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La renaissance d’Œdipe

Du même auteur aux Éditions Écodition - Sophocle thérapeute

La guérison d’Œdipe à Colone, 2013. - L’autre Œdipe

De Freud à Sophocle, 2013. - L’intégration transgénérationnelle

Aliénation et connaissance de soi, 2012. - La renaissance d’Œdipe

Une mythanalyse transgénérationnelle, 2012. - Ouvertures

Articles et clés d’interprétations, 2012. En anglais

- Œdipus Reborn

Ancient Traditions and Transgenerationals Perspectives,

Écodition, 2014. - Rooted in the Present, The Emergence of the Self, Écodition, 2014.

En couverture : Eros

Écodition Éditions 18, rue De-Candolle, 1205 Genève, Suisse

[email protected] – www.ecodition.net (Diffusion par Internet)

Première édition chez Yvelinédition sous le titre Sacré Œdipe,

ISBN : 2-84668-46-9, dépôt légal 2004 2014, deuxième édition modifiée.

© 2014, Le visible et l’invisible SARL. Tous droits réservés. ISBN : 978-2-940540-03-7

Thierry Gaillard

La renaissance d’Œdipe Perspectives traditionnelles

et transgénérationnelles

ÉCODITION


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Sommaire Avant-propos de l’auteur 6 Remerciements 10 Préambule: résumés d’Œdipe-roi et d’Œdipe à Colone 11 1. Introduction 17 2. L’œuvre de Sophocle et le transgénérationnel 30 3. L’héritage d’Œdipe 41 La parole de l’oracle A stérilité de Laïos et les deuils non faits dans la lignée des Labdacides La stérilité de Jocaste et les deuils non faits dans la lignée des autochtones L’héritage de Cadmos et des Thébains 4. L’aliénation d’Œdipe 57 Le parricide La victoire d’Œdipe sur la Sphinge L’inceste 5. La perte des qualités de Cadmos 73 L’exil, réitération de l’abandon parental Œdipe fétichisé par les Thébains Cadmos édificateur de Thèbes Œdipe et le complexe des Labdacides Cadmos et Sophocle, un même combat ?

Perspectives traditionnelles et transgénérationnelles

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6. Œdipe intègre ses héritages 108 Rencontre avec Thésée Œdipe s’émancipe du rôle de pharmakos Œdipe garant de la prospérité d’Athènes 7. Conclusions 123 Glossaire 133 Aliénation Intégration Nécessité transférentielle Fétichisme Le style nirvâna La persona et la persona clivée Le complexe d’Œdipe Connaissance de soi Bibliographie 160


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Avant-propos de l’auteur

Cet ouvrage présente une partie de mes recherches sur le mythe d’Œdipe de Sophocle, dont les résultats modifient considérablement les idées les plus répandues. En associant des références traditionnelles au fonctionnement des phénomènes transgénérationnels, mon analyse révèle des messages que Sophocle avait introduits dans son œuvre sur Œdipe. Parmi ces messages, le plus général porte sur le processus de renaissance d’Œdipe, une thématique très présente dans toutes les anciennes traditions, mais dont notre civilisation a oublié la signification. Pendant plus de deux millénaires cet aspect de l’œuvre de Sophocle n’a jamais été véritablement mis en avant autant qu’il le mérite. Il aura fallu attendre l’émergence d’un savoir sur les phénomènes transgénérationnels dans les thérapies contemporaines pour renouer avec la profonde signification du mythe d’Œdipe. En retour, les savoirs traditionnels qui s’y trouvent viennent confirmer et préciser nos connaissances actuelles. Ainsi, la nouvelle compréhension du mythe d’Œdipe opère comme une clef de voute permettant de faire se rejoindre deux mondes, celui traditionnel et celui d’aujourd’hui. Les retombées d’une telle découverte sont nombreuses et prometteuses puisqu’elle ramène à la lumière tout un monde longtemps resté dans l’ombre.

Entre 2004 et 2006, j’ai présenté les premiers résultats de ces recherches dans trois premiers essais, intitulés Sacré

Œdipe, L’introjection et le transgénérationnel et Œdipe père.

