LA RECONQUETE DE L’AMERIQUE LATINE PAR L’ESPAGNE AU ...
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UNIVERSITE PAUL CEZANNE - AIX-MARSEILLE III
INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES
MEMOIRE
pour l‟obtention du Diplôme
LA RECONQUETE DE L’AMERIQUE LATINE PAR
L’ESPAGNE AU TOURNANT DU SIECLE :
BILAN ET PERSPECTIVES
Par Mlle Claire BIASON
Mémoire réalisé sous la direction de
M. Daniel VAN EEUWEN
Année 2008
L’IEP n’entend donner aucune approbation ou improbation aux
opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées
comme propres à leur auteur.
Mots-clés :
Amérique latine, coopération, Espagne, investissements, reconquête, soft power,
Sommets Ibéro-américains, Union Européenne.
Résumé :
Dès la fin du processus démocratique espagnol, l‟Espagne a progressivement
renoué le contact avec les pays latino-américains. Reprenant son rôle de mère patrie, elle
a contribué à leur pacification et à leur démocratisation. A partir des années 80 et jusqu‟à
aujourd‟hui, elle a construit une relation unique avec l‟Amérique latine principalement
autour de l‟identité ibéro-américaine. Cette relation est fructueuse pour l‟Espagne : elle
lui a permis, sur le plan diplomatique, d‟avoir plus de poids sur la scène internationale et,
sur le plan économique, de se développer pour faire partie des grandes puissances.
Tiraillée entre son appartenance européenne et ibéro-américaine, l‟Espagne doit garder
son influence en Amérique latine pour conserver sa légitimité de pont entre les deux
continents. Ainsi a-t-elle mis au point des instruments qui garantissent et pérennisent
cette influence, mais est-ce à dire qu‟il s‟agit d‟une reconquête ?
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SOMMAIRE
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE :
LA RÉCENTE REPRISE D’INFLUENCE DE L’ESPAGNE EN AMÉRIQUE
LATINE : UNE PREUVE DE LA RECONQUÊTE ?
CHAPITRE 1 - UNE REPRISE DE CONTACT DIPLOMATIQUE
CHAPITRE 2 - UNE INDÉNIABLE RECONQUÊTE ÉCONOMIQUE ET COMMERCIALE
DEUXIÈME PARTIE :
LES COMPOSANTES DU SOFT POWER ESPAGNOL
CHAPITRE 1 - LA COOPÉRATION, LE PROJET PHARE DE L‟ESPAGNE
CHAPITRE 2 - LES ENTREPRISES : VECTEURS DU SOFT POWER
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
TABLE DES MATIERES
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INTRODUCTION
« L‟Espagne a perdu ses dernières colonies américaines en 1898. Pourtant, depuis
deux décennies, elle a entrepris la reconquista. » Le journaliste mexicain Luis
Hernández Navarro n‟est pas le seul à penser que la reprise d‟influence de l‟Espagne en
Amérique latine n‟est pas anodine et l‟emploi du terme reconquista traduit une forte
préoccupation de la part des pays latino-américains. En effet, ce terme fait partie de
l‟imaginaire collectif espagnol : il représente la lutte pour mettre un terme à la présence
musulmane dans la péninsule ibérique et symbolise l‟unification de l‟Espagne. Cette
reconquête a marqué les esprits à la fois par sa portée symbolique et par sa durée.
