LA RÉFORME DE LA FISCALITÉ F O R E S T I È R E AU CA M E R ...

17
37 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2) LE POINT SUR... LA RÉFORME DE LA FISCALITÉ FORESTIÈRE AU CAMEROUN Débat politique et analyse économique JEAN-CHRISTOPHE CARRET Cerna Centre d’économie industrielle de l’Ecole des mines de Paris Photo 1. Enfants Pygmées observant avec attention un chantier d’exploitation forestière dans l’est du Cameroun. Pygmy children looking with curiosity at a logging chance in eastern Cameroon.

Transcript of LA RÉFORME DE LA FISCALITÉ F O R E S T I È R E AU CA M E R ...

37BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

L E P O I N T S U R . . .

LA RÉFORME DE LA FISCALITÉ F O R E S T I È R E

AU CA M E R O U NDébat politique et analyse économique

JEAN-CHRISTOPHE CARRETCernaCentre d’économie industriellede l’Ecole des mines de Paris

Photo 1. Enfants Pygmées observant avec attention un chantier d’exploitation forestière dans l’est du Cameroun.Pygmy children looking with curiosity at a logging chance in eastern Cameroon.

L’auteur propose une restitution thématique

de la discussion scientifiquesur la réforme de la fiscalité

forestière dans les paystropicaux. Il établit ensuite

le bilan des trois années quiont suivi la réforme

de la fiscalité forestière au Cameroun.

Une interprétation du caractère conflictuel

de deux mesures proposéespar la Banque mondiale –

la suppression de laprotection des usines de

transformation etl’attribution aux enchères

des concessions forestières– complète cette

présentation.

LA DISCUSSIONÉCONOMIQUE SUR LE RÔLE

DE LA FISCALITÉFORESTIÈRE DANS

LES PAYS TROPICAUXCet article retrace le cours d’une dis-cussion entre économistes au sujetdu rôle de la fiscalité forestière dansles pays tropicaux. Il établit ensuitele bilan des trois premières annéesd’un débat politique entre l’État ca-merounais et la Banque mondiale àpropos de la réforme de la fiscalitéforestière au Cameroun. La confron-tation des deux débats permet demettre en relief la consistance « éco-nomique » de certaines des convic-tions politiques des deux protago-nistes. D’autres, en revanche,nécessitent un éclairage supplémen-taire et ne sont pas analysés dans lecadre de cet article.La réflexion économique sur le rôlede la fiscalité forestière dans lespays tropicaux a débuté, en tant quediscussion scientifique, en 1976quand PAGE, PEARSON et LELAND fontparaître un article, Capturing eco -nomic rent from Ghanaian timber,proposant une modélisation micro-économique de l’exploitation d’uneforêt tropicale. Quelques textes si-gnificatifs ont ensuite été publiés.Nous avons retenu ceux de RUZICKA(1979), GILLIS (1980), REPETTO etGILLIS (1988) et VINCENT (1990)ainsi que ceux de REPETTO (1990),GILLIS (1992) et VINCENT (1992)pour leur caractère synthétique.Tous les auteurs (à l’exception de REPETTO) sont des économistes dudéveloppement, GILLIS et VINCENTétant de surcroît de bons spécialistesdes deux principaux pays produc-teurs d’Asie du Sud-Est : l’Indonésiepour le premier auteur, la Malaisiepour le second.La principale caractéristique decette réflexion est qu’elle s’est dé-placée du thème de la contribution

de l’exploitation des forêts tropi-cales au développement écono-mique des pays dits du tiers-mondegrâce aux recettes de la fiscalité fo-restière, à celui de l’utilisation de lafiscalité forestière comme une éco-taxe, sans toutefois abandonner lepremier thème ; en insistant aucontraire sur la complémentarité desdeux objectifs (CARRET, GIRAUD,1998).En 1992, l’article Tropical forest ma -nagement : reflection on the rent dis -tribution discussion,publié par HYDEet SEDJO, deux économistes des res-sources naturelles, a brusquementopéré un changement de perspecti-ve dans la façon d’aborder la ques-tion, ouvrant ainsi la polémique. Lesdeux auteurs remettent, en effet, encause chacun des deux rôles précé-demment assignés à la fiscalité fo-restière dans les pays tropicaux. Plu-sieurs textes ultérieurs ont paru,notamment des textes où les deuxauteurs de l’article de 1992 polémi-quent avec deux des auteurs précé-dents (VINCENT, 1993 ; HYDE,SEDJO, 1993 ; VINCENT, GILLIS,1998 ; HYDE, 1998) mais sans véri-tablement sortir de l’impasse à la-quelle avait abouti le texte de 1992.De même, quelques textes, dont cer-tains en français, ont repris les idéesdes uns et des autres, mais sans ap-porter, non plus, d’éléments nou-veaux.Cette première partie restitue lesprincipales étapes de la réflexionentre économistes, en portant uneattention particulière à la façon dontHYDE et SEDJO ont opéré leurs dépla-cements. La référence aux auteursest utilisée quand le propos est sin-gulier et non quand la propositionest commune à l’ensemble des au-teurs.

DÉFINITIONS DE LA RENTE ET DE LA FISCALITÉ « FORESTIÈRES »

La rente économique est un paie-ment pour l’utilisation d’une ressour-ce rare. La rareté indique que la dis-

38 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FISCALITÉ FORESTIÈRE

ponibilité de la ressource n’aug-mente pas avec le prix. Si cette in-disponibilité n’est que temporaire,on parle alors de « quasi-rente ».L’existence d’une « rente forestière »suppose, donc, tout simplement,que la ressource forestière n’est pasinfinie.

La rente appartient au propriétairede la ressource rare. Dans les paystropicaux, le propriétaire de la res-source forestière est généralementl’État, même si, depuis le sommet deRio, les peuples de la forêt (photo 1)font valoir un droit de propriété« traditionnel » sur la ressource fo-restière et revendiquent ainsi, fortsdu soutien des organisations nongouvernementales environnementa-listes, une partie de la rente forestiè-re.

En théorie, le calcul de cette rente fo-restière ne pose pas de problème.C’est la différence entre le revenu etle coût complet (rémunération du ca-pital incluse) de l’exploitation d’uneforêt tropicale. Dans la pratique, enrevanche, cinq raisons rendent lecalcul de la rente forestière difficile,voire impossible.

• Premièrement, la rémunérationdu capital comprend une prime derisque, éventuellement élevée en rai-son de l’instabilité politique et del’insécurité qui caractérisent généra-lement les pays tropicaux, dontl’évaluation est subjective (PAGE etal., 1976).

• Deuxièmement, toutes les entre-prises n’ont pas la même efficacitéproductive, les différences pouvantêtre importantes, du simple audouble, en fonction de la taille del’entreprise (PAGE et al., 1976).

• Troisièmement, les prix des boistropicaux, comme ceux des autresmatières premières, connaissent desfluctuations conséquentes : ils peu-vent varier, sur une courte période,du simple au double (RUZICKA,1979).

• Quatrièmement, dans les paystropicaux, l’exploitation forestièreest en grande partie réalisée pardes entreprises étrangères : des ma-nipulations des prix de transfert sontdonc possibles.• Cinquièmement, la ressource fo-restière n’est pas homogène. Cer-taines essences et certaines qualitésde bois sont plus rares que d’autres.De plus, certaines forêts sont plus fa-cilement accessibles que d’autres.La rente forestière est donc naturel-lement différentielle ou ricardienne(de l’économiste David RICARDO) àla marge intensive (augmentationde la récolte dans une forêt donnée)et extensive (mise en production denouvelles forêts).

Passons sur les deux premières diffi-cultés car elles peuvent être régléesen utilisant des valeurs convention-nelles. Restent les trois suivantes.Elles caractérisent la rente forestièredans les pays tropicaux : celle-ci esttransférable, au moins en partie, àl’étranger (en jouant sur les prix destransactions entre filiales), fluctuanteet surtout inégalement répartie entreles forêts et les arbres d’une forêtdonnée. Ajoutons par ailleursqu’elle peut être importante, suffi-samment en tout cas pour déclen-cher des ruées vers l’or vert (REPETTO,1990 ; VINCENT, 1992) et qu’elle re-présente, pour un pays tropical, leprincipal bénéfice « mesurable » del’exploitation de sa ressource natu-relle (GILLIS, 1980).La fiscalité forestière est le moyen uti-lisé par le propriétaire de la ressour-ce naturelle pour prélever la rentedu même nom, compte tenu des troisdifficultés qui rendent son calcul et,donc, son prélèvement difficiles. Cepaiement étant légitime (il comporteune contrepartie : l’accès à la res-source rare), on doit en toute rigueurparler de redevances (royalties enanglais) et non de « taxes » fores-tières, sauf dans un cas particulier,celui de la taxe à l’exportation (GIL-LIS, 1980). Nous y reviendrons.