Pendant les cinq années qui suivirent, mon analyse aura franchi de nouvelles étapes. Ce que j’avais désigné comme étant le sujet, ou le sujet en soi, aura pris plus d’importance jusqu’à mériter d’être replacé au cœur de l’analyse. En 1993 j’étais parti de l’idée que l’inceste d’Œdipe représentait un


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rapport de présence au monde (cher à la « Daseinanalyse » de Binswanger), ici et maintenant, comme lieu d’origine du sujet à venir. Ainsi, redonner au sujet une place centrale pourrait signifier l’achèvement d’un cycle de recherche. Pour rendre compte de cette dernière évolution de mes recherches, j’ai entrepris de réécrire la première série d’essais sous une forme améliorée, aujourd’hui publiée chez Écodition.

La renaissance d’Œdipe inaugure cette nouvelle série de livres en proposant une relecture traditionnelle et transgéné-rationnelle du mythe essentiellement centrée sur l’histoire d’Œdipe. Destinée à un public hétéroclite, cette étude aura été épurée, autant que possible, de toutes considérations théo-riques ou thérapeutiques.

L’approfondissement plus théorique des phénomènes transgénérationnels fut réservé au deuxième essai : L’intégration transgénérationnelle (dont une version simpli-fiée, pour un plus large public, qui fut éditée sous le titre : S’enraciner dans l’instant présent). Dans ce livre, la référence centrale à la thématique œdipienne m’aura permis d’analyser plus finement les mécanismes de transmission et d’émancipation des héritages transgénérationnels. Le texte fait appel à des exemples de situations thérapeutiques extraites de la littérature spécialisée pour associer les savoirs anciens aux connaissances contemporaines.

Avec le troisième essai, L’autre Œdipe, l’objectif de ma démarche était double. D’une part, il s’agissait de reconnaître la signification des contributions que Sophocle aura person-nellement apportées au mythe d’Œdipe. D’autre part, il m’a semblé important d’articuler cette nouvelle compréhension du mythe à l’édifice psychanalytique freudien et de remettre chaque interprétation dans son contexte. En retournant vers une signification plus traditionnelle du mythe, ce sont les limites de notre civilisation patriarcales qui apparaissent, en


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même temps que celles de l’interprétation freudienne du mythe d’Œdipe.

Enfin, avec Sophocle thérapeute, j’ai tenté de pénétrer le contexte historique qui fut celui de Sophocle. Son époque aura marqué l’histoire avec la naissance de la démocratie à Athènes. Le tragédien de génie que fut Sophocle n’a pas manqué d’aborder, dans son œuvre, les questions relatives au passage d’une culture traditionnelle et religieuse à celle plus rationnelle et philosophique qui a pris son envol à cette période charnière de l’histoire. Alors que la culture traditionnelle était encore bien consciente de ce qui se transmettait dans des familles sur plusieurs générations, le développement de la nouvelle civilisation nous aura éloignés du savoir des Anciens. Il était important de revenir sur cette période de l’histoire pour mieux comprendre les causes de l’oubli d’une science ancestrale du transgénérationnel.

Les analyses développées dans ces essais montrent à quel point l’enseignement dispensé dans l’œuvre de Sophocle est, aujourd’hui encore, pertinent. Aux questions auxquelles la vie nous confronte, les savoirs traditionnels offrent des pers-pectives symboliques qui ne sont pas dépourvues de significa-tions. Par exemple, sur les causes de la colère de la Mère-Terre qui s’exprime dans cette épidémie de peste que Sophocle introduit au début de son œuvre et qui continue à faire la une des journaux lorsqu’elle se déchaîne (tremblements de terre, tsunamis, pandémies, etc.). Dans son mythe d’Œdipe, Sophocle parle des causes de nombreuses problématiques actuelles : de la stérilité des couples, de l’antagonisme entre religieux et athées, des limites de la raison pure et des abus des lois écrites, de la culture de la persona (ou faux self), de l’éloignement des lois non écrites du vivant, du rapport à la nature (écologie), aux autres (humanisation), de la différence


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des sexes et des générations, ainsi que des conséquences d’une perte de l’amour pour la vérité pure, Aléthèia.

