La restauration du Sépulcre d’Arc-en-Barrois : une étape … · 2016-04-22 · La restauration...

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La restauration du Sépulcre d’Arc-en-Barrois : une étape importante dans la programmation thématique de restauration mise en œuvre en Champagne-Ardenne Classé au titre des Monuments historiques le 21 novembre 1902, le groupe sculpté de la Mise au tombeau constitue l’un des neuf sépulcres remarquables du département de la Haute- Marne. Dans le cadre de la politique de restauration définie par la Direction régionale des Monuments historiques de Champagne-Ardenne, il a fait l’objet d’une restauration qui s’est accompagnée d’une réfection de la chapelle où il se trouve. Cette intervention a permis de valoriser ce groupe imposant qui constitue l’une des dernières représentations de ce thème iconographique. Vue d’ensemble après restauration Les circonstances historiques de sa commande Plan d’Arc-en-Barrois montrant le couvent des Récollets, copie du 19 e siècle d’après la vignette figurant sur la Carte topographique du diocèse de Langres par Nicolas Chalmandrier (1769), Musée d’Art et d’Histoire, Langres © Coll. Musées de Langres Avant la Révolution, le groupe sculpté se trouvait dans l’église du couvent des Récollets 1 fondé en 1635 par Nicolas de l’Hôpital (1581-1644), duc de Vitry et construit à l’emplacement de l’ermitage du Calvaire sur l’un des coteaux surplombant le bourg d’Arc-en-Barrois. Rappelons brièvement que Nicolas de l’Hôpital, capitaine des gardes promu maréchal de France par le roi Louis XIII, était devenu en 1622 propriétaire du marquisat d’Arc puis l’année suivante du comté de Châteauvillain. Réunies, ces terres seigneuriales furent érigées en duché-pairie par lettres patentes de juin 1650. Faute d’avoir retrouvé le marché, c’est un document d’archives révolutionnaires, plus exactement une délibération du conseil municipal d’Arc-en-Barrois du 25 mars 1791, qui révèle d’une manière allusive le nom du commanditaire et la date de son exécution : « ce tombeau a été spécialement donné en présent, il y a plus d’un siècle à lad. ville pour son Calvaire par le maréchal de Vitry ». Ce serait donc François Marie de l’Hôpital (1618-1679), fils héritier de Nicolas, et non son père, qui aurait fait don du Sépulcre au couvent après avoir fait ériger une église dédiée à Notre-Dame en lieu et place de la modeste chapelle érémitique vers 1672, soit finalement peu de temps avant la vente des terres d’Arc et de Châteauvillain.

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La restauration du Sépulcre d’Arc-en-Barrois : une étape importante dans la programmation thématique de restauration mise en œuvre en Champagne-Ardenne Classé au titre des Monuments historiques le 21 novembre 1902, le groupe sculpté de la Mise au tombeau constitue l’un des neuf sépulcres remarquables du département de la Haute-Marne. Dans le cadre de la politique de restauration définie par la Direction régionale des Monuments historiques de Champagne-Ardenne, il a fait l’objet d’une restauration qui s’est accompagnée d’une réfection de la chapelle où il se trouve. Cette intervention a permis de valoriser ce groupe imposant qui constitue l’une des

dernières représentations de ce thème iconographique.

Vue d’ensemble après restauration

Les circonstances historiques de sa commande

Plan d’Arc-en-Barrois montrant le couvent des Récollets, copie du 19e siècle d’après la vignette figurant sur la Carte topographique du diocèse de Langres par Nicolas Chalmandrier (1769), Musée d’Art et d’Histoire, Langres © Coll. Musées de Langres

Avant la Révolution, le groupe sculpté se trouvait dans l’église du couvent des Récollets1 fondé en 1635 par Nicolas de l’Hôpital (1581-1644), duc de Vitry et construit à l’emplacement de l’ermitage du Calvaire sur l’un des coteaux surplombant le bourg d’Arc-en-Barrois. Rappelons brièvement que Nicolas de l’Hôpital, capitaine des gardes promu maréchal de France par le roi Louis XIII, était devenu en 1622 propriétaire du marquisat d’Arc puis l’année suivante du comté de Châteauvillain. Réunies, ces terres seigneuriales furent érigées en duché-pairie par lettres patentes de juin 1650.

