La Revanche d'une célibataire (Emotions) (French...

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TracyBloom

LaRevanched’unecélibataire

Traduitdel’anglais(Grande-Bretagne)parPaulineBuscail

MiladyRomance

Pourmamanetpapa,quiaccordentleursviolonsdepuisplusdequarante-cinqans,cedontjeleurseraitoujoursreconnaissante.

Chapitrepremier

ChèreSuzie,C’estlapremièrefoisquej’écrisaucourrierducœur,maisjen’aipersonned’autreàquimeconfier.Voilà:ilyasixmois,monmarim’aquittéepourunepersonnededixansmacadette, qu’il a rencontrée dans un cours d’aérobic. Totalement dévastée, je me suisconsolée dans la nourriture et j’ai pris dix kilos en un rien de temps. Puis il y a deuxsemaines,ilasurgidenullepartsurlepasdelaporte,sedisantprêtàrentreràlamaisonàunecondition:quejedevienneplusaudacieuseaulit.Ilm’alaisséunelistedecequ’ilavaitentête;enmajeurepartie,despratiquessadomasosquej’aidûcherchersurInternetpourm’enfaireneserait-cequ’unevagueidée.Jel’aimetant,etjedonneraistoutpourlerécupérer,maisimpossibledetrouverlatenueenPVCqu’ilm’asuggéréeentaille46.Quedois-jefaire?

Désespérémentvôtre,Trish

ChèreTrish,Achetez la tenue en PVC en taille 38, ainsi que desmenottes et un chalumeau. Appelezvotremari,dites-luiquevousvousplierezàtoutessesexigencesetquevousvoulezqu’ilrentreimmédiatement.Dèssonarrivée,annoncez-luiquevousfereztoutcequ’ilveutàunecondition:qu’ilenfilelatenueenPVC.Unefoisqu’ill’auramise,menottez-leaulit,puisdégainezlechalumeauetdemandez-luiquellepartiedesonanatomieilveutsefairebrûleren premier. Enfin, dites à cette vermine de ne plus jamais vous importuner – espèced’idiote,idiote,idiote…

Suzie ne s’était pas rendu compte qu’elle se cognait la tête contre l’écran de son ordinateur, en

répétantinlassablementlemot«idiote»,jusqu’àcequeDrewnelaforceàseredresserenlatirantdélicatementparlesépaules.—«Ctrl+alt+suppr».Engénéral,çamarchemieuxquededonnerdescoupsdetête,lança-t-ilen

s’asseyant à son bureau, juste à côté, avant de commencer à marteler les touches requises pourpréparersonpostedetravail.Suzieavaitàpeineconsciencequesarespirationétaitsaccadée,etqu’elles’agrippait trèsfortau

bord de son bureau. Curieusement, les locaux du Manchester Herald semblaient bourdonnernormalementautourd’elle,ignoranttotalementlefaitqu’ellesesentaitàl’opposédesonétatnormal.Elle avait plutôt l’impression d’être un château de cartes à deux doigts de s’effondrer, attendantseulementquequelqu’unfasseunfauxmouvement.—Tuvasbien?s’enquitDrew,interrompantsonmartèlementférocesursonclavierpourjauger

laminedéconfitedelajeunefemme.Fauxmouvement.Inquiétudemanifestéeparuncollègue.Effondrementimminent.—Pourquoi ? grommela-t-elle, s’efforçant désespérément de se contenir, alors qu’ellemourait

d’envie de fondre en larmes. Pourquoi est-ce que j’écris cette saleté de rubrique de courrier ducœur?—Hum,parcequec’esttoiquienaseul’idée?suggéraDrew.—Jesaisquec’estmoiquienaieul’idée,rétorqua-t-elle,sonirritationcommençantàdéformer

lestraitsdesonvisage.Maisjenelepensaispas.C’étaituneblague,ajouta-t-elle,lesdentsserrées.SiGareth s’imagine que ça va nous ramener notre lectorat féminin, c’est un imbécile, doublé d’unetriplebusepourm’avoirdemandédem’encharger.—Pourtant tu nemanques pas d’expérience en relations amoureuses, fit remarquerDrewd’une

voixtraînante.Elle se tournavers lui, sedemandantcequipouvaitbien lui laisserpenserque le sarcasmeétait

bienvenudanscetteconversation.—Ah, oui ? reprit-elle. Voilà pourquoi à l’âge canonique de trente-six ans, je me retrouve de

nouveauseule,n’est-cepas?Suzies’emparad’undestrollsalignéssursonbureauetsemitàtirerviolemmentsursescheveux

bleuélectrique.—Qu’est-cequis’estpassécecoup-ci?soupiraDrew.Ilsetournaverselleetadoptalaposturehabituelle.Visionôcombienfamilièrecescinqdernières

années,oùilavaitoccupélebureauàcôtédusien,toujoursenpremièrelignefaceàsestraumatismesamoureux.Lesbrascroisés,ilarborasonregardquisignifiait«tuesuneidioted’endurertoutescesbêtises»,avantdejeteruncoupd’œilàsamontre.Ellesavaitqu’ellen’avaitpasbienlongtempsavantqu’il ne fasse remarquer qu’il avait un délai à respecter, donc elle s’empressa d’attraper sontéléphonepourluiexposerlesfaits.— J’ai reçu ce message d’Alex dix minutes après qu’il a quitté mon appartement ce matin,

expliqua-t-elleenluifourrantleportabledanslesmains.«Désolée,Suze,maisçanefonctionnepasdemoncôté.Mieuxvautqu’ons’arrêtelà,tantqu’on

peutencoreresteramis,etqueçanedevientpasbizarreauboulot.Alex»—Oh,zut,commentaDrew,sansexprimerlamoindresurprisenilamoindrecompassion.—Et…enplus…,poursuivitSuzie,luttantpournepaséclaterensanglots.Nousavonsfaitl’amour

justeavantqu’ilparte.Unsilencegênants’installa,letempspourDrewd’intégrerl’informationenquestion.—Saletype,finit-ilparmarmonnerdanssabarbe.Puisilpoussaunsoupir,décroisalesbrasetposalesmainssursesgenoux.—Tupeuxtrouvertellementmieuxquelui,reprit-il.OublieAlex,etprendstonmalenpatiencele

tempsquequelqu’unquienvaillelapeineentreenscène.— J’ai trente-six ans, Drew. Ce n’est pas de la patience qu’ilme faut,mais du Botox, répliqua

Suzie,réussissantàarracherunetouffedecheveuxbleusdelatêtedutroll.Etc’estfacileàdirepourtoi,quiesfiancéàl’amourdetavie,etnonentraind’erreravec«aimantàtocards»tatouésurlefront.Follederage,ellejetaletrollamochéparterre.Drewentrepritderépondre,maiselleavaitbesoindevidersonsac,etçanepouvaitattendresous

aucunprétexte.—J’enaiassez,gémit-elleenattrapantunautretrollsursonbureau,vêtuenfootballeurcettefois.

Regarde ça, poursuivit-elle en le brandissant sous le nez de Drew.Mon tout premier amour m’aachetéçaquandj’avaisquinzeans,puisilm’aplaquéedevanttoussescopainsenm’accusantd’êtreennuyeuse.Ellelâchalafigurineetl’observarebondiràdeuxreprisessurlebureauavantdetomberparterre,

poussant au passage le troll aux cheveux bleus,maintenant àmoitié dégarni, qui gisait près de lacorbeilleàpapier.—Etcelui-là,reprit-elleenenbrandissantunautre,pourvudecheveuxjaunefluo.Celui-là,jel’ai

surprisaulitavecunedemesmeilleuresamies,aprèsdixansdeviecommune.Cecoup-ci,elle sauta l’étapedubureauet lebalançadirectementenchute libre rejoindre leduo

désolantparterre.—Quant à lui, enchaîna-t-elle en tenant en l’air un troll espagnol jouant de la guitare.Eh bien,

disons simplement que son existence était nettement plus compliquée que ce qu’il m’avait laisséecroire,marmonna-t-elle,incapablederegarderDrewdanslesyeux.Letrolljoueurdeflamencoatterritlatêtelapremièresurlefootballeur,etrestaentassélà,comme

s’ilspratiquaientunepositionpeuorthodoxe.—Ces jouets incarnentchacunde tespetitsamis?demandaDrew.Etdireque je te soupçonnais

seulementd’avoirtrèsmauvaisgoût.—Ilsn’incarnentpaschacundemespetitsamis,protesta-t-elle.Drewfronçalessourcils,visiblementperplexe.—Seulementceuxdontjesuistombéeamoureuse,précisa-t-elle.Ellesemorditlalèvrepourempêcherleslarmesdedéborder.Ilsgardèrentlesyeuxrivéssurlesreliquesdesoncœurbrisé,quileursouriaientbêtement,deleur

litdemoquetteenNylond’unvertinsipide.—Maispourquoi?insistaDrew,incrédule,ensecouantlatête.Suziesavaitqu’aucuneexplicationnepourraitconvaincreunêtreaussirationnelqueDrewquesa

collectionfarfelueavaitquoiquecesoitdesensé.Ellesoupiraetsentitsoncorpsentiers’affaisser,tandis qu’elle se résignait d’avance à parler comme la femme entre deux âges désespérée qu’elledevenaitàvitessegrandV.—Parceque,aprèsvingtlonguesannéesàenchaînerlesrencards,j’aibesoindemerappelerque

j’aiaumoinsconnuquelquesraresmomentsd’amourdansmavie,répondit-elle.Il la regarda dans les yeux, et elle s’attendit à un élan de compassion de sa part. C’était sans

comptersurDrew.—Mais,Suzie,tuviensdemedirequ’ilsonttousétédevéritablestocardsavectoi,pourreprendre

tesproprestermes.Ellebaissadenouveau le regardsur les trollsentasséspar terre.Elleavait ludansunmagazine

quelconquequ’ilfallaittoujoursadopteruneattitudeconstructivesurlesrelationsquiavaientcomptédanslepassé.Sesouvenirdesbonsmoments,ettirerdesleçonsdesmauvais.Peut-êtreétait-iltempsdeconsidérerlesreliquesétaléessoussesyeuxàleurjustevaleur:unatrocerappeldeshommesquiavaientfaitdesonparcoursamoureuxunvéritabledésastre,lalaissantapprocheràgrandspasdesesquaranteans,lacondamnantàuneexistencedevieillefillesansenfants.Àeuxquatre,ilsavaientruinésaseuleetuniquevieamoureuse.—Tocards,maugréa-t-elleenleurdonnantuncoupàl’aided’undesestalonsaiguilles–élément

essentieldelapanopliequ’elleétaitcontraintedecontinueràporterpourattirerlagentmasculine,vusonétatdeperpétuellecélibataire.—Oh,pour l’amourduciel, s’impatientaDrew,àboutdenerfs.Tuvauxmieuxqueça.S’ils se

trouvaienttousdevanttoimaintenant,qu’est-cequetuferais?S’ilsse trouvaient réellementdevantelleàcet instant?Enchairetenos?Cetteseule idée la fit

frémir.Dessouvenirsdeterriblespériodesdedeuilluirevinrentparvagues.Tantd’heurespasséesàs’efforcerdecomprendreàquelmomenttoutavaitmaltourné.Tantdetentativesdésespéréespourlesrécupérer,engénéraldansletaxiquilaramenaitchezellebredouillelesamedisoir,quand,motivéepar l’alcool, elle se retrouvait incapable de retenir ses doigts d’envoyer desmessages suppliants.Tentativestoutesignoréesbiensûr,laplongeantinévitablementdansuneprofondedéprime,avantdecéderlaplaceàlacolère,puisàmoultrêvesdereprésaillesetdevengeancepourcequ’ilsluiavaientfait subir.Ladéferlantede regretsqui l’assaillaitàprésentmenaçaitdesechangersoitenchagrin,soitencolère.Elleoptapourlacolère.—Jevoudraislesfairesouffrirautantqu’euxm’ontfaitsouffrir,cracha-t-elle,lesmainscrispées

surlesaccoudoirsdesonfauteuil.Commej’auraisdûlefaireàl’époque.Troptardmaintenant.Cesderniers temps, tout arrivait trop tard.Depuisqu’elle avait décrété qu’elle se trouvait sur la

voierapideverssesquaranteans,ilétaittroptardpoursemarier,troptardpouravoirdesenfants,ettroptardpourchangerdecarrièreetmettrefinàlalenteagoniequereprésentaitlejournalismedanslapresselocale.Fatalement,elleavaitcommencéàregarderenarrièreetàréfléchiràcommentelleenétaitarrivée là.Toujourspasmariée,sansenfants,àécrireuneridicule rubriquedecourrierducœur pour un torchon local. Si seulement elle pouvait revenir en arrière et faire les chosesdifféremment.Bonsang,troptardàprésent!—PaspourAlex,celadit,intervintDrew,interrompantlefildesespensées.J’aidéjàentenduça

xfois.Tuleslaissess’entirerentetraitantcommeunemoins-que-rien,Suzie.Pourunefois,fais-luisavoirtafaçondepenserettournelapage.Etaupassage,laissetombercetteridiculelubiedestrolls.Suzieledévisageaunmoment,avantd’attraperletrollauxcheveuxbleusàmoitiéchauve.—Tuasraison,finit-ellepardireenregardantdenouveauDrew.Horsdequestionqu’ils’ensorte

enmetraitantainsi.Jevaisluifairesavoirmafaçondepenser.—C’estlapremièrechosesenséequetuaiesditedelamatinée,fitremarquerDrew.—Jevaisluienvoyerunmessage,reprit-elleenattrapantsontéléphone.Qu’est-cequejedevrais

écrire?—Pasdemessage,réponditDrewenluiconfisquantsontéléphone.Affronte-le.Traite-ledetocard

enface,bonsang.Tecontenterd’unmessageterabaisseàsonniveau.—D’accord,acquiesçaSuzie.Sesnerfsenpelotemenaçaientd’ébranlerlafaçadedebravourequ’elleavaitbâtieàpeinequelques

instantsplustôt.—Jevaisluidireenface.Évidemmentquejevaislefaire.—Bien,laconfortaDrew.Dèsqu’ilarrive.Pasdefuitepourpleurerdanslestoilettesdèsquetu

leverras.—Biensûrquenon,répliquaSuzie,s’efforçantdeparaîtreplusassuréequ’ellenel’étaitenréalité.

Dèsquejelevois,jeluifoncedessus.—Parfait, repritDrewenfaisantdenouveaufaceàsonordinateur, lesmainsdéjàposéessur le

clavier,prêtesàentrerenaction.Bon,ilfautmaintenantquejevantelesméritesdulamentableserviced’hygiènedeManchester.Jeteconseilledeteconcentrersurunetâchetoutaussipassionnante.Là-dessus,ilsemitàtaperfurieusementsursonclavier,marquantclairementlafindelaséancede

thérapierelationnelle.À15heures,Alex,sansdoutetropoccupéàfairedelalècheàdesannonceurspotentielsdansle

seuldesseindefairepassersondéjeunerennotedefrais,n’avaittoujourspasmontréleboutdeson

nez.Suzieavaitpassésontempsàjeternerveusementdescoupsd’œilverslecouloirderrièreelle,oscillantentresonenviedésespéréedelevoiretsaterreurenpensantàlafaçondontelleallaitréagir.Elle tentadese focaliser sur le faitd’acheversa rubriquedecourrierducœur,à rendrecetaprès-midi-là,maisserévélaitincapabledetrouverlesmotspourconsolerlescœursbrisésquandelleétaitdansunétatpareil.Àpeinevenait-elledecommenceràlirelaréponsevirulentequ’elleavaitécritelematinmêmeauproblèmedeTrish,queDrewluifitunetapesurl’épaule.—C’estparti,luidit-il,enindiquantdelatêtecequisetrouvaitderrièreelle.—Quoi?s’écria-t-elle,sachantimmédiatementqu’Alexavaitdûenfinarriver.LevisagedeSuziedevint livide.Elle se figea sur sonsiège, incapablede se retourner, en jetant

nerveusement des coups d’œil àDrew, lorsqu’un sifflement enjoué, bien trop familier à son goût,résonnadanslebureau.QuandDrewluidonnaunpetitcoupdecoudedanslebraspourl’encourager,elleseforçaàtournerlentementlatêteendirectionducouloir.Alex,vêtud’uncostumebleumarineimmaculé, ainsi quede la chemise et de la cravatehorsdeprixqu’elle lui avait offertespour sonanniversaire, avançait d’unpas assuré, en semant autourde luiuneodeurd’après-rasagebien tropfamilière. Il prit immédiatement conscience que Suzie l’observait. Il lui adressa un signe demainanodinetpassal’airderienàcôtédesonbureaupourrejoindrelasallederéunion.LamaintremblantedeSuziestagnaunmomentenl’air,etunfaiblesouriresefigeasurseslèvres.

Hébétée,ellegardalesyeuxrivéssursonpassage.—C’étaitquoi,ça?s’exclamaDrew.Allez.Rattrape-leimmédiatement.Videtonsac.Jesaisquetu

peuxlefaire.Elletournalatêteverslevisageincréduledesoncollègue.—Jenepeuxpas,souffla-t-elleensecouantlentementlatête.—Pourquoiça?demanda-t-il.— Parce que…, commença-t-elle en détournant les yeux, honteuse. Parce que…, tenta-t-elle de

nouveau,sachantqu’elles’apprêtaitàsecouvrirderidicule.—Parpitié,nedispascequejecroisquetuvasdire,plaidaDrew.—Parcequejel’aime,lâcha-t-elle,incapabledeleverlesyeuxetd’endurerlaréactiondeDrew.Qu’était-ellecenséefaire,alorsqu’elles’étaitsentiepriseaupiègeàl’instantmêmeoùelleavait

poséleregardsurAlex?Toutesacolèreettoutesapeineavaientétémisesentoucheparuneviolenteoffensived’envieetdedésir.Elleseforçaàleverlesyeux,pourfairefaceàl’expressiondeconfusiontotaledeDrew.Elleétait

incapable de lui fournir la moindre explication. Elle n’arrivait même pas à se l’expliquer à elle-même.—Désolée,bredouilla-t-elleenseredressant,tremblante,etenprenantsonmanteausurledossier

de sa chaise.Désolée, répéta-t-elle lorsqu’elle trébucha contre son fauteuil et se retrouva étaléedetoutsonlongdanslebureau.Ellenepouvaitendurer l’incrédulitédeDrewplus longtemps.Ellesavaitqu’ilavait raison,mais

elleaimaitAlex,cequi,quelquepart,luiinterdisaittoutface-à-faceviolent,endépitdecetterupturetout à fait inacceptable et irrespectueuse. Elle aimait Alex ; autrement dit, la seule chose qu’ellepouvait gérer à cet instant était une dissection déprimante de leur relation, pour comprendreprécisémentoùelles’étaittrompée,etsurtout,siellepouvaitychangerquoiquecesoit.

Chapitre2

ChèreTrish,Jevousenvie,sincèrement.Detouteévidence,votremarivousaimetoujours;sinon,ilnesouhaiteraitpasreveniretrecréercequevouspartagiezparlepassé,envousproposantdeprendrepartàsesfantasmessexuels,si?Bienentendu,vousnedevriezpasfairequoiquecesoitquivousmettemalàl’aise,maisjevousconseilledevousasseoiretdediscuteraveclui,pourtrouverunterraind’ententequivoussatisfera tous lesdeux.J’ajouteraique lePVCnemetpasenvaleur les silhouettesgénéreuses, mais je vous recommande les strings de Marks & Spencer, disponiblesgénéralemententaille46,ainsiquelessoutiens-gorgeàgrandsbonnetsassortis.Demême,jevousencourageàprendredescoursd’aérobicavecvotreépoux,maisveillezpeut-êtreàchoisiruneautresalledesportcettefois.Saisissezcettechance,Trish,carquandonaimeprofondémentquelqu’un,çavautlapeinedesebattre.

Bonnechance.Suzie

Danslebusquilaramenaitchezelle,SuzieretournaitdésespérémentsarelationavecAlexdanssa

tête, lorsqu’elleprit soudainconsciencequesondépartprécipitédubureau impliquaitqu’elleallaitdépasserledélaiaccordépoursoumettresarubrique.Ilneluimanquaitplusqu’àterminersaréponseauproblèmedeTrish,maisellesavaitàprésentàquelpointsa réponse initialeétaitmalavisée.Ladernièrechosedontcettefemmeavaitbesoinétaitdes’entendrediredebrandirunchalumeauenfacedesonmari.Trishavaitunechancederécupérersonbien-aimé,etilfallaittirerlemeilleurdetouteslessituations.Elleavaitbesoind’êtreencouragée,pasdevoirsesespoirsréduitsencendres.Suzietapauneréponsecorrigéesursontéléphoneetlatransféraaubureaujusteàtemps,enespérantavoirtrouvélesmotspouraidercettelectriceàsauversoncouple.Son attention n’étant désormais plus distraite par son travail, la jeune femme observa les rues

morneset ruisselantesdeManchesterpar lesvitresdubus, assombriesde tracesdedoigt et autresmorves d’enfant, et se demanda ce qu’elle pourrait bien faire pour sa propre vie amoureuse.Uneprofonde mélancolie l’enveloppa, lorsque le bus s’arrêta en sifflant sur High Street, en face desfenêtresbienéclairéesdeMcDonald’s,etqu’elleselaissaalleràcequ’ellefaisaittoujoursàcestadedesontrajetverschezelle.Ellenepouvaits’enempêcher.Ellerivalesyeuxsurlatableetleschaisesnichéesaucoindelafenêtredegauche,etrevécutl’instant.L’instantoùAlexl’avaitembrasséepourlapremièrefois.Toutétaitarrivésixmoisplustôt,àlafindecequ’elleavaitgardéenmémoirecommel’undes

plusbeauxjoursdesavie.Aprèstout,onn’apassouventl’occasiond’avoirl’hommeenhautdesaliste,si?Unnumérocinqpeut-être,avecbeaucoupdechance,maisunnuméroun–quandest-cequeçaarrive?ElleetsameilleureamieJackieavaientcommencéàfaireleurTCPAP(Topcinqdepetitsamispotentiels)dèsleuradolescence,principalementdansl’intentiondesemoquerouvertementde

leursgoûtsrespectifsenmatièred’hommes–mêmesiJackien’avaitjamaistrouvédrôlequeSuziemetteRickAstleyennumérounpendantdix-huitsemaines.Jackien’avaitplusbesoindeliste,étantàl’abriconfortabled’unsecondmariageheureux,maisSuzieentenaittoujoursune,lamettantàjourdans sa tête presque aussi régulièrement que la Bourse de Londres. C’était son filet de sécurité,primordialpourlarassurersurlefaitqu’ellen’avaitpasencoretouchélefonddugouffreamoureux.Hélas,lesannéespassant,elles’étaitvuecontraintederevoirsesexigencesàlabaisse.Lescélébritésavaientfiniauxoubliettesaucoursdesavingtaine,leshommeslesplusattirantss’étaientvusradiésquandelleavaitunepetitetrentained’années,etàprésent,salisterecensaitprincipalementdestypesquiétaientcélibatairesetquinelarépugnaientpas.VoilàpourquoiAlexavaitétéunetellerévélation.Un homme célibataire, dans la trentaine, et absolumentmagnifique.Dès son arrivée au journal endébutd’annéepourdirigerl’équipechargéedesventesetdelapublicité,ilétaitentrédirectementausommetdesaliste.Elle s’était efforcée de ne pas le harceler comme une adolescente transie d’amour,mais s’il se

trouvaitqu’ellepartaitdéjeunerenmêmetempsquelui,alorstantmieux.Ilfallaitqu’elleluiparle;ellenepouvaittoutsimplementpasl’ignorer.Etpouruneraisonobscure,ellebuvaitplusdecafélesjours où il travaillait au journal ; autrement dit, elle devait faire plus d’allers-retours jusqu’à lacuisinequisetrouvaitjustementenfacedubureaud’Alex.En définitive, c’était Gareth, le nouvel éditeur, qu’elle devait remercier pour les avoir réunis.

Durantsonpremierjour,Garethavaitconvoquétouslesmembresdel’équipedansunesalle,etexigéque chacun d’entre eux propose aumoins trois idées pour booster les ventes du journal, alors engrande difficulté. Lorsqu’elle avait négligemment suggéré un courrier du cœur, il avait sauté surl’occasion.« Excellente idée, avait-il dit, en la gratifiant du sourire typique du trentenaire londonien de

premierplan.D’autantplusquelasectionRencontressurlesiteaplusdesuccèscestemps-ciquelatotalité de votre rubriqueMode de vie, avait-il poursuivi sur un ton tranchant. Je veux que ce soitintégrédèslasemaineprochaine,etcoopèreavecAlexpourvoirquelsannonceursçapeutramener.Viagra,Tampax,peuimporte–tantqueçarapporte.»«Occupe-toiducontenu,bébé,jemechargeraideDurex», luiavaitsouffléAlexcesoir-là, lors

d’uneanalyseapprofondieetbienarroséedunouveléditeurdansunbar,aveclerestedel’équipe.Plustard,illuiavaitdéclaréqu’illeurfaudraitdiscuterdelanouvellerubriqueendétail,etavait

proposédelefairechezMcDonald’s,parcequ’ilmouraitdefaim.Alors qu’elle le suivait en titubant jusqu’àPiccadilly, elle s’était amèrement dit qu’aller dansun

fast-foodaprèsunpotdetravailneconstituaitpasunrencard.Toutefois,ellenepouvaits’empêcherd’éprouverunecertaineexcitationàl’idéedupotentielromantiquedelasituation:êtreassiseprèsdelui, tous les deux seuls dans un restaurant, quoique cernés d’adolescents obèses et de clochardsrachitiques.Ellesentaitencorelegoûtdecepremierbaiser.Dufromageavecunepointedecornichon.Après qu’il eut satisfait son appétit, au plus grand étonnement de Suzie, il l’avait attirée sur ses

genouxdevantcettemêmefenêtreetluiavaitlittéralementdévorélevisage.Ellelesrevoyaitgloussercommedesadolescentsstupides,inconscientsdesremarquesgrossières

queleurfaisaientlesbadauds.«Je te trouveadorable», avait-ilditquand ilsavaientenfin repris leurs soufflesetqu’une table

d’adosboutonneuxlesavaientapplaudis.Elleavaitétéàdeuxdoigtsdes’évanouir,lorsqu’un«Fais-lui-enunpourmoi»s’étaitélevédela

tabled’àcôté.

« J’en serais ravi », avait alorsmurmuréAlex à son oreille,manquant de la faire défaillir unenouvellefois.Bienévidemment,ellel’avaitramenédanssonlit.Ellenevoyaitabsolumentaucuneraisondes’en

priver.Elle le traquait depuis desmois, donc à quoi bon perdre du temps ?D’autant que le tempsn’étaitpasunluxequ’ellepouvaits’offrir.Sefairelonguementcourtiser,c’étaitpourlesfillesd’unevingtained’années.Àtrenteanspassés,ilfallaitbrûlerlesétapespoursavoirvitesivotrepartenaireseraitpartantpourlelongterme.Repousserlesexeaprèsunrencardétaitunpetitplaisirqu’ellenepouvaits’autoriser.Parchance,leurinterludepost-McDonald’savaitmarquéledébutd’unebellerelation,etpasd’un

coup d’un soir trop alcoolisé entre collègues, à ne jamais réitérer. Ce fut avec un plaisir nondissimuléqu’elleavaitappeléJackie,pourluiannoncerqu’ellefréquentaitunnuméroundesalistedepetitsamispotentiels.Unvraidevrai.Çaluiavaitprispasloindevingtanspourtaperdanslehautdu tableau.Etvoilàqu’enfin,elleyétait, convaincuequecela signifiaitqu’il était l’hommequ’elleavaitattendutoutesaviepournagerdanslebonheurjusqu’àlafindesesjours.«Calme-toi,avaitrétorquéJackie.Jeteconnaisparcœur.Tutombesamoureuseettucessesdevoir

leschosesavec lucidité.Tu t’abreuves tropdecesstupidescomédiesromantiques.Comme je te l’airépété maintes fois, arrête-toi au passage où tout tourne mal. Elles sont beaucoup plus réalistescommeça.»Maiscettefois,Suzieétaitpersuadéequec’étaitdifférent.Elleétaittellementheureuse,qu’elleavait

presquel’impressiond’êtreMegRyan–avantlachirurgieesthétique,bienentendu.EtavanttouslestrucslouchesavecRusselCrowe.Franchement,qu’est-cequiluiétaitpasséparlatête?Quoiqu’ilensoit,onauraitditqu’Alexetellevivaientunvéritablecontedefées.Auboutd’unmoisderelation,ilssortaientensembletouslesvendredisettouslessamedissoir.Deuxmois,etilpassaittoussesweek-ends chez elle. Trois mois, et ils se donnaient des petits noms embarrassants. Quatre mois, et ilsparlaientd’amourengloussantsouslacouette.Auboutdecinqmois,ill’avaitconviéeauxnocesderubis de ses parents. Bon sang, elle avait rencontré ses parents – il savait forcément ce que çaimpliquait ? Et voilà, sixmois, et ils étaient passés de tout ça, à un banalmessage de rupture.Çan’avaitaucunsens.Quelquechoseluiéchappait.Un«bip» insistant de son téléphone l’interrompit dans ses pensées.Son cœur remontadans sa

bouche, tandisqu’ellesemettait instantanémentàespérerquec’étaitAlexquiessayaitdela joindrepour lui dire qu’il avait fait une erreur.Les doigts tremblants dans sa précipitation pour ouvrir lemessage,ellesentitsoncœursombrerdouloureusementlorsqu’ellevitlenomdeDrews’afficheràlafin,pourluirappelerbrutalementqu’ellenedevrait,sousaucunprétexte,tenterquelqueformedesupplicationauprèsd’Alexpendantsadéprimepost-rupture.ElleavaitbeausavoirqueDrewn’avaitquesonintérêtentête,ilnesaisissaitpaspourautantceque

çaimpliquaitd’être«elle».Luiavaittrouvésonpointd’ancragedepuissilongtempsqu’ilenavaitoublié l’impression que ça faisait de flotter à la dérive, sans le moindre port d’attache. Il fallaitqu’elle appelleAlex. Elle se le devait à elle-même, ne serait-ce que pour comprendre pourquoi ilavait rompu. Après tout, peut-être que c’était dû à une broutille, qui pourrait être arrangéeimmédiatement.Horsdequestionqu’ellelaissesoncouplepartiràvau-l’eaupours’économiserunmalheureuxcoupdefil.Pour la première fois ce jour-là, elle éprouva une pointe d’espoir lorsque le bus s’immobilisa

devant son arrêt. Elle récupéra son parapluie sur le sol détrempé de boue, et se fraya un cheminjusqu’àlaporteavant.Hélas, cette lueurd’espoirvacilla à laminuteoùellepassa saported’entrée.Commesurpilote

automatique,ellebaissalesyeuxsurlecasieràchaussures.Alexavaitpourhabituded’ylaisserseschaussuresdefootpournepasavoiràfaireunsautchezluitouslesdimanchesmatin,pouralleraumatch.Elle avait rangé la paire de tennis qu’elle n’utilisait jamais juste à côté, enchantée par cettevisionharmonieuse.Leschaussuresdefootavaientdisparu,seulesquelqueséclaboussuresdebouedemeuraient sur le sol, tellesdes cendres.Sabrosse àdents, sonaprès-rasageet sondéodorantdevoyageavaientdisparu,euxaussi.Sansaucunepitié,ilavaitemballésesaffaireslematinmême,puisfermé la porte derrière lui, sachant déjà que c’était la dernière fois qu’il se trouvait dans cetappartement.Hébétée,ellesetraînalentementaurez-de-chaussée,s’efforçantdésespérémentdecomprendrece

quiluiarrivait.Sedirigeantverslacuisineenquêtedecaféineetdequoiquecesoitd’horriblementgras, elle s’arrêta net sur le seuil. Elle haleta, dévastée par la scène qui se tenait devant elle. Sonregardsepromenaitsur lesreliquesdesadernièresoiréeavecAlex,entasséesn’importecommentsurleplandetravaildelacuisine.Deuxbouteillesdevinrougevides.Unquignondepain.Unpotdefromagefondusurgelé.Cinqousixfeuilletésencoreintacts.Deuxbougiesconsuméessedressantsurdeuxvieillesbouteillesdevin.Deuxverressales.Unprésentantdesmarquesderougeàlèvres.CeluideSuzie.L’autre,destraces

dedoigtgraisseuses.Celuid’Alex.Unetasseàcafécassée.C’étaitlatasseàcaféquiluidonnaitenviedeserecroquevillersurelle-mêmeetdepleurer.Moins

devingt-quatreheuresplustôt,AlexavaitbalancéSuziesurlesoldansunélandepassion,tandisquesesmainsparcouraientsoncorpsentier,lafaisantglousseretgémirjusqu’àcequ’elleabdiqueetselaisseguiderjusqu’àlachambre.Cefutpeut-êtreleurmeilleurepartiedejambesenl’air,galvaniséeparl’euphoriedeSuziequandelleavaitentenduAlexluidirequ’ilvoulaitpasserNoëlavecelleetsafamille.Elleétaitsinerveuseàl’idéedeluiposerlaquestion.Maiscommeellenecessaitdeselerépéter,

touttendaitàprouverqu’ellen’entraitpasenterritoirehostile.Ilspassaienttoutleurtempsensemble,elleavaitrencontrésafamilleentière,etelleenétaitauxblaguesavecsesamis.Celaétant,elles’étaitefforcéedeparaîtredétachée,pouréviterdemettretoutepressionsursaréponse.«MamèrecuisinepourleréveillondeNoëlcetteannée,avait-ellelancé,l’airderien,toutenlui

servantduvin.Çatediraitdevenir?»Il l’avait regardée fixement un instant, puis, le sourire aux lèvres, avait répondu :« J’en serais

ravi»,avantdesejetersurelleetd’envoyervalserlatasseimmaculéesurlesol.Suzie avait laissé son imagination s’aventurer dans des contrées qu’elle n’avait pas osé visiter

depuis longtemps :surunfondvivacedefeuxquicrépitentetde lumièresféeriquesquiscintillent,Alexoffrait auxmembresde sa famille lescadeauxparfaits, avantde sortirunpaquet très spécial.UnepetiteboîtecachéedanslesapindeNoël,contenantune…Ellepoussaungrognementetenroulafermementsesbrasautourd’elle,enprenantconsciencede

sabêtise.Elleétaitalléetropvitepourlui,c’étaituneévidence.ElleluiavaitdemandépourNoëletl’avaiteffrayé.Pasdeproblèmepourqu’ellerencontresafamille,maisvisiblement,queluirencontrelasienne,c’étaitlepasdetrop.Pourquoi,maispourquoiavait-ilfalluqu’elleluiposelaquestion?Pourquoi n’avait-elle pas pu laisser les choses suivre leur cours ? Le laisser lui, plutôt qu’elle,donnerletempo.

Elles’effondraparterre,s’enfonçantlatêtedanslesmains.Elleavaitlanausée.LaperspectivedecequeNoëlluiréservaitdésormaisluiapparut:samèrel’assaillantdequestions,censéesrévélersi,ouiounon,sonéternellecélibatairedefilleétaitenréalitélesbienne;etsasœurcadette,tropcontentedelarabaisserenparlantdesonenterrementdeviedejeunefilleàvenir.Ellen’auraitqu’àretirerson invitation, luidirequec’étaientdesparolesen l’air. Ilpouvaitbien

fairecequ’ilvoulaitpourNoël.Çan’avaitaucuneimportance,tantqu’ilsétaientensemble.Recouvrantunelueurd’espoir,elleselevapéniblementetattrapaletéléphonesurleplandetravail

delacuisine.Elleinspiraprofondémentettapasonnuméro,avantdeporterlecombinéàsonoreilled’unemaintremblante,etd’attendredixtonalitésagonisantes,lecœurbattantàtoutrompre,jusqu’àcequ’ildécroche.—C’estAlex,dit-il.—Salut,c’estmoi,lançaSuzie.—Qui?—Moi,Suzie.—Ah,jen’avaispasreconnulenuméro.Ilyeutunblancgênant.—Écoute,Suzie,commençaAlex.—Écoute,Alex,ditSuzieenmême temps.Tun’asaucuneobligationdevenirchezmesparents

pourNoël, s’empressa-t-elled’ajouter.À laplace,onpourrait partirquelquepart, auchaud,oùçatechante.Elles’interrompit.Pasderéponse.Elleécoutalesilence,espérantqu’ilfaisaitéchoausoulagement

d’Alex.—Écoute,Suzie,finit-ilparrétorquer.Ilestdetempsdepasseràautrechose,chérie.Commejete

l’aidit,çanefonctionnaitpasdemoncôté,c’esttout.—Çanefonctionnaitpas?gémit-elle.Depuisquand?—Oh,çafaitdéjàunpetitmoment,répondit-il,sansfournirplusd’explications.—Mais…mais je ne comprends pas, geignit-elle, se triturant lesméninges pour déchiffrer ses

propos.Tum’asemmenéeauxnocesderubisdetesparents.—Oh,c’étaitjustepourqu’ilsnesoientplussurmondos.Ilsnecessentpasdemepomperl’air

pourquejemestabilise,doncjemesuisditquesijet’emmenais,çaleurfermeraitleclapetpendantuntemps.Entoutehonnêteté,Suzie,çafaitunmomentquej’ail’intentionderompre.Suzies’affalacontreleplandetravail.—Mais…lanuitdernière,tuasditquetuvoulaispasserNoëlavecmoi?Elleavaitl’impressiond’êtreuneenfantpathétique,collanteetgeignarde,maisellen’arrivaitpasà

s’enempêcher.Ilavaitfaitnaîtrel’espoirenelle,etmaintenant,toutétaitanéanti.—Moncœur,reprit-il.Tum’asprisunpeuaudépourvu.J’aiseulementdit«oui»parcequ’ilétait

tard,quej’étaisfatigué,etquejen’avaisaucuneenvied’endurerundéballaged’émotions,quantauxraisonspourlesquellesjem’apprêtaisàréserverunesemainedanslesAlpesaveclescopainspourNoël.Elleglapit.—Maisnousavonsfaitl’amour,souffla-t-elle.Deuxfois.—Commejel’aidit,jen’avaisaucuneenvied’undéballaged’émotions.—Tum’asfaitl’amourpourquejelaferme?—Non,protesta-t-il.Jet’aifaitl’amour…parceque…ehbien,parcequej’adorefairel’amour.Elleattenditqu’ilterminesaphrase.

Iln’ajoutapasunseulmot.—Avecmoi!hurla-t-elledanslecombiné.Tuescensédirequetuadoresfairel’amouravecmoi,

espècedetocard!Elleécrasale téléphonecontre lecomptoir,projetantunepiqueàfonduepar terreaupassage,et

repassaaucriblelesvestigesdeseseffortsdelaveille.ElleavaitfaittoutManchesterpouracheterunserviceàfondue,aprèsqu’Alexeutmentionnéqu’il

adoraitça,parcequeçaluirappelaittoujoursdebonssouvenirsdesesséjoursauski.Elleavaitfaitleschaussonsàlaviandeelle-même,dansl’espoirqueçalemetted’humeurfestive.

Au bout d’une semaine d’entraînement, elle était enfin arrivée à des feuilletés présentables, avantqu’Alexneluidisequ’iln’aimaitpaslaviandehachée.Lestracesderougeàlèvressursonverreluirappelaientqu’elles’étaitmaquillée–sanscompter

qu’elles’étaitlavélescheveux,etavaitmêmeachetéunnouveauhaut.Tout ça, rien que pour oser lui demander s’il voulait passerNoël avec elle. Tout ça pour qu’il

puissefairel’amourparcequ’iladoraitça.Passpécialementavecelle.Iladoraitça,voilàtout.Toutçapourqu’ilpuissemettreuntermeàleurhistoireparmessageinterposé.Lentement,elleselaissaglissercontrelaportedelacuisinejusqu’àatterrirsurlesoldenouveau.

Enroulantlesbrasautourdesesgenoux,elleenfouitsatêtedanslecreuxetattenditlacrisedelarmes.Maisriennevenait.Toutcequ’elleparvenaitàfaire,c’étaitprendredegrandesinspirations, tandisquelacolèremontaitenelle.Commentavait-ellepuavoirlabêtisedes’imaginerqu’elleallaitavoirsonhappyend,qu’elleétait

tombée amoureuse du prince charmant, tout ça pour finir par découvrir qu’elle couchait avec unvauriendepuistoutcetemps?Unefoisencore.L’image des quatre trolls fit irruption dans son esprit, comme dans un film d’horreur. Quatre

visagesdedessinaniméentraindesemoquerd’elle, leurscheveuxpsychédéliquesencadrantleurstêtestelleslesflammesdel’enfer.—Tocards!s’exclama-t-elle.Tousautantquevousêtes!Elle n’avait aucune idée du temps qu’elle avait passé assise là, roulée en boule, des vagues de

fureur l’inondant tandisqu’elleréfléchissaitàsonpasséetspéculaitsursonavenir.Elledétestait lestadeoùelleenétait,etàcetinstant,ellelestenaittouspourresponsables.Àcemomentprécis,elleavaitlesentimentqu’ilsavaientruinénonseulementsavieamoureuse,maisaussisonexistencetoutentière.Àunmomentdonné,elle futdistraitedesonmalheurpar lasonneriedeson téléphoneportable,

quelquepartdansl’entrée.Lajeunefemmeselevapéniblement,espérantqu’ils’agissed’uneoreillecompatissantequiavaitentendusadétresse.Cen’étaitpas lecas.C’étaitGareth.Elles’empressaderépondre,sachantqu’ilenguirlandaitquiconqueignoraitsesappels.—Suzie,c’estGareth,beuglalerédacteurenchef.—Salut,lâcha-t-ellesuruntonsec,n’étantpasd’humeuràsefaireremonterlesbretelles.— Je viens de regarder ta rubrique de la semaine, et elle est nulle, poursuivit-il. Je veux une

versioncorrigéepourlaréuniond’équipedemain.Quelquechosequinemedonnepaslagerbe.Lalignefutcoupée.

Chapitre3

Horrifié,DrewavaitregardéSuziequitterlebureaudanstoussesétats.«Parcequejel’aime?»C’était quoi, cette excuse débile ? Il ne comprendrait jamais comment Suzie, une femme attirante,dotée d’une intelligence normale, pouvait devenir une parfaite idiote face à quelqu’un de l’acabitd’Alex.N’arrivait-elledoncpasàperceràjourtoussesairsenjôleursetsonbaratinmielleux?Nevoyait-elle pas qu’il était aussi authentique que son faux bronzage, et qu’il ne vouait de véritablessentiments qu’à sa petite personne ?Ne comprenait-elle pas qu’il n’était sorti avec elle que parcequ’elleavaitsonpropreappartement,etqu’ilavaitbesoind’unendroitoùcrécherpendantquelesienétaitentravaux?—Parcequejel’aime,marmonna-t-ildanssabarbeensecouantlatête.Ilvouaitunehaineprofondeàcettephraseenparticulier.C’étaitle«parceque»quifichaittouten

l’air.Ce«parceque»donnaitunsensdiaboliqueàcesquelquesmotssiparfaits.Unejustificationdestraversdu«lui»enquestion,quiparlàmême,autorisaitcestraversàperdurersansêtreremisenquestion, ni récriminés. Drew était bien placé pour le savoir. Il avait passé beaucoup de temps àréfléchir à cette phrase, depuis qu’elle s’était retrouvée dans l’une des conversations les plussignificativesdesavie–ladernièrequ’ilavaiteueavecsamèreavantdepartirpourl’université.«Pourquoi tune lequittespas,maman?» avait-ildemandé,prenant soncourageàdeuxmains,

toutenmontantdanssavoiture.C’était la toute première fois qu’ilmentionnait à voix haute l’état désastreux dumariage de ses

parents.Les yeux de sa mère s’étaient remplis de larmes, et elle l’avait observé un moment avant de

prononcercesquelquesmots:«Parcequejel’aime.»Son père tenait un pub dans une banlieuemalfamée deManchester. Pendant des années, il avait

résistéàlatentationdudéfiléd’épousesdélaisséesquivenaients’enivreretdéverserleursproblèmesdans son oreille toujours compatissante. La première dont Drew se souvenait était une roussesquelettique,quandlui-mêmeavaitunedouzained’années.Samèrelesavaitsurprisenlacésdanslacaveaprès l’heuredefermeture.Drewparvenaitencoreàvisualisersamère,assiseà la tablede lacuisine,blanchecommeun lingeet tremblante, tandisquesonpère la suppliaitde luipardonneretjetaitdespromessesenl’air,videsdesenscommedesconfettis.Àunmomentdonnédurantlesjoursangoissantsquiavaientsuivi,samèreavaitcraquéetluiavaitpardonné,dansl’intentiondemaintenirle statu quo, mais leur vie n’avait plus jamais été la même. Des périodes de calme relatifprédominaient,jusqu’àcequesonpèrerecommenceetsefassepincer,etquesamères’effondre.Ellepleuraitpendantdesjoursjusqu’àcequesonpèreobtiennesonpardonparlaflatterie,commeilavaitassuréàsonfilsquecelanemanqueraitpasd’arriverenlegratifiantd’unclind’œil,unjouraupetitdéjeuner. Une partie de lui était furieuse contre sa mère, de faire preuve de tant de faiblesse enacceptantdelessoumettre,nonseulementelle-même,maisluiaussi,àcesimulacredefamille.Quantàseservirdel’amourcommeexcuse,ils’étaitpromisdenejamaislaissercesentimentl’affecteràcepoint.L’amourn’avaitaucundroitdeforcerquiconqueàuneexistenceinfernale,commeill’avaitfaitavecsamère. Iln’avaitaucundroitdemanipuler,debaladerdedroiteàgaucheetdesemer le

trouble dans les esprits. SelonDrew, l’amour était une chose qu’il fallaitmaîtriser, et gérer d’unemainfermeetl’espritauclair.Lecœurdevaittoujourspasserausecondplanquoiqu’ilarrive,sinon,c’étaituncoupàfinircommesamère–ouSuzie,enl’occurrence.SiSuzieseservaitdesa têteunpeuplussouvent,au lieud’écoutersoncœurmalavisé,elles’en

tireraitnettementmieux.Espéronsqu’elleaittenucomptedumessagesévèrequ’illuiavaitenvoyé,quantaufaitd’éviterlemoindrecontactavecAlexpendantsadéprimepost-rupture.Ilregardaitsontéléphonepourvoirsielleavaitréponduaumomentoùils’alluma,annonçantl’arrivéed’unappelplusquebienvenu.—C’estpastongenredem’appelerautravail,commençaDrew.—Désolée,jetombemal?demandalavoixcalmeauboutdufil.—Pasdutout,répondit-il.Unpeudebonsensmeferaitleplusgrandbien.—Tantmieux.Jet’appelleausujetdelapoliced’assurancequetuvoulaisquejeparcoure.— Super, dit-il, soulagé d’avoir une conversation avec une femme qui n’impliquait pas de

psychodrame.—Alors,j’airegardéd’unpointdevuejuridique,ettoutestparfaitementlégal,poursuivit-elle.Et

d’unpointdevuepersonnel,jepensequetuasraison.Assurernotremariagemeparaîtuneidéetoutàfaitsensée.—Jesavaisquetuseraisd’accord,Emily.Drews’enfonçadanssonfauteuiletsefélicitaunefoisdeplusquantauchoixdesafiancée.Voilà

pourquoiEmilyétait la femmeparfaitepour lui–quelqu’unqui, enpleine frénésiedepréparationd’unmariage, pouvait parler police d’assurance d’unemanière rationnelle, au lieu d’appeler pourpleurnicher sur des bouquets d’œillets calamiteux, ou des prises de bec avec des demoisellesd’honneur.—Enfin,jetrouvequec’estincroyablementdélicatdetapartdetesoucierdufaitquepapagaspille

sonargent,sijamaisundésastrevenaitàseproduire,fit-elleremarquer.—Étantdonnéqu’il refusedenous laisserpayerquoiquecesoit,çamesemble lamoindredes

choses,tunecroispas?—Absolument.Etc’estrassurantdesavoirquenoussommescouvertssil’undenosfournisseurs

nousplante.—Toutàfait.—Ou…Drewl’entendaitfarfouillerdansdespaperassesàl’autreboutdufil.—…ou si tu recevais une affectation inattendueoutre-mer, pour servir dans les forces armées

britanniques.Ilappréciaitaussisonsensdel’humoursarcastique.—Tuasraison,Emily,gloussa-t-il.Ceseraitunvéritabledésastre.—Ettoutàfaitinattendu,renchérit-elle.Jedormiraimieux,celadit,ensachantquenouspourrions

quand même nous offrir un mariage, si l’un d’entre nous devait subir un dommage corporelaccidentelquientraînelamortouunhandicappermanent.Drewprituninstantpourréfléchiràcettedéclaration.—Donctum’épouseraisquandmêmedanscecas?s’enquit-il.—Évidemmentquenonsituétaismort.Quantàunhandicap,çadépenddudegré.Ilyeutunblanctandisqu’ilpouvaitpresqueentendrelesrouagesducerveauconsidérabled’Emily

tournercommedansunralenti.— Je pense que des dommages cérébraux ne me laisseraient d’autre choix que d’annuler ;

toutefois,lapertedemembrespourraitêtreacceptabletantqu’ilnes’agitpasdetouslesmembres.—Jevois,commenta-t-il.Doncquelsmembresenparticulierdevrais-jeéviterdeperdresijeveux

resterdanslacourse?— Eh bien, répondit-elle après quelques instants de réflexion. Je crois que je voudrais que tu

conservestesbras.—Uneraisonparticulièreàcela?—Jeneveuxpaspassermavieconjugaleàtefrotterledos,si?—Bienvu.Parmoments, lacarrièreprometteused’Emilyen tantqu’avocateendroitdudivorce luidonnait

unevisiontrèspragmatiquedumariage,àlalimitedel’obscénité.—Ya-t-ilautrechoseàéviterquelapertedemesbras?demanda-t-il.—Ehbien,tuferaismieuxdevérifieroùTobycomptet’emmenerpourtonenterrementdeviede

garçon,parcequ’iln’yaaucunecouvertureencasdedécès,dehandicap,nideblessurerésultantdela participation à toute activité dangereuse telle que le deltaplane, la plongée sous-marine, leparachute,lacourseautomobile,l’escalade,l’alpinisme,oul’équitation.—Jepensepouvoirassurerqu’ilyatrèspeuderisquesqueTobyaitprévudefairedel’équitation

pourmonenterrementdeviedegarçon.Onpeutdéjàéliminercetteoption.—Dommage qu’on ne puisse pas se couvrir contre Toby, soupira Emily. Je sais que c’est ton

meilleurami,maisc’estaussi lapersonnelaplussusceptibledeprovoquerunecatastropheànotremariage.—Non,ilprendleschosestrèsausérieux,insistaDrew.Jeluiaifaitdesremontrancesetluiaidit

qu’ildevaitfilerdroit.Pasdesurprises.—Jenecroisquecequejevois,rétorqua-t-elleenseremettantàfarfouillerdanssespapiers.Une

dernièrechosepuisilfaudraquej’yaille,j’airendez-vousavecunclientdanscinqminutes.—Jesuistoutouïe.—Ehbien,lapoliceindiquequedanslecasoùl’unedesdeuxpartiesprendraitpeuravantlejour

J, l’assurance prévoit une prise en charge psychologique, mais aucune couverture pour les fraisengagés.Drew laissa le silence qui suivit le commentaire d’Emily s’installer un peu trop longtemps.

Ilcompensaenéclatantd’unrireforcé.—Commec’estrassurant,dit-il,unefoislacrisepassée.Nousauronsruinétonpère,maistrèspeu

derisquesdenousentaillerlespoignets.—Oui,c’estexact,commentaEmily,riantàsontour.Heureusementqu’iln’yaabsolumentaucune

probabilitéquecelaarriveaprès toutce temps.Bonsang, sionn’est toujourspassûrsmaintenant,quandlesera-t-on?—Oui, acquiesça-t-il, ce serait toutbonnement ridiculeque l’und’entrenousprennepeuraprès

seizeans.Quelsimbécilesnousferionsd’avoirperdutoutcetemps.—Toutàfait,confirmaEmily.—Quediabledirait-on?ajouta-t-il.—Hmm,répondit-elle.—Nousserionslariséedetoutlemonde,reprit-il.S’ensuivitunnouveaublanc,auquelEmilys’empressademettrefin.—Bref,jesuisraviedem’occuperdel’assurance,lança-t-elled’unevoixenjouée.—Tuenessûre?Tudoisdéjàavoirtantàfaireàorganisertoutlereste.—Cen’estpasunproblème,vraiment.Toutleresteestsouscontrôle.

—Ehbien,merci.—Bon,l’interrompit-ellefroidement.Fautquej’yaille.Àcesoir.—Oui,àplustard.Drewraccrochason téléphone,etexamina laphotode fiançaillespriseparunprofessionnelqui

trônaitsursonbureau,toutensedemandantpourlaénièmefoissicethommesouriant,commetoutdroit sortid’uncatalogue,étaitvraiment lui.Auboutdequelquesminutes, il se reprit etdécidadevoircomments’ensortaitsonéquipedefootball–leseulproblèmevraimentcrucialdelajournée.

Chapitre4

ChèreSuzie,Jesortaisavecuncollèguedebureaudepuisprèsdesixmoisettoutsepassaitàmerveille,donc j’ai décidé de l’inviter à fêterNoël avecma famille. Comme vous vous en doutez,j’étaisauxangesquandilm’aréponduqu’ilenseraitravi.Lelendemain,ilm’aenvoyéunmessagem’annonçantquetoutétaitterminéentrenous,etqu’ils’apprêtaitàréserverunesemainedevacancesavecsesamispourlesfêtes.Iladitqu’ilnem’enavaitpasparlélaveilleau soir,parcequ’il voulait s’envoyeren l’air. Je l’aime toujours sincèrementet jeveuxlerécupérer.Quedois-jefaire?

Bienàvous,Uneincorrigibleromantique

Elle avait toute leur attention à présent. Les trois hommes étaient assis là, figés, la regardant

fixementdel’autreboutdelasallederéunion,toutunéventailderéactionsdéfilantsurleursvisageslorsqu’elleeutfinidelirelalettreprojetéedanstoutesagloiresurl’écranderrièreelle.Un coup d’œil vers Gareth, cela dit, fit monter une vague de panique dans son corps entier. Il

semblait perplexe, près de basculer vers la colère. Était-elle en train de faire une erreurmonumentale?Celaluiavaitparuunesibonneidéeà3heurescematin-là,quandellenetenaitplusen place après quatre bonnes tasses de café, trois paquets de bonbons et deux barres chocolatées,tandisqu’ellefaisaitunjoggingnocturnedanssongarage.Maismaintenantqu’ellesetenaitlà,àdeuxdoigtsdusuicideprofessionnel,cetteidéeluisemblaitcomplètementdingue.—J’aiprisconsciencequepersonnenedonnelegenredeconseilsquiseraitvraimentutile,avait-

elleditàsonrédacteurenchef,visiblementennuyé,audébutdesaprésentation.Enréalité,personnen’expliqueauxfemmescommenttraiterleshommesquileurgâchentlavie.— Suzie, l’avait interrompue Gareth, en levant la main. Quand je t’ai dit de t’occuper de la

rubrique,cequej’entendais,c’étaitdemedonnerquelquechoseàlirequinemehérissepaslespoilsetquiattireplusd’annonceurs.Cedontjeneveuxpas,cesontcesfoutaisesféministes.—Cenesontpasdesfoutaises!s’était-elleindignée.Cequej’écrivaisauparavant,c’enétait.Des

foutaisespathétiques,banales, tout justebonnespourdesbrochuresaurabais,oupourenvoyerdesgensenthérapie;commelepréconisen’importequelleautrerubriquedecourrierducœur.Àquoibon?Avez-vousjamaisentenduparlerdequiquecesoitquiaitréussiàsauversoncouple,enfermédansunepièceavecune femmeentredeuxâges, encomblantdes silencesgênants et en tenantdesproposhorssujetsursonenfance?Garethavaitprisunebonnelampéedecafésanslaquitterdesyeux.—Continue,l’avait-ilsomméeenreposantsatasse.Elleavaitjetéuncoupd’œilàDrewenquêted’encouragement,maissessourcilsavaientpresque

disparusoussalignedecheveuxtantilétaitsurpris.Elleavaitl’intentiondetoutluiexposercematin-là,maisilétaitenretardets’étaitrendudirectementàlaréunion.À ce stade, Alex, le troisième homme dans la pièce, était complètement absorbé par son

Blackberry,etécoutaitàpeinecequ’elledisait.Lafureurqu’elleavait instantanémentéprouvée luiavaitdonnélecoupdepoucequ’illuimanquait.Elleavaittoujourslespoilshérissésàl’endroitoùill’avaiteffleurée,enarrivantdanslapièceunpeuplustôt.—Bonjour, tout lemonde, avait-il lancé, comme s’il n’en avait strictement rien à faire.Désolé

d’êtreenretard,Gareth,maisc’était lapagaille.J’aipassétoutelamatinéeautéléphoneàtenterdenousattirerunénormeannonceur.— Pas la peine de m’en parler, avait répliqué Gareth, les dents serrées, tant que ce n’est pas

mentionné noir sur blanc. J’en ai ras le bol de tes promesses foireuses.Maintenant assieds-toi, etattendstontour.ElleavaitsentiAlexpasserderrièreelle,pasaffectélemoinsdumondeparlesremontrancesde

Gareth.Ellen’avaitpasosé le regarder,n’étantpasencore toutàfaitsûrequesesémotionsétaientsouscontrôle.Maisavantqu’ilapparaissedanssonchampdevision,elleavaitsentisamainsursonépaule droite. Surprise, elle avait sursauté dans son fauteuil, puis il l’avait pincée d’un aircompatissantavantdes’installerjusteàcôtéd’elle.Comment avait-il osé la toucher ?La compassion et les contacts physiques étaient de rigueur la

veille,quandilavaitrompuavecelle.Profondémentchoquée,ellel’avaitdévisagé.Toutenlatoisantà son tour, il lui avait soufflé un inaudible « ça va ? », avant de tendre la main, de la pincer denouveauetd’afficheruneminefaussementinquiète.À cet instant précis, il n’avait plus du tout le même air sur le visage. Il était livide, les yeux

écarquillés,etlamâchoirecrispée.Elleavaitdûtousserpourcaptersonattentionavantdelireàvoixhautelalettreprojetéesurl’écran,toutenexpliquantquec’étaitunfauxcourrierdestinéàillustrerlenouveaustyledesarubrique.Voirsaminestupéfaiterenforçasadétermination.Elleleméritait.Àunmomentdonné, aubeaumilieude lanuit, elle en avait concluqu’ellen’avait rien àperdre.Savieamoureuseétaitundésastre;quantàsacarrière,ehbien,rédigerlecourrierducœurnerevenaitpasvraimentàexaucersonrêvededevenirlaprochaineKateAdie,cettejournalistedehautvolqu’elleadmiraittant.Doncpeuimportait.Sielleseplantait,elleiraitseconsolerdevantlefilmMange,prie,aime.Mêmesi, vu sa chance, l’histoiredeviendraitplutôtMange,priepournepas t’empâter,aimeêtreunevieillefilleobèse.Plusmoyen de reculer à présent. Il fallait seulement qu’elle inspire profondément et qu’elle en

finisse,enespérants’ensortirindemne.—EtmaintenantjevaisvousmontrercommentcettechèreSuzierépondraàl’avenir,reprit-elleen

sepenchantpourcliqueretafficherladiapositivesuivante,sansquitterAlexdesyeux.Ellelutlalettrederéponselentement,prenantletempsdelaisserrésonnerchaquemot.

Chèreincorrigibleromantique,Vousêtesuneimbécile.Iln’enarienàfairedevous.Veillezàlireetrelirelaphraseprécédentejusqu’àcequevousycroyiez,parcequec’estlavérité.Ma boîte aux lettres est remplie demessages de femmes comme vous, quim’écrivent enquêted’espoir.L’espoirqu’ilyaitquelquechoseàfairepourtransformerleurcauchemarencontede fées,pourqu’ellespuissent vivreheureuses jusqu’à la finde leurs jours.Ehbien,écoutezunpeu.Oubliezl’espoir.

L’espoirn’estpasvotreallié.L’espoirestledémonquivousamèneraàprendredesmesuresvainesetdésespérées.Donc tournez la page. Mais pas avant d’avoir montré à cet homme qu’il ne peut paspiétiner votre cœur de la sorte. Pas avant de lui avoir enseigné que ses actes ont desconséquences.Pas avant de l’avoir fait souffrir autant que lui vous a fait souffrir. Et sivousnelefaitespaspourvous-même,alorsfaites-lepourtoutescesautresfemmes,pourluimontrerqu’ilatoutintérêtàmieuxtraiterlaprochaine.Donc,chèreincorrigibleromantique,votre lâchedecollèguedoitapprendrepasune,pasdeux,maistroisleçonsfortutiles.Leçonnuméroun:nejamais,augrandjamais,gâcherleNoëld’unefemme.

