LA RESPONSABILITÉ JURIDIQUE DU SALARIÉarchive.cfecgc.org/e_upload/pdf/responjuridiq062003.pdf ·...

35
Confédération française de l’encadrement CGC 59/63 rue du Rocher ; 75008 Paris. Juillet 2003 RÉUNION DES JURISTES CFE-CGC DU 17 JUIN 2003 LA RESPONSABILITÉ JURIDIQUE DU SALARIÉ Le fait pour un salarié de causer un dommage ou de commettre une infraction pénale dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail, engage-t-il sa responsabilité ? Pourquoi choisir de traiter ce sujet ? L’actualité de l’hiver 2002 s’est fait l’écho de décisions de justice sur le sujet inhabituelles : un cadre et par ailleurs président du CE, voit sa responsabilité civile et pénale engagée pour avoir introduit de l’alcool dans l’entreprise et servi un salarié déjà éméché, salarié qui a causé un accident mortel sur la route du retour à son domicile ; un comptable, condamné pénalement, a également été condamné à 6 MF au titre de sa responsabilité civile suite à des faux qu’il a effectués pour le compte de son employeur dans le but de percevoir des aides en formation professionnelle. Pour comprendre de telles décisions et donc prévenir et sensibiliser nos adhérents sur ces questions, il nous est apparu nécessaire de faire un point sur les grands mécanismes du droit de la responsabilité en général, et du salarié en particulier. Ce point devra nous permettre ensuite de mener une réflexion critique de ces mécanismes pour le salarié. Deux grands types de responsabilités du salarié seront abordés : la responsabilité pénale et la responsabilité civile. En ce qui concerne la responsabilité pénale, le champ est circonscrit à la responsabilité du salarié et de l’employeur en qualité de personnes physiques par rapport à des infractions liées à la relation de travail. Il ne sera donc pas question de la responsabilité pénale des personnes morales. En ce qui concerne la responsabilité civile, il y a deux types de responsabilités : la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle. L’examen de la responsabilité contractuelle consiste à étudier les conséquences d’une violation des obligations inscrites au contrat de travail. Il n’en sera pas question ici car le sujet mérite un développement spécifique à lui seul lors d’une réunion particulière. Dans les propos qui vont suivre, on se focalisera alors sur la responsabilité délictuelle, c’est-à-dire celle qui est mise en œuvre lorsqu’un dommage a été causé à autrui.

Transcript of LA RESPONSABILITÉ JURIDIQUE DU SALARIÉarchive.cfecgc.org/e_upload/pdf/responjuridiq062003.pdf ·...

Confédération française de l’encadrement CGC 59/63 rue du Rocher ; 75008 Paris.

Juillet 2003

RÉUNION DES JURISTES CFE-CGC DU 17 JUIN 2003

LA RESPONSABILITÉ JURIDIQUE DU SALARIÉ

Le fait pour un salarié de causer un dommage ou de commettre une infraction pénale dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail, engage-t-il sa responsabilité ? Pourquoi choisir de traiter ce sujet ? L’actualité de l’hiver 2002 s’est fait l’écho de décisions de justice sur le sujet inhabituelles : un cadre et par ailleurs président du CE, voit sa responsabilité civile et pénale engagée pour avoir introduit de l’alcool dans l’entreprise et servi un salarié déjà éméché, salarié qui a causé un accident mortel sur la route du retour à son domicile ; un comptable, condamné pénalement, a également été condamné à 6 MF au titre de sa responsabilité civile suite à des faux qu’il a effectués pour le compte de son employeur dans le but de percevoir des aides en formation professionnelle. Pour comprendre de telles décisions et donc prévenir et sensibiliser nos adhérents sur ces questions, il nous est apparu nécessaire de faire un point sur les grands mécanismes du droit de la responsabilité en général, et du salarié en particulier. Ce point devra nous permettre ensuite de mener une réflexion critique de ces mécanismes pour le salarié. Deux grands types de responsabilités du salarié seront abordés : la responsabilité pénale et la responsabilité civile. En ce qui concerne la responsabilité pénale, le champ est circonscrit à la responsabilité du salarié et de l’employeur en qualité de personnes physiques par rapport à des infractions liées à la relation de travail. Il ne sera donc pas question de la responsabilité pénale des personnes morales. En ce qui concerne la responsabilité civile, il y a deux types de responsabilités : la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle. L’examen de la responsabilité contractuelle consiste à étudier les conséquences d’une violation des obligations inscrites au contrat de travail. Il n’en sera pas question ici car le sujet mérite un développement spécifique à lui seul lors d’une réunion particulière. Dans les propos qui vont suivre, on se focalisera alors sur la responsabilité délictuelle, c’est-à-dire celle qui est mise en œuvre lorsqu’un dommage a été causé à autrui.

SOMMAIRE

LA RESPONSABILITÉ JURIDIQUE DU SALARIÉ

I. La responsabilité pénale du salarié

A. Les infractions pouvant être reprochées au salarié

1. Les éléments constitutifs de l’infraction 2. Les infractions propres à la relation de travail

B. L’imputabilité des infractions au salarié

1. Le principe de responsabilité pénale première de l’employeur 2. L’imputabilité irrésistible du salarié

a. En cas de délit intentionnel b. En cas de délégation de pouvoirs

II. La délégation de pouvoirs

A. Le domaine de la délégation de pouvoirs

1. Le champ d’application 2. Les entreprises concernées

B. Les conditions de validité

1. Les conditions liées au délégant 2. Les conditions liées au délégataire 3. Les conditions liées à la formalisation de la délégation

C. Les limites de la responsabilité du délégataire

1. Les limites liées à l’objet de la délégation 2. Les limites procédurales dans le cadre du contentieux

III. La responsabilité civile délictuelle du salarié

A. Le principe de la responsabilité civile première de l’employeur

1. Les fondements de 1384 alinéa 5 et 1382 2. La possible immunité du salarié

B. Les tempéraments au principe de responsabilité civile de l’employeur

1. Le salarié seul responsable 2. Le salarié commettant une infraction pénale

I - la responsabilité pénale du salarié C’est l’obligation pour une personne impliquée dans une infraction d’en assumer les conséquences pénales, c’est-à-dire de subir les sanctions attachées à cette infraction. La responsabilité pénale a une place grandissante en droit du travail. Aujourd’hui, dès que l’on crée une nouvelle obligation en droit du travail, on y introduit des infractions pénales. À côté de la responsabilité pénale de droit commun, s’est élaboré un véritable droit pénal du travail. Quand le salarié peut-il être déclaré responsable pénalement ? Après avoir rappelé ce qu’est une infraction et quelles sont les différentes infractions propres au droit pénal du travail, nous verrons ensuite dans quelles circonstances ces infractions pourront rendre le salarié responsable pénalement.

A) Les infractions susceptibles d’être reprochées au salarié dans le cadre de sa relation de travail

1. Rappel des éléments constitutifs de l’infraction selon le droit pénal général En droit pénal, trois éléments doivent être réunis pour qu’une personne puisse être poursuivie. Si ces trois éléments sont réunis, il y a alors infraction pénale pouvant donner lieu à poursuites. L’élément légal

Le principe de la légalité criminelle est un principe fondamental du droit pénal. Pour certains auteurs, c’est la clé de voûte de l’ensemble du droit criminel. Ce principe, de tradition révolutionnaire, a été repris dans le Code pénal à l’article 111-3 qui dispose que « nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement si l’infraction est une contravention ». En droit du travail, ce principe joue également, mais avec les mêmes atteintes que celles qu’il subit en droit pénal. Aujourd’hui, la plupart des auteurs déplorent une certaine démission du législateur quant à son devoir en matière de détermination des infractions. L’atténuation principale vient de la technique du renvoi. Dans certains domaines, le législateur se contente de fixer la peine mais renvoie à des dispositions extérieures de source non législative pour la détermination de l’infraction. Exemple : l’article L. 153-1 du Code du travail dispose que « lorsqu’en vertu d’une disposition législative expresse, dans une matière déterminée, une convention ou un accord collectif étendu déroge à des dispositions législatives ou réglementaires, les infractions aux stipulations dérogatoires sont passibles des sanctions qu’entraînerait la violation des dispositions législatives ou réglementaires en cause ».

Cette disposition a fait l’objet d’un recours devant le Conseil Constitutionnel pour atteinte au principe de légalité criminelle (car sanctions pénales pour des dispositions conventionnelles). Le Conseil Constitutionnel a rendu, le 10 novembre 1982, une décision de conformité à la Constitution de cette disposition (dans la mesure où ce texte a pour objet d’éviter que la négociation collective puisse aboutir à permettre de soustraire à l’application du droit commun et à la répression pénale qui y est attachée). L’élément matériel

Pour qu’il y ait infraction, il faut un élément matériel. Il faut que l’agent se soit manifesté par une attitude extérieure. Cette exigence de l’élément matériel de l’infraction est exprimée à l’article 121-4 du Code pénal. Cet article précise que, pour être auteur d’une infraction, il faut commettre un fait incriminé. Mais le comportement de l’agent peut prendre diverses formes ; il peut être actif ou passif. Le comportement actif est une infraction de commission. Cette infraction consiste à commettre positivement un acte prohibé par la loi. Le comportement passif est une infraction d’omission. Au contraire de l’autre type d’infraction, celle-ci se caractérise par l’attitude passive de l’auteur de l’infraction. Cette attitude, pouvant avoir un résultat dommageable, est également réprimée dans certains cas. L’élément moral

L’élément moral de l’infraction est énoncé à l’article 121-3 du Code pénal. L’élément moral peut se déduire du caractère volontaire de la mesure prise. Il peut également se déduire de la méconnaissance volontaire des dispositions légales. Il peut être aussi caractérisé par une imprudence ou une négligence.

2. Les infractions du droit pénal du travail Le salarié est avant tout une personne physique. À ce titre, il peut être responsable pénalement de contraventions, délits ou crimes, comme il le serait à l’extérieur de l’entreprise. S’il tue, viole ou insulte quelqu’un dans l’entreprise, il pourra être poursuivi sur le fondement du droit commun de la responsabilité pénale. Mais, parce qu’il est dans le cadre d’une relation de travail, le salarié est soumis à une législation particulière en matière d’infractions pénales. Pourquoi est-il nécessaire de lister ces infractions pénales ? Parce que la responsabilité pénale du salarié dépend des éléments constitutifs de chaque infraction. On verra notamment que l’élément moral est fondamental. Il est par ailleurs intéressant de savoir quelle est l’étendue de la responsabilité pénale du salarié pour chaque infraction.

a) Les infractions en matière d’atteinte aux droits des personnes Il peut s’agir ici, soit d’atteinte à la dignité de la personne (discrimination), soit de harcèlement (sexuel ou moral).

a.1. La discrimination

Incriminations du Code du travail

Il existe un texte qui interdit de manière générale les discriminations : l’article L. 122-45. Ce texte a été modifié par la loi relative aux discriminations. La loi du 16 novembre 2001 a étendu l’interdiction à l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise. Cette même loi a aussi élargi la liste des motifs discriminatoires : l’âge, l’orientation sexuelle, l’apparence physique, le patronyme… La liste a encore été complétée par la loi du 4 mars 2002 (loi sur les droits des malades). Ont été rajoutées les caractéristiques génétiques. L’article L. 123-1 interdit toute discrimination en matière d’emploi fondée sur le sexe ou la situation de famille. Il y a une grande amplitude de l’élément matériel de l’infraction. Cette amplitude est définie par la loi (art. L.123-1-a, b et c). Exemple où le délit a été retenu :

- Crim. 23 octobre 1990, Bull. Crim. n° 353. Le Code du travail sanctionne aussi la discrimination syndicale puisque l’article L. 412-2 interdit de prendre en considération l’appartenance à un syndicat ou bien l’exercice d’une activité syndicale pour arrêter sa décision, notamment en matière d’embauche, d’organisation du travail, de formation professionnelle, d’avancement, de rémunération, d’octroi d’avantages sociaux, de sanctions disciplinaires et de licenciement. Cette discrimination est sanctionnée par le délit de l’article L. 481-3. En matière de discrimination syndicale, et s’agissant de l’élément moral du délit, il faut souligner que la prise en considération de l’activité syndicale de certains salariés est nécessairement intentionnelle. Quant à l’élément matériel, il peut revêtir beaucoup de formes car il existe une grande diversité de décisions de l’employeur susceptible d’être à l’origine de la prise en considération illicite. De plus, les juges du fond disposent d’un large pouvoir d’appréciation. Exemples où le délit a été retenu :

- Crim. 25 mars 1980, Bull. Crim. p. 244. - Crim. 4 janvier 1991, RJS 1991, 181, n° 346. - Crim. 25 mai 1982, Bull. Crim. p. 371.