Même si elle fut centrée sur la thématique œdipienne, l’approche proposée dans cette série d’essais se veut être une invitation au dialogue avec le monde et avec les autres à un autre niveau de signification (symbolique et généralement inconscient) que celui auquel nous sommes habitués.


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Remerciements

Je remercie toutes les personnes qui ont manifesté leur soutien, et en particulier Isabelle Narayanan, Cécile Houyet, Juliette Allais, Chris Edwige Aguet et Pierre Ramaut avec son réseau Généasens, pour l’aide apportée à la première édition de La renaissance d’Œdipe. Enfin, j’exprime ici ma reconnais-sance envers toutes celles et tous ceux, amis, connaissances proches ou lointaines, qui, d’une manière ou d’une autre, auront contribué à la gestation de cette deuxième édition.

Thierry Gaillard, décembre 2013


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« Bien des choses s’éclaireraient si nous connaissions notre généalogie. »

Gustave Flaubert

1 Introduction

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Les chefs-d’œuvre qui ont su triompher du temps con-tiennent de précieux secrets. Leurs auteurs y ont introduit des messages intemporels qu’ils adressèrent à l’Histoire et à l’humanité tout entière. Ainsi en va-t-il des pièces que Sophocle a consacrées à Œdipe il y a plus de 2'400 ans et qui sont, aujourd’hui encore, à l’affiche au théâtre. Leur pérennité en témoigne, elles contiennent des enseignements qui échappent à la raison mais qui n’en sont pas moins dignes d’intérêt, bien au contraire.

Une nouvelle analyse, dite transgénérationnelle, nous offre d’accéder enfin à l’envers du décor, de pénétrer dans les coulisses du théâtre de Sophocle. En effet, la découverte d’une structure transgénérationnelle sous-jacente à l’œuvre de Sophocle change radicalement la donne. Cette découverte nous invite à reconsidérer toute l’histoire d’Œdipe sous un nouveau jour et à démasquer une signification jusqu’ici insoupçonnée. Paradoxalement, une telle relecture du célèbre mythe ne fait


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que lui restituer sa signification traditionnelle, plus conforme aux sagesses de l’Antiquité. En éclairant les parties invisibles de son œuvre, nous comprendrons que Sophocle partageait avec les Anciens une véritable science du « transgénération-nel ». Avec Œdipe-roi et Œdipe à Colone, il nous enseigne ces connaissances à la manière des grands tragédiens, philosophes avant l’heure, qui assumaient à l’époque une importante fonction de guides de la conscience collective.

Cet essai présente une étude approfondie du mythe d’Œdipe de Sophocle qui nous instruit sur ces phénomènes dits transgénérationnels1 et sur les lois non écrites qui les gou-vernent. Nous le verrons, l’œuvre de Sophocle illustre, de manière exemplaire, les conséquences des aliénations2 transgénérationnelles ainsi que les processus permettant de s’en affranchir, expliquant tout autant le destin tragique d’Œdipe dans Œdipe-roi que sa fin glorieuse dans Œdipe à

Colone.

Thématique féconde, l’histoire d’Œdipe n’a cessé d’inspirer les esprits. Elle se perpétue depuis le IVe siècle av. J.-C. et se renouvelle avec les apports de nombreux artistes, auteurs et philosophes. Sigmund Freud s’y réfère en 1897, re-connaissant la valeur d’une légende qui, au-delà des tabous portant sur le parricide et l’inceste, traite des limites de la rai-son et nous sensibilise aux dimensions inconscientes de la psyché.

1 Afin de concentrer mon propos sur la seule analyse du mythe d’Œdipe, et pour alléger le texte, j’ai préféré présenter dans un glossaire quelques définitions et concepts qui caractérisent mes analyses transgénérationnelles. D’autres aspects, thérapeutiques, théoriques et historiques, sont approfondis et discutés dans L’intégration transgénérationnelle, L’autre Œdipe, et Sophocle thérapeute, tous publiés chez Écodition. 2 Aliénation : voir la définition dans le glossaire.


