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LA REMABQUE SPÉCULA Ti VE (Un bon mol d~ Hegel)

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PHILIPPE LACOUE·LABARTHE

JEAN·LUC NANCY

( aux éditions Galilée)

LE TITRE DE LA LETTRE

(une /ec111re de Lacan) (1973)

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Toas droits de traduction, de reproductiOf! ef,t'i{S~ation réservés porJr tous les pays, y comprrs ....

© Editions Galilée, 1973 4, rue des Meulieres. 9.5430 Auvers-sur-Oise

lSBN-1-7186-0011-X

La remarque spéculative

(un bon mot de Hegel) -(On n'évite pas, au titre, le risque ni l'éventuel ridicule

de " faire un mot " - ou deu.x, si le titre se dédouble; c'était peut-etre ici plus inévitable qu'ailleurs - peut-etre aussi du reste, et pour la meme raison, plus impardonnable. Cependant, la possibilité d'un unique et strict intitulé tech­nique n'a cessé de se dérober; par exemple : Essai Jttr le concept hégélien d' Attjheben, qui est pourtant aussi la désignation exacte de ce travail -, et de se dérober pour des raisons qui finiront sans doute, a la lecture, par appa­raitre. Il fallait done se décider, entre des mots (entre des maux, choisir le moindre, di t-on), a moins, comme il est arrivé en effet, de laisser la décision suspendue entre deux titres, dont chacun, tour a tour, ou les deux, J'un par J'autre, essaieront de se " justifier ". Mais il ne sera pas mauvais de se rappeler, pour entamer la lecture, quelques autres possibilités qui n' ont été ni conservées ni supprimées : ainsi, EigenJinn (combinaison du sens propre et du caprice enteté, telle que Hegel en joue 1 ), ou bien Dn JenJ oppoJéJ danJ ieJ motJ JpécttlatijJ (a un mot pres de Freud), ou meme, si 1' on veut, cela va de soi, H ebttjena.)

l. Dans la Phénoménologie, cf. trad. Hyppolite, I, p. 166 - il est vrai que Hegel parle d'un sens qui est celui d'une conscience et non_ d'un mot.

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Un bon mot de Hegel

" C' est 1' affaire de Jacobi de substituer aux idées philosophiques des expressions et des mots dont on ne doit avoir ni la conscience ni J'intelligence; ils pourraient bien avoir aussi un sens philosophtque, mais Jacobi pnlémique justement contre les phi­losophies ou on les prend au sérieux et ou leur signification philosophique se trouve énoncée. " (Hegel, Poi el Savoir, !802, trad. Méry modifiée, 2' éd., Gap, 1964, p. 245.) ·

" C' est a bon droit qu'il ne pouvait se contenter des formations auxquelles concluí- · sait cette pensée [I'Aufkllirung et Kant} et malgré cela il ne fait tout son tapage que pour placer son mot < um das Wort zu sagen >, a tort et a travers, contre la pensée et la raison en général [ ... J il répand ou plutót il boulonne les unes sur les autres les cxpressions baroques, ramenées de loin, et mystifie completement le lecteur ... " (Hegel, Recension des Ecrits de Hamann, Jahrbücher für wissenschaftliche Kritik, 1828 - Studienausgabe, Stuttgart, 1930, pp. 253-254.)

" der S chein selbst ist dem W e sen we­sentlich, die Warheit ware nicht, wenn sie nicht schiene und erschiene " (Hegel, Aesthetik, Frankfurt, 1955, I, p. 19.)

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préambule

« ... ce qui se tíent ainsi sur le seuil est souvent précisérnent le plus insuf­fisant. )) (Addition au § 205 de I'Encyclopédie, éd. du Jubilée, VIII, p. 4!7.)

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l. Préambule, c'est-3.-dire aussi : " Discours qui ne va point au fait. " (Littré, Diclionnaire de la langue franfaise.)

2. On considérera comme acquis - pour autant que cela ait un sens -, dans la suite de ce travail, les analyses ou les textes suivants : Note sur la langrte el la Jerminologie hégéliennes d' Alexandre Koyré, Logiqrte el exislence (Pre· miere partie) de Jean Hyppolite, AbsoluJe.Reflexion rmd Sprache de Werner Marx, De l'économie restreinte a l'éco· 110t!Úe générale : rm hégélianisme sans réserve et le Puits et la pyramide de Jac<¡ues Derrida.

C'est dire, de diverses manieres d'ailleurs, qu'on ne s'obli· gera pas a revenir sur plusieurs vérités théoriques, bien établies, de l'hégélianisme - sans que ces vérités soient pour autant absentes, et sans que d' autre part ·on renonce id (meme si on ne peut s'y restreindre) a toute théorie, vérifia­ble a meme le texte de Hegel.

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La remarqlle spécll!ative

3. " Un bon mot de Hegel " ... cela devrait etre, si ,I"on commen~ait en toute simplicité sémantiquc,, le , t1t:c d ~n; histoirc ou micux encore d'une anecdotc (e est-a-d~re, l!tte­ralcmc~t d'une histoire inédite, qui ne figurerait pas dans les livre; de Hegel). Le genre serait alors celui d'un almanach des philosophes 1, le style, celui du récit, et e~c?re -réduit a sa plus mince (mais, peut-etre, sa plus eleg~~te) formule le narrateur se contentan\ d'y rapporter que un jour, H~gel... "2, Et il faudrait en effet qu'ici on ne fasse guere autre chose que rapporter " un mot de H~gel ".

On ne le pourrait pas, bien entendu, en toute mn?~ence. C'est-a-dire en ignorant, par exemple, 9ue le reot, !a narration, forme déja aussi le genre en part1e (ou une ~arhe du genre) imposé a J'exposition préalable de la scJence (hégélienne) : " Ce qu'on dit ici exprime bien le concept. mais nc peut pas valoir pour plus que pour une aff~rmatwn anticinée. Sa vérité ne serait pas a sa place dans cette expo-

¡. . ' 'f 3 " p ' sitian qui a en partle un caractere narrat1 . - ~ser a coté ou en dc~a de la vérité hégélienne, d'une part, et d autre part se tenir, malgré tout, dans le régime d'une p;é~ace hégélienne c'est-a-dire malgré tout encore, dans .le reg•me du concep't, e' est don~ a ce double geste! a cet~e double allure que J'on sera simultanément co~tr~•.nt. Qu une t~lle contrainte, cependant, soit elle-meme hegehenne, ou releve,

1. Un almar.ach, 5¡ l'on en croit (e~ po_urquoi pas ?) l'étymol5'fie égyptienne, c'est un calcul pour la memorre. On verra done qu t Y aura ici aussi de l'alrnanach. . . .

2. 11 en existe des exemples littéraires - tel celut-Ct, d~ !feme, qu'H faut retranscdre comme u_n apologue ~e ce que pour;a1t e~re le récit d'un << mot >> sur l'Aujhc·bung - d u.n mot ou d u.n s!lence comme on va le voir : « La nature »,,me d1t. ~egel naguere, « est tres bizarre· les rnemes instruments qu elle utihse pour ]es buts les plus sublim~s. elle les emploie aussi aux plus b~ss.es besognes, s,ar .ex. ce membre auquel est confiée la plus haute rntssion .. la r~pro ~ct:on de l'huma~ité sert aussi a ... » (Ludu•ig BOrne, 4e ltv~e, m. BettraKe zur deutschen'Ideologie, Ullstein, 1971, p .. 342). On satt (Ktrkegaard l'a cité) que le meme narrateur a rapP.or~e le,!llot 4e la fm : ~< Lors:

ue Hegel était sur son lit de mort, tl dtt : Il n y en a qu u~ qut in·ait compris ", mais il ajouta aussitót ave~ humeur : ". ~t tl ne m'a pas compris non plus ". » (Z~r Geschrchte der Reltgron und Philosophie in Deutschland, III, o p. crt. p. 84). .

3. phénoménologie de l'nprit, Préface, trad. Hyppoltte, I, p. 50.

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Préambule

d'une maniere ou d'une autre, du discours de Hegel, c'est aussi la question, ou, rnoins inexactement peU:t-etre, la bizarrerie, et, en tout cas, I'étrangeté, qui ne devrait pas cesser de s' agiter ici.

La narration n' excédera done pas le titre ( dont elle ne marque, d'ailleurs, qu'une moitié), et ce que celui-ci intitule reste avant tout soumis au manque de style - au manque d'un style. Ce n'est pas, néanmoins, pour que cet esclavage produise, par son travail, sa propre négation, et s' érige en maitrise. La maitrise hégélienne, la releve (Aufhebung) du négatif, pourrait-elle ne pas etre absolument inéluctable -bien que nul discours, comme te!, n'y puisse etre soustrait -, telle est la chance, inlime, qu'il faut des lors tenter. La chance de trouver, par surprise, la chance dans Hegel : c'est de cela qu' iJ faudrait, comme on dit, arriver a parler, et a parler, précisément, a propos du ressort de la maitrise, c'est-a­dire de la releve du négatif. C' est pourquoi 1' Aufhebung est l'objet de ce " travail ".

On voit mal, sans doute, comment le terme et le theme de l'Attfhebung pourraient etre prélevés dans Hegel et isolés aux fins d'un examen particulier. Assurément, il va de soi que cet " objet " ne peut en constituer un qu'a la condition - écrasante ... - d'inclure en lui, non pas ce qu'on pourrait nommer ailleurs ses tenants el aboutissants, ses corollaires et ses implications, niais bien la systématicité hégélienne elle­meme, dans la totalité de sa circonscription, et dans le par­cours exhaustif de ses étapes et de ses articulations. Et, d'une certaine fa~on, il va de soi, également, que personne ne peut se proposer moins, pour peu qu'il veui!le tenir un discotm (au sens rigoureux du mot), qu'une.préface (ou une

. postface) a la Jecture total e de Hegel. Affaire d' esclavage, encare, orr le voit, si Hegel détient en effet la maitrise ( du) discours - affaire d'esclavage, et non d'ambition (si du moins ce n' est pas la m eme chose). Se proposer de travailler J'A11jhebtmg, ou sur J'A11fheb11ng 4, ce ne serait done -

4. Ce travail, en tant que travail de commentaire thématique et thétiqué, n'est-il pas, au demeurant, fait et ref:lit depuis longtemps?

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ser au moms le programme un . d, b • propo . b. 1 ) Je Úcgcl. On ne sauraLt se ero ~r ~ (ct pcut-ctrc a_ so_ u de ses dimensions : ear, s'il saglt ectte tache en pre. textant t du earaetcrc génlmd

d. . s ct done en tou eas de ¡menswn , . , st qu'une affaire de temps, d'un paretl c_ommentat~e, ce nr~ain enre universitaire a le et d'une pat~ene~ dont und e~ as gtout a fait la patienee seeret ( et qUl n est sans ou e P . du eonecpt hégélien). .

. , . . n'eu urtiÍI /Jtl! toll:; rl [ Une. h!mle dtlf1/ll:lqiiÍ-legel doit Etre co1!111Jelllé

sujfmut de rre . « . par 101/J, non par 1111. »]

. . . · 'il est d'autant moins Et peut-ctre déeouvriraLt-on amsl qu . est déja pris possible de se dérober. a ~ette1 ta.e~~nq~·~''¡Imais fait autr~ qu' on a déja eomn:'ente ege ' q~ se détermine pour ctre chosc, dans ce qm se nomme e la pbi/osopbie, que de le eommente~.

d andes études sur Hegel qui nc so!t En effct il n'est pas une es gr Cur'¡euscment pourtant, tl · • fl '· t our cause - • . 1 · étutle de l'Au 'JCIJJJTlg, e 1? d".tude « spécifiquc » deve oppce

n'existc pas a notrc connaassance, e ·mcme daos l'ouvrage de de ce con~ept, ni. ~e. son mot -l'fta~pkie de Her.el, Paris, 1945, H. Nicl, De _Ja medratron dÍn~ ~~~f 'J:/~ie r.ebrochme Mitte, Ham~ ni daos cclut de J.v.d. Meu e • Ji els Deutrmg der Sprache .de bou[g, 1958, non plus q~e da~s969 e~U. l'on eüt pu l'attendre. Rtcn Thcodor Bodammcr, H~m ur~, cotJ~ehf de Gérard Lcbrun. (NRF, non plus daos lll P~lll!l~c; t l'attcnt~on au langagc hé~élic!l sont 1972), dont la pcrsptcact~e e emcnt convcrtics en un autrc d!scours curieusement et commc sOlgneus . d son texte La comme atlleurs, .JIIf Hegel, plutót qu'cn u.n.c triv~rbf~ l:i hégélicn~c. on tour.ue, daos et saos Joutc sclon une m,lP ac1;~brm _ (Mais on dcvratt cnco:e tous les seos, a u tour de 1 Auf {· r . pour les auteurs fran~ats,

· d fa~;ons de tourncr au ou · · l'on res distmgucr cux d'A fh ben cst une curiositc étrangcre, que d . ~ le doublc scns ~ e . d'aborder le problCme de sa tra _uctron pecte en l'évitaot, a mot?S . D rrida pour fequel l'équtvalcnt (commc l'ont fait Koyre,_ pu¡s traducti¿n mais plutót l'énoncé du « rciCvc » n'cst pas u~e stmpÓn nc pcut bien évidcmment, s'arrere'r

_problCmc de la traductton. -J LabarriCre, et G. Jarczy~k daos leur au sursumer fo¡~e. pár P .. o i ue Aubier, 1972, qUI rccouvre au traduction de la Scrence- del/'! 1 t K a ·' et parlcr une Kunslsprache xnoins deux erreurs : vou otr ~~s ':;bíf er icí a reparler ... ); - pour philosophique, dont Hegel va n .. 't g daos la mesure o U le mot ct les autcurs allcm~':ds. Ar~jiHbe~n \~~'.~t jans la mesure o U « l'habi­ses scns sont f_arml!crs; ~ntt, _scll' , g J" ({ la langue matcrnctlc » tudc irréfléchtc )) prcstdc a ubage1809 _ cf ci-Jcssous, lV) ... (discours de lycée du 29 ~cptcm re .

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Préamb11/e

Mais c'cst plutót la l:khe clle·mcmc <¡ui ris<¡uc 'de se dérober - eu égard, eette fois, au earactere abso/11 du eom­mcntairc. S'il cst en cffct (hégélicnncmcnt) vrai c¡ue la géné­ralité, ici, doít se faire absoluité, doit etre relevée en absolu, d'unc part, et c¡uc, d'autre part, eonunenter e'est d'abord Jire, tout simp!ement, mais Jire exaetement, Jire exhaustive­ment, Jire vraiment, et, done, absolument ·- qu' est-ee, a!ors, que Jire Hegel? Quoi qu' on se propase de faire, ou de ne pas faire, avec !'un ou J'autre des eoncepts de Hegel (I'Aufhcbung, par exemple), il faut d'abord en passer par Ja.

Qu'est-ee que Jire Hegel?

A eette question, ainsi mise au jour eomme préambule néeessaire du pareours hégélien, Hegel lui-meme ne ·peut, dans J'absolu (e'est·a-dire en tant que diseours de J'absolu), manquer de répondre. Il n'y manque pas, en elfet. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il livre les clefs de la

· Jeeture en question. On eonnait en effet. le texte de sa réponse

{( Nous voyons la raison < Grtmd > du reproche tout a fait déterminé que l'on adresse souvent aux écrits philo~ sophiques, seion lcquel la plupart d'entre eux doivent d'abord faire l'objet d'une Iecture répétée < wiederholl gelesen werden >~- avant de pouvoir étre compris, - un reproche qui doit contenir quelque chose d excessif et d'ultime, en sorte que, s'il est fonilé < gegriindel >. il ne pcrmcttc plus aucuoe répli9ue < Gegenrede >. Ce que I'on a dit plus haut pcrmet d'edairer la chose. La proposition < Satz > philosophiquc, paree qu'elle est proposition, évcille l'opmion < Meinrmg > du rapport ordma1re entre le sujet ct le prédicat, et de l'allure habituelle du savoir. Cctte allure et son opinion sont détruites par le contenu philosophictue de la proposition; l'opinion fait l'expérience d'etre opinee autrement qu'elle ne l'opinait; et cette correc­tion de son opinion contraint le savoir a revenir sur la pro­position, ct a la saisir <jau en> maintenant autrement.

[ ... ) Un mode détruit I'autre, et seule parviendra a Ctre plastique < plasthch > l'exposition < BxpoJition > philo· sophique qUI cxclura rigourcusement le senre du rapport ordioaire entre les parties d'une pro_posihon.

[ ... ] Que la forme < Form > de la _proposition soit relcvéc. cela nc doit pas seulement se produ1re sur un mode

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i La remarque spécu/ative

immédiat~ pas seulement griice au seu! con.ten}l de la P,tO; position. }.fais ce mouvement oppose do~t etr~ exJ?rtn;e < atJJ}?eJprocben >; [ ... } a est scul le speculat¡f e/Jecllj, et seufe son expression est la préscntation < Dante!lunx > spéculative 5. »

ll n' est pru; question, bien en ten~ u,, de ~ommente;. ave~ tout ce que cela suppose, ce texte des a present 6 : e est !m qui commande le commentaire, et la lecture, de Hegel. Et, quitte a découvrir, par la suite, que !'on ,est ':oué (ou ?u moins que 1' on s' est voué, pour peu que 1 on a1t -:oulu lr~e Hegel) a relire ce texte, a ne relire peut-ctre que lut, ?n ~01t bien commencer par en retenir la regle ( on voudra1t d1re, comme ii devrait etre convenable pour un commencement : au moins la regle formelle - mais on voit aussitot combi~n ce texte meme rend délicat le maniement d'une telle dis­tinction ... ) : la compréhen.~Q.!l 9<:__l_:_é,dt_ p~i!osophiqu~ se _signale d'abord p_¡g-_"" _ _c!éfaut; iLfa)!L"!'__!ÓPét.er )a_,J~t1lr": Cambien de fois ? cela n' est pas d1t, la questiOn n est pas pertinente - cette répétition échappe d' emblée ~ la me~ure. Aussi le reproche qu' on adresse couramment a ce· defaut est-il " excessif .< ungebührtig > et ultime ", et le livre philosophique s'en trouve-t-il, du moins a ce qu'il sem?le, disqualifié " sans réplique ". Or, si le :ex~e de Hegel v1ent " éclairer la chose ", ce n'est pas pour replrq~er au reproche, pour tenir face a lui (e:, done, s~r son. t~r~a1n) une Gegen­rede un discours contratre. Car e est preasement, aux termes du t~xte dans la mesure ou le reproche ainsi formulé trouve son Gru;zd (sa raison et son fond) qu'il est sans réplique­et e' est on 1' a vu, ce Gmnd qui se découvre ici, dans le texte. Par la singuliere logique d'une réponse 9ui ne ré~lique pas, Hegel a déja soustrait son texte a 1~ log1qu~ de 1 ~':gu­mentation, au jeu des Gegenreden, des d1scours d oppositlon, et peut-etre au jeu de la Rede, du discours, comme te! et en

général.

5. Phiinomennlogie des Geistes, éd. Hoffrneister, 1952, pp. 52-_53. 6. C'est d'ailleurs pourquoi O!l. n'en a_ pas ret~nu, pour le c1ter

ici, quelques articulations, c'est-:i-drre ausst son arhculatton dans tout le texte de la Préface.

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Préambule

Hegel répond 7 : la répétition de la lecture cst. en effet nécessaire, elle est le retour du savoir sur la proposition, dont le con ten u philosophique a dé"' ou déplacé 1' opinion (la Meimmg, la pensée seulement mienne). Le reproche se trouve ainsi fondé par le geste qui le récuse. Autrement dit - il faut sans doute le remarquer, et, d'une certaine fa~on, c'est tout ce qu' ii y a ici a remarquer - ce reproche, comme reproche, était lui-meme encare, ou déja, une proposition simpl~ment opinée, et sur laquelle le savoir, ici, se retourne, ou m1eu..-.: encare, sur laquelle le lecteur pour peu qu' ii ait été Iecteur du contenu philosophique de cette préface, doit déja s'etre retourné. Le vrai lecteur a dé¡a re/u.

Cependant, malgré 1'allure-p~iere d~ cette " argu­mentation ", ii n'y aurait id rien que d'assez banal, si le texte ne déterminait pas avec plus de précision le mode de cette répétition, de cette relecture. Il pourrait en effet s' agir, simplement, d'une " compréhension plus profonde ", d'une " meilleure intelligence " de 1' écrit philosophique. Or ce n' est pas ce que Hegel écrit ici. Il s' agit de saisir - fas sen - autrement la proposition, en tant qu' elle est proposition philosophique; il ne s'agit done pas, pas expressément du moins, de la comprendre - verstehen -, ni de la conci!voir - begreijen. Saos doute fassen ( saisir, contenir et retenir; Pass, le tonneau) fonctionne-t-il tres couramment comme métaphore, ou comme catachrese, de !'un ou rautre terme. Mais ii est bien difficile sans doute d' en res ter la - a la métaphore d'une " compréhension " indifférenciée -, quand on sait quelle différence Hegel fait partout jouer entre la pensée d'entendement et le concept, et quand on apprend, en outre, que! usage Hegel peut faire des sens propres et figurés de bien des mots (e' est ce qu' on veut apprendre ici; ii ne faut done pas anticiper ... si e' est possible). Pass en,

7. Saos pour autant plaider coupable, c'est-3.-dire sans avoir recours, ici, a la puissance du négatif. L'écrit philosophique, id, se pré­Jen/e (darstellt), il ne se re/h:e pas exactement. Ce texte est sans aveu. On aura a revenir sur cette logique particuliCre et sur les lieux hégéliens oU elle circule : et d'abord, on le voit, sur la philosophie en tant qu'elle s'écrit et se lit.

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Page 13: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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La rcmarq11e JpéCIIIative

e' est sars1r, attrapcr, prcndrc en main. 11 cst qucstíon d' cmpoigner autrcmcnt la proposition - ct !' écrit philpso­phique tout cntier; de !' empoigner par un autre bout, ou par les dcux:· ou autrcmcnt encare, on oc sait : il n'cst, :en tout cas, pas seulement question du sens de cette proposition, mais bien de sa forme.

Il est clair que tout cela n' est pas deviné a !' aveuglette daos l'usa,gc - aprCs tout aiiJsi accidcntcl ct acccssoire, bien qu'il se répcte en plus d'une occurrence comparable cbez Hegel - du mot fauen. C'est plutót la suite du texte qui nous aura fait entendre (saisir ?) ce mot. En effet, on a pu le Jire, la réponse de Hegel se prolonge aussitót - et rigou· reusement - en une réflexion sur la constitution de la proposition. L' antagonisme de !' opinion et du savoir, qui oblige a la relecture, doit se résoudre par une exclusion du " rapport ordinaire entre les parties d'une proposition ". Ricn de moins, par conséquent, que le programme (la phrase, dans le texte, est au futur) d'une autre - absolument autre - grammaire. - Aussi bien ne s' agit-il plus des lors de la seule lecture ou relecture, Le ]ecteur de Hegel se trouve au contraire - et la encare par un mouvl'ment singulier, en tout cas non articulé pour lui-meme - tri¡nsporté dans J'écriture ( entendons d' abord, en toute rigueur et simplicité : dans la rédaction) de 1' écrit philosophique - dans son expoJition : e' es~ ñ. cettc derniCre que se trouve maintcnant affectée la répétition de la !ccture, qui devient la plaJJicité de ]'exposition. La plaJJicité, c'est done J'exclusion (l'interdit? le bouleversement? la mutation? la transmutation ?) du rapport ordinaire des parties du discours - ]' autre gram­maire. Lire Hegel, e' est done, sinon !e réécrire, du moins en répétcr plaJtiq11cmenl 1' exposition B.

H. U nc faut pas oublicr que plasti.rch a néccss:tircmcnt pour Hegel la doublc valcur de la plasticité (cellc d'un << cxposé plastiquc )> oU. l'on rcnoncc a la raideur des pensées individuellcs, des .MeimmKetz : cf. Logique, éd. Hoffmcístcr, !, p. 20), et de la beauté plastigue (cf. la sculpturc dans I'Esthéliqll~)· Cctte dcrniCrc est en particulier le fait de la nature de Socrate (Hutoire de la pbilosophie, trad. Gar­niron, Vrin, U, p. 282), dont oous aurons a reparlcr, ct des jeuncs gens que Platon mct en sd:ne (dichtet, compose, rédige) daos ses

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Préamb11le

Il reste a védficr CJUC cctte" rCgle " cst bien conforme aux déterminations que le texte nous a semblé successivement produire. _Hegel le fait l<:i·mcme en poursuivant : le jaue11 plulosoph1que concerne b1en la forme de la proposition, et ne peut d' aucune fa~on se canlonner dans une intelligence du contenu ( ou bien : le contenu philosophique ne peut se contenir dans le statut du contenu, il engage sa forme, et le jaJJell de sa forme). L' opposition du savoir au mei11en, et le re tour de !'un sur 1' autrc doivcnt é!tre " exprimés " - ct cel~ non pas en vertu d'une exigence secondaire, communi· catlve ou commerciale (preuve, s'il en était besoin, que " le !ecteur " qui, par son reproche, a déclenché cette démons­t~ation, ne se range sous aucune de ces rubriques), mais b1en au nom d'une nécessité intrinseque, puisque seule une " expression " (mtuprechen = parler au dehors, énoncer) · peut donner une exposition a lire, c'est-i-dire peut constituer une exposition. Mais 1' expression spéculative est celle qui s' o!frira au lecteur ( et au scripteur) comme, cette fois, une preJenlattoll (DarJtellrmg). La DarJtellrmg n'est pas, on le sait asscz, 1' élément ou 1' événement acccssoire, instrumental, d'une prestation ou d'une publication (par exemple); elle est el!e-meme 1' effectivité de la présence et du présent du spéculatif e d'un spéculatif qui n'est ce qu'i( est que pour autant qu'1l le (et done : se) présente, Parler ici, comme on le fait parfois, et trop souvent, d'expression parfait.,ment a:Jéquate et transparente, ou d'épiphanie de l'absolu spécula­ttf, cst encare bien insuffisant, sinon gravemcnt crroné : de telles formules enferment encore la relative extériorité d'un milieu de manifestation, quelle que soit la pureté de ce milieu. Mais le spéculatif cst bien plutOt a lui-meme son propre milieu de manifestation, ¡¡ a eiJ /¡¡j ]' ctre-milieu du milieu et sa présence s' effectue - et ne s' effectue que - comme sa présentation9. Cela ne va d'ailleurs pas

dialogues : or i~ se trouve qu'on ne peut penser, aujourd'hui (1831), compo~er des dialogues avec de tels persoooages, et « encore moins pourra1t-on compter sur de tels lecteurs >>. (Logiqne, loe. cit.).

9. Le· rappeler, c'cst nécessairement rappeler le commcntaire hei­deggericn de l'Jntroduction de la Phénoménologie (daos lequel, cette

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Page 14: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

lA remarque Jpécu/ative

saos quelques conséquences, et, peut-etre, quelques compli­cations - auxquelles la lecture, précisément, ne manquera pas de nous affronter. Retenons pour le moment la " fi­gure " 9.ue se donne ainsi cette lecture, cette écriture : le jaJJen de la présence qui se présente, en tant qu'elle se présente; ici, maintenant, en pleine page, un écrit se présente a son lecteur, une présence s'écrit, et se lit - a meme le texte.

La présentation ainsi déterminée dépend cependant -comme on a pu le tire - d'une opération. déterminée : la f.<Jrm~_proposition doit _<;tre f1Yjgehobw,. felevée. De cette opération de releve, nous Iisons au moins ceci .,. la releve de la forme ne saurait avoir lieu " grice au seul contenu de la proposition ". La releve de la forme a done lieu au moins aussi gdce a la forme, et daos la forme meme. Comment, des lors, faut-il décrire cette opération ? Comment faut-il la concevoir, et, tout ensemble, en quelque sorte la formaliJer?

On le voit : ici, maintenant, le sol brusguement nous manque. A qui veut déchiffrer quelque chose de I'Aufhebtmg s'impose la lecture de Hegel - mais a qui veut lire Hegel, I'Aufhebtmg est déja prescrite. Lire- d'une lecture effective, et spéculative -, c'est avoir déja relevé le texte (les propo­sitions) de Hegel, ou c"est, plutot, identiguement et présen­tement, le relever. ~_p!aJtícité_=-'l.uL~~-l:_j':_oduit_de I'Aufhebur¡_g_~ ·. preced~propr"_produci:!On, exa_cten:_ent

fois, le terme d'épiphanie recouvre la logique rigoureuse qu'on vient de rappeler). Tout ce travait dépend de ce commentaire, et peut-etre daos la mesure oll il en forme, en petit, une sorte de doublure, sur un motif décalé - qui est aussi le motif d'un certain « décalage » daos le texte de Hegel, dont Heidegger ne parle pas, le motif de la Iangue de l'épiphan1e. Autant dire alors qu'il faudrait aussi relire Heidegger, le texte heideggerien en général, et le róle que peut y tenir .Heg~l. C'est une autre affaire, qu'o~ _peut _v?ir s'engager sous l'Oblrtératton de Ph. Lacoue-Labarthe (Crl/lque, ¡utn 1973).

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Préambtde

,c':fl'':'e (et :_paree, q~eJ _la répétition de la lecturé préq;de • la _lec;u:e_~e _la_prese':ta~l(J~_a_e cene }rés.entation retevée o u le sp"_culat¡f _se__cl_o!1_ll_e(ra}. --- ·------ -- -----. ~e cercle n' a rien de surprenant, sans doute, et tout ce pr~~bule ~-~ui, en 7!fe:, n'arrive pas " au fait " ... paree qu 11 y est de¡ a, et gu 11 s y perd - nous reconduit a une· contrainte herméneutique dont on peut penser qu'elle com­man~e tout:' lectu;e philosophigue ( et, réciproguement, tout modele phliosoph1que ou toute philosophie de la lecture en général, que celle-ci soit I'intelligence d'un texte ou son interprétation, ou sa critique, ou sa méditatioo, v~ire, 00 en. reparle~a ici, son apprentissage par cceur). Une philoso­phle a. t_ou¡ours, comme telle, requis, pour etre_ lue, la pré­supposlt!On de son concept 10. La lecture hégélienne se

10. On peut aus.si ~:nser que cette contrainte herméneutique· com­ma~de! plus ~art1Cl;1Iierement, une certaine préuntation (au sens ordmaire,_ ou littéraire, d~ term~) de l'écrit philosophique, depuis

. que le d1scours de. la philosophie se donne essentiellement a Jire Erenant place par~m l;s !ivres en général, dans la littérature au sen; e plus large - e es~-a-dt~e d~ns le champ de cette catégorie, « litté­r~ture ?>, dont la ~éterm1~ahon emporte sans doute avec elle celle d une lmérature ph~losoph~que ~om!lle. telle, contemporaine des temps moderne~ ~e la ph1~~so~h1e (e est-a-due contemporaine de la struc­ture COOJOmte de 1 dluswn transcendantale et de l'herméneutique telle _q!le P. Ricceur _l,'a, dégagée. tout au long de son travail __: c_f. FmJtude ~~ c11lpabl111e, Condusmn et De /'int~rprétation 1 1) et tJgoureusement articulée sur la philosophie des temps ~odern~s De cette présentatíon. he~méneuti_que -. ou de .ce que l'on ~ourrait' !lOIIlfllCC IC cercle p~e.facter du. l1vre phtlosophtque -, il n est pas mutile de ,donner tct !l~ ll?OJns ~uelqu~ exemples : Descartes, dans la Pref~~e des .Afedrtat10ns m~taphysrqun, désigne a !'avance le. lecteur qu tl se reserve - .« viamque sequor ( ... ) tam parum t~1tai?, atq~e ah ~su comm~nt tam remotam, ut non utile puta­nm 1psam m _a_allJco _et p_assu~ ah omnibus legendo scripto fusius d?Cere, ne debiliora _etta~ mgen1_a c~edere pos~ent eam sibi esse ingre­dtepdam ». (On v~tt qu J1 fallatt c1ter le latm : la traduction de la Preface ne ~ra f::rte par Clerselier qu'aprC:s la mort de Descartes, en 1661, et il y eut eu, en effet, quelque incohérence a dévoiler ce texte au le~te}lr de la tr~duction fr.ar:~aise des Aféditations, bien que Desc~rtes 1 e~t ~pprouvee ... -: VOICt la traduction du texte : << le che~m~ que Je tJens [ ... ] est Sl peu battu et si éloigné de la route or~marre, que je n'ai pas cru qu'il fU.t utile de le montrer en fran­~ats et daD;S un disc~urs qui püt etre lu de tout le monde, de peur que les .fatbles espnts ne crussent. qu'il leur füt permis de tenter cette VOJe. ») - Et ce lecteur dott etre tel qu'il soit déja instruit

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La remarque spéculative

. uete- et s'y soumet, plus préc~sément, sur soumet a cette req , _. el u livrc philosopluque par la le mode de la prcscnta~lO?tu ) >hilosophique dont nous requcte de la lecture (ccn re .l d"' pou; Hegel une

.. t 'elle constttue e¡a . signalons en, no e qdu 1. 1 ilosophique. Que l'Aufhebtmg tradition de J'epoquc u tvrc P 1

. . e de méditation dont i1 ':'a ~eule-du premicr a u moms des exer~tc ts. dire daos ce cas. aussl btcn la ment entreprend~e la lecturll (e c;s j~a.;,ais'a personne de _le lire [mo~ f¡~~~t~?n~n« ¿~J: ~~¡ c~~~~r~~~~ ~~~:.;:~r~ég!;e~e~~~:~l~dé\'¡~r:r qui pourront détacher lcur csant d •. gés lesquels je ne sais que trop cnticrement de toutes sortes e pr~u olns qu'il ne doive mcttre en étre en fort petit nombre .. >? - 1 ~emiCre lecture, en vue de f?CC­a:uvrc une étrange neutralltc ~~e a i aui désireront lire ces. Médtta~ mettre la lccture : « Je supp !e ceu ent~ ue premiCrement lis ne se

;~~~t ~~:~~ola f~~in~r d~~~~cnf\J~fis~~~ ~~I~~~~n~a~~ lf: ~Jé'f~~:~ aqV ., i faites » - Kant con ere . Pure dcux róles stmu -1 ;e;,iére édition de la Critique de l'ic[1~-;:';~re ,/que ce tra-.:ail ne fanés (étant tout d'abord. ente~du, 1 portée du public ordinalfe [l•

ouvait en aucune fac;on etre !'fllS: s~Cne ar la métaphore la P.u.s ~ont le premier se trouve mi~ e ou de fa raison : << J'attends, IC!• constante de la critiqu_c ellc-~¡~~Partialité d'un ¡uge >? (trad. ~a!~'· de mon lecteur la pattcncdc e .1 'accompagne d'une prtme de P. alSir, 1 13) et dont le secon , ~ut ~ t~me . « Ce ne dott pas eSt~n a~xiliariat daos l'édhi catt~~s d~tt~iit e pou; le lecteur quebd~ At e ce me semble, une e ose ~ se proposant pour u Jofndre se.s effo:ts a ceu~ g.~.::'::.~~i~r~n durable, d'aprés le pl~ d'accompllr enbcrcmcnt e de ct importante)) (rJ., p. 12) q~i lui est proposé, une O!UV~e gra!l 1' n ose dirc qui invite a une hcrméncutique de la séductton, ~~- ~~~ et ui i;a jusqu'i engager, lccture-écriture criti9ue del lac ~~~~bquti~n di lccteur a l'~<:hCdvcment dans la scconde Prcface, a 0 f . , une prime de platstr u sys­littéraire. du. livre,d comme, ~et~on~~~r~ns ailleurs qu'elle n'e~l) p a~ tCme lut-meme ( olnt tne~~ des trois Critiques prtsels ense!Dt. ~solé 3 s rapport avcc e l . bl par que que co e 1 :, nTout traité philosophiq~e est vui;,~~6 ':.·un traité de mathé'O'a­(car il ne saurait • Ctre ~~ss.' btdn cuystCmc qconsidéré daos son. u~uté, tique), bien que l org~nlsatt~t u s [ ] Mais lorsqu'unc theorJe a ne courre !?a~ le l'mo~ndre t ¡;g~~;ct{~'n qui semblaient d'abo~d la quelquc solidtté, actlOn e e servcnt avec le tcmps qu .a. en menacer des plus gra~d~ d~npers t" bientót des esprits iml?arttaux, (aire dispara¡tre les mcgah~es, e 1 't. s'appliqucnt a lut donner lumineux ct amis de la vr~~~ ~opu an e, 35-36) - Enfin, et en outre toute l'élégancc de_si_r,a le~>~~~-~ Ptn· rctrou~cra la plupart

our nc reten ir ici qu'un trOI,stemc x s 'a ·outé par Fichte a la Ses motifs évoqués daos 1.:'-va~J:r-ropde lal Doctrine de la science, scconde livraison de la premtcre f I'?n déplacés en fonction de la oii ces motifs se trouvent cettc 01s

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Préambule

ne soit lisible que par l'Aufhebtmg, cela veut done dire d'abord, et tout simplement, que c'est la un concept philoso­phitjue, el <¡u'il faut, comme tel, l'entcnelre (le ftt.rsen) philosophiquement. Lire ele la philosophie, et Jire, comme on dirait, avec philosophie, !elle est aussi la circonscription la plus large a l'intérieur ele laquelle se trouve assigné un programme de travail sur un mot de Hegel...

On a dii commencer a SOUPfonner, néanmoins, et dans le meme temps, que la figure, ou le modele, que la lecture hégélienne constituerait ainsi par rapport a la lecture philoso­phique en général, répete, ou exécute, le cercle herméneu­tique de cette derniere sur un mode au moins singulier (Jeque! fait el' ailleurs systeme avec !out le statut particulier que Hege~ on le sait, entend donner a sa « Préface », a_ cette " exposition en partie narrative " qui ne doit pas etre un " éclaircissement préliminaire "). Non seulement, en effet, aucun préalable n'est ici posé - rien n'est demandé par provision a la croyance ou a la confiance du lecteur, aucune aptitude spéciale n' est exigée de luí -, mais, plus généra­lemen~ le régime herméneutique en tant qu'il est celui d'une prés11pposition nécessaire se confond ici avec le régime d'une position. !t_ép~t_é, le cercle es!Aéplacé, _ ~écalé. Cae, dans toute la mesure ( et cette-mesure est !o tale .. .), ou la lecture -

protestation agitée que Fichte élhe centre la diffusion prém3.turée et « indiscrCte >>-(trad. Philonenko, p. 13) qu'on a faite de son livre inachevé (il a dU en effet « paraitre feuilie a feuille, comme il le fallait en vue de mes Ie~ons » - Id., p. 14). et done encore mal Iisiblc : « Ce qui suit ne s'adresse qu'aux personnes honorables et n'a de seos que pour elles. [ ... ) ]e suis loin de finir la construction et je ne peux actuellernent qu'inviter le public a entreprendre ·avec mot la construction a venir. Avant de pouvoir déterminer avec Pré· cisioo une scule proposition, il faudra la cornprendre a partir de !'ensemble et se procurer d'abord une vue générale du tout. [ ... ] tout philosophe exige a bon droit que le lecteur suive le fil du rai­sonnement. .. >>- (Id., pp. 14-15.) On peut déj3., par ces exemples, apprécier la mesure seion laquelJe la Préface de la Phénoméno/ogie appartient, mais n'appartient pas seulement, pas exclusivement ni Simplement aux cercles hermeneutiques de l'auteur et du Iecteur, du texte et' de sa conception, de la préface et du << corps » du livre.

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Page 16: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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La ref!Utt"t¡t'e spéctdative

r exposition en général - doit obéir a la plasticité relcvée et relevante des propositions dans leur contenu et _dans /e!lr forme, cette plasticité, quant 3. elle, ne S~ tresent~, r:a.s ailleurs que dans le texte de Hegel, dans (mats dans , tCI, ne signifie justement pas" a ~'intéri~r", ~i "daos r:sprit :' du texte) ce texte que nous ltsons, tet, mamtenant. L herme: neutique hégélienne,_ I'hermén:".tique ~u jassr¡n, se donne a

· mcme le texte, et nen ne precede (~t ~excede?) ce ,texte; De meme qu'il n'y a pas de Préface, ti n y a pas d; pre-p~se au hégélianisme. Sans doute !'Aufhebung es~-el1e pre~upposee, mais _!.a,_pré,.¡¿pposition de l'Aufhebung_c est (~l':e.?ans) la position j_e_[d!'fhek!fng, c~e~; en c¡uel,gue sorte, _J~presen<:_e meine du texte. Lire Hegel, des lors, e est tout stmplement, si J'onpe~t dire, Jire Hegel- ou bien encare: !'Aufhebu~g, la releve nécessaire a la !ecture, a lteu dans le texte qu on

lit. Une seconde fois, pourtant, le sol nous mar:que ---:

quoique d'une autre fac;on : ce n'est plus un abtme qut r ouvre mais une fissure qui le déchire, et dont les bords sont idcertains dont nous ne savons pas jusqu'ou elle peut

' 1 • s'étendre. Car au moment meme - dans e texte mo;me -, ou Hegel offre a notre lecture I'écritur~ phi~o;o¡;htq;'e, a livre ouvert, et, pour ainsi dire, dans sa lttteraltte, tl derobe, ou du moins déporte, cette meme Jittéralité. Et cela pour deu~ raisons : si, tout d'abord, I'AIIfhebtmg de la form~ propost­tionnelle est nécessaire, e' est paree que la propost:t~n, par sa seule disposition grammaticale, " év~ille l'opmton, du rapport ordinaire "; or, I'écrit philosoph!q.u~ est forme de propositions pbilosophiques, lesque~l~, prec1;e~ent, sont ~es propositions, c'est-a-dire des propostti?ns_ ordm~m';;, soumtses a la grammaire de leurs rapports ordmatres. St, d autre part, la plasticité de l'exposition doit etre acquise dans la forme méme de la proposition, on aura remarqu~ .c?mm~~t, sans a u tres précisions, Hegel évoq~e. cette,.Pl~tiCit~ ~ l atd:' des régimes du futur et du devmr-etre ( 1 exposttion pb~loso­phique qui exclura rigoureusement... "; " cela ne dot:. pas seulement se produire... ", etc.). De ces deux manieres, done, - qui composent d' ailleurs un meme geste -, Hegel

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Préamb11/e

d?porte _la littéralité relevée qu'il s'agit - qu'il _s'agirait, desormaJS - de Jire. Mais ou, vers ou, est-elle déportée? . c:;st_ce qui n'est P";'_écrit. D'un _coté, la philosophie écrit (ou s ecnt) en proposttions ordmatres et elle écrit dans ces propositions la releve du " rapp~rt ordinaire du sujet et du prédtcat "; d'un autre coté - futur ou devant-etre -r ", ;xciusion rigoureuse " de ce rapport annonce, si ell~ ne 1 enance pas, un catire genre de propositions, une altlre

grammair~ ou grammaticalité. Entre les deux, quelque chose semble bten manquer, et ce qui manque ainsi, qu' est-ce d'autre gue I'At~fhebtmg? L'At~fhebflng est done dérobée - en tout cas, déplacée, ou décalée, et la releve n' a pas totlt a)ait _liett - a 1' endroit meme ou sa présence paraissait S mscn.re, et, surtout, a l'endroit meme oU cette inscription était, de toute nécessité, requise pour que puisse seulement s' entamer la lecture ...

.............................................

Mais apres tout, nous avons quand meme déja entamé la lecture, nous avons déja commencé a lire I'At~fhebtmg dans le t~xte ... Et il se houve meme que cette constatation, tout emptrique, dont l'ironie se dresse a présent devant nous, répéte en elle la regle de lecture que nous avons cru recevoir

· de !;':gel (le Jire, e' est Jire son texte ... ), et que nous avons aussttot perdue. Nous savons ou se cache cette regle perdue : e' est dans le texte; mais nous ne savons plus découvrir sa cachette, puisqu'il nous manque la regle, la plasticité du texte, par laquelle la Darstel!rmg est possible. Tout com­mence avec cet imbroglio, et tout pourrait bien y finir. Si l'on veut s'en sortir, il faut- commedia d'el! arte- jouer d'improvisation, et, sans savoir le texte, avancer dans I'intri· gue. (On reparlera plus tard des roles qu'on aurait pu savoir par c<eur - ainsi que de la scene ou des scenes sur lesquelles on aura pu jouer.)

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La remarq11e spémlative

Nous pouvons, en tout cas, continuer a Jire HegeL Cepen-. dant, nous ne pouvons plus nous en tenir - nous ne pouvons

peut-etre meme pas nous tenir - aux propositions de son discours, ni -a la grammaire de leurs rapports ordinaires. L' assurance grammaticale et logique doit nous manq¡¡er, elle se dissipera dans la lecture, dans la répétition de la lecture, dans cette sorte d'écriture ou nous entraine 1' exposition de Hegel, relevant 1' ordinaire rigueur de ses énoncés. Hegel

!'écrit : " Ce qui est énoncé < ausgesagt > comme une loi ferme,

demeurant aupres de soi, ne peut etre qu'un moment de l'unité se réfléchissant en soi, ne peut entrer en scCne < auftretcn > que commc une gmndcur évanouissantc 11, "

Que lirons-nous d' autre, pourtant, que les énoncés (les propositions) de Hegel ? Mais, si ¡;¡ous devons les Jire comme des moments, qu'csl-cc qu'un moment, ct gu'cst-ce qu'une "grandcur évanouissante "?ce n'est, nous allons l'apprendrc (le relire), ríen qui se puisse séparer de l'A11jhebrmg. Que lirons-nous d' autre que " Aufhebung "? - Nous .lirons done de ccttc lccturc boitcusc. NoU.s rcstcrons ainsi1 autant de tcmps qu'il le faudra, dans une " exposition qui a en partie un caracti!fe narratif ". Entre deux genres, un sty!e nous manque, une plum e ( dont il faudra bien, · pour finir, reparler) nous échappe, le style et la plume de l'Arifhebrmg. Ce préambule aura done bien été en pure perteo

Ainsi démunis, ou déréglés, nous ne lirons, ou nous n'écrirons, pas autre chose que !'écart, le cléplacemcnt qu'on a vu, dans le texte de Hegel, produire ce déri:glement -ou, si !' on veut, cette altération a u cours de laquelle on a vu se proposcr la nécessité d'unc autre grammaire, d'une autre propositiono Il faut, sans plus de précautions, puisque le systcme entier de la précaution vient de se révéler inutile, Jire ces a11tres, ou cet a11tre, dans Hegel, e' est·a-dire, bien entendu, Jire a~ttrement Hegel, et, pour (re )venir enfin a

11. Phiinommo/ogie des GeiJies1 p. 222.

30

Préamb11le

no!re " objet ", Jire, ou écrire, autrement l'A11fhebrmgo (En men:e temps, sans ?oute, on établira que 1' absence de pré-cautmn dont on vtent de parler n'a rt'e • o ¡ d' · · . n a vmr avec a

ectston pnmesautii:re ou forcenée de plier Hegel • ¡· bo t o d' · , o a ar t· ratre une mterpretatton ou d'une utilisation 120)

31

1

Page 18: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

2

d'un texte ' a remarquer

<e Hes-el a condensé l'erreur; il l'a systématJsée, il l'a proférée, si je puis ainsi parler, tout entiere, et tout entiere en un mot. Sa formule est sur le fron­tispice de I'Ecole de Satan, qui désor­mais se moque des imitateurs, en les défiant de faire mieux. Satan s'est reconnu daos la formule hégélienne, il l'a admirée comme une chose :i lui, car l'Orgueil, Satan et Hegel poussent le rneme cri : l'Etre et le Néant sont identiques. »

(Ernest Helio, I'Homme [1872], 20" éd., Paris, 1921, pp. 137-138.)