Faute d’avoir retrouvé le marché, c’est un document d’archives révolutionnaires, plus exactement une délibération du conseil municipal d’Arc-en-Barrois du 25 mars 1791, qui révèle d’une manière allusive le nom du commanditaire et la date de son exécution : « ce tombeau a été spécialement donné en présent, il y a plus d’un siècle à lad. ville pour son Calvaire par le maréchal de Vitry ». Ce serait donc

François Marie de l’Hôpital (1618-1679), fils héritier de Nicolas, et non son père, qui aurait fait don du Sépulcre au couvent après avoir fait ériger une église dédiée à Notre-Dame en lieu et place de la modeste chapelle érémitique vers 1672, soit finalement peu de temps avant la vente des terres d’Arc et de Châteauvillain.

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Portrait de Marie Louise Pot de Rhodes, duchesse de Vitry, attr. à Charles Beaubrun (1604-1692) © Galerie Renzo Calderan Marié à Marie-Louise Pot de Rhodes en 1646, François Marie de l’Hôpital est à cette époque maréchal de camp des armées du Roi et envoyé extraordinaire auprès de l’Electeur de Bavière. Le don du Sépulcre a peut-être eu lieu à la suite du décès de leur fils aîné Louis Marie Charles survenu en novembre 1674 à Paris.

L’inventaire du 10 mars 1791 décrit sommairement les lieux : un escalier fermé par une porte de fer permettait d’accéder sous le chœur où se trouvaient « un petit autel en bois sans ornemens, un Sépulcre où est le corps de notre Seigneur et six grandes statuës en pierre ». Le groupe sculpté de la Mise au tombeau était l’aboutissement d’un cycle dédié à la Passion dont les autres scènes sculptées figuraient dans des niches « le long des murs de la maison ». Mettant en scène sept « stations (…) représentans différens mistères de la Passion », chaque niche abritait une statue dont le matériau était variable (bois, pierre et/ou plâtre). Le couvent des Récollets d’Arc était un lieu particulièrement fréquenté « depuis plus de cent ans de dix lieuës à la ronde et (…) surtout dans le saint temps de Carême ». Toutes ces représentations sculptées constituaient des supports visuels à la dévotion et à l’oraison. La disposition initiale de la Mise au tombeau, dans la crypte de l’église, rappelait le cadre historique de l’ensevelissement du Christ à Jérusalem. L’échelle des figures, sculptées grandeur nature, incitait le fidèle à intérioriser cet instant où le Christ mort est pleuré par ses proches. Le groupe sculpté dans la tourmente révolutionnaire Le vote de la nationalisation des biens de l’Eglise le 2 novembre 1789 par l’Assemblée constituante, engendra comme souvent la disparition du couvent. Le 8 août 1790, la municipalité formula le vœu d’acquérir le couvent, son enclos et ses dépendances. Plusieurs inventaires s’ensuivirent datés du 6 mai 1790 et du 15 mars 1791, puis on procéda à la vente du mobilier. Conscient de sa valeur artistique et de l’attachement dévotionnel des habitants d’Arc, le conseil municipal vota outre la préservation du Sépulcre, celles des « statues d’hauteurs naturelles en pierres » situées « dans les petites chapelles des stations » (aujourd’hui disparues) et le tableau du retable du maître-autel2 qui fut remonté à l’arrière du maître-autel de l’église paroissiale. La démarche des pétitionnaires porta ses fruits et convainquit les Comités d’administration ecclésiastique et d’aliénation des biens nationaux de l’Assemblée nationale qui autorisa par courrier du 4 septembre 1791 de distraire le Sépulcre de la vente et de le transférer en l’église paroissiale d’Arc. Pour autant, la bataille n’était pas définitivement acquise puisque le conseil dût repartir à la charge trois ans après. A la suite de la fermeture des lieux de culte ordonnée le 24 novembre 1793 est promulgué le 18 floréal an II (7 mai 1794) le décret instituant le culte révolutionnaire. Deux mois après, le 13 messidor an II (1er juillet 1794), deux commissaires mandatés par l’administration du district de Chaumont, arrivèrent à Arc pour visiter l’église. Ils ordonnèrent au maire Victor Bouchu de détruire le Sépulcre sur le champ. En réaction, la municipalité décida de sursoir à cet ordre jusqu’à qu’il soit formalisé par écrit et au motif que sa destruction priverait le chef-lieu du district d’un « Monument qui, aux yeux de tous les connaisseurs qui l’ont vu, a passé pour un