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Il convient de rappeler ici, comme le fit le père de la psy-chanalyse, les rapports qu’entretiennent les mythes en général, et le mythe d’Œdipe en particulier, avec les strates incons-cientes de la psyché. Un exemple classique de situation œdipienne illustre cette correspondance entre le mythe d’Œdipe et les histoires intimes et amoureuses des uns et des autres : une femme se plaint de découvrir le problème d’alcoolisme de l’homme dont elle est récemment tombée amoureuse. Ayant déjà souffert de plusieurs relations avec des alcooliques, elle ne comprend pas pourquoi le destin semble s’acharner sur elle. Mais voilà qu’elle explique que son père était alcoolique…

Le rapport à la mère est tout autant présent du côté de ces hommes qui tombent répétitivement amoureux d’un certain type de femmes, lesquelles, à y regarder de plus près, ont bien des points communs avec leur mère. Ne dit-on pas que l’amour rend aveugle ? L’expérience œdipienne, car c’est de cela qu’il s’agit, force à ouvrir les yeux, à mieux voir ce que naguère l’enfant ne pouvait percevoir de ses parents, souvent idéalisés. Est-ce une malédiction que de revivre ces situations, ou au contraire, une possibilité de s’en affranchir enfin ? Tout dépend de la manière d’aborder ce phénomène. En analysant ces situations sous d’autres angles, il devient possible d’en dégager de nouvelles significations plus profondes et d’intégrer ce passé non passé. À défaut, et parce qu’elles restent incons-cientes et donc intemporelles, les lacunes3 parentales héritées durant l’enfance continuent de peser sur les épaules de l’adulte. Le fils trop attaché à sa mère, ou trop aliéné par elle, continue à prendre la place du père au lieu de pouvoir vivre sa propre vie. En devenant le roi de Thèbes, Œdipe endosse - sans le savoir - les lacunes de son père et se retrouve dans le lit de sa mère Jocaste. Le mythe illustre cette aliénation qui amène

3 Problèmes non résolus, fautes, imperfections, etc.


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Œdipe à être un autre que lui-même. Si Œdipe est parricide et incestueux dans la première partie de sa vie, c’est parce qu’il n’est pas né en tant que sujet. De Thèbes à Colone, Sophocle nous invite à suivre l’histoire de la renaissance d’Œdipe, ou deuxième naissance, en tant que sujet cette fois.

Le lecteur l’aura compris : dans le « jargon » psy-chanalytique, l’usage des termes inceste et parricide n’évoque pas un rapport réellement incestueux, encore moins un pas-sage à l’acte meurtrier. Ces termes rendent compte d’une réalité profonde, symbolique et généralement invisible qui révèle une absence de sujet ou au contraire sa présence. Un tel langage permet d’appréhender certaines vérités se rapportant à la vie de l’âme, d’interpréter des situations dont la significa-tion dépasse les seules compétences de la rationalité. L’analyse transgénérationnelle partage ce langage avec la mythologie pour appréhender le fonctionnement de certaines lois non écrites de la vie et leurs rôles dans l’orientation du destin des hommes.

Le mythe d’Œdipe illustre ce déterminisme inconscient. Il nous invite à nous initier à cette science symbolique propre à la mythologie. Les amours chaotiques, les situations particu-lières, les symptômes, ne se répètent pas : ils sont et restent présents, tantôt dans l’ombre, tantôt apparaissant à la lumière du jour. Même refoulés ou déniés, ces vécus font partie inté-grante d’une vie. Ils y restent présents jusqu’à ce qu’ils entrent dans le grand livre d’une histoire personnelle ou collective, proche de la mémoire, comme source d’enseignement plutôt que comme sujet à éviter. Les vécus non intégrés sont autant d’interrogations qui se rappellent à notre conscience pour nous inviter à une plus grande connaissance de soi pour advenir en tant que sujet. Voilà ce qu’évoque le mythe d’Œdipe.; un rapport inconscient aux origines (c’est-à-dire à ses parents et à ses ancêtres) qui demande à être intégré et humanisé. Même


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invisible aux yeux de la seule raison, la réalité que la mytho-logie éclaire n’en est pas moins très présente. Dans le langage mythologique, l’inceste et le parricide dénoncent de manière symbolique la présence d’héritages transgénérationnels, et donc de liens asservissants qui réclament d’être intégrés et libérés. La fusion à la mère signifie l’absence de sujet différencié, un retour du régime matriarcal qui ne reconnaît pas aux pères leur fonction de reproduction4. En d’autres termes, dans ce monde-là, le père n’a pas d’existence, ce que le mythe représente avec le parricide d’Œdipe. Il n’y a que la Mère toute puissante (la Mère-Terre) et les enfants qu’elle met au monde.