EFFICACITÉ ET COÛTADMINISTRATIF

DU PRÉLÈVEMENT DE LA RENTE FORESTIÈRE

L’efficacité d’une redevance fores-tière mesure sa capacité à transférerla rente forestière au propriétaire dela ressource naturelle, c’est à dire, àtenir compte le plus possible destrois caractéristiques de la rente fo-restière précédemment évoquées.Mais le propriétaire doit comparerle gain ainsi obtenu avec le coût del’effort nécessaire pour réaliser cetransfert, appelé coût administratif(HYDE, SEDJO, 1992), l’administra-tion étant généralement en chargedu prélèvement de la rente forestiè-re. Ce coût est composé des coûtsde contrôle de l’assiette (matière surlaquelle est assise la redevance) etde recouvrement de cette redevan-ce. Il est donc d’autant plus faibleque l’assiette et le recouvrement dela redevance sont faciles à contrô-ler.La possibilité de manipuler les prixde transfert interdit l’utilisation d’uneredevance dont l’assiette est « mo-nétaire », par exemple un impôt surles bénéfices ; restent alors cellesdont l’assiette est « physique », vo-lume ou superficie exploités (GILLIS,1980). Dans cette seconde catégorie, ilexiste, en théorie, une redevanceparfaitement efficace : la redevancepleinement différenciée (GILLIS,1980 ; HYDE, SEDJO, 1992). C’estune redevance dont l’assiette n’esten vérité pas purement physique,puisque c’est la rente ricardienned’un arbre donné. Cette rente étantdifférente pour chaque essence,chaque qualité d’une essence don-née, et selon la localisation del’arbre à l’intérieur du territoire, ilexiste à peu près autant de rede-vances que d’arbres dans les forêtsexploitées, soit un nombre considé-rable. Le coût de contrôle de l’as-siette de cette redevance est doncprohibitif, notamment parce que le

39BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FORESTRY TAXATION

trait caractéristique de la forêt tropi-cale est d’être une ressource natu-relle fortement hétérogène.Une redevance fixe, au volume ou àla superficie (tant d’unité monétairepar mètre cube ou par hectare), mi-nimise ce coût, avec un très netavantage pour la redevance annuel-le de superficie. En effet, le contrôled’une superficie est plus simple quecelui du volume de l’ensemble desarbres récoltés sur cette superficie,même si, à l’échelle d’un pays, cecontrôle n’est évidemment pas systé-matique. Mais l’efficacité est mé-diocre car une redevance fixe netient compte ni de l’inégalité de ré-partition de la rente forestière – elleentraîne l’écrémage à la marge in-tensive et extensive – ni de la fluc-tuation des prix des bois tropicaux.

Les imperfections inhérentes à uneredevance fixe peuvent être amélio -rées :• en utilisant une table des valeursmercuriales, révisée périodique-ment pour la redevance sur le volu-me, qui devient, alors, une redevan-ce ad-valorem, calculée comme unpourcentage du prix de marché del’essence ;

• en utilisant un mécanisme d’en-chères pour fixer le taux de la rede-vance de superficie.La première amélioration tient im-parfaitement compte de l’inégalitéde répartition de la rente forestière,notamment celle à la marge extensi-ve, mais permet de suivre l’évolutiondes prix. La seconde tient mieuxcompte de l’inégalité de répartitionde la rente forestière, surtout à lamarge extensive, mais elle est moinsefficace pour suivre les évolutions deprix, même s’il est toujours possiblede bâtir un indice de révision annueldu taux de la redevance.Dans les deux cas, les coûts decontrôle de l’assiette augmentent :la redevance ad-valorem nécessite,en effet, de contrôler non seulementles volumes (photo 2) mais, aussi,les essences, chacune ayant un prixde marché différent, et de collecterles prix de référence sur les marchésde consommation. Quant à la rede-vance de superficie – la fixation, lorsdes enchères, du prix plancher etsurtout du prix de retrait à un niveauréaliste –, elle nécessite une certaineconnaissance, même imparfaite,des caractéristiques de la ressourceforestière.

• En utilisant conjointement cesdeux redevances, on obtient a prio -ri le rapport efficacité/coût adminis-tratif du prélèvement de la rente fo-restière le plus satisfaisant (HYDE,SEDJO, 1992). Les éléments d’ap-préciation empirique font cepen-dant défaut. Ceux des auteurs qui sesont livrés au calcul de la part de larente forestière prélevée par l’Étatdans les pays tropicaux ont conclu àune faible appropriation (PAGE etal., 1976 ; RUZICKA, 1979 ; REPET-TO, GILLIS, 1988 ; VINCENT, 1990).Mais, pour les périodes et les paysou les régions étudiés (respective-ment au Ghana en 1970, au Kali-mantan dans la première moitié desannées 70, en Indonésie et en Ma-laisie entre 1970 et le début des an-nées 80 et en Malaisie entre 1966et 1985), le taux de la redevance àla superficie est très faible, il n’estpas fixé par des enchères et les re-devances sur le volume sont pourpartie des redevances fixes. Enfin,aucun de ces auteurs n’a procédé àune estimation du coût administratifdes différentes options. Seuls HYDEet SEDJO (1992 et 1993) indiquentque cet aspect du problème vautd’être examiné sérieusement. Ilsajoutent aussi que l’augmentationdu taux de la redevance ad-valoremsur le volume accroît l’incitation à tri-cher, c’est à dire à ne pas payercette redevance, le gain du tricheurs’élevant proportionnellement.Une remarque pour conclure. Il exis-te deux façons de contrôler l’assietted’une redevance ad-valorem :• sur le chantier d’exploitation fo-restière et, dans ce cas, on parle deredevance d’abattage ;• ou au moment de l’exportation et,dans ce cas, on parle de taxe à l’ex-portation.De fait, l’assiette n’est plus la mêmecar des arbres peuvent être abattus,puis finalement abandonnés enforêt. Le coût de contrôle de l’assiet-te, non plus, n’est pas le même.Dans un cas, il faut visiter un certain

40 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FISCALITÉ FORESTIÈRE

Photo 2. Parc à grumes en forêt (est du Cameroun).Timber yard in a forest (eastern Cameroon)

nombre de chantiers d’exploitationforestière (suffisamment pour que lamenace du contrôle soit crédible).Dans l’autre, il faut être présent dansles ports d’exportation, peu nom-breux en général pour un paysdonné, ce qui est beaucoup moinscoûteux, même si, en toute rigueur,il faudrait comparer cette baisse ducoût avec la perte de recettes fis-cales due aux abandons en forêts.De plus, la taxe à l’exportation peutêtre utilisée comme un « tarif com-mercial » destiné à favoriser le dé-veloppement d’une industrie localede transformation manufacturièredu bois. Dans ce cas, fréquent dansles pays tropicaux, le terme de taxeest conservé, même si la taxe à l’ex-portation prélève aussi une partie(généralement importante) de larente forestière, ce qui justifierait lerecours au terme de redevance (GILLIS, 1992).

RÔLE ÉCONOMIQUE DE LA FISCALITÉ FORESTIÈRE

D’un point de vue juridique, l’Étatvoire les populations locales sontpropriétaires de la rente forestière.Mais la répartition de la rente fores-tière est aussi une question écono-mique qui peut se formuler ainsi :quelle est la répartition la plus favo-rable au développement écono-mique du pays considéré (photo 3 ) ?Or l’enjeu est de taille puisque,comme nous l’avons dit plus haut, ilexiste de fortes présomptions pourconsidérer que les sommes en jeusont réellement très importantes etque celles-ci constituent le principalet surtout le plus tangible des béné-fices de l’exploitation d’une forêt tro-picale dans un pays donné, certainsétant difficilement mesurables oulongs à se faire sentir. Par exemple,les effets d’entraînement sur l’écono-mie locale ou les transferts de savoir-faire et de technologie, notammentquand l’entreprise est étrangère(GILLIS, 1980).

u L’ancrage au territoire national

Pour un certain nombre d’auteurs(PA G E et al., 1 9 7 6 ; RU Z I C K A, 1979 ;RE P E T T O, GI L L I S, 1988 ; VI N C E N T,1 9 9 3 ; VI N C E N T, GI L L I S, 1998), le cri-tère de répartition de la rente fores-tière dans les pays tropicaux est l’an-crage au territoire national, c’est àdire la propension à réinvestir « l o-c a l e m e n t » la rente forestière. Avecce critère, l’État sédentaire est préfé-ré aux entreprises, multinationalespour la plupart, et donc nomadespar définition. Ce point de vue étaittrès largement partagé par les spé-cialistes du développement (BA I R O-C H, 1992), au moins jusqu’à la findes années 70 et cela pour l’en-semble des activités extractives.

u L’efficacité productive du béné -ficiaire

Mais HYDE et SEDJO (1992 et 1993 ;HYDE, 1998) ont introduit un chan-gement de perspective. Ils considè-rent, en effet, que le critère pertinentde répartition de la rente forestièredans les pays tropicaux n’est passeulement l’ancrage au territoiremais l’efficacité productive du béné-

ficiaire. Ils émettent alors de sé-rieuses réserves sur l’efficacité del’administration forestière, considé-rée comme une agence publique,non seulement à prélever la rente fo-restière (c’est pour cela qu’ils insis-tent tant sur le coût administratif)mais aussi à l’utiliser, car ils font l’hy-pothèse que la rente forestière lui estaffectée. Cette dernière hypothèseest acceptable pour les redevancesforestières, les pays et les périodesétudiés par les différents auteurs.Mais le seul argument empiriqueproposé par HYDE et SEDJO est quel’administration forestière aux Phi-lippines emploie presque autant defonctionnaires que l’administrationforestière américaine, pour une su-perficie forestière cinq fois moins im-portante. Ils suggèrent, donc, quel’affectation des redevances fores-tières à cette administration a eucomme effet d’augmenter inutile-ment ses effectifs et d’élever ainsi lecoût administratif du prélèvement dela rente forestière. Mais ils ne disentrien de la façon dont le surplus estutilisé par cette administration. Anotre avis, ils supposent que les re-

41BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N°264 (2)

FORESTRY TAXATION

Photo 3. La répartition de la rente forestière est un enjeu important pour le déve-loppement économique du pays qui possède des forêts tropicales.The distribution of forest income is a major challenge for the economic develop -ment of the country, which has tropical forests.

cettes fiscales sont entièrementconverties en salaires. Et ils considè-rent que ce n’est pas une utilisationefficace de la rente forestière.

u Sédentariser le réinvestissementde la rente par les entreprises

Bien qu’ils semblent favorables,pour les raisons que nous venonsd’évoquer, à une répartition de larente forestière au profit des entre-prises, HYDE et SEDJO ne discutentpas de la possibilité que cette rentene soit finalement pas réinvestie surle territoire. Or, il existe au moinsdeux façons de sédentariser le réin-vestissement de la rente par les en-treprises :• en favorisant les entrepreneurs« nationaux » ;• en incitant à la transformation lo-cale de la matière première.Ces deux cas de figure ont été exa-minés par les auteurs qui sont plutôtfavorables à une répartition de larente forestière en faveur de l’État.Et, de fait, PAGE et al. (1976) et RU-ZICKA (1979) notent que les entre-prises nationales sont systématique -ment moins efficaces que lesentreprises étrangères. Quant à GIL-LIS (1980) et VINCENT (1992), ilsconstatent que les politiques de pro-tection des usines de transformationmenées par la Malaisie et l’Indoné-sie à partir du milieu des années 70– en exemptant les usines de la taxeà l’exportation, puis en imposant unarrêt des exportations de grumes –se sont concrétisées par la construc-tion d’usines ayant des rendementsen matières très inférieurs à ceuxdes usines étrangères ne bénéficiantpas d’une telle protection. Parconséquent, une partie de la renteforestière « potentielle » a été dé-truite. Non pas à cause d’investisse-ments inadaptés, mais parce que laprotection rendait possible – la ma-tière première étant moins chère –l’existence de rendements en ma-tières plus faibles. Telle est en toutcas notre interprétation, car les deux

auteurs ne sont pas très précis sur lesraisons qui conduisirent les usinesindonésiennes et malaysiennes àêtre moins efficaces que les usinesétrangères utilisant la même matièrepremière, cette dernière condition« la même matière première » étantévidemment très importante. Maisles auteurs ne sont malheureusementpas très précis sur cet aspect tech-nique du problème.Finalement, il ressort de cette discus-sion que les territoires des pays tro-picaux ne sont pas des lieux très pro-pices à une bonne utilisation de larente forestière. Subsiste alors l’im-pression de devoir choisir entreCharybde, une administration ineffi-cace « par nature », ou Scylla, desentreprises inefficaces car de factoprotégées.

RÔLE ENVIRONNEMENTAL DE LA FISCALITÉ FORESTIÈRE

Si la réflexion sur le rôle de la fiscalitéforestière dans les pays tropicaux adébuté dans une perspective de déve-loppement économique, il était inéluc-table, compte tenu de la montée despréoccupations environnementales etde l’ampleur prise par le phénomènede déforestation dans les pays tropi-caux, que les auteurs s’interrogent surla possibilité d’utiliser la fiscalité fores-tière comme une écotaxe.

u La fiscalité comme une écotaxe

Il existe deux façons de concevoir lerôle d’une écotaxe (LIPIETZ, 1999) :• soit comme une incitation écono-mique destinée à modifier le compor-tement du pollueur (dite taxe incitati-ve « à la PI G O U » ou plus simplementécotaxe « à la PI G O U », PI G O U é t a n tle nom de l’économiste à l’origine dela théorie des externalités) ;• soit comme une redevance qui nemodifie pas le comportement du pol-lueur mais que l’on affecte à la ré-paration des dégâts, à conditionévidemment que les atteintes por-tées à l’environnement soient réver-

sibles. Cette dernière est dite rede-vance environnementale ou rede-vance affectée.

Pour REPETTO et GILLIS (1988), la fis-calité forestière peut limiter la défo-restation, en jouant le rôle d’écotaxeà la PIGOU. Cette proposition prendappui sur l’analyse proposée parGILLIS (1980) de l’écrémage. Cedernier montre que les redevancesles plus couramment utilisées (car lesplus simples à administrer) étaient,notamment en Indonésie, des rede-vances fixes ou ad-valorem sur le vo-lume et que l’augmentation du tauxde ces redevances accroissait l’écré-mage. Mais l’inverse est évidem-ment vrai. Autrement dit, plus lestaux de ces deux types de rede-vances sont bas, plus l’exploitationest intensive dans une forêt donnéeet plus elle s’étend en direction desforêts marginales. Les causes de ladéforestation sont cependant diffé-rentes dans les deux cas. Dans lepremier cas, elle résulte éventuelle-ment d’une surexploitation de la res-source naturelle, dans le second, del’ouverture de peuplements, les ren-dant ainsi plus facilement acces-sibles, notamment aux planteurs etplus généralement aux migrants.Par conséquent, plus les superficiesde forêts ouvertes à l’exploitationsont importantes, plus le dangerd’une déforestation d’origine agri-cole est grand, ce facteur se conju-guant à une éventuelle surexploita-tion des forêts inframarginales.

u La subvention d’une industrie detransformation

Les deux auteurs s’en prennent,aussi, à la politique de subventiond’une industrie de transformation.Elle consiste à exempter les grumesqui sont transformées sur place detaxes à l’exportation. Or, GILLIS(1980) constate que les usines asia-tiques qui ont bénéficié de cetteexemption ont eu des rendements enmatières inférieurs à ceux des usinesétrangères. Cela implique qu’à vo-

42 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FISCALITÉ FORESTIÈRE

lume de produits finis équivalent,une usine de transformation proté-gée consomme plus de grumes quen’en consommerait une usine quiachèterait ces grumes sur le marchémondial. Par conséquent, si la de-mande de contreplaqué (dans le casde l’industrie indonésienne) resteidentique et que le pays souhaiteconserver une part de marché équi-valente à celle qu’il avait en expor-tant des grumes, l’exploitation fores-tière s’intensifie dans les forêtsinframarginales et s’extensifie en di-rection des forêts marginales.En conclusion, si l’État augmenteson prélèvement sur la rente fores-tière en utilisant des redevances surle volume, il limite, d’une part, l’in-tensification de l’exploitation fores-tière dans les forêts inframarginalesainsi que son extension dans les fo-rêts marginales et, d’autre part, ledéveloppement d’une industrie detransformation fortement consom-matrice de matière première. Parailleurs, il augmente probablementses recettes fiscales, ce qui est éven-tuellement favorable au développe-ment économique du pays.

u La notion d’aménagement durableVINCENT (1990) introduit un élémentnouveau dans le débat sur le rôle en-vironnemental de la fiscalité fores-tière dans les pays tropicaux : la no-tion d’aménagement durable. Pourlui, aménager durablement uneforêt tropicale consiste, dans une vi-sion empruntée à l’économie desressources naturelles, à maintenir lestock de capital naturel à un niveauconstant. Si le peuplement se régé-nère naturellement après une coupesélective, il est possible d’exploiterindéfiniment la ressource naturellesans entraîner la déforestation. Or,son hypothèse est que, dans le casd’une forêt tropicale et à conditionque la coupe soit sélective, la régé-nération naturelle est possible si,après la coupe, des travaux que l’onqualifiera de sylvicoles sont réalisés.

Il propose, alors, d’utiliser les recettesde la fiscalité forestière pour financerles travaux destinés à favoriser la ré-génération naturelle du peuplementforestier. La fiscalité forestière est,donc, envisagée comme une redevan-ce affectée à la réparation des dégâtsde l’exploitation forestière. L’objectifenvironnemental est plus ambitieuxcar il ne consiste plus seulement à frei-ner la déforestation mais à favoriser« l’aménagement durable » .HYDE et SEDJO (1992) poursuivent laréflexion sur l’aménagement du-rable. Ils se demandent si la fiscalitéforestière peut inciter l’exploitant fo-restier, d’une part, à diminuer les dé-gâts causés par l’exploitation fores-tière sur les arbres qui restent surpied et, d’autre part, à adopter uncomportement de sylviculteur en fa-vorisant les arbres d’avenir. Ils sup-posent donc, même s’ils ne le disentpas, que les dégâts causés par l’ex-ploitation d’une forêt tropicale sontéventuellement irréversibles (dansce cas, la solution proposée par VIN-CENT n’est pas valable) et que l’amé-nagement durable nécessite l’adop-tion de méthodes d’exploitationforestière à faible impact sur le mi-lieu naturel. Ils concluent par la né-gative, ce qui était prévisible. Eneffet, une taxe incitative à la PIGOUest efficace si l’objectif environne-mental est atteint en diminuant le vo-

lume de production. C’est le caspour la déforestation. La taxe n’estplus efficace si l’objectif est un amé-nagement durable, défini comme laréduction de l’intensité des dégâtsde l’exploitation forestière.