L‟invasion arabe a commencé en 711 et a très vite gagné toute la péninsule, anéantissant
ainsi le royaume wisigoth. La reconquista commence en 722 avec la bataille de
Convadonga, dans les Asturies, car la grande victoire du descendant des rois wisigoths,
Don Pelayo, représente un symbole d‟espoir pour les chrétiens soumis aux troupes
musulmanes. Durant sept siècles, la résistance chrétienne s‟organise pour combattre les
Maures et l‟Espagne se trouve morcelée en multiples royaumes. A partir du XIème siècle,
le califat de Cordoue implose et la domination des Maures s‟affaiblit : à la fin du siècle,
les chrétiens reprennent Tolède, Valence et Saragosse. Au XIIème siècle, le
remplacement de la dynastie des Almohades par celles des Almoravides renforce la
domination des Maures mais pousse les royaumes chrétiens à unir leurs forces, ce qui
permet l‟éclatante victoire de Las Navas de Tolosa en 1212. Les Almoravides étant
considérablement affaiblis par cette défaite, les chrétiens s‟emparent alors de Cordoue,
Valence et Séville et, à la fin du XIIIème siècle, les musulmans n‟occupent plus que le
royaume de Grenade. La reconquista a finalement permis l‟unification de l‟Espagne : il
s‟agit d‟une part d‟une union religieuse avec la création de l‟Inquisition en 1478 et la
persécution des autres religions et, d‟autre part, d‟une union politique. La reconquête a
fait de la Castille et de l‟Aragon les deux plus grands royaumes de la péninsule. La prise
de Grenade en 1492 succédant à l‟union de ces deux royaumes avec le mariage d‟Isabelle
de Castille et de Ferdinand V d‟Aragon en 1469 a fondé les bases du royaume espagnol.
L‟Espagne est restée marquée par ces sept siècles de combat et d‟occupation, mais ce qui
est à l‟origine de l‟Espagne d‟aujourd‟hui, c‟est finalement la reconquista, élément
véritablement structurant et omniprésent.
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Employer ce concept pour définir le regain d‟influence de l‟Espagne outre
Atlantique sous-entendrait donc que l‟Amérique latine fait partie de l‟Espagne et que
cette dernière a un droit de regard sur ce qu‟il s‟y passe. Néanmoins ce terme est ambigu
car il signifie aussi reconquête au sens de « deuxième conquête ». Dans cette acception, il
fait écho à la découverte de l‟Amérique par Christophe Colomb en 1492. Cet événement
est lui aussi ancré dans l‟imaginaire des Espagnols et a renforcé d‟autant plus leur esprit
de conquête. En effet, la colonisation s‟est étendue très rapidement avec la victoire sur les
Empires aztèque et inca, si bien qu‟en 1550, l‟Espagne contrôlait presque tout le
continent sud-américain et l‟Amérique Centrale. L‟exploitation des riches ressources du
Nouveau Monde fut un élément essentiel car il permit à l‟Espagne de renforcer son unité,
de financer des guerres pour étendre sa puissance et d‟obtenir une place prépondérante en
Europe. Grâce à la découverte de l‟Amérique, le XVIème siècle, ou Siglo de Oro (le
Siècle d‟or), est marqué par l‟hégémonie espagnole qui devient non seulement le plus
grand empire colonial, mais aussi une source de prestige artistique, intellectuel et même
religieux. Si le déclin de l‟Espagne s‟est amorcé au cours du XVIIème, la colonisation en
Amérique s‟est poursuivie jusqu‟au début du XIXème siècle, période durant laquelle
l‟Amérique latine a été secouée par les mouvements d‟indépendance. L‟Espagne a alors
vite perdu toutes ses colonies : elle a cependant laissé de manière indélébile son
empreinte dans toute l‟Amérique latine. En effet, les conquistadors, pendant ces trois
siècles de colonisation, ont apporté leur langue, leur religion, leur culture, mais aussi
leurs conceptions juridiques et philosophiques et leurs modes d‟organisation politique,
économique et sociale. Or ce sont ces éléments qui ont contribué à définir l‟Espagne
comme la madre patria, la mère patrie, et donné naissance à l‟Amérique latine telle que
nous la connaissons désormais. Aujourd‟hui encore, l‟Espagne garde cette image de
madre patria mais cette expression est surtout employée pour montrer que l‟Espagne
représente l‟espérance d‟une vie meilleure pour les Latino-américains grâce à son
développement économique. Toutefois, c‟est justement cette culture identique qui a
permis l‟établissement d‟une relation singulière entre l‟Espagne et l‟Amérique latine.