Parce qu’elle est inconsciente et donc non intégrée, cette réalité matriarcale, toujours agissante derrière les apparences du patriarcat, confère aux liens du sang leur pouvoir d’aliénation. Hérité par ces liens de filiation, un autre en soi rejoue perpétuellement les conflits œdipiens refoulés. Car même si elle est refoulée, la problématique œdipienne reste présente et cultive, sur le plan symbolique, une position in-cestueuse et parricide.

Le psychisme gère ces liens aux origines de multiples manières. Toutes sortes de configurations s’observent selon les circonstances et les caractères, allant de la psychose et de la perversion à la névrose et à l’hystérie. La « solution » la plus commune consiste à renforcer le refoulement de son Œdipe en vertu d’un prétendu principe de réalité, pour le moins dé-senchanté. Freud a montré de quelle manière et dans quelles circonstances une nouvelle entité, le surmoi, se développe

4 En effet, le patriarcat débute avec la prise de conscience que les activités sexuelles des hommes sont responsables de la naissance des enfants. J’aborde les enjeux de cette transformation, et ses relations avec la thématique œdipienne dans mes autres ouvrages, notamment dans Sophocle thérapeute, la guérison d’Œdipe à Colone.


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dans l’esprit qui refoule son Œdipe et qui abandonne du même coup le projet du développement du sujet en soi. La névrose « normale » s’installe alors, laissant la personne dans un con-flit inconscient, convaincue par une certaine représentation de la réalité - d’autant plus que celle-ci est partagée par une ma-jorité -, mais condamnée à un effort de sublimation ou à maintenir refoulées ses pulsions les plus inconscientes, ou gardées secrètes. Les conditions sont ainsi remplies pour transmettre et déléguer cette problématique aux générations suivantes. Ces dernières tenteront de la refouler à leur tour sur le modèle parental, instituant la transmission du complexe œdipien à titre de norme collective, culturelle et patriarcale.

Avec sa version du mythe, Sophocle nous parle cepen-dant d’une autre option. Celle-ci s’inspire des anciennes tradi-tions, spirituelles, religieuses et initiatiques, qui correspondent aujourd’hui à des formes de développement personnel ou spi-rituel. Sophocle propose une solution aux refoulements, dénis, inversions (perversions) et autres manifestations psycho-somatiques (hystériques) des conflits œdipiens. Il s’agirait de traverser les difficultés pour renaître et advenir en tant que sujet. Un cheminement qui mène à la connaissance de soi et à la découverte de l’autre. Au-delà des apparences, les pulsions œdipiennes répondraient à un désir d’advenir du sujet en soi et à une quête de vérité sur ce qui l’aliène. Le développement de soi en tant que sujet serait le but des pulsions œdipiennes de l’enfant, et les formes qu’elles peuvent prendre (amour envers la mère et rivalité avec le père) ne reflètent pas leur véritable nature. Cet accès au sujet en soi est une condition à son développement ainsi qu’à cette émancipation que Sophocle présente dans sa seconde pièce, Œdipe à Colone. Avec cette tragédie, Sophocle laisse entendre que renoncer à ces désirs équivaudrait à renoncer au sujet en soi et à la connaissance de soi. Un sujet précieux puisque c’est lui qui renverse le rapport aux origines et qui rend possible la transformation des aliéna-


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tions transgénérationnelles. Reconnaître le sujet et se mettre à son écoute favorisent ce processus de transformation, voire la renaissance du sujet. Il s’agit de lui offrir la parole ainsi qu’une possibilité de « réécrire » sa préhistoire. Une telle fonction édificatrice (ou thérapeutique) procure au sujet l’espace sym-bolique nécessaire à son développement. C’est la position adoptée par Thésée lorsqu’il offre l’hospitalité à Œdipe à Colone, et lui permet ainsi d’avenir pleinement en tant que sujet. À propos de ce sujet en soi, le message que Sophocle a inscrit entre les lignes de son œuvre mérite aujourd’hui d’être pleinement reconnu. Il nous permet, en effet, d’associer les anciennes sagesses avec les dimensions inconscientes de la psyché telles qu’elles sont comprises aujourd’hui, réalisant ainsi un pont entre les deux cultures.

