force dtre

    mchant : toute autre bont nest le plus souvent quune paresse ou une impuissance de la volont.

    238Il nest pas si dangereux de faire du mal la plupart des hommes

    que de leur faire trop de bien.

    239Rien ne flatte plus notre orgueil que la confiance des grands,

    parce que nous la regardons comme un effet de notre mrite, sans considrer quelle ne vient le plus souvent que de vanit, ou dim-puissance de garder le secret.

    240On peut dire de lagrment spar de la beaut que cest une

    symtrie dont on ne sait point les rgles, et un rapport secret des traits ensemble, et des traits avec les couleurs et avec lair de la per-sonne.

    241La coquetterie est le fond de lhumeur des femmes. Mais toutes

    ne la mettent pas en pratique, parce que la coquetterie de quelques-unes est retenue par la crainte ou par la raison.

    242On incommode souvent les autres quand on croit ne les pou-

    voir jamais incommoder.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S42

    243Il y a peu de choses impossibles delles-mmes ; et lapplication

    pour les faire russir nous manque plus que les moyens.

    244La souveraine habilet consiste bien connatre le prix des

    choses.

    245Cest une grande habilet que de savoir cacher son habilet.

    246Ce qui parat gnrosit nest souvent quune ambition dguise

    qui mprise de petits intrts, pour aller de plus grands.

    247La fidlit qui parat en la plupart des hommes nest quune

    invention de lamour-propre pour attirer la confiance. Cest un moyen de nous lever au-dessus des autres, et de nous rendre dpositaires des choses les plus importantes.

    248La magnanimit mprise tout pour avoir tout.

    249Il ny a pas moins dloquence dans le ton de la voix, dans les

    yeux et dans lair de la personne, que dans le choix des paroles.

    250La vritable loquence consiste dire tout ce quil faut, et ne

    dire que ce quil faut.

    251Il y a des personnes qui les dfauts sient bien, et dautres qui

    sont disgracies avec leurs bonnes qualits.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 43

    252Il est aussi ordinaire de voir changer les gots quil est extraor-

    dinaire de voir changer les inclinations.

    253Lintrt met en uvre toutes sortes de vertus et de vices.

    254Lhumilit nest souvent quune feinte soumission, dont on se

    sert pour soumettre les autres ; cest un artifice de lorgueil qui sabaisse pour slever ; et bien quil se transforme en mille mani-res, il nest jamais mieux dguis et plus capable de tromper que lorsquil se cache sous la figure de lhumilit.

    255Tous les sentiments ont chacun un ton de voix, des gestes et

    des mines qui leur sont propres. Et ce rapport bon ou mauvais, agrable ou dsagrable, est ce qui fait que les personnes plaisent ou dplaisent.

    256Dans toutes les professions chacun affecte une mine et un ext-

    rieur pour paratre ce quil veut quon le croie. Ainsi on peut dire que le monde nest compos que de mines.

    257La gravit est un mystre du corps invent pour cacher les

    dfauts de lesprit.

    258Le bon got vient plus du jugement que de lesprit.

    259Le plaisir de lamour est daimer ; et lon est plus heureux par la

    passion que lon a que par celle que lon donne.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S44

    260La civilit est un dsir den recevoir, et dtre estim poli.

    261Lducation que lon donne dordinaire aux jeunes gens est un

    second amour-propre quon leur inspire.

    262Il ny a point de passion o lamour de soi-mme rgne si puis-

    samment que dans lamour ; et on est toujours plus dispos sacri-fier le repos de ce quon aime qu perdre le sien.

    263Ce quon nomme libralit nest le plus souvent que la vanit de

    donner, que nous aimons mieux que ce que nous donnons.

    264La piti est souvent un sentiment de nos propres maux dans les

    maux dautrui. Cest une habile prvoyance des malheurs o nous pouvons tomber ; nous donnons du secours aux autres pour les engager nous en donner en de semblables occasions ; et ces ser-vices que nous leur rendons sont proprement parler des biens que nous nous faisons nous-mmes par avance.

    265La petitesse de lesprit fait lopinitret ; et nous ne croyons pas

    aisment ce qui est au-del de ce que nous voyons.

    266Cest se tromper que de croire quil ny ait que les violentes pas-

    sions, comme lambition et lamour, qui puissent triompher des autres. La paresse, toute languissante quelle est, ne laisse pas den tre souvent la matresse ; elle usurpe sur tous les desseins et sur

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 45

    toutes les actions de la vie ; elle y dtruit et y consume insensible-ment les passions et les vertus.

    267La promptitude croire le mal sans lavoir assez examin est un

    effet de lorgueil et de la paresse. On veut trouver des coupables ; et on ne veut pas se donner la peine dexaminer les crimes.

    268Nous rcusons des juges pour les plus petits intrts et nous

    voulons bien que notre rputation et notre gloire dpendent du jugement des hommes, qui nous sont tous contraires, ou par leur jalousie, ou par leur proccupation, ou par leur peu de lumire ; et ce nest que pour les faire prononcer en notre faveur que nous exposons en tant de manires notre repos et notre vie.

    269Il ny a gure dhomme assez habile pour connatre tout le mal

    quil fait.

    270Lhonneur acquis est caution de celui quon doit acqurir.

    271La jeunesse est une ivresse continuelle : cest la fivre de la raison.

    272Rien ne devrait plus humilier les hommes qui ont mrit de

    grandes louanges, que le soin quils prennent encore de se faire valoir par de petites choses.

    273Il y a des gens quon approuve dans le monde, qui nont pour

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S46

    tout mrite que les vices qui servent au commerce de la vie.