Suzielevalesyeux,soncœurtambourinanttellementdanssapoitrinequ’elles’étonnaquenulne

l’entende. Drew avait toujours les yeux écarquillés ; Gareth, Dieu merci, semblait vaguementintéressé;tandisqu’Alexlaregardaitcommesiellesortaitd’unasiledefous.Elleavaitl’impressiondevivreuneexpériencehorsdesoncorps,etd’observerquelqu’und’autre

secouvrirderidicule–oupeut-êtreprenait-ellesesdésirspourdesréalités.Elles’efforçatantbienquemald’avoirl’airconfiante,tandisqu’ellesepenchaitenavantpourappuyersurlehaut-parleurdutéléphoneposéaumilieudelatable.—Venons-enmaintenantàunexercicepratique.Ellepressalatouche«bis»etsentitlestroishommesdanslapiècesedévisagerlesunslesautres,

en pleine confusion. Le téléphone émit une tonalité, comblant le silence, jusqu’à ce qu’on entendequelqu’undécrocher.—Bonjour,Paulineàl’appareil,ditunevoixdefemme.—Bonjour,madameCollingswood,s’empressaderépondreSuzieavantqu’Alexn’aitl’occasion

d’exprimer son étonnement en constatant qu’elle appelait sa mère, au beau milieu d’une réuniond’équipe.C’estencoreSuzie,etAlexesticiavecmoi.—Bien,machère.Commentva-t-il?—Oh,ilsemontretrèsfort,madameCollingswood.—Ah,oui?Tantmieux.Jesuistellementcontentequevousm’ayezappelée,Suzie.J’yairéfléchi

toutelamatinée.Jesaisàquelpointc’estdifficiledemettrefinàunerelationamoureuse,maisc’esttellementgentildevotrepartdevousinquiéterdesavoircommentAlexvasurmonterça.—Avecdesparentstelsquevouspourl’aider,madameCollingswood,jesuiscertainequ’ils’en

sortira.—Nousavonstoujoursétélàpourlui,illesaitbien.Voulez-vousbienlemettreenlignepourque

jeluiposelaquestion?—Biensûr.Jevouslepasse,repartitSuzieenflanquantuncoupdanslescôtesàAlex.—Qu’est-cequetuesentraindefaire?luimurmura-t-il.—Contente-toidedire«bonjour»,répliqua-t-elleàvoixbasse.—Hum,bonjour,maman,dit-il,toutenlevantlesmains,aucombledelaconfusion.—Oh,Alex, je suis tellement navrée que cela n’ait pas fonctionné avec Suzie. Quand ellem’a

appeléepourm’annoncerqu’elleavaitrompu,j’aibienfaillienpleurer,sincèrement.D’autantqu’ellem’aditquetuleprenaismal,etquecequit’inquiétaitleplusétaitdepasserNoëltoutseul.Ehbien,mongrand,tun’asplusàt’enfaire.Biensûrquenousserionsenchantésdet’avoiriciavecnous.Sanscompterquetoustespetitsneveuxetniècesserontravisd’avoirleurtontonAlexpréférépourjoueraveceux,pourchanger.J’aidéjàprévenutessœurs,ettoutestréglé.UnNoëlenfamilleestpile-poil

cequ’iltefautpourcesserdebroyerdunoir.Alexétaitclouésursachaise,ouvrantetrefermantlabouchesansriendire.—Mais,maman…,finit-ilparbredouiller,levisagerougissant,toutengardantlesyeuxrivéssur

Suzie.Jecomptais…—Pasde«mais»,mongrand, tupassesNoëldans legiron familial,unpoint, c’est tout.Nous

allonstetirerdelà,ettefaireviterecouvrertabonnehumeur.Bon,jedoisyaller,parcequetonpèrem’emmèneaucentrecommercialpouravoirlemeilleurchoixenbiscuits.Jeterappelleraiplustardpoursavoirsituaseuunebonnejournée.Courage,fiston.Aurevoir.Elle raccrocha, et le silence régna quelques instants dans la pièce. Suzie n’avait pas vraiment

anticipé sur la suite des événements. Son cœur battait toujours à tout rompre,mais elle ressentaitégalementquelquechosed’autre,déclenchéparlaminechoquéeetdéconfited’Alex.Quelquechosequi ressemblait à s’yméprendreàdu triomphe,voirede l’euphorie.Toutcequ’elleavait enviedefaire,c’étaitderegarderAlexenface,etdepousserun«Hourraaaaa!»desplusjuvéniles.Ellejetaun coup d’œil àDrew. Ses sourcils étaient toujours aux abonnés absents,mais il hochait la tête etsouriaitd’unairapprobateur,toutenlançantdesregardsinquisiteursàGareth.—Continue,aboyacedernier,rompantsoudainlesilence.—Quoi?s’écriaAlex.Maiselle…—Çasuffit, l’interrompitGareth,enlevantunemainverslui.J’aiditquetupourraisprendrela

parolequandceseraitàtontour.Pourl’instant,jeveuxvoircequ’ellead’autreenstock.Continue,Suzie.—Trèsbien,répliqua-t-elle.Pas encore renvoyée, ça devait être bon signe. Elle appuya sur un bouton pour projeter la

diapositivesuivante.Leçon numéro deux : ne jamais, au grand jamais, répandre la mauvaise nouvelle par message

interposé.Elleattrapasontéléphoneportable,appuyasurquelquestouches,puislereposasurlatable,croisa

les bras, et sourit àAlex.Quelques instants plus tard, le téléphone de celui-ci émit un « bip », lefaisantsursautercommes’ils’agissaitd’unebombeàretardement.—Tunecomptespasliretonmessage?demanda-t-elle.—Commentça,maintenant?répliqua-t-il.—Toutdesuite!ordonna-t-ellespontanément.Elle ne l’avait jamais vu se méfier autant de l’appareil qui était normalement vissé soit à son

oreille,soitàsesdoigts.Illepritenmainetlaregardanerveusement,avantdebaisserlesyeuxpourlire lemessage qu’elle venait de lui envoyer.Moins d’une seconde plus tard, il laissa tomber sontéléphonecommes’ilvenaitdeluibrûlerlesmains.—Tuescinglée!hurla-t-il.Dis-luid’arrêterça!cria-t-ilàl’intentiondeGareth.Cedernierneprononçapasunmot,secontentantd’adresserunregardinquisiteuràSuzie.Ellesepenchaenavantpourafficherladiapositivesuivante.—Voici lemessagequ’Alexvientde recevoir, expliqua-t-elle àGareth etDrew tandisque trois

motss’affichaientsurl’écran.«Unnom:Bobbitt.»

C’enétaittroppourDrew.Unsonproched’uneexplosionsortitdesabouche,suivid’unetouxetd’un balbutiement, mêlés à un éclat de rire hystérique à la vue de la mine blême d’Alex. Garethparaissait confus, les regardant tour à tour d’un air hébété. Suzie s’empressa de fournir uneexplication.—Pourceuxd’entrenousquiignorentlecasdésespérédeLorenaBobbitt,jevaisdévelopper.Elleprojetaàl’écranunecoupuredepresseannonçantengrostitres:«Crimesendessousdela

ceinture:ablationpénienneetcastration.»GarethpoussaungémissementenécoutantSuzieconterl’histoire de la tristement célèbre Lorena Bobbitt, originaire de Virginie, aux États-Unis, et de saréactionextrêmefaceauxécartsdeconduitedesonépouxen1993.Interprétant le rictus qu’afficha alors Gareth comme un encouragement, Suzie décida de

poursuivre,vuqu’ellesemblaits’entireràboncompte.— Et donc, pour finir, la leçon numéro trois, annonça-t-elle, tout en projetant sa dernière

diapositive.Leçonnumérotrois:lesexeestunprivilège,pasundroit.Alex,sansvoixàprésent,lançaunregardimplorantàGareth,quis’étaitenfoncédanssonfauteuil,

tandisquesonrictuscédaitlaplaceàunlargesourire.SuziecontournalatablepoursedirigerversAlex, qui sursauta quand elle passa près de lui pour attraper unobjet sur une étagère derrière lui,recouvertpar leplusbeau torchonqu’elleavaitdanssesplacards.Elle leposadevant lui,avantdesoulever le torchon pour révéler un bloc à couteaux. Alex gémit lorsqu’elle en sortitcérémonieusementunénormecouteauàviande.Lestroishommessetaisaientàprésent,unelueurdeterreurclignotantdansleursyeux.Onaurait

ditquelapièceentièreretenaitsonsouffle,jusqu’àcequeSuziehausselesépaulesetposeunemainrassurantesurlebrasd’Alex,lefaisant,àsongrandplaisir,sursauterunenouvellefois.—Pasdepanique,jenem’enserviraipascontretoi,dit-elleenremettantlecouteauàsaplace.Alex,àboutdenerfs,s’affaissadanssonfauteuil.—Jepensequecelui-làestplusàtataille,qu’endis-tu?Ellesortitdublocunminusculeéconome,s’assuraquetoutlemondel’aitbienvu,puisleplaçasur

lebureaudevantAlex,avantderetournercalmementdel’autrecôtédelapièceetdesetournerpourfairefaceàsonpublic.—Etceci,messieurs,metfinàmaprésentation,lança-t-elle.Desquestions?Unsilencechoquéplanait.Ce fut Drew qui se leva en premier. De grands applaudissements chaleureux emplirent la salle,

tandisqu’iladressaitunsourireradieuxàSuzie.—Brillant,commenta-t-il.Toutsimplementbrillant.EtàlagrandesurprisedeSuzie,GarethselevaluiaussietsejoignitàDrewpourlaféliciter.—Pasbrillant,protesta-t-il.Dugénie.Voilàcequec’était.Dupurgénie.Regardez-le.C’estlerêve

detoutefemmebafouéed’épinglerunhommedelasorte.Alex,toujoursblanccommeunlinge,restaitassisdanssonfauteuil,lesyeuxrivéssurlecouteau.

Unegouttedesueurs’étaitforméesursonfront.Garethtapadesdeuxpoingssurlatable.— J’adore cette idée ! C’est différent, controversable, et drôle, qui plus est. Une rubrique

revancharde.C’estexactementcequ’ilnousfaut.Ils’assitbrusquement,s’efforçantdesuivrelespenséesquifusaientdanssatête.— C’est juste tellement… tellement… comment dire, Drew ? demanda-t-il tout en claquant des

doigtsdanssadirection.—Digned’untabloïde?émitDrew.—Oui,c’est ça !Digned’un tabloïde ! s’exclamaGarethense relevantpour faire le tourde la

table et prendre lesmains de Suzie. Pitié, dis-moi que tu peux faire lamême chose pour d’autresringardesquetoi?Suzie,abasourdiedesefairequalifiersimultanémentdegénieetderingardeparsonpatron,avait

l’impressiond’avoirpénétrédansununiversparallèle.Elles’attendaitplutôtàsefairevirerd’iciàlafindelajournée.—Jepeuxessayer,parvint-elleàarticuler.—LesmassesdemâlesausupplicedeManchesterteseronttoujoursredevables,annonça-t-ilsur

untonsolennel,avantdesetourneretdepointerAlexdudoigt.Quantàtoi,poursuivit-il,jeveuxunelisted’annonceurspotentielspourl’heuredudéjeuner.Appellelesgrandesenseignes.Demande-leursiçalesintéressedefaireunepromosurlescouteauxdecuisine.Illaissaunblancsuffisantpourqu’Alexdevienneencorepluslivide.—Jerigole!s’exclama-t-ilendonnantunegrandetapedansledosd’Alex,avantdeseretourner

versSuzie.Pasdecouteaux.Lesavocatsneverraientpasçad’unbonœil.—D’accord,souffla-t-elle,sedemandantquellefolieellevenaitdelancer.—Parfait, repritGareth en regardant samontre.On ajourne la séance ? J’ai des coups de fil à

passer.Rendez-vousicidansunedemi-heure.Ilsortitentrombedelapièce,laissantDrewadresserunsourireresplendissantàSuzie.Ils’avança

verselleetposalesdeuxmainssursesépaules.—Brillant,répéta-t-ilavantdetournerlestalonsetdelalaisserseuleavecAlex.—Çava?s’enquit-elle,incapabledes’enempêcher.Ilsemblaitsifaibleetsipathétique,commes’ilétaitàdeuxdoigtsdevomir.Ildétachasesyeuxdu

couteauet la regardad’une façon inédite.Elle l’observaàson tour, tentantdecomprendrecequ’ilavait derrière la tête, jusqu’à ce qu’elle prenne enfin conscience que son regard était empreintd’admiration.—Un«désolé»feral’affaire,dit-elle.—Désolé,répliqua-t-ilensemordantlalèvreetenhochantlatête.Jesuisdésolé.Elleselevalentementetsedirigeaverslui.Quelrégaldelevoirs’enfoncerdanssonfauteuil,la

peur revenant sur son visage. Elle s’interrompit un instant avant de lui pincer l’épaule, le sentantsursauterunenouvellefois.Unlargesourireauxlèvres,ellesortitdelapièce,latêtehaute.—Etdeun,plusquetrois,murmura-t-elle.

Chapitre5

—Jen’arrivepasàcroirequetun’étaisjamaisvenuavant,s’exclamaSuzie.Drewavait été on ne peut plus ravi d’accepter son invitation à l’accompagner pour un verre de

célébrationaprèsletravail,maisils’attendaitàboiretranquillementunepinte,etpasàseretrouverdanscebaranimé.Soncorpsseraiditaufuretàmesurequ’ilrelevaitdessignesdérangeants.Delamusiqueunpeutropforte.Lesond’uneguitarerythmiquequiluirappelaitd’horriblesvacancesenEspagnelorsqu’ilétaitenfant.Desobjetscurieuxunpeupartout,notammentunfauxpalmierdansuncoin,etdesinstrumentsdemusiquesuspendusauplafond.Surunmurenbrique,despostersvantaientles mérites de bières visiblement étrangères, à côté de cartes postales venues de l’autre bout dumonde. Il sursauta lorsqu’il manqua de se faire renverser par un couple en train de tourner etvirevolter, sedandinantsurcequ’il identifiaitmaintenantcommeuneminusculepistededanse.Unseulregardà l’hommeduduodedanseursconfirmasessoupçons.Lesfauxairs latinosdutype,etsonregardlubriqueversledécolletédesapartenaire,indiquaientàDrewqu’ilétaiteffectivemententerreinconnue.ÀquoipouvaitbienpenserSuzieenl’emmenantdansunbarsalsa?—Àquoi diable pensais-tu enm’entraînant ici ? demanda-t-il en s’installant lourdement sur un

tabouret de comptoir à côté d’elle. Est-ce que j’ai l’air d’être le genre d’homme qui apprécie unendroitpareil?—Oh,nesoispasaussirabat-joie,rétorqua-t-elle,enfaisantglisserunDirtyMartinijusqu’àlui.Il contempla l’espècede lavassedevant lui, dansunverredans lequel aucunhommenepourrait

boiresansrenonceràsavirilité.—Jen’aimêmepasdroitàunebière?s’enquit-il.—Non,répondit-ellesuruntonenjoué.C’estl’happyhour.Deuxpourleprixd’un.Ilsepenchaenavantetbutunegorgée,grimaçantlorsquelegoûtamerheurtalefonddesagorge.—Jenepeuxpasresterlongtemps,l’avertit-ilenregardantsamontre.Rendez-voustoutàl’heure

surlelieudumariageavecEmily.—Pas de problème, répondit Suzie, rayonnante, encore regonflée par sa vengeance. Je voulais

justem’assurerquetusavaisàquelpointjetesuisreconnaissante,c’esttout.—Pourquoi?Ilpritunenouvellegorgéehésitante.—Pourm’avoirditdemeretournercontreAlex,expliqua-t-elle.Enfait,mêmeplusqueça.Pour

m’avoirditquej’étaiscapabledemeretournercontreAlex.—J’aifaitça?—Oui,tul’asfait.Hier.Tuasdit:«Jesaisquetupeuxlefaire.»Çam’avraimentinspirée.—Soit,commentaDrew,quelquepeudérouté.—Et,repritSuzieavantd’avalerunegranderasade,jevoulaisteremercierd’avoirsoulignélefait

quetousmesamoureuxpassésétaientenfaitdestocards.DrewimitalabonnelampéedeSuzieavantdetenteruneréponse.—Toujoursprêtàrendreservice,dit-ilenlevantsonverrepourtrinqueravecelle.Monradarà

tocardsresteàtonentièredisposition.—Marrantque tuenparles, ajouta-t-elleenvidant sonverreet en faisant signeaubarmand’en

remettredeuxautres.Visiblementaucombledel’excitation,ellesetournaversDrewetl’empoignaparlebras.—Ilsepourraitjustementquej’aiebesoindecettecompétence.—Tuasdéjàunnouveaumec?s’exclama-t-il.Bonsang,Suzie,tuneperdspasdetemps.Tum’as

faitvenir icipourque je tedonnemonavissur lui?Pitié,dis-moiquecen’estpas le typebourréjustelà,quidanseavecunpalmier?—Non,biensûrquenon,laisse-moiquandmêmelebénéficedudoute.Cequejevoulaisdire,c’est

qu’ilsepourraitquej’aiebesoindetonaidepourretrouvermesextocards.—Pourquoi?s’enquit-il,méfiant.—Parceque, répondit-elleen luipinçant lebrassous lecoupde l’exaltation, jevaismevenger

d’euxaussi.Il ladévisagea,pascertaind’avoirbienentendu.Peut-êtrequeleseauxtroublesduDirtyMartini

pourraient l’aider àyvoirplusclair. Il termina sonpremierverreetpritunegénéreuse rasadedusecond.—Est-cequetuviensdedirequetucomptaistraquertesex-petitsamisetprendretarevanche?—Absolument.—Pourquoi?Ellerelâchasonbrasetledévisageasiintensémentqu’ilcrutqu’elleallaitprendrefeu.— Parce que ça fait un bien fou de finir par gagner, pour la première fois dema vie entière.

Regarde-moi!s’exclama-t-elle,ensecouantlesmainsautourdesatête.Jenagedanslebonheuretjeviensjustedemefairelarguer.Cen’estpasmoi,l’épavequipleurnichesursonsort,maisAlex.C’estpasgénial?—Ehbien,si,consentitDrew.Mais…—Imagine unpeu, l’interrompit Suzie, si tu pouvais remonter le temps et faire lamême chose

avec toutes celles qui t’ont fait souffrir. Être en mesure de regarder en arrière, sans regrets niamertume,maisavecuneprofondefiertéàl’idéequecesrelationssesoientterminéescommetul’asdécidé. En sachant que ces personnes ont parfaitement compris à quel point elles se sont malcomportées.Enayant,toi,lederniermot.LesDirtyMartinin’aidaientpasDrewàavoirlesidéesclaires.Ilsesentaitmêmetrèsconfus.Ilprit

uneautrebonnelampée.—Tuasvraimentenviededéterrerlepassé?—Non,rectifia-t-elle,seulementdeleréécrire.—Jenesuispascertaindevraimentcomprendre,admit-il.—Évidemmentque tunecomprendspas ! s’écria-t-elle, le sondesavoixexprimantune légère

frustration.Parcequeçanet’estjamaisarrivé,pasvrai?Laplupartdesgensnormalementconstituésécumentmoult relations toxiques avant de rencontrer le bon partenaire – en dehors de toi, qui estombé sur labonnepiocheàpeine sortides langes.Bien sûrque tunecomprendspas,vuque toncœuraétéépargnédetoutedéceptionamoureuse.Tuterendscompteàquelpointc’estrare?Drewécoutaitd’uneoreilledistraite.Ilessayaitdedéterminersic’étaitluioulapiècequibougeait.

Ilsentaitunvaguemouvementchaloupéquiluidonnaitlégèrementlanausée.—Àcepropos,poursuivitSuzie,sais-tuàquelpointtuesrare–unhommequinepassepasson

tempsàsautersurtoutcequibouge?Enfinuneremarquesurlaquelleilavaituncommentaireàfaire.—J’aitoujoursrefusédedansersurlamusiquedesboysbands,déclara-t-ilsuruntonferme.—Qu’est-cequeturacontes?

—Mescopainsontdûseridiculiserendansantsurlestubesdesboysbands,justepours’envoyerenl’air.Impossiblequelejeuenvaillelachandelle,ajouta-t-il,ensecouantlatêted’unairsolennel.—Dugrandgénie!s’exclamaSuzie.LegroupeTakeThatt’afaitjurerfidélité.— Oui, confirma Drew. Ça, et les prémixs. Je les ai tous vus en acheter des quantités

astronomiques.Quellehonte.— Drew, tu es une légende, reprit Suzie en lui donnant une tape dans le dos. Je suis certaine

qu’Emilyseraitenchantéed’apprendrequel’amourquetuluiportesdepuistoutescesannéesnetientqu’àdelamusiquemièvreetàdesboissonsalcooliséesrosefluo.Ellebranditsonverreetlegardaenl’air,forçantDrewàleverlesienpourporteruntoast.—Àtoi.L’expertenamour,scanda-t-elle.—Sipeu,répliqua-t-il.Tintementdeverres,suivid’uneultimerasade,etd’unedemandedepause-pipi.—Jevaispisser,annonça-t-il,englissantdesonsiègeavantdetraverserlapistededansed’unpas

incertainpourrejoindrelestoilettesdeshommes.Tandisqu’ilseséchaitlesmains,iljetauncoupd’œilàsamontre.—Flûte!Il allait être en retard à son rendez-vous avec Emily, et arriver à moitié ivre qui plus est. Il

retraversalapistededanseàgrandspas,essayantd’esquiverlacohuedepiètresdanseursenivrésparleurapéritifdefindejournée.Aumomentoùilpensaitavoirréussi,ilsentitquelqu’unluiprendrelamainetletirerenarrière.—Cen’estpasdelamusiquedeboysband,entendit-ilSuzieluicrierdansl’oreille,tandisqu’ilsse

retrouvaient vite encerclés par une foule de danseurs.C’est plus fort que toi, cettemusique donneenviededanser.Ilremarquasonvisageenthousiasteetsutqu’ildevaitladécevoir.—Jenedansepas,hurla-t-il.—Biensûrquesi, rétorqua-t-elle,hilare,en luiprenant lesmainspour lesfairegigoterdehaut

enbas.—Non,répliqua-t-ilensecouantlatête.—Emilys’enfichera.—Nousnedansonspas,insista-t-il.—Commentça,jamais?—Non.—Ilesttempsd’apprendre,trancha-t-elleenluitirantlesbrasdefaçonquesespiedssedécollent

dusol.IlobservaSuzietournerdanstouslessensdevantlui,gloussantcommeuneécolière.Ensoupirant,

iltentaundéhanchépeuenthousiaste,qui,àsagrandesurprise,sechangeaenunmouvementdesoncorpsentier:telétaitlepouvoirdelamusiquequitambourinaitàprésent,etdelatonnedelubrifianttoxiquequ’ilavaitingéré.Folle de joie, Suzie applaudit en voyantDrew succomber à lamusique.Elle lui prit lamain, la

secouantd’avantenarrièrecommes’ilsétaientdesenfantsdanslacourdel’école.Ellebalançalatêteenarrièreetéclatade rire,commesielleétaitaucombledubonheur.Soneuphorieétait tellementcontagieusequeDrewneputréprimerunsourire.Suzies’appuyacontreluietluicriadansl’oreille:—JenecessedepenseràAlex,assisbêtement,visiblementterroriséparunéconome.Drewne pouvait résister face à tant d’enthousiasme.Enun rien de temps, ils s’étreignaient l’un

l’autre, pliés en deux en revivant l’événement principal de la journée par-dessus le tapage de la

musique.IlsfinirentparsecalmeretSuzietoussaententantdesereprendre.—Jen’avaispasriautantdepuisdeslustres,dit-elle.—Moinonplus,avoua-t-il.Fautquej’yaillemaintenant.—Jesais.Merci,Drew.Vraiment.Cettejournéeneseraitjamaisarrivéesanstoi.—Foutaises.J’aitoujourssuquemenacerdecouperlepénisd’unhommefaisaitpartiedetoi.Ellesourit.—Allez,file.SalueEmilydemapart.—Jen’ymanqueraipas.Il lapritmaladroitementdanssesbrasavantdese retourneretde la laisser seulesur lapistede

danse.

Chapitre6

Quandilparvintenfinàsehisserdansuntaxi,Drews’imaginaitdéjàEmily,debout,dansl’entréedu manoir Ripton. La lumière qui irradiait du couloir derrière elle semblait chaleureuse etaccueillante ; la posture d’Emily, en revanche, était tout à fait glaciale. Chancelant, il manqua detomberensortantdu taxi.Enfouissantà lahâteunbilletchiffonnédans lamainduchauffeur, il setournaettentademonterladizainedemarchesenpierreavec,ill’espérait,unedémarchesobre.Uneimposantehorlogeanciennesonna19heuresaumomentoùilatteignaitlamajestueuseentrée

dumanoir.Emilys’étaitvue remplacéeparToby, le témoindeDrew,qui lenarguaitd’un fou rirehystérique.—Tun’asmêmepasidéedupétrindanslequeltut’esfourré,lançaToby,presquepliéendeuxde

rire.—OùestpasséeEmily?s’enquitDrew,toutenbataillantpourôtersonmanteau.—PartieinformerBonnetblancetBlancBonnetquetuasfinipartepointer.Bonsang,jesuisbien

contentd’êtrevenumaintenant.Tevoirtomberdetonpiédestalestmonambitiondepuistoujours.—Merci,marmonnaDrew,enposantsonmanteausurunfauteuild’époque.Ilsavaitqu’ildevaitreprendresesesprits,ouTobyallaits’endonneràcœurjoie.— Inutile de bougonner.C’est plutôt sympaque ce ne soit pasmoi qui foire tout pour changer.

Bref,oùétais-tu?C’estpastongenred’êtreenretard.—J’étaisjustepartiboireunverreavecSuzie.Tutesouviensd’elle?Elleestvenueànotresoirée

defiançailles.—Effectivement,jem’ensouviens.—Enfin,c’estunelonguehistoire,maiselleavaitquelquechoseàfêter,doncnoussommesallés

danscenouveaubarsalsa.Jesupposequej’aibuunverredetropetquej’aiperdulanotiondutemps.—Oh,bonsang,demieuxenmieux,commentaToby,aucombledel’excitation,lesyeuxrivéssur

Drew.Tuesenretardparcequetuprenaisunverreavecuneautrefemme.NomdeDieu,Drew,c’estgénial!Ilsepourraitbienquecesoitlaplusbellesoiréedemavie.Pourlapremièrefois,Drewpritconsciencedecedontlasituationavaitl’air.—Oh,bonsang.Qu’est-cequejevaisdireàEmily?—Contente-toidementir,monpote,c’estfacile.Unecriseauboulot,ouautre,etvoilàletravail.

C’estcequejedistoutletemps.—Horsdequestionque jemente, rétorquaDrew.D’autantque,quoiqu’ilensoit, jen’ai rienà

cacher.Tobyledévisageaunmoment.— Si c’est ce que tu crois, mon pote, alors très bien. Et si on allait vérifier cette affirmation

ridicule?Tobyleconduisitdansunemajestueusesalledebal,luxueusementdécorée.—Ilestlà,annonçaToby.Pasdepanique.Ilajusteétéretenuparcequ’ilbuvaitunverreavecune

collègue,dansunbaroùvontlesgensaprèsletravailpourprendreunecuiteetsepelotersurlapistededanse.Uncridesurprisesefitentendredansl’assemblée.Unhommevêtud’uncostumebleumarineet

portant unbadgedoré, se présentant commeLuke, le directeur adjoint, plaqua lesmainsdevant sabouche,visiblementhorrifié.Une jeune femme,habilléed’ununiformeen toutpoint semblable, ets’autoproclamantcommeTammy,lacoordinatricedemariage,devintécarlateetenlaissaéchappersonbloc-notes.Toby,auxanges,sefrottaitlesmains,tandisquel’assembléeretenaitsonsouffleenguettantlaréponsed’Emily.—Suzie?interrogea-t-ellesuruntoncalme.Seuls ses sourcils quelque peu froncés et un léger tapotement des doigts de sa main gauche

trahissaientunequelconqueréaction.—Comment as-tu deviné ? demandaDrew en s’approchant pour l’embrasser sur la joue. Tu te

souviens,jet’aidithierqu’elleetAlexavaientrompu?Ehbien,noussommesallésprendreunverreen vitesse pour célébrer le fait qu’elle lui a rendu lamonnaie de sa pièce en lemenaçant avec uncouteauaujourd’hui.L’assistanceémitunnouveaupetitcri.—C’estunelonguehistoire,s’empressa-t-ild’ajouterauduoencostumebleumarine.Cen’estpas

dutoutcedontçaal’air.—Tun’aurasqu’ànouslaraconterplustard,repritEmilyensortantundossierbleufoncédesa

mallette.Enattendant,onpeutenrevenirànosmoutons?Drewsoupiradesoulagement.Dieubénisse le tempérament imperturbabled’Emily. Il adressaun

souriresuffisantàunTobyvisiblementdéçu.— Si je me ramenais avec une explication pareille, Chloe se ferait mes roubignoles au petit

déjeuner,jetelegarantis,marmonna-t-il.—Toby, intervintEmily, avant de se pencher en avant et demarquer unepause, le sommant en

silencedebienécoutercequ’elles’apprêtaitàdire.C’estparcequetun’esabsolumentpasfiable,nidignedeconfiance.Drewpeutallerboireunverreavecquibonluisemble.Nousn’aurionsjamaispassétantdetempsensemble,sansêtrecertainsquenouspouvonsavoiruneconfianceabsoluel’unenl’autre.Drewfitunpasenavantet serravigoureusement lamaindeTammy,enchantédevoir la soirée

s’éloignerdelazonedeconflit.—Salut,jesuisDrew.—VoiciTammy,notrecoordinatricedemariage,repritEmily.EtvoiciLuke,ledirecteuradjoint.«Jolisbadges»futlaseulephrasequeDrewtrouvaàdire.Deuxvisagesinterloquésletoisaienten

silence.—Désolédevousavoirfaitattendre,etjevousprieaussidem’excuserpourcequ’aracontéToby,

ainsiquepourtoutecettehistoiredecouteaux.—Inutiledes’appesantirsurlesujet,intervintEmilyenlevantlamain.Samâchoiresecrispalégèrement.Elleouvritledossierbleuetensortitunefeuilledepapier.—Bon,lebutdecetteréunionestdebouclertoutcequitoucheaudivertissement.Puis-jesuggérer,

Toby,quetunousexposestoutestesexigences?—Biensûr.L’intéressé fit demi-tour et traversa lapistededansepour se tenirdans le coinopposé, lesbras

tendus,telungymnastes’apprêtantàexécuterunenchaînementausol.—C’esticiquelamagievaopérer,déclara-t-il,baissantlesbrasdansungestegrandiloquent.—J’aidumalàqualifierdemagiquelefaitd’écouterquelquesalbums,fitremarquerDrew.—Drew, commentoses-tu considérermonmétier avecun telmépris, protestaToby. Je joueun

rôlecrucialdanslesuccèsdetoutecetteaffaire.JenemeconsidèrepastellementcommeunDJ,mais

plutôtcommeunmagiciendemomentsdebonheur.—Plutôtunanimateurradioraté,rétorquaDrew,peucharitable,enchantéderendrelamonnaiede

sapièceàTobypourlerôlequ’ilavaitjouédanslemauvaisdépartdecetteréunion.Tobyavait récemmentmonté sonaffairededisc-jockey, après s’être faitvirerde sonposte à la

radioparcequ’ilparlaittrop.—Etpasdebla-blaentrelesalbums,ajoutaDrew.Ilsepourraitquecertainsaientréellementenvie

dedanser,tusais,etpasd’écoutertesbêtises.—Jevousaiplanifiéunejournéeentièredemusique,rétorquaTobyenretraversantàgrandspas

lapistededanse.J’aimêmeapportémapropresonopourvousprésentermeschoixd’animationpourlegrandjour.IlsortituniPhonedesapocheetleurfitsignedevenirserassemblerautour.Emilyraturaquelquechosedanssondossier.—Nousvoulonsjusteunbonmélangedemusiquesquisatisferatouteslesgénérations,Toby.—Je t’arrête tout de suite, répliquaToby, visiblement atterré. Il s’agit de la bande-sonde votre

mariage.Vousvous en souviendrezpour le restantdevos jours.C’est crucialqu’elle soit le refletexactdevospersonnalités.C’estuneimmenseresponsabilité,quejeprendstrèsausérieux.—C’estunepremière,marmonnaDrew.—Puis-jepoursuivre?demandaToby.Outucomptescontinueràmechambrer?—Écoutons-ledanscecas,ditEmilysansleverlesyeuxdesondossier.— Bien, commenta Toby en pressant quelques touches sur son téléphone. Commençons par

l’arrivéed’Emilyàlacérémonie.Ilprenaitvraimentleschosesàcœur.Drewétaitstupéfait.Ils’attendaitàpeineàquelqueschansons

aprèsledîner,pasàtoutcetintouin.— Imaginez un peu, poursuivit Toby, en regardant Tammy droit dans les yeux, les immenses

portesenchêneentraindes’ouvrirsurlamariéerougissante,danstoutesasplendeur,àcôtédesonpère,fiercommeunpape.Tammyluirenditsonregard,unelarmepointantaucoindesyeux.—Etquoidemieuxqued’admirercesdeux-làenécoutantlesaccordsdececlassiqueabsolu?Délicatement,Tobyappuyasurl’écrandutéléphone,etuntapagetoutbonnementignobleretentit.«Amène ta filleà l’abattoir !»braillaient lesmembresd’IronMaiden, tandisque tout lemonde

rivait des yeux abasourdis sur Toby. Ce dernier, un petit sourire satisfait aux lèvres, appuya denouveausurl’écran,etlethèmedufilmLesDentsdelamerrésonnadanstoutesagloire.—Etensuite,lamariéeremontel’alléeverssonfuturépouximpatient,poursuivit-ilpar-dessusla

musique.Etilssetiennentcôteàcôte,s’apprêtantàêtreunispourl’éternitéenparfaiteharmonie.Àprésent,PoliceentonnaitDon’tStandsoClosetoMe.TammydévisageaittouràtourToby,Drew

etEmily,sansmotdire.Tobyétaittellementcontentdeluiqu’ilsemblaitsurlepointd’éclaterderire,tandisqueDrewluttaitdetoutessesforcespourréprimerunsourire.Emilyavaitrefermésondossieretlesbrascroisés,arboraituneexpressionrésignée.—Tuasfini?demanda-t-ellepatiemment.—Oh,non,réponditToby.Nousn’ensommesmêmepasencoreàlaréception.Voilàceàquoije

pensaispourlevind’honneur.—Nousavonsengagéuneharpiste,l’interrompitEmily.—Uneharpiste?s’exclamaToby.—Oui,uneharpiste,insista-t-elleavecfermeté.—Jesupposequevousnevoudrezpasdecelle-ci,danscecas.

IlmitIPredictaRiot,desKaiserChiefs.—Non.—Jevois,dit-ilenéteignantlamusique.Etd’oùvient-elle,cettefameuseharpiste?—DupaysdeGalles.—Tul’asrencontrée?interrogea-t-ilDrew.—Non.—Elleestdouée?demanda-t-ilàEmily.—Tuen as terminé avec cettehistoire ? s’impatienta-t-elle. Il faut que tuparlesde tonmatériel

aveccemonsieur.Elleluiindiqualegérant,quiparaissaitperplexe.—Jepréféreraisenparleràlaharpiste,répliquaTobyenjetantunregarddédaigneuxaugérant.—Toby!s’écriaEmily,ayantvisiblementtolérésonmanègetroplongtemps.—Allez,unepetitedernière,plaida-t-il.J’aivraimenttapédanslemillepourlesdiscours,promis.

Vousallezadorer.Iltapotasursontéléphoneavantdeleverlesyeuxenaffichantungrandsourireeffronté.— J’ai entendu dire que tu serais la première à te lancer, Emily, donc j’ai pensé que ce serait

parfait.LikeavirgindeMadonnarésonnaalorsdanslapièce.—Eten tantque témoin, j’avaisbesoindequelquechosequi traduise réellementmespenséeset

mesémotionsdurantcegrandjour,doncvoilà.« Je veux embrasser lamariée », entonnait Elton John, suscitant un sourire sur les lèvres fines

d’Emily.—Ensuite,pourmonmeilleurami,Drew,pour l’aideràendurer lapartie laplusdifficiledesa

journée,continuaToby,jesuisalléversquelquechosequitirevraimentsursescordessensibles.LetitreHeavenKnowsI’mMiserableNowdesSmithseffaçaimmédiatementsonsourireduvisage

d’Emily.—Etenfin,passonsàcettepremièredansed’uneimportancecapitale,lachansonquidéfiniravotre

couple auprès de votre famille et de vos amis pour le reste de vos jours. La chanson que tout lemonderegretteradenepasavoirchoisiecommepremièredanseàsonmariage.Lavoici.Veuillezvousrendresurlapiste,monsieuretmadameCarter!I Don’t Feel Like Dancing fut le morceau que Toby avait jugé approprié pour leur entrée en

musiquedanslavieconjugale.—Pourquoivousmeregardezcommeça?demanda-t-il, feignantd’êtreoffensépar lesregards

noirsqueluiadressaientEmilyetDrew.J’auraispuopterpourcelle-ci.LesonenjouédesScissorSistersfutremplacéparceluidesDivinylsinterprétantITouchMyself.—Ouencorecelle-ci.Les voixmélancoliques des 10cc emplirent la salle. Lesmots « Je ne suis pas amoureux » les

enveloppèrent, transportantDrew dans un lieu qu’il fréquentait généralement à 3 heures dumatin,quand il se réveillait parfois, sujet à des sueurs froides. Il fut ramené dans la pièce quand Tobyl’entraîna sur la piste de danse et le fit tourner, encore et encore. Les cocktails se mettant àbouillonnerenlui,Drewcommençaàsesentirnauséeuxetdésorienté.—«Jenesuispasamoureux»,entonnaitTobyjustesoussonnez,jusqu’àcequeDrewnepuisse

pluslesupporter.—Éteins-moiça!hurla-t-il.Ilsepritlatêtedanslesmains,espérantainsiquelasallecesseraitdetournerautourdelui.

—Hé,calme-toi,répliquaToby.C’étaitjusteuneblague,monpote.Tumeconnais.J’aicruquetutrouveraisçadrôle.Detouteévidence,jesuisallétroploin.Ilenfouitsontéléphonedanssapocheetlatapotad’unairprotecteur.Drewétaitincapabledeparler.Ils’aperçutaussiqu’iltremblait.—Écoute,jetedonneraiuneliste,intervintEmily,toutenouvrantsonfichierpourynoterquelque

chose. De chansons que nous estimons appropriées. Oh, et pas de première danse, n’est-ce pas,Drew ? ajouta-t-elle en lançant à celui-ci un regard de compréhension mutuelle. Aucun de nousn’aimedanser.Drewserevitsoudainaudébutdelasoirée,entraindesetortillercommeunbeaudiable,agitépar

unrirehystérique.—Non,aucund’entrenousn’aimedanser,insista-t-il.

Chapitre7

ChèreSuzie,J’ai seizeans etmonpetit ami veutqu’on couche ensemble, vendredi dansquinze jours.Nous allons à une fête et aucun des parents ne sera présent, donc les garçons se sontpartagédescréneauxd’unedemi-heurepourutiliserunedeschambres.Monpetitamiveutsavoirsijecomptecoucheraveclui,sinonils’adresseraàquelqu’und’autre,histoiredenepasgâchersoncréneau.Jeveuxquemapremièrefoissoitparfaiteetj’aipeurqu’unedemi-heurenesuffisepas.Devrais-jeluidemanderderéserverdeuxcréneaux?

Aidez-moi,s’ilvousplaît.Sophie

ChèreSophie,Si ça prend plus d’une demi-heure, alors envoyez-moi le numéro de votre petit ami ! Jeplaisante.Plussérieusement,j’aiunconseilextrêmementimportantàvousdonner.Necouchezpasaveclui,vousn’yprendrezaucunplaisir.Coucheravecungarçondeseizeansn’estenaucuncasunebonnechose.Souvenez-vous,ilest impossible qu’il ait beaucoup d’expérience, s’il en a, d’ailleurs. Réfléchissez.Monteriez-vous en voiture avec lui la première fois qu’il conduit ? Non. Il aurait deuxmainsgauches,enchaîneraitlesdémarragesetlescalages,incapablededéterminerquelsboutons ou leviers actionner ; tous ces éléments ne pouvant donner lieu qu’à une viréeextrêmementinconfortable.Etn’espérezpasmieuxsivouscédezàsesavances.Maintenantpassonsauproblèmeessentiel–cepartagedecréneauxhoraires,etsamenacede demander à une autre. Réveillez-vous, Sophie. Ce comportement est inacceptable, etvousvous laissez toutesabuserparcesgarçons.Dites-luiquevouscoucherezavecluietqu’il devrait réserver deux créneaux, parce que vous êtes convaincue qu’il va êtreépoustouflantau lit.Unefoisdans lachambre,expliquez-luiquevousdésirezardemmentsoncorpsdepuisdeslustres,etquevousvoulezlevoirnuimmédiatement.Dèsqu’ilseseradéshabillé,éclatezd’unrirehystériqueetfilezdanslacuisine,oùvousaurezprissoindelaisseruntableauprêtàl’emploi,attendantquevousyconsignieztouteslatailleridiculedespénisdevospetitsamis.

Bonnechance,Suzie

—Pourquoi?s’écriaJackie,aprèsavoirluladernièrelettredeSuzie.Pourquoitun’étaispasdans

lecoinquandj’étaisadolescente?C’estprécisémentcequej’avaisbesoind’entendre.Situavaisétélà, je neme serais peut-être pas retrouvée en cloque à dix-huit ans, et je n’aurais pas épousé cetteorduredeCarl.

—J’étaisdanslecoin,fitremarquerSuzie.Onestmeilleuresamiesdepuisnoscinqans.—Alorspourquoinem’avoir jamaisparlécommeçaà l’époque?demandaJackie,visiblement

outrée.Regarde-moi.Jesuisdansleslangesjusqu’aucou.Situavaisfaitpreuved’unetellesagesseàl’époque,mavieauraitprisunetournurecomplètementdifférente.Suzie,assiseàlatabledelacuisinedeJackie,baissalesyeuxsurTroy,quisautillaitjoyeusement

sursesgenoux.EllesavaitqueJackienelepensaitpasréellement,mêmesielleinsistaitlourdementsurlefaitqueTroyresteraitledernierdesesquatreenfants.Lebébé«prévasectomie»,commeelleseplaisaitàl’appeler.Elleavaitaussieusonbébé«grossesseadolescenteimprévue»(Jamie),etsonbébé«prétendonsqueJamien’étaitpasuneerreur»(Cara).LesdeuxétaientdeCarl,sonamourdejeunessequi,aprèsdixansdeviecommune,futrattrapéparunproblèmechroniquedenostalgiepourson adolescence, et s’était barré avecune lycéennededix-sept ans. Il avait fallu deux ans à Jackiepours’enremettreettrouverDave,rencontrequiavaitdonnénaissanceàsonbébé«onestdinguesd’en repasser par là », Lenny, et enfin à Troy, dont l’anniversaire resterait toujours dans lesmémoirescommelaveilledujouroùsonpères’étaitfaitémasculer.—Àl’époque,jenesavaispasencorecequejesaismaintenant,si?rétorquaSuzie.Jackiehésitaunmoment, plongéedans sespensées, comme si elleprojetait sonesprit dans leur

jeunesse.—Tuasraison.T’yconnaissaisrien.—Jen’étaispassinulle.—Suzie,répliquaJackie,enposantlesmainssurseshanches,ChristianSleafordt’aracontéquele

Spritepouvaittuerlespermeetquetudevraisenboireaprèsl’amour,ettul’ascru.—Absolumentpas!—Si.Tum’asmêmedit…Jackies’interrompitetéclataderire,allantmêmejusqu’àêtreagitéedesoubresauts.—Bonsang,çame fait encore rireaujourd’hui, reprit-elleense redressantpour reprendre son

souffle.Jetejure,Suzie,tum’asditquec’étaitdommagequecenesoitpaslecasduFanta,parcequetun’aimaispaslegoûtduSprite.Suziepiquaunfard.Parfois,avoiruneamiequiconnaissaitabsolumenttoutsursoiétaitàdouble

tranchant.—Tout ce que je peux en dire, Jackie, c’est que visiblement, j’étais bien plus douée que toi en

matièredecontraception,rétorqua-t-elle.JackietenditlesbraspoursoulagerSuziedeTroy,ets’assitpourluidonnerlebiberon.—C’estdebonneguerre,Suze,admit-elle,enembrassantsonfilssurlesommetdelatête.Tum’as

eue sur ce coup-là. Cela dit, c’est vraiment bien, ajouta-t-elle en rendant à son amie la lettre del’adolescenteaucœurbrisé.Quandjerepenseàtouteslessituationsdébilesdanslesquellesjemesuisfourréeadolescente,parcequejen’yconnaissaisrien…Ellesecoualatêteenaffichantunemineconsternée.—Sansparlerdessituationsdanslesquellesnousavonslaissédesgarçonsnousfourrer.—Toutàfait.—Bon,tuvasm’aideràleretrouveralors?demandaSuzie.—Qui?—PatrickConnolly.Jackiepritunairatterré.—Tuveuxdiretonpremiergrandamour?—Oui,monpremiergrandamour,celuiquim’aaussibrisélecœur,situtesouviensbien,reprit

Suzie,sesentantrougirunenouvellefois.—Jenerisquepasdel’oublier,acquiesçaJackie.Tuétaistellementmalquetut’estournéeversla

bouteille.Tunousasforcéesàmonterd’uncran,etàpasserduCinzanoauMartiniblanc.—SeulementparcequeleCinzanomefaisaittroppenseràlui.Jenesupportaismêmeplusl’odeur,

protestaSuzie.—Mais j’adorais le Cinzano,moi, déclara Jackie. LeMartini blancmemontait à la tête etme

donnaitletournis.Ellessetoisèrentduregardensilence,jusqu’àcequeJackiereprennelaparole:— Jamais, au grand jamais, tu ne dois répéter à Dave que cesmots sont sortis dema bouche,

implora-t-elle.—Qu’est-cequej’ygagne?interrogeaSuzie.—Cequetuveux.Àtoidevoir.Undiscourspareilseraitsûrementmotifdedivorce,s’ilenavait

vent.—Ehbien,aide-moiàretrouverPatrick,etpeut-êtremêmequej’oublieraiquecetteconversationa

eulieu,rétorquaSuzie.—Bonsang,pourquoiveux-turevoircetteraclureaprèstoutcetemps?—Parcequec’estàsontour.Jevaismevengerdeluipourm’avoirbrisélecœur.—Commentça,commetul’asfaitavecAlex?l’interrogeaJackie,lesyeuxécarquillés.—ExactementcommeavecAlex,réponditcalmementSuzie.Jackieobservasonamieavantdeluirendresonverdict.—Bon,tantmieuxpourtoi,dit-elleenlagratifiantd’unetapedansledos.—J’enaiassezderegarderdanslepassé,etdemevoiràlamercid’unPierre,d’unPaul,oud’un

Jacquesquiasuenprofiter,renchéritSuzied’untonferme.Ilesttempsderéécrirel’histoire.—Waouh ! s’exclama Jackie. Je veuxbienprendre lamêmecameque toi.Tu as l’air tellement

déterminée.—Jeleserai,situarrivesàtrouverquiquecesoitquipourraitencoreêtreencontactavecPatrick.—Oh,ben,facile.Moi.—Quoi?—OnestamissurFacebook.—Commentçasefait?—Ehbien,ilm’aenvoyéunedemanded’ajout.—Ettuasaccepté?—Biensûr.Pourquoipas?—Pourquoipas?s’indignaSuzie.Ilabrisélecœurdetameilleureamie,voilàpourquoi!—J’enconclusquetun’aspasreçud’invitation?demandaJackie,lessourcilsfroncés.—Non,eneffet,réponditSuzie,bienconscientequesonchagrinàcesujetselisaitsursonvisage.—Peut-êtrequ’elles’estperdue,avançaJackie.—Trèsdrôle,rétorquaSuzie.Commentva-t-il?s’enquit-elle,incapabledes’enempêcher.—Ehbien,allonsjeteruncoupd’œil,qu’est-cequet’endis?Viensdansmonbureau.Tenant toujoursTroydanssesbras, Jackiesedirigeavers lecomptoirde lacuisineetouvritun

ordinateurportable.HappéesparunefouilleminutieusedesmoindresrecoinsduprofilFacebookdePatrick,ellesne

remarquèrentpasDave,lemarideJackie,entrerdanslacuisine.—Qu’est-cequevousêtesentraindefaire?gronda-t-ilderrièreelles,lorsqu’ilrivalesyeuxsur

unephotodePatrick en traindeprendre lapoitrined’une femmeàpleinesmains aumilieud’une

boîtedenuit,pourl’enterrementdeviedegarçond’uncopainàTenerife.—Oh,bonjour,monamour,répliquaJackiesansquitterl’écranduregard.C’estPatrick,ajouta-t-

elleenpointantdudoigtunvisagerougedébordantd’uneénormepairedeseins.SuzievaaccomplirsaprochainemissionBobbittsurlui.—C’est quoi, unemissionBobbitt,maman?demandaLenny, apparaissant soudain à côtéde sa

mère.Jepeuxavoirungâteau?JackiebaissalesyeuxsurLenny,réfléchissantàsaréponse.—Bobbittétait lenomd’unedamequiacoupélezizidesonmariparcequ’ilavaitfaitquelque

chosedetrèsmal,répondit-elle.Tucomprends?—Mesdames!s’exclamaunDaveoutré,toutencouvrantlesoreillesdeLenny.Quesepasse-t-il

ici?—Tusaisquejesuiscontrelefaitdementirauxenfants,plaidaJackie.Daverestasansvoix,dévisageant tourà tourSuzieet Jackie, tandisque lesoreillesdeLennyse

nappaient peu à peu d’une couche de poussière de ciment, rapportée d’un chantier quelconque oùtravaillaitDave.Ilsupportaitsonmétierdemaçon,nonparamourdel’architecture,maispourpayerlesfacturesets’investirdanssavéritablevocation:guitaristesoloetchoristelégèrementdissonant,dansungroupemontéenhommageàDeepPurpleetbaptisé,àjustetitre,«CheapPurple».SonregardfinitparseposersurSuziepourréclameruneexplication.—Cen’étaitpasexactementunemissionBobbitt,sejustifiacettedernière.—Dequoituparles?s’enquitDave.—Suzies’estfaitplaquerparAlex,etelles’estvengéeenlemenaçantdeluifairelecoup,rectifia

Jackie.—Bonsang,Suzie!s’exclamaDave.Etmoiquit’aitoujoursconsidéréecommelaplussageetla

plusadorabledesamiesdemafemme.—Tul’astraitéedevieillefillehystériquel’autrejour,s’écriaJackieenseretournantpouraller

remplirlelave-vaisselle,toutenfaisantvoltigerTroy.SuziejetaunregardaccusateuràDave.—SeulementquandtupleuraisautéléphoneparcequetuvenaisdedécouvrirqueBenFogleétait

marié,expliqua-t-il.— Ouais, eh ben, je viens de tourner une nouvelle page, rétorqua-t-elle, tout en enregistrant

soigneusement les mots « hystérique » et « vieille fille » dans la partie la moins assurée de soncerveau.J’enaiassezdeshommesmaintenant.Àvraidire,j’enaitellementmarrequej’aitransformémarubriquedeconseilsenrubriquedevengeance,etquejetraquemesex-petitsamisquim’ontbrisélecœurpourleurrendrelamonnaiedeleurpièce.—N’est-cepasfantastique!s’écriaJackie.Daven’encroyaittoujourspassesoreilles.— Et c’est un de ces pauvres bougres, n’est-ce pas ? demanda-t-il enmontrant l’ordinateur du

doigt.—Oui,Patrickétaitmontoutpremierpetitamiquandj’avaisquinzeans.—Quinzeans!s’exclamaDave,lavoixmontantdanslesaigus.Tuvasallerretrouveruntypeavec

quitun’espassortiedepuisvingtans,etmenacerdeluicouperla…?Ils’interrompitetpoussaLennyderrièreluipourleprotéger.—Non,jenevaispasm’yprendredenouveaucommeça.C’estdudéjà-vumaintenant,répondit

Suzie.—«Dudéjà-vu»,bafouillaDave.Qu’enest-ildufaitqueturisquesdepasserpourunecingléeàla

rancunetenace,etquecestypespuissents’arrangerpourtefaireinternerenhôpitalpsychiatrique?— Exactement, acquiesça Suzie, sans se démonter. Assener des coups violents au hasard leur

permettraitdejouerlesvictimes,cequin’estpasdutoutlebutrecherché.Jedoismemontrerbienplusmalignequeça.Ilsdoiventressentircequemoi, j’airessenti,sinon,aucunintérêtàfairequoiquecesoit.Ilfautqu’ilsprennentunebonneleçon.—Mincealors,Suze,jen’avaispasconsciencequetuyavaisréfléchiàcepoint,intervintJackieen

serapprochant.Etmoiquiallaistesuggérerdedéchirerleurscostumes,ouuntrucdanslegenre.—Bientropévident,rétorquaSuzie.JedoisfaireensortequePatricksesentetotalementrejetéet

humilié.—Ehbien, c’est simple, reprit Jackie.D’après son statutFacebook, il est célibataire,donc tues

librede lerejeteretde l’humilierà taguise.Toutcequ’il teresteàfaire,c’est leferrer, le laissercraquerpourtoi,puisleplaquerd’unemanièrespectaculaire.Missionaccomplie.—Jen’arrivepasàcroirecequej’entends,intervintDave.C’étaitilyaunevingtained’années,ça

n’aplusd’importance.—Si,çaena,répondirentSuzieetJackied’uneseulevoix.—C’estimportantpourmoi,insistaSuzie.—C’estimportantpourelle,renchéritJackieaumêmeinstant.Jesuisavectoi,Suzie,ajouta-t-elle

enpassantunbrasautourdesonamie.Fais-lepourmoi,etpourtoutesleschosesquej’auraisdûdireetfaireàCarlsansjamaisoser.TupourraisséduirePatricksansproblème.Jesaisquetupourrais.Suzies’interrogea:pouvait-ellesefairesubirtoutça?Lejeuenvaudrait-illachandelle?Ellese

souvintalorsdelajeunefilledeseizeansaucœurbriséquiavaitpleurélajournéeentière,lejourdeson anniversaire, à la suite de leur horrible rupture. Sur la page Facebook, elle regarda la photorépugnante de Patrick, en train de peloter une fille aux seins nus dans une boîte de nuit.Oui, ellepouvait.Voilàunhommequiavaitgrandbesoinderecevoirunecorrection,etellesavaitqu’elleétaitlafemmeidéalepours’encharger.

Chapitre8

Drewavaitlesyeuxrivéssursaboîtederéceptiondepuisunedemi-heure.Ilaimaitlagardervide.Ne rien laisser en suspens dans le cyberespace. S’occuper religieusement de son courrierélectroniqueétaitsatâchepremièrelematin,etsadernièreavantderentrerchezlui,pours’assurerd’avoirréponduàtouteslesquestions,d’avoirtriétouteslescorrespondances,etderesteravecuneardoisevide.Toutcommesavie,ilaimaitquesaboîtederéceptionsoitbienordonnée.Hélas, un message indésirable avait violé son système. Le genre de courriel qui demeure en

suspens en attendant de capter l’attention,mais qu’on choisit d’ignorer jusqu’à ce que la situationdevienne absolument critique. À ce stade-là, bien évidemment, la masse d’efforts à fournir pourrésoudre le dilemme qu’il contenait prenait des proportions épiques. En général, Drew traitaitrapidementcesmessages,empêchantainsitoutphénomèned’escalade.Maispascettefois.Sansdouteparcequeleproblèmequirequéraitsonattentionnesetrouvaitpasdanssaboîtederéception,maisquelquepart dans sa tête, où il était resté enfoui pendant longtemps.Et à présent, il s’était soulevépourréclameruneréponse.Aimait-ilvraimentEmily?Sondésarroiétaittelqu’ilavaitappelésamèrecematin-là.Lasurprisedecelle-cifaceàcetappel

enpleinesemaine,aubeaumilieudelamatinée,nel’avaitpasaidéàluidélierlalangueetàamorcercequi,detoutemanière,s’annonçaitcommeuneconversationpénible.Illuiavaitdemandécommentelleallaitetcequ’ellefaisait,puisilsn’avaientpassucommentgérerlelourdsilencequiavaitsuivi.Difficile de lâcher lemorceau et de lui demander ce que ça faisait d’être amoureux. Interroger samère sur son état d’esprit troismois avant qu’elle semarie serait tombé commeun cheveu sur lasoupe,doncilluiprésentasesexcusesetsecontentadel’inviteràdéjeunerledimanchesuivant.IlavaittoujourslesyeuxrivéssursaboîtederéceptionvidelorsqueSuzieréapparutavecducafé,

impatientedeluimontrerleprofilFacebookdesonpremierpetitami.—Àvraidire, jecroyaisquetuplaisantais l’autresoir,quandtum’asditquetuallaisretrouver

toustesex-trolls,lança-t-il,ravidesevoiroffrirunediversion.LestrollsavaientréintégrélebureaupourmotiverSuzieàmenersamissionàbien–saufceluià

l’effigied’Alexquiavaitfinijetédanslecanal.—Pourquoiest-cequejeplaisanterais?questionna-t-elle.—Ehbien,d’abord,nem’as-tupasracontéquelepremier,c’étaitquandtuétaisaulycée?Vous

n’étiezquedesados,pasvrai?—Ne commence pas, trancha-t-elle. C’est justement le propos. Nous n’étions que des ados. La

périodeoùtomberamoureuxest lachose laplus incroyable, laplusexcitante, laplusmerveilleusesur cetteplanète.Et il a toutgâché. J’aurais cruque toi, plusquen’importequi, serais àmêmedecomprendreça.Tudoisbientesouvenirdelafoliequec’était,detomberamoureuxaussijeune.Çan’estplusjamaisaussifortaprès,tupeuxmecroire.DrewdévisageaSuzieunmoment,envisageantdeprofiterdelasituationpourposerlaquestionà

laquelleilcherchaitdésespérémentuneréponse.Soncorpsentiertremblalorsqu’ilseforçaàchassersesinterrogations.—Alors,commentc’était,aveccetype?

—Oh, bon sang, je m’en souviens comme si c’était hier, répondit-elle en s’affalant dans sonfauteuil.MonuniversentiertournaitautourdePatrick,etdemondésirpourlui.Unefoisparmois,ilallaitdanscetteboîtedenuit,danslevillaged’àcôté,etjevivaisdansl’attentedecessoirées.Ellefermalespaupières,commesiellerevoyaitréellementlascène.—Lestressdenepasêtresûrequ’ilvienne,etlepotentielromantiquedelasoiréemerendaient

malade, poursuivit-elle avant de rouvrir les yeux et de se pencher en avant. Et la préparation étaitépique.Entrelechoixdelatenue,lesessaisdemaquillageetl’achatdeschaussures,çameprenaitlemoisentierpourpeaufinerletoutavantlasoiréeenquestion.Elles’interrompitet,leregardrivéobstinémentsurDrew,elleprituneprofondeinspiration.—La journéeentière s’écoulait au ralenti jusqu’aucréneaudedeuxheuresnécessairespourme

préparer,puis soudain,ellepassait enaccéléréet jeme retrouvaisdevant laported’entrée,prêteàvivreunenouvellehistoired’amourimminente.Drewladévisagea,bienincapabledeseremémoreruntelengouementdanssonproprepassé.Ilse

rappelaitqu’enarrivantàl’université,ayantlaissélemariagechaotiquedesesparentsderrièrelui,ilvoyaitlefaitdetomberamoureuxcommeunobstacleàécarterdesoncheminleplusvitepossible.Ce soir-là, il avait enfilé son tee-shirt de Blur préféré, et était descendu à l’union étudiante pourrencontrerlesautresélèvesdepremièreannée.— Jackie et moi arrivions tôt pour descendre quelques verres de Cinzano-limonade, continua

Suzie.Paspourfinirivres,évidemment,vuquec’estphysiquementimpossibledes’enivreravecduCinzanocoupéàl’eaudansdesgobeletsenplastique.Crois-moi,onaessayé.Puisondansait.Oh,çaoui,l’uniquemomentdesavieoùondanseseulementparpureenvie,etnonàcausedel’alcool.Jecroyaisêtredansl’endroit leplusfestifet leplusromantiqueaumonde,quandjemetrouvaissouscettebouleàfacettes,entraindedanseravecmonsacàmainblancencuirverni.Drewsesouvintquelebarétudiantétaitenfuméetcrasseux,etquedeprimeabord,ilavaitétépeu

impressionné par les nouveaux étudiants, affairés à boire de la vraie bière, à se trémousserlamentablement sur de la musique qu’ils n’avaient jamais entendue auparavant, et terminant leursoiréeivresmorts,àaspirerleslèvresdequelqu’undemocheàquiilsavaientàpeineadressédeuxmots.—Jemerappelleencorequemoncorpsentiertremblaitd’excitationquandPatrickentraitdansla

salle,repritSuzie.Ilsesouvintquelecinquièmejour,ilavaitrepéréEmily,assisetranquillementdansuncoinàcôté

d’une fille en larmes. Elle hochait la tête patiemment, sa queue-de-cheval impeccable se balançantdélicatement.—Moisaprèsmois, j’aifaitensortequemespauses-toilettescoïncidentaveclesmomentsoùil

sortaitfumeruneclope,dansl’espoirqu’onserentrededans,etquesionserentraitdedans,alorsilm’adresseraitlaparole,etques’ilmeparlaitetsijefaisaisensortequecelaarrivepile-poilaudébutdes slows, alors il m’inviterait à danser, et que si on dansait un slow, alors bien sûr, ons’embrasserait,parcequec’estlaseuleraisonpourlaquelleungarçoninviteunefilleàdanser,pasvrai?racontaitSuzie,àboutdesouffle.—J’imagine,réponditDrew,serappelantqu’ilavaitfoncédroitsurEmily.«Jepeux teparleruneminute?»avaitétésaphrased’accroche.Emily l’avait regardéd’unair

incrédule,décontenancéeparsafamiliarité,avantdecomprendrecequ’ilavaitentête.Puiselles’étaitlevéeavecgrâce,etavaitconseilléàlafilleenlarmesd’allerappelersonpetitami,avantdelesuivreà l’extérieur. Elle lui avait expliqué que sa colocataire avait embrassé quelqu’un la veille, et quemaintenant,ellenesavaitpasquoidireàsonpetitamiavecquielleavaitpasséquatreansdanssaville

natale. Le commentaire qu’elle avait émis ensuite avait résonné comme une douce musique auxoreillesdeDrew.—Jen’aimepaspleurer.Quelleperted’énergie.Siquelquechosevadetravers,ilfautfournirles

effortsnécessairespourremédieràlasituation,paspousserdessanglotshystériquesenespérantquelasolutionvasortird’unchapeau.Elleavaitsecouélatêteetprisunetoutepetitegorgéedevinblancdanssongobeletenplastique.