Cette infraction soulève un problème de preuve. Les juges, pour fonder leur décision, vont en fait regarder l’objectivité et le caractère pertinent des justifications présentées par l’employeur. Cela conditionnera l’issue du litige. Incriminations du Code pénal L’article 225-1 prohibe toute distinction opérée entre les personnes physiques en raison… (cf. définition du Code du travail). L’article 225-2 envisage la répression pénale lorsque la discrimination consiste notamment à refuser d’embaucher, à sanctionner, à licencier une personne ou à subordonner les offres d’emploi à une condition fondée sur l’un des motifs visés à l’article 225-1. La loi du 16 novembre 2001 a aussi allongé la liste des agissements prohibés. Le délit est consommé par la seule offre d’emploi discriminatoire, quels qu’en soient les effets (Crim. 30 janvier 1990, D. 1990, somm. p. 86).

Exemples d’application jurisprudentielle :

- Crim. 14 octobre 1986, Bull. Crim. n° 287. - Crim. 14 novembre 1989, Bull. Crim. n° 416.

La jurisprudence a eu l’occasion de rappeler que, pour que l’infraction soit caractérisée, il fallait que les éléments constitutifs soient nettement caractérisés. Crim. 12 mai 1992 : elle juge que ce n’est pas le cas, lorsque le responsable du recrutement d’une entreprise ayant été poursuivi pour discrimination à l’embauche en raison de la situation de famille, après avoir déclaré aux délégués du personnel qu’il n’avait pas l’habitude de recruter des proches parents, sans que cette habitude apparaisse comme déterminante du refus de la demande de mutation d’une salariée dans un établissement où travaillait son mari. La Chambre Criminelle a approuvé sa relaxe au motif que la simple déclaration d’intention faite par le prévenu aux délégués du personnel ne constituait pas le refus d’embauche. S’agissant des motifs de discriminations, il existe beaucoup de recoupements entre le Code du travail et le Code pénal. L’incrimination du Code pénal s’avère plus large dans la détermination des personnes punissables. En effet, outre que l’article 225-1 s’applique également aux personnes morales, le cercle des personnes physiques concernées est également plus large. C’est non seulement le chef d’entreprise et ses collaborateurs, mais aussi d’autres professionnels comme les responsables des agences pour l’emploi. Il peut arriver qu’une même situation soit susceptible de tomber à la fois sous le coup d’une incrimination propre au droit du travail, et sous celle d’une incrimination du Code pénal. La répression est beaucoup plus sévère dans les textes du Code pénal. Le juge a le choix : il détermine la qualification adéquate, soit il opte pour l’application de la règle spéciale (et donc de la répression la moins sévère), soit il opte pour l’application de la règle dite de la plus haute acception pénale (la plus sévère). C’est une situation qui est critiquée. Une partie de la doctrine demande une harmonisation. Mais le législateur ne l’a pas encore fait avec les nouvelles lois sur le harcèlement.

a.2. Délits de harcèlement sexuel et moral Harcèlement sexuel Il est réprimé par l’article L. 152-1-1 du Code du travail. C’est une incrimination de renvoi car elle vise toute violation des dispositions de l’article L. 122-46. Cet article dispose : « aucun salarié, aucun candidat à un recrutement, à un stage ou à une période de formation en entreprise, ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement de toute personne dont le but est d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers ». Le harcèlement sexuel est aussi réprimé par l’article 222-33 du Code pénal. Cet article dispose : « le fait de harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle est puni d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende ».

- Qu’est-ce que obtenir des faveurs de nature sexuelle ?

On peut hésiter entre une acception étroite (à savoir l’établissement de relations intimes) et une acception large qui engloberait tout autre dimension de l’activité sexuelle préalable à la réalisation de ces relations. C’est dans cette seconde voie que semble s’orienter la jurisprudence comme le montre un arrêt du 18 janvier 1996 par lequel la Cour d’appel de Paris énonce qu’il convient d’entendre par « faveurs de nature sexuelle » tout acte de nature sexuelle, notamment, les simples contacts physiques destinés à assouvir un fantasme d’ordre sexuel, voire à accentuer ou provoquer le désir sexuel, que l’expression « agissements de harcèlement » peut englober dans ce contexte, outre les contacts physiques imposés, les propos dont l’objet est de provoquer sexuellement le salarié pour qu’il soit enclin à accorder des faveurs de nature sexuelle (Cour d’appel de Paris, 18 janvier 1996, Dt. Ouvrier 1997, p. 76). A certains égards, le Code du travail semble couvrir un champ de répression plus large que le Code pénal. Dans l’article L. 122-46, on envisage le harcèlement sexuel alors même que le bénéficiaire du harcèlement est un tiers (client de l’entreprise, conjoint du chef d’entreprise,…). Et, en vertu du principe d’interprétation stricte, l’article 222-33 du Code pénal ne peut pas être étendu dans l’hypothèse du tiers bénéficiaire. Il existe donc une complémentarité des textes du Code pénal et du Code du travail. Mais, il y a un risque de concours de qualification. En matière de sanctions, elles sont différentes selon le texte visé : - un an de prison et 15 000 euros d’amende, pour le Code pénal, - un an de prison et 3 750 euros d’amende ou l’une de ces deux peines seulement, pour le Code du travail. Le juge aura le choix entre ces deux répressions. Harcèlement moral Il est réprimé par le Code du travail (art. L. 122-49 et suivants) et par le Code pénal (art. 222-33-2). Dans le Code du travail, le délit se définit comme « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Ce délit a donné lieu à des réserves d’interprétation de la part du Conseil Constitutionnel. Celui-ci a précisé que les droits du salarié doivent être regardés comme ceux de la personne au travail tels qu’énoncés à l’article L. 120-2 du Code du travail. Par rapport au délit de harcèlement sexuel, le harcèlement moral suppose une répétition (donc un seul acte isolé ne suffit pas). Autre différence : ici, la définition vise « objet » ou « effet ». Donc, on peut se référer à l’objet et pas aux effets sur l’emploi. L’article 222-33-2 du Code pénal définit comme « le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail… » (pareil que l’article L. 122-49). Là aussi, la répression n’est pas la même (même difficulté que pour le harcèlement sexuel).

Que ce soit pour le délit de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel, le Code du travail aménage la charge de la preuve (le salarié doit présenter des éléments de fait, aujourd’hui des faits ; il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement). Mais le Conseil Constitutionnel a dit que ces aménagements ne portaient pas atteinte à la présomption d’innocence car ils ne sont applicables que pour les litiges devant la juridiction prud’homale. Donc, en matière pénale, on revient au principe de la présomption d’innocence.

b) Le délit d’entrave

b.1. L’entrave aux institutions représentatives du personnel Le Code du travail interdit et réprime toute entrave ou atteinte portée à la désignation ou au fonctionnement des différentes institutions représentatives du personnel, mais sans en donner la définition. L’entrave peut, en effet, découler d’agissements, de décisions ou de comportements très divers, qui ont pour but ou pour effet d’empêcher ou de rendre plus difficile la mise en place ou la mission des représentants du personnel ou des représentants syndicaux. L’élément légal

Il existe une abondance de textes dans ce domaine, textes qui sont tous dans le Code du travail. On est en présence d’une infraction éclatée, et ceci pour des raisons historiques :

- l’ordonnance de 1945 sur le comité d’entreprise a introduit l’article L. 483-1 dans le Code du travail,

- la loi de 1946 sur les délégués du personnel a introduit l’article L. 482-1. Victimes du délit d’entrave - CHSCT (constitution, désignation, fonctionnement),

- exercice du droit syndical, - DP (désignation, exercice des fonctions), - CE, CCE, comité de groupe (constitution,…),

- licenciement des salariés protégés en méconnaissance des dispositions régissant leur licenciement, - conseillers prud’homaux (art. L. 531-1). L’élément matériel L’infraction d’entrave couvre différents aspects de la vie des IRP, de leur mise en place à leur disparition. Deux catégories d’entraves existent :

- Les entraves directes

Ce sont les attaques dirigées contre l’institution elle-même ou contre l’un de ses membres. Ces entraves peuvent se produire dans la mise en place des IRP ou dans le fonctionnement des IRP. Exemples dans la mise en place : - refus de procéder aux élections (Crim. 26 avril 1986, Bull. Crim. n° 147), - oubli de certains salariés pour réduire l’effectif de l’entreprise (Crim. 10 janvier 1970, Bull. Crim. n° 31), - influencer le résultat des votes (Crim. 20 mars 1979, Bull. Crim. n° 114).

Exemples dans le fonctionnement : - refus du représentant de réunir le CE (Crim. 22 juin 1999, Dr. Ouvrier 2000, p. 39), - fixer unilatéralement l’ordre du jour (Crim. 4 novembre 1997, Bull. Crim. n° 371), - ne pas respecter les règles relatives à la convocation des membres (Crim. 27 septembre 1988, Bull. Crim. n° 325), - mauvais niveau de consultation (Crim. 26 septembre 1990, RJS 1990, p. 529), - liberté de déplacement des RP (Crim. 28 mars 1979, Bull. Crim. n° 126).

- Les entraves indirectes

C’est ici, par le truchement de sa qualité de salarié que le RP est atteint dans sa fonction. Ce peut être le cas du licenciement en méconnaissance du statut protecteur. C’est aussi le cas en matière de modification du contrat de travail si, en cas de poursuite, l’employeur ne peut pas apporter la pleine justification de la mesure (Crim. 11 mai 1999, Dr. Ouvrier p. 345). Le délit est également caractérisé quand, malgré l’annulation du licenciement, le salarié n’est pas réintégré malgré sa demande. Les caractères propres de l’élément matériel L’entrave est le plus souvent caractérisée par un acte isolé. Parfois, les faits délictueux se prolongent ; ceci a pour conséquence d’aggraver la répression. L’infraction est constituée, même si le résultat n’est pas atteint. Quid de la tentative en matière de délit d’entrave ? Elle est prévue pour le CHSCT (art. L. 263-2-2) et les DP (art. L. 482-1). Pour le reste, elle n’est pas prévue. Il y a donc une disparité. Mais en pratique, comme il importe peu que le résultat soit atteint, la disparité s’en trouve amoindrie. L’élément moral

Le délit d’entrave est une infraction intentionnelle. Il faut donc une intention de commettre l’entrave. Selon la jurisprudence, la simple méconnaissance volontaire des textes suffit à caractériser l’intention. « L’élément intentionnel du délit se déduit du caractère volontaire des omissions constatées » (Crim. 17 février 1998, Dr. Ouvrier 1998, p. 429). Problème : une situation peut caractériser à la fois un délit d’entrave et un délit de discrimination syndicale. Dans cette hypothèse, la jurisprudence admet, alors, un cumul réel d’infractions en considérant que les différentes incriminations protègent des intérêts distincts. Dans ce cas, le juge peut faire un cumul des peines.

b.2. L’entrave à la liberté du travail Elle est visée par l’article 431-1 du Code pénal. Ce n’est pas la liberté du travail, en soi, qui est protégée par le Code pénal, mais le législateur a souhaité punir uniquement l’emploi de certains moyens illicites, ceux étant destinés à provoquer une cessation d’activité. Alinéa 1 Parmi les moyens, il existe les menaces. Pour caractériser l’infraction d’entrave, les menaces « doivent être de telle nature qu’un homme normalement énergique, qui en est l’objet, soit amené à agir contre sa propre volonté et à faire ce qu’il ne veut pas faire, parce qu’il aura de sérieuses raisons d’appréhender un attentat contre sa personne, sa famille ou ses biens » (Crim. 5 février 1957, Bull. Crim n° 116).