CONCLUSIONS

La réflexion sur le rôle de la fiscalitéforestière dans les pays tropicaux a,donc, produit les résultats suivants : ilest possible d’augmenter le prélève-ment de la rente forestière par l’Étaten utilisant un système de rede-vances (redevances ad-valorem et àla superficie) tel que la différenceentre le gain fiscal brut et le coût ad-ministratif soit positive. En revanche,rien ne garantit que ce prélèvementait des conséquences positives pourle développement économique dupays. Tout dépend de la façon dontla rente forestière est utilisée parl’administration ou, le cas échéant,par les entreprises. Par ailleurs, lapossibilité d’utiliser la fiscalité fores-tière comme une écotaxe dépend del’objectif environnemental :• la réponse est positive si l’objectifenvironnemental consiste à freinerla déforestation ;• elle est négative si c’est pour inci-ter l’exploitant forestier à adopterles méthodes à faible impact sur lemilieu naturel (photo 4), comporte-

43BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N°264 (2)

FORESTRY TAXATION

Photo 4. Chantier d’exploitation forestière dans l’est du Cameroun.Logging chance in eastern Cameroon

ment que les auteurs assimilent àl’aménagement durable.Le cours de la discussion scientifiquerestitué, examinons maintenant celuidu débat politique.

LA RÉFORME DE LA FISCALITÉ

FORESTIÈRE AU CAMEROUN

La réforme de la fiscalité forestièreau Cameroun (CARRET, 1998) acommencé avec l’année fiscale1 9 9 5 - 1 9 9 6 ( a u C a m e r o u n ,l’année fiscale commence en juillet).Peu de temps auparavant, en 1994,le code forestier (le précédent dataitde 1981) avait lui aussi été réformé.Ces deux réformes ont été deman-dées par la Banque mondiale. Ellesfont, en effet, partie des condition-nalités liées au programme d’ajuste-ment structurel auquel adhère l’Étatcamerounais depuis 1988, à causenotamment (mais pas seulement) deson endettement. En 1998, la detteextérieure du Cameroun était de9,6 milliards de dollars, soit 110 %de son produit intérieur brut, et leservice de la dette de 660 millionsde dollars, soit 27 % des recettesd’exportation.

LES PROTAGONISTES : L’ÉTAT CAMEROUNAIS

ET LA BANQUE MONDIALE

En appelant à une réforme de la fisca-lité forestière au Cameroun, la Banquemondiale visait deux objectifs :• augmenter les recettes fiscales del’État ;• favoriser l’aménagement durabledes forêts camerounaises (FERRER,O’HALLARAN, 1996).Comme d’autres institutions interna-tionales, l’OCDE notamment, laBanque mondiale essaie de pro-mouvoir l’utilisation des instrumentséconomiques (taxes et permis négo-

ciables) dans les politiques environ-nementales (Banque mondiale,1997). Mis à part dans les paysanglo-saxons et scandinaves où ladoctrine économique exerce, en cedomaine, une forte influence sur lesdécisions publiques, les politiquesenvironnementales font générale-ment plutôt appel à des instrumentsréglementaires (normes, standards).Or, courantes sont les situations oùles instruments économiques sontplus efficaces que les instruments ré-glementaires. Si tel est le cas, ils per-mettent en effet, pour un objectif en-vironnemental donné, d’obtenir uncoût global de dépollution plusfaible tout en incitant de surcroît àl’innovation technologique.L’aménagement durable est aussi unobjectif de la politique forestière duCameroun. Autrement dit, l’État ca-merounais et la Banque mondialepoursuivent bien le même objectifenvironnemental. Mais le premier achoisi, en 1994 (article 23 du codeforestier), d’utiliser une norme envi-r o n n e m e n t a l e a p p e l é e « p l a nd ’ a m é n a g e m e n t d u r a b l e » . E n

1998, le Ministère de l’environne-ment et des forêts a d’ailleurs publiédes Directives nationales pourl’aménagement durable des forêtsdu Cameroun (MINEF-OIBT-ONADEF,1998), complétées par un Guided’élaboration des plans d’aména-gement des forêts de production dudomaine forestier permanent de larépublique du Cameroun.Cela dit, l’aménagement durablen’est pas le seul, ni même le plus im-portant des objectifs de la « poli-tique forestière » camerounaise.Celle-ci comporte, en effet, au moinsquatre objectifs. Deux d’entre eux,la promotion des entrepreneurs n a t i o n a u x e t l ’ i n d u s t r i a l i s a t i o n(photo 5), ont été adoptés « en touteindépendance » quand le pays estdevenu indépendant. Les deuxautres, l’aménagement durable et laparticipation des populations lo-cales, ont été proposés par le « gou-vernement mondial », au momentdu sommet de la terre qui s’est tenuà Rio en 1992, « acceptés » par leCameroun – comme par les autrespays tropicaux – et intégrés parmi

44 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N°264 (2)

FISCALITÉ FORESTIÈRE

Photo 5. Usine de transformation au Cameroun. L’industrialisation est depuis l’in-dépendance un objectif de la politique forestière camerounaise.Processing plant in Cameroon. Since independance, industrialization is becomeone of the objectives of Cameroon’s forestry policy.

les autres objectifs de sa politique fo-restière. D’où la réforme, en 1994,du code forestier.En revanche, et aussi surprenantque cela puisse paraître, l’augmen-tation des recettes fiscales n’étaitpas, et n’a jamais été, au moins tantque la réforme de la fiscalité fores-tière n’avait pas commencé, un ob-jectif de la politique forestière duCameroun, ni d’ailleurs des autrespays du bassin du Congo. La seuleutilisation active de la fiscalité fores-tière par l’État camerounais aconsisté à taxer les grumes expor-tées en l’état pour favoriser le déve-loppement de l’industrie de transfor-mation, politique qui a pourconséquence « secondaire » de pro-curer des recettes fiscales à l’État.De plus, il a provisoirement renoncéà une partie de ces recettes en1999, car les grumes ont été par-tiellement interdites à l’exportation.

LE BILAN DES TROIS PREMIÈRESANNÉES DE LA RÉFORME

Le bilan se limite volontairement auxtrois premières années de la réforme(de 1995-1996 à 1997-1998). Eneffet, l’année fiscale 1998-1999 aété considérée comme une annéede pause dans la réforme, les troispremières années ayant été mar-quées par de nombreux conflits.Nous y reviendrons. De plus, laBanque mondiale a lancé, au débutde l’année fiscale 1999-2000, unaudit des premières années de la ré-forme. Mais, entre temps, le gouver-nement camerounais a interdit par-tiellement l’exportation de grumes,ce qui nécessite de revoir entière-ment la fiscalité forestière.Avant la réforme, la fiscalité fores-tière au Cameroun était composée,selon la terminologie proposée plushaut, de deux redevances et d’unetaxe : une redevance annuelle desuperficie de 100 FCFA/ha/anpour tous les permis (ventes decoupes et licences), une redevanced’abattage ad-valorem de 5 % et,

pour les grumes exportées en l’état(c’est à dire non-transformées surplace), une taxe d’exportation ad-valorem de 40 %.L’assiette en valeur de la redevanceet la taxe ad-valorem était adminis-trée par la commission des mercu-riales douanières (créée en 1973).Les valeurs mercuriales étaient don-nées par deux tables différentes,celles utilisées pour la redevanced’abattage étant légèrement infé-rieures aux autres. De toute façon,les prix de référence étaient dans lesdeux cas très inférieurs à ceux dumarché. De plus, les réajustementsétaient rares (seule exception, maisseulement pour la taxe à l’exporta-tion, au moment de la dévaluationdu FCFA, pour tenir compte non pasd’une évolution des prix mais de ladiminution du coût de production).Pour tenir compte de la distance detransport intérieur, le Camerounétait divisé en trois zones :• I, province de l’ouest ;• II, provinces du sud-ouest et du lit-toral ;• III, provinces du centre et de l’est.Une décote de 5 % était appliquéeaux valeurs mercuriales si l’essenceétait exploitée dans la zone III, ouune surcote de 5 % si l’essence étaitexploitée dans la zone I, de façon àlimiter (mais était-ce suffisant ?)l’écrémage à la marge extensive.Le fonds spécial d’équipement inter-communal (FEICOM), destiné commeson nom le suggère à équiper lescommunes « forestières » en infra-structures de première nécessité,percevait 50 % du produit de la re-devance de superficie, la Directiondes forêts 12 % du produit de cettemême redevance, l’Office Nationaldes forêts (O N A D E F) les 38 % restantsmais aussi 80 % de la redevanced’abattage et 20 % de la taxe à l’ex-portation. Quant au Trésor publiccamerounais, il percevait 20 % dela redevance d’abattage et 80 % dela taxe à l’exportation, laquelle re-présentait, de loin, la source la plus

importante de recettes fiscales. Eneffet, en 1994, la redevance de su-perficie représentait 150 FCFA/m3