Unefemmequin’aimaitnilesémotionsnileslarmes.Unefemmerationnelle.Ilsutinstantanémentqu’ill’avaittrouvée.Lafemmedontiltomberaitamoureux.Ilpensaitquec’étaitexactementlegenrede relation qu’il recherchait. À l’opposé de celle avec laquelle il avait grandi, parsemée detromperies,demensonges,etd’unespoirvainetpathétique.Non,ilétaitconvaincuquecelaallaitêtrela bonne sorte d’amour, celui qui grandirait lentement et tranquillement, sans heurt, ni lamoindrelarmeféminineversée.IlfutarrachédesarêverieparlavoixdeSuziequipoussaitlachansonnette.—Qu’est-cequec’estqueça?demanda-t-il.—NeverGonnaGiveYouUp,RickAstley,déclaraSuzie.Lachansonquipassaitquandnousnous

sommesembrasséspourlapremièrefoisdevantlestoilettesdesfilles.—Commec’est…romantique,commentaDrew.—Çanel’étaitpas,enfait,rétorquaSuzie.—Ahbon?—Non.Onauraitditunemachineàlaver,puisilm’aemmenéeaufonddelasallepourm’enlever

monsoutien-gorge.—Charmant,fitremarquerDrew.Etças’estfinicomment?—Nesoispasbête.Jesuisrestéechezmoiàattendresoncoupdefil,biensûr.Sesbaiserspourris

et ses critiques incessantes nem’ont pas rebutée. Et d’ailleurs, il a appelé, et nous sommes sortisensemblependant les vacancesd’été.C’était le bonheur ; jeme croyais aunirvana, poursuivit-elleavantdes’interrompre, laminesombre.Puis le jourde larentréescolaire, j’aiaccouruvers lui. Ilétait au milieu de tous ses copains. Il se comportait bizarrement, mais je me suis dit que c’étaitseulementparcequ’ilvoulaitparleràsesamis,doncjeluiaidonnérendez-vousaudéjeuner.Ils’esttournéversmoidevant tout lemonde,etm’adéclaréqu’ilnemerejoindraitpasaudéjeunerparcequ’onnesortaitplusensemble.Iladitqu’ils’étaitlassédemoi.Qu’ilétaitsortiavecmoiuniquementparce que son meilleur ami, Martin, avait passé l’été entier à l’étranger et qu’il avait besoin des’occuper.MaismaintenantqueMartinétaitrentré,iln’avaitplusbesoindemoi.C’étaitunesemaineavantmonseizièmeanniversaire.J’aipassélajournéeàpleurer.Suziesemblaitàdeuxdoigtsdefondreenlarmes,pourquelqu’unqu’elleavaitaiméilyaplusde

vingtans.—Ettusaislepiredansl’histoire?reprit-elleenreniflantbruyamment.Jen’aijamaissentimon

cœurbondircommeçaenvoyantunhommeentrerdansunepièce.C’estpourçaquetuesunveinard.Tarelationamoureuseadébutéaveccessursautsd’adolescent–c’estpasgénial?À aucunmoment il ne se souvenait d’avoir senti son cœur bondir – il n’y avait jamais rien eu

d’aussifortqueçaentreEmilyet lui.Ilss’étaientseulement installésdansunerelationconfortable,dénuéedetoutledrameetdetoutlestressqu’ilsobservaientensecongratulantdanslescouplesdeleursamis.Leursannéesà l’universitéavaientdéfilésans lemoindrefauxpas,et ilsavaientachetéunemaisonune semaineaprès la remisedesdiplômes, afinde se concentrerpar la suite sur leurscarrièresrespectives.Quandilétaitpasséreporter,etqu’ilavaitvuqu’EmilyserapprochaitàvitessegrandVdedevenir associéedans soncabinetd’avocats, cela leuravait semblé lemoment logique

poursemarier.Logique.Exactementcequ’ilaimait.Maisàprésent,pouruneraisonobscure, ilseretrouvaitassaillidepenséesirrationnelles,alorsquelemariageapprochaitàgrandspas.—Donc voilà pourquoi je vais faire en sorte que Patrick tombe amoureux demoi, poursuivit

Suzie,attrapantletrollhabilléenfootballeursursonbureaupourlelancerdanslesairs.Puisjevaislefairetomberdehaut.Luifaireressentirexactementcequej’airessenti.Qu’est-cequ’elleracontaitmaintenant?Qu’elleallaitfaireensortequ’untypequ’ellen’avaitpas

vu depuis vingt ans tombe amoureux d’elle en claquant des doigts ? C’était comme ça que çamarchait?Drewn’ycomprenaitrien.—Tunetrouvespasquec’estunebonneidée?s’enquit-elle.— Je suppose que si, répondit-il, profondément perplexe. Tu peux vraiment le faire tomber

amoureuxdetoi,justecommeça?Ellesetutetclignarapidementdesyeux.—Tunecroispasquej’arriveraiàlefairetomberamoureuxdemoi,c’estça?demanda-t-elle,sur

untonquelquepeuaccusateur.—Non,cen’estpascequej’aidit.Elledétournaleregard,cachantsonvisage.—Merci,marmonna-t-elleavantd’attraperunmouchoiretdesemoucherbruyamment.Drewremarquasesyeuxbrillants.—Quoi?Pourquoitupleures?s’enquit-il.—Jenepleurepas,renifla-t-elle.—Nedispasn’importequoi,rétorqua-t-il.Tupleures,jelevoisbien.—Non,franchement,c’estjusteque…Tusaisbien,tuasdit…quec’étaitimpossiblequequique

cesoittombeamoureuxdemoi.—Non,c’estfaux.—Sic’estvrai,geignit-elleavantd’enfouirsesyeuxdanssonmouchoir.—Quandai-jeditunechosepareille?—Àl’instant.—Pasdutout.—Si.—Absolumentpas.—Si.TuasditquejeneréussiraispasàforcerPatrickàtomberamoureuxdemoi.Untorrentdelarmesfraîchesjaillit.Commentenétaient-ilsarrivés là?Voilàpourquoi ilesquivait l’amour.Oncommençaitàparler

d’amour, et à coup sûr, les femmes semettaient àpleurerpourun rien. Il ne savaitpasquoi faire.Emily ne pleurait jamais. Si quelque chose la tracassait, elle le priait calmement de s’asseoir, luiexpliquaitclairementcequ’ilavaitfaitdemal,luidemandaitpolimentdes’excuser,puisluiexposaitcomment éviter de reproduire la situation. Parfois, cela lui donnait le sentiment d’être un écolierconvoqué dans le bureau du directeur, mais il préférait ça à des larmes, quoi qu’il en soit. Fairepleurerunefillelefaisaitsesentirmal.Çaluirappelaitbientroplesfoisoùilétaitréveilléaubeaumilieudelanuitparlesondesamèreentraindesangloterdanslapièced’àcôté.—Jet’enprie,cessedepleurer,implora-t-il.Jenevoulaispasteblesser,franchement.Il regarda autour de lui, cherchant désespérément une échappatoire. Il n’avait aucune envie de

penseràl’amour,nid’enparler,etencoremoinsderesterassisàcôtédeSuzieenlarmes.—Çanedevraitpasêtreaussidur,bredouilla-t-elle,abandonnantsonmouchoirpourdéplacersa

sourisjusqu’àcequ’unephotos’afficheàl’écran.

—Regarde,c’estunvicelard,detouteévidence.Ilsuffitquejeporteundécolleté.Drewobservalaphotoetfutdistraitdelablondeàmoitiénueparquelquechosedebienpluscher

àsoncœur.—Enfin,ilnepeutpasêtreaussiatrocequeça.—Pourquoiça?s’étonnaSuzie.—IlsupporteManCity.Regarde,ilalemaillotdel’équipeàdomicile,poursuivit-ilenluiprenant

lasourisdesmains.Voyonss’ilauncommentaireàfairesurlapiètreperformanced’hiersoir.IlcliquasurleprofildePatricketycherchadescommentairessurlematchdelaveille.— Il s’y connaît, fit-il remarquer, tandis qu’il hochait la tête en tombant sur des remarques

hautementpertinentes.Malin,cetype.—Qu’est-cequetufabriques?Suziesemblaitaussicontrariéequelorsqu’il l’avaitprétendumentaccuséedenepaspouvoirêtre

aimée.—Désolé,désolé,s’excusaDrewenreculantd’unbond.Ils’étaitégaréuninstant.Ils’étaitréfugiédanslefootball,loindesonmarasmeintérieur,maisil

enavaitoubliépourquoiSuzieregardaitleprofilFacebookdePatrickàlabase.—Tunepeuxpast’immiscerentreunhommeetlefootball,expliqua-t-ilenguised’excuses.Ellefronçalessourcils,etilpriapourqu’elleneseremettepasàpleurer.Ellenelefitpas.À la place, elle ébaucha un sourire. Puis un large sourire, auquel il ne put répondre que par la

réciproque.—Tuesungénie!s’écria-t-elleenbondissantpourleprendredanssesbras.Qu’est-ce qu’il lui prenait ? En trente-quatre ans, il n’avait jamais passé une matinée aussi

déroutante.—Tuvasm’aider, hein ? implora-t-elle en s’écartant de lui. J’ai besoin de tesméninges sur ce

coup-là.—Qu’est-cequeturacontes?— Le football ! s’exclama-t-elle. J’ai besoin de tout savoir sur le football. Allez, je t’invite à

déjeuneretjet’exposemonpland’attaque.Visiblementaucombledubonheur,elleluiadressaunsourireradieux.Dieumerci.Elleavaitdéjà

enfilésonmanteauetluitendaitlesien.Ilseleva.Unrepasetdufoot:uneinvitationqu’ilnepouvaitdécliner.Toutvalaitmieuxquederesterseul,aveclatêtesensdessusdessous.

Chapitre9

ChèreSuzie,Tous les jours quand j’arrive au lycée, les garçons cool de ma classe me traitent deBoubouleoudePoildecarotte.Leproblème,c’estque jemeursd’envied’avoirunpetitamietj’apprécievraimentl’und’entreeux.Commentfairepourqu’ilsorteavecmoi?

LottieChèreLottie,J’aibienpeurquetunedoivesvoirlaréalitéenface.Avoirdeskilosentropetlescheveuxrouxne facilite pas le fait d’avoirunpetit amiau lycée.Monmeilleur conseil serait detrouverunstyle.Devenirgothique,parexemple,semblefonctionnerpourcellesquinefontpas un parfait petit 36 et qui ne sont pas blondes. Les garçons gothiques paraissentcapablesdevoirau-delàdesimperfections,tantqu’ellessontcouvertesdecouchesdenoiroudeviolet,avecdesquantitésfaramineusesd’eye-lineretderougeàlèvresnoir.Passons à ces garçons soi-disant cool qui t’insultent.Çan’a riende cool, et les laissers’entireràboncomptenel’estpasnonplus.Doncvoilàcequetuvasfaire.Achèteunkitdetrophéesbonmarchéetlaisse-lesdansuneboîte,devantl’accueildulycéeavecunmot.Lemot dira que ces garçons ont gagné une compétition régionale de danse leweek-endprécédent,maisqu’ilsontdûpartiravantderécupérerleursrécompenses.LaFédérationdedanseseraitextrêmementreconnaissantequ’onleurremetteenpublicpoursaluercetteperformancemajeure.Pluscooldutout,cesgarçons.Lottie:unenanacool.

SuzieSuzie recula et relut son travail. Rédiger le courrier du cœur était devenu nettement plus facile

maintenantqu’elleavait l’autorisationdedireexactementcequ’ellevoulait.Fomenterdesplansdevengeanceétaitmillefoisplusamusantquedes’apitoyersurlesortdeseslectrices,etdesecreuserla cervelle en vain pour trouver desmoyens de les aider à contraindre un homme, qui n’en avaitvisiblementrienàfaire,àlesaimer.D’autantqu’avecDrewcommealliépoursaprochainerevanchepersonnelle,elleétaitsurvoltée.Ledéjeunerdelaveilleavaitétéunfestivald’idéesplusinventiveslesunesquelesautres.Considérationsfootballistiquesetproposrevanchardss’étaientenchaînéspouraboutiràunpland’uneenverguredontlaseulepenséel’épatait.Enfait,elledutmêmes’empêcherdetrop y réfléchir, parce que dès qu’elle le faisait, ça la terrifiait un peu. Mais, comme elle se lerappelait, elle avait une mission à accomplir. Elle ne pouvait laisser tomber ses lectrices en secontentantd’unevengeance insignifiante.Uncoupd’éclat, c’était ça, la réponse, et lemomentétaitvenudelancerlamachine.—Bon, je vais envoyer unedemanded’ami àPatrick surFacebook, annonça-t-elle àDrew, qui

étaitenpleintravailàcôtéd’elle.—Ets’ill’ignore?demanda-t-ilensetournantpourladévisager.Ellen’avaitpaspenséàça.DrewsoupiraetsepenchapourtapersurleclavierdeSuzie.—«Jevoisque tusoutiens toujoursManCity. Jen’arrivepasàcroirequ’onait jouéaussimal

l’autresoir!Quandva-t-oncesserd’acheterdesRitalsdesecondezone?»lut-ilàvoixhautetoutenécrivant.—Etqu’est-cequeçasignifieexactement?Elleavaitlesyeuxrivéssurl’écran,enpleineconfusion.—Çasignifiequetuaurasforcémentuneréponse.Aucunhommenepeutignorerunbondébatsur

sonéquipedefootbien-aimée.—Si tu ledis,acquiesça-t-elleenobservantDrewenvoyer lemessage.Bon,qu’est-cequ’onfait

maintenant?—Onattend.—D’accord,dit-elleencroisantlesbras,toutencouvantl’écranduregard.—Ilsepourraitqueçaprennequelquesjours,fitremarquerDrew.—«Quelquesjours»!s’écriaSuzie.—Ouais.N’ypensepastroppendantunmoment,ajoutaDrew.Elleparvintàtenirdix-neufminutesavantdevérifiersaboîtederéceptionpourvoirsielleavait

une réponse.Rien.À l’heuredudéjeuner, riennonplus.Après la réunionéditoriale, toujours rien.Tandis qu’elle se levait pour mettre son manteau, tout en repoussant le moment d’éteindre sonordinateur,idem.C’étaitencorepirequed’attendreprèsdutéléphone.—Cessederegarder,luirépétaDrewpourlavingtièmefoiscejour-là.—Jeneregardepas.Jevérifie justemesrendez-vouspourdemainetc’est fini, toutcommema

journéedetravail.Ellecliquasursonagenda,puisneputrésisteràl’enviedejeterunderniercoupd’œil.Etilétaitlà.LenomdePatrick.Danssaboîtederéception.Entraind’attendreinnocemment.Elle

garda les yeux rivésdessus, incapablede l’ouvrir.Sa réactionphysiquedevant sonnomécrit étaitaussitangibleques’ilvenaitjusted’entrerdanslapièce.Soncœurbattaitsifortqu’elles’étonnaqueDrewnel’entendepas.Cettesensationluirappelaittantcequ’elleavaitéprouvélapremièrefoisqu’ill’avaitappelée,aprèsleurbaiserfougueuxsurlapistededanse,qu’elleenavaitletournis.«Ilm’aenvoyéunmessage,serépétait-elledanssatête.Lui.»—Etvoilà le travail. Je t’avaisbienditqu’il te répondrait,pasvrai ? lançaDrew,apercevant le

nomdePatrickencaractèresgrastoutenhautdelalistedeSuzie.Ouvredonccemessage.Flûte,ilaraison.Pourquoiest-ilaussidiabolique?—Allez,l’encourageaDrewenluitapotantlebras.Çayest,tevoilàdansl’arène,annonça-t-ilen

passantsonbrasautourd’elle.Jepeuxcomptersurtoipournepasficherenl’airleprochaincoup?Jedoisfiler.—Biensûr,jem’entireraitrèsbien,répondit-elle,reconnaissanted’avoirunmomentseuledansle

cyberespaceavecPatrick.EllesouritàDrewtandisqu’ilenfouissaitdesdossiersdanssasacoche.—Merci,dit-elle.Vraiment.—Yapasdequoi.C’estbienplusamusantqued’organiserunmariage,dansunsens.Àdemain.Ellerestaassisependantunlongmomentdevantl’écranavantdecommencer,nonsanshésitation,à

racontersonhistoireàPatrick.L’histoire,bienévidemment,qu’ellevoulaitluifaireavaler:celledu

succèsphénoménalqu’elleavaitrencontrédanstouslesaspectsdesavie,racontéeavecdesphrasespleinesd’esprit,retournéesdanstouslessensdanssatêtepresqueautantquepoursarubrique.Durant les jours suivants,Patrick lui renvoyasonhistoireà son tour,celleque, sans lemoindre

doute,ilvoulaitluifairecroire.Çalafrappadeconstateràquelpointlesrencardsétaientplusfacilesde la sorte. Le moindre mouvement, le moindre commentaire pouvait être prémédité et enjolivéjusqu’à atteindre exactement sa cible. Contrairement à des années plus tôt, quand les relationss’envolaient et s’écrasaient avantmême d’avoir commencé, à cause d’un cas imprévu de diarrhéeverbalesurunsujethorsdepropos,durantcecrucialpremiercoupdefil.Peut-êtreques’ilsavaienteuFacebookquandelleétaitplusjeune,elleseraituneépousecombléeàcetteheure-là.Quandelletrouvaenfinlecouragedel’appeleraprèsdesjoursdesimagréesenligne,elles’étonna

de sentir son estomac se nouer tandis qu’elle attendait qu’il réponde, plus capable de se cacherderrière l’écrit, rendant lesbourdesverbaleshautementprobables.Ildécrochale téléphoneavecun«bonjour»rauque,puissontons’adoucitinstantanémentquandilcompritquiétaitàl’autreboutdufil.Unefoispassélagêneinitialederigueur,ilsrirentetplaisantèrentplutôtfacilement.Ilparaissaitplus sûr de lui qu’elle ne l’escomptait, presque décontracté, en particulier lorsqu’il interrompit laconversationàplusieursreprisespourprendreundoubleappel.Ils’excusadesagrossièreté:quandongérait une affaire d’envergure internationale comme lui, ondevait se tenir à dispositionde sesclientsàn’importequelleheuredujouroude lanuit.Lemot«baratineur»surgitdans l’espritdeSuzieetluirappelalebutdesonappel.Elledevaitleconvaincredeveniraumatchavecellelesamedisuivant.Ellesecontentad’unebanaleinvitationaustade,commeDrewl’avaitrecommandé.C’étaitenbonnevoie.Lesamedisuivant,Suzieseréveillaà4h34dumatin.Elles’assitd’unbonddanssonlit,prisede

paniqueàl’idéed’avoirratéleréveil.Envoyantl’heure,ellesesentitsoulagée–sentimentbienpeucourantàunhorairepareil.Elleselevasansattendre,sachantquelemomentétaitvenudeprendrelaplusimportantedécisiondelajournée.Quoimettre?Laveilleausoir,elleavaitparadédevantJackiependantcequiluiavaitparudesheures,toutesdeuxgriséespardegrandsverresdevin.Sapremièreidéepenchaitpourunetenuesophistiquéeetdiscrète,maisJackieavaitunlookbienplusprovocantentête. En définitive, elle opta pour une valeur sûre. Ce n’était qu’unmatch de football, doncmieuxvalait ne pas trop en faire. Elle étala devant elle son meilleur jean de créateur, ses imitations dechaussures JimmyChoo, ainsi qu’un pull relativementmoulant qui, assorti du bon soutien-gorge,faisait un effet assez spectaculaire. Le problème épineux de ses vêtements étant réglé à 5 h 04précisément, elle se traîna jusqu’à la cuisine et traqua dans son frigo les aliments à éviter pours’assurerquelepulllamoulesanslaboudiner.À14heures,ellerejoignitDrewaustade.Ilinspectasatenueavecunemineatterrée,tandisquedes

supportersgrouillaientautourd’euxàl’extérieurdustade.—Tunepeuxpasporterça,trancha-t-ilensecouantlatête,lesyeuxrivéssursapoitrine.—Pourquoipas?protesta-t-elle.Ceshabitsm’ontcoûtéunbras.—Tourne-toi,grommela-t-il.—Pourquoi?—Contente-toidetetourneruneminute,répéta-t-il.Elle fitun tour surelle-même,aussi lentementetd’aussimauvaisgréqu’unécoliercontraintde

montrersonnouveluniformeàsamamie.—Ilfautquetul’enlèves,annonça-t-il.—Maisj’adorecepull.

—Jen’endoutepas,maisonnepeutcacherlescâblesnullepart.Ilvalesrepéreràunkilomètreàlaronde.Elleledévisageafroidement.Mincealors!Ilavaitraison.Leplanentierreposaitsurlefaitqu’elle

porteunmicro,pourqueDrewpuisseluiparlerensecretpendantqu’elleétaitavecPatrick.Sansça,toutallaits’effondrer.—Onn’aqu’àimproviser,repritDrew,scrutantlesenvironsduregardenquêted’inspiration.Ilte

fautvraimentquelquechoseavecuncol,pourdissimuler lesfilsquiremontent jusqu’à tonoreille.J’aitrouvé,poursuivit-il,encommençantàdéboutonnersachemisebleupoudre.—Maisqu’est-cequetufais?s’exclama-t-elle.—C’estbon. J’aimon tee-shirtporte-bonheurendessous, répondit-il.Tun’auraspasàmevoir

dénudé.—Tucroisvraimentquejevaisportertachemisepourrevoirunex-petitami?Jeveuxqu’ilse

disequ’ilafaituneerreurenmelarguantilyatoutcetemps,pasqu’ilaeudelachanced’échapperàuntravesti.Ils’arrêtaenpleinmilieudesondéboutonnage.—Bon,alorsonlaissetomberdanscecas,non?Jesuisplutôtcontentdemecontenterderegarder

lematch.—Non,imploraSuzie,posantlamainsursonbraspourl’empêcherdepartirénervé.ElleavaitbesoindeDrew.Nonseulementiljouaitunrôleessentieldansleplan,maisellesesentait

aussinettementplusconfiantequandilétaitdanslesparages.—Pitié,neparspas,plaida-t-elle.Jesuisdésolée.Jesuisextrêmementnerveuse,c’esttout.Drew s’approcha pour passer sa chemise autour des épaules de Suzie, puis se pencha pour que

leursyeuxsoientàlamêmehauteur.—Aucuneraisond’êtrenerveuse,dit-ildoucement.Jesaisquetupeuxlefaire.Tum’entends?Elledéglutitetdétournaleregard,avantdeselaisserhypnotiserparsesyeuxbleuclair.—D’accord,acquiesça-t-elleenaffichantunfaiblesourire.Suziesedirigeaversles toilettesets’examinadanslemiroir.Quelquesajustementss’imposaient

pour rendre la chemise de Drew sexy. En définitive, elle décida de la porter nouée, vu que, parchance, elle portait une ceinture à strass plutôt jolie, et elle laissa suffisammentdeboutonsdéfaitspour dévoiler une portion tout à fait décente de son décolleté. Le plus étrange, c’est qu’avec cettechemise,ellesesentaitsexy.Çaluirappelaittouscesfilmsromantiquesoùunefillecoucheavecungarçon,puisselèvelematinetluipréparelepetitdéjeuner,vêtueentoutetpourtoutdelachemisequ’elleluiaarrachéelaveilleausoir,surunélandepassion.Hélas,ellen’avaitjamaiseul’occasiondevivrecefantasme.Ils’étaitrévéléqu’engénéral,lesmatinssuivantcegenredesoiréesconsistaientenuneviréechezMcDonald’savecuntypequelconque,pourépongerleursgueulesdebois.Àvraidire,elleavaittentédeleréaliserunefois,biendesannéesauparavant,maisquandelleavaitramassélafameusechemise,ellepuaitl’alcooletlacigarette,etluiavaitdonnédeshaut-le-cœur.Elle retrouvaDrewdans la tribunedes journalistes, contrairement à sonhabitude, vuqu’il avait

réussiàpiquerlaplacedureportersportifpourrédigerl’article.—Elletevamieuxàtoiqu’àmoi,fitremarquerDrew,lesyeuxdenouveauvisséssursapoitrine.—Toutestdanslacoupe,rétorqua-t-elletoutenhissanttantbienquemallepanieràpique-nique

qu’elleavaitpéniblementréussiàcomposer,surlerebordquilongeaitl’avantdelapetitepièce.EllesetournapourfairefaceàDrew,etseposalesmainssurleshanches.—Maintenantmets-moilemicro,l’Écossais,lança-t-elle,unlargesourireauxlèvres.

Après quelques moments gênants à farfouiller sous sa chemise pour faire fonctionner lebranchementdumicro,DrewabandonnaSuzieàsonsort,seretirantdansunepièceunpeuplusloindanslecouloir.Quandilseurentétabliqu’ilsarrivaientàs’entendreenchantant«Brille,brille,petiteétoile»,elleentrepritd’exposersonsomptueuxfestin.—Ce n’est pas qu’un pique-nique, c’est un pique-nique de vengeance,marmonna Suzie tout en

manipulantdélicatementlesroulésàlasaucissefriables,etlesuperbedoublegâteauauchocolat.Puis, cérémonieusement, elle déboucha la bouteille de champagne, se servit une flûte, et la vida

d’unetraite.—Prêteetmêmeimpatiente,déclara-t-elleàvoixbasse,aumomentoùonfrappaitàlaporte.Bon

sang,ilestàtomber,murmura-t-elletandisquePatrickentraitàgrandspasdanslapièce,semantdeseffluvesd’après-rasagedeluxesursonpassage.Lesjambesencoton,ellelevalesyeuxverslui,toutcommeellel’avaitfaitchaquefoisqu’ilentrait

quelque part des années auparavant.D’une façonou d’une autre, il avait encore plus d’allure qu’àl’époque.Sescheveuxavaientperdulapointederouxquis’attardaitsursesracines.Sabarberaséedeprèsavaitététailléeenpointesurledevant,àladernièremode,bienloindescoupesqueluiinfligeaitsamère durant sa jeunesse.Sa subtile petite barbe de trois jours avait un charme fou auxyeuxdeSuzie, parce qu’elle donnait toujours un côté incroyablement viril.Etvoilà. Le sourire qui l’avaitmiseàgenouxautrefoisà travers lesvapeursd’unCinzanoluidonnaitunpeu le tournisàprésent,conséquencedirecteduchampagnesursonestomacvide.— Concentre-toi, Suzie, concentre-toi, chuchota fermement Drew dans son oreille, à l’instant

mêmeoùellesesentaitdéfaillir,tandisquel’envoûtantaprès-rasagedePatrickluititillaitlesnarines.— Suzie, lança ce dernier, la gratifiant d’une embrassade qui manqua de la faire tomber à la

renverse.Tun’aspaschangéd’unpoil,poursuivit-il,latenantàlongueurdebraspourlajaugerdelatêteauxpieds.Suzieeutinstantanémentunflashdesannéesquatre-vingt,époqueoùporterlachemisedesonpère

cintréeparuneénormeceintureétaitconsidérécommetendance.Etvoilàqu’elleseretrouvaitdanslachemise deDrew, comme si elle était restée coincée dans la pire décennie du siècle précédent enmatièredemode.ElleexaminalatenuedePatrick.Lemoindreaccessoireétaitclairementunepiècedecréateurvalantunesommefolle,letoutassemblépourvenircomplétersonmaillotdel’équipe,decettefaçonnonchalantedontleshommesdeManchesterontlesecret.LiametNoelGallagheravaientdequoibiensetenir.C’estavecembarrasqu’elleconstataqu’ilavaitl’airnettementpluscoolqu’elle.—Etregarde-toi,rétorqua-t-elleenluiébouriffantlescheveux,tropoccupéeàchercherquoidire

exactement.Unvraiadulte,parvint-elleenfinàarticuler.Elleétaitcertained’avoirentenduDrewgrognerdanssonoreille.—J’aibienfaillinepas te trouver, repritPatrick.J’aidemandé,etonm’aditqu’ils’agitenfait

d’unelogedejournaliste.—Ah,oui,ehbien,jemesuisditquetuavaisprobablementétédansquantitédelogesprivéesdans

cestade,etqueceseraitàpeinedifférentpourtoi.Etcecommentateurquejeconnaisaréussiàmel’obtenir.—Oh,super,dit-ilenbalayantlapièceduregard.C’estqui?— Oh, hum, c’est…, balbutia-t-elle, attendant que Drew lui souffle le nom de son ami, mais

n’entendantrienvenir.Oh,sonnomnetediraitrien.Ilnefaitpassescommentairesici ; ilconnaîtseulementdesgensquis’enchargent.Champagne?—Waouh, avec plaisir, répondit-il, en hochant la tête pour marquer son approbation. Attends,

laisse-moifaire.

Ilpritlabouteilleetremplitdeuxflûtes.—Bon,poursuivit-ilenladévisageantdelatêteauxpieds,sonregards’attardantpeut-êtreunpeu

troplongtempsauniveaudesapoitrine.Auxvieuxamis,lança-t-ilenlevantsonverrepourporteruntoastavecelle.— Aux vieux amis, acquiesça-t-elle, incapable de s’empêcher d’afficher un large sourire en

réponseausien.— Alors, Suzie Miller, une pro du journalisme, hein ? Je dois admettre que je suis très

impressionné.Ilpassalebrasautourdesesépaulesetluidonnaunepetitetapeamicale.Quandsabarbedetrois

joursl’effleura,ellemanquades’évanouir.—Imagineunpeuça,mavieillecopineSuziedanslesmédias.Incroyable.—Ehbien,tusais,j’aitravaillétrèsdurpourarriveroùj’ensuis.ElleentenditDrewéclaterd’unriremoqueur.—Nesoispasmodeste,Suzie.J’aitoujourssuquetuiraisloin.—Vraiment?s’exclama-t-elle.—Oh, oui, répondit-il en tendant le bras pour trinquer avec elle. Tu as toujours fait partie des

gamines futées à l’école, non ? Je vais te dire, quand j’ai réussi à t’avoir, je ne parvenais pas à ycroire.Jemesuisditquej’avaisdécrochélejackpot.L’intelligenceetlabeauté.Quelleassociation.—Vraiment?insista-t-elle.—Vraiment,acquiesça-t-ilenhochantlatêtevigoureusement.Honnêtement,jen’auraisjamaiscru

quetuauraisdesvuessurmoi.Etquandc’estarrivé,jemesouviensd’avoireul’impressiondevivretousmesmatinsdeNoëlenuneseulefois.—Sérieusement?Elle prit une bonne lampée dans son verre. Avait-elle retrouvé le bon Patrick, ou s’était-elle

méprisesursonidentité?—Queldommagequenousnoussoyonsconnusadolescents.Nousétionstropjeunespourfaireen

sortequeçamarche,pasvrai? reprit-il, touten laissantminutieusementcourir sesdoigtsdanssescheveuxgominés.—Oui,sansdoute,murmura-t-elle.Peut-êtrequ’elles’étaitplantéesurtoutelaligne.Peut-êtrequeçanes’étaitpaspassécommedans

sessouvenirs.—Maisregardeunpeu,poursuivit-ilenécartantlesbras.Nousvoilàicimaintenant,pasvrai,etje

doisavouerqueçafaitvraimentdubiendetevoir.—Ehbien,Patrick.C’est…trèsagréableàentendre.Merci.Patrickpritune rasadedechampagneet ladévisageade la têteauxpiedsunenouvelle fois.Elle

espéraitqu’ilavaitremarquéqu’ellen’avaitprisqu’unetailledepuissonadolescence.—C’estlavérité,Suzie,dit-ilensecouantlatête.J’aiconnudesfemmescomplètementfollesdans

mavie,tupeuxmecroire,notammentmonex-épouse–maisnemelancepassurlesujet.C’estunetoutautrehistoire.Etvoilàquetusurgisdenullepart.Unefemmeadorableetsensée,quigagnesonpropreargentetaimelefootball.Suzie,j’aidenouveaul’impressiond’êtrelematindeNoël,ajouta-t-ilenluiadressantunsouriresuggestif.ElleespéraitqueDrewn’enavaitpasloupéunemiette.Troprisquédemisersurlefaitqu’iltombe

amoureuxd’elle–voilàquecequeDrewavaitdit.Bonsang,Patrickétaitquasimententraindeluidemander sa main. Subjuguée, elle l’observa s’asseoir puis étendre son corps longiligne sur unfauteuil,avantdemettrelesmainsderrièresatêteetdelagratifierd’unsouriresatisfait.Sonplaisir

évident était contagieux.Elle ne put s’empêcher de se demander à quoi cela ressemblerait d’être ànouveau la petite amie de Patrick. Visiblement, ils seraient un couple du genre à faire des pique-niquesauchampagne.Elles’accrochaàcettevisionplaisante.Elles’imaginaPatricketelledansunchamp,enpleinété, surunenappeàcarreaux,en traindesenourrirnégligemment l’un l’autredefraisesetdeboireduchampagne,avantqu’ilneluifassel’amourtendrement,surplace,leurscorpsbaignantdanslalumièredusoleil.Peut-êtrequeledestinluidonnaituncoupdepouce.Peut-êtrequesa mission de vengeance était seulement un moyen pour qu’elle retrouve Patrick, et qu’elleredécouvrelepremierhommequiluiavaitfaitbattrelecœurplusfort,etquiavaitcertainementfaitgrimper sa température à l’instant même où il s’était pavané sous ses yeux. Après tout, peut-êtreétaient-ilsfaitsl’unpourl’autredepuistoujours.—Pourquoitun’apportespascesroulésàlasaucisseetuneautrebouteilledecemousseux,avant

devenirt’asseoirprèsdemoi,ronronna-t-il.Ellepritlabouteillesurl’étagèredevanteuxets’installa,constatantalorsquesoncœurbattaitla

chamade.Elleneputs’empêcherderemarquerlespoilsdouxsurledosdesesmains–undétailqu’iln’avaitcertainementpasquandilavaitquinzeans.Ladernièrefoisqu’ilsétaientensemble,c’étaitunjeune garçon, mais il était devenu un homme à présent – de la tête aux pieds, visiblement, etprobablemententièrementdifférentdeceluiqu’ilétaitàl’époque.Ilavaiteuletempsdemûriretdecomprendrecequ’ilvoulaitvraimentdans lavie. Iln’étaitplus l’adolescentcapricieuxd’autrefois.Ellel’observaittoujoursattentivement,perduedanssespensées,quandilluipritlamainetlaportaàseslèvres,toutenlaregardantdroitdanslesyeux.—Oh,Patrick,neput-elles’empêcherdemurmurerlorsqu’ils’avançaverselle.—Jenevaispasaussiviteenbesogned’habitude,maistuesdifférente,Suzie.Ilcommençaàl’embrasser,etsamissionseretrouvaimmédiatementreléguéeausecondplanau

premiercontactdeslèvresdePatricksurlessiennes.—Suzie,ilfautquejeteparle,toutdesuite,entendit-ellesoufflerdanssonoreille.Elles’écartabrusquement,inquièteàl’idéequePatrickaitentenduDrewdanssonoreillette.—Qu’est-cequisepasse?demandasoncompagnon,surpris.Tun’asaucuneraisond’avoirpeur,

Suzie.Cen’estquemoi,ajouta-t-ildoucement.—Toutdesuite!s’écriaDrew,faisantsursauterSuzie.—Ilfaut juste…quej’ailleauxtoilettes,bredouillaSuzie.Jereviensdansuneminute.Nebouge

pasd’ici.Ellesortitentrombedanslecouloir.PourquiseprenaitDrewenl’interrompantdelasorte?—Qu’est-ce que tu fous ? lança ce dernier lorsqu’elle entra dans la pièce. Tu étais en train de

l’embrasser?Suziebaissalesyeuxsurlesol.—Jen’arrivepasàcroirequetulelaissest’embrasser,repritDrew,exaspéré.— Et je n’arrive pas à croire que tu me sommes d’arrêter dans l’oreille, rétorqua-t-elle avec

colère.Jesuisadulte,tusais.Tun’aspasledroitdefaireça.—As-tuoubliépourquelleraisonnoussommesici,outuesjustedevenuedingue?—Non, jen’ai pasoublié,Drew,mais…Tune l’aspas entendu? Il voulait demoi à l’époque.

C’estcequ’iladit.C’estjusteparcequ’onétaitadolescents,voilàpourquoionarompu.Jemesuistrompée,tunecomprendspas?Etilm’apprécie,jelevoisbien.Çapourraitêtrelui,Drew.Lebon.Jepensequ’onferaitmieuxd’oubliermonplandevengeanceetdevoiroùçamène.Drewladévisagea.— Je l’ai entendu, Suzie, répondit-il avec douceur. Je ne crois pas qu’il se souvienne vraiment

d’êtresortiavectoi.Ilinvente.Iltedragueuniquementparcequ’iltecroitpleineauxasparcequetutravaillesdanslesmédias,etqu’ilseditquetupeuxluiobtenirunelogepourlesmatchsdefoot.—Non, cen’est pasvrai, protesta-t-elle, choquée face à l’attitudedeDrew. Il a affirméqu’il se

trouvaitchanceuxdesortiravecmoi.Tul’asentendu.Iladitqu’ilavaiteul’impressiondevivretouslesmatinsdeNoëld’unseulcoup.—Oh,Suzie,n’importequipourraitsortirun trucpareil.Écoute, jen’essaiepasde toutgâcher,

franchement ; jeveux justeéviterqu’on te fassesouffrir,c’est tout. Jen’aiaucuneconfianceencetype.Toutcequ’ilaracontésurl’époqueoùvoussortiezensemble,ill’invente.—Non,c’estfaux.—D’accord, repritDrew, commençant à sembler un peu agacé. Je vais te dire. Pourquoi ne lui

demandes-tupascommentvousêtessortisensemble,etcommentvousavezrompu?Situcomptaistantqueçapourlui,ils’ensouviendra,pasvrai?—Biensûrqu’ils’ensouviendra.— Eh bien, si je me trompe, tant mieux. Je couperai le micro et je regarderai le match

tranquillement.Mais si cen’estpas le cas, alors je tiensà ceque tumepromettesquenousallonscontinuercommec’étaitprévu.—D’accord,consentit-elleenfaisantlamoue.—Onvautiliseruncodepourquetun’aiespasàquitterlapièceunenouvellefois.—S’illefautvraiment,soupira-t-elle,impatientederetourneravecPatrick.—Bien,donclecodeest,voyonsvoir…Pourquoipas…—«Vaaudiable»,l’interrompitSuzie.Parcequec’estcequej’auraienviedetedirequandilse

rappelleratoutconcernantnotrecouple.—Trèsbien,acquiesçaDrew.Vapour«vaaudiable».—Viensdonct’asseoir,beauté,ronronnaPatrickdèsqu’ellerevintdanslapièce.Lecoupd’envoi

nevapastarder.Ilfautquejetedise,jen’aijamaiseuunevuepareillependantunmatch.J’aienvoyédesphotospartéléphoneàtousmespotesquisontdanslatribuneNord.Ilsmemaudissent,c’estpassuper?—Super,réponditSuzie,plongéedanssespensées,tandisqu’elleattrapaitlechampagne.Alors,tu

estoujoursfourréavecMartin?demanda-t-elle.—Martinqui?—Tonmeilleuramiàl’école,MartinHolmes.—Ah, lui, non. Aucune idée de ce qu’il est devenu. On a perdu contact après le lycée, tu sais

commentc’est.Enfindecompte,ilétaitunpeuringard.Jesuisravidem’enêtredébarrassé.—Certes,acquiesça-t-elle.Elles’interrompitpourréfléchiràlafaçondontelleallaitenchaîner.—Tusais,jemesenstoujoursmalquantàlafaçondontnousavonsrompu,ajouta-t-elle,surun

tonaussianodinquepossible.Patrickluiadressaunregardinterrogateur.Elleluirenditsonregard,dansl’expectative.—Oh,Suzie,jen’enavaisaucuneidée,dit-iltoutenluiprenantlamainpourlacaresser.Tun’as

plusàtesentirmal.Jesaiscommentçamarche.Lesadolescentessontindécises.Uneminutetufaisl’affaire,lasuivante,c’estfini.Jen’aipleuréquependantunesemaine,promis.Suzieledévisagea,sansvoix.Enfait,ilcroyaitquec’étaitellequil’avaitquitté.—Tusaisquoi?reprit-il.Considéronsquetuviensdemefairedesexcuses.Jenetetiendraipas

rigueur dem’avoir impitoyablement plaqué, alors que j’étais unpauvregarçon sansdéfense, si tu

peuxcontinueràm’avoirdesbilletspareils.Qu’endis-tu?Çat’aideraitàtesentirmieux?Ilbaissalesyeuxsursamontre,puisjetauncoupd’œilàtraverslavitre.—Allez, les bleus ! hurla-t-il d’une voix haut perchée, se levant d’un bond pour accueillir son

équipesurleterrain.LecœurdeSuziebattaitviteànouveau,maispasdejoie.Mêmepasdedéception.C’étaitdûàla

prisedeconsciencequ’unefoisencore,quandbienmêmeelles’étaitpromisdeneplus laisserunechose pareille arriver, elle s’était laissé aveugler par une lueur d’espoir. Pendant unmoment, elleavaitcruêtreenfacedesonprincecharmant,alorsqu’ilnes’agissaitqued’unimposteur,l’abreuvantdesparolesqu’ellevoulaitentendrepourparveniràsesfins.Quelleidiote!Ellesemorditlalèvre,etmarmonnadanssabarbe:—Vaaudiable,PatrickConnolly.Vaaudiable.

Chapitre10

Drewserassitetpoussaunprofondsoupirdesoulagement.Qu’est-cequinetournaitpasrondchezcette fille ?Elledevait avoirunecase enmoinspour fairepreuved’unepareillebêtise enmatièred’hommes.Quoique,endéfinitive,cenesoitpasvraimentelle, leproblème;c’était l’amourquilarendaitstupide.Desoncôté,Dieumerci,ilétaitrevenuàlaraisonetavaitdécidédemettredecôtésasoudaineangoissesurlesujet.Toutbienpesé,iln’avaittoutbonnementpasréussiàtrouverquoiquece soit qui prouvait que l’amour était l’ingrédient essentiel d’unmariage heureux. La plupart descouples divorcés se disaient passionnément amoureux le jour de leurs noces, et pour quel brillantrésultat?Autantlaissertombercetteidée.Etseconcentrersurlefaitqu’ilavaitunmillionderaisonslogiquesd’épouserEmily,mêmes’iln’étaitabsolumentpasconvaincuquel’amourenfassepartie.La compatibilité, des goûts en commun, des capacités intellectuelles semblables, lemême sens del’humour–debonnesraisons,solides,quileuravaientpermisdetraverserseizelonguesannées.Pluslongtempsquelaplupartdescouplesnerestentunis.SejeteràcorpsperdudanslamiseenœuvredudernierplandeSuzieluiavaitoccupél’esprit,et

avait coupé court à ses réflexions. L’envergure du projet, et le rôle crucial qu’il jouait dans saréussite,l’avaittenuéveillétoutelanuit,maisc’étaitunmotiftoutàfaitvalablepourcontemplerleplafondà3heuresdumatin.Bienplusque leprécédentdébat intérieurqui l’avait réveillé aupetitjour.Il attrapa son téléphone pour passer le coup de fil qui allait lancer la prochaine étape du plan.

Maintenant qu’il avait fait la connaissance de Patrick, quoique uniquement par l’intermédiaire dumicrodeSuzie,saculpabilitéinitialequantàcequ’ilss’apprêtaientàfairesubiràunautrefandesonéquipeavaitdisparu.Unefoisqu’ileutappelésonamidans la logedescommentateurs, ilserassitpourprofiterdumatch.Quand les dernières minutes de la première mi-temps approchèrent, Drew se rebrancha pour

s’enquérir de ce qui se passait entre Suzie et Patrick. Silence absolu, en dehors des quelquescommentaires footballistiques émis par Patrick. Suzie devait s’ennuyer ferme. Mais alors, Drewentenditfrapperlourdementàlaporte,justeavantqu’ellenes’ouvre.—Désolédevousdéranger,entendit-ildiresonami.JesuisSteveBromley,leprésentateurdela

mi-temps.MonassistantaomisdesélectionnerdescandidatspourlegrandquizdeManCityquisetientpendantlami-temps.Çavousintéresse?—Çaoui!réponditPatrick,enbondissantdesonfauteuil.J’aitoujourseuenvied’yparticiper.En

général,j’aiplusdebonnesréponsesquelesnulsquevousfaitesjouerlamajeurepartiedutemps.—Fantastique.Çanevousgênepas,aumoins?demanda-t-ilàSuzie.Ilmefautencoreuneautre

personne.—D’accord,acquiesça-t-elle.—Euh,Suzie,jenepensepas…,commençaPatrick.—Non,jevaislefaire.J’adorelesjeux.Çavaêtremarrant,dit-elle.—D’accord,repritSteve.Génial.Garçoncontrefille.Çavamettreunpeudepiment.Rendez-vous

enbas,dansl’entrée,danscinqminutes.—Lesquestionssontvraimentpointues,Suzie.Jevais tebattrefacilement, lançaPatrickdèsque

Steveeutquittélapièce.—Quelsalevantard,marmonnaDrew.—Passûr,rétorquaSuzie.Jesuisplutôtunegrandefan,tusais.DrewentenditPatrickrireunpeutropàsongoût.—Situledis,Suze.Situledis.Maisjetepréviens,personnenem’arriveàlachevillequandil

s’agitdeManCity.Surtoutpasunefille.DrewobservaitlasilhouettemenuedeSuzie,aumilieuduterrain,surlepodiumàcôtédePatrick,

occupéàprendredesphotosavecsontéléphoneenfaisantdegrandssignesenthousiastesàlafoule.—Mesdames et messieurs, entama Steve dans son micro. Aujourd’hui, nous avons droit à un

combat fille contregarçondansnotrequêteduplusgrand fandeManchesterCity.Les fillesvont-elles prouver que ce n’est pas qu’un sport d’hommes, ou les garçons vont-ils revendiquer leurterritoire?Ungrondementmassifs’élevadestribunes,etDrewobservaPatricksepavanersurl’estrade,les

brastendus,commes’ilavaitdéjàgagné.—Tupeux le faire, souffla-t-il.Aucune raisonde t’inquiéter.Tu t’ensorsàmerveille.Laisse-le

croirequ’ilvagagner.—Jevaismefairedessus,chuchotaSuzieenguisederéponse.Ondiraitqu’ilyaunmillionde

personnesaveclesyeuxbraquéssurmoi.—Concentre-toi,Suzie,concentre-toi,larassuraDrew.Cinqminutesàpeine,etc’estterminé.La

finestproche,maintenant.Jesaisquetupeuxlefaire.Ils’abstintdeluiconfierquelui-mêmeavaitl’estomacnouéàcausedustress.—Bon,pouvez-vousmedonnervotrenom,etmediredepuiscombiendetempsvousêtesfande

ManCity?repritSteveentendantlemicroàPatrick.—Jem’appellePatricket jesuis lesbleuscieldepuisquemonpèreacommencéàm’emmener

voirleursmatchsàl’âgedetroisans.Ilestlà,danslatribuneNord.Salut,papa!Patricks’avançajusqu’auborddupodium,ethurlad’unevoixhautperchée:«ManCityjusqu’àla

mort»,ensecouantlesbrasfrénétiquementjusqu’àcequelestadeentiernereprennelechantaprèslui.ManCityjusqu’àlamortManCityjusqu’àlamortTusaisquijesuisJesaisquijesuisManCityjusqu’àlamortLesonétaitassourdissant,etDrewobservaSuzieregarderautourd’elle,visiblementpétrifiée.—Etvous?demandaSteveàSuzie,unefoislevacarmeretombé.— Euh, je m’appelle Suzie Miller, et je suis fan depuis, euh, toujours, répondit-elle, avant de

donner un coup de poing en l’air sans grande conviction, et de marmonner un plutôt faible«ManCitypourlavie»,écorchantlesloganaupassage.Drewsetassadanssonfauteuil.Ilespéraitqueçafonctionne,sinonilnepourraitplusjamaisêtre

vuenpublicavecSuzie.C’était incroyabledeconstater la façondontune fouleaussigrandepouvait faireautantdebruit

uneminute,etêtreaussidramatiquementsilencieusecelled’après.

—Bien, revoyons les règles, d’accord ? poursuivit Steve. Je vais vous poser deux questions àchacun.Celuiquidonneleplusdebonnesréponsesl’emporte.Celadit,encasd’égalité,onpasseauxquestionsdemortsubite.Compris?—Balancelasauce!s’écriaPatrickenguisederéponse.—Oui,d’accord,murmuraSuzie.—Parfaitdanscecas,allons-y.Onvacommenceravecvous,Patrick.Premièrequestion:enquelle

annéeManCitya-t-ellegagnésontoutpremiertitreenchampionnat?—En1937,réponditPatrickdutacautac.—Correct,hurlaStevetandisquePatricksautaitenl’airetfaisaitunerondedelavictoireautour

dupodium.Lafouleémitungrognementd’appréciation.—Bon,Suzie,repritSteved’unevoixdouce.Voicivotrepremièrequestion.Qu’ontfaitlesbleus

ciellasaisonsuivante,qu’aucunautreclubn’aitjamaisfaitavanteux?Lestadebondéseréduisitpresqueausilence,tandisqueSuziedévisageaitSteve,leregardvide.—Souhaitez-vousquejerépètelaquestion?interrogeaSteve.Suziehochalatête,etunevaguemoqueusecommençaàagiterl’assistance.—LasaisonsuivantcelleoùManCityagagnésontoutpremiertitreenchampionnat,qu’est-ceque

l’équipearéussiàfaire,làoùaucunautreclubn’yétaitarrivéjusque-là?Àprésent,Suziejetaitunregarddésespéréauprésentateur.—Jesuispresquecertainquelesbleuscielontétérelégués,ditDrewdanslemicro.Il était aubordde lanausée ;peut-êtrequecen’étaitpasune sibonne idéequeça. Il avaitbeau

s’êtredévouéàManCitydurantsavieentière,répondreàdesquestionssouspressionétaitdifficile.Mêmesicen’étaitpasluiquiétaitsouslesprojecteurs.IlobservaSuziesepencherpourparlerdanslemicro.—Sesont-ilsfaitreléguer,Steve?demanda-t-elle,lavoixlégèrementtremblante.Un faible son d’applaudissements respectueux se répandit dans la foule avant que Steve n’ait le

tempsderépondre.—Oui,eneffet,grommelacedernier,enluidonnantunetapedansledos.Suziesouritjusqu’auxoreilles,sesentantenfinàsaplacesurlepodium.Patrickhaussalesépaules

avecnonchalance,commes’ilpensaitqu’elledevaitsabonneréponseàuneintuition.—Bon,Patrick.Pouvez-vousmaintenirleniveaupourcesmessieurs?s’enquitSteve.—Jepeuxlefairepourn’importequi,repartit-ilenfaisantunclind’œil.—Parfaitdanscecas,voicivotredeuxièmequestion.QuelleéquipeManCitya-t-ellebattuepour

remportersonuniquetrophéeeuropéen,laCouped’Europedesvainqueursdecoupes?—Górnik Zabrze, de Pologne, lança-t-il immédiatement, avant de sauter sur place en signe de

victoire,avantmêmequeSteveneluiaitconfirmélerésultat.—Bienjoué,Patrick.Bonneréponse.Bon,Suzie,vousdevezrépondreàcettequestionpourrester

enpiste.DansquellevilleManCitya-t-elleremportélaCoupedescoupes?—Vienne,ditDrewdanslemicro.Dieusoitloué.Ilsallaientpeut-êtrebiens’entirer.IlbaissalesyeuxsurSuzie,quiétaitfigéesurl’estrade,sansmotdire.—Vienne,répéta-t-il.Vienne.Suziejetaunregarddésespéréverslatribuneoùilsetrouvait.—Maisqu’est-cequ’ellefout?s’exclama-t-il,selevantd’unbondsouslecoupdelafrustration.Ilconstataalorsquelecordonreliéàsonoreillettesebalançaitjoyeusementautourdelui.

—Flûte,flûte,flûte,s’écria-t-il,prenantconsciencequ’ilétaitdéconnectéetqu’ellenepouvaitpasl’entendre.Ilrebranchal’emboutethurla:«Vienne»,àl’instantmêmeoùSteveposaitlaquestionàsonamie

pourladernièrefois.—Varsovie, suggéra Suzie désespérément, un quart de seconde avant que la connexion ne soit

rétablie.—Nooon,Vienne!criaDrew, tandisque lamaindeSuzie,visiblementchoquée,seplaquaitsur

sonoreillegauche.Lamain sur sonvisage, il l’observaentre sesdoigts, lorsqueSuzie,hystérique, éclatade rireet

donnauncoupdepoingfarceuràSteve.—Jeplaisante,Steve.Bienévidemment,lavilleoùlesbleuscielontgagnéétaitVienne,annonça-t-

elleenfaisantungestetriomphant.—Cen’estpasjuste,protestaPatrick.Elleaentendulafoulecrierlabonneréponse.—Enfin,Patrick.JesuiscertainqueSuzien’arienentendudutout,n’est-cepas?—Non,biensûrquenon,acquiesça-t-elle.—Bon, soit, rétorqua Patrick. Pouvez-vous juste dire aux spectateurs de cesser de souffler les

réponses?poursuivit-il,enadressantunsignedemaindédaigneuxàlatribuneNord.Soudain,deshuéesenvahirentleterrainentier.Ilsseretournentcontrecesaletypetropsûrdelui,seditDrew.Parfait.— Restons fair-play, d’accord ? reprit Steve. Ou l’idée d’être battu par une fille vous est

intolérable?ajouta-t-il,unsouriremalicieuxauxlèvres.Patrick,levisagedemarbre,toisaSteve,tandisqueleshuéeslaissaientlaplaceàdesgloussements

moqueurs.—Passonsmaintenantàlamortsubite,annonçaSteve.Jevaisvousposeràtouslesdeuxlamême

question,etceluiquiserapprocheleplusdelabonneréponseremporteletitre,celuiduplusgrandfandeManCity.Est-cequevousêtestouslesdeuxprêts?—Oui,répondirentSuzieetPatrickenchœur.—DepuislespremièresarchivesàlafinduXIXesiècle,combiendejoueursontjouépourl’équipe

deManchesterCity?Lafouleenavaitlesoufflecoupé.C’étaitunequestionvraimentdifficile.Drewétaitàdeuxdoigts

devomir.C’étaitvraimentunequestionextrêmementdifficile.—Alors,Patrick,qu’endites-vous?lepressaSteveaprèsleuravoirlaisséquelquesinstantspour

réfléchir.Patrick,enpleineconcentration,fermaitlesyeux.Illesrouvrit,puisannonça:—J’estimequec’estautourde8500.—Etqu’enpensez-vous,Suzie?demandaSteve.—Jepensequ’il a tablé trophaut, soufflaDrew. Ilme sembleque lesbleus ciel n’ontpas joué

pendantlaguerre.Descendsunpeu.—Euh,jepensequejevaisrestersur8000,ditSuzie,lavoixdenouveauchevrotante.Flûte,songeaDrew.Elleétaitdescenduetropbas.—Est-cevotrederniermot?interrogeaSteve.Suzieacquiesçaensilence.—Ehbien,laissez-moivousdirequevousêtestouslesdeuxtrèsproches,repritSteve.Suzieva-t-

ellel’emporterpourcesdames,ouPatrickva-t-ilvaincrepourcesmessieurs?Unpeudesilence,jevousprie,pendantquejedonnelerésultatfinal.

L’assistancesetut,tandisqueDrewpriaitàvoixhautedanssapetiteloge.—La réponse à la question, à savoir, combiende joueurs se sont succédé au seindeManCity,

est…8214.Il y eut un blanc, le temps que tout lemonde s’efforce de déterminer qui avait gagné. Suzie et

Patrickétaientcommeclouéssurplace,pascertainsdecomprendrelaréponse.—Celaimpliquedoncque,cettesemaine,leplusgrandfandeManCityest…Suzie,àuncheveu

près.Donc,désolé,Patrick,maisaujourd’hui,vousvousêtesfaitbattreparunefille.CefutautourdeSuziedefairedesrondesdelavictoireautourdel’estrade,souslesyeuxhorrifiés

dePatrick.Ildemeuraitimmobile,visiblementsouslechoc,tandisqu’unchantcommençaitàs’éleverdelafoule:BattuparunefilleBattuparunefilleBattuparunefilleBattuparunefille!Hébété, il leva les yeux vers la tribuneNord, d’où le chant était parti.Desmilliers de ses bien-

aimés supporters pointaient un doigt accusateur vers lui et se moquaient de lui de la pire façonpossible. Il blêmit et se ratatina sur lui-même, tandis que toute formed’arrogance et de prétentionsemblaitl’abandonnerfaceàuntelaffront.Suzieluijetauncoupd’œiletneputs’empêcherd’éclaterderire.L’ampleurdel’humiliationdePatrickdépassaitsesrêveslesplusfous.—LaplusgrandefandeManCitya-t-elleuncommentaireàfaire?demandaSteve,entendantle

microverssafigurehilare.—Certainement, répondit-elle en se tournant pour faire face à la tribuneNord qui ricanait, en

levantlesmainsenl’air.Jevoudraisjusteremerciercepublicabsolumentmagnifique.D’énormesapplaudissementsvinrentrépondreàsoncommentaire.—C’estquoi,cebordel?s’exclamaPatrick,ensaisissantlemicro.—Pasdegrosmots,s’ilvousplaît,l’interrompitSteve.Ilyadesenfantsdansl’assemblée.— C’est moi, le plus grand fan de Man City, grommela-t-il. Impossible que ce soit une vraie

supportrice.Son visage d’une pâleur cadavéreuse quelques instants plus tôt était désormais rouge écarlate,

tandisquesonchocinitialsechangeaitencolère.—Quandjesortaisavecelle,ellenesavaitmêmepasquiétaitFrancisLee,bonsang,poursuivit-il.

C’est laplusgrandefandeRickAstley,pasdeManCity.Ellemecassait lesoreillesaveclui,c’estpourçaquejel’aiplaquée.Suzieenavaitlesoufflecoupé.IdempourDrew.—Donctut’ensouviens,souffla-t-elle.Illuiadressaunregarddepurmépris.—Oui,jem’ensouviens,rétorqua-t-ilsuruntondedéfi.Suzien’encroyaitpassesoreilles.Toutcequ’ilavaitditàl’étagen’étaitquepurmensonge,eten

prime, il venait encore une fois de la qualifier d’ennuyeuse en public.Elle s’était dit que le battredevanttouslesautressupporterssuffiraitàluidonneruneleçon,maisvisiblement,elledevaitallerencoreplusloin.Cen’étaitpasterminé.Ellen’avaitpasl’intentiondepousserlebouchonàcepoint,maisilluiforçaitlamain.Elles’avançad’unpas,etdonnaunpetitcoupsurl’emblèmeduclubqu’il

arboraitfièrement.—Tuteproclamessupporter,siffla-t-elle.Jemesouvienspourtantdecequetuasfaitl’étéoùon

estsortisensemble,poursuivit-elleenluiarrachantlemicrodesmains.Etsionpartageaittonvilainsecretavectoutlemonde?CefutautourdePatrickderesterbouchebée,tandisquetoutecouleurquittaitsonvisagepourla

secondefoisdel’après-midi.—Tun’oseraispas!s’écria-t-il,enavançantversellemenaçant.Heureusement,Stevedécrétaqu’ilétaittempsd’intervenir.—Doucement,mon garçon, lança-t-il, en posant fermement lamain sur l’épaule dePatrick.Ce

n’estpasunefaçondesecomporter,si?Suzies’éclaircitlavoixpourseprépareràfairesonannonce.—Noooooooon,hurlaPatrick,tombantàgenouxdevantelle.Nedisrien,lasupplia-t-il,lesmains

jointes.Tout,maispasça,jet’enprie.Ilavaitl’airpathétique,àl’opposédelafaçadearrogantequ’ilaffichaitquelquesinstantsplustôt.—Pasici,gémit-il.Tunepeuxpasenparlerici,jet’ensupplie.Ilsvontmecrucifier.Ellesavourasamineterrifiéeencoreuninstant,puisluimurmuraaucreuxdel’oreille:—Pastrèsagréable,hein?souffla-t-elle.D’êtrehumiliédevantlesdernièrespersonnesaumonde

en face de qui tu voudrais l’être. C’est exactement ce que j’ai ressenti quand tu m’as quittée, etaujourd’hui,c’estàtontour.Abattu,Patrickl’observaseredresseretleverlemicropours’adresseràlafoule.—Durantl’été1988,lesjoueursdeManchesterCityontconnuunedéfaitecuisantede4à1faceà

l’équipeOldhamAthletic,quilesalaisséscroupiràladernièreplacedelaligue2,déclara-t-elleavecassurance,tandisqu’unmarmonnemententenduparcouraitlestade.Patrickétaitprésentàcematch,etenpartant,ilaprisunedécisionimpardonnable.Lemurmurecédalaplaceàungrondementsonore.—IladécidédecesserdesoutenirManchesterCity.Legrondementsefitplussourd.—Nooooon,criaPatrick,lesmainsdésormaisplaquéessursesoreilles.—Cen’estpaslepire,reprit-elle.IlaabandonnéManchesterCityaumomentoùl’équipeavaitle

plusbesoindesoutienpoursetournervers…,expliqua-t-elle,marquantunepausepourfairesonpetiteffet.ManchesterUnited,pendantcinqjoursentiers,conclut-ellesuruntontriomphant.Legrondementcédalepasàungrognement, tandisquelestadesemblaitsechangerenarènede

gladiateurs.Suruntonmenaçant,lesautressupportershuaientetsifflaientàgorgedéployée,rejetantPatrick avec toute l’énergie dont ils disposaient. Sa relation avec eux, avec le football, avecManchester City, était ternie pour toujours. Supporter une équipe rivale de lamême ville était unpéchépassibledelapeinecapitale.—Avez-vousquoiquecesoitàdirepourvotredéfense?demandaSteved’unevoixsolennelle,

tandisqu’ilrelevaitPatrickpourquecedernieraffrontelafureurdesescompagnonssupporters.— J’étais jeune, plaida-t-il. Je me suis dit que Manchester United avait plus de chances de

remporteruntitre.Ilsecachalafiguredanslesmains,incapabledefairefaceàcesmilliersdevisagesfurieux.—Çan’aduréquecinqjours,gémit-il.Quanddesmissilescomposésdebouteillesenplastiqueetdeboîtesenpolystyrènecommencèrent

à joncher le terrain, Steve comprit qu’il était plus sage demettre un terme aux activités de lami-temps.