Exemple dans ce sens : le comportement des membres d’un piquet de grève, dès lors que la violence des propos tenus est de nature à provoquer une modification du comportement initial des non-grévistes (Crim. 5 février 1957, Gaz. Pal. 1957, 1, p. 427). Exemple dans le sens inverse : la présence passive des grévistes dans un piquet de grève ou sur leur poste de travail. Alinéa 2 Dans l’alinéa 2, doit être précisée la notion de voie de fait. Ce sont des « actes qui, sans atteindre physiquement la personne, sont susceptibles de causer une impression vive, une émotion violente » (H. Sinay). Exemple : les ouvriers composant un piquet de grève qui avaient établi des barrages aux portes d’une usine afin d’empêcher les non-grévistes de gagner leur poste. Ceci s’était doublé de bousculades pour ceux qui voulaient passer le barrage. La notion de voie de fait a été jugée comme caractérisée. Dans la mesure où ces actes étaient de nature à les impressionner, à leur faire redouter l’exercice de violences plus graves et à les amener à agir contre leur propre volonté (Crim. 27 novembre 1979, Bull. Crim. n° 339). Quant à la notion de pure violence, elle s’applique peu. L’élément moral Le délit suppose une intention délictueuse. Cette intention doit être entendue au sens de la recherche d’un résultat. Le nouveau Code pénal a par ailleurs supprimé toute référence à la tentative. Celle-ci n’est donc plus punissable.

c) Les infractions aux règles d’hygiène et de sécurité

Certaines infractions sont prévues par le Code du travail, tandis que d’autres sont prévues par le Code pénal. Le Code du travail définit des infractions spéciales caractérisées par la violation d’obligations générales ou particulières mises à la charge du chef d’entreprise par des textes précis et indépendants de la réalisation du risque d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Mais à côté de cette répression spéciale, les poursuites pénales sont parfois susceptibles d’être également déclenchées sur le fondement des textes du Code pénal qui répriment les atteintes involontaires à la vie et à l’intégrité de la personne ou encore le délit de risque causé à autrui.

c.1. Les infractions instituées par le Code du travail L’élément légal La principale infraction en matière d’hygiène et de sécurité est le délit prévu à l’article L. 263-2 du Code du travail. Ce texte punit d’une amende de 3 750 euros, les chefs d’établissement, directeurs, gérants ou préposés qui, par leur fait personnel, ont enfreint les dispositions relatives à la réglementation de l’hygiène et de la sécurité au travail.

Le texte punit de la même peine les autres personnes qui, par leur faute personnelle, ont enfreint les règles de sécurité qui leur sont imposées par des dispositions spéciales. Ce texte vise notamment, les vendeurs, les distributeurs, les importateurs de matière ou de substances dangereuses ou de matériel d’équipement. Ce délit a un domaine d’application très vaste dans la mesure où il s’applique à tous les établissements industriels, commerciaux ou agricoles, de quelque nature que ce soit, ainsi qu’aux entreprises familiales. D’autre part, l’infraction est susceptible d’être relevée, non seulement en cas de violation des règles prévues par le Code du travail, mais aussi en cas d’inobservation des règlements d’administration publique (ce sont des règlements qui fixent des règles générales en matière de salubrité, ventilation, aération, éclairage,…). En outre, la liste n’étant pas exhaustive, il appartient à la jurisprudence de décider si les prescriptions édictées par des dispositions réglementaires sont ou non susceptibles de constituer l’élément légal de l’infraction. Par exemple, à propos du décret du 8 janvier 1965 qui fixe des règles particulières de sécurité en matière de chantier du BTP, la jurisprudence considère que le manquement à ces dispositions peut entrer dans le champ d’application de l’article L. 263-2 du Code du travail. L’élément matériel L’élément matériel peut être très divers, vu les textes de renvoi concernés. Nous n’en dresserons pas la liste. Par contre et pour schématiser, la plupart des dispositions constituant l’élément matériel de l’infraction imposent une obligation de résultat, donc une vigilance maximum. Cependant, l’inexécution de l’obligation de résultat correspond souvent à une pure abstention. L’obligation est inexécutée et l’infraction matériellement consommée dès qu’il y a exposition au risque, même si ce risque ne s’est pas encore traduit par un dommage corporel. Seules quelques dispositions réglementaires contiennent des formules qui montrent que l’obligation n’est que de moyen. Cette obligation de moyen se repère dans les textes grâce aux formules « dans la mesure du possible » ou « on s’efforcera de ». À titre d’exemple, l’article R. 233-6 du Code du travail débute par « autant que possible ». L’élément moral En matière d’hygiène et de sécurité, le simple constat qu’une prescription obligatoire n’a pas été respectée suffit, en principe, à caractériser la faute en même temps que l’élément matériel de l’infraction. Aucune intention coupable n’est par conséquent requise au titre de l’élément moral de l’infraction.

c.2. Les infractions du Code pénal

En cas d’accident du travail, les poursuites pénales pourront être engagées sur le fondement des textes du Code pénal qui répriment les atteintes involontaires à la vie et à l’intégrité physique ou même psychique. Mais, même en l’absence de réalisation du risque d’accident, l’auteur pourra être poursuivi sur le fondement de la mise en danger délibérée de la personne d’autrui (art. 223-1 du Code pénal). - S’agissant des atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne lorsqu’une faute d’imprudence, une négligence ou encore le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, se trouve à l’origine d’un accident du travail ayant entraîné la mort ou une atteinte à l’intégrité de la personne du salarié, elle peut donner lieu à poursuites pénales sur le fondement de l’article 221-6 (décès) ou sur le fondement de l’article 222-19 ou 222-20 (atteinte involontaire à l’intégrité de la personne). - La faute pénale simple se caractérise par une imprudence, une négligence ou encore par le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. À partir du moment où il y a un tel manquement, l’infraction est caractérisée et elle peut donner lieu concomitamment à des poursuites pénales sur le fondement de l’article L. 263-2 du Code du travail, mais aussi sur le fondement des textes du Code pénal (on applique l’acception la plus sévère). Indépendamment de toute violation d’une obligation de sécurité imposée par un texte exprès, le délit d’homicide involontaire ou de blessures involontaires peut être retenu si l’accident est dû à une faute d’imprudence ou de négligence. Or, la jurisprudence impose à l’employeur de veiller personnellement et à tout moment à la sécurité des travailleurs. La Chambre Criminelle va très loin car elle estime qu’il appartient à l’employeur de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer, de manière constante dans l’entreprise, l’application et le respect des mesures de sécurité. Donc, s’il ne peut l’assurer lui-même, l’employeur doit déléguer ses pouvoirs. - S’agissant du manquement délibéré, la loi du 16 décembre 1992 a introduit la notion de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence. Ce concept a été repris par la loi du 10 juillet 2000 car, en cas de causalité indirecte, auteur indirect du dommage, l’alinéa 4 envisage la violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité. Selon la conception doctrinale, le législateur a ici consacré la notion de dol éventuel, qui constitue une catégorie intermédiaire entre la faute pénale simple et l’intention délictuelle. Il y aura dol éventuel dès lors que l’agent, sans rechercher le résultat dommageable, avait néanmoins conscience que son comportement était susceptible d’entraîner la réalisation de ce dommage. L’adjectif « manifestement délibérée » induit que soit rapportée la preuve de la connaissance par l’auteur, non seulement du texte instituant l’obligation de prudence ou de sécurité qui n’a pas été respecté, mais également la preuve de la conscience du dommage qui en résultait. Le chef d’entreprise, assimilé à un professionnel, est présumé connaître les différentes obligations de prudence ou de sécurité qui lui sont imposées par la loi ou le règlement. En revanche, comment rapporter la preuve de la conscience du danger et la violation manifestement délibérée ? Une circulaire de 1994 est venue apporter des précisions : elle évoque les attestations ou témoignages relatant les ordres illicites donnés par le chef d’entreprise ou par son délégataire. De manière générale, les juges pourront déduire des

circonstances de fait ou des déclarations de l’inspection du travail, l’existence d’un manquement délibéré de l’employeur à ses obligations. - S’agissant du délit de risques causé à autrui, c’est l’article 223-1 du Code pénal qui a pour caractéristique d’être constitué en l’absence même de toute réalisation du dommage. Cet article dispose que « le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente, par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est punie d’un an de prison et d’une amende de 15 200 euros ». L’élément matériel Première précision, lorsque l’on parle de règlement, la Chambre Criminelle dit qu’il s’entend des actes des autorités administratives à caractère général et impersonnel (Crim. 10 mai 2000, Bull. Crim. n° 183). Deuxième précision : le texte parle d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence, ce qui exclut la violation d’une obligation générale de sécurité ou un devoir général de prudence. Troisième point, l’exposition aux risques doit être immédiate. Il faut un danger (risque extrême). Les juges du fond bénéficient d’un pouvoir souverain pour apprécier la gravité du risque encouru. La Chambre Criminelle, le 16 février 1999 (Crim. 16 février 1999, Bull. Crim. n° 24), a rappelé que le délit n’est constitué que si le manquement défini par le texte a été la cause directe et immédiate du risque auquel a été exposé autrui. Il faut donc un lien direct entre la violation d’un texte particulier et le risque auquel sont exposés les salariés. L’élément moral L’élément moral de l’infraction repose sur la notion de dol éventuel. Ce dol consiste, de la part de l’agent, à prévoir comme possible le résultat, sans en vouloir la réalisation (ex. : un responsable qui charge trop son navire en passagers. Ce responsable perçoit le risque dû au chargement excessif). La Chambre Criminelle estime que le délit peut être constaté indépendamment de la connaissance par l’auteur de la nature du risque particulier effectivement causé par son manquement (même arrêt que précédemment). C’est-à-dire que la Chambre Criminelle estime que l’élément moral est caractérisé par la connaissance de l’obligation violée, et par la conscience d’un risque auquel est exposé autrui, mais sans qu’il soit nécessaire d’établir la connaissance de la gravité particulière du risque engendré.

c.3. Les infractions en matière d’emploi Le développement de la réglementation de l’emploi s’est accompagné d’un renforcement progressif de la répression pénale afin d’en assurer l’effectivité et d’accroître la protection des travailleurs. Deux principales infractions : La fourniture illicite de main-d’œuvre Cette situation est pénalement sanctionnée par des textes spécifiques du Code du travail qui sont relatifs au délit de marchandage. En réalité, ce délit recouvre deux infractions distinctes dans leurs éléments constitutifs, mais qui sont pourtant susceptibles de s’appliquer à une même situation.

Le délit de marchandage Cette situation est définie à l’article L. 125-1 comme « toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application des dispositions de la loi, du règlement, ou d’une convention ou d’un accord collectif de travail ». Il faut qu’il y ait : Un prêt de main-d’œuvre à but lucratif - l’infraction ne peut être consommée que par ses effets (soit un préjudice causé au

salarié, soit une fraude).

Le préjudice causé au salarié, quel peut-il être ? - hypothèse où le salarié n’est pas placé dans la même situation : le préjudice peut

résulter de la différence de traitement du salarié avec les salariés permanents de l’entreprise bénéficiaires du prêt.

Il y a également infraction lorsque l’opération a eu pour effet d’éluder les dispositions légales ou conventionnelles. Dans quelle hypothèse ? - échapper à la mise en place des instituions représentatives du personnel.

Le délit de marchandage est pénalement sanctionné par l’article L. 152-3 (qui sanctionne d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 euros ou de l’une de ces deux peines seulement. L’article L. 152-3-1 prévoit que la responsabilité des personnes morales peut être engagée).

Le prêt illicite de main-d’œuvre L’article L. 125-3 interdit « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre dès lors qu’elle n’est pas effectuée dans le cadre des dispositions légales relatives au travail temporaire ». Ce texte, en pratique, vise la sous-traitance fictive. C’est-à-dire que, sous couvert d’un contrat de sous-traitance, on s’aperçoit que l’opération n’a pour but que de fournir un prêt de main-d’œuvre. Il faut deux conditions pour que ce soit illicite : - l’opération consiste exclusivement en la mise à disposition de personnel (ce qui permet de distinguer de la véritable sous-traitance), - l’opération est réalisée dans un but lucratif.