« C'est ce qu'exprime le mot, capital daos le systeme de Hegel, attjge­hoben. >>

(Emile Boutroux, S11r la néceuité, la finalité et la liberté che= H effel, Bulle­tío de la Société fran~aise de philoso­phie, avrill907, p.l42.)

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Il faut done commcnccr par nous déplaccr dans le textc c.lc Hegel, Hegellui-meme nous ayant délogés de ce qui semblait dcvoir etrc l'incipit, ou l'introil, obligé de sa lecture.· Dans cette premiere ( deuxieme) lecture aventureuse, en quete de l'acces qu'on lui a dérobé, (et dont le lecteur, par force, est emp&bé, pour le moment tout au moins, de tenir un compte exact des nécessités discursives, systématiques, ou du rapport des parties du discours hégélien), un texte, un seul, se fait bien vite remarquer - et remarquer, aussi~ót, a deux titres au moins : il traite de l'Aufhebung, d'abord; cnsuite, il est écarté, d'un livre cntier, du texte que nous étions tenus de Jire en préambule, et il est meme a !' écart, d' une certaine fa(:On, du livre auquel il appartient pourtant. Il s'agit en effet de la Remarque que la Science de la logique consacrc a l'Aufhebung. C'est la quatrieme (et derniere) Remarque a la derniere scction c.lu premier chapitre du pre-

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Page 20: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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La remarque spéct~!ative

mier livre. Et puisque nous sommes voués a la lecture commen~ons par Jire, tout simplement, ce texte 13

Dans la table des matii:res, il est indiqué par cette mention : Remarqlle < Anmerkung > : !' expression .< Ausdruck > : relever .< aufheben >. Mais le corps du texte porte la seule mention : Remarque, suivie de ce .texte, dans Jeque!. no~s allons indiquer entre crochets dr01ts les passages a¡outes par Hegel dans la seconde édition (1831) de la Science de

la logiq11e :

« Relet:er et le relevé [l'idéel] est un des plus impor­tants < wichtig > conce¡)t~ de la philosophie, une _déter­mination fondamentale, qUI ne c.esse, purell!cnt et stmple-. ment, de faire retour partout < ~t~ schlechthm allenthalben wiederkehrt >, dont il faut satstr < auffassen > 1~ se~s de fa¡;on détcrminée, et. en le distinguant, ~out par.trculte­rement du néant < Ntchts >. - Ce qut se releve ne dcvient pas p~r ll néant.. Né:mt est l'immédiat, que}q~e chose de releve, au contratre, est quelque chose de m~dta­tisé· c'est le .non-étant mais en tant que réJultal qut est iss~ d'un etre. C'est p'ourquoi i1 a encore .a mhn_e ,¡oi la déterminité < Bestimmtheit > de laque/le rl prot·tent.

Relever a, dans la langue, ce double seos selon lequel il signifie la meme chose que co~server < aufbe':'·ahren >. mainunir < erhalten >, et en merne temps la rneme citase que faire cesser, jaire une fin < ein Ende mach:n >. Le conserver lui-mtrne inclut déji en luí le négatr~. ~ ce g:uc, p~mr ?laínt~ni~ 9uelql!,e ch?se, on la soustr.art a so? 1mmédra.tete et amst a un etre-la ouvert aux ~ctions exte­rieures. - C'est de cette fat;on que le releve est un e~ mC:me temps conservé < ein zueleich Aufbe~·ahrtes >, qut n'a perdu que son immédiatete, mais qui n'~st pa_s, ~our cela, anéantr < vernichtet >. - [le_s deux determtna~lOD.S indiquées du relet..-er peuvent, du pomt de vue du lextque, C:tre mises en scene < aufgeführt werden > <:_o~me deu;c significations < Bedeutung > de ce mot: Ma1s 11, dey~att afors C:tre surprenant qu'une langue .en 50ft v~nue a utd~ser un seul et meme mot J?Ollt deux dete_rmmatlons opp~sees. Pour la pensée spéculahve, il est réjouts~ant < erfr~euhch > de trouver daos la laogue des mots qu~ o~t a m~rne e_ux­memes < an ihnen selbst > une sigmftcation speculattve; la langue allemande en a plusieurs de cette sorte. le dou·

13. Wissemchaft der Logik, éd. Lasson, F. Meiner, 1971, pp. 93-95.

36

D' tm texle a remarquer

ble:sen; du. latin : tollere (quí est devenu célCbre par le t~att d espnt < \'V'ttz > de Cicéron : tollend11m eue Octa­vmm) ne. va pas aussi loin; la détermination positive ne va que, ¡usqu'i l'élévation < Emporheben >.] Quelque chose n est relevé que daos la mesure oU cette chose est e.ntrée daos l'u~ité avec son opposé; daos cctte détermina­hon plus préctse comme quelque chose de réfléchi on peut, de fa~on convenable, le nommer moment <'.Z..fo­me~t >.'le poíd,¡ et la distance a un point, daos le levter! s appellent les momenlJ mécaniques de celui-ci en ratson de la memeté < Dieselbigkeit > de leur action' que_lles qu_e soient, par ailleurs, les différences <Ver: schJ_cd,eohett > ent:e u~ ré.el, tel gue l'est un poids, et un tdeel, la pure determmat10n spatiale la ligne· v Encycl des scie~!=es philos., 311 éd. § 261, Re~. - As~ez. souvent encare s tmpo~e.r~ la rem~rque < Bemerkung > suivante : la langue arttftcielle < Kunstsprache > de la philosophie se sert, pour des déterminations réflexives d'expressions latines [_tantót paree que la langue mate~nelle n'a p:1s ~·expressrons pour ce~ .détermination~, tantót paree que, SI elle en a, comme Ict, son express10n rappelle < erin­nert > plutOt l'immédiat, tandis que la langue étraogCre rappelle plutót le réfléchi}.

le sens et l'expression plus précis < der n1i.here Sino und Ausdruck > que retre et le néant possC:dent < erhalten > en tant qu'ils sont désormais des moment,¡ se donnera dans la considération de l'etre-Ii en tant que l'unité dans laquelle ils sont conservés ... 14 »

.._14. Il ne sera sans doute pas mauvais de pouvoir se reportee ici ~eme au te~te allema.nd de cette Remarque, cfaos la mesure oU nous 1 avons plutot. t~anscnt que. tra~uit (une traduction impliquerait en ef~et une ma1tnse et un~ mtelhgeoce du texte qui, sur plus d'un pomt. ne p:uvent que falte défaut. déja a l'intérieur de la langue al/emande, a une l~ture encare en attente de sa refh,e : aussi bien. d~ns t.ou~ ce travatl, ?e cesserons-nous p,as de chercher le mode d mscnptton d'un pared texte ... ). Voici 1 inscription : « Aufheben und da~ Aufg:hob.ene (das ldeel~e) ist einer der wichtigsten Begriffe d~r Phdosoph1e, eme Grundbesttmmung die schlechtin alienthalben Wt!!derkehrt, deren ~inn ~estimmt aufz~fassen und besonders vom ~rchts zu ~ntersche~den 1~t. - Was sich aufhebt. wird dadurch mcht zu. NJ~hts .. NJ~hts 1st das Unmittelbare, ein Aufgehobenes dagegen tst e1~ Verm~tteltu; es ist da.s Nichtseiende, aber als Reud­tat! das van emem Sem ausgegangen tst. Es hat daher die Bestimmt­hert, aus der es herkomml, noch an sich. . Aufheben hat in der Sprache den gedoppleteo Sino. dass es so

vtel .~ls aufbewa~ren, eriJa/ten bedeutet und zugleich so viel als . aufhoren lassen, :m ~nd~ machen. Das Aufbewahren selbst schliesst sebo~ d_as Negattve m 51ch, dass etwas seiner Unmittelbarkeit und damtt e~nem den ausserlichen Einwirkungen offenen Dasein entnom­men w1rd, um es zu erhalten. - So ist das Aufgehobene eio

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La remarque spéc11lative

On peut arretcr ici le tcxte qui, dans les quelques lignes par lcsquelles la Remarque se termine, va opérer une breve récapitulation du chapitre précédent, et une premiere déter­mination de !'objet du suivant : l'etre-la. Mais on ne sus­pendra pas la lecture sans observer que, par son dernier alinéa, cette Remarq11e fonctionne done aussi en tant que passage ou transition d'un chapitre a un autre, et plus précisément du premier au second chapitre de la Logique. Elle se comporte ainsi tout a la fois en annexe et en moment du discours. Et ce n' cst pas une des moindres contraintes auxquelles il faudra ici se soumettre, que celle qui consiste a lire la note dans le texte, c'est-a-dire, bien entendu, le discours dans sa remarque. Peut-ctre meme cette singuliere conjonction du passage (c'est-a-dire de l'articulation dialec­tique, ou du dévcloppemcnt < Entwicklung > au scns hégé­Iicn) ct de 1' amwxe (de ce qu' on note ou fait remarquer en

zuglcich Aufbewahrtes, das nur seine Unmittelbarkeit vcrloren hat, abcr darum nicht vcrnichtct ist. - Dje angcgcbenen zwci 'Bestim­mungcn des Aufhebetzs kOnnen lexikalisch als zwci Bedeuttmf!ell dieses \'Vortcs aufgcführt werden. Auffallend müstc es aber sein, dass cine Sprache dazu gekommen ist, cin und dasselbe Wort fürt zwei entgegengesetzte Bestimmungen zu gebrauchen. Für das spekulative Dcnken tst es crfrculich, in der Sprache WOrter zu finden, wclche cine spekulativc Bedeutun¡; an ihnen selbst haben; die deutsche Sprache hat mehrere dergleichen. Der Doppelsinn des lateinischen : to/lere (der durch den Ciceronianischcn Witz : Jollendum esse Octavium bcrühmt geworden) geht nicht so weit; die affirmative Bestimmung geht nur bis zum Em,porhcben. Etwas ist nur insofern aufgehoben, als es in die Einheit m1t seinem Entgegengesetzen getre­tcn ist; in Jicscr nlihcrn Bestimmung als ein Rcflckttertes kann es passend Mommt gcnannt wcrden. Ge111icht und Eutfernung von cincm Punkt hcis5cn bcim Hcbcl dcsscn mechanische Jl.1ommte um dcr DieJt•lbi~J.:t•it ihrcr \'í'irkung willcn bci allcr sonstiJ7cn Vcrschic­denhcit einc's Rccllcn, wie das cin Gcwicht ist, und emes lJccllcn, dcr bloss ráumlichcn Bcstimmung, dcr Linic; s. Enzykl. dcr philos. Wisscnschaftcn, 3tc Ausg. § 261 Anm. - Noch Ofter wird die Dcmcrkung sich aufdringcn, dass die philosophische Kunstsprache für rcflckticrtc Bcstimmungen latcinische Ausdrückc gcbraucht, ent­wcdcr wcil die Muttcrsprache keine Ausdrückc dafür hat; odcr wcnn sic dcren bat, wie hice, wcil ihr Ausdruck mehr an das Unmit· telbarc, die frcmde Sprache abcr mchr an das Rcflckticrtc crinncrt.

Dcr nahcrc Sinn und Ausdruck, den Sein und Nichts, indcm sic nonmchr A1omeute sind, crhaltcn, hat sich bci dcr Bctrachtung des Daseins als dcr Einheit, in dcr sic aufbcwahrt sin,\. ~u crgcben ... >>

38

D' mz texte a remarquer

paSJ,mt)' du sens et d 1 . . d e a marque ad¡'a t nous onnera-t-elle la forme la 1 : cc;n e ou marginale, rlans Jesquelles il faudra d. t us generale des questions de suite, s'il est vrai ue e~; ep acer. Car, pour Je di re tout mie systématique de ~ Lo /e Re;narque appartient a 1' écono­dans cette économie n' gt qtte, Il ~st tout aussi vrai que ríen · t'fi , es venu m ne ¡ rl , ¡us ' er et fonrler cett . . v en ra expressément comme on dit " d, ell."'~'tlon de reman¡ue de texte

, ecroc1e '15 Et • 1 ' , pour lequeJ ce texte se fa,·t r . e est e premier motif

C' emarquer est en tout cas ce q . d . ·

par " situer " dans ¡·~· mt ?ous imposer de coll1lllencer • econom1e do t ·¡ d.

- comme il est d'ailleurs de , 1 n J epend, ce texte texte. Mais ici on le vo 't

1 ~eg e dans une explication de

f 1" ~ , t , a mtse en ceuv d , par ICU Iercment urgente . re e cette regle est . . d .. , , SI cette reman¡uc d • h . n avOir eJa plus avec son t , ecroc ee· parait

ou précaires ... (Et pourta c~n ·7xte que ~les attaches do~teuses de suite, cctte urgen ce n ' ~. vaut mieux en . prévenir tout . t . va s unposcr sous 1 , m crmmable passage es espcccs d'un Remarque. A ]a Úmit~a~,f~.S'luef. t?ut le texte qui précede ]a a t ' en mira ¡>as d'ar . • 11 .

ce ex te remarc¡uable 1' •. nver a ce e·ci b bl arce qu mtrouvable . . ' a e, au point CJUC dan 1 , ~usst, ou tmpro-

1' avoir oublié. 11 faut ·¡,:e qdue ques_ pages on pourra sembler n re patience ... ).

Et tout d'abord on remar . . pas a 1' ensemble de ara ra quera qu~ ce texte n' appartient ~u langage, ni a auc~n Jes ~:~~eq~e 1 Enc~c/opédie consacre angage pour lui-meme. 11 ne f~ extes ou _Hegel traite du

du langage, ni, plus lar emen t PO: ~artle de la théorie po~IC autant que celles-~i ont tle~~ ]al senuologie, hég~liennes, c¡UI vaut surtout par sa réci ro P _ace dans le systeme. Ce lan~age. ( eux-memes, pour J~ss;:~ei les textes consacrés au ne s arretent pas sur le rloub1 : textes de Remarques) e seos speculatif de certains mots.

1_5. Plusieurs RemarqueJ de He 1 ma•s non pas toutcs ct sin uliege ont Je mCme statut ambi u

d

dcs Remarque¡ sont de « vfrit brlement dans la Lof!.i'flle ou'g b'­ans 1e dév ¡ a es » annexes • •en

n'cst pas fixée Mopp_ement pr~prcmcnt dit. Le ge~r¿ude n!en n'articuie · ats on y rcv1endra. e a Remarque

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Page 22: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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La remarq!le Jpém/ative

La théorie (si e' en est une ---;- e~ en tout cas la ~~~~~e de di~ double sens d'aufheben ne s arttc;'le pas _sur 11~ C'est-a-dire

signification. Ma!s elle s'ann~;ed~r~at;~tZ:. ¡,'ce texte qul comme on le satt, et po~r l't re du systeme. C'est-a-dire forme le program?"e det a e 0

up. rique cette fois ( mais est-il encore, et d'un pomt e vue em I

-----. -- . nnexion n' est cer.enda~t. pas tout a 16. Quo_,que ~a¡eure, cette ~ine labilité dans la posttiOO expresse

fait exclustve, ~t tlhyba u~e tcer~rs les différents textes de H~g~L.­de l'analyse _d auf e en a rav 1 ceuvres de Hegel devratt. tCt se Une « histOlre » du m~t daos ~us entre renons. Elle aurat~ sa.ns greffer sur le commentatre quh 0 u'il 0~ s'agit pas d'une btJiotr_e doute a montrer, entr~ aut-:esl e ose~t~e texte en texte. (On pourralt hé"'élicnne- mais d un def! aceme \'irahl daos fe Malheur de a~tir des indications donnees par ¿ean donner id qu'elques reperes,

fa comcience, P.U.F.: 1957, p. 98.)sif odu~ double sens d'aufheben, par on notera : ~: fue l. ll;s~e ¡.r?gresdevrait etre étudié en rapp?rt ave~ Hegel, jusqu a . a peno e d~fr<l;• nt de aujheben par Sche!lmg,. qut l'usage, a la foJS pr?che et t ere ~ur dést ner la suppresston d une emplOie presq"!e t?u¡_ou~s cÍ terde fr.availler ~ur les rapports de dettX différence- tl s agiratt aloria ;ropédeutique qui correspond,¡/ubnt textes; 2. que le passage e e l Lo i ue, oc dit mot de au u e~ au svstf:me, a la Remarqu_e de a ~uqs u'aucun autre passage ou (§ ¡(; du 3e cours, 2~ sectwn), tod p ble iens est mentíonné par la le ter me est employe; 3. que e. ouut etre considéré comme ana­Phénoménologie au moment, ~~ PÍa Logique oü l'on passe de la logue a celui de. la Rer;tyque ~~!ption » : «, L'aufheben présente <e certitude sensible » a a .<e P~ . double que nous avons vue < darstellt >. sa _vérit~ble Sigm~Jca~Negieren'> et un c.on~e'.t'e~ en i m eme le negat1f : C .est ¡n d~~~ terme ici (présenter, Slgmftca~tOO~ merne temps. » - Mats pus a ort au texte de la Logtque, Yéritable) introduit un ec:Htdpa~ d P)a Logique de l'Encyclopédie 4. que le passage corres pon an u~ soulí ner en revanch_e. que 1~ (§ 4l) reste muet sur le: !D?t• P~ nt reli:~e de la proposwon spe­saisie du concept de l'unrte .etr~-nea lus encare dans le texte de la cu/atit·e, sur laquelle Hegel _msJstera ~ans les Additions établies par 2' édition (devenu le ~ ~p' 5./oqpf:"J¡, figure, a propos du § 96 (1~ Henning et l\.hchelet .a ncyc l~ tcxte suivant : « Il y a _ICt 2e moment du Dasem, c¡ttd fobi) • . nification de notre expression a rappelcr < eri!,lnern > a .. o~fheeb;~ ". Par " aufhe~en " nous < Ausdruck > alleman~e a ue " hinwegráumen ' < exclure, entendons d'abord. la m~,me c~os~ q et nous dtsons en conséquenc~, abroger >. " negteren . <me~ • 't'on etc sont " aufgehoben .

Par exemple, qu'une lot. une dtsP.osJ.¡t· '< h·~isst > aussi la merne

· t " aufheben '' stgnt te l e lvfais, en ou re, " us disons en ce sens, que que qu chose que " aujbewatreÍ: b• et .. ~ bien conservé>. Ce double _se~s chose est " wohl au ge o e_n le uel le meme mot a une stgnt: d'usage daos la langue, sut;r:mt q ne peut le regarder comme du fication négative et une pos•t~ve,. on

40 L

D'11n texte a remarquer

sans rapports avec le précédent?), a ce texte dont Hegel prépare la seconde édition en 1831. Or, si l'on a pu repérer a l'instant, au cours de la lecture, J'importance (quantitative, pour le moment) des additions apportées par Hegel a la seconde version de cette Remarque, il importe de rappeler que la Préface écrite pour la seconde édition s'ouvre sur un long ( et plus célebre) texte concernant la langue allemande et ses privileges philosophiques. Cette préface est le dernier texte écrit par Hegel : il la signe sept jours avant sa mort. La seconde édition de la Science de la logique aura done été préfacée a partir de la Remarque, elle-meme amplifiée, sur a!tfheben. Nous lirons aussi le texte de la préface en son temps. Mais avant de pouvoir interroger cette singuliere prolifération d'un motif annexe, il faut s'arréter sur sa rosi· tion systématique.

Car - la ptemiere phrase de la Remarque I'indique -ce inotif consiste d' abord a revenir sur un concept <Be· griff >, et cette conceptualité déclarée de l'aufheben cons­titue J'un des principaux traits qui distinguent le texte de la Logiq11e des te.xtes analogues que nous avons pu rappeler (en. note). La Remarque apporte des précisions sur " rm deJ pl11s importan/J (wichtig, qui a du poids, qui fait pencher la balance) concepts de la phi!oJophie ", et qui " ne cesse, purement et Jimplement (schlechthin, on pourrait traduire : absolument, si 1' on n' était pas chez Hegel...) de faire retortr partout ". - Partottl : et en effet, ]' ar¡fheben a déja fonc­tionné .dans le premier chapitre. La Remarque, comme il se

au hasard, et l'on ne peut absolument pas aller fs.ire a la l.angue le reproche de preter :i confusion < Verwirrung>, mais on a a reconnaitre ici 1 esprit spéculatif de notre langue, qui va au-dehl < hinausschreiten > du simple .. ou bien-ou bien " propre a l'en~ tendement. »(trad. Bourgeois modifiée, p. 530); 6. que, daos d'autres textes, et spécialement daos l'Esthétique, il arcive assez sou•oent a Hegel (ou aux notes de ses auditeurs) d'employer aufhehen dans un contexte qui n'autorise que le sens négatif. Toutes ces données font au moins apparaitre un certain nombre de variations du texte (qui n'est done pas un) hégélien sur aufheben,- on aura l'occasion de mettre en jeu quelques-unes d'entre elles.

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doit, et comme !'indique sa premiere phrase, qui rappelle et qui n'annonce pas, vicnt apres coup. Comment l'aufhebm­ce concept - a-t-il déji fait retour dans le texte? ·

Le premier livre de la Logiqrte est la théorie de l'étre. Cellc-ci commcncc (premiere scction) par la déterminité, cllc-mC:mc détcrminéc commc tptttlité. Le prcmier momcnt de la qualité (premier chapitre) est 1' étre comme tcl, dans son immédiateté indéterminée. - Ainsi s' effectue la nécessité du commenccmcnt tclle que 1' a prescrite le texte Jiminaire de ce premier livre (Par oii doit se faire le commencemenl de la science ?) : le point de départ de la philosophie ne peut ctre que J'immédiateté simple, dans laquelle aucune expression < Ausdruck > de l'absolu ne peut etre autre chose qu'un " mot' vide " et que " J'etre "17. L'étre dans son immédiateté est le vide de tous les mots qui pourraient le détcrmincr. Le mouvemcnt du prcmier d1apitre, .autant que dialcctique de 1' etre et du néant, sera done, depuis le tcxtc Jiminaire qui ne fait pas encare partie du proeessus Jui-meme, jusqu'au texte d'une Remarque, le passage du vide des mots au surcroit de richesse d'1111 mot, de ce mot qui, ainsi que le dit la Remarque, va plus loin qu'aucun autre mot du mcme genre. Mais en mcme temps, et il faut bien le noter des a présent, tout autant que le sort fait aux mots leur est ainsi fait dans deux textes " décrochés ", la dia­lcctiquc de l'Ctrc nc se préscntcra jamais comme une dialcc­tique du langage. Ce qui ne vcut cependant pas dire que le langage, les mots, ou, en tout cas, des remarques sur des mots, n'interviendront pas dans ce premier d1apitre -bien au contrairc, on va le voir. Ce qu'il faut done tenter de Jire dans ce d1apitre, pour accéder a la Remarque, e' est le fonctionncment, dans le processus dialcctique primordial, d'un processus non (non rigoureusement, non expressément) dia­Jcctique, ct qui concerne - ou qui a pour siege - le langage, ou les mots.

La dialectique proprement dite de 1' etre se regle en trois temps assez brefs, qui sont les trois paragraphes du chapitre.

17. o p. cit., p. 63.

42

D' m1 texte a remttrqt~er

Les ?eux. I;'r~"':ie~ p_osent l'identité de 1' etre et du néant dans la _51_~p1Ic~te '?d1ffe~e?te et vide de leur immédiateté. Le trOJsJeme etabht la venté de cette identité comme 1 p d 1' 1' , • . e assage e un. en , autre, e .est-a-dtre 1' évanouissement .<V erschwin-

~en ?' de 1 un 7n 1 autre : le devenir. Le devenir lui-meme s artJcule en trOJs mon:ents : 1. Unité de 1' etre et d11 néant, 2. Moments "" dewmr: se prod11ire el pfiJ:rer, 3. Allfheben d11 devemr. - Au premier moment sont annexées ,

1uatre

lon$ues Remarq11~s (plus longues, ensemble, c¡ue le chapitre c.ntier en ses trots paragraphes), ct au troisiCme moment S ."nnex,e la Remarque sur aufheben (plus longue .que les 2 et 3 paragraphes: qui la pr~ced_ent). Avant la Remarque du m~t, le _conc~rt s est done bJen mtroduit dans le discours, . et d 1 a fait, de¡a, _sous ses deux appellations d'artjheben et ~e Moment (celle·Cl en est la désignation convenable, accep­,;tble. - fass_end -, lorsque le concept se trouve dans Ja , ~et~rn;:natwn plus précise " de " c¡uelc¡ue chose de

rcfle0' 18). _1~. s' est introduit comme ( ou : dans) les ~~ux1eme et trmsieme moments (sous-paragraphes) du troi­st_eme ~emps (paragraphe : le devenir) de la premiere séquence dialectique de la Logrq11e. Autrement dit, iJ s'est introduit comme ( ou : dans) la détermination de ce qui seulement commence. a étre la vérité, selon ce que Hegel écrit au début du Devemr :

<~ Ce qui est la vérité, ce n'cst ni l'étre ni le néa · cccJ <¡ue l'Ctrc dans le néant ct le néant' Jarrs ¡••t nt, rnaJS . : .. · cre-ne passe pas, - ma1s est passe < ubcrgegangen ist >, ))

L'aufheben va etre le concept du mouvement de la vérité, o~,. ~lus e.xactement, du passage en tant c¡ue vérité. Or la vente de ce passage, Hegel le dit ici et il le répétera dans

1 18. Signalons en passant que !'origine lointaine de la li · t d a conceptualisation (i.e. la m~taphorisation ... ) communc J~s~·~! e

hobewem et du J\1oment scraJt a cherchcr dans les pe . /¡:e­de Hegel sur la géométrie, l'astronomie et la rnécant:;~crs trava~x no~amrnent). Ainsí, en particulier, dans la théorie de qla (du le':ler qu on troll:v: da~s la pr~miere philosophie d'Iéna Une t f{oporf1011

che, en sot erudtte, auratt peut-étre a s'interro er 'sur 1. e .e. re_c }er­la généralité philosophiques d'une mathémaflque d antenont~ et chez Hegel. .. ct chez Descartes, et Platon. es proporttons

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lA remarque spém/ative

d'autres textes, c'est qu'il (s') est toujours déja passé. Il a done, en vérité, précédé l'exposition de sa vérité, et la déno· mination - a:tfheben - par laguelle a lieu cette exposi­tion. Mais si l'exposition, comme exposition plastique, est le véritable lieu de la vérité -la présentation spéculative -, il faut done comprendre a la fois la vérité de !'aufheben par le déja-passé du devenir, et le devenir déja-passé par (ou comme) la vérité qui s'expose en aufheben.

Aufheben est la vérité d'un passé, l'etre-passé de la vérité; Hegel ne détermine pourtant pas expressément son concept par ce trait. En revanche, e' est bien a !' enseigne, ou sous la loi, de ce toujours-passé, que !'aufheben pose son mot, et s' inscrit dans le texte. On aura en. effet relevé la singuliere syntaxe de la premiere phrase de la Remarqlie : " Relever < aufheben > et le relevé <das Aufgehobene > ... est un des plus importants concepts... " : un pluriel fonctionnc au singulier 19 - uu seul conccpt se compase de (en tout cas, se désigne par) l'infinitif d'un verbe (pas meme substantivé par l'article) el le participe passé passif de ce verbe. L'Aufheben hégé!ien est presque toujours, dans le texte de Hegel, son verbe (plutót que le substantif Auf­hebmzg) - et simultanément son verbe présent et passé. Ou plutót, car les deux modes verbaux sont bien, par force, distingués, - selon qu'il s'agit de l'opération (" Ce qui se releve ne devient pas par la néant "), ou de son résultat (" le relevé est en meme temps un conservé") -l'111tjheben se désigne, pourrait-on dire, par le passage permanent de son verbe au passé, et au passif. Car une telle opénition est tout entiere daos son résultat, puisqu' aussi bien ce résultat consiste entierement daos le maintien de !' opération, en tant que

19. Cela se prati<Jue, certes, en allemand. 1vfais si, premierement, le cas est ici malgre tout notable (on n'a pas a faire a i'une de ces phrases un peu longues ou accumulatives qui commandent souvent ce tour), ne faut-il pas, deuxii!mement, se preter ici, avec et malgré Hegel, ;i quclque ressource - spéculative ? - de la langue?

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D'ttn texte a remarqtter

cell~-ci ~st doub_le, et que ce qu'elle opere est la simultanéité (qm. rc:v!ent, pmsque sous un unique concept, a un~ consubs­tan.trahte) . ~e ces •. ?eux aspects. D'un coté, l'opération, la releve, vente du de¡a-passé, ne se donne que lorsque sa double composante (ou : nature) est donnée c'est-a-dire effe t • d' .. .. , e uee - un a,utr: cote, le résultat, le relevé, ne livre que sa double operatmn. - A s'en tenir, par conséquent, au mot, ou, plus exactement, au double mot a la double forme a:tfheben(a;tfgeh~-~en, I'A~fhebzmg est' tout a la fois quelque chose qu_J s est de¡a pr~dwt, et quelgue chose qui a encore a se_rrodmre. Il_~e po~rra.Jt_bien que cette premiere "modalité" so•t une prem1ere détermmation, ou un premier effet, de cette co~statation initiale de la Remarque, selon Iaquel!e cet " t~portant ~cept ." " ne cesse de faire retour partout ". Le retou~ <~Jederkehr> de !'a:tfheben est toujours le ret?ur d un pas;;e. ou le retour au passé, a moins qu'il ne so1t le retour d un encare-a-veo ir : en tout cas le retour d'un. pas~age eh t;nt qu'i! (s') est passé, ou qu'iÍ (se) sera passe. D une certame fa,-on, l'aufheben a déja ainsi posé la question de sa présence.

Mais, apres tout, nous n'en sommes encare qu'au mot IJ r~ste a. examiner 1 conl.ll1ent le coru:ept s' en produit et ;. en determme dans le texte - daos 1' es pace qui s étale entre la premiere v~;ité d~ _d~venir et la. Remarque sur l'attfheben.

Cette prem1ere v~nte, en tout etat de cause, ne s' est pas formellement donnee comme un aufheben. Mais comme un a;'[io~en - ou at¡fgelOstsein - un " dissoudre " ou " avoir ete d1ssous " : cette " vérité est done ce mouvement... oU les deux sont différents < unterschieden >, mais d'une diffé­rence qui s'est aussi bien immédiatement dissoute20 ". C?mme le montrera le tr?isieme moment (Artfheben du det·e­nzr), ce rapport de la dlfférence et de sa dissolution déplié po_ur lui-rr:em: (alors qu'ici il ne se présente encor~ qu'en SOl) et artJCule en ses moments, va constituer le devenir -

20. O p. cit., p. 67.

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La remarq11e spéct~lative

soit, selon du moins une premiCre détermination de celui-ci, I"aufbebm Iui-mcme. La dissol11tion occupe done, dans le moment initial de l"immédiateté, la place de la releve, la place oll la EclCvc aurait dtl fairc rctour, sans que rico p~:mr­tant ici n"i ailleurs, vienne articuler la releve sur la dlsso­luti~n, e' est-a-dire relever cette dissolution. Difficulté, si 1' on veut, qui pourrait encare s' énoncer aiosi : le com?Jen­cement exige une forme immédiate de !"aitjbeben, anténeure et extérieure a I"allfbebm lui-meme. Le déja-passé de I'At~f­gebobemein revient des lors aussi bien il efre a11jgeliist -dissous -, et, daos l'univocité de Ia dissolution, le " retour " de l'a11jbeben se produit comme au rebours de l"équivocité de son mot et de son concept21. Cette difficulté ne serait pourtant qu'une forme de la difficulté tres générale et Iogique du commencement et de la complétude, avec laquelle .il faut bien, somme toute, que chaque discours s' arrange, ... si, comme on le sait, le discours hégélien ne venait pas de consa­crer les pages qui précedent (Par otl doit se faire le com_men­cement ... ) a cette difficulté, pour la résoudre ( est-ce la dJssou­dre ou la relever? 22) dans la position conjointe de r immédiat de !" etre et du mot vide. Selon cette premiere sol11tion, le commenccmcnt a done eu Iieu avant )e passa,gc : mais qu' en est-il alors de r etre-passé du passagc, au regard de r etre­passé du commencement? On le voit, soit le commencement, soit I'allfbeben, soit encare !'un et I'autre, ne s'en relevent pas .

21. Cela irait de soi si l'tmfhebetz dcvait progressive~ent com­prendre ct rciever en soi l'alfjl0se11. O~. on v~ent de le d1_re, ce. ne sera pas le cas - ni dans ce texte, qUI va. g/ u ser de !a d1ssolutton a la reiCve ni ailleurs. I1 faudra, au contratre, rcco~nattrc plus tard n1mbicn, dt avcc t\uclk :tmbigu:ilé, l't~~,j!tht'll rcv.¡cnt hanler plu_s J'un tcxte de Hegc. La dissolutlon fcra, elle auss1, rctour. Ma1s ti cst trop tót pour en parlcr. •

22 On pcut en cffct lirc de l'une et l'autre fa,;on le dcrnicr alinéa de e~ tcxtc : « Ccttc vuc < Einsicht - la vue du " mot vide " > c~t cllc-mCmc si simp!c, qu.e ce commcncem~nt, comf!lC tel, n'a b~som d'aucune préparat1on m de plus ample mtroductton; ct ce raiSOn­nement préal:tblc ct pro\~isoirc. <.~icsc yorHiuf.i¡:keit v.on R:isonn~­mcnt > sur lui oc pom·:t¡t avo1r lmtcntlon de lmtrodmrc < hcrbcJ­führcn >, mais bien plutUt d'éloigncr tout préalablc ct provisoirc. >>

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D' tm texte a remarqt~er

C'est bien pourquoi, d'ailleurs, le texte (c'est-a-dire," I'etre dans son exposition) sera comme contraint de revenir·- de faire retour -, daos une Remartflle (la troisiCme), sur le commencement. Ce sera alors pour écarter aussi bien le premier commencement (l'ctre immédiat de Parménide, qu'il ·ne faut done pas confondre avec celui de Hegel, ce qui impliquerait que I'immédiateté de ce dernier ne soit déja plus simplement immédiate, et son mot déja plus simplement vide ... ) qu'un second commencement (celui de Fichte) qui serait I'atifbeben du premier (op. cit. p. 81) : attjbeben en que! sens? "sup­primer " et " relever " sont ici possibles - et le concept, en tout cas, n'est pas indiqué. Mais en !'une ou l'autre accep­tion, I'a~~fbeben du commencement est exclu. Ce qui d'ailleurs est exclu, en général, par la Iongue et sinueuse discussion que mene cette Remarque avec et entre tous les philosophemes Ju commencement ( ceux de Parménide, de l'ichte, de. Spi­noza, de Jacobi, de Kant, de Platon), e' est en fait la q11estion du commencement, et plus précisément la question comment? <Wie?>. Une telle question appartient a la" ratiocina­tion , et a la ,, réflexion intérieure ". Car " la synthese CJUÍ fait ici I'intéret < Interesse> [ ... } est [ ... } la synthese immafletJ/e - l'unité des différents étant a meme et pour soi < an und für sich >. Devenir est cette synthese imma­nente de l"etre et du néant ".23 (Encare, ajoute Hegel, faut-il Iui refuser le 11om de synthese, qui indi<¡ue une association, done une extériorité.) Et cette immanence, ce passage imma­nent qui capte tout I'intéret, qui captive dans ce texte tous les philosophemes et jusqu' aux mots eux-memes, produira la conclusion de toute cette Remarque dans un alinéa supplé­mentaire, une sorte de remarque a la Remarque, qui s' ouvrira ainsi : " On ·peut encore remarquer .< bemerken >, au sujet de la Jétcrmination du passage de I'ctre ct du néant !"un dans I'autre qu'un te! passage est aussi bien a saisir .< auffassen > sans autre détermination de réflexion 24. " II n'y a pas de q11estion du commencement, et done pas de comment? du

2.1. o p. cit., p. 82. 24. Ibiá., p. 89.

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La remarque spémlative

commencement de l'aufheben, ni de l'aufheben du cammen­cement. 11 n'y en a gu'un fassen - une saisie, dont nous connaissans déja, par le préambule qu'il a fallu parcaurir, la camplicité avec l'aufheben de la lecture. C'est des le com­mencement du discours spéculatif - c'est peut-étre meme surtout a son commencement - que le savoir doit se retour~ ner sur ce discours pour le " saisir ". Et c'est en ce point initial, au la science (de la logique) n'a pas encare, pour ainsi dire, articulé son premier mat (et surtout pas le mot de son praci:s, l'aufheben), que cette " saisie " s'offre et s'impose saos doute de la fa<;on la plus pure. Il faut, saos pouvoir en canstruire les déterminations réflexives, fassen le passage daos lequel tout commence. Il faut savoir -saos science - lire Hegel. Cette lecture est une auie : il faut saisir une voix qui s'articule. Telle est en. effet, daos le texte de cette Remarque, la question - de Jacobi - sur laquelle Hegel se sera le plus arrété, pour la récuser ou pour la dissoudre, mais la dissoudre seulement comme question :

« Comment sa [du moi) .pure voyelle < Vokal ?> "vi_ent­elle :l la consonne, ou plutot comment son sonf¡·!e !1/en­cieux < lautloses Blasen > ininterrompu cesse-t-i , s'inter­rompant lui-mCme, pour acquérir au moins une sorte de son autonome < Selb5tlaut - c'est le nom technique de la voyelle >, un accent? 25 »

Le texte de Hegel, qui assume la métaphare de Jacobi, sinon la question comme question, se lit done - ou s' entend -ainsi : le bruit inarticulé s' articule daos son immanence, la vaix sanne d'elle-meme avec la voix, la vaix passe en la voix, ou, camme an dirait aujourd'hui (en croyant, ce qui ne serait pas toujours sur, dire autre chose), f" parle. <;:a parle, en effet, en passant, et ¡;a passe en parlant, et <;a commence ainsi, et <;a s' accentue ainsi. Pour autant que la releve s' est déja abimée daos le cammencement, le cammencement de !' attfheberr est une vaix, une !angue o u un mot, qui s' articule et s' accentue tout seul, sans origine et saos grammaire.

25. !bid., p. 82.

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D·'mz texte a remarqller

Pour autant, néanmoins, que la releve est encare a pro­duire, il nous reste encare :l entendre - ou a lire ~, daos le texte, le mat de l'aufheben se produisant tout seul. Ayant commencé saos s' etre prononcé, il se prononce saos avoir commencé.

Daos la premiere Remarque du chapitre - consacrée au · néant, a l'existence et a Dieu -, le mot se prononce, par

pur hasard, ou du moins comme par une pure inadvertance de l'auteur, daos une locution d'usage qui ne lui permet aucun écart de seos. A propos de la critique kantienne de la preuve antologique, Hegel écrit : " Wenn namlich ein Auf­hebens van den hundert Talero gemacht wird ... "26- c'est­a-dire : " Car si l'an fait grand cas des cent talers ... ". Auf­heben, ici, ne marque qu'une valeur pasitive, et la marque dans une expressian toute faite (ein Aufhebens machen) qui délimite plus étroitement encare cette valeur. Le premier attfheben du texte est un accident, un pur mécanisme d'écri­ture ... - Mais le')ecteur ne s'y serait pas meme arrété, si les occurrences sui>'antes du mot devaient prendre une posi­tian plus nette.

Ce n'est pas tout a fait le cas. Tout laisserait attendre paurtant l'exhibition du mat (et d'abord, comme on va le voir, d'un mot, que! qu'i! sait), accampagnée de taute la précision et la richesse de son cancept. La seconde Remar­q~~e, en effet, s'attache ii. l'insuffisance de certaines expres­sians paur rendre J'unité, dans le devenir, de l'etre et du néant. Cette insuffisance est d'abord celle de la propositian : " Etre et néant sont 11n et le. meme , 27, car " I'accent y est mis de préférence sur I'étre-rm-et-le-meme " dont on sait déja qu'i! ne constitue qu'une détermination unilatérale. La propasition sauffre done d'un défaut - d'un exces -d'accent. <;:a ne s'accentue pas bien, ce n'est pas J'accent du passage - et Hegel y saisit d' ailleurs 1' occasion de déclarer : " 11 faut en autre faire di:s le commencement cette remarque

26. o p. cit., p. 74. 27. !bid., p. 75.

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úz remarrpte spéc¡¡/ative

"';: Bci?crkung > pénéralc, c¡u~ la proposition, dans la forme d 1111 Jllgemelll, n est pas destmée < geschickt > a exprimer < ausdrückc~ > ?es vérités spéculatives 28. " Ce dcstin qui condamne, d entree de ¡cu (nous commen,ons a etre familiers de ce préambuJe hégélicn ... ), l'ordre entier des propositions, cst sa~s appel. Il n'est pas question d'y remédier (ergii11zeu, con~¡:lctc; ou supplécr) par la position conjointe de la pro­posJtron mverse : car les deux propositions resteront ainsi saos Jicn effectif (unverbun?en). - Et c'est alors que, abandon­nant le Satz a son dcstm, Hegel passc a un mot. Ce mot est celui d'tmité (Einheit), et e' est " pour ainsi dire un mot malheureux <unglückliches Wort>29 .,_Une seconde fois done;. le _destin fr':ppe l.a langue ... _L:mlité, en_ effet, indiqu~ 1~ r~flexwn, et rncme 1 actwn, exterJeures, qm comparent et reunJ_ssent. deu_x objets. " L'unité exprime done la memcté < Dieselbigkeit > tout abstraite, ct rcnd un son < Jautct > d'autant plus dur et frappant < auffalend, c¡ui se fait remar­quer,, surprenant > qu~ ceux a u suj_ct desquels elle cst pro­nancee se montrcnt < Sidl zcJgen > plus rigoureusement dif­férenciés 30, " Or rien n'est plus rigourcusement différencié que 1' etre et le néant : Jeur unité, sous peine de tomber dans l'ab:tra~ion, doit done s'indiquer sans la désignation et sans la signJficatwn de l'tmité. Et pcut-étre sans le secours d'au­cu~e d~signation 3:. Y aurait-il, en effet, que! que autre mot qUI pUisse convcmr? Il semble bien que non. Hegel ajoute sculcmcnt : u Daos ccttc mesure, il vaudrait done micux se cor:tenter de d~re, pour. unité, iméparatio~¡ < Ungetrennt­heit > ct mseparabi/Jte < UntrennbarkeJt >; mais ainsi l'affirmatif du rapport du tout n' est pas exprimé. "30 ... L'en-

28. !bid., p. 76. 29. !bid., p. 77. 30. O p. cit., p. 77. 31. On passc done, bien évidcmmcnt, au plus prCs de l'iudex 111¡

de Spinoza, de Ja vérité qui « nullo egeat signo >> (De Emendatinne ~ 36}. M_ais on ~~ s'y arr~te I?as. !Ji~n au c~ntraire-:- et pour néRli~ ger le fa1t que lmdex spmoz1cn ecnt peut-etre aussJ - il faut Jire que tout provient de l'cnfouissemcnt d'un tel index daos le procCs d'un texte, ou d'un geste qui plie, ici, cet index sur une plumc _ dont on reparlcra.

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D' ttn texte a remarquer

c¡ucte sur !es mots est déja clase. Mais si, a propos des propositions et de Jeurs combinaisons, Hegel semble avoir énoncé une loi- la loi de !'insuffisance spéculative de toutes les copules grammaticales, du " est " et du " et , -, a pro pos des mots, en revanche, rien ne permet d' affi~mer qu'on ait ici le principe d'une analyse exhaustive du lex•que. On est plutót livré au régime d'unc production d'échantiUons - comme en passant -, qui reste suspendue entre la posi­tion a priori d'une loi et l'amorce d'une induction, et qui peut aussi bien s'entendre comme la mise a l'écart d'un mauvais lexique avant la production du " bon ". - Mais tout ce que 1' on peut dire en fait, e' est que Hegel, a présent, laisse tomber. - les mots et les propositions .

[ D'une certaine fatou, par coméquenl, on devmit ici demander : commenl poursuívre, daw Cei conditiom, la lecture? O u bien : a que/ titre, el avec quels moyens, interroger Hegel? MaÍJ 011 petll 41/JJÍ demander : que faut-il pb1101 laisser /omber : la lecture - 011

ler queslioru sr~r elle, leur forme de qlles­JionJ ?]

Une enquete s' épuise done sans s' etre achevée. Et pourtant, ayant laissé tomber, Hegel peut condure. La vérité se dit enfin, elle se dit dans tout un alinéa, le premier alinéa du tcxte <]Ui obéiSSC " vraimcnt " a Ja syntaxc et au Jexi<]UC hégéliens, le premier dont un critique littéraire devrait dire, saos hésitation, qu'il est bien du style de Hegel - et le premier oll attfheben se prononce, o u s' écrive :

<< Ainsi le résultat total, vrai, <JUi s'cst ici protluit; est le devenir, Jeque! n'cst pas simplemcnt l'unité unilatérale ou abstraite de retre et du néant. Mais il consiste dans ce mouvement, que l'etre pur est immédiat et simple, cju'il est pour cela tout aussi ~Íe':l le néant pur, que, leur diffé~ rcncc cst, mais tout auss1 b1cn se aufhcbt ct n cst pas, Le résult:tt af{irmc done tout aussi bien la différence de l'Clre et du néant, mais comme une différence seulement opinée 32, »

32. O p. cit., p. 77.

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lA remarqtte spémlative

Aufheben veut dire ici, on le voit, avaot tout supprimer. La différence - qui n'est pas la différence acti,·e, produc­tive, Differenz, mais plutót la distinction, la séparation, Unterschied- se supprime en taot que différeoce réelle ou conceptuelle, elle apparait ainsi daos le résultat comme simple opinion. Au-del:\, c'est-a-dire moyennaot l'aufheben, regne la vérité.