    274La grce de la nouveaut est lamour ce que la fleur est sur les

    fruits ; elle y donne un lustre qui sefface aisment, et qui ne revient jamais.

    275Le bon naturel, qui se vante dtre si sensible, est souvent

    touff par le moindre intrt.

    276Labsence diminue les mdiocres passions, et augmente les gran-

    des, comme le vent teint les bougies et allume le feu.

    277Les femmes croient souvent aimer encore quelles naiment pas.

    Loccupation dune intrigue, lmotion desprit que donne la galan-terie, la pente naturelle au plaisir dtre aimes, et la peine de refu-ser, leur persuadent quelles ont de la passion lorsquelles nont que de la coquetterie.

    278Ce qui fait que lon est souvent mcontent de ceux qui ngo-

    cient, est quils abandonnent presque toujours lintrt de leurs amis pour lintrt du succs de la ngociation, qui devient le leur par lhonneur davoir russi ce quils avaient entrepris.

    279Quand nous exagrons la tendresse que nos amis ont pour

    nous, cest souvent moins par reconnaissance que par le dsir de faire juger de notre mrite.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 47

    280Lapprobation que lon donne ceux qui entrent dans le monde

    vient souvent de lenvie secrte que lon porte ceux qui y sont tablis.

    281Lorgueil qui nous inspire tant denvie nous sert souvent aussi

    la modrer.

    282Il y a des faussets dguises qui reprsentent si bien la vrit

    que ce serait mal juger que de ne sy pas laisser tromper.

    283Il ny a pas quelquefois moins dhabilet savoir profiter dun

    bon conseil qu se bien conseiller soi-mme.

    284Il y a des mchants qui seraient moins dangereux sils navaient

    aucune bont.

    285La magnanimit est assez dfinie par son nom ; nanmoins on

    pourrait dire que cest le bon sens de lorgueil, et la voie la plus noble pour recevoir des louanges.

    286Il est impossible daimer une seconde fois ce quon a vritable-

    ment cess daimer.

    287Ce nest pas tant la fertilit de lesprit qui nous fait trouver

    plusieurs expdients sur une mme affaire, que cest le dfaut de

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S48

    lumire qui nous fait arrter tout ce qui se prsente notre ima-gination, et qui nous empche de discerner dabord ce qui est le meilleur.

    288Il y a des affaires et des maladies que les remdes aigrissent en

    certains temps ; et la grande habilet consiste connatre quand il est dangereux den user.

    289La simplicit affecte est une imposture dlicate.

    290Il y a plus de dfauts dans lhumeur que dans lesprit.

    291Le mrite des hommes a sa saison aussi bien que les fruits.

    292On peut dire de lhumeur des hommes, comme de la plupart des

    btiments, quelle a diverses faces, les unes agrables, et les autres dsagrables.

    293La modration ne peut avoir le mrite de combattre lambition

    et de la soumettre : elles ne se trouvent jamais ensemble. La mod-ration est la langueur et la paresse de lme, comme lambition en est lactivit et lardeur.

    294Nous aimons toujours ceux qui nous admirent ; et nous

    naimons pas toujours ceux que nous admirons.

    295Il sen faut bien que nous ne connaissions toutes nos volonts.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 49

    296Il est difficile daimer ceux que nous nestimons point ; mais il

    ne lest pas moins daimer ceux que nous estimons beaucoup plus que nous.

    297Les humeurs du corps ont un cours ordinaire et rgl, qui

    meut et qui tourne imperceptiblement notre volont ; elles roulent ensemble et exercent successivement un empire secret en nous : de sorte quelles ont une part considrable toutes nos actions, sans que nous le puissions connatre.

    298La reconnaissance de la plupart des hommes nest quune

    secrte envie de recevoir de plus grands bienfaits.

    299Presque tout le monde prend plaisir sacquitter des petites

    obligations ; beaucoup de gens ont de la reconnaissance pour les mdiocres ; mais il ny a quasi personne qui nait de lingratitude pour les grandes.

    300Il y a des folies qui se prennent comme les maladies contagieuses.

    301Assez de gens mprisent le bien, mais peu savent le donner.

    302Ce nest dordinaire que dans de petits intrts o nous prenons

    le hasard de ne pas croire aux apparences.

    303Quelque bien quon nous dise de nous, on ne nous apprend rien

    de nouveau.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S50

    304Nous pardonnons souvent ceux qui nous ennuient, mais nous

    ne pouvons pardonner ceux que nous ennuyons.

    305Lintrt que lon accuse de tous nos crimes mrite souvent

    dtre lou de nos bonnes actions.

    306On ne trouve gure dingrats tant quon est en tat de faire du

    bien.

    307Il est aussi honnte dtre glorieux avec soi-mme quil est ridi-

    cule de ltre avec les autres.

    308On a fait une vertu de la modration pour borner lambition des

    grands hommes, et pour consoler les gens mdiocres de leur peu de fortune, et de leur peu de mrite.

    309Il y a des gens destins tre sots, qui ne font pas seulement des

    sottises par leur choix, mais que la fortune mme contraint den faire.

    310Il arrive quelquefois des accidents dans la vie, do il faut tre

    un peu fou pour se bien tirer.

    311Sil y a des hommes dont le ridicule nait jamais paru, cest quon

    ne la pas bien cherch.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 51

    312Ce qui fait que les amants et les matresses ne sennuient point

    dtre ensemble, cest quils parlent toujours deux-mmes.

    313Pourquoi faut-il que nous ayons assez de mmoire pour retenir

    jusquaux moindres particularits de ce qui nous est arriv, et que nous nen ayons pas assez pour nous souvenir combien de fois nous les avons contes une mme personne ?