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chef-d’œuvre de l’art ». L’absence de réponse de l’administration le sauva définitivement du vandalisme révolutionnaire. Quant aux bâtiments de la maison conventuelle et à ses terrains (deux jardins clos de murs et bois formant une dizaine d’arpents), ils furent mis en adjudication le 22 juin 1791 et acquis pour la somme de 7000 livres par Victor Bouchu. L’église fut détruite dans les années suivantes tandis que le logis des moines fut occupé par un garde-forestier. Après l’Empire, la famille d’Orléans racheta le domaine du Calvaire investi par le garde-forestier et les employés de la vénerie du prince de Joinville ; un chenil fut construit vers 1874 à l’emplacement des fondations de l’église. Son transfert dans l’église Saint-Martin d’Arc-en-Barrois

Vue de la façade occidentale de Vue méridionale de la sacristie

l’église d’Arc-en-Barrois Si la date de son transfert dans l’église d’Arc n’est pas précisément connue, le choix de son emplacement actuel remonterait d’après Henry Ronot à 18543 ; le curé d’alors, Laurent-Victor Simon, en serait l’initiateur. Voûtée d’ogives, cette chapelle, qui s’étend sur deux travées, a été construite à cette époque sur le flanc sud de l’église au niveau de la première travée du bas-côté. On y accède par quelques marches depuis le sol exhaussé de l’église. Le groupe sculpté a été disposé le long du mur oriental de la chapelle, afin d’y loger également un autel qui lui faisait face. Le manque de place relégua Nicodème derrière le tombeau. Ne s’inscrivant plus dans une narration, le groupe sculpté apparaissait désormais isolé, en grande partie soustrait aux regards dans un lieu confiné et exigu.

Vue du groupe sculpté avant restauration

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La restauration de 1976 La première restauration connue a été confiée en 1976 à Maxime Chiquet, atelier de restauration basé à Alliancelles (Marne). Elle avait consisté en un replacage des éléments délités par goujonnage partiel à l’aide de tiges de fer, par remplissage et collage partiel au plâtre avec un agrafage superficiel. Les statues de Nicodème et de Joseph d’Arimathie ainsi que la figure d’une Sainte Femme ont été particulièrement concernées par cette intervention. L’ensemble avait reçu une patine protectrice, dont la nature n’a pu être déterminée et qui s’est avérée irréversible. C’est également à cette occasion que les figures avaient été isolées du sol humide par une feuille de plomb.

