La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des...

10
Choplin et Marchal, Rhéologie, Vol. 12, 9-18 (2007) 9 NB : Une partie importante de cet article a été présentée sous forme de conférence invitée au 40 ème Colloque Annuel du Groupe Français de Rhéologie, à Nice, en octobre 2005. La rhéologie systémique ou une rhéologie au service d’un génie des procédés et des produits L. Choplin et P. Marchal Centre de Génie Chimique des Milieux Rhéologiquement Complexes (GEMICO, EA 1743), Ecole Nationale Supérieure des Industries Chimiques (ENSIC) Institut National Polytechnique de Lorraine (INPL) 1, rue Grandville, BP 20451 - F-54001 NANCY Cedex Correspondance : [email protected] Reçu le 19 septembre 2007 - Version finale acceptée le 23 novembre 2007 ------------------------- Résumé : La plupart des produits formulés sont hétérogènes, rhéologiquement complexes et difficiles à caractériser à l’issue de leur élaboration. Qui plus est, leurs propriétés rhéologiques, qui conditionnent leurs performances à l’application, sont particulièrement dépendantes du procédé d’élaboration. L’approche "Rhéologie Systémique" (et le développement de rhéo-réacteurs) constitue une alternative méthodologique originale au service du génie de la formulation ou génie des produits formulés. Plusieurs exemples d’applications, concernant différents secteurs industriels, illustrent les potentialités de cette approche. Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation [Abridged English version on last page] 1. Introduction Au cours des dernières années, de nombreux secteurs d’applications industrielles (chimie de spécialité, pharmacie, cosmétique, agro-alimentaire, peintures…) ont évolué vers une problématique de synthèse de fonctions et de propriétés d’usage. Cette évolution a donné naissance à ce qu’il est désormais convenu d’appeler une science et non plus un art, la formulation. La formulation se situe à un carrefour de différentes disciplines qu’elle intègre : la chimie, la biochimie, la physico-chimie, la rhéologie, la science des interfaces, la science des colloïdes… Elle présente plusieurs facettes et est hautement pluridisciplinaire. Elle consiste à gérer de façon optimale la complexité inhérente à l’association de plusieurs constituants (ingrédients), éventuellement incompatibles, en vue d’élaborer ou de synthétiser un produit ayant une (ou des) propriété(s) ou fonction(s) d’usage macroscopique(s) (par exemple agro-alimentaire, thérapeutique, organoleptique, cosmétique…). On considère aujourd’hui que le poids économique des activités de formulation représente près de la moitié de l’ensemble des activités industrielles. Ce simple constat montre à quel point la formulation représente un domaine à forts enjeux scientifiques et industriels. Toute activité industrielle s’appuie sur une transformation de matière et d’énergie. Cette transformation est un processus complexe dont la mise au point à l’échelle productive pose des problèmes et des défis difficiles, où se mêlent réactions chimiques, échanges de chaleur et de matière, circulations de fluides et de solides, tenue des matériaux… Concevoir et développer des procédés performants, respectant les exigences drastiques de fiabilité des produits fabriqués performants ou de protection de l’environnement, constitue l’objectif essentiel du génie des procédés, dont les concepts et méthodes ne sont en fait qu’une généralisation de ceux du génie chimique. La partie du génie des procédés qui concerne spécifiquement la formulation et les produits (dits formulés) s’appelle le génie de la formulation ou encore le génie des produits.

Transcript of La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des...

Page 1: La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation [Abridged English

Choplin et Marchal, Rhéologie, Vol. 12, 9-18 (2007) 9

NB : Une partie importante de cet article a été présentée sous forme de conférence invitée au 40ème Colloque Annuel du Groupe Français de Rhéologie, à Nice, en octobre 2005.

La rhéologie systémique ou une rhéologie au service d’un génie des procédés

et des produits L. Choplin et P. Marchal

Centre de Génie Chimique des Milieux Rhéologiquement Complexes (GEMICO, EA 1743), Ecole Nationale Supérieure des Industries Chimiques (ENSIC)

Institut National Polytechnique de Lorraine (INPL) 1, rue Grandville, BP 20451 - F-54001 NANCY Cedex

Correspondance : [email protected]

Reçu le 19 septembre 2007 - Version finale acceptée le 23 novembre 2007

-------------------------

Résumé : La plupart des produits formulés sont hétérogènes, rhéologiquement complexes et difficiles à caractériser à l’issue de leur élaboration. Qui plus est, leurs propriétés rhéologiques, qui conditionnent leurs performances à l’application, sont particulièrement dépendantes du procédé d’élaboration. L’approche "Rhéologie Systémique" (et le développement de rhéo-réacteurs) constitue une alternative méthodologique originale au service du génie de la formulation ou génie des produits formulés. Plusieurs exemples d’applications, concernant différents secteurs industriels, illustrent les potentialités de cette approche.

Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation

[Abridged English version on last page]

1. Introduction

Au cours des dernières années, de nombreux secteurs d’applications industrielles (chimie de spécialité, pharmacie, cosmétique, agro-alimentaire, peintures…) ont évolué vers une problématique de synthèse de fonctions et de propriétés d’usage. Cette évolution a donné naissance à ce qu’il est désormais convenu d’appeler une science et non plus un art, la formulation. La formulation se situe à un carrefour de différentes disciplines qu’elle intègre : la chimie, la biochimie, la physico-chimie, la rhéologie, la science des interfaces, la science des colloïdes… Elle présente plusieurs facettes et est hautement pluridisciplinaire. Elle consiste à gérer de façon optimale la complexité inhérente à l’association de plusieurs constituants (ingrédients), éventuellement incompatibles, en vue d’élaborer ou de synthétiser un produit ayant une (ou des) propriété(s) ou fonction(s) d’usage macroscopique(s) (par exemple agro-alimentaire, thérapeutique, organoleptique, cosmétique…). On considère aujourd’hui que le poids économique des activités de formulation représente près de la moitié de l’ensemble des

activités industrielles. Ce simple constat montre à quel point la formulation représente un domaine à forts enjeux scientifiques et industriels.

Toute activité industrielle s’appuie sur une transformation de matière et d’énergie. Cette transformation est un processus complexe dont la mise au point à l’échelle productive pose des problèmes et des défis difficiles, où se mêlent réactions chimiques, échanges de chaleur et de matière, circulations de fluides et de solides, tenue des matériaux… Concevoir et développer des procédés performants, respectant les exigences drastiques de fiabilité des produits fabriqués performants ou de protection de l’environnement, constitue l’objectif essentiel du génie des procédés, dont les concepts et méthodes ne sont en fait qu’une généralisation de ceux du génie chimique. La partie du génie des procédés qui concerne spécifiquement la formulation et les produits (dits formulés) s’appelle le génie de la formulation ou encore le génie des produits.

Page 2: La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation [Abridged English

10 Choplin et Marchal, Rhéologie, Vol. 12, 9-18 (2007)

La plupart des produits formulés (produits alimentaires, produits de soins ou cosmétiques, peintures et vernis…) exhibent un comportement rhéologique complexe, en ce sens qu’ils ne peuvent être caractérisés par une mesure unique de viscosité. En effet, la viscosité de ces produits est une fonction du type et de l’intensité de la sollicitation mécanique impartie, de l’échelle de temps considérée, du niveau de structuration ou d'organisation des différents éléments constitutifs du produit formulé et de l’équilibre des forces d’interaction entre ces différents éléments. D’autre part, les produits formulés doivent présenter des propriétés et des fonctions d’usage ou d’application. Par exemple, dans le domaine des peintures industrielles, différentes formulations peuvent présenter des viscosités Störmer semblables, mais un compor-tement visqueux fort différent sur une large plage de vitesses de cisaillement, ce qui peut conditionner le choix d’une formulation en relation avec les modes d’application ou d’utilisation. Qui plus est, ces formulations doivent posséder des propriétés thixotropes bien dosées pour éviter les coulures ou traces de pinceau. Ces propriétés sont souvent obtenues grâce à la présence d’additifs, dits modificateurs de rhéologie (polymères, additifs particulaires, surfactifs…). Contrôler l’action de ces additifs, leur mode et leur protocole d’incorporation au cours d’un procédé d’élaboration de produits formulés est crucial pour l’obtention des caractéristiques ultimes de ces produits. Il existe des couplages forts et irréductibles entre formulation, rhéologie et génie des procédés, qu’il est fondamental d’appréhender et de maîtriser. Afin d’étudier ces couplages, nous avons développé ce qu’il est convenu d’appeler une rhéologie systémi-que, qui s’avère être un outil méthodologique original, dont le principe repose sur une intégration de connaissances provenant de plusieurs disciplines (génie des procédés et rhéologie, principalement), en fait un "macroscope" dans le sens où la rhéologie permet de rendre compte, à une échelle macros-copique, de phénomènes qui se produisent à une échelle microscopique, voire moléculaire [1].

Cette approche méthodologique participe d’un génie des procédés ou des produits assisté par rhéologie, et est complémentaire d’une approche de type rhéo-physique.