Cette histoire commune a fait naître des liens ambigus entre affection,
reconnaissance et désir de domination qui pourraient s‟exprimer en un mot :
Iberoamérica ou « Ibéro-Amérique ». La difficulté de ce terme est qu‟il fait allusion de
manière simultanée à deux réalités distinctes, ce qui provoque une grande confusion.
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D‟une part, l‟Ibéro-Amérique représente la somme des pays latino-américains, de
l‟Espagne et du Portugal. Ce mot est notamment utilisé pour insister sur l‟identité à part
entière des relations hispano-latino-américaines et l‟interdépendance de ces deux régions,
comme en témoignent les déclarations du Roi d‟Espagne Juan Carlos : « L‟Ibéro-
Amérique est pour moi, comme pour l‟immense majorité des Espagnols, quelque chose
de très spécial qui dépasse amplement les intérêts politiques et économiques. […] Pour
de nombreux Ibéro-américains, l‟Espagne est leur prolongement naturel dans le monde
occidental, et inversement. »1 D‟autre part, il s‟agit d‟une expression utilisée en Espagne
à la place d‟Amérique latine et qui laisse donc transparaître une volonté d‟appropriation
de ce sous-continent ou, du moins, un désir d‟ingérence. En Espagne, l‟utilisation abusive
de ce terme suffit pour nous suggérer la résurgence de l‟esprit de conquête. Dans les deux
cas, ce mot a connu une recrudescence à partir des années 1980 lorsque la diplomatie
espagnole a fait la promotion de son idée de Communauté Ibéro-américaine des Nations.
Quoi qu‟il en soit, le regain d‟influence de l‟Espagne est une évidence. D‟ailleurs,
il a suscité une grande surprise par sa rapidité et son aspect global. La reprise de contact
s‟est surtout faite sur le plan diplomatique dans les années 80. D‟une part, la jeune
démocratie espagnole souhaitait aider les pays latino-américains à se lancer eux-aussi
dans un processus démocratique. D‟autre part, l‟Espagne avait à cœur de réaliser son idée
de communauté ibéro-américaine des nations. Autrement dit, elle désirait mettre en avant
les ressemblances entre l‟Espagne et l‟Amérique latine et créer une identité commune.
Mais l‟élément le plus visible est la fulgurante croissance des relations économiques
marquée par l‟implantation des grandes firmes multinationales espagnoles à la fin des
années 1990. C‟est alors que de nombreux journalistes et observateurs des deux côtés de
l‟Atlantique ont utilisé le terme « reconquista »2 ou « seconde conquête »
3 pour qualifier
les activités de l‟Espagne en Amérique latine. Ces conquistadors modernes, bien éloignés
de l‟image controversée de Hernán Cortés ou de Francisco Pizarro, brandissent des armes
d‟un genre nouveau dont les plus redoutables sont les investissements. Toutefois, si le
domaine économique est le plus visible, la reprise d‟influence s‟est faite aussi par
d‟autres moyens. En effet, la notion de puissance a considérablement évolué. La fin de la
1 Belén Blázquez Vilaplana, « El papel de España en las Cumbres Iberoamericanas : pasado, presente y futuro de un
deseo inalcanzable », Espiral, Estudios sobre Estado y Sociedad Vol. X No. 29, Janvier / Avril de 2004, p.112. 2 Luis Hernández Navarro, « La reconquista », La Jornada, Mexico, 18/11/2003.
3 « La segunda conquista de América », El País (supplément Domingo), 23/04/2000.