pour une grume récoltée dans une licence d’une superficie de75 000 ha avec un rendement de5 m3/ha ; la redevance d’abatta-ge, 450 FCFA/m3 pour un ayous ré-colté dans la zone III (les deux tiersde la récolte provenaient de la zoneIII et l’ayous représentait un tiers dela récolte totale) ; la taxe à l’expor-tation, 13 000 FCFA/m3 toujourspour un ayous récolté dans lazone III. Par conséquent, l’essentieldes recettes fiscales (78 %) alimen-tait le Trésor public camerounais, àcondition évidemment que ces re-cettes aient été réellement perçues,les douanes camerounaises n’ayantalors pas très bonne réputation.La réforme a modifié le taux, l’as-siette et l’affectation des redevanceset de la taxe existantes, a introduitdeux nouvelles taxes et a renforcé lecontrôle des assiettes et le recouvre-ment des redevances et des taxes.Le taux de la redevance de su-perficie a été passé de 100 à1 500 FCFA par hectare et par anpour les permis attribués dans le do-maine forestier permanent et devantfaire l’objet d’un aménagement du-rable : les concessions forestièresencore appelées Unités Forestièresd’Aménagement (UFA). Mais ce tauxest surtout devenu un prix plancherpour une attribution aux enchères.Les taux de la redevance et de lataxe ad-valorem ont été revus à labaisse : 2,5 % pour la première,17,5 % pour la seconde. Mais leurassiette a été revue à la hausse. Uneseule table des valeurs mercuriales,administrée par une commissionspéciale et révisée semestriellement,donne la valeur Fob de l’essence(pour la meilleure qualité, loyale etmarchande – LM) à partir d’en-quêtes réalisées auprès des consom-mateurs par trois organismes diffé-rents. Bilan : les montants de laredevance d’abattage et de la taxeà l’exportation ont augmenté pour la

45BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FORESTRY TAXATION

plupart des essences. Respective-ment de 450 à 2 000 FCFA/m3 etde 13 à 14 000 FCFA/m3, pourl’ayous exploité dans la zone III. Ilexiste toutefois des exceptions : lataxe à l’exportation pour le sapelli,deuxième essence la plus exploitéeaprès l’ayous, est passée, sans rai-son connue, de 27 500 à21 000 FCFA/m3.

Deux nouvelles taxes ont étécréées :

• une taxe ad-valorem sur lesgrumes consommées par les usinesde transformation (50 % de la récol-te environ au cours des trois ans dela réforme) ;

• une surtaxe progressive à l’expor-tation, fixe et payable en cas denon-respect du taux obligatoire detransformation fixé à 70 % par lecode forestier de 1994 (elle concer-nait donc 20 % de la récolte aucours de la période étudiée).

Leurs taux ont été fixés respective-ment à 3,5 % de la valeur mercuria-le (au lieu des 17,5 % pour lesgrumes exportées en l’état) pour lapremière, soit environ (car le rende-ment en matière est conventionnel) 2 500 FCFA/m3 pour l’ayous ex-ploité dans la zone III, et entre 8 et15 000 FCFA par m3 en fonction dudegré de non-respect du taux obli-gatoire de transformation pour la se-conde.

Le FEICOM a été supprimé. Mais40 % du montant de la redevancede superficie sont directement ver-sés par l’exploitant forestier auxmaires des communes riveraines et10 % aux communautés locales(celles-ci perçoivent de surcroît uneredevance informelle de1 000 FCFA/m3 quand le permisest une vente de coupe). Les modali-tés d’emplois de ces recettes fis-cales, notamment par les commu-nautés locales, ont théoriquementété définies par un arrêté à la fin dela troisième année de la réforme fis-cale.

L’ONADEF, lui, n’a pas été supprimé,seulement les affectations dont il bé-néficiait. Un fonds spécial de déve-loppement forestier a été créé. Il estalimenté par 40 % du produit de lasurtaxe progressive à l’exportation,taxe au faible rendement en raisondes difficultés rencontrées par l’ad-ministration pour calculer son assiet-te (cette affectation a été suppriméepar la loi de finances 1998-1999).

Le contrôle de l’assiette des deux re -devances, effectué auparavant parun service du Ministère de l’environ-nement et des forêts, a été confié àla direction des impôts qui, avant laréforme, était seulement en chargede leur recouvrement. Le contrôle del’assiette de la taxe à l’exportation(seulement pour les grumes expor-tées en l’état) a été confié à une en-treprise privée de nationalité suisse,la Société Générale de Surveillance(SGS), dans le cadre d’un program-me dit de « sécurisation des recettesdouanières », une des mesures del’ajustement structurel. Cette derniè-re avait, par ailleurs, proposé augouvernement de sécuriser lecontrôle des assiettes et le recouvre-ment de la redevance d’abattage etde la taxe à l’exportation sur lesgrumes consommées par les usines.Mais cette proposition a été refusée,le gouvernement préférant bâtir sonpropre « programme de sécurisa-tion des recettes forestières » (PSRF).Enfin, le nombre et la fréquence descontrôles fiscaux par la directiondes impôts ont été augmentés.

Q u a t r e c o n s é q u e n c e s « m e s u -rables » de la réforme ont été consta-tées au cours des trois premières an-nées.

Les deux premières sont une estima-tion grossière, faute d’appareil sta-tistique fiable. Quant aux deuxautres, elles sont le résultat d’une si-mulation à partir d’une entreprise« type », dont les caractéristiques(CARRET, 1998) sont trop nom-breuses pour être données dans lecadre de cet article. Tous ces résul-

tats sont donc simplement des ordresde grandeur. Les voici, néanmoins :• Rapportées au volume de bois ré-colté, les recettes fiscales (fiscalitéforestière uniquement) réellementperçues par l’État ont augmenté etsont passées (en FCFA d’après ladévaluation) d’une moyenne de 6 000 FCFA par m3 (années fis-cales de 1990-1991 à 1994-1995)à 10 000 FCFA par m3 en 1996-1997, puis à 13 000 FCFA en1997-1998. Les recettes fiscales del’État étaient, en effet, d’environ10 milliards de FCFA avant la déva-luation, puis de 30 milliards aprèsdeux ans de réforme et enfin de40 milliards après trois ans de ré-forme. Mais, dans le même temps,la récolte est passée de 2 à plus de3 millions de m3.• Les recettes fiscales perçues parles communes et les communautéslocales ont augmenté, non seule-ment sous l’influence de l’augmenta-tion du taux de la redevance de su-perficie mais aussi grâce à lasuppression du FEICOM et, pour lescommunautés locales, à l’introduc-tion d’une redevance « informelle »(sans qu’elle fasse l’objet d’un dé-cret) sur les volumes exploités dansles ventes de coupe. Plus d’un mil-liard de FCFA par an ont été versésaux communautés locales, par l’in-termédiaire de cette redevance in-formelle, au cours des trois pre-mières années de la réforme.• La part des recettes fiscales préle-vée en amont du processus produc-tif a augmenté. C’est le résultat del’augmentation du montant des deuxredevances et de la relative stabilitéde celui de la taxe à l’exportation.Cette part était, pour l’entreprise-type et si la grume était exportée enl’état, d’un quinzième des recettesfiscales totales avant la réforme etd’un quart après trois ans de réfor-me.• L’écart de pression fiscale entreles grumes exportées en l’état etcelles consommées par les usines de

46 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FISCALITÉ FORESTIÈRE

transformation a été réduit, sous ladouble influence de la remontée enamont et de l’introduction d’unetaxe à l’exportation sur les grumesconsommées par les usines. Cetécart, de 1 à 15 avant la réforme fis-cale, n’était plus que de 1 à 2 aprèstrois ans de réforme.

S’agissant de la première consé-quence, nous avons montré dans lapremière partie qu’il fallait, en touterigueur, comparer le bénéfice fiscalbrut à son coût administratif. Mais,les données disponibles sont rares.Le seul coût identifiable est celui ducontrôle, par une entreprise privée,la SGS, de l’assiette de la taxe à l’ex-portation pour les grumes non trans-formées sur place. Il était d’environ1 000 FCFA/m3 (en réalité 0,95 %de la valeur mercuriale). Restent lescoûts de contrôle de l’assiette desquatre autres taxes et redevances,celui de la commission en charged’établir les valeurs mercuriales,ceux liés au recouvrement des rede-vances et des taxes et celui des in-nombrables réunions qui ont eu lieu,au cours de ces trois années, entreles différentes administrations came-rounaises, les entreprises et, parfois,la Banque mondiale. La seule indi-cation supplémentaire est le prixproposé par la SGS pour sécuriser lecontrôle de l’assiette et le recouvre-ment de la redevance d’abattage etde la taxe à l’exportation sur lesgrumes consommées par les usines :1 500 FCFA/m3. Signalons, enfin,à titre d’information, qu’en 1998, lebudget annuel (fonctionnement et in-vestissement) du Ministère de l’envi-ronnement et des forêts (hors projetsfinancés par les bailleurs de fonds),rapporté au volume récolté, étaitd’environ 1 200 FCFA/m3 (4 mil-liards de FCFA/3,3 millions de m3).