    314Lextrme plaisir que nous prenons parler de nous-mmes

    nous doit faire craindre de nen donner gure ceux qui nous cou-tent.

    315Ce qui nous empche dordinaire de faire voir le fond de notre

    cur nos amis, nest pas tant la dfiance que nous avons deux, que celle que nous avons de nous-mmes.

    316Les personnes faibles ne peuvent tre sincres.

    317Ce nest pas un grand malheur dobliger des ingrats, mais cen

    est un insupportable dtre oblig un malhonnte homme.

    318On trouve des moyens pour gurir de la folie, mais on nen

    trouve point pour redresser un esprit de travers.

    319On ne saurait conserver longtemps les sentiments quon doit

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S52

    avoir pour ses amis et pour ses bienfaiteurs, si on se laisse la libert de parler souvent de leurs dfauts.

    320Louer les princes des vertus quils nont pas, cest leur dire

    impunment des injures.

    321Nous sommes plus prs daimer ceux qui nous hassent que

    ceux qui nous aiment plus que nous ne voulons.

    322Il ny a que ceux qui sont mprisables qui craignent dtre

    mpriss.

    323Notre sagesse nest pas moins la merci de la fortune que nos

    biens.

    324Il y a dans la jalousie plus damour-propre que damour.

    325Nous nous consolons souvent par faiblesse des maux dont la

    raison na pas la force de nous consoler.

    326Le ridicule dshonore plus que le dshonneur.

    327Nous navouons de petits dfauts que pour persuader que nous

    nen avons pas de grands.

    328Lenvie est plus irrconciliable que la haine.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 53

    329On croit quelquefois har la flatterie, mais on ne hait que la

    manire de flatter.

    330On pardonne tant que lon aime.

    331Il est plus difficile dtre fidle sa matresse quand on est heu-

    reux que quand on en est maltrait.

    332Les femmes ne connaissent pas toute leur coquetterie.

    333Les femmes nont point de svrit complte sans aversion.

    334Les femmes peuvent moins surmonter leur coquetterie que leur

    passion.

    335Dans lamour la tromperie va presque toujours plus loin que la

    mfiance.

    336Il y a une certaine sorte damour dont lexcs empche la jalousie.

    337Il est de certaines bonnes qualits comme des sens : ceux qui en

    sont entirement privs ne les peuvent apercevoir ni les comprendre.

    338Lorsque notre haine est trop vive, elle nous met au-dessous de

    ceux que nous hassons.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S54

    339Nous ne ressentons nos biens et nos maux qu proportion de

    notre amour-propre.

    340Lesprit de la plupart des femmes sert plus fortifier leur folie

    que leur raison.

    341Les passions de la jeunesse ne sont gure plus opposes au salut

    que la tideur des vieilles gens.

    342Laccent du pays o lon est n demeure dans lesprit et dans le

    cur, comme dans le langage.

    343Pour tre un grand homme, il faut savoir profiter de toute sa

    fortune.

    344La plupart des hommes ont comme les plantes des proprits

    caches, que le hasard fait dcouvrir.

    345Les occasions nous font connatre aux autres, et encore plus

    nous-mmes.

    346Il ne peut y avoir de rgle dans lesprit ni dans le cur des

    femmes, si le temprament nen est daccord.

    347Nous ne trouvons gure de gens de bon sens, que ceux qui sont

    de notre avis.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 55

    348Quand on aime, on doute souvent de ce quon croit le plus.

    349Le plus grand miracle de lamour, cest de gurir de la coquetterie.

    350Ce qui nous donne tant daigreur contre ceux qui nous font des

    finesses, cest quils croient tre plus habiles que nous.

    351On a bien de la peine rompre, quand on ne saime plus.

    352On sennuie presque toujours avec les gens avec qui il nest pas

    permis de sennuyer.

    353Un honnte homme peut tre amoureux comme un fou, mais

    non pas comme un sot.

    354Il y a de certains dfauts qui, bien mis en uvre, brillent plus

    que la vertu mme.

    355On perd quelquefois des personnes quon regrette plus quon

    nen est afflig ; et dautres dont on est afflig, et quon ne regrette gure.

    356Nous ne louons dordinaire de bon cur que ceux qui nous

    admirent.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S56

    357Les petits esprits sont trop blesss des petites choses ; les grands

    esprits les voient toutes, et nen sont point blesss.

    358Lhumilit est la vritable preuve des vertus chrtiennes : sans

    elle nous conservons tous nos dfauts, et ils sont seulement cou-verts par lorgueil qui les cache aux autres, et souvent nous-mmes.

    359Les infidlits devraient teindre lamour, et il ne faudrait point

    tre jaloux quand on a sujet de ltre. Il ny a que les personnes qui vitent de donner de la jalousie qui soient dignes quon en ait pour elles.

    360On se dcrie beaucoup plus auprs de nous par les moindres

    infidlits quon nous fait, que par les plus grandes quon fait aux autres.

    361La jalousie nat toujours avec lamour, mais elle ne meurt pas

    toujours avec lui.

    362La plupart des femmes ne pleurent pas tant la mort de leurs

    amants pour les avoir aims, que pour paratre plus dignes dtre aimes.

    363Les violences quon nous fait nous font souvent moins de peine

    que celles que nous nous faisons nous-mmes.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 57

    364On sait assez quil ne faut gure parler de sa femme ; mais on ne

    sait pas assez quon devrait encore moins parler de soi.

    365Il y a de bonnes qualits qui dgnrent en dfauts quand elles

    sont naturelles, et dautres qui ne sont jamais parfaites quand elles sont acquises. Il faut, par exemple, que la raison nous fasse mna-gers de notre bien et de notre confiance ; et il faut, au contraire, que la nature nous donne la bont et la valeur.