La véritable sous-traitance suppose, outre la mise à disposition de personnel, l’accomplissement d’une prestation spécifique, c’est-à-dire notamment l’apport d’un savoir-faire spécifique. Il faut que les salariés demeurent sous la subordination de leur employeur, ce qui suppose l’existence d’un encadrement assuré par la société sous-traitante. Les juges prennent aussi en considération le fait que la société sous-traitante exécute les travaux avec son propre matériel. Le prix de la prestation doit être calculé de manière forfaitaire et non pas en fonction du nombre d’heures du personnel mis à disposition. Le but lucratif de l’opération pourra être caractérisé, dès lors que le montant de la prestation est supérieur à la somme des salaires payée au salarié mis à disposition et des charges sociales y afférentes. Les juges vont pouvoir retenir la responsabilité des deux entreprises car il y a un but lucratif pour les deux.

Conclusion sur les articles L. 125-1 et L. 125-3 : ces deux infractions sont susceptibles d’être caractérisées par une même situation. On est dans l’hypothèse, alors, d’un concours de qualification. Il appartiendra au juge de retenir la qualification qui lui paraît la plus adéquate. Les sanctions pénales sont identiques pour les deux.

Le travail dissimulé L’intensification du dispositif de lutte contre le travail clandestin et le renforcement de l’action répressive constituent l’une des évolutions majeures du droit pénal du travail de ces dernières années. La loi du 11 mars 1997 a eu pour objectifs de renforcer la lutte contre le travail illégal en permettant un contrôle plus efficace et en aggravant les peines et sanctions encourues par les prévenus. Définition du travail dissimulé L’article L. 324-9 prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé ainsi que la publicité par quelque moyen que ce soit tendant à favoriser en toute connaissance de cause le travail dissimulé. Le texte interdit aussi d’avoir recours sciemment, directement ou par personne interposée, au service de celui qui exerce un travail dissimulé. Le texte renvoie à l’article L. 324-10 pour la définition du travail dissimulé : « est réputé travail dissimulé, non seulement les dissimulations d’activité mais aussi la dissimulation d’emplois salariés ». Il y a donc deux hypothèses :

- le travail dissimulé par dissimulation d’activité : cela vise l’hypothèse où un travailleur indépendant -ou bien une personne morale-, ne procède pas aux déclarations obligatoires auprès des organismes de protection sociale ou auprès de l’administration fiscale, ou encore à son immatriculation au registre du commerce et au répertoire des métiers. Le texte vise en principe un élément intentionnel, mais la jurisprudence réduit cet élément intentionnel au simple caractère volontaire de l’inexécution imposée par la loi.

- le travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés :

c’est l’hypothèse, où l’employeur n’a pas effectué l’une des deux formalités imposées par les textes, c’est-à-dire la déclaration préalable d’embauche ou la remise d’un bulletin de salaire. C’est également l’hypothèse où l’employeur ne mentionne pas sur le bulletin de salaire la totalité des heures effectuées. Dans ce dernier cas, la jurisprudence précise que le salarié doit établir que l’employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

B) Les conditions d’engagement de la responsabilité pénale du salarié

1. Un salarié en principe non responsable des infractions commises dans l’entreprise

Selon une jurisprudence constante, c’est le chef d’entreprise qui répond non seulement des infractions qu’il a, seul, matériellement commises, mais également de celles dont la matérialité a été accomplie par ses salariés. La solution n’est expressément prévue par aucune disposition du Code du travail. On a souvent parlé à ce sujet de responsabilité pénale pour le fait d’autrui. Tout au plus peut-on remarquer que le législateur en suggère la possibilité dans la mesure où la révélation de l’inobservation des prescriptions qu’il édicte dépend souvent en fait du comportement des subordonnés du chef d’entreprise. En droit du travail, la responsabilité pénale du chef d’entreprise pour les infractions accomplies par ses salariés s’est développée essentiellement à l’occasion des manquements aux règles relatives à l’hygiène et à la sécurité du travail. La Chambre Criminelle va très loin en la matière puisqu’elle considère qu’il appartient « au chef d’entreprise de veiller personnellement et à tout moment à la stricte et constante exécution des dispositions édictées par le Code du travail ou par les règlements pris pour son application en vue d’assurer l’hygiène et la sécurité des travailleurs » (Crim. 19 décembre 1956, Bull. Crim. n° 859). L’employeur est en premier lieu responsable de la violation des règlements propres à son entreprise (exemple : le pharmacien est considéré comme l’auteur des infractions à la législation pharmaceutique commises par ses préparateurs et employés). Il est également responsable de tous manquements d’ordre général commis dans son entreprise (infractions en matière de droit du travail, de droit de la santé, etc.). L’infraction du préposé peut être de toute nature. Il peut s’agir d’une infraction de commission ou d’une infraction d’omission. Il peut également s’agir d’une infraction d’imprudence. La condamnation pénale du chef d’entreprise, en raison des infractions commises par ses subordonnés, semble se heurter à la règle du Droit Pénal général inscrite à l’article 121-1 du Code pénal : « la responsabilité pénale ne peut résulter que d’un fait personnel ». Mais en fait, la justification est à rechercher dans le fait que le chef d’entreprise serait tenu d’une obligation de surveillance sur son personnel. Par conséquent, tout non-respect de la réglementation ne ferait alors que révéler sa propre carence et justifie sa condamnation pénale. Cette carence révélerait en quelque sorte une faute de la part de l’employeur. Comment l’employeur peut-il dès lors s’exonérer de sa responsabilité pénale ? La seule solution qui lui est offerte, a priori, est de prouver son absence de faute. Mais la jurisprudence est très sévère en la matière, répétant inlassablement que « les chefs d’entreprise doivent s’assurer personnellement et à tout moment de la stricte et constante application des règles de sécurité des travailleurs qu’ils emploient » (Crim. 25 janvier 1975, D. 1976, 375). En matière de délit non intentionnel, la jurisprudence postérieure à la loi du 10

juillet 2000 démontre que l’exonération de l’employeur sur ce fondement n’est pas chose aisée. Mais, si l’employeur est responsable pénalement par principe, sa responsabilité n’est pas générale. En effet, le salarié reste responsable de ses infractions en matière de délits intentionnels. Par ailleurs, l’employeur peut, sous certaines circonstances, s’exonérer de sa responsabilité en délégant ses pouvoirs.

2. La responsabilité pénale du salarié

a) Un salarié responsable en matière de délits intentionnels Harcèlement Le harcèlement est une infraction intentionnelle. Elle peut donc être reprochée au salarié. Les textes définissant l’élément matériel de l’infraction ne donnent pas une liste des personnes pouvant se rendre coupables du délit de harcèlement. Par conséquent, toute personne dans une entreprise peut se rendre coupable de harcèlement. En matière de harcèlement moral, tout salarié peut se rendre coupable du délit de harcèlement, sur le fondement du Code du travail ou sur le fondement du Code pénal. Cependant, en matière de harcèlement sexuel, on constate une différence entre la définition du Code pénal et celle du Code du travail, différence pouvant avoir des incidences sur les personnes susceptibles de se rendre coupables de harcèlement sexuel. Si l’on prend l’article 222-33 du Code pénal, il sanctionne les agissements de harcèlement sexuel en eux-mêmes. Alors que dans le Code du travail, la répression n’est envisagée que si le harcèlement a eu une conséquence sur l’emploi. Donc, l’abandon de la notion de rapport d’autorité (depuis la Loi de Modernisation Sociale) ne semble avoir aucun effet puisque, dans le Code du travail, on exige une conséquence sur l’emploi. Une telle conséquence ne peut venir que de quelqu’un qui a un pouvoir de décision. Mais, depuis la LMS, quelqu’un qui sera au même grade ou à un grade inférieur pourra être sanctionné par le Code pénal (car il réprime les agissements de toute personne, peu importe la conséquence). Il n’y a, en effet, pas de référence au rapport d’autorité. Ce peut donc être le fruit d’un collègue de travail. Discrimination La discrimination est également une infraction intentionnelle. Dans cette matière, l’énoncé des textes ne permet pas de dire que l’infraction ne peut être reprochée qu’aux employeurs. Donc, a priori, tout salarié peut se rendre coupable de discrimination. En pratique, il n’est cependant pas courant que tout salarié soit poursuivi pour discrimination. Cela se justifie certainement là encore par le fait que le Code du travail envisage le délit de discrimination sous l’angle des conséquences sur l’emploi de la personne discriminée. C’est-à-dire qu’il faut que la discrimination ait eu pour conséquence un licenciement, une sanction ou autre. Cela ne peut encore venir que de personnes ayant les pouvoirs de licencier ou de sanctionner. Mais, là encore, le Code pénal ne fait aucune référence à ces conséquences sur l’emploi. Le texte se contente de formules beaucoup plus générales. Il apparaît donc que, sur le fondement du Code pénal, tout salarié d’une entreprise pourra être poursuivi pour discrimination. Sur le fondement du Code du travail, la liste des personnes pouvant être poursuivies semble beaucoup plus restreinte.

En matière de discrimination syndicale, et s’agissant de l’élément moral du délit, il faut souligner que la prise en considération de l’activité syndicale de certains salariés est nécessairement intentionnelle. Mais cette infraction ne vise expressément que l’employeur. Tout salarié ne pourra donc pas être poursuivi pour discrimination syndicale. Entrave Le délit d’entrave est une infraction intentionnelle. Les textes ne précisent pas quelles personnes peuvent être poursuivies pour délit d’entrave. Si, la plupart du temps, c’est l’employeur qui sera poursuivi, un simple salarié peut être poursuivi pour délit d’entrave. En la matière, quelques exemples existent en jurisprudence Des salariés, qui se sont opposés à la réintégration à son poste de travail d’un délégué syndical et représentant syndical auprès du CE après son licenciement irrégulier, ont été condamnés pour délit d’entrave (Cass. Crim. 9 décembre 1986, Bull. crim. n° 368). A également été condamné pour délit d’entrave un membre du CE, en l’occurrence son secrétaire, qui a engagé une dépense ayant été soumise au vote du comité et n’ayant pas été approuvée par la majorité de ses membres (Cass. Crim. 4 novembre 1988, Bull. Crim. n° 374). Quant à l’entrave à la liberté du travail, les exemples énoncés précédemment montrent bien qu’elle peut être reprochée à tout salarié. Infractions en matière d’emploi (marchandage, prêt de main-d’œuvre, travail dissimulé) Concernant ces infractions, tout salarié peut-il en être déclaré responsable ? La définition de ces infractions ne vise pas que l’employeur. Par ailleurs, ces infractions sont intentionnelles. Il peut donc s’en déduire que, en principe, tout salarié peut être responsable de ces infractions. Mais, en pratique, il apparaît que, à part l’employeur lui-même, seuls les services d’une entreprise devant gérer le personnel pourront se rendre passibles de ces infractions. Si ces services ne sont pas déclarés auteurs de l’infraction, ils pourront néanmoins en être déclarés complices, dans les conditions de droit commun. Par exemple, se rend coupable de complicité celui qui, en connaissance de cause, participe à la gestion d’une société exerçant son activité sans qu’ait été accomplie l’une des obligations prévues par l’article L. 324-10 du Code du travail (Crim. 1er juillet 1997, Bull. Crim. n° 262). Il est effectivement à noter que, pour toutes ces infractions intentionnelles, le salarié pourra être déclaré co-acteur ou complice de l’employeur, dans les conditions de droit commun. Une question se pose en matière de délit intentionnel : est-ce que l’ordre reçu d’un supérieur hiérarchique constitue une cause d’irresponsabilité pénale pour le salarié ? La Chambre Criminelle, confirmant sa jurisprudence, a, le 26 juin 2002, apporté une réponse. En l’espèce, le salarié avait commis une infraction intentionnelle sur ordre de son employeur. Condamné par les juges du fond, le salarié invoque le fait que l’employeur lui a donné l’ordre de commettre l’infraction. La Chambre Criminelle ne reçoit pas cet argument et énonce que « l’ordre reçu d’un supérieur hiérarchique ne constitue pas, pour l’auteur d’une infraction, une cause d’irresponsabilité pénale ».

Hygiène et sécurité En matière d’hygiène et sécurité, l’élément intentionnel n’est pas requis. La responsabilité repose donc en principe sur l’employeur. Mais parfois, certains textes définissant l’élément matériel de l’infraction énoncent comme responsables, au-delà du seul employeur, les personnes exerçant une autorité sur d’autres personnes. Dans ces cas-là, les salariés visés par les textes peuvent voir leur responsabilité engagée. À titre d’exemple, nous pouvons citer un arrêt récent : la condamnation pénale du cadre sur le fondement de l’article L. 232-2 du Code du travail (l’alcool au travail).