2. Le rhéo-réacteur

Les processus de transformation de matière et d’énergie s’effectuent généralement dans des réacteurs. Dans le contexte rhéologie systémique, il s’agit d’adapter un mini-réacteur (cuve munie d’un

système d’agitation-mélange) sur un rhéomètre, afin d’extraire des informations rhéologiques pertinentes pendant et au terme d’un processus de transfor-mation. Le mini-réacteur ainsi "instrumenté" s’appelle un rhéo-réacteur. Le principe d’obtention d’informations rhéologiques dans ce rhéo-réacteur est fondé sur une analyse utilisant une analogie de Couette [2]. Elle consiste à déterminer le rayon Ri du cylindre interne d’un système de Couette virtuel, ayant même hauteur L que l’agitateur, pour lequel, à vitesse angulaire de rotation donnée N, le couple C généré dans la cuve (cylindrique de rayon Re) est identique à celui généré dans le système réel cuve-agitateur (Fig. 1).

Figure 1. Principe de l'analogie de Couette.

La résolution des équations de conservation dans cette géométrie virtuelle pour un fluide en loi de puissance conduit à :

2//12241

nne

ei CRLK

nNRR ⎟

⎜⎜

⎛⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛+=

ππ

(1)

où n est l’indice de la loi puissance et K la consistance. Pour une série de couples de valeurs (N, C), il s’avère que Ri est une fonction faible de l’indice d’écoulement n, si l'on excepte le cas limite où n tend vers 0, donc pour la très grande majorité des fluides réels. Par conséquent, Ri peut être déterminé dans le cas où n = 1, c’est-à-dire pour un fluide newtonien de viscosité connue.

La contrainte de cisaillement s’exprime par :

22)(

rLCr

πτ =

(2)

et la vitesse de cisaillement (toujours pour un fluide en loi de puissance) par :

Page 3: La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation [Abridged English

Choplin et Marchal, Rhéologie, Vol. 12, 7-16 (2007) 11

⎟⎟

⎜⎜

⎛−⎟

⎠⎞

⎜⎝⎛= ⎟

⎠⎞⎜

⎝⎛

n

e

in

i

RR

rR

nNr

/2/2

14)( πγ&

(3)

L’analyse de cette dernière équation montre que, même dans le cas d’un entrefer large, il existe une position r = r* pour laquelle la vitesse de cisail-lement est essentiellement indépendante de n. Cette valeur r* peut donc être calculée pour le cas particulier où n = 1. La vitesse de cisaillement à cette position spécifique r = r* est donc proportion-nelle à N : NKγγ && = . En fait, γ&K n’est autre que la constante Ks de Metzner-Otto, bien connue dans le domaine de l’agitation-mélange en régime laminaire, qui utilise le concept de vitesse de cisaillement effective et qui, jusqu’ici, ne pouvait être déterminée qu’à l’aide de corrélations empiriques [3]. Pour accéder à la viscosité apparente ou effective, il suffit donc d’effectuer le rapport de la contrainte de cisaillement évaluée à r* à la vitesse de cisaillement également évaluée à r* et pour n = 1 à l’aide des équations précédentes. Cette analogie de Couette peut également être transposée pour des tests oscillatoires de faible amplitude de déformation. Dans ce cas, le module complexe est donné par :

δ

γτ ieiGGG

0"'* =+=

(4)

Les modules de conservation G’ et de perte G" peuvent être calculés en connaissant les expressions de la contrainte et de la déformation γ0 dans la géométrie de Couette virtuelle, pour r = r* et n = 1. Cette déformation γ0 est donnée par :

⎟⎟

⎜⎜

⎛⎟⎟⎠

⎞⎜⎜⎝

⎛−⎟

⎠⎞

⎜⎝⎛=

22

0 12* e

ii

RR

rR θγ

(5)

où θ est l’angle de déformation. Les résultats expérimentaux obtenus avec cette méthode ont montré une bonne correspondance (erreur inférieure à 5%, ce qui correspond à la norme des précisions de mesure communément admise en rhéométrie) avec ceux obtenus avec des géométries conventionnelles, en régime permanent et oscillatoire et pour divers agitateurs et systèmes fluides rhéologiquement complexes [4]. Nous illustrons ci-après quelques exemples de résultats sur les Figures 2 et 3.

Le rhéo-réacteur est cependant bien plus qu’un réacteur dans lequel il est possible d’extraire des informations rhéologiques grâce à l’analogie de Couette. En effet, l’opération unitaire de mélange est très répandue dans nombre de procédés complexes de transformation. Elle peut consister à mélanger des

Figure 2. Exemples comparés de rhéogrammes obtenus

dans des géométries conventionnelles et dans des géométries de rhéo-reacteurs à 25°C.

a) solution aqueuse de carboxyméthylcellulose (2 % en poids): comparaison cône/plan et ancre.

b) sauce à salade (MAILLE) : comparaison plan/plan et ruban hélicoïdal.

produits miscibles, disperser des liquides non miscibles ou des solides dans un liquide, remettre en suspension des particules solides ayant sédimenté... La mesure du couple C dans des conditions d’agitation données permet l’accès à des grandeurs macroscopiques fondamentales, telles que la puissance consommée, les temps de macromélange (tm) et de circulation (tc) au sein du réservoir agité (Fig. 4).