    366Quelque dfiance que nous ayons de la sincrit de ceux qui

    nous parlent, nous croyons toujours quils nous disent plus vrai quaux autres.

    367Il y a peu dhonntes femmes qui ne soient lasses de leur

    mtier.

    368La plupart des honntes femmes sont des trsors cachs, qui ne

    sont en sret que parce quon ne les cherche pas.

    369Les violences quon se fait pour sempcher daimer sont sou-

    vent plus cruelles que les rigueurs de ce quon aime.

    370Il ny a gure de poltrons qui connaissent toujours toute leur

    peur.

    371Cest presque toujours la faute de celui qui aime de ne pas con-

    natre quand on cesse de laimer.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S58

    372La plupart des jeunes gens croient tre naturels, lorsquils ne

    sont que mal polis et grossiers.

    373Il y a de certaines larmes qui nous trompent souvent nous-

    mmes aprs avoir tromp les autres.

    374Si on croit aimer sa matresse pour lamour delle, on est bien

    tromp.

    375Les esprits mdiocres condamnent dordinaire tout ce qui passe

    leur porte.

    376Lenvie est dtruite par la vritable amiti, et la coquetterie par

    le vritable amour.

    377Le plus grand dfaut de la pntration nest pas de naller point

    jusquau but, cest de le passer.

    378On donne des conseils mais on ninspire point de conduite.

    379Quand notre mrite baisse, notre got baisse aussi.

    380La fortune fait paratre nos vertus et nos vices, comme la

    lumire fait paratre les objets.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 59

    381La violence quon se fait pour demeurer fidle ce quon aime

    ne vaut gure mieux quune infidlit.

    382Nos actions sont comme les bouts-rims, que chacun fait rap-

    porter ce quil lui plat.

    383Lenvie de parler de nous, et de faire voir nos dfauts du ct

    que nous voulons bien les montrer, fait une grande partie de notre sincrit.

    384On ne devrait stonner que de pouvoir encore stonner.

    385On est presque galement difficile contenter quand on a beau-

    coup damour et quand on nen a plus gure.

    386Il ny a point de gens qui aient plus souvent tort que ceux qui ne

    peuvent souffrir den avoir.

    387Un sot na pas assez dtoffe pour tre bon.

    388Si la vanit ne renverse pas entirement les vertus, du moins elle

    les branle toutes.

    389Ce qui nous rend la vanit des autres insupportable, cest quelle

    blesse la ntre.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S60

    390On renonce plus aisment son intrt qu son got.

    391La fortune ne parat jamais si aveugle qu ceux qui elle ne fait

    pas de bien.

    392Il faut gouverner la fortune comme la sant : en jouir quand

    elle est bonne, prendre patience quand elle est mauvaise, et ne faire jamais de grands remdes sans un extrme besoin.

    393Lair bourgeois se perd quelquefois larme ; mais il ne se perd

    jamais la cour.

    394On peut tre plus fin quun autre, mais non pas plus fin que tous

    les autres.

    395On est quelquefois moins malheureux dtre tromp de ce

    quon aime, que den tre dtromp.

    396On garde longtemps son premier amant, quand on nen prend

    point de second.

    397Nous navons pas le courage de dire en gnral que nous navons

    point de dfauts, et que nos ennemis nont point de bonnes quali-ts ; mais en dtail nous ne sommes pas trop loigns de le croire.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 61

    398De tous nos dfauts, celui dont nous demeurons le plus ais-

    ment daccord, cest de la paresse ; nous nous persuadons quelle tient toutes les vertus paisibles et que, sans dtruire entirement les autres, elle en suspend seulement les fonctions.

    399Il y a une lvation qui ne dpend point de la fortune : cest

    un certain air qui nous distingue et qui semble nous destiner aux grandes choses ; cest un prix que nous nous donnons impercepti-blement nous-mmes ; cest par cette qualit que nous usurpons les dfrences des autres hommes, et cest elle dordinaire qui nous met plus au-dessus deux que la naissance, les dignits, et le mrite mme.

    400Il y a du mrite sans lvation, mais il ny a point dlvation

    sans quelque mrite.

    401Llvation est au mrite ce que la parure est aux belles person-

    nes.

    402Ce qui se trouve le moins dans la galanterie, cest de lamour.

    403La fortune se sert quelquefois de nos dfauts pour nous lever,

    et il y a des gens incommodes dont le mrite serait mal rcompens si on ne voulait acheter leur absence.

    404Il semble que la nature ait cach dans le fond de notre esprit des

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S62

    talents et une habilet que nous ne connaissons pas ; les passions seules ont le droit de les mettre au jour, et de nous donner quel-quefois des vues plus certaines et plus acheves que lart ne saurait faire.

    405Nous arrivons tout nouveaux aux divers ges de la vie, et nous y

    manquons souvent dexprience malgr le nombre des annes.

    406Les coquettes se font honneur dtre jalouses de leurs amants,

    pour cacher quelles sont envieuses des autres femmes.

    407Il sen faut bien que ceux qui sattrapent nos finesses ne

    nous paraissent aussi ridicules que nous nous le paraissons nous-mmes quand les finesses des autres nous ont attraps.

    408Le plus dangereux ridicule des vieilles personnes qui ont t

    aimables, cest doublier quelles ne le sont plus.

    409Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions si le

    monde voyait tous les motifs qui les produisent.

    410Le plus grand effort de lamiti nest pas de montrer nos dfauts

    un ami ; cest de lui faire voir les siens.

