La Révolution (Tome 11)

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 RÉVOLUTION, RECHERCHES HISTORIQUES L'ORIGINE ET LA  PROPAGATION DU MAL EN  EUROPE, M m » L A mmmAMÊtumem JTSÇIPA s o t JOTAS, Mgr G AUME, Prttoaottirr *f *tte at . tteairt gtftérti R e f , dt MooUahi o #1  d'AqaiU, 4<*t*«r #» thé<4*§s#, clmfthtr i# fordr* 4« 8*i»t~%lf«*tr* t mmkiê ét l' A ti ét ei * 4s 1« rttigi»» eâtàolrçst 4t R o »t , 4t l'ilcWëtti* 4r§ , iftf   tt iNtUft-itttrti 4e Im»f o * , fie. C t « PIMMM ê*r* M N l  v  U kl  f  éttMsi** ONZIÈME LIVRAISON. L A RENAISSANCE. PARIS GALMK FRÈRES n J DL'PRKY. UBR AIRES-KIH TKIRS , H I K C /I vSLTTfc.  4. 1859 L'auteur t - t U.s> li t -ur* v T , < | r .t h trulu. tu m i ' rej r .|*ffi<>n à l'étranger.

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RVOLUTION,RECHERCHES HISTORIQUES

L'ORIGINE ET LA PROPAGATION DU MAL EN EUROPE,M m LA mmmAMtumem JTSIPA s o t JOTAS,

Mgr G AUME,Prttoaottirr * f * t t e U a t . tteairt gtftrti 4 R e i f , d t M o o U a h i o #1 d ' A q a i U , 4o>itit universelle de Londres, m celle de Paris? Ou I cachet, je vous prie,

AVANT-PROPOS.

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tait imprim sur la majorit des objets d'art? Estce que tes immodesties olympiques ne ruisselaient pas sur les bronzes, sur les pices d'orfvrerie et sur tes meubles de prit ? Quels sujets reprsentaient te plus souvent tes mosaques, les cames, tes statues, tes peintures, les tapisseries? Parcourez encore nos expositions annuelles, visitez les magasins de bronze ou de bois de Boule ; contentez-vous mmo de jeter en passant un coup d'oeil sur les montre des joailliers, des marchands d'estampes, de statuettes ou de photographies, et dites combien vous verrez de sujets chrtiens et nationaux ? Parmi ce* derniers, comptez ceux que l'art paen ne dshonore pas de sa touche matrialiste, ou ne souille pas de son nu rvoltant.La forme paenne, en peinture, en sculpture, en gravure, est fi peu passe de mode, que les artistes disposs tre vhrrtim* se plaignent d tre obligs, malgr leur lgitime rpugnance, a faire, pour wvre, du gre< et du romain. l*an !e tait, quelles sont m u'iivre* d'art qui attirent la foule, qui sont chante.** par le> journaux, qui vont dcorer les opulente: demeures en France et a l'tranger ? et si vous pnrez plus axant, pielle forme trouvez-vous dans les mudes, dans les danses, dans (ornementation ds Itotidor*. duv> de prosprit et de gloire, sans le christianisme N'e*t-ce pas, avant tout, dans les maisons d'ducation, au milieu des hommes et des peuples paens, win^mw offerts son admiration * fit en pn'sencc de ce i mondr au sein des nations ehrli' nue-.1

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AVANT-PROPOS.

tranant sa S'iite le nombreux cortge d'impits, de blasphmes, d'arts, de thtres, de modes, de denses, de livres, de murs et d'usages corrupteurs, d'oracles mme et de prestiges, dont il tait aeeemptga d f * l'antiquit paenne et qui caractrisent encore son empire au sein des nations idoltres. S'il n'est pas de phnomne plus redoutable que celui-l, il n'en est pas qui soit plus digne d'tude. Comment Satan a-ttl obtenu cet insolent triomphe ? En sduisant l'Europe. Comment l'a-t-il sduite? De la mme manire qu'il sduisit km pres du genre humain. On Mit qu'il les attaqua tout la fois dans leur raison et dans leurs sens. Vous ferez comme des Dieux, leur dit-il, mti$ sicut DU; voil la tentation de la raison, Porgueil. Il les blouit par la beaut et la bont apparente du fruit dfendu, bmtm ad vemndum Mpctuqur tkkctabile, voil la tentation des sens, la volupt. Au mme pige il a pris l'Europe moderne . A ses yeux, la Renaissance fait miroiter l'indpndanee de la raison dont jouissait le monde avant d*tre soumis au joug de la foi chrtienne et lu beaut de la forme littraire, artistique ; sot ialf t politique, que l'homme mancip avait *u imprim* i1 1

Sur l#* < * * ! * t m ^sie (ril t nu* *u t m

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AVANT-PROPOS.

Il

a toutes ses uvrai. Eu prouva, elle n'a cass de donner les rpubliques de Rome et de la Grce, produit exclusif do gnie de l'homme, comme les plus brillantes crations connues dam l'histoire; comme (a patrie exclusive des grands peuples, des grandes choses, des grandes vertus, des grands capitaines, des grands potes, des grands orateurs, des grands historiens, des graa* artistes, des grands philosophes et des grands politiques Grce son ducation, l'Europe l'a cru; elle a fait ce que nous savons, elle est devenue ce que nous voyons. C'est id le lieu d'examiner les pompeuses affirmations de la Renaissance, d'tudier une bonne fois cas grands peuples et cas grands hommes, de voir ct %jc nous avons gagn, ce que noos gagnons encore leur cole; si du moins noos avons appris et beau grec et ce beea latin, pour l'eequisitiott desquels il semble que nous ayons t crs et mis au monde; en un mot, le moment est venu pour nous de dissiper te eharmo fasrinatmir qui a sduit l'Europe et de montrerrinu cette antiquit paenne, pour laquelle, malheureux que nous sommes! nous aum* tiboiidonne lt eaux vive* et le* richesses m< un parai de* dit rhrisl taiifume < t)r, |*raoniM ti'^l plu* m nediatement intress V i f | ut t , . . . ; j | f,,, | . ( . , | | , | (1 2. | i f ' # f11

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Il

AVANT-PROPOS.H

savoir quoi s'en tenir snr ce point capital ne lea pres et tes mres de famille. Rien n'tant plus cher des parents chrtiens que leurs enfants, rien M leur importe plus que de connatre les hommes qu'on leur donne pour matres dans les maisons d'ducation , les doctrines qu'on leur enseigne, le milieu dans lequel on les fait vivre pendant les annes dcisives de la vie; par consquent l'avenir qu'on leur prpare eux, la famille, la socit. Ah! la jour o les pres et surtout les mres chrtiennes seront difis sur tout cela; le jour o elles connatront autrement que par oui-dire la question de la rforme des tudes, o elles comprendrait que c'est poui elles, avant tout, que nous nous sommes dvou la lutte : ce jour-l le triomphe de notre grande et sainte cause, qui est aussi la leur, sera assur. Yoit pourquoi, pouses et mres chrtiennes, vous qui ftes les premires aux cataeombes et qui restez les dernires aux pieds des autels, modifiant la forme de notre ouvrage, nous nous adressons aujourd'hui directement vous. En prsence du berceau et de la tombe de vos fils, lisez, amis vous en conjurons, ces lettres crites nagure une seule mre et qu'aujourd'hui nous envoyons toutes.

LA

RENAISSANCE.PREMIRE LETTRE.Motif et objet de ces lettres. Inquitudes maternelles. Ce que tout tes matre de ta jeunewe. Deti* espces de matres. Les matres anciens. On demande les connatre.

Rome, 8 janvier 4 8 5 1 .Madame ,

C'est en arrivant ici que j'ai trouv, poste restante, la lettre que vous me faites l'honneur de m'crire. Pour y rpondre convenablement, il ne faut pas moins d'un honnte volume : et vous en tes menace. Si la longueur de ma rponse vous effraye, vous la faute. Pourquoi me consulter sur un sujet de cette tendue ? Mais s'il est immense, il est aussi pour vous d'un intrt capital. C est l, j'espre, ce qui fera passer ma prose. Du reste, vous la recevrez promptement et sans interruption. Malgr les affaires assez pressantes qui m'ont amen dans la capitale du monde chrtien, je prvois que le temps ne me manquera pas; car on dit que Rome est la ville vter~

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RENAISSANCE.

nelle. Toutefois, daus la crainte d'tre pris au dpourvu, je ne veux pas perdre un instant, et je

commence. Ds le dbut, permettez-moi, Madame, de rappelerun souvenir qui vous honore. Avant de donner une nourrice vos enfants, vous avez eu soin de vous

informer, avec la plus scrupuleuse exactitude, de la sant, du temprament, des habitudes et surtout d6B murs de la femme qui vous tait indique. Votre sollicitude ne pouvait tre pousse trop loin. D'une part, on peut tre cruellement tromp sur le compte des personnes qu'on met auprs des enfants. Ainsi, de rcents procs ont rvl qu'une dame respectable avait eu pour nourrice de sa fdle uneancienne pensionnaire de Saint-Lazare, qu'un enfant

avait t chang en nourrice, et que le prcepteur d'une honnte famille tait un repris de justice. D'antre part, on sait toute l'influence de la premire alimentation sur la sant physique et mme sur la sant morale des enfants.Or, ces tres chris, dont vous avez environn les premiers ans d'une sollicitude si lgitime, ont besoin de nouvelles nourrices, et vous tes la veille de leur en donner. J'entends par l les matres et les livres dont les exemples et les doctrines sont la vie de Pme ce que le lait des mres ou des nourrices est la vie du corps. Vous le comprenez comme

PREMIRE LETTRE.

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moi, Madame; et c'est ce qui augmente vos inquitudes. L'ducationfinitl'homme, et surtout l'ducation publique, qui embrasse toute la priode de l'adolescence : la raison et l'exprience de chaque jour vous en ont prr?*ndment convaincue. De l vient que vous tremoi rsur le choix que vous avez faire. J e ne veux, dites-vous avec raison, ni qu'on dtruise ce que j'ai difi, ni qu'on me change mes enfents en nourrice, ni qu'on les abreuve d'un lait vici, ni qu'on leur donne pour prcepteurs des nommes mat tames. s En consquence, vous rclamez les renseignements les plus complets sur le caractre* les ides et les moeurs, en un mot sur la sant morale, ou, comme on dit aujourd'hui, sur l'honorabilit des futurs nourriciers de vos enfants. Ces nourriciers ou ces matres sont de deux sortes : les professeurs en soutane ou en toge, et les auteurs dont les ouvrages doivent tre pendant huit ans la nourriture habituelle de vos fils, je n'ai rira i dire : d'une part, vous les connaissez aussi bien que je les connais moi-mme ; d'autre part, ils sont plutt les rptiteurs de vos enfants que leurs vritables mettrai. l est juste d'ajouter que, en gnral, ils ont les qualits propres leur dlicate, mais difficile fonction. Quant aux seconds, vous offrent-ils les mmes

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garanties? C'est ici le point capital. Si vous prtez l'oreille, vous entendrez les cent voix du monde lettr vous dire que les auteurs donns pour prcepteurs vos enfants sont les plus grands hommes qui aient paru dans le monde, les plus beaux gnies de l'antiquit, les plus clbres philosophes, les orateurs les plus loquents, les moralistes les plus purs, les poles les plus aimables et les pins divins, les historiens les plus lgants, tonte la fleur des sicles d'or de la littrature, et surtout des hommes tellement admirables de vertus, que, dans l'impuissance o nous sommes de jamais les galer, c'est ta devoir pour nous d'adorer leursreliques K

En effet, on vous nomme parmi les Latins : Cornlius Npos, Quinte-Curce, Csar, Ovide, Cicron, Salluste, Tite-Live, Horace, Virgile, Sneque, Juvnal, Trence, Pline l'Ancien et Pline le Jeune, Tacite et d'autres encore; parmi les Grecs : Dmosthne, Euripide, Sophocle, Eschyle, Homre, Pindare, Aristophane, Hsiode, Platon, Socrate et leurs nombreux mules. L'loge de ces matres, ou, pour continuer votre comparaison, de ces futurs nourriciers de vos enfants, a t prononc, depuis quatre sicles, plus souvent que celui des prophtes et des aptres, c'est--dire des milliers do fois, par des* Voir la neuvime liv. Exammdu rtinte, chap. Rfhximi imr la m*tut e$t yrand et $ubltt*a!