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guerre froide et la mondialisation ont provoqué de grands changements : sortis d‟une
logique de rapports fondés sur la force, les Etats ne peuvent plus définir leur place dans le
monde selon les critères classiques de la puissance. Désormais, les enjeux sont
transnationaux, tout comme certains acteurs qui limitent la puissance propre de l‟Etat. La
puissance ne se mesure donc plus dans la capacité de posséder un territoire, mais est
devenue la capacité d‟influencer les décisions des autres par la persuasion ou de « faire
en sorte que les autres veuillent la même chose que vous parce qu'ils sont persuadés que
cela leur est profitable », comme l‟explique Joseph Nye. En travaillant sur la notion de
puissance, J.Nye distingue deux catégories. La première est le hard power ou puissance
de commandement, de contrainte qui repose sur des éléments tangibles de la puissance
que sont la force militaire et économique ou encore le poids démocratique. La seconde
est le soft power ou puissance de séduction, de cooptation, qui s‟appuie sur « des
ressources intangibles telles que la culture, l‟idéologie, les institutions »4 et représente la
capacité d‟une nation de « structurer une situation de telle sorte que les autres pays
fassent des choix ou définissent des intérêts qui s‟accordent avec les siens propres. »5
En prenant en compte l‟ensemble de ces éléments, il est nécessaire de se demander
s‟il est légitime d‟employer le terme de reconquista pourtant si fort dans l‟imaginaire
espagnol. En effet, quels éléments nous permettraient d‟opter pour la reconquête plus que
pour la reprise d‟influence ? A terme, quelles sont les conséquences et l‟avenir de ces
évolutions ?
Le renforcement de la présence espagnole en Amérique latine soulève de
nombreuses questions puisque nous n‟en connaissons pas avec certitude la cause. Est-ce
une tentative de l‟Espagne de reprendre son rôle de « mère patrie » après de nombreuses
années de dictature ? Ou bien cela témoigne-t-il de la volonté de l‟Espagne
de reconquérir l‟Amérique latine et de devenir un acteur important sur la scène
internationale en s‟assurant un marché de grande taille pour ses entreprises ? Ou encore
serait-ce un moyen de gagner plus de poids au sein de l‟Union Européenne par la
construction d‟un réseau international ? Il faut également s‟intéresser aux moyens
employés par l‟Espagne pour parvenir à un tel regain d‟influence : en quelles proportions
4 Joseph Nye, Le Leadership américain : quand les règles du jeu changent, Presse Universitaire de Nancy (PUN),
Nancy, 1992, p.29. 5 Ibid., p.173.
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a-t-elle utilisé des instruments de puissance douce ou coercitive ? Cela a-t-il été un
processus continu ou morcelé en plusieurs étapes ?
Enfin, il est nécessaire de garder à l‟esprit que l‟Espagne fait partie intégrante de
l‟Union Européenne, ce qui amène à se demander si cette appartenance a joué un rôle
dans le processus de rapprochement hispano-latino-américain. De fait cela a-t-il constitué
un frein ou, au contraire, un avantage dans les relations particulières entre l‟Espagne et
l‟Amérique latine ?
Ce travail est le fruit d‟une recherche que j‟ai menée pendant un an alors que je
travaillais comme stagiaire à l‟Ambassade de France en Espagne. Ma présence à Madrid
m‟a indéniablement permis d‟enrichir mes réflexions. J‟ai ainsi pu assister à de
nombreuses conférences et à des entretiens qui m‟ont donné l‟occasion de comprendre la
complexité des relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine (cf Annexe n°1). De plus,
j‟ai beaucoup appris par le seul fait de vivre à Madrid et de discuter avec des personnes
de tous horizons. Le suivi quotidien de l‟actualité qui faisait partie des prérogatives de
mon stage au sein du service Presse et Communication a également été primordial
puisqu‟il m‟a permis d‟intégrer la vision espagnole des événements latino-américains et
de déceler par le décryptage de l‟actualité des mécanismes tels que, notamment, l‟emploi
abusif du mot Iberoamérica que j‟ai mentionné plus haut.