    411On na gure de dfauts qui ne soient plus pardonnables que les

    moyens dont on se sert pour les cacher.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 63

    412Quelque honte que nous ayons mrite, il est presque toujours

    en notre pouvoir de rtablir notre rputation.

    413On ne plat pas longtemps quand on na que dune sorte desprit.

    414Les fous et les sottes gens ne voient que par leur humeur.

    415Lesprit nous sert quelquefois faire hardiment des sottises.

    416La vivacit qui augmente en vieillissant ne va pas loin de la folie.

    417En amour celui qui est guri le premier est toujours le mieux

    guri.

    418Les jeunes femmes qui ne veulent point paratre coquettes, et les

    hommes dun ge avanc qui ne veulent pas tre ridicules, ne doi-vent jamais parler de lamour comme dune chose o ils puissent avoir part.

    419Nous pouvons paratre grands dans un emploi au-dessous de

    notre mrite, mais nous paraissons souvent petits dans un emploi plus grand que nous.

    420Nous croyons souvent avoir de la constance dans les malheurs,

    lorsque nous navons que de labattement, et nous les souffrons

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S64

    sans oser les regarder comme les poltrons se laissent tuer de peur de se dfendre.

    421La confiance fournit plus la conversation que lesprit.

    422Toutes les passions nous font faire des fautes, mais lamour

    nous en fait faire de plus ridicules.

    423Peu de gens savent tre vieux.

    424Nous nous faisons honneur des dfauts opposs ceux que

    nous avons : quand nous sommes faibles, nous nous vantons dtre opinitres.

    425La pntration a un air de deviner qui flatte plus notre vanit

    que toutes les autres qualits de lesprit.

    426La grce de la nouveaut et la longue habitude, quelque oppo-

    ses quelles soient, nous empchent galement de sentir les dfauts de nos amis.

    427La plupart des amis dgotent de lamiti, et la plupart des

    dvots dgotent de la dvotion.

    428Nous pardonnons aisment nos amis les dfauts qui ne nous

    regardent pas.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 65

    429Les femmes qui aiment pardonnent plus aisment les grandes

    indiscrtions que les petites infidlits.

    430Dans la vieillesse de lamour comme dans celle de lge on vit

    encore pour les maux, mais on ne vit plus pour les plaisirs.

    431Rien nempche tant dtre naturel que lenvie de le paratre.

    432Cest en quelque sorte se donner part aux belles actions, que de

    les louer de bon cur.

    433La plus vritable marque dtre n avec de grandes qualits, cest

    dtre n sans envie.

    434Quand nos amis nous ont tromps, on ne doit que de lindiff-

    rence aux marques de leur amiti, mais on doit toujours de la sen-sibilit leurs malheurs.

    435La fortune et lhumeur gouvernent le monde.

    436Il est plus ais de connatre lhomme en gnral que de conna-

    tre un homme en particulier.

    437On ne doit pas juger du mrite dun homme par ses grandes

    qualits, mais par lusage quil en sait faire.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S66

    438Il y a une certaine reconnaissance vive qui ne nous acquitte pas

    seulement des bienfaits que nous avons reus, mais qui fait mme que nos amis nous doivent en leur payant ce que nous leur devons.

    439Nous ne dsirerions gure de choses avec ardeur, si nous con-

    naissions parfaitement ce que nous dsirons.

    440Ce qui fait que la plupart des femmes sont peu touches de

    lamiti, cest quelle est fade quand on a senti de lamour.

    441Dans lamiti comme dans lamour on est souvent plus heureux

    par les choses quon ignore que par celles que lon sait.

    442Nous essayons de nous faire honneur des dfauts que nous ne

    voulons pas corriger.

    443Les passions les plus violentes nous laissent quelquefois du rel-

    che, mais la vanit nous agite toujours.

    444Les vieux fous sont plus fous que les jeunes.

    445La faiblesse est plus oppose la vertu que le vice.

    446Ce qui rend les douleurs de la honte et de la jalousie si aigus,

    cest que la vanit ne peut servir les supporter.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 67

    447La biensance est la moindre de toutes les lois, et la plus suivie.

    448Un esprit droit a moins de peine de se soumettre aux esprits de

    travers que de les conduire.

    449Lorsque la fortune nous surprend en nous donnant une grande

    place sans nous y avoir conduits par degrs, ou sans que nous nous y soyons levs par nos esprances, il est presque impossible de sy bien soutenir, et de paratre digne de loccuper.

    450Notre orgueil saugmente souvent de ce que nous retranchons

    de nos autres dfauts.

    451Il ny a point de sots si incommodes que ceux qui ont de lesprit.

    452Il ny a point dhomme qui se croie en chacune de ses qualits

    au-dessous de lhomme du monde quil estime le plus.

    453Dans les grandes affaires on doit moins sappliquer faire natre

    des occasions qu profiter de celles qui se prsentent.

    454Il ny a gure doccasion o lon ft un mchant march de

    renoncer au bien quon dit de nous, condition de nen dire point de mal.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S68

    455Quelque disposition quait le monde mal juger, il fait encore

    plus souvent grce au faux mrite quil ne fait injustice au vritable.

    456On est quelquefois un sot avec de lesprit, mais on ne lest

    jamais avec du jugement.

    457Nous gagnerions plus de nous laisser voir tels que nous sommes,

    que dessayer de paratre ce que nous ne sommes pas.

    458Nos ennemis approchent plus de la vrit dans les jugements

    quils font de nous que nous nen approchons nous-mmes.

    459Il y a plusieurs remdes qui gurissent de lamour, mais il ny en

    a point dinfaillibles.

    460Il sen faut bien que nous connaissions tout ce que nos passions

    nous font faire.

