La règle des loups -...

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Prologue

Mia courait dans la nuit, consciente qu’il la suivait de près et ne faisait que jouer avec elle enattendantlemomentpropicepourlatuer.Elletremblaitdetoussesmembres,dusangs’écoulaitlentementdesblessuresqu’illuiavaitinfligéesàl’épauleetaucou.

Elles’engouffraentrébuchantdanslesténèbresglacées.Ungrognementamusérésonnalugubrementàsesoreilles.

MonDieu,ilserapproche.—N’aiepaspeur,bébé,toutvabiensepasser,jetelepromets.Attendsseulementdevoirceque

j’aiprévupournous…Ilétaittoutprès,siprès.Cesboisluiétaientinconnuset,malgréleclairdelune,elleavaittouteslespeinesdumondeàse

frayeruncheminentre les arbresqui surgissaientbrusquementde l’obscuritémenaçante.Dans sa fuiteéperdue,ellelaissaéchapperungémissementpitoyable.Lui,enrevanche,nefaisaitaucunbruit.Seulsluiparvenaientlecraquementdesbrindillessoussespiedsetsonpropresoufflehaletant.

Maislui…Cesilencen’étaitpasnaturel.Quipouvaitêtresilencieuxaupointdenepasémettrelemoindreson

depas?Cettepenséeaccrutsaterreur,quiconfinaàl’hystérie.Mais,àlaréflexion,rienchezcethommen’étaitnaturel.N’avait-ilpas,quelquesinstantsplustôt,

plantésesdentsdanssonépauleetdéchirésoncorsageavecsesgriffes?Carc’étaientbiendesgriffes.Etsesdents,n’étaient-ellespasanormalementpointues?

Soudain,Miabutacontreunepierrequidépassaitdusol.Lancéedansl’obscuritéoppressante,ellefaillitperdrel’équilibreetserattrapadejustesse.Aussifugacefût-elle,cetteinterruptiondanssacourseluiavaitfaitperdreduterrain.D’uninstantàl’autreunemainallaits’abattresursonbras,desgriffesseplanterdenouveaudanssachair.

JeffGaines,lejeuneetricheentrepreneur.Lemonstreauxyeuxjaunes.Toute à l’excitation et au plaisir d’être l’objet de tant d’attentions de la part de cet homme si

séduisantquil’avaitlittéralementenlevéepourunweek-endromantique,elles’étaitlaisséeétourdirparlevin.

L’idéene lui étaitmêmepasvenuede refuser lorsqu’il avait proposéunepromenadeauclairdelune.Aumomentoùelleavaitremarquéunchangementdanssoncomportement,ilétaitdéjàtroptard:luiplaquantunemainsurlabouche,ilavaitplantésesdentsdanssachair.

— Il est inutile de courir,Mia. Je te vois, je te sens. Tu nem’échapperas pas. Tu ne peux paséchapperaugrandméchantloup.

Sanssavoircomment,elleparvintàtrouverassezdesoufflepourpousseruncri.Lehurlementquisortitdesagorgesemblaitvenirduplusprofonddesonêtretorturé,quis’insurgeaitcontreletraitementqu’onluifaisaitsubiretréclamaitledroitdevivre.Ilrésonnadansl’obscuritéglacéecommeuneultimesuppliquequeMiaadressaitàlaluneindifférente,toutenpoursuivantensanglotantsadifficilefuiteenavant.

Uninstant,letempssemblas’arrêterpourluipermettredereprendresarespiration.C’estalorsquel’enfers’ouvritsoussespas.Jeffpoussaungrondementdetriomphesauvagetotalementinhumainet,attrapantsonpoignetd’une

mainétrangementchaude,ill’attiraverslui.— Ton sang m’appartient, dit-il d’une voix épaisse qui n’avait plus rien de commun avec les

intonationssophistiquéesdel’hommeavecquielleétaitvenue.— Tu croyais vraiment que tu pourrais le cacher éternellement ? Je sais ce qui coule dans tes

veines,petitesorcière.Lesangenquestionseglaçainstantanément.Onl’avaitprévenue,maisellen’avaitjamaisimaginé

que lamenace qu’on lui ressassait depuis si longtempspourrait un jour se réaliser.Quelle idiote elleavaitété!

Ilétaitunpeutardpoursuivrecesconseils.A peineMia eut-elle repris son souffle qu’il la mordit de nouveau, plantant ses dents dans son

épauletuméfiéed’oùlesangcontinuaitàcouler.Puis,tell’animalqu’ils’étaitrévéléêtre,Jeffsecoualatêtedegaucheàdroiteenenfonçantsescrocsdeplusenplusprofondémentdanssachair.

Mia entendit un second hurlement dans le lointain. Ce n’est que lorsque lemonde autour d’ellecommençaàs’effacerqu’ellecompritqu’ilprovenaitdesapropregorge.

Le sang coulait plus vite de la plaie ouverte de son épaule.Mia sentit sa vie lui échapper en leregardants’étalersursesvêtements,lelongdesonbrasetsursapoitrine.Lesolsemitàtournersoussespiedsetelles’appuyasurlecorpsdeJeff,n’ayantriend’autreàquoiseraccrocheravantdes’effondrer.

Elle ne devait surtout pas se laisser aller, sinon elle craignait de ne plus pouvoir reprendreconnaissance.

Luisemblaitprendreplaisiràsonétreinteinvolontaire.—Ilesttempsd’enfinir,gronda-t-il.Illadéposasurlesolcommeill’auraitfaitd’uneenfantendormie.—Illuriatira.Illuriam’arhemana.Lesmots,inconnusetpourtantétrangementfamiliers,résonnèrentauplusprofonddesonêtreetelle

eutlasensationdes’ouvriràlanuit.Unepuissance,sombreetinterdite,s’emparad’elle.C’étaitl’autremoitiédesonpouvoirqueJeffavaitfaitremonteràlasurface.Lagrainemalignequ’ellen’avaitjamaislaisséecroître,forcéedes’épanouirenuninstant…tellementattendu.

Non,pensaMia.Etjusteaprès,oui.—Regarde-lebriller,murmuraJeffavecrévérenceenreculant.Miaparvintàouvrirsuffisammentlesyeuxpourlevoirquisepenchaitsurelle,couvertdecequi

ressemblait à de vraies giclures de lumière. Un halo lumineux les entourait tous les deux et elle sutimmédiatement,enuninstantdesombrehorreur,cequec’était.

ÔDéesse…c’estmoi.C’estmavie.Elleaperçut le refletd’une lamequ’ilbrandissaitau-dessusd’elleet ferma lesyeuxpourécarter

cettevision.Maislecoupfatalnevintpas.Mêmedanssonétatdedemi-conscience,Miaparvintàreleverlatête.Ellepercevaitunchangement

subtilde l’atmosphère,quisemblaits’êtresoudainchargéed’électricité.Quelquepartdans le lointain,

,unhurlementdéchiralanuitenunemélopéeauxaccentsdouloureux.Aussitôtsuivid’unautre,puisd’untroisième.

Jeffseredressa,etunaccèsdefureursemblasecouersoncorpstenduenunesuccessiondevaguesbrûlantesquivenaientserajouteràlafoliequileconsumaitcommeunefièvre.Detouteévidence,ilnesavaitpascequisepassaitmaisiln’aimaitpasça.

Miasentitunelueurd’espoirrenaîtreenelle,infimemaispuissante.— Accroche-toi à moi, dit-il d’un ton coupant. Au diable ces questions de territoires. Tu

m’appartiens.Les yeux clos, Mia sentit qu’il la soulevait pour l’emporter au cœur des ténèbres. Elle avait

vaguementconsciencequedesaboiementsbrefsetaigusetdesgrognementsserapprochaient.Onlespoursuivait.Deschienssauveteurs?Aurait-ellecettechance?Maisellen’entendaitaucune

voixhumaineetquelquechosedanslessonsqu’ellepercevaitluidisaitquecen’étaientpasdeschiens.Des images traversèrent son esprit, des images vues dans le livre qu’elle avait dérobé dans labibliothèquedesagrand-mère,lelivreinterdit.Onyvoyaitdesdessinsreprésentantdeshommesvêtusde peaux de bêtes, qui se transformaient en bêtes…des hommes et des femmes, beaux, lumineux, quidansaientsauvagementsouslalune…créaturesdesténèbresauxyeuxétincelants,toujoursauxaguets…

Desloups-garous,pensa-t-elleenluttantpournepasperdreconnaissance.Ungrandnombre,unemeute.Venuspourmesecourir…oupouracheverletravailcommencépar

Jeff.Cela semblait impossible.Enmême temps, elle plus que quiconque aurait dû savoir à quoi s’entenir.Ellenedoutaitpasque,mêmesanssavoirquilespoursuivaitetdansquelbut,lamoindretentativede se sauver était infiniment préférable à ce qui l’attendait si elle ne se défendait pas. Sa volonté devivre,alorsmêmequ’ellesentaitsesforcesl’abandonner,luidonnalaforcedetouttenter,unedernièrefois,pourinterromprelecoursdecettefolie.

ElleouvritbrusquementlesyeuxetaperçutlaflammequibrûlaitdanslesyeuxdeJeff,seslèvresretrousséessurdescrocsluisants,quiluidonnaientl’apparenced’unecréaturesortietoutdroitdel’enfer.Alorsellerejetala têteenarrièreetpoussaunnouveauhurlementtoutensedébattantdanssesbrassiviolemmentqu’iltrébuchasousl’effetdelasurprise.

Ellesedébattitdeplusbelleetréussitàéchapperàsonétreinte.Elletombalourdementsurlesolet,indifférenteàladouleur,tentadecontraindresesmembresengourdisàsemettreenmarche.Maisilsnesemblaientpasvouloirluiobéiret,malgrédeseffortsfrénétiques,sesmouvementsluiparaissaientd’unelenteurextrême,commedansuncauchemar.

Jeffseprécipitaverselle,leslèvresretrousséessurdesdentsanormalementpointues.MonDieu,c’estunmonstre…Elle planta son regard dans ses yeux jaunes étincelants et rassembla toutes les forces qui lui

restaient.—Ausecours!Al’aide,jesuisici!Ilvametuer!—Ne crois pas t’en sortir aussi facilement,Mia, souffla-t-il. Je t’ai marquée. Le rituel a déjà

commencé.Tuesàmoi.Maisellesavaitquecen’étaitqu’enpartievrai,parcequelehalodesonsangcommençaitdéjàà

s’estomperauxendroitsoùilenétaitcouvert.Ilyavaitbeaucoupdechosesqu’ellenesavaitpas.MaisellesavaitaumoinsqueJeffavaitmanquél’occasion.Et,àenjugerparsonexpression,illesavait,luiaussi.

—Ilestlà.Unevoixmasculine,forteetprofonde,crianonloind’eux.Lesolsouselle,froidetdur,luisembla

toutàcoupétrangementrassurant.Ellepréféraitdebeaucoupêtredanslesbrasdelaterrequedansceuxdumonstre.

LafureurdéformalevisagedeJeffetils’élançaenpoussantunrugissementinhumain,sasilhouettes’allongeantalorsqu’ilsetransformaitenpassantdevantellepoursefondreaucœurdesténèbres.C’estalorsqu’elleentenditd’autresvoixautourd’elleetquelemondeseremitàtournernormalement.

Deshumains,aprèstout.Unsentimentdesoulagementl’envahit.Maisilfutdecourtedurée.Enlevantlesyeux,ellecroisaun

regard qui rougeoyait autant que la lune.Même avec lameilleure volonté dumonde, elle n’aurait pucroirequec’étaitlefruitdesonimagination.Plusmaintenant.

—Accrochez-vous,ditquelqu’un.Vousêtesendebonnesmains,maintenant.J’espèrequec’estvrai,pensa-t-ellefaiblement.Jel’espèrevraiment.C’estalorsqu’avecbonheurellesombradanslanuitbienfaitricequiengloutitsaconscience.

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Onvaavoirbesoindetoiici,Jenner.Onaunmordeur.—Bonsang.Onpouvait être sûr d’une chose, il y avait toujours des problèmes les veilles de pleine lune.Et

pourtantJennergardaitl’espoir,moisaprèsmois,qu’unefoisaumoinslescréaturesdelanuitsauraientseconduirecorrectement.

Maisvisiblementceneseraitpasencorepourcesoir.NickJennerpoussaunlonggrognementets’écartaavecregretdelatabledebillard.Justequandil

allaitmarquerlepointquiluiauraitpermisdesoutirervingtdollarsàdeuxdesescompagnonsdemeute!LavoixdeDexavaitretenticlairementdanssatêteetiln’yavaitpasd’ambiguïtéquantàl’urgence

dumessage.Lacapacitédecommuniquerpartélépathieaveclesautresmembresdelameuteétaittrèscommode

etfonctionnaitbienmieuxquelestalkies-walkies,maisl’inconvénientc’étaitqu’onn’avaitaucunmoyende s’y soustraire. Surtout lorsqu’on était le lunari de lameute, le second après le chef enmatière depouvoiretderesponsabilités,etqu’enplusleditchefvousfusillaitduregarddepuisl’autreboutdelapièce.

Baneavaitentendulemessage,biensûr.Commetoujours.Jennerluifitunpetitsignedetête.Jem’enoccupe.Baneluirenditsonsignedetêteetreportasonattentionsurlajolieblondequiétaitprobablementà

millelieuesdepenserqu’ellesefaisaitdraguerparunloup-garou,chefd’unedesplusgrandesmeutesdecettepartiedupays.

Ensedirigeantvers lasortie,Jennerpensaquepourrienaumondeilnevoudraitêtrechefd’unemeute.Ilnepourraitpassupportertoutescesvoixdanssatêteàlongueurdetemps.IlaimaitbienBane,même si celui-ci avait un fichu caractère— peut-êtremême à cause de ça d’ailleurs—,mais l’idéed’être responsable de tous lesBlackpawde la régionn’avait vraiment rien d’attrayant. Premièrement,celaimpliquaitd’avoiràparleràdesgens.Adestasdegens.Etsouvent.

Ce n’était pas toujours drôle d’être un genre de commandant de police,mais Jenner préférait debeaucoupmenerdesbattuesplutôtqued’avoiràfairedesdiscours.Onluidemandaitsouventsonopinionet il la donnait, en privé,mais en public il préférait être lamoitié silencieuse du commandement. Ladiplomatien’avaitjamaisétésonfort.Enrevanche,ilétaitclairementplusdouépourlecombat.Et,pourunloup-garouquivoulaitquesameutecontinueàexister,lesraisonsdecombattrenemanquaientpas.

Sonpère,bienàl’abridanssonmondeprotégé,seraithorrifiés’ilconnaissaitlavérité.Enfait,ill’étaitdéjàsuffisammentparlepeuqu’ilsavaitdelaviedesonfilsaîné.CettepenséefitsourireJenner.

J’arrive,pensa-t-il,eninsistantmentalementsurcettepenséecommeilavaitapprisàlefairejusteaprèslamorsurequiavaitchangésondestin,desannéesauparavant.

Il ressentitaussitôt lesoulagementdeDexetpoussaunsoupircontrarié.Cetteréactionn’auguraitriendebon.

Cesfichusmordeurs. Ilyavaitunpetitmomentqu’ilsn’enavaientpaseu.Cequiétaitplutôtunebonnechosesil’onpensaitàtoutcequisepassaitdanslesbois.Ilyavaiteubeaucoupplusd’activitérécemment,etcen’étaitpasbonsigne,mêmesisouventlesOmbresnes’activaientquepoursecalmerdèsqueleschosesdevenaientdangereuses.

Jennersavaitquecetteaccalmienedureraitpaséternellement.Ilespéraitseulementqu’iln’yauraitpasd’autrestroublesdanslesboiscesoir.Labattuedelanuitprécédenteauraitdûéloignercesombresbuveusesdesangpouraumoinsunjouroudeux.

Jenner s’arrêta devant la porte de chez Rowdy, le petit bar qui était un des lieux préférés desmembresde lameute leweek-end. Il inspiraprofondément.Sonodoratsensible luidécrivitune imagementalede toutcequisepassaitdans lecoin.L’air légèrementhumideet frisquet, typiquedecette finseptembredanslenorddelaPennsylvanie,contenaittouteslesodeursquiluiétaientdevenuesfamilières,voirerassurantes,depuissonarrivéedixansplustôt.Lesérablesetlespins,laterreetl’atmosphèrededébutd’automne.Leshumainsetlesloups,chacunexhalantsonpropremusc,bienparticulier.

Etpourcouronnerletoutpaslamoindreodeurdesoufre.IlavaitfiniparsesentirchezluiàFerry’sHollowetcelaneluiposaitaucunproblèmedefairece

qu’ilfallaitpourassurerlasécuritédecetendroit.IlenvoyauneautrepenséeàDex.Quelestlestatutdumordeur?Unindividuéchappéd’uneautremeute,tucrois?LaréponsedeDexnesefitpasattendre.Lemordeurnousaéchappé.Noussommesàsarecherche.Unechoseestsûre,cen’étaitpasun

Silverback.Il faisait référence à la meute la plus proche dont le territoire se trouvait à plus de trois cents

kilomètres,aunord.Jen’aipasaimésonodeur,poursuivitDex.Nisonapparencelorsquejel’aivudeplusprès.Ça

m’ennuiededireça,maisj’ail’impressionquec’estunsauvage.Jennerfronçalessourcilsetdescenditprécipitammentlaruequimenaitàlaforêt.Ferry’s Hollow était niché au milieu des bois qui l’entouraient de toute part. Les humains qui

vivaient làcôtoyaient les loups-garousdansune totale ignorancede toutcequiétait surnaturel et sanssavoirquecen’étaitpasunhasardsilavilleétaitunîlotpréservéaumilieudelaforêt.

Etlavictimedumordeur?Ilyeutunsilence.PuisDexpoursuivit:Elle est avec nous. Elle a perdu beaucoup de sang mais elle commence déjà à guérir de ses

blessures.Ellen’aperduconnaissancequequelquesminutes,etellesembleconscientemaintenant.Apartça,elleestenétatdechocetunpeudésorientée.Riend’étonnantàça.Enplus,c’estunbeaubrindefille,cequinegâcherien.

Jeff eut un petit grognement dédaigneux. Pour sa part, cette femme pouvait bien être le cloned’AngelinaJolie.Cen’étaitjamaisbond’avoirétémorduparunsauvage.

Ilssontliésl’unàl’autre,alors?pensa-t-il,etlaréactiondecolèredeDexfutuneréponseensoi.Iln’apaseuletempsd’allerjusqu’aubout,heureusementpourelle.Etjetejurequequandje

mettrailamainsurluijeluiouvrirailagorgemoi-même.Onesttropprèsdelapleinelunepourjoueràcepetitjeu.Nousallonsavoirbesoindelaconnexionqu’elleaavecluitantqu’elledurera,maistusais trèsbienqu’il va falloir faired’elleunmembredenotremeute sans tarder.Onamoinsd’unesemaine,Jenner.Cen’estpasbeaucoup.Pourellenonplus…

LavoixdeDexs’estompadansl’espritdeJenner,maisc’étaitsansimportance.IlvoyaittrèsbiencequeDexvoulait dire.Celapourrait prendreuncertain tempsde sedébarrasserd’un sauvageassezmalinpourdéciderdesecacherdanslesbois,dontlasuperficiecouvraitdescentainesd’hectares.Maissavictime,elle,devraitêtreintégréeàlameuteavantlapleinelune.Sinonceneseraitpasunmaisdeuxsauvagesqu’ilsauraientsurlesbras.

Le lien ténuqui se formait entre lemordeur et savictimeétait toujoursunbonmoyen, etparfoismêmeleseul,deretrouverunfêlécommecelui-ci.Maisletempsétaitcompté.Unefoisquelavictimecommencerait à se transformer, le lienmentalavecsonagresseur s’évaporerait enmême tempsquesaraison.Amoinsquelesauvageneremettelamainsurellepourrendreleschosesentreeuxpermanentes,biensûr.Maiscelan’arriveraitpas.Pasenterritoireblackpaw.Etpassoussaresponsabilité.

Est-ce que le lien entre eux est fort ? demanda-t-il, espérant que cette affaire serait résoluerapidement,toutensachantparexpériencequec’étaitpeuprobable.

Je compte sur toi pour le découvrir. Elle s’est montrée plutôt farouche avec moi. Ce qui estbizarre,c’estqu’ellen’apasréclamédemédecin,nilapolice,rien.Ondiraitpresquequ’ellesait…maisc’estpeut-êtreseulementlechoc.

Elleaditquelquechosedespécialquitefaitpenserça?demandaJennerenfronçantlessourcils.Sicettefemmesavaitcequ’ilsétaient,celavoulaitdirequelesauvagenesavaitpastenirsalangue.

Cequirendaitsacaptureencoreplusimpérative.Unbavardpouvaitmenerunemeutedeloupsàsaperteaussisûrementqu’unebandedechasseursarmésjusqu’auxdents.

LaréponsedeDexnelerassurapas.Non,c’estjustementça.Elleneditriendutout,ellesecontentedenousregarderdesesgrands

yeux.Jenesaispas,Jenner,cen’estpasmontruc.Jen’aijamaiseuàm’occuperd’uncascommeçajusqu’ici!

Jennersoupira,ilallaitdevoirjouerlesmédiateurs.Jecomprends.J’arrive.Unmordeurdanslanatureetunesauvagepotentielle.Etiln’étaitque10heures.Jennergrinçades

dentsenpénétrantsouslesarbres.

***

MiaD’Alessandroétaitassise,ledoscontrel’écorcerugueused’unarbre,tamponnantsesblessuresentre son épaule et son cou à l’aide d’une chemise roulée en boule. Une étrange sensation de calmel’avaitenvahieetelleétaitsûre,àen jugerparsafaçondétachéedepenser,quec’étaitunsigneassezévidentqu’elleétaitenétatdechoc.Autrement,commentexpliquerqu’ellepuisseresterassiselà,calmeet tranquille, avec sa chemise en lambeaux, trempée de son propre sang ?Aumoins, la douleur avaitdisparu.Et,curieusement,ellenesaignaitplus…maiscen’étaitpeut-êtrequ’uneimpression.

Entoutcas,monsangn’estplusphosphorescent,c’estdéjàça,pensa-t-elle.Maiselles’empressadefairetairecettepensée.Ceshommesn’avaientpasl’airdesedouterdesa

vraie nature, donc elle allait continuer à faire comme si elle n’était qu’une jeune humaine normale ettraumatisée,jusqu’àcequ’ilslalaissentpartir.Sitoutefoisilslalaissaientpartir.

Elleavaitsipeudeconnaissancedeceschoses,decescréaturesdifférentes.En silence, et pour la millième fois, elle maudit la femme qui l’avait élevée dans une telle

ignorance,mêmesielleétaitdesafamille.Savien’avaitétéqu’unecontinuelledissimulation,undénidelavéritésiprofondqu’elleavaiteubeaucoupdemalàycroireelle-même.EtpuisunjourAdaavaittoutbonnementdisparu.

Cinq hommes se pressaient autour d’elle dans la clairière éclairée par la lune, campés dans unmutismeinquiétant,toutenéchangeantdesregardsdeconnivence,indéchiffrablespourelle.

L’und’entreeuxavaitétéassezgentilpour luipassersachemiseafinqu’elleétanche lesangquicoulaitdesesblessures.C’était lemêmequivérifiait sanscessesielleallaitbien.Celuiqui luiavaitassurésuruntoncatégoriquequ’ellen’allaitpasmourir.

Ilétait trèsconvaincant.Malgrétout,ellesedemandaitpourquoiellenerecevaitpasdesoins,aumoinsdepointsdesuture.Maispeut-êtrequesesblessuresn’étaientpasaussigravesqu’ellelecroyait?Ellenevoyaitpasd’autreexplication.Ceshommesn’avaientpasl’airdugenreàlaregarderseviderdesonsangsans rien faire.En toutcas,ellen’étaitplusaubordde l’évanouissement,encorequ’ilauraitpeut-êtremieux valu. En fait, tout cela était tellement irréel qu’elle n’était pas sûre d’être tout à faitconsciente.

—VoilàJenner,ditunevoix.Mialevalesyeux.Etc’estalorsqu’il…apparut.Il semblait sortir tout droit des arbres, dans un silence très surprenant pour une personne de sa

corpulence. Il était de haute taille, pas loin de deuxmètres, avec les épaules larges et lamusculaturepuissanted’unrugbyman.IlneditrienmaiséchangeaavecDexunautredecesregardsétranges,qu’elleauraitqualifiésd’éloquents.Puisiltournalesyeuxverselle.

—Jem’appelleJenner,dit-ild’unevoixprofondeetmélodieusequisemblaemplirlanuit.Jesuislàpourvousaider.Voustenezlecoup?

Sesyeuxambrésflamboyaientdanssonvisagesombreetséduisantquisemblaittaillédanslapierre.Sescheveux,courtsetdrus,sisombresqu’ellehésitaitentrechâtainfoncéetnoirs,mettaientenvaleurdes traits où on ne lisait aucune trace de faiblesse.A ce seul regard,Mia sentit une boule de chaleurs’installer au creux de son estomac. Horrifiée par cette réaction, elle choisit de se concentrer sur lanécessitédesemettredeboutpourluirépondre.Lademoiselleendétresse,çasuffisaitcommeça.

Biensûr,elleauraitétépluscrédiblesiellen’avaitpasfaillis’écrouleraussitôt.Ellefutprisedevertiges,mais,justecommesesjambescédaientsouselle,ellesentitdesbraspuissantslasouleveravecunedélicatessesurprenante.Uneodeurenivrante,boiséeetmasculine,l’enveloppa.

Un échec cuisant pour une femme qui veut paraître indépendante, se dit-elle. Elle savait quec’étaitluiquil’avaitprisedanssesbrasetlerougeluimontaauxjoues.Assezvitelesvertigescessèrentmaiselleretardalemomentd’ouvrirlesyeux.

Enmêmetemps,ellen’avaitpasvraimentlechoix.Et cela nemanqua pas, dès qu’elle souleva les paupières, elle se trouva épinglée par le regard

mordoré.Ce qui la rassurait un peu, c’est que Jenner avait l’air aussi embêté qu’elle. Ils se regardèrent

pendantunmomentquisemblainterminable,etMiafutdenouveauenvahieparuneétrangesensationdechaleur.Elleeutsoudainuneconscienceaiguëdesesgrandesmainsposéessurelleetdelarégularitédumouvementquisoulevaitsapoitrinetandisqu’illaberçaitcontrelui.Ellesentaitmêmelesbattementsdesoncœur.

C’étaitsansaucundoutelasensationlaplusétrangequ’elleaitjamaiséprouvée,cequidanssoncasn’étaitpaspeudire.Elleavaitl’impressionquedesfilsinvisibless’enroulaientautourd’euxpourleslierl’unàl’autred’unefaçonqu’ellenecomprenaitpas.Maisellen’avaitaucuneenviedebrisercesliensnouveauxetfragiles,choisissantplutôtd’oubliertoutcequin’étaitpaslestraitsduvisagepenchésurlesien.Elleavaitl’impressiond’êtresousl’emprised’unedrogue,maiscen’étaitpasdésagréable.

Elleremarquaavecuncertainplaisirquesescilsétaientd’unnoird’encreetincroyablementlongs.Sesyeuxétaientmagnifiques.

Miadesserra sonpoingposésur lapoitrinedeJenneretétala lesdoigtsà l’endroitoùsoncœurbattaitàunrythmerégulieretrassurantcontresapaume.Unemusiqueemplitsatête,commechaquefoisque son sang entrait en communication.La chanson de Jenner était sauvage et douce et, l’espace d’uninstant, Mia entendit sa propre mélodie intérieure résonner à l’unisson, lui procurant une sensation

nouvelleetfantastique.Tellementbellequ’elleeneutlachairdepoule…maiscelanedurapas.Jenner,surpris,repritsarespirationetellevittressautersapommed’Adam.Ildétournarapidementleregardetl’intimitédeleurconnexionfutrompueaussibrusquementquesionl’avait tranchéeavecunelame.Lachansons’arrêtanetaumilieud’uncrescendoets’évanouit.

Pourtantlesliensinvisiblesquivenaientdesenouerdemeurèrentpourlaréconforter,alorsmêmequecethommeluiétaittotalementinconnu.Pourlemoment,ellen’avaitqueluiàquiseraccrocher.

Jenner laposaprestement sur le sol, toutengardant lesmainsprêtesà la soutenir.Elle chancelalégèrementmaisréussitàsetenirfermementsursesjambes.

Al’intérieur,cependant,elleétait toutsaufsûred’elle-même.PrivéedelachaleurdeJenner,ellefrissonnaetlecraquementd’unebrindillequelquepartlafitsursauter.Touteslestêtessetournèrentdansladirectiond’oùprovenait lebruit, luiprouvantqu’ellene l’avaitpas imaginé.Sansunmot,deuxdeshommesseprécipitèrentsouslesarbresavecunerapiditéetunegrâcequil’étonnèrent.

Instantanément,sapeurrefitsurface.Jeffétaittoujoursdanslesparages.Ilétaitpeut-êtrerevenupourachevercequ’ilavaitcommencé.

Peut-être…—Nevousenfaitespas.C’estunesimpleprécaution,ditJenner,laramenantàlaréalité.Al’évidence,ill’avaitvueregarderlesdeuxhommesquipartaient.Ellecroisasonregardquiluisaitdansl’obscurité.Ilsemblaitsicalme.Commes’iln’yavaitaucune

urgence.Toutbienconsidéré,Miaseditqu’elleauraitpréféréqu’ilseconduiseunpeupluscommeleloup-

garouquicourtdanstouslessensdanslesboisetmordquiconquepourraitposerproblème.—Excusez-moimais c’est lapremière foisqu’undemespetits amismemordetme laissepour

morte.Jesupposequecelamerendunpeunerveuse,ditMiad’unevoixenrouéeparlehurlementqu’elleavaitpousséunpeuplustôt.

JennerhaussaunsourciletMiasedemandas’ilétaitétonnéqu’ellenes’effondrepas.Peut-êtreaurait-elledûfairesemblant.Maisellenesavaitpasfaireça.Elleavaitapprisàrefouler

seslarmesdepuissilongtempsqu’elleétaitincapabledepleurernaturellement.—Pardonnez-moi,dit-il.Savoixgravejouaitdefaçonintéressantesursesterminaisonsnerveuses.Ilbaissalesyeuxverssonépauleblessée.—Entoutcas,ondiraitquevouscicatrisezbien.Mia le regarda, stupéfaite.Elle cicatrisait ?Maisnon,pas sivite, loinde là.Sondon, c’était la

magie,maisellesaignaitcommetoutlemonde.Est-cequ’ellenel’avaitpassuffisammentprouvé?—Vousplaisantez,s’écria-t-elle.Onm’aagressée.Monagresseurs’appelleJeffGainesetilatenté

demetuer!Qu’est-cequ’ilvousfautdeplus?Appelezlapolice,unmédecin,ilfautquejesortede…deces…Oh,monDieu.

Toutendébitantcettetirade,elleavaitjetéunregardverssonépauleetn’encroyaitpassesyeux.Cen’étaitpaspossible.Sousletissutachédesangdesachemise,lablessures’étaitdéjàreferméeetilnerestaitquequelquescroûteséparses.Acertainsendroits,onn’envoyaitmêmeplusaucunetrace.

Celaexpliquaitpourquoiladouleuravaitdisparu.Toutàcoupilluisemblaquesaseuleoptionpossibleétaitdes’effondrer.MiaouvritlaboucheenfixantJenner,quil’observaitaveccalme.Onauraitditqu’iltrouvaitcela

toutàfaitnormal.Ellevoulutparlermaislesmotsrefusèrentdefranchirseslèvres.Soncœursemitàbattretandisquesoninstinctluicriaitdepartirencourant.

—Ellevapiquerunecrisedenerfs,murmuraquelqu’undanssondos.C’estcequ’ilsfonttoujours.—Ellenevapaspiquerdecrisesdenerfs,répliquaJennersanstoutefoislaquitterdesyeux.Ilparlaitbascommes’ilnes’adressaitqu’àelle.

—Çavaallertrèsbienetvousn’allezpascraquer.Entoutcassivousvoulezqu’ilpayepourcequ’ilvousafait.

—Mais…,protestaMiad’unevoixfaible.Ellefaisaitdeseffortsdésespéréspourrestermaîtressed’elle-même.Riende toutçan’était réel.

Elleallaitseréveiller.—Mais…,répéta-t-elle.—Jepeuxlefairepayerpourcela,ditJenner.Et cesmots, et probablement encore plus la façon dont il les prononça, la calmèrentmieux que

n’importequoi.—Vousdevezmefaireconfiance,reprit-il.CequeJeffreyvousafaitestaussirépréhensibledans

notremondequedanslevôtre.Etmêmeplus,enréalité.—Votremonde,répétaMiadansunmurmure.Dequoiparlez-vous?Aufondd’elle-même,ellelesavaitdéjà,maiselleavaitbesoindel’entendre.Ilremontaittellement

loin, le jour où, dans le bureau de sa grand-mère, elle s’était interrogée sur le sens de ces imagesfantastiques qui semettaient à bouger sous le bout de ses doigts.Une révélation pour l’enfant qu’elleétait, et qui avait été brutalement interrompue par la fureur de sa grand-mère quand celle-ci avaitdécouvertqu’elleluiavaitdésobéi.

Auboutd’unmoment,elleavaitcessédecroireenl’existencedecescréaturesetacceptécequ’onluiavaittoujoursdit.Qu’elleétaitseuleetuniquedanssongenre.

—C’estmaintenantqu’ellevapiquerunecrisedenerfs,murmuraquelqu’un,cequilamittellementencolèrequ’elleenoubliasapeur.

Elledétestaitplusque toutqu’on lasous-estimeetqu’on luiparlesurun toncondescendant.Ellerelevabrusquementlatêteetregardachaquehommetouràtourjusqu’àcequ’ilsbaissentlesyeuxl’unaprèsl’autre,malàl’aise.

—Jenevaispaspiquerdecrisedenerfs,dit-ellelesdentsserréesavantdereportersonregardsurJenner.

Ill’observaitd’unairamusé.—Jevoisça,eneffet,dit-il.—Etsivousm’expliquiezcequisepasse?Elleavaitditcelaavecuneagressivitéqu’ellen’avaitpasvoulue,maisquipouvaitsecomprendre,

sachantqu’onne luidonnaitaucuneexplicationetqu’enplus sablessure semblaitguériràunevitesseincroyable,commeparmagie.

Jennerl’observaencoreunmomentcommepourlajauger,puishochalatête.—D’accord.Voilà:vousavezétémordueparunloup-garou.Nouspensonsquec’estunmarginal

sauvage.Sivousnecoopérezpas,nousnepourronspasl’attraperetvousfinirezcommelui.Jennerpenchalatêtepourobserversaréaction.—Çavousva,commedébut?reprit-il.C’était donc vrai. Ils étaient tous des loups-garous. Jeff avait réussi à se faire passer pour aussi

normalquepossible,letempsdefairetombersesdéfenses.Miasentitsoncœurbondiravecunmélangedejoieetdepeur.Ellen’étaitdoncpasleseulêtrehumainaffligéd’unpetitquelquechoseenplus.Cescréaturesétaientaussiréellesqu’elle-même.Elleréprimasondésirdedéballertoutcequ’ellesavaitàproposdesespropresdonssurnaturels.Peut-êtresauraient-ilscequ’elleétaitvraimentetpourraient-ilsl’aider?

A moins que, comme Jeff, ils ne veuillent se servir d’elle. Elle ne pouvait faire confiance àpersonne.C’était troptôt.Surtoutquemaintenantelleavaitd’autresproblèmes.Mianeconnaissaitdesloups-garous que ce qu’elle en avait vu au cinéma ou dans les séries télé et pour la majeure partie

c’étaientprobablementdesbêtises.Avoir étémordupar«unmarginal sauvage», comme ils disaient,n’avaitpasl’aird’ouvrirdebonnesperspectives.

Unefouledequestionssepressaientàsonespritmaiselleneréussitqu’àbégayer:—Il…ilfautquejesache…MiaregardaJenner,remarquaqu’ilplissaitlefrontetsentitlesregardsdanssondos.Ilétaitévident

qu’ilsattendaienttousqu’ellecraque.Tous, sauf Jenner qui la regardait calmement, ses yeux couleur de miel rivés sur elle. Elle se

concentrasurlaforceetlecalmequiémanaientdeceregard.Desyeuxdeloup.Miasentitquequelquechoseenelleétaitprèsdecéder.Qu’eneffet, lacrisedenerfsn’étaitpas

loin. Mais elle résista, prit une profonde inspiration, redressa les épaules et le menton. Elle étaitbeaucoupplusfortequ’ilsnesemblaientlecroire.CeJennervoulaitl’aider.Ellenedevaitpaspenseràautre chose. Il connaissait la vraie nature de Jeffrey alors que des policiers normaux attribueraient ladescriptionqu’elleleurferaitdesatransformationàdel’hystérieoupireencore.EtMiaserendaitbiencompteques’ilsnelacroyaientpasJeffneseraitjamaispris.

Illaretrouverait…ill’avaitjuré…—Ilvarevenirmechercher,ditMiaenserrantsesbrasautourd’ellepourluttercontrelefrisson

quilaglaçaitjusqu’auxos.Iladitqu’illeferait.Pour…pourfinirletravail.—Iln’apasétébieninspirédevousamenerici,alors,ditJenner.Carnousn’allonspaslelaisser

faire.Elleregardalesvisagesquil’entouraient,solennelsetsérieux.Leursyeuxluisaientdansl’obscurité

etcen’étaitpasseulementdûaurefletdelalune.Ellesutqu’ellen’avaitpasd’autrechoix,elledevaitaccepterl’aidequ’ilsluiproposaient…quellesqu’ensoientlesconséquences.

—Donc,sijecomprendsbien…vousêtestousdesloups-garous,dit-ellelentementens’efforçantdegarderuntonneutre.Sielleétaittropcalme,ilssedouteraientdequelquechose,etsiellesemblaithystériqueellefiniraitàl’hôpitalpsychiatrique.

—Eneffet,acquiesçaJenner,etellevitpasserunéclairdesoulagementsursonvisage.Miapritunplaisirperversenleremarquant.Ellelançaunregarddedéfiaucostaudblondquiavait

semblésisûrqu’ellepiqueraitunecrisedenerfs.IlluifitunpetitsourirecrispéetJennercommençalesprésentations.

—Jem’appelleNickJenner,maistoutlemondem’appelleJenner.VoiciDexClark,JakePascaletIanJames.

Ilsluifirenttousunpetitsalutdelatêteaccompagnédesouriresrassurants.—Lesdeuxquisesontmisenchasseilyaquelquesminutess’appellentTommyetKevPaynes.LefrontdeMiaseplissaetsonestomacseserraenrepensantauxdeuxhommesquiavaientdisparu

danslesbois.—Vouscroyezqu’ilsvontbien?Sic’étaitJeff…— Ce n’était pas lui, l’interrompit Jenner. Je le saurais. Non, ils sont à la poursuite d’une…

vermine…quinoustombedessusdetempsentemps.Riend’inquiétant,faites-moiconfiance.QuelquechosedanslafaçondontilavaitprononcécesparolesassuraMiaqu’ellepouvaitlecroire,

aumoinspourça.Et,pourcequiétaitdelaverminequ’ilavaitmentionnée,elleseditqu’ellen’avaitpasbesoind’ensavoirplus.Larévélationausujetdesloups-garousetdeJeff,biensûr,luisuffisaitpourlemoment.

—Nous appartenons tous à la meute des Blackpaw, poursuivit Jenner, et vous vous trouvez aumilieu de notre territoire. Ce n’est pas un problème pour un humain. En revanche, pour un dissident,surtoutunsauvagecommece…Gaines,c’estça?

Miahochalatête.

—Oui,JeffGaines.Ilinclinalégèrementlatête,commeleferaitunprédateuràl’écoutedesaproie.—Hum.Votrepetitami?Miasentitsesépaulessebaisserdansunréflexededéfense.Ellefaillitrépondre:«Ehbien,oui,je

suiscegenredefemmesquiseretrouveavecunpsychopathe.Ilfautcroirequejesuisaveugle.»Maisellesecontentadedire:

—Plusmaintenant.SaréponsefitnaîtresurleslèvresdeJennerunpetitsouriresexyquiluicoupalesouffle.Ilétait

beaucoupplusbeauquelesloups-garousqu’elleavaitvusaucinéma.Maisbiensûrceux-làn’étaientpasréels.

Elle n’arrivait pas à chasser de son esprit ce qu’elle avait ressenti quand il l’avait touchée. Cen’étaitpasunetrèsbonneidée…maisc’étaitmieuxquederepenseràcequeJeffGainesavaitfailliluifaire.Etqu’illuiavaitvraimentfait,apparemment.

—Onpeutlecomprendre,ditJenner.Puis,ensetournantverslesautres,ilajouta:— Ian, rentre à Ferry’s Hollow et demande à Buddy de regarder dans les fichiers. Ce n’est

probablementpassonvrainommaisonnesaitjamais.Avecunpeudechance.—C’estcommesic’étaitfait,ditunhommeauxcheveuxblondsetauxyeuxverts,portantsurMia

unregardintéresséetnondénuédecompassionquilasurprit.—Nevousinquiétezpas,mademoiselle.Vousfinirezparvoushabituerànous.Bon,peut-êtrepasà

Jenner…dit-ilensouriant.Suruntonplusgrave,ilpoursuivit:—Nousallonsfairelenécessairepourqueletypenes’entirepascommeça.IldisparutentrelesarbresàunevitessequidépassaittoutcequeMiaavaitvujusque-là.Ellesedit

qu’ilavaitévitédesetransformerenloupsoussesyeuxpournepasluifairepeur,maisaustadeoùelleenétaitcelan’auraitpaschangégrand-chose.EllereportasonattentionsurJenner.

—BuddyestleshérifdeFerry’sHollow.C’estl’und’entrenous,dit-il.—C’estbienpratique,ditMia.—C’estvrai,parfois.Jennerlaregardadeplusprès.—Vousavezl’airdecicatriserrapidementmaiscependantjevoustrouvetroppâle.Cettemorsure

vaproduiresoneffetàunmomentouàunautre.C’estnormal,onnepeutrienyfaire.Vousvoussentirezmieuxquandvousaurezdormi.Jevousramèneenvillepourquevousvousreposiez.LesautresvontsemettreàlarecherchedeGaines.Iln’yapasgrand-chosedeplusquenouspuissionsfairesansvotreaideet jeneveuxprendreaucun risque.Nousne ferons rienavantdemain, auplus tôt.Lesdétailspeuventattendre.

Il lui tendit lamain, etMia la regarda.Elleétait largeetpuissanteetMiaeutencoreune fois lasensationd’êtreendehorsdesoncorps.

Tout à coup elle se sentait extrêmement fatiguée, et les souvenirs de la soirée précédente, quijusque-làavaientétéamortisparlecoconduchoc,commençaientàvouloirl’entraînerversdeslieuxoùellen’avaitaucuneenvied’aller.Ilvaudraitpeut-êtremieuxsereposer,eneffet.Maisavantçaelleavaitencoreunequestion.

—Cettemorsure,commença-t-elleenregardantJennerdanslesyeux.Ellevitsonvisagechangerimperceptiblementetellecompritavantmêmed’avoirposélaquestion.

Lavéritélafrappacommeuncoupdemassue.Commesiellen’avaitpasassezdeproblèmes!Malgrétout,ellevoulaitl’entendredesabouche.

—Vousavezditquesijenevousaidaispasjedeviendraiscommelui.Une…unesauvage,c’estça?Est-cequeçaveutdirequeje…quejevaisdevenirun…

—Cen’estpas si terrible,dit Jennerdoucement.Moi,çam’asauvé lavie,en toutcas.Maisçasuffitpourcesoir.Onverratoutçademainmatin.Çavaaller,mademoiselle,jevouslepromets.

Elle n’éprouvait pas de sentiment d’horreur. Après avoir vécu si longtemps avec ses propressecrets, un de plus ne changerait pas grand-chose.Toutefois, elle était bien consciente que cette belleindifférences’évaporeraitavecl’aube,lorsqu’àlalumièrecruedujourleschosesluisembleraientbiendifférentes.Pourl’instantelleavaitsoncompte.Elleverraittoutcelaplustard.

MiareportasonregardsurlamaintenduedeJenner.Dansl’étatactueldeschoses,ellen’avaitpastellementlechoix.Elleyposalasienne,étonnéedevoircombienelleétaitpetiteencomparaison.

Dèsqueleurspeauxentrèrentencontact,ellesentitdenouveaulachaleurdeleurconnexion.Celane lui semblait toujourspas trèsbiend’éprouverune telle sensationunsoircommecelui-ci,maisellen’avaitpaslaforcedelacombattre.Ilenroulasesdoigtsgentimentautourdessiens,etdenouveauelleressentitceslienssiparticuliersseresserrerentreeux,lesattirantl’unversl’autre.

—Jem’appelleMia,dit-elle.MiaD’Alessandro.—Mia,ditJenner.Personne n’avait jamais prononcé son nom de cette façon, avec gourmandise, comme s’il le

dégustait.—BienvenueàFerry’sHollow,Mia.

2

Aregret,JennerdevaitreconnaîtrequeDexn’avaitpasexagéré,elleétaitvraimentjolie.Maisilneseraitbonnipourl’unnipourl’autrequ’ils’yattardetroplongtemps.

Il devait rattraper un sauvage etMia disposait de très peu de temps pour s’adapter à unmondenouveaupourelle.Iln’avaitpasdutout l’intentiondesechargerdeceproblème.Ilavaitbienassezàfaireparailleurs.Pourtant,ilallaitavoirdumalàoubliercequ’ilavaitressentilorsqu’elleavaitposélamain sur sa poitrine. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas touché une femme. Trop longtemps,apparemment, puisqu’il avait commencé à s’imaginer que ses doigts possédaient une sorte d’effetmagique.Iln’yavaitpasquel’attirancequ’ilseraitdifficiled’ignorer.Ilauraitpujurerque,pendantuninstant,ilavaitentendudelamusique…

Repoussant ce sentiment étrange, Jenner conduisit Mia vers son vieux pick-up défoncé. A sademande,undesescompagnonsl’avaitlaissésurlecôtédelaroutequimenaitenville.Iln’auraitpasàrentreràpiedcesoir.NiàporterMia.

Les autres s’étaient éclipsés un par un, impatients de se joindre à la chasse nocturne. Jenner lescomprenait.Bonsang,sicettefemmen’étaitpaslaclépourretrouverlesauvage,ilseraitaveceux.

L’excitationdelapoursuiteétaitundesaspectsdesapositiondanslameutequ’iladorait.C’étaittoujourslelunariquiconduisaitlachasse,etleplussouventc’étaitluiquiétaitchargédelamiseàmort.Tandisque,là,ilétaitcoincéàjoueràlafoislesbaby-sittersetlesgardiens,aumoinspourcettenuit.Tant qu’il n’avait pas plus d’informations, il n’avait pas l’intention de repasser le boulot à quelqu’und’autre.Contrairementàcequ’ellecraignait,ilétaitpeuprobablequel’ex-petitamideMiaserisqueàrevenirlachercher.Maisonn’étaitsûrderienaveccegenred’énergumène.Ilallaitdoncl’hébergerpourlanuitetdemainildemanderaitàuncouplequiavaitdelaplacedelaprendrechezeux.

Illançaunregardàseslonguesbouclesbrunesquibrillaientsouslalune,àsonprofildemédaille,etpensa:dèsdemainmatin,leplustôtseralemieux.

Cen’étaitpasAngelinaJolie.Elleétaitbeaucoupplusbellequeça.Heureusement pour lui,Mia ne semblait pas avoir conscience de l’intérêt qu’il lui portait. Elle

gardait les yeux fixés devant elle, comme si elle concentrait tous ses efforts pour avancer. Et c’étaitprobablementlecas.Ellefiniraitparretrouvertoutessesforcesmaispastoutdesuite.Malgrétoutelleneseplaignaitpas,cequ’ilauraitdétesté,etellenepleuraitpasnonplus,cequiauraitétépireencore.Elleavaitducaractère.Onpouvaitpenserqu’elleferaitunebonnerecruepourlameute,unefoisqu’elleauraitacceptédevoirlavéritéenface.

Elleavaiteudelachancequecertainsmembresdelameutesoientdesortie.Quelquesinstantsdeplusseuleavecsonagresseuretelleauraitétéliéeàunsauvage,coupéedequiconquepouvaitl’aiderà

faireunetransitionnormale,etprobablementcontaminéeàjamais.Rien que d’y penser, d’imaginer ce psychopathe se jetant sur elle lemettait en rage. Il serra les

dents.Ouais…ilespéraitbienqu’ilétaittoujoursdanslesboiscesoir.—Qu’est-cequinevapas?Jenner tourna la tête et rencontra ses grands yeux en amande, bruns et parsemés de fascinantes

paillettesvertes.Lesbrascroiséssurlapoitrine,elleserraitautourd’elle,commeunearmure,leblousonqu’illuiavaitprêtépourcouvrirsachemiseenlambeaux.Ilfutsurprisqu’elleaitperçusonétatd’esprit.Ilavaittoujoursétébonpourdissimilersespenséesetsessentiments,c’étaitunatoutdanssontravailetcelafaisaitdeluiunloup-garoudifficileàreconnaître.MaisvisiblementMiaétaitdifférente.Il l’avaitsentidèsledépart.

Ilnesavaitpassic’étaitunebonnechoseoupas.Soninstinctluidisaitqu’ellenedisaitpastout.Maislemomentn’étaitpasvenudechercheràensavoirplus.

—Qu’est-cequivousfaitcroirequequelquechosenevapas?demanda-t-ild’untonqu’ilauraitvoululéger,maisoùperçasonagacement.

Ellenesemblapassedémonterpourautant,cequinelesurpritpas.Quoiqu’ellefûtparailleurs,Miaétaitunefemmeforte…pourtantilauraitpréféréqu’ellesoitunpeuplusintimidéeparlui.

—Vousavezl’aird’avoirenviedetuerquelqu’un,ditMia.Maistantqu’ilnes’agitpasdemoi,çanemedérangepas.Vouspouvezyaller.

Ilfutsurprisparsonsensdel’humourmaistrouvacelacharmant.Ilnevoulaitpasêtrecharmé.Ilserralesdents,biendécidéàgardersesdistances.

—J’étaisentraindepenseràcequiallaitsepasserensuite,répliquaJenner,cequiétaitlastrictevérité.Voicimoncamion.Montez.

Illuiouvritlaportière.Miahésitaetjetauncoupd’œildanslevéhicule.Jennerfutsoulagédevoirquepourunefoisilétait

plutôtpropre,àpartunecannettevideentrelessièges.—Excusez-moi…oùest-cequ’onva,déjà?demanda-t-elleenréprimantunbâillement.Sonregardétaitembrumé.Jennersavaitqu’ellen’auraitpaslesidéesclairesavantlelendemain,au

plustôt.Ilyavaitmoinsd’uneheurequelasalivedusauvageétaitdanssonorganismeetilconnaissaitd’expérience les effets d’unemorsure de loup-garou.Dans le cas deMia, elle allait sombrer dans unsommeilprofondd’unmomentàl’autre.

C’étaitsansdoutecequipouvaitarriverdemieux,pourellecommepourlui.—Jevousconduisquelquepartoùvouspourrezprendreunreposbienmérité.Vousavezeuune

journéeéprouvante.Unebonnenuitdesommeilvousferaleplusgrandbien.Ilparlaitd’unevoixposéeetraisonnablequi,ajoutéeàlafatiguedeMia,suffitàlaconvaincrede

monterdanslecamionsansrechigner.Jennergrimpadesoncôté,pritlescléssouslesiègeetdémarralemoteur.—Jenevaispasmeréveillercouvertedefourrure,aumoins?demanda-t-elle.Jennerneputréprimerunpetitrireenvoyantlatêtequ’ellefaisait.—Non,vousn’aurezpasdefourrure.Pasmêmedemigraine.Vouspouvezmecroire,lapremière

foisquevousvoustransformerez,ceneserapaspendantvotresommeil.—Ah,d’accord!Ilgrognaenlaregardantplissersonnezetfermerlesyeux.C’estsûr,elleétaitvraimentjolie,mais

têtuecommeunemule,apparemment.Sonsourires’effaçaenpensantauchoixqu’elledevraitfairedanslesjoursàvenir.

Il n’y avait que deux façons de faire partie d’unemeute. Soit un de vos deuxparents en était unmembre…soitvousyentriezd’unefaçonplusintime.C’estpourcelaquelesrèglesétaientsistrictes,pourcelaqu’ilétaitrarequ’unnouveauvenuarrivequinesoitpasdéjàencoupleavecl’und’entreeux.

Lamorsurene faisaitpas tout.Le lien, laconnexionavec l’espritde lameute,neserait totalqu’aprèsqu’elleseseraituniephysiquementàunBlackpaw,aumoinsunefois.

Iln’avaitpasenvied’êtreceluiquiluiannonceraitlanouvelle.Elleseraitsûrementfurieuse,etellen’aurait pas tort. Mais il ne pensait pas qu’elle trouverait l’alternative acceptable. Devenir sauvage,perdretoutsensdubienetdumal,toutehumanité?Jennernedoutaitpasqu’elletrouveraitsonbonheurparmilesjeunesmâlescélibatairesdelameute.

Dumomentquecen’étaitpaslui.Laseuleunionpossiblepourluiavaitdéjàeulieu.Etellen’auraitpaspuêtrepire.

Jennerfronçalessourcils.IlnevoulaitpaspenseràTess.—Oh!zut!marmonnaMia.—Quelquechosenevapas?demanda-t-il.—Mesaffaires.Jelesailaisséesàl’hôtel.EllesefrottalesyeuxenpoussantungrognementquimitlessensdeJennerenébullitionavantqu’il

n’ait le réflexe de les bloquer et, en un instant, il se retrouva en train de respirer un air parfuméd’agrumes,mêlé àune sortede shampooing à lavanille et à uneodeurdepeau féminine. Il percevaitchacunedesesrespirations,chacundesbattementsdesoncœur.

Asontour,ileutenviedegrogner.—Vousétiezàl’auberge.EnbasdelarueàGreenview?demanda-t-il,contrariéàl’idéequ’elle

avait partagé une chambre avec le mordeur dans un hôtel de charme célèbre pour ses rendez-vousromantiques, et qu’elle avait probablement prévu de partager son lit… Peut-être étaient-ils fiancés ?Commentsavoir?Etd’ailleurs,qu’est-cequ’ilenavaitàfaire?

—L’Aubergedelaforêt,oui,ditMia.Elleécartalesmainsdesonvisageetpoussaunsoupir.—Seigneur,pourquoiest-cequejen’arrivepasàpenser?dit-elle.—Çavas’arranger.Jennersentaitsonregardsurlui.Elleessayaitdepercersacarapace,maisilnequittapaslaroute

desyeux. Ildevaitgarder les idéesclaires. Il s’était répétéunmillionde foisque laviedevait restersimple, qu’il fallait éviter les complications.Mais il avait la nette impression queMiaD’Alessandropourraitbiendevenirunesourceénormedecomplications,s’illalaissaitfaire.

—Quandça?—Demain,normalement.—Normalement?Elletrouvaitlemoyend’avoirl’airendormieetoutragéeenmêmetemps.Jennerréprimaunsourire.

Elleluttaitpourresteréveillée…elleauraitdéjàdûs’écrouler.Mais,apparemmentilavaitvujuste,elles’obstinaitàluttercontrelesommeil.

Ilneputs’empêcherdelafairemarcherunpeu.—Ouais.Demainouaprès-demain.—Super.Vousêtesunpuitsdescience,Nick,dit-elled’untonacide.—Toutlemondem’appelleJenner,répliqua-t-ilvivement.Iln’appréciaitpas lafaçondontelleprononçaitsonprénom.C’était tropfamilieretcelaravivait

tropdesouvenirsdesonanciennevieetdesonpassagedanscelle-ci.—Jenner,répéta-t-elle,commeleratdanslefilmpourenfants?—Unrat?Il la regarda et comprit immédiatement ce qui se passait. Elle ne luttait plus contre le sommeil.

C’étaitlesommeillui-mêmequiluttaitcontreelleetlesdeuxsemblaientselivrerunebatailleépique.Ilétaitpourtantévidentquelesommeilétaitenpassedegagnerlapartie.

Iln’yavaitriendesurprenantàcela.Leseffetsd’unemorsuredeloup-garouressemblaientplusàuneimmersiondeplusieursheuresdansuntrounoirqu’àunsimpleendormissement.

—Unméchantratquisefaisaitpoignarder.C’étaitun«happyend»,dit-elleenbâillant.Jennerfitlagrimace.—Poignarder?Super.Vouséclairezmanuit,Mia.Mercibien.QuelimbécilepouvaitappelerunratJenner?—JepréfèreNick,dit-elled’unevoixpâteuse.C’est…plus…sympa.Ellebâilladenouveau.—Nickleloup-garou.Houhou,ajouta-t-elleavecunpetitgloussement.Cettefois,elleavaitl’airsijeuneetsiépuiséequ’iln’eutpaslecœurdelareprendre.Il conduisit en silence et prit la route boisée qui bordait leVallon. C’était là qu’il vivait. Il lui

apparutsoudainquec’étaitlapremièrefoisqu’ilamenaitunefemmechezlui.Chaquefoisqu’ilavaiteuuneaventure,cequin’étaitpasfréquentétantdonnésavolontéd’éviterlescomplications,ilsétaientallésailleurs.

Biensûr,ilnel’amenaitpaschezluipourlamettredanssonlit,sedit-ilenplissantlefront.Etpuis,ellen’allaitpass’éterniser.Et,sielleluidonnaitdesidées,ehbien…ilétaitcapabledegérerça.

Dans son sommeil, Mia poussa un soupir de plaisir qui mit immédiatement son imagination enmarche.Ilnedoutaitpasqu’unefoisqu’ill’auraittransportéeetmiseaulitsonimaginationallaitbattrelacampagnetoutelanuit.

Lesmâchoiresserrées,ilseditqu’ilpourraitlegérer.Ilpouvaitpratiquementtoutsupporter.Maisquandmême, fallait-il vraimentque lavictimed’un sauvage, lapremièredont ils avaient à

s’occuperdepuisdeslustres,soitaussiattirante?Ilsursautaquandellepoussaunpetitcri,justecommeils’arrêtaitdevantchezlui.Autraversdes

arbres,onvoyaitleséclairagesqu’ilavaitlaissésallumés.—Qu’ya-t-il?demanda-t-il.Mia?Çava?—Onaoubliémesaffaires,bredouilla-t-elle,d’unevoixlente.Jev…vousaiditquej’étaisà…

au…—J’enverraiquelqu’unleschercher,ditJenner,soulagé.Cen’estpasunproblème.Les complications après unemorsure étaient relativement raresmais il fallait quandmême faire

attention. Cette réaction de Mia n’était que le dernier sursaut avant qu’elle ne sombre dansl’inconscience.Ileutunpetitsourire.Ilétaitdifficiledenepasadmirer leseffortsqu’ellefaisaitpourrésister,aussifutilessoient-ils.Elleavaittenulecoupbienpluslongtempsquelaplupartdesgensdanssoncas.

Ilsegaradevantl’entréedugarageetcoupalemoteur.—Onestarrivés,Mia.Ilesttempsd’alleraulit.—Hum.Mmm.C’était…unechambre…chambrebleue…,dit-elled’unevoixtraînante.LetempsqueJennertournelesyeuxverselle,elleétaittombéedansunsommeilprofond,labouche

entrouverte,latêterejetéeenarrière.Ilcessadesourireetlaissafinalementsonregardparcourirlasilhouettedelabelleendormie.Elle

étaitpetiteaveclataillefineetdescourbesjusteoùilfallait.Normal,ilaimaitlessilhouettesensablier.Et ce visage…elle ressemblait vraiment à une déesse romaine. PlutôtDiane queVénus, toutefois.Ladéessedelachasse…etdelalune.

UnbeaubrindefilleseditsombrementJennerenrepensantàcequ’avaitditDex.Tuparles!Miaétaittoutsimplementmagnifique.