QUATRIME LETTRE.

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toire, et demandons-loi d'abord ce qu'est eu philosophie la belle antiquit. Eu philosophie, nous dit-elle, la belle antiquit n'est le chaos; c'est le doute, le vague, le oui et le ncm sur toutes choses; c'est la ngation, la contradiction, la variation, multiplies par la ngation, la contradiction, la variation; c'est l'apologie dotantes tes erreurs et de tous les vices, parseme de quelques vrits que fat philosophie n'a pas trouves, de quelques belles maximes de sagesse humaine qui brillent a et l au milieu d'un tissu de principes subversifs, comme des perles dans un fumier, et dont nul philosophe, pas mme celui qui les dbite, ne fait la rgle habituelle de sa vie. * Les philosophes paens, dit saint Franois de Sales, prchent quelquefois la vertu M ne la pratiquent j a mais. C'est la cloche qui sonne, mais qui ne va pas l'office". Pbnr tout dire d'un seul mot, en philosophie, la belle antiquit c'est l'aeule de toutes les hrsies, l'officine de toutes les erreurs; une folle furieuse qui semble avoir pris tche de ne laisser debout aucune vrit ; une vieille radoteuse qui semble s'tre donn pour mission de n'omettre aucune absurdit, si norme qu'elle soit, sans se approprier et la dfendre : nihil est tam absurdi,1

*pr#, r. H, p, to, seet. *iv.

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LA R E N A I S S A N C E .

disait Cicron, quod non dicatur ab aliquo philosopho.

En histoire gnrale? La belle antiquit, c'est par excellence la suppression absolue de Dieu et de son gouvernement dans les choses de ce monde. Tandis que dans l'histoire biblique Dieu apparat comme l'agent de tous les vnements, le dispensateur unique des biens et des maux, l'histoire classique se passe d'un crateur : le monde est ternel. Elle se passe d'un rvlateur : la science a tout dcouvert ; l'homme s'est fait ce qu'il est : il est son uvre, il s'appartient. D'abord sauvage, grattant la terre de ses doigts pour en arracher un chtif aliment; puis, appelant ses semblables par des cris inarticuls; puis, aprs avoir appris se tenir sur ses deux pieds et se servir de ses mains, btissant des cabanes et se faisant des habits; puis, inventant le langage, la socit, la morale, et crant un ordre de choses dans lequel, mettre absolu, il ne relve que de luimme. Ne demandez l'antiquit ni quelle est la fin des peuples et des socits, ni quels moyens ils ont prendre pour se mettre en harmonie avec leurs destines : sur cela comme sur toutes les questions de la philosophie de l'histoire, elle est muette. En histoire particulire? La belle antiquit, c'est trop souvent le mensonge, la crdulit, resprit de parti, mis la place de la vrit et de la justice ; c est

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le pangyrique perptuel de la patrie de l'auteur et le dnigrement de tous les autres peuples; c'est toujours le terre--terre de la pense, circonscrite dans l'enregistrement matriel des faits et ignorante de l'action suprieure de la Providence. Mais entendons, Madame, quelques tmoins. En fait d'histoire, la Grce est une menteuse, disent crment les Romains; elle n'admire qu'elle-mme; elle n'a dans la bouche d'autres louanges que les siennes; elle foule galement aux pieds la religion et la bonne foi : elle ne mrite aucune confiance . Aux yeux des Romains, leurs propres annalistes ne semblent gure mriter plus de crdit. Suivant Asinius Poil ion, les Commentaires de Csar fourmillent d'inexactitudes ou de mensonges. Quinte-Curce, au dire de ses admirateurs eux-mmes, a crit un roman plutt qu'une histoire. Tertu'Iien ne craint pas d'appeler Tacite un franc imposteur, mendacissimus. Lisez ses Annales, et apprciez son rudition ou sa bonne foi propos des chrtiens et des juifs, qui taient Rome depuis deux sicles et qui ouvraient tous leurs livres traduits en grec.1

Et quiquid Graeeia mendax audet in histori. J u v . Grci. qui sua tantum mirantur. Taeit. Genus hominum in suas laudes efTuHssimuin. Plin.Testiinoniorum religionem et fdem nunquam gens isu coluit. Cje. etc., etc. XI. i1 t

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LA RENAISSANCE.

Quelle impudeur dans un tel mpris des renseignements ! Quant Tite-Live et aux antres historiens de Borne, coutons Voltaire lui-mme : L'histoire romaine, dit-il, est encore faire parmi nous. Il tait pardonnable aux historieus romains d'illustrer les premiers temps de la Rpublique par des fables qu'il n'est pas plus permis de transcrire que de rfuter. On commence par nous dire que Romulus, ayant assembl 3,300 bandits, btit le bourg de Rome, de 4,000 pieds carrs; or, \,000 pieds en carr suffiraient peine pour deux mtairies : comment 3,300 hommes auraient-ils pu habiter ce bourg?... Quels taient les prtendus rois de ce ramas de brigands? N'taient-ils pas vraisemblablement des chefe de voleurs, qui partageaient un gouvernement tumultueux avec une petite bande froce et indiscipline? Ne doit-on pas, quand on compile l'histoire ancienne, faire sentir l'norme diffrence de ces capitaines de bandits avec de vriWes rois d'une nation puissante? Tous les vnements romains jusqu'au temps de Pyrrhus sont, pour la plupart, si petits, si obscurs , qu'il fallait les relever par des prodiges incroyables ou par des faits destitus de vraisemblance : depuis l'aventure de la louve qui nourrit Romulus1

* M. Vervorst, t*6* supra, p. 46;i.

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et Rmus, et depuis celle de Lucrce, de Cllie, de Curtius, jusqu' la prtendue lettre du mdecin de Pyrrhus, qui proposa, dit-on, aux Romains d'empoisonner son matre *. 9 Nul ne contribua plus que Tite-Live accrditer ces fables romaines, dont il serait facile d'allonger beaucoup la nomenclature La politique savait et devait tirer parti de ce puissant ressort. Dj vient que Tite-Live et les autres historiens'se croyaient obligs de ne rien tmoigner de ce qu'ils croyaient,se souciant fort peu de dtromper personne*. Tite-

Live ne s'en tient pas l, il dnature la vrit. Perptuel admirateur des Romains, il exagre leurs exploits, leurs succs et leurs vertus, mais il dissimule leurs vices et leurs fautes *. Et puis, Madame, en le supposant vridique, qu'est-ce, je vous prie, que l'histoire de la belle antiquit? A quel titre fait-elle le sujet habituel des tudes classiques? Entre les vnements qu'elle raconte, les formes sociales qu'elle prconise, les ides qu'elle exalte, et le dveloppement intellectuel et moral d'un jeune chrtien et d'un jeune Franais du dix-neuvime sicle, quel rapport y a-t il? En Grce, l'histoire, en gnral, c'est le spectacle monotone de vingt petites rpubliques, orgueilleuses,Rflexion* sur la manir, etc., ubi supra. Court dt littrature. Rolin, iiistoir* romaine.3 1 2

La Harpe, 4.

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jalouses, gostes, dbauches, parleuses de libert et avides de despotisme, toujours en guerre les unes contre les autres ou avec elles-mmes; s'injuriant, se pillant, s'gorgeant, se battant pour des courtisanes. La guerre de Troie et celle du Ploponnse eurent pour cause deux femmes, et quelles femmes! Hlne et Aspasie. A Rome c'est, pendant cinq ou six sicles, le rcit fatigant des jalousies et des lottes incessantes des plbiens et des patriciens ; des actes d'un rpublicanisme sauvage ; des guerres plus ou moins justes et toujours barbares, suivies de triomphes o l'orgueil s'allie la cruaut, sans que jamais, on presque jamais, un trait d'humanit vienne reposer l'me de l'enfant chrtien et l'ouvrir aux nobles sentiments qui doivent le distinguer. Ce n'est pas que je veuille interdire l'tude de l'histoire du Paganisme ; mais o est la preuve que cette tude doit avoir lieu dans la premire jeunesse, alors qu'elle peut devenir une source de sductions et de faux jugements, et non dans un ge plus avanc, alors qu'elle offre moins de danger et plus de profit? Non, Madame, et je n'ai pas besoin de vous le dire, je ne proscris pas plus l'histoire du Paganisme, que l'glise elle-mme ne proscrit les auteurs paens. L'glise ne proscrit ni l'opium ni les liqueurs dont on abuse, comme Dieu ne supprime pas les substances vnneuses.

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Indpendamment des lambeaux de vrits qu'ils contiennent et qui servent constater la catholicit de notre foi, les livres paens sont l'histoire de l'Enfant prodigue critopar lui-mme, et qu'il faut bien se garder de perdre. La justice conserve les dossiers des condamns, et quand nn prvenu comparait sa barre, elle est instruite par ce moyen de ses mfaits prcdents ; de mme l'glise n'a garde de faire brler ces archives de la justice divine. L'clectisme, le panthisme, le matrialisme, le rationalisme, qui se montre si fier aujourd'hui, est un empoisonneur qui se retrouve la barre pour la vingtime fois, dguis sous des noms nouveaux. II est bon qu'on sache son histoire. Voil dj de quoi disculper la tolrance de l'glise. Sans Tibulle et Ovide, sans Catulle et Properce, sans Tacite et Juvnal, pourrions-nous croire au degr d'abjection o le sicle d'Auguste tait descendu, avec ses illustrations thtrales? Sentirions-nous autant le bienfait de la Rdemption? Les paens subsistent ainsi que les juifs comme tmoins en faveur de Jsus-Christ, et leurs continuateurs et leurs admirateurs sont accabls parce pass : Jacent ii lestibus suis \

tudions-les donc; mais n'oublions pas que chaque chose a son temps, omnia tempus habent.

Agrez, etc.1

M. Vtrrorst, p. 405.

CINQUIME LETTRE.Suite te beauts de l'antiquit classique. En littrature gnrale,examen. En loquence, examen.En posie , examen. En arts, examen. En vertus, examen. Raison et rleur des loges de la

Rome, 4 fvrier.

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MDM,

Je comptais finir avec ma lettre d'hier le tableau des beauts de l'antiquit classique; mais ces beauts sont tellement nombreuses, que je dois leur consacrer encore ma lettre d'aujourd'hui. Sans prambule je continue. En littrature gnrale, est-il vrai que l'antiquit classique est belle, incomparablement belle? Nous venons, Madame, d'entendre l'histoire nous dire que la belle antiquit est une longue dbauche de l'humanit dchue, avec Satan son sducteur et son mettre, une poque de larmes et de sang. Si la littrature n'est et ne peut tre que l'expression de l'homme et de la socit, je vous laisse penser ce qu'est la littrature antique prit dans son ensemble. Je dis prise dans son ensemble, car il y a, nul ne songe le contester, do belles et de bonnes pages

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danstesauteurs paens. Plusieurs d'entre eux avaient reu des dons naturels excellents, dont ils n'ont pas toujours fait un mauvais mage; mais, je le rpte, il s'agit de la littrature paenne prise dans son ensemble. Or, la socit paenne et la grande Rome surtont tant ce qne nous savons, meretoimagm, les formes littraires, si belles qu'on voudra les snpposer, ne sont et ne peuvent tre en gnral qu'une gaze brillante jete sur un cloaque, du fard appliqu sur les joues d'une courtisane. Or, l'ordure, pour tre parfume, en est-elle moins de l'ordure? Voyez plutt : La littrature biblique est un hommage perptuel, nn cantique de reconnaissance au Dieu crateur et monarque de l'univers. Qne fait la littrature paenne ? Elle a nn emploi tout trouv. Elle glorifiera :e mal, la guerre, la discorde, le sang vers. Elle inventera de grands mots : gloire, victoire, triomphes, trophes ! Elle drapera de pourpre les champs de carnage; elle exaltera les hommes qui auront le pins largement accompli l'uvre satanique d'extermination; elle les appellera hros, conqurants, demi-dieux; elle encouragera par cette prime brillante tous les bourreaux de la race humaine. Elle colportera un autre agent de destruction plus errible encore, la volupt. Elle prsentera en souriant l'homicide breuvage dans une coupe d'or aux lvres de miel; elle sera la grande complice de tous les

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attentats contre Dien et comre r humanit, la sirne corruptrice que le prince de ce monde Satan, ornera avec bonheur de toutes les sductions; elle outragera Dieu plaisir, en accolant son nom adorable au bois et la pierre, l'animal stupide, la plante; que dis-je? tous les vices personnifis, tous les mystres infmes, toutes les ordures de la terre et de l'enfer . Telle est la littrature paenne, prise dans son ensemble. De l ce mot de saint Jrme : La philosophie paenne, la posie paenne, l'loquence paenne, c'est la nourriture des dmons : Secularis9 l

philosophia, carmina poetarum, rhetoricorum pompa verborum, cibus dmnoniorum.