    461La vieillesse est un tyran qui dfend sur peine de la vie tous les

    plaisirs de la jeunesse.

    462Le mme orgueil qui nous fait blmer les dfauts dont nous

    nous croyons exempts, nous porte mpriser les bonnes qualits que nous navons pas.

    463Il y a souvent plus dorgueil que de bont plaindre les malheurs

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 69

    de nos ennemis ; cest pour leur faire sentir que nous sommes au-dessus deux que nous leur donnons des marques de compassion.

    464Il y a un excs de biens et de maux qui passe notre sensibilit.

    465Il sen faut bien que linnocence ne trouve autant de protection

    que le crime.

    466De toutes les passions violentes, celle qui sied le moins mal aux

    femmes, cest lamour.

    467La vanit nous fait faire plus de choses contre notre got que la

    raison.

    468Il y a de mchantes qualits qui font de grands talents.

    469On ne souhaite jamais ardemment ce quon ne souhaite que par

    raison.

    470Toutes nos qualits sont incertaines et douteuses en bien comme

    en mal, et elles sont presque toutes la merci des occasions.

    471Dans les premires passions les femmes aiment lamant, et dans

    les autres elles aiment lamour.

    472Lorgueil a ses bizarreries, comme les autres passions ; on a

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S70

    honte davouer que lon ait de la jalousie, et on se fait honneur den avoir eu, et dtre capable den avoir.

    473Quelque rare que soit le vritable amour, il lest encore moins

    que la vritable amiti.

    474Il y a peu de femmes dont le mrite dure plus que la beaut.

    475Lenvie dtre plaint, ou dtre admir, fait souvent la plus

    grande partie de notre confiance.

    476Notre envie dure toujours plus longtemps que le bonheur de

    ceux que nous envions.

    477La mme fermet qui sert rsister lamour sert aussi le

    rendre violent et durable, et les personnes faibles qui sont toujours agites des passions nen sont presque jamais vritablement rem-plies.

    478Limagination ne saurait inventer tant de diverses contrarits

    quil y en a naturellement dans le cur de chaque personne.

    479Il ny a que les personnes qui ont de la fermet qui puissent avoir

    une vritable douceur ; celles qui paraissent douces nont dordi-naire que de la faiblesse, qui se convertit aisment en aigreur.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 71

    480La timidit est un dfaut dont il est dangereux de reprendre les

    personnes quon en veut corriger.

    481Rien nest plus rare que la vritable bont ; ceux mmes qui

    croient en avoir nont dordinaire que de la complaisance ou de la faiblesse.

    482Lesprit sattache par paresse et par constance ce qui lui est

    facile ou agrable ; cette habitude met toujours des bornes nos connaissances, et jamais personne ne sest donn la peine dtendre et de conduire son esprit aussi loin quil pourrait aller.

    483On est dordinaire plus mdisant par vanit que par malice.

    484Quand on a le cur encore agit par les restes dune passion, on

    est plus prs den prendre une nouvelle que quand on est entire-ment guri.

    485Ceux qui ont eu de grandes passions se trouvent toute leur vie

    heureux, et malheureux, den tre guris.

    486Il y a encore plus de gens sans intrt que sans envie.

    487Nous avons plus de paresse dans lesprit que dans le corps.

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S72

    488Le calme ou lagitation de notre humeur ne dpend pas tant de

    ce qui nous arrive de plus considrable dans la vie, que dun arran-gement commode ou dsagrable de petites choses qui arrivent tous les jours.

    489Quelque mchants que soient les hommes, ils noseraient para-

    tre ennemis de la vertu, et lorsquils la veulent perscuter, ils fei-gnent de croire quelle est fausse ou ils lui supposent des crimes.

    490On passe souvent de lamour lambition, mais on ne revient

    gure de lambition lamour.

    491Lextrme avarice se mprend presque toujours ; il ny a point de

    passion qui sloigne plus souvent de son but, ni sur qui le prsent ait tant de pouvoir au prjudice de lavenir.

    492Lavarice produit souvent des effets contraires ; il y a un nombre

    infini de gens qui sacrifient tout leur bien des esprances dou-teuses et loignes, dautres mprisent de grands avantages venir pour de petits intrts prsents.

    493Il semble que les hommes ne se trouvent pas assez de dfauts ;

    ils en augmentent encore le nombre par de certaines qualits sin-gulires dont ils affectent de se parer, et ils les cultivent avec tant de soin quelles deviennent la fin des dfauts naturels, quil ne dpend plus deux de corriger.

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    494Ce qui fait voir que les hommes connaissent mieux leurs fautes

    quon ne pense, cest quils nont jamais tort quand on les entend parler de leur conduite : le mme amour-propre qui les aveugle dordinaire les claire alors, et leur donne des vues si justes quil leur fait supprimer ou dguiser les moindres choses qui peuvent tre condamnes.

    495Il faut que les jeunes gens qui entrent dans le monde soient hon-

    teux ou tourdis : un air capable et compos se tourne dordinaire en impertinence.

    496Les querelles ne dureraient pas longtemps, si le tort ntait que

    dun ct.

    497Il ne sert de rien dtre jeune sans tre belle, ni dtre belle sans

    tre jeune.

    498Il y a des personnes si lgres et si frivoles quelles sont aussi

    loignes davoir de vritables dfauts que des qualits solides.

    499On ne compte dordinaire la premire galanterie des femmes

    que lorsquelles en ont une seconde.

    500Il y a des gens si remplis deux-mmes que, lorsquils sont

    amoureux, ils trouvent moyen dtre occups de leur passion sans ltre de la personne quils aiment.

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    501Lamour, tout agrable quil est, plat encore plus par les mani-

    res dont il se montre que par lui-mme.