Ets’ilnevoulaitpastoutfoutreenl’airdanssavie,unefoisdeplus,ilallaitdevoirêtretrès,trèsprudent.

—C’estjustepourcettenuit,luidit-il.

Mais bien sûr il n’obtint pas d’autre réponse que la respiration régulière de quelqu’un qui dortprofondément. Jenner hocha la tête et fit le tour de son pick-up. On n’entendait que le crissement dugraviersoussespasetlehululementd’unechouetteauloin.Et,lorsqu’ilsoulevaMiadanssesbras,lesbattementsirréguliersdesonproprecœuraffolé.

***

Miafutréveilléeparuneappétissanteodeurdecaféetdebacon.Elleentendaitlecrépitementdanslapoêleetsentaitpresquelegoûtducafédanssabouche.

Quiapenséaucafé?sedemanda-t-elle,àmoitiéendormie.Maislaréalitélarattrapabrusquement.Miaclignadesyeuxcommelesévénementsdelaveillelui

revenaientbrutalementàl’espritenunesuccessiond’imagestoutesplushorribleslesunesquelesautres.Soncœurs’accélérasousl’impulsionirrépressiblederejeterlescouverturesetdesesauverencourant.

Ellefermalesyeuxetseforçaàréfléchir,àserappelercequiavaitsuivi.Lessauveteursdanslaforêt.LetrajetdanslecamiondeNickJenner,bienquecettedernièreséquencesoitplutôtembrumée.Jeffadisparu,sedit-elleavecfermeté.Elleétaitensécuritémaintenant.

Unepairedegrandsyeuxambrésluirevintàlamémoire,etungrondement.Jeluiferaipayercequ’ilvousafait,vouspouvezmefaireconfiance.Encompagniedesloups-garous.Tuparlesd’unréconfort!Surtoutque,enplusd’unefouled’autres

problèmes, elle étaitmaintenant en passe d’endevenir un elle-même.Ouquelque chosed’approchant.Querésultait-ilexactementducroisementd’unloup-garouavecletypedesangqu’ellepossédait?Ellesedisaitconfusémentquecen’étaitpeut-êtrepaslameilleuredesentréesenmatière.

Avec un grognement étranglé, Mia ouvrit les yeux avec difficulté et repoussa lentement lescouvertures,seslentillesavaientséchéetcollaientàsesprunelles.

Bonsang!Ellepassalamaindanssescheveuxemmêlés,preuvequelanuitavaitétéagitée.Ellepoussaunprofondsoupirets’assitauborddulit,lesjambespendantes,letempsdetrouversesrepères.

Elleavaitlachairdepoule.Résignée,ellejetauncoupd’œilàsonsoutien-gorgeendentellenoirequi semblait totalement déplacé cematin.On lui avait retiré sa chemise en lambeaux ensanglantés, ungestequilafaisaithésiterentrereconnaissanceetembarras.Ellefutrassuréedeconstaterqu’elleportaittoujourssonjean,mêmes’ilétaitmaculédeterre.Elleavaitlespiedsnus.

L’idée du séduisant Nick Jenner en train de lui retirer ses chaussettes et ses chaussures pour lamettreaulitluifitvenirlerougeauxjoues…etenmêmetempsregretterden’avoirpasétéjusteunpetitpeu éveillée à ce moment-là. Immédiatement, elle repoussa cette pensée. Il y avait des choses plusurgentesàconsidérer.Et,aprèscequis’étaitpassélaveille,ellen’avaitpasvraimentbesoind’unautrehommeauxdentsquis’allongeaientbrusquement.

Elles’envoulaitpourJeff.Elleauraitdûseméfier.Aveccettetendancequ’elleavaitd’êtretoujoursattiréeparlesamochésdelavie,ceuxquiavaientsuffisammentbesoind’ellepournepaslarejeters’ilsdécouvraient savraienature.Miaavaitassezvécupoursavoirqu’iln’yavaitpasdehonteàavoirunjardinsecret,maisellenes’étaitjamaistotalementdébarrasséedusentimentqu’ilyavaitquelquechosedemauvaischezelle…etaufildesannéeselleavaittoujourschoisileshommesenfonctiondecela.

MaisJeffavaitétéencoreplusdemandeurquelesautres.Certes,ilétaitcharmant,maistropamochépourelle.

Quand elle y repensait, unmélanged’émotions la submergeait : la fureur, la trahison etmême lahonteden’avoirpasvuleprédateurenlui.Et,sous-jacente,latristesse.Peut-êtrecomprendrait-elleunjourquevouloiraiderleshommesblessésn’apporteraitpaslasolutionàsespropresproblèmes.

Aumoinsiln’avaitpasattendud’avoircouchéavecellepouressayerdelatuer.C’étaittoujoursça.

Etmaintenantelleétaitlà,avecJenner,quinesemblaitpasêtreletypeàavoirbesoindequiquecesoit,etsurtoutpasd’elle.Décidément,iln’étaitpassongenre.

Voilà,ellen’avaitqu’àcontinueràsedireça…Mia sortit du lit et enfonça ses orteils dans le tapis épais qui recouvrait la majeure partie du

plancherdelapetitechambre.Elleparcourutlapiècedesyeux,lalumièredujourfiltréepardesimplesrideaux crème éclairait une table de toilette sur laquelle reposaient une cuvette ancienne et un brocassorti.Leréveilposésurlapetitetabledechevetindiquait9heuresdumatin.Surlesmursdeboisclair,onavaitaccroché—Jennersansdoute—deuxphotographiesagrandiesetencadrées,représentantdesvuesmagnifiquesdelaforêtarborantlesglorieusescouleursdel’automne.

LeregarddeMia tombasursonsacdevoyageposéàcôtéde la tablede toilette.Les larmes luimontèrentauxyeuxcommelaréalitépénétraitenfinlecoconprotecteurquil’enveloppaitdepuislaveilleausoir.Toutavaitvraimenteulieu.Elleavaitfaitexactementcequ’ellefaisaittoujours:lepire.

—Tonsangestmauvais.La voix de sa grand-mère Ada qui murmurait dans sa tête était si familière, si réelle que Mia

frissonna.Jel’aisuaumomentmêmeoùtuesvenueaumonde.Latacheoriginelle.J’aiavertitamèredela

naturedetonpèremaisellen’arienvoulusavoir,ettuvoisoùçalesamenés.Lalumièredemalignées’estéteinteettesparentsontperdulavie,nelaissantquetoipourenporterlatrace.UnepetitefillequiallaitattirerlesOmbrescommedesmouches.Ilstebriseront,Mia,quandjeneseraipluslà.Etalorstubriserastoutlereste.

Miafermalesyeuxpourretenirseslarmesetrepoussalavoixaffreusedanslecoinobscurdesonespritd’oùellenedevait jamaissortir.Elleétaitbiendécidéeànepasperdre lespédalesmaintenant.S’ilfallaitaffronterunemeutede loups-garousaujourd’hui,aumoinsqu’ellepuisse lefairesansavoirl’airdesortirdeLaNuitdesmorts-vivants.

Lesloups-garousavaientl’airdesavoircommentchasserJeffetsessemblables.LesOmbresdontparlait sa grand-mère, ces Ombres dont elle avait toujours eu peur sans jamais les voir, c’était sonproblème à elle. Il fallait juste qu’elle trouve un moyen de sortir d’ici avant que les autres ne ledécouvrent.

—J’airéussijusqu’àprésent,seditMiaenmurmurant.Jepeuxgérercettesituation.Aprèscequej’aitraversélanuitdernière,jepeuxtoutaffronter.Endépitdecequelesautrespensent.

Et,toutenfouillantdanssonsacdevoyage,elleréussitpresqueàs’enpersuader.

3

Dixminutesplustard,Miasedirigeaitverslasourcedesodeursdélicieusesquil’avaientfaitsortirdesachambre.L’arômeducafé,destoastsetdesœufsaubaconl’avaitaidéeàsurmontersesangoisses.Deplus,ellesesentaitbeaucoupmieuxdepuisqu’elleavaitenfiléunjeanetunpullpropresaprèsavoirutilisélasalledebainssuperbequisetrouvaitenfacedesachambre.Elles’étaitbrossélescheveuxet,incapable de supporter plus longtemps ses lentilles, avait chaussé les lunettes qu’elle portaithabituellementpourtravailler.D’épaisseschaussettesdelaineluiréchauffaientlespieds.

Elle seditquecen’étaitpas lemomentde fairede l’élégance,de toutemanièreellen’avaitpasemporté cequ’il fallait.Elle s’était imaginéque Jeff apprécierait sonnaturel,qu’il aimait legenredefillequicourtpiedsnusdansleschampsetquiattrapeleslucioleslessoirsd’étéavantd’allerdansersouslalune.

Elleavaitvraimentéténaïve.Agacée,MiaessayadechasserJeffdesespensées.Dèsqu’ellepénétradans lapièced’oùparvenaientcesodeurssiappétissantes,elleoublia toutes

sesangoisses.D’immenses baies vitrées lui faisaient face, occupant pratiquement la totalité du mur. Au-delà,

semblantfairepartiedelapièce,s’étendait laforêtauxcouleursflamboyantes.Carminetor,orangeetrouille,lescouleursinondaientlapiècejusqu’àcequ’ellenepûtrienvoird’autre.Mia,qui,àcausedeson travail et de ses peurs, avait toujours préféré la ville anonyme, fut saisie d’une soudaine etirrésistiblepulsiondeseprécipiterverslesarbresetdecourir,toutsimplement.

Sanss’enapercevoir,elleavaitdûmanifestersonadmirationàvoixhaute,carelleentenditunevoixs’éleverderrièreelle,graveetaussiprofondequedanssonsouvenir,maisoùperçaitl’amusement.

—Merci,dit-il. J’aimebeaucoup la forêt,moiaussi. J’aipenséque lepetitdéjeunervous feraitlever.Vousvoulezducafé?

Mia se retourna et découvrit la partie de la grande pièce qui avait été aménagée en cuisine.Aumilieudesplansdetravailenmarbreétincelant,desplacardsauxportesvitréesetdesétagèrescouvertesde toutes sortesdeboîtesquiprouvaientque lacuisinen’étaitpas làquepour lagalerie, trônaitNickJenner. Ilétait toujoursaussigrandet ilémanait toujoursde luicette sensualité latentequiexcitait sesterminaisonsnerveuses.

Bonsang,ilétaitencoreplusséduisantquedanssonsouvenir.Illuiavaitdemandéquelquechose,maisellen’avaitpaslamoindreidéedecequec’était.TucherchaisunmoyendetesortirJeffdelatête,serappela-t-elle.Maispasdeteviderl’esprit

complètement.—Salut,ditMia.

Cequin’étaitprobablementpaslaréponsequ’ilattendait.Jennerhaussaunsourcilavantdeseretournerpours’occuperdecequ’ilétaitentraindefairecuire.—Salut.Vous allezbien ?Ladernière fois que j’ai regardévotreblessure, elle cicatrisait bien,

maisilsepeutquevousayezbesoind’unpeuplusdetempspourretrouvervosesprits.Ilavaitvérifiésielleallaitbien.Celanel’étonnaitpas,maiscelalatouchait.D’habitude,lesautres

nes’inquiétaientpasd’elle…c’estellequis’occupaitdesautres.Miaprituneprofonde inspirationets’efforçadeseconcentrerpourrassemblersesidées.Ilavaitraison…elleétaitencoreenvrac.Maiselledevaitréagirrapidement.Elleavaitbeaucoupdequestionsàposer.Etsurtoutelledevaitfaireattentionàcequ’elledisait.

— Non, ça va, répondit-elle en essayant de sourire amicalement. J’ai l’esprit encore un peuembrumé,maisjecroisqu’uncafédevraitarrangerça.

Voilà,c’estçaqu’illuiavaitdemandé,serappela-t-elle.Elledevaitavoirl’airmaline.ElleavançaverslacuisinesousleregardintensedeJennerdontlesyeuxressemblaientplusàceux

d’unloupqu’àceuxd’unhomme.Ilne lui renditpassonsourire,mais iln’avaitpas l’air irritéparsaprésencenonplus.

—Çatombebien,j’aifaitbeaucoupdecafé,dit-ilenfin.J’aiprobablementfaittropàmangeraussi,maiscommejenesavaispascequevouspreniez…

Il ponctua sa phrase d’un petit haussement d’épaules nonchalant que Mia trouva bêtement trèsattirant.

—…j’aividélesplacards,poursuivit-il.J’aifaitunpeudetout.—Oh!j’aimetout,réponditMiaprécipitamment.Enfin,jeveuxdire, jemangedetout.Maispas

toutenmêmetemps.Elleauraitvouludisparaîtretellementellesesentaitridicule.UnpetitsourireretroussalentementleslèvresdeJennerencreusantlesséduisantesridulesaucoin

desesyeux.Labouledenerfsquinouaitlebas-ventredeMiasemblaseresserrerencoreplus.—Bien,dit-ild’unevoixamusée.Cematinaumoins,essayezdemangerunpeudetoutetenmême

temps.Vousallezenavoirbesoin.—Oui,jem’endoute,ditMia,contentequ’iln’aitpasl’airdelatrouversiridicule.Ellesesentaitaussinerveusequ’unebichequiaflairéunprédateur.C’étaittoutàlafoisnouveauet

troublant.Mais il y avait une chose dont elle devait se débarrasser avant tout. Elle prit une profonde

inspirationetsejetaàl’eau.— Ecoutez, je tiens à vous remercier, dit-elle. Vos amis m’ont sauvé la vie. Et vous vous êtes

occupédemoi.Sijepeuxfairequoiquecesoitpourvousdédommager…LesyeuxdeJennerétincelèrentcommesiunfeuintérieurembrasaitsesétrangespupillesdoréeset,

l’espaced’un instant, il l’observad’une façonqui fitmonterunevaguedechaleurde lapointede sespiedsàlaracinedesescheveux.Mais,avantmêmequ’elleneréagisse,ilétaitretournéàlacuissondesesœufs.

— Ce n’est pas la peine, dit-il d’une voix légèrement plus rauque qu’avant. Les loups commeGainesnesontquedes racailles.Dexet lesautresétaient ravisde lepourchasser.Etnousserons toutaussiravisdeveilleràcequ’ilnefasseplusjamaisdemal,niàvousniàpersonne.

Il se tut, jeta un regard dans sa direction avant de faire glisser desœufs dans une assiette et decommenceràbeurreruntoast.

—Oh!Alorsilsnel’ontpasrattrapéhiersoir?dit-ellesansessayerdecachersadéception.Jennersecoualatête.—Non,pasencore.Maisçanevapas tarder.Aufait,Baneveutvousparlerdèsquevousserez

prêteàlerencontrer,dit-ilcommeens’excusant.

Miaperçutunlégerembarrasdanssavoix.—QuiestBane?demanda-t-elle.—JaysonBane.C’estlechefdelameute.Maisilnefaudrapasvouslaisserimpressionner.Ilpeut

semontrer désagréable parfois,mais c’est unmec bien. Je ne voudrais pour rien aumonde être à saplace,maisilfaitdubonboulot.

—Oh!ditMia,surprise.EnvoyantlacarruredeJenner,lecharismeetl’assurancequisedégageaientdelui,ellen’avaitpas

imaginéqu’ilpuisseyavoirquelqu’unau-dessusdelui.—Jecroyaisquec’étaitvous,lechef,avoua-t-ellesansréfléchir.Jennerhaussa les sourcils et eutunpetit rire. Il avait l’air sincèrementétonnémaispasde façon

négative.—Moi?Non.Jen’aipasl’étoffed’unchef.Onpourraitdirequejesuissonsecond,jesuppose,

bienquecenesoitpasexactementcelanonplus.Noussommespluscomme…lesdeuxmoitiésd’untout.C’estluiquis’occupedetoutcequinécessitedeparler.

Elle le regarda avec curiosité, fascinée par la grâce naturelle, prédatrice, qui accompagnait lemoindredesesmouvements.

—Etvous,vousvouschargezdestâchesquinécessitent…Ileutunsouriredeloup,rapideetéclatant.—Denepasparler.Venez-vousasseoir,Mia.Nousnemordonspastous.Jenneremplitlerestedel’assiettedebacon,pritunefourchettedansuntiroiretposal’assiettesur

leplandetravail,quiservaitaussidetable.Miaeutuneseconded’hésitationpuiselles’approcha.Elles’installa sur le tabouret recouvert de cuir en essayant de ne pas se laisser troubler par le regard deJenner.

—Uneseconde.Uneserviette,dit-ilavecunfroncementdesourcil,etilluiapportauneservietteenpapier.

Leursdoigtssefrôlèrentquandellelaprit.Miafrissonnaetretirabrusquementsamain.Cen’étaitqu’uncontactfurtifetpourtantilravivalesouvenirdelabellemélodiequ’elleavaitentenduedanssesveineslaveille.C’étaitundesespouvoirsmaisellenel’avaitjamaisexpérimentéavecautantdefacilité,etJennerétaitlepremierhommeàréagirsiouvertementàcedon,mêmes’ilsemblaitl’ignorer.Ellenepouvaitqu’imaginerlebonheurqueceseraitdes’uniràlui,peaucontrepeau…

—Merci,dit-elleavecunsourirehésitant,alorsquesoncœurbattaitlachamade.Qu’est-cequiluiarrivait?Hieràlamêmeheure,elles’imaginaitpasserunweek-endromantique

avecJeff.MaislasimpleprésencedeJenneréclipsaittoutsouvenirdeJeff,lesbonscommelesmauvais.—Jevousenprie.Ilreculapresqueaussibrusquementqu’elle.Ellesedemandas’ilavait, luiaussi, ressenticetteétrangealchimieentreeux.Elleseditaussitôt

quecettequestionétait absurde. Jennerétait cethommecostaudet sexyà lapuissancesurnaturelle.Etelle,elleétait juste…Mia.Cequi luiconvenait laplupartdu temps.Mais jusque-làçan’avaitpaseul’aird’enflammerlescœursmasculins.

Pournepasavoiràfairel’effortdeformulerdesphrasescohérentes,Miaenfournaunebouchéedenourriture. Ses papilles gustatives réagirent avec tellement de plaisir qu’elle ferma les yeux.Apparemment,elleavaitfaim.

—Mmm,mmm,s’entendit-elledire.Quandelle rouvrit lesyeux,ellevit Jennerqui s’apprêtaità s’asseoirprèsd’elleavecsapropre

assietteàlamainetquilaregardait,figésurplace,avec,denouveau,cemêmeregardbrûlant.Unpeucommes’il avait enviede lamordre, elle.Mais enunclind’œil l’expressionavait disparu et elle sedemandasiellenel’avaitpastoutsimplementimaginée.

Lefaitqu’elleespèrelecontrairemontraitbienàquelpointelleétaitperturbée.—Çavousplaît?demanda-t-il.—Oui,c’esttrèsbon.Merci.Jenners’assitsurletabouretàcôtéd’ellesansrienajouter.Iln’étaitpasbavard,c’étaitévident.Si

ellevoulaitobtenirdes réponsesàses interrogations,elleallaitdevoirposer lesquestionselle-même.Toutencherchantquoidire,elleprituneautrebouchée.C’étaitsibonqu’elleenprituneautre,puisuneautreetcen’estqu’auboutdequelquesminutesqu’ellepritconsciencedusilence.EllelançaunregardàJenner, certaine qu’il trouvait son manque de conversation peu engageant. Mais elle fut surprise deconstaterqu’ilsemblaitparfaitementàl’aise,entraindemanger,perdudanssespensées.

Ilétaitfaciledel’imaginerfaisantlamêmechosetouslesjours.UnepenséerassurantequidonnaàMia une sensation de chaleur qu’elle n’aurait pas dû ressentir avec un étranger. Mais… c’était siinhabituel de se trouver avec quelqu’un qui pouvait apprécier unmoment de calme sans éprouver lebesoindeparler.Jeffparlaittoutletemps,ens’énervantparfois…surtoutdelui-même,réalisa-t-elle.

L’exactopposédel’hommequiétaitassisprèsd’ellemaintenant.Reportantlesyeuxsursonassiette,elles’aperçutqu’ellel’avaitpratiquementvidée.Jennersembla

leremarquerluiaussi.Ilsepenchajusteassezversellepourqu’elleperçoivesonodeur,unmélangedeforêtetdefeudebois.Ellefutprised’uneenviefolledefourrersonvisagedanssoncoupourlerespirer.

—Ondiraitqueçavousaplu,dit-il.—Je…oui,eneffet.Merci,répliqua-t-elle.Ilcontemplasonassietteavecunelueurd’amusementdansleregard.—Jenesaispasoùvousavezmistoutça,maisilenreste,sivousenvoulezencore.—Non,non,dit-elleenriant.Sijecontinue,jevaisexploser.Elleposasafourchetteetleregarda.Ellepritunegorgéedecafé,réfléchitunmomentpuisselança.—Alors, dit-elle—et elle remarquaune légère tensiondans les épaules de Jenner, comme s’il

devinait ce qui allait suivre— combien de temps ça va prendre pour que jeme transforme en loup-garou?Quandvais-jepouvoirrentrerchezmoi?

Jennersavaitqu’elleallaitposercesquestions.Ilavaitjusteespéréqu’elleattendraitquequelqu’und’autrearrivepourlefaire.

IlregardaMia,sonvisageouvertetsincère,alorsqu’ellelescrutaitàtraversunepairedelunettesqu’ellearrivaitmêmeà rendresexy.Avecsescheveuxépaissagement repoussésderrièresesoreilles,elleavaittoutdelajeuneintellectuelleinnocente.

Jeune,elle l’était certainement. Intellectuelle,c’étaitpossible. Innocente…en fait, il espéraitqueMia ne l’était pas autant qu’elle en avait l’air, sinon elle allait avoir dumal à s’habituer à vivre encompagnied’unemeutedeloups.

Ellecontinuaitàleregarderdesesgrandsyeux,attendantuneréponse.—Ehbien,voyez-vous,commença-t-il,maisils’arrêtaaussitôt.Bonsang, lesexplicationsn’étaientpassonfort.Pourchasserdesintrusets’occuperdesmenaces

qui rôdaient à la frontière de leur territoire, c’était ça, son job. Il ne devait pas sa renommée à sescompétencesenmatièredecommunication…etencemomentilvoyaitbienpourquoi.

Miaplissalefront.—Jevaisbientôtrentrerchezmoi,n’est-cepas?J’aidutravailquim’attend.—Dutravail?Seigneur, ilavait l’air idiot.Qu’est-cequ’unefemmecommeMiapouvaitbienfairedanslavie?

Ellel’intriguait,cequiétaitsurprenantpourquelqu’unquis’intéressaitpeuauxautres.Celal’empêchadeluifourniruneréponsevaguequiallaitlacontrarier.Ilneréponditpasdutout,enfait.

—Trèsbien,ditMiaavecunecertaineironie,maintenantqu’ilestclairquejetravaille,Nick…—Onm’appelleJenner,rétorqua-t-ilimpulsivement,conscientdel’agressivitédesonton.

Cen’étaitpasplusmal.Celaluirendraitlatâcheplusfacile.Iljetauncoupd’œilàlapenduleetregrettaqueletempsnepassepasplusvite.Dansl’après-midi,Baneseraitlà.Lui,ilsauraitcomments’yprendre.JenneravaitescomptéqueMiaseraitencoregroggy,qu’iln’auraitqu’àluidonneràmangeretlarenvoyersecoucher.Aulieudecela,ilsubissaituninterrogatoireenrègleaupetitdéjeuner.

SonhostilitéfitcillerMiamaisnesemblapasladésarçonnerpourautant.—Jenner,d’accord, excusez-moi.Ecoutez, jene saispascequevousvous imaginiezmais jene

mènepasunevieoisive.JedoisrenteràPhiladelphieauplustôt.Aujourd’hui,sipossible.Jesaisquevousavezbesoindemonaideetjeserairaviededireàvotre…cheftoutcequejesaisàproposdeJeff.Mais cela ne devrait pas prendre plus d’une heure, grand maximum. Je ne le connais pas depuislongtemps.

Elledétournaleregard.—Jepenseréellementquenousdevrionsappelerlapolice.J’aipeurqu’ilessayedemeretrouver.

Jeneveuxpascourircerisque.S’illefait,ilmetuera.Maisjenepeuxpasresterici.Ilfutétonnédelacertitudedesonaffirmationetdutonrésignésurlequelellel’avaitproférée.Cela

luiparutsuspect.Ils’efforçadefairetairesaméfiance.Ilsavaitqu’ilétaitinjuste.Amoinsqu’iln’espèrel’être,toutsimplement.

Iln’arrivaitpasàsedéfairedel’idéequequelquechoseluiéchappait.—Jenecroispasqu’ilvoulaitvoustuer,Mia,ditJennerlentement,sedemandantsilemomentétait

bienchoisideluiexpliquerleritueld’accouplementchezlesloups-garous.Elleluilançaunregardperçantet,endépitdelatimiditédontelleavaitfaitpreuveunpeuplustôt,

sadéterminationétaitbienvisible.—Si,dit-ellecalmement.Ilavaituncouteau.Ilétaitsurlepointdem’acheverlorsquevoshommes

sontarrivés.—Seigneur!Jennerladévisagea,stupéfaitqu’ellepuisseresteraussicalme.—Pourquoin’avoirriendithiersoir?reprit-il.—Jenepensaispasquecelachangeaitquelquechose,répliquaMia.Jecroyaisqu’ilétaitévident

qu’il essayaitdeme tuer.Pourquoi ?Vouspensiezqu’ilvoulait seulement se faire unenouvelle petiteamieloup-garou,ouquoi?

Jennerrésistaàl’enviedeseleveretdefuirsonregardtropperspicace.—Nous pensions qu’il voulait vous transformer pour vous garder, ce qui est en soi déjà assez

grave,dit-ilsansentrerdanslesdétails.Pourquoiaurait-ilvouluvoustuer?Apeineavait-ilposélaquestionqu’ilserenditcomptequ’elleétaitstupide,etleregarddédaigneux

queluijetaMialeluifitbiencomprendre.—Parcequ’ilestfou.Ilpense…Ellehésitaetsecoualatête.— Peu importe ce qu’il pense, reprit-elle. C’est unmalade. Je suis contente de savoir que vos

hommesetvousêtesà sa recherche,mais jecontinueàpenserqu’il seraitplus sûrd’avertir lapoliceaussi.Ilsn’ontpasbesoindesavoircequ’ilest.

L’instinctdeJennerfutalerté. Ilpouvaitentendre lesbattementsdesoncœur,sentir l’odeurde lapeursemêleràsonparfumnatureld’agrumes.

La tension qu’il percevait dans les épaules deMia, qu’il entendait dans ses phrases inachevées,confirmait son sentiment qu’elle ne disait pas tout.Mais l’expression de son visage, l’épuisement quialtéraitencoresestraitsl’arrêtèrent.Elleparlerait,àluiouàquelqu’und’autre.Elleyseraitobligée.

Etantdonnécequ’elleavaitsubi,iln’allaitpasluimettrelapression.Pastoutdesuite.—Vousoubliezquenotreshérifestsur l’affaire.Sionvousdemandequoiquecesoit,ditesque

vous êtes déjà allée à la police. Buddy va faire circuler l’information, mais les deux réseaux s’en

occupent.C’estmieuxcommeça?Ellesoupiraethochalatête.—J’imaginequeoui.Commejeregrettedel’avoirrencontré!Etsurtoutd’avoirétéaussistupide.Jennerneputs’empêcherdesesentirsoulagé.Sanslesavoir,ellevenaitderépondreauxquestions

qu’il se posait à propos de sa relation avec le sauvage. Mia n’était pas fiancée avec ce Gaines, niamoureusedelui.Iln’étaitrienpourelle,çaselisaitsursonvisage.OrJennersavaitqu’ilallaitêtredetrèsmauvaisehumeurlorsqu’ilréfléchiraitàlasignificationdecesoulagement.

—Vousn’avezpasétéstupide,dit-ilensedemandantpourquoiiléprouvaitlebesoindelarassurer.Parfoisonn’ajuste…pasdechance.

Ilsavaitdequoiilparlaitetilvitqu’ellelecomprenaitaussitôt.Miaeutunpetitsourirepenaud.—Oui,vouspouvezledire.Encorequeseretrouveravecdescaninesacéréesetunpelage,c’est

plusquedelamalchance.Jennersemitàrire.Detouteévidence,ilallaitfinirparaimercetteMiaD’Alessandro,mêmesice

n’étaitpascequipouvaitluiarriverdemieux.Mais le sourire de cette dernière s’évanouit instantanément pour faire place à une sombre

résignation.—Etpourcequiestderentrerchezmoi?demanda-t-elle.Commejevousl’aidit,jerencontrerai

qui il faudra,mais je n’étais censéem’absenter que pour unweek-end. Dites-moi simplement ce quim’attend.

—Cequivousattend?répétaJenner,stupéfait.Vousêtesunebiencurieusepersonne,Mia.Il n’avait jamais rencontré personne pour qui se transformer en loup-garou ne semblait pas plus

gravequ’attraperunrhume.Ilvitaussitôtqu’iln’avaitpasditcequ’ilfallait.—Jenesuispascurieuse,j’essayed’êtrepragmatique,rétorquaMiad’untoncinglant.Jepeuxtout

gérer,quoiqu’ilarrive.Jepeuxmêmerevenirpour lapleinelunes’il lefaut.Maisd’abordj’aibesoinqu’onm’informe.

Jennerlaregarda,interloqué.Al’évidence,Miaavaitbesoinqu’onluiexpliquequelquesnotionsdebase,etiln’avaitpaslamoindreenviedes’encharger.

Ce fichuBane quim’a laissé avec ça sur les bras, pensa Jenner en s’appliquant à garder cettepensée pour lui. Et,malgré le fait qu’il déteste envahir les pensées de son chef aumoins autant qu’ildétestaitqu’onpénètrelessiennes,ilémitunerequêteavecautantdeforcequ’ilpouvait.

Bane, pourrais-tu venir ? Mia… je veux dire la victime d’hier soir… elle pose des tas dequestionsetjenepensepasêtreleplusqualifiépourluirépondre…

Laréponsenesefitpasattendreet,malgrésaconcision,ellecomportaitquelqueironieàl’égarddeJennerquineluiéchappapas.

Pourquoi?Tuesaussiqualifiéquenoustous.Jeviendraiunpeuplustard,Jenner.Jenepensaispasqu’elleseraitd’attaqueaussitôt.Jenesuispasdisponiblepourlemoment.

Jennerserralesdentspourréprimerungrognement.Lablondedubar?Toutjuste.L’autosatisfactionpeutaussisetransmettreparlatélépathie,seditJenner.—Vousnepouvezpasmegardericicontremavolonté,ditMia.Jemefichedesavoirenquoivous

voustransformez,oucequiestcensém’arriveràlapleinelune,jenevaispasrestericiindéfiniment.Jeveuxqu’onarrêteJeffmais,danslamesureoùquelqu’unm’expliquecommentçavasepasserpourmoi,jegéreraiçamoi-même…chezmoi.

La voix que Jenner avait trouvée riche et chaude quelques minutes plus tôt était montée à deshauteurstorrides.Qu’ellesoit innocenteounon,cettefillebrûlaitd’unfeuintérieur.Mian’étaitpasdugenreàselaisserfaire,ellen’étaitpasidiotenonplus,cequivoulaitdirequ’elleseraittoutàfaitàsaplaceparmieux.Unefoisqu’elleauraitacceptéderegarderlaréalitéenface.

Il seditqu’undesavantagesàêtre leporteurdesmauvaisesnouvellesétaitqueMianevoudraitprobablementplusjamaisavoiraffaireàluiaprèsça.Cequiluifaciliteraitgrandementleschoses.Oudumoins, pensa-t-il en observant Mia qui lui lançait des regards incendiaires, les bras croisés sur sapoitrine,çaledevrait.Biensûr, ilfaudraitqueluiréussisseàfairecommesiellen’étaitpasàFerry’sHollow.

Cequin’étaitpasgagné.

4

Jennernesavait tropparquelboutcommencer,maisilfallaitbienqu’ildisequelquechoseavantqueMianedécidedeluimettresonpoingdanslafigure.

—Mia,commença-t-il,vousavezpeut-êtrevuunoudeuxfilmsdeloups-garous.Jenedispasquecequ’ilsmontrent est totalement exact,pourtant certains aspects sont importants.Vouscomprenezbienquevousallezvouschangerenloupaumoinsunefoisparmois,d’accord?

Danssesyeux,ilvitlacolèrefaireplaceàl’inquiétude.C’étaitunpasdanslabonnedirection.—Oui…enfin,jepensaisquec’étaitseulementunefoisparmois,mais…oui,ditMia.Mais,je

veuxdire,ildoitbienyavoirdesloups-garousàPhiladelphie,non?Jemedisaisqu’ilsformaientpeut-êtreunecommunauté,ouunclubouquelquechosedanslegenre,vousvoyez…ilspourraientm’aideràm’ensortir.Am’yhabituer.Quevoulezvousdireparaumoinsunefoisparmois?

Ilseretintderireparpeurdelavexerets’efforçadegarderunevoixneutre.—Onvayvenir.Vouspensezàunesortedegroupedesoutienpourloups-garous?—Pourquoipas?demanda-t-elled’unevoixoupointaitl’animosité.Ceneseraitpasplusbizarre

que tout ce qui m’est arrivé dernièrement. Vous voulez dire qu’il n’y a pas de loups-garous àPhiladelphie?

Jennerhaussalesépaules,cequisemblairriterMia.—Çaveutdirenon?Ouquevousne savezpas,ou tout simplementquevousnevoulezpasme

répondre?demanda-t-elle.—Çaveutdirequejen’enconnaispaset,mêmes’ilyena,ilsneseraientpasdugenreàformer

unesortedeclubquivousviendraitenaide.Iln’yapasdemeuteconnuedanscetteville,doncsivousytrouviezdesloups-garousceseraientdesmarginaux.

—Desmarginaux?—Oui,voussavez…Illevalesmainscommepouressayerdesaisirlesmotsquiluimanquaient.Direqu’ils’étaitposé

desquestionssursonintelligence!Ilavaitl’impressiondesubiruninterrogatoiremenéparunprocureurintraitable.

—Lesloups-garousviventenmeute,reprit-il.C’estdansleurnature.Noussommesliéslesunsauxautresparlatélépathie.

Ilfutsurprisdeconstaterquecetteinformationnesemblaitpaslachoquer.—Ah,oui,murmura-t-elle,jecomprendsmieuxlesregardslourdsdesensd’hiersoir.—C’est ça,dit Jenner, soulagé.Lesmembresde lameutecommuniquentdecette façon,mêmeà

grandedistance.Celapeutsemblerétrangeaudébutmaisons’yfait.Ettoutça,latransformationetlefaitd’apprendreàvivreaveclesautreseffetsliésàcequenoussommes,peutêtredifficileàsupporterpour

unepersonneisolée.Lameute,cettemeute,c’estlegroupedesoutienquevouscherchez,Mia.Legroupeaideàrefrénerlesplusvilsinstinctsquenousavonsàgérerdetempsentemps.C’estcontrenaturedevivreséparédelameute.Jenedispasqueçan’arrivepasparfois…maisengros,danslesendroitsoùiln’yapasdemeute,onnetombequesurdessauvages.

—CommeJeff,ditMia.EnvoyantlafaçondontMiabaissaitlesyeuxetsetordaitlesdoigtsnerveusement,Jennersentitla

culpabilité l’envahir. Il n’avait pas envie de lui expliquer ce qu’allait être sa nouvelle viemais il serappelaitcequec’étaitqued’êtredel’autrecôté.Çaavaitétécommeçapendantdixanspourlui,desannéesquisemblaientuneéternitéetquileséparaientdel’hommequ’ilavaitété.Deplus,Mian’avaitrien demandé à personne. Même si elle ne lui disait pas tout, en ce moment, elle avait besoin decompassionetnonpasdesuspicion.Ilsavaitreconnaîtrelemal.Mian’enfaisaitpaspartie.

Ilnedevaitpasl’oublier.Jennerrepoussasonassietteetsepenchaverselle,essayantdecaptersonregard.Instantanément,il

serenditcomptedesonerreur.Leparfumsuavedefleurd’orangerquiémanaitd’elleenflammasessens.Son cœur se mit à battre plus vite, son sang commençant à battre à ses tempes. L’animal en lui seréveillait.Affamé.

—Toutvas’arranger,dit-ildoucement,surprisparlaforcedesonbesoindelaréconforter.Ellerelevasurluidesyeuxemplisdetristesse.—Jenevoispascomment,dit-elle.Vraiment.Amoinsquevousneconnaissiezunmoyendesortir

delà.—Ehbien,commença-t-il,espéranteffacerladouleurdesonadorablevisage,ilyabienunrituel,

maisilfautdusangd’antilopeetdestêtesdechèvre.Bonsang!Ellen’allaitpasavalerça!—C’estvrai?Ilsecoualatête.—Heu…non,Mia.Vousrestereztoujoursunloup-garou.Mais,commejevousl’aidithiersoir,ce

n’estpassiterrible.Unefoisquevousserezhabituée,celavamêmeprobablementvousplaire.Ellesecoualatêtecommepourchassercetteidée.—Non,jenecroispas.J’aidéjàassezdeproblèmesàgérer.Etqueçavousplaiseounon,àvous

etàvotrechef,jeferaipartiedecesmarginauxdontvousparliez.Jen’aiaucuneenviedelaissertombermontravail,devenirhabiteraumilieudenullepartetdetoutrecommencer,encoreunefois.

—Encoreunefois?Elleouvritlesyeuxmaisévitasonregard.Elleadessecrets,ilfallaits’yattendre,pensaJenneravecamertume.Tuattirestoujourscegenre

defemmes.Situtefaisavoirencoreunefois,tuvasleregretter.—Monenfance…n’apasétédesplusheureuses.Alorsjesuispartie.Jeveuxmefixer,jeneveux

pascontinueràfuir.ElledisaitcelaavectellementdesincéritéqueJennersesentitcomplètementidiot.Cen’étaitpeut-

êtrepasellequiavaitunproblème,finalement.Çaneseraitpaslapremièrefois.Embarrassé,Jenneressayadefairemarchearrière.—Mia,nerenoncezpasavantmêmed’avoircommencévotretransformation.Cen’estpasfacilede

vivreàl’écartdelameute.Jesuissûrqu’onpeutvoustrouverduboulotici.Qu’est-cequevousfaites?—Jefaisdelacommunicationenligne,pourunesociétédelogiciels.Etjecréedessitesweben

freelance.Jenner réprima une grimace, Ferry’s Hollow ne disposait que d’un seul accès internet et d’un

malheureuxmagasindejeuxvidéo.

—Bon, peut-être pas la société de logiciels.Mais vous pouvez créer des sitesWeb en étant iciaussibienqu’àPhiladelphie.Etcen’estpasparcequec’estcalmequeFerry’sHollowestaumilieudenullepart.

LeregardqueluilançaMiaendisaitlongsurcequ’ellepensait.—Etcen’estpasparcequevousadorezcetendroitqu’iln’estpasaumilieudenullepart.Jene

suispaschezmoiici,etjeneleseraijamais.—C’estbienmieuxquebeaucoupdevilles sans âme, rétorqua Jenner.Et, si vousn’étiezpas si

préoccupée à trouver unmoyen de partir, vous réfléchiriez au fait que tous ces hommes qui vous ontsauvéehiersoirétaiententraindecourir,sousleurformedeloups,justepourleplaisir.Onpeutfaireçaici,cen’estpaslaplacequimanquepoursatisfairecebesoinetvousenaurezbesoin,vousaussi,queçavousplaiseounon.

Sanslevouloir,ilavaithaussélavoixpourprendreladéfensedesonvillageetdesonmodedevie.Ils’enaperçuttroptard.Miaselevaenluidécochantunregardfurieux,repoussasontabouretdupiedetseplantadevantlui,lesmainssurleshanches.

—Etsimoijel’aime,mavillesansâme,dit-elled’untoncinglant.Sivousn’étiezpassipréoccupépar la défense de votre petite communauté de loups, vous vous souviendriez peut-être qu’en l’espaced’unenuitjesuispasséed’unétatrelativementnormalàceluidecréatureparanormalepourchasséeparunpsychopathe.Vousvenezdem’annoncerquejedoischoisirentrem’intégreràunemeutedeloups,jene sais pas encore de quelle manière, et devenir folle. Que je vais subitement éprouver un désirirrépressibledemettreunecroixsurmaviepourvenirm’installerici.Laissez-moivousdirequejesuisunpetitpeubouleversée,etc’estuneuphémisme,jevouspriedelecroire.

Elleluitournaledosetsedirigeaverslaporte.—Laisseztomber,reprit-elle.JevaisparleràBane,etaprèsçajem’envais.Jemedébrouillerai

touteseule.Jennerseleva.Ilsentaitquecetteexplosiondecolèrecachaitdelapeuretilregrettaitdel’avoir

fait naître. Il regrettait d’être à l’origine du désespoir qui perçait dans sa voix, comme si elle étaitaccoutuméeàdevoirsedébrouillerseule.Ilseditqu’iléprouvaitcesentimentparcequ’ilsesouciaitdubiendelameute.

C’étaitplusfacilequed’admettrelavérité,etcelaluiconvenaittoutàfait.—Mia,dit-ilsuruntonplusgrognonqueréconfortant.—C’estinutile,dit-elleenseraidissant.Maiselles’arrêta.—Attendez.Nevoussauvezpascommeça,ditJenner.Sanssavoirpourquoiilnepouvaitpaslalaisserpartirdansl’étatoùelleétait.Nonseulementparce

quec’étaitunmauvaisdébut,maisaussiparcequ’ilnevoulaitpasqu’ellesoitblessée.Ilnevoulaitpasêtreceluiquil’avaitblessée.Elleavaitdéjàeusoncomptelanuitprécédente.Tantpissiellenedisaitpastout.Celaneleregardaitpas,aprèstout.

Mêmesiunpetitfrémissementàlabasedesoncouluidisaitquesi.Miafitvolte-face.Quandellesemitàparler,savoixtremblaitetilvitleslarmesbrillerdansses

yeux. Il n’en fallait pas plus pour qu’il se traite d’imbécile. Il voyait bien qu’elle commençait àcomprendre.Ilfutinstantanémentpartagéentrelaculpabilitéetuneirrésistibleenviedefuir.

—Arrêtez deme dire que tout ça est super, dit-elle. Je… Je vais faire face, àma façon.Maisn’oubliezpasquejen’aipaschoisicettesituation.C’estça,l’histoiredemavie.

Soudain,ellefonditenlarmes.Horrifiéetdémuni,JennerregardaleslarmesroulersurlesjouesdeMia.Elleenfouitsonvisage

danssesmainsetessayadésespérémentd’étoufferunsanglot.

—Oh!bonsang,dit-ellel’airaussihorrifiéquelui.Toutallaitbien.Jenevoulaispasfaireça.Jenefaisjamaisça!

—Hum,fitJenner,embarrassé.Les femmesnepleuraientpasdevant lui.Et,àsaconnaissance, ilne les faisaitpaspleurer.Sans

douteparcequ’illesévitaitlepluspossible.Mialuifitunsignedelamain.—Nefaitespasattention.Bon,jesais,cen’estsansdoutepasfacile.Jevais…jesuisdésolée…si

vousvoulezbienm’excuser.Ellefitdemi-touret,àcemoment,Jennerfitquelquechosequilesurpritlui-mêmeaumoinsautant

qu’elle.Sansréfléchir,ilfranchitendeuxlonguesenjambéesladistancequilesséparait.—Hé,dit-ildoucementenvoyantsesépaulesrecommenceràtrembler.Hé,nefaitespasça.Brusquement, il la prit dans ses bras et la serra contre lui. Il avait probablement l’air duparfait

idiot…maisilneressentaitqueladouleurdeMia.Elleenvahissaitsessens.L’arômedeseslarmes,lavue de ses joues rougies, le son de chacun de ses sanglots et un instinct qu’il avait totalement ignoréjusqu’ici lui enjoignirent impérativement de la caresser et de la réconforter. La première penséecohérentequ’ileutalorsfutqu’endépitdeleurdifférencedetailleMiatenaitparfaitementdanssesbras.Lasecondefutqu’elleallaitlerepousser,horrifiéeparsonoutrecuidance.

Maiselleeutseulementunmomentdetension.Jennerretenaitsarespiration,conscient,sanssavoirexactementpourquoi,quecequ’elleallaitfaireétaittrèsimportant.Alors,lentement,Miaselaissaallercontreluietrecommençaàpleurerdoucement,àpetitssanglotsétouffés.

Jennerétait là,deboutdanssacuisine, serrantdanssesbrasMiaquipleurait et sedemandantcequ’ilétaitentraindefaire.

—Désolée,répétaMiacontresapoitrine.Elleavaitl’airmortifiée.—C’estjusteque…toutçaesttellement…— Non, répliqua-t-il, surpris du calme de sa voix alors que le fait de tenir Mia contre lui

déclenchait une série de réactions en chaîne dans ses terminaisons nerveuses qui n’allait pas tarder àcauserquelquesproblèmes.

—Vous n’avez pas à vous excuser, reprit-il.Cela fait beaucoup de choses à absorber d’un seulcoup,surtoutquandonn’ariendemandé.C’estpourcelaquenousneplaisantonspasaveclessauvages.Heureusement,onn’envoitpassouventdanslesparages.

Miaeutunpetithoquet.—Pourquoia-t-ilfalluqueçatombesurmoi?C’étaitunebonnequestion.Ilfaudraitqu’illacreuse.Maispourl’instantlecorpsdeMiacontrele

siendéclenchaiten luiun irrépressiblebesoinde laprotéger.Elles’écartaunpeude luiet le regardaavecunesincéritéqu’il trouvadésarmante.Ilsavaitqu’elleallaitdirequelquechosemais ilneprêtaitattentionqu’àsesgrandsyeuxinnocentsquibrillaientdanssonvisageadorableauxtraitsciselés,etàseslèvresattirantesquis’entrouvraient.

Jennerneputs’enempêcher.AvantqueMianeprononceunmot, ilsepenchasurelleetpritsabouchepourun longbaiser. Il

sentitunelégèrecommotionlorsqueleurs lèvresse touchèrentetfutprisd’unvertigecommes’ilavaitreçuunedéchargeélectrique.IlentenditMiaretenirsonsouffleet ilsutqu’elleavait ressenti lamêmechose.Maisellenes’écartapasdelui.Et,commeilprolongeaitsonbaiser,lechocsetransformaenunechaleursourdequisemitàbattreaumêmerythmequesoncœur.JennerappuyasabouchesurleslèvresdeMiapourenconnaîtrelegoût.

Il futétonnéqueMiase laisse fondrecontre lui, les lèvresentrouvertessous lessiennes,et ilnerésistapas à cette étrange attraction.Miapoussaunpetit soupir. Jenner comprit qu’elle s’abandonnait

elleaussietcesimplesoupirserépanditdanssonsangcommeunedroguerareetpuissante.IlpoussaungrognementsourdenserrantMiaplusfortcontreluietglissalalangueentreseslèvres.

Seigneur,elleétaitdouce…sidouce.IlappuyasonbaiseretMias’arc-boutacontreluienémettantunesorte de ronronnement. Elle croisa les doigts derrière son cou et il devintmoins doux, plus exigeantcommelabêteen luise rendaitcomptequ’elleétaitplusqueconsentante. Ilplongeaunemaindans lasoienoiredesescheveuxtandisquedel’autreilparcouraitlescourbesdesoncorps,quiétaientencoreplusagréablesautoucherqu’auregard.

Leurscorpss’accordaientparfaitement.Ilplaçalesmainssoussesfesseset,latirantbrusquementcontrelui,illuifitsentiràquelpointilladésirait.Sonsangbattaitdanssesveinesetileutl’impressiond’entendre des fragments de quelque douce et sauvage mélodie au moment où leurs lèvres serencontraientdenouveau.JennergrondaquandMialuirenditsonbaiser,stupéfaitdelavitesseàlaquelleilétaitpassédelasimpleenvieaubesoinimpérieux.Ilvoulaitluiarrachersesvêtementsaveclesdents.Ilvoulaitlarenversersurleplandetravailet…

Malgrél’excitationquibrouillaitsespensées,Jennercompritsoudainqu’ilétaitentraindeperdrelespédalesetenunesecondeilréussitàs’écarterdeMia.Ils’enétaitfalludepeuqu’ilnefassequelquechosequ’ilsauraientregrettél’unetl’autre.Lesmainstremblantes,ilreculaetfaillitperdrel’équilibre,cequineluiarrivaitpassouvent,auproprecommeaufiguré.

Iln’avaitjamaisconnuça.Pasuneseulefois.Cen’étaitpasbonsigne.Miasebalançaitd’unpiedsurl’autreetleregardaits’éloigner,avecdanslesyeuxunéclatdedésir

quiexcitaitleloupenlui.Heureusement,saparthumaineavaitreprislecontrôle.Plusoumoins.—J’ai…deschosesàfaire,ditJennerd’unevoixhésitante.Vousdevriez…vousreposer.Jeserai

danslegarage.Ilsortitavantqu’ellenepuissereprendresesespritsetluidirequelimbécileilétait.Commes’ilne

lesavaitpas.EnprésencedeMia, Jenner s’était retenude courir,maisdèsqu’il put il seprécipita horsde la

maisoncommes’ilavaittousleschiensdel’enferàsestrousses.Ilavaitsentisesyeuxdanssondostoutletempsoùilsedirigeaitverslaporteetespéréqu’ilseraitloinavantqu’ellenetrouvequoiluidire.

Ilgrinçadesdents, furieuxcontre lui-même.A trente-quatreans, iln’avait jamaisperdusonself-controlavecunefemme.MêmeavecTess,s’ilétaithonnêteaveclui-même.Quandill’avaitrencontrée,iln’avaitpasd’attaches,ilétaitàlarecherchedequelquechosequ’ilnetrouvaitpasetilavaitdésirécequ’elle pouvait lui apporter.Mais avecMia…bon sang, il sentait qu’il pouvait se perdre en elle.Cebaiseravaitétécommeunplongeondansleclairdelune.

Cen’estqu’unefoisdanslarelativesécuritédesongaragequ’ilsesentitdenouveaului-même.IlseglissasouslecapotdesavieilleChevroletcommes’ilpénétraitdansunegrottesombreetsilencieuseàl’odeurrassuranted’huiledemoteur.Ça,c’estduréel,duconcret,sedit-ilensemettantautravail.Aveclesvoitures,ilsavaitoùilallait.

C’étaittoutlecontraireavecMiaD’Alessandro.Iln’étaitpasstupide,mêmes’ilavaitcomprisdepuislongtempsquesoncôtétaciturneavaitconduit

pas mal de gens à sous-estimer son intelligence. Il en avait tiré parti plus d’une fois. Mais Mia ledéconcertaittotalementetavecelleilavaitl’impressiond’êtrecomplètementidiot.Ilnesavaitpastropcommentsecomporter.Avecunpeudechance,çapasseraittoutseul.

Leplustôtseraitlemieux.Pour l’instant, il s’était réfugié dans sa cachette favorite. Ici, il n’y avait que lui et les quelques

tonnesd’acierdesabelleaméricaine…etlesouvenirdubaiserdeMiaquiflottaitencoresurseslèvres

alorsqu’ilauraitdûsedissiperdepuislongtempsetquiconduisaitJenneràseposerdesquestionsqu’ilnes’étaitjamaisposées.Desquestionsauxquellesiln’avaitnullementl’intentionderépondre.

5

Quandelleentenditunpetitcoupsecàlaporte,MiaenétaitvenueàsedirequeJennernes’étaitpascontentédesortirde lamaisonmaisqu’ilavaitcarrémentpris ladécisiond’émigrer.Deuxheuress’étaientécouléesdepuisqu’ilsavaientéchangécebaiserquil’avaittransportéeauseptièmeciel,etlefait que le simple contact de ses lèvres ait provoqué la fuite horrifiée d’un loup-garou de taillerespectablel’obsédait.Ils’étaitenfuidesapropremaison,depuisdesheures.

Sicen’étaitpasunsignequ’elledevaità toutprixquittercetendroit leplusvitepossible,alorsquoi?

Mia se dirigea vers la porte d’entrée en continuant à se demander si elle était en colère contreJenner,contreelle-même,oulesdeuxàlafois.Ellepenchaitpourcettedernièreoptionaumomentoùelleaperçutdeuxsilhouettesmasculinesparlafenêtreàcôtédelalourdeportedebois.

Instantanément, elle sortit de sa rêverie. C’était certainement Bane, le chef de la meute desBlackpaw.

Certes,cen’étaitpaslemomentleplusappropriépourlerencontrer.Maisautants’endébarrassertoutdesuite.

Miapritunelongueinspiration,redressalesépaulesetouvritlaporte.Elleeutlesoufflecoupéenregardantlesdeuxhommesquiluifaisaientface.Nil’unnil’autrenesetrouvaientdanslesboislaveilleausoir,elleenétaitsûre.Mêmeenétatdechoc,ellen’auraitjamaisoubliéleursvisages.

Celuiquise tenaitsur lagaucheétait totalementcraquant.Detaillemoyenne, ilavait lescheveuxblonds,endésordre,lesépauleslarges,degrandsyeuxbleusetdesfossetteslorsqu’ilsouriait,cequ’ilfitenlavoyant.Elleluiretournaautomatiquementsonsourire.Maiscesourires’évanouitlorsqu’ellesetournaverssoncompagnon.Ilavaitlephysiqueidéalpourjouerlerôleduméchantdansunfilm.

Il était grand et son corps, bien que mince et noueux, dégageait une force incroyable. Sa peaubasanéesemblaitsaupoudréed’ordansl’ombredel’entrée.Lestraitsanguleuxdesonvisagemettaientenvaleurdesyeuxenamandescouleurd’ambreflamboyante,ourlésdecilsépaisetquilaregardaientsansciller.Unéclairdoréattiral’œildeMiaetelleremarquaqu’ilportaitunpetitanneauenoràl’oreille.

Miaseditqu’ilressemblaitàungitan.Beauetdangereux.Pasvraimentamical.L’opposédujeunehommebonchic-bongenrequil’accompagnait.

—C’estàquelsujet?demanda-t-elleensesentantunpeubête.Maisqu’était-ellecenséedire?Elle maudit Jenner intérieurement. Certes, elle ne le connaissait pas très bien, mais elle ne se

gêneraitpaspourluidiresafaçondepenserquandilsedécideraitàsortirdesontrou.Mêmes’iln’avaitpasapprécié leurbaiser, cen’étaitpasune raisonpour s’évaporerpendantdesheures.Surtoutquecen’étaitpasellequiavaitinitiécebaiser,aprèstout.

L’hommebruneutunpetitsourirequisoulevaàpeinelecoindeseslèvres.Elleeutl’impressiondéplaisantequ’il la jaugeait.Ellen’avaitpas lamoindre idéedecequ’ilvoyaitenelle,et sansdouten’avait-ellepasenviedelesavoir.Ilétaitévidentquecesdeux-làétaientdesloups-garousetelleétaitabsolument certainequ’elle ne l’était pas.Mais apparemment cela ne changeait rien.C’est alors qu’ilparla.

—Mia.JesuisJaysonBane.Ilavaitunevoixrauqueetsexy.Miapoussaunsoupirintérieurenserrantlamainqu’illuitendait.

Elleauraitpréféréquelechefsoitleblondausourireamical.—Enchantée,dit-elle.Jennerm’aprévenuequevouspasseriezpourmeparler.LamaindeBaneétaitchaudeetrugueuseetellen’éprouvariendecomparableàl’étincellequ’elle

ressentaitchaquefoisqu’elleeffleuraitJenner.IlsemblaitévidentquelecourantquipassaitentreelleetJennerétaitparticulier.

Elleavaitbienbesoindeça!Cette fois,Banesourit franchementendécouvrantune rangéededentsétincelantes.Biensûr,Mia

n’étaitpasattiréeparluicommeellel’étaitparJennermaisellenepouvaitpasnierqu’ilétaitvraimentsuperbe…etquesonsourirerehaussaitsabeauté.

—DoncJennervousaparlé,dit-il.Bien.Jen’étaispassûrqu’il le fasse.Jenesaispassivousavezremarqué,maisonnepeutpasdirequ’ilsoittrès…bavard.

Elle rit franchement et Bane l’imita, ce qui détendit l’atmosphère. Il ne serait peut-être pas siintimidantaprèstout.Unefoisqu’elleréussiraitàleregarder.

—Eneffet,j’airemarqué,dit-elle.Maisilm’apréparélepetitdéjeuner.Banehaussalessourcils.—Ilaparléetilafaitlacuisine?Etes-vousbiensûrequenousparlonsdumêmeNickJenner?Miaréussitàsouriremaisregrettaaussitôtsesparoles.ElleneconnaissaitpassuffisammentJenner

pour porter un jugement… il lui semblait seulement qu’il bouillonnait sous la surface. Elle sentit lachaleurluimonterauxjouesenserappelantl’aperçuqu’elleenavaiteu.Ellesavaitqu’elleferaitmieuxd’oubliercetépisode.C’étaitentoutcascequesemblaitvouloirJenner.

Heureusement,Banen’enditpasplussurcequ’ilpensaitducomportementdeJenneravecelle.—Vouspermettezquenousentrions?demandaBane.Jennersaitquenoussommesici,ilnedevrait

pastarder.Miasupposaquec’étaitàcausedecetrucdetélépathieentrelesmembresdelameute.Aumoins

Jenner n’était pas parti trop loin.Mal à l’aise parce qu’elle n’était pas chez elle, ne sachant quelleattitudeadopter,ellereculaetleurfitsigned’entrer.

—Jevousenprie.ElleremarquaqueBaneneprenaitpaslapeinedeluiprésentersoncompagnon,cequ’elletrouva

étrangeetgrossier.Maisl’autrehommenesemblaitpass’ensoucier.IllaissapasserBanepuiss’arrêtaàlahauteurdeMiaetluipritlamain,lesyeuxpétillantsdemalice.

Ilétaitimpossibledenepastombersouslecharme.—Bienqueçan’intéressepersonne,jemeprésente,monnomestKenyon.KenyonChase.—MiaD’Alessandro.Pourquoidites-vousqueçan’intéressepersonne?Ilsepenchaversellecommepourluiconfierunsecret.Ellesentitsonparfum,uneodeurchaudeet

épicée,étrangementréconfortante.— Parce que mon père a eu le mauvais goût de ne pas être un Blackpaw, et mamère, le plus

mauvaisgoûtencoredel’épouser.Sonsourires’élargitenvoyantlasurprisedeMia.—Nevous inquiétezpas, reprit-il.Elle l’aime toujoursendépitdesesgènes inférieurs.Mais je

croisquesafamillenel’ajamaisaccepté.MamèreestuneBlackpawdesouche.

—Cequifaitdevous…commençaMia.— Pas un Blackpaw, répliqua Kenyon. Ne vous inquiétez pas, Bane va vous expliquer tout ça.

Sachezseulementquejesuislàpouraider.En luidisantcela, il luiserra lamainamicalementet lui fitunclind’œilavantdesuivreBaneà

l’intérieur.Mialeregardaentrerensedisantqu’enplusd’avoirétéfurieusementembrasséeparunloup-garou

aujourd’huimêmeellevenaitdesefairedraguerparunautre.Savie,qu’elleavaitsouventtrouvéeterriblementennuyeuseendépitdespouvoirsétrangesqu’elle

possédait,avaittoutàcoupprisunetournurepourlemoinsinsolite.Miarestaappuyéecontrelechambranledelaporteuninstantpouressayerdereprendresesesprits

avantderentreret…quoi?Recevoircesdeuxloups-garous?Elleavaitautrechoseàfaire.Baneavaitdesquestionsàluiposer,elleluirépondraitetensuiteelletrouveraitlemoyendelouerunevoitureou…autrechose.Biensûr,celaressemblaitfortàunefuiteetelles’étaitjuréqu’elleenavaitfiniavecça.Deplus,laperspectivederentrerchezelleavecJefftoujoursenlibertén’étaitguère…

Ellesoupiraetessayadesechangerlesidéesenregardantvraimentpourlapremièrefoisl’endroitoù Jenner avait choisi de s’installer. La vue qu’elle en avait depuis le porche était tout simplementravissante.Ungrandterrainbienentretenus’étendaitdevantleporcheoccupéparunepairederocking-chairs confortables. Une longue allée de graviers qui contournait la maison menait vers la route entraversantunépaisrideaud’arbres.Laforêtétaitpartoutautour.Lasolitudeluiauraitpesésielleavaitvécuseuleici,maiselleavaitcomprisqueJenneraimaitêtreentêteàtêteaveclui-même.Encequilaconcernait, elle aurait eu besoin de compagnie.Mais, si elle avait eu quelqu’un avec qui partager cetendroitdontlabeautéluiserraitlecœur,ilauraitétéabsolumentparfait.Sielleavaiteuquelqu’un…

Soudain,commesileseulfaitdepenseràluil’avaitfaitapparaître,ilfutlà.LecœurdeMiasemitàbattreplusvitequandellevitJennertourneraucoindelamaison.C’eststupide,sedit-elleenvoyantapparaîtresagrandesilhouettetoutenmuscles,enentendantlesgravierscrissersoussespas.Cen’étaitjamaisqu’unbaiser.Unbaiserenpassant,inapproprié,hallucinant.Ilfallaitqu’ellecessed’ypenser,aumoinspourlemoment.Ilyavaitdesproblèmesplusimportantsàrésoudre.