En littrature particulire, c'est--dire en loquence et en posie? En loquence, la belle antiquit, c'est avant tout le culte de la phrase, le dsir de la gloire et la dmangeaison de parler. La harangue tait de tous les moments, de toutes les affaires ; dans la vie de famille on haranguait comme dans la vie politique : Germanicus, mourant, harangue ses amis; Snque fait Nron un speech dans toutes les formes pour lui demander sa retraite. Nron lui rpond : Si je ne crains point de rpondre sans prparation un discours longuement mdit, c'est toi que je le dois, etc. Le rhteur lbutius* M. Vervortt, p. 54.

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harangue ses amis avant de se suicider. Un avocat chez les Romains tait un artiste en paroles, prenant le la d'un joueur de flte .., sophistiquant avec lgance, injuriant en phrases potiques, vouant avec grce son adversaire aux dieux infernaux ; ayant des maldictions, des colres, des violences harmonieuses; pleurant la proraison Envisage en elle-mme, l'loquence paenne, c'est le poli du marbre et le froid de la glace; c'est l'absence d'onction, parce que c'est l'absence d'humilit et de charit ; c'est l'emploi de formes la plupart hors de mise chez les peuples modernes. Qui supporterait aujourd'hui dans un orateur le ton de Cicron ou de Dmosthne dans les Calilinaires, les Yerrines et les Philippiques? C'est presque toujours le blme emport, parce qu'il est sans dsintressement personnel, des despotes, des dbauchs, des ambitieux, des concussionnaires, par des parleurs de libert, de morale et de probit qui demain feront publiquement ce qu'ils reprochent aux autres, s'il y va de leur intrt; et qui, en attendant, se font de leur amour postiche de la patrie un pidesDe Champagny, k$ C$art, 1.1 p. 24 4. Sous ce rapport, ce ressemblons-nous pas un peu et mme beaucoup aux Grecs et aux Romains ? Quelle dmangeaison de parler dans les temps modernes? La harangue, le $peeeh, les toasts, ne sont-is pas de tous les moments?9 1

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tai pour s'lever aux honneurs, et foulent aux pieds dans le ir conduite prive la libert, la morale et la probit. L'hisioire vous le montrera, pices en main, dans la vie de Cicron, de Dmosthne, de Ce ton, de Salluste, de Brutus, de Scque et des antres. En posie? La belle antiquit, c'est la mise en scne de l'homme dchu, avec toutes ses passions, et des dieux avec tous leurs vices; ou la description matrialiste des beauts du monde physique; ou le tableau ridicule et souvent obscne de mtamorphoses fabuleuses, vrais contes dormir debout; ou le chant de l'incrdulit et de la vengeance; ou l'adulation des grands et la dification du succs; ou la reprsentation de crimes pouvantables, invents plaisir, de situations et de sentiments forcs; ou renseignement d'une philosophie tout humaine; plus souvent encore, c'est l'invitation, en vers mollement cadencs, jouir de le vie et satisfaire tous les penchants de la nature, mme les plus honteux. La posie, dit un grave critique, n'a t mise au monde que pour honorer Dieu, et les premiers qui s'en sont servis ne l'ont employe qu' chanter ses louantes. Les hommes ayant rig leurs passions en divinits, aussitt on a vu les potes sacrifier tous leurs talents ces passions, et donner un nouveau systme de posie. Ils ont substitu la vrit

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le mensonge, et voyant qu'aprs cette licence tout pouvait lenr tre permis, ils ont jug que, s'ils pouvaient chanter les louanges de leurs dieux, clbrer leurs brutales amours, leurs haines et tontes leurs faiblesses, il ne leur serait point dfendu aprs cela de se chanter eux-mmes, de publier leurs propres amours et leurs inimitis. a Et comme ils se sont rendus eux-mmes les matres de cet art, ils nous ont voulu persuader, et par leur pratique et par les rgies qu'ils en ont faites, qu'il n'y a point de vritable posie sans fables et sans amours. Toutes ces altrations, se trouvant trs-conformes aux inclinations corrompues de F homme, loin de rencontrer le moindre obstacle dans leur tablissement, se fortifirent de plus en plus mesure que le genre humain se polit; de sorte qu'on peut dire qe les sicles les plus florissants, hors de la religion et du cuite du vrai Dieu, ont t ceux ou la posie a t dans sa plus grande corruption, et qu'elle a contribu plus qu'autre chose rpandre et h entretenir l'idoltrie dans le monde, et faire rgner pins d'une sorte de dmons dans le coeur des hommes En arts? Ce qu'elle est dans sa littrature, la belle antiquit Test forcment dans ses arts. PotrV la bienJugement des savants, t. IV, partie t ; prface, p. Edition in-l i1 rr

L RENAISSANCE. 60 juger, il faut l'tudier, ici, dans tes muses de Rome, ou dans les fresques de Pompi. La chair qu'on voit et celle qu'on ne doit pas voir est son foyer inspirateur. Si Part n'a d'autre but que de la copier, si l'atelier de l'artiste est un amphithtre d'anatomie ; si la courtisane aux belles joues, comme dit Homre, demeure malgr ses souillures le vrai type de la beaut ou s'il entre dans les lgitimes exigences de l'art d'obliger l'artiste repatre ses yeux de nudits! afin de tes exposer ceux du public, on peut vanter l'art grco-romain : nul autre ne runit au mme degr toutes ces conditions; car jamais ce que la simple pudeur naturelle veut, mme chez les sauvages, qui soit tenu cach, n'a t mis nu plus souvent, plus curieusement, avec moins de honte et de retenue que par les arts de la belle antiquit. L'art antique n'est donc pas l'art lui-mme, mais la profanation sacrilge de l'art. Les artistes furent, avec tes potes, les corrupteurs les plus actifs des moeurs publiques. Au sicle d'Auguste, leurs oeuvres, offertes partout aux regards, avaient affaibli le sentiment de la pudeur au point de faire des ornements ordinaires des temples et des habita* On lit dans Athne, lib. XIII, p. 5S8 : Adeo porro formosa Las fuit, ut piciores ttiam adirent, ubera pectuaque delineaturi. Phryn serrait de modle son amant, le divin Praxitle, pour ses statues de Venu*.

CINQUIME LETTRE.

6!

tions recueil de l'innocence. C'est l un fait dmontr par une foute de monuments de toute nature. Un tmoin non suspect, Properce, signale cette dsastreuse influence et maudit l'art devenu le corrupteur des jeunes vierges, dont il rend les ycex complices de sa perversit . En vertus? Au dire de ses pangyristes, l'antiquit grco-romaine est belle en vertus, incomparablement belle. Elle fut la mre des grands hommes et des hros, en possession de l'admiration des1

sicles : elle eut des vertus dont notre sicleriest point

capable *. Voil, Madame, ce qu'on rpte l'heure qu'il est, dans toute l'Europe, cinq cent mille jeunes gens. Parlons d'abord des hros antiques; tudions leur nombre, leur qualit, leur taille. Personne n'est tonn de voir des fleurs au printemps, ni des fruits en t ; mais, si au milieu de l'hiver une fleur vient se montrer sur une paisse couche de neige, si un arbre charg de frimas donne un fruit succulent, tout le monde admire, et ce phnomne extraordinaire est soigneusement consign dans les fastes de l'histoire naturelle. Ce qui a lieu dans l'ordre nature! a lieu dans Tordre moral. On parle avec emphase des vertus hroques d'un Scipion, d'un P Lib. I I ,

Eleg. V I I , v. 27-34; Valckenaer, Vie d'Horace, 1. I .I X , p . 133.

p. l i a . * Balzac, H vol., hv.

62

LA RENAISSANCE.

giilus, d'un Cincinnatus, d'un Fahricius, d'un Caton, et antres astres du ciel paen ; et en attendant ces admirateurs, ces pangyristes de l'hrosme paen tiennent pour non avenu l'hrosme chrtien dont ils sont environns, et qu'ils ne peuvent faire un pas sans rencontrer en cent personnes. Pour un Scipion qui respecte une femme, nous avons des millions de chrtiens qui gardent nonseulement leur corps, comme Scipion, mais leur ccaur exempt de la moindre souillure. Pour un Cincinnatus, pauvre dans la gloire, nous avons un million d'hommes et de femmes qui, d'opulents qu'ils taient, se sont faits pauvres pour JsusChrist. Pour un Rgulus qui va courageusement affronter d'pouvantables supplices plutt que de manquer sa parole, nous avons des millions de martyrs, hommes, femmes, enfants, jeunes vierges, qui ont lass l'enfer acharn les tourmenter avec toute la rage dont il est capable. Sans aller plus loin, puisque la chose est manifeste, il faut dire, Madame, que pour un hros paen, nous avons des millions de hros chrtiens; que les hros paens furent des phnomnes extraordinaires au milieu de la corruption universelle, tandis que les hros chrtiens sont communs dans l'glise, qu'ils y sont comme des11

Dont Mi.-toire est douteuse.

CINQUIME LETTRE.

63

faits ordinaires on des fruits de toute saison dans le jardin du Seigneur; que les premiers ont pass sans qu'il reste d'eux autre chose que ce que des plumes loquentes en ont crit ; tandis que les hros chrtiens vivent dans la mmoire des peuples, quoique leur vie ait t crite dans des livres qui inspirent le dgot aux sages et aux littrateurs du sicle. Voil pour le nombre. Quant la qualit, Dieu me garde, Madame, de comparer les hros du paganisme aux hros du christianisme. L'histoire nous apprend que, parmi les premiers, les plus exalts sont, si je puis le dire, les moins hros. Je ne vous ferai pas le tableau des vices honteux d'un Caton, le type de la morale paenne; d'un Cicron, le plus grand des philosophes du paganisme et en gnral de tous ces hommes si vants. Vous aurez bientt CJS dtails dans la biographie de chacun d'eux. Personne n'ignore que c'est peine si on peut dcouvrir dans les meilleurs une vertu qui ne soit souille de beaucoup de vices, et qu'il serait bien plus facile de trouver dans le simple peuple paen des actes de vraie vertu naturelle, que dans ces prtendus grands hommes qui publiaient partout leurs actions, et qui se faisaient exalter par leurs parasites et leurs adulateurs. Voil pour la qualit. Voici pour la taille. Veut-on que ces hommes

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LA

RENAISSANCE.

soient grands, et mme qu'ils soient les gants du paganisme? Je le veux; mais au pays des aveugles les borgnes sont rois. Compars aux hros du christianisme, que les hros du paganisme sont petits! Ceux qui, parmi les paens, semblaient toucher de la tte les toiles, ne sont parmi les chrtiens que des nains et des pygmes. Il n'y a pas une mre chrtienne qui ne ft humilie, si son fils n'tait qu'un hros paen. Des hros passons aux hommes simplement vertueux. Pour caractriser d'un seul mot les vertus paennes, vertus humaines et purement naturelles, il suffit de dire qu'elles n'ont pu conduire un seul homme sa fin dernire . Ainsi, devant la vraie vertu, la vertu paeane, si vante qu'elle soit, c'est l'ombre devant la ralit; c'est, suivant l'expression de saint Franois de Sales, le ver luisant devant la lumire du soleil : car ces vertus paennes ne sont vertus qu'en comparaison des vices ; mais, en comparaison des vertus des vrais chrtiens, elles ne mritent nullement le nom de vertus *. 1

* Opra infidelium, quai tibi eorum videntur bona, non tariun cos ad salutem sempiternam regnumque perducere. Sjint Aug. OOfltr. Jutiin., t. X , lib IV, p. 4060, n. 33; id. \erbo Paganus: iVL, Enarrat. in psairo. X X X I , t. V, p. 246, n. 4; id. saint Thomas, S* t** IX, X , art. 4, qui ajoute : Tumen bona opra ad quu* suffieit bonum natura) aliquaiiter opra n possunt. - Trait de lf %

CINQUIME LETTRE.