Malgré leur caractère fragmentaire,ces quelques indications invitent àrester prudent sur l’ampleur du béné-fice fiscal net de la réforme. Finale-ment, toute la question est de savoirsi le coût administratif croît plus ou

moins vite que les recettes fiscales.Une partie de la réponse se trouvevraisemblablement du côté de la re-devance annuelle de superficie et del’utilisation d’un mécanisme d’en-chères pour fixer son taux. En effet,le coût de contrôle de l’assiette decette redevance est certainementmoins élevé que celui des rede-vances a d - v a l o r e m. Autrement dit, ilest vraisemblable qu’il soit nécessai-re que la redevance annuelle de su-perficie prélève une proportion im-portante de la rente forestière pourqu’il existe un bénéfice fiscal net.Cela dit, comme nous l’avons expli-qué dans la partie précédente, les ef-fets économiques de l’augmentationdu prélèvement dépendent de la ma-nière dont les recettes fiscales sontutilisées. Or, il est difficile de dire sil’augmentation des recettes fiscalesse traduit aussi par une meilleure uti-lisation de celles-ci, notammentparce que la suppression de l’affec-tation d’une partie de ces recettes auF E I C O M, à l’O N A D E F et à la directiondes forêts ne constitue pas une ga-rantie suffisante de changementdans la qualité de l’utilisation des re-

cettes fiscales. Le problème est lemême pour les conséquences de ladécentralisation de la perceptiond’une partie des recettes fiscales. Ilsemble en effet qu’il n’y ait pas lieude se réjouir trop vite, le versementsoudain d’une manne de plusieursmillions de FCFA à des villages de« b r o u s s e » ayant apparemment etdans un premier temps plus donnélieu à de joyeuses libations qu’à desinvestissements productifs.Il existe, cependant, d’autres béné-fices éventuels des trois premièresannées de la réforme : ceux prove-nant du transfert en amont de la fis-calité forestière et de la réduction del’écart de pression fiscale entre lesgrumes consommées sur place etcelles exportées en l’état. A priori,ces deux mesures ont pour effet deréduire le gaspillage de matière pre-mière en forêt et sur le parc à grumedes usines de transformation(photo 6). Il y aurait, donc, un béné-fice « environnemental » de la réfor-me. Mais il n’est pas mesurable. Etsurtout, il ne correspond pas à l’ob-jectif environnemental appelé« aménagement durable ».

47BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FORESTRY TAXATION

Photo 6. Chutes de scierie. Réduire le gaspillage de matière première est un gaine n v i r o n n e m e n t a l .Sawmill offcuts. Cutting down on wood waste is good for the environment.

LES CONFLITS

En plus d’un bilan que l’on peut qua-lifier de « discutable », au sens où ilmériterait d’être affiné, la réforme aaussi été singulièrement laborieuseet conflictuelle. Passons rapidementsur le premier aspect, en notant sim-plement que les trois premières an-nées de la réforme ont produit d’innombrables documents, tant ad-ministratifs que stratégiques ou épis-tolaires. Nous en avons recensésplus de 150 et la liste n’est pas ex-haustive (CARRET, 1998). Une tellelourdeur était peut-être inévitable.Plus importants sont les conflits.Toutes les innovations introduitespar la réforme ont été plus ou moinsconflictuelles. Mais deux mesuresont plus particulièrement fait l’objetde très vives controverses :• la diminution de l’avantage fiscaldont bénéficiaient les usines detransformation ;• l’attribution des concessions auxenchères.Le conflit occasionné par la premièrem e s u r e a certainement été le plusspectaculaire. Il a aussi été le toutpremier de la réforme. La loi de Fi-nances 1995-1996 prévoyait, eneffet, à l’initiative de la Banque mon-diale, de supprimer complètementl’avantage fiscal dont bénéficiaientles usines de transformation, en leurimposant le paiement d’une taxe àl’exportation identique (même assiet-te, même taux) à celle frappant lesexportations de grumes. Lors d’unepremière réunion chez le Ministredélégué au budget (la premièred’une longue série), quelques joursaprès la parution du texte de loi dansle Journal officiel, les syndicats in-dustriels contestèrent l’opportunitéd’une telle mesure. En septembre,une circulaire rectifia le tir. Pas suffi-samment, au goût des syndicats. Aumois d’octobre, ces derniers décidè-rent d’arrêter la production dans lesusines de transformation et de mettreleurs salariés au chômage tech-nique. Le gouvernement fit immédia-

tement machine arrière et publia unenouvelle circulaire rectificative. Laproduction reprit dans les usines. Latroisième loi de finances de la réfor-me (1997-1998), qui prévoyait éga-lement de supprimer l’avantage fis-cal des usines de transformation, aprovoqué un conflit en tous pointsidentique au premier.La proposition de la Banque mon-diale a provoqué un conflit parcequ’elle contrariait le dispositif d’inci-tations économiques et d’obligationsréglementaires de la politique d’in-dustrialisation du gouvernement ca-merounais. La protection tarifairedes usines de transformation est, eneffet, un des éléments de la politiqued’industrialisation poursuivie par legouvernement camerounais depuisl’indépendance. Elle est destinée àrenforcer l’obligation réglementaireà transformer une partie de la récol-te sur place. Le code forestier de1994 a fait passer ce taux de 60 à7 0 % en indiquant, par ailleurs, queles exportations de grumes seraienttotalement interdites à partir de1999 et en introduisant une surtaxe

à l’exportation, en cas de non respectdu taux obligatoire de transforma-tion pendant la période transitoire.Ce dispositif a encore été renforcépar le code des investissements, révi-sé en 1990, qui accordait aux in-vestisseurs dans la transformation dubois au Cameroun la possibilité debénéficier d’un statut de point francindustriel, lequel exonère l’entreprised’impôt sur les bénéfices pendant 5 ans et diminue les droits de douanessur le matériel importé (photo 7 ) .

La nature du conflit engendré par ladeuxième mesure est un peu plus dif-ficile à saisir car il a contrarié nonpas un mais deux objectifs de la po-litique forestière camerounaise :• la promotion des entrepreneursnationaux ;• l’aménagement durable.Le premier objectif pouvant, de sur-croît et éventuellement avec raison,être qualifié de redistribution clien-téliste de la rente forestière.L’introduction d’un système d’en-chères a commencé à être discutée

48 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N°264 (2)

FISCALITÉ FORESTIÈRE

Photo 7. Palissade entourant un point franc industriel. Ce statut juridique étantdestiné à favoriser l’industrialisation.Fence surrounding an industrial free zone. This legal status being designed to en -courage industrialization.

au moment de l’élaboration du codeforestier. Les députés ont obtenu,contre l’avis de la Banque mondia-le, qu’une partie des concessions fo-restières fasse l’objet d’un appeld’offres restreint aux seuls entrepre-neurs nationaux et, d’autre part, queles candidats ne soient pas seule-ment sélectionnés selon un critère fi-nancier mais aussi selon des critèrestechniques, évalués par une secon-de commission.

En 1996, et alors qu’aucuneconcession n’avait encore été miseaux enchères, deux concessions fo-restières ont été attribuées par dé-cret présidentiel, à la plus grandestupéfaction de la Banque mondialeet des ONG comme le WRI (World Re-sources Institute) et le WWF (WorldWild Fund), aux présidents desdeux principaux syndicats indus-triels. Un an plus tard, en 1997, lap r e m i è r e m i s e a u x e n c h è r e s(42 concessions pour 2,5 millionsd’hectares) s’est soldée par uné c h e c . I n i t i a l e m e n t f i x é à300 FCFA/ha/an, le prix planchera été relevé, au dernier moment et àla demande de la Banque mondia-le, à 2 000 FCFA/ha/an. L’appeld’offre a alors été annulé pour vicede forme. Quelques mois après, undeuxième appel d’offre était lancé.Vingt-six concessions furent pro-posées au prix plancher de 1 500 FCFA/ha/an. Le choix finaldes attributaires, annoncé à la fin del’année 1997, a été vivement discu-té, notamment parce que l’utilisationde critères mixtes (financier et tech-niques) engendre inévitablementdes conflits d’arbitrage mais aussiparce qu’il y aurait eu certaines irré-gularités.

Une fois les concessions attribuées,les syndicats industriels ont deman-dé :

• d’une part, que l’assiette de la re-devance de superficie soit calculéeà partir d’une surface dite « utile »(réellement exploitable), soit environ

70 % de la superficie d’une conces-sion ;

• et d’autre part, que l’attributairepaie seulement le prix plancher pen-dant les trois premières années aucours desquelles il doit réaliser leplan d’aménagement durable. Laréalisation de ce dernier nécessiteen effet un investissement important,de l’ordre de 3 000 FCFA/ha.

De plus, l’exploitant est tenu par leplan d’aménagement durable den’exploiter chaque année qu’uneseule assiette de coupe alors que latendance, ces dernières années,était d’attribuer plusieurs assiettesde coupe par permis. La redevancede superficie acquiert ainsi, rappor-tée au m3 et dans l’hypothèse oul’exploitant n’intensifie pas son pré-lèvement, un poids plus important.Si dans le même temps, le taux de laredevance de superficie est relevé,ce qui s’est produit au Cameroun,cela renchérit encore le coût de lamatière première et, par extension,le coût d’application par les entre-prises de la norme environnementa-le appelée « plan d’aménagementdurable ». Autrement dit, cela n’in-cite certainement pas les entreprisesd’exploitation forestière à modifierleur comportement, surtout si, parailleurs, l’exploitation des forêts dudomaine rural n’est pas soumise àde telles contraintes.