C’étaitdumoinscequesaraisonluidictait.AlavuedeJenner,soncorpsquantàluiprotestaitqu’iln’yavaitriendeplusimportantquedeposerlesmainssurluisansattendre.

Commeils’avançait,Miacommit l’erreurde leregarderdans lesyeuxetelle levit trébucheruncentième de seconde.Un sentiment de triomphe bien féminin l’envahit. Il avait beau l’avoir fuie, ellen’allaitpasse laisser ignorer.Mais,à l’éclairdechaleurqu’ellevitdanssesyeuxdorés,ellecompritqu’iln’avaitpas l’intentionde l’ignorer,mêmesiellesentaitbienquecelane luiplaisaitpas.Ellenecomprenait pas pourquoi. Si quelqu’un avait le droit d’être contrarié de ce qui s’était passé dans lacuisine,c’étaitquandmêmeelle.

Malheureusement,ellen’arrivaitpasàleregretter.Lesmâchoiresserrées,Jennermontalesmarchesquimenaientauporche.Ilavaitl’airsimaussade

quec’étaitpresquecomique.Ilétaitdifficiledecroirequec’étaitlemêmehommequi,unpeuplustôt,l’avaittenuedanssesbraspourlaconsoler.

Ellen’enrevenaitpasdes’êtrelaisséeallercommeçaaveclui.Ellequinepleuraitjamais.Aquoibonpleurer?Iln’yavaitjamaiseupersonnepouressuyerseslarmes.Maissesgestes,contrastantavecsonalluresauvage,avaientétésidouxqu’ilauraitétédifficiled’yrésister…

Illuifitunpetitsignedetête.—Baneestlà?Sabrusquerielapiquaauvif.Voilàcequeçaterapportedet’êtrelaisséguiderpartessensplutôtquepartatête,unefoisde

plus,sedit-elle.

—Hum,fitMiasansdesserrerlesdents.IlnousattendavecKenyon.Jenners’immobilisa,lessourcilsfroncés.—Avecqui?Miahaussalessourcils.—Kenyon, un loup-garou blond aux yeux bleus. Kenyon… comment, déjà ?… Chase, c’est ça,

KenyonChase.Vousneleconnaissezpas?Mêmesielleconnaissaitsavraienature,MiafutsurprisedevoirJenners’immobiliser,rejeterla

têteenarrièrepour flairer l’atmosphèreet finalement retroussersa lèvresupérieureendécouvrantdesdents qui lui parurent soudain exceptionnellement pointues. Cela provoqua chez elle une réactionprimitivequ’ellejugeaaussiinquiétantequ’étrangementexcitante.

—UnSilverback,grondaJenner.Onauraitditqu’ilvoulaitmordrequelqu’un.Miareculad’unpastandisqu’unecertaineanxiétélui

serraitl’estomac.Ellenesavaitpasquelétaitleproblème,maisellen’avaitpaslamoindreenviedevoirdeux loups-garousmâles se battre pour une question de territoire. Jenner, quant à lui, ne sembla pasremarquersa réaction.Enpassantdevantelle, il lapritpar lamainet l’entraînaàsasuite.Cecontactsoudainetinattendudéclenchauneondedechocdanssonsystèmenerveux.Ellefittoutsonpossiblepourtrouverceladésagréable,sanssuccès.

—Venez,grommela-t-il.Baneaintérêtàavoirunebonneraisond’êtrevenuavecunSilverback.Incapabledefaireautrement,Miaselaissaentraîner…maisunepartd’elle-mêmenedétestaitpas

lecontactdelamainrugueusequiemprisonnaitlasienne.BaneetKenyons’étaientinstalléssurlecanapéetregardèrentMiaetJennerentrer.Banelançaun

coupd’œilfurtifàleursmainsenlacéesetdétournaleregard.Ilavaitl’airpréoccupépouruneraisonquiéchappait àMia. Soudain inquiète, elle retira vivement samain et se dirigea vers un des fauteuils auvelours passé qui se trouvaient en face du canapé. Jenner se dirigea vers l’autre, non sans faire uncommentairesurlesodaqueBaneétaitentraind’ouvrir.

—Faiscommecheztoi,dit-il.—Commetoujours,ditBaneenricanant.Arrêtederemplir tonfrigo,nousarrêteronsdevenir le

vider.Jennergrogna.—Etmoiquipensaisquevousveniezpourmoncôtéboute-en-train.Oupourmanouvelletélé.Il s’installadans lesecondfauteuiletMiasedemandacomment ilpouvaitavoir l’air sià l’aise.

Pourtant,endépitdel’apparentedécontractiondesdeuxhommes,l’atmosphèredanslapièceétaittendue.Miapensaavecnostalgieàsonappartementsicalmeetsemitàjoueravecsescheveux.

—J’aimeraisbienquetumedisescequecelasignifie,ditJennerendésignantKenyondelatête.Cen’étaitpasuneentréeenmatièretrèsamicale,maisKenyonrestaimpassible.CommeJenner,il

attendaitqueBaneréponde.SiMiaavaiteulemoindredoutesurlepouvoirqueJennerexerçaitparmilesBlackpaw, ilétaitdissipémaintenant.Baneavaituneautoriténaturelle,etMiavoyaitbienqu’il savaitl’exercer.

Ilbutunegorgéedesoda,puisposalacanettesurlatablebassedevantlui.Miafutsurprisequandils’adressaàelle.

—Çamesembleévident.J’aibesoinquevousmedisieztoutcequevoussavezsurceJeffGaines,Mia.Commentvousl’avezrencontré,quiilest—oudumoinsquiilprétendêtre—,pourquoiilavouluvousfairedumal…

Ellesefigea,maisiln’yavaitaucunetracedemalveillancedansl’expressiondeBane.C’étaitlemomentqu’elleattendait.Depuislaveille,elletournaitdanssatêtecequ’elleallaitdire.Ceseraitpeut-êtreunsoulagementquandceseraitfait.

—Je…

—LeSilverbackn’arienàfaireici,l’interrompitJenner.Cequ’elleaàdireneleregardepas.Tuauraispuprévenirquetuneseraispasseul.

Bane se tourna vers Jenner en plissant les yeux, ce qui ne sembla nullement impressionner sonsecond.

—Détrompe-toi. Les Silverback ont le droit d’être tenus au courant, ditBane.Apparemment, lesauvageauraitétél’undesleurs.

Jenners’apprêtaitàrépliquermaisBanel’interrompitdelamain.—Plustard,Jenner.LaisseparlerMia.Ensuite,Chasenousexpliqueradequoiilretourne.Jenners’immobilisaetMiaremarquaquesonvisageétaitdevenuimpassible.Ilyavaitunehiérarchieàrespecter,etBanevenaitdelefairesavoiràMia.AJenneraussi,d’ailleurs,queçaluiplaiseounon.Quelquesoitsonrangdanslameute,iln’était

paslechef.Cequinel’empêchapasdeprendresontempspourobéir.Mial’observaittandisqu’ilétiraitses jambesdevant luiense renfonçantdanssonfauteuil, l’airpensif.Finalement, il leva lesyeuxversMia.

—Allez-y.Ilavaitl’airrenfrogné,maisquelquechosedansletondesavoixluidonnaducourage.Ellepritune

profondeinspirationetselança.—J’airencontréJeffilyaunmoisenviron.BaneinclinalatêtecommeMiaavaitvufaireJennerlorsqu’ilétaitintéressé.—Autravail?demanda-t-il.Miasecoualatête.—Non, dans une librairie.C’était juste comme ça. Je feuilletais le dernierStephenKing et il a

entamélaconversation.Commemoi,ilétaitfandecetauteuretnousavonscommencéàparler…—Tum’étonnes,marmonnaJenner.Mia ignora sa remarque, bien qu’elle soit peut-être justifiée, après tout. Elle devait paraître très

naïve.Leschancesquecetterencontreaiteulieuparhasardétaientminces.Elles’enrendaitcompteàprésent.CombiendetempsJeffl’avait-ilsuivieavantdel’aborder?Commentlaconnaissait-il?

—Rien de bien extraordinaire, poursuivitMia. Nous avons échangé nos numéros de téléphone.Noussommessortisquelquesfoisensemble.Ildisaitquesafamilleavaitdel’argentmaisqu’ilessayaitdes’ensortirtoutseul.Ilasapropresociétédeconseilfinancier.C’estdumoinscequ’ilm’adit.Jel’aicru.Ildépensaitsanscompter,maiscelasemblaitquandmêmeluiposerquelquesproblèmes.

—Quelgenredeproblèmes?murmuraBane.Miahochalatête,brusquementmalàl’aise.Lerougeluimontaauxjouesmalgréseseffortspourle

contenir.—Ildépendaitdesafamille,financièrementparlant,maisiln’arrêtaitpasdeparlerdesavolonté

de faire ses preuves. Il disait qu’on ne le croyait pas capable de reprendre l’entreprise familiale, lemomentvenu.Ilavaiteudesdésaccordsavecsonpèreavantlamortdecelui-ci,etilvoulaitmontersapropreaffaire.Ilvoulait…

Ellelaissasaphraseensuspensetpoussaunsoupirenseremémorantcesconversations.Jeffétaitvraimentdéterminé.Ilétaitencolère.Elleavaitattribuéçaàuneenfancegâtéemaissansamour,maisellesavaitmaintenantqu’unepartieduproblèmerésidaitdanslecaractèredeJefflui-même.

—Ilvoulaitbeaucoupdechoses.Ilpouvaitêtrecharmant,maisilestd’humeurchangeante.Jennerlaregardaitdefaçonbizarre.—Etc’estçaquivousplaît?Unhommecharmantetd’humeurchangeante?BanelefusilladuregardmaisMiasecontentadehausserlesépaules.—Onatousnosfaiblesses.Jel’aimaisbien.Evidemment,jeneleconnaissaispasvraiment.C’était

lapremièrefoisqu’ondevaitpasserunweek-endensemble.Peut-êtrequej’auraisdécouvertautrechose

sitouts’étaitpassécommeprévu,maisilm’aépargnécettepeine.Elleregardadanslevague,seremémorantlascène.—Jenem’attendaispasàça.Jetrouvaiscetteescapadeplutôtromantique.Çameserviradeleçon.—Non,ditKenyon,laramenantdansleprésent.Vousn’yêtespourrien,Mia.C’estlui.Ilétaitdéjà

commeçaquandilétaitavecnouset,vouspouvezmecroire,vousn’êtespaslaseuleàvousêtretrompéesursoncompte.

—Commentpouvez-vousêtresûrquecetypeestunSilverback?demandaJennerMiasedétendit.Ilsavaientcequ’ilsvoulaient,oupresque.Ilsnechercheraientpasàconnaîtrela

raisonpourlaquelleJeffl’avaitchoisie,elle.L’important,c’étaitqu’ilsoitarrêté.Jusque-là,elleneseraitpasensécurité.Niellenipersonne.Mais ce soulagement fut de courte durée et un sentiment de culpabilité vint le remplacer. Il était

évident que ces Blackpaw cherchaient juste à arrêter un sauvage et à la protéger. Il n’y avait aucuneraisondeleurprêterdemauvaisesintentions.

Malgré toutes lesmises en garde de sa grand-mère, qui lui disait de ne jamais faire confiance àpersonne et que personne ne s’intéresserait jamais à elle pour autre chose que samagie, elle avait lesentimentquepersonneicineluivoulaitdemal.

KenyonesquissaunsourireenregardantJenner.—Onaeuunappeldevotreshérifhiersoir,aprèsl’agression.Commenotreterritoireestleplus

procheduvôtre,c’étaitnormalqu’ilvérifie.Etenl’occurrencejesuispratiquementsûrquenoussavonsquiestvotrehomme,dumoinssijemefieàladescriptionqu’ilnousenadonnée.

—Onpeutdirequec’estunedescriptiondedeuxièmemainpuisqueMian’apasparléàBuddy,aushérif Stokes, hier soir. Je le sais, elle était avecmoi, répliqua Jenner d’une voix qui ne laissait rienparaîtredecequ’ilpensait.

Miasefaisaitsansdoutedesidées,maisquelquechosedanscequ’ilvenaitdedireprovoquachezelleuneformed’excitation,commes’ilexprimaitunecertainepossessivité.

D’aprèsleregardqueluilançaKenyon,elleeutl’impressionqu’ill’avaitperçueluiaussi.— Je sais. En tout cas, si c’est vraiment le type auquel je pense, ça ne va pas être facile de

l’attraper.—Si?Vousn’enêtespassûr?—Jen’enseraicertainquelorsquejeluiauraiplantémesdentsdanslagorge,jusque-làj’ensuis,

disons,presquesûr.Acemoment-là,Banes’immisçadanslaconversation,augrandsoulagementdeMia.Ellen’aimait

paslesregardsqu’échangeaientJenneretKenyon.Ilplanaittoutàcoupdanslapièceuneatmosphèrededéfiet la testostéroneétaitpalpable.Ellenesavaitpasdequoi il s’agissait,maiselledevinaitqueçaavaitunrapportavecunproblèmederivalitéterritoriale.

Illuisemblaquesaprésencen’yétaitpasétrangère.— Jenner, Tomas a récemment désigné Kenyon comme son futur successeur, dit Bane, un

avertissementdanslavoix.Ilestnormalqu’ils’entraîneàgérercegenredesituation.—Sansdoute,grommela Jenner.Si c’estbien leurmec.N’empêchequ’il est surnotre territoire.

Nousn’avonspasbesoind’unSilverbackpourattrapercesalopard.IljetaàBaneunregardmeurtrier.—Çaauraitétésympademeprévenir.Jeterappellequejesuislelunari.C’esttoiquiasinsisté

pourquej’assumecettefonction.Tudevraisconnaîtrelaprocédure.—Jen’aiétéprévenuquetrèstard,doncjen’aipaseuletempsdetemettreaucourant,répliqua

Baneenhaussantlesépaules.Detoutefaçon,jepensaisquetuavaisdéjàassezàfaire,cen’étaitpaslapeined’enrajouter.Jenepouvaispassavoirquetuétaisparti teréfugiersouslecapotdecettefichuevoiture,unefoisdeplus.

QuelquechosedanslafaçondontBaneavaitditcelaamusaMiaetunpetitrireluiéchappa.Baneluilançaunregardencoinsansaménitémaiscelanesuffitpasàdouchersonamusement.Enunsens,elleétait contentede savoirqu’ilne fallaitpasgrand-chosepour faire fuir Jennerdans son terrierpréféré.Ellen’étaitpasencause.

Pourtoutdire,àcemomentprécis,ellen’étaitpasmécontented’avoiruneraisonderire.—Si c’estbienunSilverback,vousnepourrezpasvouspasserdenouspour l’attraper, déclara

Kenyon en revenant au sujet qui les occupait. Surtout si c’est celui quenous suspectons.Cen’est passeulementnotreintérêtquiestenjeu…c’estnotredroit.

Kenyonmarquaunepause.Un tressaillementparcourutsesmâchoiresserréeset il regardaJennerd’unairdedéfi.

—Amoinsquevousn’ayezl’intentiond’enfreindrelesloisdelameute,ajouta-t-il.A cette remarque, les yeux de Jenner flamboyèrent et Bane regarda les deux hommes avec une

expressionquidisaitclairementqu’iln’allaitpastolérerpluslongtempscetassautdevirilité.Miacessade trouver que la situation était drôle.Elle ne comprenait pas de quoi il était questionmais elle étaitconvaincuequ’ilsétaientàdeuxdoigtsd’envenirauxmains.Pourévitercela,elleseditqu’elledevaitintervenir. Kenyon avait déclaré qu’il connaissait Jeff. Elle n’en saurait pas plus si Jenner et luicontinuaientàseprovoquercommeça.

—Jesupposequevousavezapportéunephoto,demanda-t-elleàKenyon,et,commeelle l’avaitespéré,lesdeuxhommessetournèrentverselle.

Cetteattentionsoudaine l’embarrassa.Ellese trouvaitdansuneposition inhabituelle.Ellen’avaitjamaisimaginépouvoirêtreunedecesfemmesquiattirentlaconvoitisedespersonnesdel’autresexe.

Apparemment,ilsuffisaitpourcelad’avoirétémordueparunloup-garou.C’étaitunefaçonterribledefairetournerlachance.—Ah,oui,j’enaiune,ditKenyond’unevoixétranglée.Kenyon sortit un cliché de la poche intérieure de sonmanteau et le tendit àMia. Il lui frôla les

doigtslorsqu’ellelesaisitetlafixadesesyeuxd’unbleuprofondententantdesoutenirsonregard,maiselledétournalesyeux.

Lecontactde lapeaudeKenyoncontre la sienneétait agréablemaisn’avait rienàvoir aveccequ’elle avait ressenti quand Jenner l’avait touchée. Elle aurait pu essayer de laisser libre cours à samagiesiellel’avaitvoulu,delaisserchantersonsangpourvoircommentilréagissait,maisellen’avaitpas envie de provoquer une situation embarrassante. Elle n’entendit que le vague écho d’une doucemélopée desHighlands avant de retirer samain. Elle jeta un coup d’œil à Jenner, croisa son regardl’espaced’unesecondeavantqu’ilnedétournesonattention.Instantanément,ellesesentitrougir.

Avec Jenner, le problème allait bien au-delà du simple contact.Et elle lui portait beaucoup tropd’intérêt. Si elle se laissait aller à la fascination qu’il exerçait sur elle, cela risquait de l’entraînerbeaucouptroploin,elleenétaitconsciente.Unefascinationquis’avéreraitdouloureuseenfindecompte.Ellen’étaitpasassezexpérimentéepoursepermettredejoueravecunhommecommelui.

Enréprimantunsoupir,Miaregardalaphotoet l’examinadeprès.Elleretintuneexclamationdesurprise. C’était un instantané pris apparemment pendant un barbecue, sur lequel on voyait troispersonnesquiriaient.Aupremierplan,unhommebruntenaitunespatule.Prèsdelui,unejoliefemmeauxcheveuxblondssouriaitet,l’entourantdesesbras,ilyavaitJeffquisemblaittrèsheureuxd’êtrelà.

Mian’avaitpasanticipésaréaction.Enrevoyantcevisage,soncœursemitàbattreàunrythmedésordonnéetsapeausecouvritd’unemoiteurglacée.Lesdoigtstremblants,ellerenditbrusquementlaphotoàKenyon.LavoixdeJeffrésonnaitdanssatête.

Reviens,espècedegarce…tunem’échapperaspaséternellement!—Tenez.Jel’aiassezvue.

Elle se rendait compteque savoix était hachéeet tendue.Kenyoneut l’élégancede reprendre laphotosansplusdefrôlementsintempestifscettefois.Ilavaitl’airplusinquietqu’autrechose.

—Vousallezbien,Mia?demanda-t-ild’unevoixquirésonnabizarrementdanssatête.Lesolsemblasedérobersouselleetsesjambesflageolèrent.Elleavaitl’impressiond’étouffer.Tout à coup, Jenner se trouva en face d’elle, lui cachant le reste de la pièce. C’était un

soulagement…Miaavaitl’impressiondetomberdansuntrounoir.Savisionsetroublait.Ellenepouvaitpluspenseràautrechosequ’àsesdeuxyeuxjauneslafixantsauvagementdansl’obscuritéetauxdentsquiseplantaientdanssachair.

—Maisnon,ellenevapasbien!ditJennerd’unevoixquisemblaitluiparvenirdetrèsloin.—Mia?Ellevatomberdanslespommes…Ellesentitsesmainssurelle,puislesolsedérobasoussespiedsetellesemitàflotterdansles

ténèbres.

6

Mia avait l’impression de planer au-dessus de son corps, qui se déplaçait très rapidement dansl’obscurité,dansunedirectioninconnue.

Des voix masculines l’appelaient et résonnaient de plus en plus fort à mesure qu’elle s’enapprochait.Trèsvite, cesvoix l’entourèrent,desvoixd’hommesquidiscutaientdumeilleurmoyendefaire…quelquechose.

Doisretournerchercherlafille…Pleinelunejeudi,unproblèmesicen’estpasréglérapidement…Tantpissijedoistuerunevingtainedeloupspourlarécupérer,je…Puiselleentendituneautrevoix,qu’elleneconnaissaitquetrop.Mia.Jetesens.Jerevienstechercher,machérie.Riennem’enempêchera.Jesaisoùtues.Les

Ombresattendent.Tueslaclé…laclé…laclé…Une paire d’yeux rouges brilla dans l’obscurité, ce n’étaient pas les yeux de Jeff,mais quelque

chose de beaucoup plus ancien et d’infiniment plus dangereux.Quand ils se fixèrent sur elle, elle eutl’impressiond’êtreplongéedansdel’eauglacée.

—Non,s’écria-t-elle,commesoncorpssepenchaitenavantetlaramenaitviolemmentàlaréalité.Celaluirappelaitcertainesnuitsoùelles’étaitréveilléederêvesdanslesquelselletombait,sauf

quecelui-ciétaitpluseffrayantetquecettefoiselleatteignaitlefond.Elleavaitlesyeuxouvertsmaisilluifallutplusieurssecondespourcomprendrecequ’ellevoyait.

Elleétaitallongéesurlesol,troisvisagesextrêmementpâlesétaientpenchéssurelle.Quelquechoseluienserraitlamainsifortementquesonsangnecirculaitplus.Elleétaitfrigorifiée.

MiabougealamaindoucementetJennerrelâchasapression.Ellesemità trembler tandisquelachaleurrevenaitlentement.

—Ques’est-ilpassé?demanda-t-ild’unevoixpressante.Bonsang,Mia,vousêtesglacée.Elleclignadesyeux,essayantderassemblersesidées.— J’imagine que la vue de cette photo a déclenché… quelque chose, dit-elle finalement. J’ai

entendulavoixdeJeffdansmatête.Elle regarda Jenner droit dans les yeux et la colère qu’elle y vit contribua à la calmer. Il avait

promisdelaprotéger.Aumilieudetoutecettefolie,ellecroyaitqu’ilferaitdesonmieuxpourhonorercettepromesse.

—Ilyavaitplusd’unevoix,enfait.MaiscelledeJeffdominaitlesautres.Ilsparlaientdevenirmechercher avant la pleine lune. Et puis j’ai vu des yeux rouges… ajouta-t-elle d’une voix traînante ensecouantlatête,etc’estlàquej’aisubitementeutrèsfroid.

—Gainesavaitlesyeuxrouges?demandaKenyon,visiblementperdu.

—Quelsalaud!ditJennerd’unevoixblanche.IllançaversKenyonunregardaccusateur.—C’étaitquoi,cettephoto?Asontour,Kenyonluijetaunregardmauvais.—Jen’ysuispourrien.Ilestévidentqueleurlienesttrèsfort.Ilpenseàelle,quelquepart,ellea

vusonvisageetcelaasuffi.Légèrementétourdie,Mias’assit.Commes’ilprenaitconsciencequ’il lui tenait toujours lamain,

Jennerlalâchabrusquement.Maisilrestaagenouilléàcôtéd’elle,suffisammentprèspourqu’ellesentesa chaleur. Une sensation agréable car, à ce moment précis, elle avait l’impression qu’elle ne seréchaufferaitjamais.

—Qu’est-cequec’est?Quem’est-ilarrivé?demanda-t-elle.Kenyonselevaet,aprèsavoirlancéàJennerunregardpleindemépris,ilreportasonattentionsur

Mia.Cettefois,sesyeuxétaientpleinsd’inquiétudeetdecompassion.—Lamorsured’unloup-garouestunechosetrèspuissante,Mia,dit-il.Ellecréeunlienentredeux

personnes, tout comme le rituel d’initiation doit lier la personne qui a été mordue à une meute.Généralement,lesdeuxchosesseproduisentsimultanément,étantdonnéquenousfaisonstoutpournousassurerqueceuxquinousrejoignentsontd’accordetcomprennentleprocessus.MaisJeffGainesn’afaitquelamoitiéduparcours.Vousêtesreliéeàluimentalementet,àtraverslui,àd’autresqu’ilamordus.Mais,s’ilnefinitpascequ’ilacommencéavantlapleinelune,celienserarompu.

—Jeveuxqu’ilsoitrompuimmédiatement,ditMiaenfrissonnant.Et,quoiquevousentendiezpar«finircequ’ilacommencé»,jecroisquevousprésumeztousqu’ilveutmegarderenvie.Jevousassurequenon.Ilveutsimplementêtreceluiquimetuera.

—Ilneleferapas,ditJennerd’unevoixblanche.Quoiqu’ilarrive,etquevousayezraisonounon,vousferezpartiedelameuteavantlapleinelune.

—C’estlàquejesuiscensée,heu…,metransformerenloup-garou,c’estça?demanda-t-elleenessayantdenepasmontreràquelpointilluisemblaitbizarredeprononcercesmots.Jecomprendsquejedoiveêtreintégréeàunemeute,maisjenecomprendspascomment.Ya-t-ilunesortedecérémonied’initiation?

Mia regarda les troishommesqui l’entouraient et vit queKenyon rougissait légèrement et évitaitsoudain son regard. Jenner avait toujours l’air furieux etBane… eh bien, le visage deBane semblaitexprimerleregret.Celal’inquiétaplusquetout.Apparemment,cequ’elleavaitdéjàsubin’étaitquelecommencement.Ilyavaitautrechose.

—Qu’est-cequevousmecachez?demandaMiaens’efforçantdenepashausserlavoix.Elleregardalestroishommesl’unaprèsl’autre.—Quedois-jefairepourl’extirperdematête?insista-t-elle.Banes’éclaircitlavoix.Ellen’auraitjamaiscruqu’ilpuisseavoirl’airgêné.— Créer un lien, se lier à un ou plusieurs autres loups, n’est pas seulement symbolique. C’est

aussi…heu…physique.Lamorsuren’estqu’unepartieduprocessus.Difficiledenepascomprendre,surtoutquandBanebaissalesyeux.Miasentitsonestomacseserrer

etsonsangseretirerdesonvisage.EllegardalesyeuxfixéssurBane.Ellenepouvaitpasregarderlesdeuxautressanssesentirtellementmortifiéequ’ellecraignaitdedisparaîtredanslesol.

—Etes-vousentraindemedirequed’iciàlapleinelunejevaisdevoir…devoir…commença-t-elled’unevoixenrouéequ’ellenereconnaissaitpas.

Seigneur,ellenepouvaitpasserésoudreàprononcerlesmots.Heureusement,Banenel’yobligeapas.Ilsecontentadehocherlatête.

—Jesuisnavré,Mia.Jesaisquevousn’avezpasvoulucela.Maiscelanechangerien.Iln’yapasd’autremoyen.Cen’estpas…c’est…sansconséquences.Cen’estpasunmariage.

—Non,c’est justeunehistoire sans lendemainobligatoire, rétorquaMia, indifférenteau faitquesonvisageétaitprobablementécarlate.

C’était tellementridiculeethorribleenmêmetemps.Avoir lapossibilitédechoisirunpartenairepourunenuitparmiuntasdeloups-garoussexypouvaitsemblergénialenimagination.Danslaréalité,c’étaittoutsimplementobscène.

—Ilnefautpasvoirleschosescommeça,Mia,répliquaBane.Personnenes’imposeraàvous.Ilest nécessaire que quelqu’un vous initie avant la pleine lune… mais c’est vous qui choisirez cettepersonne.Avantcela,nousaimerionsutiliservotreconnexionavecGainespourlelocaliser.Noussavonsqu’il finira par venir vous chercher ici, mais il serait souhaitable pour tout le monde que nous letrouvionsavant.

Lasse,Miahochalatêtelentement.LasimplepenséequeJeffpourraitlaretrouveretl’emmenerdeforceaveclui la terrifiait.C’était laseulechosequipouvait luifaireaccepter l’idéed’êtreobligéedecoucheravecuninconnu.

EllefutsortiedesessombrespenséesparungrommellementvenantdeJenneretellerougitquandleursregardssecroisèrent.Sielledevaitchoisir,là,maintenant,iln’yauraitpasd’hésitation…

—Lefaitquevousayezentendud’autresvoixnemeplaîtpas.Habituellement, lessauvagessontsolitaires.Çapourraitvouloirdirequ’ilaconstituéunemeute,cequiestillégal.Vousnevoyezaucuneraisonparticulièrepourlaquelleilenaaprèsvous,Mia?Ilprendbeaucoupderisques,justepourvousattraperetvoustuer?

Mia, accablée, secoua la tête.Quepouvait-elle répondre ?Ellene savaitmêmepas si ces loupssavaientquelquechosedesOmbresqu’unsangcommelesienattirait.Elle-mêmen’étaitpassûrequ’ellesexistentvraiment.Ellen’avaitentenduqu’untasd’avertissementsetdevieilleshistoires…auxquellesunloup-garousauvageetdémentavaitdécidédeprêterfoi.

Ellen’avaitpaspourhabitudedefaireconfianceàdesinconnus.Lanécessitédegardersonsecretétaittropprofondémentancréeenelle.Toutcommelacertitudeque,siceshommesapprenaientlavérité,ilslarejetteraientsur-le-champ.

Tuporteslatacheoriginelle,murmuralavoixdesagrand-mère.Jennernesemblaitpasconvaincu,maisillaregardasansriendire.Ellesentaitsonregardsurelle,

chaud comme le soleil, elle sentait aussi la merveilleuse odeur de terroir qui émanait de lui. Il larecentraitd’unefaçonunique,commeellenel’avaitjamaisété.C’étaitmerveilleux…etinquiétantàlafois.CetteperceptionaiguëdelaprésencedeJennercommençaitàluifairecomprendreàquelpointelleavait été seule jusqu’ici… et à quel point elle redoutait de retourner à cette solitude. Mais cela nemèneraitàriendebondebaissersagardeetdes’abandonneraudésird’êtreensacompagnie.Ill’avaitdéjàrepousséeunepremièrefois.

Jennern’avaitpasbesoind’elle.Etc’étaitaussibien.— C’était l’un d’entre vous. Pourquoi avez-vous coupé les ponts avec lui ? demanda Jenner à

Kenyond’unevoixcinglante.Kenyonfronçalessourcilsetdétournalesyeux.—SonnométaitJeffMarkhamàcetteépoque,répondit-ilensoupirantetensepassantlamaindans

lescheveux.Ilaessayédeprendrelaplacedenotrechef.Ilafaitquelquescoupstordus,maisTomasl’aéliminé.

BanelançaunregardaiguàKenyon.—Lasanctionpouravoirlancéundéfietl’avoirperdu,c’estlamort.Kenyonpoussaunsoupirexaspéré,maisMian’auraitpudireàquiils’adressait.— La décision finale revient au chef, et Tomas a choisi la clémence. Si l’on peut dire que le

bannissementestunemarquedeclémence.Le lienqui reliait Jeffà lameuteaété rompu.Tomas luiaclairementfaitcomprendreque,sijamaisil lerevoyait, il letuerait.Lesbannisnesontpascommeles

sauvages.Ilsnesontpasdéments.Seulementsolitaires,cequi,jelereconnais,peutfinirparavoirdesconséquencessurleursantémentale.Maisiln’yapassilongtempsqu’ilaquittélameute.Safoliedevaitdéjàêtrelà.Vousavezraison,nousaurionsdûymettreunterme.Maisladécisionnem’appartenaitpas.

— Ces lois existent pour une bonne raison, grommela Jenner. Et maintenant c’est nous quirécupéronscette situation.Unsauvageavecunemeutede sacompositionqui sedéplace librement surnotreterritoireàlapoursuited’unefemmeinnocente.

Endisantcela,illançaunregardendirectiondeMia.—Ildoitpenser…Leslèvresretroussées,Kenyonl’interrompitengrognant.—Onsefichedecequ’ilpense.C’estunmalade.LesSilverbackassumerontleurresponsabilité.Et

nousprotégeronsnotrecharge.Elleseraensécurité.—Mian’estpasduressortdesSilverback,rétorquaJenner,toutesdentsdehors.— Ça suffit, tonna Bane d’une voix tranchante qui fit sursauter Mia, mais qui suffit à peine à

empêcherlesdeuxhommesdesesauteràlagorge.Lecheflesfusilladuregard.— Je pense que nous avons recueilli toutes les informations queMia pouvait nous donner pour

l’instantetjesuggèrequevousreportiezvotreconcoursdemusclesàunmomentoùjeneseraipasobligéd’yassister.

IlseradoucitenregardantMia.—J’aimeraisvousaideràvousreconnecteràGaines,pourvoirsinouspouvonsdécouvriroùilse

trouve.Ellen’avaitpasenviededireoui.Maisellesavaitaussique,siellevoulaitqu’on l’attrape,elle

n’avaitpaslechoix.—Quand?demanda-t-elle.—Leplustôtseralemieux.Cesoir.Miaacquiesçadelatête,bienquecettesimpleévocationlaglaçât jusqu’auxos.MaisBaneavait

raison,leplustôtseraitlemieux.ElleétaitsûremaintenantqueJeffviendraitlacherchersiellenefaisaitrien,ettouteseuleellen’étaitpasdetailleàluttercontrelui.Ilconnaissaitsesproprescapacités.Ellen’étaitpastrèsàl’aiseaveclessiennes.Aumoins,encoopérantaveclesBlackpaw,elleneseraitpasréduiteaurôlededemoiselleendétressemisesurlatouche.

Ilfallaitqu’onl’attrape.Ilfallaitqu’elleresteenvieetqu’elleconservesasantémentale.Pourlemoment,riend’autren’avaitd’importance.

Maintenant que sa situation avait été clairement exposée, Mia se sentait nettement mieux. Elleaccepta la main que lui tendait Bane et se leva pour le regarder donner ses ordres avec l’efficacitébrusqued’ungénéral. Jenner traînaitàproximité. Il luiparaissaitencoreplus intimidantdu faitdesonsilence et de l’éclatmétallique qui brillait dans ses yeux. Il s’était présenté commeun lunari. Elle sedemandait cequecela signifiait, tout en sedisantque si elle le savait elle trouveraitprobablement saprésenceencoreplustroublante.

—AppelezTomasetdites-luicequenousavonsappris,ditBaneàKenyon.Celui-ciacquiesçad’unhochementdetête.—Ilnedevraitpastarderànousrejoindre.Ilfautquel’ondiscutedelaprotectiondeMia.JennerserapprochaetcroisalesbrassursapoitrinetoutenfixantKenyond’unœilperçant.—Vousmettezendoutemacapacitéàassurersasécurité?LeSilverbackhésita.—Non,bien sûr, lâcha-t-il avec réticence. Jemedemandais juste si vous aviez l’intentionde la

garder…

— Me garder ? interrompit Mia, son regard allant de l’un à l’autre des deux loups-garous.Premièrement,jesuisprésente,doncvouspourriezaumoinsentenircomptelorsquevousparlezdemoi.Deuxièmement,personnenemegarde,niiciniailleurs.Croyez-moisivousvoulez,maisjesuistoutàfaitcapabledemedébrouillerseulelorsquejenesuispasperduedanslesboisavecuntypequinem’apasprévenuequ’ilpouvaittoutàcoupsetransformerenbêtesauvage.J’apprécievotreoffredemeprotégermais,sicelaveutdirequejevaismeretrouverassignéeàrésidence,alorsjevaistrouverunautreendroitquiseramoins…

—Explosif?demandaBane,unsourireflottantsurseslèvres.—Exactement,acquiesçaMia.LesouriredeBane,bienquecharmant,neluifaisaitaucuneffet.—Vousaurezdelachancesivoustrouvezcelaparici,dit-il.Etj’aibienpeurquecesdeux-làne

soient cequ’il y a demieuxpourvousprotéger.Vousne savezpas tout ce queGaines peutmettre enœuvre.Nous,si.Ilfautqu’unloupresteavecvousici,Mia,queçavousplaiseounon.

—Elleresteavecmoi,ditJennerd’unevoixblanche.Mia lui lança un regard étonné. Ses paroles la surprenaient, mais pas autant que l’expression

meurtrièredesonvisage,quiprovoquaitchezelleunsentimentmêlédenervositéetdeplaisir.Malgrélefaitqu’ilsesoitdéjàmontrérenfrognéetgrossier,ellenepouvaits’empêcherd’êtrecontentequ’ilsoitdécidéàassumersonrôledeprotecteur.

Ellesesentaitensécuritéaveclui.Etencemoment,alorsquetoutsonuniverss’écroulait,cen’étaitpasrien.

Kenyonouvrit labouchepourrépondre,maisBanes’interposaavantqu’ilnepuissedirequelquechose.

—Sa protection sera assurée, dit-il en fixantKenyon.Nous allons régler les détails aujourd’huimême.Mais vous êtes sur notre territoire,Kenyon, celui denotremeute.Vous feriez biende réfléchiravantdecontesterl’autoritéd’unlunari.Ilachassédesêtresbienpluseffrayantsquevous.

CetteremarquenesemblapasplaireàKenyonmaisilnediscutapas.Aucontraire,ils’avançaversMiaet,luiprenantlamain,luifitunpetitsalut.

—J’aiétéenchantédevousrencontrer,Mia.Sivousavezbesoindequoiquecesoit,jeneseraipasloin.

Charmée, elle lui sourit sans se soucier de cequi ressemblait fort à ungrognementprovenantdel’endroit où se trouvait Jenner.Mia trouvaitKenyonbeaugarçon.Malheureusement, il avait beaucoupmoinsd’intérêtàsesyeuxqueleloup-garoudontleregardlançaitdespoignardsàtraverslapièce.

QuandlaporteserefermasurKenyon,unlourdsilencetombadanslapièce.—Connard,murmuraJenner.Miaouvritdegrandsyeux.—Qu’est-cequivousprend?dit-elle.Ilal’airtrèsgentil.CommeniJennerniBanenesemblaientvouloirrépondre,elleseditqu’ilétaittempspourellede

quittercettepièceoùlatestostéronecontinuaitàempuantirl’atmosphère.— Très bien, dit-elle. Je vais m’asseoir sous le porche pour prendre l’air. Si vous m’entendez

hurler,ceseraitbienquel’undevousviennevoircequisepasse.Merci.

7

—Ilfautqu’onparle,ditBanedèsqueMiaeutquittélapièce.—Discequetuasàdire,réponditJenner.Ilregrettaitdéjàdes’êtreavancéàproposerqueMiarestechezlui.Ilavaitbienréfléchiquandil

étaitdanssongarage.Saufquec’étaitavantquecetarrogantSilverbackneviennefairelesyeuxdouxàMia.Quandilavaitvuça,toutcequ’ilavaitpréparédefaçonrationnelleavaitétéréduitànéant.

Et maintenant il allait se faire passer un savon par un chef particulièrement remonté. Jenner neconnaissait que tropbien cette expression sur le visagedeBane.Pourtant, il aurait dû être content del’avertissementqu’ilvoyaitveniretquiallaitanéantirtoutespoirqueMialuiappartienne.

Bien sûr ce serait plus facile s’il parvenait à se défaire de son envie d’écraser sonpoing sur lesourirebéatdeKenyonChase.

—Jepensequ’enfaitMiaaposélabonnequestion.Saufqu’àmonaviselleaététropgentilledanssaformulation.Jevaisreformuler.C’étaitquoi,cenumérodegrosbras?

Banesemitàarpenterlapièce,visiblementincapabledesecontenir.Jenners’installadansunfauteuiletleregarda.— Rien de spécial, sauf que j’aimerais être prévenu quand tu amènes le prince héritier des

Silverbackchezmoi.Banelefusilladuregard.—Princehéritier,mesfesses.—Oh!çava,grognaJenner.Ilestjeune,beauetarrogant.Onpeutlire«loup-garoudesouche»sur

sonfront,ettusaisaussibienquemoique,chezlesSilverback,celaéquivautaupouvoir.Banes’immobilisaetpassaunemaindanssachevelurerebelle,commes’ilinvoquaitlecielpour

savoirquoifaire.— Tout le monde ne fonctionne pas comme nous, Jenner. Kenyon sera chef un jour. Il a l’air

raisonnableetposé.—Jepariequ’ilpasseuneheuretouslesmatinsdanssasalledebainsàsecoiffer.Baneesquissaunpetitsourire.—C’estpossible.Maisj’aimeraismieuxnepaspartirenguerrecontrelui,etpotentiellementcontre

toutesameute,simplementparcequetuasdécrétéquetunevoulaispasqu’iltoucheàtesaffaires.Dont,soitditenpassant,MiaD’Alessandronefaitpaspartie.

—Jen’aijamaisditlecontraire,marmonnaJennertandisqueBanereprenaitsesdéambulations.—Tun’aspaseubesoindeledire,répliquaBane,tongrognementétaitsuffisammentexpressif.Malàl’aiseenserappelantcemomentdefaiblesse,Jennersoupiraetportalamainàsondeltoïde

pourlemasseretensupprimerlatension.Quepouvait-ilrépondreàça?

—D’accord,finit-ilpardire,j’aigrogné.Ecoute,tuasvulafaçondontill’aregardéedèsqu’elleestentréedanslapièce?Miaapasséunenuitépouvantable,ellevientd’apprendrequ’ellenepourrapasretrouversavied’avant,etelleaunpsychopatheauxtroussesquiveutsoitlavioler,soitlatuer.Ellen’apasbesoindesefairedraguerparunapprentichefmielleux.

Pasplusqueparunnon-chefidiotayantunproblèmed’impulsivité,pensa-t-il.Maisilrepoussacetteidéeaussitôt.Celanesereproduiraitpas.

Pourleurbienàtouslesdeux,c’étaitmieuxcommeça.Banel’observaitd’unœilperçant.—C’estunenoblepensée,Jenner.Etjesuissûrquetuessincère,dansunecertainemesure.Maisje

teconnais.Aussiloyalquetupuissesêtre,tunet’effacesdevantpersonne.L’airpensif,ilregardaparlafenêtrelesarbrestourmentés.—Tuconnaislesrègles,reprit-il.GainesétaitunSilverback.Ilsl’ontexcluetilamorduMia.S’ils

veulentvraimentêtreprocédurierspourfairevaloirleursdroitssurelle,ilsontlesmoyensdelefaire.— C’est nous qui l’avons trouvée, fit remarquer Jenner. Ce sont des hommes à nous qui l’ont

secourue.Celadevraitenfairel’uned’entrenous.Banesecoualatête.—Jesaisquetun’aspasenvied’entendreça,maisKenyonChaselaveut.C’esttoutàfaitévident.Jennersentitlacolère,voirequelqueémotionencoreplussombre,pointersonnez.Sescheveuxse

dressèrentsursanuque.—Onn’estplusauMoyenAge,Bane,lesrèglesdonttuparlessontdépassées.Miaestplusforte

qu’ellen’ena l’air.Elleasurmonté lesépreuvesde lanuitdernièreetellen’amontréaucunsignedefaiblesse.Tupensesqu’ellese laissera influencersi lesSilverbackluidisentqu’elledoitprendre l’undesleurs?

LeregarddeBaneétaitperçant.—Tusaisaussibienquemoiqu’ilyadesmoyensdecontournerça.Si jedisànoshommesde

resteràl’écartetdelaisserKenyonluifaire lacour,ellenedouteramêmepasd’avoirchoisientouteliberté.

Jennerretroussaleslèvresettournalatête.Iln’aimaitpasdutoutcetteconversation.—Tunecroispasqu’elleaétésuffisammentmanipuléecommeça?Ilpoussaunprofondsoupir.—Ecoute,Jenner,ditBane.Si jecomprendsbien,c’estunsujetdélicatpour toi.C’est tondroit.

Maistoutcecin’arienàvoiraveccequis’estpasséentreTessettoiilyadesannées.Jennertournalatêtevivement.Ileutdumalàs’empêcherdemontrerlesdents,cequiauraitétéune

graveerreur.Baneétaitcompréhensifmaisilnetoléraitpaslemanquederespect.—Tessn’arienàvoirlà-dedans,siffla-t-il,dentsserrées.—Jen’ensuispassisûr.C’étaitunedesplusgrandesmanipulatricesquej’aiejamaisconnues.Je

préfèrenepaspenseràcequiseraitarrivésitunel’avaispasdémasquée.Jennersoufflabruyamment.Ildétestaitparlerdecela,mêmeaprèstoutescesannées.Parfois,ilse

disait que s’il avait été plus clairvoyant il aurait pu l’empêcher de nuire plus tôt.D’autres fois, il sedemandaits’iln’auraitpaspulasauveraulieude…

— Arrête tout de suite, reprit Bane. Je vois le moment où tu vas commencer le refrain del’apitoiement. Tu devrais avoir dépassé ce stade, maintenant. Les Ombres nous chassent, nous leschassons.Siunlouppassedeleurcôté,celaentraînesoitsamort,soitlanôtre.Tuasfaitcequ’ilfallait.

LetondeBanenesouffraitaucunediscussion.EtJennersavaitqu’ilavaitentièrementraison.—Ouais,j’essaiedevoirleschosescommeça,ditJennerenhaussantlesépaulespouressayerde

dissimulersessentiments.Maisceseraitplusfacilesijepouvaism’empêcherdepenserqu’ellen’étaitpassimauvaiseetquequelquepartellevoulaittoutarrêter,mêmeàlafin.

—Cette tendancenedevaitpasêtre trèsfortepuisqu’ellene l’apasfait.Elleacausé lamortdeplusieursloupsinnocents,Jenner.Tudoisàleurmémoiredenepasl’oublier.

—Tusaisbienquejenel’oubliepas,réponditJennerencontenantsacolère.Maintenant,situasfinidemefaireunefoisdepluslamoraleàproposdechosesquiappartiennentaupassé,jesuissûrquetu peux trouver quelqu’un de plus intéressant à embêter. Tu veux laisser Chasemettre lamain sur lavictimed’unsauvageàcausedequelquenotionarchaïquededroitsdepropriété?Jet’enprie,netegênepas…quandceseratontourdegarde.Tantqu’elleestsousmaprotection,çan’arriverapas.

LesyeuxdeBane flamboyèrent, et Jenner le connaissait assezbienpour comprendreque le longsoupirquisuivitétaitenfaituneffortpours’empêcherdehurler.Jennerréprimaunsourire,malgrésacolère.Cen’étaitpaschosefaciledemettreBanedanscetétat,maisilavaittoujoursétéassezdouépouryparvenir.

—Çateferaitmalderespecter lesrègles,cettefois,Jenner?Mian’estattachéeàaucund’entrenous.Qu’est-cequeçapeutfaire,dansquellemeuteelles’intègre?Quelmalya-t-ilàlaisserKenyontenter sa chance avec elle ?Si elle le rejette, onverra bien.Mais nepas semettre en travers de soncheminnousassureralapaix.Deplus,jenevoispasqui,chezlesBlackpaw,pourraitêtreuncandidatsérieuxencemoment.Amoinsquetoi…

—Biensûrquenon,marmonnaJenner.Maviemeplaîtcommeelleest.Et c’était la vérité. Alors pourquoi attachait-il autant d’importance à ça ? Pourquoi trouvait-il

inconcevabled’imaginerMiaavecquelqu’und’autre?AlaseulepenséedeMiaseuleavecChase,sesongless’allongeaient,devenaientpluspointusetseplantaientdanslebrasdufauteuil.

Bane s’approcha et s’assit sur l’accoudoir du canapé. Son regard était perçant et voyait trop dechoses.

—J’ail’impressionquecettefemmenet’estpasindifférente.Jenneressayaderesterimpassible.—Tutetrompes.—Tunelaconnaisquedepuishier,poursuivitBanecommes’iln’avaitpasentendularéponsede

Jenner,ettutebagarrespourlagarderauseindelameute,sansparlerdelaviolencedetaréactionquandunSilverbackmontrede l’intérêt pour elle. J’endéduis qu’elle ne t’est pas indifférente.Si tu veux temettresurlesrangs…

—Maisnon,grondaJennerenbaissantlesépaules.Jen’aimepasl’idéequ’onl’influencedanssonchoix,çaneveutpasdirequejelaveuxpourmoi.Bonsang.Tumeconnaismieuxqueça,Bane.

—Ouais,enfin…Banel’observaitaveccuriositécommesiJennerfaisaittoutàcouppartied’unefascinanteattraction

foraine.—C’étaitcequejecroyais,entoutcas,poursuivit-il.Maisletrucdeservirlepetitdéjeuner,cet

aspectdouxetchaleureuxdetapersonnalité,c’estquelquechosedenouveaupourmoi.—Lâche-moiunpeu,tuveux.Baneeutungrognementdédaigneux.— Tu sais, en temps normal, ça m’amuserait de t’embêter avec ça. Mais, si tu continues à te

conduirecommesituavaisdesdroitssurMia,tuvasteretrouveravecunebagarresurlesbras.Kenyonvatelancerundéfisur-le-champ.

Jenner détestait cette habitude qu’avait Bane d’aller droit au cœur du problème sans prendre degants.

—Ceseraituneerreur.Jelebattraisàplatecouture.— C’est évident. Tu es le lunari des Blackpaw, bon sang. Mais, justement, cela créerait un

problème…diplomatique.

Le regard de Bane n’était pas hostile, mais Jenner savait qu’il n’était pas question de faire dusentiment.IlétaitpratiquementcertainqueBanelesoutiendraitsic’étaitimportantpourluid’avoirMia,même si cela devait créer des tensions entre les meutes. Pourtant, Jenner n’avait pas l’intention deprovoquerunecrisedecetordre.

EnsupposantqueMiasuccombeàl’absencetotaledecharmedeKenyonChase.Cequirevenaitàdirequepourlemomentiln’avaitaucuneréponseàopposeràBane.Enfin,aucune

bonneréponse.—Ellemefaitconfiance,dit-ilfinalement.J’aimeraismieuxenêtredigne.UnpetitsourireflottasurleslèvresdeBanequisemblaitsincèreetexemptdemoquerie.— Tu l’es, Jenner, dit-il. Je ne t’apprécierais pas autant si tu n’avais pas cette rage de justice.

PersonnenevaobligerMiaàfairecequ’elleneveutpas,nil’entraînerdansunedirectionquirisqueraitdeluifaireplusdemal.

—N’empêchequetuveuxlaguider.Banericana.—Biensûr.Encorefaudrait-ilqu’elleselaissefaire.J’espèrequ’ellen’estpascommetoi.Lesdeuxhommes se sourirent, et Jenner sentit que sa tension se relâchait légèrement.Tout allait

bienentreeuxdenouveau.C’étaitplusimportantpourluiquelessentimentssupposésd’unefemmequin’était après tout qu’une étrangère. Il faudrait qu’il s’en souvienne la prochaine fois qu’il aurait desvelléitésdecasserlafigureduprochainchefdesSilverback.

—D’accord.Ellereste ici,donc.Detoutefaçon, tunem’écouteraispassi jedisais lecontraire,alorsbon,allons-y,ditBane.

Jennereutunpetitsourirecontrit.—Pourtagouverne,jen’essaieraipasdetentermachanceauprèsdeMia.Elleestjolie,maisce

n’estpasmongenre.Jenelaisseraipersonnelaharceler,maissielledécidedechoisirChaseelleferacommeellevoudra.Situnecomptespassurmoipourêtreaimableaveclui,toutirabien,dit-il.

Baneeutl’airsoulagé.Jenner se leva en faisant très attention à masquer ses pensées derrière un écran d’amusement

superficiel. Il sentait que Bane essayait de lire dans ses pensées. A une époque, cela l’aurait vexé.Maintenant, ilcomprenaitquec’était justeuneprécautionpriseparunchefquinevoulaitpasd’autresproblèmes que ceux qu’il gérait habituellement. Pour cette raison, Jenner, au prix d’un effortconsidérable,l’empêchadelireenlui.Auboutd’unmoment,lasensationdisparut.

—Trèsbien.J’imaginequ’uncontingentdeSilverbacknevapastarderàsepointer,ditBane.Plusonseranombreux,plusonpourracouvrirdeterraincesoir.Peut-êtreMiapourra-t-ellenousdonnerplusd’éléments pour découvrir oùGaines se cache. Bien que je ne sois pas sûr que ce soit d’une grandeutilité.Unsauvagequiaétébanniparsameuteestdifférentdeceluiquil’estdevenudelui-même.

Ilregardaauloin,leslèvresserrées.—Ilseraplusdifficileàrepérer,ajouta-t-il.—Onl’aura,ditJenner,confiant.LesBlackpawnepouvaientpasperdre.Ilnepouvaitpasperdre.Enpensantàcela,ilrevitlevisage

pâleetchoquédeMia.Lesalaudquiluiavaitfaitdumalnes’entireraitpascommeça.Ilallaitfairecequ’ilfallait.Pourtant,unechosequeMiaavaitditecontinuaitàletarabuster.

—Bane,dit-il.CequeMiaavutoutàl’heure…lesyeuxrouges,etaussilefroid,çamerappellequelquechose.

Combiende fois avait-il entenduTess parler dans son sommeil à proposde froid et d’un regardterrible, invisible?Lahonte incontrôlée lui revinten force, aussiviveque si lesémotionsqu’il avaitéprouvéesencejourépouvantableavaientétéconservéesintactesdanssamémoire.Ilauraitdûsavoir…mais il n’était qu’un chasseur à cette époque, il n’était pas encore un lunari et il ignorait ce que les

Ombrespouvaientfairepourcorrompreunêtre.LefaitqueJeffGainessoitdémentnevoulaitpasdirequ’ilnesavaitpascequ’ilfaisait.IlavaitcertainementunebonneraisondechoisirMia.Qu’ilsetrompeounonàsonsujetn’avaitpasd’importance.Danslesdeuxcas,elleétaitendanger.Saufsi…

Baneserraleslèvresetacquiesça.—Oui.Etnon.Lavisionpeutêtrelamême,Jenner,maislafemmeaumilieuesttrèsdifférente.—Elleensaitplusqu’ellen’endit,ditJennercalmementenregardantlaporte.—C’estprobable.Mais ilestvraiqu’ellenenousconnaîtpas.Pasencore.Laisse-luiunpeude

tempsavantdelajuger.Jennereutunpetithochementdetête,sansconviction.Iln’étaitpascertainqu’ilsaientdutemps.Et

silesOmbress’étaientdéjàemparéesd’elle…ildevraitfairesonboulot.Encoreunefois.Il fut inondéd’une sueurglacéeen imaginant sesmainsenserrant lagorged’une femmeauxyeux

brillantd’unfeuinhumain.LesyeuxdeTess.LesyeuxdeMia.Seigneur,ilespéraitquenon.Ilnevoulaitpasavoiràrefaireça,jamais.Maisc’étaituneraisonde

plus pourmettre ses émotions de côté jusqu’à ce qu’ils en aient fini avec cette histoire. Il ferait sondevoir.Niplus,nimoins.

Ilnelaisseraitjamaisunetelledouleurl’atteindredenouveau.—Tun’aspasoubliélessignes,Jenner.Toimoinsquequiconque,ditBaneenposantlamainsur

sonépaule.Tusauraslesreconnaître,ajouta-t-il.Jennerhochalatêted’unairlugubre.—Jesaurai.

8

Assise à l’avant du pick-up,Mia observait Jenner à la dérobée, à l’affût d’un signe, n’importelequel, qui indiquerait qu’il savait qu’il y avait bien un être humain à côté de lui.Malheureusement,Jenner,impénétrable,conduisait,lesdeuxmainssurlevolant,lesyeuxrivéssurlaroute,aussisilencieuxqu’unfantôme.

Ilavaitétécommeçatoutl’après-midietcelafinissaitparluiportersurlesnerfs.Elle avait été surprise lorsqu’il lui avait annoncé qu’elle allait rester chez lui pour l’instant.

Surprisemaisaussidécontenancée.Elleavaitbesoind’avoirlesidéesclairespourréfléchiràcequiluiarrivaitetlaprésencedeJenneràproximiténeluifacilitaitpasleschoses.

—Oùallons-nous,déjà?demanda-t-elled’unairabsent,pluspour rompre lesilenceoppressantqueparréelintérêt.

Ellesemoquaitdesavoiroùill’emmenaitdîner,elleavaittellementfaimqu’ellen’allaitpasfaireladifficile.

Pour touteréponse,elledutsecontenterd’ungrognement inintelligible.C’étaitdéjàbienqu’ilaitaccepté de sortir de chez lui, même s’il ne s’était décidé qu’après avoir regardé dans son placardpratiquementvidependantunebonnedizainedeminutesavantd’admettrequ’iln’avaitvraimentriendedécentà luiproposer.Miaétait contentedevoirqu’ilyavaituncertainnombredechosesqui étaientcommunesàtousleshommescélibatairesetquelatendanceàn’avoirquedelabièreetdescochonneriesàmangerétaitl’uned’entreelles.Elleespéraitqu’unesortieenvilleluipermettraitdesedétendre.

Toutdumoins,celaluidonneraitl’occasiondesechangerlesidées.Ellelançaundernierregardendirection de Jenner, il conservait sonmasque impassible, les yeux rivés sur la route devant lui.Miasoupiraetreportasonattentionsurunnouveauproblèmequisemblaitvouloirvenirs’ajouteràlalistedeceux qu’elle avait déjà. Demain, dimanche, elle allait devoir commencer à démêler les fils de cettesituationembrouillée.Toutd’abord,ilfallaitsetrouveruneexcusepourrestericipendantaumoinsunesemaine.Apparemment,Jenneretsescopainsn’étaientpasprêtsàlalaisserpartiravant,etellen’avaitpassuffisammentde renseignementssur les loups-garouspour leur faussercompagnie. Il semblaitbienquelesjoursdecongésqu’elleavaitencoreallaientenprendreuncoup.

Cettepenséelarendaitmalade,cequiluidonnauneidée.—Gastro,murmura-t-elle.—Pardon?ditJenneravecunregardsansaménité.Ellesetournaverslui,surpriseetamuséeàlafoisdevoirl’inquiétudequis’affichaitsursonbeau

visage. Il n’y avait rien de tel que l’allusion à des vomissements causés par un virus pour attirerl’attentiond’unhomme.Surtoutquandl’hommeenquestionvousemmenaitdînerquelquepart.

Lessignauxqu’elleavaitenvoyéscommençaientàproduireleureffet.

— Oh ! dit Mia en s’appliquant à conserver un ton neutre. On se reparle, alors ? J’essayaissimplementdetrouveruneexcusepourm’absenterdemontravailtoutelasemaineprochaine.Sinon,jevaismefairevirer.

Ilreportasonattentionsurlaroute,maiselleeutquandmêmeletempsd’apercevoirunsoupçondeculpabilitédanssesyeux.Cen’étaitpasvraimentcequ’elleespéraitmaisçaavaitaumoinseuleméritederomprelesilencetaciturnedeJenner.Elleauraitaiméêtrecapabledeluidirelefonddesapenséemaiscetaprès-midipasséàsesentirplusagresseurquevictimel’avaitéprouvée.Et,pourtoutarranger,Jennernesemblaitpasdutoutcomprendresacolère.

—Nous avonsdéjà abordé la questiondevotre travail,Mia, dit-il sans la regarder, comme s’ilfaisaitlamoraleàunenfantrécalcitrant.Vousn’aurezpasenviedevousretrouverseuleenvillequandtout…ceciserafini.Etqu’est-cequevousvoulezdirepar«onsereparle»?Jen’avaispasl’impressionquenousavionsarrêté.