On peut désormais traverser moins lentement le texte du premier chapitre. L'aufheben n'y recevra plus d'autre déter­mination jusqu'a la fin du troisieme moment : son verbe y désignera constamment la suppression de la différeoce, e· est­a-dire aussi, en généraJ, de Ja détermination uniJatéraJe. JI S~ trom·era simplement que le texte ne fera plus mention du statut d' opinion que prendrait la détermination une fois sup­primée. Cela aussi, Hegel le laissera tomber - évitant ainsi de caractériser plus avaot le mouvement de l'aufhebm mmme une élévation d'un degré inférieur a un degré supérieur, mais évitant aussi, en meme temps, de caractériser ce mouvement d'aucune autre maniere définie. Tout se passe comme si, aver !'a~tfhebeiz de l'unilatéralité et de sa différeoce daos J'etre-et­le-néant, devait s' étre également déja effectué l'attfhebm de l'unilatéralité d'aufheben, que!!e qu'e!!e puisse etre, et par conséquent I'aufhebetz de la possibilité de différencier auf­heben. Aufheben ne se distingue pas, ou se distingue a peine: lisant le texte, il faut, pour le voir, le vouloir, ou le savoir.

Le discours hégé!ien n'en aura ríen dit. Il est pourtant, ainsi, le seu] qui parvienne a dire quelque chose : car si l'aufheben est la suppression de la différence de l'etre et du néant, il est la suppression de cette différence au sujet de laquelle Hegel met ses éventuels critiques au défi de dire ce qu'elle est 33. L'aufheben s'enleve sur le fond d'une paraJe impossible, d'une différence indicible, et indicible paree qu'on

33. /bid., p. 78.

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D' un texte el remctrquer

ne saurait définir J'etre et le néant. On peut tout a.u plus les réprésenter, l'un comme la " pure lumiere ", et l'autre comme la " nuit pure "33 mais ce sera pour etre aussitOt contraint de reconnaitre que " I'on y voit autant et aussi peu dans la clarté abso!ue que daos les ténebres absolues "34, et que, par conséquent : " C'est seu!ement daos la Jumiere déterminée - et la Jumiere est détermioée par !es ténebres - done dans une ]umiere trouble [ ... ] que que! que eh ose peut devenir différencié ... 34. " L' attfheben que 1' on distingue mal ne succede pas a une différence - en lui toujours déja résorbée - mais précede et rend possib!e la différence. A11j· beben est la paro le possible qui s' é!eve dans !e dair-obscur - c'est la voix meme de la philosophie, le cri d'une chouette au crépuscu!e.

Et ce cri ne s.! détermine, si l'on peut dire, que d'etre Jui-meme - ou d'etre, en tout cas, le fait ou le processus d'un " soi-meme ". La seule marque distinctive, en quelque sorte, de 1' attfheben; est sans doute en effet la forme réfléchie sous Jaquel! e le verbe se prononce le plus souvent. L' a~tf· heben est un sich attjheben de la différence, comme on a pu le Jire a J'instant, et si le contenu du verbe reste peu déter­miné, tout J'accent du texte se porte en revaoche sur ce sich, sur l'autonomie du attfheben. Il faudrait meme dire, saos doute, que la contrepartie de J'indétermination d'a~tfbeben - si la détermination suppose bien l'extériorité d'une ins­tance déterminante- n'est autre que ce qu'on pourrait appe·

. [er son aséité. La voix d'attfheben trouve son accent dans un sich; et que! que soit le sujet de attfheben (fUt-il, ce qu'i! est d'ailleurs toujours ... , J'indicib!e sujet que constitue la diffé­rence), il n'est jamais a11jgehoben que pour autant qu'il sich attfhebt. JI se releve. - Le premier mouvement du devenir s' acheve ainsi :

34. /bid., p. 79.

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La remarq11e spémlative

« Mais nous appclons dialcctiquc le mouvcmcnt ration­ncl supérieur J.ans lcqucl ccux qui apparaissent airisi < solchc SchcinenJc > purcmcnt ct simplcmcnt séparés passcnt l'un en J'autrc par cux-mémcs, par ce qu'ils sont, Jans lcqucl la présupposition de lcur étrc-séparés se releve J5. )) ,

L'aufheben cst: esscnticllcment, ce qui va de soi, et, tout en mCmc tcmps, ce qui, de soi, va, ce qui passc ou fait passcr -1' ¿'Vanouisscment .<V erschwinden > réciproque et spontané de ce qui ne comporte aucun état stable, pas meme comme état intcrmédia.irc ( ct 1' on aura pu, au passage, récuscr av:cc Hegel encore un autre ter me : " état .< Zustand > est une expression qui ne convient pas < unpassend >, barbare "36). - Evanouis, ou plus précisément évanouissants, 1' etre et le néant s'énoncent désormais (et c'est le second moment du devenir) comme des relevés ( aufgehobene), e' est-a-dire comme des moments : " Ils s' effondrent < herabsinken > de leur auto~suffisance < Selbststiindigkeit > d' abord représentée, jusqu'a· des moments, encore différenciés, mais en mCmc temps relevés 37. " Moment est done le ·nom du différent dont la différence est déja supprimée, ou plutót s'est déja supprimée. A11jheben est le nom de la suppression des états · gui se rclevent en moments, et 1' a11jheben en moments dit la différence dont la simple position - dont le concept, pour­rait-on ajouter - restait, comme telle, a jamais indicible. Ainsi pcut-on comprendre que Ja différence supprimée est en m eme temps conservée. Mais pour le lire, ou pour 1' entendre dirc, on voit que la encere il fallait le vouloir, ou le savoir - il fallait une ou!e si fine qu' elle n' entende plus tout it fait le sens différencié de certains mots, et que artfheben passe sans s' exposer a la ( comme une) détermination. - Tout cela va de soi, et le mouvcmcnt s' en précipite dans le textc o u la releve, désormais, ne cesse plus de fonctionner, d'accélérer, si l'on pcut dirc, ct de rcsscrrcr au plus juste son fonction­ncmcnt a mCme le soi, et en quelque sorte comme si elle

35. O p. ciJ., p. 92. 36. /bid., P- 9L 37. /bid., p. 93-

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D't111 texte a remarq11er

formait I'ipséité, ou, mieux, le proces d'ipséité de ce Joi lui­mCme, puisque " chacun se releve a mCme soi-mCme [ comme un gui, n'étant pas tombé a terre, se relcverait sans prendre appui sur le sol] et est a lui-meme Je contraire de soi " 38.

Le devenir va done de soi par un a11fhebetl et comme un a¡¡fheben. Dans cette identification, on a pu le voir, ríen ne s' cst produit oU 1' on puisse rigourcusemcnt reconnaitre une construction conceptuelle. Bien au contraire : un mot, puis un autrc, sont venus assurer un fonctionnement la oü toutes les déterminations manquaient, dans le concept et dans la proposition de J'unité, - la ou toutes les déterminations devaient manquer, en vertu de la loi du commencement. 11 fallait par conséquent que 1' artfhebm passe ou se pásse a coté du jeu des déterminations. Et e' est bien ce qui s' est passé : son mot s' est glissé dans le texte, sans cien di re, et lorsqu'il en est venu a s'exhiber, ii était déja trop tard pour son concept- ou, si J'on préfere, ii était trop tard pour qti'un concept se détermine (par une définition de mot, ou une articulation de propositions). A11jheben a pris la réleve d'une Jonction impossible : la détermination. Cette prise de releve, il a toujours été trop tót, ou trop tard, pour la déterminer elle-meme : et 1' on voit bien que cette double impossibilité va elle-meme de soi. C' est pourquoi ii va de soi, égálement, que toute la logique de la releve se soit produite dans le glisse­ment d'un mot, et dans le glissement du texte sur ce mot; ce qu'il faut bien, en outre, comprendre dans tous les sens : car le texte a glissé, s' est avancé - mais d'un mouvement latéral, si I'on peut dire, ou fuyant - griice a ce mot, et le tcxte a glissé sur ce mot avec une étonnante discrétion, comme sur ce <¡u' il faut savoir entendre a dem\-mot ... Toute la néces­sité de l'1111jheben s'est, jusqu'ici, tenue dans cette discrétion, elle s' est comprise elle-meme sous ces glissements, sous ces déplacements imperceptibles, sous ce jeu d' apparitions éva­nouissantcs C]Ui auront, en définitivc, composé tout ce textc a la maniere du calcul infinitésimal dont Hegel a précisément

38. 0 p. CÍI., p. 93.

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Page 30: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

La remarq11e spéC!t!ative

invoc¡ué, dans le texto, l'cxemplc 39 : car les grandeurs infi­nimcnt petites constitucnt ce " pur concept " dont la déter­mination ou retre se confond avec 1' " évanouissement ,._ En tant que concept, la releve se sera done au moins i!lustrée - a11 paSJage, une fois de plus- par la grandeur infiniment petitc; mais, du point de vue conceptuel proprement dit, cette illustration n' est elle·mCme qu'une " grandeur évanouis· san te "40. Le discours de !' a11jbeben n'y produit sa raison que daos la comparaison a un autre discours. et tres exacte· ment au discours d'un calcul; discretement, !'a11jbeben parait s' égaler, ou s'homologuer, a cette série de grandeurs dont !'infinie décroissance diminue infiniment la discrétion (mathé­matique) sans jamais pourtant l'annuler. Mais rien, malgr.é tout, daos le texte, ne permet de dire que !'a!lfbeben y serrut proprement calculé, ce qui reviendrait, en l'occurrence, a etre dériFé¡ le calcul de la releve, s'il existe, n'est rien d'autre que le gJissement, OU le ~: glissé ", de SO? :not, et rien, rar conséquent, ne permet d annuler une dd!erence, peut·etre ellc-meme infiniment petite ... 41, qui persiste a séparer ce calcul textuel de !' autre.

39. Jbid., p. 91. - Le calcul infinitésimal est en outre le seul objct particulier dont Hegel, par une sorte de priviiege exorbitant, annonce dCs ce premier chapitre l'analyse ultérieure dans la LoKique.

40. On voit asscz par l:i, sans doute, qu_e m?us. lisons ce r3:pport au calcul différentiel sous un angle en partle dtfferent de celu1 sous lequel Ic vise J.·J. Goux (Dér!vable el in1éritJable~ Critique 1970, repris in Freud, i\farx. Econo1me et symbobque, Seutl, .1972), lequel rassemble dérivée et aufheben dans la meme économte du sen¡ -sans que cet écart i_mplique po~r nous auc~n d!bat ave~ ~·a_nalyse de Goux dont la pertmence devratt au contraue etre constderee comme acqui~e. ici oü l'on a toujours a faire a une douhle pertinence de r,mjbebett.

41. On touche ainsi, une deuxieme fois. a ce qui pourrait !;>ien former la question générale d'un fonctionnement du mathémattque dans le phtlosophiguc, question .reu~-etre elle-mem~ assort_ie d'une singuliere conjonct,tpn du I?athem~ttque et du ~etaphonque, au su jet de laquelle s tmposeratt un d~tour - au moms - par Kant. On ne peut ici que le signaler. - Ajoutons, quant au texte de He,gel, et pour édairer (ou compliquer) ce dont nous parions, que le rap­prochement entre le processus du. deyenir et le ~alcul différ~ntiel est fait (p. 91) d'une fac;:on assez equtvoque; ce n est pas une tden· tité, et ce n'est pas une comparaison : Hegel dédare que l'un et

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IY11n texte ti remarqt1er

Une telle différence n'óte rien, cependant, ni a la proximité des deux calculs, ni a la précision du calcul textuel. Car c~lui-ci. n'est pas achevé. S'il est trap tard, en effet, pour determmer l'aufbeben, c'est-a-dire pour déterminer le dew­nir en tant qu'il " est " un tmfhebenJ cela doit aussi bien signifier ~e !'at~fbeben ne se détermine pas par le devenir, ne se latsse pas résoudre daos l'image d'un flux42, ni ~ans la noti~n ~·un pro gres, mais que, bien plutót, e' est 1 at~fbeben qm do1t s'etre emparé du devenir, et l'avoir résolu. Et e' est bien, en effet, ce qui a lieu dans le troisieme moment :Releve du devenir, ou l'évanouissement de la diffé­rence se produit, de lui-meme, comme " l'évanouissement du devenir ou évanouissement de 1' évanouissement lui·meme " 43 mou~eme~t q_ui, bien e~tendu, ne constitue pas un retour a la det~rmmatwn ( du) v1de du néant, mais qui engendre au contra1re .le passa.ge a l'étre-la <Dasein> - ou, plus juste­ment, qm prodmt l'etre-déja-passé daos l'etre-la. Ici encore, l'!mpeccable précision .du calcul textuel ne se dément pas : d une ¡;art, en effet: 1 at1jbeben, en tant que suppression de la dlfference, est b1en supprimé, et J'on reYient a ]a diffé­rence (d'ou l'on n'était jamais, sinon abstraitement, parti ... ), laquelle se pose maintenant comme l'unilatéralité des ~nom~nts,· mais le moment n'est autre que l'at~fgehoben, !e :uppnm~ comme te!, si l'on ose dire (Hegel, précisément, et a JUSte tltre, ne l'ose pas : le relevé n'a d'autre " identité " ·que celle que lui confere le passage par la releve); d'autre part, done, l'aufbeben n'est pas supprimé, et devient au con­traire la puissance qui regle le passage, un passage dont on voit qu'il est désormais, déja, passage a l'instance ou au moment suivant - passage déjit accompli, dans ce chapitre,

1'-:utre. ~ont en. butte :i.Ia « meme dialectique » (au sens, done, ar!s~ot:Itco.kanhen) h?Sttl~ d~ la part de l'entcndcment. Leur proxi­~tte m conceptuelfe nt rhetonque comporte done au moins I'idemité d un effet.

42. Bien que ce ne soit pas simple, puisque, comme on sait. le « calcul des flllxions » a été l'un des noms (l'une des métaphores)

· du calcul inftnitésimal. 43. o p. cit., p. 93.

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Page 31: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

La remllrr¡_lle s¡uJc¡¡fative

au chapitrc suivant. Ce doublc jcu de l't~11fhebm se regle a son tour sur une différence infiniment petite : le texte écrit " évanouissement de l' évanouissement ", ct non " mtfheben de l'tutfbc!bf.!JJ '~ c'est-il-tlirc ni " suppression de la suppres­sion " (si l'o·n rcticnt la valcur la plus courantc ct simple qu'aprcs tout le mot a toujours eue dans ce chapitre) ni " releve de la releve " (ce qui supposerait quelque concept construit de la releve); le texte passe tres précisément entre les deux. Ce qui implique deux choses au moins : tout d'abord, l'mtfheben ne se recouvre pas, ne se referme pas sur soi, et évite ainsi, d'une maniere supplémentaire, de se (laisser) identifier; ensuite, 1' a!lfheben se préserve, s' emporte hors de soi, glisse a la suite du texte, intact, et pour ainsi dire ni s11pprimé ni conservé, par le seul et peut-etre minime écart d'un mot, d'un autre mot qui se glisse, un instant, a sa place : verscbwinden pour a11jbeben. Daos l'évanouisscmcnt du verschwinden s'évanouit !'ultime possibilité de déterminer le concept d'A11jhebung - et se présentent ou se glissent en revanche, préservés, la possibilité et le pouvoir du verbe aufheben 44,

C' est alors qu' on tombe sur la Remarq11e : 1' expression ''"fbeben. Oo voit commcnt l'explication de textc aura réüssi a la situer: .. Tout ce détour pour en arriver a un texte que tout appelle (car nous manquons d'un concept : mais fallait-il tant attendre pour le produire ?), et que ríen ne commande ( car nous avons un mot, et par quoi tout fonctionne).

Par sa position, le texte d~ !a Rem~rque_ répond bien- si 1' on peut dire - a ces cond!twns antmormques : une remar-

44. A ce point - trop tard _e~ trop tt)t ~ il dcvicnt n~ccssairc de notcr que la lccture rencontre JCt, sans rdache, ct dp.ns dtvcrs moJC­lcs, la structurc d'un tcxte <~ en ~bym<: », et qu en cffet tout le travail doit obéir lt la contramte d un ~!gantesque abyme hégéJicn. _ C'cst, 00 l'cspCrc, pour y <?bserver ! c_tr~nge et ~ou~lc propriété de ccttc héraldi';l,ue philoso.~;Iuque1 qUI ¡omt .la lot d une clóture au dérCglcmcnt d une chute mscnsec. On Y revtcndra.

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fYtm texte a remarqller

que vicnt en plus, s' anncxc a un discours dans 1' économ~e duque! elle n'intervient, au plus, que de fa(on mineure; ma1s en meme temps, la remarque a laquelle nous avons a faire prend place dans r économie entiere de ce texte, elle la rcdoublc mcme, en tant qu'elle constitue, comme on !'a déja dit, un nouveau passage au chapitre suivant- c'est:a-dire en tant qu'elle finit par exposer le devenir du deventr comme son at~fheben dans la premiere détermination ou différence de 1' étre celle de J' etre-la. Ce double fonctionnement de la Remarq~e ( qui ne se donne pourtant pas comme te! dan~ le texte de Hegel, et qu'il faut déchiffrer dans. un texte qm, a certains égards, semble un peu compasé de p1eces et de mor­ceaux) s'explique - si c'~st lii. s'expliquer -.- ~a~ un seul terme : Ausdrttck, express10n - ce terme qm des1gne, for­mellement au moins, l'objet de la Remarque. D'une part en effet, Hegel nous fait ici remar<¡uer la particularité d'une · expression, d'une expression qu'il vi~nt d'e';"ploye~ et _dont il se trouve que J'usage courant conv1ent a 1 empl01 ph!loso­phique, circonstance heureuse et annexe, dont on peut, au passage, se féliciter. D'autre part, la Remarque nous (re)con­duit a la position du Dasein, e' est-a-dire a la -position de ce qui vient de conclure et d'entraine~ plus !~in J'analyse .d~ Sei11; mais c'est pour nous (re)condmre en f~•t, et plus preCI­sément, a I'AtiSdYIICk du Seifl dans le Dasem. La Remarque combine - d'une combinaison, apparemment, sans statut rationncl - la mention incidente d'une expression du deve­nir, et le devenir-sa-propre-expression de 1' etre. Comme on a pu le Jire :

« !-e scns ct l'cxprcs.~ion plus p_récis q!lc l'étre et le néant possedent en tant qu ds sont desormats des momen/1 se · donncca daos la considération de I'étre-l:i en tant que l'unité daos laquelle ils sont conservés ... ))

L'cxprcssion, I,Arudr11ck, n'est done pas ici simpJcment en annexe. La Remarc¡ue a bien ajouté qucl<¡ue chose au texte du chapitre : et notamment, dans un régime conjoint du " sens-et-expression ", cette conJervation de l'ftre et du néant, dont jusqu'ici il n'avait pas été formellement c¡uestion, mcme si tout, sans doute, la laissait entendre. La loi qui aura

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La remarque spéculative

gouverné le chapitre vient aínsi de nous etre donnée ( et avec elle la loi de toute la progression de la Logique) : la Remarque nous a fait passer a ce qui s' est, en réalité, passé. C'est qu'il ne s'agit plus maintenant de Jaisser entendre, mais de faire entendre au plus juste, de faire saisir urt sens précis. L' Remarque a porté sur urt A11sdmck, et, comme elle l'a écrit, pour faire " saisir de fa~on déterminée " le seos de cet Ausdmck : aufheben.

Or, a la premiere lecture du moins, cette " saisie d'un sens déterminé " s' est déroulée de la fa~on la plus simple, que l'on peut reconstituer ainsi : attfheben, ce terme dont on vient d'user, est (ou exprime4S) un concept capital. Ce terme, on l'a laissé entendre dans sa valeur négative : supprimer46. Il s' agit maintenant de préciser que cette valeur négative se double nécessairement de son opposé positif. L' aufheben conserve. C est bien ce que marquent les deux acceptions que ce mot peut recevoir dans la langue allemande. Bien entend11, . ce concept nous conduit done au Dasein comme a !'unité qui supprime et conserve en meme temps 1' etre et le néant dans leur différence.

4S. Pour signalcr ici ce qui pourrait aussi bien forrner l'angle d'attaque d'une autre analyse, parallele a celle que nous essayons de suivre, notons ceci : l'aujheben est expreJsion par rapport au seos et au concept; considéré en soi, c'est un mot, 1Vort. La Remar9ue n'articule rien du rapport de l'expression au mot, c'est-a-dire nen de l'intérieur ou du contenu qui viendrait a Ctre exprimé dans un mot (on l"a déji dit, nous ne sommes pas daos une sémiologie). Tout se passe comme si le JVort s'égalisait, de soi, au rapport du Sinn et de l'Awdruck. Il vaudrait mieux, a ce compte, <e traduire )) Au.rdruck par ce signe », si le signe, pris en lui-meme, n'a aucun arbitraire ...

46. Epinglons ici encore le sommaire d'une autre analyse, qu'il n'est pas possible de mener de front avec celle qu'on a choisie : l'aufheben a été entendu au sens (le plus courant) de « sup­primer >) seulement si l'on oublie le texte de la PhénoménoloKie rappelé plus haut. Cependant, Hegel, en 1812, ne rappelle pas le texte de 1807. Le lecteur peut choisir de relier ou non les deux textes. j\-fais outre que 1' « acquis » du premier ne résoudrait pas les probli!mes du second, on verra plus tard que l'aufheben et sa <e double signification » se sont en fait déplacés ou transformés d'un texte :l l'autre. C'est pourquoi on choisit ici de ne lire que la Remar­que de la Logique.

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D'11n texte a remarq11er

C<;tte lect~re - évidente - de la Remarque consiste, par conse9uent, a redoubler tout le texte qui !'a précédée (et dont on VOit sans d':ute mieux qu~il était inévitable de le traverser), pour en extnure ou en aff~rmer ce qui ne s'y marquait pas d~rectement, pas expressément comme tel : la conservation des termes de la différence supprimée, ou de la différence des termes. La Remarque assortit d'une seconde marque positive le processus négatif qui a mené jusqu'i elle_ elle'supprim~ done ce processus, tout en le conservant sous (ou : eomme) ce concept qu'elle détermine : aufheben. Elle luí donne done son . statut,. et , re~eve ainsi tout le prernier chapitre de la Log/(¡ue, e est-a-d~re releve la possibilité meme de la Lo•i,nte en t~~t que celle-ci devait commencer par 1' immédiatet~ ~-id~ de 1 etre et de son identité avec le néant. Du méme coup c~tte s:c~n~e marque, qui pennet de " saisir " le " sen~ determme de attfheben, efface, ou délimite, l'exces ou le manque dont ce terme (et, avec lui, !out énoncé de la vérité du co;runeneement) ne eessait pas, on se le rappelle, d'etre af!ec_te. Pour concentrer ce résultat, on dira : 1' tJJ1heben, ~ etat_t .done a la fois la suppression de ce commencement Immediat, de cette auto-articulation d' une voix dont le " com­m.~~t? '.' r~tait sans réponse (l'ct~tfheben s'est done toujours de¡a articule), et la conserva/ion de ce commencement dont Ji suppression, en tant que suppression de la différence des termes, semblait mettre tout discours au défi de se tenir (l'~ttfheben tient done le [rapport des parties du) discours, qm, sans cela, tomberait dans 1' abstraction unilatérale).

_Pourquo! l'aufheben conserve-t-i] ce qu'il supprime? Repondre a cette question, e' est foumir le concept de ]' auf­heben. La Remarque s'y emploie aussitot :

<e ,t;e q?i. se releve ne devient pas par la néant. Xé:1nt est ltmmedtat, quel~u~ ~h_ose ~e relevé, au contraire, est quelque. ch':se de ~edta:ue <;: ~~n Vermitteltes > [ ... } il a mcore a me me 101 la determmtlé de !aquel/e il pro1:.::>nt. ,,

Relever, e' est done médiatiser. Le concept de la reli:Ye est construit sur celui de la médiation. Qu'est-ce que la média-

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Ltz rcmarrpte spémlative

tion - V crmiit/ung? On pcut ici rclire tout le chapitre ·, il n'a pas déterminé ce concept. Ou plutót, si la Vermittlung c~t un passage par le milicu, ou le moycn-tcrmc - Mitte -, s1. elle est, quelle <¡u' elle soit, une opération médiane ou mttoycnnc, le tcxte nous aura sculcmcnt fait savoir, au pas­sag~ (et a propos de la proximité avec le calcul infinitésimal), qu'll n'y a pas d'état médian, de Mittelzustand, et que, ainsi qu' on a pu le Jire, état est ici '' une expression barbare ". JI n'y a pas de Mitte ou de Mittel commc état- il n'y a pas de. n:'ilieu, ou le mi.lieu n:;st pas, ou encore, comme Hegel 1~ P;'ec1se par conc~ssmn :. pour parler cette langue, il n'y a ncn du tout qm ne s01t un état médian entre 1' étre et le

' t "47 M . " 1 1/f!tm. - ats cette angue " n'cst pas la bonne, son A11sdruck n' est pas philosophique, il fige en " état " le pu~ passage, le mouvement incessant de la différence qui. ~e rckve. l¿I T~enmttllmg, pour_ pcu <¡u'cllc veuille échapper ~ labar_bar!e. (a un parler grossu;r ou coofus, inaudible pour 1 ou1e SI dehcate du penseur speculatif .. ;), ne peut s' établir sur une détermination de la Mitte; elle ne peut s' établir en aucun sens du mot : elle ne peut pas Ctre saisie hors de la r~ICvc, et son mot, " médiation ", glissé ~ans la détermioa­hon du concept de " releve ", ne fait aprCs tout que marquer une_ seconde fois la releve elle-meme - sans que cette super· pos1t10n de marques éclaire l'identité de la releve " elle· memc "48.

47. Op, cit., p. 91. 48. On peut s_ans doute Ctre tenté de dire id que le concept, aprCs

tout, ser~ prodUit r_lus tard dans la, Lo_~ique, lorsqu'un autrc concept nous prcsentcra tres exactcmcnt 1 arttculation ct les propriétés de l'~ufhebm, mais. da!l~ ~n~ dé~c:minité précisc : cellc du b111, ou plus cxactcmcnt de 1 ac/lz!t/e fnuri~Jt'e (III,. 2, chap. 3 : T~deolo.r:ie). C'est a~o.rs le Conccpt dans .son extstcncc ltbrc qut cst de Iui-mCmc I'acti­vtte r~_lcv_ante. De pl'-!s, ~cttc ultime détcrmination du Conccpt (car a!t·del.!, !l.l?assc ~n. l Idee) se double d'unc maniCrc J'évidcnce mt d apot.IIC~tcrtc c~pmquc : dans l:t « téléologic » de l'EtJcyclo¡Jédie Hegel d_eclare (§ 204, Remarque) que toutc activité (ou sentiment} de besom. ~t d~ pulsion (Trtt!b) excmp!i~ic « au plus prCs » Je CJ?nc:ept tcl_cologJquc et prouvc que le Ílnt n'cst pas fixé dans sa ~rffc~c!lcc msurmontable. - L'tmfhebm se bisscrait ainsi bien vitc ttlenttftcr (comme dans une Naturpbilosophie de la plus simple cspCcc) avec la finalité d'un Trieb (le fruit aufbebJ le germe ... ) ... si

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D'IIJZ textc a remarqttcr

On cst au rouct. Mais on voit, au moins, Jcquel : pour Joubler la marque (comme on double la mise) Je l'aufheben, la Rcmarguc répetc, Jans ct commc la détermination du sens du mot, le curicux fonctionnement du texte auquel elle s'anncxe. Un mot s'y glissc, un moten plus, sur Jeque! glisse et Jérape a son tour la construction du concept. Par !' écart de deux mots, le discours s'approche d'une définition -mais cet écart est lui-meme une différence évanouissante, et . le texte a Jéja rabattu les dcux mots !'un sur !'autre. 11 y a, de nouveau, un mot unique, et qui est en trop, ou qui manque encore; le calcul est infaillible49.

_Ainsi, di:s son premier alinéa, la Remarque déporte ou fait gl1sser sa propre Iecture conceptuelle, dérange ou interdit le geste de la saisie (a11j fassen) du sens. On ne peut lite ici -directement - la marque, premii:re ou seconde, d'un concept. Mais on cst obli~é d'y suivrc la trace pcrsistante, re~marquée, d'une singulii:re économie glissante du texte. Or, ce texte -nous !' avons parcouru - mettait en jeu plus d'une détermi­nation, utilisait bien des concepts, faisait plus . d'un détour. Tout cela s'oppose ii la Iccture Jirecte de la Reman¡ue. Tout autant que le texte du cbapitre - le texte du commencement

le buJ n'était précisément ce qui « exige < erfordert > une saisie < Auffassung > spéculative )) (ibid.), et ne nous reconduisait ainsi a l'aufhebetJ au licu de l'identifier.- La comme ailleurs, l'aufheben ne peut Ctre saisi que spéculativement, soit par l'aufheben des termes, nottons et propositions qui le présentent.

49. Quant au fonctiunnemcnt du tcxtc tel qu'on a tenté de l'ana· lyscr, il est sans doute bon. de rappcler qu'il n'y a ici, en substance, nen de neuf. On peut votr Pfaff, en 1812, esquisser l'analyse du ccrcle de !'aufhebeu dans ce mc!me texte (lettre a Hegel, Corre¡pon­dauce, J, 3.59), et conduce : « Si daos votre cercle vous n'Ctes pas obligé ~e vous mouvoir en ligne droite (comme les mathématiciens), non pomt sclon une parabolc comme les cometes, mais selon une courbe fcrmée comme les planc!tes, séjour des dieux, c'est paree que vous avez besoin du Jangage, tandis que le mathématicien est niuet. )) - La réponsc de Hegel cst pcrdue, mais dans la Jcttre suivante de Pfaff, on en trouvc cettc trace : « Vous avez fait remarquer que le fonJement se trouvait dans la chose qui a déja été la, et que l'on employait seulement un autre mot. )) (/bid., p. 361.) · D'une certaine fa~on, on ne cherche id qu'3. commenter cet « autre mot >> de Hegel, ce mot qui se substitue non pas a un premier mot, mais a la (( chose )) qui a déj3 (avant les mots ?) été u (parmi les mots ?).

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La remarque spéculative

(de la) dialectique - ne devenait lisible (pour autant gu'il J'est devenu ... ) que dans son ultime Remarque, la Remarque elle-meme ne pourra se Jire que re-marquée a son to~r p~r ou dans d'autres textes, qui viendront d'eux-men;es s art1culer sur le texte du premier chapitre, sur son exces et sur son défaut. Il faut encare des détours, encare prendre ( et perdre)

paticnce.

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Remarque

Avant de poursuivre, on ne peut guere éviter d'indiquer au moins 1' autre démarche que le m eme jeu ou calcul textuel pourrait imposer de suivre : non plus de la Remarque aux textes; mais du texte aux Remarques. Les Remarqttes de la Science de la Logiqtte offrent en effet une caractéristique ... remarquable : un bon nombre d'entre elles sont cohsacrées a des expressions, et a la pertinence ou non-pertinence de ces expressions dans le discours spéculatif. Ce qui peut aussi se dire de la maniere suivante : le traitement des expressions a . , Jieu, dans la Logique, presque exdusivement dans ces textes annexes que sont les Remarques (ou, a J'occasion, dans des textes au statut quelque peu comparable, comme J'introduc­tion- sans titre- a la section de J'objectivité- cf. op. cit. II, p. 357). Outre celle sur Attfheben, une seule Remarque s'intitule, dans la table des matieres, d'un Ausdrttck (I'Aus­drttck : W as fiir eines ?, qui, dans l'usage courant, veut dire : qu'est-ce que c'est comme ... ?, et, pris a la lettre : quoi pour un? - Hegel en remarque et releve la bizarrerie apparéñte·--­- sonderbar erscheinend - au sein de J'analysede l'etre­pour-soi, en tant que celui-ci est, précisément, J'etre-pour-Un ·

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- cf. I, p. 150). Mais bien J'autres Remarques s'occupcnt d'expressions, tantót pour les écartcr (nous avons déja rcncon· tré le mot " unité ", ainsi que la critique des propositions, qui se retrouvera _ailleurs - I, 163 et II, 23 p. ex. -; il en va de mCme d'lln mot commc berattsgeben, "sortir ", I, 143, du mot synthhe, 1, 202, du " discours vide " de l'identité, a la fois dans le mot et dans la proposition, II, 78 - et, surtout, de toute 1' expression par chiffres, symboles math~· matü.¡ucs ou symbolcs en génér;ll, ainsi que de l'id~c lcibm~ ziennc d'une caractéristique, dont la critique rev1ent avec insistance, I, 207, 246, 334, II, 257, 332),- tantót pour les déterminer et en rclcver l'acception (ainsi de l'infini, I, 141, du rptantum pris au latín, I, 178, des " grandeurs engen­drées ", qui sont une métaphore de Newton, I, 258, de la proposition " le positif et le négatif sont le meme ", II, 54, et, sur un registre général, des remarques sur la marque (Merkmal) du concept, II, 254, et sur .1~ langue, q':-e Hegel opposc, en vue de cctte marque, aux arttfices symbohqucs, II, 259).

Une économie des Remarques semble ainsi doubler l'éco­nomie du discours logique : une économie de remarqttcs, c'est-3.-dire une économie subordonnée, " décrochée ", dis· persée, qlli n'obéit pas a la stricte progression du concept, mais plutót au hasard des rencontres du texte et des bonnes ( ou mauvaises) fortunes de 1' écrivain puisant dans la langue - ainsi qu' a la nécessité, semble+il, pour Hegel, de répéter avec insistance ccrtains motifs, dont aucuo, il faut le noter, ne fait l'objet ou le proci:s d'un momcnt défini dans l'ordre Ju discours (c'est-a-dire : des raisons) de la Logiqttc. Tout se passe done comme si ces motifs - et d' abord, le motif de la langue spéct~lative - ne pouvaient s'exposer qu'en annexe ou en marge, tout comme d'ailleurs le motif général de l'exposition spéculative (lecture et écriture) s'exposait dans la Préface, " en partie narrative " de la Phénoménologie -mais tout se passe aussi, de ce fait, comme si Je discours spéculatif était tenu de remarquer sa propre langue, que ce soit pour en relever la préscnce dans la langue naturelle, ou pour en souligner 1' écart a telle ou telle langue { comme celle

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D'mz lcxte tl rcmarq11cr

des mathémati<¡ues), et de se re-marquer ainsi lui-meme, en tant que langue, dans ses propres annexes.

On pourrait d'ailleurs, et on devrait, amplifier toute cette remarque jusqu'aux textes analogues de I'Encyclopédie, Remarques et Additions tirées des cours 50, ou l'on trouverait entre autres, comme on sait, le texte sur le mot aufheben que nous avons déja cité, et les Remarques ou se développe un peu la théorie hégélienne du signe et du langage ( nous aurons, plus tarcl, a revenir sur l'un ou I'autre de ces textes). On pourrait mcme passer de I'Am11erktmg au merken -marquer et remarquer - en général dans le texte de Hegel, et, par exemple, a ce passage des Conférences sur les preuves de ]' existence de Dieu ou Hegel critique 1' Atm!mck : Merk­mal - marque, note, caractere -, en tant qu'il indique le " but subjectif " que I'on poursuit en ne retenant que .les déterminations de ]' objet qui servent a " notre attentton <Merken> " (éd. du Jubilée, XVI, 373). Le merke'! en général est enfermé dans sa subjectivité et dans son mot, ti est unilatéral et circulaire, il man<¡ue aussi bien l'objet que la démonstration. Par conséquent, on ne saurait ni commencer, ni mener, ni achever le discours de la science (de la Iogique) sur le registre du merken. Le texte de Hegel ne s' en passe pourtant pas, et se re-marqu':' e? _Aml!erkrmg_en : c:est lit son caractfre remarquable, sa cunostte, vmre sa b1zarrene : Merk­wiirdigkeit.

50. Mais au fait - faudrait-il ajoutcr - qucl cst le statut de ccttc partie, la plus voiumincuse de_l' « o:uvre )) de Hegel :· ma~uels dcslinés a Ctrc commcntés, assortJs de remarques (Propéde1111q11t, Encyclopédie, Pri11cipe1 de la philo1ophie du droit) -.et notes en vuc des cours, publiées aprCs 1~ mort _de Hc:gcl, as~ort1es ?e. no_tes d'auditcurs (HiJtoire de la fJht/osophre, PhJ/osoph1e de 1 hiJ/OJre, Pbi/o¡ophie de la reli¡;io11, Esthétique) : oU s'arrCte le texte, o_U commencent les remarques? - .Ma1s encore, comment Hegel consz­dCrc+il les Remarques qu'il publie? comme des compléments « exo­tériqucs >) ainsi qu'il l'écrit dans la Préface ll l'Etlcyclopédie de 1827? ou' comme les véritables développcmcnts et éclaircJssemcnts du « contcnu abstrait du texte < abstraktere Inhalt des Tcxtes > >), qui Otcnt du coup au livrc le caractCre d'un « ~és~mé >) ordina~re, ainsi que ticnt a le souligncr la Préfacc des Prme~pes de la phllo­sophir:: d11 droit?

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« Jamais la foule n'a vu exécuté ce qui est ici discuté < genoménon lo nún legoménon >; mais elle a bien plut6t entendu des phrases comme celle qui précCde, construites a dessein sur des rapports de consonances < homoiO· ména >. et non point des propos oU cette coic.cidence soit, comme mainte­nant, l'effet du hasard < apo tou auto­matou >; quant :i un homme qui soit en concordance et consonance < pari­sOménon kai ómoióménon > avec la vertu ... jamais elle n'en a vu. »

(Platon, République, VI, 498 d-e.)

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non plus du seul concept : " pour maintenir quelque chose, on la soustrait a son immédiateté et ainsi a un Hre-Ia ouvert aux actions extérieures ", voila qui représente a merveille la pratique, tout empirique, des conserves, mais qui ne peut convenir de fa<;on tout a fait rigoureuse au concept, ne serait­ce que paree que ce dernier doit pratiquer un si eh aufheben ... ).

Le mot, désormais, portera tout - et portera, avant tout, si ron peut dire, rAufhebtmg" elle-meme ". Et comme pour éviter que ron s'y méprenne (ou comme pour dérouter plus surement toute recherche du concept ... ), Hegel y insiste en remaniant la Remarque pour la seconde édition, ou il n'ajoute pas moins de quatre phrases sur ce mot. Ces phrases disent ceci : " du point de vue du lexique ", d'abord, on peut bien présenter " les deu."< déterminations " de aufheben " comme deux significations ", cette fa<;on de présenter les choses serait un auffiihren, une représentation, une mise en scCne. Cette scene du lexique, c'est, par exemple, le dictionnaire, qui donnera, en les numérotant au besoin, deux significations distinctes et successives du mot. Mais cette mise en scene n' est qu'une possibilité (" on peut bien ... ") et le lexique figure ici un point de vue limité, trap limité sans doute pour ce que la pensée spéculative trouve dans (la signification d') aufheben. C' est du moins ce qui est a peu pres certain dans le texte, car celui·ci devient, assez curieusement, difficile a comprendre. Il poursuit en effet : " Mais il devrait etre alors surprenant .< auffallend, frappant, spectaculaire > qu'une langue en soit venue a utiliser un seul et meme mot pour deux significations opposées. " Ce qui peut s'entendre de deux manieres ( elles-memes opposées ... ) : ou bien, sur la scene du dictionnaire, il conviendrait de souligner le carac­tere spectaculaire de ce mot, de remarquer !' exces, en quelque sorte, auquel se porte avec lui la langue; c'est ce que ron oublie d' ordinaire, et a quoi va s' employer la pensée spécu­lative; ou bien, la scene lexicale est invraisemblable et insuf­fisante en meme temps : une langue, dans sa fonction d'acco­lement d'un mot a une signification, ne peut se livrer a de

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Les mots spéct~latifs

pareils écarts - jusqu'a la subversion de la fonction signi­fiante elle-meme -, et e' est en tout cas hors de la scene lexicale que la pensée spéculative va faire jouer da langue. Ces deux fa<;ons de Jire, ou d' accentuer, la phrase ne sont guere, on le voit, décidables. Mais le texte lui-meme n'est guere fait pour décider. Les deux accents ne sont pas, au demeurant, et bien qu'opposés, incompatibles : qu'il s'agisse d'un " coup " spectaculaire monté et joué sur la scCne du Jexique, ou d'un franchissement de cette scene, ou encare d'un recul inoul de ses limites, c'est bien toujours d'un fonc­tionnement exceptionnel et exorbitant de la signification qu'il. est question. Tout cela reste possible - et toujours pas décidé- dans la phrase qui suit :

<C Pour la pensée spéculative, il est réjouissant de trou­ver dans la langue des mots qui ont a memc eux-mCmes une significatioo spéculative; Ja langue allemande en a plusieurs de cette sorte. »

Ríen n' est done éclairci quant a la surprise du spectaculaire offect; dans le .lexique? ou par rapport a luí. C' est plutOt la surpnse elle-meme qu1 se trouve comme convertie et retour­née en heureuse surprise " pour la pensée spéculative " : " a meme " le mot, cette pensée " trouve " sa signification, la " signification spéculative ". La chance et le bonheur regnent la ou l'on 'attendait l'analyse d'un accident ou d'un exces de la langue. Ce bonheur est meme double, car, au cas génér~l d'une trouvaille apparemment toujours possible, il faut a¡outer la chance d'une richesse particuliere de l'allemand en mots spéculatifs. La derniere phrase ajoutée a cet endroit par Hegel va y insister :

« Le double-sens du latin tol/ere (qui est deveou célCbre par le trait d'esprit de Cicéroo : /1}/lmdum esse Octa­vittm) Sl ne va pas aussi loin; la détermination positive ·­neva que jusqu'a l'élévation. »

51. Il s'agit d'un « rnot » - dictum - dont un de ses corres.­pondants rapporte a Cicéron qu'on le lui a attribué pour le desservir auprCs d'Octave : « laudandum adulescentem, ornandum, tollen­dum », oll tol!endum peut vouloir dire aussi bien « élever )) (aux honneurs ou charges supn!mes) que « écarter )) ou « supprimer » -cf. Ad f•tmi/iares, XI, 20.

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Si 1' on pcu,t done trouvcr aill~urs un doublc-sens tout proche de cc!m d a11jheben, ce dcrmer conserve le privilege de la plus grande richcssc : tollere, faut-il cntcndrc, rccouvrc une dualité antinomique·(supprimer, écarter 011 élever), a11jheben combine une duplicité dialectique, ou spéculative (supprimer el conserver). (11 faut done, a la limite, entendre sous la dif­férence de degré que le texte pose entre les deux mots, une véritable différence de nature ... ) Aussi bien tollere reste-t-i! pris dans le spcctarulaire d'un mot qui rcnvoie a " deux dé~ern;inati_ons .opp?sées ", et il faut le coup de pouce d'un trart d espnt, d un ¡eu, pour mettre en sc<:ne cette dualité. Le jeu de mot, outre, pcut·étre, qu'il manque de sérieux (on en re parlera), est ce qui prete il confusion, dans la mesure méme ou il fonctionne par !' antinomie des significations : dans l'Addition au § 96 de l'Encyclopédie que nous avons citée, H~gc! a pu dire : " Ce double sens d'usage dans la langue, smvant Jeque! le meme mot a une signification négative et une positive, on ne peut le regarder comme dí\ au hasard, et 1' on n; pe~t absol~ent pas all~r faire a la la?gue le reproche de prcter a confuswn ,<Verwtrrung>, mats on a a rccon­na!tre ici !'esprit spéculatif de notre langue ... " D'une part, done, la chance qu' il y a a trouver de tels mots dans notre langue n' implique pas le hasard comme " loi " de la forma­tion de ces mots, mais bien !' " esprit spéculatif " de la lang':'e _elle-méme! et d'autre part l'allfheben n'est pas confus, bromlle, on ne ¡oue pas de la confusion : la ou le trait d'esprit installe une équivoque, le mot dlljheben, et ses sem­b!ables, ont ou sont par eux-mcmes la clarté ct la distinction de !' " esprit spéculatif " qui habite, en personne, la langue allemande 52.

52. L'allusion a Descartes n'cst pcut-etrc pas aussi lointaine qu'on pourrait le croire. En effet, cctte occasion en vaut une autrc daos ce travail, pour signaler que l'on devrait rclirc - tnlllati; nmlt11!dis - ce passage de la troisiCme Regle pour la direction de /'esprit : « Au reste, pour éviter que certains pcut-Ctrc ne s'alar­mcn_t de cet usage nouveau du mot < V<?X >. intuit~ou, commc de cclu1 de quclques autrcs que par la slllte ¡e serat contraint de détourner < removcrc > de la méme maniCre de lcur signification courante, j'avcrtis ici, d'une fa~on g~néralc, que je nc me soucic

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Les mots spémlfllij s

Et e' est bien, en effet, la clarté meme du spéculatif que possede la " démonstration " hégélienne il laquelle nous ve_nons d'assistcr. Tout s'y résoud grace au spéculatif et en l~t .. C' est le s¡?éculatif qui suscite ou engendre un espace dtstmct de celm de la scene lexica!e, c'est lui qui peut rccon­na!tre la signification spéculative de te! ou te! mot e' est lui qui habite" n~tre l~ngue ", et c'est pour lui gu'il y' a chance, bonheur et sattsfactwn. Le spémlatif était done déja dissi­mulé derricre l'invitation pressante a saisir le sens d'allfheben, sur laquelle s'ouvrait la Remarque : celle-ci s'adresse done d' emblée a u lecteur spéculatif, et a nul autre. (Le caractere de la Remarq11e y rec;oit peut-etre un trait supplémentaire : si, bien loin d'Ctrc " exotérigue ", elle était " ésotéri<]UC ", réservée a ceux qui " saisissent ", chuchotée aux ouies .les ~lus f~nes, et interdite a ceux qui ne sont pas, comme Hegel 1 a écnt quclques pages auparavant, dans la confiance ·ou dans la confidence de la pensée spéculative 53.) Pour ce Iccteur, le spéculatif peut a présent se glisser, comme un mot en plus, qui aura emporté la décision du texte, on le soustrayant -sans coup férir - aux incertitudes, aux étonnements voire aux confusions ou il s' engageait. Car cette décision 'en fin de compte, repose sur la qualification de la signffication

guc!rc de l'utilisation qu'on a faite de certains vocables < usurpata V?cabu.la?: daos les éc_oles ces derniers temps, parte qu'il serait ~len dtff1C1le de. se serv1_r ~es mCmes noms, tout en ayant des sen~ hmcnts prof?n~e~ent dtfferents ct que je ticn~ seu_le~ent compte de ce que s1gntfte cl~acun de ce~ mot~. en latm; amst, qtiand les mots pr?pres <;: propna > font defaut, Je transpose pour les accom­mod~r a mon sens < transfero ad meum sensum > ceux qui me paratssc.nt les pl.us adap~és. a cet usage. )) (Trad. J. Brunschvicg.) Une fots analysees les. d1fferences et les analogies avcc le texte de He~el. on se trouvera1t peut-Ctre conduit a d'autres textes d'a.utres plulos?phcs. _le .long d'une chaine illustrant un recours constant de la plulosophte a quelque mot en plus, :i. quelque surcharge de son con~ept p~r un ~ot, ou surcl~a.rge de la langue par du sens inoui. Exccs de sens qu1 cst la cond1hon du sens. on le sait - mais aussi cxd:s de mots qui est la condition d'un texte.