Après Freud, les psychanalystes approfondiront la thé-matique œdipienne en analysant le rôle du père d’Œdipe, Laïos. En effet, avant qu’Œdipe ne tue ce père qu’il ne connais-sait pas, il convient de rappeler qu’en premier lieu ce fut Laïos qui chercha à éliminer son fils, trois jours après sa naissance. Le délire paranoïaque de Laïos révèle la présence d’une pro-fonde aliénation qui le pousse à passer à l’acte. La relecture du mythe d’Œdipe qui s’ensuit laisse apparaître de nouvelles perspectives, sans doute plus proches du sens véritable de l’œuvre de Sophocle.

La prise en compte du rôle joué par Laïos, aliéné et transmetteur de son aliénation, permet d’introduire une pers-pective plus globale : celle d’une lecture de l’œuvre de Sophocle en termes d’aliénations et d’émancipations transgénération-nelles. Elle montre de quelle manière des charges symboliques inconscientes sont transmises à Œdipe par ses deux parents et programment sa tragédie. Mais la tragédie que nous présente Sophocle est aussi, voire surtout, rédemptrice. Elle met en scène le changement qui s’opère en Œdipe lorsqu’il meurt à sa


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vie d’aliéné pour naître en tant que sujet. Chez les Anciens, dans la tradition spirituelle, mythologique ou religieuse, seul compte ce sujet qu’Œdipe devient. La vérité (Aléthèia) dont ils parlent se rapporte à la vie du sujet en soi et certainement pas aux dimensions les plus factuelles de la vie. Malgré toutes les aliénations dont il hérite, Œdipe adviendra comme sujet, et même comme héros à la fin de la seconde pièce de Sophocle, Œdipe à Colone. Ainsi que les connaissances contemporaines, notamment psychanalytiques, l’ont montré, donner vie à un enfant ne se réduit pas à une fonction biologique de pro-création. La fonction édificatrice parentale est déterminante pour que le sujet puisse advenir dans l’enfant. C’est la parole édificatrice, le « verbe5 » parental, qui donne naissance au sujet dans l’enfant.

L’absence de cette fonction chez ses parents avorte la possibilité pour Œdipe d’exister en tant que sujet. Pour que ce dernier advienne, il lui faudra prendre conscience de la vérité sur ses origines et naître à nouveau. Dans cette seconde pièce, Œdipe à Colone, Sophocle illustre le développement de ce nouvel Œdipe, capable de s’émanciper de ses héritages trans-générationnels, devenant ce héros garantissant la prospérité de cette nouvelle terre d’accueil. Une fois qu’il sera un homme - tel que le définissaient les Anciens - Œdipe pourra transmettre un héritage positif à Thésée qui devient, par la même occasion, son fils spirituel.

À la lumière d’un savoir sur le fonctionnement des alié-nations transgénérationnelles, il apparaît que le mythe de Sophocle révèle comment, après s’être perdu dans sa fonction de roi, Œdipe renaît en tant que sujet pour repousser ses alié-nations et finir par s’en émanciper à Colone.

5 Le « verbe » se rapportant à la parole créatrice attribuée au démiurge de la mythologie égyptienne et reprise dans la Bible.


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Le contraste entre ces deux vies d’Œdipe nous renseigne sur la définition de l’homme selon Sophocle. Tout roi de Thèbes qu’il fût, Œdipe ne se connaissait pas, bref il n’était pas un homme aux yeux d’un ancien sage. Son ignorance de la véritable identité de ses parents aura les conséquences tra-giques que l’on sait.