Mia repoussa une mèche de cheveux derrière son oreille en inspirant profondément. La colèredéferlaavantqu’ellenepuisseseraisonneretlafairetaire.

Larapiditéaveclaquelleellepassad’irritableàfurieusel’auraitchoquéeelle-mêmesielleavaitétécapablede résisterà lavaguede fureurqui lasubmergeaenentendant lesmotsdeJenner.Toutcequ’elle avait traversé depuis la veille, la trahison, la violence et le tumulte que la seule existence deJenneravaitsemédanssessentiments,semélangeaenunecolèrequisereportasurlaseulecibleàsaportée.Ellefituneffortconsidérablepournepashurler.

—Cequejeveuxdire,dit-elled’unevoixtremblante,c’estque,depuisquevousm’avezembrasséeetquevousavezdétaléencourant,vousm’avezàpeineadressélaparole.Etantdonnéquejenemesuispas jetée à votre tête et que j’imagine que vous avez contribué à influencer la décision pour que jeséjournechezvousjusqu’àcequecettesituationsoitréglée,j’apprécieraisquevouscessiezdemetraitercommeunepestiférée.

Cette tirade fut suivie d’un silence qui s’éternisa douloureusement. Finalement, Jenner réussit àprononcerunmot.

—Oh.Cemot unique attisa la colère deMia, surtout que Jenner ne semblait pas prêt à développer sa

pensée.Ellen’avaitpasl’habitudedeselaisserdominerparsesémotions,maislàilyavaitautrechose,uneforceinconnuequisoufflaitsursessentiments,commeleventsurunfeudeprairie.

—Oh?dit-elled’untontranchant.C’esttout?Vousm’embrassezfurieusement,vousdisparaissez,vous faitescommesiçan’avait jamaiseu lieu,etquand jevousdemandedesexplications toutcequevoustrouvezàdire,c’est«oh»?

Lefrontplissé,Jennerluilançaunlongregarddecôté.— Je ne sais pas ce que je pourrais dire sans passer pour un imbécile. Je nem’étais pas rendu

comptequejevousavaismisetellementencolère.—Vousnevousétiezpasrenducompte…Stupéfaite,Miarépétasesparolesenessayantdesecalmer.Mais…iln’avaitrienvu?Ilpensait

vraimentqu’elles’enfichait?Despicotementsparcoururentsapeautandisquesonpoulss’accélérait.Letsunamiémotionnelqui

couvaitenellecontinuantd’enfler,ellerenonçaàluirésister.Soudain, lemonde autour d’elle sembla trop brillant, chaque détail minuscule se détachait avec

intensité. Elle fut assaillie par un bombardement d’impressions sensorielles. Elle n’avait plus que sacolèreàquoiseraccrocher.Quandelleputfinalementluirépondre,elleavaitunedrôledesensationdanslabouche.Sesdentssemblaientplusaiguës.

Elle rassembla avec difficulté le peu de contrôle qui lui restait pour refréner une folle envie demordre.

—Vous ne savez pas quoi dire ? Que diriez-vous par exemple de : «Mia, vousme plaisez etj’aimeraisbienqu’onrecommenceundecesjours»ou«Mia,c’étaituneerreuretnousdevrionsoubliercequis’estpassé».Voilàdeuxoptionstoutesfaites.Vousn’avezqu’àenchoisirune.Maisjevousenprie,arrêtezdem’ignorer,commesij’avaisfaitquelquechosedemal!

Savoixétaitdevenueplusrauqueetplusgravequesavoixnormale.Jennerlaregardadenouveauetelleeutl’impressionqu’ilavaitpâli.

—Mia,respirezprofondément.Toutvabien.Maismaintenantelleluimontraitvraimentlesdents.—Non, toutnevapasbien.Vousnecroyezpasquej’aiassezdeproblèmescommeça,sansque

vousveniezenrajouter?Lebaiser,toutcecinémaavecKenyon,commesivousenaviezquelquechoseàfaire…c’étaitquoi?Vouspensezpeut-êtrequevouspouvezmemanipulerpourquej’acceptedecoucheravecvousaunomdelameute?Jesuisassezbonnepourunepetitecoucheriesanslendemain,maistropnullepourqu’ons’intéressevraimentàmoi,c’estça?

Tandisque lesmotssortaientà flotsdeses lèvres,unepartencore lucided’elle-mêmeserendaitcompte avec horreur de ce qu’elle était en train de dire, du fait qu’elle exposait au grand jour sesinquiétudes les plus intimes et ses soupçons les plus sombres, même si elle savait qu’ils étaientprobablementinfondésetcertainementinjustesenverseuxdeux.Maiselleavaitl’impressionquetoutsonêtres’embrasait.Elleétaittotalementimpuissanteàcontrôlersespeursetsafureur.

Atraversunbrouillardrougeâtre,ellevoyaitqueJenneravaitl’airterrifié.—Mia,calmez-vous,jevousensupplie,vousallez…—Nemeparlezpassurceton!Jenevousconnaismêmepas!Lachaleursoussapeauserépandaitdanstoutsoncorpsjusqu’àdevenirinsupportable.Etilyavait

cetteterribledémangeaison.Sescaniness’étaientallongéespourdeveniraiguiséescommedespoignardsetelleressentaitunefurieuseenviedemordreJenner.Ellegrogna,soncorpssetenditcontrelaceinturedesécurité.Toutepenséerationnelles’évanouitetl’espaced’uninstantelleoubliaquiétaitMia.

Ellen’étaitplusqu’unebête.Satêteretombaenarrièrecommeelleluttaitpourrecouvrerunsemblantdepenséehumaine,mais

tout contrôle lui échappait.Ellevoulait courir,mordre…hurler.Soncœurbattait à se rompredans sapoitrine.L’odeurdeJenneremplittoussessens,etelleentenditunautrecœurbattantàl’unissonaveclesien.LecœurdeJenner.L’infimepartiedesoncerveauquirésistaitencoreàsatempêteintérieureétaitstupéfaite.Ellepouvaitentendrelesbattementsdesoncœur…commentétait-cepossible?LecœurdeJennerrésonnaitdanssatête.Etellevoulait…ellevoulait…

LavoixdeJennersefitpluspressante,pleined’uneinquiétudequ’ellerefusaitd’entendre.Saragevenaitdenullepart,étaitpartout.Commentosait-ils’inquiéterpourelle?Commentosait-il?S’ilétaitvraimentconcerné,ilposeraitlesmainssurelle…illaprendrait…s’uniraitàelle…

Outupourraissimplementboiresonsang,murmurasoudainunevoixsinistredanssatête.Egorge-le,égorge-lestous,inondelaforêtdusangdesloupsetouvrelesportespourmoi,pournous,ouvre-lesgrand…

—Mia…Unedouleuraiguëla traversadepartenpart,aveuglanted’intensité.Miarejeta la têteenarrière,

poussantuncrid’animalblessé.Elles’arc-boutadanssonsiège,lecorpsraidi,commetraverséparunedéchargeélectrique.Finalement,cequiluirestaitderaisonluipermitdeprononcerunmot.Lapeurfutlaplusforteetluidonnalaforcedeparler.

—Aidez-moi…j’aimal…,dit-elledansunsouffle.—Bonsang.Accrochez-vous.A demi-consciente, elle comprit qu’il garait le camion sur le bas-côté de la route, mettait

brutalementlelevierdevitesseaupointmortetdétachaitrapidementsaceinturedesécurité.Denouveau

unedouleurviolentelatransperçaetelleperçutvaguementqueJennerlaprenaitdanssesbras.Ilenroulasoncorpsautourdusienetlatempêtequifaisaitrageenelleretombainstantanément.Par

un phénomène extraordinaire, elle passa en une seconde de l’état d’ouragan humain à une mollessealanguieet tremblantecontre Jenner, lecorpscouvertd’une sueurglacée.Nedésirantplus rienque leconfortdouilletetchaudqueleurconnexionphysiqueluiprocurait,elles’accrochaàlui,soncœurbattantdanssapoitrinecommeunoiseauaffolé.

—Là,dit Jennerd’un tonapaisant tout en lui caressant ledosenundouxmouvementcirculaire.Respirez,Mia,respirezprofondément.

—J’essaie,souffla-t-elle.Ses dents se mirent à claquer et elle sentit le froid la pénétrer. Sa tête résonnait toujours des

battementsfurieuxdesonproprecœur.Maispar-dessousluiparvenaienttoujoursceuxducœurdeJennerqui ralentissait et se calmait peu à peu. Mia se concentra sur ce bruit, forçant son cœur à battre àl’unisson.Ellefutsurpriseetsoulagéeà lafoisdeconstateravecquellerapiditésonrythmecardiaqueerratiqueetaffoléralentissaitetsestabilisait.Ellen’entenditalorsplusqu’unson,unbattementapaisant,celuide leursdeuxcœursquine faisaientplusqu’un.Touteàsonsoulagementdepouvoirdenouveauparleretpensernormalement,Mianes’étonnapastoutdesuitedel’étrangetédecephénomène.

Ellese laissaaller,rouléeenboulesur lesgenouxdecethommequi luiétait totalementétranger.Elle n’aurait pas dû, mais le souvenir de cette voix sinistre dans sa tête, pas celle de Jeff, celle dequelqu’unoudequelquechosed’autre,l’empêchaitdes’éloigner.

—Qu’est-cequec’était?Quem’est-ilarrivé?demanda-t-elle.Quandilparla,elleperçutlavibrationdesavoixdanssonoreillepresséecontresapoitrine.—Onvadirequevousvousêtesvraimentmiseencolèrecontremoi.End’autrestemps,cetteremarquel’auraitfaitrire,maisplusmaintenant.—Jesaisquejen’aipasboncaractère,Jenner,dit-elleentremblant.Maiscettefoisilyavaitautre

chose.Dites-moilavérité.Ques’est-ilpassé?Sespetitescaressesapaisantesdanssondoslaberçaient.Ilréponditd’unevoixposée,sansfairela

moindreallusionàlapeurquil’avaitpratiquementrenduefolle.C’étaitrassurant,mêmesilesmotsqu’ilprononçal’étaientmoins.

—Lacolèretendàréveillerlapartdeloupd’unindividu,dit-il.J’auraisdûvousprévenir.Sivousêtes prise au dépourvu et que vous ne savez pas la contrôler, vous pouvez entamer un processus detransformationsans l’avoirvoulu.Vouscomprenezprobablementmieuxmaintenantpourquoivousavezbesoindusoutiendelameutequandtoutcepouvoiretcetinstinctseréveillentenvousetdemandentàs’exprimer.

Acemoment-là,ellesentitlasollicitudequiperçaitdanssavoixetquivenaiteffacertoutetracedelarancœurquesarageavaitprovoquée.

—Bonsang,vousétiezàdeuxdoigtsdevoustransformerenloup-garoudansmoncamion.Sivousl’aviezfait,jen’auraisrienpupourvous.Personnenelepeut.Sivousvoustransformezalorsquevousn’appartenezpasàunemeute,mêmesic’estavantlapleinelune,vousêtesperdue.C’estcommeça.

—MonDieu!—Maisçan’arriverapas.Maintenantquevoussavezcequiestenjeu,jesuissûrquevousferezce

qu’ilfaudra.Toutirabien.Ellen’en était pas si sûre. la confiancequ’il lui témoignait,même si ellen’était pas justifiée, la

rassurait.—Jesuisdésolée,dit-elle.J’étaisterriblementcontrariée,maisj’ysuisalléefort…—Ça,vouspouvezledire.C’estlapremièrefoisquejemetsunefemmeencolèreaupointqu’elle

setransformeenanimalsauvage.

Mia frissonna et enfouit sa tête contre le torse de Jenner,mortifiée,même s’il avait semblé plusamusé qu’autre chose. Les frissons qui la secouaient commençaient à s’espacer, faisant place à unechaleurquisemblaitpasserdeJenneràelle.C’étaituneimpressionmerveilleuse,mêmesilerestedelasituationnel’étaitpas.

—Ilyauncommencementàtout,dit-elle.EllefutrassuréeparlerireprofonddeJenner.—C’étaitdouloureux,dit-elleplusdoucement.C’étaitunaspectquiluiavaitéchappé,auquelellenes’attendaitpas.LavoixdeJennersefitplus

douce.—Seulementlapremièrefois.Votrecorpsn’avaitjamaisfaitça.Après,c’estbeaucoup,beaucoup

mieux.Celadevientaussinaturelquederespirer,croyez-moi.Sa colère semblait s’être consumée dans cette expérience que son corps, dont elle savait que

maintenantilpouvaitlatrahir,avaitessayéd’accomplir.Lesouvenirdeladouleurétaittoujoursprésent,cependant.

—J’aimeraisbienvouscroire,dit-elle.Maisonnepeutpasdirequevousmefacilitezleschoses.Ilrestasilencieuxunmoment,continuantdeluimasserledos.Ellesavaitqu’elleauraitdûl’arrêter,

maisellenepouvaits’yrésoudre.Maintenantquesafrayeurétaitpassée,ellesentaitlaviebattredanslesveinesdeJenner,ellecommençaitàentendredanssatêtelamusiquesingulièrequivenaitdelui.Elleavaitenviedepasserlesmainssursapeaunue,delaisserlasombremusiquedesonsangsemêleràlasienne, comme elle avait toujours rêvé de le faire avec un homme.Même les pires prédictions de sagrand-mèren’avaientjamaisréussiàl’enempêcher.Lamagieleslieraitl’unàl’autre,corpsetâme…etildécouvriraitquielleétaitvraiment.Ouaumoinsqu’elleétaitplusqu’untoutnouveauloup-garou.

MaisMiasavaitquecelaleferaitprobablementfuiràtoutesjambes,aussiloind’ellequepossible.C’estpourquoiellegardalesmainscroisées.

—Vouspouvezmefaireconfiance,Mia,dit-il finalement.Jenevousferaipasdemal.Si jen’airien dit à propos de ce matin, c’est sans doute parce que je ne trouvais pas les mots. Vous ne meconnaissezpas,maisjevousassurequejenesuispasdugenreàprofiterdelasituation,d’habitude.

—Vousn’avezpasprofitédelasituation,reconnut-elle.J’enavaisenvie,moiaussi.Ellesentitsatensionetellesutqu’elleavaitditcequ’ilnefallaitpas.C’étaitincroyable,lavitesse

àlaquellecettedoucechaleurpouvaitsetransformerenunsentimentnauséeuxaucreuxdesonestomac.Ellel’entenditsoupireretsutquel’étatdegrâceétaitterminé.

—Jepensequ’ilvaudraitmieuxquevouschangiezdeplace,ditJenner.Ilyadeuxoutroischosesquejedoisvousdireetcen’estpaslameilleurepositionpourlefaire.

Mias’exécuta,alorsquechaquecentimètredesoncorpsrefusaitdeseséparerdelui.Elleréintégrale siège passager, attacha sa ceinture de sécurité et regarda rapidement l’endroit où ils étaient garés.Jenners’étaitarrêtédansunquartierrésidentielet larueétaitbordéedemaisonscoquettesauxjardinsbienentretenus.Unejoliejoggeuseblondeleurlançaunregardcurieuxenpassantprèsducamion.QuandellevitJenner,elleeutungrandsourireetfitunsignedelamain.JennerluirenditsonsalutetMiaseditquelesragotsallaientallerbontrain.Aprèstout,personneicinelaconnaissait.Pourl’instant,dumoins.

Mia prit une profonde inspiration, essayant de se préparer à ce qui allait suivre et qui n’allaitprobablementpasluiplaire.

—O.K.,dit-ellefinalement.Qu’avez-vousàmedire?Ilfronçalessourcils,nequittantpaslevolantdesyeux,probablementpourréunirsespensées.Mia

nepouvaits’empêcherdes’interrogersurcequisecachaitderrièrecettefaçadecalmeetposée.— Oubliez ce qui s’est passé ce matin, j’en prends l’entière responsabilité. Le fait est que je

n’aurais pas dû vous embrasser. Je ne suis pas… rien n’est possible entre vous etmoi,Mia. Je suisdésolé.Jesaisquejevousaidonnéunefausseimpression.J’aieutort.C’estentièrementmafaute.

Mia posa les yeux sur lui en essayant de ne pas se sentir blessée, alors que ses mots latransperçaientcommeautantdepoignards.Elleseditquec’étaitmieuxcommeça.Ilétaitbienplusfaciledegardersessecretspoursoiquandpersonnenes’yintéressait.Pourtant,êtrerejetée, laseulefoisoùelle s’était autorisée à lâcher prise, même partiellement, était bien plus douloureux qu’elle l’avaitimaginé.

—D’accord.Jevois.Etjevousremerciedevotrefranchise,ditMiaprudemment.Maisj’aimeraissavoirpourquoi.Cebaiser,c’étaitvraimentsidésagréable?

Elleavaitunpeupeurdesaréponsemaisvoulaitenavoirlecœurnet.Jennerpartitd’unpetitriresansjoie.—Non,non,croyez-moi,cen’estpasdutoutleproblème.Il lui lançaunregardsichaleureuxqu’elle lecrut.Ellesesentitmieuxmaisn’enrestapasmoins

perplexe.—Alorsquoi?Vousavezunecopine?Vousêtesmarié?Ellefaillits’étranglersurcettedernièrehypothèse.MaisJennersemblatrouvercetteidéehorrible

toutautantqu’elle,cequin’étaitpeut-êtrepasunesibonnechose,àlaréflexion.—Heu,non.Nil’unnil’autre.Etc’estjustementça,Mia.Jen’aipasenviequeçachange.J’aiune

positionimportantedanslameute.Dangereuse,aussi.Jepourchassedeschosesdontleshumainsignorentl’existence,deschosesprêtesàdétruiretoutcequemameuteaconstruitetmêmeplus.Cen’estpaslegenredeboulotquis’accommoded’uneviefamilialestable,alorsjepréfèrenepasmecompliquerleschoses.

Quandiltournalatêteverselle,sonregardétaitimpénétrable.—Deplus, j’ai eu une relation. Je ne tiens pas à vous en dire plus, parce que c’est fini depuis

longtemps.Maisvousdevezmecroiresurparolesijevousdisquejenesuispasfaitpourça.Certainsloupschoisissentdevivreseuls.C’estmoncas.

LasombredéterminationqueMialutsursonbeauvisagelafitfrissonner.Elledevinaitmaintenantceque faisaitun lunari.Peut-êtremême l’avait-ellesudepuis ledébut.Laconnexionentreeuxétait sifortequeMian’étaitpastellementétonnéequ’ilsaientcetypedelienaussi.Celaauraitdûlaréconforterque ledestin l’aitamenéeàrencontrerunhommequichassait leschosesquicherchaientà lui fairedumal.Carsespouvoirslarendaientvulnérable,attirantepourlescréaturesquirôdaientdanslesténèbresàla périphérie dumonde humain. Et lamorsure de Jeff avait ouvert une brèche à travers laquelle ceschosesavaientcommencéàmurmurer.

JennerfiniraitparcomprendrepourlesOmbres.Toutcommeilcomprendraitqu’elleétaitunparfaitvéhiculequileurpermettraitdedétruiretoutceàquoiiltenait.

Miaauraitmauditlecielsielleavaitpenséquecelapuissechangerquelquechose.Enfait,toutcequ’il lui restait à faire, c’était d’essayer de prendre les choses comme elles étaient.Epouvantables etimpossibles,commetoujours.Ellesoupiradoucementenserenfonçantdanssonsiège,tandisqueJennerdémarrait lecamionets’éloignaitdutrottoir.Connexionounon,çanemarcheraitpasentreeux.Jennern’étaitpas intéressé,oupassuffisammentpour franchirune limitequ’il s’était fixéebienavantqu’ellen’arrive.

Elleseditquec’étaitmieuxdelesavoir.Mêmesicen’étaitpasévidentpourl’instant.—J’endéduisquevousneserezpasimpliquédansmoninitiation,ditMia,s’étonnantelle-mêmede

sonaudace.Ce n’était pas son genre d’être aussi directe.Mais les événements récents ne lui laissaient pas

tellementdemargedemanœuvre.Maintenant,toutétaitimportant.Commeelles’yattendait,Jennersecoualatête.

—Ceneseraitpasunebonne idée.Nipourvousnipourmoi.Maisnevousen faitespas,dit-ildoucement.Celapeutsemblerembarrassant,maislasituationpourraitêtrepire.IlyatoutuncontingentdeSilverbackquivaarriverpournousaideràarrêterGaines.Vousnemanquerezpasdeprétendantset,croyez-moi,celuiquevouschoisirezsesentiratrèshonoré.

Son étonnement fit passer au second plan le sentiment d’étrangeté qui aurait pu naître de ce queJennerdisaitpourlaréconforter.

—Jepensaisquej’intégreraislameutedesBlackpaw.Jennernequittapaslaroutedesyeux.—Ehbien,étantdonnéqueGainesétaitunSilverback,techniquementilssontresponsablesdevous.

Maisvousétieziciquandleschosessesontpasséesetpersonnenevarienvousimposer.C’estàvousseulededécider.

C’étaitlogique.Maisaussiterriblementirritant.Mianetrouvarienàrépondreàcelaetchoisitdoncdes’enfermerdansunsilenceboudeur.

A elle de décider ? Tu parles ! Elle était victime du plus vieux des adages : «On ne peut pastoujoursavoircequ’onveut.»

Lasolution,biensûr,seraitdeneplusledésirer.Maispourcelailfaudraitqu’ellelevoiecommeun ami et non comme un amant potentiel et qu’elle trouve un autre loup-garou sur qui reporter sonattention.

Miaregardaitdistraitementlaroute.Lorsqu’ilss’engagèrentsurlaplacedeFerry’sHollow,elleselaissadétournerdesonapitoiementsurelle-mêmeparlabeautédusite,admirantlafaçondontmêmelesbâtimentsneufsavaientétéconçusdanslestyledesmaisonsanciennes,etsedemandantquelscharmantsbibelots elle pourrait trouver à acheter dans les petites boutiques. Même avec les vitres du pick-upfermées,ellesentait leseffluvesalléchantsde lacuisine familialeserviedans lesquelques restaurantsqui bordaient la place. La nouvelle acuité de son odorat, le matin même, n’était pas le fruit de sonimagination. Il était réellement plus sensible. Les gargouillis provenant de son estomac lui prouvaientqu’elleavaitraison.

Distraitement,ellesedemandasiendevenantloup-garouelleallaitprendredupoids.Elleespéraitbienquenon.

Jennersegaradansunespacelibrejusteenfaced’unrestaurantdevantlequels’étalaientdestablesenferforgé.Surlafaçadedurestaurant,onpouvaitliresurunepancarteauxcouleursvives«LePlacarddeJana».L’endroitétaittrèsanimé.

—Onyest,ditJenner.Aumomentdecouperlemoteur,ils’immobilisaetregardaMia.Ilétaitclairqu’ilvoulaitluidire

quelquechosemaispeinaitàtrouverlesmots.—Ecoutez.Nousnesommespaspartissurlebonpied,vousetmoi,dit-ilenfin.Seigneur ! Il allait s’excuser et elle n’allait pas le supporter.Comme elle l’avait soupçonné dès

qu’ill’avaitprisedanssesbraslaveille,etcemomentallaitleconfirmer,NickJenneravaituncœur.Etprobablementungrandcœur.Etmaintenantilallaitluiendonnerunenouvellepreuve,etlatorturersanslevouloir,puisquececœurluiétaitinterditpourtoujours.Qu’ilsoitinterditàtoutlemondenechangeaitrienàl’affaire.

Dansuneffortdésespérépourl’empêcherdeluirévélerquoiquecesoitquileferaitparaîtreencoreplustouchant,Mialevalamainpourl’arrêter.

—Nevousinquiétezpas,dit-elled’untonqu’elleespéraitconvaincant.Toutvabien.Considérezcecicommeunnouveaudépart.Lahachedeguerreestenterrée.

Ellehumal’airetlevalesyeuxauciel.—Hum…Desspaghettiscommeàlamaison,j’adore!ajouta-t-ellepourcloreladiscussion.MaisJennernesemblaitpastotalementconvaincu.

—Vousêtessûre?Non,ellen’étaitpassûre.Sacolèreétaitpassée,maisellen’étaitpassûredepouvoircontrôlerses

réactions envers lui. Il était difficile de croire qu’en un jour on puisse éprouver des sentiments plusprofondsquelesimpledésirsexuel.Etpourtantellenepouvaitpassedéfairedel’impressionqueJennerpouvait être beaucoupplus important que çapour elle, etmêmequ’il l’était déjà.Elle avait senti soncœurbattredanssespropresveines,elleavaitentendusonsangappelerlesien.

Alorsprends-le,murmuralavoixhorriblementséductricedanssatête,prendssonsangetrejoins-nous…

Intérieurement,elleeutunmouvementdedégoût.Ellene laissa rienparaîtreet affichaunsourirerassurant.

—Vousm’avezempêchéededéchiqueter lessiègesdevotrepick-up.Celasuffitàvousracheter.D’accord?

Illuisouritenretour.Maiscelanedurapas.Sonregarddevintgrave.—Jenesuispastrèsdoué,etilestvraisemblablequeceneserapasladernièrefoisquejevous

mettraiencolère,Mia.Maisunechoseestsûre, jevousprotégerai, jevousendonnemaparole.Jenevaispasvousmentir,Gainesestdangereux.

Ellehochalatêtelentement.—Jesais,dit-elle.—Maisjesuisencoreplusdangereux.A cet instant, elle vit que c’était vrai. Il lui dévoila la puissance brute, la faim et l’instinct qui

brillaient au fond de ses yeux rougeoyant comme des braises. Mais au lieu d’avoir peur, commelorsqu’elleavaitvucequisecachaitaufonddeJeff,Miaressentitunechosecomplètementinattendue:ledésiràl’étatbrut.

—Vousêtesensécuritéavecmoi,ditJenner tandisque la flammedanssesyeuxs’éteignaitpourlaisserplaceàcequipouvaitpasserpourunregardnormal.

—Çava?ajouta-t-il.—Çava,dit-elle.Maiscomme il seglissaithorsducamionavec lagrâceanimalequiaccompagnaitchacundeses

gestes,mêmelesplusordinaires,Miasentitquecelan’allaitpasdutout.Cettesensationn’avaitrienàvoiravecJeffGaines,maistoutaveccethommetaciturne,difficileettoutàfaithonorablequivenaitdejurerdelaprotéger.

Elleledésirait,follement.Etellecommençaitàcraindrequesondésirnefassed’ellel’animalleplusdangereuxdetous.

9

Jeff n’arrivait pas à la chasser de ses pensées, quand il arrivait à penser. Mais ces momentssemblaient s’espacer de plus en plus, entrecoupés de longues périodes grises où il avait la sensationvague de se déplacer d’un endroit à un autre, d’exécuter les actions de la vie quotidienne comme unautomate toutensedébattantcontreune faim terrible, inextinguiblequimenaçaitdeplusenplusde leconsumer.

Dans ses raresmoments de lucidité, Jeff se disait qu’il avait été fou d’accepter le pacte que lesOmbres lui avaient proposé. Mais il était beaucoup trop tard pour revenir en arrière. Tout ce qu’ilpouvait espérer, c’était que les Ombres honorent leur part du marché… et que le sang de Mia soitvéritablement la clé de tout ce qu’il avait toujours désiré. C’était dommage qu’il doive la tuer pourl’obtenir.Mais,aupointoùilenétait,ilavaitlaissédanssonsillageassezdecadavrespourquecelanefasse guère de différence. Et il ne pouvait plus maintenant se permettre d’écouter sa conscience, àsupposerqu’ilenaitencoreune.

JeffGainesétaitrouléenboulesurunmatelascrasseux,couvertdesueuretfrissonnantdefièvre.Ilnepensaitqu’àunechose,récupérerMia.Çaetexterminerlesloupsquiavaientoséposerlamainsurelle,qui lui avaientpriscequi lui appartenait.Toutauraitdûêtre fini,maintenant.Toutcequ’il avaittraversé,toutcequ’ilavaitencoreàtraverser;etlaclédetoutçan’étaitplusensapossession.

Ilavaittoutfaitrater.Delamêmefaçonqu’ilrataittoujourstoutcequ’ilentreprenait.Imbécile,murmuraitdanssatête lavoixfamilièrevenuedupassé.Incapable.Nul.Est-cequeça

t’étonne?Jefffermalesyeuxetseforçaàfairetairelavoix.Sonpère,cevieuxsalopard,étaitmortdepuis

cinqansmaintenant.Maissavoix, lavoixde toutes lespeurs lesplusprofondesdeJeff,de toutessesdéceptions, était toujours là, honnie et inflexible. La bonne nouvelle, c’était quemaintenant elle avaittendanceànesemanifesterquequandilétaittrèsdéprimé,quandilavaitdumalàsecontrôler.

Lamauvaisenouvelleétaitquecettesemaineétaitunedesplusimportantesdesavieetquelavoixde baryton de son père venait claironner sa désapprobation juste à ce moment-là. Il fallait qu’il sereprenne,etvite,sinonleschosesallaientmaltourner.

—Toutvabien,Jeff?PeteBurns,unanciendétenudontlapaletted’actionsviolentespoursonproprecompteavaitattiré

l’attentiondeJeffunpeuplusd’unanauparavant,avaitentrouvertlaportedelachambreetleregardaitd’unairinquiet.

—Jesuismalade,grognaJeff.Probablementquelquechosequej’aimangé.Ilfautquejedorme.Çavapasser.

LasimplementiondemaladiesuffisaitàfairefuirPete.

— Fais comme ça, dit-il avant de disparaître en refermant la porte derrière lui, au grandsoulagementdeJeff.

Maiscelan’allaitpasdurer.Burnset lesquatreautresqu’ilavaitrecrutéscampaient tousdanslacabane, maintenant, attendant les ordres avec impatience. On leur avait fait miroiter une forcesurnaturelle,unpouvoirhorsducommun…etJeffsavaitques’il tardaità lessatisfaire ilyauraitdesproblèmes.Ilsn’étaientpasdesadversairesàsahauteur,biensûr.Pourl’instant.Maiss’illestuaitilyavaitdeplusenplusderisquesqu’illaissedestraces.Qu’iloubliequelquechosed’important.Bonsang,quiessayait-ildetromper?Cesdernierstemps,cen’étaientmêmeplusdesrisquesmaisuneprobabilité.Il n’avait pas besoin d’être en plus recherché par la police. Il avait fait trop d’écarts ces dernièresannées.Lapolicepourraitbienfairelerapprochement.

Mêmeavantqu’ilnerencontreunefemmeassezstupidepourletransformerenunedecesbêtesquilefascinaientdepuissonenfance,ilyavaitunanimalenluiquifaisaittoutpoursortir.LesOmbres,elles,l’avaientdécouvert.Ellesétaientdevenueslescompagnesdetouslesinstantsdesesnombreusesbaladessolitairesenforêt.Cajoleusesetespièglesaudébut,ellesétaientdevenuesdeplusenplusexigeantesàmesure qu’il grandissait. Elles lui avaient indiqué où trouver la garceSilverback et comment se faireplaisir.Ellesluiavaientditaussiàquelmomentyaller.

Avantdes’introduireauseindelameutedesSilverback,oùsonargentetsonmilieusociall’avaientfait accepter instantanément, il n’avait pas imaginé à quel point ces loups-garous modernes étaientdifférentsdel’imagequ’ilenavait.Siprudents.Siinquietsàl’idéed’êtredécouverts,alorsquec’étaientleshumainsquiauraientdûavoirpeurd’eux.LesOmbresavaient raison, sur toute la ligne. Ilpouvaitaider à les faire retourner dans les ténèbres, vers le chaos dans lequel les loups avaient prospéréautrefois. Et en retour sa propre âme serait libérée, transformée de nouveau, pour renaître dans unbaptêmedesang.

Enfin, s’il arrivait à tenir assez longtemps pour reprendre Mia à ces idiots de Blackpaw. LesSilverbackcommençaientàsejoindreàeux,maisilsl’inquiétaientmoins.Tomasétaituncheffaibleetinefficacequinesavaitpassefairerespecter.C’estàcausedeçaqueJeffseretrouvaitlà.Ilavaiteutortdepartir comme il l’avait fait,mais il avait réussi à se retenird’égorger sonaînédevant ses flatteursserviles,sachantqu’iln’encourraitquelebannissement.Mais,siTomasledéfiaitenuncombatsingulier,lechefdesSilverbackauraitunesurprisedésagréable.

LesSilverback.Enrevoyantleursvisages,enrepensantàlacomédiedel’amitiéqu’ilavaitdûjoueraveceux,Jeff

se plantait les griffes dans lesmains en se recroquevillant sur lui-même.LesSilverback étaient, dansl’ensemble,mousetparesseux.Ilssecroyaienttoutpermisàcausedeleurlignage.Jeff,quiavaitvécudansunéquivalenthumaindeleurmonde,savaitdequoiilparlait.Cequin’étaitpasvraidesBlackpaw.Iln’auraitpaspuplusmaltomberquedeseretrouverchezeux.Pendantlepeudetempsqu’ilavaitpasséavec lesSilverback, il n’avait pas prêté attention aux frontières territoriales, auxdomaines des autresmeutesdeloups.Ilpensaitqu’ilétaitprotégé,iln’avaitpasimaginéça.

Laportedelachambres’ouvritsibrusquementqu’ellecognacontrelemur,etunhommeminceàl’airaffaméentraprécipitamment,levisagerougedefatigueetd’excitation.

—Jesaisoùelleest!Jeffneréfléchitpas.N’obéissantqu’àsoninstinct,ilsedressad’unbonddevantlenouveauvenu,

l’agrippaparlecoldesachemiseetplantasonregarddanslesien,avantquel’hommen’aiteuletempsdedireouf.

—Oùça?grondaJeff.Oùest-elle?SyWicks se balançait, impuissant, au bout des bras de Jeff, les yeux écarquillés. Jeff se rendit

compte un peu tard qu’une réaction aussi violente pouvait être contre-productive.Mais, après tout, ilsavaitparexpériencequ’unmomentdepeurpouvaitavoirdeseffetsàlongterme.

—Je l’ai aperçue en ville, dans un camion… conduit par unmec costaud, qui n’avait pas l’aircommode.Ung…garde.Ilssontallésdîneretaprèsilssontrepartis.Jelesaisuivis.Elle…elleest…chezlui.Al’extérieurdelaville,danslaforêt.Elledoithabiterlà.

Syavaitparléd’untonsaccadé,sansreprendresonsouffle.Quandilsetut,ilregardaJeffd’unairsuppliant. Refrénant son envie de l’envoyer valser à l’autre bout de la pièce, Jeff le lâcha. Pas deviolence.Pasencore.Etpasavantqu’iln’aitenfacedeluilabonnecible.

Iln’avaitplusdroitàl’erreur.—Unseulgarde,dit-il,unsourirecruelsurlevisage.Sy recula d’un pas, sous le regard inquiet de Pete. Jeff n’en avait cure. Un garde seulement ?

Pathétique. Il ne serait pas difficile de reprendreMia. Il fallait qu’elle soit à lui. Il l’avait su dès lemoment où il l’avait vue. Il avait senti la magie qui émanait d’elle. Elle était trop stupide pourcomprendrelepouvoirqu’ellepossédait,maiscettestupiditéserviraitsesdesseins.Mialuiseraitutile,qu’elleserendecompteounondelavéritableportéedesondon,despossibilitésinhérentesàcequ’ilavaitfaitd’elle,mêmesicelanedevaitdurerqu’uncourtlapsdetemps.Jeffressentitunpincementaucœur,inattendu,enrevoyantsonvisage,sibeau,siauthentique.L’intérêtqu’elleéprouvaitpourluiétaitquelque chose qu’il n’avait que rarement rencontré. Troublé, il repoussa cette pensée. Eprouver dessentimentspourunefemmedontlaseuleutilitéétaitd’êtreunoutilseraitunebienmauvaiseidée.

Ceseraitdutravailbâclé.Il ne pouvait supporter le travail bâclé. S’il y avait une chose que son salaud de père lui avait

léguée,c’étaitlegoûtdutravailméticuleux.Biensûr,levieuxn’avaitjamaistravaillélui-même.Ilavaithéritédelafortunefamilialeetavaitpassésavieàfairesavoiraumondequeriennipersonne,neseraitjamaisàlahauteurdesesexigences.

Alasimpleévocationdesonpère,unedouleuraiguëluivrillalatempe.Jeffgrimaçaetdutlutterpournepastrébucher.Ilavaitbesoindeseretrouverseul,danslenoir.PourentendrelesvoixapaisantesdesOmbres…sesamies.

—C’estunebonnenouvelle,maisonnepeut rien faire avant le coucherdu soleil.D’ici là, j’aibesoindemereposer,dit-il.Lesdeuxderniersjoursontétééprouvantset…jenemesenspasdansmonassiette.Quandjemelèverai,nousparleronsstratégie.

Il nemanqua pas de remarquer le regard qu’échangèrent Sy et Pete. Il connaissait ce regard. Ill’avaitvusurbeaucoupdevisagesaucoursdesavie,desamis,desprofesseurs, sespropresparents,avantd’apprendreàdissimulerlemalquilerongeait.Maisiln’yenavaitpluspourlongtemps.Bientôtilseraitguéri.

Finalement,ildevenaitmaîtredesondestin.

10

—Prendsça,espècedebâtard!Miasourit,appuyasurunboutonetregardasurl’écransonavatar,unepetiteguerrièreeffrontéequi

portait une épée aussi grande qu’elle, explosant un ennemi félon en tournoyant avec grâce.Mais soneuphorie futdecourtedurée.Sur lemoment,elleavaitété raviededécouvrirqueJennerpossédaitunexemplaire du Royaume d’Amalur, planqué derrière des jeux de sports, mais rien ne parvenait à ladistrairebien longtempsde sa situationprésente.Elleétaitdansunemaison inconnue, sonavenir étaitincertain…etellejouaitàunjeuvidéo.

Çal’occupaitmaiscen’étaitpastrèsproductifmêmesielleexplosaitdesméchants.Biensûr,ellenevoyaitpasquoi faired’autre,puisque son soi-disantprotecteur avait disparu sans explications,unefoisdeplus.

Miaéteignitlatélévisionetsedirigeaverslabaievitréepourregarderdehors,sedemandantcequeJennerpouvaitbienfabriquerdanssongarage.Entoutcas,çadevaitêtrepassionnant.Ilyétaitdepuisledébutdelamatinée.

Il avait tenu parole pour ce qui était d’assurer sa sécurité.Un coup de téléphone rapide àBanedepuis le restaurant lui avait permis d’éviter la séance de communicationmentale avec Jeff qui étaitprévuepour laveille au soir.Après cequi s’étaitpassédans le camion, Jenner avaitpensé, à raison,qu’elle avait son compte pour la soirée, même si elle ne voulait pas l’admettre. De toute façon, ilsemblaitquel’arrivéedesSilverbackcausaitàBaneassezdesoucicommeça.

Donc elle avait passé une agréable soirée en remplacement de la soirée éprouvante qu’elleredoutait.MaisJenneravaitaussitenuparoledansunautredomaineimportant,iln’avaitpasessayédelatoucher.

Or, plus il se tenait éloignéd’elle, plus elle regrettait qu’il le fasse.Et tous les ennemisvirtuelsqu’ellemassacraitn’ychangeaientrien.

Miasemitàarpenterlapièceentripotantsontéléphone,quidemeuraitobstinémentsilencieux.Lesquelques amis qu’elle avait admis dans son intimité pensaient qu’elle était partie pour un week-endromantique, et elle était entredeuxboulotspour lemoment,doncpersonnene risquaitd’essayerde lajoindre.Elleattendraitlelendemainmatinpourappelerendisantqu’elleétaitmalade,siellevoulaitquecesoitàpeuprèscrédible.Auboutd’unmoment,elleregardal’appareiletl’éteignitcomplètement.Elleconsulteraitsesmessagesplustard.Ensupposantqu’elleenait.

Elle le laissa tomber sur le plan de travail et, n’y tenant plus, saisit son blouson et sortit enl’enfilant.Une fois dehors, elle fut éblouie par le soleil de ce début d’après-midi.C’était si agréablequ’elleremerciasilencieusementledestind’avoirétémordueparunloup-garouetnonparunvampire.Elleaimaitleclairdelunemaisriennevalaitlesoleilpourluiremonterlemoral.

L’airétaitfraisetodorant,etMiafutsaisiedenouveauparlabeautédupaysage.Ellen’avaitpasdesouvenirdesonarrivéelevendredisoir,detoutemanière,ilfaisaitnuit.Maisenrentrantaprèsdîner,laveille,elleavaitbienregardélapropriété.Ellereculasuffisammentpouravoirunevuepanoramiquedelagrandemaisondedeuxétages.C’étaituneconstructionderondins,destylechalet,avecuntoitenpenteetungrandporchesurledevant.Lapelousequiymenaitétaitbienentretenue,etilyavaitdeuxgrandspots de chrysanthèmes au pied des marches, ce qui l’avait fait sourire en sortant la veille. Difficiled’imaginerque Jenner s’intéressait aux fleurs,mais il y avait suffisammentdeplantationsautourde lamaisonpouravoirdebonnesraisonsdepenserqu’illefaisait.

Avecunélanverslui,quipourunefois,n’avaitrienàvoiraveclesexe,Miaseditqu’ils’étaitbâtiunfoyer.C’étaitunechosequ’elleavaitrecherchéedepuisqu’elleavaitfuilamaisondesonenfance.Etpasn’importequelfoyer.Lesendroitsdontelleavaitrêvéétaientsisemblablesàcelui-ciquecela luidonnaitlachairdepoule.

Ensoupirant,Miafitletourdelamaisonetsedirigeaverslegarage,ungrandbâtimentisolépeintd’unvertfoncéquirappelaitlacouleurdelaforêt.L’extérieurétaitaussiirréprochablequelerestedelapropriétéetelleseditqueceladevaitêtrelamêmechoseàl’intérieur.Enyréfléchissant,lamaisontoutentièreétaitétonnammentbienrangéepourunemaisondecélibataire.

Miasouritenpensantqu’elleavaitaffaireàunloup-garouquiétaitnonseulementunjardinier,maisaussiunmaniaquedu rangement.Si c’était le cas, il sepouvaitbienqu’il lamette à laporte avant lapleinelune.Ellen’étaitpasparticulièrementdésordonnéeelle-même,maiselleaimaitprendresesaises.

Elleentraparunepetiteportesur lecôtéet futaccueilliepar lamusiquedeGunsandRosesquirésonnaitdanstoutelapièce.Unefoisàl’intérieur,ellerefermalaporteetregardaautourd’elle.Commeellel’avaitprévu,toutétaitimpeccable.Lesolétaitrecouvertd’unecouchedepeintureprotectrice.Lesoutilsétaientaccrochéssuruneplancheaumur,lesétablis,parfaitementrangés.Mêmecequiétaitsortietqu’ilutilisaitsemblaitêtredisposédefaçonorganisée.Ellen’enrevenaitpasqu’unduràcuirecommeJennersoitaussiméticuleuxavecsesaffaires.Enmêmetemps,ilavaitl’airdeprendresoindeschosesquiétaientimportantespourlui.

Miaavança,lesyeuxrivéssurlascènequioccupaitlecentredugarage.Ilyavaitunebellevoituredecollection,puissante,noireavecdesbandesblanches.Jennerétaitpenchésouslecapot.Lavuedesoncorpsmoulédanssonjeanluidonnainstantanémentdesidées.

Cen’étaitvraimentpaslemomentd’avoirenviedelui.Maisellenepouvaitpass’empêcherdeletrouverterriblement…sexy.

Ellefuttentéedesefaufilerderrièreluietdel’entourerdesesbras.Heureusement,elleréussitàseretenirets’approchad’unpasléger.Ellesepenchapourvoircequ’ilfaisait.Ilétaittotalementabsorbépar ce qui semblait consister à visser une pièce demétal sur une autre. Elle n’y connaissait rien enmécaniqueetnefaisaitpasladifférenceentreunepièceetuneautre.Maislavoitureétaittrèsbelle.

—Salut,dit-elle.Qu’est-cequevousfaites?Jennertournabrusquementlatêteetlaissatomberlacléqu’iltenaitàlamain.Iljuraetseredressa.—Hum.Salut,dit-il.Mia sourit, à la fois parce qu’elle le trouvait tropmignon comme ça, tout couvert de graisse, et

parce que cela semblait le rendre nerveux de la voir apparaître dans ce lieu qu’il considéraitprobablementcommesondomaineprivé.Elleavaitfaitquelquesdécouvertesàsonsujetdepuislaveille.Ouplusexactementdepuisqu’elleavait failli se transformeren loupdans soncamion.Malgré sonairbourru,ilétaitcapabled’unegrandedouceur.Eninsistantunpeu,elleavaitmêmeréussiàlefaireparlerpendantledîner.Illuiavaitdécritlavilleetl’avaitprésentéeàd’autrespersonnesquidînaientlàetquisemblaientêtredesesamis.

Elleneconnaissaitpasencoregrand-chosedelui.Maislemomentsemblaitpropiceàessayerd’ensavoirplus.

—C’estàvous,cettevoiture?demanda-t-elle.Elleestbienplusbellequevotrecamion.Jennersourit.—Lecamion,c’estutilitaire.Ça,c’estuneœuvred’art.Miaenfitletourlentement,regardantl’intérieurdecuirnoir,leschromesétincelants.—Eneffet.C’estuneChevrolet?LesyeuxdeJennerbrillèrentdeplaisir.—Ouais.UneChevelle70SS306.Vousvousyconnaissezenvoitures?Envoyantsonenthousiasmeenfantin,elleregrettaquecenesoitpaslecas.—Pasdutout,avoua-t-elle.Jel’ailusurlepare-chocs.Maiscelaneveutpasdirequejenesais

pasreconnaîtreunebellevoiture.—Vousêtesunefemmedegoût,alors,répliquaJenner.IlluisouritenlaregardantetMiasentitcesliensinvisiblesquiexistaiententreeuxetquil’attiraient

verslui.Lesilencequisuivitn’étaitpasembarrassantmaisilétaitchargéd’unetensioncertaine.Commechaquefoisqu’ilss’approchaient l’unde l’autre.C’étaitbien lapremière foisqu’elleétaitexcitéeparuneodeurd’huiledemoteur.

—Qu’est-cequ’ilya?demanda-t-il.Vousvoulezquelquechose?Vousn’imaginezpasàquelpoint,pensaMia.— Jemedemandais juste ce que vous faisiez, ditMia en haussant les épaules.Votremaison est

super, mais je commençais à tourner en rond. J’ai joué au Royaume d’Amalur sur votre Playstationpendantenvironuneheure,maisjeconnaissaisdéjàlejeuetj’aigagnétroisfois,alors…cen’estplusaussiamusant.

Jennerhaussalessourcils.—Jel’aiencore?Jecroyaisl’avoirfichuenl’air.Mia hocha la tête et s’appuya contre la voiture. Elle nemanqua pas de remarquer la façon dont

Jennerlaregardait.Elleenfutflattée.Combiendefoiss’était-ellevraimentsentiebelledansleregardd’unhomme?

—Heu,ehbien,jesuisraviqueçafasseplaisiràquelqu’un.Moi,çan’estvraimentpasmontruc.Jennerfarfouillasouslecapotetressortitlacléqu’ilavaitlaisséetomber.Puisilallalaraccrocher

à saplace sur lemuret s’essuya lesmains surune serviettequine retrouveraitvisiblement jamais sablancheurinitiale.

IlrevintversMiaetluifitsignedereculeravantderefermerlecapotdelavoiture.—Vousavezappelévotrefamille?Aucasoùilss’inquiéteraient.Malàl’aise,Miahaussalesépaules.—J’aiétéélevéeparmagrand-mère.Maisellen’estpluslà.Jen’aipasd’autrefamille.Ellen’avaitpasl’intentiondesefaireplaindre,ellesecontentaitdedirecequiétait.LorsqueMia

avait quitté la maison, Ada en avait fait autant. Elle avait fait ses bagages et avait disparu de lacirculation.Saresponsabilitéenverssapetitefille,quiétaitleseulsentimentqu’elleaitjamaisressentipourelle,étaitterminée.Adaétaitpeut-êtretoujoursvivante,peut-êtrepas.MaiselleétaitpartieetMian’avaitaucuneenviedelaretrouver.Lavéritén’étaitplusaussidouloureusequeparlepassé,maiscelasemblaitpitoyablelorsquec’étaitditàvoixhaute.Pourtant,iln’yavaitaucuneraisondelecacher.EllefutétonnéequeJennersecontentedehausserlesépaules.

—Jesuisdésolé,maisc’estpeut-êtremieuxcommeça.Moi,jen’aiplusquemonpère,enfin,enprincipe,maisjeneluiaijamaisditcequejesuis.C’estaussibien,pourluicommepourmoi.

—Vousavezperduvotremère?Jesuisdésolée.ditMia,regrettantaussitôtsesparoles.LesyeuxdeJenners’assombrirentetildétournaleregard.—Iln’yapasde raison. J’ignore si elleestvivanteoumorte, et jem’enmoque.Elleestpartie

lorsquej’étaisencoreunenfant.Monpèreestassezsympamaisilafiniparrencontrerquelqu’unetila

eud’autresenfants.J’aitoujoursétéplusoumoinsunintrus.IlsouritmaisMiavitlatristessederrièrelesourire.—Lefaitdedevenirunloup-garoum’adonnéuneraisonsupplémentaired’êtreàpart.Jeneleuren

veuxpas.C’estjustequ’ilsnesavaientpasquoifairedemoi.Ilsn’ontjamaissu.Ilhaussa lesépaulesdenouveauet, semblants’apercevoirqu’ilavaitprononcéplusieursphrases

entièresàproposdelui-même,ilclôturalesujetparunsourireespièglequifitfondreMia.—Ici,aumoins,personnenerisquedemetraitercommeunanimaldomestique.CelafitrireMia.Pourtant,lepeuqueJennerluiavaitrévélélalaissaitsongeuse.Unemèreabsente

etunpèreindifférent…et,malgrétout,Jennersemblaits’enêtrebiensorti.Çaendisaitlongsursaforcedecaractère.

Super…unautreaspectdesapersonnalitéquil’attirait.Agacéeparsonincapacitéàsurmontercettestupideattirance,Miaessayadechangerdesujetdeconversation.

—Commeça,vouspensiezavoirjetéLeRoyaumed’Amalur?Pourtantiln’estsortiqu’ilyaunmois.

—Oh ! dit-il, avec un sourire qui cette fois était plusmodeste qu’espiègle. Eh bien, vous avezprobablementremarquéquecen’estpaslegenredetrucsquim’intéressenthabituellement.Enfait,s’iln’y a ni poursuites de voitures, ni zombies, ni armes à feu, je suis complètement nul. Ça m’a suffi.Commentavez-vousfaitpourgagnertroisfois?

Miasourit.—Unecombinaisonmortelledefolieetd’addictionàl’informatique.Sivousvousennuyezunjour,

jevousmontreraicommentsurvivreàchaqueétapeoùvousbloquez.—Ceneserapaslapeine.Jem’entiendraiauxzombies.Ilmarquaunepauseetl’observaavecintensité.—Voussavez, reprit-il, jenevousaurais jamais imaginéeenconceptricedesites internet,accro

auxjeuxvidéo.Peut-êtretoutsimplementparcequejen’enavaisjamaisrencontréauparavant.Sont-ellestoutesaussijoliesquevous?

Lecompliment,queJennersemblaimmédiatementembarrasséd’avoirprononcé,larenditnerveuse.Lefaitqu’ilsemblelui-mêmesurprisdesonaudacelerendaitencoreplusattendrissant.Elleserendaitbiencomptequec’étaitfutiled’êtreflattéequ’illatrouvejolie…maisquefaired’autre?Espérerqu’ilsoitattiréparsaconversationspirituelleetsescompétencessupérieuresenmatièredejeuxvidéo?Enfait,c’étaitbiencequ’elleespérait…maisellevoulaitqu’iléprouvedudésiranimalenplus.

—Biensûr, répondit-ellesanssourire.Mais ilestdifficiledenous trouverailleursquedansdessallesobscureséclairéesseulementpardesécrans.

Il la regarda avec attention comme s’il venait de trouver un spécimen d’une espèce inconnue etfascinante.Mia se sentit rougir. Elle avait passé ses années d’école à n’être que la gamine originale,superdouéeeninformatique,suffisammentjoliepourquecelaparaissebizarreetdontlescentresd’intérêtétaientbientropexcentriquespourqu’onaitenviedesortiravecelle.Sonéducationhorsducommunetsapeur constantequ’ondécouvrequ’elle était réellementdifférenten’avaientpas aidé.A l’université,elles’était faitquelquesamisqui lui ressemblaient,elleavaitmûrietapprisàs’accepter,etsavieenavaitététransformée.Pourtant,elleconservaittoujoursquelquescomplexes,surtoutencequiconcernaitsonrapportauxhommes.

Troublée,elleessayaderamenerlaconversationsurunterrainplusconfortable.Illatrouvaitpeut-êtrecool,maiscelachangeraits’illavoyaitsursonlieudetravail.

—Donc,sij’aibiencompris,vousêtesmécanicien.Ilavaittropd’outilsapparemmentperfectionnéspourquecenesoitqu’unsimplepasse-temps.Etil

avaitparléd’uneboutiqueplusieursfoisenpassant, laveilleausoir,sanstoutefoispréciserdequoiils’agissait.Celasemblaitplusclairmaintenant…mêmesielledevaitreconnaîtrequ’elleavaitétéaussi

surpriseparsaprofessionqu’ill’étaitparlasienne.Ilneluiavaitpasparuêtreunfondudevoitures,etelleenavaitconnuquelques-uns.Maisilavaitl’airàsonaffaire,penchésurlemoteurdesafabuleuseauto.

SaquestionsemblaramenerJenneràlaréalité.—Eneffet.Çasevoittantqueça?répondit-ilenregardantsesmainsmaculéesdegraisse.L’innocencedesonexpressionétaitdésarmante.Miasemitàrireetilenfitautant.Lachaleurdecerirepartagépersistaaprèsqu’ilseurentreprisleursérieux.—Jepossèdelegarageetlaboutiquedepiècesdétachéesenville,expliquaJenner.Mialeregardaavecintérêt.—Jenesaispascequej’avaisimaginé,maispasçaentoutcas.—Oh?Etpourquoipas?Il semblait inquiet et Mia se demanda s’il craignait qu’elle ne soit déçue. Elle corrigea le tir

immédiatement.— Vos jeux vidéo sont rangés par ordre alphabétique, expliqua-t-elle, et vos parquets sont

impeccables.Çanecorrespondpasàl’idéequejemefaisaisd’untypequiaimesesalirlesmainssouslecapotd’unevoiture.

Jennersedétendit.—Croyez-moi,ilfautêtreméticuleuxpourtravaillersouslecapotd’unevoiture.Avantdevenirà

Ferry’sHollow, jen’aurais jamais imaginéque jegagneraismaviecommeça.Mais rentrons, jevousraconteraitoutça,siçavousintéresse.

Miahochalatêteetleregardafinirsesrangementsetéteindreleslampes.LaChevroletbrillaitdanslapénombre.

—Elleestvraimentbelle,dit-elle.Est-cequ’elleroule?—Je vous remercie.Oui, plus oumoins, dit Jenner en se dirigeant vers la sortie. Je la restaure

depuisplusieursannées.Petitàpetit.J’aipratiquementterminé.—Vousm’emmènerezfaireuntourquandelleserafinie?ditMia.Quoiqu’ilarrive,jel’exige.Elle

esttropbien.—Onverra,ditJenner.Sonsourires’effaçaetMiasedemandapourquoi.Maisilserepritaussitôtetsortitdugaragedevant

elle.Il fermalaporteàclésansdireunmotetMiasedemandas’ilavaitépuisésonquotadeparolespourlajournée.Ellefutdoncétonnéelorsqu’ilrepritlaconversation.

—Oùenétions-nous?Ahoui,lamécanique.Ehbien,j’aitoujoursaimédémonterdesobjetspourlesremonterensuite.J’adoraislescoursdetechnoàl’école,etcommeçam’intéressaitj’aiprisquelquescoursdemécaniqueautoaulycéetechnique.Maisc’étaitsurtoutunpasse-temps.Jemesuissentiobligédepréparerlediplômedecommercequifaisaitsiplaisiràmonpère.Enfait,sijevoulaisqu’ilmepayemesétudes,jen’avaispaslechoix.Etpuis,j’étaissicasse-piedsquandj’étaisadoquejemesuisditquejeluidevaisbiença.

—Oùavez-vousfaitvosétudes?—A l’Université de Pennsylvanie. J’ai opté pour un double cursus économie et commerce. J’ai

trouvé un superboulot très vite, ce qui a contribué à rendre mon banquier très heureux et moi trèsmalheureux.Parfois,jefaisaisdespetitesviréesàlacampagnependantleweek-endpourmechangerlesidées,etc’estcommeçaquej’aiatterriici.

Mia sourit en essayant de se représenter ce grand gaillard de Jenner en costume cravate. Non,décidément,celaneluiallaitpasdutout.

—Jepeuxvousdemandercequivousaamenéàvousyinstaller?C’estunbelendroit,biensûr,maisc’estunpeu…loindetout.

Jennerfitunepetitegrimace.—Disons que c’est ma voiture qui a décidé pour moi. Une vieille Camaro que je restaurais à

l’époque. Très sympa, mais pas fiable pour un sou. Déjà en ce temps-là je préférais bricoler qued’acheterdesvoituressurlesquellesiln’yavaitrienàfaire.Ellem’alâchéunjourici,elleestrestéeenpanneaugaragetenuparletypeleplusvieuxquej’aiejamaisvu.Iltravaillaitàsonrythme,quin’étaitpascequ’onpourraitappelereffréné.

Sceptique,MiainclinalatêtesurlecôtéenpassantdevantJenner,quitenaitlaporteouverte.—Hum.Etçaluiapristellementlongtempsquevousavezdécidédeneplusrepartir?Illaregardad’unairamusé.—Enfait,pasexactement.Miafitunegrimace.—Unefille?—Non,ungars.Miaeutunpetitrire,raviedel’humeurlégèredeJenner.Ilavaiteul’airsisombredepuisqu’elle

l’avaitrencontréqu’elleétaitcontentequ’ilsemontresousunautrejour.—Racontez-moiça,dit-elle.—C’étaitlegaragiste.Ils’appelaitJimGibbons.Toutvieux,etlentcommepaspossible,maisila

étéunexcellentprofesseurquandilenaeuassezdemevoirtournerautourdeluienrâlantàproposdemavoiture.

Jennersouritenyrepensant.Ilallaauréfrigérateur,pritunsodapourluietluientenditun.Miafutsurprisedevoirqu’ilsesouvenaitdesespréférences.

—Merci,dit-elle,sesentantcommeuneadolescenteamoureuse.Jennerhochalatêteetpoursuivit.—Jimasuquej’étaischezmoiiciavantquejenelesachemoi-même.Jeneluiaijamaisdemandé

de m’embaucher. C’est lui qui me l’a proposé quand il a vu que mes vacances impromptuess’éternisaient.Ilm’aappristoutcequejesais.Etcommeletravailmeplaisait,j’aicontinué.Maintenantlegaragem’appartient.

L’histoireplaisaitàMia,maisellesavaitqu’ellecontenaitdestrous…parexempleausujetdelafemmequil’avaitinitié.LaversiondeJennerétaitbeaucouptropsimple.Miaétaitsûrequ’ilyavaiteuunefemme.Jennerétaittombéamoureuxd’uneBlackpaw.Etelleluiavaitfaittantdemalqu’ilnevoulaitplus s’y risquer de nouveau. Cette pensée provoqua chezMia une bouffée de jalousie aussi violentequ’inattendue.

—Ilvittoujoursici?demanda-t-elle,pluspourrepousserlaquestionquiluibrûlaitleslèvresqueparréelintérêt.

Mêmes’iln’auraitpasétéinintéressantderencontrerunhommequiavaitvisiblementcomptépourJenner.