    502Peu desprit avec de la droiture ennuie moins, la longue, que

    beaucoup desprit avec du travers.

    503La jalousie est le plus grand de tous les maux, et celui qui fait le

    moins de piti aux personnes qui le causent.

    504Aprs avoir parl de la fausset de tant de vertus apparentes, il

    est raisonnable de dire quelque chose de la fausset du mpris de la mort. Jentends parler de ce mpris de la mort que les paens se vantent de tirer de leurs propres forces, sans lesprance dune meilleure vie. Il y a diffrence entre souffrir la mort constamment, et la mpriser. Le premier est assez ordinaire ; mais je crois que lautre nest jamais sincre. On a crit nanmoins tout ce qui peut le plus persuader que la mort nest point un mal ; et les hommes les plus faibles aussi bien que les hros ont donn mille exemples cl-bres pour tablir cette opinion. Cependant je doute que personne de bon sens lait jamais cru ; et la peine que lon prend pour le persuader aux autres et soi-mme fait assez voir que cette entre-prise nest pas aise. On peut avoir divers sujets de dgots dans la vie, mais on na jamais raison de mpriser la mort ; ceux mmes qui se la donnent volontairement ne la comptent pas pour si peu de chose, et ils sen tonnent et la rejettent comme les autres, lors-quelle vient eux par une autre voie que celle quils ont choisie. Lingalit que lon remarque dans le courage dun nombre infini de vaillants hommes vient de ce que la mort se dcouvre diff-remment leur imagination, et y parat plus prsente en un temps

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    quen un autre. Ainsi il arrive quaprs avoir mpris ce quils ne connaissent pas, ils craignent enfin ce quils connaissent. Il faut viter de lenvisager avec toutes ses circonstances, si on ne veut pas croire quelle soit le plus grand de tous les maux. Les plus habiles et les plus braves sont ceux qui prennent de plus honntes prtex-tes pour sempcher de la considrer. Mais tout homme qui la sait voir telle quelle est, trouve que cest une chose pouvantable. La ncessit de mourir faisait toute la constance des philosophes. Ils croyaient quil fallait aller de bonne grce o lon ne saurait semp-cher daller ; et, ne pouvant terniser leur vie, il ny avait rien quils ne fissent pour terniser leur rputation, et sauver du naufrage ce qui nen peut tre garanti. Contentons-nous pour faire bonne mine de ne nous pas dire nous-mmes tout ce que nous en pensons, et esprons plus de notre temprament que de ces faibles raison-nements qui nous font croire que nous pouvons approcher de la mort avec indiffrence. La gloire de mourir avec fermet, lesp-rance dtre regrett, le dsir de laisser une belle rputation, lassu-rance dtre affranchi des misres de la vie, et de ne dpendre plus des caprices de la fortune, sont des remdes quon ne doit pas reje-ter. Mais on ne doit pas croire aussi quils soient infaillibles. Ils font pour nous assurer ce quune simple haie fait souvent la guerre pour assurer ceux qui doivent approcher dun lieu do lon tire. Quand on en est loign, on simagine quelle peut mettre cou-vert ; mais quand on en est proche, on trouve que cest un faible secours. Cest nous flatter, de croire que la mort nous paraisse de prs ce que nous en avons jug de loin, et que nos sentiments, qui ne sont que faiblesse, soient dune trempe assez forte pour ne point souffrir datteinte par la plus rude de toutes les preuves. Cest aussi mal connatre les effets de lamour-propre, que de penser quil puisse nous aider compter pour rien ce qui le doit ncessairement dtruire, et la raison, dans laquelle on croit trouver tant de ressources, est trop faible en cette rencontre pour nous per-suader ce que nous voulons. Cest elle au contraire qui nous trahit

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    le plus souvent, et qui, au lieu de nous inspirer le mpris de la mort, sert nous dcouvrir ce quelle a daffreux et de terrible. Tout ce quelle peut faire pour nous est de nous conseiller den dtourner les yeux pour les arrter sur dautres objets. Caton et Brutus en choisirent dillustres. Un laquais se contenta il y a quelque temps de danser sur lchafaud o il allait tre rou. Ainsi, bien que les motifs soient diffrents, ils produisent les mmes effets. De sorte quil est vrai que, quelque disproportion quil y ait entre les grands hommes et les gens du commun, on a vu mille fois les uns et les autres recevoir la mort dun mme visage ; mais a toujours t avec cette diffrence que, dans le mpris que les grands hommes font paratre pour la mort, cest lamour de la gloire qui leur en te la vue, et dans les gens du commun ce nest quun effet de leur peu de lumire qui les empche de connatre la grandeur de leur mal et leur laisse la libert de penser autre chose.

  • MAXIMES SUPPRIMES

    1. MAXIMES SUPPRIMES APRS LA PREMIRE DITION

    1Lamour-propre est lamour de soi-mme, et de toutes choses

    pour soi ; il rend les hommes idoltres deux-mmes, et les rendrait les tyrans des autres si la fortune leur en donnait les moyens ; il ne se repose jamais hors de soi, et ne sarrte dans les sujets trangers que comme les abeilles sur les fleurs, pour en tirer ce qui lui est propre. Rien nest si imptueux que ses dsirs, rien de si cach que ses desseins, rien de si habile que ses conduites ; ses souplesses ne se peuvent reprsenter, ses transformations passent celles des mtamorphoses, et ses raffinements ceux de la chimie. On ne peut sonder la profondeur, ni percer les tnbres de ses abmes. L il est couvert des yeux les plus pntrants ; il y fait mille insensibles tours et retours. L il est souvent invisible lui-mme, il y conoit, il y nourrit, et il y lve, sans le savoir, un grand nombre daffec-tions et de haines ; il en forme de si monstrueuses que, lorsquil les a mises au jour, il les mconnat, ou il ne peut se rsoudre les avouer. De cette nuit qui le couvre naissent les ridicules persua-sions quil a de lui-mme ; de l viennent ses erreurs, ses ignoran-ces, ses grossirets et ses niaiseries sur son sujet ; de l vient quil croit que ses sentiments sont morts lorsquils ne sont quendormis,