Elle permet également d’appréhender les démarrages ou les conditions de réhomogénéisation (en particulier lorsque les milieux sont viscoélastiques) et la détermination des conditions d’incorporation séquentielle d’additifs modificateurs de rhéologie. Ces informations sont particulièrement utiles aux formulateurs pour la transposition de protocoles de

■ cône/plan ● ancre

Page 4: La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation [Abridged English

12 Choplin et Marchal, Rhéologie, Vol. 12, 9-18 (2007)

1

10

100

0.001 0.01 0.1 1 10 100 1000

ω (rad.s-1)

G', G"(Pa)

G' parallelplatesG" parallelplatesG' helical ribbon

G',G" (Pa)

ω (rad.s-1)

0.1

1

10

100

0.01 0.1 1 10 100 1000

ω (rad.s-1)

G', G"(Pa)

G' cone plateG" cone plateG' anchorG" anchor

G',G" (Pa)

ω (rad.s-1)

(a)

(b)

plan/plan

ruban

cône/plan

ancre

Figure 3. Exemples comparés de spectres mécaniques

obtenus dans des géométries conventionnelles et dans des géométries de rhéo-reacteurs à 25°C.

a) solution aqueuse de carboxyméthylcellulose (2 % en poids): comparaison cône/plan et ancre.

b) sauce à salade (MAILLE): comparaison plan/plan et ruban hélicoïdal.

Figure 4. Détermination des temps tm et tc par mesure du couple C.

formulation. De plus, entre les différentes étapes d’une formulation, on peut insérer des analyses rhéologiques, directement au sein dudit réacteur,

sans échantillonnage, qui renseignent sur les évolutions rhéologiques, voire structurelles, ainsi que sur l’influence des conditions d’incorporation des différents ingrédients constitutifs d’une formulation donnée. Lorsque les additifs modificateurs de rhéologie agissent de façon plus profonde sur le milieu (réactions chimiques, modifications physiques ou physico-chimiques, par exemple), le suivi rhéologique in-situ peut se révéler être un outil fort intéressant pour l’étude cinétique des mécanismes mis en jeu, à condition bien entendu que la cinétique d’évolution rhéologique soit relativement lente par rapport au temps d’homogé-néisation des conditions propices à la caractérisation rhéologique, texp. Si F est la fonction rhéologique que l’on cherche à suivre au cours du temps, le nombre de mutation Nmu défini par [5] :

tF

Ft

Nmu ∂∂

⋅= exp

(6)

ne doit pas excéder quelques pour-cents. Ceci ne peut cependant être vérifié qu’a posteriori. Ce temps d’homogénéisation peut être le temps de macro-mélange (s’il s’agit de disperser un réactif ou un catalyseur), le temps de mise en température dans le cas de certaines réactions chimiques (réticulation …) ou d’un processus de gélification. Dans ces derniers cas, les rhéo-réacteurs, en raison de leur taille réduite, présentent l’avantage de permettre un contrôle thermique relativement aisé. De plus, grâce à la spectroscopie mécanique à transformée de Fourier, on peut maintenant effectuer non seulement un suivi de cinétiques d’évolutions rhéologiques relativement rapides, mais surtout étudier celles-ci sur une plage de fréquences plutôt qu’à une fréquence unique, la fréquence fondamentale,

exp0 /2 tkπω = (7)

où k est le nombre de cycles par mesure. Cette technique permet entre autres une détermination précise du point de gel [6, 7]. Qui plus est, il est possible d’analyser l’influence des conditions d’incorporation d’additifs sur les cinétiques d’évolution rhéologique. Ceci est particulièrement utile lorsque les interactions ou associations sont induites par des déformations ou des écoulements.

3. Applications de l’approche rhéologique systémique

3.1 Formulation de bitumes additivés (conso-lidés) L’incorporation de polymères dans les bitumes est une pratique répandue de renforcement de leurs

Page 5: La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation [Abridged English

Choplin et Marchal, Rhéologie, Vol. 12, 7-16 (2007) 13

propriétés grâce à la présence d’agents de réticulation [8]. Le protocole d’incorporation peut être étudié à l’aide d’un rhéo-réacteur, tel que celui illustré sur la Figure 5a. Il consiste à chauffer le bitume sous agitation jusqu’à une température désirée afin de faciliter la dispersion du polymère ajouté. La cinétique de dispersion, puis l’incorpo-ration de l’agent réticulant (du soufre en l’occur-rence) et la cinétique de réticulation peuvent être suivies via la mesure in situ de la viscosité, à une vitesse de rotation donnée du système d’agitation (a)

Figure 5. a) photographie du rhéo-réacteur de 75 mL; b) évolution de la viscosité effective lors du protocole

opératoire; c) détermination de la température d’orniérage SHRP.