6$

En outre, Madame, pour qui connat la faiblesse humaine, que pouvaient tre les vertus des paens, de ces hommes qui avaient l'orgueilleuse prtention d'tre vertueux sans Dieu et par leurs propres forces? Donne-moi, Jupiter ! les richesses et la vie; la vertu, je me la donnerai moi-mme : Det vitam,det opes, animum quum mihi ipse parabo. Quel a

t l'effet de ce fier langage ? Ces vertus purement humaines, ou, comme on dit de nos jours, ces vertus laques, qu'ils seflattaientd'acqurir par eux-mmes et qu'ils taient obligs de pratiquer aliqualiter, les paens les ont-ils p ssdes? Souvenons-nous que l'acte passager, lors mme qu'il serait inspir par un bon motif, et non par l'humeur, le caprice la vanit, l'intrt, ne constitue pas la vertu. La vertu, je parle de la vertu acquise, est une habitude. Elle suppose des efforts soutenus de l'homme sur lui-mme, qui se traduisent par de durables victoires. Or, il y a trois grandes vertus morales : l'humilit, la chastet, la charit du prochain, parce qu'elles sont le triomphe des trois grandes concupiscences. Eh bien, qu'on nous montre chez les paens, et surtout chez les lettrs, de grands exemples, des exemples soutenus d'humilit, de chastet, de charit. Priez, Madame, et priez instamment, le directeur de la maison d'ducation o vous allez placer vos enfants de vous dire, part

XI.

5

LA RENAISSANCE.

exemple, quettes forent la charit, l'humilit, la chastet de Virgile, d'Horace, de Cicron, de Salluste, de Csar, de Dmosthne, de Platon, et a tous ces hommes qni vont devenir les prcepteurs de vos fo. La chose est importante, car vous connaissez leproverbe : Dis-moi qui tu frquentes, je te dirai qui tu es*

Un dernier trait complte le tableau de Pantiquit paenne, et montre avec vidence qu'elle fut le rgne du dmon, princeps hujus mundi. Soi son in-

fluence homicide, l'humanit commence par le suicide de l'me, mais le suicide de l'me n'est pas loin du suicide du corps : nous tondions la grande conclusion pratique du rgne de Satan. Dpouille de toutes ses terreurs, la mort est prsente comme lu bien suprme de l'homme. Pourquoi ds lors ne hter vers la tombe? demandent les oracles de l'opinion. Cicron autorise le suicide ; Caton , Dmosthne, Snque, une foule d'antres en donnent l'exemple. Pline le considre comme la seule consolation de l'homme. Lucain fait de cet acte de dsespoir le comble de la vertu. Le suicide devient contagieux. On se tue par peur de la mort; on se tue par ennui, par dsuvrement, par mode. Comme s'il voulait peind e notre poque, forme l'cole de l'antiquit : 11 y a, dit Snqt e. une trange manie, un caprice de la mort, u.e i:i-

C I N Q U I M E LE>TXR.

fl

eUnatioa tourdie vers le suicide; les uns se tuent par mpris, les autres ^ar lassitude de la visu. Chat plusieurs, il ; a satit d& voir ot de fcire toujours las mmes choses, non, que la vie leur soit dune, mais parce qu'ils ont trop de la vie, qwku nmvi* utr* durum, $ed mqmflmm^ Enfin,, le suactdaert un parti qu'on discute, qu'on raisonne, qn'on adopte la majorit des voix, et q*i devient partout la dernier mot de l'antiquit : cela devait tre. Remplaant le pangyrique par l'histoire, je viens, Madame, de vous,esquisser les principaux traita du monde nouveau dans lequel vos enfants doivent grandir. Bien que le temps ne m'ait pas permis de sonder tons les dcres, L'autopsie vous dmontre que l'opinitret avec laquelle on exalte lantiquit paenne est une conspiration permanente contre ta vrit, contre la socit et contre la jeunesse. De tons les artifices de Satan le plus habile, de tous ses calculs le plus profond, c'est le perptuel concert de louanges qu'il fait excuter en l'honneur de l'poque o il rgnait en souverain. Pourtant la vrit, l'imprissable vrit est que la belle antiquit fut le rgne du dmon, princeps hujus mundi; que ce rgne, fait son image,1

llx., Satyr., iib. II, mi. III, v. 36; Senec, Comol. ad Marc, 22; pit. 23 70; Tacite, Annal., XI, 37, et XVI, 2 ; Cor.Nep , la Atttc ; Suet , De rhet. 6; Plin. Jun., Kp.. Iib. X I I , etc. 5.

1

LA RENAISSANCE.

fat le rgne du mensonge et des fictions, des fausses lumires, des fausses gloires et des fausses vertus; mmdcm et pater mendacii; le rgne de tontes les mchancets et de tous les crimes, spiritus nequiti; le rgne de l'orgueil et de la cruaut, spiritus superbi homicida ab initio; le rgne de la volupt et de toutes les ordures, spiritus immundus; rgne vide de bien, parce que Dieu n'y tait pas, et dans lequel on ne trouve gure de rel que le mal, le vice et la souffrance; rgne tellement abominable que le fils de Dieu, descendu du ciel, que les aptres et les martyrs ont d verser leur sang pour le dtruire dans le monde ancien : comme nos missionnaires vont aujourd'hui verser le leur pour le ruiner dans les pays o il existe encore. Telle est, dpouille de ses oripeaux, la belle, 1*incomparablement belle antiquit... Et c'est l qne l'Europe chrtienne fait lever ses enfants! Agrez, etc.}

SIXIME LETTRE.Situation de* en&nts chrtien* an milieu det anleurt paens. Consquence de cette titnation. Paroles de M. AHoury. Premiers aaattrea des jeune* latinistes, VEpitome hittori sacr. Rola de l'criture aainte dans l'ducation. VAppendix de diit lie de cet ouvrage. VEpitome histori Grc. Parole* de Napolon. Le De viri$. Proclamation italienne.

Rome, t fvrier. MADAME,

Vous connaissez les principaux traits du monde nouveau dans lequel vos enfants doivent passer les annes dcisives de leur vie. Malgr les loges qu'on lui prodigue, la belle antiquit vous parait assez laide, l'air qu'on y respire assez malsain. Mais on s'empresse de vous dire : Les jeunes coliers n'ont de rapport qu'avec les grands hommes de ce pays, et ces grands hommes sont des modles de vertu, des oracles de sagesse ; si bien, qu' leur cole la jeunesse chrtienne non-seulement n'a rien perdre, mais a beaucoup gagner. Pour calmer vos inquitudes, cherchons le vritable sens de cette rassurante affirmation.

70

LA RENAISSANCE.

Quelque vertueux qu'o les suppose, les grands hommes de l'antiquit ne sont pas chrtiens : cela dit tout. leur cole, vos fils vont se trouver dans la mme situation que l'enfant n dans une famille o rgnent deux religions, celle du pre et celle de la mre, fin s'veillant la vie de la raison, cet enfant voit sa mre qui prie, et son f&am qui ne prie pas; sa mre qui lui parle de Dieu, et son pre qui ne lui en parte jamais; sa mre qui frquente l'glise, et son pre qui n'y met pas les pieds ; sa mre qui fait maigre les jours d'abstinence, et son pre qui fait gras; sa mre qui se confesse et qui communie, et son pre qui ne fait ni l'un ni l'autre* Nanmoins, il entend dire que sa mre est une pieuse femme et son pre un honnte homme. Tiraill en sens contraires par cas discours et ces exemples opposs, ce malheureux enfant ne sait bientt que penser; il lui faudrait deux mes, et il n'en a qu une. Le doute commence troubler sa foi, jusque-l si complte et si nave; il ne va pas encore jusqu' croire que la religion soit fausse, mais il souponne qu'elle pourrait bien n'tre pas aussi ncessaire qu'il Ta cru; en tout cas, si elle est indispensable aux femmes et aux enfants, elle ne Test pas aux hommes, puisque, sans la pratiquer, ils peuvent tre, comme son pre, d'honntes gens, des gens de bien, tenus pour tels et respectsf

SIXIME

LETTRE.

74

comme tels dans le monde. Vous connaissez, Madame, et des millions de mres connaissent comme vous, la conclusion pratique de ce raisonnement, qui, pour $re instinctif, n'en est pas moins d'ne logique irrprochable. Telle sera, Madame, trait pour trait, la situation de vos enfants l'cole des grands hommes de l'antiquit. A ct de leur salle de classe, ils aperoivent la chapelle. Chaque jour, ou du moins une et deux fois la semaine, ils seront tenus d'y descendre. L* ils verront leur suprieur, leurs professeurs on leur aumnier clbrer la messe; du haut de la chaire ou dn pied de l'autel, on ne cessera de leur rpter qne le christianisme a renouvel tontes choses; on leur prouvera la ncessit, la vrit de cette religion, sa supriorit sur le polythisme ; on ajoutera qu'elle est la mre de l'hrosme et de la vertu, le principe du bonheur pour les socits comme pour les individus. De la chapelle, vos enfants passeront en classe : la, ils entendront leurs vnrables matres parler avec admiration de la belle antiquit, de ses arts, de ses lumires et de sa civilisation ; de 1 hrosme et des vertus de ses grands hommes, qui, par surcrot, joignent aux qualits du cur les gloires du gnie. Comme preuve de leur conviction, ils donneront at murs... H tait trs-sobre, trs-poli, trs-doux, affable, affectueux. Il serait difficile de vouloir le di*cul[>er sur le penchant qu'il a\ait la galanterie; mai il ne s'y laissait point asservir. // avait le talent d'acronler sa raison a*'ee la phtUmophie epaunenne, dont il faisait profession. M celle - c i lut permettait de si' livrer au piaini ,

X.