Nous prendrons donc l‟exemple des domaines les plus représentatifs de la relation
entre ces deux continents, en étudiant, dans un premier temps, les éléments les plus
visibles de ce regain d‟influence : la diplomatie, l‟économie et le commerce. Nous
verrons comment s‟est organisée la reprise de contacts diplomatiques entre l‟Espagne et
l‟Amérique latine, principalement autour de la construction de l‟identité ibéro-
américaine, comment aussi elle a servi de tremplin à la vague d‟investissements des
années 90 et à la multiplication des échanges commerciaux.
Dans un second temps, nous nous attarderons sur les moyens moins visibles
employés par l‟Espagne pour gagner de l‟influence. Pour cela, nous distinguerons deux
manières de mettre en œuvre les composantes de la puissance douce (ou soft power)
espagnole : la voie institutionnelle et les entreprises.
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Première partie :
La récente reprise d’influence de l’Espagne en Amérique latine :
une preuve de la reconquête ?
Dès la fin des années 70, la reprise d‟influence de l‟Espagne en Amérique latine
est flagrante. Elle s‟est manifestée d‟abord par un rapprochement diplomatique avec la
mise en œuvre progressive des Sommets Ibéro-américains. Parallèlement, l‟Espagne a
cherché à diffuser ses valeurs de paix, de démocratie et d‟économie de marché.
Rapidement, ces relations se sont concrétisées par la signature de multiples accords
diplomatiques pour dynamiser les rapports entre les deux régions. Dans la deuxième
moitié des années 1990, toutefois, les relations économiques et commerciales ont pris le
pas sur les relations diplomatiques. Or, c‟est à partir de là que surgit l‟idée de
reconquête : les entreprises espagnoles et européennes investissent massivement en
Amérique latine. Cette utilisation de la force économique devient un élément de
puissance coercitive ou hard power et fait débat parmi les dirigeants latino-américains et
la population locale. Il est donc intéressant de voir, dans le détail, comment s‟est
organisée cette reprise de contact, afin de déterminer si la diplomatie a pu servir de
tremplin à la multiplication des relations économiques, ou si ces deux domaines sont
parfaitement dissociables.
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Chapitre 1 - Une reprise de contact diplomatique
L‟Espagne de Franco s‟était considérablement éloignée de l‟Amérique latine et
dès la fin de sa transition démographique, l‟Espagne a cherché à renouer des liens de
l‟autre côté de l‟Atlantique. Ainsi les relations diplomatiques entre l‟Espagne et les pays
latino-américains se sont-elles progressivement rétablies à partir de 1977, année qui
marque la reprise de contacts officiels entre l‟Espagne et le Mexique6. Cette démarche
volontaire a rapidement porté ses fruits puisqu‟en 30 ans, des relations diplomatiques
sporadiques se sont transformées en échanges multiples et variés. D‟autre part, l‟entrée
de l‟Espagne dans la Communauté économique européenne (CEE) en 1986 a contribué à
rendre plus riches et complexes les relations entre les deux continents.
Toutefois, il est faux de penser que les relations entre l‟Europe et l‟Amérique
latine n‟ont commencé qu‟en 1986. La CEE avait, au contraire, déjà tissé des liens
élaborés avec les pays latino-américains, dès sa création. En effet, dès le 1er avril 1958,
les six États fondateurs de la CEE adressèrent un mémorandum aux pays latino-
américains suggérant l‟organisation de consultations sur des sujets d‟intérêt commun.
Puis, en 1968, la Commission ouvrit son premier bureau de représentation régionale à
Santiago du Chili. Et dès 1974, les conférences bisannuelles du Parlement européen et du
Parlement latino-américain (Parlatino) se mirent en place, ainsi que des relations entre
l‟assemblée de Strasbourg et divers forums latino-américains tels que le parlement
centre-américain, la commission parlementaire du Mercosur, ou le parlement andin.