53. Cf. _o p._ cit., p. 76 : « La l~mierc paradoxale et bizarre sous laquclle _bien des choses de. _la plulosoplue moderoe apparaissent a ccux qut nc. sont pas famlilcrs < Vertraut - en confiance avec dans la confhlcncc de> de la pcnsée spéculative ... )) . '

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Page 40: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

La remarque spéwlative

< Bedeutung > par I'épithcte " spéculative "; tout s'est passé comme si, en gagnant cette épithete, la signification s'était arrachée au statut ordinaire de la Jangue, celui de la correspondance d'un mot a une détermination, et arrachée, du mCme coup, a. la surprenante mise en scene de dettx significations. Il s'agit en fait d'tme autre signification, -d'un autre mode de signification ou d'autre chose que la sígnification, il est encare trop tót pour le savoir : en tout cas, " une signification spéculative ", e' est le singulier, la singuliere singularité du spéculatif.

Singuliere, cette singularité spéculative 1' est avant tout en ce qu' elle nous engage aussitót, et paradoxalement, dans une multiplicité. Dans le passage au spéculatif, le droit fil du discours sur 1' a11jheben en vient soudain a tisser un réseau complexe, et dont la pluralité interne ne se laisse pas immé· diatement résoudre. Le point de vue lexical, en effet, puisque la " décision " dont on vient de parler n'a pas formellement levé l'indécision du texte, se juxtapose (ou se combine?) a celui de la pensée spéculative, et " deux significations " dans r " emploi " d'un mot se juxtaposent (ou se combinent ?) a " une signification " présente " a mCme " le mot; la langue en général semble pouvoir offrir de telles trouvailles, mais la langue allemande est particulierement riche a cet égard; on est done dans la pluralité des langues, et dans l'allemande, aufheben n'est plus seul. Le texte de la Remarque va s'enfon­cer plus avant encare dans cette multiplicité, puisqu'il va ajouter a 1' aufheben, et pour la" détermination plus précise " de l'aufgehobensein, l'appellation " convenable " (passend, passable, acceptable) de lv!oment, c'est-a-dire l'usage d'un terme qui n'est apres tout, en allemand, que la transcription littérale d'un mot latín - et d'un terme dont Hegel tient a préciser, dans la seconde édition, qu'il le propase ici par un emprunt aux propriétés du levier. On reviendra plus tard sur la fin du texte. Pour le moment, on est tenu de se livrer a la multiplicité qui vien~ brusquement, de s'éparpiller dans le texte.

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Les mots spécrdatifs

La_ question : qu'est-ce que la signification spéculative? se multtphe. Ce qui signifie, pour nous, lecteurs· de Hegel, d' abo~d qu' el~e se répete. On se rappelle en effet que lorsque nous mterrog1ons Hegel, en préambule, sur les modalités de sa lecture, il nous répondait que seul un aufheben de la gram­maire ordinaire des propositions nous donnerait, a la condi­tion d' etre " exprimé ", " le spéculatif effectif " dans sa " présentation spéculative ". Aufheben - le mot- serait-il lui·meme, a luí seul, cette présentation? Hegel a peut-etre été tout prés de le dire, et il a en tout cas écrit, daos le passage de la Phénoménologie que nous avons déja cité : " L' attfheben présente .< darstellt > sa véritable signification ~o~ble ... " C;tte pré.sentation correspond - si elle ne s'iden· afie pas - a la presence, dans la Remarque, de la " signi­fication spéculative " " a mhne " certains mots ( an ihnen selbst). On vient de voir, cependant, que cette présence ne se présente qu'3. la " pensée spéculath·e ", et moyennant un reglement ou un déreglement obscur des comptes avec le régime ordinaire de la signification, fut-elle " double ". On vient de relire, ensuite, que la présence spéculative n' est pas absolument réservée, dans la Iangue ou dans les langues, a aufheben, et l'on a remarqué, enffn, que J'aufheben en vient a s' adjoindre, pour sa détermination, un autre mot Moment dont le ré$in;e de_ signifi.catio~ est encare quelque 'peu diffé: re~t. La ~¡gmftcatwn speculattve ne se résume done pas a la presentaban par un mot de deux significations - et, réci­p~oquement, la Darstel/ung spéculative ne consiste, semble­t-tl, en aucun mode déterminé de signification, simple ou do~ble, propre ou figuré. Le sens de la Darstelltmg spécu­lative n' est pas - pas exactement, du moins - d' etre la pré­sentation du sens ... sinon en un sens spéculatif de ce terme, qui resterait d_on~ a établir. -Les choses, par conséquent, ne sont_pas ~us;t st~ples que la phra:e de la Phénoménologie auratt pu ~~~~~era le pen~er. Il convtent plutót d'observer que Hegel, preCISement, ne s est pas contenté de cette phrase -disons, de la marque simple de !'attfheben comme présenta­ti?n d~ spécula?f ;- mais qu'~l. en a, et a p~us d'une reprise, deplace, complique et mult!phe la propositmn (et dans tous les sens de ce dernier terme).

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.54. 11 vaut la peine de notcr que cette « position » de He¡~d n'e:;t pcut-Ctre pas, en réalité, sans rapport avcc celle de Socrate (Platon) dans le Crt~tyle, si l'on suit la fccturc de ce dialogue par Gérard Gcnctte (I'E/J01l)'mie d11 110111, Critique, déc. 1972) : en ccci du moins que Hegel, pas plus que Socratc, nc croiraít .:l une « justcssc

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Les mots spémlatifs

C' est ainsi que si a11jbebeJz se dono e avaot tout, comme oo 1' a noté, sous sa forme verbale - et ce o' est certes pas par hasard - il n'est cepeodant pas pour autant le Verbe. Attjheben n'est pas le Fi!s de Dieu, bien qu'il ne soit pas non plus, avons-nous pu Jire, un eofnot du hasard. Et e' est bien pourquoi Hegel ne prononce pas au sujet de l'artfheben ce qu'il énonce au contraire- l'année meme~ 183~, «;>ll il remaoie la Remarc¡ue de la Logiq11e - au su¡et de D1eu "Le révélé est justemeot ceci que Dieu est le r~vélable55. •: Hegel o e <lit pas id : " Le seos de relever (s01t :. le releve de l'artfbeben daos la spéculation) est ¡ustement ccCl que tout est relevable. " L'Artjbeben n'est pas I'Offenbarrmg- et le lecteur en quete de révélntioo doit id renoncer, soit au texte qu'il lit, soit a sa propre quete. Le texte de Hegel ne nous fait gráce de rieo. - Et e' est aussi pourquoi, ce mot de Hegel, il n'est décidément pns possible de le rapporter, de le. raconter, ni commc une bonne histoire, ni comme une Bonoe Nouvelle.

11 faut done en passer par tous ses défilés. La question de la signilicatioo spéculative se multiplie, elle est, comme question, multiple, et elle engendre moins le processus détermioé d'uoe réponse que la prolifératioo de ses propres formes et ses propres attendus.

C'est-a-dire, pour commencer (ou pour recommencer), qu' elle doone lieu a une multiplication des textes. Le passage ajouté par Hegel, en 1831, a la Rcmarc¡ue, neva pas seul en elfet - nous 1' avons déja aononcé. Hegel a égalemeot com­pasé une seconde Préface, doot il se trouve que les premieres

des noms », qu'elle soit thesei o~ phusei. Simplcment, si pour Socratc l'onomaturgc .a pu, parfots, se tromper .. pou~ Hegel, .et comme par une invcrswn t.!c la fréquence des cas, Il a~nve, parf01s, que la lanpuc réussisse. Pour l'un et l'autrc, la questlon n'est pas de la vérit.c des mots, mais d'un certain usage, ou du meilleur partí .:l tircr de la I~ngue a~ je_u du discours - mCme si ce jeu doit Ctre a son tour cclut de la vente.

55. Pre11ves de l'exislence de Dieu, trad. Niel, París, 1947, p. 247.

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La remarqtte spéc11latire

pages ont déja (pour le Jecteur de cette édition) avancé quelques·uns des motifs que la Remarque, par conséquent, répetc56. -Des l"ouverture de cette Préface, Hegel tient a souligner que " les formes·de-pensée sont tout d'abord ... consignées < niederge!egt > dans le langage < ou la langue : Sprache> de l"homme 57 " Le langage ou la langue est done la logique meme " travaillée et produite a J"extérieur .< herausgearbeitet > ". Et pourtant ( ou : des lors ? - cette hésitation sera conservée, mais non relevée ... ),

« C'est l'avantage d'une langue que de posséder une richcsse d'exprcssions logiques, a savoir d'expressions pro­pres et singulieres pour les déterminations de la pensée elles-memes. »

Le trésor logique n'est done pas uniformément distribué, ou plut6t son dépót et sa " consignation " dans la langue ne s" opere pas a égalité dans toutes les langues 58. Une langue peut avoir un avantage, un Vorteil, une part supplémentaire, une ressource ou un bénéfice plus grand. Sur la nature ou la provenance de cet avantage, Hegel tient simultanément un double discours ( qui sera, luí aussi, conservé, mais non relevé ... ) : d'une part, c'est tres précisément a son systeme linguistique qu'une langue est redevable de sa richesse ou de sa misere logique ( et la Préface de parler des particules, des signes de flexion, des substantifs et des verbes - de plaindre au passage la langue chinoise ... ); d'autre part- et comme on a déja pu le Jire ailleurs -, c'est un " esprit

56. Cette seconde Préface est, comme de regle en pareil cas, con­sacrée au rernaniement_de la Lo¡;ique, et done a la présentation plutOt qu'au contenu, c'est-a-dire en particulier a la « plasticité )) qu'elle mentionnem plus loin (p. 19). Elle se terminera. ou s'inachf:vera, sur la nécessité de remanier une ccuvre moderne « soixante-dix· sept fois >> (p. 22), et elle a pris son theme initial sur l'irl!iuffisance des rnatériaux Iivrés par la tradition, sur le <( squelette >> que sont les « formes-de-pensée connues » (p. 19). -Si la premif:re Préface préfac;ait le traité, celle-ci préface le lit·re, sa Iangue et son style.

57. O p. cit., p. 9. 58. On verra plus tard, a propos des « langues maternelles »,

comment Hegel lui-mCme oblige a nuancer ou a compliquer cette affirmation.

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Les mots spémlatifs

spéculatif " qu'il faut reconnaitre a l'reuvre dans ,la richesse logique d'une Iangue. Mais on ne décidcra pas 'de I'anté­riorité- ou de I'intériorité- d'un pareil esprit par rapport au systeme Iinguistique. Tout s'engage done, ou se détermine, d' entrée de jcu, sur une mise en relief de la langue telle qu' elle suspend ou differe un certain nombre de questions traditionnelles sur la langue, spécialement au seuil d'un ouvrage de philosophie (les qucstions, par exemple, de l"expression, des définitions, du genre du discours, etc.). Mais c'est la langue allemande qui se trouve alors aussitót marquée du relief le plus accusé :

« La bogue allemande possf:de en cela bien des privi­leges < viele Vorzüge > par rapport aux autres Jangues modernes; plusieurs de ses mots possedent mCme cette propriété plus étendue, ~ui consiste a n'avoir pas seule­ment des significations d1fférentes, mais des significations opp,osées, de telle sorte qu'on ne peut y méconnaitre jus­qu a < selbst > un espnt spéculatif de la laogue : cela peut etre une source de joie pour la peosée que de tomber sur < stossen a uf > de tels mots, et de découvrir la réu­nion des opposés, qui est le résultat de la spéculation. mais qui pout l'entendement est non-sens < widersinnig >, déj:l disposée sur un mode naif daos le lexique comme un mot untque aux: significations opposées 59. »

On le voit : le texte de la Remarque se répete - mot pour mot, pourrait·on dire, ou plutót, en soulignant chacun de ses mots, s'il n'en manquait un cependant, le mot de la Remarque : aufheben. Le privilege général de l"allemand précede et pluralise - d' avance, dans la Préface - la pro· priété du mot attfheben. Ou, mieux, la spéculativité dont J'aufheben est le concept, et dont aufheben est le mot, appa· ralt d'abord - dans l"abord du livre - comme 1' " esprit spéculatif " de l'allemand. L'aufheben n'est pas nommé (la Préface, elle aussi sans doute " en partie narrative ", anticipe sur son concept), paree qu'il est ici, comme mot isolé, rangé dans la classe de tous les mots allemands qui possedent la '' propriété étendue " deJa " réunion des opposés ", c'est-a­dire de !"aufheben. Aufheben nomme la releve, mais la

59. Op. cit., p. 10.

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langue allemande est relevante en plusieurs de ses mots, dont, on J'apprendra plus tard, a11jheben. Ou plutót, la langue allemande se comporte comme si elle avait déja, pour son compte, sí 1' on ose dire, spéculé - mais " nalvement ", et comme on t apprendra plus tard, selon une " nalveté " homologue au concept d'a11jhebe11 (sans que doive jamais etre éclaircie, ou relevée, la notion d'une spécnlation na!ve). - Pour toutcs ces raisons, 1' " esprit spéculatif " nc se mani­feste, a proprement parler, ni comme le " fonds ", ni comme l' " origine ", ni commc la " stnlClurc " Jc la Janguc -et n'y prononce pas non plus 1111 mot gui serait son nom. Si " le résultat de la spéculation " est la " propriété " de l'allemand, il s'agit d'une singuliere propriété, dispersée, discri!te, a travers le lexigue, et sur laguelle, par chance, il arrive gu'on tombe.

Le lecteur de Hegel ne risgue done guere de faire le tour de cette propriété. Mais il ne peut guere éviter de s'y aven­turer. Il tambera, comme on le sait, sur plus d'un mot, dont, pour une fois, il vaut peut-ctre la peine de dresser - non pas le catalogue, cela va sans dire, mais une liste un peu . nombreuse, puisgu' aussi bien e' est avec le. pluriel spéculatif gu'il faut ici, si l'on peut dire, compter. - On comptera done, au plus pres, pour commencer, de a11jheben, des mots aux significations opposées (non sans remarguer gu'aucun d'entre eux n'atteint, en la matü!re, la " précision " d'allf­bebeu, ce gui obligerait, cette fois, a pcnser gue, dans la Préface, Hegel dissimu!e un seul mot sous !' annonce d'une p!uraJité ... ) : Abgnmd, le fondement dernier et J'ablme saos fond 60, Si11111 mot" mervcilleux .< wunderbar> ", qui désigne " Jcs organes de la saisie immédiate " aussi bien gue " la signification, la pensée, le général de la Chose "61, et peut-etre aussi Geschichte, le fait et le récit, le " coté objectif " aussi bien gue le " cóté subjectif " de l'histoire 62. . Mais i1 faudra compter aussi, puisque les " privileges " de

60. O p. cit., 11, p. 104 · el. aussi p. 100. 61. EJthétiq11e, o p. cit., I, p. 133. 62. Pbilo1ophie de l'biJtoire, trad. Gibclin, Vrin, 1963, p. 54.

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Les mots spéctdatifs

1' allemand sont eux-memes pluriels, des doubles-sens gui, pour n'etrc pas de sens opposés, n'en témoignent pas moins de 1' " esprit spéculatif " : ainsi Urteil, le jugement et la division originaire 63, Erínnerrtng, mémoire et intériorisa· tion 64 ( gui appartient e!le-mcme au proces de J'a¡¡fheben65), Gesetz, la loi et J'ctre-posé 66, Meinen, opiner et faire mien 67, Sein, l'etre gui est aussi l'essence - JVesm - par son participe passé : geweseu 68, erklaren, expliguer et mettre en JumiCrc 69, begreifen, concevoir ct saisir, prcndre en Inains 70 (le begreifen est done toujours aussi un fassen, mais non 1' invcrse; fassm est bien Je " dernier mot " de J' appréhension spéculative), Sittm, les mreurs, c'est-a-dire la détermination éthique aussi bien gue l'universalité de la coutume 71, etc. - Et 1' on ne pourra plus, désormais, éviter de compter aussi avec toutes sortes de poJysémies, de rappels des affinités sémantigues, ou, au contraire, d'inventions de pareilles affi­nités (aussi bien, on le voit déja, n'y a-t-i! pas de principe unigue pour déterminer Jes pieces du trésor; d'une certaine fac;on, tout ce gui donne du jeu au sens est bon ... ) : Hegel n' oub!ie pas de rapprocher wirklich, J' effectif, de wirkeu, produire un effet 72, ni la Reflexion de son sens optique 73, iJ ne mangue pas de rappeler que le hasard, Zt~fall, est ce gui tombe 74, gue Ja cause, Ursache, est la Chose originelle, tmpriingliche St~che 75, ni de souligner gue par la parenté de

63. E11cyc!opédie, § 166; Lo~:ique, II, 267 (malgré les apparences. ce jeu de mot ne correspond pas a son étymologie). ·

64. llistoire de la philosophie, éd. du Jubi]ée, XVlll, p. 204, etc. 65. Propédeii/Ít¡lle, § 140, sq. 66. LDgiq11e, 11, 126. f?7. Eucyclopédie, ~ 20 (a Iéna, Hegel a pu opposer Afei~en et

Sem). 68. Logiqne, 1!, 3. 69. Encyclopédie, § 467 . 70. Logiqne, 1!, 407. 71. D11 droit 11tllure/, trad. Bourgeois, Vrin, 1970, p. 78. 72. Encyc/opédie, § 153. 73. Logiqne, 1!, 16. 74. Pretlt•eJ de /'exÍJ/ellce de Die11, o p. cit., p. 123. 75. !bid., p. 181.

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La remarque spémlative

Gediichtnis et de Gedanke " notre langue attribue déja a la mémoire la haute situation d'immédiate affinité avec la pen­sée "76; au hasard de son texte, il en exploite ainsi les bonnes fortunes, en expliquant, par exemple, pourquoi les alcools spirituettx (geistig) sont bien nommés 77, ou comment "savoir par cceur "(auswendig) c'est avoir extrait de (am) l'intérieur du Je78, ou bien encore cornment le" naif "(rmbefangen) est celui qui n'est " pas pris" dans la réflex.io~ 79, tandis q~e la pensée " pondérée " (niichtern) est auss1 b1en une pensee " a jeun "80; et lorsque ces rencontres ne permettent plus de monter sur elles une dérnonstration particuliere, ce n' est pas une raison pour que le discours se prive d' en utiliser, au passage, les ressources auxiliaires : on jouera, par exemple, sur le jeu de !'exernple (Bei-spiel) 81, sur la pensée du lvf.einen qui meint82, sur be· et ge:zwrtngen 83, sur Dem_onstra­tion-lHonstration 84, beweisen-tve!Jen 85, Zeugen et zergen s6, ou bien sur Qua! et Quelle, qui furent ailleurs réinscrits 87 - ou encare, et pour suspendre (provisoirement) cette énu­mération proliférante au son d'un carillon : Dinge-Denken, les choses ct la pensée sonnent ensemble dans la !angue, et, en tout cas, dans le texte sur Jeque! par hasard on r_etombe, de la Logiqtfe : " les Dinge et le Denken de celles-cl, -de

76. Encyclopédie, § 464. 77. Ibid., ~ 372. 78. lbid., § 462. 79. Prem·es ... , op. cit., p. 68. SO. Histoire de la pbilosophie, Introduction, trad. Gibelin, N.R.F.,

p. 34. Sl. La raison dam Phistoire, trad. Papaioannou, 10/18, p. 79. 82. Droit naturel, op. cit., p. 89. 83. !bid., p. 52 (t'ttincu et forcé). 84. Logique, II, 272. 85. E.sthétiq11e, I, 34 (prouver et montrer). 86. Hi.stoirt? de la philo.sophie, Introduction, op. cit., p. 160

{témoin et monJrer). . . . . 87. J. Derrida, Qua! Quelle in ¡\farge.s de la ph1losoph1e, Mt.nutt,

1972 (cf. pp. 338-339) (il faut noter, sur cet exemple et plusteurs autres, que ce genre de rapprochernents pa~ assonanc.e es~ ut;e pea­tique courante de la langue allemande, qut donne lteu a bten des locutions et des proverbes).

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Les mots spéculatifs

mCme que notre langue exprime une affinité des '9-eux, consonnent < übereinstimmen > en ct pour soi " 88

Hegel, en effet, ne se prive pas. Aucune restriction, semble­t-il, ne vient affecter cette économie prodigue du polysémique et du polyphonique, aucune opération délinie ne vient déli­miter l'espace ou le régirne de la (ou des) propriété (s) des mots - et nous cornrnen,ons a pressentir que si cet espace et ce régime ne doivent pas etre ceux de la scene lexicale

.Proprernent dite, la polysérnie, en effet, n'est pas faite pour y régler et contróler ses propres écarts, mais qu' elle est plutót sollicitée par une " a-sémie ", ou encore par une atttre " sémie ", et Ja polyphonie par une autre voix. - Mais si le hasard semble régner ici, e' est que ce hasard, apres tout, n'est pas seulement celui des rencontres au fil d'un texte; il est aussi celui qui préside - si 1' on peut s' exprimer ainsi - au sens des mots : 1' analyse du jugement, dans la Logique, s'ouvre par la· critique des noms que sont " sujet ", " prédicat ", et des noms qui peuvent figurer en position de " sujets " d'un jugement, " Dieu, esprit, nature ou quoi que ce soit ", car avec les noms on est encore dans la " pure représentation ", et " ce qui est compris ou non sous un no m " releve du " hasard, ou du pur fait .< Fakturn > historique "89.

Cependant, nous dénombrons ici, ne 1' oublions pas, les privilegcs spéculatifs de 1' allemand : la langue mate melle de Hegel n' échappe-t-elle pas, d'une maniere ou d'une autre a ce hasard, a cette factualité et facticité des mots (si les noms

88. J, 26. Il s'agit, cette fois, de l'IntrodncJion. Rappelons encare qu'en épigraphe de ce travail une courte phrase de I'Esthétique fait jouer ou consonner a elle seule trois couples de mots, et que tout ceci pourrait s'intituler du jeu hégélien sur Eigensinn, comme d'une capricieuse propriété.

89. Logique, II. 266. On voit su'il faudrait accentuer et compli­quer en conséquence le socratylume (pour reprendre le mot de Genette) de Hegel dont on a parlé : c'cst seulement par rapport a ce hasard des noms que se produit la chance d'une bonne nomi­nation spéculative.

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dont il vient d' étre question pcuvent val o ir comme paradigmes des mots en général), puisqu' elle Jétient - de fait, mais comme au rebours du Ft~ktmn, du fait brut -, ici ou la, 1' effectivité du sp~culatif dans des faits de langue? Hegel n' est-il pas celui qui s' est écrié :

<C Parlcr daos Jtl langue est un des plus hauts mornents de la culture < Bildungsrnomente >. Un. pel_lplc s'ap~ar­ticnt. Dehors les étrangetés < Fremdartigkcit >, ct JUS­qu'aux lcttres < lcttern > latines! 90 »

- Et certes, les privilc':ges de la langue maternelle ne sont pas, pour Hegel, un vain mot, bien qu'ils soient cons.tam­ment soumis, on l'a vu aux caprices d'un hasard prodtgue, · au lieu d' ctre conférés, comme il se devrait, par la loi ou par le sang. Il convient done d' examiner de plus pres ces singuliers " privileges ", c'est-a-dire d'analyser la nature cxacte de cctte " rid1cssc " n1aternclle qui fait la " joie " du penseur spéculatif : on trouvera qu' elle n' obéit pas, contrairement a ce que 1' on pourrait attendre, a une théoric de la valeur naturelle, ou originelle 91 - et que, de fa,on

90. U'~'a.rJebook, in JVerke, II, éd. Suhrkamp, p; 557. 91. Koyré l'avait bien signalé : rappelons en effet avec lui qu'il

n'y a pas, en par.ti~ulicr, d'étymof~gi.rme hésélien (l'étymologie comme tellc cst empmque : cf. pfus lom, 511 part1e, le texte q_uc nous citaos Ju * 33 de l'Rncyclopedie), ct que si. Hegel prod1~uc lc.s trésors Je i·aiiemanJ, il ne les capitalisc pas i la fa~o~ des Fid~te, Schelling, Humbolt, Baader ou Schleiermacher, auxqucls tl ne se prtve pas pourtant de faire des cmprunts (cf. H. Stoltenberg, DeuiJfhe JVeiJheil.rprache, Lahr, 1933, P·. 29 sq.). Par ;apport, d~ m_oms, au romantisme le plus « romant1quc », H:gel de_place systcm~t~~~c­ment les titres de la languc allemandc a va1mr commc pnvileAe absolu. Pour le dire d'un mot, il se refuse :l. cntendrc l'allemand ainsi que le voulait Fichtc au Jébut Ju 7° Di.rcour.r ,} la na/ion tJIIeiiJtlfJde : « ... le pcuple allcmand a le Jroit de se nommcr le Peuple, absolument... puisque tdle est, aussi bien, la signification proprc du mot " allcmand " » (de!IIJcb dérivc en effet d'un subs­tantif qui sigoifiait « le pcuple ))). C'cst d'aílleurs pourquoi il n'en­tend pas non plus la philosophie de Ia mCme maniCre que Fichte qui dédarc : « la philosophie - qu'il nous fau~ bien désigner de ce nom étrangcr, puisque le nom allcrn_anJ, dep~1s longtemps rroposé, n':t p;ts plu aux Allcmands » (5" Duco11r1; l•1chte pensc saos Joutc :i. JV,•Itu,eiJbeil). Signalons qu'avant le romantismc, il s'agirait d'abord de Herder : toutcs les idécs que !'on préte souvent á Hegel,

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LeJ mots spéct~ltltifs

générale, ríen de ce qui concerne la Jangue spéculative ne fonctionne, en fin de compte, a sens unique.

On se contentera, id, de résumer les résultats d'une analyse qui s' emporterait a travers bien d' autres textes encare ( et pourrait faire l'objet d'un autre travail) : ·

1 • Si la laogue allemande possede des privileges, l' ap­propriation de la science n' en doit pas moios se faire dans d1aque langue maternelle. Hegel lui-meme, si par hasard il avait eu a le faire, aurait enseigné dans une autre laogue que l'allemand. Lorsqu'il crut, en effet, partir pour la Hol­lande, ou van Ghert l' invitait, il écrivit a celui-ci : " Eu égard a la langue d'ordinaire employée pour les cours dans les universités hollandaises, il faudrait qu' au début, tout au moins, mes cours fussent faits en latín; si la coutume per­mettait de s' écarter de cet usage, je chercherais bientOt a m'exprimer dans la langue du pays; car je considere que, pour s' approprier véritablement une science, il est esseotiel de la posséder dans sa langue maternelle92. " -La pensée spéculative parle done aussi bien le hollandais, et doit, le cas échéant, le faire (a savoir, lorsque le petiseur est professeur, ce qui, · dans le cas de Hegel, n' est pas, comme on sait, un simple accident) 93. C'est done loute Jangue quf est mater­nelle, et il n'y a pas de langue-mere, ou de langue princeps. Et si la langue maternelle de l' Allemand a privilege d'une

sur 'la pcosée daos la Jangue, sur la langue matcrnellc, etc., bref, le retournemcnt simple de la vieille hiérarchie de la peosée et du langage, associé a un nationalisme, sont développés et répétés dans des textes que Hegel, bien sUr, connaissait : l'E.rsai .rur !'origine deJ ltmgue.r, S11r la iittérature allemande moderne, cte., mais dont il aJtCre ou déplace les thCses. Ce déplacement rendait saos doute. néccssaire que la « théorie >> en fUt diffractée et dispersée daos son texte, au licu de s'y ériger en corps de principes.

92. Correspoudú1Jce, trad. ]. Carn~re, N.R.F., 1, p. 269. 93. Mais on peut aussi, au passage, rever, puisque le voyage n'eut

pas Jieu, sur Hcgc1 se déJtl/'/'ropriant, en hollandais, de sa scicoce ... Ou bien, par un autre tour de malice, regretter qu'il n'ait pas été invité en Chine.

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La remarque spémlative

originalité verbale qui bien souvent plonge dans J'origine (Urteil, Ursache, Abgmnd ... ), ce n'est pas pour conférer en retour a cette langue une nature originaire. La présence ou la présentation de J'origine dans la langue, dans te/le ou te/le langue, et pour un Allemand, dans l'allemande, est elle-meme, si l'on ose dire, d'origine babélienne -ce qui, bien entendu, n' a pas grand sens.

2' Quels que soient J'importance et le nombre des prJVJ­Ieges de la langue allemande, cette derniere ne se comporte cependant pas en monopole. L'a!lemand n'est pas seul a pouvoir produire des " significations spéculatives ", et le grec étbos, par exemple, en dit autant, dans le texte du Droit nalurel que nous avons rappelé, que J'allemand Sitie. L~ langue allemande, en outre, ne peut suffire a tous les besoins de la spéculation : les textes de l'aufheben J'énoncent eux-memes, bien que ce soit en des formules toujours un peu confuses ou embarrassées (mais !'embarras lui-meme ne marque-t-i! pas que rien ici n'admet de solution simple?). La· Préface, en effet, poursuit, au-dela du point ou nous !'avons laissée

« Aussi la philosophie n'a-t-elle besoin, d'une fac;on générale, d'aucune terrninologie particuliere; sans doute faut-il empruntcr quelques mots :l des langues étrangeres, mais ces mots ont déji rec;u par l'usage droit de cité en elle ... 94. »

- et 1' on notera bien que le " droit de cité " obten u par " usage " n'est pas la naturalisation, d'autant que Hegel ajoute encore : __

« - un purisme affecté < ein affektierter Purismus : on ne saurait en effet etre moins puriste en allemand, d: Hegel s'amuse > serait aussi peu que possible a sa place Hz. oU il s'agit, de la fa¡;on la plus décisive, de la Chose <Sache> ».

94. Op. cit., p. 10. Il faut remarquer l'ambiguité du « en elle » (in ihr), qui renvoie logiquement a une langue maternelle, que le texte ne nomme pas, et grammaticalement a « la philosophie » -comme si les deux se confondaient, mais aussi comme si le discours s' embarrassait.

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Les mols spémlatifs

' La Chose, la chose meme, !'affaire de la pensée, contribue a babéliser la langue privilégiée. - Et la Remarque sur l'A11jbeben se termine elle-meme, on J'a vu, par cette remar­que annexe, elle aussi quelque peu embarrassée :

« - Assez sauvent encare < noch Ofter - on peut aussi entendre : plus souvcnt encare> s'impasera cette remar­que < Bemerkung > que la langue artifidelle < Kunst· sprache > de la philosophie se sert, pour des détermina­tmns réflexives, d'expressions latines, tantOt paree que Ia langue maternelle n'a pas d'expressions pour ces détermi· nattons, tantOt paree que, si elle possede cette expression, comme c'est id le cas, celle-d rappelle < erinnert > plutót l'immédiat, tandis que la langue étrangere rappelle plutót la réflexivité. »

Le privilege d'aufheben ne clot done rien, il ouvre au contraire sur la fréquence d' emprunts nécessaires aux !angues étran­geres. Bien plus, " e' est ici le e as " d'un pareil emprunt : ici, c'est-i-dire la oU aufheben Iui-meme a eu besoin, u pour sa détermination plus précise " d'une autre appellation. On a fait appel a L1foment - expression convenable, passable, admissible ... -, terme latin (et¡ou fran,ais) qui a r"''U" droit de cité " en allemand, pour " rappeler la réflexivité ", laquelle constitue en effet la " détermination plus précise " de ]' a11jgehobensein comme résultat d'un sich attfheben. Attfheben risque done toujours, semble-t-il, de " rappeler plutot l'immédiat "95. La !angue maternelle n' est-elle pas d' ailleurs, comme nous avons déja eu a le mentionner, tou-

95. C'est du moíns ainsi qu'on peut comprendre cette phrase indé­cise. On peut aussi supposer que « comme c'est id le cas » (wie hier) rappelle le cas de aufheben, mais en le distinguant. implicite­ment, des cas oll la langue possCde une expression privée de réflexi­vité. Il suffit de préter a Hegel un certain relkhement de syntaxe et de style - dont, au demeurant, on trouverait bien d'autres exemples daos ses textes. - Quant a ce passage, on doit en tout cas remarquer que sa logique quelque peu confuse tient aussi, maté­riellement (?), au jeu des deux édit10ns : la premiere partie de la phrase - jus¡u'i « expressions latines » - figure dans la premiere éditlon; dans a seconde, elle est précédée de l'explication mécanique du moment, et suivie de la fin. ajoutée, de la phrase. Hegel semble avoir cousu ses additions a la h:ite, sans surveiller assez l'exposition d'ensemble. Mais que signifie un défaut de surveillance de Hegel? sa trace. en tout cas. c'est ce qui se donne a lire.

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jours mcnacéc par 1' " habitud e irréfléd1ic " ? La réflexivité est done tout a la fois un caractere - essenticl - de la chose que le discours spéculatif a ~ éno?cer, ou a préseJ~ter, et une conduite ou une attitude necessa1re dans le man1ement des mots dont ce discours a besoin - et tout spécialemcnt pour prendre distance par rapport a une cer;aine imm_édiateté " matcrnclle " ( ct cela, il nc faut pas 1 oub!Jer, bJCn que cette immédiateté soit attSsi le 1icu d'une " na!veté " curieu­sement capable de spéculcr, ou, si J'on veut (mais Hegel ne dit pas cela) d'imiter la spéculation). Le privilege d'un m~t ne peut etre, m eme dans la langue maternelle, absolu; 1' espnt spéculatif dissout ou gaudlit paradoxalement le " purisme " de sa langue préférée, et le mot spéculatif - a!lfbebe/1 -ne s' énonce qu' en multipliant aussitót, dans sa langue entre a;dres, les mots spéculatifs, pluriel involontaire, tout juste admissiblc sans doute mais prolifération inévitable.

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3• Le privilege de la langue maternelle répond d'ailleurs encare a un autre motif, lui-meme ambigu, puisqu'en memc. temps i1 rapproche la langue philosophique d'un parler " naturel ", et il la livre aux imperfections et aux aléas des langues naturelles. C'est le motif du rejet de la terminologie. Les langues maternelles - ou naturelles, ou populaires -s' opposent avant tout it la Jangue artificielle. On vient de !e Iirc : H L:t philo.sophic n'a bcsoin J'aucunc tcrnunologrc particuliere. " La Terminologie (en allemand_ : c'est un mot emprunté ... ) désigne le discours par Termim, par termes techniques. Le discours sco!astique (cclui qu_e Kant, on le s~it, aimait a réactiver) de la pJulosopJue fonCtJOnne par (C/"1111111,

et tout spécialement le discours de cette syllogistique forme!!~ que la dialectique hégélicnne rcfuse et relcve96. Les tenmm sont les mots artificicls et les différences figées, non relcvécs,

.du sujet ct du prédicat (c'cst-a-dire aussi, o_n se le rappcll?, les 1/0JIJS critiquablcs par excellence). Le d1scours speculatJf s' écartera done résolument des termini dans toutes ces accep-

96. CE. Enc)'clopédie, § 204, Remarque.

90

Les mofs spémlatif s

tations, ou sous toutcs ces figures. Et pourtant, on vient de le Jire aussi, le privilege de la langue maternelle n' est pas absolu, sa capacité cst limitée, et du texte de la Préface au texte de la Remarque un étrange glissement substitue a la Termino/o gie proscrite sa traduction en bon allemand : un: philosophische KtmstsfJYache, qu"on ne pourra pas rnalgre tout éviter de parlcr, ct que Hegel semble reconnaitre comme un fait, au moins. Le droit a se passer de Terminologie ne résorbe pas entierement le fait de la Kunstsprache, et celle·ci, bien qu'elle s'énonce en allemand, devra comporter, par une ironique nécessité, quclques termes latins 97, . ·

La langue philosophique ne peut done tout a fait éviter de pratic¡uer ce qu'elle récuse ou dénonce. Mais c"est pour éviter autre chose, qu'elle ne dénonce pas moins, sinon plus, et qu"on a déja vu se signaler: a savoir, le danger d'enfermer la spéculativité dans !'univoque, dans J'unilatéralité d'un rnot (le mot " unité ", par exemple). Non seulement, done,. on ne fait pas le tour de la propriété d"une langue spéculatJve, mais toute ]angue, quelle qu"en soit la richesse " logique ", demeure, par J"immédiateté, la nalveté, J'irréflexion, ici ou la en danger d"univocité, en danger de perdre ou d'interdire l'a11jheben. La présence des mots. spéculatifs - de e~ cas de Dt~rstelbtug- Jcmcurc cxccptwnnclle : pour cet~e rarson, on doit d'autant plus s'en réjouir, sans doute, rnrus on ne peut en rendre raison, et ces exceptions bienvenues ne font

97. Ce pass~ge appclle ce ... commentaire supplé-:nentaire. : en i~tro~ duisant la philosopbiJcbe K111111.rprache, Hegel evoque a la fots la languc des a u tres, des philosophcs qui fo_nt, de la phil<?sophie une tcdmiquc, des penscurs d'cntcndcment SI 1 on pcut due, el une Janguc qu'iJ sera Jui·mémc obJi~é de pratiquer ~e tCmJ?S i\ ,autre dans la 1ogique. JI. faut done cntcndre qlfe Ja ~hrlosoplue specula­tive, bien qu'C.IIc s01t tout autrc que les plulosopluc~. qu elle ~st sel!le a penscr et a relevcr, ne pourra pas tenlr un pur dJscours speculatJf, sera ob!igéc d'introduire, maís co~me furhvement, des emprunts dont elle récusc !'origine. L'expositton du con~cpt nc se~a pas. sans méJanJ,.:c. Le m(·langc n'cst pas l'tmfheben : d en scra1t plutót le contra.trc (non-Uialcctiquc), la caricature ou la contre-fa!;on,

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pas, en tout cas, la ra1son de la Jangue. Les " formes·de­pcnsée " sont sans doute " consignées " daos la langue (encare faudrait-il cannaitre le statut de cette consignation - Niederlegen - de ce dépót et de ce tracé ... ), mais la langue n'est pas pour autant la spéculation. Taot s'en faut. - On ne fait done pas le tour du propriétai~e, mais _on se trouve plutót, il raventure, entra!né daos un ¡eu p!urJel de Jangues qui se désapproprient. Aussi n'est·il pas indifférent que le Moment auquel glisse ra~tfheben " réflé_chi ", non seulement soit un méteque daos la langue, ma1s fasse en outre usage d'une maniere de métaphore - encare que Hegel en offre la figure sous un énoncé neutre, qui peut aussi bien passer pour exhiber une identité que pour opérer une comparaison (ce qui complique encare le déplacement) :

« Le paids et la diJta,~ce a. un point dé_sisnent a _propos du levier les moments mecamq_ues de celur-ci, en. ratson de la mémeté de leur action, quelles que soient, pa~ ailleurs, les différences entre un réel, tel que l'est un potds, et un idéel9S, la pure détermination spatiale, la ligne. >>

On peut entendre que ra11jheben métaphorise en ses moments la théorie du levier, ou bien que daos le proces de l'A~tfh_eben il est toujours question (voire : que ce proces est tou¡ou~s celui) d'une mécanique du levier99. (Ce que cela peut voulo1r

98. Il faut ici relever que, dans la seconde édition, oU cette phrase est ajQutée, Hegel a également ajouté. au début de la R;marquc, l'idéel, entre parenthCses, pour préciser le r~l~vf - c:t que e est ~onc la théorie du levier qui daos ce cas, a precise le d1scours de l. auf­hebeu. Quant a ideell,. on négligera ici l'analyse q~'il faudral~ en faire daos sa différence avec ídeal, en rappclant .s'!l1plern~nt. c;~ue l' « idéel » est « le fini te! qu'il est daos le ventable mftm >> {Lof!ique, I, 139), soit la déterminat~on. ~ons.ervée com~e ~ol}lent (ihid.), et,que l' « idéal >> « .a.une stgOLf!ca~IOn plus dete.rmmee », comme ideal du beau p. ex. (1b1d.). Ce q_ut separ~ ~es deux mots est une nuance, un jeu d'ornbres : Scha/lrerung (tbrd.), dont on va repader.

99. Cest plutOt cette derniCre hypothCse qu'indiquerait le texte de l'Encyclopédie dont Hegel donne, daos la Remarque, la référence: « Le passa¡;e de l'idéalit~ dans !~ réalité intervient. auss} de fa:on expresse < a uf ausdrückltche We1se > daos les phenornenes meca­niques bien conn~s, oU l'on .vo_it l'i.déalité. se sub~t~tuer :\ la ~éalité, et vice-versa; et a la seule trreflexton qUI caractense 1:1 representa-

92

Les mots spécu/atifs

dire - qu'en général la mécanique joue daos la spécula­tion -, on va bient6t devoir en parler.)

Quoigu'il en soit de ces hésitations et de ces clairs­obscurs (qui prouvent au moins que le moment devrait etre venu de cammencer a distinguer quelque chose de l'aufhe­ben ... ), il est au moins certain que ropération d'aufheben, ou r affaire de 1' aufheben, ne sont jamais celles d'un mot, et jamais d'un seul mot, et jamais du mot pour lui-meme. Il 12'y pas de spéctdation verbale 100, il y a les mots spéculatifs. Et ce pluriel entra!ne encore une autre forme de la diversité, une forme dont, depuis un moment, on a díi commencer a reconna!tre le travail et les obstacles daos la Jecture des textes de l'attfheben : ces mots, dont aucun ne vaut jamais absolument pour la présentation du spéculatif, il faut les agencer, les combiner, dans une syn­ta:xe, ou dans des syntaxes. Aussi bien " savons ''-nous, depuis que nous nous sommes aventurés daos la lecture de Hegel, que celle·ci requiert un abandon du discours ordi­naire des propositions, ou plus exactement en requiert l'auf­heben. Aussi bien, encare, avait-il été nécessaire de constater qu'avant de pouvoir etre remarqué, ou avant de se faire remarguer, le mot aufheben s'était glissé, apres J'abandon de tous les mots univoques, dans une de ces longues phrases

tion et l'entendement, est imputable le fait que, du caractere inter~ chanseable de l'idéalité et de la réalité, l'on ne conclue point a Ieur ident1té. Daos le cas du lez:ier par exemple, on peut substituer la di.rtance a la masse~ et vice versa, et un quantum dont le moment est idéel produit le mCme effet que le quantum réel correspondant. » (Trad. Gandillac.) L'a11jheben semble Ctre une « propriété >> du levier, et vice versa.

lOO. Ce q'ui ievient a dire qu'il n'y a aucune K110se chez Hegel -si on le compare aux spéculations lexica!es et 1ittérales de la Gnose (celle de Marcos, par exemple, ou de la Pistis Sophia), et a tout le gnosticisme latent (ou patent). a cet égard, d'une partie du roman· tisme allemand. Et cela, on pourrait le montrer, quoi qu'il en soit des recours nombreux de Hegel au Verbe de Dieu, au Legos johan­nique, etc., puisque tous ces recours sont autant de r'eteves des représentations religieuses. Faute de pouvoir s'attarder ici sur cet autre preces, on s1gnalera au moins la critique hégélienne de la << superstition de l'entendement )) a l'égard de certains mots, par exemple « infini » : cf. Logique, I, 269.

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aux rctourncmcnts mulliplcs qui .signaicnt la synt;txc la plus propre du discours hégélien. Et si la scene du Jcxique nous off re encare un spcctade " naif " a l' égard de ce qui se · joue dans ce n;ot, c'est bien dans la syntaxe que devrait etre dépoui!Jée la naiveté (ou J'artifice) d'une te!Je scene.

Les mots spéculatifs ne deviennent-ils lisibles, selon leur spéculativité, que dans une syntaxe spéculative? Et ce!Je-ci nous permettrait-eJJe enfin de déchiffrer sans reste la Remar­que ? On ne peut pas évitcr de se détourner vers ces <jucstions.

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la proposition spéculative ~

<< Chacun de ces morceaux dc bois était recouvert dc papiers sur Iesquels étaient écrits tous les mots de leuf lan­guc, dans leurs différents · modes, temps et dédinaisons, mais sans aucun ordre. Le professeur me pria alors de bien observer, car il allait mettre sa machine en marche. A son commandement, cha­quc éiCvc saisit une poignée de· fer et, en la faisant tourner brusquement; ils changhent complCtement la disposition des mots... ·

Et le professcur me montra plusieurs gros volumes composés de ('hrases ina­chevées qu'il avatt l'intentton de ras­sembler afin de tirer de cette rkhe matiCre un ouvrage complet sur les arts et les sciences. »

(Swift, VoyaxeJ de Gulliver1 trad. A. Bay, Gallimard, 1964, pp_ 277-278),

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11 ne s' agit pas, bien évidemment, d' engager a présent une théorie complete de la syntaxe hégélienne. Daos le champ signalé par l'iodex de " la proposition spéculative ", on se cootentera de prélever quelques matériaux indispensables pour ten ter de répondre a la question qu' on vient de voir ouverte par !' aufheben et par son Jexique. I1 suflira, pour ce faire, de reconstituer certaines articulations du discours hégélien autour des concepts de proposition (Satz), en tant qu'unité syntaxique, et de grammaire (Grammatik), en tant qu'ordre et que science de Ja langue daos sa syntaxe. Mais on verra tres vite que, pour procéder a cette reconstitution (ce qui im­plique, déja, qu'on n'ait pas trouvé chez Hegel d'exposé

. thématique sur cet objet), le texte hégélien ne permet pas -pas plus que pour dresser un Jexique des mots spéculatifs - de suivre le droit fiJ d'un discours. Ici encare, la théorie spéculative, pourtant si nécessaire, de la syntaxe, se disperse

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ct se désarticulc, de tcxtc en tcxtc, s'abscntc 1;.\ ol1 on l'attcn­drait, et se met en relief dans des contextos imprévus -jamais dans le pur style de la théorie.