(correspondant à une vitesse de cisaillement effective) comme le montre la Figure 5b. Au terme de la réaction de réticulation, l’agitation est stoppée et le produit de la réaction peut être analysé par spectroscopie mécanique, directement dans le rhéo-réacteur, en utilisant une procédure normée SHRP [9] à une fréquence ω = 10 rad/s, la quantité G*/sinδ = 103 Pa étant corrélée à la température d’orniérage (Fig. 5c). Même à l’échelle du rhéo-réacteur, pas nécessairement représentative de conditions réelles, il est possible d’étudier l’effet des nombreuses variables de procédé sur les caractéristiques du bitume additivé, dégager des tendances et s’approcher rapidement et à moindre coût de procédures et protocoles optimaux.

3.2 Hydratation et prise des pâtes de ciment [10, 11] Les propriétés des ciments sont contrôlées par leur microstructure, laquelle se développe au cours d’une suite particulièrement complexe d’étapes telles que le mouillage, le mélangeage (gâchage), l’hydra-tation, la prise et le durcissement. Ces étapes intimement liées transforment un matériau granulaire, dense et non cohésif, en un matériau particulièrement structuré et cohésif, via l’ajout d’une quantité contrôlée d’eau. Les étapes de mouillage et de gâchage sont reconnues détermi-nantes pour le développement de la microstructure et de la prise. Si ces deux premières étapes sont réalisées dans un rhéo-réacteur, le suivi du couple permet de quantifier l’énergie mécanique fournie, tout en assurant une reproductibilité de cette partie du procédé.

Le suivi in-situ de l’évolution structurelle du ciment après ces deux étapes peut être réalisé grâce à la spectroscopie mécanique (dans le domaine de viscoélasticité linéaire, préalablement déterminé par une série d’expériences). La Figure 6 montre, pour un système donné (eau/ciment = 0,3 en poids), l’évolution des modules de stockage G’ et de perte G" à très petite déformation et à une fréquence de 1 Hz. Le temps t = 0 correspond à la fin de la période de gâchage.

On remarque une évolution rhéologique rapide au cours de 2 à 3 minutes suivant le gâchage, due au développement d’interactions à courte portée (de corrélations ioniques) entre les surfaces des grains de silicate anhydre (phase I). Puis, durant la phase II, se produit la formation d’hydrates de nature colloïdale (de taille inférieure à 60 nanomètres) aux points de "contact" entre les particules anhydres (observables par microscopie AFM) qui contribuent à accroître la connectivité et à une évolution plus

Page 6: La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation [Abridged English

14 Choplin et Marchal, Rhéologie, Vol. 12, 9-18 (2007)

lente des modules, sur une période de plusieurs heures. Le temps de prise, défini par pénétromètrie Vicat (aux environs de 90 minutes ici), n’apparaît pas comme pouvant être associé à une éventuelle transition structurelle.

Figure 6. Evolution des modules de stockage G’ et de perte G" après les étapes de mouillage et de gâchage.

3.3 Etudes des processus d’inversion de phase catastrophique dynamique d’émulsions [12, 13]

L’inversion de phase d’émulsions est un processus au cours duquel un système émulsionné passe, par exemple, d’une morphologie eau-dans-huile à une morphologie huile-dans-eau ou vice versa. Parmi les processus d’inversion, un des plus répandus dans l’industrie (peintures à base de résine époxy ou alkydes, fabrication d’émulsions cosmétiques huile-dans-eau (H/E), par exemple), même si pas vraiment maîtrisé, est un processus d’inversion catastrophique dynamique, produit par un changement de compo-sition en mode discontinu (semi-batch), et qui présente l’avantage de permettre l’obtention de très fines gouttelettes.

D’une façon générale le protocole opératoire consiste à ajouter lentement de l’eau à une huile contenant un surfactant hydrophile. Même si, en principe, on obtient dans les premiers instants du

procédé une dispersion eau-dans-huile (E/H), en réalité on a très vite une émulsion (dispersion) multiple (ou anormale) de type H/E/H, sous l’effet de l’agitation continue et surtout d’un conflit entre composition et formulation (la règle de Bancroft n’est pas suivie). Progressivement, sous l’effet combiné de l’agitation et de l’ajout continu d’eau, les gouttes d’eau deviennent plus nombreuses et gonflent en raison de l’incorporation de fines gouttes d’huile et ce, jusqu’à l’atteinte d’une fraction volu-mique critique de la phase dispersée fwc (en l’occurrence, l’eau contenant les gouttelettes d’huile), où se produit l’inversion dite catas-trophique.