—Ilyaquelquesannées,safemmeet luiontentassé toutes leursaffairesdansun4x4et ilssontpartisdans l’Ouest, répondit Jenner enprenantunegorgéede soda. Ilm’avendu sonaffaire et je l’aidéveloppée.Parexemple,nousrestauronsdesvoituresanciennes,enplusdenotreactivitéprincipale,etc’estprobablementcequejepréfère.Parfoisjemedisquejepourraisencorem’agrandir,bienquenoussoyonsdansunepetiteville.Onfaitdubonboulotetlesclientssepassentlemot.J’aileprojetde…

Cettefoisencore,ils’arrêtanetjusteaumomentoùMiacommençaitàsesentiràl’aisedanscetteconversation.Ilétaitclairqu’ilnevoulaitpasqu’ilsdeviennent tropintimes.Mais il l’avaitprévenue,elledevaitbienlereconnaître.

—Excusez-moi,c’estsansintérêt.Jevousennuie,dit-ilavecunpetitgestedelamain.Maisvoilà,voussavezcommentjesuispasséduparfaitabrutiencostumecravateauloup-garoumécanicien.

—Etlunari,ajoutaMia.

Elle vit la réactiondeméfiance sur sonvisagemais cela ne l’arrêta pas.Elle voulait, elle avaitbesoindeconnaîtrecettepartiedesavie.

—Quefaitunlunari,exactement?Al’évidence,c’estunposteimportant.Vousavezditquevouschassiez?

Jenners’agita,malàl’aise.—Jeprotègelameute.Jetraquelescréaturesquinouschassent.C’estaussisimplequeça.Miahésita.—Etsices…créaturesquevouschassez…avaientquelquechoseàvoiravecJeff?Maprésence

ici pourrait représenter unemenace pour votremeute. Je ne voudrais pas que quelqu’un soit blessé àcausedemoi.

Jennerlaregardaavecattention.—Qu’est-ce qui vous fait croire une chose pareille ?Nous sommes capables de nous défendre

contrelesOmbres.Lemot,enfinprononcé,emplitMiad’unmélangecurieuxdesoulagementetdecrainte.Ilconnaissait

mêmeleurvrainom: lesOmbres.Cequivoulaitdirequ’ilsauraitcequ’elleétait,elleaussi.Elle futtentée de lui révéler… tout. Son envie de partager cet aspect de sa personnalité avec lui allait àl’encontredesoninstinct,maisledésirqu’illuiinspiraitétaitplusfortquetout.

Lefaitd’enprendreconsciencel’empêchadeparler.Pourlapremièrefoisdepuisdesannées,elledonnaitcoursàsonbesoindequelqu’un.Orcethommeneluiavaitpascachéqu’iln’avaitpasl’intentiond’entamerunerelationavecelle.

Ellenepouvaitpasallerplusloin,maisellenesavaitpascomments’arrêter.L’expressiondeJennermontraitbienqu’illuienavaitditplusqu’ilnevoulaitetMias’efforçade

revenir à leur conversation. Ses sentiments ne regardaient qu’elle. Pourtant, c’est d’une drôle de voixqu’ellepoursuivit.

— Les Ombres. Des créatures surnaturelles qui chassent d’autres créatures surnaturelles, jesuppose?Çaparaîtlogique.

—Vousn’avezpasl’airtellementétonnée,ditJennerlentement.Mia,s’ilyaautrechosequejedoissavoiràproposdecequis’estpasséentrevousetJeff,c’estlemomentdeledire.

Elle s’apprêtait à nier, comme d’habitude, mais en fait elle se surprit elle-même à lui donnerquelquesbribesdelavérité.

—Ilavaituneespècedecouteaubizarre,admit-elle.Etildéblatéraitàproposdesangetdeportes.Ilestpeut-êtrefou.

Ellebaissalesyeux,craignantdevoirdelarépulsiondanssonregard.—OualorsçaaunrapportavecvosOmbres.Peuvent-ellesinfluencerlesgens?Leurfairefaire

deschoses?reprit-elle.Quandelleosarisquerunregardverslui,ellevitqu’ilavaitl’airsombremaisellenerencontrapas

ledégoûtqu’elleavaitcraint.Lesténèbresappellentlesténèbres…c’étaitcequ’onluiavaittoujoursdit.Qu’avec son sang, chargé de magie noire, elle n’attirerait rien de bon. Même si elle savait que cen’étaientquelespréjugésdesagrand-mèrequicontinuaientà lapoursuivre,aufondd’elle-même,elleavaittoujourscruqu’ilscontenaientunepartdevérité.

Pourtant,Jennerétaitlà,grandetfort,etc’étaitsanscontesteunebonnepersonne,etilnesemblaitressentirderépulsionquepourJeffGaineset lesOmbres.Miaressentitunprofondsoulagement. Il luiprouvaitqu’ellesetrompaitetiln’avaitpasidéedecequecelasignifiaitpourelle.

— Bien sûr que les Ombres peuvent influencer des gens, dit Jenner d’une voix blanche. Desindividusfaibles…ouassoiffésdepouvoir.Ilarrivemêmequ’elleslesinvitentàlesrejoindre.

Ildétournalesyeux.

—Mercidemel’avoirdit,reprit-il.Ilestencorepluscrucialquenousleretrouvions.LesOmbresontdesmoyensdesemanifesterdansnotremonde…c’estdéjàarrivé,ilyaplusieurssiècles,etcelaaétéunecatastrophe.Quelcirque!

Ilsoupiraetsecoualatête.—Jevois,acquiesçaMiadoucement.Elle mourait d’envie de le prendre dans ses bras pour faire disparaître les plis de son front

courroucé,maisellenefitpasungeste.Elleneparvenaitpasàécartercespenséesidiotes.—Jesuisdésoléedevouscausertouscesproblèmes.—Vousn’yêtespourrien.Ilnefautpasvousenvouloir,ditJennervivement.C’estunconcoursde

circonstances.Celavas’arranger.Cen’estpasvousquiavezfaitcepsychopathequivouspoursuit.Pasplusquevousn’avezdemandéàavoirdansvotrefamillequelqu’unquiafaitunemésalliance.

Miaclignadesyeux.—Pardon?Jennersecontentadesecouerlatête.—SiGainesestsidéterminéàvousretrouver,c’estobligatoirementparcequevousavezunpeude

sangdeféenoire.C’estçaquiouvrelesvannes.Ses yeux étaient emplis de compassion, mais il n’avait pas idée des blessures que ses paroles

rouvraient.—Dusangdeféenoire,ditMiadoucement.Etc’est…mauvais?—Jen’aijamaisvudeféeUnseelie,réponditJenner.Ilsepeutmêmequ’ellesaientdisparudece

monde, jen’en sais rien.Mais, àencroirecequ’on raconte,mêmemoi jepartirais encourant si j’envoyaisune.Ellespossèdentunpouvoird’unetoutautrenaturequecequelesmiensconnaissent.MêmelesOmbresleconvoitent.

Ilfinitparserendrecomptequesesparoleslaperturbaient.Mianedisaitrien,maisellesesentaitvidée, glacée. Tout recommençait, de nouveau on la considérait comme un être dangereux, infecté. EtJennernesavaitmêmepasqu’ilvenaitjustedeluidirequ’ils’enfuiraitsanshésitations’ilconnaissaitlepouvoircontenudanssonsang.

—Cen’estpasvotrefaute,Mia,ditJennerenfronçantlessourcils.Miatrouvaunpeuderéconfortdansletimbreapaisantdesavoix.Non,cen’étaitpassafaute.Nila

sienne. C’était comme ça, tout simplement. Cette pensée était déprimante, mais familière. Elle larepoussa.Iln’yavaitriendenouveau.

Laseulechosequichangeait,c’étaitladouleursourdequ’ilavaitravivée.—CequiintéresselesOmbreschezvousestprobablementtellementlointainquevousnevousêtes

jamaisaperçuequec’étaitlà.Vousn’avezpasàvousenfaire.Lorsquevousserezunloupàpartentièreetquevous ferezpartied’unemeute, ceque lesOmbres recherchentdevrait disparaître.Le sangd’unloup-garouestextrêmementpuissant.

Ildétournaleregard.— C’est une raison supplémentaire pour rattraper Gaines et vous mettre définitivement hors de

danger.Mia réussit à sourire et hocha la tête.Mais elle était figée à l’intérieur. Ainsi, elle n’avait pas

d’autreoption…elledevaitcoucheravecuninconnuafinquelepouvoirdesonsangdeloupforcelesOmbresàlalaissertranquille.

Mais pour ce qui était d’annihiler son propre pouvoir… elle doutait fort qu’il y parvienne. ElleseraittoujoursenpartieuneféeUnseelie.UnmonstreauxyeuxdeJenner.

Mais,dansl’immédiat,cen’étaitpaslecas.Pourlemoment,ilnevoyaitqueMia.Unefemmequin’avaitpasdechanceetquiessayaitdefairefaceàdescirconstancesmalheureuses.Etc’étaitvrai.

Ilposasurelleunregardoùlamêmeflammebrûlaitdenouveauetelleessayadel’imprimerdanssamémoirepours’ensouvenirplustard,quandtoutceciseraitfini.Ilneseraitpeut-êtrejamaisàelle,maisellesavaitdéjàqu’ellenepourraitpasl’oublier.

—Ecoutez,dit-il,jevaisprendreunedoucheenvitesse.OndoitallerchezBanecesoir,maisavantjeveuxessayercejeu.Jenecroiraipasquevousêtesunasàcetruc-làtantquejenel’auraipasvudemesyeux.

Amuséemalgréelle,Miasemitàrire.Cependant,riennepouvaittotalementdissipersonangoisseàl’idéed’allerchezBanepouressayerd’entrerencontactavecJeff,enprésenced’unebandedeloups-garousappartenantàunemeutequeJennernesemblaitpasporterdanssoncœur.

Elles’efforçadepenseràautrechose.Lepireétaitderrièreelle.Ilssauraientcequicoulaitdanssesveineset ilsn’allaientpas lamettredehorspourça.Laquantitédemagiequ’ellepossédaitn’étaitplusmaintenantqu’undétailsansimportance.Miaseditqu’elledevraitêtresoulagée.

Pourtant,elleavaitenviedes’asseoiretdepleurer.—D’accord,s’écria-t-elleavecunenthousiasmefeint,enespérantqu’ellen’enfaisaitpastrop.Jennerluifitunpetitsourireavantdedisparaîtredanssachambreetellecompritquetoutallaitbien

entreeux,pourlemoment.Mia se persuada qu’il faudrait s’en contenter. Parce que, pour ce qui était de Jenner, cemoment

seraittoutcequ’elleaurait.

11

Jeff?Est-cequetum’entends?Jeffgrimaçadedouleur.Iltournalatêtepouressayerdetrouverunpeudeconfort.C’étaitsavoix.

D’abord, ilcrutquesonimaginationlui jouaitdes tours.Maissessensperçurentsonodeurquiflottaitautourdeluietemplissaitlapièce.

—Mia,murmura-t-il.Elleétaitsibelle.Maisill’avaitperdue.Etmaintenantellesecachaitdelui.Illuiavaitfaitpeur.Il

ladégoûtait…pourtantiln’avaitpasvoululuifairedemal,pourquoinevoulait-ellepaslecomprendre?Iln’avaitpaseulechoix.

Jeff…oùes-tu?Jenetevoispas.Ilfaitsinoir…Ellen’avaitpasbesoindeleluidire,illesavaitbien.Ilfaisaittoujoursnoirenlui.Lenoircolorait

toutcequ’ilvoyaitmaintenant.Jenevoulaispastefairedemal,Mia,pensa-t-il, sachantqu’elle l’entendait.Tunedoispasme

détester… je t’en supplie…Ton sang est le seulmoyen que j’ai dem’en sortir…LesOmbres sontautourdemoi,ellesmepénètrent…

Jenetedétestepas,répondit-ellesuruntonapaisant.Maisdis-moioùtues.Jeviendrai.Jevaist’aideràtoutarrêter,t’aideràallermieux.Quoiqu’ilst’aientpromis,celanevautpaslapeinedeteperdrecommeça.

C’était trop facile, trop tentant. Il aurait aimé la croiremais il savait qu’ellementait quand elleparlait de l’aider. C’étaient les Blackpaw qui la poussaient à créer la confusion dans sa tête. Ils lapoussaientàhaïrcequ’ellenecomprenaitpas.Lesloupsn’étaientpasmeilleursqueleshumainsdanscedomaine.Ilsavaientacceptédedevenirtropprochesd’eux.

Non,répondit-ilavectristesse.Jedoisallerauboutdecequej’aicommencé.Jenepeuxpasfaireautrement.Jet’aime,Mia.Jeteretrouverai.Ceserarapide,tunesouffriraspas,jetelepromets…

Jet’ensupplie,dis-moioùtues,réponditMia.Savoixrésonnaitdanssatête,sidouceetchaude,réchauffant lafroideobscuritédesonesprit.Il

recommençaitàs’écrouler.Illesavait.Mais,s’ilréussissaitàtenirlecoupencoreunenuitoudeux,touts’arrangerait.

Ilfautquetumedisesoùtues.Tumemanques.Jeveuxquetuaillesmieux.Pourquoifais-tutoutcela?

Cesmotsl’atteignirentenpleincœur,oucequ’ilenrestait.Jeffsuffoquadedouleuretdesurprise.Ilauraittellementvouluquecesoitvrai.Maisilnepouvaitpasprendrecerisque,ilétaittroptard.Ilnepouvaitpluschangerlecoursdeschoses.LesOmbresletueraient.Pourtant,aucuneautrefemmeneluiavaitjamaisditça.

Tumemanquesaussi,Mia.Jesuistellementdésoléqueleschosessepassentcommeça.Mais,écoute,regardecequinousattend…quipourraitrésisteràça?

Ilouvritsonespritpourluimontrersonrêvemerveilleux.Lerêvequ’ilsallaientvivretouslesdeux.Ensemble.

***

Miaémergeaensuffoquantdesvisionscauchemardesquesdanslesquelleselleavaitsombré.Illuifallut plusieurs secondes pour se recentrer et se rappeler où elle se trouvait. Un grand soulagementl’envahit lorsqu’elleyparvint.Elle était chezBane. Jenner l’avait amenée là et il lui avait promisdeveilleràsasécurité…maisellen’avaitpasanticipécequeBaneattendaitd’ellenileseffetsquecelaproduirait.

Comme s’il pouvait lire ses pensées, Jenner posa vivement lesmains sur elle etMia aspira unelonguegouléed’airfrais,enespérantquesonestomacallaitcesserdesesouleveretqu’ellenevomiraitpas.Elleconservaitdanslenezdesodeursdesang,defeuetdefumée.Et,chaquefoisqu’ellefermaitlesyeux,ellerevoyaitdesombresauxyeuxincandescentsdanserentournoyant.MaisJennerétaitlàpourlaprotéger.Toutcommeilleluiavaitpromistandisqu’ilsjouaientenriantàunjeuvidéostupide.Toutcelalui semblait loinmaintenant. Jenner était solide etMiapouvait s’appuyer sur luipour se reprendre enmain.

Alorsquesavisions’éclaircissaitetqu’ellerevenaitàlaréalité,elleserenditcomptequeJennern’étaitplusseulàsescôtés.

Kenyon,quiavaitétéautoriséàresterdanslapiècegrâceàl’insistancedesonchef,setenaitprèsd’elleégalement.

Mias’écartad’euxense redressantsur lachaise longueoùon l’avait installée.Elle tremblaitdefroid,un froidqui semblait lapénétrer jusqu’à lamoelle.Elleavait l’impressionqu’ellen’auraitplusjamaischaud.

—Ques’est-ilpassé?Tomas, le chef des Silverback, bondit du tabouret qu’il avait placé près d’elle. Elle n’avait pas

l’habituded’êtreainsiaucentredel’attentionetcelalamettaitplutôtmalàl’aise.Maislepireavaitétélorsque cet homme puissant, qu’elle n’avait jamais rencontré de sa vie, avait décidé de prendre ladirectiondesopérations.

Mianesavaitpastropquoipenserdelui.C’étaitunhommetrapu,autoritaire,danslacinquantaine,avecunecouronnedecheveuxrouxet le teintrougeaud.Ilavait l’aird’avoirunehauteopiniondelui-même,contrairementauxBlackpaw,maisilétaitconscientdesonpouvoiretilnesemblaitpashésiteràl’exercer.Iln’étaitpasdésagréablemaisilétaitindéniablementintimidant.

BanevintseplacerjusteàcôtédeTomas.Elleétaitraviedenepasavoiràfairefaceseulementàcessombresyeuxd’unbrunétincelant.

—Dites-nouscequevousavezvu,Mia.Sansrienomettre,demanda-t-il.Sa voix, qui tremblait au début, se fit plus forte àmesure qu’elle racontait son expérience. Ses

frissonssedissipèrentpeuàpeu,et,bienqueJenneretKenyonsesoientlégèrementéloignés,ellevoyaitbienquel’unetl’autren’auraientpasdemandémieuxquedelaréchauffer.Leproblème,c’étaitque,alorsqu’elleappréciait leseffortsdeKenyonpourjouerleparfaitprétendant,ellen’avaitdedésirquepourJenner.Et,commeilétaitévidentqu’ilyauraitdesproblèmessiellenetendaitlamainqueverslui,elledécidadesouffrirseule.Toujoursfrissonnante,MiarapportalemessagedeJeff.

—Jen’aijamaisrienvudesemblable,dit-elle.Ilfaisaitdéjàtrèssombrelàoùjemetrouvais,maisces choses étaient encore plus obscures. Avec des yeux rouges, comme lorsque nous nous étionsconnectéslapremièrefois.Etjevoyaisbienqu’ilsétaientaffamés…etattendaientquelquechose.Jeff

estdément,etilfaitpeur,maisceschosesétaientencorepires.Jenepeuxpasdiresicesontdesproduitsdesonimagination,ousic’estplusqueça.Maisilétaittrèsexcitédemelesmontrer.

Lasimpleévocationdecequ’elleavaitvuluiredonnalachairdepoule.—Ceschosesm’attiraientverslebas.J’avaisl’impressiondemenoyer.—Quelsalopard,interrompitTomas.Savéhémencesemblasurprendretoutlemonde.—Pardon?demandaMia.—Jeffa toujoursété intéressépar lecôtéobscurdeschoses.Jepensequ’ilestclairque…nous

avonsunproblème,quecesOmbressoientounonleproduitdesonespritdérangé.S’ilnel’apasdéjàfait,ilvatrèsviteattirer…

Brusquement, il sembla se rappeler la présencedeMia. Il regardadans sa direction avant de seretournerversBane.

—Jepréféreraisparlerdecelaenprivé.Cetteaffaireneregardequelecommandement.Mialuilançaunregardmauvais.—Etantdonnéquec’estmoncerveauquiestreliéausien,ilmesemblequecelameconcerneau

moinsautantquevous,s’écria-t-elle.Jenebougeraipasd’ici.EllevitTomassehérisseretauraitpujurerquesalèvresupérieurecommençaitàseretrousser.Ce

neseraitpassurprenant,ilavaitdéjàeucetteréactionquandilss’étaientrencontrés.Mianesavaitpascequiétaitàl’originedecetteanimosité,saufque,d’aprèscequ’ilavaitditavantdecommencerlaséance,ilattachaitbeaucoupdevaleuràlapuretédelafiliationchezlesloups-garous.

PuretéqueniellenilaplupartdesBlackpawnepossédaient.—Jereste,répéta-t-elle,pluscalmementcettefois.Jenevaispastarderàêtreunloupmoi-même,

d’aprèscequ’onm’adit.Tomasluidécochaunsourireméprisant.—Non.Vousnevousêtesjamaistransformée,quejesache.Vousneconnaissezpasgrand-choseà

notremonde.Vousallezdevoirfaireconfianceàceuxquisaventréglercegenredechoses.MiavitlesyeuxdeJennerétinceler.Kenyonlui-mêmen’avaitpasl’airtrèscontent.SiTomasavait

vouludéclencherunebagarre,ilnes’yseraitpasprisautrement.—Moi, jesuisd’accordavecMia,grondaJenner. Ilestnormalqu’elle reste.C’estellequeJeff

Gainesveut.Elleseulement.Iladéjàessayéunefoisdelatueravecuncouteaurituel.Lesautresleregardèrent,interdits.Jennerhochalatête.—Ouais,c’estlegenrederenseignementsqu’onobtientlorsqu’ondépassecepréjugéquiveutque

lavictimesoitnécessairementuneidiote.Ellealedroitdesavoir.Parceque,enfindecompte,c’estellequival’attirerjusqu’ici.

Mialeregardaavecgratitude.Ellen’allaitpasresterassiselààselaisserécraserparunrouleaucompresseur plus longtemps. Il était réconfortant de se sentir soutenue, parce que, de toute évidence,Tomasn’avaitpasdutoutl’intentiond’écoutercequ’elleavaitàdire.

—JesaiscequesontlesOmbres,expliqua-t-elle,etpourquoiellesmeveulent.Jennermel’aditquandilacommencéàcomprendrecequeJeffessayaitdefaire.Jecroisqu’ilpensem’utiliserpourlesattirerici,physiquement.Jeferaitoutcequejepourraipourl’arrêter,c’estmaviequiestenjeu.Maisj’exiged’êtretenueaucourant.Jesuiscapabledelesupporter.

TomasposasurJennerunregardcourroucé.—NickJenner.ToujoursentrainderéparerdesvoituresetdecouriraprèslesOmbres,hein?J’ai

entendudirequecegaragistevousadonnésaboutiqueetaquittélavilleprécipitammentaprèsquevousaveztuésa fille.Jenepensepasme tromperendisantquecen’estsûrementpasvotrecharmequi l’aconvaincu.

IlsetournaversBaneetdésignaJennerd’unmouvementdetête.

—Ça fait plus de cent ans que nous n’avons plus de lunari. La force brutale que requiert cettefonctionest tropsouventsynonymed’uneintelligencelimitée.Tudevraispeut-être tedemanders’ilestvraimentsagedepartagerlepouvoiravecunhommequiparledesOmbresavecunehumainequ’ilvienttoutjustederencontrer.Enfin,jedevraisdiremajoritairementhumaine,ajouta-t-ilenposantsurMiaunregardquineluiplutpasdutout.Jecomprendsqu’onnesevantepasd’avoirdusangdeféenoire.

Mia retint sa respiration. Elle vit Bane, ses yeux lançant des éclairs, faire un signe de têteimperceptibleàJenner.Mias’attendaitàcequecelui-ciflanquesonpoingdanslafiguredeTomas,cequ’iln’auraitpasvoléàsesyeux,maisaulieudecelailvintseplacerderrièreelle.Ilposalesmainssursesépaules,unsignesubtildesoutien…oudepossession?

En tout cas, elle pensa que c’était destiné à irriter Tomas et, vu la façon dont les narines duSilverbacksedilatèrent,onpouvaitdirequeçamarchait.

Ravied’entrerdanslejeu,MiaposaunemainsurcelledeJenner.—Mian’arienfaitpourseretrouverdanscettesituationetelleestaussirespectablequen’importe

quelSilverback.Plus,même.Jenerevienspassurmadécision,grondaJenner.Vousavancezenterrainminé,Tomas.Vousn’êtespassurvotreterritoireet,queçavousplaiseounon,jesuisvotreégalici.

CettetiradedeJennerétaitpresqueaussiblessantequelecoupdepoingqueMiaavaitescomptéunpeuplustôt.Etellesepritàespérer,contretouteraison,qu’ildiraitlamêmechoses’ilconnaissaittoutela vérité. S’il savait comment elle pouvait entendre lamusique que le sang transportait, comment ellepouvait tirer son pouvoir de la nuit et le tenir dans sesmains. Comment elle serait capable de fairebeaucoupplussiellen’étaitpastoujoursentrainderéprimersondon.

Elleavaitressentiuntasdechoses,maisquin’étaientjamaisdangereuses.Ellecraignaitseulementque,sisavraienatureétait révélée, lesgensqui l’entouraientne lavoientplusquesouscetangle.Et,aprèscequeJennerluiavaitditàproposdesféesUnseelie,elleneserisqueraitjamaisàdécouvrircequecelasignifiaitexactement.

Comme Tomas ouvrait la bouche pour répondre, Mia aperçut en un éclair inquiétant ses dentsblanchesetpointuesavantqueBanen’interviennepourcalmerlejeu.

—LesBlackpawet lesSilverbackontdes façonsde fairedifférentes, dit-il d’un toncassant.Sivousinsultezmonlunariunefoisdeplus,jeferaiensortequevousdéguerpissiezd’icilaqueueentrelesjambes,tousautantquevousêtes.JegarantisqueJenneratoutemaconfiance,encorequecelaneregardepaslesSilverback.Vousavezditquevousveniezpouraider.Contentez-vousdefairecela.

Tomas se ressaisit en réprimant un grognement, et Mia se demanda s’il serait capable de secontrôler.Mais,finalement,ilprituneprofondeinspirationetc’estd’unevoixétonnammentcalmequ’ilrépondit.Seulssesyeuxconservaientdestracesdesacolèresous-jacente.

— Je n’ai jamais pensé que Jeff était une bonne recrue pour lameute, dit-il. Il était ombrageux,impulsif.IladitàSaraDumontqu’ill’aimaitmais,deuxsemainesaprèsqu’ellel’ainitié,ilarompuleurrelationcommesicelan’avaitjamaisriensignifié.C’estunmanipulateur.Et,mêmequandilm’adéfiépourdevenirlechef,j’avaislesentimentqu’ilyavaitautrechose.Ildevaitbiensavoirqu’ilnepouvaitpasl’emporter,maisilsemblaitavoirdesarrière-pensées.

—Vousvoulezdirequ’iln’étaitpasapprécié?demandaMia,étonnée.Ilétaittoutàfaitcharmantjusqu’àcesderniersjours.Entoutcas,ill’étaitavecmoi.

Tomasplissalefront,maisilnesemblaitpasencolère.—Si, en fait.Malgré tout, il était difficile de ne pas l’aimer, dumoins lorsqu’il était de bonne

humeur. Il pouvait être charmant. Et il y avait quelque chose chez lui qui attendrissait les autres,moiinclus.Ilvenaitd’unmilieuaisé,maisjenecroispasqu’ilavaiteuuneenfanceheureuse.

—Eneffet, c’estaussi l’impressionque j’aieue.Est-cepourcette raisonquevous l’avez laissépartir?demandaMiacalmement.

Tomaspoussaunprofondsoupir,puishochalatête.

— J’ai commis une erreur. Ses problèmes étaient apparemment plus profonds que je ne l’avaisimaginé. Je pensais qu’il était plus à plaindre que réellement dangereux. Jeme suis trompé.Mais jerépareraicetteerreurdanslamesuredupossible.

Kenyonapprouvaenhochantlatête.—Vouspouvezcomptersurnous.Nousrépareronslemalqu’ilvousafait,Mia.Cette perspective ne réconforta pasMia, pas avec lesmains de Jenner sur ses épaules. Elle ne

voulaitriendevoirauxSilverback.Maiselleserendaitcompteàquelpointelleétaitendehorsdesonélément.Les règleshabituellesn’avaientpas cours ici.Et ellen’était pas certaine,malgré tout cequeJennerluiavaitdit,quesesdésirsetsesbesoinsauraientdel’importancepourcescréatures.

Elle se laissa aller contre le dossier de son siège, profitant du contact de Jenner tant qu’elle lepouvait. La connexion avec Jeff avait été un voyage au royaume des horreurs. Sa folie, sa violenceincontrôléeet,pirequetout, lavirulencedesonobsessionàlaretrouversemblaients’aggraverchaquefois.Commentunecréatureaussiperturbéeavait-ellepusedissimuler sous lemasquede lanormalitépendantsilongtemps?Elleavaitdumalàserappelerl’hommecharmant,spiritueletpleindesollicitudeavec lequel elle était arrivée ici.Elle s’était arrêtéeaumasque, et au faitqu’il ladésirait,qu’il avaitbesoind’elle.Ellel’avaitbiencherché.

Il était étrange qu’elle doive se retrouver dans cette situation pour comprendre que ses propresdésirsetsesbesoinsvalaientqu’ons’enpréoccupeaussi.

ElleregardaBane.Solideetsilencieux,ill’observaitdepuisl’autrecôtédelapièce.—Ilnepeutpasmefairedemal lorsquenouscommuniquonsdecettefaçon,n’est-cepas?Vous

êtessûr?Banehochalatêtelentement.—Certain.Maisl’expériencen’enestpasmoinsdésagréablepourautant.—Peuimportequecesoitdésagréableoupas,dumomentquec’estutile.Avez-vousvuouentendu

quelquechosedenouveau?Unindicequinouspermettraitdeletrouver?intervintTomas,impatiemment.Miasecoualatête.Elleregrettaitden’avoiraucunélémentquilesmettraitsurlapiste.— Je ne vois rien du tout quand je suis avec lui de cette façon. Il n’y a que des voix dans

l’obscurité,expliqua-t-elle.ElleneditriendelamagienoirequibattaitenvaguestoutautourdeJeff.Unemagiequ’elleétait

capabledecontrôler,maisdontriendebonnesortirait.Mia se rendit compte que cette idée ne l’avaitmême pas tentée. Elle avait réussi à regarder en

restantimpassible,imperméableauxattraitsdelaviolencequ’entraînaitcegenredepouvoir.C’étaitlapremièrefoisqu’elles’étaitapprochéeautantdecegenredechose…etlatentationd’ysuccomberdontonluiavaittoujoursparlénes’étaitpasmatérialisée.

Etait-cedûausangdeloupenelle?Oubienplussimplementà…elle?Tomas poussa un grognement agacé, mais la voix de Jenner, étonnamment patiente, attira son

attentiontandisqu’ils’accroupissaitàcôtédesonsiège.Acetinstant,ilétaitdenouveaul’hommefortetcompétentquil’avaitaidéeàsortirdelaforêt,sûrdeluimaisnondénuédecompassion.Etellenevitplusquelui,commes’ilsétaientseulsdanslapièce.

—Voirn’estpasleplusimportant,dit-il.Jesaisquecen’estpasdrôlemaisrepensezàcequis’estpassé.Avez-vousentenduquelquechose?Sentiquelquechose?Quelquefois,celanousenditplusquenos yeux ne le feraient. C’est une capacité qui vient avec votre nature de loup, ce qui est votre casmaintenant,mêmesic’estnouveau.Réfléchissez,Mia.Fermezlesyeuxetessayezdevoussouvenir.

Miasoupiraetfinitparacquiescerd’unhochementdetêteréticent.Ellefermalesyeux,endépitdesonappréhension.

Ellefituneffortpourrepoussercespenséesquiluidonnaientlachairdepouleetessayaderevoircequis’étaitpasséavecunœilplusfroid.Alorselles’aperçutqueJennerdisaitvrai.Quelquespetits

détailsluiavaientéchappé.Maisellenevoyaitpasenquoiilspouvaientêtreutiles.ElleouvritlesyeuxetlesplongeadanslecalmeregardmordorédeJenner.Cela,pluslaconscience

nouvelledesaforce,luidonnalecouragedes’exprimersanscrainte.— Je l’ai entendu faire les cent pas sur un plancher qui craquait, ditMia.Et l’endroit sentait le

renfermé.Etlemoisi.Ilfaisaitfroid.Çasentaitlesous-bois.JennerreportasonattentionsurBane.—Uncabanondechasseurs,dit-il.Jepariecequetuveux.Banepoussaunsoupir.—Bonsang,dit-il.Çapourraitêtren’importeoùdanslesbois.C’estcommechercheruneaiguille

dansunebottedefoin.Bon,c’estquandmêmeunpointdedépart.CetteremarquenesuffitpasàrassérénerMia,quivitladéceptions’afficherclairementsursonbeau

visage.MaiscefutpirelorsqueKenyonintervint.—Onn’apasbesoindeça.dit-il.Ilestclairqu’ilvas’attaqueràelleenpremier.Ilsuffitdenous

tenir prêts.Mais je persiste à croire qu’elle serait plus en sécurité ici, en ville.Comment la protégerefficacementsiellen’aqu’unseulgardien?Ellefaitunecibleparfaitelà-bas,chezvous,poursuivit-ilavecunregardfurieuxendirectiondeJenner.

Jenners’apprêtaitàrépondremaisMias’interposa.Ellecommençaitàenavoirassezqu’onparled’ellecommesiellen’étaitpaslà,quecesoitpoursonbienounon.

—«Elle»sesenttoutàfaitensécuritéoùelleest,ditMia.Etdequoiparlez-vous,d’abord?Vousavezl’intentiondem’utilisercommeappât,c’estça?

LesouriredeKenyons’effaça.Ilsemblaitplusâgéetnettementplusintimidantlorsquesesfossettesdisparaissaient.

—Vousêtesunappât,Mia,quevouslevouliezounon.Neleprenezpascommeuneinsulte,maisc’estlaréalité.Ilfaitunefixationsurvous.IlpenseavoirbesoindevouspourouvrirlavoieauxOmbres.C’estcequivalefairesortirdesacachetteetquinouspermettradel’arrêter.

Ilsecoualatêteet,seretournantversJenner,ilajouta:—Unpoignardrituel?Tuessûrdeça?—Unelonguelameincurvée,unmancheblancornéd’inscriptions,ditMiasansattendrequeJenner

répondeàsaplace.Jenel’auraispasreconnumaisJenneratoutdesuitevudequoiils’agissait.J’aidusangdeféeUnseelie.Ilenabesoin.Cen’estpassidifficileàcomprendre.

Ellen’avaitpaseul’intentionderépondresurcetonarrogantmaiselleneleregrettapaslorsqu’elleentenditlegrognementappréciateurdeJenneretqu’ellevitlepetitsourireencoinsurlevisagedeBane.Kenyonétaitgentil,maislescommentairesdeTomassursesoriginesluiavaientchauffélesoreilles.

Kenyoneutlebongoûtdesourire.—Non,vousavezraison.Etvousprenezleschosesbienmieuxquecequenousaurionspupenser.

Veuillezm’excuser.Mia hocha la tête, contente de voir qu’un jour, au moins, les Silverback auraient un chef qui

possédaitdebonnesmanièresetaussiuncœur.—Toutça,cen’est rienqu’une légende, intervintTomas.Les féesUnseelieétaientdescréatures

mauvaises, si on croit ce qu’on raconte. Malveillantes, narcissiques, rancunières. Puissantes.Personnellement,jen’enaijamaisvu.Nimoinipersonne.Etvousêtesentraindemedirequ’ellesvontse servird’une fillequipossèdeunpeude sang impurpourouvrir unebrèchepar laquelle ellesvonts’infiltrer?Quelleidiotie!

Miasentitsabouchesedessécher.Elledéglutitavecdifficulté.Ellen’avaitplusentenducesmotsdepuislamortdesagrand-mère.Tonsangestimpur.Jesenslanoirceurentoi.

Mais,pourlapremièrefoisdesavie,ellesedéfendit.

—Monsangn’estpasimpur,dit-elled’unevoixtremblantemaisclaire.Pasplusquelevôtre.LesyeuxdeTomass’étrécirent.—Sic’estcequevouscroyez,vousavezencorebeaucoupdechosesàapprendre.LamaindeJennersursonbraslasurprit.Maiselleappréciacesoutienchaleureux.—Ellen’estpasdifférentedenous,dit-il.Etelleestensécuritéavecmoi.Cesmotssimplessuffirentàl’apaiser.MaisTomaséchangeaavecKenyonunregardquineluidit

riendebon.—Jenedoute pas que tu sois à la hauteur.Mais je crois que ce serait unebonne chosequ’elle

apprenneànousconnaîtreavantdedevenirunedesnôtres.CesmotsfirentàMial’effetd’unrouleaucompresseur.—Excusez-moi,dit-elle,vouspouvezrépéter?Tomasplissalefront..—Onnevousariendit?Soudain,c’étaitplusqu’ellen’enpouvaitsupporter.Elleenvisageauninstantdepartirencourant,

maiselleavaitdéjàfaitçatropsouventdanssavie.C’étaitunechosequ’elleallaitdevoiraffronteretilétaittempsqu’elles’impose.

—Onm’aditquej’auraislechoix.Etfranchementj’enaiplusqu’assezd’êtretraitéecommesimessentiments ne comptaient pas. En deux jours, on m’a dit que dans moins d’une semaine j’allais metransformer en loup-garou, que je ne pourrais plus reprendre le cours normal de ma vie, et que jedevrais…

Ellen’arrivaitpasàprononcerlesmots.—…quejedevraismecompromettreafindenepasperdrelaraison.Oh!etilyaaussilefaitque

monexestbeletbienfou,lui,etqu’ilmerechercheparcequ’ilcroitqu’ilpeututilisermonsangpourouvrir un portail magique. Laissez-moi vous dire que, s’il y a d’autres décisions à prendre qui meconcernent,jelesprendraimoi-même.

Pour lapremière fois,elleeutunaperçudecettecompassiondont, selonKenyon,Tomaspouvaitfairepreuve—cellequiavaitvaluàJeffd’êtreépargnéparlepassé.

—Jesuisdésolé,Mia.Ceshistoiresdesauvagesnesontjamaissimples,et ilestheureuxqueçan’arrivepastropsouvent.Mais,étantdonnéqueGainesétaitunmembredemameute,ilmerevientdeprendreenchargesesvictimes.Lesloisanciennesquinousrégissentnousyobligent.Sicelapeutvousconsoler,c’estlamêmechosepourleshommesetlesfemmes…cen’estpasunequestiondesexe,c’estunequestionderesponsabilité.Nousprenonssoindenosmembres.

Ilétaitpeut-êtresincère,maisMialetrouvaitsurtoutbouffidesuffisance.Kenyon attira son attention d’une voix douce et chaude. Son visage avait perdu son expression

sinistreetillaregardaitavecuneévidentelueurd’espoirdanssesbeauxyeuxbleus.Maisbiensûr,sedit-elle.JecomprendsmieuxmaintenantsoncomportementétrangeavecJenner.

Ilestclairquejeluiplais,maissurtoutilessayedefairevaloirsesdroitssurmoi.C’est alors qu’elle se rendit compte que, s’il n’y avait pas eu Jenner, elle aurait pu porter son

dévolu sur Kenyon. Ce n’était pas un choix désagréable, seulement voilà, ce n’était pas lui qu’elledésirait.C’étaitpeut-êtreunsignald’alarme,car jusqu’àprésent tousleshommesqu’elleavaitdésirésdanssavieavaientétésoitindifférents,soittotalementincompatibles,voirecatastrophiques.Elleferaitbiend’yréfléchir.

Toutefois,ilyavaitunechosequiétaittouteréfléchie.—Onm’aditquejeseraislibredechoisiretc’estcequej’ai l’intentiondefaire,dit-elled’une

voixplusassurée.Iln’estpasquestionquel’onmeforceàfairequelquechosequejeneveuxpas.Jemefichedelameuteetjenevaispasmelaisserinstrumentaliser.C’estleseuldomainedanscettehistoireoùjepeuxexercermonlibrearbitre,jenelaisseraipersonnedéciderpourmoi.

Elleposasurleshommesrassemblésdevantelleunregardfurieux.Elledoutaitfortquebeaucoupdefemmesloups-garousaientétéamenéesàaffrontercegenredeconflit.Biensûr,soitellesétaientnéescomme ça, soit elles avaient choisi cette vie. En tout cas, Mia refusait d’être un trophée qu’on sedisputait.

TomasetKenyonrestaientpétrifiés.—Cen’estpas…commençaTomas.—Ellearaison,l’interrompitBaned’unevoixrauque.Cen’estpasànousdedécider.Tantpispour

laloidelaMeute.TomaspritunairécœurémaisfinitparhocherlatêteavecréticenceavantdereportersurMiaun

regardsombre.—Bon,jenevaispasmebattreavecvous.C’estvotrevie,aprèstout.Maisvousferiezpeut-être

biendevousdemanderquellemeutepeutvousassurerlegenredeviequevoussouhaitez.Etautantquevous sachiez que les lunari— les chasseurs d’Ombres—ne semettent pas en couple.Encoremoinslorsqu’ilsontdéjàétéobligésdetuerunecompagne.

—C’esttoutàfaithorsdepropos,Tomas,coupaBane.MialuisutgrédeprendreladéfensedeJenner,maiscelui-ciévitasonregardetsortitdelapièceen

claquantlaporte.Illuiavaitditqu’ilnepouvaitpassechargerdesoninitiationetqu’iln’assureraitquesa protection. Elle voyait maintenant que ce n’étaient pas des paroles en l’air. Mais les allusionsfielleusesdeTomasouvraientdesperspectivestroublantessurlaraisondecerefus.

Jenner était si secret, elle se demanda si elle connaîtrait un jour la vérité… et même s’il étaitimportantdelaconnaître.

— J’ai bien l’intention d’examiner tous les choix qui me sont proposés, dit-elle calmement ensoutenantleregarddeTomassansciller.Jedisbientousleschoix.

—C’estdebonneguerre,intervintKenyon.Etpourunefoiscesoutiensansrestrictionlasoulagea.Elleselaissafairelorsqu’ill’aidaàselever

desachaise.Unefoisdebout,elledégageasamaindelapressionrassurantedecelledeKenyonetditbonsoir.Lasoiréen’étaitpeut-êtrepasterminéepoureux,maispourellesi.Cen’étaitpasparcequ’ellevoulaitrejoindreJenner,bienquesasoudainesortiel’aitinquiétée.Maiselleavaitbesoindetempsetdesolitudepourréfléchir.

—Onvapeut-êtreletrouvercettenuit,ettoutserafini,ditBane,d’unairsincère.—Jel’espère.Bonnechance,ditMia.J’aiétéraviedevousrencontrer,Tomas.LevieuxchefinclinalatêteetMiasedirigeaverslaporte.Maisavantqu’ellenesorteKenyonla

rattrapa,sesyeuxbleusluisantfaiblement.—Heu…écoutez…j’aibiencomprisquejenesuispaslepremiersurlaliste,maisaccepteriez-

vousquandmêmededéjeuneravecmoidemain?Miahésitauninstant,maislasincéritéquiselisaitsurlebeauvisagedeKenyon,pluslefaitque

Jenner avait dit très clairement qu’il n’était pas disponible, rendaient évident que seule sa ridiculeobsessionpouvaitêtreunobstacle.Cesoir,elleavaitfiniparagirdefaçonpositiveetelleavaitprisunepartiedesondestinenmains.

Ilétaittempsderéfléchirdefaçonréalisteàcequ’elleallaitenfaire.—D’accord,avecplaisir,dit-elle.Ellesesentitcoupableenvoyantsonsourirejoyeux.Ilétaitabsolumentparfait,àundétailprès:il

n’étaitpasJenner.Etelleallaitdevoirsefaireuneraisonaumomentdefairesonchoix.Avecunsouriremélancolique,Miapritcongé.

12

Aumilieudelanuit,Mias’éveillaetfixaleplafond.Sonsommeilavaitétéagitéderêvesétranges,peuplés d’ombres qui se poursuivaient et de lumières sinistres. Pas vraiment des cauchemars, maisperturbantsquandmême.Elleavaitfinalementréussiàs’enextraireenouvrantlesyeuxdansl’obscurité,en proie à une envie indescriptible. Elle n’avait plus du tout sommeil, au contraire, elle était pleined’énergieetpluséveilléequ’ellenel’avaitétédetoutelajournée.

Elleavaitenvied’allercourirsouslalune…etdeJenner.Aucunedecesdeuxpossibilitésneluiparutvraimentraisonnable.Ellejetauncoupd’œilauréveil

posésurlatabledenuit:1heuredumatin.Sonestomaccriaitfamineetfinalementelleseglissahorsdulitensoupirantet,vêtueseulementd’unboxeretd’undébardeurencoton,ellesedirigeadanslamaisonsilencieuse. Il n’y avait pas de loi interdisant de se préparer un en-cas au milieu de la nuit. En sedéplaçant, l’air fraisqui luicaressait les jambes luiprocuraunesensationplaisantequichatouilla sesterminaisonsnerveusesetluifitrepenseràsesrêves.

Mias’arrêtadevantlabaievitréepourregarderl’obscurité.Lesarbresondulaientdoucementsousla brise nocturne et la sensation de manque la parcourut de nouveau. Elle avait envie d’être là-bas,dehors,dans lesbois.Elleoublia son estomac et, repliant lesbras autourd’elle, elle scruta la nuit etaperçutde-cide-làdespetitesombresquipassaientfurtivemententrelesarbres.Lescréaturesdelanuit.

Commeelle.Saprésenceiciavaitpermisàdeschosesqu’ellepensaitenfouiesdepuislongtempsderefairesurface.Mias’étaittoujourssentiechezelledanslesbois,oùsamagieavaitfinipardevenirunechose aussi naturelle que de respirer. Elle avait de vagues souvenirs d’avoir couru entre les arbres,légèrecommelesluciolesquiscintillaientautourd’elle.Iln’yavaitpasquelesangquiavaitsachanson.C’étaitvraipourtout,lemonde,lanuit,lescréatures.

Ellene futpassurprisequandson refletdans lavitresemità luiredoucement.Unesensationdechaleurserépanditenelle.C’estcettesensationqu’elleauraitdûgarderenmémoire,plutôtquetouteslesannées de railleries cruelles. Quelque chose, que ce soient les bois ou le sang de loup-garou oul’atmosphèredeFerry’sHollow,avaitpermisàsamagiederesurgirdetouslesrecoinsoùelles’étaitefforcéedelacacher.Etelleneluiparaissaitnimauvaiseninoire.C’étaitcommelorsqu’elleétaitenfant,unepartd’elle-mêmequiétaitlachoselaplusnaturelleaumonde.

D’abordhésitante, puisplus assurée, elle la laissa s’exprimer et la femmedans lavitre semit àbrillerd’unelumièreplusvive,telunfeufolletdanslanuit.

MalgrétoutesleshistoireseffrayantesàproposdesféesUnseelie,Miasedemandaitcommentellesétaientréellement,sielless’étaientéteintesouavaientsimplementdisparudecemondecommesagrand-mère. Ada s’était raccrochée aux lambeaux de son héritage familial de fée comme à un talisman,s’enorgueillissantdesquelquesgouttesdesangunseelie,etrêvantàlaCourd’Eté.

Le père de Mia était un Unseelie de sang mêlé, beau et sombre. Mais elle n’avait pas d’autresouvenirquelesphotosoùonlevoyaitencompagniedelabellefemmeblondequiétaitsamère.Ellenecroyaitpasqu’ilslaconsidéraientcommeuneabomination.

Ilétaitpeut-êtretempsqu’ellecessed’avoircetteopiniond’elle-même.C’était une idée simple mais qui lui apparut soudain comme une évidence. Les loups, ici,

s’acceptaientcommeilsétaient.Pourlaplupart,ilsn’étaientpascessombrescréaturesqu’ontrouvedansleslégendes.Etlefaitquesonsangpouvaitêtreutilisépourfairelemalnevoulaitpasdirequ’elleétaitmauvaise,niquesafamillel’avaitété.

Ellen’est pasdifférentedenous, avait dit Jenner.Mais continuerait-il à le penser s’il la voyaittellequ’elleétaitencemomentmême?Etlesautres?Ellecourraitunrisqueenrévélantsavraienature.Maispourlapremièrefoisdesavieellenerejetaitpascetteidée.Surtoutparcequ’ellesavaitd’instinctquelefaitdedevenirunloup-garouneladéposséderaitjamaisdelamagiequ’elleportaitenelle.

Quellequesoitlameutequ’ellerejoindrait,ilsseraientbienobligésdel’accepter.Sinon…ehbien,elle sedébrouillerait seule, commeelle l’avait toujours fait.Aumoins, elle neperdrait pas la raison.Irritéeparcetteidée,ellesoupira.Lemomentdedévoilersescapacitésn’étaitpasencorevenu.

Chaquechoseensontemps.L’attentiondeMiafutdétournéedesarêveriemélancoliqueparuneformeplusgrande,toutàcôté

de la fenêtre. Elle s’approcha en fronçant les sourcils, se reflétant dans la vitre comme un fantômerayonnant.Unchevreuil?C’étaitpossible.Ellescrutalaforêtimmobilepourdiscernerlaformeétrangederrière la vitre. Sa vision s’aiguisa.Mais la surprise de découvrir qu’elle était capable de voir lesarbres comme en plein jour fut tempérée par une sensation de malaise grandissant. Ses cheveux sedressèrentsursanuque.Elles’immobilisatandisquelaformeau-delàdelavitrebougeaitdenouveau.Cettefois,elleladistinguatrèsnettement,cen’étaitpasunchevreuil.

C’étaitunloup.Commeellel’observait,ellepritconscienced’unbruitsourdàproximité.Ungrognement.Soudain,

elleserenditcomptequelesonsortaitdesapropregorge.Pourtant,cen’étaitpasunsonhumain,c’étaitbeletbienungrognementanimal.

Bienque le sonait été trèsbas, legrand loupà l’extérieur sembla l’entendre. Il redressa la tête,oubliant ce qu’il reniflait sur le sol, et se tourna vers elle. Un instant, leurs yeux se croisèrent.Instinctivement,Miagrognaplusfort,ensigned’avertissement.Desyeuxjaunesbrillèrentdans lanuit.Descrocsblancssedénudèrent.

Elleconnaissaitcesyeux.Ilétaitdifficiledelesoublier.Ils se regardèrent pendant un moment, le temps était comme suspendu. Elle ne fut pas étonnée

d’avoirpeurmais,plussurprenant,cettefois,sapeurétaitdominéeparunsentimentplusfortencore,lacolère. Mia montra les dents au loup qu’elle savait être Jeff Gaines, furieuse à l’idée qu’il l’avaitretrouvée,qu’ill’avaitpourchasséejusqu’ici…qu’ilrefusaitdelalaisserenpaix.

Ellesentitmonterenellelasensationdechaleurqu’elleavaitdéjàressentiequand,danslecamiondeJenner,elleavaitétésubmergéeparlacolère.Denouveau,unedouleuraiguëlatransperçacommedesmilliersdepoignardsmaisellenelarefusapas.Il fallaitqu’ilsachequ’ellenese laisseraitpasfaire.Ellenefuiraitpascettefois.Sesdoigtssecrispèrentcommedesgriffes,ellesentitsesongless’allonger,ellesetransformait.

LavoixdeJeffs’introduisitdeforcedanssatête.Mia,jet’avaisditquejeviendraistechercher.LecœurdeMiasemitàbattreplusviteetellepritquelquesinspirationsrapides.Luirépondresans

bougerleslèvressemblaitaussinaturelquederespirer.Tunem’auraspas.Jetetueraid’abord.Ellelevitouvrirlaboucheetlaisserpendresalangueensemoquantd’elle.

Tudisaisquejetemanquais.Allons,Mia,moi,jevoisquituesvraiment,mêmesilesautresnelevoientpas.Sorsetviensjoueravecmoi.Laisse-moit’aimer.Laisse-moitesaigner.

Jetehais.Jetehaispourcela,pensa-t-elleavectoutelaférocitéquis’accumulaitenelle.Ladouleurs’intensifiaitaupointqu’ellesesentaitprêteàdéfaillir,maisellerésista,lesyeuxrivés

surceuxdeJeff.Tum’entends?Jetehais!Tunem’auraspas!Il referma la bouche, sa langue disparut. A présent, la voix qu’elle entendait dans sa tête était

chargéed’accentsdouloureux.Non…nedispasdeschosescommeça…tunevoisdoncpasquejet’aime?—Jetehais!Elleeutdumalà reconnaître saproprevoix.L’énergie sortitviolemmentd’ellecommeunéclair

teintédepourprequiatteignit le loup.Ilbasculaà larenverse lorsquel’éclair le transperça,puis il fitvolte-face et s’enfuit dans l’obscurité, échappant à son regard. Un hurlement lugubre résonna à sesoreilles,danssatête.

Ellenepouvaitpaslelaissers’enfuir.Ellevoulaitalleraubout.Incapable de réfléchir— incapable depenser—,Miaouvrit brutalement la porte dupatio et se

précipitadanslanuitàsapoursuite.Ellesentaitencoresaprésence,sonodeurdesueuretd’homme,deloupetdefolie.Ellecourutàtraverslesbois,plusvitequ’ellenel’avaitjamaisfait,sespiedstouchantàpeineletapisd’aiguillesdepin,debrindillesetdecailloux.

Tunem’échapperaspas,pensa-t-elle,tandisquelalumièrequicouraitenellesechangeaitenunecolèrenoireetincandescente.Jeteretrouverai…etàcemoment-làturegretterasdem’avoirchoisie,moi.

Ellelerattrapait.Ellepouvaitentendresarespirationhaletanteetrauque,lebruitdesespattesdanslesous-bois.Ellel’avaitblessé,semblait-il,etellegagnaitduterrain.Auboutdesesdoigts,delonguesgriffesmeurtrièresavaientremplacésesongles,sesdentsétaientaussiaiguësquedesdagues,etc’étaitjuste.Chacunede ses terminaisonsnerveusesétait àvif.Ladouleur sous sapeaus’était atténuéepourlaisser place à une sensation de brûlure agréable. Elle était sur le point de se transformer. Et si ellepouvait le poursuivre en tant que loup, un loup avec les capacités qu’elle possédait déjà, il n’auraitaucunechancedeluiéchapper…

Elleaperçutsasilhouettedansunebrècheentrelesarbres,ilregagnaitdelavitesse.Ellepoussauncridecolère,dedésespoir,etdirigeaversluiduboutdesdoigtsunautreéclairdelumièrepourpre.Elleentendituncripitoyablequandlabrûluredesaflèchel’atteignitenpleindos.

Tun’aspascomprisàquituavaisaffaire,espècedesalaud,pensa-t-elleavecforceenespérantquesavoixintérieurel’atteindraitdanssacourse.

Soudain, elle se retrouva seule et elleprit consciencede la réalitéde cequ’ellevenait de faire,c’étaitdelapurefolie.Elletrébuchacommesaraisonreprenaitlepassursoninstinct.Etcen’estqu’àcemoment-là qu’elle perçut les autres choses qui bougeaient autour d’elle dans les bois. Des chosessombres,sinistres,faitesseulementd’ombre,quin’attendaientquedelavoirbaissersesdéfensespours’approcheretserefermersurelle.

Unaboiementaiguattirasonattention.Miaseretourna,prêteàdéfaillir,etaperçutunénormeloupgrisauxintensesyeuxmordorésquiseprécipitaitverselle.Enunclind’œil,ellesetrouvafaceàJenner,vêtuseulementd’unjean.Lefroidquil’avaitsaisieenprenantconsciencedesOmbresquil’observaientfutoubliédèsqu’ellevitl’inquiétudequiselisaitsursonvisage.

—Mia!Ils’approchaetlapritdanssesbrasenlapressantbrusquementcontrelui,commeelleenavaitrêvé

depuisqu’elleleconnaissait.—Bonsang,Mia,vousêtesfolleouquoi?Toutvabien?Seigneur!Regardez-moi.

Elle ne s’était pas rendu compte jusqu’ici de l’effet que cette petite aventure surnaturelle avaitproduitsurelle.Elleavaitmaintenuleloupàdistance,touteseulecettefois.Parsonsimplepouvoir,plusunpeudecetteautremagiedontellen’avaitjamaispenséêtrecapable.

Miasepassalalanguesurleslèvres.—Iladisparu,dit-elledansunsouffletandisqueJenners’écartaitd’ellepourl’observerdelatête

auxpiedsavantdelaserrerdenouveaudanssesbras.—C’étaitJeff.Maisils’estéchappé.Ilm’aéchappé,poursuivit-elle.Malgré tout,cela la fit sourire.Après toutescesannéesdepeursetdedoutes,pendant lesquelles

elleavaitcontrôlésonpouvoir.Celaluiavaitcoûtémaiselleavaitaussiapprisunechoseessentielle.Jennernesemblaitpaspartagersonenthousiasme.—Rentronsàlamaison.Vousn’êtespasensécuritéici.Illasoulevacommeuneplume,enlaberçantcontreluicommeill’avaitfaitlapremièrefoisqu’ils

s’étaientrencontrésdanslesbois.Miaenfouitsonvisagecontresapoitrinenuetandisqu’ils’élançaitencourantpourlarameneràlamaisonàunevitessequ’aucunêtrehumainnepourraitjamaisatteindre.Sapoitrineétaitchaudeetillaserraitsifortqu’ellenepouvaitpasfairelemoindremouvement.

Pourtant,ellenesesentaitpasprisonnière.Ellesesentaitensécurité.Sansrésister,Miase laissaallercontre lui.L’oreillepresséecontesapoitrine,ellepercevait les

battementsréguliersetapaisantsdesoncœur.Ellenefutpasétonnéelorsquesonproprecœurralentitsesbattementsfrénétiques,cherchantàsemettreàl’unissondeceluideJenner.Leventsifflaitàsesoreillesetelles’abandonnaenfermantlesyeux.L’instantd’après,ilsétaientderetourchezJenner.Auchaud.Ensécurité.

Seuleavecleseulhommequ’elledésirait.Etonnamment,lorsqu’ilpritlaparole,lavoixgravedeJennerluisemblamoinsassuréequ’ellene

s’yattendait.—Qu’est-cequivousestpassépar la tête?Vousn’étiezpasseule, là,dehors,mêmeaprèsqu’il

s’estenfui.Bonsang,Mia,vousnelesavezpassenties,mêmeunpeu?—Si…après,murmura-t-elle en s’humectant les lèvres, aussi sèchesquedupapierdeverre. Je

suisdésolée,poursuivit-elle,jemesuislevéeparcequejen’arrivaispasàdormir.J’aivuJeff,là,danslenoir.Biensûr,j’aieupeur,maisj’étaissi…encolère.Siterriblementencolère.

Jennerjuraensourdine,puisrestasilencieuxunmoment.Miasupposaqu’ilétaitentraind’appelerlacavalerieà la rescousse.Cela la rassurait,bienqu’ellesedisequeJeffdevaitêtre loinmaintenant.D’unecertainefaçon,elleavaitréussiàl’atteindre.Maisellen’étaitpasassezstupidepourcroirequecelaseraitdurable.Safoliesortaitdetoussespores,dégageantuneodeurfétide.Uneodeurdemort.

Jenner la transporta jusqu’au canapé sur lequel il s’assit en la gardant blottie sur ses genoux. Illaissaitlesbrasautourd’elleetçalarendaitheureuse.Elleauraitvouluqu’ilnelalâcheplusjamais.

—Pourquois’est-ilenfui?Vousa-t-ilagressée?demandaJenner.—Non,ils’estjusteenfui,dit-elle.—Aufond,c’estunlâche,répliquaJennerd’unevoixblanche.Çanem’étonnepas.Miasemitàtrembler,l’épuisementcommençaitàsefairesentir.—Toutecettehistoireestcomplètementdémente.Jennergrogna.—Cequiestdément,c’estenpremierlieuquelesSilverbackl’ontlaissépartir.Mêmes’ilestdoué

poursefaireplaindre,cedontjenedoutepasunseulinstant,ilsn’ontaucuneexcusepourl’avoirlaissélibre.Tomasauraitbiendûs’enrendrecompte.

—C’estsûr,maisj’ail’impressionqu’iln’estpasdugenreàaccepterqu’onremetteencausesesdécisions.

Jennereutungrognementdemépris.

—Tomasestsnob.Danssameute,ilyabeaucoupdefamillesdeloups-garousdesangpurquisecroientsupérieurs à cause de leur hérédité. Ils n’ont jamais vraiment affaire auxOmbres parce qu’ilsviventenvilleaumilieudeshumains, loindesforêts.Jenesaispascommentilspeuvent lesupporter.Euxsedemandentcommentnouspouvonssupporterdevivreici.Chacunsontruc.

MiaserappelacommentJennerétaitsortidelapièceenclaquantlaporte.Quandelleétaitsortieàsontour,ill’attendaitdevantlaporte,maisilétaitdemeurésilencieux.Ellehésitaitàenreparler,maisc’étaitmaintenantoujamais.

—Jenner?—Hum?—VousavezvraimentperduunecompagnequivousaquittépourrejoindrelesOmbres?Ildemeurasilencieuxsilongtempsqu’ellepensaqu’ilnerépondraitpas,etellefutenvahieparla

culpabilité.Ellen’auraitpasdûposercettequestion.Çanelaregardaitpas.Maisapparemmentelleétaitincapablederefrénersondésirdetoutconnaîtredelui…mêmesessecretslesplusdouloureux.