L’article L. 232-2, qui interdit à toute personne ayant autorité sur les ouvriers et employés d’introduire toute boisson autre que le vin, le poiré, la bière…, est sanctionné par l’article L. 263-2. Cet article L. 232-2 a donné récemment lieu à un arrêt exemplaire. Dans les faits, un pot était organisé dans une entreprise. Un salarié qui, avant de rejoindre ses collègues avait fait plusieurs bars, repart de l’entreprise avec 2,80 grammes. Il prend l’autoroute en sens inverse et tue quelqu’un. Son chef d’unité, qui était aussi président du CE, est considéré comme indirectement responsable. Il est déclaré civilement responsable, mais également pénalement, sur le fondement de l’article L. 232-2 (amende de 2 000 euros). Les cadres doivent donc veiller à ce que de l’alcool ne s’introduise pas dans l’entreprise. Ils doivent également veiller à ne pas laisser entrer des personnes en état d’ivresse. Et, un cadre peut tout à fait organiser un pot avec les boissons alcoolisées autorisées et se retrouver poursuivi au pénal dès lors qu’un des salariés séjourne dans l’établissement en état d’ivresse ; et cela qu’il commette ou non un délit. En dehors de ces textes précis qui visent certaines catégories de personnes responsables, le salarié peut être responsable pénalement s’il existe une délégation de pouvoirs.

b) Un salarié responsable au-delà des délits intentionnels : la délégation de pouvoirs

La délégation de pouvoirs a pour objet de transférer la responsabilité pénale sur le salarié. Le mécanisme étant complexe, il convient de lui accorder des développements importants. C’est le thème de la deuxième partie.

II - LA DELEGATION DE POUVOIRS

Le Président Directeur Général d'une entreprise industrielle poursuivi en raison de la pollution d'un cours d'eau par déversement de cyanure de potassium, voilà qui fait penser à une actualité assez récente. Pourtant les faits remontent au mois d'août 1969 et la Cour de Cassation a exonéré en février 1973 le chef d'entreprise de toute responsabilité pénale, la reportant sur le directeur technique en s'appuyant notamment sur deux faits marquants : l'entreprise employant plus de 1 000 salariés, comportait deux usines séparées de plusieurs kilomètres ; le PDG, lui-même salarié, était en congé annuel « droit absolu consacré par le Code du travail ». Pour la Cour de cassation, « le PDG avait la faculté légale et même le devoir d'organiser un service technique assurant la sécurité. Aucun texte ne prohibe les délégations de pouvoirs concernant les règlements de salubrité et de sécurité dans les entreprises » (Cass. Crim., 14 fév. 1973, Bull. Crim. N° 81, p .191). Si les faits ont plus de 20 ans, il faut bien admettre que depuis quelques années, les appels à la responsabilité du chef d'entreprise se sont multipliés. Une double responsabilité qui peut s'exercer pour des faits qui lui sont directement reprochés mais aussi pour des faits reprochés à ses salariés. Établir une délégation de pouvoirs à certains cadres de l'entreprise constitue donc une échappatoire à la responsabilité pénale de l'employeur.

Le chef d’entreprise doit veiller personnellement au respect des dispositions légales et

réglementaires, notamment celles prescrites par le droit du travail, parce qu’il est légalement présumé en avoir le pouvoir. Mais en pratique, cela peut se révéler matériellement difficile voire impossible.

Les tribunaux admettent dans de tels cas que l’employeur se décharge d'une partie de ses fonctions sur un subordonné par le biais de la délégation dès lors que la nécessité du fonctionnement de l'entreprise, l'organisation, la taille l'y contraignent.

Cela débouche sur un transfert de responsabilité : - la délégation de pouvoirs permet au chef d’entreprise de s’exonérer de sa

responsabilité pénale en rapportant la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à un préposé, mais son efficacité n'est pas sans limite,

- pour le salarié délégataire, les conséquences de la signature d’une telle délégation de pouvoirs peuvent être très lourdes. Sa responsabilité pénale est engagée dans les mêmes termes que celle du chef d’entreprise. Le délégataire est en conséquence responsable de ses fautes personnelles mais aussi des fautes commises par les subordonnés placés sous sa responsabilité. D’où la nécessité d’une réflexion de fond préalablement à la signature de toute délégation de pouvoirs…

Pratique de plus en plus répandue, la délégation de pouvoirs est pourtant souvent

imposée aux salariés et soumise à leur signature sans possibilité de négociation collective ou individuelle préalable. Ses conditions de mise en place et de validité sont cependant assez précises, comme nous allons le voir.

Le principe même de la délégation de pouvoirs et ses conditions de validité ne sont

fondés sur aucun texte législatif et sont d’origine jurisprudentielle. C'est un arrêt de 1902 qui a consacré le mécanisme de la délégation de pouvoirs.

Nous commencerons par examiner le domaine de la délégation de pouvoirs (A), puis les conditions de validité (B), avant d’envisager les limites de ce mécanisme (C).

A) Domaine de la délégation de pouvoirs

Le domaine de la délégation de pouvoirs doit être abordé de deux points de vue : celui de son champ d’application (1) et celui des entreprises qui peuvent être concernées par ce mécanisme (2).

1. Champ d’application

Aujourd'hui, le domaine de la délégation de pouvoirs s'est considérablement élargi et la jurisprudence admet très largement que la délégation de pouvoirs soit une cause exonératoire des obligations de l’employeur. Tous les secteurs du droit pénal de l’entreprise peuvent donc être l’objet d’une délégation de pouvoirs.

Concernant la législation sociale, la délégation est admise en matière d'hygiène et de

sécurité du travail, de réglementation de la durée du travail dans les entreprises de travaux publics, mais également en matière de publicités mensongères, de pollution des eaux, d'embauchage légal de travailleurs étrangers, de coordination des transports, de circulation routière, de sécurité sociale... C'est donc une partie importante de l'état-major de l'entreprise et des cadres dirigeants qui peut être concernée.

Traditionnellement, la jurisprudence refusait la délégation lorsque la loi n'avait pas

prévu une telle possibilité notamment en matière de délit économique, de fraude commerciale ou dans le domaine fiscal ou douanier. La Chambre criminelle, toujours plus « ouverte » que les autres juridictions, a adopté une thèse différente puisqu'elle a jugé que les matières où existe la responsabilité pénale du chef d’entreprise sont a priori délégables, éliminant ainsi certaines réserves antérieures : « sauf si la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise, qui n’a pas personnellement pris part à la réalisation de l’infraction, peut s’exonérer de sa responsabilité pénale s’il rapporte la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires » (Cass. Crim., 11 mars 1993, n° 91-80.958, Bull. Crim. n° 112).

2. Entreprises concernées

C’est seulement lorsque l’entreprise dépasse une certaine dimension et qu’elle atteint une complexité interne suffisante que les tribunaux acceptent de prendre en considération la délégation de pouvoirs (Cass. Crim., 3 janvier 1964, Gaz. Pal. 1964, 1, p. 313). Dans le cas contraire, on considère que le chef d’entreprise conserve la possibilité de veiller lui-même au respect de la réglementation : le seul objet d’une délégation de pouvoirs dans ce cas serait de faire échapper l’employeur à sa responsabilité…

Ces caractéristiques ne peuvent faire l’objet d’une définition générale et sont laissées à

l’appréciation souveraine des magistrats selon chaque cas d’espèce. Il faut espérer que la Cour de cassation rendra bientôt une décision permettant de lever cette relative incertitude quant au degré de complexité ou de déconcentration à partir duquel l’acte de délégation devient utile pénalement…

Plus récemment, le débat s’est déplacé vers la question de savoir si le délégataire peut être valablement désigné pour l’ensemble des entreprises formant un groupe de sociétés.

La Chambre criminelle a ainsi admis que le Président d’une société dominante avait la possibilité de déléguer ses pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité à un membre d’une société filiale placé sous son autorité hiérarchique (Cass. Crim., 26 mai 1994, n° 93-83.180, Dr. Soc. 1995 p. 344). Un ingénieur peut ainsi être investi par délégation des fonctions de

chef de sécurité pour l’ensemble des sociétés composant le groupe (Cass. Crim., 7 février 1995, n° 94-81.832).

B) Conditions de validité de la délégation de pouvoirs

Les conditions de la délégation sont contenues dans une formule que la Chambre criminelle de la Cour de cassation n’a cessé de rappeler tout en la précisant au fil des espèces :

« Attendu que le chef d’entreprise… ne peut être exonéré de sa responsabilité que s’il

démontre que l’infraction a été commise dans un service dont il a confié la direction ou la surveillance à un préposé désigné par lui et pourvu de la compétence ainsi que de l’autorité nécessaires pour veiller efficacement à l’observation des dispositions en vigueur […] ».

Il ressort de cet attendu de principe que l’efficacité de la délégation est subordonnée à

des conditions tenant, d’une part, à la personne du délégant (1) et, d’autre part, à la personne du délégataire (2). Mais la jurisprudence a également posé des conditions tenant à la délégation elle-même (3).

1. Conditions tenant à la personne du délégant

En tant que détenteur du pouvoir dans l’entreprise, le chef d’entreprise peut, seul, déléguer ses pouvoirs, théoriquement. Qu’en est-il alors de la subdélégation ?

« Aucune règle de droit ne s’oppose à ce qu’un chef d’entreprise, qui délègue ses

pouvoirs à une personne pleinement qualifiée, autorise cette dernière à subdéléguer sous sa responsabilité, tout ou partie des pouvoirs qui lui sont dévolus » (Cass. Crim., 8 février 1983, n° 82-92.364, Bull. Crim. n° 48).

La délégation de pouvoirs inclut donc la possibilité pour le délégataire de subdéléguer,

dès lors que toutes les conditions de validité exigées pour la délégation sont remplies par la subdélégation. Il convient de noter que l’autorisation du délégant n’est pas une condition de validité de la subdélégation : « l’autorisation [du chef d’entreprise] n’est pas nécessaire à la validité des subdélégations de pouvoirs, dès lors que celles-ci sont régulièrement consenties et que les subdélégataires sont pourvus de la compétence, de l’autorité et des moyens propres à l’accomplissement de leur mission » (Cass. Crim., 30 octobre 1996, n° 94-83.650, Bull. Crim. n° 389).

La subdélégation peut permettre d’optimiser la répartition des pouvoirs au sein des

unités de travail. Toutefois, la jurisprudence veille à ce que la subdélégation ne soit pas détournée de sa finalité en faisant obstacle à la responsabilité de la personne qui détient réellement l’autorité dans l’entreprise ou l’établissement.

2. Conditions tenant à la personne du délégataire

a) Notion de hiérarchie

L’évolution des solutions jurisprudentielles traduit une volonté d’élargir le champ d’application de la délégation. À l’origine, le jeu de ce mécanisme semblait devoir être limité à un petit nombre de personnes concentrées au sommet de la hiérarchie de l’entreprise.

Puis la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rompu avec cette interprétation,

en donnant de la qualité de préposé une définition beaucoup plus large qui autorise désormais le chef d’entreprise à déléguer ses pouvoirs à des subordonnés occupant une position hiérarchique plus modeste (Cass. Crim., 22 avril 1966, Bull. Crim. n° 125).

Pour autant, la qualité de préposé en matière de délégation de pouvoirs ne saurait être

attribuée à de simples salariés (n’appartenant pas à la partie haute de la hiérarchie de l’entreprise). Cette solution est ainsi admise de façon implicite par un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui dénie à un employé d’un magasin de détail l’aptitude à être considéré comme délégataire au plan pénal pour répondre de l’infraction à la règle de l’article L. 221-5 du Code du travail, concernant le repos dominical (Cass. Crim. 14 septembre 1988, Martin).

Le chef d’entreprise ne peut ainsi normalement déléguer ses pouvoirs qu’à un

subordonné qualifié, se situant à un rang dans la hiérarchie lui conférant un certain pouvoir, et investi de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires pour faire respecter la réglementation.

b) La compétence

Cette condition vise l’état des connaissances techniques du délégataire. Il est difficilement concevable qu’un salarié reçoive une mission de direction ou de

surveillance susceptible d’engager en cas d’infraction sa responsabilité pénale, sans disposer d’une formation correspondante !