Tout pourrait d"ailleurs (re)commencer id par la question, ou l'exigence, d'un autre texte, d'une autre écríture ou d'un autrc stylc, commc si nous étions déj;l revenus a notrc point de départ, a u préalable de r exposition hégélienne (ce qui n'est pas, on s'en doute, seulement une supposition, ni mCme seulement une analogie). - Hegel écrivait, vers 1805 :

« Il n'y a plus tant :l faire avcc des pensée;. Nous en avons asscz, bonncs et mauvaiscs, bcllcs ct audacieuscs. Mais avcc des concepts. Cepcndant, commc les premiCrcs se font valoir immédiatcment par elles·mJmes1 tandis que les conccpts doivcnt Ctrc rcndus concevablcs, cctte néccs­sité cntrainc une modification de la forme < Form > de l'écriturc < Schrcibart >. une allurc < Ausschcn > qui cxipc pcut~Ctrc un cffort péniblc. commc chc.z P!aton, Anstotc tot, » .

Les pcnsées se font valoir immédiatemen~ : 1" immédiateté des mots, et spécialement daos la langue matemelle, leur convient ·done sans doute; mais les concepts exigent . un changement de J"écriture, et non pas pour les exprimer ni pour les preprésentcr, mais bien pour Icur conccvabilité elle-mcme. - La différence du concept a la pensée n' est pas spécifiée, ni par un concept ( au sens logique ordinaire du terme), ni par une image ( comme si Hegel disait ici que le concept est a saisir - begreifen, fassen - plus qu'a comprendre - verstehen -), elle n' est marquée que par ceci : la concevabilité, et meme, d'abord, l"étre-concept, implique quelque chose quant a la forme. Sur cette forme .meme, cien de plus précis, sinon r exemple des deux grandes figures patriarcales de la philosophie (avec leurs livres, un peu comme dans 1' Eco/e d' Athimes de Raphael...) - e' est-a-

101. Jt7 astebook, o p. cit., p. 558.

98

La proposition spémlaJive

dire aussi de dcux écritures aussi différentes qu'on le voudra: J"un coté Platon, dont toute la tradition vante les <¡ualités, voire les recherches, littéraires (Hegel ne manquera pas de le faire dans. l"Histoire de la philosophie), de l"autre, Aristote (cclui dont Hegel célébrera si vivement la pénétration dans le concept spéculatif), c'est-a-dire les notes Je cours · et Jes traités recomposés (soit !"une des formes de )" " O!UVre " de Hegel). Par analogie, done, avec les deux a la fois, et en tant, du moins, que la lecture des deux exige " un effort péniblc ", le concept Joit se laisser concevoir dans (et peut­etre : comme) une certaine forme d"écriture. - Ce pro­gramme, romantique par plus d"un trait, on peut et on doit dire que Hegel !"aura, par la suite, abandonné - comme programme explicite et déterminé du moins. Mais on peut et on doit tout autant (il suffit pour cela de rappeler une fois de plus le texte !u en préambule) se demander s' il ne !"a. pas conservé et d'une certaine maniere, exécuté. Question, comme ' ' . on voit, en forme d"At~fhebtmg - a11jheben du programme d' écriture, écriture de 1" a11jheben ·: quelle étrange relation, ni formellement écrite, ni rigoureusement relevée, peut enlacer ainsi ces deux motifs?

On ne répondra pas a la question : le discours hégélien n'y répond nulle part. Mais c"est contre elle, sur son long ou sur son bord, qu'on pourra voir se disposer, et s'user, et se disperser le discours hégélien, dans la mesure meme ou ¡¡ s' oblige au changcmcnt de sa forme, comme si les moyens et les fins de sa pemée se dépla<;aient ou s"excédaient d'eux·. mCmes dans une transforma/ion de la forme, une maniere, pour ce discours du concept, de s' écrire, d" etre le texte -Schreibart - par Jeque! (comme lequel) il se rend " conce­vable ", c"est-a-dire se présente. C"est la, en tout cas, dans un certain Schreibart du discours - il faut le rappeler une fois de plus- qu'on a vu s'introduire, s'insinuer l"a11jheben, daos le premier alinéa qui pratiquiit le " grand style " hégélien, au sein d'un texte qui venait d"écarter quelques mots, et de récuser la proposition en général.

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C'est de cette derniere qu'il faut repartir. La condamnatioo. de la proposition forme, on le sait bien, un des_ themes ~es plus insistants, les plus proliférants, ,le~ plus J~tcmpesti_fs aussi (eu égard aux divcrs contcxtcs ou 1! _appara~t) du _d,s­cours spéculatif. Ce n'est pas un hasard SI, d':pu1s _t;:, debut de ce travuil nous avons dli en l1re au moms dep deux textes (daos l~ Préfacc de la Phénoménolofie, et daos Ie_rre· mier chapitre de la Logique). Il n'est peut·etre pas une preface ou introduction hégélienne qui nc porte trace de cette condamnation, Jaquelle se répete ens~ite, ~ans . le c?r¡;s des a:uvrcs tantüt avec une fonction !og¡que b1en determmee (a propos de la théorie du jugement, en par~i:Ulier); tant~t a tout propos (c'est·a-dire a propos d;:s condltJOOS d expOSJ­tion de o' importe que! élément du syste~e), _c_omme u~ rappel toujours urgent ct inquiet, . con;me 1 mq~1etude ~eme, du spéculatif, cherchant, au pr1x d une extre.~e tenston, a Je

faire entendre daos son refus de la propos!tJOn. Ce refus, Hegel le pronom;ait déja vers 1805, sous une

forme qui se prete a résumer toutes les autres :

« Il n'est pas tres bon pour la philosophie d'ayoir une proposition, et de pouvoir dire : cela est ou n'est rrm IO:!:. >>

JI n' est done pas bon, il est fikheux ou dangere?x. pour 1~ philosophie d'affirm~r ou de nier, d'é~oncer en. general qu~¡ que ce soit a quelque sujet que ce smt - ma1s, plus ~artJ­culierement, ou comme le modele (et la structure) de~ ~on­cés d' énoncer unilatéralement 1' étre ou le néant, et amst, de n; 'pas énoncer !' aufheben au s_ujet de 9ue!que chose. Car e' est, précisément, si !' on peut d1re, le su¡ el comme te!, et ce

102. O p. cit., p. 559. Proposition, c'est Satz, ~t _éest ~us_si bien, comme en frant;ais, l'unité syntaxique que 1~ p~mcrpe t.heo_nque ou axíomatique, ou encare la these. Tout ce qm ~urt devratt ~ e~tendre de ces acceptions conjointes. - Signalons ausst que nous neghgerons d'analyser l'effort - ambigu - d.e H~gel, ~ quelques t~xtes, po~t" séparer le Satz du jugement (Urtell), a la sutte de la lo_grgue tradt­tionnelle et de Kant. Le Satz reste toujours, pour l'~ssent~el .. Ia f<?rme de l'urteilen proprement dit, c'est-i-dire de l'opératton dtfferen.crante et déterminante, par laquelle le concept sort de son abstractton et commence i devenir (la chose).

100

La proposition spéctdative

qui I'accompagne nécessairement, le prédicat ef. la copule, autrement dit les parties du discours, qui font, daos la proposition, obstacle ou menace pour la philosophie; leur détermination (inévitable) comme parties du discours fixe en elles, sur le mode de l'unilatéralité et de J'extériorité réciproque, des déterminations dont la vérité (spéculative) ne peut pourtant consister que daos le passage de !'une daos J'au­tre, et daos !' annulation de leur différence. Cette annulation -la constitution d'un anneau- ne peut, par conséquent, se former aiJJeurs que daos !'aufheben, daos un aufheben qui releve, solidairement ou mieux encare identiquement, les déterminations de la chose et les parties du discours, ou encare - si la releve n' est effective que pour autant qu' elle est exprimée, qu' elle a liett daos !' AIISdmck -, daos un aufheben qui, pour" etre Jui-meme ", c'est-a-dire pour n'etre pas ríen, mais saos etre !' etre ... , doit etre en fin de compte a¡¡fheben de la proposition : !'attfheben de la proposition te! que nous avons déja du le Jire - et renoncer a le Jire. Et paree que le Satz appartient simultanément a deux registres, le logique et le grammatical, il faut suivre !' économie de !' annulation sur les deux registres. Mais cela fait au moins trois questions : comment la proposition s' annule-t·elle daos la Iogique? comment daos la grammaire? et comment s'annule la dilférence de la logique et de la grammaire (et, done, du concept et de la syntaxe, ou du style) ? Prenons, autant du moins que nous le pourrons, ces questions daos !' ordre.

Le Satz logique, c'est la forme du jugement 103. La logique hégélienne du jugement obéit, departen part, a l'annulation de cette forme. Daos cette Iogique, - au terme d'une analyse qui aura tout autant marqué le mot de son objet, Urtei!, comme mot spéculatif chargé de seos originaire, qu'el!e aura récusé le formalisme de tous les énoncés de prédication - il est acquis que " su jet et prédicat [ ... } sont eux-

103. Ce qui suit renvoie constamment et globalement aux cha­pitres de la Logique et de l'Encyclopédie sur le jugement et le syllo­gisme, sans qu'tl soit besoin d'en rappeler toutes les étapes ni toutes les theses.

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mcmes d1acun le jugement tout entier "104, et par consé­quent que l'énoncé prédicatif, privé de vérité en ce qu'il rclie daos 1' cxtérioríté dcux détcrminations immobilcs se résorbe en chacun. de ses termes. C est la premicre annula'tion de la proposition logique. Cen cst aussi le premier ,l!ljheben, puisque le jugement, des lors, se releve (ou, selon le processus déja reconnu, s'est déjá relevé) en syllogisme :

« Ce qui en réalité a été posé, c'cst l'unité du sujet et du prédicat en tant qu'clle cst le concept lui-mCme; il est le rcmplisscment du « est » yidc de la copu!e, et, en tant que ses momcnts sont en rncme temps dtffercnts comme sujet et prédicat, il est posé comme unité de ceux-d. commc la rclation qui les médiatise - le syl/ogi.rme 104. »

Retenons, avant d'aller plus loin, le mot, le verbe qui sean de cette phrase, qui se glisse au moment décisif ou !' on se releve de la forme prédicativc : poser- setzen. Le setzen est, en particulier, la premiere propriété de la réflexion, c'est-a-dire du geste par lequcl s'engage, dans la Logiq11e, la releve générale de la logique immédiate de !' etre en logique de l'essence : " La réflexion [ ... ] n'est que comme retour ou comme négatif d'ellc-meme. Mais ensuite cette immédia­teté cst la négation rclcvéc ct le retour en soi relevé 105. " La vérité du jugement est une position : sa · négation et sa relCve, l'Ctre-posé de son annulatioo, c'est-:1-dire de son identité retournée en d1aque partie de la proposition. Le Satz se releve en setzen, ou, si 1' on peut se risqucr a forger un verbe al!emand, le satzen en setzen. Il s'en faut d'une voyelle, a peine, d'une nuance - Schattiemng -, ou d'un accent. C'est 13. que passe l'a11jheben de la proposition.

Aufhebcn dans le syllogisme, done - dans la mesure, du moins, ou !' on est bien forcé de traduire selon sa valcur terminologiq11e de" syllogisme" ce Schi;IJs allcmand, qui n'y borne pas ses sens (mais signifie aussi, et d'abord, la fin, la conclusion ct I' infércnce dans toutcs les valcurs Jc ces termes - !' emploi, traditionnel en allemand, de ce mot

104. Et~cyclopédie, § 180 (trad. Bourgcois). 105. O p, cit., Il, D.

102

Lt proposition spéct~lative

en lieu et place du terme scolastique rend, si !' on peut dire, plus aisées les opérations que Hegel fait subir au concept). Et !' économie dia!cctiquc du syllogisme se regle a son tour selon les deux temps ou les deux versants d'une Aufhebtmg. Mais cellc-ci n'est peut-etre pas, on va le voir, tout a fait comme les autres, si !' on peut dire 106. Elle n' est rien de moins, en effet, que !' aufheben de la forme ( du jugement, du Satz) dans la forme dtt rationnel (" comme un con ten u consistan! ne peut etre rationnel que par la déterminité par laque !le la pemée est raison, il ne peut !' etre que par la forme qu'est le syllogisme "107) - dans la forme ou dans la syntaxe a u tres qui doivent etre celles de la raison. L' enjeu de la syllogistique est 'de faire apparaitre dans sa forme le contenu de la rationalité spéculative, et done d'articuler la signification spéculative. Cct cnjcu n'cst done ríen d'autre en fait que d'ammler I'Aujheb11ng - de la boucler sur elle­mcme, de la poser, en supprimant la dispersion erratique de son mot, ou d'accomplir le retour de tous ces retours que l'a11jbeben, selon sa Remarque, " ne cesse de faire partout ".

Le syllogisme, en effet, est J'annulation- c'est le premier versant de l'a11jheben qui s'opere en luí : " L'effectif est quelque chose qui cst un, mais il est aussi bien la séparation entre eux des moments du concept, et le syllogisme est le cyc!e < Kreislauf > de la médiation de ses moments, par Jeque! il se pose comme que!que chose qui est un 107. " Aussi le syllogisme hégélien est-il d' abord la suppression du syllo­gisme forme! de !'entendement. Tout le parcours de la syl!ogistique hégélienne consiste a en supprimer tour a tour

106. D'une fa~on générale, l'étude comparée des divers moments d'tmjhcben dans un proccssus hégélicn (cclui de la Lo;:ique, ou ce!UL de la Phé11oméno/o¡:ie, cte.}, ou d'un processus a l'autre, serait .pleine d'enseignements. Cae l'opération n'est peut.etre jamais tout a fait la méme en chacun de ces épisodes de releve; l'accent se dépJace sur un moment ou sur l'autre, de meme que .sur la suppres· sion ou surJa conservation - comme si l'aufheben en acte ne cessait d'osciller de part ct d'autre de son concept, et de sa Remarque.

107. Eucyclopédie, § 181, Remarque.

103

Page 54: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

•.

La remarq11e spécultttive

toutes les déterminations reconnues au syllogisme comme teJ, pour finir par poser, a son terme, comme la vérité relevée de la forme du rationnel, un syllogisme saos syntaxe et saos figures- le Sch!t1ss, la conclusion, la fin de toute propo­sition. L'aboutissement du syllogisme est en effet son propre passage daos " l'objet ", c'est-a-dire le moment ou, confor­mémmt a la loi relevante de l'exposition spéculative, la forme du rationnel, bien loin d'etre simplement posée et délimitée comme 1' organon préalable du travail de la pensée, se releve en son propre contenu - un contenu qui n'est rien d'autre que cette forme en tant que, pour (se) finir, elle s'est elle-meme relevée. Bouclée, la synta.xe syllogistique se présente comme un objet, sans prédication ni consécution. Ainsi, lorsque le syllogisme est devenu l'objet,

« On peut exprimer de fa,on juste le résultat en disant qu'm 101 concept [ ... ] et objet sont la méme choJe. Mais il est tout auss1 juste qu'ils sont divers; en tant que l'une de ces affirmations est aussi juste que l'autre, par la précisément !'une n'est pas _plus JUSte que l'autre; une te1le maniere de s'exprimer est mcapable de présenter < dars­tellen > ce qu'il en est véritablement 108. >>

Quelle est cette" maniere de s'exprimer "(Ausdrucksweise)? c'est l'affirmation (ou la négation), l'énoncé unilatéral d'une propoútion. Une fois le syllogisme relevé, la proposition offre encare !'embarras de sa jttStesse indifférenciée a l'énoncia­tion de ce qui a été obtenu. Dans la proposition, il est juste - quant au seos - que la différence est supprimée, rnais il n'est pas moins juste- quant a la syntaxe, quant a la forme propositionne!le elle-m eme - qu' elle est maintenue. Le Stttz a done tres exactement le meme contenu ou la meme propriété que l'aufheben; mais il les perd immédiatement, dans la mesure ou il n' est pas la propriété de cette unité qu'il énonce : il n'y a pas une proposition, mais plusieurs, et la proposition est d' " essence " plurielle, articulée. Le syllogisme comme te! est précisément l'articulation des pro­positions, done leur extériorité, et c'est en tant que te! qu'il

108. Id., § 193, Remarque.

104

La proposition spéctdative

s'est dt~fgehob:~· La pluralité synta.'<ique annule.J'annulation de la proposrtwn, ou plutót, et paree que cette seconde annul~tron n'est plus, semble-t-il, dialectique, la pluralité srntaxrq~e persiste et insiste, genante, insuflisante, malgré 1 annulatwn de la proposition. La vie du concept se releve daos une mort saos phrases, mais cette mort comment la " présenter véritablement "? '

Le sémantique, en tout cas, n'est ici d'aucun secours. II n'y a pas, daos le texte, de relais ou de releve sémantique de la syntaxe propositionnelle. Tout au contraire les mots spéculatifs sont absents, et bien loin de les i~voquer, le texte s'épuise seulement a récuser la " trivialité " de la proposition, a la faire remarq11er, d'un geste désespéré, dont le style, soudain, surprend :

« L'identité spécuiative n'est pas cette identité triviale selon laqueiie c?ncept et objet seraient en soi identiques; - !~!J1a:que q_ul. a, eté assez souvent répétée, mais qui ne ~aura1t etre repetee assez souvent, si 1'intention devait etre de ~ettre un .terme aux méprises insipides et p!eines de malvedlance qUJ concernent cette identité; ce qui raison­nablement n'est pourtant pas encare a espérer 109. >>

Si le discours, un instant, perd son calme magistral et s'il fait un ~cart polén\ique au sein de l'exposition logique, il faut Y drscerner saos doute la trace d' une certaine limite de ce discours, qui vient de se limiter en effet daos la mesure mcme o~ il _s'est .excédé, et _qui, pour peu qu'on ne soit pas brenverllant a son endrort, ne peut que désespérer de se faire entendre, de faite entendre cette voix de limite - cette voix a h limite - qui est désormais la sienne. Mais e' est a_ussi, a coup sür, que la remarq11e qu'il répete avec exaspéra­tro~, la remarque de J'identité spéculative daos sa différence radJCale ave: _1' " identité triviale " (telle que peut 1' énoncer ~ne proposrtr?n) . a déja, en fait, été inscrite, pour qui sait lrre (pour qur_ sart entend~e ; et c'est pourquoi, aussi bien, les deux motrfs de cet ecart " du discours, le motif polémique et le motif logique, se confondent finalement).

109. !bid.

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Page 55: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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Elle a aé insL"rilc par le syllo,gismc lui-mCmc, ct rlan.r le syll?~isme Jui-meme, c'est-a-dire dans J'articu!ation des pro­posttiOns, ct comme le sccond vcrsant de lcur r111jheben. Le syllogisme - et ~es propositions - ont déja, en vérité, donné Ja forme oü s'énonce la vérité spécu!ativc. - Le silence ou l'humeur de Hegel, dans chaque texte ( on peut le vérifier) oü s' indique la releve de la proposition - id comme dans la Préface de la Pbénoménologie - marquent ce que Hegel ne va11t prJS dire, alors que tout son discours po~rrait (ct parait, :l l'occasion) vouloir le dire : :i savoir, qu'tl y aurait une a!ttre " expression " que celle des propositions.

_Une autre expression, ce serait alors un mot, ou l'on ne Sait quellc pureté ou que! abso]u sémantique. Mais de meme que la prolifération des mots spécu!atifs s' entrainait dans Ja syntaxe, la syntaxe interdit le retour ct Je recours au mot. ScblfiSS : c'est la fin de la logique quant a sa forme, c'est le maintien du syllogisme, et, en lui, des propositions. La syntaxe Jogique de Hegel ne passe plus dans son autre ou dans un autre, et le syllogisme en effet, une fois posé, ne passera pas. Tout passera plutót par lui. Cette condusion de la Iogique formelle (de la partie de la logique du concept qut correspond a 1' ancienne Jogique - et ne cesse d' ailleurs de débattre avec cel!e-ci) détermine la forme aénéra!e de toute h Logique, et de toute J'Encydopédie el!e-r:eme. Dans cette dern~cre, c'est en syllogismes que s'énonce toutc Ja philo­sopht~ de Ja nature, ct e' est dans une ultime trip!icité de

· syllogtsmcs que s'accomp!it l'Idée, le spéculatif commc tcl, ou, pour mieux dire sans doutc, la spécu!ation du spéculatif. Le " syl!ogisme " n'est pas un mot spéculatif, c'cst un mot ordinairc - Schluss, qui fonctionne en outrc ici comme terwe tec!mique; iJ désigne une forme, la forme, il désigne le spécu­Jattf dans sa forme, dans la scu!e syntaxe possib!e du discours, ~ut est celle de la proposition. Le Scb!Im hégélien met fin, Slm~Jtanément, a toute proposition Ct a toute tentative pour sortir de la proposition. Et le discours hégélien, c'est-a-dire la proposition spéculativc, se ticnt (s'articulc, s'énoncc) trCs cxactcmcnt de ce lielf. C'cst pourquoi, comme on l'a lu dans

106

La propoJition spécfllaJive

la Préface de la Pbénoménologie, " Ja proposition philo­sophigue est proposition "; c'est pourquoi " la défi!lition de /' r~bso/11 est désormais qu' il est le sy!logisme, ou, si cette déterrnination est exprimée comme proposition : « Tout est un syllogisme » "110. (El si, dans cctle dernicre phrasc, !' expression par une proposition parait plutot jouer le role d'une concession, d'un éclaircissemcnt donné en langage trivial, done d'un substitut (Ersatz) 111 par rapport a la vérité de l'abso!u, dont i1 s'agit- on ne pcut pas, ~n meme tcmps, évitcr pourtant de rappclcr c¡uc, sclon les termes de la Pbénoménologie, " l'a11Jbeben de la forme de la pro­position ... doit étre exprimé " et que " seule cette expression est le spéculatif effectif ". " Toril est tm syllogiJme " dirait done !'effectivité de l'absolu malgré la forme proposition­nelle qu' on y emploie, mais serait cette effectivité paree que la proposition s'en exprime ... )

La releve de Ja proposition - ou Ja nature de Ja proposition spéculativc - était ce que nous cherchions, en préambule, pour pouvoir Jire !' a11jbebon dans son texte. On voit mieux a présent, sans doute, ce que pourtant on n'a pas cessé de voir - dans le clair-obscur qui baigne ces textes : a sitvoir, cambien la condition de la lecture est en effet la condition meme du concept, et celle du texte. 11 n'y a rien d:autre a Jire que le texte, et cctte lecture, il n'y a rien d'autre a faire qu'a Ja répéter : partout, les prúpositions y sont propositions philosophigues, et réciproquement, partout l'a11fbebe11 y fait retour. Jamais sans doute clóture. aussi par faite, aussi exclusive, n' aura refermé sur soi 1' épaisseur d'un volume, abolissant tout son dehors. Allfbeben n'est pas un conccpt a l'intclligibilité duque! menerait un jeu démons-

!lO, !bid., § 181, Remarque. lll. Ce mot est aussi, par cxcmple, celui que Hefiel emploie pour

caractériscr le rOle des reuvres de la culture anttque, par l'étude dcsquelles il faut passer pour suppléer les manques de notre culture moderne, selon une dialectique c;¡ui est aussi c~lle de la suppléance, par l'étudc d'une langue anc1enne, aux defauts que comporte J"usage irréfléchi de nutre languc (cf. le discours de lycée que nous citons plus loin). .

107

Page 56: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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La remarq!fe spém/ative

tratif de propositions, &tjheben, c'est Jire des propositions, Jire une écriture dans la " modification de sa forme ", et cela exige en effet "un effort pénible " ...

... Car il reste, précisément, la " modification de la forme ". Une modification - Aendemng -, une altération dont nous ne savons rien, et dont nous ne savons, en tout cas, rien qui se soumette sans aufheben (ou sans altération ?) a la forme du savoir. A chercher une maniere ou une autre de maitriser cette modification imperceptible, qui fait jouer la proposition spéculative dans (par?) les propositions, le Satz de I'absolu dans (comme ?) son ErJatz, a tenter d'en poser le concept, on vérifiera d'abord que le texte de la Logique déroute ou déjoue le principe meme de cette recher­che- ce qui ne va pas sans inquiétude. Hegel écrit en effet, dans !'une des Remarques du premier chapitre, a la suite du passage, déji cité ici, qui souligne I'insuffisance de la proposi­tion :

<e En vue d'exprimer la vérité spéculative, on supplée < ergiinzt > d'abord le manque en ajoutant la proposition opposée [ ... ] :t-.Iais on produit ainsi ce manque plus étendu, que ces propositions ne sont pas reliées, et ne présentent < darJtellen > ainsi le contenu que dans l'antinomie, alors que pourtant leur contenu se rapporte a une seule et mc!me chose, et que les déterminations qui sont exprimées daos les deux propositions doivent étre ¡>Uremeot et simplement < Jchlechthin > réunies, - une reunían qui ne peut des lors etre exprimée que comme une inqniétude < Unruhe > d'éléments en rnéme temps inconciliablu, comme un mon· t·ement 112. »

L'équivoque- irrelevable- de ce texte est double : d'une part, en effet, sa derniere phrase peut aussi bien viser les limi­tes d'une expression par propositions, incapable de surmonter, au mieux une es pece d' agitation inquiete (la fin du texte poursuit, daos ce cas, la critique de Schelling qui en sous·tend

112. Logiqr~e, I, p. 76.

108

La proposition spéwlative

le début), qu' elle peut signaler le " vrai " o u le " bon " régime de I'expression spéculative, Iaquclle se donnerait done comme une inquiétude et un mouvement 113, Dans ce dernier cas, de nouveau, il faut ou bien identifier la releve de la proposition et cette Unmhe (mais la valeur négative de I'Unmhe risque d'amputer ou de Iimiter la releve en ques­tion), ou bien (et paree que Hegel écrit :" ne peut di!s /ors etre exprimée que comme ... ") considérer que I'Unmhe écarte ou expulse tacitement 1' a11jheben. En place de releve, on serait ici au plus pres de ce que pourrait etre la re,•endication hégélienne d'un style, du style inquiet de la modification pero manen te et de 1' effort pénible - de ce style peut·etre, en effet, que nous avons cru pouvoir, un instant, nommer le " grand style " hégélien, celui qui, quelques Iignes plus loin daos la Logiqtte, va soudain faire passer l'c<!lfheben. (Un style, cela voudrait di re alors, ici : ni 1' énoocé de la vérité selon les lois de r énoncé, ni une que !conque suppléance de I'énoncé spéculatif, si la suppléance aggrave " le manque ". Le discours n'y serait ni vrai, ni lieu·tenant de la vérité.) -On voit qu'ert tout état de cause on ne saisirait- jaSJen­I'aufheben qu'i la condition de le laisser s'évanouir -verschwinden -, et que par conséquent on n' en saisirait rien. Cela, saos doute ne veut pas dire qu'on puisse espérer le saisir ailleurs ou autrement. Mais cela ne veut pourtant pas dire non plus qu'il faut se hiiter de laisser échapper l'a11jheben en s'imaginant que, par ruse ou par une sorte d'épiphanie négative, e' est ainsi qu' on le présente en fin, ou que 1' on pourrait identifier l'aufheben daos le " mouvement " du . texte de Hegel. Car e' est bien sa présence ou son identité que ce mouvemeot, équivoque, inquiet, vient a troubler. Il faut done, patiemment, s' en ten ir, autant du moins qu' il est possible de le faire, a ces hésitations, a ces déplacements, a ces écarts qui, de texte en texte, s' accumulent. L' " inquié­tude "ne nomme ni ne surnomme l'aufheben : elle !'inquiete.

113. La suite du texte va plutót en ce seos : Hegel y demande qu':i. propos du spéculatif on n'oublie pas au moins d'énoncer les deux propositions opposées. Rien n'est pour autant décidé ...

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Page 57: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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On ne maítrise done pas ce c¡u' il en est de la modification de la forme, mais on ne pcut éviter en rcvanche de se sou­mett:e a de singulicres altérations. Un déplacement ou un bromllage se pro~t1it, dans la répétition de la Iecture, entre les é.noncés de la logic¡ue hégélienne, entre tous les retours de 1 ''"fbeben. Et ce déplacement consiste peut-ctre avant tout en ceci c¡ue J' aufhcbcn ne fait jamais le mcme retour ·se déplace, de mot en mot, glisse, de texte en texte, inte;dit d'achever la logic¡ue du syllogisme, sinon en rctournant, mais dans j' éc¡uivoc¡ue et j' inc¡uiétude, a la proposition - dont, des Iors, le concept se trouve étrangement brouillé, car on se met a bien mal en distinguer les rapports ou les écarts a la vérité spéa:Iative. ~ais e' est ainsi, en fait, J' a~tfbeben Iui-meme c¡ui bromlle ou melange, de fa~on encare plus étrange, son propre

· co~cept - comme si, a la recherche de la forme du spécu­latlf,. Jc sa proprc forme, il se déformait : car, la proposition, faut-¡J la relever, ou faut-il la modifier, faQt·il la supprimer· . et-conservcr, ou faut-il l' altérer ? Ou bien encore : pourrait-il y avoir identité, mais c¡uelle singulii:rc identité méconnaissa· ble, entre l'a~tfbeben ct J'altération, c'est-a-dire entre deux termes c¡u'aucune releve dialectic¡ue ne peut articuler en-semble? ·

Si les c¡uestions deviennent absurdes od insensées au r~ga.rd du conce~t d~ _1' Aufheben - ;t du spéculatÚ en general -, les dtsposttwns prises par le texte - le ou les textcs de !• Logic¡ue - n' en sont pas moins contraignantes. Elles .se resumcnt dans la formule c¡ui énonce le résultat du p:emtcr mom~nt du syllogismc, celui c¡ui ¡:eleve le syllo­gtsme c¡ualttattf en syllogisme de la réflexion. Cette opération écrit Hcgcl, '

« s'cst réaliséc tout d'abord ;\ mCmc la forme < an dcr Form > 114. »

. 114. En~yc_lofédie, § 18~. -. Ccttc form_ulc de la logique de 1 Eucyclopedte enance ce qu1 se ht entre plus1eurs passagcs du tcxtc corrcspondaf_lt _de la Logitp~e,. Daos ccllc-ci, le momcnt en qucstion se: c~nc!ut amsr : « la mcdJatiOn s'cst done ainsi déterminéc commc l'md¡ffercnce d~s dé~ermina.ti_ons immédiates ou abstraitcs de la forme et commc la reflexJOn posttlve de l'unc daos l'autre » (II, p. 328).

110

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La proposition spémlative

" A meme la forme ", done, on c¡uitte le syllogisme forme!, les "' formes " et les " enchainements " décrits par A.ristote, mais que ce dcruicr, déjlt, n'a " pas 1aissé pénétrer " dans "la sphere" du "concept spémlatif "115- et I'on pénetre, avec Aristote et Hegel, dans cette sphere, ou ce c¡ue nomme le mot " Schluss " n'aura plus rien de terminologic¡ue ni de propositionnel. " A mCmc la forme ", ce passage se fait sans c¡uitter les propositions, comme un glissement .le long de celles-ci - .. a mcme la forme " le concept se rend conce­vable.

Mais ou et comment cela s' est-il passé ? - Pourc¡uoi le demander? Hegel ne vient-il pas de 1' écrire? " A méme la forme " : cela s' effectue - ou se con~oit - done partout, tout au long du discours logic¡ue, lui-meme tout entier dans la forme du syllogisme. Le passage " a meme la forme " a licu parlout, comme l'ttufheben.- Partout, ct done d'abord, aussi bien, ici, dans cette formule : a mime la forme - an der Form. C' est-a-dire dans une formule intraduisible -tout autant c¡ue le mot t111jheben -, aussi bien de l'allemand en fran~ais c¡ue de 1' allemand en allemand ou du fran~ais en franc;ais. Que veut dire en effet " a meme " ? Sú.rement pas une identité, c¡ue rien ne suggere, d' ailleurs, dans 1' érioncé allemand. Que veut dire an? aupres de, tout pres de, le long de, au ras ou au bord de. An der Form, cela ne fait pas un concept (mais au moins deux, si I'on pouvait les déterminer : le concept d'une forme et celui de son bord a la condition c¡ue le bord puisse en Ctre détaché pour y ctre ensuite de nouveau applic1ué, et a la condition antinomic¡ue que la diffé-

On passe alors au syllogisme de la réflexion, qui possCde « la Jélerminilé propre de la forme » (p. 334), et se dégage ainsi du vice du syllogismc formcl, lcquel s'énoncc ainsi : « Le défaut du syllogisme forme! ne consiste pas dans la forme du sy/logiJme, -elle cst bien pluh)t la forme de la ratíonalité, - mais en ce qu'clle n'cst que conunc forme t~bstmite, ct aínsi privéc de concept. )) (P. 330.) (Cette derniCrc phrase daos une longue Remarque consa· créc :i. la critique de la syllogistique formelle ct de son fonctionnement mécaniquc.) Une différence et une médiation de formes se jouent done bien a mCme la forme.

1 15. § 187, Remarque.

111

Page 58: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

La remarque spéctilative

rence du bord a la forme ne soit pas celle d'un dehors a un dedans, d'une forme it un contenu ... ) - cela ne fait pas non plus une proposition. Entre concept et proposition, comme entre forme et bord, dans ce double entre-deux, par une économie de l'interstice, de l'approximation, de la toute petite différcnce, cela ne fait rien d'autre gue faire parser, logigue­ment, a la suite, c'est-a-dire a la releve du syllogisme. Le syllogisme- la forme du rationnel - se releve et s'enleve sur une guasi-identité de sa forme, sur sa propre lisiere, sur l'altération d'un singulier tour d'écriture- Schreibart -, gui se remarque dans la mesure oU, s' écrivant, il ne veut presque rien di re. L' aufheben de la proposition passe ou se passe bien guelgue part : ici meme, a meme ce texte gui se pré­sente (Darstellung), dans cette formule dont la présence est aussi bien 1' évanouissement du concept gue 1' altération irré­versible de la proposition (" ceci est cela " se transforme en " ceci (se) passe a meme cela "). La modification de J'écri­ture, ce n' est peut·i'trc rien d' autre gue, c;a et ll, dans le texte de Hegel, un léger déplacement, un desserrement ou un gau­chissement imprimé, discretement, au modele prédicatif. La proposition se modifie dans une préposition (oserait-on dire : a meme une préposition, el1e-meme posée ou glissée a meme la proposition ?) - an, un petit mot gui suffit a faire jouer, a distenclre tous les rapports de stricte inclusion ou exclusion, toutes les déterminations de copule. C'est l'an gui emporte ou entraine dans le texte les univocités de 1' " etre " : et de meme que, au cours de l'aujheben, ceci n'est pas cela, mais cela se passe a meme ceci, de meme I'A11jheben " lui-m€:me " n'e1t pas ceci ou cela, mais (se) passe (de) sa signification a meme " lui-meme ". Car, on se le rappelle, le jeu syntaxique de 1' an est aussi celui de la sémantigue spéculative : la Remarq11e écrit :

« Il est réjouissant de trouver dans la langue des mots qui ont a meme eux-memes < an ihnen se/bst > une signi­fication spéculative. »

Le an forme ici le mode d'appartenance au mot d'une signi­fication qui se distingue de la (ou des) signification(s) ordi­naire(s) du lexique.

112

La proposition spée~tlative

La signification spéculative- l'a~tfheben- et l'~lljhe~en b f . r t la determtna-

spéculatif des propositions - re ' Sl _o~ ve,~ ' . ue " de tion entiere et appropriée d'une exposttlO~ _r!asttg

116 la philosophie, s'entra!ne sur une meme pre?"S!tlOn -dan .

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S h 'b 1 n' H est " s'il s'agit encare d etre, ou n ecn

e rei ar - ' '1 . e a toutes i " file entre les doigts ", comm~e t arnv gue ce gu

Jes déterminations : . , f T vec les déterminations

« A celui CJU1 n est pas, a~l 1.e~ ~ ui veut les ten ir de la subjectrvité et d~ 1 o~¡ecrt:¡~~e d~t v'6ir ces détermina­fermes en leur abstrac~ton, 1 a ¡ d · t < durch die · b t 't luí filer entre es 01g s ¿· tJons a s rat es ,.1 s'en aper¡;;oive et de 1re

Finger laufen > avan.t qd 1 ne 'il a voulu dire 117, » précisément le contrarre e ce qu ..

Si tire - lire le texte de 1' attf~;ben. fe~~~t ,tar~:7~ l~~~~; on voit (on lit) gue ce n'est pas temr ·el· , ne sub­, happer ou ph.itót se familiariser avec une flut tte, u .

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'ld 1 'l elle la sémantigue de !' attfbeben ne s attem~ qu<; d~ns e agu d r 1 lle n'mscnt nen

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• t nigue il prolifere sous dtverses formes, ou a nespasu, ', · sdans

... f es et sans jamais determmer son sen ' meme ces orm ' r t d t '1 ordonne tous les glissements textuels gu'on a pu tre, e on I

. . d' b ce an forme l'un des éléments 116. On ne pe_ut eviter. o s~rver d~e roces dialectique en général,

a la fois syn_tax¡que ~th sema':t~¿~~ent ~alheureusement traduite I?ar par r~xpressJOn a"! SIC. -.% loie aussi chez Hegel. D'~ne certam~ en 101, alors que m. m}. s e 1P. •. t' du Soi hégélien se ¡ouent auss1 fa~on, saos doute, l. asel_t~ et Ipset e du cóté de cette preposltt?~·

117. Encyclopédie, AdditiOn au § 194.

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118. D'une fa~on générale, la languc et le langage se trouvcnt Ctre toujours subtilisés daos le discours de Hegel. Ainsi, daos la Logique, toute la logique de l'expression logique (spéculative) se conquiert en particul:Cr par une subtilisation de la langue naturelle con"tre toutes les formes de symbolisation, notamment de symboli· sation mathématique, ainsi qu'on l'a déjol signalé (c'est l'une des constantes de la logique propre des Remarques); daos ces conditions on peut apprécicr. daos le texte suivant parmi d'autres. la subtilité (calculéc ?) du mouvemcnt qui doit présenter la langue : « Il est done tout a fait inadmissible < unpasscnd >. pour saisir < fassen > une telle totalité intérieure, de vouloir appliquer des ra_pports de nombres et d'espaces, daos lcsqucls toutes les déterminattoos tom­bcnt les unes en dchors des autres; ils sont bien plutOt le dernier et le plus mauvais médium qui puisse Ctre employé. Des rapports naturcls, comme p. ex. le magnétisme, les rapports des couleurs seraicnt, daos ce but, des symboles infiniment plus élevés et plus vrais. Puisque l'hornme a le langage < die Sprache > comme le propre moycn de désignation < das eigentümlichc Bezeichnungs· mittd > de la raison, c'cst une idée oiscusc < cin müssigcr Einfall > que de vouloir se tourncr vers un mode de préseotation < Darstcl~ lungswcise > plus imparfait, et de se torturer avec lui. Le concept ne peut, comme tcl, Ctre essentiellemcnt saisi < aufgefasst > qu'avec l'esprit, dont il n'est pas seulement la propriété, mais encore le pur Soi. 11 cst vain de vouloir le fixer < festhaltcn > par des ftgures spatiales ct des signes algébriqucs, a u profit de 1' teil extérieur et ú'un lrtÚJemenl < Behandlungsweise > VIde de co11cep1, méctmique, d'un calwl. De mCmc toutc autre chosc qui pourrait servir de symbolc pcut tout au plus, comme des symboles pour la nature de Dieu, exciter des prcssentimcnts et des échos du concept ... », et ainsi jusqu'¡\ la fin de ccltc Remarque, qui nc fera. plus autrc chose que la critique des symboles (Logique, li, p. 259). Le langage y a été, a peine posé, subtilisé - escamoté et évaporé, etjou rendu aussi subtil que l' « esprit ». Mais il n'est pas passé ailleurs ou au·delll. Tout se passe comme s'il se subtilisait en lui.mCme, daos l'évideocc de son Ctre·lll, an der Form. Et si la subtilisation est alchimique, íl n'y a pourtant pas id d' « alchimie du verbe >>; le langage se subtilisc daos le medimn ~u'il est. On sait que le langage commc med.;tun est l'analoqon de 1 ea u daos la chimie (ibid., p. 379); l'eau c'est le neutre de l'echange, du mélangc ct du passage, la dissolution (on en repaciera) des détcrminations; ct « l'cau neutre du début, olt tout cst contcnu, mais oU rien n'cst cncorc séparé » (f1.ncydo¡Jédie, Ad.d. § 206), c'cst 1' « cau spéculativc >) de ThalCs (Histoire de la pbtlOJnphie, trad. Garniron, 1, p. 47 sq.) une « eau spéculative )) qui n'cst pas une métaphore, un tour a,Joué ou avéré de langage. mais qui, bien plus subtilement, cst 1/lfllii:re, « matiCre saos forme, en opp?sition a la matiCrc sensible » (ibid.). Chaquc fois qu'il est « questwn » du langagc, une matierc saos forme s'inscrit a mCme la forme - ou, inversemcnt, la forme du concept s'écrit sur l'eau.

114

La proposition spécrdative

Une préposition : serait-ce done affaire de grammaire? 11 reste en effet a interroger la grammaire, si celle-ci représente bien pour Hegel, par différence avec le Iexique qui s' occupe du matériau du langage, ce qui concerne la forme du lan­gage 119. An der Form, cela voudrait·il dire: a memela gram­maire? et la vérité spéculative du processus dialectique devrait-elle se manifester en tant que grammaticalité? Sans nul doute : depuis que cette lecture de Hegel s' est entamée, nous " savons " que l'a11jheben met en jeu une grammaire, fílt-elle " autre ". Sans nul doute, done, - si, du moins, il nous était possible de déterminer au juste ce qu'est la gram­maire, sa nature et son régime propres. Et certes, il n·est pas impossible de reconstituer, a travers les textes, un petit traité de la grammaire hégélienne (on notera cependant qu'il faut le reconstituer, qu"il n'a pas de place marquée, et meme, on va le voir, qu"il generait plutót le systeme ... ). Mais en pro­cédant a cette rcconstitution, fílt·ce de maniere tres schéma­tique, on s' aper~oit tres vi te que quelque chose, dans la gram­maire hégélienne, résiste a ce qu' on voulait y chercher -I'aufheben -, ou bien, si I'on préfere, que quelque chose, dans la grammaire, résiste a Hegel.

On pourrait le dire tout simplement ainsi : la grainmaire hégélienne est confuse : embrouillée, et honteuse. Elle. se donne (puisqu' elle se donne quand meme, et qu' elle ne peut, étant donné les privileges du Iangage et de la langue, éviter de se donner), dans les textcs, a travers des formations .con­ceptuelles ou discursives intenables, toujours glissées d'ailleurs par Hegel comme en passant, et sans aller y voir de plus pres. Celle·ci par exemple, dans la Remarc¡ue de I'Encyc!opédie qui vicnt d'Ctrc rappcléc :

« J'élément forme/ du langa~e est l'opération de l'enten· dement qui introduit < einbJldet > en lui ses propres

119. Encyclopédie, § 4~9. Remarque.

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La remarque spéctdatit:e

caté~orics; cet instinct logique < logische Instinkt > ~ct en relicf < hervorbringen > ce qu'elles ont de gramm:l.tlcal <das Grammatische >. >>

Négligeons le systeme incroyablement embrouillé ( et saos do u te inextricable) de ces entrées et sorties, de ~es instances melées dont le dispositif logique reste indécidable. Retenons le " concept " majeur : le grammatical est le fait d'un " instinct logique ". Cette catégorie est saos doute un hapax, en tout cas une rareté chez Hegel. On trouve, ailleurs, plus d'un " instinct de la raison " ou " de 1'esprit ", catégorie téléologique toute disposée pour la releve de la nature vivante. lvfais le logique est, quant a lui, la releve humaine et spirituelle de toute nature. Qu'est-ce qu'un " instinct logique " ? la formule meme, peut-etre, de cette releve. Ce qui n'est saos doute pas faux. La grammaire est vraisembla­blement J'aufhebm de la nature (de la mere, du peuple) en esprit (la langue, la syntaxe). Hegel, pourtant, ne le dira jamais. Un " instinct logique ", c'est aussi, c'est surtout, une forme préliminaire, inchoative, et comme telle mal assigna­ble, de la logique - quelque chose qui ne se rattache pas expressément a la logique par le líen de l'aufbeben. La " naiveté ", dont nous savons qu'elle est, malgré tout, le lot de la langue, affecte aussi la grammaire.

e est pourquoi celle-ci se rattache plutot a la logique par le biais - extérieur et décalé - de la Bildtmg. Elle appar­tient en effet a la Bildung - la formation et la culture -, c'est-a-dire a cette terre d'élection des Préfaces, des textes hors-systeme, ou presque hors-systeme (tout, ici, se joue daos !'a-peu-pres), ou bien a cette catégorie -la" culture philo­sophique " - sous laquelle il arrive a Hegell20 de ranger toute la philosophie qui précede la sienne. La Bildung a tou­jours a faire avec 1' empirique- la grammaire aussi. Le texte le plus développé que Hegel ait consacré a la grammaire est un texte empirique, occasionnel, et dont la finalité est toute de Bildung : un discours de lycée 121. On y entend, certes,

120. Dans Poi el Sat•oir, par exemple. 121. Du 29 septembre 1809. Ed. du Jubilée, III, p. 231 sq.

116

La proposition spéculative

<JUe les " études grammaticales " " forment le commence­ment de la culture logique ", et meme " la philosi;>phie élé­mentaire "; on y apprend que " l'étude grammatic'ale d'une langue ancienne " constitue " une activité rationnelle " qui s'oppose a " J'habitude irréfléchie " daos J'usage de " la langue maternelle ". Mais la grammaire n'en reste pas moins, irrevocablement, en dehors du processus proprement et stric­tement logique, ou, plus exactement - si du moins on peut espérer ici quelque exactitude - elle n'appartient a ce pro­cessus que sur le mode d'une relative extériorité, c'est-a-dire sur un mode qui, pour nous (pour nous, lecteurs, et lecteurs selon le pour I!Ol!S spéculatif), reste toujours en partie iJli­sible. La grammaire est faite pour les enfants, son abstraction convient a leur age; elle n' est pas encare la véritable lecture, car ses abstractions

<e sont en quelque sorte les lettres < Buchstaben > isolées, et plus précisément les voyelles du spirituel, avec lesquelles nous commen¡;;:ons :i é.reler < buchstabiren > ce derniet, pour ensuite apprendre a le lire )).