L‟UE signa même des accords avec certains pays latino-américains au début des années
70, puis avec des groupements régionaux (le Pacte andin et l‟Amérique centrale) au début
des années 80. L‟Espagne a donc bénéficié de cette politique latino-américaine de
l‟Europe lorsqu‟elle a rejoint la Communauté. Mais il est indéniable que l‟entrée de
l‟Espagne et du Portugal a permis d‟apporter plus de dynamisme aux relations entre
l‟Union Européenne et l‟Amérique latine. Ainsi l‟Europe est-elle indissociable d‟une
réflexion sur les relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine.
Dans le cadre diplomatique, l‟élément structurant a été, sans l‟ombre d‟un doute,
la mise en place des Sommets Ibéro-américains. La préparation de ces Sommets a permis
6 Il s‟agit d‟un symbole très fort car le Mexique a toujours été un ferme opposant de l‟Espagne franquiste.
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l‟émergence d‟une identité commune grâce aux échanges continus entre l‟Espagne et
l‟Amérique latine. Cela a donc servi de base aux nombreux accords diplomatiques signés
par la suite. Et cela explique également la nature des relations actuelles entre les deux
régions, autrement dit pourquoi l‟Espagne porte un regard protecteur et exclusif sur
l‟Amérique latine.
Section 1 - La création des Sommets Ibéro-américains
Il est capital de voir la création des Sommets Ibéro-américains comme la
matérialisation de l‟idée de Communauté Ibéro-américaine des Nations. Ce concept fait
référence à la mise en place d‟un espace ibéro-américain commun, c‟est-à-dire réunissant
tous les pays latino-américains, l‟Espagne et le Portugal, afin de créer une véritable
identité collective. Cette idée est primordiale : elle a été promue dès la fin de la transition
démocratique par le gouvernement centriste d‟Adolfo Suárez et a été reprise depuis par
tous les gouvernements espagnols. L‟Espagne estime en effet qu‟il s‟agit « d‟une des
projections fondamentales de sa politique étrangère »7 pour plusieurs raisons. D‟une part,
la Communauté Ibéro-américaine des Nations revalorise le rôle de l‟Espagne dans le
monde. D‟autre part, la création d‟une identité commune distingue et renforce son action
en Amérique latine. Cette stratégie a bien fonctionné : l‟organisation des Sommets Ibéro-
américains a été un moment-clé de la reprise des relations diplomatiques entre l‟Espagne
et l‟Amérique latine. « Actuellement, les Sommets Ibéro-américains sont le principal
forum de débat politique dans le domaine intergouvernemental entre les pays ibéro-
américains. […] Ils sont, à eux seuls, la concrétisation d‟une identité culturelle qui, au-
delà des affinités linguistiques, culturelles ou historiques, a cherché à définir des
éléments qui lui ont permis d‟avancer vers la consolidation du projet démocratique dans
tout le continent. »8
7 Celestino Del Arenal, ¿Cuál debe ser el papel de España en las Cumbres Iberoamericanas?, Real Instituto
Elcano, Document de Travail (DT) 2004/12, 28/06/2004, p.3. 8 Belén Blázquez Vilaplana, « El papel de España en las Cumbres Iberoamericanas: pasado, presente y futuro de un
deseo inalcanzable », Espiral, Estudios sobre Estado y Sociedad Vol. X No. 29, Janvier/Avril 2004, p.111.
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A. La mise en place des Sommets Ibéro-américains
L‟idée d‟Adolfo Suárez était la suivante : profiter de la commémoration du
Cinquième Centenaire de la Découverte de l‟Amérique, pour organiser en Espagne un
Sommet Ibéro-américain qui réunisse tous les Chefs d‟Etat et de gouvernement des pays
latino-américains. En 1981, le gouvernement centriste créé la Comisión Nacional para la
Conmemoración del Quinto Centenario (Commission Nationale pour la Commémoration
du Cinquième Centenaire), chargée de préparer l‟événement. En 1982, le gouvernement
socialiste reprend à son compte ce projet. Afin d‟impliquer activement tous les pays
latino-américains, il demande à chaque pays de créer sa Commission Nationale pour la
Commémoration du Cinquième Centenaire, ce qui contribue à jeter les bases d‟un forum
ibéro-américain chargé de la préparation des célébrations.