CONCLUSIONS

Les deux débats présentés, évaluonsmaintenant, comme nous l’annon-cions en introduction, la consistanceéconomique des propositions poli-tiques, notamment celles de laBanque mondiale puisque c’est ellequi a suscité cette réforme.

En demandant au Cameroun de ré-former sa fiscalité forestière, laBanque mondiale poursuivait deuxobjectifs :

• augmenter les recettes fiscales del’État ;

• f a v o r i s e r l ’ a m é n a g e m e n t d u-rable.Le premier objectif a été atteint ; lesrecettes fiscales ont augmenté. Maisle gain fiscal brut doit être en touterigueur comparé à son coût admi-nistratif, lequel n’est pas connu avecprécision. Cette question mériteraitdonc d’être approfondie. De plus,en admettant qu’il existe tout demême un bénéfice net, les consé-quences d’une telle politique pour ledéveloppement économique dupays ne sont pas évidentes : tout dé-pend de l’utilisation qui est faite desrecettes fiscales. Comme la premiè-re, cette question mériterait d’êtreétudiée avec soin.Le deuxième objectif, en revanche,n’a pas été atteint. C’était prévi-sible. En effet, la fiscalité forestièren’est pas une écotaxe efficace pouratteindre l’objectif environnementalappelé « aménagement durable »,même réduit à la seule adoption deméthodes d’exploitation forestière àfaible impact sur le milieu naturel.Ce qui ne veut pas dire que la réfor-me n’a pas eu, par ailleurs, desconséquences environnementalespositives puisqu’elle a éventuelle-ment réduit le gaspillage de matièrepremière en forêt et dans les usinesde transformation.La consistance économique de lapolitique fiscale recommandée parla Banque mondiale au Camerounest donc, pour le moins, discutable.De plus, elle a contrarié la politiqueforestière de l’État camerounais :• premièrement, en diminuant lespossibilités de promotion des entre-preneurs nationaux ou (et c’est làtout le problème) de redistributionclientéliste de la rente forestière ;• deuxièmement, en diminuantl’avantage fiscal dont bénéficiaientles usines de transformation ;• troisièmement, en augmentant lepoids de la redevance annuelle desuperficie et, donc, le coût d’appli-cation de la norme environnementa-le appelée « plan d’aménagementdurable » (photo 8).

49BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FORESTRY TAXATION

D’où le caractère conflictuel destrois premières années de la réformefiscale.Quant à la question de la consistan-ce « é c o n o m i q u e » de la politique fo-restière du gouvernement, elle appel-le les remarques suivantes. Laissonsde côté la question de la consistanced’une politique de promotion des en-trepreneurs nationaux, en nous gar-dant de tout jugement hâtif et pé-remptoire. Restent celles quiconsistent à « p r o t é g e r » le dévelop-pement d’une industrie manufacturiè-re de transformation et à privilégierune norme plutôt qu’une taxe pour at-teindre l’objectif environnemental ap-pelé « aménagement durable » .Quelle est la consistance écono-mique de ces deux politiques ?• La première est une alternativepossible à l’augmentation des re-cettes fiscales en matière de déve-loppement économique puisqu’elle« sédentarise » le réinvestissementde la rente forestière sur le territoirecamerounais. Les observations ef-

fectuées en Indonésie et en Malaisieinvitent, cependant, à rester prudentsur l’efficacité d’une telle politique.C’est certainement pour cela que laBanque mondiale a proposé de sup-primer la protection tarifaire dontbénéficient les usines camerou-naises. Mais est-il bien sûr que la si-tuation camerounaise à la fin desannées 90 soit réellement compa-rable avec celles des deux paysd’Asie du Sud-Est à la fin des années70 ? Ne faut-il pas plutôt juger surpièces (photo 9) ? Telle est, en toutcas, notre position. En effet, une en-quête exhaustive dans les usines detransformation du bois camerou-naises a notamment mis en évidenceque les usines, notamment les scie-ries, transformaient des grumesd’une qualité inférieure à celles desgrumes exportées et ne pouvaient,par conséquent, obtenir le mêmerendement en matière que les usinesétrangères.• La seconde politique semble ap r i o r i plus consistante puisque la fis-calité forestière n’est pas un instru-ment économique efficace pour inci-

ter l’exploitant forestier à adopter lesméthodes à faible impact sur le mi-lieu. Mais peut-on réduire le passageà l’aménagement durable à l’adop-tion de telles méthodes ? De plus,l’application d’une norme environne-mentale a un coût. Il faut donc com-parer le coût de l’application de lanorme avec ses bénéfices, notam-ment ceux qui seront perçus par lepays, puisqu’il ne faut pas oublierque l’aménagement durable est unobjectif « e n v i r o n n e m e n t a l » qui aété « s u g g é r é » au Cameroun. Cepays, comme nous l’avons dit, a unepolitique forestière composée de plu-sieurs objectifs, tous aussi importants,de son point de vue, les uns que lesautres. Il convient donc de définir plusprécisément la norme environnemen-tale adoptée par le Cameroun, demesurer l’écart entre les pratiques ac-tuelles et celles qui résulteront del’application de la norme et, enfin, dechiffrer le coût économique de la« mise à la norme », lequel dépendévidemment de l’ampleur de cetécart, puis de les comparer aux bé-néfices ainsi obtenus.

50 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FISCALITÉ FORESTIÈRE

Photo 8. Appliquer la norme environ-nementale a un coût économique.Applying environmental laws costsm o n e y .

Photo 9. La protection tarifaire des usines camerounaises est-elle responsable desfaibles rendements en matière de la transformation ?Is tariff protection for cameroon factories responsible for low wood-processing out -p u t ?

BAIROCH P., 1992.Le tiers-monde dans l’impasse. Paris, France,Gallimard, 3e édition, 660 p.

BANQUE MONDIALE, 1997.The greening of economic policy reform.Washington, États-Unis, Banque mondiale.

CARRET J. C, 1998.La réforme de la fiscalité forestière auCameroun. Contexte, bilan et questions ou-vertes. Etude réalisée par le Cerna à la de-mande de l’IFIA, 159 p.

CARRET J. C., GIRAUD P. N., 1998.Les débats sur la fiscalité de l’exploitationdes forêts tropicales. Paris, Cerna, 56 p.

FERRER V., O’HALLORAN E., 1996.The evolution of Cameroon’s new forestrylegal, regulatory and taxation system. Draftpaper. Washington, États-Unis, Banquemondiale, 10 p.

GILLIS M., 1980.Fiscal and financial issues in the tropicalhardwood concessions. Development discus-sion paper n˚ 110. Cambridge, États-Unis,H a r v a r d I n s t i t u t e f o r I n t e r n a t i o n a lDevelopment, 126 p. + annexes.

GILLIS M., 1992.Forest concession management and reve-nues policies. Managing the world forest.Dubuque, Iowa, Kendall-Hunt, 139-176.

HYDE W. F., 1996.Deforestation and forest land use : a reply.The World Bank Research Observer 11(12) : 141-145.

HYDE W. F., SEDJO R. A., 1992.Managing tropical forests : reflections on therent distribution discussion. Land economics68 (3) : 343-350.

HYDE W. F., SEDJO R. A., 1993.Managing tropical forest : Reply. Land eco-nomics 69 (3) : 319-321.

LIPIETZ A., 1999.Economie politique des écotaxes. Fiscalitéde l’environnement. Conseil d’analyse éco-n o m i q u e , P a r i s , L a d o c u m e n t a t i o nFrançaise, 9-39.

MINEF-OIBT-ONADEF, 1998.Directives nationales pour l’aménagementdurable des forêts naturelles du Cameroun.Y a o u n d é , C a m e r o u n , M i n i s t è r e d el’Environnement et des Forêts, 43 p. + an-nexes.

PAGE J. M., PEARSON S. R., LELAND H. L., 1976.Capturing economic rent from ghanaian tim-ber. Food Research Institute 15 (1) : 25-51.

REPETTO R., 1990.Deforestation in the Tropics. ScientificAmerican 262 (4) : 18-24.

REPETTO R., GILLIS M., 1988.Public policies and the misuse of forests re-sources. Cambridge, Cambridge UniversityPress, World Resources Institute, 432 p.

RUZICKA I., 1979.Rent appropriation in Indonesian logging :East Kalimantan, 1972/73-1976/77.Bulletin of Indonesian Economics Studies15 (2) : 45-74.

VINCENT J. R., 1990.Rent capture and the feasibility of tropical fo-rest management. Land economics 66 (2) :213-223.

VINCENT J. R., 1992.The tropical timber trade and sustainable de-velopment. Science 256 : 1651-1655.

VINCENT J. R., 1993.Managing tropical forests : comment. Landeconomics 69 (3) : 313-318.

VINCENT J. R., GILLIS M., 1998.Deforestation and forest land use : a com-ment. The World Bank Research Observer13 (1) : 133-40.

51BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FORESTRY TAXATION

R E F E R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S

52 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FISCALITÉ FORESTIÈRE

R É S U M ÉLA RÉFORME DE LA FISCALITÉ FORESTIÈRE AU CAMEROUN

Débat politique et analyse économiqueL’article relate deux débats : l’un scientifique, une réflexion sur le rôle de la fiscalité forestière dans les pays tropicaux qui a mobilisé unpoignée d’économistes américains entre 1976 et 1992 ; l’autre politique, les trois premières années (de 1995-1996 à 1997-1998) dela réforme de la fiscalité forestière au Cameroun, qui a mis en présence l’État, souverain sur son territoire, et la Banque mondiale, parle biais de l’ajustement structurel. L’objectif d’un tel rapprochement n’est pas de réduire le champ du politique à des enjeux économiquesmais de montrer que certains des enjeux du débat politique peuvent être reformulés dans les termes de l’économie et qu’il est même rai-sonnable de les envisager sous cet angle. La première partie de l’article définit deux concepts essentiels à la compréhension des deuxdébats : la rente et la fiscalité forestières. Elle propose ensuite une restitution thématique des résultats de la discussion scientifique : l’ef-ficacité du prélèvement de la rente forestière par différents types de redevances, les conséquences économiques de la répartition de larente forestière entre l’État et les entreprises et la possibilité d’utiliser la fiscalité forestière comme une écotaxe. La seconde partie donneles objectifs des deux protagonistes de la réforme de la fiscalité forestière au Cameroun. Elle établit le bilan des trois premières annéesde cette réforme, puis elle présente une interprétation du caractère particulièrement conflictuel de deux mesures proposées par laBanque mondiale : la suppression de la protection des usines de transformation et l’attribution aux enchères des concessions forestières.Mots-clés : fiscalité forestière, politique forestière, instruments économiques, instruments réglementaires, Banque mondiale, Cameroun.

A B S T R A C T

REFORMING THE FORESTRY TAXATION SYSTEM IN CAMEROONPolitical debate and economic analysis

This article describes two debates: one is scientific, a line of thinking to do with the role of forestry taxation in tropical countries, whichexercised a handful of American economists between 1976 and 1992; the other is political, dealing with the first three years (from1995-1996 to 1997-1998) of the reform of the forestry taxation system in Cameroon, which brought the State, with sovereign powerover its territory, face-to-face with the World Bank, by way of the structural adjustment plan. The aim of this kind of cooperation is not toreduce the range of the policy to economic challenges, but rather to show that some of the challenges in the political debate may be re-formulated in economic terms, and that it is even sensible to see them from this viewpoint. The first part of the article defines two conceptsthat are crucial for an understanding of the two debates: resource rent and forest taxation system, and then puts forward a thematic re-production of the findings of the scientific discussion : the efficiency of taxation arrangement by different types of royalties the economicconsequences of rent distribution between the State and companies, and the possibility of using royalties as an environmental tax. Thesecond sets forth the objectives of the two leading players involved in forestry taxation reform in Cameroon. It lays out the figures for thefirst three years of this reform, and then puts forward an interpretation of the particularly conflicting nature of two measures proposed bythe World Bank : doing away with the protection of processing factories, and auctioning off forest concessions.Key words: forest taxation, forestry policy, economic instruments, regulatory instruments, World Bank, Cameroon.

R E S U M E N

LA REFORMA DE LA FISCALIDAD FORESTAL EN CAMERÚNDebate político y análisis económico

El artículo presenta dos debates : uno científico, una reflexión sobre la función de la fiscalidad forestal en los países tropicales que mo-vilizó a algunos economistas americanos entre 1976 y 1992 ; el otro político, los tres primeros años (de 1995-1996 a 1997-1998) dela reforma de la fiscalidad forestal en Camerún que ha puesto frente a frente al Estado, soberano en su territorio, y al Banco Mundialpor medio del ajuste estructural. El objetivo de este enfoque no es reducir el ámbito de la política a los desafíos económicos sino quetrata de mostrar que algunos desafíos del debate político pueden volver a formularse en términos económicos y que sería incluso ra-zonable considerarlos bajo esta perspectiva. La primera parte del artículo define dos conceptos esenciales para la comprensión deambos debates : la renta y la fiscalidad forestales, seguidamente, propone una restitución temática de los resultados de la discusióncientífica : la eficacia del gravamen de la renta forestal mediante diferentes tipos de cánones, las consecuencias económicas de la re -partición de la renta forestal entre el Estado y las empresas y la posibilidad de emplear la fiscalidad forestal como un impuesto ecoló-gico. La segunda parte da los objetivos de los dos protagonistas de la reforma de la fiscalidad en Camerún, establece el balance delos tres primeros años de esta reforma y luego propone una interpretación del carácter particularmente conflictivo de las dos medidaspropuestas por el Banco Mundial : supresión de la protección de las plantas de transformación y atribución en subasta de las conce-siones forestales.Palabras clave : fiscalidad forestal, política forestal, instrumentos económicos, instrumentos reglamentarios, Banco Mundial, Camerún.

53BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2000, N° 264 (2)

FORESTRY TAXATION

S Y N O P S I S

This article describes two debates: one isscientific, presenting a line of thinking todo with the role of forestry taxation in tro-pical countries, which exercised a hand-ful of American economists between1976 and 1992; the other is political,dealing with the first three years (from1995 to 1998) of the reform of the fores-try taxation system in Cameroon, whichbrought the State, with sovereign powerover its territory, face-to-face with theWorld Bank, by way of the structural ad-justment strategy.

The aim of links such as these is not to re-duce the range of the policy to economicchallenges, but rather to show that someof the challenges in the political debatemay be reformulated in economic terms,and that it is even sensible to see themfrom this viewpoint.

In the first part, two concepts that are cru-cial for an understanding of the two de-bates are defined: resource rent androyalties. A thematic reproduction of thefindings of the scientific discussion is pro-posed: the efficiency of taxation arrange-ment by different types of royalties, theeconomic consequences of rent distribu-tion between the State and companies,and the possibility of using royalties asan environmental tax.

The second part sets forth the objectivesof the two leading players involved in fo-restry taxation reform, lays out the figuresfor the first three years of this reform, andthen puts forward an interpretation of theparticularly conflicting nature of two mea-sures proposed by the World Bank:doing away with the protection of pro-cessing factories, and auctioning off fo-rest concessions.

THE AIMS OF THE REFORM

By asking Cameroon to reform its forestrytaxation system, the World Bank had two

aims in mind: to increase the State’s taxrevenues, and to encourage sustainableforest management (SFM). The first objec-tive has been achieved; tax revenueshave risen. But the gross fiscal gains mustbe strictly compared with the administra-tive costs, which are not accuratelyknown. Furthermore, by admitting thatthere is a net profit all the same, theconsequences of such a policy for thecountry’s economic development are notobvious: everything depends on the usethat is made of the tax revenues. So thesetwo points should be examined in greaterdepth. The second objective, on the otherhand, has not been achieved. This wasforeseeable. Royalties are actually not aneffective economic instrument for achie-ving the environmental objective knownas SFM, even when reduced to merelyadopting reduced impact logging me-thods (RIL).

THE EFFICIENCY OF THE FISCALPOLICY REFORM

The efficiency of the fiscal policy recom-mended by the World Bank forCameroon is therefore arguable. What ismore, it has upset the forestry policy ofthe Cameroon State. Firstly, by reducingthe chances of promoting national entre-preneurs or (and herein lies the wholeproblem) of redistributing resource rent torentiers. Secondly, by reducing the taxadvantages enjoyed by processing facto-ries. Thirdly, by increasing the amount ofthe annual area fee, and, hence, the costof applying the environmental standardknown as the “sustainable managementplan”. All resulting in the conflicting at-mosphere of the first three years of tax re-form.Let us leave aside the issue of the consis-tency of a policy for promoting nationalentrepreneurs and let us beware of ma-king hasty and peremptory judgments.

We are left with those aspects whichconsist in “protecting” the development ofa processing manufacturing industry, andhaving recourse to a standard rather thanto an environmental tax in order to achie-ve the environmental objective known asSFM. What is the “economic” consistencyof these two policies ?

THE “ECONOMIC” CONSISTENCY

The first issue is a possible alternative toincreasing fiscal revenues with regard toeconomic development, because this “im-mobilizes” the reinvestment of resourcerent in Cameroon territory. Observationsmade in Indonesia and in Malaysia ne-vertheless encourage prudence about theefficiency of such a policy. This is un-doubtedly why the World Bank has pro-posed doing away with the tariff protec-tion enjoyed by Cameroon factories. Butcan we be quite certain that theCameroon situation in the late 1990s isreally comparable with those two sou-theast Asian countries in the late 1970s ?Rather is it not necessary to judge accor-ding to the evidence ? The second issueseems, a priori, more consistent becauseroyalties are not an effective economicinstrument for getting loggers to adopt RILmethods. But can the transition to SFM bereduced to the adoption of suchmethods ? Furthermore, the applicationof an environmental standard costsmoney. So it is important to compare thecost of applying the standard with its be-nefits, especially those which will be re-ceived by the country, because it must notbe forgotten that sustainable manage-ment is an “environmental” objectivewhich has been “suggested” toCameroon, which, as we have said, hasa forestry policy made up of several ob-jectives, all, from its point of view, ofequal importance. Here again, a stricteconomic calculation is called for.

REFORMING THE FORESTRY TAXATION SYSTEM IN CAMEROONPolitical debate and economic analysis

JEAN-CHRISTOPHE CARRET