La grammaire est la littéralité de 1' esprit, et 1' on peut ( on doit) bien entendre que, daos le texte de !'esprit, il n'y aura littéralement, ríen d' autre que les données grammaticales -mais il y aura aussi, par surcroit - et ce surcroit est indis­pensable -, la bonne lecture, la lecture courante, la lecture qui met le ton, qui met l'accent. A vrai dire, il y aura la con­sonne : la grammaire, comme on vient de le lire, est vocalique, elle murmure, comme la voyelle de Jacobi, elle o' articule pas. Or, " la forme de la proposition est la manifestation du seos déterminé, ou est l'accent qui en différencie le contenu "122. La grammaire - J'élément forme! de la Iangue - n'opére pas encare a meme la forme; ou bien, ce qui se passe a meme la forme qu' elle est n' est pas encare le passage logique et spéculatif. Ce qui se passe a meme la grammaire ne passe pas sans reste daos le passage; pas nettement du moins, pas distinctement : entre le bruit et la paraJe articulée, la gram­maire anonne. Et lorsqu'on passe an der Form - dans la

1~2. Phénoménologie, trad. Hippolyte, I, Préface, p. 54.

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lccture de l'exposition plastique - la grammaire est laissée pour compte. I1 n'y a pas d'rmfheben proprement dit de la grammaire, ni d' a11[heben proprement dit dans la gram-maire 123. -

123. A cctte position singuliCrc, irrésoluc, de la grammairc, il f:mt cncorc r;tttachcr l'analysc de quclqucs autrcs tcxtcs. Tcl cclui de l'lntrod!lci!Oil Jc la Logir¡m: (1, 39-40) dans lcquel pour indiqucr 1~ rapport de l'i~dividu :; la Bjld1111g' logique, H~gcl mCnc un d1s~ours. doublc, a 1~ log¡quc dcconcertantc : ¡o il compare la log¡quc a la gramma1rc, commc dcux trajcts analogucs mcnant de l'abs~_rac~io~ jusqu':i la richcssc de l'csprit (« Cclui qui maitrisc < _macht,g tst > une languc ct en connatt aussi d'autrcs en compa­rats<;m ~vcc. elle, c'cst a lui • seulemcnt que peuvent se donner a. sentir 1 cspnt ct la culture d un peuple, daos la grammaire de la l~nguc. »)_; 2° mais, au beau milieu du paral1Cle, on découvre que la nchcsse fmal.e de la culture grammaticalc ouvre sur la logique cl!c-méme (« 1! pcut a travcrs la srammairc < durch die Grammatik hmdurch > reconnaitre l'exprcsswn de !'esprit en général la lo8i~ que ». On notera le « durch ... hindurch » : durch seul voudrait dtre (( par le moycn de )) - durch-hindurch veut dire (( en passant a travcrs », ce qui implique qu'on s'y enfonce, comme daos un bois ct q~'on en s'?rt, c_omme la lumiCrc d'un corps tr.ansparcnt ... ). Ric~ nc v1cnt cnsmt~ rcso~Jre ce mé!an,ge de comparaison ct de consé­t;~uc!"lcc, - J..fa¡s ausst ces tcxtcs rclatifs au fait que la grammaire J~ÚJenne - ou plus largemcnt les grammaircs des peuples « primi­tJfs >>- sont_p_lus dévcloppé~s que les grammaires modcrncs, déve­lo~pcmcnt qu¡ ¡urc avcc cclUJ des autres éléments de la culture et <]Ut contrarie la logi'l:ue de l'histoire. Ce fait tourne a la confu;ion du, pcn~cur. Hegel 'évoque dans la Remarque de l'E11cyclopédie q~ on_ VIent d.c.~tter, et dans la Pbilosopbie de l'histoire: cf. (trad. GJ_bc!•~. mod1ftce) sur les Indicns, p. 122 et 124, sur les peuples prtm¡t¡fs - restes « aphones et mucts », saos histoire écrite -

· p. 56 : << C'cst un fait < Faktum > établi par les monuments 9ue les langu~s, pcn~ant l'état barbare d_es peuples qui les ont parlees, se sont devcloppees au plus haut pomt, que l'entendemcnt se dévc-1oppant .ave~ sagesse s'était, appesanti sur ce domaine théorique. La ~r.amma1re ctendue et co':scquente est l'ouvr~ge _de la pensée qui y Ía1.t rcmarquer < bemerklJCh macht > ses catcgor1es. C'cst cncorc un f~1t < Faktum > qu'avec le progrCs de la civilisation [ ... ) ce d_evcloppement de l'entendement subit une usure [ ... ) - c'est Ia un sm~¡;uher_ phén_omCne < ei9e~tümliche~ P.h~nomen > que le progrCs ~n se_ spiCltuallsant [ ... ) negllge cette JUdJcJcuse minutie et judicicusc mte!l•gcncc, y trouyc de la 1g~nc. ct fait que I'on puissc s'en passer. » (Cf. la Rauo_11 dam 1_ htJio!re,. trad. Papaioannou, pp. 195-196) ... R:mar9ua?l~, b1zarre (etgetJirtmltc? : propre, sin,guliCrc, une pr?pnctc ;cste7 a l a~afl:don), la srammaire est en reste dans le pro­gres de I_espnt. lv!aJs 1I faudra1t alors se dcmander ce qui reste Jans la nchessc d une languc moúeroc (et dans la pauvrcté de s~

118

La proposition spémlative

La grammaire traine done avec elle - chez Hegel comme dans toute une tradition philosophique 124 -l'incurable empi­rie de ses commencemcnts aicxandrins : scicnce - ou piutót tcchnic¡ue - des lcttres, science- ou plutot pratique- des textes. Et cependant, ce n'est pas par hasard c¡ue J'empirie grammaticale est le moment de la forme c¡ui, pour pouvoir etre vraiment considéré et traité dans la Remarque sur le lan­gagc (laguelle appartient, dans 1' EncyclojJérlie, a u chapitre de I' imagination), cxigerait que 1' on " considere par anticipa~ tion le point de vue de l'entendement ", a partir duque!, de nouveau, on pénétrerait dans le syllogisme (cf. Encyclopédie, ~ 466 et 467). La grammaire appartient au procios dialcctique, mais sur le -mode d'une " anticipation " qui ne sera jamais, pour elie-méme, éiucidée, qui en restera, confusément, 3. sOn exigence. Pourquoi évoquer, sans Ia produire, une '~ antici· pation ", au lieu d'attendre le moment opportun (le moment relevan!, comme on dirait en vieux franc;ais, ou en allemand) pour traiter de la grammaire? Mais en fait le system~ a bie? plutót toujours déja " anticipé " que ce moment ne v1endra1t pas.

La grammaire en effct ne peut " cntrer " ( on va voir que cette" ,entrée "n'est qu'une fac;on de se glisser en coin) dans le proces dialcctique que par le bas - pour ainsi dire -,

grammaire) de ce dévelopement perdu -- par exemple, ces reliefs d'étymologie que Hegel, sans étymologis~e consé_ql!ent, disperse da~s ses textes. Restes, en tout cas. non pas d une ongme prodtgue, rna1s restes de restes, d'une excroissance ou d'une aberration de la grammaire barbare.

124. C'est pourtant aussi cette tra.dition qu~ a. toujours cherc~1é a s'emparer log¡qucment de la gramma1re---; ma1s, a Port-Royal meme, une différence irréductible, si petite SOlt·clle, passe encare. entre la Grammaire générale et raiJ01mée et la Lo¡{ique. La grammaire propremcnt ditc ce sera toujours, malgré tout, Vaugelas et son doublc principe de l'ruaf{e et de l'm~alof{ie, oU « la raison n'est point du tout considéréc », et qu'il faut comparer a la f?i : en l'un et l'autre cas « nous ne laissons pas de trouver de la ra1son aux choses qui sont par.dessus la raison » (l~emarques sur la lanf?ue franraise, Préfacc). Hegel, a ce compte, acccntuerait plutót l'écart_ : une « grammairc étenduc et conséquentc >) - formule qu'on a pu hre dans la note précéJcnte - n'est mCmc pas une « grammaire générale et raisonnéc >> •

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La remarque spécttfatwe

daos la positiOn du moment le plus extérieur a ]'esprit, a !'esprit tout court et a !'esprit spéculatif de la langue, ou daos une position que 1' on pourrait di re, afin d 'en marquer la nature a la fois dialectique et non dialectique, d' excessive extériorité. Ce qui s'énonce d'un mot ·: la grammaire est mécmziqlle, Le mécanisme grammatical, le mécanique daos la Iangue en général, est ce qui rend - mais obsrurément -raison de la confusion de la grammaire hégélienne : il met celle-ci en jeu daos un A11jheben dont il bloque immédiate­ment le fonctionnement. Dans le discours de 1809, Hegel déclare :

« le cOté mécanique de l'étude des langues est plus 9u'un mal nécessaire. Car le mécanique est ce qui est ctranger a !'esprit, dont I'intéret se porte a digérer < verdauen > le non-digéré < Unverdaute > qui a été introduit en lui, a comErendre < verstiindigen > ce qui est en lui encore saos v1e, et a en faire sa propriété. -A ce moment < }..foment > mécanique de I'étude des bngues se rattacbent au reste tout de suite les étudu grammalicalei <das grammatische Studium > ... ».

La mécanique grammaticale est done un moment, et par con­séquent un aujgehobene. La situation, pourtant, reste confuse, et pour plusieurs motifs : tout d' abord, comme nous le savons déja, cette mention du moment grammatical ne figure que dans un texte marginal, hors-systeme, un discours de Bildrmg; ensuite, on a pu voir dans que! singulier chaos métaphorique se déplace cette phrase, qui ne va pas a moins qu'a digérer des machines : un certain embarras, un engorgement du style, réponJ ici a un embarras certain de la dialectique, et tout se passe comme si, a. son comble, e' est-a -dire aussi dans son moment le plus nécessaire (attjheben de 1' " étranger " et de !'esprit), la dialectique de la Iangue s'excédait elle-meme, ou comme si, dans la langue, la dialectique connaissait un moment excessif, un passage par 1' étrangeté absolue, passage irrémédiablement partagé - non relevé - entre la reprise de l'aufheben et l'immobilisation sur une mécanique. C'est du moins ce qu' il faudra bien constater, pour peu ·qu' on exa­mine d'un peu plus pres cette mécanique : on y verra que, d'une certaine maniere, marquée de fa~on insistante par des

120

La proposition spéCIIIative

accidents, des confusions ou des silences de la machine a calculer le texte hégélien, la grammaire ne s' en rel~vera pas.

L'un de ces accidents - ou !'une de ces confusions - se produit ici, précisément, la ou nous lisons que 1~ grar:'m~ire est le moment mécaniqtte. Car le Moment, cette denommahon " passable " de l'aufheben réfléchi, n'est lui-meme ri~n d'autre que le nom d'un méc~nisme, ou d'un élé.met1t. de mécanisme - et 1' on a pu vo1r selon quelle ambigUite ce mécanis.me venait fonctionner dans la Remarque de 1' attj­heben : sans qu'on puisse absolument décider entre I'emprunt métaphorique et le glissement d'identité. La significati.on de "' Moment " n'a pas été relevée de son statut mécamque d'une maniere ou d'une autre, c'est plutot le Jevier " lui­meme " qui procede, dans la mécanique de ses rnoments, a la releve dialectique. Ce gui nous précipiterait tres vite d":ns la justesse inattendue d'une singuliere littéra.Iité : _Je le~Ier releve- et, par conséguent, il Y. a.une mac~me ·~peculahve. Contradictio in adjecto, et contradichon non dmlect1que. Q~e~­que chose, ici, fonctionne mal, ne passe pas. N e se pourrait-II pas que l'exces ou le blocage m~canigue (grammatical} inter­vienne précisément, par le lev1er, dans le texte meme de 1' attjheben? Que le levier, a u Ji e': de so':lever -; ~t t;ncore moins de relever -- quoi que ce so1t, fonctwnne, deregle, tout autrement, comme un blocage ?

[c'est-.1.-dire, qttant aux contrainte¡_ mé~aniq_ues de la c~mposition, en termes d rmprrmerte : bloca~e = !eures retournées, et qui som proz,isoí­reme'rll employéu pour tenir la place des le/tres qui manquen/ (Lillré). Or l'imprimerie es t. rme mvetJtio,z mécanique (a u service) d'une _releve : « L'imprimerie a sastisfait le besoin d'etre en relations les uns avec les autres sur un mode idéel » (on souliJ:ne- Philosophie de !'histoire, éd. du /ubilée, XI, p. 517). JI est vrat que, un peu comme la ~rammaire, cette inventjon. est déjd. resth bloquee que/que part dans l'hutozre: chez les Chinoir car ceux-ci (( en resten/ a ?,raver les lettres Jllf' d~J tablettes de boÍJ el a imprimer emuite," ils Í¡{norent totalement les lettres mo­b;les >>(id. 189)]

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Út remarque spéCII!ative

Le mécaniquc, en cffct, cst toujours plus ou moins, ct si peu que ce soit, en reste dans le proces dialectique. Une fois annulé dans le syllogismc, le conccpt se fait objet- passage " étrange " (frern<:lartig) et que la syntaxe des propositions ne saurait exprimer 125, objet dont le premier momcnt cst le mécanisme. " Ce qui constitue le caractere du mécanisme, e' est que, guel que soit le rapport gui a lieu entre les éléments liés, ce rapport leur est étranger, et [ ... ] ne reste rien de plus gue jllxtaposition .< Zusammcnsctzung >. mélangc <Vcrmischung>, accumulation <Haufcn>, etc. Comme le n:t::anismc matériel, le spirit11.d co_nsistc aussi en ccci, que les elemcnts en rapport dans 1 espnt restent extérieurs les uns aux autrcs et a !'esprit Iui-mCme 126. "Le mécanisme accu­mule sur lui tous les traits de ce que 1' on pourrait etre tenté de nommcr un contre- ou un noo-rmfhcbell, s'il n'était plus cxact, e' est-i-dire, en 1' occurrence, plus déroutant, d'y voir un b/ocage en tous les sens du mot. Si la grammairc cst méca· ni que, une ccrtaine forme ct une certaine '. formation de Ja logi_gue s'y trouven~ pa~ conséguent en position de blocage. Mats JI y a plus : 1 acCident aggrave ses cffcts, la confusion s' étenJ, s' il faut bien suivre dans le tcxte de Hegel le sin­gulier réseau d'un échange permanent entre la langue et la mécanique.

Si le mécanisme cst un momcnt dans la langue, certain us:tgc de la langue, en rcvanche, cst un paradigme du mécanisme, ct du mécanisme le plus mécanique, si l' on ose di re, du mécanismc forme/:

,« ~e mCmc qu~ la prcssion et le choc sont des rapports mccamques, de meme nous savons aussi de fa~on mécani­que, par ca:ur, dans la mesure oU les mots n'ont pas de scns pour nous ct restcnt cxtérieurs au seos a la rcpré-sentation. a la pensée. )) •

Cette Rema:gue au § 195 de I'Encyclopédic n'est pas seu­lement mso!Jte dans son contexte (le chapitre du mécanisme) : eiJe prépare et contredit a la fois le moment de I'aufheben

125. Encyc/opéJi(, § 193 ct Remarque. 126. Logique, Il, p. 360.

122

lA proposition spéculative

du langage dans la pensée (§ 463 a 465). Car ce moment sera celui de la suppression du seos dans la " récitation <Hersagen> par c.u:ur ", c'est-3.-dire dans la u mém-oire machinalc "; celle-ci constitne " le passage a J'activité de la fmiséc <¡ui n'a plus de signification " La machine de la mémoire, la machine a vider les mots de leur sens introduit dans 1' élément de la pensée - dans ce " pur élément " dont Hegel ne cesse, a tout moment, de répéter gu'en lui seul pcut se produire et s'articuler la spéculation ef· fectivc. Pour accéder it cet élément, il faut gue le dis­cours se bloc1ue sur la récitation. La langue r~citée est un paradigme du mécanisme - elle en est peut·etre le paradigme ( et du meme coup, si 1' on ose dire, la syn· taxe) - paree que, peut-etre, dans le proces dialectigue, le · mécanisme n'a d'autre fonction que cclle de bloguer le dis· cours sur ce vide, a mbne sa forme. - Dfs loes, dans ce passage par legucl tout le Jiscours se releve en pensée, la " releve " elle-meme passe par la machine : ne plus avoir de signification, c'est, pour aufheben, ne plus avoir deux signi· fications lexicales, mais une seule, spéculative .

La signification spéculative - qui fait a la fois le "sens " du mot at¡fheben et le produit du proces d'aufheben - est ainsi ce qui n'a arwm sens: non pas cependant sur le mode négatif du non-seos ( qui serait unilatéral), mais pas non plus sur le mode d'un sens relevé (malgré l'expression " la signification spéculative ") -carla madline n'a pas relevé le scns, elle J'a épuisé. Opérant a la meme forme, elle a sup· primé le sens et conservé Je mot vide, faisant ainsi figure d' aufheben, mais au prix d'un déplacement inadmissible pour 1' aufheben " bien entendu " (1' opération mécanigue ne serait une Aufhebrmg qu'a la condition de considérer gue le mot et le sens sont rigoureusement la meme chose : ce gui, étant donné le " socratylisme " hégélien dont on a du parler, n'a lieu, tout au plus, que pour les mots spéculatifs, mais au prix de réserves ou de gauchissements extremes : ou bien ce sens est" na'if ", ou bien ce n'est aucun sens). 11 n'y a pas d't~~tjbcben en un ~cns relevé - il n'y a, récité ~a ou la dans le texte, gu'un aufheben qui n'a pas de sens, qui n'a

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pas 1': sens - o~ que le sens n'a pas. - On y passe par la mach10e de la mcmotre, de cette mémoire dont le nom, Hegel le remarque aussitót, est lui-meme un mot spéculatif :

« A la mémoire < Gediichtnis > dont i1 est devenu un préjugé de parler avcc mépris, notre bngue attribue déji la haute situation d'immédiate affinité avec la pensée < Gedanke >. »

Mais ce passage par la machi o e a u nom spéculatif, e' est-a -dire " la. corrélation organique de la mémoire avec le penser ", " votla !'un des points jusqu'a présent tout a fait négligés, et qut est en réalité !'un des plus difficiles daos la nature de !'esprit. " - Difficile (schwer, lourd ... ), en effet, si l'on considere que 1' explication que 1' on pourrait, en partí e du moins, attendre (mais il faut pour cela retourner au moment du mécanisme, a I'Addition au ~ 195), l'explication de la mémoire par la nature de la mémoire, par la machine elle­meme, est interdite, saos autre forme de proces : ·

«. Dans le domaine aussi du monde de !'esprit, le mé­can!Sme a. sa place, une place, toutefois,... seulement subordonnee. On parle a bon droit de mémoire mécanique et de toutc;s sorte~ d'o{'érations mécaníques, comrne, par exem.I?le, ltre, écnre, JOUer de la musique, etc. Pour ce qu1, .~ ce p~opo~. concerne plus prédsément la mémoire, l,a rcantere mecamque de se. comporter appartient rneme a son essence... Cependant 1l se montrerait comrne un mauvais psychologue celui qui, pour approfondir la nature de la mérnoire, aurait recours a la mécanique 127, >)

Le passage au seos spéculatif - la releve qui, a meme le mot, a !Ieu daos a11fheben et des sens opposés d' a:tfheben -s' opere par une machine soustraite aux lois de la mécanique, saos pour autant qu'elle en connaisse d'autres. La mémoire

127. Cette subordination du mécanisme cette position étrange d'esd:lVe non relevé et non relevable -'bien que formaat une m~chn;te releva~te -, ou cette espi:ce d'indécision ou de blocage p1ecamque de 1 aufheben, se laisse remarguer en plus d'un endroit chez Hegel. Par exemple, au moment décistf oU la téléologie va assu~ r.e~ le passage de l'objet a l'Idée : « Cette relation [l'activité fina~ ltsee] est la sphf:re du mécanisme et du chimisme maintenant au Jervice du but, qui en est la vérité et le concept libre. Ce fait que le but subjectif, en tant qu'il est la puissance disposant de ces processus daos Iesquels I'objectif s'use < abreibt > et se releve daos

124

La proposition spémlative

répete, a ce compte, les singulieres propriétés du levier. Ni l'un ni l'autre ne sont des machines d'ingénieur, mais ils ne sont pas non plus la vie du seos. Ils sont plutót des " méca­niques " au sens anclen qui se disait des hommes frustes, illettrés, voire stupides ou crétins. OU l'on retrouverait une certaine " na'íveté " de la langue. 11 faudrait, si on le pouvait, forger pour eux le concept bizarre de machine ndJve- mais une machine pourtant, et qui n' a pour se signaler que son nom spéculatif : Gediicbtnis, dont la spéculativité s' emprunte elle-meme a quelque ressort, mécanique ou machinerie de la langue.

Entre grarnmaire et mémoire, la langue, a meme sa forme, se résoud en mécanisme. ~canisme résiste a [alf.fhebet} ---:---_ et_¡:é_c_ip~oquement. !)un __ ou.J~a)ltre _es t. _de tr9p. Confusé­ment, et paradoxalement, tout se passe comme si, daos la Remarque de 1' Aufheben, une tension discrete, mais puis­sante, et paralysante, disjoignait irrémédiablement les deux póles et les deux noms de la releve, le spéculatif et le méca· nique, la Iangue et le levier, I'Aufheben et le Moment. La machine na'ive n' est pas un appareil discursif qui assurerait, par propositions réglées, l'articulation de l'aufheben; elle le désarticule plutót; et paree qu' elle n' est pas savante, elle est d' ailleurs a peine une machine : plutót un mécanisme, incom­plet ou rompu, ne fonctionnant qu'a moitié, ou par a-coups, bloquant le discours sur une tension a peine soutenable.

le contact de ses éléments les uns avec les autres, se tient lui-mc!me en dehors d'eux et est ce quí en eux se cnnsert-"e, est la ruu de la raison » (E>~cyclopédie, § 209). Ainsi : 1" !'aufheben de l'objet se déterrnine (en tout cas se contamine) par !'usure simple; 2° le subjectif se conserve, hors d'usure et d'aufheben, hors d'atteinte des rouages de la machine; 3o le tout est la ruse de la raison, manifeste avant tout, on le voit, en tant que ruse du texte de Hegel, qui, ici, évite au sujet les dernii:res rigueurs mécaniques de I'aufheben. De ¡:e « bon >) mot, il faut done, pour bien spéculer, savotr se servir a bon esdent, habilement ...

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Ce qui pcut résoudrc - ou briscr - cette tcnsion, c'cst le mot. Le mot, et spécialement le nom, auquel tout ce par­cours de la syntaxc nous aura irrési.stiblcmcnt rruncnés, dcpuis quclques pages déja,_Le nom seul peut échapper a la machine, o u la rcmettre en marche (ce gui, étrangement, reviendrait au meme d1<:·z Hegel - étrangement, e' est-a-dire de fa,on te!le qu'un H mot ", seulement, pourrait en " dire " quelque chose : par cxemple, l'écbr~ppement, qui cst un mécanisme de régulation ... ). Les mots, ct non la syntaxc, formcnt le con­tenu du Hersagen} de la récitation mécanique : " on récite les mots sans se référer a Jeur sens ". La proposition dislo­quée, les parties du discours sans rapports, tout se déroule comme dans la grammaire la plus élémentaire : on " épele l'esprit " - et c'est alors qu'on se relCve; épelcr, c'est lire; réciter, e' est penser. Mais alors les mots qu' qn prononce sont vides, sans cesser d'etre les mots 128. Ils n'on,t pas de sens, et la bonne Jecture ne consiste pas a mettre le ton. Elle forme au contraire l'évanouisscment de cct acccnt autour duqucl on a rcconnu, dcpuis quclque tcmps, gue tout ici devait se jouer.

« La récitation de ce qui est ainsi su par cccur se fait done spontanémcnt < von selbst > saos accent < akzent­los > 129. »

Le mot n'échappe pas a la machine pour restituer le séman­tigue hors du syntaxigue, pour dégager la pureté d'une ono­masticluc ou mCmc d'unc éponymic spéculativc- il n'y a pas de spéculation verbale; le mécanisme d'échappement produit un mot sans acccnt, un mot Jont la machinc a usé l'accent.

128. Ils ne se confondcnt pas en effct avec la syl1abe uniquc, équivalcnte au néant, - « Om, Om, Om » - que ré_pCte << inté· ricurcmcnt » le « brahmanc », « consciencc brumcusc, vtde >> (Lo;:i­que, 1, 83). Ce n'cst pas une voix intérieure qui parle daos ces mots. Est-ce encorc une voix? Oui, mais a la condition d'cn déplier avec soin la structure supplémemaire : cf. ]. Derrida, la Voix el le phéuomhu, ch. VJI. Aussi la récitation ne rcconduit-elle pas a la voycllc originelle de Jacobi, en attcnte de son accent. On épCle « les voyellcs de !'esprit >), mais cHes sont plurielles, ct la situation n'cst pas d'originc : on perd l'acccnt. Au licu de fairc naitrc un langage, on Jéfait ou plutOt on déroutc une langue.

129. Encyclopédie, § 463, Remarque.

126

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La propoútion spéculative

L'aufbeben n'a pas Jicu " dans " la proposition, mais a meme sa forme, comme la perte de J'accent, c'est-a-dire comme une pure métrique 130 :

« Le conflit de la forme d'unc proposition en général et de J.'unité du concept q~i dét~utt < z.erstO~en > cette forme est analogue < ahnltch > a ce qut a heu daos le rythme entre le mCtre < Metrum > et l'.a~cent < ~kzent >. Le rythme résulte du balanccmcnt medtan -:<. dte. schwe­bcndc Mittc > entre les deux ct de lcur umf.tcatton [ ... ] La forme de la proposition c.st la f!l:t'~ufcst.atton du sen~ détcrminé ou cst l'accent qut en dtfferenc1c le contenu. mais le f~it que le prédicat exprim.e la sub~tance. e~ q~u: le su jet lui-méme tombe daos l'umversel, e est 13. 1 um/1 daos laquelle cet accent expire < verklingt > 13t. >>

Ce texte précede, d' un alinéa, celui gui énonce la néces­sité, pour la Jecture-écriture plas~igue, de re!ever. la fo~me de la proposition - le texte gm nous a, d entree ~e ¡eu, interdit de saisir directement !'aufbeben dans le d1scours hégélien. L'aufbeben de la syntaxe ~e' est-a-di;.~/~ fYn;axe (l' " cxposilion ") de l'rlllfbeben - a do_nc dc¡a etc· deter­Ininée comme un zerstOren, une destrucuon. Non pas ~u profit d'un sens mais d'un metre - Metrum, un mot latm, transcrit te! qu~l - qui subsiste seul Jorsque. !' accent s' est éteint, ou qui, comme la récitation, va de .so: saos accent. L' a11jbeben va de soi sans a;cent - la _sy~log•shque, ~a for.me du rationnel se regle de sm dans la metngue. La releve n est

!Jas un rytlu;1c un " balanccmcnt médian " entre deux termes ' ' • El! t · lle " est " ou deux póles tour ¡}, tour accentues. -. 7 CS , SI C, • '

mt:trc sans poésic, mécanisme sans mad~mc ac~u~~ce, d1~c~urs sans accent. C' est ainsi que son mot s est ghsse, parm1 les mots et comme au coin ou au détour des propositions, pour artic~ler ce que ni syntaxe ni signification ne peuvent dire. Ce mot - aufbeben - s'énonce du metre sans accent, ou se prononce lui-mCme saos accent.

130. Elle-méme précédée ou doubl~e d'une autre ~o.rme, plus Jittérale ou moins Iittéraire, de mécamque ~e .la proposttton : .celle du « choc en retour >?• de !a ~< ~~sse qu, predtcat >? et du « potds >) qui « retient la pcnsee >>, a 1 almea precedant celut que nou~ allons dtcr.

131. Phénoménologie, trad. Hippolyte modifiée, I. p. S4.

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La remarq11e spéCII!ative

Voici comment se lit le texte de I'At~fheben : de far;on métrique, mécanique, a meme sa forme, d'une voix neutre, en parlant daos J'eau- " l'cau, qui est sans-cohésion, ne pro­duit pas de son, et son mouvement, comme pur frottement extérieur de ses parties, purement et simplement déplar;ables, ne donne qu'un bruissement < Rauschen > 132 "

[Voix d'aujheben? - « Je me prl)pose, sans efre ému, de déc/amer ti ¡rande t'OÍX /a sJrnphe sérieuse et froide que tJous allez entendre ... Soyez néanmoiriJ, si vous le pouvez, auui calmes que moi danJ cette lecture que je me repem iléja de vous offrir ...

Viei/ océan, artx vap;ues de cristal ... Viei/ océan, Jt¡ el le IJmbole de l'identité]

132. Encyc/opédie, § 300, Remarque.

128

5

le mot, le spéculatif

« Ú ni té et différence rendent avec un son pauvre et médiocre, par exernple en face de la splendeur du soleil. en face de l'est et de l'ouest, ce fait que chaque chose a en elle son est et son ouest. Mais l'Evangile sera prCché aux pau. vres, et ils verront Dieu. »

(Wastebook, o p. cit., p. 561.)

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[11 va de soi qtte si l'on pottvalt condure -.rch/ieue11 - ce serait, a préJent, chose faite. Maii le coup serait mal calculé. La voix neutre n•a pas « un 1011 pauvre el médiocre )), Eblouis· Jtmte plutót, elle aun011ce encore la bonne paro/e.]

Aufbeben : le mot qui se prononcc sans accent n'est pour- . tant pas une syllabc vide, ni un bourdonncment d'avant la voix. Relisons, d' ailleurs, du ton plus neutre qui convient a la lccture, et singuliercment a celle d'une remarque :

« Rclcvcr ct le relevé (l'idécl) est un des plus im­portants conccpts de la philosophic, une détcrmination fondamcntale, qui nc cesse. purcment et simplement, de faire retour partout, dont il faut saisir le sens de facon déterminée, et en le distinguant, tout particulii:rement du néant. - Ce qui se releve [ ... ] a etJcore a mime soi la déterminilé de /aquelle il provienl. )>

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Page 68: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

La remarque spéct~/dJive

et, plus loin :

• « Le se':ls et l'exprcssion plus précis que l'etre et le neant possedent en tant qu'ils sont désormais des mo­mentJ ... »

Si tout le mouvement - ou les mouvements - du corps de la. Rem_arq~e sont faits r;>ur l'effacer ou pour la brouiller, la determtnatiOn du seos n en forme pas moins le début et la fm.E}ufheben n'est pas un mot au-dela des mots, il n'est pas u~ _neant de seos, ni le nom impronon<;able d'une puissance dtvtne. Il a la déterminité a méme soi - an sicb - c'est· 3.-dirc ;J~'il a :l méme soi, sans synta..,e, ce que proPose la proposttwn. • II_ ne s'efface done pas. Il forme plutót, si l'on peut dire, a }ut s':"l; la syntaxe. Il la forme en se pronon<;ant, de fa<;on d.~tern;mee. I1 se prononce, de moment en moment, te! qu'il s tnscr!t daos le texte du livre de philosophie, et te! qu'on peut 1 y ltre._ I1 Y, prend ainsi, désormais, un relief exception· . nel. Un relref n est pas un accent : c'est une éminence et c'est un reste - double sens qui, on le voit, n'a rien' de spéculatif (par l'étymologie latine comme par l'usage que n?us e?- ferons ici, le relief est le doublet, ou le double, non· d1alect1que de la releve). - Aufheben et tous les mots spé· culati!s, c:est ce qui reste, quand, a meme la forme, et par le_reh_ef _d u~ an, la forme et son accent ont disparo. Et ce qui fa1t atns1 sa!lhe - les cretes des vagues sur 1' eau bruissante -, e' est a la fois, eh ague fois, le pluriel dispersé des mots spéculatifs, et le mot comme te!, le mot remarquable (" auf­beben " ou un autre - mais attfheben, quand méme), le mot qui est le spéculatif, mais qui 1' est sans synta.xe, saos copule : le mot, le spéculatif (ou, pour etre plus précis : " le mot, virgule, le spéculatif ", soit peut-étre encare, en f~rme de proposition : le mot virgule le spéculatif, puisque VIY!Jiller est un verbe, l'action de marquer la virgule, la plus p~t~te des p_auses. I1 y a, daos le spéculatif, en trop, ou de b!a~s, ~ne v~tgule, un petit batan, une petite verge). C'est il. ce rehef du mot qu'il faut encare s'intéresser - ou, plus exactement, a une série, discontinue, discrete ou heurtée, de reliefs.

132

Le mol, le spécu/atif

La série entii:re sera d' ailleurs prise, saos étre pour autant achevée, et ~ans que sa raison s'y. laisse propreme~t calculer, entre. ce qm reste du mo~ en rel!ef, au début et a la fin de la Sctence de la Logique. (C'est-a-dire, entre deux détermina­ti~ns, selon un mou~ement ou un scbéma qui répi:te peut·i'tre tn;s ":'actement celm de la Remarque : celle-ci va de la déter· mmat10n du seos d'un concept a la position de la déterminité du Dasein,_ et l' on verra saos peine quelles correspondances - au m01ns - se laissent établir entre ces extrémités et celles de la Lo gique. La science de cette dernii:re est comme on sait, un " cercle de cercles "133 : le plus petit de ces cercles - le plus intérieur, si on veut le dire ainsi est alors peut-etre celui de la Remarque d' aufheben, et ce texte annexe forme ainsi l' abyme du texte 134.) La Lo gique, en effet, a commencé, on s'en souvient, par le " mot vide ", le vide du mot éomme immédiateté de !' etre. Elle s' acbi:ve en se présentant elle-mi'me comme la présentation de la disparition du mot : " La Logique présente done le mouvement·de-soi <die Selbstbewegung > de l'idée absolue seulement comme le mot origine!, qui est une extériorisation, mais une extério­risa~ion ~el! e que, en tant que quelque chose d' extérieur, elle est Immedtatement de nouveau évanouie < verscbwinden > tandis qu'elle est < indem sie ist> 135. "-Saos doute ce

133. JI, p. 504. , 134. On peut ainsi mieux discerner ce que nous avons tenté

d a:rancer plus haut : cet abyme spéculatif composerait en lui l'abyme opttque spéculaire, d'un jeu infini de reflets - et l'abyme ou l'abime héraldique. Ce dernier, centre ou cceur du blason entre ses fla~c.s, ses p~ints et se~. cantons, au-dessus de son nombril, est la pos1t10~ obl1gee de. la ptece ou figure lorsqu'elle est unique (elle est ~lors .dtte « en abtme »). Dans ce cas - au reste peu fréquent -1l arnve so~veot que la figure répete la couleur (o u le métal, o u la fourrure) d .une aut~e partle ~u blaso~ (sa bordure p. ex.), et aussi ~e cette ftg_ure sott elle-meme un ecu. Blason dont le food se ~ arge en abtme d'un autre blason - répétition décalée qui donne a vot_r et a. blasonner (3. ,déchiffrer. a ({ expliquer en termes propres et SU!Vant 1 art))- _ou ,bte~, au se~S fiKuré, 3. médire OU 3. parodier). Do~blant .au.plus pres _1 ophque ~ht~osophique, cette héraldique aurait t!?UJOU_r~ a _hre un reltef dans l'abtme, un écart ou un écueil dan:, 1 tdenttftcatton de l'Absolu.

135. Logique, ll, p. 485.

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La remarq11e s¡;éc!l!ative

qui se trouve ici énoncé sous la forme d'unc Jimitation (tutr) de la Logique eorrespond-il, en effct, a la position de momenl qui est eelle de la Logi9ue clle-meme; eette derniere doit en effet ctre relevée dans le systeme, dont elle nc eonstituc aprcs tout 9ue la forme. Mais le moment logique - préeisément paree 9u' il est le moment de la forme, et que la forme de eette forme, eelle du syllogisme, ne " passera " pas - est aussi bien eelui de la releve de tous les autres moments; Hegel vient d'écrire : " Le lo,~it¡Jte de l'Idée absolue peut aussi étre nommé un mode .< Weise > de celle~ci; mais en tant que le mode désigne < bezeichnet > une sorte particJt­liere, une déterminité de la forme, le logique est alors au contrairc le modc univcrscl ,< allgcmcin >. dans lcqucl tous les modes particuliers sont relevés et enveloppés < einge­hüllt > 136. " - L'évanouissemcnt de l'extériorité du mot est done aussi bien le passage dans la forme universelle et définitive (p!Jts Jt!l mot) - qu'il est le moment évanouissant a !' extrémité duque! le mot, dans une nouvelle extériorité, ou dans son extériorité maintenue et renouvelée, resurgit ( encore Jtll mol, ll/J mol de pl!IS). Cette résurgenee, ou eette résurrcction (car tout ici mct en reuvrc l'cxcmple du Vcrbc incarné, mort et ressuscité, mais sans s'y arrétcr, et en jouant de l'ambiguité du mot : das 117 orl), n'est autre que eellc du " mot vide " par le<Juel il a fallu " eommeneer ". Te! est le relief général de la Logi9ue, e' est-a-dire le rclief général du systeme tout cntier 137 : J'évanouissement du mot, qui en est .aussi bien l'extériorisation, la prononciation. Verschwin~ den, verklingen : J'aeeent c¡ui expire rcnd encore un son -rend déja un son, le premier, eelui du mot vide. Tout se confíe pour finir a la méeanic¡ue de Ja mémoirc qui réeite, tout eommence paree que, depuis toujours, depuis la fin, la mémoirc a déji récité le mot.

!36. /bid., pp. 484-485. 137. Les « autrcs » modcs, qui se rapportcnt aux « scienccs

philosophiqucs particuliCrcs », ont été, immédiatcment auparavant, signalés l?a~ Hegel, sous. les cspCccs dédarées, du moins, de l'art ct de la religton. Ce que 1 un (ct) l'autrc ont a faire avec le stylc de l'aufbeben devrait étrc examiné aillcurs.

134

Le mol, le spécrtlatif

Qucl mot ? tous les mots - pourvu que leur aceent s' éva­nouissc. Non pas le V erbe, done, - aeeent et sens unique -, mais une pluralité dispersée a travers la langue ou les Jan­gues. La récitation n' cst pas la rétention cl'une parolc primi­tive, mais !' annulation de la langue en tant qu' elle serait douée de sens et d'aeeent. Et par exemple, on se le rappelle, des avant que la Logique s' entame, la Jangu¡; allemande réeitait eette comptine vide ( et pleine) . -de sens : " Dinge-Denke11 ". Mais cet " avant-apres " de tous les mots a toujours la forme, ou se passe toujours ¡¡ meme la forme, d'un mot : aujheben. Le relief est aufheben, le mot remarquable, qui fait partout retour pour prononeer partout 1' évanouisscment du !cxi(]UC, de la mise en scCnc lexicale des sens ( opposl-s). Aussi la forme du relief, du remarquable, dans son avCnement ou dans son événement, est~elle toujours, partout, eelle de la Remarque d' a11jheben : l'heureuse surprise

« Pour la pcnséc spéculative, il est réjouissant de trouver daos la langue des mots qui ont a méme eux·mCmes une signification spéculative. »

Mais e' est aussi pourquoi ce relief est pluriel, en forme d' ~r­chipcl; car l'hcurcusc surprisc conccrne des mots, ct Hegel d' ajouter aussitót :

<< la Iangue allemande en a plusieurs de cette sorte ».

ll n'y a pas de mot qui re!everait en lui toute la langue; il y a, dans la langue, ou plutót il reste dans la langue 138 plu­sieurs mots en relief. - Et si tous, daos leur événement aussi bien que dans leur spéculativité, ont la forme d'un

138. Les Jangues primitives, barbares, étaient moins pauvres, moins usécs, on l'a signaJé. Mais autant cctte bizarrerie d'origine est laissée pour compte par l'histoire philosophique, autant, daos !es mots spéculatifs, on ne se réfCrc pas a cette origine - qui ne serait, de toutc fa~on, pas mCme cclle d'une langue. Les mots spéculatifs, avec lcur richesse, sont des restes, tout au plus, d'une ongine elle~ mCme en reste. Une origine dépecée, a m01tié dévorée, puis aban­Jonnée au cours des dispersions et des migrations des peuples barbares (Philosophie de l'hisloire, loe. cit.). et sur laquelle, en passant, en padant, il arrive qu'on tombe - qu'esl-ce que Ces/? Pcut-on mCme le demander?

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La remarque spéculalive

mtfheben, le mol " aufheben " n'en m;oit pas pour autant un privilege exorbitant 139, on le sait déja : l'immédiateté et l'irréflexion de la langue maternelle le menacent, il passe dans le Moment - c'est-a-dire, a peu pres, dans le latín, ce latín dont le tal/ere, par ailleurs, " ne va pas · aussi lo in " que l'aufheben.

La syntaxe nous aura done reconduits au sémantique, pour y trouver un sémantique ( et un sémantisme) incomplet, ina­chevé, qui fonctionne mal. TantOt les mots sont en reste, tantót il reste des mots. L'heureuse surprise du sens spéculatif dans certains mots ne permet pas pour autant d'énoncer : " le mot est le spéculatif "; cette proposition doit etre détruite et relevée comme les autres; il ne nous est done pas possible de prononcer le mot, unique, du spéculatif. Auf­heben est sans doute un bon mot, ce n' est pas le fin mot de l'affaire. On peut seulement écrire, entre syntaxe et séman· tique : le mol, le sptm/atif. Car le régime singulier d'un pareil énoncé- si l'on peut encare le nommer ainsi- n'est peut-etre que celui de tout le texte de la Remarque : celle-ci, en effet, ne se laisse ni résumer dans le sens d'un mot (dans un " concept ", dont on ne saura jamais si elle l'annonce ou si elle le rappelle : elle fait sans doute les deux, elle annule la construction du concept), ni reconstituer dans une logique rigoureuse (mais seulement Jire comme un singulier agrégat, ou un passage de texte en texte).

139. Il rentre dans l'orb~. done. 1-.fais la particularité hégélienne serait alors que !'orbe est faite, ou affectée, de reliefs. 11 n'y a pas de « révolution copernicienne » chez Hegel - il y ·a peut~etre plutOt une déformation des orbes, ou tout autre acctdent qui en déran~erait la pureté. Faudrait·H alors comparer Hegel a ce que lui.merne profosait comme une image critique de la philosophie de Jacobi : « A 'anneau, symbole que cette raison présente, pend encare un morceau de la main qui le tend, morceau dont on veut se passer quand la raison pose une relation scientifique et a a faire a des concepts. >> (Foi fl Jat:oir, trad. l-.féry, p. 244) ? Ou faudrait·il in· terroger le choix meme, ou la fabrication, d'une telle image inquié· tante - parmi quelques autres d"ailleurs - daos le texte de Hegel, et, du coup, une autre forme d'exorbitation? On pourra s'exercer ailleurs sur ces questions.

136

Le mot, le spéc!llatif

Ce régime de reliefs ( ou, comme on voudra, cette région de reliefs) forme sans doute précisément ce qui assure, chez Hegel, la constitution et l'usage du mot ou des mots. Sans en entreprendre l' analyse complete, on en retiendra ici, brie­vement, quelques éléments parmi les plus saillants :

le relief de la Phantasie

La théorie hégélienne du signe dépend, comme on sait, du moment de l'imagination (Einbildungskraft). Déterminée comme productrice de signes, l'imagination porte le nom de Phantasie (quant a la langue, disons qu'il s'agit de l'imagi­nation dans sa valeur la moins théorique-technique (termino­logique), la plus active et la plus libre - quant aux déter­minations hégéliennes, la Phantasie est apparue en tant que " l'imagination symbolisante, allégorisante ou composante < dichtende : e' est la composition littéraire, poétique, de fic­tion> "140). Elle est ainsi, dans le troisieme moment de l'imagination, Zeichen machende Phantasie, fantaisie faisant les ou des (ou un) signe(s) 141. -Les mots sont done faits - gemacht -, composés - gedichtet - par la fantaisie. Or la fantaisie ~_un _e_ A_ttf_h_e_b;mg, 1' Aufhebung de l'intérieur et de 1' extérieur, et plus précisément du " propre " et de ce qu' on " trouve " ( dehors, par hasard, comme les mots spé­culatifs) :

« La fantaisie est le poiot médian < der lvfittelpunkt - le milieu le moyen-terme-, et le mo¡eo, ce moyen qu'est, par exemple, un levier >, daos leque l'universel et retre, le propre <das Eigene > et l'etre-trouvé <das Gefunden· sein > l'intérieur et l'extérieur sont produits < geschaf­fen >."de fat;on accornplie, en une untté <in Eins > 142. »

140. Encyclopédie, § 456. 141. Ibid., § 457 . 142. lbid., Remarque. - La suite ajoute que les moments pr~c~·

dents ont été des syntheses des memes éléments, mais que la fanta~ste n'est plus une synthese, une réunion extrinseque. mats la « sub¡ec~

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Page 71: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

Lfl rl!!JhlNjlltJ spéctdaúve

.Aufhcbung, la fantaisic cst misan : " En tant qu'clle cst 1' activité de cette unification < Eini nung >, la fantaisie est

. '' . " 1 1 . b 1 rarson - mars seu cment a rarson forme le, pour autant que la teneur < Gehalt > de la fantaisie comme telle est

. indifférente ,< gleichgüllig >. landis <¡u e la raison commc telle détermine aussi le COJileJm < Inhalt > en < zur > vérité 142 ". - On ne saurait écrirc avec plus de Précision qu: la rationalité de la fantaisie est la rationalité meme qui opere sur ct dans le mot "" f h<•ben. Forme/le, en effet, elle est au moins. d'~bord de _J'o;dr; général de la raison logique; le contenu, amsr, Im est tndifferent, ou plus exactement - et si 1' on se tient au texte, a u voisinage de Gehalt et Inhalt, ct au ghssement de l'un it l'autre, qui doit bien avoir, dans la langue hégélienne, un caractere spéculatif - le contenu l~i est indifférent dans sa teneur - Gehalt, la p;oportion, le tltre, le pourcentage, et par conséquent la valeur, c'est-a-dire, s'agissant d'un signe, la signification dans sa déterminité. La teneur lexicale est indifférente, et, par exemple, le partage ou la proportion, au demcurant improbable, de " deux signi­fications opposées " daos un mCme mot. La ft~ntaisie ne régit pas la sccne lexicale, elle procede en dc'a. o u ailleurs.· CEt comme le tcxte, ici, n'exclut pas que l'indifférence de la teneur soit aussi bien la non-différence (la ~on-détermin~­tion) du contewt, il nc scrait pas impossible qu'une ccrtaine

tiv.ité. concr~~c )) .. -. Signalons, a u passage, ceci : on sait que cettC--; tl~conc de l1magmatJOn rcpréscntc sans doutc le point oú l'on pcUt due qu~ Hegel se . tient a u plus prCs de Kant (comme le note J. De~nda : Le P_n~t~ el la pyrtmlide, p. 39), et oU, si l'on vcut, ~d~ns lm¡fhebetJ heg~hen de I<:ant, le bewabrenl'empocte sur le aut­ltoren ltiJJeu. Or c_est en ce point que se prodUit chez Kant _b. .B~deuttmg du Begriff par le Sclt~ma,· nous montrerons ailleurs (Le .d_ucou_rJ atwlogique (fe K41!1, en préparation) 9ue le scheme a le traCé s!ngu}1er (!< ~onogra~1~at1que )) ) _et le singultcr statut (« indirect )), f¡~ure,. rhcto~1que, !l'(lzlg, ~< subiJ.me )> et mCme monstrueux) qui d~term!nent l.ExpoutiOJI plulosopluq~e commc ce qui reste en rctrait '!-une impOSSlble DarJtelltmg, et qlll voue la Bedelllung a ne fofic­t~onncr qu,e commc sa « propre » analogie. A cet égarJ, done, l'in­SI_stan:e d un !11omcnt ou d'un motif kanticn daos Hegel pourrait b1en. c_tre auss1, daos le procCs mCme de la J/,eku!tttire Betlt•utttiJX· la rcs¡stancc d'un corps étraogcr i son tlltjh~beu. Kant rcstcrait comme la machine, inassimilablc.- '

138

Le mol, le spéC11/ati f

identité de la forme et du contenu dans la fantaisie soit équivalente (gleichgültig) a cette " signification spéculative " que l' on peut trouver " a mCme " certains mots - 3. m eme ces mots sur lesqucls on tombe par hasanl, ct <¡ue la fan­taisic rciCverait pour Jcs unir, saos " titrc " de signification, a l'intériorité spéculative.