L’approche symbolique, qui aussi est celle du travail d’intégration transgénérationnelle, est nécessaire pour appré-hender les liens aux origines sans exclure la fusion à la mère et l’absence du père, ou le remplacement du père auprès de la mère. Quelle que soit la manière de les aborder, ces deux types de relations sont symboliquement omniprésents. Dans le mythe et dans la dimension symbolique, l’inceste et le parri-cide sont des outils du langage permettant d’élaborer une réa-lité invisible et d’éclairer la nature de ce qui se transmet d’une génération à une autre. Face à ces deux tabous, une démarche qui ne serait pas symbolique rencontrerait des difficultés con-sidérables. Afin d’intégrer les dimensions irrationnelles de la nature humaine, celles concernant la vie amoureuse et émotionnelle, la vie inconsciente, spirituelle, les seules expli-cations de type rationnel ne suffisent pas. Il faut y adjoindre celles symboliques, porteuses de sens au niveau existentiel, c’est-à-dire qui impliquent le corps, le cœur et l’esprit. Sur ce point, les intégrations transgénérationnelles contemporaines et l’interprétation des anciens mythes partagent une même langue symbolique. En d’autres termes, il s’agit de relativiser l’importance du discours rationnel, du « logos », pour pénétrer la nature symbolique de la mythologie, son discours propre, ou encore son « mythos ». D’ailleurs, rationaliser le mythe déna-turerait sa dimension symbolique et nous laisserait à mille lieues de sa véritable signification. En intégrant la nature irrationnelle de la psyché, nous nous approchons des lois non écrites qui la régissent, celles qui, derrière les apparences, sont omniprésentes dans la mythologie. En effet, la mythologie ne


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se plie pas aux limitations de la pensée rationnelle, elle pos-sède ses propres lois, non causales, plus fondamentales, voire plus spirituelles.

L’analyse de cette dimension transgénérationnelle dans l’œuvre de Sophocle se fera en plusieurs étapes. Le prochain chapitre a pour but d’introduire le lecteur au travail d’intégration6 des héritages familiaux et culturels effectué par un individu. En ce sens, les pièces de théâtre écrites par Sophocle ne sauraient se réduire à un fond culturel, même si elles en découlent. En réécrivant l’histoire d’Œdipe à sa ma-nière, Sophocle nous livre son propre enseignement quant au fonctionnement des lois non écrites qui régissent la théma-tique œdipienne.

Le mythe d’Œdipe de Sophocle doit surtout être analysé pour lui-même et non pas uniquement en fonction de versions plus anciennes appartenant à la culture mythologique. De la même manière, il ne convient pas de réduire une personne à ses aliénations, à cette dimension impersonnelle qui lui pré-existe et qui l’habiterait malgré elle. La lui attribuer ne ferait qu’augmenter la charge de ses héritages transgénérationnels. Au contraire, ce qui demande à être reconnu concerne le tra-vail du sujet qui cherche à intégrer ses héritages, qui tente de rompre avec les répétitions et amplifications des aliénations. Ce sujet en chacun de nous est le centre à partir duquel nous nous émancipons de nos aliénations, comme le fait Œdipe sur la route qui mène à Colone. Tel qu’il fut réécrit par Sophocle, le mythe d’Œdipe illustre précisément le travail d’émancipation réalisé par ce sujet en Œdipe, trop longtemps anesthésié par la

6 L’intégration est une notion rendant compte du travail d’assimilation par le sujet en soi de son vécu préhistorique, avant d’être sujet, celui qui reflète des héritages transgénérationnels ou culturels. Une définition de ce processus est présentée dans le glossaire.


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méconnaissance de ses origines. En découvrant l’origine de ses aliénations, Œdipe libère cet espace pour que grandisse en lui ce sujet, condition d’accès à la connaissance de soi7.

Après avoir posé le principe général du sujet face à ses aliénations, le troisième chapitre décryptera le contenu de l’héritage transgénérationnel d’Œdipe. L’analyse de la nature des manques qui aliènent Laïos et Jocaste nous permettra de comprendre l’amplification des symptômes dans la destinée d’Œdipe, jusqu’au parricide et à l’inceste.