C‟est alors que sont créées les Conférences Ibéro-américaines des Commissions
Nationales Cinquième Centenaire, qui constitueront des éléments précurseurs aux
Sommets Ibéro-américains dès 1983. Ces Conférences, réunissant chaque année tous les
pays ibéro-américains, ont pour finalité non seulement la préparation des actes de
Commémoration, mais aussi le renforcement des liens culturels, éducatifs et sociaux
existant dans l‟Ibéro-Amérique à travers le développement de programmes multilatéraux
de coopération.
Ces Conférences ont joué un rôle-clé dans la mise en œuvre des Sommets Ibéro-
américains. Elles ont tout d‟abord contribué à la célébration du premier Sommet de
Guadalajara (Mexique) en 1991. Mais surtout, elles ont constitué pendant presque dix ans
le seul forum de rencontre, de dialogue et de coopération entre tous les pays ibéro-
américains et ont permis l‟émergence d‟un sentiment d‟identité ibéro-américaine au fur et
à mesure de la prise de conscience des multiples intérêts communs. Cela a également
donné le temps aux pays latino-américains d‟accepter l‟idée des Sommets Ibéro-
américains en surmontant les réticences et les craintes d‟un trop fort interventionnisme
espagnol. L‟habile initiative espagnole de convoquer le premier Sommet Ibéro-américain
au Mexique, plutôt qu‟en Espagne, a d‟ailleurs facilité le succès de la mise en marche du
processus et éliminé les derniers ressentiments.
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Toutefois, les Sommets Ibéro-américains doivent aussi beaucoup à la personnalité
de Felipe González qui a contribué à ce que l‟Espagne soit perçue de façon positive en
Amérique latine. Il entretenait des relations personnelles étroites avec des leaders
politiques latino-américains comme Carlos Andrés Pérez9 ou Omar Torrijos Herrera
10,
qui lui ont permis d‟être reconnu comme un leader politique incontestable et très apprécié
par la population. De plus, F. González s‟est beaucoup investi dans les processus
démocratiques en Amérique Centrale et la participation de l‟Espagne dans plusieurs
missions de paix, comme Onuca et Onusal11
témoigna clairement de l‟engagement
espagnol dans cette région. « De cette manière, l‟Espagne est devenue en très peu de
temps l‟acteur extrarégional le plus important de toute l‟Amérique latine. » 12
B. Les premiers Sommets
Le premier Sommet de Guadalajara, qui eut lieu les 18 et 19 juillet 1991, fut un
grand succès pour l‟Espagne et marqua l‟aboutissement « du principal objectif
diplomatique de la nouvelle politique latino-américaine mise en marche en 1976 ».13
D‟après Celestino del Arenal14
, l‟on peut distinguer deux phases dans les premiers
Sommets Ibéro-américains : l‟une caractérisée par le leadership-modèle (« liderazgo
ejemplificador ») de l‟Espagne entre 1990 et 1992, et l‟autre par son leadership en déclin
(« liderazgo declinante ») entre 1993 et 1996.