Revers de la statue de la Sainte Exemples de restitutions au plâtre (orteils du Christ et nez de Joseph Femme comblé au plâtre et d’Arimathie) consolidé avec une tige métallique

Détail du bras droit et des

mains de Joseph d’Arimathie restitués au plâtre et patinés

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L’intervention de l’atelier de restauration La restauration concomitante de chapelle Saint-Nicolas impliquait le transfert du groupe sculpté et l’autel en un autre endroit de l’église. Ce fut la chapelle Saint-Hubert qui accueillit donc le groupe dont la restauration s’est intégralement déroulée in situ. La manipulation des blocs, phase très délicate requérant les compétences professionnelles d’un restaurateur, s’est effectuée manuellement. Elle a nécessité la mise en place d’un échafaudage et la fabrication de plateaux-palettes à dimensions pour y coucher les statues, la porte d’accès à la chapelle étant trop basse. Des mousses plus ou moins denses ont été mises entre les surfaces et le matériel (sangles et élingues polyester, palettes en bois) afin de bien répartir les forces de pression et de traction. Seul le tombeau avec le corps du Christ est resté partiellement en place (la plus grande moitié comprenant le corps). Déplacé au centre de la chapelle, il a reçu un coffrage en planches épaisses à des fins de

protection le temps des travaux de la chapelle. Une fois le transfert terminé, les statues ont été placées en observation. Les traces d’outil ont été relevées (très visibles sur le revers peu sculpté des statues) et surtout une véritable réflexion s’est mise en place autour du repositionnement des figures les unes par rapport aux autres en fonction du gabarit des bases et du rôle scénique de chacune.

Vue arrière de la statue de Marie-Madeleine avant restauration

Puis la restauration proprement dite a pu démarrer. Dépoussiérées, les statues ont été nettoyées sans abraser la surface à l’aide de deux techniques, l’une associant la projection d’un fin jet de vapeur et l’application ponctuelle d’un gel d’éther de cellulose et de bicarbonate d’ammonium, l’autre consistant en un microgommage des zones les plus tenaces (bases des statues et intérieur de la cuve du tombeau). Elles ont ensuite reçues un traitement biocide contre les microorganismes à titre curatif et préventif. Ont également été reprises les précédentes restaurations qui ont plus ou moins bien tenu selon les cas. Celle réalisée en partie basse de la face postérieure de la Sainte Femme ayant lâché, il a fallu la sangler pour la transporter dans la chapelle Saint-Hubert.

Statue de Marie-Madeleine en cours de nettoyage Détail du manteau de la statue de Saint

Jean l’Evangéliste altéré par les microorganismes

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Détail de l’affaissement de Dépose de la statue de la Sainte

la partie basse postérieure Femme dans la chapelle Saint- de la statue de la Sainte Femme Hubert

Les anciens comblements au plâtre, qui maintenaient ensemble les fragments de pierre, n’ont pu de ce fait être complètement retirés. Les surfaces bien jointives ont été recollées avec de la colle epoxy. Les vides ont été comblés au mortier fin de poudre de pierre et de chaux naturelle.

Comblement en cours du joint Vues de la partie basse postérieure de la statue de la Sainte Femme entre les deux parties de la cuve avant et après comblement et consolidation du tombeau Repositionnées dans la chapelle du Sépulcre sur les feuilles de plomb isolantes du sol déjà existantes, les figures ont été placées dans l’axe de l’entrée dos à la paroi méridionale.

Vues du dispositif créé par Jean Délivré pour reposer les figures dans la chapelle, de la statue de Saint Jean

l’Evangéliste en cours de transfert et de la repose de la moitié de la cuve du tombeau

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Grâce au gain d’espace, chaque « acteur » a pu retrouver sa place initiale, saint Jean se trouvant aux côtés de la Vierge dont le regard se tourne vers son fils tout comme la Madeleine placée à sa droite. La Sainte Femme comme souvent occupe une position en retrait soit à l’extrême gauche de la scène tandis que les fossoyeurs ont repris leur place habituelle aux pieds et à la tête du Christ. La scène a ainsi retrouvé tout son sens.