La compétence du délégataire s’apprécie dans chaque cas d’espèce. Dans certaines

hypothèses, la compétence technique peut ne pas découler automatiquement de sa qualification professionnelle et nécessiter une formation spécifique en fonction de la nature des prescriptions applicables. Le juge apprécie si le délégataire bénéficie d’une formation théorique et pratique suffisante et s’il a l’aptitude et l’expérience nécessaires.

En l’absence de cette condition, la Cour de cassation écarte le jeu de la délégation

(cf. notamment Cass. Crim., 16 mars 1999, n° 98-81.175). L’exigence ici est importante, puisque le salarié doit disposer des connaissances à la

fois théoriques et pratiques correspondant au domaine de la délégation qui lui est confiée. Ceci englobe les compétences juridiques. Et l’appréciation de cette compétence est d’autant plus stricte que le délégataire sera un ETAM.

Pourtant, les délégations se contentent souvent de stipuler que le salarié « dispose de

la compétence nécessaire » pour bénéficier d’une telle délégation. Il s’agit beaucoup plus souvent d’une affirmation abstraite que d’une réalité. Les

délégations sont de plus en plus étendues, et concernent des domaines techniques, évolutifs, précis et juridiques, qui nécessitent une véritable formation préalable au-delà d’une

connaissance par l’expérience : il en va ainsi des domaines de l’hygiène, de la sécurité, de la durée du travail, de l’environnement… souvent délégués… « en bloc ».

Il est donc nécessaire qu’avant toute signature d’une délégation, soit organisée une

formation des salariés concernés. Il convient en outre de prévoir les modalités de suivi de ces formations (stages de mise à jour…).

L’employeur ne peut ainsi se contenter de préciser, comme souvent, que les services généraux sont à la disposition des salariés délégataires pour leur communiquer les textes légaux et réglementaires relatifs aux domaines pour lesquels ils ont reçu délégation.

c) L’autorité

Le délégataire doit disposer d’un pouvoir de commandement suffisant pour obtenir des salariés placés sous sa surveillance l’obéissance nécessaire au respect de la loi. Cette autorité s’entend en particulier du pouvoir hiérarchique et disciplinaire nécessaire pour faire respecter les règles que le salarié délégataire doit veiller à faire appliquer.

Le préposé doit disposer d’un minimum d’indépendance dans l’accomplissement de sa mission. Ainsi, il ne peut y avoir de délégation de pouvoirs lorsque la subordination du préposé est trop étroite et que celui-ci ne peut décider seul (Cass. Crim., 29 mai 1990, n° 89-84.177).

Même solution lorsque le délégataire travaille sous le contrôle permanent de

l’employeur ou lorsque « les éléments du dossier mettent en évidence le rôle supérieur du PDG qui décidait de tout achat, y compris relatif aux équipements de sécurité […] » (Cass. Crim., 19 décembre 1995, n° 94-84.644).

La jurisprudence est incertaine sur le point de savoir si le délégataire doit être investi

du pouvoir disciplinaire de sanctionner, y compris de licencier, les collaborateurs placés sous sa responsabilité. L’absence ou l’existence du pouvoir de sanctionner ne semble constituer qu’un élément parmi d’autres pour établir l’existence ou non d’une délégation de pouvoirs. Le critère sur lequel semble s’appuyer la jurisprudence est l’éloignement du délégant par rapport à son site de travail. (Cf. à titre d’illustrations, Cass. Crim., 8 mars 1988, n° 87-823.882 et a contrario Cass. Crim. 7 février 1995, précité).

La compétence et l’autorité ainsi réunies en la personne du délégataire doivent lui

permettre de veiller efficacement à l’observation de la loi. Cela conduit à exclure les délégations purement formelles, prévues dans

l’organigramme de l’entreprise, mais sans prolongement réel dans le fonctionnement de celles-ci. Ainsi dans une espèce où un PDG, poursuivi pour délit de pollution, invoquait pour sa défense un article des statuts de la société stipulant que seul le directeur technique devrait répondre du personnel pour le travail et la police dans les établissements, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a approuvé les juges du fond d’avoir retenu la responsabilité du chef d’entreprise, au motif que « la délégation faite au profit du directeur technique ne s’accompagnait d’aucune mesure concrète de transmission d’attributions » et qu’elle était par là même inefficace sur le plan pénal (Cass. Crim., 6 octobre 1955, Bull. Crim. n° 388)

d) Les moyens

Ceux-ci doivent être très concrets. Il ne suffit pas de préciser dans une délégation que le salarié dispose des moyens nécessaires, encore faut-il les énoncer et les préciser.

En particulier, ces moyens sont d’ordre financier. Le salarié doit disposer du pouvoir d’engager seul les dépenses nécessaires au respect des règles auxquelles il doit veiller, et donc, sans autorisation préalable.

L’étendue de ces moyens s’apprécie au vu des obligations confiées au salarié par la

délégation. Pour un salarié à qui la responsabilité de l’hygiène et de la sécurité sur un chantier est confiée, il faudra par exemple la possibilité « d’arrêter le chantier en cas de danger ou de commander le matériel approprié » (Cass. Crim., 28 mai 1991, n° 90-84.545).

3. Conditions tenant à la délégation elle-même

a) L’objet de la délégation de pouvoirs

La délégation de pouvoirs doit avoir un « caractère limité » (Cass. Crim., 29 mai 1990, n° 89-84.177, précité) et « un objet précis » (Cass. Crim., 25 février 1986, n° 80-91.713). Le chef d’entreprise ne peut déléguer l’intégralité de ses prérogatives d’organisation et de surveillance pour l’ensemble de ses établissements ou de ses services à un seul délégataire : ceci découle du caractère d’ordre public de sa responsabilité pénale, et il ne peut y avoir substitution totale du chef d’entreprise au délégataire.

Ce caractère limité ne l’empêche pas d’avoir un objet étendu. Ainsi, la responsabilité

d’un directeur de production, investi d’une délégation ayant un large objet, a été admise. En effet, dans ce cas, le délégataire « disposant des pouvoirs les plus larges afin de contrôler l’exécution des consignes par la totalité des salariés […] n’avait pas subdélégué comme il en avait la faculté » (Cass. Crim., 28 février 1995, n° 94-82.577). En l’espèce, il avait été reproché au délégataire de n’avoir pas subdélégué, ce qui aurait permis d’éviter l’accident puisqu’il ne lui était matériellement pas possible de contrôler les 2 000 salariés de l’entreprise.

Enfin, la délégation de pouvoirs doit présenter un caractère stable et exclusif.

Pour être valable, la délégation de pouvoirs doit posséder un minimum de stabilité et de durée. En effet, seule une délégation ayant une certaine stabilité permet au délégataire de remplir efficacement la mission qui lui est confiée.

Quant au caractère exclusif, la délégation de pouvoirs implique un réel transfert de pouvoir. Ceci exclut en pratique une pluralité de responsabilités pour un même objet. Une même délégation à plusieurs salariés n'a aucun sens. La jurisprudence considère de façon constante que le cumul de plusieurs délégations pour l'exécution du même travail est « de nature à restreindre l'autorité et à entraver les initiatives de chacun des prétendus délégataires » (cf. notamment Cass. Crim., 26 juin 1990, n° 89-82.022). Elles ne sont donc pas admises.

Il paraît en revanche tout à fait possible de faire coexister dans une même entreprise

plusieurs délégations de pouvoirs lorsque le champ de chacune d’elles peut être aisément identifié et circonscrit : « pour que la pluralité de délégations soit valable, l'objet de chaque délégation doit être distinct » (Cass. Crim., 19 mars 1996).

b) Conditions de forme

Un chef d’entreprise ne saurait se décharger valablement de son obligation de sécurité sur un subordonné sans lui avoir indiqué au préalable la nature et les conséquences de la mission qu’il entend lui confier ainsi que le contenu de la réglementation qu’il s’agit de faire appliquer (Cass. Crim., 4 juin 1957, Bull. Crim. n° 486).

Cette condition d’information doit être distinguée de l’acceptation par le délégataire des

conséquences pénales qu’une mauvaise exécution de sa mission est susceptible de produire contre lui : il n’est pas nécessaire que le délégataire accepte expressément les conséquences pénales emportées par la délégation, il suffit qu’il en soit informé.

En revanche, il est à l’évidence exclu d’envisager tout transfert de responsabilité sur le

salarié lorsque, avant l’infraction, celui-ci a opposé un refus formel de la délégation qui lui était proposée.

Aucune autre condition de forme n’est imposée pour la validité de la délégation de

pouvoirs. Dès lors qu’est apportée la preuve d’une délégation certaine et dépourvue d’ambiguïté consentie à un préposé disposant de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires, la délégation est valable.

La délégation de pouvoirs doit néanmoins faire l’objet d’une certaine publicité afin de

permettre au délégataire de bénéficier de l’autorité nécessaire vis-à-vis des salariés placés sous sa responsabilité. Aucune formalité particulière n’est imposée pour cette publicité. Elle peut être réalisée par une note de service, un compte rendu du CE, du CHSCT ou encore par une insertion dans le règlement intérieur.

De la même manière, pour des raisons de preuve, il est conseillé d’établir la délégation

de pouvoirs par écrit.

C. Limites de la responsabilité du délégataire

Comme nous l’avons déjà vu, lorsque les conditions de validité de la délégation de pouvoirs sont réunies, cette délégation produit un transfert complet de la responsabilité pénale de l’employeur au délégataire. La responsabilité pénale de ce dernier est alors engagée dans les mêmes termes que celle du chef d’entreprise.

Il existe néanmoins des tempéraments aux effets de la délégation de pouvoirs.

1. Limites de l’objet de la délégation de pouvoirs

La responsabilité du délégataire doit tout d’abord être écartée, malgré la délégation de pouvoirs donnée par le délégant, lorsque la décision qui a donné naissance à l’infraction a été prise à un niveau supérieur. Ainsi, ne peut être sanctionné pour infraction au repos hebdomadaire le responsable d’un magasin alors que « la décision de faire travailler les employés le dimanche relevait de la politique de la société au niveau national, à laquelle ne pouvait s’opposer un simple directeur salarié » (Cass. Crim., 8 janvier 1991, n° 90-82.792).

Ensuite, la responsabilité pénale du délégataire ne peut être engagée que pour les domaines et l’étendue précisément visés par la délégation de pouvoirs. Elle ne peut être étendue aux domaines qu’elle n’aborde pas. Lorsque la délégation de pouvoirs est ambiguë, elle doit être interprétée restrictivement. Ainsi :

• une délégation de pouvoirs qui comprend de façon générale « les responsabilités qui découlent du respect de la réglementation du travail et notamment celles relatives à la sécurité et à l’hygiène des travailleurs » n’a été admise que pour l’hygiène et la sécurité (Cass. Crim., 9 novembre 1993, n° 92-86.101),

• lorsque la subdélégation alléguée ne concerne pas spécifiquement le chantier où s’est produit l’accident, le délégant reste responsable (Cass. Crim., 28 novembre 1995, n° 95-81.937).

La délégation reste également sans effet sur l'exonération du chef d'entreprise en cas

d'infraction intentionnelle, c'est-à-dire de volonté d'enfreindre la loi, et s'il a personnellement pris part à la réalisation de l'infraction. Aucune faute personnelle ne doit être reprochée au chef d'entreprise pour que la délégation de pouvoirs joue pleinement. Le fait d'avoir connaissance des infractions commises et de les laisser perdurer l'oblige également à en assumer la responsabilité.

L’absence de participation à la réalisation de l’infraction est une condition qui prend

toute son importance en matière d’entrave, notamment, où la responsabilité du délégant et du délégataire peut être cumulative. Autrement dit, dans ce domaine, l’existence d’une délégation de pouvoirs, à la supposer effective, ne met pas pour autant le chef d’entreprise à l’abri d’une déclaration de culpabilité lorsque le fait constitutif d’entrave résulte d’une décision relevant de sa propre initiative, en raison de son importance.

Le délégataire peut enfin voir sa responsabilité pénale engagée si les éléments

constitutifs du délit sont réunis, même s'il agit sur ordre du chef d'entreprise : chacun reste alors responsable de ses actes.