La méthodologie "rhéologie systémique" s’avère être particulièrement intéressante pour suivre in-situ l’évolution simultanée de la viscosité et de la conductivité du système et étudier ce type de procédé d’inversion, dans un rhéo-réacteur transformé en "rhéo-émulseur", comme l’indique la Figure 7.

N

outil disperseur(Ultra-Turrax)

géométrie de procédé

(ancre)

conductimètre

addition de phases

bain thermostaté

cuve tournante

Figure 7. Rhéo-émulseur.

Dans la cuve thermostatée tournante (à une vitesse de rotation N donnée) plonge un outil de macro-mélange qui transmet un couple pour une mesure de viscosité à une vitesse de cisaillement effective

NKeff γγ && = . γ&K est préalablement déterminé via l’analogie de Couette et une procédure d’étalonnage qui prend en compte l’existence d’autres outils (un disperseur Ultra-Turrax et une sonde de conductivité électrique), ainsi que l’augmentation de volume dû à l’ajout d’eau.

Page 7: La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation [Abridged English

Choplin et Marchal, Rhéologie, Vol. 12, 7-16 (2007) 15

η (Pa.s)

fwc

valeur pour H/E

émulsion multiple h/E/H

H/E E/H

fwc

κ (mS/cm-1)

valeur pour E/H

valeur pour H/E émulsion

multiple h/E/H

κw

émulsion simple

H/E

Figure 8. a) évolution de la viscosité effective ;

b) évolution de la conductivité électrique.

Les Figures 8a et 8b montrent les évolutions de viscosité et de conductivité respectivement, dans le cas où le système et les conditions opératoires sont les suivants :

- surfactant : Tween 80 (1 %), - huile : Kérosène, - vitesse de cisaillement effective de l’outil de

macromélange : effγ& = 75 s-1,

- température : 20°C,

- vitesse de rotation de l’Ultra-Turrax : 10 000 tr/min,

- débit d’incorporation de la phase aqueuse : 1,15 mL/min.

Sur ces figures, on a tracé les évolutions théoriques de viscosité et de conductivité qui correspondraient à des émulsions simples H/E. Les suivis de ces deux propriétés sont tout à fait en accord avec le mécanisme sus-mentionné qui s’appuie sur le passage par une émulsion multiple H/E/H, d’ailleurs confirmé par microscopie optique.

3.4 Préparation semi-batch de dispersions concentrées [14] Dans de nombreuses applications industrielles (peintures, pâtes et papiers, enduits,…), on utilise des suspensions hautement concentrées (en fait, la concentration en phase solide dispersée peut largement dépasser 70 % en volume, en utilisant des distributions granulométriques multimodales). Leur préparation, en mode discontinu (semi-batch), n’est cependant pas triviale. La méthodologie "rhéologie systémique" peut être utilisée pour effectuer un suivi en ligne in-situ du processus de préparation desdites suspensions.

Considérons un récipient de préparation illustré sur la Figure 9a, muni d’une turbine "defloc" (VMI-Rayneri), ainsi que d’un système connecté à un viscosimètre, système consistant en un tube de guidage contenant une vis d’Archimède (Fig. 9b). La position de ce système est choisie afin d’assurer un renouvellement permanent de produit. Une procédure d’étalonnage préalable permet de déterminer la viscosité du produit au sein du viscosimètre pour une vitesse de cisaillement effective (correspondant à une vitesse de rotation spécifique de la vis).

La Figure 10a illustre l’évolution de la viscosité ainsi mesurée au cours du processus de fabrication de la dispersion. Une viscosité très bruitée et croissante est observée tant et aussi longtemps que dure l’incorporation discontinue des particules solides, puis la viscosité décroît progressivement et devient moins bruitée au fur et à mesure que les agglomérats de particules sont détruits et dispersés, pour atteindre une valeur "d’équilibre".

Nous avons comparé la viscosité ainsi obtenue (on-line) avec une viscosité mesurée hors-ligne (off-line). Comme le montre la Figure 10b, l’accord est excellent jusqu’à 50 s-1, acceptable jusqu’à 100 s-1. Le comportement rhéofluidifiant, puis rhéo-épaissi-

Page 8: La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation [Abridged English

16 Choplin et Marchal, Rhéologie, Vol. 12, 9-18 (2007)

turbine défloculeuse

vis d'Archimède et tube de guidage

(a)

(b)

Figure 9. a) Dispositif expérimental ; b) Détail photographique du tube de guidage et de sa vis

d’Archimède.

sissant de la suspension concentrée est tout à fait classique pour ce genre de dispersion. Au-delà de 100 s-1, un écart notable est observé, dû à un débit trop important dans le tube de guidage, qui gave le système et crée des écoulements complexes (contre-courant notamment). Une vis d’Archimède de pas plus faible doit remplacer la vis utilisée pour éviter ce phénomène dans cette plage de vitesse de cisaillement.