414

LA RENAISSANCE.

l'autre empochait sou grand cur d'en tre esclave. Comme il dtestait la cruaut, il ne fit jamais souffrir aucun tourment ceux qu'il fit mourir. Il fit jusqu' ta mort autant de progrs dans la vertu qu'Alexandre en avait fait dans le vice Si ces louanges vous paraissent exagres, en voici qui mritent toute votre confiance : Le plus invincible guerrier, le plus habile politique, gnie incomparable, grand homme d'tat, Csar, il est vrai, s'empara du pouvoir les armes la main. Pour cela, Csar fut-il donc un tyran? Non, mais un vritable et lgitime monarque. 11 eut de l'ambition, de la vanit, de l'amour pour les femmes; mais par combien de vertus dignes du trne ces vices taient-ils compenss ! Avant tout, le grand Jules Csar s'attirera notre premire admiration par la supriorit de son ^nie, par l'intrpidit de son courage et par un mlange peu commun de douceur et de fermet. Il nous paratra un de ces hommes extraordinaires que le ciel ne unmtn' qm- rarement u k terre. Nous n'avons considr les l'.ntmrentntres d Jules Csar qu'avec une espce de crainte respectueuse : ce sont des tableaux linis, que les plu.* habile* peintre* n'osent retoucher sans l'iayeiir. i>$ i," .iV (fsar 1 t II, |. itQ \*1>M1

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t |.1

DIXIME LETTRE.1

4H

est perdu s'il n'obtient le souverain pontificat , il n'est sorte de bassesflatteriesauxquelles il n'ait recours pour assurer son lection * Jamais homme, . dit Appien, ne sut mieux jouer l'hypocrite . Pendant son dilit, il caresse servilement les deux grandes passions de la populace romaine : il lui donne trois cent vingt paires de gladiateurs, et demande pour elle le partage des terres. Afin de faire passer ces lois sditieuses, il se lie avec les hommes les plus pervers de la Rpublique; Catilina, entre autres, dont il prend la dfense devant le Snat V Toujours cribl de dettes, ce dieu futur est trop heureux de partir la hte pour l'Espagne, tremblant d'tre assign, et sans attendre ses passeports ni que Crassus le cautionne pour 830 talents ,4,505,000 francs). Il s'en va convenant qu'il lui manque 250,000,000 de sesterces ( 50 millions; |K>ur que sa fortune gale zro . La popularit qu'il s'est acquise par ces homtes moyens, Csar la conserve par des moyens non moins honntes. Il sait que le peuple romain veut du sang, et il tablit ses frais une cole d* gladiateurs, ce qui lui mrite le titre glorieux de i,tmi$tr *ht ftniplr rmmiin : H , pour lui plaire ou pour8 4

Jl- grand |*it |..b II Dm., iil*. W X V I I ' +*'t* . Il *, ~ ' |j ,11. li * V j i j M H Nrt> rnna in our d Iw . * iT* | rovenant ! |,t rniinotu.n < BI* nn de pnm|MH tiwMm> midi? *

La rage de vermtier prend toute Sa nobles

ONZIME LETTRE.

m

Jeunes et vieux, doctes et ignorante, se couronnent de lierre et dictent des vers leur souper; on lit des vers aux repas, aux bains, sur le Forum. Toute une population de potes, se moquant des dieux, de la religion, des anctres et des murs, affiche ses madrigaux sur les portes du palais et vient lire ses vers au lever du prince Les voix se groupent : il se forme deux grandes coles de libertinage. L'une, au mpris des lois, court les chances dangereuses de l'adultre ; l'autre se tient dans les turpitudes permises, le commerce avec les esclaves et les affranchis : l'une chante les filles et l'autre les garons. Ovide est la tte de la premire*. Horace, Catulle, Ptrone, appartiennent surtout la seconde, Virgile toutes les deux. Chef d'cole, Ovide s'acquitte avec zle de ses honorables fonctions. D*abord, s'il ne marche pas sous le drapeau oppos au sien, ne le croyez pour cela ni plus retenu ni plus chaste. Dans des vers que, par respect pour vous, Madame, je laisse en latin, il donne effrontment les motifs de son choix :0*ii ronnihitu* qui non utrum |e resoivunt. Hoc est fur p u e r i Uogar mtoui amort3

Si Ton excepte Ovide, dit un auteur moderne,* R*l*rt ci* UH. .*ft. Oral., p. I. - U s (e$an, t. II. |. M. - U t >tr(, am., lin II. v M l

L R E N A I S S A N C E .

de tous les grands poles qui nous restent du sicle

d Auguste, il n'en ml pas un qui dans ses amours s'en soit tenu un seul sexe. Et si Ovide n'y cde pas, ce n'est point par pudeur, c'est par calcul . Sas ouvrages sont une conspiration permanente contre les murs : les Mtamorphoses conduisent VArt d'aimer. Sauf quelques pages, ce livre classique est nn long tissu de contes dormir debout et d'infamies plus rvoltantes les unes que les autres, brodes sur le compte des dieux. Avec cela, plus de croyance possible la religion, plus de crainte ni de respect pour la Divinit. Ce n'est pas tout ; le,obscnits olympiques, exposes en dtail dans mille tableaux variai, serviront l'homme de modle, et an pote de point d'appui et de justification anticipe, Aussi, lorsque, dans un des ouvrages les pins odieux qu'on connaisse, Ovide aura donn les rgles du libertinage, il anra soin da les autoriser, en renvoyant le lecteur aux Mtamorphoses, sur les exemples des immortels, dieux, hros et demidieux.1

f

QtiOii t'hhum decuit quarn non dtcet, etc. .

2

J'ai appel les Mtamorphoses un livre classique. En effet, Madame, cet ouvrage se trouve entre le mains de tous les enfants qui font leurs tudes. Or,* Wa'rUiiw, y te i //H-aci,!. i, p. 105 lk> art? a m . . Ub 11.s. ,\2

ONZIME LETTRE.

129

voici an chantillon de ce qu'il renferme, mmedans !es ditions expurges et approuves. Une M-

tamorphose du premier livre nomre en dtail les appas de la nymphe Daphn fuyant devant Apollon ; et Apollon, qui la poursuit, admire tant de beauts:U toit flotter tans art ses cheveux ngligs; Que serait-ce si l'art les avait arrangs ! Il voit son teint, sa bouche, image de la rose; Il la vut; mais, hlas! ne peut-il autre chose? Il voit ses bras d al bt. s et ses pieds dlicats : Ce qu'il voit embeii. t tout ce qu'il ne voit pas .1

Si qua latent meliora putat.*.. tout ce quil ne voit

pas ! Jugez quel chemin peuvent parcourir de jeunes imaginations cheval sur cet hmistiche ! Cependant elles n'iront pas loin; Ovide s'empresse de montrer au grand jour ce qu'on ne voit pas. Continuant le portrait de la nymphe, il dit :Avec plus de vitesse elle eut plus de beaut. Sa grce s'embellit de sa lgret Le zphyr amoureux, d une atie frmissante, Soulev plis lgers sa roLc voltigeante... Du dieu qui la poursuit irrite encor l'amour.

Et rimagination djeunes coliers ne sera-t-elle pa* au.si irrite au plus haut point'Qu'elle .se eon1

Trad de Saiot-An?* XI

m

LA R E N A I S S A N C E .

tienne cependant; elle aura, grec eux Mtamorphosa te l'honnte Ovide, bien d'autres objets ift'rritalion. Un pei plus loin, c'est Io qui fuit devant Jupiter, et Jupiter, plus heureux qu'Apollon,Cum deus, indue ta ltas caligine terras, Occubuit, tenuitqua fugam, rapuitque pudorem.

Quand vos enfants, Midamo, se seront suffisamment form le got, l'esprit et ie cur dans le premier livre des Mtamorphoses, le second sera propos leur candide mditation. Pour vous faire apprcier ce second livre, je ne vous en citerai qu'un seul passage, l'entrevue de Calisto et de Jupiter :Jupiter, mm tmoiof, l'aperoit l'cart: Proton, m dit-il, des faveurs du hasard; Jaa@n m pevt le voir, et mme la tlt-etle, Dois-je craindre ce prix *a jaloux querelle* *

*

.

*

Il lui donne un baiser dont li crime dment Le see de Diane et trahit un amant. Sa bouche ur la tienne avec ardeur preiae Arrt* m rponse demi c mimenee. I l h rcite autant qu'il e*t n *. puissance; Hat# contre Jupqer q p* : tarrt** Elle rnintc n v.iin, h>r h mchummj*, l..*tlttl!tor!*,*i >i*dttriou. r liMfil** t monseigneur Inique d'Orlans, et RatUt, i. , p. 22fit t

1

444

L RENAISSANCE.

Vnide elle-mme chante des infamies qui font rougir. Au jugement d'un homme qui s'y connaissait, l'pope du chaste Virgile est, en plusieurs endroits, tellement lascive, tellement dangereuse, qu'on ne peut conseiller celles qui veulent tre sduites une lecture plus propre allumer dans leur cur le feu de l'amour dshonnte : cet homme est Ovide. A ct des ouvrages les plus corrupteurs de l'antiquit grecque et latine, ce grand professeur de libertinage vent que ses lves aient dans leur bibliothque ou sur leur toilette Y Enide de Virgile, et qu'elles lisent le quatrime livre : recommandation superflue, car dj au sicle d'Auguste la concupiscence y cherchait son aliment et nulle partie du pome n'tait lue avec autant d'avidit Ce n'est pas seulement aux jeunes filles et aux jeunes femmes que Y Enide peut tre funeste : c'est encore aux jeunes gens. Saint Augustin avoue en pleurant qu'il y a trouv la perte de son innocence. Un des plus illustres pres de la Compagnie de Jsus, le grand Possevin, avait donc mille fois raison de s'crier : Il faut tre aveugle pour donner Y Enide comme modle aux enfants, et jamais je n ai pu conii Nec legitur pars ulla magis de corpore toto Quam non legitimo fdere junctus amor.

De Art. am,, lib. III, 330; Eleg,, lib. II; EUg. urne, \ \ 497 et seqq.

DOUZIME LETTRE.1

445

prendre qu'on leur expliqut le sixime livre ! quoique bien moins dangereux que le quatrime. Je n'en dirai pas davantage sur le chef-d'uvre du chaste Virgile, dont j'ai l'intention de vous donner un jour l'analyse complte, ainsi que de Y Iliade et de TOdysse du divin Homre. Revenons aux glogues que vos fils expliqueront en mme temps que les Mtamorphoses d'Ovide. Fidle l'esprit de la double cole laquelle il appartient, Virgile, dans ces innocentes pastorales, chante lesfilleset les garons. Quant aux premires, Ovide trouve Virgile tout aussi coupable que lui-mme, et il se plaint d'tre seul puni d'un crime dont le favori d'Auguste n'tait pas innocent*. Quant aux seconds, tout le monde lettr connat le tormosum pastor, une des pices les plus infmes de la posie latine. Rien ne dmontre mieux, ditEcquis JLneam si attentiore acie Christian;*? mentis rem dispexerit, talem e$se comperiet ut illtus vita, actiones, reiiqua item christiania auribus et ocuiis, teneris prsertim ingems, tauquaro pietatis et virtutum exempla .sint proponenda?... Et en parlant du VI livre : Quamviscerte nunquam mihi probatum fueritut adolescentibus pralegeretur. Biblioth. selecta. etc., p. 501. Romae, 4592. Pbyilidis bic idem teneneque maryllidis igns Bucolicis juvei.is luserat ante modis. Nos quoque jam pridem scripto peccavimus isto; Supplicium patitur non nova culpa novum. Ekg. ubi supra. xi. io% 1

446

LA RENAISSANCE.

an auteur moderne, l'empire qu'exerait le Polythisme sur les sentiments et les ides des anciens que la publication de la seconde glogue de Virgile. Certes, il n'aurait pas mis au jour une telle production s'il n'avait su qu'il trouverait de nombreux chos.... Si c'est une excuse pour Horace, disons que Virgile et Tibulle, ses amis, plus tendres et moins picuriens que lui, ont montr encore moins de rserve . Quoiqu'il m'en cote, je vous envoie, Madame, quelques dtails sur cetto seconde glogue; il faut bien que vous sachiez, ainsi que toutes les mres, quelle nourriture l'ducation classique donne vos enfants, et comment elle dveloppe en eux les germes sacrs des vertus infuses dans leur me par le baptme. Virgile s'tait fait connatre par diffrentes pices de vers : les Priapes, le Moucheron, \?$glogue$ et les Gcorgiques. Mcne devint son protecteur. Admis la table et la familiarit mme d'Auguste et de son ministre, Virgile fut bientt gorg de richesses. Entre autres cadeaux, il reut de Mcne un beau jeune garon qui, aprs avoir t les dlices de Mcne, devint les dlices de Virgile, delicias domim. C'est ee beau jeune homme qu il no unie Alexis, en prenant pour lui-mme le nom de Corvdon c'est cette pauvre victime le ses hon^nses lubricits que1

* Wiilrkwa* r, Vtedfi'"

ubi

supra

DOUZIME LETTRE.

447

Virgile chante dans son glogue. Beau sujet de versions pour des enfants chrtiens! La possession de ce iisor excite tellement la verve du chaste Virgile, qu'il brise ses pipeaux rustiques et renonce la posie pastorale pour emboucher la trompette pique et composer VEnide. Ainsi, Hlne enflamme Homre, et nous avons la grande pope des Grecs; Alexis enflamme Virgile, et nous avons la grande pope des Latins. Ne vous ^mble4-il pas qu'elle doit tre bien pure, bien noble et surtout bien propre l'instruction de la jeunesse chrtienne, la posie qui s'inspire un pareil foyer? J'ai hte, Madame, de donner la preuve de ce que j'avance. Heureusement pour moi je ne suis que le traducteur des auteurs paens; sans cela je courrais grand risque d'tre frapp d'excommunication laque, peut-tre mme ecclsiastique. Martial, vantant les largesses de Mcne envers les potes de son temps, et envers Virgile en particulier, raconte les etets qu'elles produisaient pour exciter leur verve. II insiste surtout sur le don que Mcne fit Virgile du jeune et bel Alexis, et il ajoute que c'est partir de ce moment que Virgile entra dans la carrire de la posie hroque. Reois ces richesses, lui dit Mcne, et sois le plus grand des potes; aime aussi notre Alexis, le pins beau de ceux qui me servaient table le fale.rne d'un rouge fonc, et donto>.