—Disonsqueçavous faitunebonne leçon, fit-il remarquer,hilare,ensecouant la tête.Quantàvous,poursuivit-ilensetournantversSuzie,vousincarnezl’espritmêmedecetteéquipe.Unexemplebrillantd’engagementetdeloyauté.Mesdamesetmessieurs,faitesuntriompheàlagagnanteduplusgrandfandeManchesterCity,laseuleetl’uniqueSuzieMiller!Le public gronda en signe de reconnaissance. Stupéfait, Patrick observa Suzie se pavaner sur

l’estrade, avec autant d’assurance et de joie qu’il en avait manifesté quelques instants plus tôt. Ilsursautalorsqu’elles’arrêtajusteàcôtédelui,etsepenchapourmurmurerunenouvellefoisdanssonoreille.—Profitedecemomentautantquepossible,Patrick,dit-elle.Àmonhumbleavis,c’estladernière

foisquetupourrasposerlepieddanscestade.Profites-en.Etlà-dessus,ellesautadupodiumettraversaleterrainencourant.Lorsque Drew vit Suzie bondir de l’estrade, il comprit qu’il devait aller la retrouver

immédiatement. Il sortit de la pièce et dévala les trois étages en courant, avant de grimper lesquelquesmarchesmenantàlatribune.Endessous,ilaperçutSuzieguidéederrièreunebarrièreparlesagentsdesécurité.Elleétaitsurlepointdedisparaître.—Suzie!beugla-t-il.Elleneseretournapas.Ellenel’avaitpasentendu.—Attends,Suzie!Ildévalaà touteallure lesescaliersquimenaient au terrain,bienconscientdes regardsétranges

qu’ilsuscitaitsursonpassage.Ilcriaunenouvellefois,etellefinitparseretourner.Comprenantquil’interpellait,ellesefrayaun

cheminentrelesdeuxagentsdesécuritéquitentaientdelesprotégerdelafoule,elleetsontrophée–unmaillotdédicacéôcombienconvoité.—Drew!s’écria-t-elle,toutenmontantlesmarchesencourantpourlerejoindre.Jel’aifait,jel’ai

fait!Ilsserejoignirentàmi-chemindansl’escalierdelatribune104ets’enlacèrent,toutensautillantde

joie.—Jel’aifait,répétait-elleinlassablement,avantdes’écarterdelui.Tuasvulatêtequ’ilfaisait?Il

n’arrivaitpasàcroirecequisepassait.C’étaituncoupdegénie,Drew.Deslarmesroulaientàprésent le longdesesjoues,maisDrews’enmoquaitcettefois ; ilsavait

pertinemmentquec’étaientdeslarmesdejoie.Elles’approchapourlereprendredanssesbras,etilluirenditimmédiatementsonétreinte.Soudain,ilpritconsciencequ’iln’étaitpascertaindesavoirquandinterromprecesembrassades,

nimêmes’ilenavaitréellementenvie.Sentirunefemmepleurerdejoiesursonépauleavaitquelquechosedetrèsréconfortant.Ilreculad’unbond,commes’ilvenaitdeprendrefeu.—Bon,dit-il,ayantbesoindemettrefinàcemoment.Unedernièrequestion.—Laquelle?—Jepeuxavoirlemaillot?Ilfitunsignedetêteendirectiondel’objetcollectorqu’elletenaitàlamain.—Biensûr!Jenel’auraisjamaisgagnésanstoi,observa-t-elleenleluifourrantdanslamain.Aumêmeinstant,unhommeentredeuxâges,assisjusteàcôté,sepenchaverseux.—Vousdevezêtrel’hommeleplusheureuxsurcetteplanète,dit-ilàDrew.Nonseulementvotre

épouseaimelefootball,maisenprime,ellevousgagneunmaillotdédicacé.Lamiennenemelaissemêmepasm’abonnerauxchaînessportives,grommela-t-il.—Cen’estpasmafemme,rétorquaDrew.

—Jenesuispassafemme,déclaraSuzieaumêmeinstant.L’homme les dévisagea tous les deux, visiblement perplexe, avant qu’une lueur ne traverse son

visage.—Jevois,dit-il lentement.Danscecas,vousn’êtespasuniquementheureux,vousêtesunsacré

veinard,ajouta-t-ilensecouantlatêted’émerveillement.—Non,vousnecomprenezpas,protestaDrew.Lespectateurluiadressaunregardentendu,commes’ilcomprenaitparfaitement.—Allez,intervintSuzieenletirantparlamanche.Ondoitallerfêterça.—Non,jenepeuxpas,répondit-ilsuruntonferme.J’aipromisàEmilydel’emmenerauLoftce

soir.Jenepeuxpasmepermettred’arriversoûlaujourd’huiencore.Pasaprèsladernièrefois.L’hommederrièreeuxsemitàtousser.—Bien sûr, concéda-t-elle. Je t’ai assezmonopolisé pour aujourd’hui.Comment vais-je jamais

arriveràteremercier?Lesupportertoussadenouveau.Drewpréféral’ignorer.—Tul’asdéjàfait,répondit-ilenbrandissantlemaillot.Elleéclataderire.—Bon,alorsàlundi.Ellesepenchaenavantpourleprendreuneultimefoisdanssesbras.Ilsrestèrentenlacésunpeu

troplongtempsaugoûtdeDrew.Ilfutlepremieràs’écarter.Tandisqu’ilmontaitl’escalier,illuifalluttoutesavolontépournepas

seretournerpourvoirsielleleregardaitpartir.

Chapitre11

—Tuauraisdûvoirsatête,Em,racontaDrewcesoir-là,alorsqu’ilsétaientattablésdansl’undesmeilleursrestaurantsdeManchester.Ilétaitcomplètementestomaqué.Jen’aijamaisvuuntrucpareil.Lepublicentierlehuait,autantques’ilavaitmanquéunpenaltydanslesdernièresminutesdelaFACup.—Hmm,c’estgénial,acquiesçaEmily,lesyeuxrivéssurunpetitcalepinnoirqu’elleavaitsortide

sonsacàmain.— Qu’est-ce que tu regardes ? demanda Drew sur un ton cassant, quelque peu contrarié de

constaterque,visiblement,Emilynel’écoutaitqued’uneoreilledistraite.Il s’était donnébeaucoupdemalpour s’assurerqu’elle soit au courantde cequ’ilmijotait avec

Suzie, et qu’il n’y ait pas de malentendu, mais le sujet l’intéressait aussi peu que le football engénéral.—La formulationdes invitations,marmonna-t-elle, sans lever le regard. Il fautencorequ’onse

metted’accordsurl’énoncépournosfaire-part,ajouta-t-elleennotantquelquechosedanssoncarnet.Drewsoupira. Ilétait surunnuagedepuisqu’ilavaitquitté lestade,et ilvoulaitpartagersa joie

avecEmily,maisdetouteévidence,elles’enmoquaitéperdument.—Onnevatoutdemêmepass’enoccupermaintenant?s’enquit-il.—Non,biensûrquenon.Jevoulaisjustejeteruncoupd’œilenvitesseàlalistedeschosesàfaire

pournotremariage,pourm’assurerqu’onestdanslestemps.—Super,bonneidée,soupiraDrew.Bonsang!Ilvoulaitpasserunagréablemoment,pasengagerundébatpourdéterminersi«nous

espéronsavoirleplaisirdevotrecompagnie»étaitunemeilleurefaçondedire«venezànotrefêtedemariage».Ilrestaassissansbroncher,espérantqu’Emilyfiniraitparconclurequ’ilsétaientdanslestempssansqu’ilintervienne.—D’ailleurs,commença-t-elleenlevantlesyeux.Etvoilà.Tarteauxfruitsougénoise?—J’aimenémonenquête,etj’airéussiàsaisircequ’onconsidèrecommelecontratdemariagele

pluséquitabledans lemilieu. J’enaiunexemplairedansmonattaché-caseà lamaison.Ondevraitvraimentlesignerdèsquepossible.Ellebaissadenouveauleregardverssoncalepinetyraturaquelquechose.Drewreposarapidementsonverre.Iln’avaitpasvuvenirceproblèmeprénuptialenparticulier.—C’estvraimentnécessaire?—Qu’est-cequetuveuxdire?demanda-t-elleenrefermantsoncarnetpourlerangerdanssonsac.—Ehbien,jen’auraispascruqu’onauraitbesoind’undecestrucs,toisi?Emilyéclataderire.—Sionm’avaitpayéechaquefoisqu’uncouplepassaitmaporteetdisaitlamêmechose,jeserais

millionnaireàcetteheure-ci.Personnenepensequec’estnécessaire,Drew.Mêmemoi,jenelepensepas,maisçameparaîtraisonnable.Nettementplusquededépenserdesmilleetdescentspourpayerdesavocatsspécialisésendivorcehorsdeprix,commemoi,si lepirevenaitàseproduire.Mieuxvaut se mettre d’accord de façon calme et lucide sur la marche à suivre avant le mariage, plutôt

qu’unefoisprisdansunetourmenteémotionnelleirrationnelle,quandonenarriveaustadeoùonsedéteste.DrewdévisageaEmily.Ilsavaitqu’iln’auraitpasdûêtresurprisparsasuggestion.Lajeunefemme

disposaitd’unecapacitéuniqueàutilisersaraisonlàoùlesémotionsétaientdemise.—Bon,queditcecontratdemariage,danscecas?—Engros,nous restonsdétenteursde tous lesbiensdontnousdisposionsavantnotreunion, et

divisons en deux tout ce qui touche à lamaison et au compte joint.C’est très simple. Pas de quois’inquiéter.—Etsionadesenfants?interrogea-t-il.—Gardepartagée.Les comptes épargnequenous avons serviraient pour leurs études, et autres

frais exceptionnels à discuter entre nous deux. Je te lemontrerai tout à l’heure si tu veux. Je suiscertainequeçat’iratrèsbien.Surce,ellepritunebonnebouchéedesonpetitpain.Ill’observamâcherminutieusement.Onauraitditqu’ellevenaitdeluiannoncerqu’ellechoisissait

du fromage de chèvre en entrée, et non qu’elle avait déjà planifié quoi faire de leurs enfantspotentiels,sitouseuxdevaientunjourbriserleursvœux.Ilétaitsansvoix.Vuqu’ilnerépondaitpas,ellefinitdemanger,puisluipritlamaindanslessiennes.—Cessedet’enfaire,dit-elle.Jesaisquenousn’enauronsjamaisbesoin,maisçameparaîtidiot

denepasensignerun.Jevoisbientropdecouplessedéchirerpourprendrelerisquedevoirunetellechosenousarriver.—Soit,finit-ilparmurmureraprèsunlongsilence.— Et si je te parlais de l’essayage de ma robe aujourd’hui ? demanda-t-elle, en lui frottant

vigoureusementlamain,commesiellecomptaitsurcegestepourchassersamauvaisehumeur.—Vas-y, répondit-il, toujours unpeu confus,mais impatient d’envenir à un aspect agréablede

leurunionàvenir.Bonneidée,ajouta-t-ilenesquissantunsourire.Elle lui rendit son sourire et lui serra la main, avant de se lancer dans un récit détaillé de sa

conversationavec lacouturière.Assezvite, ilpritplaisirà laisserEmily le taquineren luidonnantdesindicessursarobe,etlemalaiseducontratdemariagedevintpeuàpeuunlointainsouvenir.Emilyvenaitdeselancersurlacomplexitédechoisirunepairedechaussurespourlacérémonie,

quandlestraitsduvisagedeDrewsefigèrent,dèsqu’ilaperçutquelquechosederrièreelle.Tandisquelesdeuxsilhouettesenquestionsedirigeaientdroitsureux,ilsesentitsubmergéparunefurieuseenviedeprendrelafuiteetdesecacher.—Hé,vousvoilà!s’exclamaSuzieenatteignantleurtable.Unefemmearrivaentitubantderrièreelle,l’empoignantparl’épaulecommesielles’efforçaitde

garderl’équilibre.—Qu’est-cequetufaisici?s’enquitDrew,luttantpourdétournerlesyeuxdel’opulentepoitrine

de l’amiedeSuzie,quimenaçaitde jaillirdesonbustierendentellepour luidonneruncoupdansl’œil.—Ehbien,jeracontaisàJackie…Oh,voiciJackie,d’ailleurs.Désolée,c’esttrèsgrossierdema

partdenepasfairelesprésentations.Jackie,voiciDrewetEmily.—Drew,vousêtesunelégende,lançaJackie,visiblementivre.Suziem’atoutracontésurceque

vousavezfaitcetaprès-midi,etjenevaispasyallerparquatrechemins:vousêtesundieu.Emily toussa et balaya la pièce du regard, visiblement inquiète qu’on puisse entendre leur

conversation.

—Jackieavaitenviedeterencontrer,expliquaSuzie.Ettuasmentionnéquetuvenaisici,doncjemesuisditqu’onpasseraitencoupdeventetqu’onvousoffriraitunverreàtouslesdeuxpourvousremercier.Ellesemblaitsicontented’ellequec’étaitdurdenepassourire.—Enparticulier,vous,Emily,pourm’avoirprêtéDrewtout l’après-midi, reprit-elleendonnant

unpetitcoupsurl’épauled’Emily.—Euh,merci,réponditcettedernièresuruntonpincé.Raviedevousvoir,Suzie,maisnousétions

surlepointdecommander,doncpeut-êtreuneautrefois,d’accord?EllepritsonmenuetjetaàDrewunregardinsistant.—Pourquoivousnevenezpasànotrefête?s’écriaJackie,droitdansl’oreilled’Emily.— Pardonnez-moi, rétorqua celle-ci, s’écartant tant de Jackie qu’elle semblait à deux doigts de

tomberdesachaise.—Venezàlafêtequ’ondonnepourlenouvelan,expliquaJackie,envacillantversDrewcettefois.

VouspourrezrencontrerDave,mamoitié.Jeluiaidéjàdittoutcequ’ilyaàsavoirsurvous,Drew.Vous êtes l’homme, poursuivit-elle en plantant son doigt dans l’épaule deDrew, qui a conseillé àSuzied’allertouslescastrer.Instantanément,lesilencesefitauxtablesautour,etmêmeJackieleremarqua.Elleregardaautour

d’elle en montrant fièrement Drew du doigt, pour s’assurer que tous les clients n’avaient pas lemoindredoutesurlapersonnedontelleparlait.—C’estfaux,protestaDrew,secouantvigoureusementlatêteenregardantEmilyetlespersonnes

attabléesautour.LesouriredeSuzies’étaiteffacé,lorsqu’elles’aperçutquel’ivresseaffichéedeJackieétaitpeut-

êtredéplacéedanscetenvironnementcalmeetsophistiqué.Emilyintervintpourreprendreleschosesenmain.—Mercipourvotrecharmanteinvitation,dit-elleàJackielentement,commesielles’adressaità

unenfantenbasâge.Maisj’aibienpeurquenousn’allionstoujourschezmesparentspourlenouvelan.JackiedévisageaEmilycommesiellen’avaitpascomprisuntraîtremotdesondiscours.Emilyrefitunetentative.—Nousallonstoujourschezmesparents,répéta-t-elle,encorepluslentement.—J’aientendulapremièrefois,rétorquaJackie.Vousn’êtespasobligésd’allerchezvosparents,

vous savez. Quel âge avez-vous ? Pas loin de quarante ans ? Ça fait un peu beaucoup pour êtreconsignéscommedesadolescents,non?Emilyrajustalecoldesavesteélégante,etbombaletorse,commesielles’apprêtaitàremettreà

saplaceunefripouilleaubancdesaccusés.—Enplus, notre fête seravachementmieux, insista Jackie.Parceque le frèredeDave travaille

chezungrossiste.Personnen’ouvritlabouchetandisqueJackielesdévisageaittouràtour.Suzieluipritlebrasavecespoir.— Allez, Jackie, dit-elle. Nous les dérangeons pendant leur dîner. Allons manger un morceau,

d’accord?—Qu’enpensez-vous,Drew?demandaJackie,pasdécouragéelemoinsdumonde.Çavoustente,

non?L’andernier,onaditànotreJamiequ’ilpourraitboireunpanaché,s’ildansait laMacarenapendanttrenteminutesd’affilée,enportantunmasqueàl’effigiedeMargaretThatcher.Onenvisagedel’inscrireàl’émissionBritain’sgottalentl’anprochain.

Drew jeta un coup d’œil à Emily, et repensa au pianiste que les parents de la jeune femmeengageaientpourl’occasionpresquechaqueannée.—Comme jevous l’aidit,nousallons toujourschezmesparents, répétaEmily, enaffichantun

fauxsouriredésolé.—Maisçanevapasnoustuerdefaireuneexception,pourunefois?osaDrew,lui-mêmeétonné

d’émettreunesuggestionpareille.Levisaged’Emilyparutdécontenancéuninstant.—Tusaispertinemmentquenousyallonstouslesans.Onl’atoujoursfait,etonleferatoujours,

ajouta-t-elle brusquement, reprenant sonmenu et feignant de lire la carte. En plus, je leur ai déjàconfirméquenousserionsprésents.—Dites-leurqu’onvousa faitunemeilleureoffre, réponditJackie,envahissantdangereusement

l’espacevitald’Emilyunenouvellefois.Oumieux,tiens,emmenez-lesavecvous.Plusonestdefous,plusonrit.—Jenesuispascertainequecesoitleurtassedethé,protestaEmily,refusantdecéderunpoucede

terrain.—Qu’est-cequejesuiscenséecomprendre?—Allez,Jackie,imploraSuzie,latirantdenouveauparlebras.Onyva?Onvaraterleconcertde

Daveàcerythme.—Pour tout dire, repritEmily, trop occupée à ne pas se laisser intimider par Jackie pour tenir

comptedeSuzie,jedoutefortqu’ilsaientjamaisentenduparlerdeBritain’sgottalent,nonpasquelesujetlesintéresse.Jackieneselaissapasdémonter.—Peut-êtrequ’ilssontfansdeDeepPurple,danscecas?Davefaitpartied’ungroupedereprises,

CheapPurple.Possiblequevousenayezentenduparler.Songroupeetluisontenpleinetournéecestemps-ci.—Etoùaurais-jepuenentendreparler?Enprison?Stupéfaite,Jackiereculabrusquementd’unpas,puistrébucha.Elleserelevapéniblementetpointa

Emilydudoigt.—Espèce de snobinarde, proféra-t-elle avant d’empoigner Suzie par le bras et de se retourner

pourpartir.—C’étaituneblague,plaidaEmilysansgrandeconviction,tandisqueJackietitubaitverslasortie,

entraînantSuziederrièreelle.Drewlesobservaquitterlapièce,horrifié.Suzieseretournapourluimurmurerun«désolé».—Jeferaismieuxdevérifierqu’ellesvontbien,dit-ilenselevant,avantqu’Emilyn’aitlamoindre

chancedel’arrêter.Illestrouvaàl’extérieursurletrottoir,essayantdehéleruntaxi.Jackielevitenpremieretfonça

droitsurlui,sejetantdanssesbras.—Désoléedel’avoirtraitéedesnob,dit-elleenappuyantlatêtesursonépaule.— Et si on oubliait tout ça ? rétorqua Drew, s’efforçant tant bien que mal de s’écarter de son

opulentepeauexposée.—Jesuistellementnavrée,Drew,intervintSuzie,visiblementtroublée,voireauborddeslarmes.

Nousn’aurionspasdûvenir.—Toutvabien,vraiment,larassura-t-il.—Vous,vouspourriezquandmêmevenirànotrefêtedunouvelan,repritJackieenleserrantde

nouveaudanssesbras.—Jenesuispascertainquecesoitapproprié, si ? fit remarquerDrew.Mercipour l’invitation,

celadit.—Certes.Ellelerelâchaettitubaversuntaxiquivenaitjustedes’arrêter.DrewetSuzieseregardaientenchiensdefaïence,aucundesdeuxnesachantquoidire.—J’espèrequenousn’avonspasgâchévotresoirée,finit-elleparlancer,lavoixtremblante.Après

toutcequetuasfaitpourmoiaujourd’hui.—Toutirabien,larassuraDrew.Allez,file,lapressa-t-iltandisqueJackieinterpellaitSuzieàcôté

dutaxienattente.Jeferaismieuxderetournerauprèsd’Emily.Il les observa partir, Jackie lui faisant de grands signes par la vitre arrière, et Suzie semblant

démoralisée,visiblementinquiètedesdégâtscausésparsonamie.Ilregagnalerestaurantetdécidadefaireundétourparlestoilettespourreprendresesespritsavantderetourneràlatable.Ils’enfermadansundescabinetsets’enfouitlatêtedanslesmains.Penseràlafaçondontilallait

devoir se débrouiller avec Emily suffisait à lui flanquer la nausée. Il savait qu’elle émettrait descritiquesméprisantesenversJackieetSuziependantlerestedelasoirée,etilnesavaitvraimentpascommentilallaitfaireavec.Maiscen’étaitpasl’uniqueraisonpourlaquellesonestomacétaitretourné.Pendantcetincident,il

s’étaitproduitautrechose,quepersonnen’avaitremarqué.Unévénementnettementpluscontrariantquetoutcequivenaitdeseproduire.Uneexpériencequ’ilétaitcertainden’avoirjamaisvécudesavieentière.Il était assis là, au beau milieu du restaurant, et avait senti son cœur bondir, sa respiration

s’accélérer,etunesensationdejoieluiparcourirlecorps.Pourtant,iln’avaitpasfaitunseulgeste.Ilnes’étaitrienpassé.Sicen’estqueSuzieétaitapparuedanslapièce.

Chapitre12

ChèreSuzie,J’airencontrémonâmesœurdansunbarilyaquelquessemaines.Onauraitditquenousétions faits l’un pour l’autre. Nous aimions lesmêmes choses, y compris la glace rhumraisins–etjen’aijamaisrencontréquiquecesoitquiaimeceparfum.Nousavonsparlétoutelanuit, jusqu’àcequemesamisenaientmarredemevoirregarderPeteravecdesyeuxdemerlanfrit–ilportelemêmenomquemonpremierlapinenpeluche!–doncilsnous ont laissés. J’ai fini par rentrer avec lui et il s’est comporté en parfait gentleman,jusqu’àmeproposerdefairechambreàpart.Maiscelamesemblaittellementnaturelquej’aidécidédecoucheraveclui.Parlasuite,nousnoussommestouslesdeuxditquenousn’avions jamais ressenti la même chose pour qui que ce soit. Le lendemain, il devaittravaillerdoncjesuispartietôt.Ilaprismonnuméroetapromisd’appeler,maisc’étaitilyatroissemaines.Jesuisretournéedanslebaroùnousnoussommesrencontrésneuffoisdepuis,mais iln’yest jamais.Je suispasséeenvoituredevantchez lui tous les soirsenrentrantchezmoi,maisiln’yestjamaisnonplus.Jesuismêmealléedanssonépiceriedequartier pour traîner dans le rayon des glaces, mais toujours aucune trace de lui. Jecommenceàcroirequ’iladûluiarriverquelquechosedemal.Croyez-vousquejedevraisappelerlapolice?

Unefolled’inquiétudedeDidsburyChèrefoldinguedeDidsbury,Pourreprendreuntitredefilmbienconnu,jediraisqu’ilatrouvé«10bonnesraisonsdetelarguer».Ilneluiestrienarrivé,iln’aseulementaucuneenviedevousrevoir.Passonsmaintenantà l’essentiel,àsavoir,commentgérer lasituation. Inutiledepleurer,oudevousapitoyersurvotresort.Plusimportantencore,lachoseànepasfaire,c’estdevousretirersansriendire.Unlivreentieraétéconsacréàcesimpleconseil,etvoussavezquoi ? Il a été écrit par un homme.Comme c’est pratique et perfide de faire croire auxfemmesquececheminleurdonneraitenfaitl’avantage.Foutaises.Lachoseàfaire,c’estdecréerleplusgrosscandalepossiblepourvousassurerqu’ilyrepenseàdeuxfoisavantd’agirdelamêmefaçonavecuneautre.Ainsi,vousallezlaisserunmotdanslaboîteauxlettresdePeter,luidisantquevousavezbesoindelevoirenprivélesoirmême,parcequevotrepetitamiadécouvertquevousavezcouchéensemble,etquevousêtestrèsinquiètepoursasécurité.Quandvousleretrouverez,expliquez-luiquevotrepetitamiestvideur,etquevousêtessurlepointdevousmarier.L’undesescollèguesvousavusquitterlebarensembleetavendulamèche.Votrefiancéarécupéréunecaptured’écrandelacaméradesurveillance,etl’afaitcirculerauprèsdetouslesvideursdeManchester,etapromisunerécompensesurla

têtedePeter–depréférence,trèsamochée.Suggérez-luidenepassortirdutoutpendantlestroisprochainsmois,letempsque,peut-être,lesespritssecalment.Enfin,excusez-vousdel’avoirutiliséuniquementpourdusexe,etsouhaitez-lui«bonnechance»pourtrouverunegentillefille.Tenez-moiinforméedevosavancées.

SuzieSuziepressa la touche«Sauvegarder»sursonordinateurportableets’enfonçasursachaisede

cuisine.Tandisquelesilencedecedébutdedimancheaprès-midil’enveloppait,ellepoussaunlongsoupir, et se demanda ce qu’elle devrait faire du reste de sa journée.Elle avait déjà accompli sonritueldudimancheenentier.Aprèsêtrerestéeaulitjusqu’às’ennuyer,elleavaitfiniparsetraîneraurez-de-chausséepourprendreunboncafé,avantd’enfilersonlongmanteaud’hiverpar-dessussonpyjamapour flâner jusqu’à l’épicerie du coin.Une fois là-bas, elle avait achetédeux journaux, unhonteuxetunsérieux,aucasoùellecroiseraitquelqu’unqu’elleconnaissait.Elleavaitaussisurvoléles rayons en quête d’un petit plaisir qui ne contienne aucune calorie. Après une rechercheinfructueuse,elleavaitoptépoursesbiscuitsà lapommehabituels,puiss’étaitprécipitéechezellepourenengloutir laquasi-totalitéavantmêmed’enarriverà la rubriquedespotinsdu tabloïde.Latélévisionronronnaitgentimentenfond,proposantcommed’habitudedesprogrammescensésluttercontrelagueuledebois–piètreexcusepourdiffuserdesémissionsmédiocres.À13heures,lesjournauxétaientlus,lesgâteauxmangés,lecaféétaitbu,etlesprogrammescontre

la gueule de bois s’étaient vus remplacés par un débat politique sérieux, ou par un documentaireanimaliersurlesblaireaux.Letantredoutédimancheaprès-midiétaitarrivé–autrementdit,undésertsocial pour toute personne célibataire. Une fois la gueule de bois estompée, survenait un désirsoudaindefréquenterdesgens,desortir,d’avoirlesentimentdefairedenouveaupartiedelaracehumaine.Maiscommechacunsait,c’étaitprécisémentlemomentoùlerestedumondechoisissaitdese retirer dans son nid. Les amoureux se blottissaient dans leur canapé et regardaient des chaînessportives ou des séries à l’eau de rose, en fonction de qui portait la culotte dans le couple. Lesfamilles se rassemblaient autour de la table et partageaient un bon déjeuner, laissant les âmesesseuléessedébattreavecleurinterminabledimancheaprès-midi,sansrienàfaire,ninullepartoùaller,etsurtout,personneavecquilepartager.Commencer sa rubrique de la semaine l’avait quelque peu soulagée,mais à présent, Suzie avait

besoind’uneautredistractionpourarriverauboutdeslonguesheuresquiseprofilaientdevantelle.À 13 h 56 précisément, elle craqua.En poussant un profond soupir, elle ouvrit le tiroir sous la

télévision et passa en revue sa collection de comédies romantiques en DVD – ou de « pornossentimentaux»,commeJackieseplaisaitàlesappeler.Elledécidadefermerlesyeuxetd’enprendreunauhasard.Ellenepouvaitsupporterl’idéederesterassiselàpendantlesvingtprochainesminutesà examiner toutes les intrigues pour déterminer laquelle la réjouirait le plus ou la déprimerait lemoins.Sonchoixàl’aveugleseportasurQuandHarryrencontreSally,cedontelleétaitravie.Unecomédiesentimentaledequalité,sitantestqu’ilenexiste,réaliséebienavantqueSandraBullocknese lance dans le genre, et ne réduise les films de filles à des inepties sans le moindre intérêt. Àl’exceptiondeL’amouràtoutprix,biensûr.Unfilmfutileréellementexcellent.ElleinséraledisquedanslelecteurDVDetretournas’affalersurlecanapé,lesquatrefersenl’air.

Une fois installée, elle regonfla le coussin sous sa tête et priapour s’endormir avantqueSallynes’aperçoivequ’elleétaitseuleetqu’elleapprochaitdelaquarantaine.Elleéprouvaunepointedesatisfactionenentendantlesquelquespremièresrépliquessifamilières.

Puis,lorsqueHarryentamasesadieuxàsonamourd’université,l’abreuvantde«jet’aime»àtout-va,etdepromessesderesterencontactpermanent,ellecommençaàsesentirmalàl’aise.Àpeineavait-il prononcé les mots « tu me manques déjà », que Suzie était plongée dans une nostalgieprofonde en se rappelant sa propre histoire d’amour d’étudiante, morte et enterrée depuis bellelurette.Ils’appelaitAntony.Ilss’étaientrencontréspendantlasemained’intégrationsurlesmarchesdubar

de l’union étudiante. Ils avaient tous deux une tête d’ahuri,marque de fabrique de n’importe quelnouvelétudiantquin’avaitpasfaitd’annéedecésure.Aucund’entreeuxn’avaitderécitsdevoyagesdansdescontréesaussiexotiquesqueleBrésilouleGuatemalaàraconter,anecdotesquidonnaientaux étudiants concernés l’occasion de rouler des mécaniques. Ils s’étaient liés par ce manqued’expérienceàl’autreboutdumondeetparl’absencedepiercings,choisissantdoncd’évoqueràlaplace leurs souvenirs des draps en coton peigné et des sauces faitesmaison qu’ils avaient laissésderrièreeux,enmêmetempsqueleursmèresaimantes.Ilne fallutpasbien longtempsavantqu’Antonyemménagedanssachambreuniversitaire,où ils

vivaientquasimentcommemarietfemme.Enchemin,ilssefirentdesamiscommuns,principalementdescouples,bienévidemment,quipartageaientleurpassionpourlesdînersintimesavecd’énormesquantitésdechiliconcarneetdevinrougebonmarché.Suziepensaitque lesdésétaient jetés.Ellen’avaitpas lemoindredoutequantaufaitqu’un jour,

dans l’avenir, elle deviendrait une de ces femmes qui disent : «Mon époux etmoi nous sommesrencontrésàlafac.»Enregardantuncoupledepersonnesâgéesapparaîtreàl’écranetracontersonhistoired’amour,

ellesesentitprofondémenttristequesaproprehistoiren’aitpastournécommeelle l’espérait.Elleappuyasurlebouton«Pause».Entraînantlespieds,ellegrimpajusqu’àsachambreàl’étage,ouvritl’armoireetensortitunegrosseboîteencarton,toussantlorsqu’unnuagedepoussières’enéchappa.Ellelatintdanssesbrasunmoment,hésitantàlarangerimmédiatement,puisretournapéniblementenbas.Elle posa la caisse sur le tapis du salon et remit le DVD en lecture, révélant Sally en train

d’embrasserbéatementunhommedansunaéroport.—Andouille,dit-ellecalmementàl’écran.Cequ’elletrouvaausommetdelaboîteladéprimaencoredavantage.Ellearrachal’enveloppeà

bulles,envoyantaupassageuneflopéedeconfettisgrissurletapis,tandisquelecontenudupaquetdépassait du coin déchiré. Tout à fait approprié, songea-t-elle. Lentement, elle extirpa une piled’enveloppes et les étala sur le sol. Chacune d’entre elles portait son nom, et un certain nombred’adresses qui retraçaient ses déménagementsmultiples dans les banlieues louches deManchester,durantsavingtaine.Elleenrepérauneadresséeàlarésidenceuniversitaireoùellevivaitpendantsapremièreannéedefac,etensortitdefinesfeuillesdepapieràlettresassortiesàl’enveloppe.Lavuedel’écritureaustyloàplumeluidonnaenviederetournersur-le-champaudébutdesannéesquatre-vingt-dix,etd’empêcherpartouslesmoyensl’avènementdel’informatique.Celaparaissaitsidésuetetvieuxjeu,maisaussitellementromantique.Lasignatured’Antonyenbasdelapageluirappelaunamour perdu depuis longtemps. Tout comme ces trois petits cœurs prolongeant à la perfection ladernière lettreduprénomdu jeunehomme.Elle se forçaà lire rapidement ; l’intensitéde l’amourqu’iléprouvaitpourellesemblantdécollerdelapage,l’oppressantpresque.Elleenconclutquecettelettreavaitétéécritedurant l’undesraresweek-endsqu’ilpassaitchezluipourvoirsesparentsenpériodescolaire.Iln’étaitpartiquepourdeuxnuits,etressentaitnéanmoinslebesoindeluiécrire.C’était hallucinant. Et totalement désuet à présent. Était-il concevable qu’un homme moderne,

électroniquementmodifié, puissene serait-cequ’envisager de s’asseoir avecun stylo et dupapier,d’écrireunelettre,d’alleraubureaudepostepouracheteruntimbre,etdel’envoyer?Ellesurvolalaquarantained’enveloppesquiétaientdésormaiséparpilléessurlesol,pourvoirsi

ellepouvaitenrepéreruneécriteverslafindeleurrelation.Ellefinitpardénicherungrandplivertpâlecomportantsadernièreadresse.Elleensortitunecarted’anniversaireetdemeuraperplexeunmoment.Cen’étaitpas legenredecartequ’onrecevaitdelapartd’unpetitami.Ils’agissaitd’unecartesansintérêt,sevoulantamusante,quiarboraitdesanimauxmaldessinéssurledevant,entraindefaireuneblaguepathétiquesur l’âge.Elle l’ouvrit,etfutsidéréedeconstaterqu’ellevenaitbiend’Antony.«Bisous,Antony»,disait-elle.Pasdecœurssurle«Y»cettefois.Pasdecœursdutout.Nidepromessesd’amouréternel.Justeun«Bisous,Antony»gribouilléauBicvert,pirechoixdestyloaumonde, sur une carte d’anniversaire représentant de vieux blaireaux en train de plaisanter. S’ilexistaitunsigneannonciateurde lafind’unerelation, ilétait là,sursesgenoux,dansdescouleurscriardessortiestoutdroitd’undessinanimé.Elleexamina leserre-livredesonhistoireavecAntony,qu’elle tenaitentresesmains.Comment

avaient-ils dégringolé des hauteurs vertigineuses du papier à lettres assorti et du stylo-plume, auxabîmesd’unecartepathétiqueachetéedansunestation-service?Ellebranditlacarted’anniversaireetladéchiraenmillemorceaux,lesbalançantverslatélévisionaupassage.Sonactivitéfutsuspendueparlasonneriestridentedelaported’entrée.L’enferdudimancheaprès-

midi interrompu par un visiteur. Ses prières avaient été entendues – tant qu’il ne s’agissait pas detémoins de Jéhovah. Elle était désespérée, mais pas à ce point-là. Elle ouvrit prestement la ported’entrée,etseretrouvaenfacedeDrew,vêtud’unetenuedécontractéedecirconstance,lesmainsdanslespoches,commes’ils’apprêtaitàrepartiraussitôt.Soulagée,ellesourit.UnebonneconversationavecsonvieilamiDrewserait la façon idéaledefairepasseruneheureoudeux.Ensuite,ceseraitpresquel’heureduthé,puiselleverraitenfinleboutd’undimanchedeplus.—Entre,entre,dit-elleenletirantparlebrasavantqu’iln’aitl’occasiondedétaler.—Pasletempsdem’arrêter,rétorqua-t-il,suruntoncurieux.—Allez,implora-t-elle.Entrerienqu’uneminute.Ellepaniquaenconstatantquel’heurequ’ellevenaitjustedesupprimerdanssatêteseprofilaitde

nouveau.—Non,franchement,j’aidestrucsàfaire,protesta-t-il.— Allez, entre, s’il te plaît ? insista-t-elle en le tirant pratiquement à l’intérieur. Tu ne peux

décemmentpasmeforceràteparlersurlepasdemaporteenrobedechambre.—Seulementcinqminutesdanscecas,concéda-t-iltandisqu’elleclaquaitlaportederrièrelui.—Faiscommechez toi, lança-t-elleenaffichantunsourire radieux, toutenpointantdudoigt la

portedusalon.Jevaisjusteallerenfilerunetenuedécente.—Euh,ouais,dit-il.Bonneidée.Ellemontal’escalieràtouteallureetenfiladesvêtementsàlava-vite.Sonsweat-shirtétaitmaculé

d’unetachedecafésurledevant,maisellesavaitqueDrewn’étaitpasdugenreàluientenirrigueur.Elleredescenditencourantets’arrêtaenpoussantuncriàlaportedusalon.—Duthé?s’écria-t-elle,àboutdesouffle.AucuneréponsedeDrew,quiétaitperchénerveusementsurlebordducanapé,noyédansunemer

de lettres d’amour, saupoudrée de morceaux de carte d’anniversaire et de poussière. Histoired’empirerleschoses,MegRyangémissaitjoyeusementenfond,feignantd’avoirunorgasme.—Jepensequejeferaismieuxd’yaller,dit-ilenselevant.Jenesuispasconvaincud’avoirma

placedanscequisepasseici,quoiquecesoit.

—Non!s’exclama-t-elle,enl’empoignantparlesépaulespourleforceràserasseoir.Ilfautquetu restes. Je regardais juste de vieilles lettres, c’est tout. Il faut que je commence à réfléchir àmaprochaine vengeance, en fait, donc c’est super que tu sois là.Tupeuxm’aider à trouver commentrendrelamonnaiedesapièceàAntony.—Non,Suzie, rétorquaDrewen secouant la tête. Je suis venu te dire que je ne peuxplus faire

partiedetoutça.C’estjuste…—Maisj’aibesoindetoi,implora-t-elle.Ilsdemeurèrentlesyeuxdanslesyeuxunmoment,tandisqu’ellesentaitlapaniquel’envahir.Drew

lui donnait confiance en elle. Sans lui, elle n’était pas sûre de pouvoir être cette femme intrépide,capablededéfendresonhonneuravecperteetfracas.CefutDrewquidétournaleregardenpremier.Lesyeuxrivéssurseschaussures,ilmarmonna:—Jenepeuxpas,Suzie.Vraimentdésolé,maisilesttempspourmoidetelaissertedébrouiller.—Maispourquoi?plaida-t-elle.Onafaitunesibonneéquipehier.Onaétégéniaux.Tul’asdit

toi-même.—Jesais,rétorquaDrew,avantdeseraclerlagorge.Maisaprèslascèned’hiersoiravecJackieet

Emily,j’ailesentimentqu’ilfautquejeprennedurecul.Suzieledévisagea,surpriseparleslarmesquimenaçaientdelaridiculiser.Bonsang!Cen’était

pascommes’ilsétaiententrainderompre,ouuntruccommeça.—Je suisvraimentnavréepour Jackie, reprit-elle.Ellen’aurait jamaisdûsecomportercomme

ellel’afait.Elleavaittropbu,etEmilyl’aénervée.Elleestdésoléeaussi,tusais.Peut-êtrequesielleprésentaitsesexcusesàEmily,elletelaisseraitcontinueràm’aider.—Çan’arienàvoiravecEmily,répliquaDrewsuruntonsec.Tun’aspasbesoindemoi.Suziesecreusalesméningespourdénicherquelquechosequipourraitleconvaincredecontinuer

à l’aider. Ilsformaientunesibonneéquipe.Mais ilsemblaitvraiment tendu–comportement toutàfaitinhabituelchezlui.Peut-êtreferait-ellemieuxdelaissertomberpourl’instant.—D’accord, finit-ellepar acquiescer. Jecomprends.Tuvasquandmême resterboireunepetite

tassedethé,non?demanda-t-elle,pleined’espoir.—Justeune,répondit-il.Après,ilfautvraimentquej’yaille.—Super!Unlargesourireauxlèvres,elleseprécipitadanslacuisineavantqu’iln’aitl’occasiondechanger

d’avis.Quand elle revint dans le salon avec deux tasses de thé fumantes, elle s’étonna de voir Drew

farfouillerdanslaboîtesurlesol.—Pourquoiest-cequetugardestoutescessaletés?interrogea-t-ilenbrandissantuntee-shirtrose

pâle arborant un énorme « T », qui avait visiblement été la victime d’unmalheureux accident delavage.—Oh,monDieu,jen’arrivepasàcroirequej’aieencorecetruc,s’exclama-t-elleenposantles

tasses. Je l’aiportépouraller auconcertdeTakeThat ily adesannées.Nousétionshuit, etnousavionstoutesunelettresurnostee-shirtspourpouvoirépeler lenomdugroupequandnousétionsréunies.Drewlacontempla,complètementhébété.—GaryBarlownousafaitunsignedelamain.Onestdevenuesdingues.C’étaitgénial.—Etça?Drewavaitbalancéle tee-shirtsur lecanapéetbrandissaitàprésentunegrandefeuilledepapier

présentantungraphiqueencourbesdessinéaufeutre.

—C’estlegraphiquedelapopularité.—Legraphiquedelapopularité?—Ouais.Une demes amies se trouvait vraiment populaire avant qu’elle ne commence à sortir

avecuntypequiavaitdesbasketsGola,doncnousavonstoutesdécrétéqu’ellen’avaitpluslacote,etnous avons décidé de faire un graphique pour luimontrer à quel point. Elle s’est vengée en nousajoutant dessus.Ça, c’estmoi quand j’étais ivre, et que j’ai embrassé à pleine bouche un type quiportaitunechemisesaumonetunjeanblanc.Etça…—Ettuaspassédutempsàfaireça?l’interrompit-il.—Eh bien, c’est le genre de trucs qu’on fait quand on a la vingtaine, non ? Tu continues à te

comporter comme une étudiante, tout en profitant du fait d’avoir un emploi à plein temps. Tun’arrêtesd’êtreunétudiantquequandtugravisunéchelondanstacarrière,autrementdit,quandavoirlagueuledeboistoutelajournéeauboulotn’estplusenvisageable.— J’imagine, dit-il, reposant le graphique dans la boîte et en sortant un album photo avec une

couvertureblanche.—Waouh!s’exclamaSuzie,enleluiarrachantdesmains.L’albumdemariage!Jen’yaipasjeté

uncoupd’œildepuisdeslustres.Elletournalapremièrepage.—Doncquis’estmarié?demandaDrew,enregardantpar-dessussonépaule.—Oh,personne,répondit-elle.C’étaitunmariageimaginaire.—Tun’espassérieuse.—Oh, si, insista-t-elle.Une bonne partie d’entre nous se plaignait de ne pas avoir assisté à un

mariagedepuisunbail.Jepensequ’Angieessayaitdefaireensortequ’Antonymefassesademande,vuqu’onétaitensembledepuistrèslongtemps.Quoiqu’ilensoit,iln’apasmorduàl’hameçon,maisquelqu’unaproposéqu’onfassedefaussesnocespourprofiterdesfestivitéssansavoiràs’engager.Doncc’estcequ’onafait.—Vousavezmisenscèneunmariage?—C’étaitjusteuneexcusepourfairelafête,enréalité,maisçaapristellementd’ampleurqu’au

momentoùonl’avraimentfait,onamêmeorganisédefauxenterrementsdeviedejeunefilleetdegarçonlaveilleausoir.EtlejourJ,onatoutinstallédansnotrejardin.Regarde,tuvois?dit-elleenpointantlaphotodudoigt.Brianhabilléenpasteur.Avantlacérémonie,lesgarçonssontallésdansunpubvêtusdeleurcostume,etonteudesverresgratuitsparcequelepatronacruquec’étaitunvraimariage. Richard était le fiancé et croyait qu’il allait faire semblant d’épouser Emma, qui était lapetiteamiedeBrian,maisonaréussiàconvaincreGuydedescendred’Édimbourg,oùilhabitait,etdejouerlerôledelafiancée.Ilportaitunvoileépais,doncpersonnen’asuquiilétaitavantlafindelacérémonie.Etregardeunpeu,nousavionsmêmeunvraigâteaudemariagepréparéparmamère.—Vousétieztouscinglés,observaDrewensecouantlatête.J’étaistropoccupéàmecomporter

comme si j’avais quarante ansquand j’avais la vingtaine.Emily etmoi avonsquitté l’université etsommesdevenusdirectementpropriétaires.Jesupposequ’onnesortaitpasbeaucoupparcequ’Emilyétait trop absorbée par ses examens de droit, et que nous n’avions pas d’argent parce que nousremboursionsleprêt.—Maisçaenvalaitlapeine,celadit,non?Regarde-toiaujourd’hui.Tuasunejoliemaisonettues

surlepointd’épouserunefemmequimènesacarrièreavecbrio.Tandisquemoi,laratéedeservice,jevisdansunappartementminuscule,àfairegrossirlesstatistiquesdepersonnesvivantseules.Peut-êtrequej’auraisdûpluspenseràl’aveniràl’époque,aulieudecourirdanstouslessens,accoutréed’uneridiculerobesaumon,àunfauxmariage.

—Ondiraitbienquevousavezpasséunsupermoment,malgrétout,fit-ilremarquerdoucement.—C’estlecas,concéda-t-elle,enregardantdenouveauunephotodegroupedelafête.C’étaientde

bonsmoments.Onnesevoitpresqueplusmaintenant.Nousétions tellementproches,etd’uncoupd’un seul, on a tous pris des directions différentes. Que ce soit en gravissant les échelons, endéménageant,ouensuccombantauserpentdumariagepourdisparaîtredansletrounoiroùvontlesgensquandilsontdesenfants.—EtlequelestAntony?demandaDrew,enexaminantleclichédeprès.—Oh,onlevoitseulementdanslesphotosprisesplustard,répondit-elle,enfeuilletantlerestede

l’album.Àl’époque,ilétaittrèsinvestidanslapolitiquelocale,etilétaitpartifairecampagnepourremporteruneélectionquelconquecetaprès-midi-là.Pourêtrehonnête,jepensequ’iltrouvaittoutçaunpeuidiot,doncilapassélajournéeailleurs.Envoilàune,finit-elleparannoncer,ens’arrêtantàunepage,presqueàlafindel’album.Onn’apasl’airduparfaitpetitcouple?Elleémitunrireamer.DrewbaissalesyeuxsurlaphotoavantdereleverbrusquementlatêtepourdévisagerSuzie.—Cen’estpasquijecroisquec’est?demanda-t-il.—Çadépendàquitupenses.—C’estAntonyBarwood.—Euh,oui.—LeAntonyBarwood?—J’imagine,répondit-elleenhaussantlesépaules.— Oh, mon Dieu, s’exclama-t-il en s’enfonçant dans le canapé, visiblement hébété.

AntonyBarwood,députélibéral-démocratepourWestKeeling,esttontrollauxcheveuxjaunefluo?—Exact,acquiesça-t-elle.—Bonsang,soufflaDrew.—Qu’est-cequec’estcensésignifier?Non,nedisrien.Çat’épatequejepuisseavoirlescapacités

mentalespourêtresortieavecquelqu’unquiafinidéputé.C’estbiença,pasvrai?—Non.C’estjustequejen’arrivepasàcroirequetunem’aiesjamaisracontéquetuessortieavec

AntonyBarwood.—Àquoibon?M’as-tudonnélenomdetoutestesex-petitesamies?—Euh,non,maiscettefillen’étaitpascélèbre,nirien.—Cettefille?—Oui,quoi?—Tun’aseuqu’unepetiteamieavantEmily?Drewrougitetdétournalesyeux.—J’étaistimidequandj’étaisjeune,OK?Suziehésitaquelquesinstants,puisdécidadeposerlaquestion.—Donctun’ascouchéqu’avecdeuxfemmesdanstoutetavie?—Non,protesta-t-il,visiblementsurladéfensive.—Tuaseuquelquescoupsd’unsoirdanscecas?—Certainementpas!répondit-il,outré.—Donc…,reprit-elleenleregardantpleined’espoir.—Bon,jen’aijamaiscouchéqu’avecEmily,tuescontente?Nousétionsencoreaulycéequandje

sortaisavecl’autrefille,etj’airencontréEmilyàlafac.Qu’est-cequejesuiscenséfaire?Coucheràdroiteàgauchepourfairegrimpermamoyennesexuelle?— Non, non, dit Suzie. C’est juste que tu es tellement hors du commun, ajouta-t-elle en le

contemplantavecémerveillement.Drewdécrétaquel’interrogatoireavaitassezdurécommeça.—Quoiqu’ilensoit,çan’arienàvoiravecmoi,maisavectoi,etlefaitquetum’aiescachéquetu

étaissortieavecundéputé.—Seulementparcequejeblâmeunpeulapolitiquedenousavoirséparés.Suziefeuilletadenouveaul’albumdemariage.Elles’arrêtaetpointasondoigtsurunefilleplutôt

quelconque,vêtued’unetenueàfleursLauraAshleypeuflatteuse.—CharlotteCampbell-Wright,déclara-t-elle.OuCharliepourlesintimes,quandelleavaitencore

desamis.Songrand-pèreétaitàlaChambredeslords–unfaitquilarendaittrèsattiranteauxyeuxd’Antony. Elle était vraiment timide en présence des hommes, puis soudain, on aurait dit qu’elles’étaitépanouie,dujouraulendemain.J’étaisloindemedouterquequelquesflatteriesd’Antonyenétaient lacause.Puisd’unesecondeà l’autre,elles’estmiseàpasser toussesweek-endsavecmonpetitamisur lesroutesdecampagne,vuqu’ilsefaisait inviteràprendrele thépar lordCampbell-Wrightenpersonne,pourdébattrepolitique.Unjour,jesuisrentréedutravailenavance,etjelesaisurprisentraindes’envoyerenl’airdansnotrelitaumilieud’unemerdefroufrousjaunes.—Bizarre,fitremarquerDrewengrimaçant.Qu’est-cequis’estpassé?—Antonysemblaitsoulagéd’avoirétédécouvert,àlavérité.Jeluiaiditdefairesesvalisesetde

partir.Troisheuresplustard,toutetracedeluiavaitdisparu,etjenel’aijamaisrevudepuis.Dixans,on a passé ensemble, s’émerveilla-t-elle en secouant la tête. Et en l’espace de quelques heures, onauraitditquecesdixannéesavaientétéeffacées.Tousnos souvenirsvidesde sens.Etmonavenirpartienfumée.—EtCharlotte?demandaDrew.—Oh,ellem’aprésentésesexcusesaumoins.Elleest restéesur lepasdemaporte,en larmes,

pourmedireàquelpointelleétaitdésolée.Elleaajoutéqu’ellel’aimait,qu’ellenepouvaitpass’enempêcher,etqu’elleespéraitqu’unjour,jepourraisluipardonner.—Jesupposeque,parfois,ilfautjustesuivresoncœur,commentaDrew,lesyeuxrivéssurlesol.—Foutaises,rétorquaSuzie,sortantdesamélancoliepassagère.Lecœurn’arienàvoirlà-dedans.

Leshommestrompentparcequecesontdeslâches.—C’estunpeutranchécommepointdevue,non?—C’est lavérité.Laplupartdeshommes trompentparcequ’ils sont troppathétiquespour faire

preuve d’honnêteté, et dire à leur compagne que c’est terminé. Si seulement ils étaient assezcourageuxpouravouerenfaceàleurspauvresfemmesetpetitesamiesqu’ilsnelesaimentpas.Drewladévisagea,abasourdi.Ilselevaprestement,commes’ilétaitsurledépart.—Oh,monDieu,s’écriaSuzie,empoignantlatélécommandeetlebrasdeDrew.Attendsjusteune

secondeetregardeça.C’estmonpassagepréféré.Ellemontalevolume.HarryetSallyétaientàprésentdanslascènefinale,àunefêtedenouvelan,

entourésdeballonsetdebanderoles.—ÉcoutejustecequeHarryditàSally,ajoutaSuzieengratifiantDrewd’unpetitcoupdansles

côtes.Voilàcequeveulentlesfemmes.—«Etj’adorequetusoisladernièrepersonneàquij’aienviedeparleravantdememettreaulit,

marmonnaSuzie dans sa barbe tandis queHarry faisait éclater ses sentiments augrand jour.Et cen’estpasparcequejesuisseul.Etquec’estlaSaint-Sylvestre.Sijesuislà,moi,cesoir,c’estparcequequandonserendcomptequ’onveutpasserlerestedesavieavecunefemme,fautpastraînerlespieds,fautselanceraussitôtquepossible.»Drewdemeuraitimmobile,lesyeuxbraquéssurl’écranjusqu’àcequelegénériquecommenceà

défiler.—Encoreunpeudethé?demandaSuzie,lefaisantsursauteraupassage.Ilsemblaitsurlepointdedirequelquechose,puisilseravisaetjetauncoupd’œilàsamontre.—Jesuisunhommemort!s’exclama-t-ilavantdefoncerverslaportesansmêmeluidire«au

revoir».

Chapitre13

Drew avait les yeux rivés sur la vitrine du magasin, encore hors d’haleine d’avoir traversé lamoitié deManchester aupas de course.Lesmannequins sans tête semblaient curieusement à l’aisedansleurcostumedecérémonieetleurcravatecouleurpastel.Peut-êtreétait-cedûàladésinvolturedeleursbrasballantsvêtusdemanièreformelle,ouaufaitqu’ilsaient lepiedposésurunénormecadeauornédegrosrubansblancs. Ilsavaient l’airdenepasavoir lemoindreproblème.Peut-êtrequec’étaitl’effetqueçafaisait,denepasavoirdetête–êtreincapabledepenser.Enpleineréflexion,Drewacquiesça.Oui,ils’imaginaittrèsbiencommentcesserdepenserpouvaitmeneràuneexistencesansaucunsouci.Danssasituation,c’étaitmêmeexactementcedontilavaitbesoin.Celaempêcheraitcesidéesmalvenuesdepointerleboutdeleurnez,denullepart,telsdeminusculesmissilessemantlechaosabsolusurleurpassage.Àcetinstantprécis,ilauraitencorepréféréalleressayerdescorsetspour jouer dans un drame historique que ces costumes. En définitive, des corsets lui donneraientmoinsl’impressiond’êtreprisaupiègedesonproprecorps,quelecostumequiallaitscellerlerestedesavie.Iln’aurait jamaisdûentrer.S’iln’avaitpaspénétréchezelle, alors iln’auraitpasen têteàcette

minuteune imagementaledeSuzieenpyjama.Erreur tactiquenuméroun.S’iln’étaitpas entré, iln’auraitpassucequec’étaitdesesentirchezsoidanslapagaillequiconstituaitlaviedeSuzie,oùdesaffairesétaientbalancéesàdroiteàgauche,plutôtquesoigneusementrangéesàleurplace.Oùilyavait de la vraie moquette molletonnée au lieu d’un plancher sans âme. Où, dans des cadres pasassortis, trônaient joyeusement des photos banales de moments heureux quelconques, au lieud’œuvresd’artmodernedansdescadresenacierbrosséhorsdeprix,suspenduesàl’endroitidéaldelapièce.Àl’instantmêmeoùils’était installésurlecanapédeSuzie, ils’étaitd’instinctenfoncédansses

énormes coussins et s’était assis en tailleur. Il ne s’installait jamais sur le canapé dans samaisonmoderne,éléganteetpropre.Ceconstatluifituntelpincementaucœurqu’ileutl’impressiond’avoircommisuneatrocité.Pourtant, toutcequ’il avait fait, c’étaitde s’asseoir sur lecanapéd’uneautrefemme,ildevaitselerappeler.C’estlorsqu’ils’étaitefforcédereprendresesesprits,quesonregards’était posé sur la boîte qui gisait ouverte sur le sol devant lui. Les bribes de l’existence deSuzieétaient improbables, insensées,etreflétaientsapersonnalitéàmerveille.Voircetteboîte luidonnaitenvied’enavoirunesemblable.Iln’arrivaitpasàtrouverunseulobjetquiluiévoquaitsavingtaine.Illuttapourpenseràdegrandsmomentsqu’ilauraitvoulusauverpourlapostérité.Quediableavait-ilfaitdesavie?ExaminerlaboîteàsouvenirsdeSuzieavaitétél’erreurtactiquenumérodeux.Maispireencore,ilavaitdûécouterlerécitdesarelationavecAntony:unerelationnaissanteà

l’université,quiauraitdûs’épanouirenpartenariatàvie,pourfinirdétruiteparl’interventiond’unetiercepersonne.Lesmotsde la jeunefemmes’amassaientdanssa têtecommeunbancdepoissonsdésorientés.—Stop,dit-ilàvoixhautepourarrêtersonflotdepensées.Iltoisalonguementsonrefletdanslavitrine.—Çasuffit,souffla-t-ilavantd’inspirerprofondément,d’ouvrirlaporteetdepasserleseuil.—Regarde-moi,s’écriaTobyàl’instantmêmeoùilvitarriverDrew.C’estexactementlematos

qu’il nous faut pourmettre de l’ambiance à cemariage, ajouta-t-il en faisant une petite courbette.Sexy,hein?—Ondiraitunmaquereau, rétorquaDrew,examinant son témoinaccoutréd’un smokingblanc,

assortid’unechemiserayéerosebonbonetd’unecravateviolette,enpleinmilieudelaboutiquedeluxeMossBros.Situcroisvraimentqu’onvaporterça,tuesunimbécile.Onvacroirequec’estnousdeuxquinousmarions,pasEmilyetmoi.—Oh,allez,monpote,essaie-le,tupourraisavoirdessurprises.Tuneveuxpasmettredublanc

commelamariée?—Euh,non.Tusaisbienquelesvêtementsblancsetmoinesommespasamis.Àmoinsque,bien

sûr,iln’existeunbavoirassorti.Detoutefaçon,Emilym’adonnédesinstructionstrèsstrictesquantàcequejedoisporter.Toutestinscritici.— Foutrement génial, commenta Toby en soupirant. Tenue de croque-mort avec une touche

inspiréedebordeaux,danscecas,ajouta-t-ilenôtantlavesteimmaculée.—On ne sait jamais, protesta Drew. Peut-être qu’elle a choisi quelque chose de plus osé pour

s’accorderavectapersonnalitésicool.—Emily?LasiclassiqueEmily?Uneceinturedesmokingéquivautprobablementàuneoffense

danssaperceptiondubongoût.—Elleveutseulementque toutsepassebien,c’est tout,plaidaDrew,sur ladéfensive.C’estson

grandjour,aprèstout,pasletien.—Vraiment?Alorspourquoij’yassiste,rafraîchis-moilamémoire?—Parceque,endépitdufaitquetusoisuntocardfini,tuesmonmeilleurami,etj’apprécierais

vraimentquetusoisprésent.—Ah,oui.Etj’ailedroitdet’insulterenpublic;jemesouviensdelafaçondonttumel’asvendu

maintenant.—Non,tuasledroitd’êtretoutémuquandturaconterasàtoutlemondequelamigénialj’aiété

durantcesvingtdernièresannées.—Vatefairevoir.Tuvasavoirlatotale,monpote.Ycomprisunrécitenpublicdelafoisoùtuas

mouillétonpantalondanslevivarium,pendantcettesortiescolaireauzoodeLondres.—Jen’aipasmouillémonpantalon,jemesuisassisdansquelquechose–combiendefoisencore

dois-jetelerépéter?—Vraiment?Çavamefaciliterlatâchepourtonenterrementdeviedegarçon.—Quelestlerapportavecmonenterrementdeviedegarçon?—Ehbien,jepensaisàunthèmevêtementsmouillés.Jemesuisditqu’onpourraitdemanderàde

joliesfillesdebalancerleursbièressurtonentrejambeparcequetuadoresavoirlepantalonhumide.Enéchange,tuaurasledroitdemouillerleurstee-shirts,tusaisbien,leclichédugenre.—Tuesdégoûtant.—Oh,arrêteunpeu.Tun’asdoncpasenviedevoirpointerlestétonsdejoliesfillesàtraversun

haut transparentavantde t’engageràunevied’abstinence?Jesaispertinemmentqu’onn’aaucunechanced’arriveràtraînerM.Moraledansunclubdestriptease.—Non,jen’enaiaucuneenvie.Onnepeutpassecontenterd’allermangerindien?—Indien!J’aiuneréputationàpréserver.Commentpourrais-jegarderlatêtehaute,sij’organisais

unenterrementdeviedegarçonquiconsisteraitjusteàallersefaireuncurry?Drew dévisagea Toby un moment. Il réfléchissait de nouveau. Pourquoi ne parvenait-il pas à

interromprecesfichuespensées?—Pourquoionfaittoujourstoutunfoinautourdesmariages?finit-ilpardemander,exaspéréde

lui-même.Pourquoionnepeutpasjustesemarieretpoursuivresavie?—Puis-jevousaider,monsieur?s’enquitunvendeur,apparaissantsoudainàcôtédeDrew.—Oui,crachacedernier.J’aimeraismedéguiserenimbécile,s’ilvousplaît,pourlejourleplus

importantdemonexistence.Pouvez-vousm’aideràfaireça?—Certainement,monsieur,réponditl’hommeâgé,sanssedémonter.Enquelgenred’imbécileen

particuliersouhaiteriez-vousvousdéguiser?—Celui-ci,réponditDrewenfourrantlalisted’Emilydanslamainduvendeur.Celui-ciétudialafeuillependantquelquesinstants,tandisqueDrewobservaitTobyavecunairde

défi.—J’aimeraiscomplimentervotrefutureépousepoursonchoix.Sansnuldoute,ceseraelle,lastar

du spectacle. Si vous voulez bien patienter ici unmoment, je vais rassembler les éléments de voscostumes.L’hommegratifiaDrewd’unsourirerassurantetd’unepetitetapesurl’épaule.—Merci.Drewselaissatombersurunfauteuilencuirélimé,etsepritlatêtedanslesmains.—C’étaitmarrant.Tun’espasaussimarrantd’habitude.Tuesmalade?s’enquitToby.—Non,ditDrew,cachéderrièresesmains.—Alors qu’est-ce qui ne va pas, monmignon ? demanda Toby. Un petit coup de panique, ou

carrémentunetransplantationdepersonnalité?Drewréfléchit àcequ’ilpourraitbien répondreà sonmeilleurami. Iln’arrivaitmêmepasà se

l’expliqueràlui-même,alorsencoremoinsàquelqu’und’autre.—Jenesaispas,finit-ilparavouerdésespérément.Toutcetintouin,jesupposequeçam’agaceun

peu.—Ehbien,prendsunpeudereculdanscecas.Tun’aspasàjouerlesprinceCharles,tusais.—Maisc’estcequeveutEmily.Jenepeuxpasluirefuserça.—C’esttonmariage,àtoiaussi.Cequetuveuxcompteaussi.DrewdévisageaTobypendantunlongmoment.—Etsijenesaispascequejeveux?lâcha-t-ilenfin.—Hmm,jevois,repritTobyenapprochantetenselaissanttombersuruntabouret.Est-cequetu

disquetunesaispascequetuveuxentermesdevinrougeoublancpourlaréception,ouàunniveauplusprofond?Commepeut-êtreentreuneblondeetunebrune?Drewgardalesyeuxrivéssurseschaussuresavantderépondre.—Peut-êtrequej’ensuisauniveaudelablondeoulabrune,dit-il.Ilavaitenviedepleurer.—Bon sang ! s’exclamaToby en se levant d’unbond.Cet hommen’est doncpas un saint, tout

comptefait.Quiest-ce?Tul’asdéjàsautée?—Jen’ai sautépersonne.C’est justequequelqu’unmedonnematièreày réfléchir àdeux fois,

c’esttout.Iln’yaabsolumentaucunechancequequoiquecesoitarriveunjourentrenous,maisleseulfaitd’ypensermeperturbeunpeu.—Coucheavecelle,sors-ladetatête,etmarie-toi.Simplecommebonjour.Çaalors,cesplatitudes

de témoinmeviennent tout naturellement, tu ne trouvespas ? fit remarquerToby, en adressant unsourireradieuxauvendeur,quivenaitdereveniravecleurscostumes.—Pardon,quesepasse-t-il,monsieur?demanda-t-ilpoliment.—Lemariéiciprésentaleschocottesparcequ’ils’estfaithapperleregardpardejolispetitsseins

quin’appartiennentpasàlafuturemariée.Entantquetémoin,jeluiconseilledejetersagourme.