Ilfinittoutdemêmeparprendrelaparole.—Jen’avaispasencoredemandéàTessdedevenirmacompagne.Etnousn’étionspasencoreunis

officiellement.Maisnousallionslefaire.Nousvivionsensemble.Elleétait…Ilhésita,cherchantsesmots.— C’était un être passionné, reprit-il. Elle avait cet amour de la vie qui était contagieux. Elle

voulait tout connaître, tout expérimenter. Mais elle avait une part d’ombre. Elle pouvait être trèschangeante, insatisfaitedesavieàFerry’sHollow,descontraintes imposéespar lavieavec lameute.Ellevoulaitpartiretnesavaitpascommentfaire.Jem’efforçaisdelasatisfaireetdelarendreheureuse.Nous le faisions tous.Mais ce n’était jamais assez.Elle constituait uneproie facile pour lesOmbres.Quand elle a commencé à changer, à passer toutes les nuits dehors, j’ai compris que quelque chosen’allaitpas.Pourtant,jenevoulaispascroirequec’étaitça.Pendantuntemps,j’aicruqu’ilyavaitunautrehomme.Çaauraitététropbeau,dit-ilavecunrirequisonnaitfaux.

Miafuttranspercéeparladouleurdanssavoix.Qu’ilaitpunepassuffireàquelqu’unladépassait.Cependant,onvoyaitbienquelejugementdeTessaffectaitencorelavisionqu’ilavaitdelui-même.

—Vousétiezlunariàcemoment-là?—Oh!non,loindelà.J’étaisentraindem’installeretBaneétaitsurlepointdesuccéderauchef

précédent.Toutcequejevoulais,c’étaitbricolerdesvoitures,m’installer,avoiruneflopéedegamins.Vousvoyez,unevienormale.Jesuisunmecsimple,Mia.

Ellerejetalatêteenarrièrepourleregarder.—Ouietnon.Maisc’estcequimeplaîtchezvous.Sonpetitsourirefitbattresoncœurplusfort.—Quandlesattaquescontrelameuteontcommencé,quedesgenssesontmisàdisparaîtrelesuns

aprèslesautres,j’aisuquelquepartquec’étaitelle.Maiscen’estquelorsqu’elles’enestpriseàundesplus jeunes,ungaminnomméDannySawyerquin’avaitquequatorzeans,que j’aisuque jedevaisenavoirlecœurnet.C’estmoiquil’aitrouvéeentraindeboirelesangd’unedesfemmesdelameute.Nousavonsréussiàsauverlafemme.Maisnousn’avonspassauvéTess.Elleétaitentraindedevenirl’uned’entre eux. Ils avaient exploité la moindre de ses faiblesses et l’avaient montée contre nous.Mêmecontremoi.Ellevoulaitlesrejoindre,setransformertotalementetfairepartiedeleurmonde,aulieuderesteravecnous.Avecsafamille.Avecmoi.

Miavoyaitbienque,mêmemaintenant,cettepenséelefaisaittoujourssouffrir.—C’estdoncvousquiyavezmisunterme,dit-ellecalmement—J’ai… j’ai étéobligéde le faire.Mêmeà la fin, je continuais à espérerque jepourrais faire

revenir lavraieTess,mais…ellen’est jamais revenue.Et leschosesqu’ellea faites…deschoses siaffreuses. Ses parents n’ont pas pu supporter de rester ici plus longtemps après cela. J’avais été plus

prochedesonpèrequedumien,maisj’étaisunedeschosesqu’ildevaitfuir.Jel’aicompris.Etilm’afaitcadeaudelaboutique.Maiscelanem’apasconsolé.Ilssontpartisdansl’Ouest,ilsontrejointuneautremeute.Personneneleurenavoulu.

—Etc’estàcaused’ellequevousêtesdevenulelunari,ditMia.— Vous ne pouvez pas savoir à quel point je hais ces choses, dit Jenner d’une voix rauque,

menaçante.Voirquelqu’unquevousconnaissezcomplètementvidédesonsang,etsavoirqu’unedeceschoses vivra plus longtemps grâce à cela, est un des pires sentiments qu’un loup peut éprouver. Jesupposequec’estmavolontéd’empêchercelaquimepermetdetenir.

—Jesuisdésolée,ditMia,etellelepensaitvraiment.Il n’était pas surprenant qu’après avoir vécu une expérience aussi épouvantable il soit devenu

incapabled’envisagerunerelationsentimentale.Quipourraitavoirenvied’ouvrirsoncœuraprèscela?Mais la force dont il avait dû faire preuve pour régler le problème deTess procurait aussi àMia unsentimentderespectmêléd’effroi.

—Vous n’avez pas à l’être, dit Jenner. C’était il y a longtemps. A cette époque-là, j’avais desœillères,j’auraisdûcomprendrecequiluiarrivait.Ilyabeaucouptropdemagienoiredanslemonde,Mia,vouspouvezmecroire.Moi,toutcequejedemande,c’estqu’onmelaissevivremaviedeloup.

OnfrappaàlaporteetJennerserraMiacontreluiavantdeladéposersurlescoussinsducanapé.Elleespéraitque,danslapénombre,iln’avaitpasremarquésapâleursubite.

—Nebougezpas.C’estsûrementMeri,dit-il.Ilsedirigeaverslaported’entrée.Delàoùelleétait,Mianepouvaitpasvoirlevisiteur,maisen

entendantunevoixféminineelleseréjouitquetoutelacommunicationentrelesmembresdelameutenese fassepas toujoursdans le silenceet la télépathie.Biensûr, les loups-garousétaientaussidesgens,presquecommelesautres.Mêmeeux,ilarrivaitqu’ilsserendentvisitejustepourvoirsitoutallaitbien.

Elle entendit des bribes de leur courte conversation et en saisit la teneur. Une battue avait étéorganiséejusteaprèsl’appeldeJennermêmes’iln’yavaitquepeud’espoirderetrouverGaines.

Miaeutl’impressionqueleseffetssecondairesdelapremièremanifestationdesoninstinctanimalsedissipaient.Ellesesentitsoudaintrèsvulnérable,assiselàtouteseule.Elleremontasesgenouxcontresapoitrineet,plaçant sesbrasautourdeses jambes,elle se recroquevillacommepeuvent le faire lesenfants.

Elle fut agréablement surprise lorsque Jenner revint vers le canapé et la reprit dans sesbras.Lasituationauraitpuêtreembarrassante,maisMiaselaissaallercontreluiavecreconnaissance.Elleavaitencorebesoind’être réconfortée.EtJenner,sousdesdehorsbrusquesetplutôt intimidants, lesavaitetagissait en conséquence.Lorsqu’elle posa la jouedans le creuxde son cou, elle trouva sa peau aussidouceetchaudequedelasoie.Elleavaitenviedes’yblottiretderespirersonodeur.Pourprofiterdeluiaumaximumavantdedevoirlequitter,parcequ’illuiseraitimpossibledesecachertotalementd’unhommecommelui.Ilhaïraitcequ’elleétait.Toutaumoinsillarejetteraitpourcela.Ilnevoulaitpasdemagiequiailleau-delàdecequ’unlouppossédaitdéjà.

Elle avait été comme cela, elle aussi, pendant longtemps. Mais ce soir elle avait commencé àchangerd’avis.Elles’étaitserviedelamagiepoursedéfendre,elleavaitcontrôlésansdifficultéleflotd’énergie qui jaillissait du bout de ses doigts.Elle était sûre de pouvoir le refaire. Sonnouveau côtéloup-garoun’avaitfaitquerenforcersamagienaturelle.

C’étaitétrange.Maismoinsdésagréablequecequ’elleavaitcraintaudébut.Perduedanssespensées,MiasursautaquandJennerluiparlaàl’oreille.—Commentvoussentez-vous?luidemanda-t-ildoucement.Mieux?Miahochalatête.—Unpeu,dit-elle.Jenediraispasquejenemesuispasfaitpeurmoi-même,maisçavaaller.

—Ce n’est pas toujours aussi effrayant.Mais vous, vous semblez bien déterminée à choisir ladifficulté.

Mia,piquéeauvif,recula,prêteàleremettreenplace,maiselles’aperçutquelesyeuxdorésdeJennerpétillaientd’humour.

—Jenem’attendaispasàdécouvrirvotresensdel’humourprécisémentàcetteoccasion,dit-elle,impassible.

LesouriredeJenners’élargit.—Ahbon,ehbien,renseignez-vous.Onditgénéralementquej’aiunsensdel’humourplutôttordu.

Jesuisnavré.Elleeutundemi-sourireenreposantlatêtecontresonépaule.—Jesuissûrequenon.—Vousavezraison.Maisc’estvraiquejevousfaismarcher.Engros,j’auraiscruquevousvous

réveilleriezcommequelqu’unquiabudeslitresdecafé.—C’estcequis’estpassé,admit-elle.Aquoiest-cedû?—C’estl’attractiondelalune,ditJenner,etcesmotsprononcésd’unevoixrauquefirentfrissonner

Miad’unfrissonquin’avaitrienàvoiraveclefroid.—Çavousfaitça,àvousaussi?demandaMia.Touteslesnuits?—Non,répondit-il.Pas toutes lesnuits.Etvousapprendrezàchangervoshabitudesendevenant

plusnocturne.Maisàcetteépoquedumois,quand la luneestpresquepleine,oui, j’aidumalà restertranquille.Vousseriezétonnéedevoirtouteslescorvéesquejetermineà2heuresdumatin.C’estdanslanaturedelabête.

—Jesuiscontentequevousayezétééveillé,ditMiacalmement.—Ouais,dit-il.Moiaussi.Ilsrestèrentassis,silencieuxpendantquelquesminutes.Miaserassuraitenécoutantlesbattements

réguliersducœurdeJenner.C’étaitdelafoliedeledésirer.C’étaitstupidedesefocalisersurcequinepourrait jamaisarriver.Etpourtant,ellerestait là,blottiecontre lui,àse torturer,quandilsemità luicaresserledosd’unemainhésitante.

Il ne se contentait pas de la protéger, il prenait soin d’elle. EtMia savait que Jenner ne prenaitsérieusementsoinquedeschosesquicomptaientpourlui.

Elleespéraitseulementqu’iln’allaitpasleregretterplustard…toutcommeelle,d’ailleurs.

13

En serrantMia dans ses bras, Jenner savait qu’il jouait avec le feu.Mais il ne pouvait pas s’enempêcher.

Ilnes’étaitplusautoriséàréagirdecettefaçondepuisTess.Mais,cettefois,c’étaitdifférent.Mian’avaitriendecommunaveclafemmequ’ilavaitaiméeautrefois,etperdue.

Enfin,presquerien.Endépitdesoningénuité,Miaconservaitdeszonesd’ombre.Riendevraimentmenaçant,maisquandmême,elleavaitquelquechose…deplus.C’étaitpeut-êtrecettetouchedesangdefée, celle qui avait attiréGaines,mais il ne le pensait pas.C’était justeMia.A son grand désespoir,chaquesecondequ’ilpassaitavecellenefaisaitquelarendreplusattiranteàsesyeux.

Iln’étaitpasstupide,ilsavaitcequecelasignifieraits’ilselaissaitaller.Cen’étaitpaspourriensichezlesloups-garouslacourétaitdecourteduréeetl’unionpermanente.Chezeux,quandunechoseétaitjuste,elleallaitdesoi.

EtMia devait le sentir, elle aussi, sinon elle ne resterait pas sur ses genoux, blottie comme unchaton.

Bon sang, il était vraiment sincère en lui disant qu’il ne pouvait pas être son initiateur pour sonintégration dans la meute. Il ne voulait plus se remettre en péril de cette façon. Mais il fallait bienadmettrequ’ilétaitincapabledeseteniréloignéd’elle.Surtoutenpensantàcequiavaitfailliluiarriverunpeuplustôt.

—Jenner?Savoixétaitchaudeetdouce,onctueusecommede lacrème. Ilbaissa lesyeuxverselle,certain

qu’ellepercevaitsondésiretsafrustration.Encroisantsonregard,Jennervitqu’ilnesetrompaitpas,etilfutrassurédeconstaterqu’iln’étaitpasleseulàlutter.

Sanslequitterdesyeux,Mialevalesmainsenungestehésitantetlesplaçadechaquecôtédesonvisage.Ellen’étaitpastimide.Calmeparfois,maisaufondd’elle-mêmeellen’étaitpastimide.Cesoir,elle avait subjugué les Silverback… et obtenu exactement ce qu’elle voulait. Il avait de plus en plusl’impression qu’il valait mieux ne pas sous-estimer Mia D’Alessandro. C’était une des nombreuseschosesqu’iltrouvaitsiattiranteschezelle.

—Mia,dit-ild’unevoixdouce,ceseulmotsonnantcommeunesupplique.Soudain,ilssejetèrentl’unsurl’autred’unmêmemouvement.Aupremiercontact,Jennersentitsonsangaffluerdanssesveines.LeslèvresdeMiaétaientaussi

doucesquedanssonsouvenir,faitespourleplaisir.Elles’abandonnaàsonbaiseravecunpetitsoupiretplusrienaumondenecomptapourluiquesaboucheexplorantlasienne,etsesmainssursoncorps.

Miacaressasonvisage,passantsursabarbenaissante,puislelongdesesépaulespourdescendresursapoitrine.Jennersentit lesbattementsdesoncœurs’accélérerenprenantdanssamainundeses

seinsaugalbeparfait.Dupouceilencaressalapointedresséejusqu’àcequeMiagémisse.Lapassionentreeuxétaitd’unetelleintensitéqu’ellefaisaitcommeunarcélectrique.

Jenner emmêla ses doigts dans ses cheveux en grognant.Mia émit un gémissement, une sorte dedoucesuppliquedesoumission,etsepressacontrelui.Ilfaillitenperdrelaraison,perdrececontrôlequiluiétaitsiprécieux.Ilétaitauborddel’abandon,etc’étaitdangereux.Ilyavaiteud’autresfemmesdepuisTess.Maisellesn’étaientquedespassadesqu’iln’avaitpasprofondémentdésirées.Aujourd’hui,c’étaitdifférent.

Il s’arrachaà leurbaiseretMiapoussaunpetit cride frustration.Elle le regarda,avecdans lesyeux les étincelles d’un feu ardent, et Jenner vit queMia était, comme lui, à la limite de perdre toutcontrôle.Ilvoyaitlabêtedanssesyeux…etquelquechosedeplus.Unchatoiementsauvaged’unebeautéirrésistible,quifaisaitdeMiaunêtresingulier.Ilauraitvoulus’endétournermaislamajeurepartiedesonêtren’avaitqu’undésir,s’yplonger.

—Mia,dit-il,lesoufflecourt.Jenepeuxpas…nousnedevonspas…—Jesais,dit-elle.Maisj’aibesoinquetumetouches,Jenner.Mêmesicen’estquepourunenuit.

Resteavecmoi.Cédant finalement à la tentation, il lui répondit par une succession de baisers haletants et

passionnés.

***

Avec une rapidité dont elle ne se serait pas crue capable, Mia changea de position pour venirchevaucher Jenner. Le grognement guttural qu’il poussa et la façon dont il agrippa ses hanches luiindiquèrentqu’elleavaitgagné.Ledésirembrasaitsessens.Soncorpsétaitprêtàs’enflammer.

Lamagieenelleseréveilla,envoyantdeséclairsdefeuetdedésiràtraverstoutsoncorps.Elleentenditsapropremusiquesecrète,quisemêlaàcellequibattaitsouslapeaudeJenner,jusqu’àneplusfairequ’unemusiquesingulièrequiétaitlaleur.Touteraisondisparut,remplacéepardesinstinctsvieuxcommelemonde.Mias’arc-boutacontreJenneretperçutsa respirationsifflante.Elle rejeta la têteenarrière,exposantsagorgeàsonregard.

Rejoins-moi,pensa-t-elle.Prends-moi.Bienqu’ellesachequec’étaitimpossible,elleauraitpujurerqu’elleentendaitlaréponsedeJenner

directementdanssatête.Commetuvoudras.Enuninstant,Miaseretrouvaallongéesurledossurlecanapéconfortable.Lasensationducorps

deJennerpesantsur lesien l’envoyaitauparadis.Ellesentit sesmains, sigrandeset sûres, seglissersous son débardeur. Elle l’aida à le retirer, avide de sentir sa peau directement contre la sienne. LevêtementfutpromptementéliminéetMiapoussauncrirauquedeplaisirquandplusriennesubsistaentreeux.

Sielleavaiteudesdoutesàproposdel’attirancequ’elleprovoquaitchezJenner,ilsfurentbalayésparlamanifestationdesondésir.Sesmainsétaientpartoutsurelle,tandisqueleurscorpss’emmêlaientsur le canapé. Sa bouche chaude et dure était exigeante. Mia se pressa contre lui, l’encourageantsilencieusementàcontinuercommeilplaçaitsesmainssursesseinsenlespressant.Elleeutlesoufflecoupéquandunedesesmainss’insinuasouslaceinturedesonshort.Sonnomemplissaitsatêteetsoncœur.

—Nick,murmura-t-elle,tandisquedesdoigtsilcommençaitàcaresserleszoneslesplussensiblesdesonintimité.Pourunefois,l’usagedesonprénomnesemblapasperturberJenner.

—Mmm,acquiesça-t-ildansunesortederonronnement.

Miasesoulevasousl’effetdesacaresse,lesouffleaussicourtqueceluideJenner.Ellesentaitsonregard sur elle tandis qu’il l’amenait vers la culmination de son plaisir.Mia ferma les yeux. Elle nevoyaitrien,entièrementconcentréesursessensations,quiétaientmultiples.

—Regarde-moi,dit-ild’unevoixgutturale.Jeveuxquetumeregardes.Elleouvrit lesyeuxet lesplongeadans lessiens,etaumêmemomentelle futsubmergéeparune

vague de plaisir qui la tétanisa. Elle poussa un cri, le corps tendu par les vagues déferlantes de sonorgasme.Jennerpoursuivitsescaresses,laforçantàexprimersonplaisirjusqu’àladernièrevibration.Maisellen’étaitpasencorerassasiée.

—Fais-moil’amour,implora-t-elle.Setordantcontrelui,elleglissalamainpours’emparerdesonsexedresséquipalpitait, tenduet

soyeuxsoussesdoigts.Jennerhaletaitplusquejamais,soncœurbattaitlachamadecontresapoitrine.IlavaitenfouisonvisagedanssoncouetquandMialecaressailfrissonna.C’estseulementàcetinstantqu’ellecompritàquelpointilétaitprèsdeperdretoutcontrôle.

—Ilfaut…ilfaut…Mia se demanda comment les loups-garous faisaient pour avoir des rapports sexuels sans

transformertousleurspartenairesenloups-garous.Ellecompritsoudainquelaréponseétaitsimple.ElleétaitprêteàseruerdansladirectionqueluiindiqueraitJennerpourallerchercherlaboîtedontilavaitbesoin.

—Où?demanda-t-elle,lesoufflecourt.—Attends,dit-ildansunsouffle.Juste…bonsang…Ildisparutsivitequ’ellelevitàpeineetellefutenvahieparunepeuraussisoudainequ’horrible

qu’ilnereviennepas.Mais ilrevintaussivitequ’ilavaitdisparu.Elle l’entenditdéchirer l’enveloppetoutens’allongeantmaladroitementsur lecanapéenunmouvementpeugracieuxquineluiressemblaitpas, si grande était l’impatience de son désir.Mia le prit dans ses bras et il s’immobilisa, respirantbruyamment.

—Jeneveuxpastoutgâcher,dit-il.—Net’inquiètepas,ditMiad’unevoixrassurante.Ellel’aidaàplacerlepréservatif,sentantavec

plaisirsonsoufflehaletantsurelle.Alorsleurscorpsseretrouvèrent,emmêlésdenouveau,s’accordantdanslemêmemouvement.Ilssedébarrassèrentdurestedeleursvêtements.Jennerlaportasurl’épaistapisde lainequi recouvrait lesoldevant lecanapéetpritpositionau-dessusd’elle. IlposasonfrontcontreceluideMiaetl’embrassaenunlongetlentbaiserquil’irradiadeplaisirdelatêteauxpieds.Mia gémit et s’étira sous lui. A ce moment, il la pénétra, et elle retint sa respiration tandis qu’ils’immobilisaitenelle.

—Seigneur,murmura-t-il.Tuessiétroite,Mia…Ellesoulevaseshanchescontre luiet ilcommençaàsemouvoirenelleàunrythmequi luiétait

propre. Mia calqua son mouvement sur le sien, sentant le plaisir qui montait en elle de nouveau. Ill’emplissait complètement et chaquecaresse la transportaitdeplusenplusprèsd’unétatoùplus rienn’existaitqu’unesortedefélicitéintégrale.

Elleregardasonvisagemagnifique.Cesoir,illuiappartenait.Ilaccéléralerythmedesonmouvementenelle,etMiasentitsonplaisirseconcentrer.Etpourtant

elle avait l’impressionque Jennerpouvait lui donner encoreplus, s’il le voulait.Elle sentit son cœurbattrecontresapoitrineenparfaitaccordaveclesien.

Jenneremmêlasesdoigtsaveclessiens,etrepoussasesbrasau-dessusdesatête,sibienqu’ellefuttotalementcaptive.Ilposaunesériedebaisersbrûlantssursonvisage,sursesseins.Miapoussaunlonggémissementrauque,oublianttoutcequin’étaitpasleplaisirquiaffluaitenelle.

L’orgasmes’abattitsurellecommeunetempêtetropicale.Ellecria,lecorpscambrécontreceluideJenner,quiatteignitsaproprejouissanceenlibérantuncri.

Miafutsecouéedefrissonstandisquelesondesdesonplaisirs’éloignaientuneparuneencerclesconcentriques. Ils absorbèrent ensemble ces frémissements jusqu’à ce qu’ils refluent en de délicatesondulations de plaisir. Mia avait l’impression que son corps tout entier était recouvert de poussièred’étoiles.

ElleseblottitcontreJenner,sarespirationreprenantunrythmenormal,ensedemandantcequ’ilsavaienttraverséensemble.Mêmeaprèsqu’ils’étaitretiré,ellelesentaitencoreenelle.

Quelquechoseavaitirrémédiablementbasculédanssonmondelorsqu’ilss’étaientunis.Ellen’étaitpas encore en état de se concentrer suffisamment pour analyser ce que c’était, ni ce que cela allaitsignifierdans l’avenir.Laseulechoseà laquelleellepouvaitpenser,c’étaitque,aussi formidablequeleuracted’amouraitpuêtre,ilss’étaientapprochésd’unprécipicebienplusprofond.

Ellesentitconfusémentqu’illasoulevaitpourl’emporterdanssachambreetl’allongersurlelit.EllecompritqueJennern’avaitpasplusenviedelalaisserqu’ellenevoulaitqu’illalaisse.Encore

quelquechosequ’ilfaudraitanalyser…plustard.Ils’éclipsapendantquelquessecondesquiluiparurentuneéternité.

Quandilrevintsecoucherauprèsd’elle,Miaseglissaentresesbras,soncorpsépousantlaformedusien.

Jennerpoussaundouxgrognementquilafitsourire.—Sionavaitvoulupasseroutrelaloidelameute,onn’auraitpasfaitmieux,dit-il.Il avait l’air aussi comblé qu’elle. Mia commença à glisser dans le sommeil, transportée par

l’euphoriequisuccèdeàuneextraordinairesessiond’amour.Jennern’ajoutarien,apparemmentsatisfaitdelaserrercontrelui.Quelquepartaufonddesaconscience,Miasentitqu’elleessayaitdel’atteindrepourfairerevivre

lamusiquemagiquequ’ilsavaientcrééeensemble.Ellelalaissavibrerenelle,absorbantJennerjusqu’àcequeplusrienn’existed’autrequelui.Ellesevoyaitdanseravecluisouslaluneaumilieud’uncercledeféeslumineuses.Desyeux,amicauxetd’unecertainefaçonfamiliers,lesobservaientavecsympathiedepuislesarbresquiondulaientdoucement.

Fée-loup,soufflèrent-ilsd’uneseulevoix.Filledelalunemagique.Danssonsommeilinnocent,Mianepensaitqu’àunechose,elleétaitenfinarrivéechezelle.—Nick.Sonnom,doucementmurmuré,parvintauxoreillesdeJenneretilfrissonnaenlaserrantplusfort,

s’efforçantjusquedanssonsommeildelaprotégerdequelquechosequisemblaitvenirdepartoutetdenullepartàlafoisetquipalpitaittoutautourd’eux.

Enrêve,ilvitMiaquidansaitenriantdansuneobscuritéétrangeethostile.Sesyeuxbrillaientdumêmeéclatquela lune…etsoudainilvit lesyeuxsansviedeTess.Sesyeuxquisemoquaientdeluipourl’avoiraimée.Pourluiavoirfaitconfiance.

Luirappelantdeneplusjamaisouvrirsoncœur.

14

Aprèsavoirdormid’unsommeilétonnammentprofond,Mias’éveilladansunemaisonsilencieuse.Ellen’avaitpasbesoindevérifierpour savoirque Jenner étaitparti.Ellene l’avaitpas entendu

partirmaisellesentaitsonabsenceaussisûrementquesiellel’avaitvupasserlaporte.C’étaitétrangemais,enyrepensant,pasplusquelesquelquesjoursquivenaientdes’écouler.

Leboncôtéétaitque lecalme luidonnait le loisirde réfléchir sansêtre interrompue.Elleauraitaimélevoircematin,seréveillerdanssesbras.Cequis’étaitpasséentreeuxlaveilleausoirn’étaitpasqu’une simple histoire de sexe, elle l’avait senti d’une façon qui ne laissait pas de doute. Et il étaitimpossiblequ’ilnel’aitpassentiluiaussi.

Oualorsill’avaitsentietc’étaitpourcelaqu’ilétaitparti.Ellepritunedoucheets’habilla,puisellesortitdesachambreetdescenditl’escalieravecl’idéede

trouverquelquechoseàmanger.Lamaisonétaittotalementsilencieuse.ElleserendaitcomptemaintenantàquelpointlaprésencedeJennerluiétaitvitale.Elleauraitvouluqu’ilsoitlà.

D’unautrecôté,ellevoulaituntasdechosesqu’ellenepouvaitpasavoir.Mia repassa dans sa tête les événements de la veille sans vraiment porter attention à ce qui

l’entourait.Quelquechoseluiavaitpeut-êtreéchappé?Quelquechosequis’étaitmalpassé?Oubiençavenait peut-être tout simplement de Jenner, qui culpabilisait et déambulait dans Ferry’s Hollow enressassantlefaitqu’ill’avaittouchéealorsqu’ilavaitjurédenepaslefaire?

Elleauraitbienaimélesavoir.Mia s’arrêta net aumilieu desmarches en voyant une longue jeune femmemince allongée sur le

canapé.Lafemme,elle,nesemblapasremarquerMia,quilaregardait,interloquée.Unedesesjambespassait par-dessus le bras du canapé et semblait marquer la mesure. Mia tendit l’oreille et entenditvaguementdelamusique.Lepiedquiterminaitcettejambeétaitnuetsesonglesétaientrecouvertsd’unvernisvioletbrillant.Ladeuxièmejambeétaitrepliée.

Quellequesoitcettepersonne,ellesemblaitsesentirparfaitementchezelledanscettemaison.—Hum,bonjour…ditMiasuruntoninterrogateurenfinissantdedescendrel’escalier.Lajambes’immobilisauninstantpuisdisparut.Ilyeutunmomentdeconfusionetunetêteapparut.—Salut,ditl’inconnueenretirantlesécouteursdesesoreilles.—Salut,réponditMiaenhaussantlessourcils.Voilàquiapportaitunpeudedistraction.Lajeunefemmeétaitadorable,dansunstyleféegothique.

Ses cheveuxnoirs coupés au carré encadraient sonvisage fin et délicat illuminépar unepaire d’yeuxourlés de cils épais et d’un bleu presque aussi sombre que de l’onyx. Comme Mia restait là,complètementdéconcertée,leslèvresrosesdelapetitefées’élargirentenungrandsourireirrespectueux.

—Jepariequevousvousdemandezcequejefaissurcecanapé,dit-elled’untonenjoué.

—Ouais,ditMialentement,jepensequ’onpeutdireça.Jem’appelleMia.—Aislynn.AislynnO’Doyle.Elle se leva d’un bond léger et fit le tour du canapé. D’après ses vêtements, elle devait avoir

quelquesannéesdemoinsqueMia,jeannoirmoulant,T-shirtaffichantlenomd’ungroupedontMiaavaitentenduparlermaisqu’ellen’écoutaitpasspécialement,etunechemisedeflanellerâpéetroisfoistropgrande,auxmanchesroulées.Elleétaitpetiteetmenueetpourtantelledégageaituneincroyableénergie.

Miasedemandasielledevaitluiserrerlamainoupartirencourant.—Désolée, j’aurais dû faire plus attention,mais j’écoutais de lamusique surmon iPod avec le

casque.Jennerm’aditpasde jeuvidéopendantquevousdormiez, iln’ya riend’autreà lirequedesmagazinesautomobiles,iln’yariendanslefrigo,alorsjesuiscontentequevoussoyezréveillée.J’étaisàdeuxdoigtsdemejeterparlafenêtre.

Mianeputs’empêcherderire.—Etmoijesuiscontentequenousayonsévitéça.Ecoutez,j’espèrenepasêtreindiscrète,mais…

vousêtesqui?OùestJenner?Aislynnplissasonpetitnezpointu,prenantunairdégoûtéquiétaitabsolumentcharmant.—Jefaispartiedeschasseursdelameute.Jesuislaplusjeunepourl’instantpuisqu’ilsn’engagent

les nouveaux qu’à la sortie de la fac.Moi, j’ai eumon diplôme enmai.Ce quime vaut une quantitéconsidérabledetracasseriesdelapartdesanciens,etc’estaussiàmoiqu’ondemanded’assurerlebaby-sittingquandonaenviedesortirsedégourdirlesjambes.

Ellefitunegrimace.—Désolée.Jenevoulaispasdirequevousêtesunbébé.C’estjusteunefaçondeparler,ajouta-t-

elle.Impressionnéeparledébitconstantdeparolesd’Aislynn,sidifférentdelaconversationlaconique

deJenner,Mian’avaitpasrelevél’insulteinvolontaire.—Iln’yapasdeproblème,dit-elle.Jenesuispascomplètementinculte.CelasemblaamuserAislynn.—Inculte?J’aimebien,c’estplutôtsoutenu,commevocabulaire,non?Ellesecouaunemainauxonglesdumêmevioletchatoyantquesesdoigtsdepieds,faisanttinterune

multitudedebraceletsd’argentquireflétèrentlalumièreaupassage.—Bref,Jenneraétéappelépourallervérifierquelquechosedanslaforêttôtcematin.Etonm’a

ordonnédevenirvoustenircompagnie,poursuivit-elle.Mia essaya de ne pasmontrer son soulagement.C’était donc la raison pour laquelle Jenner était

parti,elleétaitheureusedesavoirqu’ilnes’étaitpasenfuiparcequ’ilavaitcouchéavecelle.Bien sûr, cela ne disait pas ce qu’il en pensait vraiment,mais ça aurait pu être pire.Maintenant

qu’ellepouvaitpenseràautrechose,soninterrogationobsessionnellefitplaceàlacuriosité.—Mercid’avoirjouélesbaby-sitters,alors,ditMiaensouriant.—Jevousenprie,ditAislynnavecsimplicité,endansantd’unpiedsurl’autreavecgrâce.Ellesemblaitavoiruntrop-pleind’énergiequil’empêchaitderestertranquille.—Jenem’attendaispas à fairevotre connaissance cematin. Jepensais que Jenner serait rentré

avant,maisc’estvraiquedanscettehistoirerienn’estnormal.Elles’arrêta,lesyeuxarrondis.—Jeneveuxpasdirequevousêtesanormale,reprit-elle.C’estjustetoutecettehistoiredesauvage

psychopathe.—J’avaiscompris,répliquaMiaenessayantdenepasrire.Acemoment-là,elleserenditcompteàquelpointelleavaitmanquédecompagnieféminine.Aislynnregardaautourd’elleetsautasurplace.

—Sionallaitdéjeuner?Jemeursdefaim.JenesaispascequeJennermange,maisjedoutefortqu’ilsurviveuniquementavecdesbretzelsrassisetdelabière.

—Jecroisqu’ilautilisétoutessesréservespourlepetitdéjeunerilyadeux…attendez,vousavezditdéjeuner?

Aislynnhochalatêteenhaussantunsourcil.—Ehoui, labelleauboisdormant.Vousavezfait lagrassematinée.Jepensequejenevaispas

pousserlagrossièretéjusqu’àvousmettreenboîteàcesujet.Engénéral, j’attendsaumoinsuneheureavantdememontrervraimentpeste.

Le sentiment de panique soudain qui saisit Mia l’empêcha de trouver ça drôle. La seule chosequ’elleavaiten têteétaitqu’elleavaitdormi jusqu’à l’heuredudéjeuner.Etc’était lemomentoùelleétaitcenséeretrouveruntypequin’étaitévidemmentpasceluiavecquielleavaitpassélanuit.

Acetinstant,quelqu’unfrappaàlaporte.Miafermalesyeuxengrognant.Aislynnregardaendirectiondelaporteetlevalenezavecl’airattentif.Ellesemblaitapprécierce

qu’ellesentait.—Hmm.Tun’aimespascetteodeur?Mia renifla et reconnut immédiatement son odeur — chaude, vivante et très virile, un mélange

d’épicestrèsagréable.Ellesedemandasiellenepourraitpasenvisagerdes’enfuirparlafenêtredelasalledebains.

—Ilsentbon,admitMia.—Enplus,iln’estpasmaldutout,ditAislynnavecunsourireespiègle.Unpeutroppropresurlui,

àmongoût,maisonnesaitjamais,ilcachepeut-êtreuncôtéplussauvage.ElleregardaMiaattentivementet,mêmesiellesnecommuniquaientpaspar télépathie, l’intuition

fémininefutsuffisante.—Oh!Oh!Unrendez-vouspourdéjeuner?—Ouais.—IlestaucourantpourJennerettoi?Mialuttacontrel’enviedesemasserlestempespourchasserlamigrainequis’annonçait.—Quandj’aiacceptécedéjeuner,iln’yavaitpasdeJenneretmoi.Etd’ailleursjenesuispassûre

quecesoitdifférentmaintenant.Maiscen’estpas…Aislynnlevalamain.—Nem’endispasplus. Je suis tababy-sitter,d’accord?Où tuvas, jevais.Mêmesiceladoit

créer une situation embarrassante pendant laquelle je ferai tout ce que je pourrai pour faire rougir lemignonpetitSilverback.

MialançaàAislynnunregarddegratitudemuette.Ellecompritcequesignifiaitapparteniràunemeute.Celavoulaitdireavoirunegrandefamillequiveillesurvous.Etmêmequiintervientpourgérerlesrendez-vousimportuns.

Jenneravaitraison…Ferry’sHollown’étaitpeut-êtrepasPhiladelphie,maiscetendroitavaitsesavantages.Peut-êtremêmeplusqu’ellenelecroyait.

—Merci,ditMia.Jeveuxdire,onneseconnaîtmêmepas…—Toutleplaisirestpourmoi,réponditAislynnavecunpetitgestedelamain.Vraiment,ajouta-t-

elleavecunclind’œil.

15

Contretouteattente,Mias’amusaitplusqu’ellenel’avaitfaitdepuisfortlongtemps.Elleseditquequoiqu’ilarriveAislynnallaitvraimentdeveniruneamie.Elleétaittellementdrôle

queMiaavaitmalauxcôtesà forcede rire,etellesavaientpleindechosesencommun.Ellesétaientassises l’uneen facede l’autre etAislynn sélectionnait les chansons sur lemini-juke-box fixéaumur.Chaquealcôveenavaitun,reliéaugrandjuke-boxsituéaufonddurestaurant.

Cela faisaitunmomentqu’Aislynncherchait lameilleure façonde torturer lesautresclients.Ellehésitaitentreunteenageràlavoixdefaussetinexplicablementpopulaireetunejeunestardelatélévisionquiétaittotalementdépourvuedetalent.

—Jevaismeboucher lesoreilles,protestaKenyonenriant. Jeneveuxmêmepassavoircequevousallezchoisiretjecrainsquemestympansnerésistentpassijel’entends.

Mia regarda Kenyon, qui était assis à ses côtés. Il avait des fossettes, comme elle l’avait déjàremarqué,et riendecequ’il faisaitn’étaitvenualtérer l’impressionqueMiaavaitde lui. Ilétaitbienélevé,charmantetsijuvénilequ’ilsemblaitplusjeunequ’ilnel’étaitenréalité.Deplus,ilétaitbeauettoutes les femmesdans le restaurant, les adolescentes comme les femmesmûres, n’avaient d’yeux quepourlui.Kenyonétaitabsolument…craquant.

Elleétaitaussiabsolumentsûrequ’iln’étaitpasfaitpourelle.Mais,elledevaitbienlereconnaître,ilnemanquaitpasdepersévérance.

Il se tourna vers elle en plissant ses yeux bleus.Mia remarqua qu’il s’était rapproché d’elle englissantsurlabanquette,sansqu’elles’enaperçoive.

Oh!oh…—Jemedisais…quediriez-vousdesortiravecmoicesoir?Onpourraitallermangerunmorceau,

etpeut-êtresefaireunciné.Ilyaunesalleassezsympadanslecoin.Miasouritenréfléchissantàunefaçonaimablederefuser.MêmesiJennersedérobaitencoreune

fois,Kenyonn’étaitpaslegenredetypequisecontenteraitd’uneseulenuit.Ilméritaitmieuxqueça…ilméritaitquelqu’unqui…ehbien,quileregardeexactementcommelefaisaitAislynn,s’ilvoulaitbiensedonnerlapeinedeleremarquer.

—Enfait,Kenyon…Elle fut interrompue par le tintement de la clochette de la porte d’entrée et une vague de joie

s’abattitsurelle,laprenanttotalementaudépourvu.EllelevalesyeuxetvitJennerfranchirlaporte.Ilparaissaitbeaucouptropgrandetdangereuxpour

avoirledroitd’entrerdanscerestaurantkitschetridiculementexigu.Il larepéraimmédiatementet,aumoment où leurs regards se croisèrent, tout le reste disparut autour de Mia. Au bout de quelques

secondes, elle recommençaà respirernormalement.Elle luttait contre ledésir instinctifde se lever etd’allerverslui,attiréecommeparunaimant.

Avantdéjà,ilprovoquaitchezelleuneréactionintense.Maislanuitqu’ilsavaientpasséeensemblesemblaitavoirdémultipliél’effetqu’illuifaisait.

Son cœur battit une fois, puis deux, et elle entendit l’écho de celui de Jenner dans sa tête. Elleéprouvaalorslapluscurieusedessensations:sonesprits’emplitdudouxsondesavoixprononçantsonnom avec une tendresse infinie. Puis la voix disparut comme un battement d’aile de papillon. Elle sedemandasisonimaginationluijouaitdestours.Entoutcas,Jenner,lui,étaitbienréel.

Toutcommeleregardmeurtrierquis’affichasursonvisagelorsqu’ilvitquiétaitassisàcôtéd’elle.Etellenemanquapasdepercevoir,venantdelà,ungrondement,légermaistoutàfaitréel.Auprixd’uneffort considérable, Mia parvint à détacher son attention de Jenner pour lancer à Kenyon un regardincrédule.

—Non,dit-elled’unevoiximplorante.Jevousenprie.Pasdanslerestaurant.Laseulepersonnequisemblaits’amuser,c’étaitAislynn.Elleregardaitavecbeaucoupd’attention

lascènequisedéroulaitsoussesyeuxetnesemblaitpasparticulièrementinquiète.ContrairementàMia,horrifiéeàl’idéequeJenneretKenyonpuissentenvenirauxmainsd’uninstantàl’autre.

Jenner se dirigea vers eux à grandes enjambées, terriblement sexy avec son jean déchiré, quidescendait sur ses hanches, ses bottes élimées, son T-shirt noir et son blouson tout froissé. Sa lèvresupérieuretremblaitcommesielleallaitseretrousseretsesyeuxlançaientdeséclairs.Maismalgrécetterage,lorsqu’ilposalesyeuxsurelle,Miaeutl’impressionqu’elleseliquéfiaitsurplace.

—Désolédejouerlestrouble-fête,grommela-t-ilsuruntonquidémentaitsesparoles,maisvousallezdevoirinterromprecettepetiteréunion.

—Toutdesuite?demandaMiaenessayantderassemblersesidées.Pourquoi?—Jet’expliqueraiquandnousseronsdehors.—SiçaaunrapportavecGaines,alorscelameconcerneaussi,ditKenyond’unevoixquiavait

perdutoutetracedegentillesse.Jeviensavecvous.—Çam’étonneraitétantdonnéquetoutcecineconcernequemoietMia,etque,deplus,tun’espas

convié,rétorquaJenner,etcettefoissalèvresupérieureétaitfranchementretrousséesursesdents.Kenyonse levavivement,attirant l’attentiond’uncertainnombredeclients.Miase recroquevilla

intérieurement.Lesgenscommençaientà remarquerqu’ilyavaitde labagarredans l’airet le tauxdetestostéronedanslasalleatteignaitunniveaucritique.Elleselevaàsontour,pluslentementtoutefois,etessayadeparaîtremoinspaniquéequ’ellel’étaitenréalité.Aucunhommenes’étaitjamaisbattuàcaused’elle.Et,maintenantquecela arrivait, elle trouvaitquecen’était pas aussi sympaqu’onaurait pu lecroire.

—Tunevaspastedébarrasserdemoicommeça,grondaKenyonàl’intentiondeJenner.Toutes les tracesde juvénilitéqueMiaavait constatéeschez luiavaientdisparuetellepercevait

nettementlelouptapisouslasurface.Kenyonétaitpeut-êtreunamoureux,maisentoutcasc’étaitaussiuncombattant.

Elleposalamainsursonbras,sentantsesmusclestenduscommedescâblesd’acier.Elledonnaunelégèrepressiondesdoigtspourattirersonattention.

—Jevaisaveclui,dit-elle.RestezavecAislynn.Vousn’avezaucuneraisondepartiràcausedemoi.

LevisagedeKenyonsedécomposaetMiasesentittrèsmal.EllevitleregardfurieuxqueJennerposasursamain,maistantqu’ilnesemettaitpasentêted’arracherlebrasdeKenyonaveclesdentselleferaitcommesiderienn’était.

Kenyon ne répondit pas et se contenta de hocher la tête en s’effaçant pour la laisser passer.Cependant,ellel’entenditmurmureràl’intentiondeJenner.

—Onenreparlera.Enguisederéponse,JennerluijetaunregardgoguenardquiirritaMia.Cen’étaitpasparcequ’elle

lui avait donné raison qu’il devait accabler son adversaire. Elle se retourna pour dire au revoir àAislynn, qui promit de la revoir dans la journée. Puis elle sortit sans ajouter un mot, doutant d’êtrecapable de se retenir d’exploser contre Jenner. Il était sur ses talons et elle sentait la chaleur de saprésencecommesilesoleilfrappaitsursondos.

Elleadoraitcettesensation,etellelahaïssaitenmêmetemps.Alorsquetoutsonêtreétaitexcitéduseulfaitd’êtredenouveauprèsdelui,saraisonl’obligeaitàpenserquetoutcelaallaitseterminerparuneimmensedéception,etelleétaithorrifiée.Jennerluiavaitditdèsledébutqu’iln’étaitpasintéressépar une relation durable. Pourtant, si c’était le cas, pourquoi la regardait-il comme il le faisait ? Etpourquoil’avait-ilcaresséecommesielleétaitprécieuseàsesyeux?Lanuitdernièrel’avaitcomblée…enfait,pascomplètement.Ellevoulaitêtrelaseuleàcompterpourlui.Ellevoulaitqu’illuidemandederester.

EtMian’avaitpaslamoindreidéedecequiallaitsepasser.Ellenefitquequelquespasdehorsavantdeseretournervivementverslui.—Alors?demanda-t-elled’untoncassant.—Alorsquoi?répliqua-t-il,renfrogné.Il avait toujours l’air contrarié, les mains enfoncées dans les poches et les épaules légèrement

voûtées.—Tuentresentrombe,tuteconduiscommeunvraimacho,tuexigesquejetesuivesansdonnerla

moindreexplicationetturessorscommeunefurie.Çateparaîtnormal?Jennerhaussalesépaules.—Jenevoispascequ’ilyad’anormalàça.Miapoussaunprofondsoupir.—Çanem’étonnepasde toi.Pourtant, ilyaunmondeendehorsdeFerry’sHollow,etdansce

monde les gens n’ont pas pour habitude de se comporter comme des brutes. Ta conduite y seraitconsidéréecommegrossière.

Jennerhaussaunsourcil.—J’airaisond’habiterici,alors.Interloquée,Miapoussaungrognementdefrustration.—Pourl’amourde…pourquoies-tusiodieuxavecKenyon?—Parcequ’ilteveut.Miarestabouchebée.Laréponse,francheetdirecte,l’avaitpriseaudépourvu.—Etmoiaussi,jeteveux,Mia,poursuivitJenner.Chezlesloups,celasignifiequeChaseetmoine

pouvonspasêtreamis.Celasignifieaussiquejenevaispassourireetprendreleschosesduboncôtéquandtudécidesdedéjeuneravecluidansmondos.

— Tu…me… veux, répéta-t-elle lentement en séparant lesmots, comme pour s’assurer qu’elleavaitbiencompris.

Ill’avaitbienmontréparsesactes,biensûr,maisellenes’attendaitpasàcequ’illereconnaisse.Jennerluilançaunregardnoir.—Ilmesemblaitqu’onétaitd’accordlà-dessuslanuitdernière.Miaeutunpetitrireexaspéréetrepoussaunemèchedecheveuxdesonvisage.—Je…bon,d’accord.Premièrement,tuasbienvuquejen’étaispasseuleaveclui,non?LevisagedeJennernes’adoucitpas.—Ouais.D’ailleurs,Aislynnvam’entendre.Mialevalesyeuxauciel.

—C’estellequiaproposédeveniravecmoi,Nick,dit-elleenespérantqu’enutilisantsonprénomelleluiremettraitàlamémoirel’intimitéqu’ilsavaientpartagéelanuitdernière.

Le regard de Jenner se radoucit légèrement. Comme il restait silencieux,Mia revint à l’attaque,énervéeparsaréaction.Lesloups-garousjalouxdeleurterritoireétaientquelquechosedenouveaupourelle.

Commedeconstituerleterritoireenquestion.— Je ne suis pas certaine de ce que je suis censée te dire. Je te veux,moi aussi ? Il y a plus

romantique!—Jenesuispasromantique,Mia.Jeteprévienstoutdesuite.—C’estbon,dit-ellelentement.Jepeuxaccepterça,sic’estcequetuveuxsavoir.—Non,cen’estpascequejetedemande,dit-ild’unevoixrauque.Miamitlesmainssurleshanches,totalementexaspérée.—Alors,qu’est-cequetuveuxsavoir?Finalement,lacarapacetombaetMiaputvoircequ’elledissimulait.Ilétaittoutsimplementaussi

nerveuxetpeusûrdeluiqu’ellel’étaitelle-même.Quelquepart,celalarassuradesavoirquetoutceciétaitnouveaupourl’uncommepourl’autre.

—Jepensaisquetuaimeraispeut-êtrefaireuntourenvoiture.C’estseulementàcetinstantqu’elleremarqualavoituregaréeauborddutrottoir,aussiimposante

qu’unpuissantanimaldemétaletétincelantdanslesrayonsdusoleil.—Jecroyaisqu’ellen’étaitpasterminée.—Pratiquement,ditJenner.Illaregardasanscilleravecsesyeuxsiintenses.—C’estunebellejournée,ajouta-t-il.—Eneffet,acquiesçaMia,déconcertée.Jennersemblaitproduireceteffetsurelle.Ilconstituaitunmélangedesauvagerieetdecourtoisie

quilafascinait.—Alors?demanda-t-il.Ilyavaitunefouledesous-entendusdanscettequestiontoutesimple.MaisencequiconcernaitJennertoutsemblaitlarameneràuneréponsetoutesimple.—Allons-y,répondit-elleensedirigeantverslavoiture.

***

Monterdansunevoiturepuissantes’avéraêtremieuxquebien.C’étaitexactementlasensationqueMiarecherchait.

Alorsqu’ilsroulaientàtoutevitesselelongd’unepetiteroutevallonnée,ellefuttentéedepasserlatêteparlaportièrecommelefontleschiens.Lajournéeétaitpluschaudequeprévu,onseseraitcruàlafindel’été.LeregardsurprisdeJennerneluiavaitpaséchappélorsqu’elleavaitsortiunélastiquedesonsacpourattachersescheveuxavantdebaisserlavitre.

—C’estunebellejournée,dit-ellesimplement.Jedémêlerailesnœudsplustard.—C’estunchoixavisé,répliquaJenner,etellesedemandas’ilsparlaientvraimentdesescheveux,

l’unetl’autre.Ilyavaitquelquechosede libérateurdans lavitesseet lescouleurséclatantesdupaysagequise

déroulaitsur leurpassage.Miasentits’envoler lepoidsqu’elleavaiteusur lapoitrinependant tout leweek-end.Ellevoulaitqueleschosessoientsimples.Riennel’étaitjamais.Saufça.

LaprésencedeJenneràsescôtésétaitsolideetrassuranteet,quandelleleregardaitàladérobée,ilavaitl’airtoutàfaitàl’aisepourconduirecettevoiturepuissantedanslesviragesetsouslavoûtedes

arbres.Ilss’enfoncèrentplusavantdanslacampagneetMiavoyaitdéfilerlesfermesetleshabitations.L’air était chargé des riches senteurs de feuillesmortes et de feu de bois.Certaines parmi les odeursqu’ellepréférait.

Miaregardaautourd’elleaveccuriositéquandJennerralentitetengagealavoituredansunelongueallée, au bout de laquelle se trouvait une vieille ferme, flanquée d’une grange et d’un poulailler.Desvachespaissaienttranquillementdanslesprésentourantlebâtimentprincipal.

ElletournalatêtepourregarderJennerenface.—Quoiquetudises, tun’arriveraspasàmeconvaincred’essayerd’attraperdespoulets,entout

cas,pastoutdesuite.Son rire franc et profond la poussa un peu plus vers le bord de ce précipice dans lequel elle

menaçaitdetomberdepuislemomentoùellel’avaitrencontré.Ilarrêtalavoituredansl’herbeprèsdelamaisonetéteignitlemoteur.Ilsrestèrentassissansparler

pendantun longmoment.Curieusement, ce silencen’était pas inconfortable.Finalement,Mia tourna latêteverslui,piquéeparlacuriosité.

—Est-cequejepeuxsavoircequenousfaisonsici?Jennertournalatêteetplongeasonregarddorédanslesien.Ledemi-souriresurseslèvreslafit

fondre instantanément.Mais il y avait quelque chose enplusdans son expressionqui l’intriguait…onauraitditunesortederésignation.Miasedemandaitàquoielleétaitdue.Aelle,peut-être?

—Jemesuislevétôt.Ellehaussalessourcils.—Et?—J’aieutoutletempsderéfléchirpendantquejepistaiscematin.Aufait,nousavonstrouvéun

corps.Cen’étaitpasceluideGaines.Ilplissalefrontetlevaunemainpourprévenirsesquestions.—Jen’auraispasdûmettreçasurletapis.Cen’estpaspourteparlerdeçaquejet’aiamenéeici,

poursuivit-il.—C’étaitundes…vôtres?Elleavaitfaillidire«desnôtres».Elleavaiteulemotsurleboutdelalangue.Ilsecoualatête.—Non.Onpensequec’étaitundeshommesdeGaines.Malheureusement,c’estàpeuprèstoutce

qu’onpeutdirepourlemoment.Lecorpsn’étaitpasentrèsbonétat.—Oh.Ilavaitraison…ilyavaitmieuxcommeentréeenmatière.Jennerritdoucementcommes’illisaitdanssespensées.— Je crois t’avoir dit que je ne suis pas un très bon parleur.Onmarche un peu ? L’endroit est

superbeetjecroisqu’ilfautqu’onparledecertaineschoses.Ellepréféraitletourqueprenaitlaconversation.—Oui,jelecroisaussi,acquiesça-t-elle.Jennersortitdelavoiture.Mial’imita,notantaupassagequ’ilavaitfaitletourdelavoiturepour

luidonner lamainet refermer laportière.C’étaitundétail,mais ilgardasamaindans lasiennealorsqu’ilsempruntaientunsentierétroitquipartaitdelamaisonettraversaitunpréquidevaitêtremagnifiqueauprintemps.Ilyavaitunemareauloin,etonpouvaitentendrecancanerdescanardsetdesoies.

JennermarchaitsilencieusementàsescôtésetMiaattenditqu’ilsedécide.Ellene leconnaissaitpasdepuislongtempsmaiselleavaitcompriscommentilfonctionnait.Jennerétaitl’illustrationvivantedel’eauquidort.

Toutàcoup,ilselança.

—Jen’auraisjamaiscruquejepourraisdenouveaum’intéresseràquelqu’un,Mia.Maischaquefoisquejesuisprèsdetoij’oublielesrèglesquejemesuisfixées.Lanuitdernière…

Ilhésita,puiss’arrêtapourlaregarderenface.—Lanuitdernière,ils’estpasséquelquechosed’important.Jelesavaisd’avanceetc’estpourça

quejenevoulaispasqueçaarrive.Maisc’estarrivéetjenepeuxpasrevenirenarrière.D’ailleurs,sijelepouvais,jenelevoudraispas.

Le nœud qui s’était formé dans la gorge deMia sans qu’elle s’en rende compte commença à sedesserrer.

—Jepenseàtoisansarrêt,reconnutMia.Celadevraitmesemblerfou,maiscen’estpaslecas.Jepenseàtoutcequim’estarrivé,àtoutcequejedoisaffronter.Etj’aitouteslespeinesdumondeànepastesauterdessuschaquefoisquetuentresdansunepièce.Ethiersoir…

Elleessayadetrouverlesmotsetéchouamisérablement.LeroulementprofondduriredeJennerlasecoua,luiindiquantqu’ilcomprenaitcequ’ellevoulait

dire.—C’estcommeçachezlesloupsquandça…colleentredeuxindividus,ditJenner.Çaaétéencore

plusrapidepournousparcequetuavaisdéjàétémordue.Personnenesaitpourquoilesloups-garousfontunecouraccélérée,maiscelan’ariend’étonnantpourlesmembresdelameute.

Ill’observaitsoussescilsincroyablementlongsetnoirs.—Jenevaispastementir,Mia.Cettehistoirepourraitmalfinir,quecelanousplaiseounon.Mais

ilesthorsdequestionquejelaisseKenyonChaseoun’importequelautrehommes’approcherdetoi,neserait-cequ’uneseulenuit.

—Tumeproposesdefairemoninitiation,ditMia.Jennerdansad’unpiedsurl’autreetsepassalamaindanslescheveux,dévoilantfinalementunpeu

desanervosité.Ilpoussaunsoupiretdit:—C’est ça. Et après, eh bien… on pourra peut-être, je ne sais pas… voir comment ça tourne.

J’avaisdebonnes raisonsde tedireque jen’étaispas lebonchoixpour ton initiation,ouautrechosed’ailleurs. Jene saispas ceque j’ai à t’offrir. Jenepeux rien tepromettre.Mais jepeux tedirequed’aprèscequeturessens,etcequejeressens,onpourraitêtrebienensemble.Et jevoudrais tenter lecoup.Jesaisque tuasditque tuvoulaispartir,mais…j’aimeraisque tu restesunpeu.FaireunessaiaveclesBlackpaw.Avecmoi.

Miaregardalesauvageloup-garouprotecteurquisetenaitenfaced’elleetsentitsoncœurseserrerdouloureusementpuisserelâcher.Ellenes’attendaitpasàcequ’ilprenneuntelrisque.

Apparemment,ellen’étaitpaslaseuleàapprendrequ’ilétaitparfoisnécessaired’enprendre.Et elle était consciente qu’elle allait devoir en prendre d’autres d’ici peu. Elle ne pouvait pas

maintenir Jenner dans l’ignorance au sujet des pouvoirs dont elle était dotée. Elle devait trouver unmoyendeluienparler.Rapidement.

—Baneserad’accord?demanda-t-elle,furieusequelaquestionsepose.Maiscen’étaitpassonmondeetellenevoulaitpasqueJenners’attiredesennuisàcaused’elle.Ilhochalatête.—Ouais.Il…heu…celanel’apasvraimentétonné.Çanevapasplaireàtoutlemonde,maistu

t’esmontréetrèsclaireàproposdetonlibrearbitre.Ellevitundemi-sourireeffleurerseslèvres.— Il demande seulement que nous attendions deux jours.La nuit qui précédera la pleine lune. Il

craint que, si tu fermes toutes les portes pour Gaines, il ne s’échappe et ne s’en prenne à quelqu’und’autre.Lesangd’uneféeUnseelieestunedenréerare,mais…

Miahochalatête,soulagée.CelaluilaissaitunpeudetempspourtrouvercommentdireàJennertoutcequ’ildevaitsavoir…enespérantqu’elletrouveraitunmoyendenepastoutgâcher.C’étaitpeut-

êtreégoïstedesapart,maiselleavaitenviedeprofiterde lui toutdesuite,sansattendre.Ellen’avaitjamaisétéavecpersonne,jamaisvraiment.Iln’yavaitsûrementpasdemalàvouloirprofiterdequelquesheuresdecebonheur,sanspenseràplustard.

—Alors,ditJennerdoucement.Tuenpensesquoi?Miavitsapommed’AdamjouerauYo-Yoetcompritàquelpointcettehistoireleperturbait.Elle

avaitenviede luipasser lesbrasautourducouetde le rassurer,de sentircettechaleuret cette forcemagnifiqueetdesavoirqu’ilétaitàelle…neserait-cequepouruncourtmoment.

—Oui,dit-ellesimplement.Enunclind’œil,elleseretrouvaécraséecontrelapoitrinedeJenner,sabouchesurlasienne.Plus

rienn’existaitautourd’elleetonauraitditquechaquepoucedesapeaufaisaitdesétincelles.Elleouvritleslèvressoussonbaiseretgémitlorsquesalanguevintrencontrerlasienne.Jennerlasoulevaetellecroisa les jambes autour de sa taille. Elle sentait comme il était dur contre elle et elle se cambra, lesoufflecourt,s’offrantàcettedélicieusechaleur.

Safrustrationfutd’autantplusgrandelorsqu’illareposatoutàcoupsurlesol,toutengardantlesbrasautourd’elle,lementonposésursatête.Lefaitdesentirsoncœurquibattaitaussivitequelesienfutunepiètreconsolation.

— Je me suis promis que cette fois-ci nous allions prendre notre temps, dit Jenner d’une voixenrouée.

Miasemitàrire.—Toutvatropvitedanscettehistoire,dit-elle.—Tuasraison,etjemesuispromisquejen’arracheraispastesvêtementsaumilieudeceprésitu

disaisoui.Ilposalesyeuxsurelle.—Jeteramèneàlamaison,Mia.Ellehochalatêteetmitlamaindanslasienneenespérantqu’ilsneregretteraientpasden’avoirpas

saisil’instant.

16

Lelendemainsoir,Miaavaitpresqueoubliélesyeuxquiobservaientdansl’obscurité.Malgré l’intensité de sa connexion à Jenner, elle ne faisait que commencer à entrevoir à quoi

ressemblaitsavie.Poursonplusgrandplaisir,ilavaitcommencéàlaluimontrer.Elleétaitalléevoirlegaragequiluiappartenait,appréciantlafaçondontilévoluaitaumilieudesvoiturescommeunanimalsurexcité.C’étaitsondomaine,etelledécouvritqu’elleaimaitleregarderfaire.

Elles’étonnaitqueceloup-garoubourrusoittoujoursaussihésitantavecelle,commes’ilcraignaitd’une certaine façon de la décevoir. Il ne savait pas à quel point il n’avait rien à craindre. Il étaitabsolument parfait.De toutemanière, s’il y avait quelque chose qui clochait chez lui, elle trouvait çaétrangementsexy.