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    quil simagine navoir plus envie de courir ds quil se repose, et quil pense avoir perdu tous les gots quil a rassasis. Mais cette obscurit paisse, qui le cache lui-mme, nempche pas quil ne voie parfaitement ce qui est hors de lui, en quoi il est semblable nos yeux, qui dcouvrent tout, et sont aveugles seulement pour eux-mmes. En effet dans ses plus grands intrts, et dans ses plus importantes affaires, o la violence de ses souhaits appelle toute son attention, il voit, il sent, il entend, il imagine, il souponne, il pntre, il devine tout ; de sorte quon est tent de croire que chacune de ses passions a une espce de magie qui lui est propre. Rien nest si intime et si fort que ses attachements, quil essaye de rompre inutilement la vue des malheurs extrmes qui le mena-cent. Cependant il fait quelquefois en peu de temps, et sans aucun effort, ce quil na pu faire avec tous ceux dont il est capable dans le cours de plusieurs annes ; do lon pourrait conclure assez vrai-semblablement que cest par lui-mme que ses dsirs sont allums, plutt que par la beaut et par le mrite de ses objets ; que son got est le prix qui les relve, et le fard qui les embellit ; que cest aprs lui-mme quil court, et quil suit son gr, lorsquil suit les choses qui sont son gr. Il est tous les contraires : il est imprieux et obissant, sincre et dissimul, misricordieux et cruel, timide et audacieux. Il a de diffrentes inclinations selon la diversit des tem-praments qui le tournent, et le dvouent tantt la gloire, tantt aux richesses, et tantt aux plaisirs ; il en change selon le change-ment de nos ges, de nos fortunes et de nos expriences, mais il lui est indiffrent den avoir plusieurs ou de nen avoir quune, parce quil se partage en plusieurs et se ramasse en une quand il le faut, et comme il lui plat. Il est inconstant, et outre les changements qui viennent des causes trangres, il y en a une infinit qui naissent de lui, et de son propre fonds ; il est inconstant dinconstance, de lg-ret, damour, de nouveaut, de lassitude et de dgot ; il est capri-cieux, et on le voit quelquefois travailler avec le dernier empres-sement, et avec des travaux incroyables, obtenir des choses qui

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    ne lui sont point avantageuses, et qui mme lui sont nuisibles, mais quil poursuit parce quil les veut. Il est bizarre, et met souvent toute son application dans les emplois les plus frivoles ; il trouve tout son plaisir dans les plus fades, et conserve toute sa fiert dans les plus mprisables. Il est dans tous les tats de la vie, et dans toutes les conditions ; il vit partout, et il vit de tout, il vit de rien ; il saccom-mode des choses, et de leur privation ; il passe mme dans le parti des gens qui lui font la guerre, il entre dans leurs desseins ; et ce qui est admirable, il se hait lui-mme avec eux, il conjure sa perte, il travaille mme sa ruine. Enfin il ne se soucie que dtre, et pourvu quil soit, il veut bien tre son ennemi. Il ne faut donc pas stonner sil se joint quelquefois la plus rude austrit, et sil entre si hardiment en socit avec elle pour se dtruire, parce que, dans le mme temps quil se ruine en un endroit, il se rtablit en un autre ; quand on pense quil quitte son plaisir, il ne fait que le suspendre, ou le changer, et lors mme quil est vaincu et quon croit en tre dfait, on le retrouve qui triomphe dans sa propre dfaite. Voil la peinture de lamour-propre, dont toute la vie nest quune grande et longue agitation ; la mer en est une image sensible, et lamour-propre trouve dans le flux et le reflux de ses vagues continuelles une fidle expression de la suc-cession turbulente de ses penses, et de ses ternels mouvements.

    2Toutes les passions ne sont autre chose que les divers degrs de

    la chaleur, et de la froideur, du sang.

    3La modration dans la bonne fortune nest que lapprhension de

    la honte qui suit lemportement, ou la peur de perdre ce que lon a.

    4La modration est comme la sobrit : on voudrait bien manger

    davantage, mais on craint de se faire mal.

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    5Tout le monde trouve redire en autrui ce quon trouve redire

    en lui.

    6Lorgueil, comme lass de ses artifices et de ses diffrentes

    mtamorphoses, aprs avoir jou tout seul tous les personnages de la comdie humaine, se montre avec un visage naturel, et se dcou-vre par la fiert ; de sorte qu proprement parler la fiert est lclat et la dclaration de lorgueil.

    7La complexion qui fait le talent pour les petites choses est con-

    traire celle quil faut pour le talent des grandes.

    8Cest une espce de bonheur, de connatre jusques quel point

    on doit tre malheureux.

    9On nest jamais si malheureux quon croit, ni si heureux quon

    avait espr.

    10On se console souvent dtre malheureux par un certain plaisir

    quon trouve le paratre.

    11Il faudrait pouvoir rpondre de sa fortune, pour pouvoir rpon-

    dre de ce que lon fera.

    12Comment peut-on rpondre de ce quon voudra lavenir, puis-

  • M A X I M E S E T R F L E X I O N S D I V E R S E S 81

    que lon ne sait pas prcisment ce que lon veut dans le