—Etdequellefaçoncelaaideracemonsieuràrésoudresondilemme,sijepuismepermettre?—Ça lui sortira de la tête.Séanced’exercicede la dernière chance, pour ainsi dire.Le laissant

libredesemarier.Missionaccomplie.L’homme dévisagea tour à tour Toby et Drew, qui était assis, lementon appuyé sur lesmains,

regardantdroitdevantluid’unairmaussade.—Coucheavecelle,répétaToby.Bon,maintenanttuveuxbienessayercesvêtementsdeclown,ou

dois-jem’attendreàcequetuprennesunedécisioncrucialeici?Drewselevasansmotdire,pritlescintresdesmainsduvendeuretdisparutderrièreunrideau.—Jenecomptecoucheravecpersonne,résonnasavoixderrièrelerideau.—Detouteévidence,confirmaToby.—Qu’est-cequec’estcensévouloirdire?—Seulementquejenet’aijamaisvuaussitendu,c’esttout,monpote.—Tut’attendaisàquoi?—Ehbien,pourêtre franc, jem’attendaisàmonamide toujours.CebonvieuxDrew,calmeet

détendu,prévisible.OuM.Morale,commej’aimeàl’appeler.Seulementàtraversunrideau,biensûr,jamaisenface.Etaulieudeça,jemeretrouvefaceàundieudusexeenpersonne.J’enperdsunpeumonlatin.Tuempiètessurmonterritoire.Jepensaisquec’étaitmoiquienavaisunepaire,danscetterelation.—Jenesuispasundieudusexe.Jen’airienfait.— Eh bien, peut-être que c’est tout le problème, mon ami. Tu n’as rien fait. Tu t’es toujours

comportécommeunsaint.Bonsang,tun’asjamaiscouchéqu’avecEmily.Quifaitçadenosjours?Lepape,voilàqui.—JenepensepasquelepapeaitcouchéavecEmily,intervintlevendeur.—Vousavezraison.Ilsnesesontjamaisrencontrés.Mercidelefaireremarquer,rétorquaToby.—Derien.Çafaitpartieduservice,réponditl’hommeavantdedisparaîtreànouveau.—Écoute, qui pourrait te blâmer de jeter ta gourme avant de t’engager, hein ?Autant faire ça

maintenant,plutôtqu’unefoismarié.Jenet’enaijamaisparlé,maissiçapeutaider,c’estcequej’aifait.—Faitquoi?—Avoirunepetiteliaisonavantd’épouserChloe.—Tutefichesdemoi!C’estdégoûtant.Drewouvritlerideaud’uncoupetadressaunregardnoiràToby.—Voilà, c’est pour ça que je ne te l’ai pas dit.Qu’est-ceque tu peux êtremoralisateur parfois.

Etenfait,c’étaitunpeubizarre.Maiscen’estpaslepropos.Lepropos,c’estquej’aieuuneaventure,çam’estsortidelatête,etmevoilàmaintenantdevenuunhommeheureuxenménage.Yapasdemal.—Chloeestaucourant?—Biensûrquenon.Ellemecastreraitsur-le-champ.Tulaconnais.—Précisément,réponditDrew.Imagineunpeucequ’elleressentirait.Tunepeuxpasfaireçaaux

gensquetuescenséaimer.C’estjusteimpossible.Il se tourna pour se regarder dans le miroir. Il n’avait pas du tout l’air d’un clown. Ni d’un

imbécile.Enréalité,ilétaitmêmeplutôtbelhomme.Emilyavaitchoisiunstylequiallaitàmerveilleavecsesépaulescarréesetsataillefine,etilétaitsoulagéqu’elleaitoptépourunecravateplutôtquepourunfoulardridicule.Etheureusement,ellen’avaitpasnonpluschoisidegiletinspiréd’unpapierpeintfloquédesannéescinquante.Levendeurapparutàcôtédeluiethochalatêted’unairapprobateur.

—Çavousvabien,dit-il.Vousparaissezprêt.L’êtes-vous?demanda-t-il.Drewsetournapourleregardermaisneréponditpas.—De toute évidence, ellevousconnaîtbien,poursuivit l’homme.Vousne trouvezpasqu’elle a

bienchoisi?—Si,finit-ilparmarmonner.Si.

Chapitre14

ChèreSuzie,Ça fait cinqansmaintenant que je vis avecmonpetit ami, et j’ai cruqu’il comptaitmedemanderenmariagepourmonanniversaire.Ilauncomportementtrèsmystérieuxdepuisdeslustres–ildisparaîtdesheuresd’affilée,cachedesbrochuresdeshôtelslespluschicdanssatroussedetoilette,raccrochesontéléphoneportabledèsquej’entredanslapièce,etenrèglegénérale,ilal’airtendu.Quoiqu’ilensoit,monvingt-neuvièmeanniversaireestarrivéetilnem’apasdemandédel’épouser.Nousn’avonspasnonpluspassélanuitdansunhôtelchic.Jepensequ’ils’estretenuparcequ’ilestnerveuxdenepassavoirsijedirai«oui».J’aivraimentenviedel’épouser,doncdevrais-jeluifairemademande?

KerryChèreKerry,Il ne va jamais vous épouser. La raison pour laquelle je le sais, c’est parce qu’il a uneaventure.Desdisparitionsmystérieuses,desappelsinterrompusetdeshôtelsnesignifientjamaisqu’unechoseavecleshommes,etcen’estpasunedemandeenmariage.Vousavezatteintcetâgecritiqueoùleshommesdisposentdedeuxoptionsquandilsontunepetiteamie.Semarier,oucoucheravecquelqu’und’autre.Notezbienquecelan’inclutpaslefaitd’avoueràleurpetiteamiequ’ilsnel’aimentplus.Ceseraitbientropcourageux.Donc, de toute évidence, il a choisi le sexe.Maintenant vous avez le pouvoir, parce quevoussavez,maisluil’ignore.Doncplaquez-le.Maisfaites-leavecclasse.Tâchez de découvrir quand il aura son prochain rendez-vous dans cet hôtel chic enappelantlaréception,etendisantquevousêtessafemmeetquevousvoulezluifaireunesurprise. Je m’arrangerai pour l’y attendre accompagnée d’un photographe. Quand ilsarriveront tous les deux, je lui sauterai dessus et le féliciterai d’avoir été élu, avec sacompagne, lecoupleleplusromantiquedeManchester,àlasuitedelanominationdesapetite amie Kerry. La chambre sera payée par nos soins et leur photo paraîtra dans lejournal.Ilregretteradenepasavoirétéhonnêteavecvousquandildevrafairedespiedsetdes mains pour s’en tirer, et qu’il verra sa photo dans cette rubrique, sous le titre :«LaplusbelleorduredeManchester».

SuzieSuzie aimait particulièrement répondre aux lettres qui impliquaient un adultère, le pire crime

commis par un homme selon elle. Une véritable torture : c’était la seule façon dont elle pouvaitdécrire ce qu’elle avait ressenti après la trahison d’Antony. Bien sûr, elle soupçonnait depuis unmomentquequelquechosesetramait,maiselleavaitréussiàenfouirtouslessignauxd’alertedansune boîte estampée des termes « En plein déni ». Elle n’arrivait tout simplement pas à accepter

qu’Antonypuisselanégligeraupointdelatromper,etavecCharlie,quiplusest.Sansdoutecelle-ciétait-elleassezattirante,maissoncomportementeffacéetsanaturetimidenesemblaientpasenfaireunevoleused’hommes.Suzieétaitintimementconvaincuequ’Antonyétaitl’uniquecoupable.LeseulcrimedeCharlotteétaitd’êtrefaibleetdeselaisserfacilementséduire.Néanmoins,tandisqueSuzies’approchaitdelaboutiquesolidaireoùCharlietravaillaitàprésent,

elle ne put s’empêcher d’éprouver une pointe de colère enfouie depuis longtemps. Elle s’était ditqu’approcherCharlied’abordseraitplusfacilequederéglerdirectementsescomptesavecAntony.Elleespéraitaussique les informationsglanéesauprèsdeCharlie l’aideraientàmonterunplandevengeanceadéquat.Celadit,alorsqu’elleobservaitlavitrinenégligée,rencontrerlafemmequ’elleavaitvuepourla

dernièrefoisaulitavecsonpetitamineluisemblaitplussifacilequeça.C’étaitmêmeterrifiant.Elleouvritlaporte,etseglissadanslaboutiqueaussidiscrètementquepossible,décidéeàbienobserverCharlotteavantdesefairerepérer.Aprèstoutcetemps,elleavaitbesoindegérerlechocsansêtrevue,etnonsousleregardinsistantdeCharlotte.Elleseglissaderrièreunerangéed’étagèresetdeprésentoirspleinsàcraquer,prétendants’intéresseràunimperméableenplastiquecouleurlavande,avantd’oserleverlesyeuxverslecomptoir.Ellen’estpaslà,sedit-elleenregardantdroitderrièreladameplutôtenrobéequiécrivaitquelquechosesurunbloc-notes.Uncouppourrien.Elle remit levêtementdepluiesur leportantet jetaunderniercoupd’œilverslecomptoir toutens’apprêtantàpartir.Bouchebée,elleregardadeplusprès.Lafemmerondeletteàlaminemorneentraindeservirun client n’était tout demême pas Charlie, si ? Elle examina ses traits. En tout cas, elle avait lesmêmesyeux.Puisellel’entenditriredoucement,etelleenfutpersuadée.Onlareconnaissaitàpeine,maisc’étaitbienCharlie.Suziesentitungrandsourireseformersursonvisage.Charlieavaitprisdupoids.Ôjoie!Rienn’étaitplussatisfaisantquedeposerleregardsurquelqu’unqu’onn’avaitpasvudepuisdeslustres,etquis’étaitlaisséallerplusquesoi.Surtoutquandlapersonneenquestionvousavaitvolévotrefuturmari.Arméedusacplastiqueremplidevieuxvêtementsqu’elleavaitapportécommeexcusepourentrer

dans laboutique solidairede laLiguedeprotectiondes chats, elle sedirigea àgrandspasvers lecomptoir,portéeparunsoufflenouveau.—Charlie?lança-t-elleenapprochant.C’estbientoi?Charlienelevapaslesyeuxducahierdanslequelelleécrivait.—Charlie?répétaSuzieunpeuplusfort.— Oh, pardon, répondit Charlie en relevant rapidement la tête. Plus personne ne m’appelle

Charlie…Savoixs’éteignitsouslecoupduchoc.—Suzie,articula-t-ellesuruntonquinesous-entendaitniuneaffirmationniunequestion.—Amusantdetevoirici,poursuivitSuzie.Jen’auraisjamaiscrutevoirtravaillerdansunendroit

pareil.Charliesemblaitbalayerlapièceduregardenquêted’uneéchappatoire,oupeut-êtred’unénorme

troupourl’engloutirtoutentière.—Jefaisdubénévolatdeuxfoisparsemaine.—Vraiment?Jesupposequec’estcequefaittoutebonneépousedepoliticien,rétorquaSuzie.UnpetitfiletdetranspirationapparutsurlalèvresupérieuredeCharlie,etSuzieeutl’impression

qu’ellepouvaitpresquereniflersapeur.— Tu nous as apporté quelque chose ? finit par demander Charlie, en attrapant le sac

qu’empoignaitfermementSuzie.

—Oh,oui,bienentendu.Justequelquesvieilleriesquej’allaisjeter,tusais.Toutesentaille40.—C’est,euh,trèsgentildetapart,marmonnaCharlie,rougissantàprésent.Leschatst’enseront

trèsreconnaissants.—Çaalors,jen’avaispasidéequevousdonniezlesvêtementsauxchatspourqu’ilslesportent.Je

necroispasavoirquoiquecesoitdelabonnecouleur.Suzie éclata d’un rire hystérique à son propre trait d’esprit, galvanisée par un sentiment de

supérioritéenconstatantqu’elleavaitbienplusfièreallurequeCharlie.Cette dernière ébauchaunpetit sourire tout enpassant curieusement ses doigts au coind’undes

vieuxtee-shirtsdeSuzie.—Etcommentvas-tu?s’enquit-elle.Suzieauraitjurévoirunepetitelarmedanslecoindesonœildroit.—Oh, comme un charme, répondit Suzie. Je travaille pour leHerald. Certes, çam’a demandé

beaucoupdetravail,maisjesuisdevenuejournaliste,commejel’avaisprédit.—C’estsuper,commentaCharlie.Jesuisvraimentraviepourtoi.—Merci. J’adore ce travail. J’écris cette rubriquegéniale en cemoment, qui est consacrée à la

façondontlesfemmesdevraienttraiterleshommesquisecomportentmal.Elleaunsuccèsfou.Suziemarquaunepause,avantdepoursuivre:—EtcommentvaAntony?Charliesefigea,avantdedétournerleregard.—Ilvabien,marmonna-t-elle.—Bien,bien,tantmieux.Ehbien,jedoisavouerqu’êtrelafemmed’unpoliticienteréussit,tuas

uneminefantastique.CharlierivadenouveaulesyeuxsurSuzieavantdetirerfrénétiquementsurlamanchedesonpull

et de renifler bruyamment. Abasourdie, Suzie observa Charlie arriver enfin à sortir unmouchoirvisiblementhumideetleporteràsesyeux.—Jesuisdésolée,bredouilla-t-ellederrièresonmasquedétrempé.Jecroisquetuferaismieuxd’y

aller.Jeneveuxpasquetumevoiescommeça.—Tupleures?Suzien’encroyaitpassesyeux.Cen’étaitpasdutoutcommeçaqueceladevaitsepasser.— Tu n’as pas pris tant de poids que ça, reprit-elle, ignorant quoi dire d’autre. À la vérité, je

n’avaismêmepasremarquéavantdem’approcher.Ondiraitàpeinedeloin.—Jet’enprie,va-t’en,insistaCharlieenreniflant,toujourscachéederrièreunmouchoirruisselant

àprésent.La sonnette au-dessus de la porte de la boutique émit un son strident, et une vieille dame

s’engouffraàl’intérieur,traînantunpanieràroulettesduquels’échappaitunmiaulementsonore.Elleregardaitverslecomptoirets’apprêtaitàouvrirlabouchequandelleremarqual’étatdeCharlie.—Oooh,gémit-elle.Qu’est-cequiluiarrive?Charliereniflabruyammentmaisnefournitaucuneexplication.—Unchatestmort,réponditSuzie.Enfait,nousallonsdevoirfermerlaboutique,ajouta-t-elleen

avançantpourpousserladamedehors.Lecroque-mortdeschatsestenchemin.—JevaisappelerConnie,àBridgeStreet,s’écrialafemme.Dollyvientd’avoirunegrosseportée.

Jeluidiraid’amenerunchatondemain,d’accord?—Excellenteidée,réponditSuzietoutenluifermantlaporteaunezetentournantl’écriteausur

«Fermé».Àprésent,lesépaulesdeCharliesesoulevaientfrénétiquement,tandisqu’elletentaitdepresserle

mouchoirtrempédirectementcontresesorbites.Quefairemaintenant?Laprendredanssesbrasetluidemandercequin’allaitpas?Impossible.La

compassionneviendraitpascommeça.—Duthé?parvint-elleenfinàarticuler.Oui,unthé,c’étaitunebonneidée.CommencerparoccuperCharlie,puiss’enallerpours’efforcer

decomprendrecequiavaitbienpusepasserdurantcetteétrangeentrevue.Charliereniflabruyammentpuispressasonderrièrecontreleboutducomptoir,envoyantvalser

unepileentièredesacsenpapiersurlesol.Ellesedandinajusqu’àuneporteàl’arrièredumagasin,sansjeterneserait-cequ’uncoupd’œilàSuzie.Devait-ellepartirourester?Suzienesavaitabsolumentpasquoifaire.Sacuriosité l’emportaet

ellesuivitnonchalammentCharlie,quisetrouvaitàprésentdansunpetitréduitentraindemettredessachetsdethédansdeuxtassesébréchéesdécoréesdechats.Suziepassaprèsd’elled’unpastraînantpouratteindreuntabourethaut,tandisqueCharlieselaissaittomberdansunvieuxfauteuildéfoncéetbataillaitaveclecouvercled’uneboîtedeQualityStreet.Unefoisqu’ellel’eutouverte,elleyplongealamainetoffritunebarrechocolatéeàSuzie.Celle-ciregardal’offrandemaisneputréprimerunerailleriedeplus.—Non,merci,dit-ellesuruntonguindé.Charlie la dévisagea avec lamined’une femmebrisée.Puis elle regarda la barre chocolatée un

momentavantdecéder.Toutendéchirant l’emballage,ellepritunegrossebouchée, tandisquedeslarmesseremettaientàcoulerlelongdesesjoues.Suzie ne ressentait toujours aucun élan de compassion. Tout ce qu’elle éprouvait, c’était un

immensesoulagementdenepasenvierlaviedeCharlie.Elleavaitpassétoutescesannéesàpenserqu’elleauraitdûmenerl’existencequecettefemmedevaitavoir,pourfinalementserendrecompteque cette vie l’avait rendue grosse et triste.Mais elle devait dire quelque chose, vu que, de touteévidence,Charlieétaitincapabled’entamerlaconversation.—Bon…,commença-t-elle.Qu’est-cequisepasse?Aprèsavoirattrapéunmouchoirpropredansuneboîteabritéedansunehousseenformedechat

bleuetblanc,ets’êtremouchéebruyamment,Charlieserepritsuffisammentpourrépondre.—C’estrien,finit-ellepararticuler.Suziefronçalessourcils.—Commec’estironique,repritCharlie,lesyeuxrivéssurlesol,ensecouantlatêted’unairtriste.— Quoi donc ? demanda Suzie, incapable d’empêcher Alanis Morissette de se diffuser

instantanément dans sa tête, tout en réfléchissant pour la énième fois à la vraie définition dumot«ironique».—Rien,ditCharlieplatement.—Oh,allez,ripostaSuzie.Sicen’estpasvraimentironique,jen’ensouffleraipasunmot.Presque

personneneconnaîtladéfinitionexactedel’ironie,etjesaisdequoijeparle–jesuisjournaliste.CharlieadressaunregardperplexeàSuzie.—SiAlanispeutsepermettredesetromper,alorstoiaussi.Pasdequoifouetterunchat.—Alanis?—AlanisMorissette.Isn’titironic?Tutenesouvienspasqu’onl’écoutaitenbouclependantl’été

95?«Dixmillecuillèresquandonaseulementbesoind’uncouteau»?Qu’est-cequiluiestpasséparlatête?Quequelqu’unoffreundictionnaireàcettefemme.Charlie avait cessé de pleurer à présent, et semblait profondément confuse. Enfin, elle prit la

parole.

—Tum’asmanqué,souffla-t-elle.—Tuasraison.Sacrémentironique,ça,fitremarquerSuzie,enseforçantàsourire.Charlieneréponditpas.Ellesecontentadedéchirersonmouchoirenlambeauxetdel’examinerde

près.—Pourquoitupleures?s’enquitSuzie.Il fallaitqu’ellesache.Elles’aperçutqu’ellecommençaitàs’inquiéterpourCharlie.Personnene

devraitsesentiraussimal.NouveaureniflementsonoredeCharlotteavantqu’ellenelèvelesyeuxversSuzie.—Ilsepourraitbienqu’Antonyaituneaventure,annonça-t-elleavantdesecacherlevisagedans

lesmains,etderelancertoutlephénomènedestremblementsetdeslarmes.—Jen’enrevienspas,murmuraSuzie.Dommagepourtoi,Alanis.Lecombledel’ironie,eneffet.Ellerencontrait lafemmequiavaiteuuneaventureavecsonpetit

amidixansaprès,pourserendrecomptequ’illatrompaitaujourd’hui,elleaussi.—Jen’ensuispastoutàfaitsûre.Peut-êtrequenon,mais…,marmonnaCharlie.—Charlie,l’interrompitbrusquementSuzie.Jepeuxt’assurerquesi.—Maisjen’enaipaslapreuveabsolue,jepourraismefourvoyer.—Écoute-moibien,repritSuzie,ensepenchantenavantsursontabouretavecenthousiasme.Ellesétaientsursonterrainàprésent.—Iltetrompe.Ettusaispourquoi?Parcequenoussommesprogramméespournierl’évidence

dansuncaspareil.Nousavonstouslessignessousnotrenez,etnouspensonsquandmêmequenousdevonsfaireerreurparcequelanouvelleesttropdureàencaisser.—Maiscommentpeux-tuenêtreaussisûre?demandaCharlie.—Répondsàmesquestions, ripostaSuzie,prenantdupoilde labête.Est-ceque tu le retrouves

dans des endroits bizarres de la maison, derrière des portes closes, à discuter au téléphone ?interrogea-t-elle.—Euh,oui.—Est-cequ’ilmetbrutalementfinàsesappelsquandtuentresdanslapièce?—Parfois,oui.—Etest-cequ’ilpartpasserlanuitailleurs,enprétendantquetunepeuxpaslejoindreparcequ’il

n’yapasdetéléphoneàlaréception?—Oui.—Quandilmentionneunecertainefemme,est-cequesontonchange,ouest-cequ’ilmarqueune

légèrepauseavantdecitersonnom?Charliesemorditlalèvreethochalatête,laissantdenouvelleslarmescouler.—A-t-ilsoudaincommencéàeffacertoussesmessagesdèsqu’illesalus?Charlieacquiesçaensilence.—Etas-tuapprisçaparcequetutefaufilesaumilieudelanuitpourvérifiersesmessagessurson

téléphone,parcequetucherchesdésespérémentàsavoirs’ilcommetunécartdeconduite?—Oui,sanglota-t-elle.Commentsais-tuça?Suzies’interrompit,sedemandantsilavisiblementbouleverséeCharlieavaitbesoindeconnaître

laréponseàcettequestion.—Parcequec’estcequejefaisaisquandjelesoupçonnaisdecoucheravectoi,répondit-ellesur

untoncalme.Jepensequec’estcequefonttouteslesfemmesquandellestententdésespérémentdetrouverlapreuvequeleurssoupçonssontinfondés.— Je suis tellement navrée, sanglotaCharlie. Je suis tellement navrée que nous t’ayons fait une

chosepareille.Suziedemeurasilencieuse.—Tudoispenserquej’aiexactementcequejemérite,repritCharlie.—Enfait,non,finitparrétorquerSuzie.C’estAntony,lefautif,pastoi.—Qu’est-cequejevaisfaire?poursuivitCharlie.Suziesesouvintalorsdelaraisondesavenue.FaireressentiràAntonycequ’elleavaitéprouvé

toutes ces années auparavant, quand l’avenir sur lequel elle avait toutmisé lui avait filé entre lesdoigts.Quellemeilleurefaçondesevengerqu’enpassantparCharlie?C’étaitàsontour.Aulieudes’éloignersansfairedevaguesetdepansersesblessurespendantlesmoisàvenir,Charliepouvaitfairecequidevaitêtrefait,etdonnerunebonneleçonàAntony.Quelleperspectivefantastique!—Charlie,dit-elletimidement,inquiètequecettedernièreneselaissepasembarquerlà-dedans.Si

tumelaissesfaire,jet’aideraiàneplustesentiraussimaletàreprendreleschosesenmain.Jet’aiparlédemarubrique,n’est-cepas?Voilàcequejefais.J’aidelesfemmesquiontdesproblèmesavecleurshommes.— Mais pourquoi aurais-tu envie de m’aider ? demanda Charlie, ayant l’air complètement

pathétiqueavecsatêtetouterougeetboursouflée.Tudoissûrementmedétester?—Parceque,soupiraSuzie.Pourêtretoutàfaitfranche,jedoisavouerquet’aiderm’aidera.Ilya

tantdechosesque jen’aipasditesni faitesquand j’aiapprispour toietAntony,et je l’ai regrettédepuis.Sijepeuxt’aideràletraitercommeillemérite,tun’imaginespasàquelpointçameferadubien.CharliedévisageaSuziependantunlongmoment.—Tum’asvraimentmanqué,finit-ellepardire.Jesuistellementdésolée.Suzieluirenditsonsourire.—Bon,reprit-elle.Prenonsleschosesuneparune.Considéronslesfaits.Quandas-tusoupçonné

qu’ilsepassaitquelquechosepourlapremièrefois?

Chapitre15

Drewn’étaitpasalléaubureaucejour-là.Sesréflexionsincessantesl’empêchaientdemaintenirsaroutine. En quittant la boutique Moss Bros, il avait recouvré la conviction que sa vie étaiteffectivementsurlabonnepente.Ilsuivaitlebonchemin.Toutallaitpourlemieuxdanslemeilleurdesmondes.Cette impressionavaitduré jusqu’à23h04,quand il était allévérifierque son réveilétaitréglépourlelendemainmatin, justeaprèsunedisputeavecEmilyausujetdesœillets.Laplusgrande fierté de lamère deDrew étaient lesœillets qu’elle faisait pousser pendant l’été dans sonminuscule jardin. Vu son amour pour cette fleur en particulier, elle avait demandé à son fils s’ilaccepteraitd’enporteruneàsaboutonnièrepoursonmariage.C’étaitsanscomptersurlesmenacesdemortd’Emilyetsamèreenréponseàcettesuggestion,etDrewétaitcenséannoncerlamauvaisenouvelle.Quandbienmêmeilavait tentétimidementl’argument«celaferait tellementplaisiràmamère»,iln’avaitpaslamoindreillusion:avoirdesœilletsaumilieudesanthuriumsrosesruineraitlemariageentier.N’ayantpasl’énergied’insister,ilavaitéteintsalampedechevetetposélatêtesursonoreiller,momentàpartirduquelsespenséesconfusesl’avaientrelancédanssaquêtesansrelâchedelatranquillitéd’esprit.À3heuresdumatin,ilenétaitréduitàessayerdeserecenserlesscoresdetouslesmatchsjouésàl’extérieurparManchesterCitydepuiscinqans,dansl’espoirdedistrairesoncerveauhyperactif.Ilavaitréussiàdormirparà-coups,maisaumatin,ilétaitépuisé.IncapabledefairefaceàSuzieaussiconfusetéreinté,ilavaitprissesquartiersdansuncafééquipé

duwifi, et avait appelé au journal pour dire qu’il travaillait de l’extérieur. L’article qu’il essayaitd’écriresuruncasdeviolencedomestique,impliquantunefemmequiavaitfaitavaleràsonmaridesversdeterreécrasésdansdeslasagnesparcequ’elleenavaitassezdesonobsessionpourlapêche,n’aidaitenrienàsoulagersoncerveauenébullition,nisonestomacnoué.Vers l’heure du déjeuner, il entendit la porte s’ouvrir et un gloussement familier résonner. Il se

baissaderrièresonordinateurlorsqueSuziedébouladanslapièce.Il jetauncoupd’œilpar-dessusson écran, juste à tempspour voirGarethpasser nonchalamment unbras autour des épaules de lajeunefemme,tandisqu’ilsregardaienttousdeuxletableaupourfaireleurchoixparmilesplatsdujour.En remarquant leur proximité évidente, Drew se sentit à la fois troublé, horrifié, soulagé, en

colère, et ainsi de suite : toute la palette d’émotions d’un homme qui ne voit plus clair dans sessentiments.Commehypnotisé,illesobservas’installeràunetableàl’autreboutdelapièce.Aumoins,ilsne

l’avaientpasrepéré.Ilspassèrentledéjeunerentieràdiscuteretplaisantercommelarronsenfoire.Suziesemblaitsurunpetitnuage,etGarethavaitl’airdeluifaireunnumérodecharme–manœuvrequ’ilréservaitd’habitudeàsesplusgrosannonceurs.ChaquefoisqueleriredeSuzieretentissait,Drewéprouvaitunedouleuraiguë,quelquepartdans

sapoitrine.Detouteévidence,elleétaitsouslecharmedeGareth–etdirequ’ilpensaitqu’elleavaittiréuntraitsurleshommes.Bêtement,iltapalenomdeGarethsurGooglepourvoirquelsrésultatssortaient,espérantdécouvrirqu’ilavaitété inculpédemeurtredans leKansas,etqu’ilavaitpris lafuitepouréchapperaucouloirdelamort.AlorsmêmequeDrewdéterraitlepassébrillantdeGarethàCambridge,unepaired’yeuxscintillantsseposèrentsurluidel’autrecôtédesonécran.

—Coucou,entonnaSuzie.Qu’est-cequetufaisplanquéici?Elleplongeasurlesiègeenfacedelui,avantdepoursuivre:—J’aiattenduquetuarrivestoutelamatinée.J’aitellementdetrucsàteraconter,c’estfou.—Je…J’avais justebesoind’êtreaucalmepourfinirça,bredouilla-t-il,enpointantdudoigt la

photo prise durant la remise des diplômes de Gareth sur le blog de ses parents, que fortheureusement,Suzienepouvaitpasvoir.—J’aibeaucouppluscroustillantàtemettresousladent,rétorqua-t-elleenrabattantl’écrandeson

ordinateur.Jeviensdedéjeuneravecnotrecherrédacteurenchef,Drew,etdevinequoi?Ilm’adore.—Ilquoi?s’exclamaDrew.C’étaitencorepirequecequ’ilcraignait.Depuiscombiendetempsceladurait?—Iltrouvequejesuislameilleurechoseaumondedepuisl’inventiondupaintranché,parceque

les revenuspublicitairesontdoublégrâceausuccèsdemanouvelle rubrique.Doublé,Drew.Tu terendscompte?Jesavaisquejerecevaisbeaucoupplusdelettresetd’e-mails,maisquiauraitcruquecelapuissearriver?Etdevinequoi?ajoutaSuzie, sansattendrede réponse.Apparemment,depuisquej’aiconseilléàcettefemmedebrûlerlespartiesintimesdesonmari,lesventesdechalumeauonttriplé.Unmagasindebricolageveutuneannonceenpleinepage.Dupurgénie.C’estcequeGarethadit.«Dugénie.»ElletenditlamainetterminalederniermorceaudebeignetqueDrewgardaitprécieusement.—C’estvraimentsuper,commentaDrew,soulagédeconstaterqueGarethetSuzien’entretenaient

pasuneliaisonpassionnée.— Attends un peu, reprit-elle en mâchant, ce n’est pas la chose la plus importante que j’aie à

t’annoncer.Drewsesentitdenouveautendu.Ilsétaientamoureux.MaintenantqueSuzieavaitsauvélejournalà

elleseule,Garethavaitcraquépourelle.—Hier,jesuisalléevoirCharlie.Bonsang!D’oùilsortait,celui-là?C’étaitqui,cefichuCharlie?—Tu sais, la femme d’Antony, expliqua-t-elle, percevant son expression confuse. Lameilleure

nouvelle,enfait,c’estqu’elleagrossi.Çam’afaittellementplaisir,situsavais.Elles’interrompitquandelleremarquaqu’ilavaittoujoursl’airaussiperplexe.—Untrucdefilles,ajouta-t-elle.Bref,devinequoi?—Quoi?marmonna-t-il.—Ilrecommence,répondit-elle,visiblementsurexcitée,avantdebaisserleton.Ilauneaventure.—Oh,monDieu,s’exclamaDrew,l’annoncedecettenouvellebalayantsesinquiétudespremières.— Et tu ne croiras jamais avec qui, lui souffla-t-elle dans le creux de l’oreille, au point qu’il

arrivaitàsentirsonsoufflesursajoue,relançantsaréflexion.

Chapitre16

ChèreSuzie,J’ai vingt-huit ans et j’ai récemment repris contact avecmon tout premier petit copain,Michael,parFacebook.Aprèsavoiréchangéquelquese-mails,nousnoussommesrevusetc’était comme au bon vieux temps. On s’entendait si bien, et cette fois, j’ai même pucoucher avec lui. Ilm’a dit qu’il ne voulait pas être en couple, parce qu’il venait de sebrûlerlesailesavecsadernièrepetiteamie,maisqu’ilpensaitpouvoirgérerune«amitiéaméliorée».Toutsepassaitbiencesderniersmois,maisvoilàqu’ilm’ademandésij’étaistoujoursencontactaveccertainesdesplus jolies fillesdu lycée,et si je seraisd’accordpour les emmener laprochaine foisqu’on se verrait. Jen’enaiaucuneenvie,parcequedans ce cas, nous ne pourrons pas coucher ensemble. Je ne crois pas qu’il s’en rendecompte.Pensez-vousquejedevraisleluifaireremarquer,oucelaseraittropdéplacé?

Bienàvous,Lisa

ChèreLisa,Parpitié,nemelancezpassurlesujetde«l’amitiéaméliorée».Autantporterautourducouunepancartedisant«Sexegratuit–Aucuncompteàrendre».Quantaufaitquevouslepreniezpourunami,çamesidère.Onn’appellepasçaunami,onappelleçaunclient.Ouvrezlesyeux,Lisa,ilprofitedevous,etilesttempsd’inverserlesrôles.Dites-luiquevousêtestoujoursencontactaveclapersonnelaplussplendidedulycéeetqu’ellemeurtd’enviedelerevoir.Ajoutezquevousdevrieztousvousretrouverchezlui,parcequecettepersonneaimevotreconcept«d’amitiéaméliorée»,etqu’elleestintéresséeparunplanàtrois.Arriveztôt,etdites-luiquevouspensezquevousdevriezmonterlechauffageetvousmettreensous-vêtementspourvousmettredansl’ambiance.Unefoisqu’ilseraencaleçon,et cinq minutes après l’heure à laquelle votre invité était censé arriver, prenez votretéléphone et vérifiez vosmessages. Annoncez àMichael queGary est à deuxminutes àpeine,etqu’iltrépigned’impatience.Précisez-luiquec’estunbonamiàvousetqu’iln’yastrictementrienàaméliorerchezlui.

Amusez-vousbien.Suzie

—Salepimbêchearriviste,grommelaJackieàSuzielorsqu’elless’installèrentsurunerangéede

chaises,aufinfonddelabibliothèqueKeeling.—Chut,ellepourraitt’entendre,chuchotaSuzieenretour.—Jem’enfiche,ditJackie,unpeuplusfortcettefois.Enfin,regarde-ladanssonpetittailleuren

polyester, si collet monté. On lui donnerait le bon Dieu sans confession. Non pas que je veuille

entendrecequ’elleaàconfesser,sielles’envoieeffectivementenl’airavecAntony.—Mercipourl’imagementale,Jackie.Antonyavait,pourainsidire,serviàSuziesonplandevengeancesurunplateau.Siçafonctionnait,

les retombées pourraient se révéler spectaculaires, même s’il avait fallu un peu de temps pourconvaincreCharliedejouersonrôle.PlusieursvisiteschezBen&Jerry’sauTraffordCentreavaientéténécessaires,letempsdecomploterensecret,toutenengloutissantd’énormesquantitésdecrèmeglacéeenquêted’inspiration.Charliesemblaitàprésentcomplètementenphaseaveclaphilosophiede «Chère Suzie », quant à la façon de traiter les hommes infidèles.À cet instant, cela dit, alorsqu’elle était assise, attendant son tour de revoirAntony pour la première fois en presque dix ansdurantsaséancedeconsultationavecsesélecteurs,Suziecommençaitàdouter.—Lavoilà,repritJackie,endonnantuncoupdanslescôtesàSuzie.Troy,tuesprêtavectasucette,

monchou?Assure-toidelacollersurlajoliejupedeladame,d’accord?Tandisqu’ilsapprochaientdelajeunefemmeentailleurbleumarine,Troyleuradressaungrand

sourire.— Bonjour, mesdames, je suis Megan, les accueillit la femme, atrocement propre sur elle et

rayonnante.Quelbeaubébé,s’épancha-t-elle,sepenchantpourcaresserlajouedeTroy.Sentantdelanourriturepotentielle,cedernierattrapasondoigtet lefourradanssabouchepour

croquerdedansàpleinesdents.—Ooh,gémit-elle,souslecoupdelasurprise.—Non,Troy,grondaJackie.Tunesaispasoùçaatraîné.MeganetJackieéchangèrentdesregardsnoirs,notanttoutesdeuxquecetteentrevueavaitpeude

chancesdedonnernaissanceàunerelationfructueuse.Megantoussa,ajustaseslunettesinvisibles,etrivalesyeuxsursonbloc-notes.—Pourl’instant,Antonyvientjustederecevoirunautreélecteur,maissivouspouvezmedonner

de plus amples informations sur ce dont vous souhaitez vous entretenir avec lui, cela nous feragagnerdutempsparlasuite,dit-elleenlevantlesyeux,unsouriredédaigneuxauxlèvres.— Donc vous êtes un peu comme l’elfe avant qu’on ait le droit de rencontrer le père Noël ?

demandaJackie.Meganluijetaunregardassassinavantd’éclaterderire.—Oh,oui,trèsamusant.Enfait,jesuisstagiaire,expliqua-t-elleengratifiantJackied’unsourire

faux.—Ehbien,c’estunplaisirdevousrencontrer,Monica,rétorquaJackie,enluirendantlapareille.—Enfait,c’estMegan.Son sourire hypocrite s’effaça, et sous son col blanc rigide, taillé comme celui d’un uniforme

scolaire,sapeaucommençaàrosir.—Sivousledites,répliquaJackie.Suzieneputréprimerunsourire.—Bon,poursuivitMegan, reprenant sesmoyens.Puis-jem’assurerquevousvivezbiendans la

circonscriptiond’Antony?Pouvez-vousmedireoùvoushabitez?—DanscelledeFairlawns,chérie.—Parfait,répondit-elleenhochantlatête.—Jesais,jesuisungénie,lanarguaJackie.Jeconnaismonadresse.— Et à quel sujet souhaitez-vous vous entretenir avec votre député ? interrogea Megan,

commençantàparaîtreagacée.— Je souhaiterais soulever le problème du cruel manque d’installations pour allaiter dans le

secteur,expliquaJackie.SimonTroysemetàavoirsoifpendantquenoussommesdanslesparages,jen’aisouventaucuneautreoptionquedetoutdéballerenpublic.C’estunscandale,vouspouvezmecroire.—Euh,oui,jesupposequecedoitêtreparticulièrementinconfortablepourvous.—Toutàfait.Cen’estpastâchefaciled’êtrediscrèteavecdesenginspareils.MeganfutincapablederésisteràsafurieuseenviedefixerleregardsurlapoitrinedeJackie.—Vousvoyezcequejeveuxdire?lapressaJackie.—Oui,euh,non,euh…,balbutiaMegan.—Bref, jeme disais que ce serait une excellente façon d’utiliser l’argent des contribuables de

mettreenplacedesinstallationspourlesfemmesquiontbesoindenourrirleurpetit.—Oui,oui,biensûr.Etavez-vousdespropositionsàfairequantauxendroitsoùceséquipements

devraientêtreinstallés?C’esttoujoursd’ungrandsecoursdeveniravecunesolutionplutôtqu’avecunproblème.C’estcequ’Antony…euh,M.Barwooddittoujours.—JepenseàlasallefumeursduWhiteHart,quinepeutplusêtreutiliséeàceteffet,doncpeut-être

qu’elle pourrait servir pour l’allaitement, répondit Jackie.Pratiqued’avoir des rafraîchissements àportéedemain,voussavez.Onnepeutpassepermettred’êtredéshydratéequandondonnelesein.MegantournalesyeuxversSuzie,cherchantàsevoirconfirmerquelesproposdeJackieétaient

ridicules,commeellelesoupçonnaitfortement.—Quelleidéedegénie,Jacks,acquiesçaSuzie.Etdevinequoi?Onvientjusted’yréinstallerPac-

Man.—C’estpasvrai?—Si.—C’estpasgénial?s’exclamaJackie,àl’intentiondeMegan.Queldonàlacommunauté,quela

sallefumeursduWhiteHartdevienneunhavredepaixpourtouteslesfemmesquiallaitent.JepensequevotreAntonyvaadorercetteidée,pasvous?Megan les dévisageait toujours toutes les deux quand la porte menant à la pièce derrière elle

s’ouvrit,etqu’unhommemunid’unecanneensortit.—Bonne journée,ma chère, lança-t-il en levant légèrement son chapeau de feutre pour saluer

Megan.Ilesttoutàvous,ajouta-t-il,unlargesourireauxlèvres.—Euh,ceneserapaslong,marmonnaMegan.Elles’engouffraparlaporteouverteetpritbiensoindelarefermerderrièreelle.—Commentj’étais?questionnaJackie.—Tuasétébrillante,luiditSuzie.J’espèrejustequ’ilnevapasflairerl’entourloupeetrefuserde

nousrecevoir,sinonleplantombeàl’eau.—Ilvanousrecevoir,iln’apaslechoix;c’estmondéputé.—Hmmm,j’espère,repritSuzie,ensemâchouillantlesongles.—Çava?s’enquitsonamie.—Jemesensjusteunpeubizarre,c’esttout.Tusais,jenel’aipasvudepuisdesannées.Jenesais

pastropqueleffetçavamefaire.—Souviens-toiseulementquitues,etpourquoituesici.C’esttoiquimèneslejeu,tuterappelles?

C’estcequetunecessesderépéteràteslectrices.Aufait,j’adoreleschocolatsgratuitsquej’aireçusensouscrivantàtanewslettersurlesite.—Tulesasreçus?demandaSuzie,aucombledel’enthousiasme.Jen’arrivepasàcroirequ’onait

déjà trouvé un sponsor. On n’a mis le site en ligne que la semaine dernière. Apparemment, unecliniquespécialiséedanslesMSTvadevenirnotresponsorprincipallemoisprochain.

—Etqu’est-cequejevaisrecevoirpourça?Unéchantillongratuitdechaude-pisse?Au même instant, la porte se rouvrit et Megan apparut, quelque peu rougissante, comme le

remarquaSuzie.Antonyétaitvraimentuneordure.—Ilvavousrecevoirmaintenant,annonçaMeganàl’intentiondeJackie.—Désolée, chérie. Une petite urgence vient de tomber, et je dois y aller. Troy a besoin d’être

allaité,àlavérité.Maisvulecruelmanqued’équipements,jevaisêtrecontraintedem’exhiberdanslasalled’ouvragesderéférence,expliqua-t-elleàpleinevoix,poursefaireentendreduplusgrandnombred’habitantsduGrandManchester.Celadit,mabonneamieSuzieiciprésentevaexposermonproblèmeàM.ledéputé.Allez,salut.Raviedevousavoirrencontrée,Monica.—C’estMegan,rétorquacelle-cisuruntonsec.—Commevouslesentez,chérie,répliquaJackieenpartantentrombeavecTroysouslebras,qui

sedébattaitenhurlant.La jeune stagiaire afficha un sourire forcé et semit sur le côté pour ouvrir le passage àSuzie,

avantdefermerlaportederrièreelle.Lorsque Suzie entra, Antony avait les yeux baissés, affairé à écrire quelque chose sur un

formulaire.Elleremarquaunelégèrecalvitieausommetdesatête,etsentitinstantanémentunsursautdeconfianceenelle.— Venez vous asseoir, lança-t-il sans lever le regard. Ce ne sera pas long, madame, euh,

madame…Ilexaminaitférocementleformulaire.—MmeMiller,enfait.SuzieMiller.—Quoi?s’exclamaAntonyenrelevantbrusquementlatête.Suzie,qu’est-cequetufaisici?Elleseretrouvabouchebée.ElleétaitbientropoccupéeàvoirsarelationavecAntonyluidéfiler

devant les yeux, car le seul fait d’apercevoir son visage lui rappelait un million de souvenirs,ensevelis jusque-làdanslestréfondsdesonesprit.Premiersbaisers,dernièresdanses,pique-niquesenété,baladesenhiver,dînersdehors,petitsdéjeunersaulit,grandescélébrations,tendresélansdecompassion:toutrepassaitdanssatêteenaccéléré.Iln’avaitpaschangé,endehorsdufaitqu’ilétaitdevenudéputé.Sa chemise était caractéristiqued’unhommebarbant entredeuxâges.Sonnœuddecravate était bien serré en haut, au lieu d’un peu lâche commepar le passé, et la naissance de sescheveuxreculaitpourrejoindresacalvitienaissante.Maisàpartça,c’étaitexactementlemême.Oh,etilportaitunealliance.C’étaitnouveau,çaaussi,parrapportàladernièrefoisoùellel’avaitvu.—Suzie,répéta-t-il.Alors…commentvas-tu?Quellesurprise.Iltapotaitnerveusementsurlatableavecunstylo.—Ehbien…jevaisbien,mentit-elle.Lemagnétoscopedanssatêtevenaitd’atteindrelafindeleurrelation,etcommençaitàrejouerle

moment où elle avait surpris Antony dans leur lit avec Charlie. Elle arrivait à revoir ses fessesblanchesfairedesva-et-vient,etellesesouvintdes’êtrefaitlaréflexionqu’ellenel’avaitjamaisvusouscetangleauparavant.Antonydétourna lesyeux, incapabledesoutenir son regard,etentrepritde rangernerveusement

destrombonesdansunsecrétaireenplastiquebleu.Enfin,vuqu’ellen’ouvraitpaslabouche,illevalesyeuxetfronçalessourcils.Illajaugeadelatêteauxpieds.—Tuasl’airenpleineforme,finit-ilpardire.Elle avait fait de sonmieux pour ne pas s’habiller pour l’occasion. Ellemourait d’envie de se

moqueréperdumentdecequ’Antonyallaitpenserd’elle,maissafiertél’avaitemporté,etelleavaitsorti de son placard son plus beau tailleur, associé à des talons hauts sexy, qui lui avaient paru

nécessairespourstimulersaconfianceenelle.Commeilétaittoutaussinécessaire,d’ailleurs,desemettredanslapeaud’unejournalistedehautvoletd’incarnerunbelexemplederéussite.Cejour-là,elle n’était pas SuzieMiller, rédactrice du courrier du cœur pour leHerald. Ce jour-là, elle étaitKateAdie,legiletpare-ballesenmoins,enpleineenquêtepourfaireéclaterlavérité.DeplusenplusnerveuselorsqueAntonycontinuaàladétaillerdelatêteauxpieds,ellesedemandacequeKateferaitensuite.Nepas avaler ses salades, etpasser à l’attaque.Faire commesi lemondeétait à sespieds.Ignorer la bataille, et se concentrer sur les faits.KateAdie était l’idole deSuzie dans sa jeunesse.Certes,ellen’étaitpasalléejusqu’auxchampsdebatailleauMoyen-Orient,maisdetouteévidence,lasphèreducoupleétaitl’arènedanslaquelleelleétaitdestinéeàmenersoncombatpourlavérité.Elles’assitsurunechaiseenplastiquefaceaubureaud’Antonyetsortitsonbloc-notesdesonsac.

Préparantsonstylo,elleleregardadroitdanslesyeuxetposasapremièrequestion.— Antony Barwood, j’ai des raisons de penser que vous avez une liaison. Souhaitez-vous

confirmermesdires?Dugrandn’importequoi.Kateneposeraitjamaisunequestionaussifermée–qu’est-cequiluiétait

passéparlatête?—Qu’est-ceque…Iljetasonstylosurlebureau,dispersantdestrombonesdanstouslescoins.—Qu’est-cequetufous?Pourquituteprendspourveniricietmeposerunequestionpareille?—Antony, je suis reporter pour leManchesterHerald. J’ai la preuve que tu as une liaison et

j’aimeraisrecueillirtesimpressions…s’ilteplaît?ajouta-t-elle.Bonsang!Katenediraitjamais«s’ilteplaît».—Suzie,j’ignorecequetufichesici,maisjepensequetuferaismieuxdepartir.Personnen’entre

icipourm’accuserd’avoiruneaventure.—Moi,si,rétorqua-t-elleàvoixbasse.—Ohquenon.Jen’aipasdefichueaventure.Maintenant,dehors,lasomma-t-ilenselevantdesa

chaise.Suzieécrivitcalmementdanssoncalepin,toutenréfléchissantàsaprochaineoffensive.—Qu’est-cequetuécris?hurla-t-il,encontournantlebureaupours’approcherd’elle.—« Je n’ai pas de fichue aventure », a déclaré le député deWestKeeling, répondit Suzie sans

cesserdenoter.— Donne-moi ça, gronda-t-il en lui arrachant le bloc-notes des mains pour le balancer sur le

bureau.Jet’interdisdeveniriciaveccesmensongeséhontés.Dequois’agit-ilvraiment?D’unesortedevengeancebizarrepourcequinousestarrivé?Aprèsquoi,presquedixans?Tuescinglée,voilàcequetues!Vadoncfaireunethérapieetneremetsplusjamaislespiedsici.—Jesuisdéjàunethérapie,rétorquaSuzie,toujoursbienassisesursachaise.Antony,encheminpourallerouvrirlaporte,s’interrompit.—Bien,bien,répliqua-t-ilpluscalmement, lapeurse lisantclairementsursonvisage.C’estune

très bonne chose, Suzie. Maintenant, va-t’en. Je suis certain que ton psychiatre te déconseilleraitfortementdetetrouvericimaintenant,pasvrai?—Ohsi,bienaucontraire,répondit-ellesuruntonenjoué.Cette thérapieestautoadministrée,et

mefaitvraimentunbienfou.—«Autoadministrée»?laquestionna-t-il.Qu’est-cequec’estcensévouloirdire?—Ehbien,tuasparfaitementraison.C’estunevengeance.Tuestoujoursunvraipetitmalin,hein?Ellerepéradestachessombrespointantsoussesaisselles.—Unevengeance?répéta-t-il,endéglutissantàgrand-peine.

—Oui.—Pourlafaçondontnousavonsrompu?—Oui.—Maisc’étaitilyadixans,plaida-t-il,levantlesmainsenl’airpourmanifestersonexaspération.—Oh,jelesaisbien.Mais,tuvois,tunem’aspasdonnél’occasiond’agiràl’époque,doncjele

faismaintenant.—Enm’accusantd’avoiruneliaison?Tuplaisantes,j’espère.J’aiépouséCharlotte,tun’espasau

courant?Jenetromperaisjamaismafemme.—Ellecroitpourtantquec’estlecas,rétorquacalmementSuzie.—Quoi?s’écriaAntony.—Quetulatrompes.—TuasvuCharlotte?Qu’est-cequisepasseàlafin?Jevaisfaireappelerlasécurité.Ilfitunenouvelletentativeverslaporte.— Pourquoi ne pas poser la question à Megan ? demanda Suzie, en examinant ses ongles

nonchalamment.Jesuiscertainequ’elleseraitraviederendreservicedanstouslescas.Antonysefigeadevantlaporteàpeineentrouverte.—Qu’est-cequec’estcensévouloirdire?— Seulement qu’elle a l’air d’une jeune fille très serviable, voilà tout. Tu dois être vraiment

enchantédel’avoiràdispositionpoursubveniràtesmoindresbesoins.Antonyrefermalaporte—Jen’aipasdeliaison,répéta-t-il,lesdentsserrées.—SionposaitlaquestionàMlleLewinsky,àcôté?répliquaSuzie.Elle crut qu’Antony allait exploser juste devant elle, avant qu’il ne parvienne à se calmer

suffisammentpourrépondre.—Tun’asaucunepreuve,maintenantsorsdemonbureau!Ilouvritlaporteàlavoléeetfitunpasdecôtépourlalaisserpasser.—Excusez-moi, lança soudain une voix haut perchée, suivie dumouvement de balancier de la

queue-de-chevalimpeccablequitrônaitsurlatêtedeMegan.—Navréedevousimportuner,Antony,maislemaireatéléphoné,etvoudraitquevouslerappeliez

detouteurgence,lepressaMegan.EllesetournaversSuziepourluiadresserunsourireenguised’excuses.—Suzie…euh,MmeMillerallaitjustementpartir,déclaraAntony.Flûte.Quefaireàprésent?Suziesavaitqu’Antonyavaitraison.Ellen’avaitpaslamoindrepreuve.

Tout ce qu’elle avait, c’étaient les soupçonsdeCharlie – et enmatière d’adultère, les soupçons serévélaientsouventfondés.—KateAdie,KateAdie,KateAdie,marmonna-t-elledanssabarbe.Doncc’estvousquicouchez

avecAntony?balança-t-elleàMegan.Lesilencesefit, tandisquetoutlemondeseremettaitduchoc,àlasuitedel’annoncedesfaitsà

voixhaute.LamaindeMeganvolajusqu’àsabouche,etelleregardalevisagehorrifiéd’Antony.Leslèvres

decelui-ciremuaientmaisaucunmotn’ensortait.— Je suis une vieille amie et nous avons eu une bonne conversation, reprit Suzie, en souriant

àAntony.—Maisjecroyaisquenousnedevionsenparleràpersonne,intervintMegan.Jecroyaisquenous

devionsattendrelaréélection.

—«Nous» ? s’exclamaSuzie, incapablede contenir sa colère.Vousvousprenezdéjàpourun«nous»?Vousavezcouchéensemblequelquesfoisdansledosdesafemme.Çanevousdonnepasledroitdedire«nous».AntonyempoignaMeganparlebrasetlatraînadanslapièce,claquantlaportederrièreelle.—Tais-toi,siffla-t-il.C’estunejournalisteetunemaladementale,donclaisse-moiparler.Megan,prenantconsciencedelasituation,chancela.—Oh,Seigneur,répétait-elle,encoreetencore,tandisqu’Antonysedressaitduhautdesonmètre

soixante-dixetsemesuraitàSuzie.—C’esttaparolecontrelamienne,dit-il.Personnenetiendracomptedetonseultémoignage.Suziesetapalefrontpourfeindrelasurprise.—Tu as raison, répliqua-t-elle. Bien sûr que tu as raison. Ta parole contre lamienne. En fait,

techniquement,ceseralaparoledeMegan,poursuivit-elleensortantunDictaphonedesapoche.EllelaissaletempsàAntonydeleremarquerunbrefinstantavantdeleglisserdenouveaudanssa

veste,lamainposéedessuspourleprotéger.—Commentoses-tu!explosa-t-il.Donne-moiça.—Non, rétorqua-t-elle, avançant jusqu’àceque sonvisage se retrouveàquelquescentimètresà

peinedusien.Sais-tucequejetiensdansmamain?Tonavenir.Surcetteminusculepetitemachinesetrouvetonavenir,etilestentremesmains.Toutcommelemienétaitdanslestiennes,ilyatoutescesannées. Tu m’avais dit que nous en avions un. Je comptais sur cet avenir, et tu me l’as enlevé.Aujourd’huijepeuxterendrelapareille.Alors,qu’est-cequeçafait,Antony?Àprésent,lalèvreinférieured’Antonytremblait,etladésagréableodeurdesatranspiration–ou

peut-êtredesapeur–montaitauxnarinesdeSuzie.Elletintbon,soutenantsonregard,ignorantlesjérémiadesdeMegan,quelquepartderrièrelui.—D’accord, tu t’esbien amusée, déclara lentementAntony. Je suis désolépour ceque j’ai fait,

sincèrement.Maisdisonsqu’onestquittesmaintenant,d’accord?Tumedonnescetruc,ettupourrasdormirsurtesdeuxoreillesentedisantquetuaseutavengeance.—Tuveuxrécupérertonavenir,hein?interrogeaSuzie.—Oui.Commejel’aidit,jesuisdésolé.Donne-le-moi,s’ilteplaît,implora-t-il.—Non,répondit-ellebrutalement.Tunepeuxpasl’avoir,parcequejedoisleremettreàquelqu’un

d’autre.Blottiedansuncoin,Megansanglotait,safaçadeimpeccabledésormaisréduiteànéant.—Non,Suzie, je t’enprie, tunepeuxpasfaireça.Jeferai toutcequetuveux.Tusaisquesi tu

l’imprimes,jesuisfini.Suzieledévisageaunlongmoment,sedemandantcequ’elleavaitbienpuvoirenlui.— J’aurais dûme douter que ta précieuse petite carrière serait ton souci premier, finit-elle par

cracher.Qu’enest-ildetafemme,Antony?Ilneréponditpas.Megansetutd’unseulcoup.—Tuasraison,jemesuisbienamusée,repritSuzie.Jen’aipasbesoind’allerplusloin.—Oh,Suzie,merci,répliquaAntony,visiblementsoulagé.Tuneleregretteraspas,promis.IltenditlamainpouratteindreleDictaphone.—Passivite,rétorquaSuzie,enreculantd’unpas.Jemesuisbienamusée.Maismaintenant,c’est

autourdeCharlie.C’estellequivarécupérerceci,ajouta-t-elleenfaisantunetapesursapoche.Jepensequecedevraitêtreàelledetranchersurtonavenir,pastoi?Elle se tourna et quitta la pièce avant que Megan n’ait le temps de se remettre à pleurer, et

qu’Antonynes’effondresurlesolpourenfairedemême.

Chapitre17

ChèreSuzie,J’approchedemesquaranteansàgrandspas,etj’aicruquej’avaisgâchémachancedetrouverl’amour,maistoutachangéquandj’airencontrél’hommeidéalilyasixmois.Ondirait un rêve devenu réalité. On s’entend comme larrons en foire, et le sexe est toutbonnement incroyable.Seuleunechoses’interposepourqu’onviveheureuxà jamais.Safemme.Ilneveutpaslaquitterparcequ’ilprétendqueceladétruiralaviedesonépouse,mais je ne veux pas passer le reste de la mienne à ne pouvoir que grappiller quelquesheurespar-cipar-làavecl’hommequej’aime.Jeveuxseulementqu’onsecomportecommeuncouplenormal.Me réveillerdans sesbras, sortir et faire les coursesavec lui.Est-cetropdemander?Bienàvous,KatherineChèreKatherine,Oui,c’esttropdemander.Donnez-moiuneseulebonneraisonpourlaquelleiljetteraitauxortiesvotre relationconsistantendu sexe sansengagement.Est-ceattrayantpour luidepasserdesheuresàbabillertoutendépensantunefortunedansunrestaurantchic?Veut-ilvraimentvoustenirdanssesbrastoutelanuit,alorsqu’ilpeutarriveràsesfins,selever,rentrerchezlui,etfaireunebonnenuitdesommeildanssonlit?A-t-ilréellementenviededébattre avec vous de quelle marque de gel W.-C. acheter ? Non. Cet arrangement estparfaitpourlui,parcequ’iladesrapportssexuelsavecvous,cequiluipermetdenepasaffronterlefaitque,detouteévidence,sonmariageaunproblèmemajeurqu’ildoitrégler.Doncjevoussommeàvous,ainsiqu’àtoutescellesquiseretrouventactuellementàjouerle rôle de « l’autre femme » d’arrêter immédiatement. Je proclame donc la journée devendrediprochaincommeétantofficiellementcelledelarevanchefaçonLiaisonfatale.Jevous demande à toutes de célébrer votre libération d’une relation compromettante, enenvoyant à votre homme infidèle un lapin en peluche accompagné d’un petit motl’avertissant que, la prochaine fois, ce sera un vrai, s’il ne vous fiche pas la paix et necommencepasàjouerfranc-jeuavecsonépouse.