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

400 450 500 550 600 650 700 750Time (s)

On-

line

visc

osity

(Pa.

s)

t (s)

η

(Pa.s)

(a)

0,1

1

10

1 10 100 1Shear rate (s-1)

Vis

cosit

y (P

a.s)

Off-line Viscosity

On-line Viscosity

η

(Pa.s)

γ& (s-1)

(b)

Phase d’incorporation

Phase de dispersion (Destruction

progressive des agglomérats)

Figure 10. a) Evolution de la viscosité effective (de procédé) au cours de préparation discontinue d’une

suspension très concentrée ; b) Comparaison des viscosités en- et hors-ligne au terme de la préparation.

3.5 Propergols [15, 16] Les propergols solides, agents de propulsion, sont, avant leur mise en forme, des produits liquides (suspensions très concentrées) constitués essentiel-lement d’un liant polymère et de solides pulvérulents (appelés charges), dont la fraction volumique est en général de l’ordre de 75 % (distribution de tailles bimodale). Le liant polymère contient un certain nombre d’ingrédients, dont un agent de réticulation responsable de la transformation du "propergol liquide" en un propergol solide.

L’élaboration des propergols donne lieu à une série d’opérations successives : mélangeage en cuve des ingrédients, transport de la cuve sur le site de l’atelier de remplissage des moteurs du lanceur, vidange de la cuve par coulée gravitaire sous vide (à travers des vannes, des tubulures et une grille). Les étapes qui suivent l’étape de mélangeage sont souvent responsables de pertes d’homogénéité de la suspension, qui peuvent perturber la propagation du front de combustion dans le lanceur.

La méthodologie systémique peut être utilisée pour partiellement "simuler" (peut-être faudrait-il dire "mimer") toutes les étapes du procédé d’élaboration

Page 9: La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation [Abridged English

Choplin et Marchal, Rhéologie, Vol. 12, 7-16 (2007) 17

des propergols dans un rhéo-réacteur (comme celui illustré sur la Figure 5a), afin d’évaluer l’influence de divers paramètres (vitesse d’agitation, vitesses de cisaillement lors des transferts et lors du passage à travers la grille de coulée…) sur la cinétique de réticulation et ainsi permettre de mieux appréhender ledit procédé et, partant, la qualité du propergol solide final.

Figure 11. Suivi rhéologique des étapes de mélangeage (a), de transfert (b) et de réticulation (c) des propergols.

La Figure 11a montre l’évolution d’une viscosité effective (à une vitesse de cisaillement effective de 5 s-1) lors de l’étape de mélangeage où tous les ingrédients sont incorporés de façon séquentielle. Les fluctuations enregistrées et leurs durées permettent d’évaluer des temps de macromélange (qui se sont révélés tout à fait comparables aux valeurs obtenues sur site industriel). La Figure 11b

montre la réponse en viscosité effective à une série de créneaux de vitesses de cisaillement corres-pondant à l’étape de vidange, tandis que la Figure 11c montre une cinétique de réticulation du propergol, réalisée in-situ dans le rhéo-réacteur sous forme d’un suivi des modules de stockage G’ et de perte G", évalués à une fréquence de l rad/s dans le domaine de viscoélasticité linéaire, simulant l’évolution des caractéristiques rhéologiques du propergol dans le lanceur.

4. Conclusions

Dans le contexte de la rhéologie systémique, l’utilisation de rhéo-réacteurs permet d’obtenir des informations rhéologiques pertinentes grâce à une analyse basée sur une analogie de Couette. Selon les cas, les informations rhéologiques extraites sont complètes ou partielles et, de plus, intègrent des paramètres et conditions liés au procédé d’élabo-ration des produits. Dès lors, la rhéologie systémique devient un outil d’aide efficace et il est possible de parler de génie des produits assisté par rhéologie. Cette rhéologie systémique se situe au carrefour entre la rhéologie "classique" et la rhéo-physique.

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier les sociétés partenaires (passées ou présentes) du Laboratoire GEMICO pour leur soutien au cours des dernières années : Total, SNPE/SME, Lafarge, LVMH Recherches, Chanel, CEA, Eurovia, TA Instruments, Rhodia, Danone, Fromageries Bel, Arcelor, Schneider Electric.

5. Références

[l] de Rosnay, J., Le macroscope. Vers une vision globale, Le Seuil, Paris (1975).