S'il en est ainsi, la théorie du signe s"ouvre par la position déja relevante et relevée de la signification (déterminée, mais que pourrait bien Ctrc une " signification " non détcrminée ?) dans ou par la fantaisie - et 1' opération de la fantaisie est moins elle-meme une A11jhebmzg (la subsomption sous ce concept de la nature ou de la structure de la Phantasie), qu'elle n'est, par l'effet d'une connexion discrete entre les textes, de Remarque a Remarque, la rencontre meme du mot tutfheben, de tous les mots spéculatifs, ou du mot, du spé­culatif - trouvé, ramassé, relevé et faisant ainsi un ou des signe(s).

Ce qui donne lieu a un double. rclicf : car le texte de la faritaisie ne dit mot, pour sa part, de I'cmfhcben ni d'aucun mot spéculatif, comme cela est logique, au reste, puisque tout l'ordrc des mots cst encare, a ce stadc, a produire. Prcmicr relief : dans la fantaisie, l'aufbeben reste a venir. -·Mais a l'inverse, la Remarque d'a~tfheben ne dit mot, <¡uant a. elle, de la fantaisie, ou du moins de cette sorte de fantaisie qui pourrait faire, a mcme certains mots, un ou des signe(s) spéculatif(s). Autrement dit, la " joic " du penseur· spécu­latif n'est, au moment de la Remarque, rapportée a aucune faatlté ou activité détcrminée de cct " esprit théorique " auque! appartient la fantaisie, et par conséquent la constitution du langage 143. Aussi bien cette Remar<¡ue sans fantaisie ne concerne·t-clle pas un signe, mais un mot saos notation lcxi­cale, saos sémiologie, un mot, si I' on peut Jire, tout dé: signé daos la langue et pourtant in-signifiant. - Ce <¡ui manque ainsi, pourtant, a la Remarque, pour <JU'on y saisisse (auf­fassen) " le sens " qu'il s'agit malgré toutd'y saisir " de fac;on déterminée ", c'est bien la détermination de l'instance, de la faculté ou de J'activité qui rend possible la trouvai!le,

1tl3. Cf. Encyclopédh·. § ti-15.

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Page 72: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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La remarque spém/ative

la saisie et la joie. Nous venons peut-etre, pour autant qu'il s'agit quand meme d'un mot, d'en apprendre le nom : c'est la fantaisie daos ou de la pensée spéculative. Et peut-etre, si la pcnsée spéculative prend corps daos le langage, ou y trouvc, par bonheur, son propre moyen d'cxpression, appre­nons-nous aussi que c'esi:.E_fan~,gsLe_qui fait la Da!!l§liJ!!Jg d.<U?-_(l_ensée s¡><'_g.Ilati:IT, de meme qu'il faut, en retour (ou : par avance) supposer a la fantaisie un sens spéculatif qui la rend capable de relever, dans un etre-trouvé, la trouvaille qui fera l'union de J'intérieur et de J'extérieur.- Mais cela n'est pas dit, tout au contraire. La phantasiologie manque a l'éta­blissement de la fonction et du concept de I'mtfheben- a ce concept si important de la philosophie; le mot " aufheben ", en tant que mot, en tant que disponible, malgré tout, dans l'ordre des signes (meme s'il l'excede ou l'épuise) est tout ce qui en reste, et le ~elj~~e _c"__mot,_ c'est ~a )'hant,sie -une étrange et innórrimée spekulative Phantasie.

la figure en relief

Le discours hégélien sur les signes et sur la langue, te! qu'il se poursuivra, sera toujours porté - au moins sur !'un de ses a.xes, le plus proprement ou le moins improprement sémiologique - par le motif tres classique de 1' extériorité expressive du langage, et doncde son caractere de conven­tico. La Phantasie procede par décrets arbitraires : cependa(lt, de meme que nous avons déja été conduits a évoquer le " socratylisme " de Hege~ i1 importe a présent d'examiner de plus pres les avatars hégéliens de ce motif.

Lorsque, daos !'Esthétique, Hegel s'introduit a la " forme symbolique de l'art ", il commence par rappeler, comme un registre antérieur et e"~r a celui du sym~artistique, le registre de la " ~désignation < loss Bezeich­nung > ", qui se définit par " 1' indifférence < eichgültig-

140

Le mot, le spéculatif

~t> de la significati?n <;t de _la désignati~n :· 144: Daos son usage que l'on pourratt dtre Slmplement semtologtque (puts­qtflcí on l'aura remarqué, signe et symbole inversent leur ordre' de présentation par rapport a I'Encyclopédie), la langue est livrée a l'arbitraire de cette " indifférence ", c'est-3.-dire a [' empirisme, a cet empirisme de la signification qui fait le lot de la pensée " na!ve " 145 sous les especes de la méta­physique dogmatique : ?n peut s~ulement s'_~surer de l'exac­titude de la représenlattOn que 1 on a, empmquem~t, selon ['usage (c'est-a-dire selon le Jexique et la grammatre), sous un mot146.

La langue de la philosophie ne sera pas cependant, n_ous Je savons, une autre Jangue. Elle ne sera pas une Termt:'o­/ogie, bien que, déja, l'empiricité de la signification putsse la contraindre, lorsqu'el!e n'a pas la chance de tomber daos la Jangue sur un bon mot, ou lorsque ce bon mot reste trop immédiat, a se pratiquer aussi comme une Kunstsprache, et a emprunter, " assez souvent ", aux langues étrangeres. Mai.s qu'il s'agisse d'emprunter ou de trouver ~;ar ch":'ce,_ la pht­losophie possede, par rapport a la conventwn arbttratre de la représentation, un droit, qui définit son propre usage de la langue (un pareil mage étant ce qui se substitue, irré:Oé~ia-

. blement, a l'idée, Jeibnizienne par exemple, de la constttutton d'une langue philosophique pr?f:r':)· Ce dr?it, on ne F.~ en considérer la nature saos en venfter la cuneuse duplrClte. Il

144. Esthétique, o p. cit .. l, p. 299- cf. Il, p. 28. 145. Encyclopédie, § 26. 146. Ibid., § 33 : « La premiere partie de cette métaphysique en sa

figure ordonnée était constituée par l'ontologie! la théorie des.d~t:r; minations abstraites de l'euence. Pour celles·ct, en leur multtphcrte variée et en leur validité finie,_i~ manque un princiJ?;; il fa:tt pour cette raison les dénombrer emptnquement et de mamere contmr.ente, et Ieur contenu plus précis ne peut étre fondé qu~ sur la ~ep~ésen­tation, sur l'assurance que par ~n mo~. on se r~presente prectsemef!t telle chose éventuellement ausst sur 1 etymologte. On ne peut avmr a faire ¡cf qu'avec l'exactitude - s'accordant avec l'usage de la langue - de l'analyse, et avec la compl~tud~ empirique, non pas avec la vérité et nécessité de telles détermmatwns en ~~ pour elles­memes. »(trad. Bourgeois). Il y a don~- on v,a le venf1er- plu­sieurs fac:;ons (dogmatique ou spéculatrve) de s << accorder » avec l'usage de la langue.

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La remarq11e 1pémlative

est en effct comme on va le voir, un droit de propriété absolue sel~n si !' on veut, la formule romaine d'un te! droit : f11J 11/e;¡dj el ab11tendi ~ e' est un droit d' exd:s. Mais il est aussi bien, et du mcmc eoup, le droit de l'approxima· tion - et ainsi l'i-peu-prcs d'un droit.

Dans la Science de la Logique, introduisant la section de !' " objcetivité ", Hegel éerit 147 :

« La philosophie a le droit de choisiC, dans < aus > la langue de la vi e cornmunc, qui cst faite < gemad~t > pour le monde Jc la rcpréscntation, tellcs cxprcssions · qui paraiuenJ < schcincn > s'approcber < nahe kommcn > des déterminations du concept. >> \

La ehanee de trouvcr un mot spéculatif se1J1ble done se tour." ner ici en décision, qui ne concerne que certaines apparences, effets ou rcflets (Schein) de la langue. Et de fait, l'éeart qui n' a eessé de nous frapper, dans la Remarque d' aufheben, entre le eoncept posé et les signifieations e':'clues, se trouve a présent, d'une certaine fa~on, justifié (on ne se servi~ait jamais, dans la pensée, de la scene lexieale que pour certams de ses cffcts, non pour clle-mCme; " le mot, Ie spérulatif ", cela s'énonee aussi : " un mot (parait s'approd1er) du spécu· latif "). Cela nc va pas ccpendant sans que le texte que nous Iisons maintcnant nc contrcdise formcllcmcnt tout ce guc Iaissait attendre, par son mouvement au moins, le texte de la Remarque. Car Hegel poursuit :

<< Il nc peut done pas s'a¡;:ir, pour un mot choisi daos la langue Je la vic communc, de pronver < erwcisen > qu'on y rclic < vcrbindcn > aussi daos la vic commune le méme concept que cclui pour lcqucl la philosophic l'emploic < gcbrauchen >; car la vic commune ri'a pas de conccpts, mais sculemcnt des rcprésentations, et c'cst la ph!losophic mCme que de rcconnaltre le. concept de cela qu1, autrcmcnt < sonst >. cst purc rcprcscntat10n. »

!47. 11, p. 357.

142

Le mol, le Jpécrdatif

Le concept n' est done pas dans la langue, mais dans la philo· sophie, d'une part (distinction plus tranchée - voire d'une autre nature - c¡ue eelle c¡ui sépare ailleurs, on 1' a vu, la langue" naive " et la spéculation savante), et, d'autre·part, le passagc de la représentation a la pensée philosopbique semble bien Ctre le passage d'un lien - d'une Verbindung - entre mot et coneept (régime sémiologique) a une recon· naissanee (sans autre préeision) du coneept d11 mot, · ou 'du moius de rr::f,,, d'un ucnlrc <Jlli hésitcrait ent-re le mot ct la représcntation. - Or e'cst bien d'une hésitation c¡u'il s'agit, e'cst d'un f!ottement qu'il faut, pour penser, profiter. Le texte ajoute en effet :

« Il doit done suffire < genügen > Que dans < bei > les expressions de la représentation qui sont employées pour des déterminations philosophiques flotte < vorschwebt -.sich vorsch1lleben, e est « se fairc une vague idée >> - et jemandem etwas vorschtueben, c'est « en faire accroire a quelqu'un )), le (( faire marcher )) > quelque a-peu-pres < ctwas Ungcflihres > de sa différence [il s'ag1t de la différence de la représentation : mais laquelle a u juste? le texte ici s'embarrasse 148), comme cela peut Ctre le cas daos < bei > ces < jene : il s'agit saos doute de celles dont i1 a été question deux phrases auparavant > expres­sions, en sorte que l'on reconnaisse en elles des nuances < Schattierungen > de la représentation qui se rapportent de plus prCs < nahet > aux concépts correspondants. )>

Et un peu plus loin, ayant évoqué 1' exemple des mots étre et exiJter (exiJtieren, un mot sans purisme ... ), Hegel conclura que si, dans la vie commune, ils peuvent etre synonymes (e' est· a-dire, faut·il comprendre, si leur synonymie entraine un jeu de Schattienmg),

« la philosophic aura parfaitement < ohnehin > la li­berté de se servir pour ses différences, d'un tel surplus < Ueberfluss > vide de la langue. )) 149 · .

Le droit de la philosophie n' est done pas exaetement un droit de propriété. Ce serait plutót que!que ebose comme le

148. D'autant que 11011 ihrem Unterschiede pourrait presque Ctre aussi traJuit par : « flottc, :i partir de sa différencc, )> - concep­tucllcmcnt ct syntaxiqucment, des confusions sont id au rnoins pussiblcs.

149. Logique. 11, p. 358.

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droit de J'inventeur d'épaves 150. La philosophie est libre de s'emparer de ce qui reste, superflu, daos la langue. Elle est J'utilisation ou J'accommodation des reliefs. Un relief, ici, c'est par exemple une synonymie, J'exces inutile d'un mot­et des lors un mot vide. Les trouvailles que la .Jangue tient pretes, si ron peut di re, pour la joie du penseur spéculatif n'appartiennent pas ir. la stricte économie de la Iangue, ne relevent pas des " besoins " du lexique et de la grammaire; elles sont plutót ce qui, daos la Iangue, échappe ir. une pareille économie- superfluité pour l'exactitude de la repré­sentation, générosité pour la spéculation. Le mot vide, sur le relief duquel se regle, on 1' a vu, le proces meme de la Logique, n'est pas tant vidé par J'analyse philosophique de 1' " étre " (il n'y a d'ailleurs pas, :l. proprement parler, une tclle analyse au début de la Logique), qu'il n'est trouvé, vide, daos la langue ou dans un vide de la langue. Tout se passe comme si 1' " esprit spéculatif " de la Iangue consistait a com­prendre daos la Jangue l'etre-pour-Ia-spéculation comme le mot " ttre ", synooyme vide et superflu - ou a comprendre daos la Jangue le proces spéculatif comme l'exces sur la dou­ble signification qu'il faut reconnaitre au mot " aufheben ". DJns ce vide - ou daos ce trop-plein -, les mots flottent, ils soot approximatifs - ils s' approchent, saos les rejoindre, des concepts, de ces concepts dont on a pu Jire qu'ils sont " correspondants ", sans que l'on puisse savoir au juste a quoi ils correspondent (aux mots? aux représentations ?) , ni ce que peut bien étre une telle correspondance. Le naher de la précision - tel celui qui, " daos une détermination plus précise " de l'attfheben, appelle le mot Moment - est en fait aussi bien le naher de J' approximation, de J'ir.-peu-pres. e est sur ce mode paradoxal que 1' on approche le terme qui précise J' a~tfheben daos sa réflexivité. Et e' est bien, on· se le rappelle, comme une détermination paJJable (passend) que

150. En droit maritime, les épaves appartiennent a celui qui les trouve, et qui se nomme l'inventeur. En droit général, est « épave » ce qui est égaré sans qu'on puisse ef"! retrouver le propriétaire. Que la propriété des « biens épaves » rev1enne a l'Etat ne surpreadra pas un bon hégélien ...

144

Le mol, le Jpécttlatif

Moment s' est introduit. La précise efficacité du levier dialec: tique fonctionne, daos son mot, comme un flottement, qm fait marcher - le lecteur, peut-étre, -:- le tex\e? .en tout cas. La pensée spéculative trouve son bten, et sa ¡01e, da?s le royaume des nuances- Schattierung : le royaume du cla~r­obscur, des jeux d'ombre dans la lu'?ier; trouble.- !-" '?tse en scene du Jexique n' est done pas recusee sous 1; mottf d une illusion théatrale; e' est plutót une scene trap stmple et t.rop claire. La scene_s~lative est un théiitre d' ombres - cun~u­semerlt comme une autre caveme, et une caverne que 1 on dirait, ~ette fois, creusée en plein soleil, a méme le soleil.

Dans le jeu d'ombres, on ne distingue que les r;liefs_ du contour - (on ne distingue que J'an, le passage tndtstmct de la forme a son propre bord) -, mais e' est précisément ainsi que se forment des figures, comme _nous le mon tre le texte de 1' EJthétiqtte, auquel il faut revemr.

La conventico sémiologique y a été rappelée pour intro­duire au symbole (suivant un ordre inverse, done, jusqu'ir. un certain point, de l'ordre de la théorie du !angage ~aos I'En­cyclopédie, encare que dans la Phantaste, on 1 a vu, le symbole, !'allégorie et la Dichtrmg ai!lent enser:'ble, -. et de !'ordre adopté daos les Remarques de la Logrqlle qut vont du symbole au Iaogage). Le symbole va se déterruiner avaot tout par son ambiguité (Zwe_ifelhaf~igkeit) 1~1, l::quelle ~co­siste daos la présentation con¡omte d une stgntficatton et d un_e existence sensible 152. C'est daos le régime de cette ambt­gulté essentielle gue la " symbolique consciente, ",_ au troisieme chapitre, développera !' art des figures, _la rhetonque en général. Mais c'est au cours de ce méme developpement

151. Cf. EJthétique, op. cit., I, p. 301 sq. - Z'!'eifelhafti!(keit, c'est l'ambiguité, l'équivoqu~ q'?i fait douter - qu1 Ia1sse songeur ou flottant. Doppe/JrnniKkert, e est le double sens, la franche poly­sémic _ c'est la sd:ne lexicale. Plus pd:s du s~cond de ~es t~rme.s, Hegel emploie aussi, pour le ~< se~s ».di! p~em1er,: Zwerdeu~r¡rkett. Entre DoppelJinnigkeit et Zwerdeullgkerl, Jl n y a qu une Schattrerung.

152; Cf., p. 302, le lion de la force héroique.

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Page 75: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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<]UC, de fa<;on inallcnduc, va se préciscr (si l'on peut Jire) le statut des mots spécuJatifs, ou Je la Jangue du concept.

Déja, dans l'introduction, la spécificité du symbole sera dégagée par 1' ex~en de Ja question suivante : " Une telle image [le !ion, p. ex.) doit·clle ctre prise proprement 011 ""

meme temps improprement ou bien encore, d'aventure <od~r auch etwa >, seulement improprement < nur uneigent­lich > 153 "Le premier cas n'est pas examiné : c'est évidem­mcnt cclui du signe, ct l'on sait ce qu'cn vaut la" propriété ". Le sccond sera le cas symbolique. Le troisieme - celui qui s'accompagne d'une précaution : ettua, peut-c:!tre, d'aventure, ct aussi : a peu pd:s, approximativement, en quelque sorte -, ce cas presque improbable, est celui que Hegel illustre d"abord

« Le t!ernicr cas a Iicu par excmple daos < bei > les cxpressions symboliqucs de la langue, dans des mots comme conccvoir < bcgreifen >.conduce< schlicssen >.etc. Lors­qu'ils désigncnt des activités spirituellcs nous n'avons imméJiatemcnt dcvant nous que ccttc signification d'une activité spirituclle, sans nous rappcler < crinnern > en qudque sortc < ctwa > en méme tcmps les actions sen­sibles de saisir < Bcgrcifcn >. de fcrrncr < Schlies-scn > 154 » ·

A cóté du symbole, done, a 1' écart de Jui,- la langue du concept se pose, et pose ses conccpts majeurs : le concept, le syllogisme, comme des acceptions (des sens) déterminés. En contr.1diction fiagmntc, si I'on vcut, avcc la loi spécuiativc Jc l'alljbeben du scns - a 1110ins que le " sens " de l'aufheben ne passe précisément par Ji.

11 y passe, en effet, c'est-a-Jire <¡u'il passe par cette . catégorie spéciale (cette <¡uasi-, pour ne pas dire cette pseudo· catégorie) de 1' " expression symbolique ", qui n'est ni symbole (présence sensible), ni signe (sens de convention). Entre ces deux scns passe le mot, le spéculatif - et par cxcmple, outre le be,r;rcifen ou le Schliessen, ce mot de sens, te! qu' il se faisait remarquer, éblouissant, quelques d1apitres auparavant dans !"Estbétir¡lle :

D3. P. 301. 154. Pp. 301·302.

146

Le mot, le spéC11Iatif

<e u scns " est ce mot mcrvcilleux < wunderbar >. qui s'cmploic lui-mCmc en Jcux signífications opposécs .. D'une part, il. désign<: les ~rgancs de la saisie < Auffass'!ng_ ~ tmmcdtate, mats de l autrc nous appelons sens : la Stftmft­cation, la pensée, l'universel de la chosc < Sache > ss. t>

(Ce mot, ce spéculatif, Ju sens, est alors invo<¡ué pour le premier moment du beau, le beau naturel, premiere releve de la matiere et du concept Je 1' esthétique - sens premier de toute l'esthétique philosophique.) - Un te! .passage entre sens ct scns, ce reste ou ce rclicf de sens ct du " sens " Se precise dans la symbolic¡ue consciente de la métaphore, oU, de nouveau, la langue du concept va faire retour.

« Tout d'abord, chaque langue a déj:l :1 meme elle-mCme une foulc de métaphores. Elles naisscnt de ce qu'un m~t qui oe sigoifie d'aborJ que quclque chose de tout a ~:~:tt sensible est transporté < übcrtragcn > au spi~ituel. « Santr, concevoir >>, en général beaucoup Jc mots qua se rapportent au savoir ... 156. »

Cependant, ces métaphores spontanées de la Jangue " s'éva- + nouissent peu a peu " ct " lorsque p. ex. nous devons prendre " concevoir " au sens spirituel, il ne nous vient en aucune fa<;on i l'idée d'aller encore penser a la saisie sensible avec la 1nain. "

Le mot philosophique est done une métaphore évanouie - il était déja l'évanouissement d'un sens propre, ~n rclief s' évanouissent tou· ours cux nouvcments de terrain. -4-Les deux, cependant, ne sont p out i fait équivaJents. Le sens propre, Jéterminé, a été réuuit, d'cntrée de jeu, Jans la convention sans origine de la langue. La métaphore, ici, tiendrait lieu d'origine - d'une origine encare elle-meme

155. /bid .• p. 133. . D6. Ibid .. p. 391. - Hegel fait ici plus que passer pres de Kant.

11 répCte le textc sur les. ~<. hypotrr?oses indirec~es >> ou « symholi­lJUcs >> Ju & 59 tic la tro1S1emc Crtllqlle. Cctte ctrconstance n est pas sans importancc, bien évitlemmcnt, pour l'analysc, aononcée plus haut, d'une résistancc kantienne dans l'rtujbebetJ hégélicn.

147

Page 76: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

La remarque spéculative

sans ongme, certes 157, mais elle serait au moins le seul mouvement, de dé;;ive le long duque[ se laisse appréhender le sens, 1 resfe es s qui mene au sens spirituel ", e' est­a-di re a la t cation spécu!ative ".- Or, d'ou provient cette métaphore ? ou bien, comme le dit Hegel, que! est " le scns et le but de la diction < Diktion > 158 métapho­rique "? Ce sens et ce but consistent a H fiigrm - ajointer, plier, ·soumettre, conformer- le double < Zweifach > daos !'un< Eins > "159: c'est done un seos et un but d'aufheben, OU du moins n'y a-t-i! rien de surprenant a trouver la rele\·e du double-sens au terme- si c'est un terme- du lent évanouis­sement de la métaphore ( on retrouve toujours le calcul spécu­latif par !' opération de grandeurs évanouissantes, le calcul conceptuel par dérivée métaphorique, et le ca!cul textuel par Sch,tttierrmg différentielle ... ). - Mais ce " seos " de la métaphore, de la " diction métaphorique ", a lui-meme une raison multiple (einen mehrfachen Grund), que Hegel énu­mCre :

a) d' abord, le " renforcement " des sentiments ou des passions que le poete exprime - un renforcement au seos oU le soi (du héros, du poete) se " maintient fe~me" " dans des représentations multiples ".

b) ensuite, et comme un degré plus élevé de la premie re raison, la volonté de 1' esprit qui,' tout en s'enfoD<;ant daos les objets, " veut en meme temps se Iibérer de leur extériorité, pour autant qu'i! se cherch, dans I'extérieur, qu'il le spiri­tualise, et que maintenant, tandis qu'il se conforme et con­forme sa passion a la beauté, il próuve aussi qu'il a la force

157. Jrnmédiatement apres, Hegel va déclarer l'étymologie incap~ble de nous faire savoir_-ª.!!juste ce qui est propre. et ce qu1 est meta-phorique daos une langúe ffiorte. .

158. Ce terme "- assCz -rare - ne sernble pas avoir d'erriploi lexical bien réglé chez Heg~l: Ici, il ne.peut s'a_gir que d'une « énon.- · ciation » connotant le poettque. Il vtent apres quelques pages ou ont été employées les expre~~io.~s:: « rnetaphons,s_he J\usdru~k », « das Mctaphocische )), et · ou vtent surto~t d etre evoquee _la métaphore poétique. celle de la Dichtung, qlll en son sens premter est une « dtctée ».

159. P. 393.

148

Le mol, le spéClllatif

de porter jusqu'a la présentation < Darstel!ung ':> son élé­vation < Erhebung > 160 ".

Erhebung n'est pas Aufbebrmg, assurément - et il s'en fau:, guant au seos positif de la seconde, d'une Schattiemng. Mats_la Darstellrmg est le fait de l'aufheben, et I'a:tfheben est bten_ ce preces par.leg~~l le spéculatif se trouve et se pré­sente lut-meme dans 1 exteneur, dans le mot. Le Gmnd de la métaph?re _a une ri.g?ureuse structure d'aufheben. Un peu pl~s Iom, tl faut 1 a¡?uter, en achevant le chapitre de la metaphor~, Hegel v~ Slgnaler que Schiller a, meme en prose, un style rtche en metaphores, et en figures en général paree qu'il s'efforce " d'exprimer des concepts profonds Pour la re~résenta_tion, saos pénétrer jusqu' a 1' expression proprement phtlosophtque de la pensée. L:l., par conséquent, I'unité spé­culative rationnelle en soi voit et trom·e son reflet < Gegen­bild > a m eme la vi e courante 161 ". La métapÍmre n' est done pas la langue philosophique; elle en est meme aussi

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b!en l'image_ i~ver:ée ou contraire : Gegen-bild; mais elle n. en est auss1 se paree - comme de son " propre " évanouis­semen~ - que par I'éclat fugace d'un miroir, par une Schatt!erung encore, peut-etre. A tout le moins, -~éculatif s_e vort, et se._lrottue-(heureuse surpri~L~n fi_g11re dans la ~re. C'est-a-dire aussi qu'au passage la spécuTation vient elle-meme, dans le texte de Hegel, de _se métaphoriser (" l'unité spéculative voit son reflet... "). De plusieurs manieres, done ( et qui restent plurielles, sans composer un systeme, passant entre ce qui serait une doctrine du sens propre et ce gui serait une doctrine de la figure primitive), Ja figure, évanouissante, spiritualisée, mais extérieure, en reflet, prend une part active, quoique discrhe, a la présentation du spéculatif dans le texte hégélien. ·

Ce texte, c'est aussi, apres tout, celui de la Phénomé;,ologie de !'esprit, qui s'acheve, saos interrompre sa synta.xe, par deux vers de Schiller, qui en composent !'ultime figure, une figure dont la lecture relevante doit savoir faire la présenta-

160. P. 39-l. 161. P. 395.

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Page 77: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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« Les Jcux: aspccts réunis, en d'autrcs termes l'histoirc con.;ue, forment la récollcction et le calvaírc de !'esprit absolu, l'dfcctivité, la vérité ct la ccrtitudc de son tróne, sans lcquel il scrait la solitude sans vic; sculcmcnt -

tiiii dem Kelcbe diese¡ GeiJierreiche¡ schaiimt ibm seine Unendlichkeit. » 162

L'originc de ces vers n'est pas indiquéc par Hegel, la figure n'est pas citée- elle est récitée, par =ur.

Peut-on relever son relief ?

Sans doute cette approd1e ou cette approximation méta­phorique est-ellc toujours- conformément a toute la tradition philosophique et rhétorique au sujet de la figure en général - en instance d'identité. f:jgl,!¡;e__;_gn attend_que Je_l!lasqu~ tombe, ~ue ~écum~e-rinfinité_se_dissipe dcvan!Je -¡;puVísage de J'esprit,~u'clle ne fait,en vérité, <¡~_promettre. Mais on en aura sans doute assez dit, ici, pour qUOnSoup~ ~onne que cette instance, cette attente et cctte promesse se proJongent indéfiniment peut·étre che< Hegel. Et non pas par J'effet d'une regrettabJe infirmité de nos moyens d'expres­sion (telJe que !'a toujours décrétée Ja meme tradition) : car, nous le savons, e' cst bien a mCmc la Ianguc que la pcnséc spéculative (se) releve et (se) présente. La Jangue spécula­tive n' est pas la languc figurative; mais elle n' est pas non plus, elle n' est surtout pas, ce que cette simple proposition négative pourrait Jaisser croire. Le long des évanouissemcnts ou des dérives des figures, des coups de chance s_e pro­_duisent- a pcu prCs. Et cela pcut, si I'on vcut, se nommer,

IC1l. Tr:tll. Hippolytc, 11, p. 315. « Du calicc Jc t"c royaumc des csprits écumc jusqu'ii. lui sa proprc infinité. )) - La citation n'cst d'ailleurs pas exactc : c'cst le lot de la récitation.

163. Cf. l':tddition au § 82 Jc l'Bucydopédit! : « Daos la vic om· rante on a coutumc J'cmploycr le tcrmc Jc ;péculalion en un scns trCs vague C:t en mémc tcmps subalterne, ains1, par cxemple, quanJ

150

Le mol, le spéCIIIatif

par approximation et par figure !63, "la langue spéculative ". La Jangue spéculative se fonde et se contente (es genügt) de J'approximation. Entre son approximation et celle de la méta­phore, entre deux ombres sur ce théátre, Hegel ne permet pas de décider, et son texte entretient meme plutót, avec soin, discrétion ct subtiJité, l'indécision. Quek¡ue chose de la figure reste en relief.

Aussi bien a-t-il été impossibJe de décider, dans Ja Remar­<jue, du statut de Moment : cst-ce une métaphorc mécani<JUC? assurément - mais Hegel parle alors, pour déterminer le concept si important d'allfheben, comme Schiller, et le levier n'est qu'un refiet; est-ce au contraire une " vraie " mécani­que? mais on sait qu'auam mécanisme n'est vraiment vrai, de mcmc <¡u'aucun mot de la langue n'est vraiment propre ( ct que les deux ensemble, pourtant, dans la mémoire méca­nique, composent Ja forme vide a meme Jaquelle le contenu rationnel se pensc). 11 ne reste, pour le Mome/11, que la " propre " expression de Hegel : un sens " seulement itnpropre ", expression qui ne ¡>Ourra pas ne pas avoir été plutót prise au registre de Ja métaphore, cxprcssion pré]evée sur le relief de Ja figure. Si tire ( ou : exposer), et Jire 1' aufheben, e' est relever Ja langue et les propositions que nous lisons, mtjheben, c'est peut-etre savoir n'entendre que ce reste " seulement impropre ". '

j} cst question de spéculations matrimoniales ou commerciales, et par lá on n'cntenJ alors ríen d';mtrc si Ce n'est, J'une part, qu'il faut allcr au·dcliL Jc ce qui cst hmnédiatcmcnt dunné, ct, U'autre part, que ce qui forme le contenu J.e telles spéculations est tout d'abord seulemcnt quclque chose de subjectif, toutcfois ne doit pas restcr quclque chose de tel, mais Ctre réalisé ou transposé en objectivité. >> (trad. Dourgcois).- A quoi l'on ajoutera (ou confrontera) ceci, dans une lcttrc de Pfaff, en 1812; aprCs avoir écrit : « 11 est singulier que les A/Jwumd; nc possCJent pas un scconJ mot pour « abstraire >> ou pour « réfléchir )). Le prcmicr cst cmprunté il. la mécanique, le second :l. l'optique », il écnt : « la pcnsée spéculative, De nouvcau un mot /,rliti emprunté a l'optique (veuillez m'indiquer les exprcs­sions grccques). « Spéculation >> vicnt J.c JfJecu/um, miroir, la pensée quise mire ... >> (CorreJfumdmtce, l, p. 362). La rl:ponsc de He,t::;cl, s'il y en cut une, cst perduc. , ·

151

Page 78: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

1 i

La remarque spémlative

le mot : relief

Il reste done un mot, et plus exactement, c'est-a-dire plus confusément ou plus approximativement, il reste des mots de Hegel - de meme qu' il nous reste ici, comme pour prouver cambien la lecture est contrainte par une Ioi redoutable de Hegel, un mot : " relief " - un relief flottant, 1le artifi­cielle ou artificieuse, reste et ruse de la releve.

Pourquoi reste-t-i! des mots, de bons mots hégéliens? Pourquoi la Remarque d'anfbeben résiste-t-elle a ce point (e' est-a-dire : si peu - mais toujours un peu, si peu que ce soit) a tout effort pour la réduire, I'expliquer, en relancer le sem dans le systeme. Pourquoi le cercle des cercles n'annule­t-il pas la remarque auxiliaire d'un mot, mais semblerait plutót en multiplier et disperser, de cercle en cercle, les effets déformants ?

[ lHais arusi bien : pourqrwi le systhne réJiste-t-il a /out efforl pour le rédttire au noyau de l'aujheben, pour fe concentrer en ce point? L'aufheben n'est pa1 - qrumt a sa remar~rte Ju moins (mais o/'t, ailleurs, trouver son concept.) - le speculum du sy¡teme, il le dijfracte pllltÓt, il en briJe ou dévie les rayons; il bro111!le l'est et /'ouest.]

Il reste des mots paree qu' il faut parler, paree qu' il faut 9ue la philosophie parle. Et non pas pour assurer les emoluments du professeur Hegel, ni le pouvoir social de son discours - pas seulement, du moins, ni simplement. Il !aut J?arler paree que la disparition des mots, et des mots speculattfs (tout ce qui reste de tous les mots lorsque la pensée se releve), livrerait a la plus redoutable menace. A une menac: qui se cach~, quelque part, dans la philosophie elle-meme, dans la ratson - et que, pour cela meme, ¡¡ im­porte a la pensée de relever.

Cette menace est double, ou plutót elle se présente sous une double figure. Nous ne pourrons sans doute pas ques-

152

Le mol, le spéctt!atif

tionner jusqu'au bout pour elle-meme cette duplicité _ c'est­a-?ire aussi la réduire; et ce ne sera pas par hasird. Mais decouvrons d'abord ce double visage.

Le premier _est ce!ui de la folie- (et I'on sait, il importe de le_ not_er des mamtenant, que cette face a toujours été a la fots ·htdeuse, troublante, terrible, et comique).

Au milieu du proces de la releve du nom dans la mémoire et dans la pensée - au milieu, done, du proces de la perte du sens des mots -, Hegel s'est interrompu (c'est I'addition au § 462 de I'Encyclopédie) pour donner au mot, comme en une derniere et premi(ore fois, son relief le plus accusé :

« La t'érjtab/e, concrete négativité du signe de lan.r;a.r;e < SprachzeiChen > ;s~ l'intelli¡(e~ce, paree que par < durch > elle celut·CI est change < veriindert > d'un extérimr en un intérieur, et comert'é < aufbewahrt > daos cette forme transformée <in dieser umgestalteten Form > [ ... ] Un pareil extérieur intérieur est seul le JOn

articulé, le mot 164. »

Le mot lui-meme est bien, et n'est que le produit d'un a11jbebm, dont les moments sont ici clairement articulés. Et l'aufbeben du mot, ou !'a11jgeboben qu'est le mot, se con­fond avec une forme - ttmgestaltel, c'est-a-dire " transfor­mée ", mais aussi bien " retoumée " et " déformée ". Mais qu' est-ce que déformer une forme? qu' est-ce que cette n~uv~Ile expression 9u~ vient se glisser au Iieu de I'a11jbeben (la ou le mot devra1t etre la releve d'une forme matérielle et d'un ~onten,u i?éel), .e~ qui, pas p~us que !'an syntaxique, ne se latsse redutre, salSlr - begre~fen -, puisqu'elle est au reste elle-meme la condition du begreifen, et le statut en outre, du mot Begriff, parmi quelques autres? qu'est-ce 'que cet a11jbeben, pourtant si décisif, ou le signe n'est pas re_levé dans 1' élément de la pensée, mais transformé ou deformé en mot ? Ce n' est rien - rien que cette Schattierung entre deux noms de la forme, Gestalt et Form, jeu d'ombre

164. Ed. du Jubilée, X. p. 355.

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ou se fait le passagc, transformation ou uéformation de la forme a méme la forme - rien que ce glissement et cette subtile torsion de la langue qui permet de contraindre, de p!icr et d'ajointcr (jiigen: c'cst, on I'a vu, le" sens "de la métaphore) des-·mots en un AIISdmck, un tour, un effet, une fa,on de dire. Rien qu'une forme subtilement tordue.

Mais cette forme tordue protege du plus grand danger.

<( Vouloir pcnscr sans mots, - comme Messmcr l'a tenté un jour,- apparait ainsi comme une déraison <Un­vernunft >, qui aurait conduit cet homme, ainsi qu'il l'a assuré, presque jusqu':i la folie < Wahnsinn >. »

Cet homme écrit Hegel ( ou Michelet : e' est une addition), marquant ainsi l'enjeu, qui n'est pas de la thi:se ou de l'expé­rience d'un auteur, mais de l'humanité, ici ou la. et par exem­ple ici, Ji ou Hegel, cet homme, parle ou écrit 16~. Entre Hegel et la folie, entre la raison (spéculative) et le déregle­ment de la raison, la mince barriere - (relicf) - d'une forme étrange, tordue, et dont la torsion forme- ou déforme - l'a;tfheben. -Encare cette protection ·n'est-elle peut-ctre pas aussi sure qu' on le vouclrait. Car Hegel se refuse a donner aux mots un statut d'auxiliaires, de mercenaires ou d'infirmiers de la raison. La pensée s'effecltte dans les mots­et si, de ce fait, la menace de la folie se trouve conjurée (ce qui veut dire aussi qu' elle est passée tout pres, que la pensée en a sen ti l'inquiétante proximité), c'est alors, du meme coup, une autrc figure in<.]uiétantc ~..¡ui surgit, dans la n1csurc mCmc oU la pensée refuse ou évite de se livrer a 1' " inexprimable " ou a 1' " ineffable " 166. Nous connaissons déja cette figure,

165. Bien cntcndu, ccttc folie hors-lcs-mots « rapr.ellc >> l'avcu par Hegel de la pcur de devenir fou, tcl 9.uc G. Bata1lle l'a - non pas relevé mais ecrit, ct tel c¡uc Derrida 1 a remarqué chez Bataille (cf. De l'économie restreillle '' l'économie f.énérttle: 1111 héf.élhmisme StliiS réserve, in l'Ecri111n el la différence).

166. Nc faut-il pas, d'ailleurs, reconsidércr a partir de la le long combat mené par Hegel contrc l' « incffablc » et tout ce qui s'y rattache de « philosophie du sentimcnt » (combat toujours repris dcpuis Poi et 5avoir, ct a travcrs tous les textcs). La raiJOJJ qui se bat id (ct qui récuse, en mCme tcmps, l'entcndcment) n'affirmc pas les droits positifs d'une rationalité, elle se défend contre une

154

Le mol, le spéCIIIatif

mais elle se trouble et se fait plus étrange dans ce texte : e' est la figure peut-etre folle de la pensée mécanique, de la pensée effectivement mécanique.

« En tant que l'intelligence s'accomplit <: erfüllt : se rcmplit > avec le mot, elle prend < aufnimmt : elle ramasse; c'est le mot qu'on emploie pour" relever le gant" ou pour " dresser un relevé " > en elle la nature de la chose < Sache>. Cette prise < Aufnahme > a pourtant en méme temps le seos selon lequel l'intelligence se fait par la de la chose < sich zu einem sachlichen macht >; de tellc sorte que la subjectivité - daos sa différence d'avec la chose - devient quelque chose < etwas > de tout a fait vide, un récipient privé d'esprit pour les mots, - et devient ainsi mémoire mécanique. De cette maniere, 1' excC.r < Uebermaass > de la mémoire-intériorÍ/anu < Erinncrung > du mot chavire < umschlagt > - pour ainsi dice - daos l'extréme extériorisation de I'intelligence. Plus je deviens familier avec la signification du mot, -plus done celui-ci s'unit a mon intériorité, - plus l'objec­tivité et ainsi la déterminité de la signification peut s'éva· nouir, - plus, par conséquent, la mémoire elle-meme, et le mot en mémc temps, peut devenir quelque chose que !'esprit a déserté < zu etwas Geistesverlassenem wer· den> 167. >>

Le mécanique, il avait fallu le reconnaitre, est ·en général le lieu d'une extériorité dialectique telle qu'elle est toujours en passe d'excéder la spéculation, et de la bloquer. On lit id - et, .pour une fois, dans une phrase, on lit la " propre " énonciation de Hegel, qui dit " je " : on entend done aussi - qu'il y a, en effet, au cu:ur du processus de la pensée une surcharge, un exci:s sous le poids du<¡uel 1' intelligence . chavire. Dans ce naufrage, 1' esprit disparait - il ne reste, flottant a la surface de r abime, que les mots, ces épaves.

folie qu'eile est clle-mCme, elle conjure sa menace la plus propre ct la plus intime. celle d'un hors-sens au bord duque!, a méme Icquei, constamment, périlleusemcnt, le sens spéculatif se conquiert - mais oc peut se conquérir sans faire apparattre, daos le ¡peculum, le visagc fou de son duuhlc. At1jheben, c'cst conjurcr ce miroir, garantir Je succCs de l'éprcuvc; mais le discours de l'aufheben ne cesse de (se) renouve!er la mcnace.

167. Loe. cit .• pp. 355-3:56. On remarqucra, daos ce texte, une sorte de Schattieru11g qui joue entre la chose (Sache, !'affaire, le contenu, la Chosc mCmc) ct qnelque chose (etwas. l'indéterminé, l'extérieur), faisant glisser ou basculer l'une daos l'autre.

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Page 80: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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(L'épave d'un levier, en particulier. Le Moment lui-meme bascule ici de l'idée! au réel, de la H ligne" au " poids "­ou : le poids de l'intériorité est excessif, le levier reste bloqué. Ce poids - Gewicbt - n'est-il pas le poids du conccpt - " einer der u-·ichtig.rten Bcgriffe "? Ce qui, dans le naufrage, passe par~dessus bord pourrait bien etre ce concept, si lourd, d'a11jbeben).

Ccrtes, ce naufrage aura eu lieu pour faire plus et mieux que pré,·enir ou guérir la folie; il aura eu lieu pour en annuler purement et simplement jusqu'a la possibilité, jus­qu'a h menacc, aussi écartée fut-elle (mais on sait qu'elle est toute proche ... ). Mais l'annuler, c'est a la fois se donner la ch;mce de la supprimer, et courir le cisque de la conserver : cians ce texte opere un tmfheben en lui-meme brisé 168, qui, au lieu de relever ensemble la pensée et son autre, laisse face a face eleux figures : celle d'une démence conjurée- et (paree que peut-etre, comme nous pourrions !'apprendre d'ailleurs, In conjuration fait précisément partie de la elémence), en face d' elle, une· pensé e gui se saborde. On pourra et on devra toujours dire gue pour Hegel ce sabordage est décidé, orga­nisé, garanti - et peut-étre seulement mimé. Mais on ne potma pos ignorer gu'a partir ele la le texte de Hegel se voue néanmoins a ne jamais trouver ou retrouver son sens, puisgue c'est le seos qui est passé par-dessus bord, et gue cette perte, nous le savons, sera toujours soigneusement ména­gée, au lieu d'étre réparée, aux moments décisifs de la spécu­lation, et, d'abord, au "moment" remarguable de I'allfheben. · (Tout se passerait done plutót ainsi : ayant organisé la scene spectaculaire du naufrage, et tenant a la faire jouer de la fa~on la plus réaliste possible par son discours et par ses mots, Hegel, soudain, aurait perdu le controle de sa mise en scene, un " vrai " naufrage se serait produit. Et pourtant, comme le veut, elit-on, la tradition dans le monde du spec-

168 . .1bis le moyen ou le milieu - en quoi et par quoi se joue tout syllogisme et tout aufheben - est essentiellement brisé (die gebrochene 1\fitte). Qu'on se rapporte aux sections du syllogisme et de l'objet daos b. Lo/!Jque et dans l'Encyclopédie.

156

Le mol, le spémlatif

tacle, on continuerait a jouer. Jouer en sachant q~e ce n'est <¡u'un jeu, el gu'une effectivité redoutable, mortelle, est en ¡eu dans ce jeu, telle serait J'expérience presque insupportable du dis~ours hégélien (support~ble, pourtant, et relevable, paree que diScourue ... ). La d!Spantton du sens ressemblerait a la mort de Moliere.) On ne peut pas ignorer que, malgré tout, le mécantsme ne pourra nulle part etre relevé - ou relevé " a part entiere ", si I'on peut dire -, comme on I'a sans doute assez montré ici. - Et paree qu'il n'y a pas d' " inex­primable ", on ne devra meme pas ignorer gue daos le texte de Hegel, entre ces pages gui ne cessent de flotter puis de chavirer tour a tour, circule, tres étrangement, de par la forme meme, heurtée, disloquée, désespérée, ele ces textes gui tentent de composer J'impossible discours hors elu seos ( apres le naufrage, pour parler daos J' eau), - circule le savoir de cette perte sans retour (saos allfheben, ou, moins inexactement, au milie1t de l'attfheben " lui-meme ") : mais un savoir obscur, singulier, mécanique peut-etre, perdu au fond des eaux, englouti sous les épaves dispersées. Non pas une folie, si J'on veut, mais la figure inquiétante qu'aurait prise ici une tres ancienne figure sculptée a la proue de la philosophie : Socrate, ou le savoir qui sait ne pas savoir, devenu, daos une forme tordue, le mot qui se " sait " ne plus rien vouloir dire- mais que " sait "un mot qui n'est plus (daos) une intelligence ? ... Socrate devenu stupide, hébété, " méchanique " comme on disait en vieux fran~ais.