Courage,Suzie

—Deslapins?marmonnaDrewderrièresonécharpe,alorsqu’illuttaitcontrel’airglacialdece

matindedécembre.—Pasbesoindemefaireremarqueràquelpointc’estunebonneidée,réponditSuzie,observant

autour d’elle la flopée de journalistes amassés devant le portail de la résidence de Manchester

d’AntonyBarwood.Elle s’autorisa un sourire en coin. La journée « Liaison fatale » était une bonne idée, mais sa

vengeancecontreAntonyétaitunvraicoupdegénie.Elle jetauncoupd’œilà son téléphonepourvoirsiCharlieluiavaitenvoyéunmessage.Rien.Autantespérerquecesoitbonsigne.—Bon,tuvasm’expliquercequisepasseici?demandaDrew.Jenepigetoujourspaspourquoitu

asrenoncéauxaveuxd’Antony,poursuivit-ilenbaissantd’untonpouréviterqu’onnel’entende.As-tupenséàceque tuauraispuen faire?Onparledepasseràcôtéd’unscoopetd’unevengeance.Qu’est-cequit’apris?—Tuverrasbien,murmura-t-elletoutenregardantlaported’entrées’ouvrirsurAntony,faisant

desonmieuxpouravoirl’aird’undéputéquelconqueundimanche,vêtud’unjeanmaltailléetd’unmanteau de ski qui n’avait visiblement jamais approché d’une piste. Charlie apparut derrière lui,accoutréed’unimperméablenoirtroplargeetdelunettesdesoleil.—Oh,mauvaischoix,grimaçaSuzie.Ondiraitqu’elleporteunehoussepourbarbecue. Jevois

déjàlesgrostitresd’ici:«Lafemmedudéputésurlegril».—Sonlookestsansdoute lecadetdesessoucispour l’instant, fit remarquerDrew.Elledoiten

avoirgrossurlapatate.—Mais je lui ai conseillé d’être glamour, grommela Suzie, en tapant du pied par terre. Flûte,

pourquoin’a-t-ellepasécoutéuntraîtremotdecequejeluiaidit?Antony et Charlie avaient presque atteint le portail. Ils se tenaient la main, mais marchaient en

silence.Antonyarboraituneminemorosemaisrésignée.L’expressiondeCharlie,quantàelle,étaitimpossibleàdécrypter,àcausedeslunettesdesoleil.Suzieespéraitqu’ellesnedissimulaientpasdesyeuxrouges.Elleluiavaitconseillédeparaîtreenjouéeetoptimiste,pasdedonnerl’impressiondeserendreàunenterrementunjourdedéluge.Antonys’arrêtajustederrièreleportail,auboutdel’alléebordéed’arbres,etadressaunsignede

têteà lavingtainedejournalistesetdephotographesamassésdel’autrecôté,mandatéspar touslesplusgrandsjournauxnationaux.Ilmitlamaindanssavesteetensortitunefeuilledepapier,avantdes’éclaircirlavoixetdeserrerlamaindeCharlie.—Mercid’êtrevenus,commença-t-ilsuruntonsolennel.Jemetiensicidevantvousaujourd’hui

aunomdel’honnêtetéetdelatransparence,qualitésqu’àmonavisvousattendezd’undéputé.Etentantquetel,jemedoisdevousavouerquej’aicommisunefautetrèsgrave.Récemment,j’aieuunerelationinappropriéeavecunefemmeautrequemonépouse.Cetterelationestmaintenantterminée.J’ai eu l’occasion d’être honnête avec Charlotte, et de lui exprimer mes profonds regrets pourl’erreurquej’aicommise.Illevaleregardverssafemmeethochalatêted’unairgrave,avantdereprendresondiscours:—Entantqueserviteurpublic,jemedoismaintenantdefairepreuvedelamêmehonnêtetéenvers

mesélecteursetlemerveilleuxpeuplebritannique.Jeprendsconsciencequej’ailaissétombertoutlemondeetjen’auraidecessedem’enexcuser.Jenepeuxvousdécrireàquelpointcelamepeinedemeteniriciaujourd’huienayantàfairecettedéclaration.J’aidévouémonexistenceentièreàêtreunserviteurpublic,etjen’aijamaisenvisagéqu’unechosepareillearriverait.Monintentionatoujoursétédeservirlesautrespourfaireunedifférencedansleurvie.Il s’interrompit un instant et leva les yeux de son discours. Les flashs s’enflammèrent aussitôt,

faisantbaignerl’étrangecoupledansunelueurfluorescente.Cequiressemblaitàunmilliondevoixfendit soudain l’air, tandis que les vautours impatients tentaient leur chance pour prendre part aumassacre.—SimonAndrews,pourleMirror.Quiétaitdonccetteveinarde,Tony?

—RichardBartholomew,duTelegraph.Comptez-vousdémissionner?—PhilipBarker,duSun.Maintenantquevousavezrejoint leclubdesdéputésdonJuan,va-t-on

vous voir dans le magazineHello ! en compagnie de femmes d’une vingtaine d’années à moitiénues?Antony,accabléparlalumièredesflashs,clignadesyeuxunmoment,visiblementsurpris,avantde

parveniràrecouvrerunecontenance.Ilpoursuivitsondiscours,sansseréféreràsafeuille.—J’aiétémomentanémentdistrait,etj’aifaitpreuved’unefaiblessedontjenesuispasfier.Mais

commejel’aidit,jesuisdevenuunserviteurpublicpourfaireunedifférencedanslaviedesgens,etaveclesoutiendemonépouse,j’espèrecontinuerainsipendanttrèslongtemps.Antonypointaitmaintenantdudoigtunedescamérasdetélévisionpours’adresserdirectementau

publicentraindeleregarderdechezlui.—IlseprendpourBillClinton,fitremarquerSuzie,horrifiée,àDrew.Cegestedudoigt.Ilespère

faireunepirouetteàlaClintonets’entirerindemne.Elle balaya du regard la foule, silencieuse à présent, comme suspendue à chacun de ses mots.

Incapabled’encroiresesyeux,elleseconcentradenouveausurAntony.—Regarde-le,poursuivit-elle,sanschercheràs’adresseràquiquecesoitenparticulier.Ilpense

queçapourraitfaireavancersacarrière.Fairelauneavecunscandalesexuellerendracélèbre,aulieuderesterunbanaldéputédontpersonnen’ajamaisentenduparler.ElleobservaCharlie,quiavaitlesyeuxrivéssurlesol.—Oh,allez,Charlie,reprit-elle.Àquoitujoues,bonsang?Cen’estpascensésepassercomme

ça.—De quoi tu parles ? chuchotaDrew, tout en griffonnant furieusement dans son calepin, pour

essayerd’yretranscrirel’allocutionmotpourmot.—C’estjustequ’elleestlà.Àsescôtés.Cequiestprécisémentcequ’elleavaitpromisdenepas

faire. Je lui ai dit que je lui apporterais la preuve, et qu’ensuite, elle devrait semontrer digne, etcertainement pas faire bloc avec son époux, etmettre fin à cettemascarade pour de bon. Qu’ellelibérerait toutes les femmes sur cetteplanète en faisant cequ’il fallait et enpartant.Aucunhommen’accepterait de subir une humiliation pareille. Pour l’amour du ciel, les suffragettes vont seretourner dans leur tombe. Elles n’ont pas combattu pour le droit de vote, pour que des femmeslaissentdesdéputéss’entirerensautantsurtoutcequibouge.Drewlevaleregarddesongribouillage.—Donctuaspasséunaccordstipulantquetuobtiendraisdespreuvessi,parlasuite,ellehumiliait

Antonypubliquementpendantsondiscourslarmoyant,auportaildesonjardin?L’avenird’Antonyen lambeaux, mission accomplie. Mais en attendant, elle ressemble plutôt à une parfaiteTammyWynette.—Ondiraitbien.Suziebaissalesyeuxsurletrottoir,sedemandantsielleneferaitpasmieuxdepartir,plutôtquede

voirsedéroulerpluslongtempscettescènetragique.Àprésent,Antonyrépondaitcalmementàtouteslesquestionsdesjournalistes,avecuneexpression

relativement soulagée sur le visage. Suzie ne put s’empêcher d’admettre qu’il s’en était bien tiré,mêmesiellesupposaitqu’ilavaitétécoachéàfoisonparlesmeilleursconseillersencommunication.Ilrépétaitsanscesselesmots-cléssurlesquelsonluiavaitvisiblementconseillédemettrel’accent:«erreur»,«honnêteté»,«serviteurpublic».C’était intolérablepourSuzie.Charlieavait toujourslesyeuxrivéssurlesol, ignoranttoutesles

questionsquifusaientdanssadirection,tandisqu’Antonyprenaitledevantdelascèneetsaisissaitson

momentsouslesprojecteurs.Suzien’arrivaitpasàsesortirTammyWynettede la tête.Son tubeStandbyyourman résonnait

inlassablement à ses oreilles. Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Aux grands maux, les grandsremèdes.Ellejouadescoudes,etparvintàsefrayeruncheminjusqu’auportail,àquelquesmètresàpeinedeCharlie.Ellel’appelaparsonprénom,maiscelle-cirefusaitobstinémentdeleverlesyeux.Enréalité,ellesemblaitmêmereculerpeuàpeu,commesielles’efforçaitdedétournerAntonydesonpubliccaptivé.Suzieinspiraprofondément,etdécrétaqu’iln’yavaitqu’uneoption.Illuifaudraitsetournervers

laseulepersonnedontlesmotspouvaientpeut-êtreatteindreCharlieàcetinstantprécis.Lesmotsdequelqu’unparquiCharlieétaitobsédéedans lesannéesquatre-vingt-dix,quandellesétaientencoreamies.Lesmotsduseuletunique…GaryBarlow.Ainsi, lorsdecette froide journéed’hiver,entouréepar lacrèmedes journalistes,Suziepritune

profondeinspiration,etentonnalesparolesdePromises,écritparcegrandhommeenpersonne.CharlielevalesyeuxversSuziedèsledeuxièmevers,tantlesmotsdesonmembrebien-aimédes

TakeThatluiétaientfamiliers.Suziepoursuivitàgrand-peine,s’efforçantdesesouvenirdesparoles.Unpar un, les journalistes amassés autour se tournaient pour observer la scène.Quelques instantsplustard,Antonylarepéra,lorsquelafouleentièresetut,sedemandantcequipouvaitbiensepasser.Uneexpressiondepaniqueabsoluetraversasonvisage,soulagéquelquesinstantsplustôt,etilsemitàjeterdescoupsd’œilnerveuxàCharlie.—Ehbien,mercid’êtrevenus,dit-iltandisqueSuziereprenaitsonsouffleàlafindurefrain.Voici

quiconclutlaconférencedepresse.Jevousdemanderaimaintenantdenouslaisser,àmonépouseetmoi-même,unpeud’intimitépourreconstruirenotremariage.Ilsetournapourpartir,maisCharliedemeuraclouéesurplace,leregardtoujoursfixésurSuzie.Allez.Dernièrechance.Elleserelançadans lerefrain,enremplaçant lesmotspar lessienspour

quesonpropostapeenpleindanslemille.—«Ilfaitlepaon,çasevoitd’ici,il tentedesemoquerdeCharlie»,chanta-t-elleenregardant

l’intéresséedroitdanslesyeux,espérantqu’elleréponde.—C’estquoi,cettechanson?interrogeaunhommeàcôtédeSuzie.—LedeuxièmetitredesTakeThat,Promises.Iln’estarrivéquetrente-huitièmedanslehit-parade,

c’est peut-être pour ça que vous ne le reconnaissez pas, expliqua-t-elle du bout des lèvres, enregardanttoujoursCharlielesyeuxpleinsd’espoir.Charlie lui rendit son regard, avantde se tournerpour jauger la fouledéchaînéede journalistes

chevronnés,quin’avaientapparemmentjamaisassistéàunescèneaussiétrangedetouteleurcarrière.—J’aiuneannonceàfaire,déclara-t-ellecalmement.—Parlezplusfort,machère,hurlaquelqu’undanslefond.—C’est bon, Charlotte, tu n’as pas à dire quoi que ce soit. Rentrons, d’accord ? l’interrompit

Antony,laminetrèscontrariée,enlatirantparlamain.—Vas-tutetaireunesecondeetmelaisserparler?rétorquaCharlie,arrachantsamaindelasienne

etsortantdelapochedesonmanteauunefeuilledepapierrouléeenboule.Elleladéplialentementdevantl’assistancedevenuemuette.—Jenepensaispasenêtrecapable,maisquelqu’unvientdemerappeleràl’instantpourquoiille

faut.EllelevalesyeuxetfitunpetitsourireàSuzie,avantd’ôterseslunettesdesoleil,etdesetourner

pourfairefaceàunecaméradetélévisionsurpied.—Voilàcequej’aiàdireàmonépoux,reprit-elle,enregardantdroitdevantelle.C’estuneordure.

Après quelques instants de silence choqué, les journalistes devinrent fous furieux, bombardantCharliedequestionspourqu’elledétaillesonannonce.Aprèsavoirattendupatiemmentqueletapagecesse,ellepoursuivit:—Jen’ai riendeplusàdireà sonsujet, et c’est toutcequevousavezbesoind’écrire. Jevous

demandedenepasluidonnerlasatisfactionderédigerdespagesetdespages,ensurveillantdeprèssa carrière ainsique lemoindrede ses faits etgestes. Il n’envautpas lapeine.C’estundéputédesecondezone,quiseraitincapabled’organiserunpotdedépartenretraite.Doncignorez-leetespérezqu’ilsortedescène,pourlebiendetous.LafouleécoutaitattentivementchaquemotdeCharlie, tandisqu’Antony,souslechoc,demeurait

figé,sanssavoirquoifaire.—Toutefois,j’aimeraispréciserquelquechoseàmonsujet.J’aisoutenuAntonydanssacarrière

pendantpresquedixans.J’aisacrifiétoutesmesambitionspourresterauprèsdeluietmecomporterenparfaiteépousedepoliticien.Jel’aifaitparcequejel’aimais.Maisj’aileregretd’admettrequejel’aiaussifaitparcequec’étaitunhommeambitieux–unhommeavecunbutdanslavieetunesoifdevaincre – et que j’ai trouvé ça terriblement attirant.Mais hélas, une fois au pouvoir, les hommespeuventêtredangereux,carpourune raisonobscure,ce sentimentdepouvoirdescenddirectementjusqu’àleurpénis.CharliemarquaunepauseetregardaAntonydanslesyeux,alorsqu’ilreprenaitsonsouffle,sous

lechoc.Unricanementparcourut lafoule, tandisqueles journalistesgriffonnaientfurieusement,etque les photographes s’acharnaient sans le moindre scrupule pour capturer la mine écarlated’AntonyBarwood.—Malheureusement,çacréeeneuxundésirdeprouver leurpuissance,enmanipulantautantde

femmesquepossiblepour lesattirerdans leur lit.Etpireencore, les femmessuccombent, souventparcequ’ellessesententhonoréesqu’untelhommeleuraccordesonattention.Charlies’interrompituninstant,baissaleregardsurlafeuilledepapierfroisséeetsemblahésiter,

avantdelaroulerdenouveauenbouleetdelaremettredanssapoche.—Àcesfemmes,voilàcequejevoudraisdire,reprit-elle,l’airpresquesereine.Enparticulieràla

fillequiacouchéavecmonmari.Touteslestêtesserelevèrentetlesjournalistesretinrentleursoufflepourécoutercequel’épouse

bafouéedudéputéavaitàdireàlamaîtressedesonmari.—Ne vous donnez pas cette peine. Peut-être bien que le pouvoir descend dans leur pénis,mais

hélas,çanejouepassurleursperformances.Ilyeutun instantdesilence,avantque l’assistanceentièreneparteenéclatsde rireetendébats

surexcités.Hébétée,Suzieobservaitlesjournalistesblaséssetournerpoursefairedessignesdetêteentre eux en guise d’approbation. À son insu, Charlie avait délivré une information capitale quel’universentieravaitenvied’entendre.Leshommespuissants,ausuccèsévident,étaientnulsau lit.Mêmes’ils’agissaitd’unegénéralisationgrossière,lesjournalistesrassembléslà,presquetousentredeuxâges,quiavaientsansdoutesouffertauxmainsdepatronsdontlepouvoirétaitmontéàlatête,accueillaientchaleureusementlanouvelle.QuandCharliesetut,unepléthoredequestionsfusèrentdenouveau,maisellelevalesmainspourréclamerlesilence.— C’est tout ce que j’ai à dire pour l’instant. En dehors du fait que je tiens à remercier tout

spécialement la personne sans qui je ne serais pas là aujourd’hui. Je voudrais donc remercierSuzieMiller,quiécritlafantastiquerubrique«ChèreSuzie»pourleHerald.Viensparici,Suzie.Lajeunefemmeavaitunefolleenviedesecacher.Ellen’avaitaucuneenviedesetenirdevantune

légionde journalistesprofessionnels, etde se faire féliciterpour sa rubriquedecourrierducœur.

EllesecoualatêteenregardantCharlie,espérantqu’ellelalaisseraittranquille.—Allez,Suzie,viensparici,insistaCharlie.Suzie aperçutAntony la foudroyerdu regard, et sentit sa confianceenelle revenir aussitôt.Elle

ouvritleportillonsurlecôtéetmontarejoindreCharlie,laprenantdanssesbrascommesicelle-civenaitderemporterunemédailleolympique.—«ChèreSuzie»estlapremièrerubriquedecourrierducœurquej’aiejamaisluequidonnela

vérité toutenuesur la façondegérersesproblèmesdecoupleetsedéfendrequandça tournemal.Toutepersonnequiadesproblèmesrelationnelsdevraitliresachronique,parceque,commeellemel’a dit, on ne devrait pas tourner les talons pour se laisser mourir ; mais plutôt pour piétiner lecoupablejusqu’àlamortavec.CharliesetournaetserraSuziedanssesbras,avantdeluimurmurerdanslecreuxdel’oreille:—Merciinfiniment.Tuavaisraison.Jemesensenpleineforme.Suzie,sansvoix,luirenditsonétreinte.Cen’étaitpasdutoutceàquoielles’attendait.EntenantfermementSuzieparlamain,Charlieconclutlaconférencedepresse.— Je ne répondrai à aucune autre question maintenant. Toutefois, je donnerai une interview

exclusiveauManchesterHerald,doncassurez-vousd’enacheterunexemplairedemain.Elle pivota pour donner un dernier baiser à Suzie, puis remonta l’allée de gravier sans se

retourner,laissantAntonygémirsursonpassage.IladressaunregardsournoisàSuzie,puissortitsontéléphonedesapoche,sansdoutepourpasser

uncoupdefilàsesconseillers,etsuivitCharliedansl’allée,visiblementfurieux.Suziesedemandaun instant si elle ne ferait pas mieux de les rejoindre, puis décréta que Charlie était maintenantlargement capable d’encaisser tout ce qu’Antony, le député déshonoré et sexuellement remis enquestion,avaitàluibalancer.

Chapitre18

« Les secrets et les mensonges sont le poison qui tue un mariage », a déclaré hier Charlotte,l’épousedudéputédisgraciéAntonyBarwood,enréfléchissantàlafindeleursdixansdemariage,aprèsqu’ileutadmisavoiruneliaison.«Unefoisqu’onmentàsonépouse,onluimanifestelapireforme de manque de respect, et sans respect, comment un mariage peut-il survivre ? » De touteévidence, son refus de faire front avec son mari hier lui a redonné son estime d’elle-même, et lecouragederamasserlesmiettesdesaviepourprendreunnouveaudépart.SuziecessadelirelaunedujournaletsetournapourregarderDrew,enfoncédanssonfauteuilde

bureau,siroteruntripleexpresso,vuqu’ilavaitdûresterdebouttoutelanuitpouracheverl’article.—C’estvraimentbien,fit-elleremarquer.Tuesdouéaveclestrucsdefilles.Tudevraisfairece

genred’analysesplussouvent.—Jecontinuedepenserquetuauraisdûtechargerdel’interview,rétorqua-t-il.— Hors de question, répliqua-t-elle. Je t’en devais une, et je savais que tu te débrouillerais

nettementmieuxquemoi.Regardeunpeucequetuasécritlà,renchérit-elle,enplantantsondoigtsurle journal.«Visiblement,CharlotteBarwoodmanifestedéjàdessignes indiquantqu’ellesortdesachrysalide.Alorsqu’elleaétébientroplongtempsenveloppéedanslalourdecaped’unhommeimbude sa personne, un sourire éclatant illumine désormais son visage, quand elle repense à soncourageuxdiscours,donnélorsd’uneconférencedepresselematinmême.»Ellelevalesyeuxetsoupira.—C’esttellementvrai.Sijolimentdit.Elleneteplaîtpas,si?—Quoi?Non,andouille.J’étaisdésolépourelle,voilàtout,expliquaDrewenrougissant.Ilétaitmortdefatigueetladernièrechosedontilavaitbesoin,c’étaitbienqueSuziefassecegenre

deremarquesidiotes.ÉcouterpendanttroisheuresCharlie,etsonrécitsursonmariagechaotique,luiavaitsuffisammentretournélecerveaucommeça.Unephraseenparticulierplanaitdanssonesprit.Charlieavaitfonduenlarmesetluiavaitconfiéqu’ellesavaitquesonmarinel’aimaitpasdèslejouroù ils s’étaientmariés.Elle savait au fondd’ellequ’ils étaient amisproches,maisqu’il n’était pasamoureuxd’elle.Illaconsidéraitseulementcommeuneépousedécentepourunpoliticien,etmunieduboncarnetd’adresses.«Commentépouserquelqu’unquel’onn’aimepas?»avait-ellesangloté.Effectivement,ils’étaitposélaquestion,puiss’étaitefforcédelachasser.Maismaintenantqu’ilavaitterminél’article,etpassélesvingtdernièresheuresoupresquedebout,

sonespritétaitconfus,etplusriennefaisaitbarrageàsespenséesincohérentes.Ilfallaitqu’ilsortedecetendroit,qu’ildorme,etgardelatêtefroide.Suziedévoraittoujoursl’articlelorsqu’ilcommençaàrangersonbureau.Letéléphonedelajeune

femmesonnaetelledécrochadistraitement,sansdétournerlesyeuxdujournal.—Allô…Oui,c’estelle…D’oùça,pardon?…Jevois.Elleabandonnalejournaletseredressa.—Ehbien,celafaitunmomentmaintenantquejerédigecetterubriquecommeça,etd’ailleurs,je

reçoisquatrefoisplusdelettresdepuisquej’aichangédeformule.Unblanc.

—Oui,c’estexact.Unautreblanc.—Ehbien,euh,oui.Jecroisquejesuislibre,laissez-moijustevérifiermonagenda.Ellebouchalemicrodesontéléphoneetl’éloignad’elleavantd’émettreunpetitcri.Elleenlevasa

mainetrepritl’appel.—Oui,enfait,jesuislibre.Ultimeblanc.—Trèsbien,onsevoitlà-basdanscecas.Mercibeaucoup.Aurevoir.Elleposadélicatementlecombinépuislevadesyeuxécarquillés,surexcitésmême,versDrew.Elle

seredressalentement,fitletourdubureau,puisagitalesbrasenhurlant«Oh,monDieu!»d’unevoixhystérique.Aprèstroistours,ellefinitpars’arrêterbrutalementàcôtédufauteuildeDrew,posalamainsursatête,etl’embrassafermementsurlefront.Puisellereculad’unpasetsautillasurplaceenchantonnant:—Devinequoi?Devinequoi?Devinequoi?—Quoi?finit-ilpars’écrier.Elle lui donnaitmal au crâne, et ses narines s’efforçaient toujours de chasser le parfumqu’elle

avaitseméensepenchantau-dessusdelui.— Je vais passer à la télé ! s’exclama-t-elle, en sautant de joie. Genre la vraie télé, pas une

prétenduechaîneYoutube,lavraietélé!—Pourquoi?demanda-t-il,stupéfait,espérantqu’ellecessedebondirdanstouslessens.—GranadaReportsveutm’interviewerdemainmatinsurmarubrique.Moi,moi,moi!luicria-t-

elleenpleinvisage.—Waouh,commenta-t-ilenreculant,déstabiliséparsaproximitésoudaine.—C’estpasgénial?reprit-elle.Quiauraitcruqu’àlaminuteoùjedécidedefaireunecroixsur

leshommes,mavien’endeviendraitquemeilleure?Jenesaispaspourquoijenel’aipasfaitplustôt.Peut-êtrequejeseraisunecélébritédepuisdesannéessic’étaitlecas.—Tun’espasencoreunecélébriténonplus,fitremarquerDrew.—Maisquisaitoùçapourraitmener?répondit-elle.Toutlemondecommencequelquepart.Qui

saitquipourraitrécupérerl’histoireunefoisqu’elleseradanslapresselocale?Elles’interrompit,etaffichasoudainuneminetriste.—Oh,mince,ajouta-t-elle,sonéland’enthousiasmesoudainévanoui.—Qu’est-cequinevapas?s’enquitDrew.—Flûte,RichardetJudy.—Qu’est-cequ’ilsontfait?—Ilsnepassentplusàlatélé,si?Jerêvaisd’êtreleurinvitéeàleurémissiondumatin,etvoilà

qu’à laminuteoù j’aimeschances, ilsme la font louper. J’ai l’impressionque l’affaireWoganserépète.—«Wogan»?—Oui,Wogan.Dansmon album de promotion de dernière année, j’ai écrit quemon ambition

ultime était de passer chez Wogan, puis cet imbécile a été remercié. Pourquoi ces célébrités nerestent-ellespasassezlongtempsàl’antennepourm’interviewer?Drewse rendit comptequ’il avait définitivementbesoindepartir et de rejoindreunmondeplus

terreàterre.—Bon, commença-t-il. Faut que j’aille dormir. Envoie-moi unmessage pourme dire quand tu

passes,d’accord?

—Biensûr.AumomentoùDrewprenaitsonsac,lerédacteurenchefarrivaentrombe.—Voilàmonduodynamique,lança-t-il,lesourirejusqu’auxoreilles,enplaçantlesmainssurune

épauledechacund’eux.Jesuisjustevenuvousdirequ’entretoninterviewexclusive,etlesuccèsde«ChèreSuzie»,nousavonsdéjàdoublé lesventesaujourd’hui.Lesvisitessur lesiteont triplé,etd’aprèsAlex,ilnousfautunassistant,tropd’annonceursl’appellent.—Sérieusement?demandaDrewenserasseyant.—Sérieusement,réponditGareth.Enplus,j’aid’excellentesnouvellespourtoi,fiston.Drewneput s’empêcherdegrimacer.Quelle que soit l’ampleurde la nouvelle, se faire appeler

«fiston»paruntypeplusjeunequeluin’avaitvraimentrienderéjouissant.—Tuvasdevenirjournalisted’agence.LebureaureçoitdesappelsdesitesInternetetdejournaux

dumondeentierquiveulentutilisertonarticle.Cettepetitedameafaitsensationhier.Jecroisqu’ellea touché une corde sensible.Elle a fait ce que tout lemonde a toujours rêvé de voir arriver à unpoliticieninfidèle.C’estvraimenténorme,cequisepasse.—Waouh,journalisted’agence!Ce furent les seuls mots que Drew parvint à prononcer. Maintenant c’étaient ses rêves qui

devenaientréalité,n’endéplaiseàSuzie.—Drew, c’est fantastique ! Toi aussi, tu vas devenir célèbre ! s’exclamaSuzie, en sautillant de

nouveauenl’air.—Jerefusequetuaiesdesambitionsquioutrepassenttaposition,répliquaGareth,laminesoudain

sévère.HorsdequestionquetutemettesàrêvasseretquetuquittesleHerald.Bon,bienjouéet…onseremetautravail.Il partit à grands pas, les laissant tous les deux silencieux, décontenancés par ce soudain

changementd’humeur.—Waouh,murmuraSuzie.Ilpensequetuvastefairedébaucher.Questiondetemps,monvieux.

Réfléchis une seconde, Emily et toi pouvez partir pour Londres, et devenir un de ces couplesbranchés – toi le journaliste de haut vol, et elle, la brillante avocate.Vous aurez des nounous, desfemmesdeménageet…desvoituresdeluxe,toutletintouin.AppelleEmily.Téléphone-luietdis-luiqu’ilsepourraitquevousdéménagiezàLondres.Drewavaitl’impressionquesesyeuxallaients’enfoncerdanssoncrâne.Lafatigueetletrop-plein

d’informationsétaienttropdursàsupporterpoursonorganisme.—Jesuistellementheureusepourtoi,tulemérites,entendit-ilSuzieluidire.Il la dévisagea unmoment, puis sa bouche commença à remuer sans qu’il soit capable de l’en

empêcher.—Jenetemanqueraispas?demanda-t-il.—Biensûrquenon!s’exclama-t-elle.ToiettapetitevieparfaitepouvezpartirdansleSud,ence

quimeconcerne.Simplequestiondetempsavantquejemeretrouveassiseàcôtédequelqu’unquiaautantgâchésaviequemoi.L’amèrevérité.Ilneluimanqueraitpass’iln’étaitpaslà.Cettepenséeluitrottaittoujoursdansla

tête quand Diane, la réceptionniste, les interrompit en lui mettant une corbeille remplie de petitspapierssouslenez.—Prends-enun,lepressa-t-elle.—Quoi?bredouilla-t-il.Lemanquedesommeilprovoquaitsûrementlessituationslesplusdélirantesquisoient.—Unnom,expliqua-t-elle,ensecouantlacorbeille.

—Euh,Gordon,dit-il.—Personne qui travaille ici ne s’appelleGordon, et de toute façon, tu dois piocher un nomen

secret.Neledispastouthaut,çavatoutgâcher.Drew crut qu’il allait finir par fondre en larmes. Que se passait-il ? Il regarda Suzie pour lui

demanderdel’aide.—LejeudupèreNoëlsecret,chuchota-t-elle,enpointantdudoigtdanslacorbeilleletasdepetits

papierssoigneusementpliésquiportaientlesnomsdetouslesemployésdubâtiment.—Oh,jevois,dit-il,soulagédeconstaterqu’ilexistaituneexplicationlogique.—Jedétestecejeu,poursuivitSuzie.Quelgâchis.Tuoffresuncadeaunul,tuenreçoisun,puisil

reste quelque part au fond d’un tiroir pendant des centaines de millions d’années, en refusant dedisparaîtreetdesedécomposer.—Etqu’est-cequetuaseul’andernier?demandaDrew.—Uncoffretcadeaud’après-rasagepourhomme,réponditSuzie.—Pourmoinsde5livres?s’exclamaDrew.—Exactement,acquiesça-t-elle.Uncadeaunulàtouslespointsdevue.Autantprendreunbilletde

cinqetlejeterdanslestoilettes.LepèreNoëlsecret,çadevraitêtreinterdit.—Contente-toidepiocherunnom,intervintDiane,perdantpatienceetsecouantunenouvellefois

lacorbeille.Drew et Suzie plongèrent tous deux lamain dedans et en sortirent unmorceau de papier. Suzie

ouvrit lesienenpremieretémitungrognementsourd.Drewdéplia lesienàson touretgarda lesyeuxrivésdessus.—Ehbien,aumoins,c’estsansdouteladernièrefoisquetudevrasjoueràça,lançaSuzieaprès

queDianefutpasséeaubureausuivant.Jen’arrivepasàenvisagerquelesjournauxnationauxhuppésfassentdespèreNoëlsecret.Plutôtdugenreàorganiserdespseudo-soiréeséchangistes,jesuppose.Bref,tuestombésurqui?Ilrepliasoigneusementlepapieretlemitdanssapoche.—C’estunsecret,répondit-ilenprenantsonattaché-caseetensedirigeantverslaporte.

Chapitre19

Drew fixait son regard sur la dame orange assise en face de lui. Après tous ces événementsétrangesaubureau,etseulementquelquespetitesheuresdesommeil,ils’étaitditqu’enaucuncas,sajournéenepourraitêtreplusbizarre.Maistandisqu’ilécoutaitlafemme,vêtued’untailleurvertenpolyester et d’une cravate couleur crème maculée d’autobronzant, il regrettait de tout son cœurl’environnementrelativementdélirantdesontravail.— Bon, je vous recommande chaudement de ne pas négliger notre rayon des accessoires

décoratifs. Nous avons des articles fantastiques qui peuvent vous permettre d’exprimer votrepersonnalitédansladécorationintérieuredevotrefoyerdejeunesmariés.Etbiensûr,vulapériodedel’année,nousavonsdesplendidesarticlespourlesfêtes.Bonnombredemescouplesontdéjàoptépour nos adorables bas de porte en forme de rennes. Ne serait-ce pas amusant de célébrer votrepremierNoëlentantquemarietfemme,avecdesbasdeportedécoréspourl’occasion?Lafemmegloussa,tandisqueDrewjetaituncoupd’œilàEmily,qui,heureusement,paraissaitelle

aussiquelquepeudéroutée.—Àlavérité, finitpardireEmilyà lacoordinatricede la listedemariage,dont le teintorange

semblaits’êtreaccentuédepuisqu’ilsétaientassislà,j’aidéjàfaitletourdevotresiteInternetetj’aiune liste précise de ce que nous voulons, hormis le coloris de certaines choses. Je voulais aussim’assurerquevosdrapsencotonégyptienontuntissagedecinqcentsfils.—Madame, reprit la dame orange, en trifouillant du doigt sa cravate, lamaculant encore plus

d’autobronzant,jepeuxvousgarantirquejenefermeraispasl’œildelanuit,sijepensaisquemesjeunesmariésdormaientdansunequalitémoindre.—Bien,répliquabrusquementEmily.Oncommence,danscecas?Elletapotaledossierqu’elleavaitposésursesgenoux,contenantsalisteminutieusementtapéede

cadeauxdemariage.—Sivouspouviezjustemesupporterencorequelquesminutes,jevousexpliqueraisoùsetrouvent

tous les rayons. Je ne saurais vous dire la quantité de fois où, dans l’excitation de choisir leurscadeauxdemariage,mescouplesenoublienttotalementlelingedetable,gloussaladameorange.Etvousnepouvezdécemmententamerunevieconjugalesanslingedetable,si?ajouta-t-elle,adressantsaquestionàDrew.—Absolument,répondit-il,ens’affaissantdanssachaise.Ilbalayaduregardlapièceautroisièmeétagepourvoirsiquelqu’und’autrequeluiavaitpeurde

cescurieusescréaturesdemariage.Quatreautrescouplesassisdansdesboxsemblablessefaisaientharceler par des vendeuses en polyester. En fait, ils n’avaient pas du tout l’air mal à l’aise. Lesfemmes étaient penchées en avant, visiblement impatientes, buvant la moindre parole que leurprêchaient ces mercenaires, tandis que leurs partenaires avaient les mains jointes et souriaientbêtement.—Inutiledenousindiqueroùsetrouventtouslesarticles,ditEmilyàlafemme.J’aifaitunplandu

magasin, ajouta-t-elle avant de se tourner vers Drew. Je pense que le plus efficace serait que tut’occupesdurez-de-chaussée.Voicilalistedansl’ordreparrapportàlaportedel’ascenseur,çanedevraitpasteprendreplusd’unedemi-heure.Jevaismechargerdecetétage-ci.

Elleseretournaverslafemmeassisedel’autrecôtédubureau.—Bon,pouvons-nousavoirdeuxscanners,s’ilvousplaît,afinquel’onpuisses’ymettre?LadameorangedévisageaitEmilyavecunairdeprofondeconfusion.Drewdutadmettrequ’ilse

sentaitfier.Ellepouvaitselegarder,sonbasdeporteenformederenne.— Eh bien, évidemment, si c’est de cette façon que vous voulez procéder, pas de problème,

rétorqualaconseillèresuruntonpincé.Toutefois,ilmesemblequelaplupartdemescouplesaimentfaireletourensemble,aucasoùilsauraientbesoindeprendredesdécisionsencoursderoute.Cesontvoscadeauxdemariage,aprèstout.Vousvivrezavecpourlerestantdevosjours.—Inutile,rétorquaEmilyenselevant.Lesdécisionsontdéjàétéprises,nousvoulonsseulementen

finir.Maintenantveuillezmedonnerlescanner,s’ilvousplaît.Elletenditlamain.Plutôtàcontrecœur,ladameorangeluidonnalesdeuxscanners,maisalorsqueDrewétaitsurle

pointdes’enaller,ellel’empoignaparlebras.—Pourquoiest-cequejeneviendraispasavecvous?Jenereçoispasd’autrecoupleavantune

demi-heure.Onnesaitjamais,jepourraisvousaideràtrouverquelquechosequin’estpassurvotreliste.—Non,répondirentDrewetEmilyenchœur,enhurlantpresque.—Merci,repritDrew.Jepensequejepeuxmedébrouiller.Unefoisàcôtédel’ascenseur,EmilytenditàDrewsalisteetunstylo.—S’ilyaquoiquecesoitque tun’arrivespasà trouver,alorsmetsunecroix,et jedescendrai

choisirautrechose.D’accord?—Super,réponditDrewensouriant.Choisirdescadeauxdemariage,quelpied.— Il faut bien enpasserpar là,Drew,gronda-t-elle surun ton sérieux.Sinon,nous allonsnous

retrouveravecunemaisonrempliedebabiolesqu’onnepourrapasjeter.Jedescendraiteretrouverquandj’auraifini.Là-dessus,ellesetournaetsedirigeadroitsurunétalagedetaiesd’oreiller.Toutenprenantl’ascenseurpourdescendre,Drewexaminalescanner.Ilpressaladétenteplusieurs

foisets’aperçutques’illepointaitverssamain,ilémettaitunelumièrerougesursapaume.Alorsilfitcequ’auraitfaitn’importequelhommeenpossessiond’ungadgetpareil.Ilprétenditquec’étaitunsabre laser, en leballottantde façon théâtraled’uncôtéà l’autrede l’ascenseur, jusqu’àceque lesportess’ouvrent,àl’instantmêmeoùilétaitentraindeviserl’autoritairedameorange.IlnefallutpaslongtempsàDrewpoursesentirfranchementmalàl’aise.Ilseretrouvanoyédans

unemerdeporcelainedanslerayondelavaisselle.Partoutoùilposaitlesyeux,desassiettesblancétincelantlemitraillaient,tellementimmaculéesetparfaitesqueluisesentaitsale,etpasdutoutàsaplace. D’autant qu’à chaque « bip » agaçant de l’horrible scanner, il grimaçait en regardant leminuscule viseur pour voir le prix.Comment une soucoupepouvait coûter près de20 livres ?Unobjetaussiinutile;àsavoiruneassietteservantàporterunetassedéjàmunied’uneanse,àunprixtel–commentétait-cepossible?Etquediableétaitunpotàcrème?Iln’avaitjamaisentenduparlerd’untrucpareil, et enavait encoremoinsutiliséun, il enétaitpersuadé.Doncpourquoiaurait-ilbesoinqu’undesesamis,ouundesmembresdesafamille,dépensesonargentsidurementgagnépourluienacheterun?Ilcommençaitégalementàentrevoirqu’Emily,endépitdesontalentspectaculaireenmatière d’organisation, avait complètement négligé le fait que sa famille à lui ne disposait pas detellessommes.Enfait,iln’avaitmêmejamaisvuquiconquedanssafamillefairedelistedemariage,saufsacousineCatrina,quis’étaitmariéedanslaprécipitationetavaitdéposéunelistedenaissancechezMothercare.Ilsavaitqu’illuifaudraitentoucherdeuxmotsàEmily.Peut-êtrequ’ilspourraient

aussi en faireunedansunmagasinmoinscher,voirenepasen fairedu tout. Ilbalaya lapièceduregard et aperçut un des couples qui étaient assis dans les box à l’étage, en train d’étudier descafetières.L’hommetenditlamainetattrapaunepetitetasse,puisfeignitdepréparerunexpressoàsapromise,avantdelaluitendreavecungestethéâtral,endisant:—Pourvous,futuremadamePemberton.Lafillegloussaetluifitunpetitbisousurlajoue,avantdeluiordonnerdereposerlatasseetdese

concentrer.Voilà ce qui clochait. Ils ne devraient pas faire ça séparément.Au diable l’efficacité. S’il fallait

vraiment en passer par là, alors autant s’amuser à le faire ensemble plutôt que d’avoir l’air d’unimbécile,toutseul,àpointerunstupidescannersurunethéière.Ravid’avoirtrouvéuneéchappatoireàcetteséancedetorture,ildétalaversl’ascenseuretappuyasurleboutonpourmonter.Il lui fallut un peu de temps pour trouver Emily, vu qu’elle était cachée par une montagne de

Téflon,etuncartonàl’effigiedeJamieOliver,àtailleréelle,souriantbêtementenbrandissantcequiressemblaitàs’yméprendreàunvibromasseurdeluxe.—Tuprendsundecestrucs?criaDrewàEmily,enpointantdudoigtl’objetépurécoincédansla

maindeJamie.Emilyluiadressaunbrefcoupd’œil.—Oui.Enrougevif.—Waouh,s’exclamaDrew,unlargesourireauxlèvres.Çacommenceàmeplaire,cettehistoire

delistedemariage.—Tuasdéjàterminé?demanda-t-elleenserelevantpoursedirigerverslui.—Pastoutàfait,répondit-il.Entoutefranchise,çanem’amusaitpasdefaireçatoutseul.Jemedis

queladameorangeavaitpeut-êtreraison.Ondevraits’enoccuperensemble,vuquec’estnotrelistedemariage.Emilyledévisageaunmomentsansriendire.Puiselleconsultasamontre,avantdeluiexpliquer

que ce n’était pas un problème,mais qu’il fallait faire vite, parce qu’elle devait partir en réunionvingt-cinqminutesplustard.—Aucunproblème,répliqua-t-il.Tusaisquoi,tulislaliste,etmoi,jescanne.Jemaîtriselelaser

mieuxquepersonne.Elleledévisageadenouveauquelquesinstants,avantdepousserunpetitsoupiretdeluitendrele

scanner.Elleinspectasafeuillepourretrouverl’endroitoùelles’étaitarrêtéedanslaliste.—D’accord.Lesuivant,c’estunecocottePyroflamenvitrocéramiqueblanche,capacitéd’unlitre,

lut-elleàvoixhaute.—Jetedemandepardon?s’enquitDrewsansbouger.—J’aiditunecocottePyroflamenvitrocéramiqueblanche,capacitéd’un litre, répéta-t-ellesans

avoirbesoinderecouriràsaliste.Drewnefitpasungeste.—Qu’est-cequ’ilya?interrogea-t-elle.—Onn’utilisejamaisdecocotte.—Etalors?—Alorspourquoiendemande-t-onune?—Parcequ’ilsepourraitqu’onenaitl’utilitéunjour,répondit-ellesuruntonunpeusec.Drewnebougeaittoujourspas.—Tuesentraindemedirequenousdemandonsàquelqu’undedépenserdel’argentpournous

offrirunecocotte,justeaucasoù,unbeaujour,onselèveraitensedisant:«Mincealors,jemeurs

d’enviedemangerunragoût.Quellechanceque tanteMavisnousaitoffertunecocottepournotremariage,sinononseraitdansdebeauxdraps»,rétorquaDrew,lavoixdeplusenplushautperchée.Emilyregardaautourd’elle,visiblementexaspérée.—Contente-toidescannercefichuplat,finit-ellepardire, lesdentsserrées.Jen’aipasletemps

pourça.—Non,déclaraDrew.Emilyparutprisedecourtun instant,puiselleavançabrusquement,prit lescannerdesmainsde

Drew,etsedirigeaàgrandspasversunimmenseétalagedeplatsdecuisson.Drewrestabouchebée,avantdehurlerderrièreelle:—Situscannescettecocotte…Emilyseretournaets’arrêtajusteàcôtédustand,brandissantlescannerversunénormeplatblanc.—Quoi?rétorqua-t-elle.Jenetepermetspasdemedirecequejepeuxounepeuxpasscanner.—Situscannescettecasserole,je…,reprit-il.—Tuferasquoi?insista-t-elle.Drew soutint le regard imperturbable qu’elle lui lançait, le visage impassible, déterminée quoi

qu’ilencoûteàaccomplir la tâchequ’elleavaitsiméticuleusementplanifiée.Commentensommes-nousarrivéslà?songeaDrew,safatiguereprenantunenouvellefois ledessus.Quediableavait-ilbienpusepasserpourqu’ilseretrouvedansunmagasin,entraindesedisputeravecsafiancéeausujetd’unecocotte?—Tuferasquoi?répéta-t-elle.—J’annulerailemariage,répondit-ild’instinct,lesmotssortantdesaboucheavantqu’iln’aitle

tempsd’yréfléchirréellement.Il les entendait résonner pour la première fois, cesmots qui planaient dans son esprit depuis si

longtemps,maisqui,jusque-là,étaientrestéssecrets.—Qu’est-cequetuasdit?demandaEmily,l’interrompantdanssespensées.Était-ilcapablederépétercettephraseàvoixhaute?Lefosséentrelefaitdepensercesmotsetde

les prononcer lui avait paru impossible à franchir, et pourtant, il l’avait fait. Tout naturellement.Àprésent,Emilyavançaitverslui,brandissantlescannercommeungladiateurtiendraituneépée.—Qu’est-cequetuasdit?reprit-elle.—J’annulerai lemariage, souffla-t-il, sansmême la regarder, àpeine conscientde saprésence,

tantilétaithébétéd’entendreéclatercesparolesaugrandjour.Emilys’immobilisa,puiséclataderire,secouantlatêteetseconcentrantdenouveausursaliste.—Tueshystérique, tulesais?lança-t-elle.Jevaistedire.Jevaisrayerlacocotte,etajouterun

mousseuràlaitàlaplace,çateva?—Unmousseuràlait?demanda-t-ilenappuyantsurchaquesyllabe.—Oui,tusaisbien,unepetitecasserolepouryfairebouillirdulait.—Dulaitpourfairequoi?—Ehbien,pourlecafé,parexemple,réponditEmily.Écoute,letempspasse,Drew,ilfautqu’on

enfinisse.—Onleboitnoirtouslesdeux,fit-ilremarquerensecouantlatête.—Drew, tues ridicule.Onpeut continuer, s’il teplaît.Tu réfléchis trop.C’est justeune listede

mariage,riendeplus.—Justeunelistedemariage,répéta-t-il.—Oui,insista-t-elleenluiprenantlamainpouryremettrelescanner.Justeunelistedemariage.—Etnousallonsjustenousmarier,poursuivitDrew.

—Oui,sifflaEmily,aucombledel’exaspérationàprésent.Nousallonsjustenousmarier.Pasdequoienfaireunplat.Bon,allons-y,jevaisfinirparêtreenretardàforce.Drewétaitsurlepointdefondreenlarmes.—Onnepeutpas,déclara-t-il.—Onnepeutpasquoi?s’enquit-elle.—Onnepeutpasjustesemarier,répondit-il,avançantd’unpaspourluiprendrelamain.—Drew,tuteconduisdemanièreinsenséeaujourd’hui.Qu’est-cequit’arrive?—Personnenedevraitjamaisjustesemarier.Onfaitçaparcequec’estlaprochaineétapelogique,

parcequ’onestrestésensembletellementlongtemps,alorspourquoinepassemarier?Maisonn’ajamaisprisletempsdevraimentréfléchiràpourquoiondevraitsemarier.—Pourquoifaireunechosepareille?rétorquaEmily.Pourquoi?répéta-t-elleunpeuplusfort.Tu

veuxsavoirmaintenantpourquoiondevraitsemarier?—Oui,jeleveux,dit-ildansunsouffle.—Parcequeçafonctionne,Drew.Çafonctionnedepuisseizeans,s’écria-t-elle,perdantfinalement

sonsang-froid.Jenesaisisvraimentpaspourquoitumeposeslaquestionici.Ons’entendbien.Ons’autorise l’un l’autreàvivrenosviescommebonnoussemble.Onsesoutient.Voilàpourquoiondevraitsemarier.Bonsang,Drew,qu’est-cequinetournepasrondcheztoicestemps-ci?C’estcepour quoi nous avons construit nos vies ensemble. Regarde-nous, nous sommes le couple parfait.Iln’yaabsolumentaucuneraisonpourlaquelleonnedevraitpassemarier.Drew se mordit la lèvre. L’autre phrase qui lui trottait dans la tête depuis quelques semaines

menaçaitdepointerleboutdesonnez,etiln’étaitpascertaindevouloirlalaissers’échapper.—Donne-moiuneseulebonneraisonpournepasnousmarier,lesommaEmily.Etmince ! Les dés étaient jetés. Elle lui avait posé directement la question, donc il n’avait rien

d’autreàfairequedelaisseréclaterlavérité.—Jenepensepasquejet’aime,dit-il,luiserrantfermementlesmains,commesicegestepouvait

aideràatténuersaréaction.Levisaged’Emilyperdittoutecouleur.Elleneprononçapasunmot.—Jesuisdésolé,reprit-il.Emilyn’ouvraittoujourspaslabouche,secontentantdeclignerrapidementdesyeux.—Aahh,vousavezunepetitedispute?lançaunevoixderrièreDrew.Laplupartdemescouples

deviennentassezémotifsune foisqu’ilscommencentàchoisir lescadeauxque leuroffriront leursprocheslejourJ.Ladameorangesemblaitsortirdenullepart.—Avez-vousdumalàtrouverquoiquecesoit?insista-t-elle.L’ampleurdelatâchepeutparaître

quelquepeuintimidante.Drewobservalevisagelivided’Emily,enquêtedespremierssignesderéactionàsaconfession.

Soudain,elleprituneprofondeinspirationetparutseressaisir.—Jevaisêtreenretard,murmura-t-elle,sepenchantpourprendresonsacsanslequitterdesyeux.Ellesetournaetmarchaversl’escalierlentement,maisd’unpasrésolu,sansseretourner.Quand

elle finit par disparaître,Drew s’effondra sur le sol et s’enfouit la tête dans lesmains, laissant lescannersefracasserbruyammentsurlecarrelage.Ladameorangesepenchapourleramasser.— Je sais, c’est épuisant, pas vrai ? dit-elle en lui donnant une tape dans le dos. Je vais aller

téléchargertoutça,etquandvousserezprêt,montez,unebonnetassedethévousrevigorera.Drewattenditque lesondeseschaussuresà talonss’évanouisseavantdes’autoriserunpremier

sanglot.

Chapitre20

— Et notre prochain appel sur la ligne deGranada Reports ce matin, nous vient de Marion,d’AlderleyEdge.Bonjour,Marion.Quesouhaiteriez-vousdemanderàChèreSuzie?—Bonjour,Andrew,bonjour,Suzie.JevoulaisjusteremercierSuziepourlesmerveilleuxconseils

qu’ellem’adonnés ilyaquelquessemaines.Je luisuis tellementreconnaissante.Elleasauvémonmariage.— Excellente nouvelle, Marion. Seriez-vous d’accord pour nous expliquer quel était votre

problème?—Biensûr,Andrew.Jeferaisn’importequoipouraiderd’autresfemmesquipourraientsouffrir

autantquemoi.Voyez-vous,legolfm’avaitrendueveuve.Depuisquemonmariavaitprissaretraiteanticipée, il passait tout son temps sur le green et m’adressait à peine la parole, sans parler depourvoiràmesautresbesoins,sivousvoyezcequejeveuxdire?—Inutiledenousfaireundessin,àmonavis,Marion;c’estuneémissionfamiliale.—Ehbien,cen’estpasparcequ’ondépassecinquanteansque…—Noussavonsexactementàquoivousfaitesallusion,Marion.Pourquoinepasnousdirequels

conseilsSuzievousadonnés?—Eh bien, c’était du pur génie, vraiment. Ellem’a conseillé de dire àmonmari qu’ilm’avait

forcéeàdevenir lesbienne,parcequ’ilétait tropennuyeuxau lit.Çaamarchécommeuneformulemagique,sincèrement.J’aimaintenantlesmeilleursvoussavezquoidemavie.—Bonjour,Marion.Suzieenligne.Jemesouviensdevotrelettre.Doncçaamarché?—Comme sur des roulettes,ma chère.Commevous l’aviez prédit, son esprit de compétition a

repris le dessus, quand il s’est dit que ses copains degolf pourraient avoir vent du fait qu’il avaitrendusonépousehomosexuelle.Ilacomplètementchangésonfusild’épaule.Maintenant,jen’aiqu’àprononcerlenomdeBillieJeanKingetilestdéjàenorbite.—C’estfantastique,Marion.Jesuistellementheureusepourvous.—JevoulaisseulementdireàtoutlemondequeSuzieestunvéritablegénie,etauxhommesgareà

vous.Onvoussurveille.—Ehbien,merci,Marion.Noussommesinondésd’appels,maishélas,nousn’avonspasletemps

d’enprendred’autresaujourd’hui.Mercid’êtrevenue,Suzie.Àenjugerparlenombred’appels,jesuiscertainquenousallonsvousvoirdeplusenplusàl’avenir.—Regarde,Drew,regarde!Onm’amaquilléeettoutletralalapourpasseràl’antenne,s’exclama

Suzie,sejetantsurDrewdèssonretourdustudioetluiflanquantsonvisagesouslenez.Drewladévisagea,sesentantencoreplusmalquelaveille.— Tu as une mine déplorable, poursuivit-elle, avant de se laisser de nouveau gagner par

l’excitation. Tu m’as vue ? J’étais bien ? demanda-t-elle en sautillant de joie sur son fauteuil debureau.—Vueoù?interrogeaDrew,l’airpresquehanté.—Àlatélé,imbécile,répondit-elle,ens’arrêtantnet.J’étaissurGranadaReportscematin.Neme

dispasquetuasoubliéderegarder?

—Oh,jesuisvraimentnavré,Suzie,sincèrement.J’aioublié,je…— C’est pas grave, ma mère, ma tante Dorothée, et Malcolm, dans le bureau d’à côté, ont

enregistrél’émission,doncsituveuxpassercesoir,onlaverraensemble.—Super,ditDrew,avecunhochementdetêtedistrait.Pascesoir,celadit,je…—Tuasbesoindesommeil,vuta tête, l’interrompitSuzie.Tuasencorefaitnuitblanche,ouun

trucdanslegenre?—Ouais,untrucdanslegenre.Suzie l’examinaunmoment. Ilse tramaitquelquechose.Normalement,Drewluiauraitposéune

tonnedequestionsaprèsuntelévénementdanssavie.D’ailleurs,elleétaitaussiimpatientederevenirpourleluiannoncer,parcequ’ellesavaitqu’ilvoudraitenconnaîtrelemoindredétail,etvoilàqu’ilnesemblaitpasintéressélemoinsdumonde.—Çava?s’enquit-elle,alorsqu’ilavaitlementonappuyésursamain,lesyeuxbêtementrivéssur

saboîtemail.Ilreniflaplusieursfoispuistournalentementlatêteverselle.Ilparaissaittellementbizarre.Ilavait

lestraitstirés,etlorsqu’illevalamainpourlapasserdanssescheveux,elleremarquaqu’iltremblaitlégèrement.Ellen’avaitjamaisvuDrewcommeça.Lui,c’étaitlehavredepaix,calmeetréfléchi,etelle, l’épave qui parlait pour ne rien dire. Voilà pourquoi ils s’entendaient aussi bien. Ils étaientcommeleyinet leyang.Elleratait toutcequ’elleentreprenait,et lui laremettaitsur lesrails.Ellen’avait jamais euà le remettre sur ledroit chemin.Ellene savaitmêmepascomment s’yprendre.Ignorant quoi faire d’autre, elle se pencha en avant et lui prit la main. Elle sursauta lorsqu’ill’empoigna,puiss’émerveilladeconstateràquelpointsamainétaitgrandeetrassurante.Ellebaissalesyeuxsurcettevisionpeufamilièredeleursdoigtsentremêlés,jusqu’àcequelasonneriestridentedesontéléphonen’interrompelesilencequis’étaitinstallé.— Je vais me débarrasser de ça, dit-elle en utilisant sa main libre pour prendre le combiné.

Bonjour,SuzieMiller,lança-t-ellelaconiquement.—Bonjour,BruceWhitaker,duMirror.Vousavezquelquesminutespourdiscuter?J’aiuneoffre

quipourraitbienvousintéresser.LecerveaudeSuzies’emballa.Unmembred’unjournalnationalquiappelleunejournalistepour

lui faire une proposition ne pouvait signifier qu’une chose.Uneoffre d’emploi. Le ton discret surlequelilparlaitnefaisaitquerenforcersessoupçons.ElleregardaDrew,quiobservaitbêtementleursmainsjointes,etlepinçapours’excuserdelefaireattendre,espérantqu’ilsaisissel’allusion.—Euh,oui,j’aicinqminutes,bredouilla-t-elle.—Bien. Bon, je ne compte pas tourner autour du pot. Nous suivons votre rubrique depuis des

semainesmaintenant,etnoussommesextrêmement impressionnéspar l’attentionquevousrecevez,sansparlerde la réactiondupublic.Jesuis tombésurvousdansGranadaReports cematin, et j’aibienvuquelesfemmesvousadorent.—Merci,bafouillaSuzied’unevoixrauque.—Bref,notrelectoratfémininachutédemanièredramatique,etçafaitunbonmomentquenous

cherchonsunesolution.Nouspensonsquec’estvous.Quediriez-vousdevenirécrirevotrerubriquepournous?Pleinepage,premièremoitiédujournal.Qu’enpensez-vous?Suzie,souslechoc,faillitenlâcherletéléphone.Unjournalnationalquiluioffraitunerubriqueen

pleinepage!Mêmedanssesrêveslesplusfous,ellen’aurait jamaiscruquecelaarriverait.MêmeKateAdien’avaitjamaiseudepleinepage.Elleauraitététellementfière.—Jenesaispasquoidire,bredouilla-t-elle,s’efforçantderéprimerseslarmes.—Jesais.Çafaitbeaucoupd’infosàdigérer,sansdoute.Aumoins,vousn’avezpasàdemanderà

votrepetitamis’ilestd’accordpouremménageràLondres.Vousdevezêtrecélibataire,jesuppose,ajoutalecadreens’esclaffant.Ellericanaunpeuhystérique,avantderéussiràrecouvrersesesprits.—Ehbien,ilyad’autresélémentsàprendreencomptequemonstatutrelationnel,parvint-elleà

dire.Maisjedoisavouerquej’aitoujoursrêvéd’écrireunerubriquepourleSun.Ilyeutuncourtblancavantquel’hommenereprennelaparole.—LeMirror,dit-ilfroidement.J’appellepourleMirror.Horrifiée,Suziesefigea.Flûte,ellevenaitpeut-êtredegâcherlachancedesavie.Elleéclatad’unrirehystérique.—Justeunepetiteblague,gloussa-t-elle.Visiblement,vousallezdevoirvoushabitueràmonsens

del’humourdécalé.Elleretintsonsouffleenattendantsaréponse.Unsilencegênants’installa.— Très amusant, finit par dire son interlocuteur, complètement impassible. J’ai un autre appel.