AlorsMiaobservait,appréciaitet regrettaitdenepaspouvoir luimontrerplusdesaproprevie.Elle avait aimé le silence respectueux avec lequel il avait regardé ce qu’elle lui avaitmontré de sontravail.Maiscen’estquequandellefuttémoindesinteractionsdeJenneraveclacommunautésoudéedelameutequ’ellecompritcequiluiavaitmanqué.Lachosedontellenepouvaitluiparlerparcequ’ellen’avaitjamaisvraimentexisté.

Unréseaud’amisetdeparents.Unfoyer.Ellenes’étaitpasrenducompteàquelpointelleétaitseule.Ici,elleétaitplusvisiblequedansla

ville…etinfinimentplusheureuse.Aislynnétaitdéjàpasséelavoir,etlesgensavaientcommencéàluifaire signe comme s’ils la connaissaient. De plus, elle commençait à se sentir plus chez elle dans lamaison de Jenner qu’elle ne l’avait jamais été ailleurs. Et son lit, comme elle avait eu plusieurs foisl’occasiondes’enapercevoir,étaitunendroitoùelleauraitpupasserdesjournéesentièresàconditionqu’ilysoitaussi.

Elle pouvait se sentir chez elle ici. Elle pouvait même presque croire que rien ne pouvaitl’atteindre.

Presque.LaluneétaitrondeetpleinedanslecielquandMiaouvritlesyeuxdansl’obscuritédelachambre.

Ellefronçalessourcils,sedemandantcequil’avaitréveillée.Jennerétaitallongéprèsd’elle,diffusantsachaleurrassurantedanslesilencedelanuit.

C’estalorsqu’elleentenditlesvoixquimurmuraient.Mia…Miiiiiaaaaaaaaaa…Quelquechosevoletadevantunefenêtre,plusnoirquelanuit.Miaretintsarespiration.Ellesétaient

dehors.Ellesl’attendaient.EllelevalamainpourréveillerJennermaiss’arrêtanet.Leclairdeluneentraitdanslachambre,

inondantsonsystèmedel’espèced’énergiedontelleavaitparléavecJenner.C’étaitlepouvoirdelalune

quiappelaitleloupquicouraitmaintenantdanssesveines.Enuneseconde,ellefutparfaitementéveillée.Etàcettevigilances’ajoutaunecolèred’uneintensitéquilastupéfia.

Toutceciétaitàelle.Rienjusqu’icineluiavait jamaisinspiréunsentimentdepossessivitéaussiféroce.Ellesetrouvainstantanémentenproieàuneenvieirrésistibledeseprécipiterdanslanuit,toutesdentsdehors,pouraffronterleschosesquivoulaientluienlevercequiluiappartenait.QuivoulaientluienleverJenner.

Ellesavaitcequ’ilferaitsielleleréveillait.Ilferaitexactementcequ’elleessayaitdenepasfaire.Il avait beau être fort, si ces choses avaient réussi à pénétrer aussi loin en territoire protégé pour lanarguer,c’estqu’ellessesentaientsûresd’elles.

Miaretirasamain,etposasurJennerendormiunregardcaressant.Lepincementaucœurqu’elleéprouvaétaitprofond,réel,ets’accompagnaitd’unedouleurqu’ellen’avaitjamaisconnueauparavant.Ilavaitl’airsiinnocentdanssonsommeil,moinsendurci,moinsméfiant.Seslèvresentrouverteslaissaientpassersonsoufflerégulier.

Miasoupiradoucementtandisqu’unedeuxièmeOmbrepassaitdevantlalumièredelalune,suivied’unetroisième.

Ellesavaitcequ’elleressentait,bienquecesentimentsoitnouveaupourelle,inattenduetétranger.Jenneravaitditquequanddeuxloupsétaientfaitspours’entendrelesévénementsseprécipitaient.C’étaituneuphémisme,maiselleétaitcertaine,viscéralement,qu’elledonneraittoutpourleprotéger.

Miiiiiiiiaaaaaaa…ElletournalatêtepourlancerunregardincendiaireauxOmbresquicontinuaientàflotterenjubilant

danssalignedevision.LesOmbresenavaientassezd’attendre.Et,elle,elleenavaitassezd’êtreunevictime.L’imagedeJeffsoussaformedeloup,quis’enfuyaitenhurlant,luipassaparlatête.Jepeuxlerefaire,pensa-t-elle.Ellen’avaitpasbesoindesortir. Jenneretelleseraientsaufs,pour le restede lanuit,aumoins.Iln’avaitpasbesoindelesavoir.

Ensilence,Miaseleva.Asongrandsoulagement,Jennernefitpasungeste.Sa rage montait rapidement, elle allait devoir la canaliser si elle ne voulait pas se laisser de

nouveau déborder par le loup en elle. Cette fois, elle pensait pouvoir le gérer. Et ça ne ferait ques’améliorersielleréussissaitàfairefuirquelquesOmbresdanslesboisencriant.

Elledescenditlesescalierspiedsnus,lesyeuxfixéssurl’immensebaievitrée.Elleessayaitdes’enapprocher lemoins possible. Il faisait nuitmais elle n’était pas la seule à voir dans l’obscurité. Sonassurance vacilla, mais elle se reprit aussitôt. Il ne fallait pas qu’elles puissent déceler la moindrefaiblesseenelle.

Etellesétaientdesdizaines.Lesboisenétaientpleins,decesOmbresàformehumaine,bienplusnoiresquelanuitlaplusnoire.

Ellesseglissaiententrelesarbres,certainesmarchaient,oucouraient,d’autressemblaientflotter…ilyenavaitmêmequivolaient.Onvoyaitleséclairsrougeoyantsd’étincellesflamboyantes.Leursyeux.

Miafrissonna.Toutàcoup,elless’immobilisèrenttoutesenmêmetempspourregarderdanssadirection.Pendantunmomentquiluisemblauneéternité,riennebougea.Ellesattendaient…toutsimplement.

Etc’estàcemomentqueMiasentitlapuissancequimontaitenelleavecuneforcequ’ellen’avaitjamaisconnue auparavant. Le flot d’énergie courait dans ses veines, entonnant sa chanson sauvage deminuittandisquesapeaus’illuminaitd’unfeudeplusenplusbrillant.Desvolutesdelumièreviolettemontèrentdesapeaucommedelafumée.Et,enmêmetempsquelamagie,laragemontaenelle.

Elleallaitbannirceschosesdesavie,decelieu,pourdebon.Ellesavaitqu’elleenétaitcapable,siellepouvaitseulementrentrerunpeuplusprofondémentenelle-même,sielles’approchaitunpeuplus.

Mia se sentit descendre le reste des marches sans en être pleinement consciente. Elle se laissaattirerparlalumièredelalune,parlanuitétoilée—lessourcesdesamagie.Soudain,elleentenditles

chuchotementsquimontaientautourd’elle,persiflantàproposdeceque lesOmbresallaient faireauxBlackpaw,oularaillantparcequ’ellecroyaitpouvoirlesarrêter.

Toutsonêtrevibraitsousl’effetdelamagieetellesemitàtrembler.Toutaufonddesatête,lessonnettesd’alarmesemirentà tinter.Celaallait trop loin.Ellenesavaitpassiellepourraitgarder lecontrôle,elleleuravaitpermisdeseservirdesesémotionspourdépasserleslimites.Etdéjàc’étaittroptard,Mian’avaitpaslamoindreidéedumoyendetoutarrêtersanslibérercequimontaitenelle.Ilfallaitqu’ellesortedecettemaison,sinonelleallaitlibérerl’enferetellen’avaitpaslamoindreidéedecequiendécoulerait.

Entitubant,elleréussitàsetraînerjusqu’àlaporte,l’ouvritgrandeetobligeasesjambesàlaporterjusqu’à l’endroit où lesOmbres l’attendaient enondulant surplace.Alors elles se rapprochèrent pourl’entoureravecinsistance.

Toutecettepuissance.Montre-nous…Elleentenditvaguementuncriderrièreelle,puisungrondementféroce.Soncœurseserramaiselle

lâchaprise.UnéclairviolentsecoualesolquanduneondedemagietraversalesOmbresrassemblées.Maisaulieudelesblesser,Miasentitleurjouissance,commeunsoupirdebien-être.Ellesdisparurentd’unseulcoupdelaclairière,chevauchantl’onded’énergienoirequeMialeurenvoyait.

Mia tombaàgenoux, inerte.Toutesa force l’avaitquittée…elle l’avaitdonnée, involontairementbiensûrmaisquandmême,auxchosesmêmesqu’elleavaitvouludétruire.Ellecompritconfusémentquec’était cela qu’elles voulaient. Elle fut prise de nausées et frappa le sol de ses poings. Sa visioncommença à se troubler mais pas assez pour qu’elle ne puisse pas voir les pieds nus de Jenners’approcherd’elle.

—Jenner,dit-elled’unevoixfaible,aide-moi.Mais, quand elle leva les yeux, elle vit un visage tellement déformé par l’horreur qu’elle ne le

reconnutpas.—Mia?Laquestionétaitchargéedesous-entendusetMiasutimmédiatementquesiellenedonnaitpasla

bonne réponse l’amant s’effacerait devant le lunari. Que pensait-il avoir vu ? Que croyait-il qu’elleétait?

MiacomprittroptardquetoutcedéploiementdesOmbresn’avaiteulieuquepourcela.Ellesneluiavaientpasseulementprissaforcecesoir,ellesluiavaientaussiprislaconfiancedeJenner.EtMiaétaittropfaiblepoursedéfendredel’accusationqu’ellelisaitdanssesyeux.

—J’essayaisdelesfairepartir,ditMiadansunmurmure.Jecroyaisquejepourraisyarriver.EllesentitlesmainsdeJennerseposersurellejusteavantdeperdreconnaissanceetseditqu’illui

accordaitlebénéficedudoute…sansenéprouverdesoulagement.Elleavaitvulemot«trahison»s’affichersursonvisage.Iln’allaitpasluiôterlavie.MaisilétaitclairqueJeffetlesOmbresquigravitaientautourdeluiluiavaientpristoutlereste.

17

Jenner,assisaubar,sedésintéressaittotalementdel’assietted’œufsaubaconqueRowdyluiavaitmisesouslenezdixminutesplustôt.Maintenant, ilsétaientfroidset ilétaitencoremoinsintéressé.Ilentendait autourde lui le bavardage animéde ses compagnons, de retour de la chasse.Tout lemondesavait que les bois avaient grouillé d’Ombres la nuit dernière, et qu’elles avaient disparu commeparenchantementavantmêmequ’ilsn’aienteubesoindeleschasser.

Ilétaitleseulàsavoirpourquoi.Furieux, il gardait lesyeux rivés sur lebois ciréducomptoir, sur lequel reposait sonassiette. Il

savait que les autres remarqueraient son humeur et le laisseraient tranquille. La course et la chassen’avaientpasréussiàluiremettrelesidéesenplace.AulieudeseconcentrersurlapistedeJeffGaines,il n’avait fait que se repasser à la mémoire l’image de Mia, illuminée comme un candélabre et sidébordanted’énergiequ’ilnepouvaitcroirequ’ellenesavaitriendecepouvoir.Cettevisionpassaitetrepassaitdanssatête,lalumièreviolettequitraversaitl’air,lesyeuxdeMiajetantlefeu.ElleavaitattirélesOmbresquis’étaientnourriesdesonénergie,lalaissantdansuntelétatdefaiblessequ’ilétaitpeuprobablequ’elleaitdéjàrécupéré.Aislynnsurveillaitlamaison…àdistancecettefois,selonsesordres.

En observant Mia la veille, il avait eu la certitude, l’espace de quelques minutes absolumentterrifiantes,quepour ladeuxièmefoisdesavie ilallait finiravec lesangd’unefemmesur lesmains.Convaincuqu’en regardantdans sesyeux ilverrait lachoseobscureet torduequi ladévorait, etqu’ildevraitagirenconséquence.

Pourtant,bienqu’elleaitétévidéedetoutesonénergie,elleétaittoujourselle-même.Mêmes’ilnesavaitplustrèsbiencequecelavoulaitdire.

Elleétaittoujoursbelle,bienqu’unpeueffrayante,etpleinedecettemagieparticulièredontilavaitjuréqu’ilne s’approcheraitplus jamais.Elle représentaitplusqu’uneciblepour lesOmbres,et iln’yavaitriend’étonnantàcequ’elleslaveuillenttellement.Siellen’étaitpasunedemi-sang,elleenétaittrèsprès.Elleétaitunearmededestructionmassiveambulante,quin’avaitnulbesoindusecoursd’uneseuledecesOmbrespourdétruiretoutcequ’ilaimait.

Saufqu’elleneferaitpasça.Mianeferaitjamaisunechosepareille,ettulesaistrèsbien.Iln’enétaitpassisûr.Plusmaintenant.Quandunefemmesoi-disanthumainecommençaitàlancer

du feuduboutdesdoigts, onnepouvait plus être sûrde rien.Que ses intentions soientmauvaisesounon—etaufonddelui-mêmeilavaitdumalàcroirequ’ellesl’aientété—,iln’enrestaitpasmoinsqu’elleavaitpratiquementperdulecontrôledelasituation.

Etsurtout,elleluiavaitmentipendanttoutcetemps.Mêmes’ilnesel’avouaitpas,c’étaitprobablementcequileblessaitleplus.Illuiavaitouvertson

cœur. Il luiavaitditdeschosesqu’iln’avait jamaisditesàpersonne.Et,elle,elleavaitgardé toutça

pourelle,jusqu’àcequecelamanquedeleurexploseràlafigure.Peut-être qu’elle ne lui faisait pas confiance. Ou alors, elle avait d’autres raisons, bien plus

obscures.Danslesdeuxcas,celarevenaitaumême.Perdudanssessombrespensées,ilneremarquapaslasilhouetteélancéequivints’asseoirsurle

tabouretàcôtédelui.LadoucevoixgravedeBanelefitsursauter.—Pourquoitufaiscettetête-là?Ellet’afichuàlaporte.Jennerlevalesyeuxverssonchef,unelueurassassinedansleregard,prêtàluirentrerdedanss’il

voulaitlabagarre.MaisBaneavaitl’airréellementcurieux,doncJennerpritsurluietretintsonpoing.IlattendaitlemomentdeparleràBane,maisilauraitpréféréentamerlaconversationd’uneautremanière.

Enréalité,ilnesavaitpasdutoutparoùcommencer.—Non,déclara-t-ilavecréticence.C’étaitlaseulechosequ’iltrouvaitàdire.Banerenâcladoucement.Jennerprituneprofondeinspirationetselança.—Jecroisqu’onaunproblème,Bane.LesourireprudentdeBanes’effaçainstantanément.—Unproblème?Qu’est-cequ’ilya?—Toutd’abord,cettefemmeestunementeuse.Lechefsemblanepascomprendre.—Mia?C’estbiend’ellequ’ils’agit?Tum’étonnes,Jenner.Généralement,jeflairelesmenteurs,

etelle…—…estvisiblementtrèsforte,interrompitJenner.Ellenousbaladedepuisledébut,Bane.—Qu’est-cequeturacontes?demandaBane.Ils’interrompitbrusquementetplissalesyeuxenregardantpar-dessusl’épauledeJenner.—Non,jevaisplutôtleluidemandermoi-même,dit-il.Jenner ferma les yeux tandis que l’odeur de Mia l’inondait, provoquant en lui une sensation

vertigineuse de faim et de désir. Il espérait seulement qu’il pourrait persuader son corps qu’il ne ladésiraitplus,maiscelaprendraitdutemps.Etilsemblaitévidentqu’ilallaitbientôtavoirdenouveaupasmaldetempsàpassertoutseul.

Ilsetournaet lavitdeboutdevantlaporte,sasilhouettesedétachantsurlalumièreextérieure.Ilétait devenu si accoutuméà saprésencequ’il l’aurait reconnuemême sans lever lesyeux.Pourtant, iln’avaitpasanticipéquesabeautéluiferaitsimal.Bonsang,ellen’avaitpasl’airenforme.L’inquiétudeselisaitdanssesyeuxtandisqu’ellescrutaitl’obscuritédelapièceavecnervosité.Acetinstant,leursregardssecroisèrentbrièvement,etilauraitpujurerqu’ilavaitentendusavoixrésonnerfaiblementdanssatête.

Jesuisdésolée.S’ilteplaît.Cen’estpascequetucrois.Furieuxetsurpris,ilrepoussabrutalementl’intrusion.Lefaitdepénétrerdanssespenséesétait-ilun

autredesestours,qu’elleavaitjusteoubliédementionner?—Elleal’aird’êtreinquiète,ditBane.Etbouleversée.—Ah ouais ? Eh bien, elle a de quoi, rétorqua Jenner, enmaudissant Aislynn, qui n’avait rien

trouvédemieuxàfairequedel’amenerici.Ildétournalatêteetselevaenrepoussantletabouretd’uncoupdepiedrageur.Il lut ledoutesur levisagedeBane,cequinefitqu’attiser lacolèrequicouvaitenluidepuis le

matin.—Tunemecroispas?demanda-t-ild’untontranchant.—Jeveuxsavoiràproposdequoielleamenti,avantdeprendreunedécision.Bonsang,Jenner,de

quoiest-ellecoupableselontoi?Jesaisreconnaîtrelaculpabilitéàunkilomètre.Çafaitpartiedemon

boulot. Je peux te dire qu’il y a un peu de ça chez elle, mais je sens surtout une grande quantitéd’inquiétude.Etunbonpaquetdetristesse.Tuessûrdetoisurcecoup?

Aulieuderépondre,Jennerfitcequ’ilavait toujoursfaitdepuisqu’ilavait lepostede lunari. Ilattaquadefrontsansattendredetomberdansuneembuscade.Endeuxoutroislonguesenjambées,ilsetrouva face à Mia, ne quittant pas du regard son visage aux traits tirés dont la pâleur soulignaiteffectivement la tristesse et l’inquiétude.Mais qui demeurait,malgré tout, le plus joli visage qu’il aitjamaisvu.Ledoute,aveclequeliln’avaitjamaisfaitbonménage,essayaitdes’insinuerenlui,maisillerejetaimpitoyablement.

Tunesaisriend’elle.CettefemmeestuneféeUnseelie,bonsang.Tuluiasdemandéclairementsi elle savait pourquoiGaines la poursuivait, et elle amenti.Elle aurait pu tuer quelqu’un la nuitdernièreaveclapuissancedefeuqu’elleportaitenelle.Sielleacachétoutça,onpeutsedemandercequ’ellecached’autre.

—Est-cequejepeuxteparler?demanda-t-ellecalmement.—Sansproblème,répliquaJenner.Ilavaitdûparlersuruntonbrusquecarelletressaillitlégèrementavantderedresserlesépaules.Il

essayade restercalmemais le souvenirde laveilleétait tropvivace…il ladévoradu regard,notantavecaviditélafaçondontsonjeanetsonpullmettaientsesformesenvaleur.Descourbesdontsesmainsetsaboucheavaientdéjàmémorisélecontour…

—Jeveuxdire,seuleàseul,ajoutaMiaenjetantunregardembarrasséautourd’elle.—Quoi,iln’yapasassezdelumièrepourtoi?Tuaspeurdetemettreàbrillerdanslenoir?Il avait dit ça brutalement, sans réfléchir. Et il avait parlé trop fort. Toutes les conversations

s’arrêtèrent et les têtes se tournèrent vers eux. Ils observaient et écoutaient, sur le qui-vive, prêts àattaqueraumoindresignal.

Mais il oublia toute velléité de violence en voyant le regard blessé de Mia. Elle n’était passeulementblessée,elleétaitaussilasseetrésignéeetilcompritqu’elles’étaitattendueàsaréaction,etqu’elle avait peut-être déjà connu cette situation auparavant. Encore une de ces choses qu’elle avaitpréférégarderpourelle,sedit-ilpournepasselaisserattendrir.Maisilneputempêcherunsentimentdeculpabilitédepoindreenluienentendantsaréponse.

—Non,dit-elle.Ilyabienlongtempsquej’aiapprisàmaîtriserça.Ilmontralesdents.—Tuauraisputemaîtriserhiersoir?Çaveutdirequetusavaiscequetufaisais?Miaretintsonsouffleetsecoualatête.—Non!Jenevoulaispasquetusoisblessé.Jen’étaisjamaisalléesiloin.Jepensaispouvoirle

fairetouteseule.Elle semblait si sincère. Il aurait tellementvoulu lacroirequec’enétaitdouloureux.Mais, alors

qu’illuiavaitfaitconfiance,elleavaitfaillimettrelefeuàlaforêt.—Vouslesavezrenduesplusfortes,grognaBane.Miasedécomposa.—Jenesavaispascequiallaitsepasser.Jevoulaisseulementaider.Je…Jevoulaisteprotéger,

dit-elledansunsouffle.Jennerlaregarda,éberlué.Leprotéger?Ilnes’attendaitpasdutoutàça.Maisenyréfléchissant,

d’après ce qu’il savait — ou ce qu’il croyait savoir — d’elle, cela avait du sens. La colère et lafrustrationl’empêchèrentderépondreautrementqueparungrognement.Ilnetrouvaitpaslesmotspourexprimersessentiments.Miaprofitadusilencepourcontinuer.

—J’ai toujoursétédotéedecepouvoirmagique. Je saisque j’auraisdû te ledire,maisonm’aappris à le cacher. Pendant toutemon enfance, j’ai cru que j’étais quelque chose d’abominable et demauvais.Jesaisquecen’estpasuneexcuse,maiscelanechangepaslefaitquejesuisexactementla

mêmemaintenant que celle que j’étais avant-hier soir. Si tu l’avais su, est-ce que cela aurait changéquelquechose?

Lacompassionpointaenluimaisillarepoussarageusement.—Jenesaispas.Tunem’aspaslaissélapossibilitédedécider.Tum’asmenti.Tunousasmentià

tous. Tu prétends que lorsque je t’ai trouvée hier soir tu étais en train de tenter de combattre unecinquantained’Ombresàtoitouteseule,enutilisantunearmequetunesaismêmepascontrôleretquiafiniparseretournercontretoi.Situveuxmonavis,soittumensunefoisdeplus,soittuascomplètementperdulatête.

Cette fois, ce fut un éclair qu’il vit dans ses yeux.Elle était touchée et en colère.Tantmieux. Ilseraitplusfacilederomprenettement,sansrisquederechute.Ellen’étaitpaspourlui.Illesavaitdepuisledébut.Pourquoiavait-ilcédé?Iln’arrivaitpasàlacomprendre…etledésirqu’iléprouvaitpourelle,encoremaintenant,étaitunechosequ’iln’arrivaitpasàcontrôler.

— Je ne suis pas folle, dit Mia d’un ton tranchant. Je veux bien reconnaître que je manqued’expérience.Tuveuxlavérité?MonpèreétaitunmétisUnseelie.Mamèreavaitdusangdefée,maisilétaitplusdilué.Ilssontmortstouslesdeuxdansunaccidentdevoiturequandj’étaistoutepetite,etj’aiétéélevéeparmagrand-mère,quim’arépétépendanttoutemonenfancequejen’auraisjamaisdûnaître.J’avaislatacheoriginelle,d’aprèselle.Etpendanttrèslongtempsj’aicruquec’étaitvrai.

Miaparaissait si perdue, simeurtrie, quependantun instant Jenner crut se reconnaître lui-même.Mais il ne voulait pas de ça, il ne voulait pas de cette connexion. Il ne voulait pas comprendre nicompatir.Aprèstout,sonmensonge,mêmeparomission,avaitmislameuteendanger.

Mia regarda autour d’elle, et c’est sur un ton plus léger qu’elle s’adressa à tous ceux qui setrouvaientlà.

—Etpuis je suis arrivée ici et jevousai rencontrés.Vousacceptezvotre singularité,même s’ilexistedesgenspourpenserquevousavez,vousaussi,cetteprétenduetacheoriginelle.J’aicommencéàpenserquepeut-être…

Ellehésitaetsecoualatête,d’unairfurieux.Jennercompritqu’elleétaitauborddeslarmes.—Jesuisdésoléequevousledécouvriezdecettefaçon.Onm’aapprisàdissimulercette…cedon

—jesupposequ’onpeutl’appelercommeçadepuismaplustendreenfance.Maisilnerestepastoujoursenfoui.

Elleeutunpetitrireamer.— Je voulaisme rendre utile, faire ce qui est enmon pouvoir pour arrêter ces choses qui nous

pourchassent,vousetmoi.Alorsjemesuisserviedecequejepossède,etc’étaitexactementcequ’ellesattendaient.Jenevoulaisfairedemalàpersonne.Jen’aijamaisfaitdemalàpersonne.Saufàtoi,dit-elleens’adressantàJenner.J’aitrahitaconfiance,alorsquejesavaisquec’étaitprobablementlaseulechosequetuétaisincapabledepardonner.Jevoulais…jevoulaissimplementquetuvoiesquijesuis,pas ce que je suis. Je ne voulais pas te perdre. Je ne voulais pas qu’elles t’enlèvent àmoi. Et je nevoulaiscertainementpascequiestarrivé.

Elle recula d’unpas et soudain elle fut de nouveau incandescente, brillant d’un éclat argenté quidonnaitàsabeautélesnuancesdelalune.Asoncorpsdéfendant,Jennereutlesoufflecoupé.C’étaitbienMia,maisavecquelquechoseenplus.ElleétaitdevenuelaMiadesesfantasmes—Dianechasseresse.Ladéessede lachasse. Il entenditdesmurmuresautourde lui.Mia tendit lebrasvers luietouvrit lamain.Danssapaumepalpitaitunebouledelumière.

Ileutl’impressionqu’elletenaitsoncœurdanssamain.Siellelarefermait,ellelebriserait,commeTessn’avaitpasréussiàlefaire.

Commentavait-illaisséleschosesallersiloin?Mia l’observaitavecattention.Elleouvrit laboucheet, lorsqu’elleparla,mêmesavoixsemblait

exprimerlamagie.Lapersonnequiluiavaitapprisàdissimulercettepartied’elle-mêmeavaitvraiment

faitdubontravail.Mais,unefoisencore,quandilcommençaàsedemandercequecettedissimulationluiavait coûté à lui et à ressentir de la compassion en se rappelant sa propre expérience avec son père,Jennerseforçaàlarepousser.

—TuasditàTomasquej’étaiscommetoutlemonde,repritMia.Etc’estvrai.Jesuistoujoursmoi.Celanefaitpasdemoiunepersonnedifférente.Jecrois—jesais—quejepeuxapprendreàutilisercepouvoiravec lequel je suisnée,d’une façonqui serautile.Mais jenepeuxpaschanger le faitque jepossèdecepouvoir.

Banes’approchadeMiaetposaunemainapaisantesursonépaule.—Mia,dit-ild’unevoixdontladouceurlasurprit.Arrêtez.Onnes’yattendaitpas,c’estunfait,

maiscen’estpaslafindumonde.Nousallonstrouverunmoyen.Vousêtestoujoursl’uned’entrenous…—Commentpeux-tudireça,interrompitbrusquementJenner,stupéfaitqueBanepuisseprendreles

chosesavecautantdelégèreté.Ellenousamentiàcesujet,quisaitcequ’ellenouscacheencore?Est-cequetusaisenquoiellevasetransformer?Etcequ’elleestcapabledefaire?

—Jenner,ditBanesuruntonpluscassant.OnneparlepasdeTess.Mian’arienàvoiravecelle.Situn’espascapabledelevoir,alors,nonseulementtuesunimbécile,maisenplustuesaveugle.

—Jet’enprie,ditMiad’unevoixdouceenfaisantunpasversJenner.Unseulmotmaisquiluidemandaitl’impossible.Pourlemoment,ilnepouvaitrienvoird’autrequecequiétaitarrivé.Ilavaitbaissélagardeune

foisetdesgensenétaientmorts,emportantaveceuxunepartiedelui.Ilnevoulaitpascourircerisquedenouveau.—Quoiquetupenses,dit-ellecalmement,tuasconnulavraieMia.Lamagie…c’estjusteunpetit

plus.—Ilyabienlongtempsquej’aicomprisquejenepeuxpascroirequelquechosecommeça,tout

simplementparcequejelevoudrais,répliquaJenner,etchaquemots’enfonçaitdanssoncœurcommeunpoignard.Jenepeuxpasprendrecerisque.C’estau-dessusdemesforces.

—Bonsang,Jenner,grondaBane,luirappelanttoutàcoupqu’ilsn’étaientpasseuls.Ecoutez,Mia,jevaisvousramenerchezmoi.Vousn’avezblessépersonne.Moi,jevousaccordelebénéficedudoute,mêmesiluinelefaitpas.

Mia fit un signe de têtemais elle ne détacha pas ses grands yeux sombres de Jenner. Il pouvaitentendresavoixdanssatête,aussiintimequ’unecaresse.

C’étaittellementimportantpourmoi.—Jenepeuxpas,dit-il,lavoixenrouée.Ildétestaitlapeurquiperçaitdanssavoix.Parcequ’ilsavait,mêmemaintenant,quecen’étaitpas

ellequiluifaisaitpeur.—D’accord, jevaischerchermesaffaires.Mais jeveuxquetusaches…ellehésitaetsecouala

tête.Banearaison,reprit-elle.JenesuispasTess,Nick.JesuisjusteMia.Etpourladernièrefois,quetumecroiesounon,jesuisdésolée.Jet’aifaitconfiance,moiaussi.J’auraispuavoirpeur.Jeprenaisunrisque.Jenepensaistoutsimplementpasquecelaavaitdel’importance.Jenelevoulaispas.

Il ne sut quoi répondre. Il avait besoin de temps. Il avait besoin de se poser pour prendre de ladistance, sans avoir à parler parce que, pour l’instant, il était incapable de réfléchir ou d’analyser cequ’il ressentait. Il avait tellement envie de la prendredans ses bras que faire unepause était la seulechoseàfaire.Ilavaitaussisespropresfantômes.

—Allons-y,ditBaneàMia.Jevaisvousconduirechezluipourprendrevosaffaires.—Non,c’estmoiquivaisl’emmener,s’interposaJenner,àleurgrandesurprise.Ilnesavaitpaslui-mêmepourquoiilavaitditça.Maisilsefiaàsoninstinct.Bonsang,pourquoi

n’arrivait-ilpasàdirecequ’ilressentaitréellement?Pourquoinel’avait-ilpasemmenéeailleursdèsledébut?

Ilétaittoutàlafoismortifié,perplexeetfurieux.Etpourtantilneparvenaitpasàlaisserquelqu’und’autre s’occuper d’elle. Pas encore. Pas tant qu’il n’aurait pas vidé son sac. Et les mots ne luiviendraientquelorsqu’ilseraitprêt.Baneluilançaunregardd’avertissement.

—Jedoislefaire,ditJenner.J’aideschosesàdire.Çaneprendrapaslongtemps.J’aibesoind’unpeudetemps.

—Vousn’êtespasobligée,ditBaneàMia.—Non,dit-elle.Çaira.Jen’aipaspeurdelui,malgrétoutcequ’ilpeutpenserdemoi.Ellesedétournaetsedirigeaverslasortie.Jennerlaregardapartiretpourlapremièrefoisdepuis

desannéesilsedemandas’ilessayaitdeprotégersameuteous’ilnepensaitqu’àseprotégerlui-même.Mais,àenjugerparcequ’ilressentaitàcemomentprécis,ilétaitdéjàtroptard.

***

Jeffétaitassiscalmementdansuncoindesacabane,lesjambesallongéesdevantlui.Lesrideauxétaienttirés,empêchantlalumièredusoleild’entrer.Ildécidaqu’ilnevoulaitplusjamaisvoirlesoleil.Seulementlanuitetl’obscurité.

Aumoins,toutétaitcalme,maintenant.IlavaitenvoyéPeteetJayenvillepourfairedesprovisions.Sytraînaitdanslesbois,s’imaginantencréaturedelanuittoute-puissante,enattendantJeff.Sy,ilallaitfalloirledroguerrapidement,pendantquelesautresétaientpartis.Ilfallaitdusangpourentamerlerituel—et ilyenauraitbeaucoupavant la finde lanuit.Ceuxquiavaient lemoinsdecervelleseraientenpremièreligne,etcegarçon,aumoins,étaitassezstupidepourfaciliterleschoses.Ehbien,pensaJeff,ilsacrifieraitsaviepourlanoblecausequidevaitapporteraumondel’ordrenouveaudesténèbres.

Et Troy… En fait, il se demandait où Troy était passé. Il n’était pas dans la cabane quand ilss’étaienttouslevéslaveille.Sesaffairesétaienttoujoursdanslapiècequeseshommessepartageaient,mêmesonportefeuille, cequi avait diverti les autres, qui s’étaient partagé l’argent qu’il contenait. Ilsavaientl’airdecroirequ’ils’étaitdégonfléetqu’ilavaitprislatangente.Jeffendoutaitmaislesautresn’avaientpasbesoindelesavoir.

S’ils comprenaient, il était fort probable qu’ils se sauveraient aussi. Ils croyaient qu’il avaitl’intentiondeleurdonnerlepouvoir.Maisenréalitéilavaitbesoind’euxpourleurforceetleurcapacitéà aller où lui ne pouvait pas aller sans passer pour fou. Ils seraient peut-être récompensés par unenouvelle vie, ou seraient broyés et recrachés, vidés par lesOmbres au cours de leur festin, qui étaitimminent. Ilne lesavaitpaset ils’enfichait.Sesmomentsde luciditéétaientdeplusenplusrares. IlentendaitlavoixdeMiarésonnerdanssatêtetoutletemps,parlant,riant,pleurant.Ilrêvaitdesabouchesur la sienne, de son sang sur sesmains.Est-ce que c’était réel ?Y avait-il encore quelque chosederéel?

Aucundeseshommesnesemblaitavoirentenduleschuchotementsdouxetinterrogateursaucreuxdelanuit,quiserépondaientdanslesbois.Lui,si.IlavaitentendulesOmbresquis’appelaientpourserassembler.

Jeff savait que ses hommes et lui étaient surveillés depuis leur arrivée. Ses amies de l’ombrevoulaients’assurerqu’ilfaisaitbiencequ’ilétaitcenséfaireetqu’ilavaitarrêtédefairen’importequoi.Danslamesureoùiln’yauraitpasd’autrescontretemps,onluiavaitpromislaviesauveetl’immunité.LefaitquelesOmbresaient,selontoutevraisemblance,attiréundeseshommesàl’extérieurpours’endélecter était unpeucontrariant.Mais il valaitmieuxquece soitTroyplutôtque lui.Personnen’étaitindispensable.

Pourl’instant,ilsereposaitpouréconomisersesforces.Ilrepassaitdanssatêtelesmotsqu’ilavaitmémorisés,desmotsantiques,quiluiavaientétéconfiésparunesilhouetteobscureauxyeuxrouges.Etilrêvaitd’ombre.

18

Bienqu’ilaitdéclaréqu’ilvoulait luiparler,Jennergarda lesilencependant tout le trajet jusquechezlui.Onauraitditqu’ilsepréparaitàfaireunesuggestion—Miaavaitapprisàidentifierl’odeurdel’anxiété, désormais. D’un côté, elle voulait qu’il essaye… d’un autre côté, elle avait juste envie deprendresesaffairesetdepartirencourant.

Ce n’était pas ce qu’elle allait faire, cependant. Elle avait vu dans ses yeux qu’il commençait àcomprendre,mêmecontresavolonté.Ilavaitbeaucoupàdonner,mêmesicelaluifaisaitpeur.Mêmesiauboutducompteilfinissaitparluifermerlaportecomplètement,ellen’étaitpasprêteàs’enfuir.

Ilavaitprislerisquedeselaisseralleravecelleunepremièrefois,oublianttouteslespromessesqu’ils’étaitfaites.

A présent, elle allait saisir sa dernière chance, puisqu’il était vraiment l’homme dont elle étaittombéeamoureuse.

Miaétaitsiabsorbéeparsespenséesqu’ellenefitpasattentionlorsquelecamions’engageadansla longue routedecampagnequimenaità lamaisondeJenner.Lesoleilbrillaitde façon intermittenteentrelesnuagesquidérivaient,dessinantdesrayuressursesgenoux.Jennertournadansl’allée,lespneuscrissantsurlegravier.

Ami-chemindelamaison,ilpoussaunjuronétoufféquilaramenabrusquementàlaréalité.—Bonsang,grogna-t-il.Attendsuneminute.Miareleva la têtebrusquement.Jenner, le fontplissé, regardadanssonrétroviseuretaccéléraen

directiondelamaison.Elletournalatêtepourregarderderrièreetvitungros4x4déboulerdansl’allée.Sonestomacseserraetlesbattementsdesoncœurs’accélérèrentsouslapousséed’adrénaline.

—C’estJeff?demanda-t-elle.Jenneravaitlesmâchoiresserréesetilsemblaitfurieux.—Ondiraitbien,dit-ild’unevoixquin’étaitguèreplusqu’ungrondement.Etiln’estpasseul.Ellen’eutqu’unedemi-secondepourcomprendreque Jeff et les truandsqu’il avait recrutéspour

l’aiderétaient finalementpassésà l’actionetque lesperspectivesn’étaientpas trèsbonnes,avantqueJennerdonneuncoupdevolantàdroiteetengagelecamionsurl’herbe.

Ilsbondirentsurleterraininégal,maisJennerréussitàgarderlecontrôleduvéhicule.Ildonnaunautre coup de volant et les pneus dérapèrent,mais il ne s’arrêta pas. Elle comprit ce qu’il faisait. Ilessayait de contourner le 4x4 pour retourner sur l’allée et ensuite récupérer la route principale afind’échapperàleurspoursuivants.

Malheureusement,lechauffeurdu4x4étaitunexpertduvolantluiaussi.Ilfitdemi-touret,pointantsonvéhiculedanslamêmedirection,revintàlahauteurdupick-updeJennercôtéconducteur.Lesvitresdu véhicule étaient fumées et Mia ne pouvait pas voir les occupants, mais elle mit en pratique ce

qu’Aislynnluiavaitditetenseconcentrantelleréunitautantd’informationsqu’ellepouvait,simplementavecsonflair.

Quatrehommes.JeffGainesétaitl’und’eux.—AppelleBane,cria-t-elleenregardantdésespérémentle4x4quiroulaitàcôtéd’eux.Le vieux pick-up de Jenner ne pouvait rivaliser avec un véhicule plus récent et beaucoup plus

puissant.—Ilestloin?Appellen’importequi,reprit-elle.Il tournala têteverselleet lapaniquequ’elle lutdanssesyeuxluiglaçalesang.SiJenneravait

peur,cedevaitêtrel’horreurabsolue.—Jenesaispas,dit-il.Bonsang!Ilsserapprochent,Mia.Accroche-toi,bébé.Accroche-toi!Le4x4fituneembardéeetpercutaviolemmentlaportièredeJenner.Lemondesemitàtournerau

ralenti,Jennergrognasouslaviolencedel’impact,toutsoncorpsbasculad’uncôté.Lepick-updérapaetavecunelenteurextraordinairetournasurlui-même.Miaentenditlesgrondementsdumétaletvitparlavitrelemondeseretrouvertêteenbas.Dansunterriblefracas,lepare-brisevolaenéclats.Desdébrisdeverrefurentprojetésdansl’habitacleetinstinctivementellefermalesyeuxpourseprotéger.

Lechocfutsuivid’unsilencedemort,siétrangeaprèsceterribletumultequeMiasutqu’ilresteraitgravéàjamaisdanssamémoire.Maispresqueaussitôtilfutrompupardesclaquementsdeportières,desbruitsdepas,desvoix…

—Sors-latoutdesuite.Onn’apasdetempsàperdre.Toujoursétourdie,Miapendaitlatêteenbas,retenueparsaceinturedesécurité.Elletournalatête

etvittoutdesuitequeJennerétaitplusmalenpointqu’elle.—Jenner,murmura-t-elle.Sesmainsnesemblaientpasvouloirluiobéirettremblaientcommedesfeuillesquandellelestendit

verslui.—J…Jenner?Oh!monDieu,jevousensupplie…non…Jenner?Parle-moi…Ilyavaitdusangsursoncrâne,sursonvisage.Ilavaitlesyeuxàdemifermésetsatête,enreposant

surletoitdupick-up,au-dessousd’eux,faisaitunanglebizarreavecsoncou.Elleessayad’attrapersamain,quipendait,inerte.

Ellefutprisedepanique.—Jenner,répéta-t-elleensanglotant.Réveille-toi.Nick!Jet’ensupplie.Soudain,quelqu’unouvrit laportièrebrutalementetdesmains inconnues lasaisirentet la tirèrent

horsduvéhicule.Mia,affolée,sedébattitfarouchement.EllecontinuaàregarderlesyeuxvidesetsansviedeJenner.Sesmerveilleuxyeuxdorés.

—Non!hurla-t-elle.Non,qu’est-cequevousfaites?Appelezuneambulance.Lâchez-moi.Ilestblessé.Qu’est-cequevousavezfait?

Mais il n’y avait personne pour l’aider et ceux qui étaient là semblaient vouloir l’enlever.Quelqu’un l’arracha à la carcasse du pick-up accidenté, en la faisant passer à travers le pare-briseexplosésansqu’ellesentelesmultipleséclatsdeverrequiluitailladaientlapeauetpénétraientsachair.

—Attache-luilesbras,ditunevoixqu’ellereconnutsanspeine.L’individuquil’avaitsortiedupick-upluitorditlesbrasderrièreledossansménagement.Miase

mit à lancer les jambesen tous senspourdonnerdes coupsdepieddésespérés.Cequi eutpour effetd’énerverunpeuplussonsauveteur.

—Bonsang,arrêtedebougerouc’estmoiquivaistecalmer.Quandlesmainsquiencerclaientsesbrasserrèrentsifortqu’elleeutmal,Mias’immobilisaetleva

lesyeux.Jeffsetenaitdevantelle.Ilnesemblaitpasdutoutaffectéparcequ’ilvenaitdeprovoqueret,quandleursregardssecroisèrent,sesyeuxétaientdénuésdetouteexpression.Ilavaitl’airbeaucoupplusmalenpointqueladernièrefoisqu’ellel’avaitvu.Sesvêtementsétaientsalesetenpiteuxétat.Ilavait

lescheveuxbizarrementdresséssurlatêteetdesrougeurssuspectessursesjouespâles.Cen’étaitpasl’hommequ’elleavaitconnu.

CeJeff-làavaitétédévoréparquelquechosedebeaucoupplussombre.—Pourquoi?supplia-t-elle.Sors-leaumoinsducamion.Tum’as,moi.Tun’aspasbesoindelui

fairedumal!Ellesavaitquepourlerestedesavie,quineseraitprobablementplustrèslongue,elleseraithantée

parlesouvenirducorpsdeJenner,recroquevillédanscecamion.Parsesyeux,privésdeleuréclat.—C’esttrèssimple,Mia.Ilapriscequim’appartenait,ditJeff.SilesBlackpawavaientrenoncé,

ilauraitpeut-êtreeuunpeuplusdetemps,encorequecenesoitpassûr,tupeuxmecroire.C’estcommeça,ilnepouvaitpasenêtreautrement.

Mialeregardait,horrifiéeparlesimplicationsdecequ’ilétaitentraindeluidire.—Tuvaslestuertous?Pourquoiest-cequetuveuxaiderceschoses?Tuétaisunhommebien,

Jeff.Aufonddetoi,tul’étais,avant.Quoiqu’iltesoitarrivé…Cesmotssemblèrentbrisersonmasqueglacé.Pendantuncourtinstant,sonvisagesedéformapour

reprendrelestraitsqu’elleluiavaitvuslesoirdel’agression.—Çasuffit!gronda-t-ilférocement.Jenesuispascequetucrois!Jesuismeilleurqueça,plus

fortqueça.Jen’airienfaitdebiendetoutemavie.Jen’étaisjamaisassezbien!Maiscettefoisjet’ai.Et je vais finir par obtenir ce quime revient. Jenner, lui, va faire ce qu’on attendde lui, c’est-à-diremourir.

Ilsecoualatête,leslèvresretrousséesdedégoût,etposalesyeuxsurl’épaveducamion.—Quelimbécile!Lesgensdesonespècenepeuventpasgagner.—Tuesdelamêmeespèce,toiaussi,Jeff,ditMiadoucement.—Non,répliquaJeff.Certainementpas.Ilsm’ontrejeté.Ilsvoulaientquejesoisautrechosequece

quejesuis,etcommejenepouvaispasilsm’ontchassé.MaislesOmbres,elles,nel’ontpasfait.Ellesonttoujoursétélàpourmoi.Mêmequandtoutallaitmal.

Soudain,sonvisagesefissuraenunegrimacehideuse,etmêmesesimpitoyableshommesdemainleregardèrent avec inquiétude. Elle sut qu’ils se rendaient compte de sa folie. Ils espéraient seulementsoutirerde lui lemaximumdecequ’il leur avaitpromisavantqu’ilneperdecomplètement la raison.Maisellevoyaitautrechose…pendantunéclair,elleentrevitl’enfantblessésouslesmultiplescouchesdehaineetdedéception.Ellefutenvahied’unsentimentdepitiésansespoir.Jeffauraitpeut-êtrepuêtresauvédelui-mêmeilyalongtemps.Maismaintenantilétaitallétroploin.

Elle regarda le camion. Il n’y avait aucun mouvement à l’intérieur et sa poitrine se serra. Ellerespiraitdifficilement.

—S’ilteplaît,dit-elle.Jet’enprie,nefaispascela.Endésespoirdecause,elleessayaderassemblerlabellemusiquenoirequicoulaitdanssesveines.

Mais la peur semblait l’avoir figée, ne lui laissant rien de plus qu’un faible écho et une flammevacillante.

Acemoment-là,ellemauditlafemmequil’avaitélevée.Tantdesecretsqu’ilrestaitàpercer,tantdepotentielqu’ellenepouvaitpasutiliser.Ellen’auraitpasletemps.

—Situm’attaques,j’ymettraifinimmédiatement,ditJeffenlaregardant.Miacompritqu’ilavaitvulalueur.Terroriséeàl’idéequesielleentreprenaitquelquechoseils’en

prendraitàJenner,ellelaissatomber.—C’estbien.Detoutemanière,ilestmort,chérie.Maisnouslaisseronsàsescopainsleplaisirde

trouversoncorps.Queldommage!LesOmbresseseraientrégalées.EllevitJefffaireunsigneàceluiquilatenait.Ellesentitunedouleuraiguëàlatempeetelleperdit

connaissance.

***

Jennerentendaitsespleurs.C’estcequiluipermitdesurmontersadouleuretsonenvieirrésistibledeselaisserglisseraufond,

des’endormirpourtoujours.Péniblement,ilparvintàentrouvrirlesyeux.Il avait une douleur terrible à la tête et tout son corps étaitmeurtri comme si on lui avait roulé

dessusàplusieursreprises.Commeilreprenaitconsciencepeuàpeu,ils’aperçutquecen’étaitpasloindelaréalité.Ilfutsaisid’unerageaveuglequidépassaenintensitétouteladouleurquisubsistait.

Ilavaiteudelachance.Lefaitqu’ilaitsurvécuàl’accidentmontraitquesoncorpsétaitdéjàbienavancédanssontravaildeguérison.Pourtant,ilserendaitcomptequ’ilneseraitpasàcentpour-centdesaformeavantunpetitmoment.Troplongpourcequ’ilavaitàfaire.

Miaavaitdisparu.Enlevée,destinéeàdevenirleprochainagneaudusacrificesurl’auteldesOmbres.Maiscettefois

leurvictimen’avaitrienfaitdeplusquedeposséderdusangancien,dusangmagique.Ilentendaitencoresescrisrésonnerdanssesoreilles.Ellen’avaitpasvoulucela.Commentavait-il

pucroireunseulinstantqu’ellel’avaitprovoquévolontairement?Ellen’avaitmêmepasétécapabledeseprotégerelle-même.

Direqu’ilavaiteupeurdesonterriblepouvoir!sedit-ilengeignantparcequ’ilessayaitdebouger.Maismêmecelan’avaitétéqu’uneexcuselamentablepourfuir.Parcequ’ilavaitcomprisquelquechosetandis qu’elle se tenait devant lui, s’offrant à lui une dernière fois sans autre motivation que soninquiétudepourlui.

Ilétaittombéamoureuxd’elle.Et,pourlapartiedesapersonnequiavaitétédéforméelanuitoùilavaitétécontraintdesupprimerTess,c’étaitinconcevable.Terrifiant.Alorsill’avaitfaittaire,ilavaitrepoussécetamour.

Quelimbécile!Ilallaitperdrelafemmequ’ilaimaitplusquetout.Etcettefoisceseraitvraimentsafaute.

JeffGaines.Iltueraitcesalaud,mêmesic’étaitladernièrechosequ’ilfaisait.Bienquesesmembressoientlourdscommeduplomb,lacolèreluidonnalaforcedesemettreen

mouvement. Il détacha sa ceinture de sécurité avec précaution, en essayant d’être le moins brusquepossiblepournepasseblesserdavantageenretombant.Ilamortitlechocavecsonépaule,tandisquedesmorceauxdeverreluitailladaientlapeauàtraverssachemise.Lentement,iltraversaletoitducamion,passasurlesiègeoùMiaétaitassiseetsecontorsionnapoursortirparlaportièretordue.

Jennerserralesdentsenseredressant,etsemitsursespiedsauprixd’uneffortconsidérable.Ilsepalpalatêted’unemainhésitante,inquietdecequ’ilallaitdécouvrir.Quandilregardasamain,elleétaitcouvertedesang,maisiln’avaitquedesblessuressuperficielles.

Diable!Ilavaitvraimenteudelachance.Soudain,ilentenditlesonserépéter.Celuiquil’avaitréveillé.LesonlointaindespleursdeMia.

Surlequi-vive,ilregardaautourdeluimaisilnevitquelesornièresquesoncamionetle4x4deJeffavaientcreuséesdanssapelouse.Non,elleavaitvraimentdisparu.

—Mia,murmura-t-ilenclaudiquantverssamaison.C’étaitpeut-êtreunehallucinationauditive,uneséquelleduchocqu’ilavaitreçusurlatête.Mais

soudainilentenditsonnomprononcéaumilieudesanglotsdéchirants.C’étaitlesonleplustristequ’ilaitjamaisentendu.

Acemoment,ilcompritcequisepassait.Touscesmomentséclairsdeconnexionentreeuxavaientvraiment une signification,même s’il avait fait tout son possible pour les repousser. Tout d’abord en

disantquec’étaitlefruitdesonimagination,ensuiteenprétendantquec’étaitlamanifestationd’unesortedemagienoire.

Maintenant, ilcomprenaitquenonseulement il l’aimait,nonseulement il ladésirait,mais ilavaitvraimenttrouvésonâmesœur.

Frappéparl’évidencedecettevéritétoutesimple,ilsefigeasurplace.Miaétaitsamoitié,laseuleetunique.Aprèsavoirpassédesannéesàsedirequ’ilavaiteusachanceaveclacompagnedesavieetqu’il

l’avait perdue, il comprenait enfin que Tess n’était pas cette compagne. Que son sentiment pour ellen’avait été qu’un amour de jeunesse mêlé de désespoir, parce qu’il savait que sa partenaire ne luiappartenaitpasréellementetneleferaitjamais.

Maistoutesleshistoiresqu’ilavaitentendues,toutcequ’onluiavaitditausujetdulienquisecréeentre deux êtres qui sont vraiment faits l’un pour l’autre, se réalisaient aujourd’hui. Cela expliquaitpourquoiiln’avaitjamaisfaitcequ’ilfallaitpourscellersonlienavecTess.Ellen’étaitpasfaitepourlui.

Etlafemmequiluiétaitdestinéeétaitlà,quelquepartentraindelepleurer,parcequ’ellelecroyaitmort.

Jeffaussilecroyait,sinonilneseraitpasparti.Jennerpouvaitpeut-êtreutilisercelaàsonavantage,maisilfallaitfairevite.Plusvitequesoncorpsdouloureuxneleluipermettait,carilallaitbienfalloirqu’ilsedépasses’ilvoulaitsauverlaviedelafemmequiavaitdéjàsauvélasienne.

Déterminéàagir,Jennerboitillaaussivitequ’illeputverslamaisontoutenappelanttoussesfrèreset sœursà la rescousse. Ils répondirentavec tantde forceetde fureurque Jenner sentit ses forces luirevenir.Sadémarchesefitplusrégulièreetladouleurcommençaàrefluer.Ilfallaitqu’ilguérissedesesblessures,pourlameute.PourMia.

Iln’entendaitpluslespleursdeMiamaisilétaitcertainqu’elleétaittoujoursvivante,là,quelquepart,etquel’espoirétaitentraindel’abandonner.

Ilnesavaitpassiellepouvaitl’entendrecommeluil’avaitentendue,maisilallaitfaireensortequecesoitpossible,rienqueparlapuissancedesavolonté.

De toutes ses forces, il envoyaunmessagedans levasteespaceobscurqui s’étendaitau-delàducercledesameute.Ilespéraitqu’ill’atteindrait.Sisesmotsnepassaientpas,peut-êtresessentimentsleferaient-ils.

Tiensbon,Mia.Jet’aime.J’arrive.

19

Miaserecroquevillasurelle-même.Elleauraitvoulusefairetoutepetite,pourqu’ilsnelavoientpas.Siseulementilspouvaientl’oublier!Maiscelanerisquaitpasd’arriver.

Une fois de plus, ses blessures s’étaient refermées à une vitesse surprenante. Tous les petitsmorceauxdeverreincrustésdanssapeauétaientsortisd’eux-mêmesetétaienttombéstandisquelachairserefermait.Audébut,soncorpsétaittrèsdouloureuxmaisladouleuravaitdisparualorsqu’ilsétaientdansle4x4,elleaveclesmainsliéesdansledos,allongéeàl’arrière,etlestroishommesquil’avaientenlevéelasurveillantdepuislessiègesoùilsétaientassis.

Ilsl’avaientprévenuequesielleessayaitdes’échapperellesubiraitunemortlongueetdouloureusequandilsenauraientfiniavecelle,unealternativeàlaversionplusrapidequ’ilsavaientpréparéepourelle,sansdoute.Ellen’avaitaucuneraisondenepaslescroire.Aprèstout, ilsavaienttuéJenner…etcelalesavaitfaitrire.

Cesouvenir luisoulevait l’estomacetelles’efforçadelechasserdesonesprit.Elleauraitvoulutouteffacerdesamémoire.Enparticulierl’imagedeJenner,couvertdesang,suspendudanslepick-up,la tête en bas. Mia ne laissait rien paraître de ses émotions pour ne pas attirer l’attention de sesravisseurs.Enson for intérieur, cependant, elle pleurait Jenner, et la douleur causéepar sa perte étaitconsidérable,bienau-delàdetoutcequ’elleauraitpuimaginer.

—Ondevraitpeut-êtrefairecoulerunpeudesonsang,suggéraundeshommesen lui lançantunregardterrifiant.

D’unecertaine façon, ilne laconsidéraitpascommeunêtrehumainmaiscommeunobjet.Et, sic’étaitàlafoisutileetamusantdelamutiler,ilseferaitunplaisirdelefaire.

—Pastoutdesuite.Lemomentn’estpasencorevenu.Ceseraitdugaspillage.Etpuis,elleestsage,maintenant,hein,Mia?grognaJeff,quisetenaitdebout,lesbrascroiséssurlapoitrine.

Mianelevoyaitquedeprofilmaisiln’étaitpasdifficiledeconstaterquesonexcitationgrandissaitetquesonsensdelaréalités’estompaitpeuàpeu.Ilposasurelledesyeuxhagardset luidécochacequ’ilcroyaitprobablementêtreunsourirechaleureux.

—TunecroispasquelesOmbresarriveraientplusvitesionrépandaitunpeudesonsang?Justeunpetitpeu?

Jeffmontralesdentsenregardantl’hommeappeléSy.LuietlesdeuxautresbrutesquitravaillaientpourJeffterrifiaientMia,surtoutparcequ’ellevoyaitbienqu’ilsvouaientàleurcause,sinonàJeff,uneloyautésansfaille.Ilsvoulaientlepouvoir.Etilsposaientsurelleunregardfroidetimpassible.

—Espèce d’idiot. Elles savent que nous sommes ici. J’attends seulement qu’ellesme disent oùaller.Ellessontentraindepréparerl’endroit…jeleconnais.

Miaétaitassiseàmêmelesol,adosséeautroncd’unarbre.Jeffsetournaverselleetellel’observatandisqu’ils’approchait.Elleréussitàrefréneruneréactionderecul,etleregardad’unairimpassible.Enréalité,elleétaitterrorisée.Ilsavaientabandonnéleurvéhiculedansunestation-servicedésaffectéeàlapériphériedelaville,plusieursheuresauparavant,puisilsavaientcontinuéàpiedàtraversbois.

Elle avait espéré que les Blackpaw pourraient les suivre à la trace…mais personne ne venait.Personnenesavaitcequiétaitarrivé.Et,quandilss’enapercevraient,ilseraittroptard.Jeffavaitététrèsclair.

Endépit de sa folie, elle savait qu’en ce qui concernait ses projets avec lesOmbres il disait lavérité.

Jeffs’arrêtaàquelquescentimètresd’elleet laregardaaveccequ’elleauraitpuprendrepourdel’intérêtsiellen’avaitpasvul’éclatcruelquibrillaitdanssesyeux.

—Mia,dit-il,appellelesOmbres.Sonsoufflesebloquadanssagorge.—Je…Jenesaispas…LesouriredeJeffsetransformaengrimace.—Maissi, tusais,espècedegarce!Ellesviendrontplusvitequandellessentirontl’intensitéde

tonpouvoir.Appelle-lesavectonsangdefée.Fais-letoutdesuite,tum’entends?Illuidonnauneclaqueduplatdelamain,quienvoyasatêtecognerviolemmentcontreletroncde

l’arbre.Miapoussauncridedouleuretdeterreur.Ellen’avaitpasdemandéàêtrelà,ellen’avaitpasvoulu

provoquer toutça.Elleauraitvoulu se retrouveravec Jenner,quand il était encorevivant,pourqu’ilsessayentdediscutercalmementdeceschoses.

Rienn’iraitplusjamaisbien.Jefflaregardaavecdesyeuxquibrûlaientd’unéclatincendiaireenéclairantlapénombredusous-

bois.—Appelle-les,espècedepetitegarcesauvage.Jen’aipasdetempsàperdre.Leloupdanstonsang

valesattirerautantquetamagie.Ellesnepourrontpasterésister.Savoixétaitàpeinehumaine.Miafermalesyeux,pousséeenpartieparunréflexededéfense.Si

elleleregardaitpluslongtemps,ellecraignaitde…s’effondrer.Lentement,ellesuivitlesinstructionsdeBane.Maiscettefoiscen’étaitpasunhommequ’ellecherchaitàjoindre.

Ellesetrouvapresqueinstantanémentplongéedansuneobscuritéprofondepeupléed’unesoudainecacophonie de grondements, de gémissements et autres plaintes parmi lesquelles il était difficile dediscerner lamoindre pensée cohérente. Et pourtant cette énorme ombre collective paraissait la sentircommeunseul individu.Miasentitsonfrontsecouvrird’unesueurglacéeetsonestomacserévulser.Maisellen’avaitpaslechoix.

—Quinousappelle?—C’estmoi,Mia.—Tuesuneféeloup.Tueslaclé.Cetimbécileaquandmêmefiniparfairesontravail.Lavoixétaitprofonde,sonoreetprometteusedesombresplaisirs.Elleétaitséduisante,àsafaçon.

Il serait facile de se perdre à cause d’une voix comme celle-là…maisMia avait d’autres raisons devivre,bienmeilleuresquecequecettechoseluipromettait.

Alorsellesupplia,mêmesiellesavaitqu’enfaisantcelaelleentraitdanslejeudelacréature.—Jeneveuxpasmourir.—Tunemourraspas.Nousallonsprendretonessenceet tedonnerlanôtreenéchange.Tuseras

parfaite,différente.Notreféeloupnoire,libéréedetonhumanitédégoûtante.—Non,s’ilvousplaît…

—Inutilede t’alarmer.Nous tepermettronsde le tuer.Le fou. Il sepourraitmêmequ’il soit tonpremier.Inutile,faiblechosequ’ilest.Viensànous.Jetemontrerailavoie.