Vue de la Mise au tombeau repositionnée dans la chapelle

La réfection de la chapelle Saint-Nicolas L’Eglise étant inscrite au titre des Monuments historiques, les travaux de rénovation de la chapelle ont été réalisés sur les directives de Jérôme Auger, architecte des Bâtiments de France et chef du S.T.A.P. Ils touchèrent essentiellement la maçonnerie et les enduits. En effet, les parois avaient reçu un enduit au ciment tandis que l’enduit des voûtes se délitait en plusieurs endroits laissant apparaître le lattis de bois couramment utilisé au XIXe siècle Se posait également la question de l’entrée de la chapelle et du maintien ou non de l’habillage en pierres calcaires percées4.

Vue de la voûte de la chapelle avant restauration Vue de l’entrée de la sacristie avant restauration Prisées dès la fin du XIXe siècle, elles vinrent orner grottes, calvaires et jardins. Bien que témoignant d’un certain goût, il fut décidé de les déposer définitivement, certains éléments étant brisés et présentant un danger. Cela entraîna une réfection du parement en pierre de taille et un remplacement des poutres du passage (chêne). Les voûtes de la chapelle ont été réenduites avec un mortier de chaux-plâtre et ses parois avec un mortier de chaux hydraulique naturelle, les ogives et arc-doubleau en bois plâtré restitués. L’ensemble a été badigeonné de chaux, ocre pâle sur les murs afin de faire ressortir le groupe sculpté. L’entourage de la baie et

la verrière de la chapelle ont été remis en état comme l’ensemble des baies de l’église. Enfin l’électrification des lieux permet d’éclairer le groupe sculpté.

Vue latérale du groupe sculpté éclairé

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L’iconographie de la Mise au tombeau Encouragés par les cordeliers, les sépulcres vinrent orner les lieux de culte mais aussi les chapelles funéraires seigneuriales. Plusieurs sont mentionnés dans les églises de la ville de Tournai (Hainaut) dès la fin du XIVe siècle. Si la Lorraine constitue l’une de leur terre d’élection, la Champagne n’en possède pas moins d’une vingtaine dont neuf se situent dans l’actuel département de la Haute-Marne. La plupart est antérieure au XVIIe siècle, à l’exception des sépulcres d’Arc (v. 1672) et de Gudmont (1699-1700) réalisés tardivement. A Arc-en-Barrois, le groupe sculpté a été façonné dans une pierre calcaire claire homogène. Il se compose de six figures groupées autour du tombeau où le Christ repose sur son linceul. Il n’y a plus ici de donateurs comme ce fut souvent le cas dans les représentations des deux siècles précédents, quand la prière pour leur salut constituait l’une des raisons d’être de ces vastes scénographies. Tout au plus des armoiries comme à Gudmont et qui

manquent ici le groupe ne se trouvant plus dans son cadre d’origine. Nicodème et Joseph d’Arimathie tiennent le pot à onguent et s’apprêtent à recouvrir d’aromates le corps du Christ allongé dans son tombeau, selon une représentation semblable à celle de Chaumont. Derrière le sarcophage, se tient Saint Jean mains jointes le regard éploré tourné vers le ciel.

Détail de la tête de Saint Jean l’Evangéliste avant restauration

Il est aux côtés de la Vierge. Elle regarde son Fils tout comme Marie-Madeleine qui se distingue des autres personnages par la magnificence de ses atours et sa grâce. L’inflexion de son corps se démarque de l’autre sainte Femme essuyant ses larmes, dont le corps plus hiératique disparaît sous d’amples vêtements. Le Christ présente une belle qualité plastique qui avait frappé l’abbé Godard en 1860 : « il semble que de cette bouche restée ouverte après le dernier soupir, il vienne de s’exhaler une parole de pardon, tout est mansuétude et pitié dans le sourire qui le contracte, dans l’expression de cette physionomie simple comme celle d’un enfant, belle comme celle d’un Dieu ».