Rappelons, pour terminer, que la délégation de pouvoirs n’établit un transfert que de la

responsabilité pénale du délégant : si la condamnation pénale peut être infligée au dirigeant ou au délégataire, l'employeur reste civilement responsable du fait de son préposé (article 1384 du Code civil). Le Code du travail en son article L. 260-1 rappelle ce principe même en présence d'une délégation de pouvoirs.

2. Le contentieux de la délégation de pouvoirs

Lors d’une infraction pénale, le chef d’entreprise est présumé pénalement responsable. Le moyen de défense le plus souvent invoqué est l’existence d’une délégation.

En tant que moyen de défense, le délégant a tout intérêt à opposer l’existence d’une

délégation de pouvoirs dès la première instance. La jurisprudence admet toutefois qu’elle soit invoquée pour la première fois en appel, mais pas devant la Cour de cassation, puisqu’elle suppose une appréciation de fait sur l’existence même de la délégation (Cass. Crim., 9 novembre 1993, n° 92-86.129).

C’est à la personne poursuivie de prouver l’existence et l’étendue d’une délégation de

pouvoirs afin de s’exonérer de sa responsabilité pénale. Il appartient au juge du fond d’apprécier souverainement la valeur des éléments de preuve qui lui sont soumis (Cass. Crim., 26 novembre 1991, n° 90-87.310).

III. LA RESPONSABILITÉ CIVILE DU SALARIÉ

Rappel : il ne sera question ici que de la responsabilité délictuelle, la responsabilité civile contractuelle méritant un traitement en tant que tel.

A) Le principe de la responsabilité délictuelle première de l’employeur

1. Rappel des règles générales sur la responsabilité délictuelle personnelle et du fait d’autrui : articles 1382 et 1384 alinéa 5 du Code civil

En droit privé, l’article 1382 du Code civil dispose que tout fait de l’homme causant un dommage à autrui oblige son auteur à le réparer. L’article 1383 précise que l’on est responsable du dommage causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou par son imprudence. C’est le domaine de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle. Le salarié y est soumis au même titre que toute autre personne. Sa responsabilité est engagée dans le cadre de son travail s’il cause un dommage à autrui, que ce soit envers son employeur ou des tiers au contrat de travail. Cependant, le fait que le dommage soit causé à l’occasion de l’exécution du travail, conduit à un second mécanisme de responsabilité basé sur l’article 1384 alinéa 5 du Code civil. Cet article dispose que le commettant est responsable du dommage causé par ses préposés dans les fonctions auxquelles il les a employés. Ainsi, l’employeur est-il responsable du fait du salarié ? Si une personne salariée cause un dommage dans le cadre de son travail, la responsabilité du commettant, autrement dit l’employeur, peut être invoquée. Ce principe ne fait pas disparaître le fait originel qui donne naissance à la responsabilité, le fait du salarié. Et en application de l’article 1382 sa responsabilité pourra être recherchée. Un tiers, victime d’un dommage causé par le salarié, pourra engager sa responsabilité sur la base de l’article 1382 et celle de l’employeur sur les fondements de l’article 1384 alinéa 5 de façon à obtenir leur condamnation in solidum. Dans la majorité des cas, la victime engagera la responsabilité de l’employeur, plus solvable car couvert par une police d’assurance. D’où vient cette responsabilité du commettant pour les dommages causés par les salariés ? Il y a de nombreuses théories différentes quant aux fondements juridiques, mais la doctrine s’accorde sur un point : la finalité de l’article 1384 alinéa 5. Ce qui est recherché est la protection des tiers contre l’insolvabilité de l’auteur du préjudice en permettant à ces tiers de recourir contre son employeur (Civ II 6 février 1974, Bull.II. n° 53). Ainsi est consacrée une conception objective de la responsabilité détachée de la notion de faute de manière à parvenir à une indemnisation des victimes dans tous les cas. Voilà donc une garantie offerte aux victimes qui a vocation à se superposer à la responsabilité personnelle du préposé mais non à s’y substituer, l’employeur intervenant comme simple garant.

Ces grands principes de responsabilité délictuelle ont trouvé un écho spécifique dans le Code du travail, à l’article L. 260-1. Cet article relatif à la réglementation du travail dispose que les chefs d’entreprise sont civilement responsables des condamnations prononcées contre leurs directeurs, gérants ou préposés. Ce principe de responsabilité des chefs d’entreprise ne s’applique qu’aux condamnations civiles (Crim 3 mars 1981, JCP 1982 II 19769). Au regard de ce rappel des dispositions du Code civil et du Code du travail, les mécanismes d’engagement de la responsabilité délictuelle paraissent bien définis. Cependant, la Cour de cassation, au fil des litiges soumis, a construit une jurisprudence dont la dernière étape date de février 2000 avec l’arrêt de l’Assemblée plénière, « arrêt Costedoat », jurisprudence qui peut brouiller les cartes en reconnaissant une irresponsabilité civile délictuelle du salarié.

2. La possible immunité du salarié Pour comprendre comment cette solution de l’Assemblée plénière s’est construite, il importe de rappeler les critiques d’une certaine partie de la doctrine civiliste sur les solutions antérieures. * Les règles de mise en jeu de la responsabilité du salarié très critiquées Comme il a été rappelé plus haut, l’action en responsabilité civile peut être exercée soit contre le préposé seul, soit contre le commettant seul, soit contre le préposé et le commettant. C’est la victime du dommage qui choisit le destinataire des poursuites. Mais en fait, il s’est vite avéré que la jurisprudence faisait que le salarié soit toujours le débiteur final. Tout d’abord, lorsque le commettant est condamné sur le fondement de l’article 1384 alinéa 5 seul ou in solidum avec son préposé, il peut utiliser une action subrogatoire contre le préposé de façon à récupérer les sommes qu’il a versées à la victime (soc. 28 avril 1964, Bull. V n° 350, civ II 20 mars 1979, D 1980 juris., p 29). Il faut préciser qu’en pratique ce recours est tombé en désuétude du fait de l’article L. 121-12 alinéa 3 du Code des assurances qui interdit à l’assureur de recourir contre le préposé de son assuré, sauf malveillance. Ensuite, lorsque le salarié est poursuivi seul, il ne peut pas appeler son employeur et lorsqu’il est condamné civilement, il ne peut pas se retourner contre son commettant. La jurisprudence de la Cour de cassation a estimé que l’article 1384 alinéa 5 avait pour but de protéger les tiers contre l’insolvabilité de l’auteur du préjudice ; le salarié dont la faute entraîne la responsabilité de l’employeur ne saurait l’appeler en garantie, la victime ayant seule la qualité pour le mettre en cause (civ II 6 février 1974, Bull. II n°53, civ. II 28 avril 1987). Une partie de la doctrine a fortement critiqué cette position au motif qu’il incombe à l’employeur de prendre en charge à titre définitif la responsabilité encourue vis-à-vis des tiers pour les fautes commises par les salariés lorsqu’elles sont inhérentes à l’activité économique et réalisées à l’occasion de la relation de travail. La responsabilité personnelle du préposé ne doit subsister que dans l’hypothèse d’une « faute lourde ». Ce raisonnement d’une partie de la doctrine civiliste s’inspirait de la jurisprudence administrative qui avait à traiter les cas de fautes des agents publics. Pour faire court au regard de la durée de la construction jurisprudentielle de la juridiction administrative, le Conseil d’État a dégagé trois types de fautes ayant des incidences sur l’engagement de la responsabilité de l’agent et de l’administration :

- la faute personnelle dépourvue de tout lien avec le service. Dans ce cas, seule la responsabilité de l’agent est engagée ;

- la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service. Dans ce cas, les

responsabilités de l’administration et de l’agent peuvent être engagées ; - la faute de service où seule la responsabilité de l’administration est engagée.

C’est dans ce contexte que vont évoluer peu à peu les différentes chambres de la Cour de cassation et, en premier lieu, la chambre commerciale. * Une première brèche : l’arrêt Rochas du 12 octobre 1993 (com. 12 octobre 1993, D 1994 juris. p 124) Commençons par un court rappel des faits. La société des parfums Rochas se plaignait d’avoir été victime d’actes de concurrence déloyale et d’utilisation illicite de sa marque. Elle a, à ce titre, assigné la société Valières et deux de ses préposés, dont un VRP et un responsable d’agence régionale. La Cour d’appel a retenu l’action en responsabilité de la société Valières, mais a écarté la responsabilité des deux salariés au motif qu’ils avaient agi dans le cadre de la mission qui leur était impartie et qu’il n’était pas établi qu’ils avaient outrepassé les limites. La société Rochas a formé un pourvoi tendant à faire jouer la responsabilité des préposés au motif que le lien de subordination, s’il permet au salarié que sa responsabilité soit garantie à l’égard de la victime par celle de son commettant, ne l’exonère en rien de cette responsabilité. La Chambre commerciale rejette le pourvoi : « aucune faute personnelle susceptible d’engager leur responsabilité n’était caractérisée à l’encontre des préposés dans la réalisation des actes dommageables ». Cet arrêt a été très largement commenté mais avec des interprétations divergentes. Pour certains, il s’agissait d’un revirement de jurisprudence, la notion de « faute personnelle » faisant penser à la jurisprudence administrative. Ainsi, les salariés ne seraient civilement responsables qu’en cas de faute personnelle. Si la faute est liée à l’activité ordinaire de l’employeur, seule la responsabilité de ce dernier pourra être recherchée. Pour d’autres, il s’agissait d’un cas d’espèce qui s’expliquait par les circonstances particulières du litige. Avec le recul, l’ensemble des commentateurs s’est accordé pour reconnaître que la Chambre commerciale avait prolongé, au profit des salariés, sa jurisprudence constante relative à la responsabilité des dirigeants de société. Pour ces derniers, la Chambre commerciale ne reconnaissait leur responsabilité délictuelle que si une faute séparable de leurs fonctions leur était personnellement imputable. La Chambre commerciale, avec l’arrêt Rochas, a fait glisser la notion de « faute séparable » vers la « faute personnelle ». Mais le raisonnement est le même. Les autres Chambres de la Cour de cassation (deuxième Chambre civile, Chambre sociale, Chambre criminelle) retiennent à leur tour peu à peu la notion de faute personnelle mais en lui donnant des critères divergents. Le flou demeure donc malgré tout. Il fallait une intervention de l’Assemblée plénière pour mettre de l’ordre. C’est ce qu’il advint par un arrêt en date du 25 février 2000, arrêt Costedoat » (D 2000 n°32 jurisp. p 673).

* L’arrêt de l’Assemblée plénière du 25 février 2000 : l’immunité du salarié reconnue

« N’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers, le préposé qui a agi sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant ». L’Assemblée plénière a tranché et c’est la voie de l’immunité qu’elle a choisie.

Les faits étaient les suivants : Des propriétaires de rizières en Camargue avaient chargé une société spécialisée de procéder à des épandages d’herbicides sur leurs parcelles. Les opérations furent effectuées par hélicoptère piloté par Monsieur Costedoat et, sous l’effet du vent, une propriété voisine fut atteinte par les produits toxiques qui y endommagèrent des végétaux. Le propriétaire a engagé une action en responsabilité contre la société d’épandage sur la base de l’article 1384 aliéna 5 mais aussi contre le préposé sur la base de l’article 1382. La Cour d’appel retient la responsabilité du préposé. Celui-ci se pourvoit en cassation. L’Assemblée plénière lui donne raison. Cet arrêt a évidemment été très commenté et de nombreuses questions se sont posées sur sa portée. Tout d’abord, la solution de l’Assemblée plénière conduit à ne plus permettre à la victime d’engager la responsabilité du salarié dès lors que ce dernier a causé le dommage sans excéder ses missions. La victime ne peut s’adresser qu’au commettant. Est ainsi retenue la thèse selon laquelle l’article 1384 alinéa 5 ne devait être envisagé que comme un moyen d’imputer à l’entreprise la charge des risques qu’elle génère par son activité. Cependant, certains auteurs ont émis quelques critiques sur cette solution très « tranchée ». L’immunité telle qu’elle est ainsi proclamée, malmène quelque peu les principes de la responsabilité délictuelle fondée avant tout sur l’article 1382. Il y a donc depuis l’arrêt du 25 février 2000, une possibilité de faute sans responsabilité. En outre, la victime du dommage ne peut se retourner que contre un seul débiteur, ce qui augmente les risques d’insolvabilité pour qu’elle soit indemnisée. En effet, à trop vouloir mettre en avant le débiteur a priori le plus solvable, si celui-ci fait défaut (et c’était le cas dans l’affaire Costedoat où l’entreprise était en faillite), il n’y a plus d’autre recours possible. Les auteurs critiques regrettent également que la Cour de cassation n’ait pas tenu compte de l’autonomie que les préposés peuvent avoir dans la réalisation de leurs missions. Il y a immunité du salarié aujourd’hui dès lors qu’il est dans l’exercice de ses missions, sans regarder la gravité de la faute ni la nature des fonctions. Cela peut paraître choquant d’assurer une immunité à un salarié qui a des fonctions de direction alors qu’il bénéficie d’une large marge de manœuvre pour réaliser ses missions. Le principe de l’immunité pourrait être assoupli par ces critères. Enfin, la dernière critique porte sur la notion même des « limites des missions » au regard de la jurisprudence de la même Assemblée plénière qui utilise par ailleurs la notion « d’abus de fonctions » par le salarié pour exonérer l’employeur de sa responsabilité. S’agit-il dans l’esprit de la même notion et ce ne serait alors qu’un écart de vocabulaire, ou est-ce deux notions distinctes et il convient alors de cerner les nuances ?