Aprèsde longuesminutesdecediscoursalambiqué,Miaouvrit lesyeux.Elleavait l’impressiond’avoirplongédansunabîme.Maiselleavaitfaitcequ’onluiavaitditparcequechaquesecondedesaviecomptait.

EllesedemandacequeJeffallaitfairelorsquelesOmbresseretourneraientcontrelui.Etelle,queferait-elle?EllesentaitdéjààquelpointilseraitfacilepourlesOmbresdelacorrompre,enlavidantdetoutcequ’ilyavaitdebonenelle.

Seigneur,qu’allait-iladvenird’elle?Elleavaitlasombreintuitionquelamortseraitlameilleuredesoptions…maisuneoptionqu’elle

n’auraitprobablementpaslapossibilitédechoisir.Pastoutdesuite,entoutcas.—Alors,demandaJeffd’untonimpérieux,luias-tuparlé?Inutiledemementir,Mia,jelesaurai.— La voix a dit qu’ils se préparaient pour le rituel, dit Mia doucement, et m’a indiqué où te

conduire.Elleaditaussi…EllehésitaetJefflevalebrascommepourlafrapperdenouveau.Mialeregardatristement,ellese

doutaitqu’ilyauraitd’autrescoups,quoiqu’ellefasse.—Elleaajoutéqu’ilsétaientprêtsàt’accueillirparmieux.Jeffbaissalebras,maissesyeuxconservaientleuréclatmenaçant.—J’espèrebien,dit-il.Montre-nouslechemin,Mia.Ettuasintérêtàneriententer,sinonj’ai…,

nousavonsdestasdemoyensdetefairesouffrirsansverserlamoindregouttedeceprécieuxsang.Illuitournaledosetallaverslesautrespourdiscuteràvoixbasse.Mias’enfichait.Ellen’avait

jamaisétéaussidésespéréedesavie.Jenner,pensa-t-elle,s’accrochantàsonsouvenircommeàuntalisman.Etlà,commeparmiracle,

elleentenditlefaibleéchod’uneréponse.C’étaitprobablementdanssonimagination.Mais,quandmême,entendre lavoixde Jenner, aussi lointaine soit-elle, lui redonnauneminuscule lueurdequelquechosequ’ellecroyaitavoirdéfinitivementperdu:l’espoir.

Accroche-toi,Mia.J’arrive.Onarrive.

***

Ilscouraientengroupe,chaquemembredesBlackpawquiétaitdisponibleayantréponduàl’appel.Lesloupsfonçaiententrelesarbresdanslalumièredéclinantedelafindujour,lesrayonsdorésdu

soleilcouchantquifiltraientàtraverslacimedesarbressereflétantparintermittencesurleurspelages,quiallaientdurouxéclatantaunoirdejais.

Jenner courait en tête avec Bane. Son cœur battait follement sous le flot d’adrénaline. Sa têtecontinuait à le faire souffrir,mais on lui avait donné quelque chose pour soulager la douleur. Et peuimportaitqu’ilsouffreounon.Riend’autrenecomptaitqueMia.

Ils avaientmis un temps fou à retrouver cemaudit 4x4. Jenner savait queMia et ses ravisseursétaientquelquepartauplusprofonddelaforêt,maisilnevoyaitpaspourquoi.Heureusementpoureux,unefoisleurpisterepérée,ilavaitétéplusfaciledelessuivre.

Lesrattraper,enrevanche…Cela faisait des années qu’il combattait les Ombres qui hantaient ces bois comme des fantômes

malveillants,àl’affûtdesjeunes,desmalades,desfaiblesquis’aventuraienttroploin,seuls.Ilavaitvucequ’ellespouvaientfaireauxespritsdesplusvulnérables.Et,s’iln’étaitpasassezrapide,illuifaudraitlescombattresousuneformequ’aucuneOmbrenedevraitêtreautoriséeàprendredanscemonde.Uneformedontilnesavaitpasdutoutsiluietlesautrespourraientlavaincre.

Jennerrefusad’ypenser,seconcentrantsurcequil’attendait.Ils’efforçaitaussidenepaspenserauloupaupelageclairquicouraitsurl’autreflancdeBane,niàcelui,plusmassifetaupelagefauve,quiétaitjustederrièrelui,àlatêtedeleurpetitcontingentdeSilverback.

Kenyon, sincèrement inquiet pourMia, avait absolument tenu à les accompagner. Tomas, lui nonplus, n’avait pas hésité, malgré l’expression de son regard quand le sang de fée de Mia avait étémentionné. Jenner doutait que Tomas soit toujours aussi désireux d’accoupler son second avec ellemaintenant,mais il était conscient que, siMia lui donnait lemoindre espoir de réciprocité, Chase sebattraitpourl’avoir.

Mais cela n’arriverait pas. Parce qu’il était prêt à se traîner à genoux et à la supplier pour lareconquérir.Iln’allaitpaslaperdreunesecondefois,justeaprèss’êtreremisdel’avoirperdue.

Ilsentaitsatracemaintenant,sondouxparfumdeplusenplusperceptible.Maislalumièrebaissait.Et,d’aprèslepeuqu’ilsavait,lecrépusculesemblaitêtrelemeilleurmomentpourappelerlesOmbresenespérantobteniruneréponse.Pourtant,iln’avaitjamaisessayé,saufpourlesmaudirelesraresfoisoùiln’avaitpaspulesempêcherdecauserdesdommages.

Ilyavaitd’autresodeursdansl’aircesoir.Desodeursdefolieetdefeu,desueuretd’attente.Etdepuisunmoment,ténue,maisdeplusenplusforte,l’odeurcaractéristiquedusang.

Lapeurnouasonestomac.S’ilvousplaît,faitesquecenesoitpasMia,pensa-t-il.C’esttoutcequejedemande.Mia,pensa-t-il, s’adressantàellepar l’esprit,dans l’espoirqu’ellepourrait l’entendre, le sentir.

Souhaitantdetoutessesforcesêtrerassurésursonsort.Il fut stupéfait quand il entendit sa voix, faible certes,mais incontestablement là. Elle paraissait

hésitante,effrayée…maisvivante.Enuninstant,ilfutplongédanssonessence,aussiprocheetréellequesielleavaitétéàcôtédelui.Ilsentitsachaleur,sonamour…etsatristessedéchirante.

Jenner ?Est-ce… est-ce que c’est vraiment toi ?Ou est-cemon imagination quime joue destours?

Jevienstechercher.J’arrive.Est-cequetum’entends?Mia,jesuissidésolé,bébé.J’avaistort.Jet’aime.Jet’aime…

Mais,commeaucoursd’unemauvaiseconnexiontéléphonique,savoixs’évanouit,ainsiquetouteperceptiond’elle,renduesinaccessiblesparl’obscuritésuintantequisemblaitrecouvrirtoutelazone,etquiallaits’épaississantàmesurequ’ilss’enfonçaientdanslesbois.

Lalumièrequilesentouraitpritunenuancemauveargenté,etdeschosescommencèrentàsortirdederrière et de dessous les arbres, rien de plus palpable que des silhouettes immatérielles constituéesd’obscuritéelle-même.Banefitsigned’arrêteretlameutesetintensilencetandisqueleschimériquesvolutesdepurenoirceurétaientattiréesparquelquechosequise tenaitàdistance.C’était lapremièrefoisque,demémoiredeJenner,lesOmbresneréagissaientpasàlaprésencedeloupsdanslaforêt.Ellesavaientdesaffairesplusimportantesàréglercesoir.

Bane,unloupnoiretimposantauxyeuxjaunesétincelants,setournaversJenner.Ilfautquel’und’entrenouscontinue,poursefaireuneidéedecequisepasse.Jenner savait que c’était à lui d’y aller. Il était le lunari, le chasseur de lune, le pourfendeur

d’Ombres.Et,malgrélepérilqu’ilcourait,iln’auraitjamaisacceptéqu’ilensoitautrement.Encercle-les.Jeteferaisavoirquandagir.Kenyonsemblait savoircequise tramait,mêmesi,en tantqueSilverback, iln’avaitpasaccèsà

leur échange. En un clin d’œil, il avait repris sa forme humaine, mais il fallait reconnaître que saprestanceétaitplutôtcelled’unanimalprêtàmordre.

—Ilesthorsdequestionquetuentreslà-dedanssansmoi,gronda-t-il.Jenner n’avait pas l’intention de s’embarrasser d’un pot de colle qui avait des vues sur sa

compagne.IlsetransformapourretrouversaformehumaineetlançaàKenyonunregardfurieux.

—Ilesthorsdequestionque tuviennes.Unepersonnesuffit.Enplus, ilssauront immédiatementquenoussommeslà.Ilslesaventpeut-êtredéjà.Ilestinutiledesacrifierunautreloup.

Kenyonmontralesdents.—Epargne-moilesviolons.J’aiautantd’intérêtsquetoidanscettehistoire,Jenner.Çam’étonnerait

qu’elleoubliequetul’asrejetée.Banesetransformaetvintseplacerentrelesdeuxhommes.—Onn’apasdetempsàperdreavecvosquerellesd’ego.Jenner,prends-leavectoi.Danscecas,

ilvautmieuxêtredeux.Etc’estsondroitautantqueletien.—C’estexact,ditTomas,quiressemblaitplusàuntaureauqu’àunloupenapparaissantàcôtéde

Bane.Jenesaispascequecettefemmeveut,etellesembledéterminéeàpasseroutrelaloidelameutede toute façon,mais vous devez y aller à deux. Kenyon est notremeilleur élément. Elle aurait de lachancedel’avoir…surtoutquandonpenseàcequ’elleest.

Jennergrogna.—Jenedoutepasqu’ellevousseraitreconnaissanted’oubliersonstatutd’hybride,Tomas.Mais

Miaestàmoi.Jenelalaisseraiàpersonne.Il nemanquapasdevoir la lueurde soulagementquipassait sur levisagedeTomas, tandisque

Kenyonsehérissait.—Cen’estpasàtoid’endécider.Pourunefois,lesmotspourexprimercequ’ilressentaitluivinrenttoutnaturellementauxlèvres.—Si.Jel’aime.Jesenslelienquinouslie.Ellevadevenirmacompagne.—Tuparles!Enunclind’œil,KenyonavaitreprissaformedeloupetbondissaitsurJenner.Celui-ciachevasa

transformationjusteàtempspourarrêterlecoupetilsroulèrentàterreensemble,mordant,claquantdesdents,sanssesoucierdubruitqu’ilsfaisaient.UnegriffevintraclerlevisagedeJenner,faisantcoulerlesang.Engrimaçant,ilenfonçasesdentsdanslanuquedeKenyonetluisecoualatête,tirantunjappementdesonadversaire.Bane,soussaformedeloup,leurfonçadessuspourlesséparer.Ilsedressasursespattesarrière,etlafureurdanssesyeuxétaitévidentelorsqu’ilrepritsaformehumaine.IllevaunbraspourfairereculerJenner,pendantqueTomasmaintenaitausolunKenyonenragé.

—Debout,touslesdeux,ordonnaBane.Ilnes’agitpasseulementdesavoirquivaavoircettefille,bonsang!Ilyabienplusenjeu.Jenner,tudevraislesavoir,toiplusquequiconque.LesOmbressontpratiquementinexistantesdanscesparages.Jenesaispasd’oùellesviennentetjeneveuxpaslesavoir—ellessontdéjàbienassezdangereusescommeça—,maisdonnez-leuruneformeetalorsnousauronsunsérieuxproblème.Nousdevonslesarrêter.Maintenant.Alorsreprenezvosespritsetarrêtezdevousconduirecommedesadolescentsattardés.Sionarriveàréglercettehistoireetàleurreprendrelafille,vousaureztoutletempsdevousbattrepourelleaprès.Jesuissûrqu’elleseraimpressionnée,parl’uncommeparl’autre,dit-ilavecunsourirenarquois.

Jenner, toujourssoussa formede loup, regardaKenyond’unairméfiant. Il savaitqueBaneavaitraison.Ilsrégleraientleurscomptesplustard.Maisiln’allaitpasfairesemblantdereculer.IlselevaetfitunsignedetêteàBane.Kenyonfitdemême,encouragé,commeJennerleremarqua,paruncoupdepiedauderrièredeTomas.

—Alors,dépêchez-vous,ditcelui-ci.Nouslesencercleronsetnousattendronsvotresignal.Allez-y.

Sansajouterunmot,lesdeuxloupsdisparurentdanslanuitencourant.

20

PousséeparJeff,Miaavançadans laclairièred’unpasmalassuré.Sesyeuxs’arrondirentquandellevitlespectaclequiseprésentaitàelle.Elles’arrêtanetettentaderetournersursespas,maisleshommesquilasuivaientl’arrêtèrenttoutdesuite.

—Non,non,chérie.C’estleboutducheminpourtoi.—Continue,ditJeffenfredonnantderrièreelle.Ilavaitl’airtoutexcité,commes’ilétaitsurlepointderecevoirleplusbeaucadeauqu’onpuisse

offriràunhomme.—Tun’asrienàcraindre…pourlemoment.Miadéglutitavecdifficulté.Ellen’étaitpassûredepouvoircontinueràavancer.Pasversça.Unpersonnagesetenaitdevanteux,torsenu,aucentred’uncercledefeu.Bienqu’ilressemble,en

grandepartie,àunhomme,ilyavaitquelquechosed’immatérieldanssaforme,etquandilsetournaduboncôtéMiaserenditcomptequ’ellevoyaitàtraverslui.

Ilétaitdetrèshautetaille,d’unecarrureimpressionnante,etuneauradecruautésedégageaitdelui.Sonépaissechevelured’uneblancheurimmaculéecontrastaitavecsessourcilsfoncés.Ilavaitlevisaged’un jeuneguerrier,mais sesyeuxquibrillaientd’un feu intensen’avaientpasd’âge.Sapoitrineétaitéclabousséedesang,maiscelanesemblaitpasêtrelesien.C’étaitplusprobablementceluidel’hommequigisaitsurlesolàsespieds.

—Ah,voilàoùétaitpasséTroy.Jeffpassadevantelleets’approchaducercled’unairindifférent.Quandleguerrierauxcheveuxblancsouvritlabouche,Miareconnutimmédiatementsavoix.C’était

cellequil’avaitconduitejusqu’ici.—Unecréaturebienutile.Sonsangm’apermisd’allumerlefeud’Ab-ashoth.SesyeuxétrangesseposèrentsurMia.—Etvoicilafemme?Notreféeloup.Savoixsefitpresquetendre.—Ilyabienlongtempsquenousvousattendions.Lesangdevotrelignéeseraréfie,lamagiedes

Unseelieperddesaforce.Ilssesontretirésdanslaclandestinité,loindeshumains,quilesontoubliés.Etpourtantvousêteslà.

—Cen’estpasmavolonté,murmuraMiad’unevoixpresqueinaudible.Lesouriredelacréatureétaitaussifinqu’unelame.—Vousyviendrez.Jeff se retourna et regarda Mia d’un air furieux, visiblement contrarié qu’elle reçoive plus

d’attentionquelui.

—Tu n’es qu’un accessoire pour moi, Mia. Je sais, la vie est une saloperie. Vous, amenez-la,ordonna-t-ilàseshommes.

Miasentitqu’onl’attrapaitparlesbrasetqu’onlapoussaitverslecercledefeu.Elleselaissafairesans sedébattre…àquoibon?Plus elle se rapprochait,moins elle réagissait.Une sortede léthargies’étaitemparéed’elle,elleétaitdansunesorted’étatsecond.Ellecherchadesyeuxunpointsurlequelseconcentrerafindesortirdecette torpeurgrandissante,maisellene rencontraque le regardbrillantduguerrierdesOmbres.Sesjambessedérobèrentsouselle.Satêtependaitauboutdesoncou.

—Tuvasavancer,espèced’idiote,sifflaunhommederrièreelle.Mia.Ellerelevapéniblementlatête,sonattentionattiréeparlavoixdouceetsifamilièrequil’appelait

une nouvelle fois. La première fois, elle avait cru que ce n’était qu’une illusion.Mais… et si c’étaitvraimentJenner?Pousséeparunéland’espoir irrationnel,ellel’appelaparlapensée.Ledébutd’uneréponse imperceptible lui parvint pour s’évanouir immédiatement. Lesmots qu’elle avait eu le tempsd’entendrefouettèrentsonsangetluidonnèrentquelquechoseàquoiseraccrocher.

Onarrive.Ellesentitqu’onl’emmenaitjusqu’aucercledefeuetsemitàtremblerenvoyantlesOmbresnoires

quicommençaientàsortirduboisenondulantetvenaienttournoyerparesseusementau-dessusducerclecommedesoiseauxcharognards. Ilyavaitde l’énergiedans l’air,de l’énergienoire.Lanuit semblaitvibrercommeuncâbleàhautetension.

—Venezjusqu’àmoi.Tous,ditleguerrier,suruntonquinesouffraitaucunediscussion.Elleeutl’impressionqueleshommesquil’entouraienthésitaient,etl’odeurdelapeurserépandit

soudaindansl’air.D’accord !Alors, c’estmaintenantquevouschoisissezd’avoirpeur? pensa-t-elle, prise d’une

colèresoudaine.Que croyaient-ils donc ? Qu’une créature qui vous promettait la vie éternelle et un pouvoir

extraordinaireauraitl’aird’ungentiltoutou?Jeffleurdécochaunregardcinglantetpleindemépris.—FaitescequeMurdockvousdit.Ilesttroptardpourreculer.Voussavezcequivousattendsinon.D’ungestedelamain,ildésignalessilhouettesnoiresquitournoyaientautourd’euxmaintenant.Ses

lèvresesquissèrentunpetitsourire.—Jeff,ditMia,d’unevoixdouce.Tucroisvraimentqu’ilsvonttelaisserlavie?Toutcequiles

intéresse,c’estmoi.Lacauseétaitsansdouteperdue.Maiselledevaitessayerunefoisencoredeleraisonner.Murdock

secontentad’unepetitegrimacehautaine.EtJeff,fidèleàlui-même,repoussatoutappelàlaraison.—Çanem’étonnepasquetucroiesça.Tupensesquetonsangterendmeilleurequemoi,meilleure

quetoutlemonde.Ehbien,tutetrompes.Eux,cesontmesamis.Messeulsamis.Ilsm’ontchoisi,ilyalongtemps,quandpersonnenevoulait demoi.Maisne t’en faispas.Tu l’auras tonmomentdegloire.Mêmes’ilnedurepaslongtemps.

—Ilsseserventdetoi.Jefflaregardaunmoment,ettoutd’abordellecrutqu’elleavaitréussi.Ilsemblaitêtreredevenule

Jeffqu’elleavaitconnu,poli, raisonnable,unpeutriste.Mais,quandilouvrit labouche,elleserenditcomptequecequ’ilyavaitdebonenluiétaitirrémédiablementbrisé.

—Ils…m’aiment,murmura-t-il.Ilsontbesoindemoi,Murdockmel’aassuré.Est-cequetusaiscequec’estqueden’avoirjamaisétéaimé?Moi,jelesais,Mia.Maistoutvachangermaintenant.Enfinjevaisêtrechargédequelquechosed’important.Enfinj’aurairéussiquelquechose.Toutvaêtrepossible.Tout.

Illuifaisaitpitié,pourautantqu’ellepouvaitressentirdelapitiépourunmonstrecommelui,parcequ’elleentendaitlefonddevéritédanscequ’ildisait.Cependant,riennepouvaitexcusercequ’ilétaitdevenuensacrifiantsasantémentaleàsondésirdepuissance.Sonsourireétaitceluid’undément.

—Jeregrettedenepast’avoirrencontréplustôt,repritMia.J’auraispeut-êtreput’aider.—Tues jalouseparcequecen’estpas toiqu’il a choisie,poursuivit Jeff, imperturbable.Allez,

viens,Mia.Lesréjouissancesvontcommencer.—Oui,acquiesçaMurdock.Entreztousdanslecercle.Laluneselève.C’estl’heure.L’attentiondeMiafutattiréeparl’hommegisantauxpiedsdeMurdock.Ilgémissaitetsetordaitde

douleur. Elle vit avec horreur que sa peau était couverte de dizaines de minuscules coupures d’oùs’écoulaientdefinesrigolesdesang.L’hommesemblaitmalenpoint.Drogué,peut-être,ourevenantàluiaprèsavoirétéassommé.

Jeffsuivitladirectiondesonregardetluifitunpetitsourire.—Net’enfaispaspourlui.Cen’estqu’unsacrificenécessaire.Ilagitalamainau-dessusdesatêteetlevalesyeux.—Elleestàtoi.Tupeuxprendreleshommes,aussi.Commepromis.PlusieursOmbresenlambeauxseséparèrentdelahordequitournoyaitetseprécipitèrentsureux.

Undeshommesquilatenaientpoussaunhurlementaigu,maissoncrifutimmédiatementétouffé.Quelqu’un labousculadans le feu,maisellenesentitmêmepas les flammesquandelle trébucha

par-dessuslecercle.Elleseretournapourvoircequisepassaitetvitavechorreurunecouverturedeténèbres,mouvante et ondulante, recouvrir les compagnonsde Jeff.Deuxd’entre eux s’échappèrent encourantverslesarbres,poursuivispardeuxombresimplacables.

Iln’enrestaitplusqu’une,quifonçasurJeff.Lepauvrefouécartalesbrascommepourrecevoiruneaccolade.

—Viens,jesuisprêt,s’écria-t-il.— Je ne regarderais pas si j’étais vous… nous sommes affamés, ce soir, murmura Murdock à

l’oreilledeMia.D’unemainglacée,illuicaressalebras.Le hurlement déchirant de Jeff emplit la nuit et son corps fut secoué de convulsions tandis que

d’autres Ombres s’abattaient sur lui pour l’envelopper de ténèbres aux reflets rouges. Horrifiée,Miatrouvapourtantlaforcedes’enfuir.

Murdockpoussaunterriblegrognementdesurprisequandellesemitàcourir,retraversantl’anneaudefeuavecunerapiditécomparableàcellequ’elleavaitexpérimentéelanuitoùelleavaitpoursuiviJeffdans les bois. Une poussée d’adrénaline la sortit brusquement de la léthargie dans laquelle elle étaittombée.Un terrible espoir l’envahit tandis qu’elle courait, sentant à peine le sol sous ses pieds. Elleallaitpeut-êtres’ensortir.Lesloupsétaientpeut-êtreassezprèspourvenirlasauver.Peut-être…

UneOmbremassivetombaducielenfonçantdirectementsurelle.Mialevalesmainsenunepiètreprotection,soncorpsseraiditdansl’attentedel’impact.Mais,àsagrandesurprise, l’Ombredéviasacoursejusteavantdes’abattresurelle.Maintenantqu’elleétaitplusprès,Miaputvoirsesyeuxrougesquis’étrécissaient,pourseconcentrersurleloup.

Sonloup.—Jenner.Elle était sûre que c’était lui, même si elle ne l’avait vu sous cette forme qu’une seule fois

auparavant, et très brièvement. Mais son cœur le reconnaissait. Et cette certitude lui procura un telsoulagement qu’elle faillit s’écrouler. Tout ce qui était arrivé, toutes les épreuves qu’elle avaittraversées,toutdisparaissaitdevantlaseulechosedontelleétaitsûre:Jennerétaitvivant.Ilétaitlà.

Du coin de l’œil,Mia aperçut un autre loup, au pelage roux et brillant, qui sortait de la forêt ets’approchaitfurtivement,telunfantôme,pourcontournerlebordducercle.Elleseditqu’ilcherchaità

prendre Murdock de flanc. Mais elle eut le terrible pressentiment que, même s’il n’était pascomplètementunêtrematériel,Murdockneseraitpasuneproiefacile.LeguerrierdesOmbresavaitl’airfurieux.

—Loup!Chasseurd’Ombres!Tuarrivestroptard!Commel’Ombrequirestaitreculait,JennersepostacontreMiapourfairefaceàMurdock.Ilnela

regardapas,n’émitaucunson.Mais lasensationdesécuritéqu’elle tiraitde lachaleurdesoncontactétait amplement suffisante pour le moment. Elle n’était plus seule. Jenner avait surmonté tous lesobstacles pour venir la délivrer.Mia avait tellement envie de le serrer dans ses bras que c’en étaitpresquedouloureux.

—Toi,grondaMurdock.Tuesvenucherchersonravisseur,c’estça?J’aibienpeurquenousnenous soyons déjà chargés de lui. Il ne reste plus rien pour vous. Je te suggère de retourner vers tescompagnonspourleurdiredesecacher.Onvas’amuser.Onvavoirsivousaimezêtrechassésàvotretour.Aumoinsilyaauraundéfi.Pascommeaveccelui-là.

IlfitunsignedetêteendirectionducorpsdeJeff,quigisaitsurlesol.Miaeutlesoufflecoupéenledécouvrant.Jeffétaitblanccommeunlingeetellecompritqu’ilavaitétécomplètementvidédesonsang.Miasentitsonestomacsesouleveretelleportalamainàsabouche.Del’hommequimarchaitetparlaitencorequelquesinstantsplustôt,nerestaitplus,maintenant,qu’uncadavredesséché.Elleparvintàtrouveraufondd’elle-mêmeunminusculeéclairdepitiépourlui.Aprèstout,ilavaitétésimalheureux.

Murdocktenditlamainverselle,mêmesil’Ombrequ’ilavaitdépêchéepourlarattraperrestaitlà,suspendueenarrêtdevantlesgrognementsmenaçantsdeJenner.

—Venezàmoi,Mia.Nerendezpasleschosesdifficiles.Ilvamourir.Ilsvonttousmourir.Vous,vouspouvezvivreéternellement.

—Plutôtmouriraveceux!s’écria-t-elle,saterreurfaisantsoudainplaceàlacolère.UnegrimacedéformalestraitsdeMurdocketildécouvritsesdentspointuesetirrégulières.—Vousdevriezêtrehonorée.Nousavonstouslesdeuxdusangunseelie,vousetmoi!Notrereine

m’aaccordésesfaveursautrefois,ilyalongtemps,avantdemerejeter!Noussommessemblables.—Nousn’avonsrienencommun,crachaMia.LaprésencedeJennersemblait luiavoirpermisderedevenirelle-mêmeen luidonnantuneforce

qu’ellen’auraitpaseueautrement.Sonsangs’échauffaitdanssesveinesetMiase renditcomptequ’elleallaitdevoirêtreprudente.

Ellenedevaitpasperdrelecontrôled’elle-même.Laluneétaitpresquepleineetellesentaitlespousséesfrénétiquesdelabêteenelle.Ellenedevaitpaslaissersacolèrel’entraîneràsetransformeretrisquerdedevenirsauvagepourtoujours.SurtoutmaintenantqueJennerluiétaitrevenuetqu’elleavaittantderaisonsdevivre…siellearrivaitàs’ensortir.

Jennerfitunpas,puisunautre,sanscesserdegrognerférocement.CelafitrevenirquelquesombresverslecercleetMiaserenditcomptequ’elleentendaitleursifflement.

—C’estvotredernièrechance,Mia,ditMurdock.Vousvenezsans faired’histoireouvousallezassisteràsamiseàmort.

—Vouslesous-estimez.Vouslessous-estimeztous.Mêmemoi,répliqua-t-elle,enespérantnepassetromper.

Murdockfitunsignedédaigneuxdelamain,sonvisagemontrantclairementsacontrariété.—Trèsbien.Vousallezlesvoirmourirdeprès.Çan’apasbeaucoupd’importance.IllevalesbrasetcriaunmotqueMianecompritpas.Lesflammesmontèrentautourdelui,faisant

unmur.Jennerpoussaunaboiement,uniqueetbref.Onentenditunhurlementlugubreet toutàcoupdestasdeloupsapparurent,seruantà traversles

arbres,unemaréedepelagesluisantsetdecrocsacérés.Enuneseconde,Miaseretrouvaaumilieudelameute,impressionnéepartantdeforceetdebeauté.Tousensemble,ilsétaientformidables.Maisl’espoir

qui avait surgi en elle à leur apparition fut rapidement anéanti lorsqu’elle vit les loups essayer detraverser les flammespourattaquer.L’unaprès l’autre, ils retombaient surplacecommes’ils s’étaientheurtésàunmurinvisible.

A travers les flammesquidansaient,MiapouvaitvoirMurdockpsalmodiantdes incantations, lesbraslevésau-dessusdesatête.L’hommequiétaitausolsetorditettoutàcoupilsemitàrougeoyer.Ilrépandaitunevibrantelumièrerougequisemblaitprovenirdel’intérieurdesoncorps,etuneàunelesOmbresse laissèrent tombersur lesolautourde lui, formantuncercleà l’intérieurducercle.Etellescommencèrentàchanger…àsetransformer…leursformesdevenantdeplusenplushumaines.

Miaregardait,médusée.Jenneravaitdisparudanslamaréedeloups,rejoignantprobablementceuxquiessayaientdepercerlabarrièredeflammespourallermettreuntermeàcequeMurdockétaitentraindefaire.Maiselleétaittellementfascinéeparlaterribletransformationquiseproduisaitsoussesyeuxqu’ellen’yprêtapasvraimentattention.

Soudain,ellesentitlecourantd’airfroid.Ils’enroulaautourd’elle,lasoulevajusqu’àcequesespiedsnetouchentplusterre.Ellevouluthurler,maissoncris’étouffadanssagorgecommeelleaspiraitl’airglacial.

Ellesesentitenvahieparunterribleengourdissement.Ellenepouvaitplusbougernilesbrasnilesjambes. Tout lui paraissait soudain extrêmement loin. Elle semit à dériver en s’éloignant de toute laviolence,ladouleuretlapeur.

Unevoixmurmuradanssatête.Murdock.Dors,ma jolie.Laisse-moiboireà ta source.Nous sommesprotégés ici,ohoui,dans lecercle

rituel. Bientôt nous évoluerons parmi les hommes de nouveau. Le loup est un imbécile…oublie-le.Oublietout.Dors…Dorspendantquenousnouslevons…etquetutelèvesavecnous.

Miaessayadelutter.Maissesyeuxsefermaient.Ellesentitqu’onladéposaitdélicatementsurlesolàl’intérieurducercle,entouréedumurdeflammes.Lemondedevintgris,puisnoiretfroid.

***

Jenner ne l’avait quittée qu’un bref instant mais cela avait suffi. Il vit avec horreur une de cesombresabominablesenvelopperMiaetlasouleverpourladéposeràl’intérieurducercle.

Ilvoulutcrier«non!»maisc’estunhurlementdéchirantquisortitdesagorge.Ilsejetadanslesflammes,retombantencoreetencore.Ilsentaitàpeinelesimpacts.Toutcequ’ilsavait,c’étaitque,s’iln’arrivaitpasàpasserautravers,MiamourraitetlesboisseraientenvahispardesOmbresarborantuneformebeaucoupplusdangereusequecellesouslaquelleillesavaitvuesjusqu’àprésent.

Gainesavaitdisparu,jetécommeunjouetcassé.Levéritableennemi,àprésent,tenaitMiadanssesmains.

Toutcequ’ilavaitdéfenduseraitperdu.Lafemmequ’ilaimaitluiseraitarrachée.Ajamais.Ilrepritsaformehumainesansmêmeypenser.Ilvoulaitqu’ellepuissel’entendre.—Mia!rugit-ilenessayantdecouvrirlevacarmedesloupsetlesincantationsdémentesquileur

parvenaientdepuis l’intérieurducercle. Il lavoyait sur le sol, recouvertede ténèbres tournoyantes, leguerrierauxcheveuxblancspenchésurelle.Ilseprécipitadanslesflammesunefoisdeplus,cognadespoingscontrelamurailleinvisible.

—Mia,non!Résiste!Jet’aime!Savoixsebrisaquandl’angoissedelaperdrevintsemêleràsafureur.—Nemelaissepas!Il voyait les Ombres qui prenaient forme, se regroupant autour de Mia. L’agneau du sacrifice.

Murdock,lui,continuaitàpsalmodier,rejointpartouslesautres,desmotsplusvieuxquel’humanité,plus

vieuxquecemondemême.UnrayonlumineuxjaillitducorpsdeMia,ducentredesapoitrine.Jennervittoutsoncorpssursauter,etsesyeuxgrandsouvertsquinevoyaientrien.

Ilrugitsonnomencoreunefoisetvitqu’elletournaitbrusquementlatêteverslui,essayantdeselibérerdelalourdecouverturedeténèbresquil’oppressait.

Murdockpassadanslalumièrequijaillissaitd’elle,poursebaignerdanssamagie.Miapouvaitl’entendre,Jennerauraitpulejurer.Siseulementilréussissaitàluienvoyerlaforcede

selibérer…Ettoutàcoupilsutexactementcequ’ildevaitfaire.Sachantmaintenant que la connexion entre eux était réelle et avec l’espoir qu’elle serait encore

assezfortepourqu’ellel’entende,JennerappelaMiaenesprit.Et,sijamaisiln’arrivaitpasàlasauver,aumoinsluiouvrirait-ilsoncœur.

Jet’ensupplie,s’ilteplaît,nemequittepas,Mia.Jen’auraispasdûrésister,jemesuisconduitcommeunidiot.Jet’aime.Jet’ensupplie,bats-toi,essaye.Tuescequ’ilyadeplusbeaudansmavie.Jeneveuxpasteperdre.

Lesmainsappuyéescontrelabarrièrequientouraitlesflammes,ilregardaitdésespérémentautourde luisesfrèresetsœursquifaisaient toutcequ’ilspouvaientpourentrer.Audébut,cefut lesilence.Puisilentenditunepetitevoix:

Jenner.Ce n’était pas une question mais un signe de soulagement, à peine plus qu’un soupir, plein de

chaleur…quiressemblaitàMia.J’essaie.Jen’yarrivepas.Jet’aime,moiaussi…Lesflammess’éteignirentsoussesmainsaumomentoùelleprononçaitcesmots,nelaissantdevant

lui qu’un écran de fumée. Il fonça à travers la brèche, et sentit la puissancemonter en lui comme ilbondissait dans le cercle formé par les Ombres. Murdock, dont le corps était maintenant totalementmatérialisé,pivotasur lui-mêmepourregarderJenneraumomentoùcelui-cibondissaitdenouveau,sechangeantenloupaumilieudesairs.

Enuneseconde,Murdockcompritcequisepassait.Ilpoussaunseulrugissementderage.—Non!Jenner eut le temps de voir un éclair de pure terreur se refléter dans l’œil de l’Ombre avant de

retombersurlui,plongeantsescrocsdanssachair,alorsquelesangabjectjaillissaitdelagorgedelacréaturetandisquesanouvellevielaquittaitaussivitequ’ellel’avaitobtenue.LesOmbresquiétaienttoujoursentraindeserepaîtredeleurvictimeenchaînéeausolsedispersèrentquandlerestedelameutedesBlackpaw se précipita sur elles, taillant en pièces les lambeaux de ténèbresmalignes qui étaientrassembléesdanslecercleetfaisantjaillirdesjetsdesangd’unnoird’encre.

Jennernepritpas le tempsdesavourer lamortdeMurdock. Il chargea lesquelquesOmbresquicontinuaientàenvelopperMiaetquiléchaientlesangquicoulaitdespetitesmorsuresqu’elleavaitsurlesbrasetlecou,essayantdésespérémentd’avalerassezdesamagiepourgarderleportailouvert.

Ilbondit,mordit et secoua la tête furieusementquandunedescréatures immatériellesqu’il tenaitdanssesmâchoirespoussadescrisaigusdedouleuretdeterreur.

Illarecrachaloindelui,sesrestessetraînantlamentablementderrièreelle.En quelques secondes, les Ombres disparurent, regagnant les ténèbres reculées où elles étaient

confinées,dansquelqueautrecontrée.Maisalorsqu’ilreprenaitsaformed’hommeetsoulevaitMiainconscientepourlabercercontrelui

enappelantàl’aide,ils’aperçutqu’ilsétaientarrivésunpeutroptard.Troishommes,dontlanoirceurintérieurecontinuaità lesenveloppercommedescapes,bondirenthorsducercle,seruant loinde leurvictimeàunevitessequemêmeleplusrapidedesloups-garousnepouvaitpasatteindre.

L’und’euxseretournapourregarderJennerdroitdanslesyeuxavecunsourirecondescendantavantderejoindrelesdeuxautresetdesefondredanslanuit.

Troisd’entreeuxleuravaientéchappéetcirculaientlibrementdanslemondepourlapremièrefoisdepuismilleans.LecœurdeJennerseserramaisilchassacetteidéedesonesprit.Iln’yenavaitquetroisetilnepouvaitrienyfairedansl’immédiat.Pourlemoment,toutcequicomptaitpourluiétaitqueMiavive.

IllevabrièvementlesyeuxetcroisaleregarddeKenyonChase.L’espaced’uninstantilpensaquelejeuneloupallaitledéfiersur-le-champ,pourtenterdelaluienlever.LesréactionsdeJennerétaientencoreunpeuanimales, échaufféespar le combatqu’il venait demener.Mais au lieude s’approcher,KenyonregardaMiapuisJenneretbaissalatêteensignededéférence.

LesentimentdepossessivitétriomphantequisubmergeaJennerfutdecourtedurée.LapeaudeMiaétaitglacéeetseslèvreslégèrementbleues.Pourtant,enlaserrantcontrelui,ilfutcertainqu’elleneselaisseraitpascouler.

Alorsilsentitlesbattementsdesoncœuràl’unissonaveclessiens.

21

QuandMias’éveilla,elleflottaitdansunechaleurmerveilleuse.Elleémergea lentementdesprofondeursdusommeilavecpourseulesensationcelledesbrasqui

l’enveloppaient,incapabledepenseràautrechose,tantcettesensationétaitagréable.Elle aurait voulu ne jamais plus être ailleurs que dans les bras de Jennermais samémoire vint

aiguillonner cette bulle de félicité, d’abord doucement, puis avec plus d’insistance. La terreur et ladouleurde laperte…et la joie lorsqu’elle avait comprisqu’il étaitvivant etqu’ilvenait la chercher,finalement.Maiscettejoieavaitétésuiviedufroid,etd’unesensationconfusequ’elleetJenneravaientéchangédesparolescruciales.

Unevoixgravemurmuradoucementdanssonoreille.—Tunedevraispaspenserautantdèstonréveil.Tuvasavoirlamigraine.Mia ouvrit les yeux, et vit qu’elle était roulée en boule dans le lit de Jenner.Elle suspendit son

souffleenretrouvantcetenvironnementfamilieret lacertitudequ’elleétaitàsaplacedanslesbrasdeJenner.Elleavaitcruqu’ellenelesretrouveraitpas.

Elleseretournapour le regarder,elleaimait tellementcebeauvisageaudemi-sourireparesseux.Pourtant,sesyeuxreflétaientlessentimentsqu’ilressentaitenlaregardant.C’étaitcommeregarderunetempête.

Ellesesentitmalmaisravalaleslarmesquimontaient.—Hé,nefaispasça,ditJennergentiment,rattrapantdupouceunelarmeégaréeetencaressantsa

joue.C’estfini.Toutestfini.Tuesavecmoi,maintenant,etçaresteracommeça.Seslèvrestremblantesesquissèrentunsourire.—Mêmesijenesuispascellequetuauraisvoulu?Les beaux yeux dorés de Jenner prirent une telle expression de remords qu’elle lui pardonna

instantanément.—Tuesexactementcellequej’aitoujoursvoulue.Exactement.Jesuissidésolé,Mia.J’étais…Je

nesavaispas…Ellel’interrompitenposantseslèvressurlessiennes.—Chut,dit-elle.Jesais.Toutvabien.Noussommesici,maintenant.Iln’yaqueçaquicompte.—Personnen’avaitledroitdetefairecroirequetun’étaispasquelqu’undebien,moi,ycompris.

Jevaismerattraper,jetelejure.Savoixenrouéeétaitchargéedetouteslesémotionsqu’ellevoulaitqu’iléprouvepourelle.— Eh bien, dit-elle, tu m’as arrachée aux griffes d’un monstre en traversant un cercle de feu

magique,cen’estdéjàpassimal.Sonsourireétaitlachoselaplusmerveilleusequ’elleaitjamaisvue.

—Resteavecmoi,bébé.Tun’asencorerienvu!Ellesemitàrire,enessayantdésespérémentderetenirseslarmes.Commentétait-ildevenuaussi

importantpourelleensipeudetemps,ellenesavaitpas.Toutcequ’ellesavait,c’étaitqu’ellenevoulaitplusjamaisêtreséparédelui.

—J’aieusipeur,dit-elle.J’aipenséquetuétaismort.Jet’aivuetj’aipensé…—Etjenel’étaispas.Jesuisunduràcuire,dit-ild’untonapaisant,enrepoussantlesmèchesqui

tombaientsursonvisage.Ilsemblaitnepasvouloirarrêterdelatoucher.Ilcroyaitpeut-êtrequ’elleallaitdisparaîtres’illa

lâchait.Elle,pourlecoup,avaitvraimentpeurqu’ils’évanouissedanslanatureetqu’elledécouvrequecelan’avaitétéqu’unbeaurêve.

Maisnon.Ilétaitréel,solide.Ilétaitlà.Etilrestait.D’unevoixcalme,illuiracontacequ’ils’étaitpassé.Commentils’étaittraînéhorsducamionet

avaitappelésameute,toutletempsqu’ilsavaientperduàretrouversatraceparcequeGainesavaitbienprévusoncoupetavaiteffacétouteslestraces.CommentKenyonavaitréponduàl’appelets’étaitavéréêtre un allié redoutable même une fois qu’il avait compris que Mia ne lui appartiendrait jamais. Etcomment, auboutducompte, troisdesOmbresavaientvu leur souhait exaucéet s’étaient envoléesaumomentmêmeoùMurdockavaitétéabattu,etsoncercle,détruit.

Miaécoutasonrécitenpassantdel’espoiràlatristesse.— Je sais que ces gens étaient mauvais, murmura-t-elle.Mais j’aurais préféré qu’il n’y ait pas

autantdemorts.CepauvrebougrequiaserviderepasauxOmbres…Jennersecoualatête.—C’était trop tardpour lui.Siçapeut teconsoler,Mia, sachequ’il étaitdéjàdans labandede

Gainesquandilétaitici,sansdoutemêmedepuispluslongtemps.Ilsavaitcequ’ilrisquait.C’estdéjàassezpréoccupantque troisde ces créatures soient en liberté en cemoment.Gaines a fait pasmaldedégâtsavantdemourir.Nousallonsdevoiravertirlesautresmeutespourqu’ellessoientsurleursgardes.LesOmbrescausent déjàdesproblèmesquand elles sont sous leur forme immatérielle,mais sousuneformehumaine…

Iln’allapasplusloinetMianeposapasdequestions.Elledevinaitlasuite.Ellesoupiraenposantsatêtesurl’oreiller,touteauplaisirducontactavecJenner.Elleavaitdes

dizainesd’autresquestions,mais celapouvait attendre.Pour l’instant, il lui suffisait de savoir qu’elleétaitvivanteetaveclui.C’étaittoutcequicomptait.

Pourtant,ilyavaitunsujetqu’elledevaitrégler.—TuasparlédeKenyon,commença-t-elle,enmarchantsurdesœufs.Elle craignait la réactionque lamentiondecenom risquaitdedéclencher.A sagrande surprise,

Jennereutunpetitsourirecontrit.—C’estvrai.Sameuteaunetrèshauteopiniondeluietjecroisquejesaispourquoi,maintenant.

C’estuncombattant redoutable.Etendépitde toutcequ’ilavaitdit,quand ilavucequ’il sepassaitentretoietmoi,ils’estinclinésansdiscuter.Ilestmêmealléjusqu’às’excuser.

Jennersecoualatête.—J’ail’impressionqueçavaêtredifficiledecontinueràlehaïr,reprit-il.Maisjecroisquejevais

essayer,parprincipe.Peut-êtrequ’ilvas’endurcir.Çavapeut-êtreluifairedubiendeteperdreàmonprofit.

Mialeregarda,surprise.—TucroisvraimentqueceseraitunebonnechosequeKenyondevienneameretcynique?JennerhaussalesépaulesetdécochaàMiaundesesmerveilleuxsourires.—Çanepeutpasfairedemal.

Mia le regardasanscomprendre.Leshommes l’étonneraient toujours.Maiselleétait soulagéedeconnaîtrelaréactiondeKenyon.

—Ilest…sicraquant.Iltrouveralapersonnequiluiconvient,unjour,j’ensuissûre,dit-elle.Ilatoutletemps.

Jennergrogna.—Craquant,tuparles!Mais,tantqu’ilneposepassespattessurtoi,ilpeutchercheroùilveut.Miagardalesilenceunmoment,puislevalesyeuxversJenner.—Qu’est-cequetuveuxdirepar«quandilavucequ’ilsepassaitentretoietmoi»?Ques’est-il

passéexactement?—Tunetesouvienspas?Miasecoualatête.—C’esttrèsvaguedansmonesprit.J’aicommeunsouvenirquenousavonsdit…—Nous l’avons dit, l’interrompit brusquement Jenner. Et je le redirai. En fait, je le dirai aussi

souventquetuvoudras.Jet’aime,Mia.Jet’aimedetoutmonêtre.Etjenetelaisseraijamaispartir.Teperdreauraitétécommedem’arracherlecœur,etdevoircontinueràvivre.Jepensaisquejesavaiscequec’était,maiscelaauraitétémillefoispire.

Ilappuyasonfrontcontrelesien,ungestetoutsimpledontladouceurtouchaprofondémentMia.—Jet’aime,Mia.Çameficheunepeurbleue,maisjeneveuxpasqueças’arrête.Quellequesoit

lamagiequetupossèdes,jeneveuxplusjamaisêtreséparédetoi.S’ilteplaît,soisàmoi.Jepasseraimavieàessayerd’êtredignedetoi.

Elleneréponditpastoutdesuite,maisposasurseslèvresunlongbaiserquilefitfrémirjusqu’àlapointede sesorteils.Elle le savouraitparesseusement, s’abandonnantà lacaressede sa langue sur lasienne,prenantconscienceavecplaisirdesatempératurequimontait.Quandleurslèvresseséparèrent,elleconstataqu’elleavaitbeaucoupcontribuéàchasserlesévénementsdelaveilledel’espritdeJenner.

—Moiaussi,jet’aime,Nick,dit-elled’unevoixdouce.Etlaseulechosedontj’aipeur,c’estdeteperdre.Jeneveuxjamaisrevivreça.

UnelueurpassadanslesyeuxdeJenner.—Celan’arriverapas.Veux-tufairetavieavecmoi,Mia?Veux-tuêtremafemme?Macompagne.

Jenem’étais jamaisrenducomptedetoutcequimemanquaitavantdeteconnaître.J’aimistellementd’énergie à lutter contre ce que je ressentais que je n’ai pas compris tout de suite le sens de ce quim’arrivait:tomberamoureuxsiviolemmentetsirapidement,êtrecapabledepartagertessensations,etmêmed’entendrecertainesde tespenséesalorsquenousn’étionspasunispar lameute.Noussommesfaitsl’unpourl’autre.Lesvraiscouplesn’existentpassisouvent.Quandjepensequej’aifaillipasseràcôté!Quelimbécile!

Miasentitsoncœurbondirdanssapoitrine.Elleenavaitrêvé,l’hommequiétaitfaitpourelleluioffraitcequ’elleavaittoujoursdésiré.Iln’yavaitqu’uneseuleréponsepossible.

—Oui,dit-elledansunsouffle.Puis,enenfouissantsonvisagesursapoitrineetenleserrantfort,ellerépéta:—Oh,oui!IleutunpetitrireetMiaserenditcomptequ’enfaitilétaitnerveux.—Jevais…Jen’aipasencoreachetélabague.Mais,avectoutcequiestarrivé,jenevoulaispas

attendreun jourdepluspour te fairemademande,Mia.Jesuis loind’êtreparfait,et jevais te rendrefolle,parmoments,c’estsûr.Maisjeteprometsdet’aimerjusqu’àlafindemesjours,avectapeauquis’illumine,ettout,ettout.Etj’espèrequecelacompenseratoutesleschosesquitedonnerontenviedemetuerdansl’avenir.

—Jenesuispasparfaite,moinonplus,doncçavautégalementpourmoi,répliquaMia,enrelevantlatêtepourplongersonregarddanssesyeuxmagnifiques.Maisjenerecherchepaslaperfection,Nick.

Jeteveuxcommetues,avectafourrureettoutcequivaavec…—Acepropos,dit-il,savoixs’enrouantjusqu’àdevenirungrognement,c’estlemilieudel’après-

midi.Jenevaispastemettrelapressionsitun’espasprête,maiscesoirc’estlapleineluneetilyaunpetitproblèmequin’apasétérégléconcernanttoninitiation…

Il s’interrompit, et la regarda,pleind’espoir.Miasemità rireetpassaune jambepar-dessus sahanche. Il était déjàprêt et l’attendait, elle sentit toute tracede fatigue s’envoler.Ledésir se répanditdanstoutsoncorps,l’irradiantd’unchaudrayonnement.

—Mmm,ronronna-t-elle,entouchantsonnezdelapointedusien.Jenevoudraissurtoutpasêtreàl’origined’unproblèmenonrésolu.Onferaitmieuxderéglerçadèsquepossible.

Le termeleplusappropriépourdécrire lesourirequis’affichasur levisagedeJennerétaitsansconteste:lupin.

—Avecplaisir.Instantanément, il l’agrippa par les hanches et l’attira vers lui. Avec un grognement de plaisir

guttural,ilappuyalesseinsdeMiasurlapeaunuedesapoitrine.Ilsretirèrentavecprécipitationlepeude vêtements qu’ils portaient. Elle adorait sentir contre elle la fermeté de son corps et sa chaleur sidélicieuse. Il posa sa bouche sur la sienne et elle fut inondée de pures sensations. Sa langue experteallumait en elle un feu que lui seul pourrait éteindre. Sesmains se déplaçaient sur elle, elles étaientpartoutàlafoiscommes’ilnepouvaitjamaissecontenter.

Lefrôlementduboutdesesdoigtssursonsexegonflédedésirluicoupalesouffle.Jenner l’amena rapidement par ses caresses à bouger en rythme, cambrant ses reins pour

accompagnerlemouvementdesesdoigtscaressantstandisqu’ilcouvraitsabouchedebaisersbrûlants.Miasentaitdéjàculminersonplaisir.Elleessayadeleretenirpourlefairedurer.Ellerejetalatêteenarrièreetpoussaunpetitcrideplaisir.

—Oui,murmuraJenner,déposantunesériedebaiserssursamâchoireetsoncou,enlapoussantdeplusenplusversseslimites.Jouispourmoimaintenant.Jeveuxquetusoisprête.

Lasourdevibrationdesavoixcontresapeausuffit.Miaplantasesonglesdanssondostandisquetoutsoncorpss’arc-boutaitcontrelesien,chevauchantlaconstellationd’étincellesquiexplosèrentdanssesveines.Quandellescommencèrentàrefluer,elleouvrit lesyeuxet,enplongeantdans leregarddeJenner,elleyvitl’expressiondesondésirardentetd’unesatisfactionpurementmasculine.

Avecstupéfaction,elleconstataquesonpropredésirpourluiserallumaitavecencoreplusdeforcequelapremièrefois.

Sapartlaplussauvage,sinouvellepourelle,exacerbaitsaperceptiondel’hommepenchésurelle,soncorpspressécontrelesien,soncœurbattantàcoupsredoubléscontresapoitrine.Mias’étirasouslui, respirantcontre lui, tandisque toutesses terminaisonsnerveusessemettaientàchanteraumoindrecontact.Ilretirasamaindel’endroitoùellecontinuaitàpalpiterpourluiets’appuyapluslourdementsurelle,pourluifairesentircommeilétaitfermepourelle.

Jenner roula des hanches contre elle, ses yeux s’embrumèrent et ses paupières s’alourdirent. Ilprononça son nomdans un souffle.C’est seulement à cemoment-là qu’ellemesura le pouvoir qu’elleavait réellement sur lui. C’était une sensation grisante qui éveillait en elle des instincts qu’elle ne seconnaissaitpas.Elleéprouvasoudainunbesoinirrésistibledes’unirà lui,delesentirbougerenelle.Mais toutaussipuissantétait sonbesoinde luidonnerautantdeplaisirqu’il luienavaitdonné.De lesentirfrémirsoussesmains,desusciterchezluiundésiraussigrandqueceluiqu’elleressentaitpourlui.Avec un doux grognement, elle glissa ses jambes le long des flancs de Jenner, le berçant plusdouillettementcontreelle.

Sesyeuxluisaientcommedeuxflammesjumellesquandillaregarda.IlyavaitunetelleexpressiondepossessiondansceregardqueMiasedemandacommentellenel’avaitpasvueplustôt.Elles’étaitinquiétée…maisl’amourétaitlàdepuisledébut,avantmêmequ’iln’aitréussiàl’admettre.

Miasemitàgenoux,et Jenner se soulevacontreelle,glissantpeaucontrepeau. Ilparcourut sontorsedesesmainssigrandesetpourtantsidélicatesetlesposasursesseins.Enbaissantlatête,ilpassala languesurchacunedeleurspointesdressées, lesmordillantdetellefaçonqueMiasentit lamoiteurperlerentresesjambes.Puissabouchedescenditplusbas…plusbas…

Elleserejetaenarrière,agrippantsonbraspourl’entraîneravecelle.Etilseretrouvacontreelledenouveau,chaud,insistant,plusriennelesséparantqueleurpeau.Enhardieparlachaleurquimontaitenelle,MiamorditlalèvredeJennerquandill’embrassa.Enréaction,sescaressesdevinrentplusrudesetsarespirationsefitplushaletante.

—J’aienviedetoi,Mia,gronda-t-il.Tellementenvie.J’aidumalàmeretenir.—Alors,neteretienspas,souffla-t-elle.Il recula juste assez pour qu’elle voie ses yeux, c’étaient les yeux brillants d’un loup. Quand il

ouvritlabouche,ellevitquesescaniness’étaientallongéesetaiguisées.Ellecompritpourquoiilavaitpeurdeselaisseralleravecelle.Maisiln’yavaitpasderaison.

—Jeneveuxpastefairefuir,dit-il.Jamais.—Celan’arriverapas.Miaglissalesmainsdanssescheveuxetattirasaboucheverslasienneavecuneimpatienceaccrue.

EllesentitqueJennerfléchissait,ellesentitlapointedesescrocsàchacundesesbaisers,lapointedesesonglesquisetransformaientengriffescontresapeau.Cechangementattisaitlapartsauvageenellequiluttaitmaintenantpourselibérer.

Ilsroulèrententraversdulit, rivalisantpourprendrelepouvoir.Uneforcedécuplée,commeellen’enavaitjamaiseue,permitàMiaderetournerJenner,quiseretrouvasouselle.Triomphante,elleseplaça au-dessus de lui,mais à peine avait-elle réussi à glisser ses doigts autour de sonmembre dansl’intention de le guider en elle qu’il l’avait remise sous lui, et en une seule poussée vigoureuse il lapénétrajusqu’àlagarde.

Miacria,lecorpsarc-bouté.Leplaisirétaitintense.Ill’emplissaitcomplètement,etlemoindredesesmouvementsluiprocuraituntourmentexquis.Etpourtant,cen’étaitpasassez.Ellesavaitqu’ilyavaitautrechose,àportéedemain.Leregardincertain,Miavitl’inquiétudesurlevisagedeJenner.

—Seigneur,Mia,jesuisdésolé.Jenet’aipasfaitmal,aumoins?Ellenepouvaitpasparler.Ellen’étaitpasvraimentsûred’êtrecapabledeprononcerdesphrases

cohérentes,là,toutdesuite.Aulieudecela,ellebougealeshanchescontrelui,enunmouvementlentetrythméquiluifitfermerlesyeuxavecunairdetotalefélicité.Ilcommençaàbougerenelle,deplusenplus fort jusqu’à secouer le lit. Mia leva les genoux et le fit pénétrer plus profondément en elle, seprécipitantjusteaubordd’unorgasmeextraordinaire.Commeelleseraidissait,soncorpstoutentiersecollantcontrelesienetréclamantsasatisfaction,unéclairdechaleursiintensequ’ilauraitdûlaréduireencendreslatraversa.Lamagie,éclatanteetpure,s’embrasaautourd’euxtandisquesapeausemettaitàrayonnerunefoisencore.

Cettefois,soncrin’avaitrienàvoiravecleplaisir.Jenner gronda son nom,mais ne ralentit pas. Il semblait emporté par un courant invisible, et ses

hanchesbougeaientdeplusenplusvite.L’explosiondedouleur reflua rapidement, faisantplaceàunetension exquise qui montait en elle. Une chaleur liquide se répandit sur ses jambes, dans son corps,commesiellecouraitdanssesveines.Jennerluidévoralabouche,puisglissasesdentsaiguiséeslelongdesoncou.

Mianepensaitplus,ellesuivaitsoninstinctquiluicriaitmaintenantdes’unirtotalementàJennerpourallerjusqu’auboutdurituel.

Autourd’eux,l’atmosphères’emplissaitd’unebrumechatoyante.Ellesentaitsespropresgriffes,sesdents,ellepercevaitquel’émerveillementd’êtreunenfantdelaluneétaitàportéedesamain.

—S’ilteplaît.S’ilteplaît.

Cefuttoutcequ’elleréussitàdireens’accrochantàlui.Ilpoussaungrognementquin’avaitplus riend’humainet s’enfonçaencoreplusprofondémenten

elle.Aumêmemoment, elle sentit sesdentspénétrer sa chair tendre à labasede soncou, à l’endroit

mêmeoùJeffl’avaitmordue.Maiscettefoisellen’éprouvanipeurnidouleur.Miajouitdansunéclairdelumièreaveuglante,toutsoncorpscambrésurlelitpermettantàJenner

delapénétrerencoreplusprofondément.Elleressentitunplaisirintensequilaconsuma,etfitdisparaîtretoutcequin’étaitpaslasensationdesoncorpsdanslesien.Alorsqu’ellesecollaitcontrelui,Jennerrejetalatêteenarrièreetpoussauncrirauque,commesaproprejouissanceletraversaittoutentieretserépandaitenMiacommeunevague.Ils’abattitsurelle,horsd’haleine.

Sa tête était pleine de voix qui montaient et descendaient en une incantation prononcée dans unlangagequi lui était inconnu.Puis il y eutunhurlement,uncri sauvageet lugubrequi résonnaauplusprofonddesonâme.Et,auloin,lamusiquesauvagedesamoitié,s’envolantentournoyantdanslecielnocturne,devenantlachansondontelleavaitrêvé.Sachansonàelle.LachansondeNick.

Leurchanson.Lebruit disparut peu à peu et son corps redescendit lentement des sommets enivrants qu’il avait

gravis.Maisquandellefinitparouvrirlesyeux,Jennerétaittoujourslà.Ill’entouraitdesesbrasetilétait

réeletchaudetsolide.Etilétaitàelle.L’airencoreétourdi,Jenners’allongeasurlecôtéettenditlebraspourattraperlacouverturepliée

aupieddulitetlaposersureuxavantdereprendrelecorpsdeMiacontrelui.Illuirelevalescheveuxetposaunbaiserdélicatàl’endroitoùill’avaitmordue.

Mia se pelotonna contre lui. Elle continuait à entendre l’écho d’autres voix,mais elle s’aperçutqu’avecunpetiteffortelleréussissaitàlesfairetairesiellelevoulait.Lesvoixdelameute,pensa-t-elle.Desameute.

—TuesuneBlackpaw,àprésent,ditJennerdoucementenserallongeant.Puisil lapritdanssesbras.Et,cequicompteleplus,tuesàmoi.Pourtoujours.Jet’aime,Mia.

—Jet’aime,Nick.Ilss’enroulèrent l’undansl’autre,parfaitementemboîtés, lesdeuxmoitiésd’untout,etattendirent

quelaluneselève.Ilsnefaisaientplusqu’un.

TITREORIGINAL:THEWOLF’SSURRENDER

Traductionfrançaise:MARIE-CHRISTINETRICOTTET

HARLEQUIN®

estunemarquedéposéeparleGroupeHarlequin

NOCTURNE®

estunemarquedéposéeparHarlequinS.A.

Réalisationgraphiquecouverture:AGENCELESRECREATEURS

©2013,KendraSawicki.©2013,HarlequinS.A.

ISBN978-2-2802-9691-5

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