Nousdevrionsdéjeunerensembleetendiscuter.Masecrétairevousappellerapourlesdétails.—Oui,oui,biensûr,répliquaSuzie.Mercibeaucoup.Pasderéponse.Ilavaitdéjàraccroché.Elleposalentementsoncombinéets’efforçaderalentirsonrythmecardiaque.EllesetournaversDrew,quil’observaitattentivement.—C’étaitleMirror,murmura-t-elle.Onm’aoffertunboulot.Unerubriqueenpleinepage.Ilavaitl’airvide,commes’iln’arrivaitpasàintégrercequ’elledisait.—Onmeproposederédiger«ChèreSuzie»pourleMirror,expliqua-t-elle.—Waouh,ditDrew,retombantdanssonfauteuilcommesiellevenaitjustedelefrapper.—Oh, bon sang,Drew, je suis désolée, reprit-elle, se rendant compte que lemoment étaitmal

choisi.Qu’est-cequetut’apprêtaisàmedire?Qu’est-cequis’estpassé?Ilsecontentadelaregarderd’unairniais,lesmainsagrippéesàsatête.—Tupeuxm’enparler,n’hésitepas,poursuivit-elleenposantlamainsursonépaule.Ilsursautaets’écarta.Elleobservasonvisageremplidedouleur,maispour ladeuxièmefoisce

matin-là,ilfutempêchédedirequoiquecesoit, lorsquelesportesdel’étages’ouvrirentetqu’unemusiquerythméerésonnadanslapièce.—Qu’est-ceque…,commençaSuzie,tandisqu’ilssetournaienttousdeuxpourvoirlaraisonde

toutcetapage.UnevieentièrepasséeàregarderJerrySpringern’auraitpuprépareraucund’euxàlavisionqu’ils

avaient sous les yeux. Suzie entendit gémir Drew, lorsqu’il se renversa sa tasse de café sur lesgenoux.Surleseuil,unefemmesetenaitdansuneposturedramatique,balayantfurieusementduregardle

bureauenopenspace,jusqu’àcequesonregardseposesurDrew.Puiselleattrapaderrièreellesavoluptueuse traîne en satin couleur ivoire, et avança vers lui. Elle portait sa tenue complète demariage, y compris la tiare et le voile, et sur son épaule gauche, elle tenait une radiocassette trèsannées1980,quientonnaitleclassiquedeBillyIdolWhiteWedding.Suzie parvint à détourner les yeux de l’apparition qui s’approchait d’eux juste assez longtemps

pourremarquerqueDrewétaitblanccommeunlinge.—Elle ne sait donc pas que ça portemalheur de voir lamariée dans sa robe avant le jour J ?

souffla-t-elleaumomentoùEmilyatteignaitlebureaudeDrew.Cedernierneditpasunmot,secontentantderesterassisensecouantlatête.Entre-temps,unepetite

foule s’était amasséeà lapériphériede lapièce, la rumeur s’étant répanduecommeune traînéede

poudrequ’unedémentevêtued’unerobedemariéeerraitdansleslocaux.Emilyposa lourdement la radiocassette sur lebureaudeDrewetéteignit lamusique.Unsilence

absolurégnaitdanslapièce.Lafoulerassembléesetenaitprêteàl’action,attendantquelespectaclecontinue.—Jesaisqueçaportemalheurdevoirlamariéedanssarobeavantlejourdumariage,annonça

Emily.—C’estexactementcequejeviensdedire,murmuraSuzie.Emilyluijetaunregardnoiravantdepoursuivre:—Maisjemesuisditque,vuqu’iln’yauraitpasdemariage,çan’avaitaucuneimportance.EllebraquasonregardassassinsurDrew.L’assistance retint son souffle, puisdesmurmures emplirent la salle.Lorsque les chuchotements

s’arrêtèrent,seulelarespirationhaletantedeDrewrésonnaitdanslapièce.—Dequoij’ail’air?demandaEmily.—Tuestrèsbelle,répondit-ilsur-le-champ,avantdedéglutiràgrand-peine.—Jevoulaisquetumevoiescommetum’auraisvuepournotregrandjour.Commeça,l’image

demoidansmarobedemariéetehanterapourlerestantdetesjours,cracha-t-elle.—Jesuistellementnavrédet’avoirmisedansunesituationpareille,rétorquaDrew,quisemblaità

deuxdoigtsdevomir.Maisj’essayaisdefairecequ’ilfallait.Tudoislecroire,Emily.Iljetauncoupd’œilàSuzie.Elleluirenditsonregard,horrifiée.— Eh bien, reprit Emily, en rejetant ses cheveux derrière son épaule avec assurance. Tu ne

t’attendaistoutdemêmepasàcequejem’enaillesansbroncher,si?Tunepeuxpasbalancerauxorties toutes lesannéesquenousavonspasséesensemble, sans t’attendreàceque j’aiemonmotàdirelà-dessus.Ça,Drew,c’estmoiquitemontrequetuviensjustedefairelaplusgrosseerreurdetavie.—Jesuisdésolé,répéta-t-ildésespérément.Jen’aijamaiseul’intentiondet’entraînerlà-dedans.—Ehbien,tupeuxlablâmerpourça,rétorquaEmilyenpointantsamainparfaitementmanucurée

versSuzie.—Quoi?s’exclamacettedernière,enreprenantsesesprits.Jen’airienfait.ElleregardaDrew,visiblementdistrait.Ilsebalançaitd’avantenarrièresursonfauteuil,jetanttour

àtourdesregardseffrayésàSuzieetEmily.—Elle…Elle…Lesondesavoixétaitétranglé.—Elleatellementraison,poursuivitEmily,enplantantsonpoingsurlatable.Cequevousavezdit

cematinàlatélé…,poursuivit-elleenpointantrageusementSuziedudoigt.Cettepartiesurlefaitquenous nous plaignons des hommes quand ils nous font du mal, mais sans jamais les punir, donccomment attendrequ’ils en tirentune leçon?C’estmapunition,Drew,pourm’avoirplaquée sansvergognedevantl’autel,etj’espèrequejamais,augrandjamais,tun’oublierascommenttutesensàcetinstant.Ellearrachasatiareetsonvoile,etlesjetasurDrew.Suzien’encroyaitpassesoreilles.Qu’est-cequeDrewavaitfait?Celaneluiressemblaittellement

pas.Çan’avaitaucunsens.Emily se pencha pour récupérer sa radiocassette, et remit la musique pour faire brailler les

dernièresnotesdelachanson.Puiselleseretournaetsortitentrombedelapièce,passantàcôtédelafoulehébétée,sansseretourneruneseulesecondeversDrew.Suziesetournafaceàlui,etenvintàlaseuleconclusionsensée.

— Tu as couché avec quelqu’un d’autre, pas vrai ? déclara-t-elle, sans attendre de réponse.Commentas-tupu,Drew?Etmoiquicroyaisquetufaisaispartiedesrarestypesbien.Ayanttoutd’unhommebrisé,illuirenditsonregard,puisselevalentementdesonfauteuiletsortit

dubureau.Typique,sedit-elledanssonforintérieur.

Chapitre21

DrewseregardadanslemiroircrasseuxdestoilettespourhommesduMajesticHotel.Ilavaitdéjàlanauséealorsqu’iln’avaitpasencoreapprochédubargratuit.LafêtedeNoëldubureauseraitlapremièrefoisqu’ilreverraitsescollèguesdepuislaprestationd’Emily.Danslaprécipitation,ilavaitprisunesemainedecongéspourramasserlesdébrisdesavie.Ilétaitallédirectementchezsamère,et avait littéralement passé quatre bonnes heures à regarder le mur en s’efforçant de cesser detrembler,tandisqu’ellelegavaitdethéetdepâtisseries.Quandenfin,ilavaitréussiàluiexpliquercequ’il avait fait et pourquoi, elle l’avait pris dans ses bras et avait pleuré avec lui. Des larmes decompassion,sansdoutemêléesàdeslarmesdetristessequantàsaproprehistoired’amour.Sonpèreétait rentré à un moment donné, et sa mère l’avait entraîné dans la cuisine pour lui annoncerdiscrètementlanouvelle.Quandilavaitfiniparrevenir,iln’avaitvisiblementpasl’airdésolé.«Questiondetemps,fiston,avait-ilditenluidonnantunetapedansledos.Jesavaisquetufinirais

parjetertagourmetôtoutard.»Drewavaitregardédésespérémentsonpèrepuissamère.Lepointdevuetordudesonpèrequant

auxrelationsdecouplesétaitbienladernièrechosedontilavaitbesoin.Forcédefuirsurlecanapéd’unamipourquelquesjours,ilcompritqu’ildevaitremettresaviesur

lesrails,quandilsesurpritàmettresurpauseuntournoiinternationaldepokerpendantqu’ilallaitaux toilettes. Et donc il se mit à marcher. Il marcha, encore et encore, espérant amoindrir laculpabilitéincessantequil’assaillait.Cenefutquelorsqu’ilcommençaàvoirsonavenirseprésenterà lui commeun immense champdepossibles, au lieudumurdebriquequ’il voyait sedresser enpensantau jouroù il étaitcensésemarier,que le soulagementvintpeuàpeuadoucir sapeine.Cequ’iln’avaitpasprévuétaitques’ensuivraitunsentimentdecolère. Ilavaitperdu tellementdesontemps,etdeceluid’Emily.Ilavaitpassédesannéesàexisteràpeine,dansunebullestablequinelerendepas triste,mais qui ne l’avait certainement pas renduheureuxnonplus.Àprésent, il prenaitconsciencequ’il voulait vivre. Il voulait se sentir vivant. Il voulait sentir ses émotionsbouillonnerdanssoncorpsentier,paslesenfouircommeill’avaittoujoursfait,aupointd’endevenirunhommeartificieletennuyeux.Cesoir,jevaisrecommenceràvivre,sedit-il.Cesoir-làétaitledébutdurestedesavie.Ilselevad’unbondets’éclaircitlavoix,avantdesortirà

grandspasdestoilettespourchercherToby,quiavaitacceptédefaireleDJpourunprixdérisoire,etquijouaitunrôleclédansl’avènementdunouveauDrew.—Tuasl’aird’unimbécile,ditToby,entraînantuneenceintesurlascèneimprovisée.—Merci.J’ail’impressiond’enêtreun.Touslesautresavaientdéjàprislesmeilleurscostumesde

nain,nemelaissantquelesrestes.—Donctuescenséincarnerlequel?—Leclodo,apparemment.Drewdégageapourlaénièmefoisdedevantsesyeuxlepompongrisonnantdecrassequitrônait

ausommetdesonbonnet.—Parfaitpourlesfestivitésdecesoir,tunetrouvespas?ajouta-t-ild’unairgrave.Toby,luttantpourfairetenirl’enceintedebout,neréponditpas.Unefoissamissionaccomplie,il

enjambal’enchevêtrementdecâblespours’asseoiràcôtédeDrew,auborddelascène.—Écoute,monpote,dit-ilenpassantlebrasautourdesépaulesdesonami,tuesvraimentsûrde

toncoup?—Oui,acquiesçaDrewenhochantvigoureusementlatête.—Mais…,commençaToby.C’étaitlapremièrefoisqueDrewlevoyaitcherchersesmots.—Maisquoi?demandaDrew.Crachelemorceau.—Mais c’est juste que ça ne te ressemble tellement pas, mon pote. Tu ne fais jamais de trucs

pareils.Jetereconnaisàpeineàcetinstant.—C’estparcequejesuisaccoutrécommeunnainauxgoûtsdouteux.—Tusaistrèsbiencequejeveuxdire.Uneminute,tuplaqueslafemmeavecquituaspassétoute

ta vie d’adulte alors que tu es sur le point de temarier, et l’instant d’après, tum’appelles au beaumilieudelanuitavecunplanfarfelucommecelui-là.Tutecomportescommemoi,pascommetoi.Etfranchement,jenesuispastrèscontentquetumeforcesàparlercommetoi.—Qu’est-cequec’estsupposévouloirdire?— La voix de la raison, normale, sensée, répondit Toby en grimaçant. Ça me donne envie de

vomir.—Désolé.Loindemoil’idéedeteretournerl’estomac.—Écoute,repritToby.Jesaisquetuviensdequittertafiancée,etquec’estNoël,donctutesens

seul, mais est-ce que tu es vraiment sûr de vouloir aller au bout de tout ça ? Pourquoi tu ne tecontentes pas de te mettre dans le vrai esprit d’une fête de boulot ? Boire une bouteille de vinmédiocreetcoucheravecunesecrétaire,aulieudecettemiseenscènethéâtrale?—Lessecrétairesn’existentplus.Onlesappelledesassistantespersonnellesdenosjours.—Encoremieux,s’écriaToby.Faisensortequel’uned’entreellest’assistepersonnellementpour

tefaireoublierceplanboiteuxavecunebonnepartiedejambesenl’air.Drewsepenchapourastiquerlaboucledoréedesabotte,puisseredressapourregarderToby.—Jeneveuxpasd’unebonnepartiedejambesenl’air,dit-il.C’estelle,quejeveux.Tobyarboraunairgrave.—Alorsvaluiparler.Pourquoienpasserpartouscesennuis?—Tuaslusarubrique.Ellenousprendtouspourdessalopards,ycomprismoiaprèscequej’ai

faitàEmily.Jenepeuxpasmecontenterdetoutluiavouer.Jedoislaconvaincrequ’ellenevapasfiniravecsesespoirsanéantis,commeavant.—Waouh,mec,ellet’avraimenttournélatête,soupiraToby.—Ehbien,ilsetrouvequejepensequ’elleenvautlapeine.—Faisjusteattention,c’esttout.—Qu’est-cequetuveuxdire?—Jenesaispas,réponditTobyenagitantlespieds.Jeneveuxpasquetusouffres,monpote.On

nesaitjamaisaveclesnanas.Ilsepourraitqu’ellenesoitpascellequetucrois.Lesfemmesfontdestrucsdingues.Ellespeuventêtreimprévisibles.Jeneveuxpasqueçaseterminemalpourtoi.—Jepensequeçavautlecoupdeprendrelerisque,déclaraDrewsuruntonsolennel.—Ettuessûrquec’estelle,absolumentcertain?—Àcentpourcent.Tobyouvritlabouchecommes’ils’apprêtaitàdirequelquechosedesérieux,avantdeseraviser.Il

empoignaDrewparl’épaule.—Bon,alorsfonce,idiot.VacherchertaBlanche-Neige,s’illefaut.Jesuisprêtdemoncôté.

—Merci,monpote.Siçamarche,j’auraiunesacréedetteenverstoi.Drewquittalapièce,injustementqualifiéede«grandesalledebal»,etpartitenquêtedubarpour

affronterlerestedesescollègues.Ilespéraitqu’ilssoientdéjàgrisésparlesverresgratuits,etparl’hilaritédesevoir lesuns lesautresdéguisésenpersonnagesdecontesdefées,etdoncbien tropdistraitspourluiposerdesquestionssursaspectaculairedernièreentrevueavecsonex-fiancée.«Onnevapassemarierdemainmatin,dingdong,lessonnettesnevontpasretentir»,entonnèrent

lessixautresnainslorsqu’ilapprochadubar.—Merci,lesgars,marmonna-t-ilenattrapantunverretoutencherchantuneissue.Il se dirigea vers la réception, dans l’intention d’aller prendre l’air, mais se fit coincer par

l’hommeengagépourphotographierlesemployésduManchesterHeraldàleurarrivée,avantqu’ilsnesoienttropenivréspourprendrelapose.—Allez,fiston,jenevousaipasencorepris,ilmesemble?Mettez-vouslà.Drew traîna lespieds jusqu’audécormontépar lephotographe.Alorsqu’il se tenait là, seul, se

sentantprofondémentmalheureux,ils’aperçutqu’unesoiréedurantlaquelleonétaithabilléennainetcontraintde se faireprendreenphotodansde la fausseneigeenpolystyrèneàcôtéd’un renneenpelucheétaitloindegarantirseschancesdesuccès.—Jevaisvousdire, reprit lephotographe. J’aivoulu tenterun truc toute la soirée.Enlevezvos

chaussures,agenouillez-vous,etmettezvosgenouxdansvoschaussures,commeçavousaurezl’aird’unvrainain.Allez,çavaêtrehilarant.Drew fut coupé dans son élan de luimettre son poing dans la figure par l’arrivée deBlanche-

Neige.— Bon sang, impossible de trouver des nains dignes de ce nom ces temps-ci, lança Suzie,

apparaissantderrièrelephotographevêtued’uneparfaitepanoplie,complétéeparuneperruquenoirdejais.— Juste à temps, répliqua le photographe.Allez, nous avons besoin de vous sur cette photo, et

dites-luidesemettreàgenoux,ajouta-t-ilenmontrantDrewdudoigt.Suzieempoignasonjuponetseglissadanslecadre.LecœurdeDrewbattaitlachamade.Onaurait

ditqu’ellesortaittoutdroitd’uncontedefées.Commentdiableallait-ilbienpouvoirmettresonplanenactioncesoir-là,surtoutenressemblantplusàuntrollqu’àunnain?Suziedétestaitvraimentlestrolls.Ildevaitêtrefou.Cen’étaitpasuncontedefées,maislavraievie,oùlesnainsnefinissentpasaveclaprincesse.—Allez,àgenoux, lesomma-t-elle, interrompantsacrisedepanique.Si tu te lèves, tuvas juste

passerpourunclochardbourréquiatitubédelaruejusqu’ici.Aumoins,situesàgenoux,lesgenscomprendrontquetuescenséêtreunnain.Elleluipritlamainetluiindiquades’exécuter.Il se retrouva incapabledeparler,donc il fit la seulechosequ’ilpouvait faire. Il s’agenouillaet

s’efforçadenepasleverlesyeuxversBlanche-Neige.—Super,s’enthousiasmalephotographe.Envoilàunepourlacheminée,ajouta-t-ilunefoisqu’il

eutterminé.SuzierelevaDrewetl’attendit,tandisqu’ilbataillaitaveclesbouclesdeseschaussures.—Bon,commentçava?s’enquit-elletandisqu’ilssedirigeaientverslebar.Jecomptaist’appeler

maisjemesuisditquetuavaissûrementbesoind’air.—Çaaétéunesemaineéprouvante,sionpeutdire,répondit-il, tentantdefairerevenirsasalive

danssabouchesèche.—SansdouteencorepluspourEmily,rétorqua-t-elle.

—Oui,bienentendu,répliqua-t-ilsansattendre.Justeàl’entréedubar,elles’arrêtaetsetournaverslui.— Écoute, Drew, commença-t-elle. Je veux te remercier de m’avoir aidée avec tout ça ces

dernièressemaines.Jen’auraisjamaispuenfairelamoitiésanstoi.ElleleregardaitsiintensémentqueDrewsedemandasicetinstantétaitsachance.Peut-êtredevrait-

ilenfinirettoutconfesser.Laissertombertouteslesfioritures.— Je dois t’annoncer, cela dit, que j’ai prévu d’accomplir ma dernière vengeance ce soir,

poursuivit-elle.Jesaisquejen’enaijamaisfaitmentionauparavant,maisjemesuisditquetuavaissuffisammentdechosesàgérer.L’espritdeDrews’emballa.Ellecomptaitaccomplirsadernièrevengeancecesoir-là?Autrement

dit,letrolljoueurdeflamencoétaitprésent.Dequis’agissait-il?Dansl’ensemble,leshommesquitravaillaientpourleHeraldétaientdetelsratésqu’ilnepouvaitimaginerSuzies’engageravecl’und’eux.Àmoinsque…Non, ellen’aurait pas fait ça, si ?Drew repensa à cematin-là, dans le café,quand,vertdejalousie,ilavaitvisitéleblogdeGareth.IlserappelaqueGarethavaitmentionnélaguitarecommel’unedesespassions.Ils’ensouvenaitparceque,instantanément,ill’avaitimaginéentraindejouerlasérénadeàuneSuzietransie,etquecettevisionluiavaitretournél’estomac.Ainsi,SuzieavaiteuuneliaisonsecrèteavecGareth.Voilàpourquoielleavaitditquec’étaitcompliquéetqu’ellepréféraitnepasenparler.Cequin’avaitpasde sens, c’était la raisonpour laquelleGarethsoutenaitautantlarubriquerevanchardedeSuzie.Sansdouteparcequ’ilsevoyaitcommeuneciblepotentielle.Parailleurs,ilétaittellementaveugléparl’ambition,qu’ilseraitprêtàtoutencaisserpourgrimperjusqu’ausommet.—Drew, tum’écoutes?demandaSuzie, l’interrompantdans sespensées. Jevoulais justeque tu

soisaucourant,pourquetunesoispassurprisquandçaarrivera.—Ouais,biensûr,répondit-il,toujourssouslechoc.Ilcompritqu’ildevaitmettreuntermeàsonplanimmédiatement.Ilnepouvaitpasagircesoir-là.

Passielleavaitdesigrandsprojetsdesoncôté.—Bon, je dois justepasser aux toilettes, ensuite allonsprendreunverre avant denous torturer

aveclescharmantessurprisesquenousréservelepèreNoëlsecret.Drewrestaclouésurplace,encoreabasourdi,puispoussaunhurlement.—Bonsang!IlpoursuivitSuzieencourant.IldevaitatteindrelepèreNoëlsecretavantelle.

Chapitre22

—ChèreSuzie,Dieusoitloué,vousêteslà,gémitClare,lanouvellestagiaire,dèsqueSuziemitunpieddanslestoilettes.Qu’est-cequejevaisfaire?EllesejetapourprendreSuziedanssesbrasetsemitàsanglotersursonépaule.Suzieétaitperdue.Elleavaitàpeineadressédeuxmotsàcettefilledepuissonarrivée,sansparler

du moindre contact physique. Bizarrement, elle tapota Clare dans le dos d’une manière qu’elleespéraitréconfortante.—Le petit ami deClare, Theo, discute avecBecca depuis qu’il est arrivé, expliquaMaddie, du

service commercial. Il n’a d’yeux que pour elle. Il lui a même offert un Cosmopolitan, et s’estcontentéd’apporteràClareunvulgaireverredeBacardiBreezer.Clarelevalatête.—À…à…à…àl’ananas,bredouilla-t-elled’unevoixétranglée.Ilm’aprisdel’ananas,etilsait

quej’aihorreurdeça.Qu’est-cequejevaisfaire,Suzie?Suzieregardaderrièreelleenquêtedesoutien,ets’aperçutqu’unepetitefoules’étaitrassemblée

pourassisterà lascène.Elles l’observaient toutes, lesyeuxpleinsd’espoir,etellecompritqu’ellesattendaientqu’ellerésolveleproblèmedeClaresur-le-champ.—Çavaaller, repritMaddie,en frottant ledosdeClare.Suzieest làmaintenant.Elleva tedire

quoifaire.Suzie n’en revenait pas. Pas si longtemps auparavant, les femmes les plus jeunes du bureau

l’ignoraient presque, la considérant comme une journaliste ratée qui empêchait leur carrière deprogresser. Et voilà qu’elles la regardaient comme si elle incarnait unYoda de l’amour, attendantpatiemmentqu’elleleurdispensesessagesconseils.Ehbien,sic’étaitcequ’ellesvoulaient,elleallaitleurendonnerpourleurargent.ElleétaitChère

Suzie,aprèstout,futurechroniqueusepouruntabloïde,etgrandestardelatélé.ElleempoignaClareparlesépaulesetlasecouadélicatementpourpouvoirlaregarderdroitdans

lesyeux.—D’abord, je veux que vous arrêtiez les alcopops, dit-elle avec fermeté. Rien de bon ne peut

jamaisarriveràunefillequienboit,d’accord?—Oui,biensûr,reniflaClare,enhochantlatêteavecvigueur.—Etdeuxièmement…Ellemarquaunepausepouraccentuerl’effetdramatique,sentantsonauditoiresepencherenavant.—Jeveuxquevoussortiezd’ici,etquevousluidemandiezdepartirimmédiatement.—Quoi?s’exclamaClare,visiblementpriseaudépourvu.— Demandez-lui de partir, répéta Suzie. C’est votre invité ici. Il se comporte de manière

inappropriée,doncdemandez-luidepartir.C’estvotre seulespoirdevousamusercesoir, croyez-moi.Clare, les yeux écarquillés, dévisagea Suzie. Pas un son ne s’élevait derrière elle, vu qu’elles

attendaienttoutessaréaction.—Biensûr!s’écria-t-elle.Jeluidemandedepartir.Simplecommebonjour.Iln’aaucundroitde

merendremalheureuseàmafêtedebureau,si?Oh,Suzie,jevousremercie.

— Il n’y a pas de quoi. Mais souvenez-vous, plus de Bacardi, reprit Suzie, sentant une pointed’autosatisfactionlaparcourir.Elle se tourna vers lesmiroirs pour vérifier sonmaquillage, quand la porte s’ouvrit tout d’un

coup,Sandraseprécipitantàl’intérieur.—Jesuisenretard?questionna-t-elle,horsd’haleine.DivientdemedirequeSuziedonnaitdes

conseilsgratuitsdanslestoilettes.Waouh ! Il allait lui falloir sa propre émission télé sans tarder. Les fêtes cauchemardesques de

Suzie.—Oh,Suzie,Dieumerci,vousêteslà.Écoutez,monmariagâchémasoirée.Ilvientdemedire

quemoncostumedePeggylacochonnem’allaitcommeungant.Qu’est-cequejedoisfaire?Suziesoupira.Celle-làétaitvraimenttropfacile.— Retournez-y, et dites-lui que quand vous faites l’amour, vous fantasmez sur Kermit la

grenouille,parcequetoutvautmieuxquederegardersonpathétiquecorpsbedonnantetflasque.Unéclatderirecollectifretentitdanslapièce.—Parfait,déclaraSandraavantdeseretournerd’unbondetderessortiràlahâte.—Aumoins, sonmari est venu,marmonnaBrenda.Lemien a refusé. Ilm’a dit qu’il préférait

encoreresteràlamaisonetregarderlapeinturesécher,plutôtquedesortiravecmoi.Suziepivotaversleurfemmedeménagedesoixanteans.—Rentrezchezvous,gronda-t-elle.—Quoi?—Rentrezchezvoustoutdesuite.Récupérezdeuxdevospetitesculotteslesplusosées,etvotre

brosseàdents,puisdites-luiquevousleverrezdemainmatin.Vousrestezicicettenuit.Etenrentrantdemain,refusezdeluidireoùvousétiez.Laissez-lemijoterpendantdouzeheures.Non,pendantunesemaine.Çaluiapprendraàs’intéresseràcequevousfaites.BrendadévisageaSuzieunmoment,visiblementincrédule,avantdechangersonfusild’épaule.—Ceneserapaslong,lança-t-elleensortant.Suzie regarda la flopée de mains levées qui l’entourait. Encore plus de femmes s’étaient

rassemblées,etellessemblaienttoutescriersonnom.Combiendedésastresliésàlagentmasculinepouvait-ontrouverpendantunefêtedeNoël?C’étaitunvéritablechampdemines.Ellelevalesmainspouratténuerlacacophoniedeproblèmes.Quandlesilencesefit,elleleurdonnalaréponseàtoutesd’unseulcoup.—Encasdedoute,dansez,s’écria-t-elle.Ilsnepeuventpasvouscontrariersurlapistededanse.

Allez,qu’est-cequ’onfichetoutesici,alorsquelapistenousattend?Elleslasuivirent,commesielleétaituncharmeurdeserpent,jusqu’àlagrandesalledebal,eten

quelquesinstants,elleseretrouvanoyéedansunefouled’hormonesenfolie.Suzieavaitl’impressiond’êtrelareinedumonde.Cesfemmesl’adoraient.Ellelesrendaitheureuses.Quiauraitcruquesonatroce passé amoureux finirait par la forger ?Qui avait besoin des hommes, en définitive ?Et lemomentfortdelasoiréerestaitencoreàvenir:sonultimevengeancedevantsesfansendélire.Elleétaitimpatiente.Trois chansons plus tard, une émeutemanqua de se déclencher lorsque leDJ, seméprenant sur

l’humeurdel’assemblée,commençaàmettreuneversionmièvredeAllIWantforChristmasIsYou.Suziesesentittellementfièreenobservantunearméedefemmesencolèreexigerqu’onl’enlèvesur-le-champetqu’onlaremplaceparIWillSurvive.Rassuréede lesvoirmaîtriser lesardeursduDJ,elledécidad’allersedébarrasserdupèreNoëlsecretavantqu’onneprielesinvitésdepasseràtable,etretournaaubarpourtrouverledécordegrotteplantépourl’occasion.

Comme si le concept du pèreNoël secret n’était pas suffisamment catastrophique comme ça, ilfallaitenpluss’asseoirsurlesgenouxdeChrisduserviceinformatique,sonénormeventreexplosantsous sa fausse fourrure, tandis qu’il frissonnait en demandant à ses collègues féminines si ellesavaientétédesagespetitesfillescetteannée.LeseulbonusétaitqueChrisavaitutilisésonéquipementpourproduireunesupergrotte.DesimagesnumériquesdupôleNordétaientprojetéessurunécranderrière lui, un néon donnait l’impression que des flocons de neige tombaient du ciel ets’évanouissaient dans le néant, créant un effet magique impressionnant. Un de ses sous-fifrescommandaitlamachinerieentièrederrièreunordinateur,tandisquelesdeuxautresvêtuscommelespetitesmainsdupèreNoël,affichaientuneminesombre,ettenaientdessacsremplisdecadeauxdontpersonnen’avaitrienàfaire.—Suzie!s’exclamalepèreChrislorsqu’elleapparut.VousêtesaussisexyqueBlanche-Neige.Il avait les yeux écarquillés de plaisir.Un sifflement strident s’éleva de nulle part.Le sous-fifre

derrièrel’ordinateuravaitl’airembarrassé.—Toutàfaitinapproprié,pèreNoël,fitremarquerSuzieensecouantlatête.Onpeutenfiniraussi

vitequepossible?ajouta-t-elleentendantlamain.Donnez-moiçaetlaissez-moipartir,d’accord?— Désolé, Suzie. Papa Noël a besoin que vous vous asseyiez sur ses genoux et que vous lui

racontiezcommentvousvousêtescomportéecetteannéed’abord, rétorqua lepèreChris, lesyeuxbrillants.— Allez vous faire voir, Chris, répliqua-t-elle. Je ne vous laisserai pas entretenir un fantasme

bizarre avecBlanche-Neigepour le reste de la décennie, juste parceque jeme suis assise sur vosgenoux.Maintenant,donnez-le-moi.—Sinonquoi?questionna-t-ilsuruntondedéfi.—Jevousdénonceraiàl’UniondespèreNoëlsecretpourrétentiondecadeauxnuls.—Nevousgênezpas,dit-il.Vousverrezbiensijem’ensoucie.Jen’aipasbesoindevous.Jeviens

d’avoirCendrillonsurlesgenouxpendantdeuxminutesetdemie.—Deuxminutestrente-six,pourêtreprécis,gazouillal’opérateurinformatique.— Vous voulez dire que vous chronométrez le temps que l’on passe assise sur vos genoux ?

demandaSuzie.Lessous-fifresricanèrent.—Onfaitunpari,réponditChris.Onestimequevousdevezentrerdansletoptroisvuquevous

êtescélibataireetdésespérée.Allezvenez,yaunejoliesommeenjeu.—Vousêtestousrépugnants.Vouspouvezvouslegarder,votrepèreNoëlsecret,ajouta-t-elleen

s’éloignant.— Donc vous ne voulez pas de cette enveloppe dorée ? répliqua-t-il en brandissant l’objet en

question.Suzies’arrêtadanssonélan.Uneenveloppe?Voilàquichangeaitladonne.Uneenveloppeavaitdu

potentiel.Cepourraitêtreduliquide,cequiseraituncadeauparticulièrementsenséàmettredansunpèreNoëlsecret,oubienunbonderéductionpourunemanucure,ouautre.Lesenveloppesn’avaientrien à voir avec ces paquets qui contenaient sans nul doute une abomination. Elle se retourna ets’avançapourlaprendre,maislepèreChrislamitrapidementhorsdesaportée.—Oh,non,vousnel’aurezpasaussifacilement.Vuquevousavezétéunevilainefille,vousdevez

vousasseoirsurmesgenouxpourl’ouvrir.—Arrêtezvosbêtises.Elleessayad’attraperl’enveloppeunenouvellefois,maisill’enlevaprestement.Aumêmeinstant,

elleremarqual’arrivéedunainDrew,quiparaissaittroublé.

— Drew, dis-lui de me donner mon père Noël secret, ordonna-t-elle. Il prétend que je doism’asseoirsursesgenouxpourl’avoir.—Dis-luidelegarder.Ilseranul,detoutemanière,rétorqua-t-il.—Maisc’estuneenveloppe,gémitBlanche-Neige.Cen’estpascommelescadeauxemballés,elles

ontdupotentiel.J’aibesoindesavoircequ’ellecontient.—Tutelaissesembobiner,reprit-il.Cen’estqu’unpèreNoëlsecret,cenepeutrienêtredebon.

Souviens-toidecequetudisaisl’autrejour,ajouta-t-ilenluitendantlesmains.Éloigne-toijustedupèreNoëlsecret,tupeuxlefaire.Blanche-Neigedévisageait tourà tour lepèreChriset lenainDrew.Elleauraitdûpartir, elle le

savaitbien.Mais,etsic’étaitunbeaucadeau?Etsiquelqu’unavaitenfintapédanslemille,etavaitdénichéleparfaitcadeaudepèreNoëlsecretetqu’elles’éloignait?Elleenétaitincapable.Elledevaitsavoir ce que contenait cette enveloppe dorée. Elle se tourna vers Drew, affaissant les épaules ensignededéfaite,avantdeseretournerd’unbondàlavitessedel’éclair,sajupejaunebrillantheurtantun arbre deNoël décoratif au passage. Elle bondit en avant et arracha l’enveloppe de lamain dupèreChris.—Jel’ai!s’exclama-t-elle,ensautillantsurplace.—Pourquoinel’ouvres-tupasdemain?suggéralenainDrew.Ougarde-lapourlejourdeNoël.—Horsdequestion,s’écriaSuzie.LeseultrucbienaveclepèreNoëlsecret,c’estqu’onaledroit

d’ouvrirsoncadeautoutdesuite.Elledéchira l’enveloppe, semantdesmorceauxdepapierdorépar terre,puisen sortitunecarte

blancheetlutlesmotstapésàlamachinequiavaientétélaborieusementcollésdessus.—Qu’est-cequeçadit?demandèrentlestroissous-fifresenchœurens’amassantautourd’elle.—«Soissurlapistededanse,souslabouleàfacettes,àminuitpourtalivraisonspécialedupère

Noëlsecret»,lut-ellelentement.Lesilencesefittandisqu’ilss’efforçaienttousdecomprendrelemessagecrypté.EllesetournaverslepèreChris.—Yaintérêtàcequecenesoitpastoiquiessaiesdemetripoterdansl’obscurité,aboya-t-elle.—Cen’estpasmoi,plaida-t-il,levantlesmainsengestedesoumission.Bonneidée,celadit.Peut-

êtrequejetenteraiçasurDebsdelacomptal’anprochain,ajouta-t-il,l’airsongeur.—Jenecomprendspas,repritBlanche-Neige,lesyeuxrivéssurlemessage.Qu’est-cequeçapeut

bienvouloirdire?—Unadmirateursecret,murmural’undessous-fifres.C’estlaseuleexplication.Ilvaserévélerce

soiràminuit,vousnecomprenezpas?C’esttellementromantique,soupira-t-il.—Vouscroyez?demandaBlanche-Neige.—Non,cen’estpasça,intervintlenainDrew,enarrachantlacartedesmainsdeSuzie.Quelqu’un

tefaitmarcher,forcément.C’esttoi,non,Chris?Neleslaissepast’entuber,Suzie.Oublietoutça.Il tentademettre lacartedans lapoche supérieurede saveste, jusqu’àcequ’il se rendecompte

qu’iln’yenavaitpas–seulementunvestonmaculédetachesdevin.Blanche-NeigerepritlacarteàDrewpourlarelire.—Souviens-toideceque tuasdit, lapressa-t-il.LepèreNoëlsecretdéçoità tous lescoups.Le

pèreNoëlestunhommeaprèstout,doncautantlajeter,pasvrai?—Oui,finit-elleparacquiescerenlevantlatête.Tuasraison.Chris,vousêtesunhommemort.Ellesortitdelapièceendressantfièrementlatête,s’efforçantd’ignorerque,l’espaced’uncourt

instant,soncœuravaittressautéquandlesmots«admirateursecret»,«minuit»,«bouleàfacettes»et«pistededanse»avaientpeuplélaconversation.

Pasderaisondes’emballer,sedit-elleensonforintérieur.Aprèstout,ils’agissaitdelafêtedeNoëldubureau.Autrementdit,l’occasionidéalepoursefaire

briserlecœurenunriendetemps.Laséanceauxtoilettesenétaitlapreuve.Non,ilfallaitqu’elleseconcentre.Cesoir-là,lederniertrollseraitbeletbienenterré.Voilàcequiimportait,etcertainementpaslefaitquequelqu’unseserved’unjeustupidepourfaireuneblaguedemauvaisgoût.

Chapitre23

Àlafindurepas,Drewsesentaitpresquedétendu,soulagédesavoirqu’iln’allaitpastoutavoueràSuziecesoir-là.Mêmes’ilavaitfrôlélacatastropheaveclepèreNoëlsecret.Ils’étaitrenducomptequeréclameràChrislecadeaudeSuzierévéleraitsonidentitéetsusciteraitbientropdesuspiciondesapart.Autantlaconvaincrequ’ellesefaisaitentourlouperparquelqu’un,l’amenerànepastomberdanslepanneau,etenresterlà.Illuiserviraitsoncœurbattantsurunplateauunautrejour.Alorsmêmequ’ilenvisageaitdes’excuseretdepartir,Suziesurgitsurlachaiseàcôtédelui.— Je suppose que tout le budget de la soirée est parti pour la picole gratuite et pas pour la

nourriture.EllepiquasafourchettedansunebûchedeNoëlaussidurequelapierre,quiavaitétéabandonnée

dansuneassiette.—Hmm,marmonna-t-il,s’efforçantdenepasregarderseslèvresalorsqu’ilsesentaitlégèrement

griséparlevinbonmarché.Ilsdemeurèrent silencieuxenobservant lahideuseexhibitiondedéhanchésqui avaient envahi la

pistededanse.—Tusais,c’estvraimentcurieux,maisjen’avaisjamaisrelevéqu’ilyavaitunebouleàfacettes

ici auparavant, fit-elle remarquer, en faisant un signe de tête vers le plafond.Même si ça fait desannéesqu’onvientpournossoiréesdeNoël.Drew n’osa pas répondre, donc il observa Suzie contempler la boule à facettes, complètement

hypnotisée,unpetitsourireaucoindeslèvres.—TupensesàcettecartedepèreNoëlsecret?fut-ilcontraintdedemander.Elle se tourna pour le regarder. Elle était d’une beauté époustouflante. Il mourait d’envie de la

prendredanssesbrasetdel’embrassersur-le-champ.—Non, répondit-elle. Tu avais raison. C’est juste un crétin qui essaie dem’entourlouper.Quel

idiot,hein?Embrasse-la,embrasse-la,imploraitunevoixàl’intérieurdeDrew.—Ouais,quelidiot,marmonna-t-ilendétournantlesyeux.Embrasse-la,luihurlaitsoncorpsentier.LebrasdeSuzieeffleuralesienlorsqu’elleselevabrusquement.—Tunet’envaspas,si?s’exclama-t-il.—J’aidestrucsàfaire,répondit-elle.Onsevoittoutàl’heure.—Ouais,pasdesouci,àtoutàl’heure.Drew l’observa se retourner et s’éloigner. Imbécile. Il aurait dû aller jusqu’au bout. Il s’était

promis qu’il allait commencer à vivre, commencer à montrer ses émotions, et voilà qu’il lesenfouissait comme d’habitude. D’autant qu’il avait vu la façon dont elle regardait cette boule àfacettes.C’étaitdel’espoirdanssesyeux,ilenétaitconvaincu.Ilfallaitqu’ilagissecesoir-là.Ilnepouvaitpaslaisserpassersachance.Ladernièrevengeancedelajeunefemmen’étaitpasuneexcuse.Deplus,Suzieoublieraittoussesprojetsunefoisqu’illuiauraitdéclarésaflamme.Çan’auraitpluslamoindreimportance.

L’horloge approchait rapidement de minuit, et l’humeur dans la pièce changea lorsque le DJralentit lacadence,etglissa lentementversunesériedeslows.Les femmesqui,auparavant,étaienteuphoriséesparlasolidaritéféminine,sefondaientàprésentdanslecorpsdeleurescortemasculine,tandisquel’alcooletleromantismedumomentlessubmergeaientetqu’ellessuccombaientàlavoixsuavedeBarryWhite.Suzie regarda samontre : « 23 h 58 ». Il était temps de semettre en position et d’accomplir sa

dernièrevengeanceavantquelasoiréenesetermine.Ellepartitcherchersavalise,qu’elleavaitcachéesousunetablesur tréteauxaufondde lasalle,

plustôtdanslasoirée.Leplanétaitsimple,rapide,etavecunpeudechance,efficace.Elles’apprêtaitàtraverserlapistededanselorsquelachansons’acheva,etlavoixduDJvintinterromprel’instant.—Nousarrivonsàlafindelasoirée,mesdamesetmessieurs,etonm’apriédevousrappelerde

vousassurerd’aller récupérervoscadeauxdupèreNoëlsecret.PapaNoëlprétendquesahotteestencorepleine,etilaimeraits’assurerquevous,mesdames,alliezlavideravantdepartir.Tobyponctuasondiscoursparunroulementdetambour.Personnenerit.—Bon,onm’ademandédeprésenterundescadeauxdupèreNoëlsecretpersonnellement.Donc,

au prix d’un grand effort financier, nous aimerions présenter à SuzieMiller son cadeau de Noëlsecrettrèsspécial.Suzie s’arrêta dans son élan au bout de la piste de danse, et lâcha le bagage sur le sol.Que se

passait-il ?Elleavaitdupain sur laplanche ; ellen’avaitpasde tempsàperdreavec lepèreNoëlsecret maintenant. D’autant plus s’il s’agissait d’une mauvaise blague. La musique repartit et ellereconnutimmédiatementlestoutespremièresnotesdelachansondeRickAstley,NeverGonnaGiveYou Up. Un million de pensées affluèrent en cascade dans son esprit. Que diable se passait-il ?Pourquoipassait-oncetitre?Bonsang,RickAstleyluimanquaittant.Était-iltoujoursaussisexy,etportait-iltoujoursdescostumesviolets?Tandis que la chanson continuait, elle eut soudain envie de pleurer. Les paroles du refrain la

ramenèrent directement à ses années d’adolescence, quand elle avait vécu son tout premier baiser.Uneseconde.Quisurcetteplanètesavaitunechosepareille?Elleregardavers lapistededanse,àprésentvide,vuquelescouplesquisebécotaientavaienttentésanssuccèsdecontinuerleurparadeamoureuse surcettemusiqueplusentraînante.Seuleunepersonneyétait toujours, enpleinmilieu,souslabouleàfacettes,habilléennain.Drewlevaitungobeletenplastiquedanssadirection.Qu’est-cequ’ilétaitentraindefaire?Était-celuiquisecachaitderrièrelemessagedupèreNoëlSecret?Certainementpas.Quelquepeuagacée,elleempoignasajupeet traversalapistededanseàgrandspas.Ilsouritetluitenditlegobeletenplastique.—Cinzanoetlimonade,dit-il,visiblementnerveux.Ellebaissaleregardverslegobeletetremarquaquesonamitremblaitcommeunefeuille.EllerelevalesyeuxversDrewmaintenantaussiblêmequ’unfantôme.— Qu’est-ce que tu fabriques, Drew ? interrogea-t-elle, agacée qu’il la mette tant sous les

projecteurs,ets’interposeentreelleetsavengeance.—Jevoulaisteramener,souffla-t-il.— Parle plus fort, je n’arrive pas à t’entendre, cria-t-elle par-dessus le vacarme de lamusique

disco.Il baissa les yeux vers le gobelet et en descendit le contenu avant de le balancer par-dessus son

épaule.Puisilavançad’unpasetluipritlesdeuxmains.—Jevoulais te ramener, répéta-t-il.Àl’époqueoù tuétaisadolescente,danscettesalledesfêtes

dont tum’as parlé. Tu sais, celle avec la boule à facettes, lamusique disco un peu louche, et lesboissonscoupéesàl’eau.—Mais…maispourquoi?demanda-t-elle,complètementabasourdie.— Parce que tu as dit que c’était la meilleure époque de ta vie. Quand une chanson passait, ta

chanson,tutelevais,tudansais,ettuavaisl’impressiond’êtreàl’endroitleplusmerveilleuxdetoutl’univers.Quandtudansaisparcequetuétaisheureuse,etnonparcequetuétaiscontrariée.Quandunsourire de la bonne personne pouvait envoyer ton cœur dans la stratosphère pendant une semaineentière.Il s’arrêta, comme s’il attendait une réaction de sa part.Comme elle n’ouvrait pas la bouche, il

poursuivit:—Quandtuavaisencoredel’espoir,Suzie.Quandtucroyaisencoreenl’amour.C’estcequeje

voulaisquesoittonpèreNoëlsecret.Pourquetuteremettesàespéreretàcroireenl’amour,parceque…parceque…Sarespirationétaithaletanteàprésent,commes’ilétaitàdeuxdoigtsdel’hyperventilation.Suzieavaitlesyeuxrivéssurlui,s’efforçantd’intégrercequ’ildisait.Lesmotsentraientdansses

oreilles,maissemélangeaientunefoisdanssa tête.Elle tentadeseconcentrerpourycomprendrequoi que ce soit, mais alors elle aperçut quelqu’un derrière Drew, et soudain, ses paroles furentcomme aspirées de son cerveau et remplacées par quelque chose qu’elle arrivait à comprendre.Accomplirsamissiondusoir.—Drew, l’interrompit-elle en posant lesmains sur ses épaules. Tout ça, c’est bien gentil, et je

m’assureraidetéléchargerRicksurmoniPod.Mercipourm’avoirrappeléàquelpointc’étaitgénial.C’estunmerveilleuxcadeaudeNoël.Ellelepritdanssesbrasenespérantclorelaconversation.—Oh, Suzie, l’entendit-elle lui souffler au creux de l’oreille, avant de s’écarter d’elle. Ce que

j’essaiededire,c’est…Ellelevalamainpourluiintimerdesetaire.—Drew,reprit-elle.J’aiquelquechoseàfaired’abord,aprèsjeteprometsqu’onparleradeRick

autantquetuveux.—Mais,Suzie,répliqua-t-il,commençantàsemblerfrustré.—Jevoulaisvousdirequejesuisvraimentheureuxpourvous,lançaToby,apparaissantsoudain,

etregardantnerveusementSuzieetDrewtouràtour.Etjesuisimpatientqu’ondeviennetousamis,ajouta-t-ilenadressantunregardinsistantàSuzie.Celle-ciledévisagea.Voilàqu’ilparlaitenénigmes.Était-elleentrainderêver?EllesetournaversDrew,quipouruneraisonobscuresecouaitvigoureusementlatêteversToby.—Drew,répéta-t-ellesuruntonferme.J’essaied’accomplirmadernièrevengeance.—Suzie,non!s’exclamèrentDrewetTobyenchœur.—Tupeuxarrêtermaintenant,poursuivitDrew.Tun’asplusàprendretarevanche.Ilfautjusteque

tum’écoutes.—Oui,laissetomber,renchéritToby.—Oh,çat’arrangeraitbien,n’est-cepas?rétorquaSuzie,ensetournantverscedernier.—Nefaispasça,Suzie,implora-t-il.—Qu’est-cequisepasse?intervintDrew,ayantsoudainl’airconfus.—Tobyestmonderniertroll,réponditSuzie,lesdentsserrées.Etmaintenant,tuasfichuparterre

madernièrevengeance.—Monpote.C’étaitrien,plaidaTobyenregardantDrew,terrifié.

—Quoi?demandaDrewenvacillant.Jenecomprendspas.— Ilm’a appelée après que nous nous sommes rencontrés pour ta fête de fiançailles, expliqua

Suzie.Ilm’aditqu’ilvoulaitqu’onsevoiepourcommenceràtravaillersursondiscoursdetémoin,etqu’ilavaitbesoindebonnesanecdotesdebureau,doncjen’allaispast’enparler.Ons’estretrouvésdansunbarpendantl’happyhouret,enfin…—Vousavezcouchéensemble?interrogeaDrew,incrédule.—Monpote,c’étaitrien,vraiment,protestaToby.—Maistuétaisfiancéàl’époque,répliquaDrew,horrifié.—C’étaitcommejetel’aidit–tusais,pendantl’essayagedenoscostumes.J’avaisjustebesoinde

melasortirdelatête.Çanesignifiaitrien;jenepouvaispassavoirqueçaallaittournercommeça.—Çanesignifiaitrien?s’écriaSuzie.Tum’asditquetuallaisrompreavectafiancée,maisc’était

unmensonge.Tunel’asjamaispensé,tuvoulaisjustememenerenbateauunpeupluslongtemps.Elleseretournaetsedirigeaversl’extrémitédelapistededansepourramasserlavalisequ’elle

avaitabandonnéelà.EllelabalançalourdementauxpiedsdeToby.—Tuvoiscebagage?demanda-t-elle,enpointantl’objetdudoigt.C’estceluiquej’aipréparéle

soiroùtum’asditquetuallaisquitterChloe.Jecomptaistedirequ’aprèstoutcetemps,jenel’avaistoujours pas déballé.Que je t’attendais toujours. Je voulais te flanquer la trouille, au point que tufasseslesermentdeneplusjamaisdévierdudroitchemin.Le silence régnait à présent. En l’absence du DJ, la musique s’était arrêtée. Tout le monde les

observait.—Tusavaisqu’ilétaitfiancé?questionnaDrew,horrifié,lesyeuxrivéssurelle.—Non,biensûrquenon.Pasaudébut.Pasavantqu’ilm’aitséduite.Etpuis…Elles’interrompit,ignorantquoidire.Drewsecoualatêted’unairdésespéré.—C’estluiquiétaitfiancé,pasmoi,protestaSuzie.—Non,non,dit-il,enreculant.Ilchancelalégèrement,etluilançaunregardaccusateur.—Pourquoi est-ceque tume regardes commeça?C’est luiqui s’estmal comporté,Drew,pas

moi.Pourquoicen’estpasàluiquetut’enprends?Oualors,c’estparcequetuasfaitlamêmechoseetquetucompatis?C’estbiença?Drew semblait à deux doigts de fondre en larmes, et il respirait si fort qu’on aurait dit que

quelqu’unl’avaitfrappédansl’estomac.—Non,finit-ilparrépondre.J’aiprisconsciencequejen’aimaispasEmily,etquejedevaisfaire

quelquechoseavantdegâchersavie.J’essayaisdefairecequ’ilfallait.—Ohvraiment,rétorquaSuziesuruntonsarcastique.—Oui,vraiment,répliquaDrew.Ils’interrompit,etrivalesyeuxsurlesol.—Etj’aiaussiprisconsciencequej’avaisdessentimentspourquelqu’und’autre,ajouta-t-il.— Tu vois, s’écria-t-elle d’un air triomphant. Tu es tellement cliché, Drew. Tu as couché avec

quelqu’und’autre,ettut’esditquel’herbeétaitpeut-êtreplusverteàcôté.Quediredeplus?—Jen’aicouchéavecpersonne.—Ouais,ouais,c’estça.Tunevastoutdemêmepasmedirequetun’aspasgoûtéaufruitdéfendu

avant de quitter le navire ?Pour l’amour du ciel, tu es unhomme,Drew.C’est commeça que leshommessecomportent.—Cen’estpascommeçaquemoi,jemecomporte!hurlaDrew.

— Enfin, nous verrons bien, n’est-ce pas ? La vérité éclatera quand tu te ramèneras avec unegourded’unevingtained’annéesdansquelquessemaines,quandtuestimerasqu’undélaidécents’estécoulédepuisquetut’esdébarrasséd’Emily.—Iln’yaaucunegourded’unevingtained’années,rétorquaDrew,visiblementénervé.Suziefronçavaguementlessourcils.Drewluijetaunœilnoir,etlessecondess’écoulèrenttandisqu’elleluirendaitsonregarddedéfi.—Regarde-toi,cracha-t-il.Tut’estellementpriseàcepetitjeude«ChèreSuzie»quetun’arrives

pasàregarderunhommesansmépris,etsansimaginerlepire,etpourtant…Ilhésita,deslarmescoulantmaintenantlelongdesesjouestandisqu’ilobservaittouràtourToby

etSuzie.—Etpourtant,toi,SuzieMiller,tun’asvisiblementriendecommunavecBlanche-Neige,conclut-

il,enpassantentrombeprèsd’elleavantdedisparaîtredanslanuit.Toby lui courut après et Suzie se retrouva toute seule aumilieu de la piste de danse, lesmains

agrippéesàsapochetteensoiebleuvif,tandisquedepetitspointslumineuxscintillaientautourd’elle.

Chapitre24

EllearpentaitlesrueshumidesdeManchester,sajupeensoiejauneabsorbantlacrassedespavés,savalisegrinçantderrièreelle.AprèsledépartdeDrew,elleétaitrestéeaubeaumilieudelapistededanse et avait balayé la pièce du regard, tandis que tous ses collègues suivaient la scène dans unsilencepesant.Sarevancheavaitreçuunaccueildésastreux;pasd’applaudissements,justedesmineshébétées.Personnen’avaitvoléàsonsecoursalorsqu’elleluttaitpourdéfendresacause,pasmêmelesfemmesqu’elleavaitaidéesdanslestoilettes,plustôtdanslasoirée.Lesilencerégnaittoujours,lorsqu’ellepassa laporteet se retrouva seuledans la rue, aprèsune soiréedeNoëldebureau.Unendroitoùpersonnen’avaitenvied’être.Commentosait-il?Commentosait-illuifaireporterlechapeau,etluidonnerl’impressionqu’elle

était une garce, juste parce qu’il avait foutu en l’air sa petite vie si parfaite ? Pour qui diable seprenait-il?Elleleconsidéraitcommesonami,maisvisiblement,cen’étaitpaslecas.Endéfinitive,cen’étaitqu’unsalecon,commetouslesautres.Elleremontaunealléedansunjardin,s’arrêtadevantlaporterougevif,puissonna,marmonnant

toujoursdanssabarbe.—Tousleshommessontdestocards,déclara-t-elle,tremblantcommeunefeuille,lorsqueJackie

ouvritlaporte.Jackieladévisageapuishurlapar-dessussonépaule:—Dave?Qu’est-cequetuasfoutudanscescocktails?—Pourquoi?—ParcequeBlanche-Neigevientd’arriversurlepasdelaporte.—Ça doit êtreNoël, cria-t-il en retour. Fais-la entrer. J’ai toujours rêvé d’un plan à trois avec

Blanche-Neige.JackiefronçalessourcilsetinvitaSuzieàentrer.Daveétaitdanslesalon,secouantlatêteaurythmedeDeepPurple,visiblementivre.—Blanche-Neige,s’exclama-t-ilentendantlesbras.PapaNoëlareçumalettre,detouteévidence.

Cellequej’aienvoyéequandj’avaisdouzeans.—Laferme,Dave,grondaJackie.Jepensequ’ils’estpasséquelquechose.—Tousleshommessontdestocards,répétaSuzie,ensejetantsurlecanapépoursecacherlatête

danssesmains.Jackies’assitàcôtéd’elleetl’étreignit.—Lesnainst’ontencorejouéuntour,machérie?s’enquit-elle.—Oui,geignitSuzie.J’enaipar-dessuslatêtedecesfichusnains.—Oh,non,intervintDave.Pasdeçadanscettemaison.Tupeuxveniricietcitertouteslesâneries

deChèreSuziequetuveux,maislaissedonclesnainstranquilles.Euxsontdesêtresfiables.Suziesemblaitsurlepointdefondreenlarmes.—Ignore-le, repritJackie,encaressant lebrasdesonamie.Jenesupportepascesfichusnains,

moinonplus.SurtoutDormeur.Typiquementlegenredemecquijouelacartedelafatiguequandilfautsemettreauboulot.Salefainéant.SuzielevadesyeuxreconnaissantsversJackie.Unsourires’ébauchasurseslèvres.

— Quant à Prof, poursuivit Jackie. Il fait semblant de tout savoir, et en fait, c’est du grandn’importequoi.Unvraibaratineur.—Tuasraison,approuvaSuzie.Profestunvraibaratineur.—EtTimide,ehbien,c’estundébileprofonddèsqu’ilestensociété.Impossibledelesortiroù

quecesoit.—Arrêtez,s’écriaDave.C’estfaux.Ildisparutdanslacuisineetrevintavecunlivrepourenfantsusé.—Voyonsvoir,dit-ilenfeuilletantquelquespages.Qu’enest-ild’Atchoum?demanda-t-ilsurun

tonaccusateur.JesupposequevousavezquelquechosecontreAtchoum,pasvrai?—Oh,lui,c’estlepire,réponditJackie.Uncaspermanentdegrippemasculine,celui-là.Rienqui

clochechezlui,ilcherchejusteàattirerconstammentl’attention.Pathétique.Ensuite?Davelesdévisagea,bouchebée.—Simpletn’estqu’unimbécile,repartitSuzie.Ilessaied’êtretoutmignonmaisenfait,ilestjuste

lourd,cequiestextrêmementirritant.—Joyeux ! s’exclamaDave, qui feuilletait l’ouvrage en silence, enquêtedunainqui allait leur

donnertort.Joyeuxn’ariend’untocard.Commentpouvez-vousnepasl’aimer?Illeurcollaundessindupersonnagesouriantsouslenez.—Ilest seulementJoyeux,parcequ’il secontrefoutde toutetde tout lemondeendehorsdesa

petitepersonne,etqu’iln’apaslemoindreennui.Unsaletocardégoïste,déclaraSuzie.Dave,frustré,jetalelivreparterre.—Bon, repritJackie.Tous leshommessontdes tocards,ycompris lesseptnains.Ça t’a faitdu

bien,Blanche-Neige?—Beaucoupdebien,réponditSuzie.Ellesavaitqu’elleavaiteuraisondevenir.Jackiesavaittoujourscommentluiremonterlemoral.—Non,non,non,etnon,jenepeuxpastolérerça,interrompitDave.Iltraversalapiècejusqu’àuntableaunoirpourenfantsposésurunchevalet.Illerapportajusqu’à

l’endroitoùSuzieetJackieétaientassises,etpritunmorceaudecraierose.—Bon,mesdames,commença-t-il.Nousallonsfaireunelistedetousleshommesquinesontpas

destocards.—Pourquoi?!s’écrièrentSuzieetJackieenchœur.—Pour prouver à cetteChère Suzie ici présente que tous les hommes ne sont pas des tocards,

d’accord?JackieetSuzieobservaientDaved’unairdubitatif,tandisqu’ilécrivait«Hommesquinesontpas

destocards»enhautdutableau.—Bon,jesuiscertainqu’ilyaaumoinsunnomquivousvienttoutdesuiteàl’esprit,poursuivit-

il,ensetournantpourlesregarder.Ellesluilancèrentunregardvide.—Moi!s’écria-t-il.Enfin,chérie.Jet’aioffertcetoriginaldeDeepPurple.Jackiejetauncoupd’œilàSuzie,quisecontentadehausserlesépaules.—Continue,reprendslaliste,dit-elle.—Tuestropbonne,vraiment,grommelaDaveenécrivantsonnom.Bonallez,unautre.Jackiemitlatêteenarrièreetplissalesyeux,enpleineconcentration.Lesilencerégnaitjusqu’àce

qu’ellesepenchesubitementenavant.—Barry,s’exclama-t-elle.Ilestpasmal.—Barry,s’exclamaDave.C’estqui,ceBarry?

—BarryObama,biensûr,réponditJackie.—C’estcetypequiareprislatêtedubureau,non?demandaDave.Celuiquitematetoujoursles

seinschaquefoisqu’onentre?Jevaisletuer.—Non,cen’estpaslui.JeparlaisduprésidentdesÉtats-Unis.Ilal’aird’untypebien.—C’estBarack,imbécile,rétorquaDave.BarackObama.—Jesais.JetrouvejustequeBarry,çaluivamieux.DavedévisageaJackie,avantdesoupirerbruyammentetdesetournerpourinscrireM.Obamasur

letableau.— Bien, reprit-il, s’agenouillant pour prendre délicatement les mains de Suzie. Je veux que tu

pensesàunhommequin’estpasuntocardàmettresurcetteliste.Allez,çateferadubien.Lesilencerégnajusqu’àcequeDaveémetteunesuggestion.—Etcetypeduboulotquit’aideavectesvengeances?Ildoitêtrebien.Commentils’appelle?Àsagrandesurprise,Suziesentitleslarmesluimonterauxyeux.Ellelesréprimapourévitertoute

situationembarrassante.—Ilvientdeplaquersafiancéequelquessemainesavantlemariage,ditJackieàDave,ensecouant

tristementlatête.Unvraitocard,hein,Suzie?—Unvrai devrai,marmonna cette dernière.Sais-tu cequ’il a eu le culot demedire ce soir ?

Il m’a dit que je n’avais rien de commun avec Blanche-Neige. Après ce qu’il a fait à Emily. Jen’arrivepasàlecroire.—Laculpabilité,rétorquaJackie.Detouteévidence,ilsedéfoulepoursesentirmieuxàproposde

cequ’ilafait.— Bien sûr que oui, grommela Suzie. Tout ce que j’essayais de faire, c’était de terminer ma

dernièrevengeance,commej’avaisditquejeleferais.Ilm’atellementsoutenuejusqu’ici.Jen’arrivepasàcroirequ’ilaitétéaussiméchantavecmoi.—Tuvoulaisaccomplirtadernièrevengeancependantlafêtedubureau?demandaJackie.Tun’en

asjamaisparlé.—Oui.—Alorsc’étaitqui?—Tutesouviensquandjet’aiparlédupotedeDrew,leDJquiserévélaitavoirunefiancée?—Ohqueoui.Iladitqu’ilt’aimaitetqu’ilallaitlaquitter.—Holà,intervintDaveauboutd’unmoment.Moncerveauneparvientpasàsuivreaveccelui-là.