448

LA RENAISSANCE.

la main blanche comme le marbre me prsentait ces larges coupes dans lesquelles il baignait ses lvres de rose, dignes des baisers de Jupiter. Le pote tonn renonce chanter les bergers et les champs, et aussitt il conoit Y Enide:Excidit attonito pinguis Galatea poet, Thestyiis et rubras messibu* usta gnas : Protinus Italiam concepit et arma virutnque, Qui modo vix culicem e?erat ors rudi *.

Apule rapporte le mme fait, et ne met nullement en doute la vertu du chaste Virgile l'gard d'Alexis . Vous dire ce qu'ont tent les adorateurs de Virgile pour le laver de la souillure dont il est couvert serait impossible. Les uns, comme le bon P. Catrou, de la Compagnie de Jsus, ont soutenu gravement que Virgile avait pris Alexis chez lui, pour lui apprendre la musique et la posie, et qu'il l'aimait comme un matre aime son lve; les autres, avec Donat, tout en reconnaissant l'amour de Virgile pour Alexis, prtendent le justifier en le comparant celui de Socrate pour Alcibiade. L'explica4

t Epig., lib. VIII ep. 56; edit. varior 4656. * Quaoto modeetius tandom Xtantuanus |K>eta qui ibidem, ut ego, puerum bucoiico ludicro iaudans, et abstioens nominum. tese quidem Corydonem, puerum vero Alexim nomioat. Apol., dit. Panckoucke, 4838, p. 25.f M

D O U Z I M E LETTRE.

449

tion charitable do P. Catrou est une navet qui ne demande pas de rponse; celle de Donat est une maladresse qui le confond : a C'est un bruit, dit-il, que Virgile aimait les garons; mais les bons ont pens qu'il les aimait comme Socrate aimait Alcibiade . Or, vingt auteurs nous apprennent de quelle nature tait l'amour de Socrate pour lcibiade*; entre tous, il suffit de citer Cornlius Npos, un des oracles de collge : Dans sa jeunesse, Alcibiade, dit-il, fut aim, la manire des Grecs, par un grand nombre, entre autres par Socrate*. Que Donat et les bons adorateurs de Virgile dont il parle en prennent leur parti : tout le monde sait ce qu'tait l'amour grec. Il demeure donc bien tabli que, dans Virgile, pdraste et chantre de la pdrastie, les enfants chrtiens ont pour professeur et pour gardien de leur innocence un homme qui ferait rougir nos bagnes. Agrez, etc.1

Fama est eum libidinis pronioris in pueros fuisse. Sed boni ita *um pueros amasse putaverunt, ut Socrates Alcibiadem. Donat., In Vit. Virgil. Voir Socrate sanctus pderaita. De Jo. Matth. Guesner, in-8, 4789. Ineunte adoJescentia amatus est a multit more Grascorura, in ei a Sucrate. Vit. Alcib., c. II; dit. Prisse, 4844.2 a

1

TREIZIME LETTRE.Cicron : loges.

Rome, 9 fvrier. MADAME,

Jusqu'ici j'ai jou de malheur. Parmi les saints de la belle antiquit je n'ai pas encore trouv un honnte homme. Celui dont je vais vous parler, et qui est le plus renomm dans les collges, fera sans doute exception. En effet, de gros in-folio contiendraient peine les loges prodigus Cicron depuis quatre sicles. Lui seul en a reu de la rpublique des lettres plus qu'elle n'en a donn tous les docteurs de l'glise. Pour vous rendre heureuse et fire de savoir vos enfants l'cole de ce nouveau matre, je vais vous en rapporter quelquesuns. Ds l'aurore de la Renaissance, Erasme, prtre et religieux, s'crie: Depuis que je touche la vieillesse, je prends plus de plaisir la lecture de Cicron , que je n'ai jamais fait dans les premiers temps de ma vie. Ce n est pas seulement le tuur

TREIZIME

LETTRE.

45

divin de son style, c'est sa morale et la saintet de son cmir qui m'enchantent. Il a inspir mon me et il m'a fait sentir qu'il m'a rendu meilleur. le ne balance donc pas presser notre jeunesse d'employer le temps lire ses ouvrages et les apprendre par cur *. A la mme poque, Sadolet, vque et cardinal, crit un jeune homme qui se destinait l'tat ecclsiastique : Tu dois lire Cicron, et maintenant et dans la suite, et toujours; non-seulement le lire, mais le dvorer et l'absorber par tous les moyens et par toutes tes puissances... Pas une vertu qui ne soit en lui, qui n'y brille, qui n'meuve; c'est comme un torrent qui inonde le lecteur de toutes les volupts . Quelques annes plus tard, Denis Lambic, clbre professeur l'Universit de Paris, dclare que Cicron est l'oracle universel du monde, la source intarissable de toutes les sciences, le matre oblig de l'enfant et du vieillard, du pauvre et du riche, du paysan et du bourgeois, du soldat et du jurisconsulte, des is et des prtres; qu'il n'y a personne parmi les millions d'hommes qui respirent4

N

Epist. ad Jo. Ylatt. In 0ts*a e t M ' m p t T i ^ e n ^ u s tM ' e u i u * *j!um, *e. famil., lib. V , e p . H ; ad Al c . , l i b . l \ \ e p 9 Lib. II.

2

m

LA RENAISSANCE.

des intrts de sa vanit, cet homme veut que Ihistoire mconnaisse ses lois et que le mensonge usurpe les droits de la vrit. Avouez, Madame, que vos enfants auront tout gagner faire leur rhtorique sous un pareil matre, et agrez, etc.

DIX-SEPTIME LETTRE.Cicron orateur. Dfinition de l'orateur. Ce que les anciens ont pens de Cicron. Examen de son loquence au point da rade nos murs. La secundo Philippique appele un ouvrage divin. Dtails historiques sur Antoine et sur Cicron. Analyse au point de rue de la forme de la seconde Philippique.

Rome, 43 fvrier. MADAME,

La rhtorique paenne dfinit l'orateur : un homme de bien, habile dans l'artCICRON ORATEUR.

de parler, vir bonus dicendi peritus .

l

Cette dfini-

tion, donne par Caton et reproduite par Quintilien, est, quant la pense, celle de Cicron lui-mme; car il approuve fortement les stociens, qui dfinissent l'loquence : eloquentiam virtutem esse : L'loquence, c'est la vertu*.

tre homme de bien, telle est donc, d'aprs Cieron lui-mme, la qualit fondamentale de l'orateur. Sans elle, l'homme qui parle en public, quelles que soient la faclit de son locotion et l'lgance de son style, n'est qu'un comdien et un bavard : mi mus et nugator.1 2

Quintil., lib. X I I ; c. i ; Plin., I V , op. 7. Dorat., lib. III, c. xwu. Xi.

U

240

LA R E N A I S S A N C E .

J'avoue, Madame, que cette dfinition me dconcerte. Malgr toute ma bonne volont, je ne sais comment l'appliquer Cicron. Pour qu'elle lui convienne! c'est-*- u

te plaindre de

les avoir perdus eomme tu les avais

gagnes. Aie autant de raison que les armateurs, et

DIX-HUITIME LETTRE.

234

dis comme eux : La mer nous avait donn ces richesses, la mer nous les a ravies. Cicron fut consol de ce sage discours. Vous le croirez si vous voulez, mais l'histoire le dit . L'exil de Cicron dura environ dix-sept mois. Pompe, qui y avait contribu plus que tout autre, fait rappeler Cicron en haine de Clodius. Cicron se jette dans le parti de Pompe, tout en mnageant Csar. Malgr les plus graves personnages du Snat, il appuie en faveur du premier la fameuse loi Manilia, qui devient fatale la RpubUq je. Pompe, que Cicron a voulu faire assassiner, Pompe qui l'a fait bannir, est aujourd'hui le plus parfait, le plus grand des hommes, le seul qui puisse rtablir la gloire du nom romain ; un guerrier qui a fait plus de guerres que les autres n'en ont lu ; qui s'est form au mtier des armes non par des dfaites, mais par des victoires; un homme irrprochable dans sa conduite, modr dans ses dsirs, tidle sa parole, affable, et dont aucunes louanges ne peuvent galer les vertus; enfin, un gnie tel que Rome non vit jamais de plus grand, virtut (. 7. *1 ~ Id. i*>id. ~ * Ai

DIX-HUITIME LETTRE.

235

que Labinus a quitt Csar ; cela serait trs-avantageux notre parti. Ce serait un grand prjug contre Csar qu'un homme qui lui tait si attach n'ait pas cru pouvoir le suivre sans trahir sa patrie. Quant Csar lui-mme, c'est un Phalaris dont je crois que nous avons redouter des horreurs. Imitera-t-il Pham

laris ou Pisistrate? Je n'en sais rien ; ce que je vois, c'est que, s'il triomphe, nous aurons des boucheries et un despotisme plus qu'oriental, cdem video si viceril et regnum non modo romano homini, sed ne Pers quidem tolcrabile . Pendant qu'il crit de pareilles choses, 1 donne des gages Csar : Je suis engag avec Csar et avec Pompe ; vois dans quelle impasse je me trouve ! vides ne ut sim utrumque eomplexus ! Je les ai si bien mnags, qu'ils n'ont pour personne plus d'amiti que pour moi. Les voil prts clater l'un contre l'autre; quel parti prendre*? Enfin, il $e dclare, passe en Orient et se rend au camp de Pompe. Csar est vainqueur Pharsale: Cicron n'a rien de plus press que de lui faire sa tour*. Il va l'attendre Brindes, lui demande hum1

blement pardon d'avoir suivi le parti de Pompe, lui proteste de son dvouement. Csar lui fait un bon accueil. De ce moment tout e>t chang. Cieeron a toujours quelque chose de nouveau et de flatteur a1

1

\ l O R . !IO \

v I . ' - J u . v U \ . F M .

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LA RENAISSANCE.1

dira sur le divin Jules : Cest un vainqueur d'une bont et d'une modration admirables; en faisant relever les statues de Pompe, il affermit les siennes ; Csar est le sauveur de la Rpublique; la vie de tons les citoyens dpend de la sienne : aussi je veux lui dire nn rempart de ma personne*, Il crit Lenlulus : Les gards extraordinaires que Gsar a eus pour mon frre et pour moi, me font nn devoir de le soutenir dans toutes ses entreprises. An milieu de sa fortune et couronn comme il est par tant de victoires, pourrais-je me dispenser de ce qne je fais pour l u i , quand il n'aurait pas pour nous les sentiments dont il est rempli ? Je vous confesse volontiers qu'aprs vous, qui je suis redevable de mon salut, il n'y a personne qui j'aie autant d'obligation qu' Csar, et pour qui je me fasse plus d'honneur d'entretenir ce sentiment : A > minem eue cujus officiis me tam esse derinctum rwtt solum confitear, sed etiam gaudeam *. Pour en donner la preuve, Cirron abandonne

lchement ses propres amis. Csar publie un livre contre Caton, l i n t i m e , le vieil ami T H

P'ut., /,i f r \ , n. :if : t f Altit1

hl>. IV. i ; \ r-

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iih. I ;v

DIX-HUITIME LETTRE.l

237

donc point de flatterie dans ce que je lui ai crit . Ce n'est pas assez. II se fait l'ami des amis de Csar, de Csar qu'il appellera bientt un chef de brigands,qu'il vaudrait voir la potence. Il accepte avec em-

pressement les services d'Antoine, le chef des brigands de Csar; il soupe continuellement avec les autres. Que voulez-vous! crit-il, il faut s'accommoder au temps : Non desino apud istos qui mm dominant ur cnitare; quid faciam? Tempori servien-

dum est , C'est le fait accompli de nos jours. Mieux encore : Cicron se fait le courtisan des matresses de Csar. Cloptre vient Rome; un des premiers qui sont ses genoux, c'est Cicron, qui pousse la flatterie jusqu' lui demander, comme souvenir, quelques curiosits de son pays. Cette honteuse palinodie dure jusqu' la mort de Csar. Elle recommence avec Octave q u i . d i x neuf ans, dupe Cicron, le grand homme d'tat, comme Csar l'avait dup. Le jeune Octave vient Rome pour recueillir la .succession de Csar, et celte succession c'tait l'Empire. Cicron tait remont a la tribune. Toujours plein de l u i - m m e , il croyait gouverner la Rpublique. Octave, qui le regarde comme un instrument utile ses projets, le prend par son faible, le flatte, A lui fait entrevoir une large pat dans I administration do l'Etat.