Pour tenter de répondre à cette question, il faut examiner les situations dans lesquelles l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité, et laisser seul le salarié répondre du dommage causé.

B) Les tempéraments au principe de responsabilité de l’employeur

1. Le salarié seul responsable : les cas d’exonération de la responsabilité du commettant

Selon une jurisprudence constante depuis un arrêt de la Chambre de requêtes de 1866, la responsabilité du commettant n’est engagée sur le fondement de l’article 1384 alinéa 5 qu’en cas de faute commise par le préposé. Lorsque le dommage trouve son origine dans un fait étranger au préposé, force majeure, fait exclusif d’un tiers ou de la victime, imprévisible et irrésistible, la responsabilité n’existe pas. Mais lorsque pour causer un dommage à autrui, le préposé a utilisé à des fins étrangères à ses fonctions les instruments ou simplement les facilités procurées par ses fonctions, engage-t-il la responsabilité du commettant ? Nous sommes là sur le terrain de l’abus de fonctions. La jurisprudence a reconnu que la responsabilité du commettant n’était pas engagée lorsque le préposé avait abusé de ses fonctions. Toute la question est de cerner la notion d’abus de fonction. * La difficile construction jurisprudentielle de la notion d’abus de fonction

La solution s’est construite après une vraie saga ! Il y a eu une divergence d’interprétation entre la Chambre criminelle et la Chambre civile de la Cour de cassation. Et il a fallu pas moins d’un arrêt des Chambres réunies (cass.ch.réunies, 9 mars 1960, JCP G 1960 II 11559) et de trois arrêts de l’Assemblée plénière pour tenter de mettre fin à la discorde (ass.plén. 10 juin 1977, JCP G 1977 II 18730 ; ass.plén. 13 juin 1983, JCP G 1983 II 20120 ; ass.plén. 19 mai 1988, D 1988 juris. p 513). Il ressort de cette ultime jurisprudence la formule suivante : « le commettant ne s’exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions ». Dans ce cas, la victime ne dispose que d’un recours contre le préposé. La formule sera reprise régulièrement tant par la Chambre civile que criminelle. La Cour de cassation l’interprète strictement et à tel point que nous n’avons pas trouvé de cas d’exonération de la responsabilité de l’employeur, malgré des situations extrêmes. Voici quelques illustrations :

- cas d’un inspecteur de compagnie d’assurance chargé de vendre des contrats de capitalisation par prospection à domicile qui a détourné une partie des sommes versées (ass.plén. 19 mai 1988 préc.) :

le salarié a été pénalement condamné à une décision correctionnelle, et sur l’action civile, la société d’assurance employeur a été reconnue responsable. Elle a tenté de s’en exonérer au motif que le salarié n’avait pas agi pour le compte et dans l’intérêt de l’entreprise et avait utilisé ses fonctions à des fins

étrangères à celles assignées par l’entreprise. L’Assemblée plénière a rejeté ces arguments pour relever que le salarié était dans l’exercice de ses fonctions, avait agi avec autorisation conformément à ses attributions et que la société d’assurance avait enregistré les souscriptions et en avait tiré profit ;

- cas d’un bijoutier victime d’un vol de bijoux par un salarié de l’entreprise de nettoyage (civ. II 22 mai 1995 bull. n°154) :

la cour d’appel a exonéré l’employeur de sa responsabilité au motif que le salarié était en dehors de ses fonctions. Cassation de l’arrêt : le vol a été opéré sur le lieu de travail confié par l’employeur pendant le temps de travail et à l’occasion de la réalisation de celui-ci. Le salarié n’était pas en dehors de ses fonctions ;

- cas d’un directeur d’agence bancaire qui détourne les versements effectués par des

clients (civ. II 28 février 1996, bull. n°53) :

la cour de cassation a estimé que le salarié avait commis ses méfaits sur le lieu de travail et pendant le temps de travail. Il n’était pas hors de ses fonctions ;

- cas de bagagistes d’Air France qui ont dérobé des billets de banque dans des sacs

postaux (civ. II 22 janvier 1997, bull. n°21) :

les salariés ayant commis les vols pendant les heures de service en se conformant aux fonctions qui leur étaient confiées et en utilisant leur qualité d’employés d’Air France pour sortir les éléments volés, la Cour de cassation a rejeté l’exonération de responsabilité de l’employeur

- cas de salariés d’une société de gardiennage qui volent des articles vestimentaires dans

les locaux qu’ils doivent surveiller (crim. 16 février 1999, bull. n°23) :

les salariés ont agi pendant leur temps de travail dans des locaux dont ils avaient la garde et se sont servis des moyens matériels procurés par leurs fonctions. Dans ces conditions, la Cour a estimé qu’ils étaient dans le cadre de leurs missions.

Il ressort de ces illustrations que la Cour de cassation n’accepte que très rarement l’exonération de la responsabilité civile de l’employeur. Le salarié sera donc très exceptionnellement amené à répondre seul du dommage causé. Cette jurisprudence, rapprochée de celle dégagée par l’arrêt Costedoat, conduit à se demander quand le salarié, au final, peut se voir inquiéter civilement. Il en existe une : lorsqu’il a commis intentionnellement une infraction et qu’à ce titre il a été condamné pénalement. C’est l’enseignement de l’arrêt Cousin de l’Assemblée plénière rendu le 14 décembre 2001.

2. La responsabilité civile du salarié condamné pénalement suite à une infraction intentionnelle

Pour comprendre le sens et mesurer la portée de l’arrêt Cousin, il convient de faire un court rappel sur l’engagement de la responsabilité civile à l’occasion d’une action au pénal. * Rappel de la procédure civile dans le cadre de l’action pénale

Lorsque l’infraction a entraîné, en plus d’un trouble à l’ordre social, un préjudice corporel, matériel ou moral, la personne qui l’a éprouvé a le droit de demander réparation en exerçant une action en dommages-intérêts soit devant le tribunal civil, soit devant le tribunal répressif appelé à statuer sur l’action publique en répression de l’infraction (article 2 du Code de procédure pénale) Le procès pénal dont l’objet principal est l’action publique peut avoir comme objet accessoire une action en réparation du dommage. Cette action civile qui sera menée le plus souvent par la victime peut être dirigée non seulement contre l’auteur et les complices de l’infraction mais aussi contre les tiers civilement responsables de l’auteur et du complice, voire même contre le seul civilement responsable (crim. 26 octobre 1982, bull. n°233). La notion de « tiers civilement responsable » était fixée dans l’article 69 de l’ancien Code pénal mais il n’a pas été repris dans le nouveau. Le principe n’en demeure pas moins. Il y a un renvoi à l’article 1384 du Code civil. Les commettants sont civilement responsables des délits commis par leurs préposés dans l’exercice de leurs fonctions, leur responsabilité reposant sur une présomption de faute. Sur ce principe a été reconnu civilement responsable le commettant pour des cas de coups ou violences survenus au temps et au lieu du travail commis par des salariés, en cas de vols (crim. 16 février 1999 préc), d’escroquerie ou de détournements de fonds (crim. 4 janvier 1996, bull. n°6). La responsabilité du commettant a même été retenue dans le cas de l’assassinat d’un chef de service commis sur lieu de travail par un de ses subordonnés qui venait d’apprendre son licenciement (crim. 25 mars 1998). * L’arrêt Cousin de l’Assemblée plénière du 14 décembre 2001 (JCP n°7 10026 p 345, RJS 2/02 n° 142) Un salarié qui commet une infraction pénale et qui engage sa responsabilité pénale à ce titre, peut-il être poursuivi sur le plan civil ? C’est cette question qui était posée à l’Assemblée plénière dans le cadre de l’affaire Cousin. Comptable de son état, Monsieur Cousin a, conformément aux ordres reçus de son employeur, commis des faux, des usages de faux et escroqueries (fausses attestations de stage) dans le but d’obtenir frauduleusement, au profit de la société, des avantages financiers au titre de contrats de qualification. Le salarié a été reconnu coupable pénalement par le tribunal correctionnel mais également civilement, à hauteur du préjudice subi par les organismes sociaux, soit 6 MF. Monsieur Cousin a interjeté appel sur ce dernier point. La Cour d’appel a confirmé la position du tribunal correctionnel. Il s’est pourvu en cassation. Fort de la jurisprudence Costedoat qui était entre-temps intervenue, le pourvoi invoquait que le salarié avait agi dans le cadre des missions que l’employeur lui avait imparties. Cependant, à la différence de la situation tranchée dans le litige Costedoat, le salarié en l’espèce a été reconnu coupable d’un délit intentionnel. Or, la solution de l’arrêt Costedoat sur l’immunité civile du salarié laissait ouverte la question de la responsabilité civile en cas d’infraction commise par le salarié. L’argument développé par le pourvoi devant l’Assemblée plénière cherchait donc à prolonger la jurisprudence Costedoat aux cas d’infraction pénale intentionnelle.

Le 14 décembre 2001, l’arrêt est rendu. La solution est aussi tranchée que celle retenue dans l’arrêt Costedoat : « Le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis, fût-ce sur l’ordre du commettant, une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci ». Le pourvoi est rejeté. Il n’y a pas de prolongement de la jurisprudence Costedoat et les propositions alternatives évoquées par l’avocat général sont balayées. L’avocat général avait prôné dans ses conclusions une responsabilité pénale sans responsabilité civile sous certaines conditions. Sa position peut être résumée comme suit : lorsque le salarié a commis une infraction pénale volontaire sur les instructions de son commettant, s’il doit répondre pénalement de ses agissements, il n’engage pas sa responsabilité civile à l’égard des tiers dès lors qu’il a agi sans excéder les limites de sa mission et pour le seul profit de son commettant, à l’exclusion de tout bénéfice personnel. La Cour ne l’a pas suivi. Quelle est la portée de l’arrêt Cousin ? Il apparaît clairement que la responsabilité civile du salarié ne peut être écartée lorsque deux conditions sont réunies : le salarié a commis une infraction intentionnelle et il a été condamné pénalement. Le critère de la conformité de l’exécution à la mission confiée ou ordonnée, est indifférent. De cela découlent plusieurs questions :

- si l’un des deux critères vient à manquer, quelle est la solution ? Il semblerait que la jurisprudence Costedoat retrouverait à s’appliquer ;

- le refus de l’Assemblée plénière de prolonger sa jurisprudence Costedoat sur un terrain

« pénal » signifie-t-il un début d’abandon de cette position ? Certains auteurs l’estiment et l’appellent de leur vœu de façon à retrouver une responsabilité systématique dès lors qu’il y a une faute commise, quelle qu’en soit la nature. Pour d’autres, au contraire, la Cour a confirmé la voie de l’immunité civile en cas d’infraction pénale non intentionnelle. Si le salarié commet intentionnellement l’infraction, il sort des limites de ses fonctions et, en vertu de la jurisprudence Costedaot, il engage sa responsabilité civile. On peut donc être encore loin d’un revirement. On en serait plutôt à une circonscription du principe.

De toutes ces interrogations et de ces décisions qui se suivent mais ne se ressemblent pas, on ne peut qu’en déduire que le régime juridique de la responsabilité civile délictuelle du salarié est toujours en construction. [email protected]