Vues de détail du Christ avant et après restauration

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Détail de la tête du Christ avant restauration

C’est en effet dans ce morceau statuaire que le sculpteur affirme son talent à rendre l’anatomie et les effets de la mort : « Le corps raidi par la mort est d’une exécution merveilleuse ; on y sent l’artiste sûr de sa main comme de ses connaissances anatomiques ; la poitrine est d’un modelé si beau qu’on dirait que la pierre s’est faite chair sous les doigts qui l’ont taillée ; les jambes nerveuses s’allongent et se raidissent de manière à faire illusion à la nature. » (abbé Léon Godard).

Vue d’ensemble William Forsyth, dans sa synthèse monumentale sur les Mises au tombeau, soulignait déjà le caractère archaïsant du groupe d’Arc-en-Barrois qui s’inscrit, notamment par la posture des figures, dans la tradition médiévale. Certes, le mystère de la Passion continue au XVIIe siècle d’être un sujet de méditation mais sa représentation évolue de pair avec la spiritualité. La mise au tombeau, point d’orgue de la vie terrestre

du Christ avant sa Résurrection, est alors de moins en moins traité en ronde bosse. Il faut dire que ce thème donne lieu à des groupes sculptés imposants par leurs dimensions et le nombre de figures, placés en des lieux bien circonscrits (chapelles, enfeus) voire clos, rappelant le Sépulcre de Jérusalem. A l’époque de la réalisation du groupe d’Arc-en-Barrois, ce sont préférentiellement les peintres qui s’y intéressent et le renouvellent. Comme l’a montré Emile Mâle, l’ensevelissement du Christ est traité d’une manière plus intimiste. Aux multiples personnages se substituèrent des anges, décontextualisant ainsi la scène pour en faire une image de dévotion, lointain avatar de la vision de saint Grégoire dont les croyants et les artistes avaient perdu le sens. Cette nouvelle représentation, bien que ne faisant pas l’unanimité auprès des théologiens et hommes d’église, n’en demeura pas moins très populaire.

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L’atelier Certains auteurs ont affirmé que cet ensemble aurait été ramené d’Italie par le duc de Vitry et serait l’œuvre d’un artiste romain ou florentin. Henry Ronot a proposé d’y voir l’œuvre d’un atelier parisien gravitant autour de Gérard van Opstal et Jean Cardon auteurs du tombeau castelvillanois du maréchal Nicolas de l’Hôpital et de son épouse Lucrèce Bouhier (1645). Il a discerné, à la suite de Léon Godard, la présence de deux ciseaux, l’un ayant sculpté le Christ, saint Jean, la Madeleine et peut-être Joseph d’Arimathie.

Mises au tombeau, Arc-en-Barrois et basilique Saint-Jean-Baptiste de Chaumont

Si la Mise au tombeau d’Arc emprunte au Sépulcre de la basilique Saint-Jean-Baptiste de Chaumont la même variante iconographique et la représentation réaliste des larmes, elle s’en démarque évidemment par un style assez lourd et l’absence de polychromie (les traces de couleur rouge relevées par Jean Délivré en partie basse des figures ne constituent pas des preuves suffisantes pour affirmer l’existence d’une mise en polychromie de la totalité des surfaces). Le traitement des chairs pleines et charnues n’est pas sans rappeler les priants du tombeau du duc de Vitry, cependant on est bien loin de la qualité plastique du groupe de Versailles. L’absence de documents d’archives laisse la question d’attribution en suspens.

Détails de la Sainte Femme (Arc-en-Barrois) et de Marie-Madeleine (basilique Saint-Jean-Baptiste, Chaumont)