9

m

LA KEN A1SSANCE.

Enivr de cet encens, Cicron prpare une harangue dans laquelle il fait un pathtique tableau des besoins de la Rpublique. et dit au Snat : J'ai votre homme! L-dessus, un pompeux loge d'Octave. Tout jeune encore, dit-il, et pour ainsi dire encore enfant, Csar joint une sagesse toute divine une incroyable valeur, Csar adolescent, pne potius puer, incredibili ae divina quudam mente atque virtute S'il n'et pas exist, snateurs, qui de nous existerait encore? Antoine, comme un furieux marchait sur Rome. Tout coup parut ce jeune et divin hros, hune divinum adolescentem , qui cre une arme pour l'opposer Antoine. Il faut donc accorder Octave le titre de commandant, de mu s igitur imperium Csari. Le Snat et le peuple auront souvent, j espre occasion d honorer ce jeune Romain. En attendant, je demande encore pour lui qu'avant l'ge, Octave soit membre du Snat. Je sais qu'il n'abusera pas de sa puissance; tous les sentiment? de ce jeune Romain me sont connus; il n'est rien de plus sacre pour lui que la Rpublique et votre autorite. Dans l'cni\rement de sa future puissance, Cicron conclut par cette chaleureuse proraison : J oserai mme, .snateurs, me donner pour garant et pour caution, au Snat, au peuple, la Republique; j ' a p u r e , je9

Philipp .111, c. n.

DIX-HUITIEME LETTRE.

29

promets, je rponds que Caus Csar sera toujours un c en tel qu'il est aujourd'hui, tel que nous devons surtout vouloir et dsirer qu'il soit, promitto, recipio, spondeo . Lorsqu'il parle ainsi, vous croyez, Madame, que Cicron est sincre dans ses convictions et dans l'intrt qu'il porte Octave?Dtrompez-vous; Cicron n'a d'autre sincrit que celle de son dsir d'arriver au pouvoir, en se faisant d'Octave un pidestal. tonns de son langage, ses amis lui crivent de prendre garde, de ne pas se livrer. En homme qui se croit matre de la position : C'est un jeune homme, leur rpond-il ; il faut le louer, le flatter, puis l'expdia : laudandum adolescentem, omandum, tollcndum*. Une indiscrtion fait connatre Octave le mot de Cicron, et il ajoute : Oui, mais ce jeune homme ne se laissera pas expdier: sed se non esse commissurutn ut toili possil. Cependant Octave dissimule. IL estsuateur, mais il a besoin d'tre consul : c'est un degr ncessaire pc .r arriver l'Empire. Cicron lui servira de marchepied. En lui faisant part de son projet, Octave lui fait entrevoir qu'il l'aura pour collgue; qu'tant un homme suprieur par son ge, par son talent, par SON exprience, l'administration de la Rpublique lui appartiendra; qu'il se contentera, lui Octave,w l1

/'Mip/.,

\ ,*\

\ \

111.

-

AdFatf.it.

Iib. II.

240

LA RENAISSANCE.

d'tre consul de nom. Aveugl par son incorrigible vanit, Cicron donne encore dans le pige et s'en va sottement rpter sa leon au Snat, hac spe elalus. Cicero, polestatii cupidus, suasit senatui . Il demande gravement qu'on nomme Octave consul avant l'ge; et pour rassurer le Snat, il ajoute : a Afin de pr venir de la part de ce jeune Romain toute fausse dmarche, vous choisirez parmi les anciens snateurs un homme prudent que vous lui donnerez pour collgue et pour mentor *. Le Snat n'a pas de peine reconnatre le masque, et de longs clats de rire accueillent la harangue de l'ambitieux Cicron, eam vero Ciceronis ambitioucm risit Senatus*. Grce l'imprudence de Cieron, Octave marche rapidement vers le trne. Llius, en plein Snat, le reproche Cicron. Rrutus le qualifie sans dtour1

de lche intr d

i de tratre; l'accuse de sacrifier aux : j vanit les intrts de la Rpublique,

et d'avoir prpar une tyrannie plus insupportable que celle dont lui et Cassius ont d l i v r e la p Ui u \ en

gorgeant C s a r : Dum habcul a1

tptihus

ohuid

VINGT-QUATRIME LETTRE.

357

des tudes collgiales, sont mal enseigns : la preuve en est que TOCS les lves ignorent le grec, et qu'Aucun ne sait bien le latin. Au reste, pour la valeur scientifique de l'enseignement en France, il existe une infaillible pierre de touche : ce sont les examens dits du baccalaurat. Eh bien ! je le dclare franchement : il y a sept ans que j'ai fait pour la premire fois ces examens, et depuis sept ans, je n'ai pas trouv UN seul candidat sur dix qui rpondit mme passablement *. Un autre membre de l'Universit, professeur de philosophie dans un des lyces les plus importants, crit : < Le niveau des tudes est prsentement si c bas, que c'est une question desavoir s'il peut baisser encore. Partout, mme Paris, o nos habitudes de centralisation expdient chaque anne les plus brillants sujets de la province, la moyenne des classes est dphrahlemenl faible. A Paris, entre les cinq ou six premiers et le reste de I classe, il y a un abme; 3 il y en a un autre entre les dix suivants et ce qu'on appelle la queue de la classe. Or, cette queue est wtenninable. Si bien qu'entre le vingtime et le soixantime, il n'y a pas de diffrence srieuse. Le soixantime ^st un zro le \ingiime un infiniment petit Dans les dpartements, c'est la mme chose. * Ces apprciations se veritieut de la manire la >y

318

LA RENAISSANCE.

plus irrfragable et la plus triste aux preuves du baccalaurat. Les Facults ne sont pas bien mchantes; et cependant la proportion des candidats refuss pour n'avoir pas su faire passablement une version est vraiment formidable. Quant aux preuves orales, je prie Dieu de toute mon me qu'il n'y amne jamais un spectateur allemand ou anglais, ou du moins qu'il pargne mon amourpropre la douleur et l'humiliation de my trouver ct de lui. Je n'ai pas le courage d'en dire davantage : on peut aller voir \ Notez, Madame, que les collges ont la prtention de mieux enseigner le latin que les petits sminaires, a On sait*, dit un ancien lve de l'Universit, que les tudes des collges sont plus fortes que celles des sminaires, c'est--dire qu'entre les dix lves sur cent qui savent le latin aprs l'avoir appr six ans, ceux qui sortent du collge le savent un peu mieux que ceux qui sortent du sminaire.... Mais je ire suis si souvent expliqu sur la folie d'une pareille ducation Qui ne sert de rien, Qui ne prveit rien, Qui n'arme contre rien, que j ai honte d'en parler encore \ 1

Voir mes Lettres Mgr Dupanloi'p. p. 221.

2

>M, on?

VINGT-QUATRIME LETTRE

3*9

Cette ignorance du latin n'est pas seulement le fait des lves, elle atteint aussi les professeurs. Il y a cent ans le P. Judde, jsuite, disait aux rgents de sa compagnie : Vous ne pouvez, sans y mettre beaucoup de temps > faire un thme qui vaille quelque chose. Aujourd'hui, c'est pis encore. Les oraisons latines du grand concours fourmillent de fautes, ainsi qu'on l'a prouv plusieurs fois. Et cependant elles sont l'ouvrage des matres les plus distingus, qui les ont mdites, crites, ratures loisir . Aprs trois sicles d'enseignement et d'tudes, voil o nous en sommes en fait de connaissance du beau grec et du beau latin ! Combien d'autres preuves de notre ignorance fabuleuse, comme dit M. Lenormant, je pourrais ajouter celle-l! mais pour vous, Madame, comme pour toute personne au courant de ce qui se passe, c'est assez. Nous1

L'ancien laurat de l'Universit, Alphonse Karr, n'e*t pas le dernier s'en moquer. On connat les charges qu'il a faites sur les discours latins prononcs au grand concours : Omnium facile t a r a 11torum consensu, illud unice utile est assequi hominibus ut, omnis juventuti ardore et assiduo labore, illas tantummodo linjru is parlent quai' nusjuam parhnur;

1

e nuiius usagi t

po^nnt

fieri.

Stint quidam nelmlonf-s et mchantes qui n junt hanc instructionem es>e o ^ " ~ . ii.^tilem et c r e u s a m . nebulonibus et mchant is i r \ r quos mimera.'dus e*t quidam Aiphonsus Karrus, respond'.e \k-toriuse hac oratio * ; i t . o t W o . ete.

pT rt .>

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330

LA RENAISSANCE.

sommes punis par o nous avons pch. Le christianisme nous avait donn une langue latine, magnifique sous tous les rapports, il ne tenait qu' nous de la conserver et de la parler; nous Pavons rpudie , comme nous avons rpudi l'art chrtien, et il nous est justement arriv de ne savoir plus aucune langue latine, ni la paenne ni la chrtienne. Agrez, etc.

VINGT-CINQUIEME LETTRE.Les plus clbres latiniste* de I* Rc laissant*** ont-ils m le latin? Ce qu'ils en disent. Us s'accusent tous rciproquement t ne pas savoir le latin. Bernho. Juste Lipse. rasme. Sealiger. ScioppiuA. Laurent Va lia. Pogge. Wortius. Vives. Balzac. Muret. i h avouent qu'ils savent le latin moins bien que les cuisiniers de Rome.

Rome, 21 fvrier.

MADAME,

On ne manquera pas de vous dire : Si nous ne savons pas le beau latin, c'est qu'on ne l'tudi pas comme autrefois. La Renaissance a produit des hommes qui ont connu, crit, parl a merveille la langue de Cirron. Cela me conduit examiner la seconde question pose dans ma lettre prcdente : Les renaissants les plus clbres ont-ils su le latin paen ? Parmi les humanistes des quinzime, seizime et dix-septime sicles qui ont consacr leur vie tudier le latin antique, qui l'ont constamment crit et parl, les uns pendant vint:! ans, les autrespendant quarante an> pii M donnent et qui pas-

332

LA RENAISSANCE.

sent pour l'avoir le mieux connu, on trouve, en parcourant l'Europe entire, Bembo, rasme, Yalla, Pogge, Scioppiug; Worstius, Scaliger, Vives, Lipse, Muret. Or, tous ces grands latinistes ont crit les uns contre la autres de gros volumes pour se prouver mutuellement qu'ils ne connaissaient pas un mot de latin; qu'ils ne comprenaient pas le latin; qu'ils ne savaient pas le traduire; qu'ils ne savaient pas distinguer quel langage, srieux ou vulgaire, appartenaient tels ou tels mots; qu'ils se rendaient coupables de barbarismes et de solcismes, et qu'ils taient parfaitement incapables de juger du mrite relatif et mme de la latinit plus ou moins pure des anciens auteurs. Rien n'est plus curieux et en mme temps plus instructif que cette longue querelle, qui a dur prs de deux cents ans, sans qu'on ait su et sans qu'on puisse jamais savoir qui avait tort ou raison. Bembo se flatte de parler le latiu avec tant de puret, qui! n'emploie aucun mot qui ne soit tir de Cicron; et Juste Lipse lui prouve longuement qu'au lieu d'tre eicronien, souvent il n'est pas mme latin . Krasme croit avoir le monopole de la belle latinit; beaucoup le croient comme lui. Scaliger le renvoie cavalirement l'cole, pour apprendre la1

* Sot. ad cap. lit

Politic.