Dans le quatrième chapitre, nous nous intéresserons à l’histoire qui précéda la période couverte par l’œuvre de Sophocle. Des événements marquèrent la ville de Thèbes, jamais intégrés par ses habitants. À défaut de ne pouvoir entrer dans l’histoire, ces manques d’intégration s’accumulèrent au fil des générations, produisant des effets symptomatiques toujours plus dramatiques. C’est ainsi qu’il devient possible de poser un autre regard, plus élargi, sur la tragédie œdipienne. Dans cet espace symbolique, propre au mythe, le parricide, la victoire sur la Sphinge et l’inceste sont programmé par son héritage transgénérationnel. Nous tente-rons de mieux comprendre les enjeux de ces épisodes ainsi que la part du « passé non passé » qui s’y retrouve. La vie d’Œdipe est à l’image d’un complexe d’Œdipe porté à son extrême, l’indice d’une aliénation maximale qui échappe à la raison. Analysée sous l’angle d’une aliénation amplifiée sur plusieurs générations, la signification des passages à l’acte d’Œdipe est autrement plus riche que celle qui voudrait faire de la transgression des tabous l’unique cause de sa tragédie. Prendre les effets « secondaires » pour les causes premières, c’est le piège d’une rationalité limitée que Sophocle déjoue. Grâce à la seconde pièce, Œdipe à Colone, la tragédie devient catharsis,

7 Connaissance de soi : voir la définition dans le glossaire.


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un processus de mutation, et la naissance du sujet en Œdipe se produira au plus fort de sa crise existentielle.

Dans le cinquième chapitre nous verrons qu’en plus d’être aliéné par son héritage familial, Œdipe endosse les lacunes transgénérationnelles des Thébains dans leur ensemble. Ceux-là mêmes qui l’avaient élu roi, le condamnent finalement à l’exil. C’est là le destin de celui qu’il est convenu d’appeler le roi-pharmakos : un jour considéré comme sauveur et, le lendemain, responsable des malheurs qui s’abattent sur le royaume. Nous analyserons les conséquences de la perte des qualités édificatrices de Cadmos sur le destin des Thébains et comment cette perte détermine la tragédie d’Œdipe.

Dans le sixième chapitre, nous verrons de quelle manière Œdipe parvient à transformer son destin. Avec l’aide que lui accorde Thésée, il réussira à intégrer son héritage transgénéra-tionnel. Au final le héros qu’il devient transmettra à Thésée un secret qui garantira la prospérité de son royaume. Cette apothéose à Colone achève le processus de transformation de la peste en prospérité. Cette émancipation et cette renaissance s’apparentent au cheminement spirituel que l’on retrouve dans les anciens textes. Par exemple, dans le Corpus Hermeticum : « Cherchez-vous un guide qui vous montre la route jusqu’aux portes de la connaissance, là où luit la lumière brillante, pure de toute obscurité […] Mais d’abord, il te faut déchirer de part en part la tunique qui te revêt, le tissu de l’ignorance, le support de la malice, la chaîne de la corruption, la geôle ténébreuse, la mort vivante, le cadavre sensible, le tombeau que tu emportes partout avec toi, le voleur qui habite ta maison, le compagnon qui, par les choses qu’il aime, te hait, et par les choses qu’il hait, te jalouse8. » Une telle description, colorée, de cet autre en soi qui étouffe son être profond, cor- 8 Hermès Trismégiste, Corpus Hermeticum, tome 1, 2011, Les Belles Lettres, Paris, p. 81-82.


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respond aux formes multiples des aliénations que nous analy-serons à propos d’Œdipe et dont le sujet doit se défaire pour advenir.

Un rappel et résumé des grandes lignes de l’interprétation transgénérationnelle et plus traditionnelle du mythe ouvrira le dernier chapitre. Celui-ci s’achèvera sur la thématique de la quête de vérité qui caractérise Œdipe, sur cette ascèse qui lui permet de se découvrir lui-même et de restaurer les qualités édificatrices de son aïeul Cadmos.

La renaissance d’Œdipe - ecodition.net · Œdipe et le complexe des Labdacides Cadmos et...

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