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Bibliographie sommaire Sources « Inventaire de la maison des Récollets du Calvaire », 6 mai 1790, A.D.H.M., 1 Q 655. « Arcq, Maison religieuse des Recolets », inventaire du mobilier à la demande du Directoire du district de Chaumont, 15 mars 1791, A.D.H.M., 1 Q 648. Délibération du conseil municipal, 25 mars 1791, A.D.H.M., E dépôt 3963, f°107. Délibération du Directoire du département de la Haute-Marne, relative à une pétition de la municipalité d’Arc-en-Barrois demandant la sauvegarde du Sépulcre, 25 août 1791, A.D.H.M., L 115, f°16. Vente de la maison conventuelle des Récolets d’Arc, 22 juin 1791, AD.H.M., 1 Q 254. Procès-verbal de la résolution du conseil municipal d’Arc-en-Barrois relative à la destruction du Sépulcre, 2 juillet 1794, A.D.H.M., E dépôt 3965. Imprimés Délivré, Jean, Rapport d’intervention, novembre 2010. Forsyth William H., The Entombment of the Christ, French Sculptures of the Fifteenth and Sixteenth Centuries, Cambridge, 1970, p. 156, 172. Godard, Léon, « Le Sépulcre d’Arc-en-Barrois », in Les Beaux-Arts, Revue de l’art ancien et moderne, Paris, 1860. Guenin, Georges, « Notes sur l’église d’Arc », in Annales de la Société d’histoire, d’archéologie et des beaux-arts de Chaumont, t. V, 1927, p. 314-316. Laurent, Jacques et Claudon, Ferdinand, Diocèses de Langres et de Dijon…, Paris, 1941, p. 217. Levantal, Christophe, Ducs et pairs et duchés-pairies laïques à l’époque moderne (1519-1790), Paris, 1996. Poullain, A. Le coteau du calvaire à Arc-en-Barrois, Chaumont, 1896. Ronot, Henry, « Un sépulcre sauvé du vandalisme révolutionnaire : le Sépulcre d’Arc-en-Barrois », in Cahiers haut-marnais, n°200-201, 1995, p. 37-48. Fiche technique Coût total HT des travaux :

Groupe sculpté : 16 310 €

Chapelle Saint-Nicolas et verrières de l’église : 41 242 € Financement (Groupe sculpté) : Commune (propriétaire et maître d’ouvrage) : 1 631,00 € (10%) Partenaires :

• Etat (Ministère de la Culture et de la Communication – Direction régionale des Affaires culturelles de Champagne-Ardenne) : 6 524 € (40%)

• Région Champagne-Ardenne : 4 893,00 € (30%) • Conseil général de la Haute-Marne : 3 262 € (20%)

Intervenants : Jean Délivré et Virginie Trimbur, Fontenay-sous-Bois (déplacement et restauration du groupe sculpté) ; entreprise Léon Noël, La Chapelle-Saint-Luc (travaux de réfection des enduits de la chapelle) ; sarl Lamare, Arc-en-Barrois (réfection de l’entourage

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des baies) ; atelier « Rêve de verre », Poulangy (restauration des vitraux) ; entreprise Parisot électricité, Chaumont (éclairage) Suivi de la restauration : Jonathan Truillet, conservateur des monuments historiques de Champagne-Ardenne Photographies : Hélène Billat, Jean Délivré, François Griot Textes : Hélène Billat, attachée de conservation en charge de l’Inventaire et conservateur des antiquités et objets d’art de Haute-Marne 1 Religieux franciscains réformés au XVe siècle en Espagne, prônant le recueillement et la prédication. Introduit en France dès la fin du XVIe siècle, cet ordre s’est surtout développé dans les villes. 2 Identifié comme une Descente de croix dans l’inventaire du 6 mai 1790 et comme une Mise au tombeau dans l’inventaire de 1906, il s’agit plus vraisemblablement, le tableau n’étant plus très lisible, d’une Déploration du Christ. 3 Cependant une délibération du 3 février 1835 (A.D.H.M., E dépôt 3968) signale des réparations à faire à la chapelle du Saint-Sépulcre de l’église paroissiale pour un montant de 105 F. S’agit-il de la chapelle actuelle ? 4 Pour en accentuer le caractère décoratif, ces pierres semblent avoir subi, d’après Jean Délivré, des modifications pétrographiques.