VINGT-CINQUIME LETTRE.

333

grammaire et viter les innombrables fautes de latin dont fourmillent ses ouvrages Ces grands renaissants ne s'en tiennent pas de simples critiques. A l'exemple des illustres matres de l'antiquit, ils accompagnent leurs accusations d'ignorance d'une foule d'amnits dont il est n* cessaire que je vous donne un chantillon, si vous voulez connatre de quel esprit ces rgnrateurs de la vieille Europe taient anims. A la suite d'une foule d'autres, tant anciens que modernes, rasme se permet de critiquer Cicron. Scaliger regarde cela comme un crime, et lui dit : a C'est ton impit envers Dieu, envers Jsus-Christ, envers la religion qui t'a conduit jalouser Cicron. Tu n'es qu'un sclrat, un orgueilleux, un menteur, un va-nu-pieds : Mendax, vir nihili; un impur, un misrable, un ivrogne : impurum, infandum, vino sopitum; un fou, un monstre : monstrum, quo enim le alio appellem nomine? une bte froce, un bourreau, un parricide, un triple parricide, une hydre dont il faut purger le monde littraire : jmrricida, tripanicida, hydra. Aprs toutes ces injures, fidlement copies de Cicron, Scaliger finit par o il aurait d comraenQua* bi nesci, jam tomperies apud omnes grammaiicoj atque ha..!C quidem quoi quantis }ue erroribus involuto exciderint. satis dur un arbitror. In besid., rasme, p. 25.1

m

LA RENAISSANCE.

car. Il avoue que nous pouvons peine bgayer le latin, et qu'il nous est impossible de justifier nos loges ou nos critiques des anciens auteurs. C'est peine si nous pouvons parler latin ! Viw possumus quantum mlemus Romani esse in dieendo; et tu te permets de juger les auteurs de l'antiquit ! tu accuses Tite-Live de patavinit, et Cicron de fautes grossires t Qui es-tu, pour t'riger en censeur ? et si je nie tes accusations, quel moyen as-tu de les prouver? Si negavero, quid tu mihi respondebis? quibus argumentis? > Aucun ; pas plus que deux Allemands qui, n'auraient appris le franais que dans leur grammaire, dictionnaire et bons auteurs, ne pourraient rsoudre, sans l'intervention d un Franais, une difficult grammaticale relative la langue franaise. Scaliger, qui se croit si fort en latin, il faut voir de quelle manire il est remis sa place par Scioppius. Ce roi des savants, eruditoruui rex, lui reproche des milliers de fautes de latin, ie qualifie cinq cent douze fois de menteur, et lui compose des litanies grecques et latines qui n'ont pas moins de trois cents pages in-quarto, calques sur celles de Scaliger rasme . Le F. jsuite Strada publie son histoire De hello Belyieo, qui passe pour crite dans le latin le plu> pur.l

VINGT-CINQUIME LETTRE.

335

Scioppius signale pins de mille expressions impropres ou barbares dans la premire dcade seulement . Arrive Lambecius, qui prouve doctement Scioppius qu'il n'est qu'un ignorant, un jaloux, et rappelle poliment le chien de la grammaire : canis gramjfta&ta.Santeul parait; ses Hymnes excitent l'admiration des plus fins latinistes : Mnage, la Monnoye et d'autres encore dmontrent qu'elles fourmillent de fautes de latin. Ds l'aurore de la Renaissance, Laurent Valla se donne pour le restaurateur du beau latin du sicle d'or. Il publie, en latin prtendu cicronien, un gros volume in-quarto sur cette langue antique. Pogge lui rpond par un autre gros volume in-quarto, dans lequel il lui prouve, par les meilleurs auteurs du sicle d'or, qu'il ne sait pas faire une phrase latine ; puis il termine en le faisant conduire en triomphe par un ne couronn de fumier. Valla riposte par un norme Antidote : Antidotum in Poygium, dans lequel il tablit, sur une fou!e de textes des meilleurs auteurs, qu'en fait de latin, Pogge est un barbare, et lui, Valla, un phnix. 11 accompagne ses preuves de deux cents pages in-folio d amnits dans le got antique, Plus tu oses m attaquer, dit-il Pogge, plus tu dmontres ion ignorance de la langue latine. Je vais te mettre la raison, comme j'y ai mis1

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LA RENAISSANCE.

Facio et Panormita. Barbare de langage et de sentiments, immonde, langue de chien, putride, insolent, vieux fou, delirus senew, gladiateur, dragon, boue aux longues cornes, plus ivrogne qu'Antoine, cerbre, faussaire, avare, sacrilge, adultre, gibier de potence, fureifer, je te montrerai que tu es un ignorant, je te foudroierai comme Jupiter le gant Typhon. Tu m'as conduit en triomphe, je t'y conduirai mon tour prcd de tes milliers d'erreurs; ce sera un vrai triomphe celui-l, et non pas un triomphe imaginaire comme celui que tu m'as dcane. Tu sentiras alors que je suis Jupiter : In isto curru tuo me Jovetn esse senties. Croirait-on qu'une pareille diatribe est ddie au pape Nicolas V ? croirait-on que tous les renaissants battirent des mains, et qu'un d'entre eux, Franois Diana, crit Valla que son Apologie l'lve au-dessus des hommes, et que, dans le monde littraire, on l'appelle divin : Apologus tuus fuit valde ratus, non hominem te, sed cunt admiratione sinnma divimtm appellant ! Et l'on s'tcune des grossires injures dont fourmillent les ouvrages de Luther, d'Ulric de Hutten, etc. ! Or voit quelles sont dan* le got de cette belle poque : nouvelle preuve que, pour la forme comme pour le fond, le Protestantisme est le fils lgitime de la Renaissance, peperi ovum, Luther us exclusif.

VINGT-CINQUIME LETTRE.

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De ces faits et de cent autres que je pourrais citer, il rsulte que les plus fameux humanistes de la Renaissance s'accusent et se prouvent rciproquement, par A plus B, au moyen des auteurs du sicle d'or, qu'ils ne savent ni crire ni parler le latin. Ont-ils tort? ont-ils raison? et jusqu' quel point? C'est ce que personne ne peut dcider, car il n'est pas un homme en Europe, depuis la Renaissance, qui, aprs avoir crit quatre lignes de latin, puisse faire serment et dire : Cicron, Salluste, Tite-Live auraient crit comme moi. S'il osait le dire, cent voix s'lveraient pour lui prouver le contraire. On a fait des volumes des solcismes commis par les plus clbres renaissants, par ces hommes qui, comme je vous l'ai dit, avaient fait du latin leur passion et leur vie mme Non-seulement ils ne savent, do leur propre aveu, ni crire ni parler correctement le latin antique, souvent mme ils se montrent incapables de le distinguer du latin moderne. Cent fois on s'est amus les mettre en dfaut, en leur donnant comme modernes certaines pages indites des auteurs anciens, qu'ils critiquaient avec autant de confiance que d'amertume et comme anciennes des narrations ou des fables composes de la veille et?

Voir, entie autre*. Aihcrincts de vous rap-

u ... t. il, y . \ n .

VINGT-SIXIME LETTRE.

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Santeul passe pour le plus grand pole latin du dix-septime sicle. Ses Hymnes, regardes comme des chefs d'uvre digtuj d'Horace, ont remplac, dans les brviaires modernes, celles de saint Grgoire et de saint Ambroise. Or, Santeul, tant mort, descend aux champs lyses. Horace vient sa rencontre, se jette son cou et lui dit : Je vous attendais depuis longtemps; vous t? un autre moimme ; vous m'avez fait parler dix-sept sicles aprs ma mort, la cour de votre grand roi, comme je parlais moi-mme celle d'Auguste, Et il lui rcite quelques strophes de ses Hymnes, qu'il exalte jus* qu'aux nues. Santeul se confond, pleure de tendresse, et, avec la modestie d'un po^te qu'on encense, il dit Horace : C'est trop d'indulgence; en tout cas, si j'ai quelque mrite, c'est vous que je le dois Les loges que vous daigne/ me donner sont ma plus douce rcompense; ils me font, ds aujourd iui, goter dans leur plnitude les joies de l'ternit. Mais que faisiezvotis en m'attendent ? Horace r|ond : J'apprenais le franais. Je me suis procur vos meilleurs auteur*, vos grammaires et \os dictionnaires : il y a cent ans que je les tudie, et je crois possder assez bien votre lielle langue pour la parler et l'crire correctement. Mon talent, connue vous savez., me portant la posie, j'ai coin-

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LA

RENAISSANCE.

pos des vers franais. Entre autres, je viens de finir un madrigal sur le clbre mdecin du Gardit, arriv depuis peu aux champs lyses. Je vais vous lire cette pice, avec prire de m'en dire votre avis. Dites mes loges, reprend Santeul. Aprs cent ans d'tude, un gnie comme vous ne peut tre que l'Apollon du Parnasse franais, comme il le fut du Parnasse latin Il faut remarquer que, dans tout le cours de leur conversation, Horace et Santeul parlaient chacun sa langue maternelle. Prenant alors son manuscrit, prie Santeul de s asseoir sur le vert gazon, et il commence sa lecture dclame :Louif du Gardit At uo bon etprit Et rmmi ort*blo Quand rr un soin dru fwm m corps membru Lame rattoouabie.

A cette trange lecture, Santeul ouvre de grands yeux, une grande bouche. Il se contient; mais bientt son naturel remporte, et il part d'un retentissant clat de rire, ce De quoi rie/ vous? lui demande Horace. P a r d o n , iluiMre pote; les dieux p ont pas donne chaque mortel toutes les conmiisutners rmthts : Sun du, wm ntfHvs&w o lummv. N avant jamais couver M avec un Franais,

VINGT-SIXIMB LETTRE.

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il n'est pas tonnant qu'il vous soit chapp quelques incorrections.Quoi! aprs cent ans d'tude! Faitesmoi donc connatre mes erreurs. Puisque vous le permettez : on ne dit pas at un bon esprit, mais a un bon esprit. L-dessus, Horace, fort de sa grammaire, essaye une justification plus malheureuse encore que sa locution. C'est, dit-il, une rgle de votre posie qu il faut fuir le hiatus, regardez, Et il lui montre un trait de versification franaise. Au surplus, ajoute-t-il, at un bon esprit n'est-il pas aussi bon que a-t-ilde l'esprit, a-t-elle du bien, a-/-on dn? Il n'y a pas moins de raison mettre un / entre a et un qu'entre a et il ou elle, puisque c'est la mme cacophonie qu'il faut viter. De plus, comme on conjugue je bats, tu bats, il but, je ne vois pas pourquoi on ne conjuguerait pas de mme j'ai, tu a$, il at. Enfin, j'ai vu arriver ici des habitants du Lyonnais et de la Bretagne (pu parlent ainsi. Santeul bahi s'abstient de rpondre. Horace continue : Que dites-vous do mon troisime vers ; une raison surtabh-? Il n'est pas franais. Comment ? dans vos . I O N S auteurs on trouve a chaque instant un i>nrt* sni ' ihl,, pour signifier un parti convenable, et n o u s w v o i ! /, pa> qu'on puisse dire une rnisnn sortabtr, c'est--dire une raison convenable, une raison qui convient au >ujel dont il s agit? Ce n'est pas moi qui n s oppose, est I usage. XI. n

m

L R E N A I S S A N C E .

Ainsi, sur mes trois premiers vers, en voil dj deux qui ne sont pas franais? n Que direz-vous du quatrime : Quand par un sain dru? Santeul se tord de rire. Ce fut ois encorem

lorsque Horace entreprit de faire ressortir la beaut potique de son pithtc. Vous ne voyez donc pas, dit-il Santeul, que l'pilhte di u est une mtaphore prise des oiseaux. Mlle (orme un sens figur plus noble et plus potique que les adjectifs assidu ou empress, dont je me serais servi si j avais crit en prose. Pas plus en prose qu'en posie, soin dru n'est franais.C'est donc encore un vers sacrifier. Quant mon quatrime, qui nui cot beaucoup de travail , jV le crois irrpr