11 reste, on le sait assez, gue le discours de Hegel s' emploie tout autant a restituer, a relever et restaurer la figure de Socrate 169 - et que 1' exposition de ce discours ne

169. Geste d'ailleurs complexe, car Socrate (on l'a rappelé daos le préambule) est. une « nature plastique >> comme on ne peut compter en retrouver « aujourd'hui >> - perdue, en relief daos l'histoire (avec le. dialogue ame persoonag:es plastiques, et un peu comme la grammatre « barbare >>); mais tl est aussi le porteur d'une univer-

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La remarque spéculative

sombre pas, malgré tout, dans la folie, bien au contraire. Il ne sombre pas, en tout cas, dans !'une de ces folies qui se diagnostiquen[- ct cela mcme, quoi qu'il en soit des discours . de diagnostic et -du " savoir " qui les autorise, n'est pas indifférent. 11 ne s'agit pas ici de déclarer Hegel fou : la facilité du paradoxe le dénoncerait aussitót. 11 ne s'est agi que de discerner, dans 1' ombre d'une menace jamais direc­~ement affrontée, la torsion subtile, le geste infime, mais Jrraltrapable, auquel se contraint le discours qui, paree qu'il ne veut ni ne risque la folie, refuse d' etre dessaisi de sa maitrise et de sa propriété, entend au contraire maltriser ·la présentation de 1' absolu spéculatif, et pose cette présentation a meme la forme vide des mots et des propositions que !'esprit a déscrtés : double geste qui porte un seul " nom ", allfbeben. - e est pourquoi il reste encare a reconnaitre, a la place ou a cóté de ce que, seulement en passant, on aura pu appclcr " folie ", une aulre figure qui s'insinuc, plus discrete encare. ·

La torsion de la forme risque toujours, en effet, de prendre un autre tour, et que Hegel, soigneusement, évite. C' est le tour du 117ilz - c'est-a-dire du trait d'esprit, ou de !'esprit t~ut court, de ce Gegenbild dt~ Geist qui menacc pcut-Ctrc d occuper la place <¡ue ce dermcr abandonne - c'est-i-dire encare d'un " bon mot " qui menace peut-Ctre de sa farce le le mot vi dé, le spéculatif 170.

salité cncor~ a~straite, cnvc~s laqu~lle il faut partagcr l'ironie d' Aris­tophane (f111to/fe de la phtloJopbt~, op. cit., ll, pp. 311-312). 11 est ausst celm chcz qut la « subjccttvJté du pcnscr » s'est approfondic jusqu'<i « se mamfcster sous forme physique » de fa~on troublante prcsque mécanique : « un~ foi~. plonsé dans une profondc réflexion: 1l Jcmcum dcbout, Jmmobtlc, a la mcmc place, tout un jour ct toute un~ nuit [ ... ] C'c~t li un état cataleptique, qui pcut avoir une ana­Iogtc, ~n~ ~arcnte .ave~ le somnambulisme, le magnétisme, et dans lcqucl Il ct~ut tout a fatt mort en tant que conscicncc sensible [ ... ] >> (ibid., p. 280).

170. Ce qui suit au sujct du Witz cestera succinct daos la mesure o U, i ·pro pos de Hegel ct d'autres autcurs, nous lui consacrerons des études ultéricurcs (dont on trouvera une amorce daos la présentation Jc Sur le )r/itz de Jcan Paul, in Poétiq1u n° 15). Signalons qu':\ ce que, nous p~u.rron.s évoque~ id. de la complcxité J. u Witz ~ans le systcme hcgchcn 11 faudra1t a¡outcr avant tout la complcxtté des

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Le mot, le spémlatif

11 s' agit encore, pour commencer, du relief de la figure, ou plus exactement de ce qui reste a Jire a propos de la méta­phore. On n' a pas épuisé, il y a quelques pages, la " raison multiple " de cel!e-ci. 11 restait un troisieme Gmnd, que voici :

. « Mais aussi bien, troisihnemmt, l'expression métapho­nque peut procéder du simple désir voluptueux [<die schwelgcrische Lust > - on sait qu'il faut simultanérnent traduirc : du simple plaisir cnivré, ou luxueux] de la fan­taisic, [ ... ] ou du Witz d'un arbitrairc < Willkür > sub­jectif qu_i, pour échapper a l'ordinaire, s'adonne a l'exci­tation p1quante < pikant > qui n'est pas satisfaite tant qu'clle n'cst pas parvenue a dénicher jusque daos ce qui parait le plus hétérogi:ne < Heterogenste > ·des . traits d'affinité, et ainsi a cornbiner < kombinieren > de faton surprcnantc les éléments les plus éloignés l'un de l'autre 171. >>

11 y a done cette autre " raison " possible de la méta­phore. Comme on le voit, elle fait saillie. Elle reste a J'écart des deux autrcs, en tant <¡uc toutc cettc phrase cst simplemcnt péjorative - et qu' elle peut ici, d' ailleurs, nous épargner de parcourir d' autres textes de Hegel pour y vérifier !' abaisse­ment ou le rejet du W itz. Par rapport aux autres .fonctions métaphorisantes, elle met a l'écart un genre non sérieux, et c.1ui n'cst pas séricux pour c.lcux rnotifs, l'un plus " moral ", l'autre plus " logique ", mais dont on reconnait aussitót

rapports que l'Histoire de la phi/osophie entretient avec le comique e~ le Witz da~s cette histoir~ : Aristophane, Eubulide, Stilpon, Aris­t1ppe, les Cymques, etc. Et a¡outons, paree qu'elle se relie a quelques n_otes ~ntérieures! c~tte indica~io~ que le Witz a chez Kant une place smguiJercment d~fferente. Ma1s d faut encere s'expliquer b;~"iCvement sur une absence : celle de Freud, dont le rOle id devrait sembler in~vita~le. 11 est tr?p. évident ... que cette lecture ne pou~ait avoir.lie!-1 'JU aprcs Frcud. 11 ~ta1t pc'!t-etre, en revanche, trop facJlement sedUJ­sant de chercher a maitnser le texte de Hegel i1. partir du W itz de Frcud. Car c'ellt été confier a Freud la fonction d'une vérité Jialcctiquc, spéculativc, hégélicnnc, lui déléguer la surveillance a laquelle He9el aurait failli ... Le « rOle » de Freud ne commencera a pouvoir dre discerné que lorsqu'une telle fonction en aura été soigneusemcnt éca~tée : a quoi peut contribuer la lecture de Hegel, que, pour cettc ra1son, on a voulu, comme on l'a déji signalé tenir « i un mot prCs )> de Freud. •

171. EJthétiqtte, op. cit., p. 394.

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La remarque spém/alive

qu' ils forment, au regard du penseur spéculatif, une seule combinaison : d'une part le Witz est affaire au moins de luxe, au pire de débauche, et en tout cas d'un plaisir sans profondeur; d'autre part il s'agit d'une excitation effrénée, livrée aux désordres de l'hétérogene et aux chimeres des u combioaisons ". - Si la métaphore, dans ses autres fonc~ tions, avait structure d'aufheben, et si les figures produites y devaient, en s'évanouissant, donner lieu a la littéralité des concepts spéculatifs, il va de soi que la figure du Witz ne peut répondre ni a ce role ni a cette structure. Le Witz doit Ctre évité.

Mais dans la mesure ou !' on ne sait pas - pas clairement, du moins, et pas conceptuellement - ce qui permet de dis­tinguer rigoureusement, entre deux produits métaphoriques, celui qui provient du Geisl a la recherche de son soi, et celui qui risque de provenir des désordres du Witz, - et dans la mesure, plus précise, ou le critere d'une te!le distinction se trouve en tout cas hors du mot (dans un jugement, sem­ble-t-il, moral et/ou logique etjou esthétique), il est fort possible que l'on ait a reconnaitre ici !'une des raisons, et non la moindre, de ce qui aura empéché !' articulation dia­lectique effective du mot spéculatif sur le mot métaphorique. Le domaine de la métaphore, avec ses trois " raisons " possibles, est trap confus : on risquerait toujours, peut-etre, de prendre un \'V'itz pour un concept. (Et d' ailleurs, le Witz te! qu'il vient d'etre défini ne ressemble-t-il pas étrange­ment, en tant que combinaison d' éléments si éloignés qu' ils peuvent bien etre opposés, a un attfheben? Ne le voit-on pas, en outre, tenir au moins compagnie a cette PhantaJie, que !' on sait relevante, et qui_ fait aussi bien les fictions que les mots? C'est la ressemblance qui fait le danger de confu­sion : circonstance qui ne rappelle sans doute pas par hasard le danger de confusion entre le sophiste et le philosophe te! qu'on le fróle dans le Sophisle de Platon - c'est-3.-dire le Witz sophistejphilosophe auquel il faut ·bien que le philosophe se frotte, et se pique.) Pour éviter le Witz, on évitera done la métaphore entiere, et, plus largement, on évitera 1' ordre entier de la figuration - e' est-a-dire qu' on

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Le mol, le spécttlaJif

évitera de retenir expressément, au titre du concept, quelque chose de cet ordre dont l'énumération a commencé ·par dési­gner en particulier, dans !' " Enigme ", la premiere espéce du " Witz conscient de la symbolique " 172, et ainsi une for· mation qui, malgré une riche histoire, " a sombré .< herun­ter:inken >,a l'époque moderne, dans le pur Witz et plaisan­tene < Spass > de société " 173 - et par désigner encare, dans cette Enigme, sa forme la plus triviale, qu'est le jeu de mots : " A l'énigme nous pouvons adjoindre ce champ indéfiniment étendu des trouvailles <E in falle> frappantes < frappierende >, spirituelles < witzige >, quise produisent c~mme jeu de mots <\'V'ortspiel >, épigramme < Sinnge­dicht> ... 173. ,

Le jeu de mots, le mot qui joue, e' est tout ce qui reste en définitive du mot pris dans le Witz et menacé par la figure, e' est son dernier relief, ou son rebut. Et ce(te condam­nation, ou du moins cette mise en garde - qui s' adresse a la bouffonnerie, sinon a la folie - rejoint curieusement le refus spéculatif de la spéculation verbale. Que l'on joue ou que 1' on pense sur tm mol, e' est la m eme chose, sans doute, la meme " F rivolitiit " dont Hegel taxe ailleurs le Witz 174. Comme Kombinalion, tour d'un mot ou combinatoire plaisante de mots, la spéculation ne peut-etre qu'une mystification_ C'est ce que Hegel reproche si violemment a Jacobi comme a Hamann, et qu' on a pu Jire en épigraphe de ce travail. Hamann, en particulier, est celui qui, contre 1' Aufkliirung et contre Kant, n'a cessé d'agiter le probleme de la coincidentia oppositomm 175, soit le probleme ou la matiere memes de l'aufheben. Mais Hamann n'y répond que par des farces, des plaisanteries, par des mots. (Aussi Hegel ne discute-t-i!

172. Ibid., p. 385. 173. Ibid., p. 386. (Histoire comparable, done, a celle de la gram­

maire.) 174. lbid .. p. 489. On remarguera, avec ce mot, et bien d'autres

qu'on a vu accompagner et quahfier le Witz, l'abondance des termes franc;:ais employés par Hegel en l'occurrence. Comme si, du \'7itz, il fallait écrire dans la langue de la nation « spirituelle ». et, du coup, dans une langue étrangCre. .

175. Recension de Hamann, o p. ctt .. p. 252.

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mcme pas les ~hé?rics hamanienncs du langage et du Witz. I1 se co~tcnte J ob¡cctcr ccci : " Hamann [ ... ] ne s'est pas donn: la pemc c¡ue, si J'on pcut parler ainsi, Dieu [ ... ] s'cst donnce, d~ t/é¡>e/opper le noyau concentré de la vérité [ ... ] en un systeme "·176.)

Un bon mot ne peu.t résouJre la coincidentia oppositorttm; mtfhe_ben ne peut pas etre un W1tz. Et c'est bien ce qu'énonce, dJscrctcm~nt, la Remarque de l'aufheben, dans la derniere phrase qm nous reste encare a rclire :

({ Le 1<;mblcwsc~s _du Iatin tollere (qui est Jevcnu célCbre par le \\?Jtz. de Ciccron : 1olle1Jd1111J eue Octavium) neva pas auss1 1om. »

~ mot, le mot latín,. le plus proche de a11jheben se trouve ctre au ?:o~ns :narqué, ou remarqué, par un Witz. Et ce mot, Hegel 1 ev1te a son tour : car a s' en tenir au Jexique, les deux sens de tollere forment une structure bien proche de · c:Jle de aufheb:n. Et pour éviter tollere, Hegel est obligé d avo¡r. r~~ours a une nuance sémantique ',de fa~on que] que ¡:>en artJf~cJeuse ( car· sa remarque ne touche pas a la présence s1multanee de deux sens opposés) : " Le sens positif ne va que jusqu'a l'éJévation ,< Emporheben >. "Une Schattie­nmg du sens, entre Emporbeben et Aufhebm au sens positif assurc le privilege du mot allcmand, comme d' extreme jus: tcsse. Qu' a-t-on gagné? on a gagné de ne pas tomber dans une p~opriété comn:une ~ plusicurs langues, on s' est ainsi .garantJ contre une d1sperswn excessive. Il sufJira bien d' avoir un. peu p_lus loin, a accorder quelque nécessité réflexive a~ latm. Ma1s en meme temps, on a évité toute confusion avec le Witz. Le premier des mots spéculatifs n' a ríen a voir avec un bon mot.

.. cest la, sans dout~, ce qu'il faut Jire. Hegel pourtant n enance pas cette these pour elle-meme. Le Witz est mis a. _l'écart. avec une discrétion telle que la these, comme tclle, S e':anomt presquje. Ce_tte mise a 1' écart, e' est seulement, a s' en ten1r au texte, a m1se entre parenthfses d'une indication

176. !bid., p. 2~3.

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Le mot, le spémlatif

anccdotigue (J'un bon mot rapporté de Cicéron). Le Witz, dont le concept n'est absolument pas examiné, n'est gu'un mot <Jui se trouvc ici par hasard. C'est une coi"ncidence -la coin­cidentia des opposés gue sont Witz et Aufheben -, et' cette co!ncidence n'est pas résolue. Dans le discours de la Remar­que, on trouve ainsi un dernier relief : le mot " Witz ". -C'est-a-dire qu'on retrouve aussi bien dans tous les textes de Hegel, ces reliefs du Witz que sont amsi tant de bom mots, et jusqu'a des jeux de mots : " Dinge-Denken ", cette sonnerie mécanique est aussi bien une plaisanterie, ou la combinaison des choses les plus hétérogenes. Comme si, pouc n'avoir pas été expressément ni rigoureusement exclu, le Witz ne cessait- Iui aussi - de " faire retour partout ". A moins <JUC son exclusion n'ait été, subtilement, passée (presque) sous silence aJin de lui permettre de faire retour ...

Hegel ne veut pas le dire - et ce refus est la demiere garantie contre ce qu' on a vu son discours' refuser sans relache, contre la spéculation verbale. Ce refus signifie -· ou marque, du moins - le refus de compter sur aucun mot et de compter sur la spéCIIIation dr~ signifié (absolu) dans un signifiant, telle que sans doute, jusqu'a Hegel, toute la philo­sophie a, de diverses manieres, spéculé sur elle, c'est-a-dire joué et compté a la fois ses pertes et ses profits, les bénéfices et les faillites d'un sens ou d'une vérité que Hegel a défini­tivcment entrainés dans l'opération tout autre, et ambigue, de l'mtfheben. (A moins gu'on ne préfere dire que dans cette spéculation l'ar~fheben hégélien joue pour la premiere fois tou/e la mise ou tout le capital du sens.)

Mais ce refus, des lors, engage aussi bien ce qui, du ou dans ]e discours hégélien, contraint les mots a s' écrire, de texte en texte, irréso]us, entre Aufheben et Witz. L' évitement de Ja spéculation verbal e ne peut se faire qu' en évitant· de relever ces mots. L'opération meme de l'mtfheben comporte, dans sa pleine rigueur et de toute nécessité, un reste, le relief de son propre - a jamais impropre - Witz non relevé. Un Witz, ou du Witz non relevé, cela ne serait peut-etre pas sans rapports avec cette im¡uiétude, ce trouble- Unrtthe­ou nous avons presq11e vu Hegel inscrire l'expression du

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La remarque spém!ative

spéculatif, comme a méme les défauts du discours er1 propo­sitions. Le Witz " est " trouble, il trouble la grammaite

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la logique - ii trouble Hegel lui-meme, or1 a pu le Jire. L' " effort pénible " de Hegel, J"elfort désespéré du spéculatif, serait alors pour ne méme pas, er1 J"identifiant et en le relevant, maítriser ce troub/e ...

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6

épilogue

« Un livre est une chose < Ding >~ et chacune de ses feuilles est aussi une chose, et de rnCme chaque parcelle de ses feuilles et ainsi a l'infini. ))

(Science de la logique, op. cit., II, p. 113.)

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1 Epilogue : i/ lagit de deux choseJ. D'un cer· tain eipril, d'abord, /' « eif.rit d'épiloKue >> fJ..IIÍ eJ/ /a ({ JiJpoJition J ép1foguer, d trouver a redire ». Hegel trouverait a redire a ce qu'on dit. PuiJ il I'agit d'un épUogue, de que/que e hose qui s' annexe Jetlfement au di.rcours, comme une Remarque d'ail/eurs, qui le pro­/onge, mais qui luí échappe auui, qut le recouvre peut-itre, qui /'exdde en tout cas.]

Le Witz, · pourtant, sera relevé. Mais <¡uc veut di re ici " pourtant "? rien d'autre que" par conséguent ". Le Witz; Jonc, cst relevé- il l'cst J'cntrée Je jcu, il !'a toujours été, puisque toute la langue, tous ses mécanismes eossibles, tous les jeme de ses sens ont toujours été soumis a Ja contrainte inqrúe de l'aufbeben qui, sur le Witz aussi, n'a pu manquer de " faire retour ". Mieux encare, c'est peut-Ctre su.r le Witz <¡ue l'rLttjbeben fait d'abord retour : la colncidence de la Remarc¡ue doit aussi, bien entendu, se Jire tout d' abord comme

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La remarque spJculatit'e

la releve du latín par J'allemand, et du \V'itz par l'Aufheben. La loi générale du systeme ne souffre pas d'exception. 11 ferait pietre figure, celui qui penserait avoir résolu le discours de Hegel en proclamant que son concept maieur est un mot, un " mot ", un bon mot. Car s'il croyait ainsi révéler le secret de l'absolu, l'absolu lui répondrait qu'il s'est toujours offert a nu, a meme Ics mots, que son secret n'est somme toute que le secret de Polichinelle. Si l'on devait au contraire s'imaginer pouvoir tourner Hegel en dérision, le réduisant a quelque bonne plaisanterie, il offrirait encare ses mots vides : car ceux-ci, puisqu'ils suppriment tout sens déterminé, interdisent bien plus síirement encare de jouer sur les sens.

Si l'on a cru, par conséquent, pouvoir inscrire, sous le nom de \V'itz, un dernier relief, ce n'était selon ni !'un ni l'autre de ces gestes. Mais plutót selon l'exigence d'une répétition de l'opération méme qui laisse ou produit ce relief. e est de cette mani~re aussi gue Hegel doit a présent encore trouver a (se) redire. - Que le Witz soit et ne soit pas relevé (pour parler en propositions ... ), cela entraine en effet, nécessaire­ment, qu'il n'y a de bon mot hégélien en ctllc!ln sens du mot. Cest la logique de I'a11[heben - mais, on le sait déja, cette logique entraine aussi bien ce passage irrésistible, ou ce glissement inévitable d'un mot a J'autre, de aufbeben a Moment, pour commencer. A la justesse ou a J'excellence de mots savamment choisis - et plus encare a la précision de termes construits - est substitué un usage pluriel, diffi­cile, dispersé, aléatoire, entre jeu et sérieux. Cet u usage '' (autre nom ou autre face de ce que nous avons pu nommer un " calcul ") ne se laisse pas comprendre comme un man­que, une insuffisance de cette logique- mais bien comme son tour le plus propre : son cycle - Kreislauf -, et sa fa<;on de parler - Ausdmck, Le tour de la Logique consiste dans un déneglement permanent, continu, - et pourtant discre~ dis­continu -, a travers tout son texte, de toute fonction de " bon mot ". La Science de la Logique consiste a dérégler son propre livre, en y dispersant des mots remarqtiables dont la dispersion empéchera toujours que la syntaxe ou la com­position du livre les réduise a aucune identité de sens. S'il

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Epilogue

y a ou s' il reste quelque chose que 1' on puisse nommer un " Witz " de la Logique, ce n'est assurément pas uri,e identité ou une vérité, fut-elle obtenue par jeu : mais ce n'est peut-etre que cette économie d'usage, cette combinaison d'hétérogenes qui en compase aiiSsi la "logique ". Et c'est un pareil dére­glcment, son glissement, son mécanisme, ses moyens brisés, qu'on appelle " le texte ", d'un mot a peu pres vide, lui aussi 177.

177. Ce qui ne veut pas di re que le « concept », le motif (voire le mobile), ou le mot de « texte » fonctionne, la oU it fonctionne, sur un mode identique a celui du « mot vide» de Hegel- mais pas non plus sur un mode simplement extérieur ou opposé a ce dernier. C'est, sur l'un et l'autre point, ce qu'on espere avoir un peu montré ici - ici oU, au demeurant, on n'entreprend aucune thérnatique ni systématique du <e texte », et cela pour deux raisons. D'abord, paree qu'on a voulu se livrer et se limiter aux conditions de la lecture du texte de Hegel (au sens le plus littéral que l'on voudra:; la littéralité d'un texte philosophique, c'est a la fois ce qui, daos la tradition, est toujours allé de soi, au point de pouvoir etre laissé daos l'ombre du concept, et ce dont (par conséquent) il est toujours alié de soi qu'on la persécute ou la redresse aux fins d'en extraire l'esprit; on aura pu voir ou lire id comment la littéralité hégélienne va de soi, quant a elle ... ). - Ensuite, paree qu'il n'y a pas, en dépit des accommodations trop zélées ou des accusations bornées, de théorie (de doctrine, de science, de vérité, de discours) du « texte » - si ce mot ou motif ne signale rien d'autre, a l'égard de la philosophie, en tout cas, que l'opération et la transforrnat10n auxquelles la théo­rie, comrne telle, a la mesure meme de l'exces sur tout lanxaKe oU elle s'est toujours conrue et voulue, s'entraine irréversiblement (c'est-3.-dire sans J?Ouvoir effectuer l'annulation qui, en tout seos et en tous sens, fa1t son paradigme le plus propre).- Parler du « texte de Hegel » revient done, avant tout, a ne pas répéter sur Hegel l'opération (hégélienne, certes, et du m€rne coup inévitable, en_ un sens du moins) si fréquente qui consiste a en (mieux) concevotr la pensée ou la doctrine, et rnoins encore l'opération (plus simple ou plus fuyante) qui consiste a déclarer cette pensée inconcevable ou mon.strueuse. Mais a laisser au contraire (se) relire (tout simple­ment si l'on peut dire, mais en toute rigueur) ce qui s'est écrit et signé' du nom de Hegel - et qui pour cela meme, et en fonction de quelques contraintes de la philosophie elle-meme, n'a pas pu ne pas entamer déborder ou abimer le d1scours philosophique, sa propriété, sa véraCité, sa logique et sa vo.lonté ( com~e on a vu qu:il arrive a u rnetteur en scene pour av01r voulu fa1re <e trop vra1 )) ) . -Relire, retire un texte philosophique, consisterait a y <e reconnaitre » ce qui littéralement ne s'y la1sse pas construire ni déduire (et on va voir bient5t a quel point Hegel. a pu !ittéralement en marquer I.a nécessité), ce qui, si ron peut dire, a lwre OIIVert s'y perd. Depms

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Page 87: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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La remarq11e spéC!IIative

Un tcl dércglcmcnt survicnt a la Logiquc aussi bien du dchors que du dedans de son systcme. Du dehors - car ii va •• de soi " que sculc J'cffraction, inévitable, d'une répétition de l'allfheben, apres·Hegel et quelques autres, peut avoir une chance de se soustraire a une spéculation dans laquelle, tout simplemcnt, on voit mal quoi ou comment, désormais, investir (meme si aujourd'hui encare, de part ou d'autre, on continue par inertie :l mettre en jeu diverses " dialectiques ") - si, comme on a tenté de le di re ici, Hegel a déja joué tout J'avoir disponible. - Mais du dedans, puisque, comme on vicnt de Jc rcmarqucr tout au long Je ce parcours, e' est Ia loi du systeme, tel qu'il se donne a Jire, a meme son livre

r ou ses livres, que de se livrer a ce déreglement subtil et discret. C' est la loi du systcme, en particulier, qui fait passer, par une Remarq11e, de la logique de 1' ctre a celle de J'etre-lit; c'est-it-dire que ce passage se fait par la saillie d'un

le Platon Ju Tbéé!Cte, Ju Sopbiste ct du PtlfmétJide, certaiocs pcrtcs (pCre, proprc, Un) soot J?.Cut-Ctre tres réguliCremeot inscrites daos la philosopluc ct de la ph1losophic - dont l'aufheben logique fcrait alors aussi bien la rcli:ve générale que le décompte textuel. Ce compte, ce calcul ou ccttc lecture doubles de I'aufhebeJJ ne sont assurémcnt possiblcs qu':i la condition d'avoir pris en compte ce qui, de la philosophie, en notrc temps, a posé la question comme question « de » notrc tcmps (comme qucstion active, pratiquc, modi· ficatrice, transformantc ou dé-formante : question tordue et tordaotc). On a prononcé, en commenc;ant, le nom de Heidegger. I1 est tcmps, :i l'iostant de fioir, de donncr a Jire un texte dont on appréciera l'étrange proximité - c'est-éi-dire aussi l'étrange écartement -aux tcxtes de Hegel qu'on a parcourus, Saos les torsioos dis· cri:tes, mais irrévers1blcs (bien qu'ellcs soient eiies aussi a « rclire » ). que le premier a imprimées aux seconds, rico sans doute n'au­rait pu venir déranger daos son texte l'hégélianismc embaumé : « La multiplicité Ju seos daos le dire ne consiste nullement Jaos une simple accumulation de significatioos, surgies au hasard. Elle repose sur un Jeu qui reste d'autant plus étroitement retenu daos une ri:gle cachée, qu'il se déploie plus richemcnt. Cette ri:gle veut que la multiplicité du seos reste en balance, et c'est le balancement en tant que tei que nous éprouvons ou reconnaissons si rarement commc tel. C'est pourquoi le dire reste lié seloo la loi la plus haute. Celle-ci cst la liberté qui ouvre au Dire le libre champ de l'Ordre qui fait tout jouer; toute la Transformation saos repos. [ ... ] Ce Dire n'est pas l'cxprcssion de la Pensée, mais c'e.st elle-mCmc, c'est sa marche et son chant. » (ColllriblltÍon a lt~ q11estion de I'Ctre, traJ. G. Granel, in Questions 1, p. 249).

170

Epilog11e

mot - a11jheben , et d'un mot que la Remarque, en s'achevant, emporte déja hors de lui-meme, vers d'autres mots, d' autrcs déterminations, et d' abord vers le Dasein, 1' existence empirique, hasardeuse, accidentelle, des choses et des mots. Rappelons ce texte, cet épilogue de la Remarque :

« Le seos et l' expression plus précis < niiher : plus approchés plus approximatifs ... ~ que l'Ctre et le. néant possedent ·en tant qu'ils sont désormais des · moment1 se donncra pitos la considération de l'Ctre-l:i ... )> .

L'm¡fheben, de soi, s'engage dans l'approximation, se livre i\ la chance .et aux accidents du pluriel des mots, a la virgule qu'il faut bi.en écrire entre le mot et le spéallatif. Le mot n'en sortira pas in m e. 11 finira, sinon par s'y dissoudre, du moins par y froler la dissolution. La dissolution - l'At~flo­IIIIIC- est le o que l'on a pu voir précéder aufheben, dans la Logique, avant, si l'on peut dire, que l'Anfheben ne com­mence. C est aussi le mot que, de plus en plus, dans les textes de Hegel, on verra effleurer ou meme brouiller de son ombre - Schattiemng- le mot aJtfheben.

Auflosen, e' est d' abord en que! que sorte le . substitut de 1' au fheben dans le processus physico-chimique, e' est-a-dire dans le proces ou dans le moment du neutre (soit, dans [le moment de J 1' eau), au mur de la philosophie de la nature, au " centre " du systeme ( et au creur, d' abOrd, de 1' " abJec-~ tivité ", elle-m eme au " centre " de la logique du concept). L'A¡¡f/ostmg survient, sans doute, par préférence,. dans .le temps de la séparation négative ( cf. par exemple Encyclopédte, § 287) 178. Cette derniere néanmoins, dissociation ou dislo-cation, négatif simple d'un a11jheben, se nomme ou se marque Diremtion (§ 324), Zedegen (§ 308), Zersetzen (§ 330), zerfa//en (§ 291 ), etc. L'A11j/iúung elle-meme indique plu-tót une dissolution comme celle qu'opere la chaleur, ef par quoi " 1' acte par Jeque! se consume la propriété corporelle assume J'existence de la pure idéalité physique " (§ 306), dans " le moment de la dissolution réelle de r immédiateté "

178. Les textes suivants sont cités daos la traduction de M. de G andillac, a peine modifiée.

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Page 88: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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La remarque Jpéculative

(~ 307), avant d'étre le double mouvement d'échange et de mélange (~ 333) du neutre :

« D'une part dans la di5.solution du neutre commence le rctour aux corps chimiques particuliers jusqu'aux corps indifférenciés a travers une série de processus caracténs­tiqucs, mais d'autre part, absolument parlant, chaque sépa­ration < Scheidung > de ce senre est elle-meme insé­parablement liée a une unificat10n < Vcreinigung > 119. >> (§ 33-1.)

Daos la chimie, le déplacement de la structure d'aufheben en auf!Osen rendrait compte de ce qui, dans ce processus, ~ peut encare étre releve, et doit etre relevé : car la releve 1ppartient a la vi e du processus téléologique, de méme qu elle appartient, dans la Logique, a la vi e du concept. L' aufloJen d'avant l'aufhebeú, antériorité répétée de la logique dans la philosophie de la nature, obligerait déja a penser un retard

¡ de !'aufheben sur lui-meme, une sorte de dissolution de son procfs dans son propre commencement, comme dans son moment neutre. L'eau dans laquelle parle la voix d' aufheben dissout peut-étre cette voix, des qu'elle parle.

Mais quelle chimie pourrait livrer le processus par Jeque! cet aufloJen glissera bien plus loin, dans le systeme et dans les textes? Dans la PhiloJophie de la religion, par exemple, et plus précisément dans " la religion absolue "180 : " La dissolution de la contradiction est le concept; l'entendement ne parvient pas a la dissolution de la contradiction. " Plus Ioin, dans le meme livre, pourtant, on trouvera, a propos de 1' etre posé comme une détermination du concept : " Tout concept consiste a relever cette différence de l'etre18!. "

Deux mots se frolent, un meme texte s'écrit avec les deu.,, entre les de~x. dans l'épaisseur d'une ombre ou dans le calcul d'une différence infinitésimale. - C'est a travers l'Erthéti­q1le, sans doute, que cette écriture 182 combinée ou brouillée

179. Cf. aussi toute la syllogistique chimique de la Remarque de ce paragraphe.

180. Ed. du Jubilée, XVI, p. 236. 181. /bid .. p. 543. 182. « Ecriture », il faut le rappeler, elle-meme singuliere de tous

ces textes :. des notes de Hegel s'y melent :l des notes d'étudiants.

172

Epilogue

de !'aufloJen et de l'aufheben accentuera le plus son mouve­men . Si ' , au début de l'Esthétique, se voit assi8né comme

mo en <Mitte> qui dissolvent I'opposition " egel vient de rappeler les moments pour les

couronner par !' opposition de la théorie et de !'etre-la, et st cette dissolution dans l'art revient a " ramener " I'oppo­sltiOn " a l'umte "183, a la fin de l'Esthétic¡tte, en revanche, au moment ou l'art lui-meme dissous est pret pour la releve philosophique qui s' est annoncée des le début - et des la dissolution de 1' opposition dans r art -, tout se passe, dans une des dernieres phrases, comme si l'absolu se trompait de mot ·

« La présence et l'efficacité de l'absolu n'entre plus en réunion positive avec les caracteres et les buts de I'etre-lil réel, ma1s ne se fait valoir ~ue daos la forme négative, selon laquelle tout ce ~ui ne lui correspond pas se aufhebt et seule la subjectivite comme telle se montre en meme temps dans ceJte Auf/Osunx comme certaine d'elle-meme et assurée en soi 184. »

On ne peut jamais exclure une erreur, si on ne pcut pas non plus la prouver. Mais surtout : ce qui est a Jire dans ces textes, n'est-ce pas d'abord ce mode d' « écriture » de Hegel, ce peu de soin apporté par le p!ofesseur a la lettre de son systeme, confiée a tant de hasards, une maniere de ne r.as surveiller les mots qui combine l'arrogance de la Pensée et l'inqutétude de l'expression spéculative?

183. Op. cit .. 1, p. 65. 184. Ibid., JI, pp. 585-586 (nous soulignons). On se contente id

de ces indications, pi!mi une foule d'autres quant aux occurrences de ces termes a l'intérieur de l'Esthétique. C'est aussi qu'il s'agit en fait, on peut le deviner, de l'économte meme de l'esthétique daos la philosophie (héJ?élienne), qui se ¡·oue saos doute daos ce mince intervalle Oe la releve et de la disso ution. Il n'est pas question d'en .

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. engager 1 analyse. Mats on n oubüera pas que I'Esthétique con-~ tient, en parttculíer, l'exhibition d'un mot « merveilleux », déj:l ~. / mentionné : Sinn1 le double sens du seos.- saos oublier en méme

terñps que l'esthétique est le domaine d'une plastique dont le double L seos nous a été signifié et dérobé d'entrée de jeu, en guise d'expo- """"\.­sitian ... - Ici comme ailleurs, le passage, chez Hegel, - ou SQUS la plume de Hegel -, d'un livre a l'autre. de texte en le~on, de chapitre en remarque, d'un sens a l'autre, et. par conséquent. le passage du seos, devrait peut-etre s'avérer comme la transformation ou la déformation - la modification, daos le Schreibart - de la forme unique qu'est la philosophie. « La forme de la philosophie est un penser pur » (lntroduction a l'histoire de la philosophiel op. cit.,

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Page 89: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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La remarque _spémlative

I1 ne s'agit plus de chimie- ou bien il s'agit de l'étrange et irrelevable chimie d'un texte qui mélange ses mots, ou plutót (et c'est alors de pathologie qu'il faudrait parler), d'un texte qui laisse des n:o_ts se contaminer, s' cntamer ou se g5.ter le~ uns les autres __:__ se relever et se dissoudre a la fois. A se livrer a la chancc des heureuses trouvailles dans la langue, on risque toujours ce genre de contamination, on risque toujours les combinaisons hétérogenes. A parler dans !'eau, ct a s'y vouloir faire entendre, on risque de faire seulement bruisser les mots. On risque toujours de se 1aisser surprendre par un Witz, ct la joie qu'éprouve a l'occasion la pensée spéculative risque toujours de se Jaisser entra1ner a quelque voluptueuse débauche.

La Remarque de I'aufbeben contiendrait ainsi, simultané­ment, le programme entier d'une langue spéculative, de son vocabulaire et de sa syntaxe, et, dans les conditions memes de ce prograrrune, comme une piffe de sa " machín e nalve '', le risque permanent- c'est-a-dire Jou;ours dép surve1111-d'un accident witzig. Un accident qui représente a la fois, et paradoxalement (mais qu'cst-ce, en logique hégélienne, qu'un para-doxe ?), la réussite- en quelque sorte inattendue - de la spéculation comme spéculation verbale ( ou comme Verbe spéculatif, Witz dont le nom est Lagos), et le déregle­ment de cette spéculation, sa chute au rang du plaisir ( ou du désir : Lust), de l'excitation, sa perte dans l'hétérogene et la· frivolité, sa dispersion dans " le champ infiniment étendu des trouvailles frappantes ... ". La chance de la pensée spécu­lative, la chancc, par conséqucnt, du conccpt aussi bien <J.UC

p. 1~1) : cettc purcté « est »,en tant qu'eile s'énoncc (se_proposc), ct qu'cllc s'écrit (ce que le conccpt cxi~e), le passae:c << mCme >>. -l'twjbt-ben, done, c'cst-;'L-dirc la différcncc ou la d1ffércnciation des formes l'entrainement d'une forme (mot, proposition) qui va de soi en son' autre, son altération, d'aufheben en auj/Osm, ou de Sitm en Jinn. Pour recourir aux richesscs (spéculatives) de la langue, on dira qu'il s'agit d'une continuclle dé-sinence : perte de seos, rnodification grammaticale, rnaniCre de se terminer a tout instant. Ou, par provi­sion, on écrira : la mise en forme de la philosophie (spéculative) « cst » b. Jiffércnce des formes, ou l' « Ctrc-différent )) de « la )) forme, comme étre de l'iJre Jans sa différcnce (son idcntité, done), ou encare : la philosophic (spéculative) (cst) (la) déforme de l'iJre .

174

Epilogue

de la Iangue, est elle-mcme - . dans r ctre-chance de ~ chance, si !' on peut dire - conformée, <l métne sa forme, a mcme la torsion qui fait sa forme, de fa~on a entra1ner avec elle, pour peu qu' elle survienne, par bonheur, da~s un ·?'ot, non pas seulemmt la perte dialectique de son .grua ( 9w est toujours dans ce cas le .ga~n de cette perte), ma~s anssr:, et ~ dépit de son sem ausst bten que de son voulou, un acct­dent ", entre pcrtc ct gain. Cet accidcnt n'a plus la natu~e d'une " accidentalité ", aucun discours n'en mesure l'éve­nement ni la portée- si bien qu'il n'est meme plus calculable comme sont calculables aussi bien une dérivée que 1' effet d'un jeu de mots. Mais il n'en es~ pas mo~ns ce que:, ir;~is­tiblement, nécessairement, · la Logtque a du, avec dtscret!On, " calculer " commc son texte.

C'est alors tout ensemble une derniere surprise et une con­clusion logique - une chance inévitable, en quelque sorte -, que de trouver, dans une additio11 au discours de Hegel, quel­que part, une place (mal) rnénagée pour cet incalculable. Dans le commentaire, en effet, des notions de possibilité et de con­tingence du § 145 de I'Encyclopédie, Hegel a pu dire (on a pu noter sous sa dictée) :

e< La continpence [ ... ] en tai_tt qu'elle est ~ne form~ d: l'Idéc en géneral [a] un drott propre ausst [ ... ] Ams1, par exemple, da~s le langage, bien que celui-ci soit en quclque sor.te. < gleichsam >: le corps de la pen~ée, le hasard · ausst JOue pourtant resolument < unbedenkltch -mais c'cst aussi " saos réfiéchir ", ou " saos penser "> son rOle < Rolle > bien arreté < entschieden > [ ... ] Il est tout a fait exact que la t3.che de la science et plus pré­cisément de la philosophie en général consiste ~ connaitre la nécessité cachée sous l'apparence de la contmgence; ce qu'on ne peut, toutefois,. entendre co~me si_ le cont_ing~nt appartcna1t simplcment a notre rcpresentatton sub¡ectlve ct, pour cettc ratSO?•. é,tait 3. écarter abSO~Uffi~~t pour q!l'on parvicnnc a la vente. Des efforts S~tent~ftque~. qut se déploicnt unilatéralement daos cette d1rect1on n echappe·

175

Page 90: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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La remarque Jpéculative

ront pas au reproche justifié d'Ctre un t;etit jeu vide < lec re Spielerer > ct un pédantisme gumdé < steifcr Pedantismus > tss. »

A relire ce texte, daos tous ses seos, on le trouvera toujours, saos aucun doute, ordonné a la science et a la vérité qu'il nomme, mais on le trouvera aussi résolument irréductible a ce que le concept - et non le texte - de la spéculation pcut vouloir dire. Ce n'est pas en effet- pour souligner ce trait parmi d'autres - une syntaxe dialectique ou spéculaire qui articule la contingence du langage sur sa nécessité, rnais le " bien que " (obschon) d'une synta.xe oppositive ou disjonc­tive. Hegel, sans doute, n'en restera pas moins celui qui cite ailleurs ce Witz fran~ais : " La vérité, en la repoussant, on l'embrasse. "186 lvfais la vérité, ici, n'est pas tant repoussée que dérangée ou déplacée sans que l'on puisse tres bien savoir comment ni vers ou. Le hasard n'est pasa réduire a la néces­.sité, ce geste serait " unilatéral '' : un certain hasard joue done le jeu spéculatif, le jeu d'a .. fheben. Et comme par hasard, le langage en est un cas remarquable. Il n'y a pas de spéculation verbale paree qu'il y a du hasard spéculatif daos la langue- ou paree que !'esprit spéculatif de la langue est contingent, ce qui veut dire aussi que le " corps de la pen­sée ", lui-meme, est contingent. Aufheben est la forme, 1' énoncé de · la spéculation, paree que sa contingence est " une forme de l'Idée ". Comme si 1' on apprenait enfin ce qu'il en est de 1' " exposition plastique ", c'est-a-dire de l'tt!tfheben des propositions qui nous permettrait enfin de Jire le texte de ]' a¡¡fheben : la DarJtel!tmg spéculative est elie­m§me contingente, elle rneme ha.sardeuse.

Certes, la nécessité la plus contraignante exige que l'absolu se livre a ]' etre-la empirique, qu' il passe dans la contingence et comme cette contingence. Le hasard des fortneJ est ainsi sa vérité. Mais on voit aussi qu' une autre nécessité s' insinue dans ce passage, comme un accident inévitable - heureuse surprise et rupture ( ou excroissance) de 1' anneau spéculatif.

185. Trad. Bourgeois, p. 579. 186. Philosophie de l'histoire, op. cit., p. 274.

176

Epilogue

On ne rend pas compte de l'écart qui se produit, a J'impro­viste, dans le passage. Le hasard déforme,

Aussi le texte de Hegel n'a-t-il pas pu cesser, par' la néccs­sité de courir sa chance, de rompre ici ou la, a 1' aventure, en addition ou en remarque, le cours de son propre sens, pour tenter d'y saisir, subtilement, tortueusement, une chance qui ne soit plus le simple envers du nécessaire- et cela n'a pas pu se faire sans laisser quelques traces, en creux ou en relief, dans une irrégularité de syntaxe logique, ou dans un dére­glement du lexique.

Plus loin dans l'Encyc!opédie, Hegel notera d'autres cas de cette contingence au " rOle bien arn~té " (ce qui ne veut pas di re : déterminé). Les monstres, d' abord : " Cette impuis­sance de la nature a tenir fermement le concept dans sa réa­lisation ... brouille partout les frontieres essentielles par des productions indéterminées et mauvaises qui fournissent tou­jours des objections a toute ferme différenciation, meme a l'intérieur de genres déterminés (comme le genre humain), en raison des rnonstres 187. " - Ou en note 188, et avec la verve de la polémique : " M. Krug a, un beau jour, exigé de la philosophie de la nature le tour de force de déduire simple-

187. § 250, Remarque, trad. Gandillac. 188. Cette note - ibid .. p. 241 - vient apees la phrase suivante :

« Cette imi?uissance de la nature assigne des limites ii la philosophie, et le plus mdu est d'exiger du concept qu'il con<;oive de telles con­tingences, et - pour user du terrne qu'on applique a cette opération - qu'il les construise, les déduise; de merne, on semble se rendre la t:iche d'autant plus aisée qu'il s'agit d'une production la plus insi~ni­fiante et la plus singularisée. » On pourra par ailleurs ajouter a la note qu'on va lire le passage suivant, oU la plume, paree que tenue par la main qui écrit, était (presque) relevable (ains1 que l'accent) : (( Les lignes simples de la main done, le timbre et le volume de la voi:r:, comme la détermination indit:iduelle du lanf!.af!.e, - et aussi ce meme langage, en tant ~ue recevant de la main une existence plus fixe et plus solide que celle qu'il avait par la voix, il devient écri­ture et plus précisement écriture manuscrite - tout cela est une expression de l'intérieur, en sorte que cette expression, comme exté­riorité simple, se trouve encare une fois en face de l'extériorité multiforme de l'action et du destin, a l'é$ard de laquelle elle se comporte comme un intérieur. » (PhénomenoloJ!ie de !'esprit, trad. Hyppolite, I, p. 262.) L' « accident », dont on parle, se passe entre J'interiem de la main et la plume.

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Page 91: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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La re111t1rrpte spéc!lftllive

ment la plumc avcc laquc!lc il écrit. On aurait pu cspérer. qu' il réussit dans cctlc entreprise et dans la glorification de sa plumc si préalablcmcnt il avait asscz contribué au progrcs de la sciencc ct réussi i obtcnir une vue asscz dairc Jc tout ce gui est plus important dans les cieux et sur la terre, dans le préscnt ct dans le passé, pour gu'il nc restiit rien de plus .important a (Q[lCCVOir <.jUC Sil pfumc. "

La plume d'un autcur ne se déduit pas. La plume avec laguelle on écrit : Remarq11e : 1' expression A11jhebm ne se : laisse pas tout it fait concevoir. Elle est monstrueuse. Elle écrit · malgré tout - mais elle est aussi toujours en danger de ne pas pouvoir écrire en un certain sens. C' est arrivé it Hegel :

"fe me s11is longtemps demandé si je devais t'écrire, paree t¡lle to11t ce 'l"e l'on écrit 011 dit dépend se11lement de l'expli~ . cation rpl on e1z donne, 011 pttrce rpte je craignais e elle expli­cation, étant donné q11'e/le est si dangeretiSe lorsq¡/on en est venu a11 point de devoir explirpter q¡teltpte cbose. "

1

A Marie, sa fiancée.

Nüreml;>erg, été !Sll.

178

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l. PREAMBULE ............ · · . · · · · · · · · · ·

2. D'UN TEXTE A REMARQUER ....... · · ·

Remarque ................ · .... · . · · · .

3. LES MOTS SPECULATIFS ...... · . · · · · · ·

4. LA PROPOSITION SPECULATIVE ...... .

5. LE MOT, LE SPECULATJF .......... · · ·

Le relief de la Phantasie .............. · · . ·

13

33 65

69

95

129

137

La figure en relief .............. · · · · · · · · · 140 Le mol : rclicf .................... · . · . · · 152

6. EPILOGUE ................ · .... · . · · .. 165

179

Page 92: LA REMARQUE SPÉCULATiVE

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