[2] Aït-Kadi, A., Marchal, P., Choplin, L., Chrissemant A.S., Bousmina, A.S., Quantitative analysis of mixer-type rheometers using Couette analogy, Can. J. Chem. Eng., 80, 1166-1174 (2002).

[3] Brito de la Fuente, E., Leuliet, J.C., Choplin, L., Tanguy, P.A., On the effect of shear-thinning behavior on mixing with a helical ribbon impeller, A.I.Ch.E. Symp. Series, 286, 28-32 (1992).

[4] Choplin, L., Marchal, P., Rheo-reactor for in situ rheological follow-up of chemical or physical processes, Ann. Trans. Nordic Rheol. Soc., 7, 5-12 (1999).

[5] Winter, H.H., Morganelli, P., Chambon, F., Stoichiometry effects on rheology of model polyurethanes at the gel point, Macromol., 21, 532-535 (1988).

[6] In, M., Prudhomme, R.K., Fourier transform mechanical spectroscopy of the sol-gel transition in

Page 10: La rhéologie systémique ou une rhéologie au service … · Mots clé : Rhéologie, Génie des procédés, Génie des produits, Rhéologie systémique, Formulation [Abridged English

18 Choplin et Marchal, Rhéologie, Vol. 12, 9-18 (2007)

zirconium alkoxide ceramic gels, Rheol. Acta, 32, 556-565 (1993).

[7] Doublier, J.L., Durand, S., Lefebvre, J., Application of Fourier transform mechanical spectroscopy to polysaccharide systems undergoing structural changes, Proc. XIIIth Intern. Congr. on Rheology (A. Aït-Kadi et al.eds.), Québec, 843 (1996).

[8] Lesueur, D., La rhéologie des bitumes : principes et modification, Rhéologie, 2, 1-30 (2002).

[9] American Association of State Highway and Transportation Officials (AASHTO), AASHTO Standard T 315-02, Washington, USA (2002).

[10] Jiang, S., Mutin, J.C., Nonat, A., Studies on mechanism and physico-chemical parameters at the origin of the cement setting II. Physico-chemical parameters determining the coagulation process, Cem. Concr. Res., 26, 491-500 (1996).

[11] Nachbaur, L., Mutin, J.C., Nonat, A., Choplin, L., Dynamic mode rheology of cement and tricalcium silicate pastes from mixing to setting, Cem. Concr. Res., 31, 183-192 (2001).

[12] Salager, J.L., Anton, R.E., Briceno, M.I., Choplin, L., Marquez, L., Pizzino, A., Rodriguez, M.P., The emergence of formulation engineering in emulsion making, Transferring know-how from research laboratory to plant, Polym. Int., 52, 471-478 (2003).

[13] Tyrode, E., Allouche, J., Choplin, L., Salager, J.L., Emulsion catastrophic inversion from abnormal to normal morphology. 4: following the emulsion viscosity during inversion and extending the critical dispersed phase concept, Ind. Eng. Chem. Res., 44, 67-74 (2005).

[14] Furling, O., Choplin, L,. Tanguy, P.A., On-line (in situ) viscosity follow-up of concentrated slurries during makedown, Trans. I. Chem. E., 79A, 915-920 (2001).

[15] Davenas, A., History of the development of solid rocket propellant in France, J. Propulsion Power, 11, 285-291 (1995).

[16] Davenas, A., Solid Rocket Propulsion Technology, Pergamon Press, Oxford (1993).

[Abridged English version]

Systemic rheology or a rheology-aided process and product engineering

The demand from the market place for very sophisticated products combining several functions and properties is still significantly growing. In order to properly satisfy this need, appropriate formulations are required. Until now, formulation recipes have mainly resulted from experience and empirical tests, in other words from art. Recently, it has become more and more necessary to turn this art into a science, a multi-faceted science integrating chemistry, physical chemistry, rheology, chemical engineering, interfacial science... Among the numerous objectives of formulation engineering science, we have focused our interest on those that are related to the formulation of rheologically complex media. For instance, some of our specific objectives are :

- to develop an integrated or systemic approach for studying the rheologically complex and evolving systems as a whole;

- to develop a deep understanding of the physical and/or chemical underlying mechanisms and interactions behind the several steps of a specific product manufacturing process; We have developed an original methodological tool, the systemic rheology, which aims at studying complex and evolving systems as a whole with the help of rheology, in conditions that can mimic somehow some steps of a given chemical or physical process. This has been made possible by replacing conventional geometries used for traditional rheological characterisation by process geometries, for example an impeller-vessel combination, which is nothing but a rheo-reactor in which some chemical or physical processes can be carried out in both batch or semi-batch conditions. This is a powerful tool provided rheology can be seen, to some extent, as a macroscopic mirror of events or phenomena occurring at a microscopic scale Key words: Rheology, Process engineering, Product engineering, Systemic rheology, Formulation