TuesentraindedirequetuascouchéavecunamideDrewetqu’ilétaitfiancé?—Oui,maisjenelesavaispasaudépart,réponditSuzie.—Tunel’auraispasfaitsituavaisétéaucourant,si?ajoutaJackie.—Attendezuneseconde,répliquaDaveenagitantsondoigt.Deuxpoidsdeuxmesures,mesdames.Ils’interrompit,reculantlégèrementavantdepoursuivre:—Tuesen traindemedirequeChèreSuzie, laChèreSuziequia faitvivreunenferà lagent

masculinecesdernièressemaines,aenréalitétrahisonpropresexe,etacouchéavecl’hommed’uneautrefemme?JackieetSuziedévisageaienttoutesdeuxDaveensilence.— Dave, ne l’interromps pas, s’il te plaît. Suzie nous raconte sa dernière vengeance, rétorqua

Jackie,sedétournantdeluipourfairefaceàsonamie.Jenecomprendspas.Pourquoicetypeétait-ilàtasoiréedeboulot?—C’étaitleDJ.Drewl’aengagépourunebouchéedepain.—Bon,continue.Donne-moitouslesdétailssanglantsdetavengeance,repritJackie,sefrottantles

mainssouslecoupdel’excitation.—Ehbien,Drew etmoi étions sur la piste de danse à la fin de la soirée, parce que c’était son

cadeaudepèreNoëlsecret.—Sonquoi?interrogeaDave.—SonpèreNoëlsecret,répétaSuzie.Daveobservaittouràtourlesdeuxfemmes,attendantuneexplicationquin’arrivaitpas.—Pourquoifaire,pouravoirladernièredanse?demandaJackie.C’estquoi,cedélire?—Non,enfait…,protestaSuzieensecouant la tête,nesaisissant toujourspasenquoiconsistait

vraiment lecadeaudeDrew.Jen’aipasvraimentcompris,pourêtre franche,mais iladitquelquechosequantaufaitdemeredonnerespoir.—Soit,ditJackie,confuseelleaussiàprésent.—Espoir?répétaDave.Qu’est-cequeçapeutbienvouloirdire?Quelqu’unpeutm’expliquerce

qu’elleraconte?—Jen’enaipaslamoindreidée,admitJackie.Qu’est-cequeturacontes,Suzie?Suzieattrapasonsacetensortitl’enveloppedorée,puistenditlacarteàJackie.—Oh, jevois, repritJackieaprès l’avoir lue. Ilaperdusafiancée, ilsesentseul,etc’estNoël,

donc il s’enprendàdes femmesnaïvescomme toi. Jen’arrivepasàcroireque tuaiesacceptédedanseraveclui.—Enfait,jen’aipasdanséaveclui,maislachansondeRickAstleyétaitentraindepasser.—TuveuxdireNeverGonnaGiveYouUp?questionnaJackie.—Oui.—LachansonsurlaquelletuasfricotéavecPatrickpourlapremièrefois?—Oui.Drewadûlademander.Puisilm’aoffertunCinzanodilué.Àprésent,JackieetDavelaregardaienttousdeuxavecunairhébété.—Dis-moi que tu n’as jamais bu de Cinzano, s’exclamaDave à l’intention de Jackie. C’est un

motifdedivorce.Siunjourjetesurprendsà…—Laferme,Dave,grondaJackie.J’essaiederéfléchirlà.Qu’est-cequ’ilafaitd’autre?—Ila justecontinuédebabillersurce trucavecl’espoir.Quelquechosesur lefaitdecroireen

l’amour.Jenesaispas,jen’arrivepasàvraimentmesouvenir.Suzies’enfonçadanslecanapé.— Il a infligé Rick Astley à des gens qui croyaient que, fort heureusement, des décennies les

séparaientdecettenullitésansnom?repritJackie,interloquée.—Ils’estprésentéàunbaretademandéunCinzanodilué?enchaînaDave,totalementhorrifié.Suziehochalatête.—Waouh,futleseulmotqueJackieparvintàarticuler.Dave,enpleineconfusion,seremitàlesdévisagertouràtour.—Maispourquoia-t-ilfaitunechosepareille?finit-ilpardirevoyantqu’aucuned’entreellesne

fournissaitd’explication.—Qu’est-cequetuenpenses?demandaJackie.—Qu’est-ceque j’ensais? IlveutmonterungroupeenhommageàRickAstleyavecelle?Le

Cinzanoestlanouvellebièrebrune?Ilestcomplètementtimbré?—Non,imbécile.Parcequ’ill’aime,bonsang.SuzietournabrusquementlatêtepourdévisagerJackie.—NomdeDieu,soufflaDave.—Non,s’exclamaSuzieense levantd’unbond.Cen’estpasça. Ilessayait justedemeprouver

qu’onpeutfaireuncadeaudeNoëlsecretdécent.C’esttout.Ellesemitàfairelescentpas.—Oh,Suzie, reprit Jackie.Aucunhommesur terrenevaau-devantdepareilsennuis justepour

faireuncadeauacceptable.Ilt’aime.C’estévident.Suzies’arrêtanet,lavéritécommençantàluiapparaître.—Il aditqu’ily avaitquelqu’und’autre,déclara-t-elledoucement.C’estpourçaqu’il a rompu

avec Emily. Oh,monDieu ! s’écria-t-elle, se laissant lentement tomber à genoux, la tête dans lesmains.LeseulsonquirésonnaitdanslapièceàprésentétaitlarespirationsaccadéedeSuzie.—Bon?finitpararticulerDave.—Quoi?demandaJackieavantqueSuzien’aitletempsdeparler.—Qu’est-cequis’estpasséensuite?s’enquit-il.—Jen’aipassaisi,marmonnaSuzie, toujourscachéederrièresesmains. Jenevoyaispasoù il

voulaitenvenir.—Ehbien,çasecomprend,commentaDave.Bientropsubtil,situveuxmonavis.Suzie,prised’unmouvementfrénétique,secouaitlatêtedanstouslessens.—J’aiétédistraiteparToby,reprit-elle.Drewracontaittouscestrucs,etj’essayaisdelefairetaire

pour pouvoir achever ma dernière revanche. Puis Toby est arrivé et tout a commencé à tournerautourdufaitquenousavionscouchéensemble,etc’estlàqueDrewm’aditquejen’avaisriendecommunavecBlanche-Neige…—Bonsang,çanem’étonnepas!s’exclamaDave.ChèreSuzie, lamoralisatrice,acouchéavec

sonmeilleuramiquiétaitfiancé.—Dave!l’interrompitJackie.Jepensequetupassesàcôtédel’essentiellà.L’essentiel,c’estque

DrewestamoureuxdeSuzie.C’estçaquenoustentonsdecomprendre.—Non,faux,rétorquaDave.L’essentiel,c’estqueDrewétaitamoureuxdeSuziejusqu’àcequ’il

découvrequec’étaitunehypocrite.DrewétaittellementamoureuxdeSuziequ’ils’estcomplètementridiculisé endemandantRickAstley et duCinzano lamême soirée, tout çapourdécouvrir qu’elleavaitcouchéavecsonmeilleurami.JackieetSuziedévisagèrentDaveàleurtour.—Oh,maistoutvabien,Suzie,poursuivit-il,enlevantlesmainsenl’air.Tousleshommessont

des tocards,pasvrai?Tu t’encontrefous,hein?Regarde la liste,ajouta-t-ilense retournantetendonnantuncoupsifortdansletableauqu’ilfaillittomberàlarenverse.SeulsmoietlegagnantdecefichuprixNobeldelapaixn’ensommespas.Donctouslesautreshommessontdanslemêmesac,exact?—Exact,souffla-t-elle.—Sauf, reprit Jackieàvoixbasse, toi,M.Obama,etpeut-êtreceluiquiparvientà fairedupère

Noëlsecretl’inventionlaplusstupidedel’histoire,quelquechosequivautlecoupd’êtrevécu.Jenecroispasquecesoituntocard.Àmonavis,ilsepourraitbienquecesoitungénie.

Chapitre25

«Àmonmari.C’estsanssurprisequemacarrièreadécolléquandjet’airencontré,parcequejen’avaisjamaissucequeçafaisaitd’avoirquelqu’underrièremoiauparavant.Doncmerci…»Tonnerred’applaudissements.Photodumariamoureux…Non!Ce matin-là, Suzie en était à son dixième visionnage sur Youtube de l’émouvant hommage de

SandraBullockàsonépoux,pendantsondiscoursauxGoldenGlobeen2010.Puis,ellecliquaunenouvelle fois sur les gros titres qui étaient sortis quelques semaines après à peine, révélant queJesse James était la pire des ordures de la planète. Pour se convaincre que les fins heureusesn’existentpas, il suffisaitde regarder la reinede la comédie romantique,dont la carrière a tournéautourdufaitdemontreràdesmillionsdefemmesque l’amourpeuteffectivement toutconquérir,tomberde trèshaut,desmainsdesonprincecharmant.SiSandraBullocknevitpasheureusepourtoujours,alorsclairement,vivreheureuxpourtoujoursestimpossible.Suzie se leva d’un bond de sa chaise de bureau, et s’agenouilla devant la télé, ouvrant le tiroir

contenanttoussesvieuxDVDdecomédiesàl’eauderose.Pourquoidiableavait-ellegardétoutça?Cen’étaientquedesramassisd’inepties,sanslamoindrevéracité.—Vousavezunmessage,marmonna-t-elledanssabarbe,enanalysantlaphotodelajaquette.Ila

détruit toncommerce, lança-t-elleàuneMegRyan transied’amour, lesyeuxplongésdansceuxdeTomHanks.Cen’estpasunhommebien,idiote.Qu’est-cequetucroisêtreentraindefaire?Elle jeta leboîtieroffensantdanslacorbeilleàpapierdanslecoindelapièce, lafaisant tomber

aupassage.—Quantàtoi,JuliaRoberts…,dit-elleàlaphotodel’actriceàmoitiénue,surlacouverturedu

boîtierusédePrettyWoman.Ilpaiepourdesprostituées,imbécile.Riendebonnepeutjamaisvenird’unhommequipaiepourdusexe.Vousêtesvouésàl’échec.Elleattrapal’étuisuivant.—«Tum’aseuesurtonbonsoir»,s’écria-t-elle.Tutefichesdemoi,Renée?Unhommetedit

«bonsoir»,ettoutestoublié?Loind’êtresuffisant,mêmes’ils’agitdeTomCruise,ajouta-t-elleenlançantlacopiedeJerryMaguirepar-dessussonépaule.Ellefutcoupéedanssonélanlorsqu’ellerepérasonfilmpréféréentretous.Elleobserval’image

deMegRyanetBillyCrystalsebaladantdansCentralParkenpleinautomne,surlajaquettedeQuandHarryrencontreSally.—«Etj’adorequetusoisladernièrepersonneàquij’aienviedeparleravantdememettreaulit,

murmuraSuziedanssabarbe.Etcen’estpasparcequejesuisseul.Etquec’estlaSaint-Sylvestre.Sijesuislàmoicesoir,c’estparcequequandonserendcomptequ’onveutpasserlerestedesavieavecunefemme,fautpastraînerlespieds,fautselanceraussitôtquepossible.»Despenséesindésirablesluitraversèrentl’esprit.Ellecriadefrustration.Voilàcequiarrive,sedit-

elle,furieuse.Àpeinequelquesheuresplustôt,elleétaitausommet.Sacarrièredécollaitenfin,lesfemmes qu’elle aidait avec leurs problèmes d’hommes l’adulaient : elle n’aurait pu être plusheureuse.Etvoilàqu’elleseretrouvaitundimanchematingrisetfroid,autrente-sixièmedessous,et

ôsurprise,c’étaitàcaused’unhomme.Elle se leva et se rassit devant son ordinateur.Après quelques clics et un peu de lecture, elle se

sentait mieux. Pourquoi n’avait-elle pas pensé à ça plus tôt ? Un seul regard à la rubrique«ChèreSuzie » sur le site duManchesterHerald avait réduit à néant tous les doutes qu’elle avaitdepuislesrévélationsdelaveilleausoir.Tandis qu’elle faisait défiler les e-mails reçus, et parcourait le forum qu’elle avait créé pour

permettreauxfemmesdediscuterdeleursennuisavecleshommes,ellesetrouvaconfortéedanssonidéequelefaitdetomberamoureuxnepouvaitdonnerlieuqu’àduchagrin.Elle continua à lire, sentant la douleur profondément enfouie quelque part dans sa poitrine

décroître alors qu’elle survolait les récits d’infortune qui arrivaient par vagues. Histoire aprèshistoire,deshommesconvoitésdepuissilongtempsserévélaientêtred’amèresdéceptions.Chaque clic sur la souris la calmait un peu plus, jusqu’à ce qu’elle fût contrainte de s’arrêter

brutalementetderelireunproblèmeenvoyéparquelqu’unsignantsouslenomdeLeVraiJayKay.

Le Vrai Jay Kay – J’ai besoin de savoir comment aider mon amie. Elle est tellementremontéecontre leshommesque j’aiétéobligéd’enlever tous lescouteauxdecuisinedechezelle,aucasoùellesedécideraitàcouperdespénisàtout-va.Ilapparaîtqu’undesescourageux collègues est tombé amoureux d’elle, après avoir récemment rompu avec safiancée, quelques semaines à peine avant lemariage.Que dois-je faire ? Lui rendre sescouteaux,ouluioffrirunplumeaudépoussiérantpoursonvagin?

Suzie était scandalisée. Elle allait tuer Jackie. Qu’est-ce qu’elle s’imaginait, en postant ses

problèmes sur le forum ? Aumoins, elle pouvait compter sur ses abonnés pour la soutenir. Ellecontinuaàlirepourvoirquelscommentairesavaientétéajoutés.

LaplaquéedeDidsbury–Unhommequidemandeàune femmede l’épouser,puisprendpeur, est un lâche pathétique. Ne faites pas confiance à cet homme. Optez pour lescouteaux,etenfermezlesplumeauxàdoubletour.

—Merci,ditSuzieàl’écran.Lemondecommençaitàluiparaîtreunpeuplussensé.Ellepoursuivitsalecture.

L’échangiste branchée de Salford – Il se sent seul. Il craint d’avoir fait une erreur enannulantsonmariage,etilveutquevotreamieluichangelesidées.Dites-luides’enservirpour le sexe et joignez-vous aux festivités ! Nous avons des plumeaux, en plumesvéritables!

Beurk,songeaSuzieenfrissonnant.

La loi, c’estmoi–Mon fiancévientd’annulernotremariage. Jeme suis ramenéeà sonbureau dansma robe demariée, pour lui montrer ce qu’il avait jeté aux orties. Il étaitcomplètement humilié, j’ai eu l’impression d’être le maître du monde. Quel que soit leconseilquevousdonneChèreSuzie,suivez-le,vousneleregretterezpas.

Suzies’écartabrusquementdel’écran.Emily?Quefaisait-ellesursonforum?Sansdouteavait-

elle bien plus important à faire, comme faire divorcer des femmes, ou un truc dans le genre. Enregardantendessous,elles’aperçutqueJackieavaitmisunnouveaupost.Bonsang,quemijotait-ellemaintenant?

Le Vrai Jay Kay – Quelques commentaires pertinents, mesdames. Toutefois, j’ai lesentimentdedevoirentrerdanslesdétails.Cetypeaplaquésafiancéeavantdetenterquoiquecesoitavecmonamie.Doncilnes’estpascomportéenlâche,cequi,d’aprèsmoi,estréglo.Parlasuite, ilafait lachoselaplusromantiquedontj’aiejamaisentenduparler.(Jedoisavouerquejenesuispasvraimentdugenrefleurbleue.Monex-marim’aoffertunénormebouquetd’œilletsunjour,etjedétestecesfleurs.Pourlapeine,j’aiutilisésonsacdegolfcommevase.)Donccetypearecréél’instantoùmonamieareçusontoutpremierbaiser, quand elle était adolescente, dans une boîte de nuit. Jusqu’à la musique et auxboissonspourries.Etilafaitçaparcequ’elleluiaracontéunjourquec’étaitlemomentleplus heureux de son existence. Quand elle avait encore espoir de vivre heureuse pourtoujours.Iladitqu’ilvoulaitluiredonnerespoir.

Suzieavait lesyeuxrivéssur l’écran.Iln’yavaitpasderéponsessous ledernierpostdeJackie.

Elledevaitsuivreladiscussionentempsréelàcetinstant.—Allez,mesdames,marmonna-t-elle.Mièvre,hein?Vraimentdésespérédes’envoyerenl’air?

Mauvaisperdant?Allez,Emily,envoie-leaudiable.Une éternité lui parut s’écouler tandis qu’elle attendait leur verdict. Enfin, des réponses

commencèrentàapparaître.

LaplaquéedeDidsbury–Sielleneveutpasdelui,jepeuxavoirsonnuméro?L’échangistebranchéedeSalword–Sijel’avais,j’arrêteraisl’échangisme.Laloi,c’estmoi–Monfiancén’ajamaisfaitquoiquecesoitdesemblablepourmoi.Siunjourjetrouvequelqu’und’autre,j’espèrequ’ilm’aimeraautantquecethommedoitaimervotreamie.

Suzieregardal’écran,bouchebée.Qu’est-cequ’elless’imaginaienttoutes?Avaient-ellesretenuquoiquecesoitdesarubriquedurant

ces dernières semaines ?N’avaient-elles pas conscience que l’amour débutait toujours comme ça,pleindegrandsgestes et depromesses à foison?Necomprenaient-ellespas encorequebien tropvite,ças’évaporeetqu’onresteavecunedéceptioncuisante?Ignoraient-ellesquec’étaittotalementinévitable,mêmeavecunhommecommeDrew?Unhommesurquiellecomptaittantcesdernierstemps.Quiavaitétélapremièrepersonneàsesouciersuffisammentd’ellepourluidiredeserebellercontre leshommes.Qui luiavait tenucediscourscrucial,àsavoirqu’ilcroyaitenelle,quandelleavaitbienfailliperdretouteconfianceavecAlex,puisavecPatrickaustade.Ladéceptionnepouvaitêtre évitée. Même avec Drew, qui était allé jusqu’à lui prêter sa chemise pour s’assurer qu’elletriomphe. La chemise bleu poudre qui allait si bien avec ses yeux, chemise que, pour une raisonobscure,elleavaitomisde lui rendre,préférant lasuspendredanssonplacardsans la laver.MêmeavecDrew,quiluiavaitserrélamainsifortaprèssaruptureavecEmily,qu’elleavaitl’impressionque l’empreinte de ses doigts était restée gravée, créant au passage rougeurs et sensation depicotement. Même avec Drew, dont l’absence au bureau la semaine précédente l’avait laissée sidémuniequ’elleenétaitvenueàparlertouteseule,chaquefoisqu’ellepensaitàquelquechosequ’il

auraitaiméentendre.MêmeavecDrew.Ousepourrait-ilquecesoitsaufavecDrew?Confuse,elleselevaetmontachercherlachemisebleupoudre.Ellelarapportaenbas,etsemiten

quêtede lacartedepèreNoël secret,qu’elleavait jetéedans lapoubellede lacuisine.La trouvantsousunsachetdethéusagé,elles’assitàsonordinateur,tenantdanssesmainslachemisedeDrew,etlecadeauqu’illuiavaitfait.—«Soissurlapistededansesouslabouleàfacettesàminuitpourtalivraisonspécialedupère

Noëlsecret»,lut-elleàvoixhaute,laissantcourirsesdoigtssurlesmots.ElleposalacarteetfitunerechercheGooglepourtrouverl’hôteloùilssetrouvaientlaveilleau

soir.IlneluifallutpaslongtempspourouvrirsonsiteInternetetdesphotosdelagrandesalledebalvolontairement flatteuses. Soudain, son cœur battit la chamade, lorsqu’elle inspecta la pièce parordinateurinterposé.Iln’yavaitpasdebouleàfacettesdanslagrandesalledebal.Elleattrapasontéléphone,bafouillantententantdetrouverunnumérodecontact.—MajesticHotel.Puis-jevousaider?réponditunevoixaprèsbientropdesonneriesàsongoût.—Est-cequevousavezunebouleàfacettesdansvotresalledebal?cracha-t-elle.—Jevousdemandepardon?—Avez-vousunebouleàfacettesdansvotresalledebal?répéta-t-ellesuruntonpressant.Cettefemmenecomprenait-elledoncpasàquelpointcetteinformationétaitcapitale?—Euh,non,madame,enrèglegénérale,mêmesiunmonsieurenafaitinstallerunehiersoirpour

uneoccasionspéciale,doncc’estpossible,sivoussouhaitezquenousallionsvérifierpourvous?Suzien’entenditpasladernièrepartiedelaréponseparcequ’elleavaitdéjàposélecombiné.Ou

plutôt,elleavaitlaissétomberletéléphoneparterre,avaitenfouisatêtedanslachemisedeDrew,etavaitsanglotéjusqu’àcequ’ellen’aitplusdelarmesàverser.

Chapitre26

C’étaitlelundi22décembre,etelleportaitsarobepréféréesanscollants,ainsiquedestalonsdequinzecentimètres.Elleavaithésitépourlescollantspendantunebonneheurecematin-là,essayantlarobeavecetsansàplusieursreprises,avantdedécréterfinalementqu’elleluiallaitmieuxsans.Elleremarquaàpeinequ’ellenesentaitdéjàplussesorteilsenpoussantlaporteduManchesterHerald.La seule chose dont elle avait conscience ce matin-là, étaient ses émotions à fleur de peau, sanervositéétanttellequ’elleavait l’impressiond’avoirenchaînélescafésdurantlesdouzedernièresheures. Le fait qu’elle ait effectivement enchaîné les cafés durant les douze dernières heures luidonnaitlasensationdevivreuneexpérienceendehorsdesoncorps,tandisqu’ellesevoyaitmonterlentementl’escalierquimenaitaupremierétage,oùsetrouvaitsonbureau,àcôtédeceluideDrew.Une fois enhautde l’escalier, elle s’immobilisa, lissa lesplisde sa robe, se frotta les lèvrespours’assurerunecouchederougeàlèvresimpeccable,puisarboraunlargesouriresursonvisage.Dèsqu’ellepassaàcôtédeClare,pourallerprendreuncafédans lacuisine,elleperçutdéjàun

premier signe indiquant que la matinée s’annonçait périlleuse. Elle s’arrêta pour lui demandercommentallaitsonpetitamiaprèslasoirée,maisfutaccueillieparuncoupd’œilglacial,suivid’unregard appuyé sur le sol, la jeune femme évitant tout contact visuel. Une fois sa surprise initialepassée,Suziesedirigeaverssonbureau,déterminéeàseconcentrersursatâcheclédelajournée.Elle garda les yeux rivés sur le sol durant le reste du trajet, refusant de laisser une quelconque

distractioninterférerdanssonesprittandisqu’elles’approchaitdeDrew.Enfin,elleaperçutlavisionaccueillantedesacorbeilleàpapier,ets’autorisaàleverleregard,toutenrépétantmentalementsespremiersmots,minutieusementpensés.— Drew, je suis tellement navrée, je…, lâcha-t-elle avant de remarquer que le fauteuil du

journalisteétaitvide.Sansdouteétait-ilpartichercherducafé.Ellesoupiradesoulagement. Ilétaitgrand tempsdese

ressaisir.Aprèsavoirenlevésonmanteau,elles’assitettapotanerveusementsurlebureau.Etmaintenant?

Elleétait troptenduepoursemettreautravail.Il luifallaitréglercettehistoireavantdepouvoirseconcentrersurquoiquecesoit.Elleinspectasonbureau,espérantytrouverunequelconqueformededistraction, mais le désordre habituel qui réclamait son attention de toute urgence ne faisaitqu’accroître son impatience de voir Drew. Elle observa la table de travail de son collègue ets’interrogea sur les qualités d’organisation de celui-ci, et sa capacité à semontrer si soigné. Elleafficha un sourire attendri, comme elle l’avait fait ces vingt-quatre dernières heures chaque foisqu’ellepensaitàlui.Vingt-quatreheuresàattendrecetinstant–leseuldanstoutecomédieromantiqueoùlecoupletombeamoureux.Aucoursdesaréflexion,elleavaiteuprofondémentmalaucœur,enprenantconsciencequ’elle

espéraitplusquetoutêtreMegRyan,ausommetdel’EmpireStateBuilding,quandTomHanksarrivepourqu’ilscommencentleurvieensemble.Ellepritconsciencepourlapremièrefoisque,quoiqueenchantée de rendre lamonnaie de leur pièce aux hommes qui lui avaient brisé le cœur, et ravied’aidersessemblablesàpanserleursblessures,jamais,augrandjamais,elleneparviendraitàrendreunefemmeaussiheureusequeça.Maissurtout,quandelleavaitregardécesfilms,elleavaitcompris

qu’aucundeceshérosn’arrivaitàlachevilledeDrew.Aucund’entreeuxneriaitautantàsesblagues,aucund’entreeuxnecroyaitautantenelle,aucund’entreeuxn’étaitsonroc,aucund’entreeuxnelacomplétait–etn’importequelautreclichéquiexistedanslemondedel’amour.Clichéssi irritantsavantqu’ontombeamoureuxetqu’ilsnedeviennentnosclichés.Bien entendu, enprenant consciencequeDrew lui avait redonné espoir, elle avait aussi compris

qu’elleavaitelle-mêmegâchésonhappyend.Passeulementgâché,d’ailleurs,maismêmeanéantidelapirefaçonquisoit.Elleavaitpasséunlongmomentàpleurnicher,croyantquesavieétaitterminée.Au fonddugouffre, elle s’était retrouvéeà regarderune foisencore l’imagedeSandraBullockàl’écrandansL’amouràtoutprix,alorsqu’ellesetenaitdevantl’autelàépouserlemauvaisfrère.Cefutàcetinstantprécisquelabêtisedontelle-mêmefaisaitpreuvelafrappa,etquel’espoirpointadenouveau le bout de son nez.Les fins heureuses n’arrivaient pas comme ça. Il y avait toujours unefaussenote,quelquechosequiforçaitàsebattreencoreplusfortpouraccomplirsondestin.Aprèstout,queseraitunhappyendsanslasouffranceàendurerenguisedeprélude?Griséepartoutescescomédiesà l’eaude rose,elleavaitcomprisqueson indifférence faceà ladéclarationd’amourdeDrewn’incarnaitquel’obstaclequ’elledevaitsurmonterpourobtenircequ’elledésiraitvraiment.—Merci,Sandra,avait-ellemurmuré.Mercidemel’avoirrappelé.Ensuite,elleétaitrestéedebouttoutelanuitpourpréparersondiscours,satenue,toutlenécessaire

pourle lendemainmatin,quandelleseraitenfinenmesuredeseréconcilieravecDrewetdevivreheureusepourtoujours.ToujourspasdeDrew.Faireducafénepouvaitpas luiprendreautantde tempsqueça.Peut-être

était-ilpartieninterview,cequiseraitunvéritabledésastre.Elleavaittantplanifiécemoment,quelemoindreécueilétait sourcedecontrariétémajeure.Ellesepenchapourvoirsisonordinateurétaitalluméafindejeterunœilàsonagenda.Rienneseproduisitlorsqu’ellebougealasouris.Rien,sicen’est le fait qu’elle remarquaque sa tassedeManchesterCity, contenant son stylo et son crayon àpapier revêtant eux aussi l’emblème de l’équipe, n’était pas perchée au sommet de son disque durcommed’habitude.Étrange,parcequepersonnen’étaitautoriséàtouchercepetitsanctuaire.Soudain, samainvola jusqu’à sabouche.Elle se levasiprestementqueson fauteuil se renversa

derrièreelle.ElleouvritletiroirduhautdubureaudeDrew.Vide.Sonétagèreenhauteur.Vide.Sonautre tiroir, généralement fermé à clé de peur que Suzie ne vole sa réserve secrète de chocolats.Désespérémentvide.Leschocolatsavaientdisparu.Autrementdit,Drewavaitdisparu,luiaussi.Non,celanepouvaitpasarriver.Oùdiableétait-il?Qu’est-cequis’étaitpassé?Aussi vite que possible sur ses talons de quinze centimètres, elle grimpa les deux étages et

parcourutlelongcouloirmenantàlaportedurédacteurenchef.ElleétaitferméemaisSuzienepritpaslapeinedes’arrêterpourfrapper,secontentantd’ouvrirlaporteàlavoléeetdetrébucherdanslebureau,àboutdesouffleetenboitant.—Oùest-il?haleta-t-elleens’efforçantdereprendresonsouffle.—Suzie!s’exclamaGareth,visiblementfurieux.Tun’asaucundroitdefaireirruptionici.—Oùest-il?répéta-t-elle.—Jen’aiaucuneidéedequituparles,maismaintenantquetueslà,jevoudraistediredeuxmots.—Oùest-il?répéta-t-elleencore,suruntonplusdésespéré.—Laferme,etassieds-toi,ordonnaGareth,ayanteffectivementl’airfurieux.Elles’effondradansunechaiseettentaderecouvrersonsouffle.—Quandest-cequetucomptaism’enparler?demanda-t-il.—Teparlerdequoi?—DufaitqueleMirrort’aoffertdutravail.

Le Mirror ? Du travail ? Elle était incapable de penser à ça maintenant, elle avait bien plusimportantentête.—Jen’arrivepasàlecroire,Suzie.Jet’aioffertunefantastiqueoccasioniciavec«ChèreSuzie»,

ettuvastoutmebalancerenpleinepoireetpartirtravaillerpourlaconcurrence.Uneminute,songea-t-elleenintégrantlesproposdeGareth.«ChèreSuzie»étaitsonidéeàelle,et

leManchesterHeraldfaisaitdifficilementdelaconcurrenceàuntabloïdenational.Elleouvritlabouchepoursedéfendre,maistoutcequiensortitfutuneénièmequestionquantàla

disparitiondesoncollègue.—Drew?demanda-t-il,écoutantenfinsarequêtedésespérée.TuveuxsavoiroùestDrew?ajouta-

t-ilavantd’éclaterderire.Ilestparti,machèreSuzie.Etaprèslafaçondonttul’astraitésamedi,çanem’étonnepas.—Partioù?interrogea-t-elle,anéantieàprésent,ensentantsonavenirluifilerentrelesdoigts.—Jen’enaipaslamoindreidée.Iladitqu’ilavaitbesoindes’éloigner.S’éloignerdetoi,sans

aucundoute.Ilselevaetcroisalesbras,sedélectantdel’angoissequ’elleéprouvait.Leslarmescommencèrentàcouler.Deslarmesd’épuisementetdeprofondedéception.Enfin,Garethseradoucitsuffisammentpourluitendreunmouchoir.—Est-cequ’ilvarevenir?parvint-elleàbredouillerenreniflant.—Pas sûr, réponditGareth. Il aditqu’il appellerait après lenouvelan.Doncmercià toi, chère

Suzie,ondiraitbienquej’aiaussiperdumonmeilleurreporter.Elleenfouitsatêtedanssonmouchoir,incapabledecroisersonregard.Lapiècerestasilencieuse

quelques instants, tandis que Suzie s’asseyait pour digérer la nouvelle, avec l’horrible impressionqu’onl’avaitpoignardéeenpleincœuravecunelameémoussée.Maisalors,Garethrepritlaparoleetenfonçalecouteaudanslaplaie.—Jevaisimprimerl’histoire,annonça-t-il.—Quellehistoire?—CellequiracontequeChèreSuzien’estpaslaguerrièrequ’elleaprétenduêtre.Commentellea

volé le fiancé d’une autre femme, et brisé l’homme le plus doux et le plus romantique aumonde.J’imprimeraicettehistoiresituparstravaillerpourleMirror,etensuite,«ChèreSuzie»neseraplus,parcequeplusjamaisaucunefemmeneteferaconfiance.Suzie reprit son souffle. Comment pouvait-il lui faire une chose pareille ? Comment pouvait-il

faireçaàDrew?—Tuesdiabolique,murmura-t-elle.—Jepensequetuconcéderasquetun’espasblanchecommeneige,toinonplus,rétorqua-t-ilavec

unsouriresuffisant.Elle le foudroya du regard. Elle avait commencé cette journée si pleine d’espoir, et voilà qu’à

présent,Drewétaitpartietquesonpatronlamenaçaitdedétruiresacarrière.

Chapitre27

— Et si je reste ? demanda-t-elle, en refaisant irruption dans le bureau de Gareth une heureplustard.Lamenacedesonpatronetl’annoncedeladisparitiondeDrewluiavaientdonnél’impressionque

son cœur était pris dans un étau, et elle s’était mise à faire de l’hyperventilation. Gareth avaitcalmementappelélessecours,etDianeétaitarrivéeàlarescousse,sacenpapieràlamain,etl’avaitemmenéeàlacantine,Suziehaletantpéniblemententredeuxboufféespourreprendredel’air.TroissacsetuneflasquedewhiskyqueDigardaitpour lescasd’urgenceplus tard,elle recommençaitàrespirernormalement.Assiselà,hébétée,tandisqueDibabillaitsurlespeeddatingréservéauxplusde cinquante ans où elle s’était rendue la semaine précédente, Suzie avait senti un sentiment dedéterminationl’emportersurlapanique.Suzies’étaitérigéeelle-mêmeenhéroïneromantique,etellenepouvait laisserni ladisparitiondesonpremierrôlemasculin,ni lesmenacesdugrandméchantrédacteurenchefluibarrerlaroute.Elleauraitsondénouementheureux,mêmesiçadevaitlatuer.—Rectodujournal,pleinepage,photoavecsignature,réponditGarethsanssourcillerlorsqu’elle

débouladanssonbureaupourlasecondefois.—Pleinspouvoirssurlecontrôleéditorial,aboya-t-elleenretour.—Ouais,ouais,peuimporte,rétorqua-t-ilenfaisantunsignedemaindédaigneux.—Qu’il s’agisse du contenu, ou du délai, sinon jem’en vais, ajouta-t-elle en se tournant pour

partir.—Tul’as,répliquaGarethd’unairsuffisant.Tuneleregretteraspas,cria-t-ilderrièreelleaprès

qu’ellefutrepartieentrombedanslecouloir.—Moinon,toipeut-être,marmonna-t-elledanssabarbetoutendescendantl’escalierencourant

pourcommenceràtravaillersursarubriquesur-le-champ.Ellen’avaitpasunesecondeàperdre.

Chapitre28

—Horsdequestionquej’imprimecetorchon,déclaraGarethlelendemain,enécrasantlacopiedesadernièrerubriquesursonbureau.—Cen’estpasuntorchon,rétorquaSuziesuruntondedéfi.—Non,tuasraison.Cesontdesfoutaisespathétiques.Oùestlacolère?Oùestlaméchanceté?Où

estlavéritétoutenue?Iltapaitdupoingsurlatableàlafindechacunedesesphrases.—C’estcequelesfemmesveulentvraiment,réponditcalmementSuzie.—Jem’enfousdecequelesfemmesveulentvraiment,répliquaGareth,virantaurouge.Jeveux

queChèreSuzierevienne,donctuferaismieuxdetemettreàécriretoutdesuite.—Ne pas se foutre de ce que les femmes veulent vraiment est ce qui a fait le succès de cette

rubriqueaudépart.Maintenant,jeteledis,c’estçaquelesfemmesveulentréellement.—Donctuaschangéd’avissurcequecesdamesveulent,c’estçaquetuesentraindemedire?—Précisément.—Foutuesbonnesfemmes!s’écriaGarethenseprenantlatêtedanslesmains.—Etj’aimeraisfaireremarquerquemonnouveaucontratmedonnelespleinspouvoirsentermes

decontenuéditorial, ajoutaSuzie, lui indiquantoùcetteclauseenparticulieravait été surlignéeenrose.—Lespleinspouvoirspourtemontreraussivicieusequeparlepassé,paspoursoumettrecetissu

d’âneries,rétorqua-t-il.—Gareth,reprit-elleposément,cetterubriqueauraunaccueildesplusfavorables,crois-moi.Ça

vamarcher.—Ilvaudraitmieux,ou tonboulotvaêtre sur la sellette, jeune fille, répliqua-t-il en s’éloignant

d’unairassuré.SuzieserassitetramassalesfeuillesdepapierqueGarethavaitjetéessurlebureau.Ensemordant

lalèvre,ellerelutsonarticlepourlaénièmefois.Effectivement, ilvalaitmieuxqueçamarche,outoutseraitsurlasellette.

Chèreslectrices,J’aimerais terminer cette année en vous présentant mes vœux pour les fêtes de Noël,sachantquec’estunesaisontoutbonnementfollequandonenvientauxaffairesdecœur.Chercher l’amour ressemble beaucoup à Noël. Une montée en puissance sans fin, etd’énormesattentesquimènentinévitablementàunedéception.Etpourtant,chaquefois,ons’attendàcequeçasoitdifférent.Chaquefois,onespèrequ’ils’agiradeceluiquidonnevieaucontedeféesetonenrêve.Pour cette raison, j’ai décidé qu’il n’y aura plus de « Chère Suzie » comme vous laconnaissez.Pourquoi ?Parce que la dernière chose que je vous souhaite, c’est de cesser d’attendreNoëlavecimpatience.Sicelaarrive,alorsvousaurezperdutoutespoirdevivrelesjoies

quelaviepeutapporter.Jenesaispascequ’ilenestpourvous,maisjen’auraisaucuneenviedepasserdutempsavecunepersonnepareille.Et j’en suis venue à prendre conscience que je ne veux pas que vous cessiez d’attendrel’amouravecimpatience.«ChèreSuzie»estdevenuetellementconcentréesurlecalvairedesamoursdéçues,etsurlafaçonderemportercettebataille,qu’elleenaoubliélaraisonfondamentalepourlaquellevousaveztoutesécritceslettresdouloureusesaudépart.Parce que vous savez toutes que le plus grand bonheur que l’on puisse connaître estd’aimer,etde l’êtreenretour,etque lapoursuite incessantedecebonheurestnotrebutpremierdansl’existence.Doncàl’avenir,cetterubriqueseconcentrerasurlafaçondetrouverl’amourvéritable,etnonsurlemeilleurmoyendes’enprendreàquelqu’unquiaéchouéàvousaimerenretour.Sisatisfaisantequelarevanchepuisseêtre,ellenevousrendrajamaisaussiheureusequedetrouverquelqu’unàaimeretquivousaime.Aprèstout,ilexisteunmilliondechansonsd’amour,maispresqueaucuneneparledevengeance.Jemerendscomptequel’annonced’unetellenouvellepourraitbienvousfairepaniquer,vuquevousmettreenquêtedel’amourpassepardessouffrancesetdesdéceptions.Doncvoilàmonpremierconseilpourvousaideràendurercettesouffranceinévitable.Suivezseulementcetterèglebasique.Cherchez votre reflet.Regardezdans les yeuxdevotre compagnonet voyez cequ’il voit.Honnêtementetprofondément.Sivousvousvoyezd’unefaçondontvousavezenvied’êtrevue,d’unefaçonquivousfaitparaîtreàvotreavantage,alorsvoussavezquevousêtesàvotreplace.Voustenezlesbasesd’unerelationheureuse.Enrevanche,silerefletquevousvoyezestpeuflatteur,sivoussavezaufonddevotrecœurquevotrebien-aiménevousvoitpascommevousvoulezêtrevue,alorsfuyez.Fuyezavantqu’il ne vous fasse vivre une véritable torture, parce qu’il le fera, c’est une certitude.Laissez-le être le premier à savoir qu’il n’en vaut juste pas la peine, avant d’avoir àrecouriràunequelconqueformedevengeance.Pourquoiperdrevotretemps?Allezdonccherchervotremeilleurrefletailleurs.

JoyeuxNoël,Suzie

Suziedéglutitavantdecontinuerà lire.Elleavaitécrituneautre lettrepour l’éditionspécialede

Noël,etc’étaitcellequicomptaitvraiment.C’étaitrisqué,elleenétaitconsciente,maisellenesavaitpasquoifaired’autre.

Àquidedroit,J’aivumonreflet.Pendantuncourtinstant,danstesyeux,surlapistededanse,endessousdelabouleàfacettes.Etlaminuted’après,ilavaitdisparu.Chasséparmabêtise,parmonégoïsme,etparmavanité.Jeferaisn’importequoipourrevoircereflet.Jesaisquetun’espasunhommesusceptibledemedécevoir.Plutôtl’opposé.Toutcequetuasfait,c’estdemedonnerconfianceenmoietdem’aideràrecouvrermonestime,tandisquetoutcequej’aifait,moi,c’estd’êtreuneamère déception pour toi. Exactement ce que j’ai reproché à tous les hommes sur cetteplanète.

Jemerendscompteaujourd’huiquenous sommes toushumainsetquenous faisons tousdes erreurs. Peut-être que certaines erreurs méritent d’être punies, mais maintenant, jeprendsconsciencequetoutlemondemériteunechanced’arrangerleschoses.Etjeveuxarrangerleschosesavectoi.Parcequej’aibesoinderevoircereflet.Etj’aibesoinquetuvoiestonrefletdansmesyeux,parcequesituveuxmonavis,ilestàcouperlesouffle.Je t’en prie, donne-moi une chance de me rattraper. Par pitié, reviens. Je veux vivreheureusepourtoujours,etjeveuxlefaireavectoi,toutcommeHarryetSally.Tusaurasoùmetrouver.

Suzie

Chapitre29

Réveillondunouvelan,20heures.Jackieversaunebouteilled’ouzodanslesaladierposédevantelle.—Quandes-tupartieenGrècepourladernièrefois?demandaSuzie.—Avectoi,imbécile,réponditsonamie.Souviens-toi,pourcélébrermondivorce.Onasurvécu

grâceàcetruc.—Maisçadoitfairepresquedixans.—Ouais.—Çanevapasavoirmauvaisgoût?—Sûrement.Maiscommentfaireautrementpoursedébarrasserdesimmondicesqu’onrapporte

devacances?J’aidulimoncelloàajouter.Çamasqueralegoût.—Jepensequejevaisenresterauvin,ditSuzieengrimaçant.—Tunedevraispaséviterdeboire?Tunevoudraispasêtreivrequandilarrivera,si?—Quandquiarrivera?s’enquitDave,enplongeantungobeletenplastiquedanslecocktailfatal

deJackie.—Drew,réponditJackie,enattrapantlabièreaugingembre.Daves’arrêtaàmi-gorgée.— Le type dont tu as couché avec le meilleur ami ? questionna-t-il, complètement éberlué. Je

n’arrivepasàcroirequ’ilteparleencore.—Ilnelefaitpaspourl’instant,fitremarquerSuzie.—Maistul’asinvitécesoir?lapressaDave.—Pasexactement,repartitSuzie,visiblementembarrassée.Davebutd’unetraitesonverre, toussa,puiss’agrippaaubordducomptoirdelacuisinecomme

pourgarderl’équilibre.— Alors dis-moi, Chère Suzie, comment sait-il qu’il doit venir si tu ne lui as pas exactement

demandé?—Jeluiaiécritunelettre.—Ettul’asinvitédanscettelettre?Suzieattrapaungobelet,leplongeadanslepunch,puislevidad’untrait.—Non,j’aijustefaitunsous-entendu,expliqua-t-elleenregardantDaveavecunairdedéfi.—Tuasfaitunsous-entendu?—Oui.—Pourrais-tum’expliquer,jeteprie,commenttuassous-entendud’inviterquelqu’unàunefêtede

nouvelan?—J’aiditquejevoulaisvivreheureusepourtoujours,commedanslefilmQuandHarryrencontre

Sally.—Etenquoiest-ceunedemandepourqu’ilvienneàlafêtedecesoir?interrogeaDave,lesyeux

écarquillés.— Oh, Dave, pour l’amour du ciel, n’as-tu pas une once de romantisme dans tout le corps ?

intervintJackie,visiblement frustrée.Tout lemondesaitqueHarryetSallysemettentensembleaunouvelan.DavedévisageaJackieaveclessourcilsfroncés.—Ilnesaisirapasl’allusion,finit-ilpardire.C’estlegenredetrucdontvous,lesfemmes,vous

rêvez pour obtenir ce que vous voulez, puis vous êtes contrariées quand ça n’arrive pas.C’est unhomme.Ilnecomprendrapas.—Tuas raison, réponditcalmementSuzie.C’estunhomme.Unhommequi s’estdonnédumal

pourmeredonnerespoirenrecréantmesannéesd’adolescente.Ilainstalléunebouleàfacettes,ilafait passer RickAstley et bu duCinzano coupé à la limonade, ajouta-t-elle, au bord des larmes àprésent.S’ilveutsaisirl’allusion,illefera.Ellepritunverredepunchetsedirigeaverslaportemenantaujardinpoursecalmer.

21heures.Suzie s’efforçait de ne pas lever les yeux chaque fois qu’on poussait la porte, mais c’était

impossible.ChaquefoisquerésonnaitlecarillondeRudolph,lerenneaunezrouge,surlasonnettequeDaveavait installéepourlasaison,soncœurluiremontaitdanslabouche.Maischaquefois, ilretombaitdans seschaussonsargentés,dèsqu’uneautre fournéedesproches, amiset collèguesdeJackieetDavearrivait.Elleavaitaussiprisconscience,enexaminantlenombrecroissantdeconvives,qued’unefaçonou

d’uneautre,durantl’annéeprécédente,elleavaitpasséuncap.Unanplustôt,leréveillondunouvelanauquelelleavaitassistéétaitunesoiréeréservéeauxadultes.Costard-cravatedemise,ungroupedemusiciens,etdesballonsnoiretargentédebongoût.Cetteannée,elleavaitatterridansunasiledefous.Lesbambinss’évertuaientàluifairedescroche-pieds,toutenpourchassantdesballonsBoblebricoleurdans tous lescoinsdusalon.Lesparentssefâchaientcontre leursadolescentsen traindeboireendouce.Enrevenantdelasalledebainsàl’étage,elleavaitaperçuungarçonetunefillequijouaientàfrotti-frottasouslesmanteaux,surlelitdeJackie.Elleavaitpourtantl’impressionquelaveille à peine, elle aurait pu se trouver sur ce lit pendant une fête, à coup sûr en train de se fairetripoterparunhommesoûl.Commentenétait-ellearrivéelà–lacélibataireesseuléeàunefêtedefamilledonnéepourlenouvelan?Lavieillefille.Elleseprécipitaaurez-de-chausséepourprendreunautreverre,ets’assitdevantlaported’entréejusqu’àcequeDrewarrive.

22heures.—Ilnevapasvenir!s’écriaSuzie.—Quoi?hurlaJackiepar-dessusletapagecauséparunemusiqueinconnueaubataillonqueles

adolescentsprésentsavaientmise.—J’aiditqu’iln’allaitpasvenir!répétadésespérémentSuzie.Jackiel’empoignaparlesépaules.—Ilviendra,dit-ellesuruntonferme.—LeprinceHarryn’estpasencorearrivé?s’exclamaDavederrièrel’épauledeJackie.—Jeluiassuraisjustementqu’ilallaitvenir,rétorquaJackie.Dis-lui,Dave.Ilvavenir,hein?On

neseridiculisepascommeill’afaitpourunepersonnesansluidonnerunechance.

—Ilneviendrapas,repritDave.Ilfautt’yfaire.—Qu’est-cequejevaisdevenir?selamentaSuzie,enenfouissantsatêtecontrel’épauledeJackie.

J’aitoutgâché.—Commenceparl’ignorer,réponditJackieenjetantunregardnoiràDave.—Jeluidisjustelavérité,chérie,sedéfenditDave.Suziecroitenlavéritétoutenue,pasvrai?

poursuivit-il.Suziegémitenguisederéponse.—Cet homme est un pur romantique,Dave Smith, reprit Jackie. Il viendra. Et quand il le fera,

prendsdesnotes,parcequetupourraisapprendredeuxoutroischosesdelui.—S’ilvient,c’estunevraielavette,marmonnaDavedanssabarbe.—Dave!s’écriaJackie.Jenevaispastelaisserdiredesgrosmotsdevantlesenfants.Cessetoutde

suitedetecomportercommeunidiot.—Ilnevapasvenir!s’époumonaDave.—Si!hurlaJackieàsontour.—Non!—Si!—Non!—Tuesunvraitocard,déclaraJackie.— Et toi, une grosse vache stupide, rétorqua Dave à l’instant même où la chanson par-dessus

laquelleilcriaitseterminait,etquelesilencesefaisaitdanslapièce.Lafouled’enfantssetournapourdévisagerlecoupleenpleinedispute,tandisqueSuzies’enfuyait

pourprendreunautreverreetsecalmeràl’extérieur.

23heures.—Ilvavenir!s’écriaSuzie,entapantfurieusementJackiesurl’épaule.—Quoi,oùça?Jackiedélivraseslèvresd’unbaiserpassionnéavecsonmari,aubeaumilieudelapistededanse

improviséedanslesalon.— Il va venir, répéta Suzie, un large sourire aux lèvres, enlaçant Jackie et Dave, quelque peu

surexcitéepar l’alcool.Mais iln’arriverapasavantminuit,si?ToutcommeHarry.Harryarriveàminuit.Quelleidiotejefais.J’aipassélasoiréeàsurveillerlaporte,alorsqu’enfait,ilvavenirauxdouzecoupsdeminuit,commedanslefilm.—Biensûrqueoui,acquiesçaJackieensouriant.N’est-cepas,Dave?Celui-ci luirenditsonsourire, lesourired’unhommevraiment ivredanslesbrasdesachèreet

tendre.—Biensûrqueoui,répéta-t-il,enattirantdenouveausafemmecontrelui.

Justeaprèsminuit,réveillondunouvelan.Suziescrutal’obscuritéjusqu’àcequ’ellenevoieplusrien.Savisionsetroublaetelles’aperçut

qu’elleavaitembuéledoublevitrageavecseslarmes.Iln’estpasvenu,serépétait-elle,encoreetencore.

Elle regarda les deuxverres qu’elle avait soigneusement remplis de champagne, et posés sur lerebord de la fenêtre en vue de la célébration, etmesura sa bêtise. Bien sûr qu’il n’était pas venu.Iln’avaitjamaiseul’intentiondevenir.Ellel’avaitvraimentdéçu,etelles’attendaitàcequ’ilpassel’éponge,justecommeça.Elleavaitespéréqu’ilcomprennequ’elleavaitfaituneerreuretqu’illuipardonne.Maiselleavaitpassédessemainesàdireàseslectricesdenepaspardonner,maisdepunir,etpasàmoitié.Commentpouvait-elleespérerqueDrewne lapunissepas?Commentpouvait-ellemêmerêverquenonseulement,illuipardonne,maisqu’ilsviventheureuxpourtoujours?Elleétaitstupideetméritaitd’êtreseuleàlapériodedel’annéeoùc’étaitleplusdouloureux.Enfin,elledécidadedétournersonregarddel’alléedujardin,maisellenesesentaitpascapable

pourautantd’affronterlascènequisedéroulaitderrièreelle.Elles’attendaitàseretrouverfaceàunemaréedecouplestendres,célébrantlenouvelanavecpassion,portésparl’espoirdel’annéeàveniretparlesbientropnombreuxpunchsdeJackie.Elle se tourna lentement et éprouva un étrange soulagement en remarquant les seuls autres

occupants de la pièce. Une petite colonie d’enfants blottis dans le noir, en train de regarder desdessinsanimésà la télé ; lespersonnagesdudessinaniméenquestions’agitantdans tous les sens,rayonnantdejoie,dansdestonscriardsquisereflétaientsurlevisagedesgaminsépuisés.Soncœurseremitsoudainàbattreàtoutrompre.Peut-êtrequesamontreétaitmalréglée.Peut-

êtren’était-ilpasencoreminuit,aprèstout.Biensûr,c’étaitdoncça.Ellen’avaitpasencoreentendulamoindrenotedeCen’estqu’unaurevoir.Ellecherchadésespérémentunehorlogepourconfirmersasupposition, mais il n’y en avait aucune. Elle se pencha et prit la télécommande des mains d’unbambin àmoitié endormi, et commença à zapper au hasard entre les chaînes.Elle avait seulementbesoindejeteruncoupd’œilàuneémissiondeJoolsHolland,etensuite,toutiraitbien.Ellesauraitquelleheureilétait.Aumomentmême où des bouchons de champagne et des célébrités enveloppées de banderoles

peuplèrentl’écran,ellesentitunedouleuraiguëdanssachevillegauche,etpoussauncristupéfiant.Ungarçond’environseptanssepostadevantelle.—Rends-la-moi,oujeluidisdemordrel’autre,ordonna-t-il,enfaisantunsignedetêteàlajolie

petitefilleencostumederenne,auxdentsbienaiguisées.Pétrifiée,ellelâchalatélécommandeetclaudiquajusqu’àlacuisine.Leschosesnesepassaientpas

du tout comme c’était prévu. En réalité, la situation lui échappait même complètement, vu que lepremiercontactcorporelqu’elleavaiteupourlanouvelleannéeétaitlamorsured’unegaminedanssajambe.EllecherchadésespérémentJackie.Elleavaitbesoindevoiraumoinsunepersonnequi l’aimait,

quelqu’unquilaferaitsesentirimmédiatementmieuxqu’àcetinstantprécis.Jackien’étaitnullepartdanslacuisine,doncellemontaàl’étage,pensantquesonamiedevaitmettreundesespetitsaulit.Les chambres des enfants étaient vides,mais elle finit par trouver Jackie et Dave, sous la pile demanteauxsurleurlit,àmoitiénus.Jackieapparutdesousunepeaudemoutondouteusequandelleentenditlaportes’ouvrir.—Ilestvenu?s’écria-t-elle.Les jouesrosesdeDaveapparurentàcôtéd’elleenunéclair,et ilbaissa lesyeuxsuruneSuzie

abattue.— Bien sûr que non, répondit-il. Maintenant, si quelqu’un s’apprête à venir, c’est moi, donc

pouvons-nouslaissertombercesfadaisesromantiques,etalleràl’essentiel?Là-dessus,iltiradenouveauJackiesouslapiledemanteaux.Suzie sentit sa lèvre inférieure commencer à trembler.Elle attrapabrusquement sonmanteau en

lainerougeets’enfuit,entendantJackieluicrierderevenir.Ellenerepritpassonsouffleavantd’êtreàl’extérieuretd’avoirclaquélaported’entréederrièreelle.Puiselles’effondrasurleseuildeJackieetDave,àprécisément00h11lesoirdunouvelan,etfonditenlarmes.

Chapitre30

Elle n’avait aucune idée de l’heure qu’il était quand elle commença à rentrer. Elle ne pouvaitsupporter l’idée de regarder une nouvelle fois sa montre. De toute façon, elle ne pouvait plus laregarder du tout, parce qu’à unmoment donné, elle l’avait enlevée et, de rage, l’avait jetée dansl’obscurité.Toutcequ’ellepouvaitentendreétait leclaquementrégulierdeseschaussuresà talons,et leson

inquiétantqu’émettaitlabruinebalayéeparlevent.Sescheveuxétaientplaquéssursonvisage,etellesavaitqu’ildevaitfairefroid,maiselleneparvenaitpasàressentirquoiquecesoit.Rien.Ellenesentaitpassespieds,notamment,cequiétaitcurieux.Commesielleflottaitdanslesairs.

D’ordinaire,cettemarcheluiauraitétépénible,elleauraitgrimacéaumoindrepas,vuqu’elleauraitpassélasoiréeàdanserdansdeschaussuresinconfortables.Mais,àcetinstant,ellenesentaitplussoncorps.Ellesavaitqu’ellen’étaitpasanesthésiéeparl’alcoolétantdonnéqu’elleavaitcessédeboireà23heures,pourêtresobreàminuit.Maisleplusétrange,peut-êtrelepluseffrayant,c’étaitqu’ellenesentaitplus lapeurnonplus.Normalement,quandellearpentait les ruesdeManchesterseuleaprèsminuit, elle sursautait à lamoindreombre,convaincuequ’onallait l’agresser.Maisce soir-là, elles’enmoquaitéperdument.Personned’autrenesesouciaitdesavoirsiellerentraitounonenunseulmorceau,alorspourquois’enfaire?Cettepenséesuffitàajouterunflotdelarmesàlabruinequiluitrempaitdéjàlafigure.Alorsqu’elletournaitaucoindesarue,elleralentitlacadence.Ellenepouvaitaffronterlavision

desonappartementfroid,sombreetvide,etcequelefaitd’arriverseulelà-basferaitàsonhumeurdéjàmaussade.Ellenepouvait endurerdevoir l’étatdans lequelelleavait laissé sa salledebains,parcequ’ellesavaitquec’étaitl’incarnationparfaitedel’espoirqu’elleavaitressentiaudébutdelasoirée.Maquillage,soinspourlescheveux,parfumsetcrèmeshydratantesétaientéparpillésdanstouslescoins–lesoutilsessentielspourpréparerledébutd’unenouvellerelation.Maisleplusdouloureuxseraitdevoirsachambre.Proprecommeunsouneuf,lesdrapschangés,

la lumière tamisée et la musique déjà prêtes : c’était une chambre qui attendait qu’un événementsignificatif se produise. À présent, elle ne constituerait qu’un rappel indésirable de sa profondesolitude.Àquelquesmètresàpeinedesaported’entrée,Suzies’arrêtadanssonélan.Commesij’avaisbesoindeça,songea-t-elleentirantsanssuccèssursontalon,coincédansuntrou

danslepavé.Le talon refusaitdecéder,doncelle fut contrainted’enlever sa chaussure, etde sentir le contact

désagréable du trottoir sale et mouillé s’insinuer dans ses collants, jusqu’à ses orteils déjà gelés.Alorsqu’ellesepenchaitpour tirerde toutesses forcessur l’escarpin,ellepritconsciencedespaslourdsaccourantdanssadirection,etenfin,soninstinctdesurviecommençaàsemanifester.Nousyvoilà,sedit-elle,prisedepanique.C’estlemomentdemamort.Elle tira de toutes ses forces sur la chaussure, se préparant mentalement pour déterminer dans

quellepartieducorpsdesonagresseurelleplanteraitsontalonaiguilleenpremier.Puislespass’arrêtèrentetelleentenditunerespirationhaletanteau-dessusd’elle.—Laisse-moifaire,ditunevoix.

Aumêmeinstant,lachaussureselibéraetSuzietrébuchaenarrière,tombantdetoutsonpoidssurletrottoir.—Laissez-moitranquille,hurla-t-elle,enbrandissantletalonaiguille.Laissez-moitranquille,ou

jevousplanteçadanslesvalseuses.—Charmant,fitremarquerDrew,tendantlamainpourl’aideràseredresser.—Drew!s’écria-t-elle.Ellelevalesyeuxversluitandisquel’humiditéetlacrassedutrottoirs’infiltraientsoussarobe.—Çava?s’enquit-ilenlarelevant.Jenevoulaispastefairepeur.Ellecontinuaàleregarder,s’efforçantdegérerleflotdepenséesetd’émotionsquiaffluaientdans

satête.—Qu’est-cequetufaislà?parvint-elleenfinàdemander.—Ehbien,commença-t-il.AprèsdesvisionnagesmultiplesdeQuandHarryrencontreSally,etdes

consultationsauprèsdeplusieursfemmesobsédéespar leromantisme, j’aienfincompriscequetuvoulaisdiredanstalettre.JeprésumequetuespéraisquejevienneteretrouveràminuitàlafêtedeJackie,pasvrai?Suziehochalatêteensilence,nesefaisantpassuffisammentconfiancepourparler.—Seulementj’ignoreoùvitJackie,n’est-cepas,imbécile?ElledévisageaDrew,stupéfaite.Commentavait-ellepuoublierunedonnéeaussiélémentaire?—Doncjemesuisditquejet’attendraisici,ajouta-t-il.Unsilencegênants’installa,jusqu’àcequeSuzieparvienneenfinàprendrelaparole.—Pourquoi?interrogea-t-elletimidement.—Parcequetumel’asdemandé,réponditDrew.—Jesais,maispourquoi?répéta-t-elle.Allez.Sors-moidemonmalheur.Dis-moiquec’estledébutpournous.—Vraiment,pourquoi?questionna-t-il,visiblementconfus.—Ouais,vraiment,pourquoi?—Est-ceencoreunedeceschosesquejedoisdéchiffrer,parcequejeteledis,ilvanousfalloirun

traducteur.—Onrecommence?proposa-t-elle.—Oui,s’ilteplaît,répondit-il.—Jesuistellementdésolée,gémit-elle,incapablederéprimerunflotdelarmes.Pourcequej’ai

fait.J’avaistellementtort.Peux-tumepardonner?Elleluilançaunregardimplorant.Ilneditpasunmotpendantunmoment,puisill’attiracontrelui.— Je n’en suis pas sûr, déclara-t-il en la regardant dans les yeux. J’ai besoin de te regarder

d’abord.Vraimentteregarder.J’aibesoindevoiràquoiressemblemonreflet.Elledéglutitenplongeantsesyeuxdanslessiens.SonamiDrew.SonâmesœurDrew.Ellelevoyait

clairementpourlatoutepremièrefois–commelapersonneavecquiellevoulaitpasserlerestedesesjours.—Qu’est-cequeçadonne?finit-ellepardemander,incapabledesupporterlesuspense.—J’aimebien,répondit-ilensouriant.J’aimebeaucoup.Jepensequetum’enlèvesaumoinscinq

kilos.Ellerenversalatêteenarrièreetéclataderire–lerired’unefemmequitouchaitdudoigtleplus

grandaccomplissementdesavie.Aimeretl’êtreenretour.—Justeunepetitechose,ajoutaDrewunefoisqu’elleeutrecouvrésonsérieux.Si jamais tume

forcesàregarderQuandHarryrencontreSallyunefoisdeplus,c’estfini.—Jen’aiplusbesoinde le regarder, rétorqua-t-elle. J’aimondénouementheureux justedevant

moi.Enfin,presque.Ellepassalesbrasautourdesoncouetl’attiracontreellepourleurpremierbaiser,àprécisément

00h57,lesoirdunouvelan.

REMERCIEMENTS

Enpremier lieu, je tiens à préciser que ce livre n’a pas été inspiré par les hommesdemavie.Laplupart de ceux que je connais sont fantastiques.Mais il y a toujours une ou deux exceptions à larègle,pasvrai?UnimmensemerciàmonamieHelenpoursoncôtéterreàterre,quim’apermisderesterdrôledanscelivre,etàGemma,dontl’aidem’estsiprécieuse.Enmatièredeconseilstechniques,merciàMarcetBrucepourleursconnaissancesenfootball,maisaussiàmaman,papa,Helen,Andrew,Gillian,Chris,David,ainsiqueGillianetChrisenNouvelle-Zélande,pourleursoutienfamilialsanslequeljenepourraisrienfaire.MillemerciségalementàAramintaWhitleyetPetaNightingaledel’agenceLAWpourleursoutienindéfectible.Nousavonsconnudesallers-retours,deshautsetdesbas,presquelittéralement.Jesuisraviedenepasêtrepasséeparlàtouteseule.JennyGeras,SelinaWalkeretlerestedel’équipedeséditionsArrowm’ontaccueillieàbrasouverts,etm’ontpermisdepartagerlefonddemapenséeetde poser pléthore de questions. En parlant de ça, mention spéciale aux blogueurs littéraires, dontl’enthousiasme et la volonté de transmettre ne manqueront jamais de m’époustoufler. Je vousremercietouspourl’accueilquevousavezréservéàmesromans.Etenfin,merciàvous,lecteurs.Merciinfinimentdemepermettredecontinueràécrire.C’estunrêvedevenuréalité,pourlequeljevousseraiéternellementreconnaissante.

TracyBloomacommencéàécrirequandsonmari,unhommecruelet sanscœur, l’aarrachéedeforceautravaildesesrêves–acheteusedemontagnesrussespourlesplusgrandsparcsd’attractionsduRoyaume-Uni–pourl’embarquerenAmérique.Déterminéeàsaisirsachance,ellesetourneverssonamourdesmotsetdurire,etentreprendd’écrirePersonnenecouche lemardi (àparaîtrechezMilady).Celivreluivautunsuccèsinternational.Désormais,Tracyestsurunpetitnuagegrâceàcenouveauboulotidylliquequiluipermetdefairerire,etparfoispleurer.Accompagnéedesonmarietdesesdeuxenfantsquimettentlapagailledanssonquotidien,lavoilàmaintenantrentréedanscettebonnevieilleAngleterre,impatiented’inventerd’autreshistoiresavecunebonnedosed’humour.

MiladyestunlabeldeséditionsBragelonne

Titreoriginal:SingleWomanSeeksRevengeCopyright©TracyBloom2013

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©Bragelonne2016,pourlaprésentetraduction

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ISBN:978-2-8205-2612-0

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