De 1990 à 1992, l‟Espagne joua un rôle primordial tout en essayant d‟influer
indirectement sur l‟action des pays latino-américains et en insistant sur le caractère
égalitaire des pays ibéro-américains. Cette attitude permit l‟acceptation du projet par tous
9 Homme politique vénézuélien et président du Venezuela de 1973 à 1979 et de 1989 à 1993.
10 Militaire et homme politique qui dirigea le Panama après un coup d‟Etat de 1968 à 1978.
11 Deux opérations de paix votées par les Nations Unies. L'ONUCA (novembre 1989-janvier 1992) avait pour
mandat de vérifier que les gouvernements du Costa Rica, d‟El Salvador, du Guatemala, du Honduras et du
Nicaragua respectent leurs engagements de cesser toute assistance aux forces irrégulières et aux mouvements
insurrectionnels dans la région et d‟interdire que leur territoire soit utilisé pour mener des actes d‟agression contre
d‟autres États. L'ONUSAL (mai 1991-avril 1995) était une mission d‟observation au Salvador pour vérifier
l‟application de tous les accords négociés par le gouvernement salvadorien et le Frente Farabundo Martí para la
Liberación Nacional (FMLN), en vue de mettre un terme à dix ans de guerre civile. 12
Carlos Malamud (coord.), La política española hacia América Latina: Primar lo bilateral para ganar en lo
global, Informes Real Instituto Elcano, Numéro 3, Mai 2005, p.23. 13
Celestino Del Arenal, ¿Cuál debe ser el papel de España en las Cumbres Iberoamericanas?, Real Instituto
Elcano, DT 2004/12, 28/06/2004, p.7. 14
Ibid., pp.4-10.
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les pays de l‟Ibéro-Amérique. L‟Espagne, qui s‟était énormément investie en 1992 avec
la Commémoration du Cinquième Centenaire de la Découverte de l‟Amérique et le
deuxième Sommet Ibéro-américain de Madrid, s‟est moins engagée dans la réalisation
des Sommets à partir de 1993.
Malgré cette phase de leadership en déclin, l‟Espagne est cependant restée le
principal moteur des Sommets en présentant de nouvelles initiatives contribuant à leur
renforcement et à leur efficacité. Mais durant la présidence de Felipe González,
l‟Espagne a toujours veillé à chercher la concertation et le consensus entre les pays ibéro-
américains et à éviter de se mettre en avant. La présidence de José María Aznar marqua
une véritable rupture avec ces principes.
C. La présidence de José María Aznar (1996-2004)
Le gouvernement d‟Aznar représenta le début d‟une nouvelle phase : celle du
leadership hégémonique (« liderazgo hegemónico »)15
.
Dans un premier temps, celui du leadership hégémonique multilatéral (1997-
2001), l‟Espagne chercha le consensus avec les principaux pays latino-américains afin
que ses initiatives soient acceptées, tout en prétendant agir avec hégémonie.
Pour la première fois, l‟Espagne a utilisé les Sommets pour exposer de manière
directe ses problèmes de politique intérieure. Par exemple, lors du Sommet du Panama
(2000), JM. Aznar présenta une initiative de condamnation formelle du terrorisme de
l‟ETA qui fut approuvée par tous les pays présents, à l‟exception de Cuba.
La politisation des sommets s‟accrut de nouveau à partir de 2002 et la phase de
« leadership hégémonique unilatéral » marquée par le changement radical dans la
politique étrangère espagnole. L‟alignement inconditionnel du gouvernement de
JM.Aznar avec l‟Administration Bush eut des conséquences décisives sur la politique
latino-américaine de l‟Espagne et se traduisit par une rupture de la ligne de conduite
espagnole au sein des Sommets. Dès lors, le gouvernement présenta ses initiatives
unilatéralement, sans concertation préalable avec les autres pays ibéro-américains.
15
Ibid., pp.10-20.
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L‟expression la plus importante de cette attitude fut la proposition de réforme des
Sommets et la création de la SEGIB (Secretaría General Iberoamericana). Cette
proposition, qui supposait presque la refondation des Sommets, fut présentée en quelque
sorte par surprise et de façon absolument unilatérale par JM.Aznar lors du Sommet de
Bávaro (République Dominicaine) en 2002.
Mais d‟autres propositions générèrent des réticences comme celle de célébrer, à
nouveau, un Sommet en Espagne à l‟occasion du trentième anniversaire du règne de Juan
Carlos, alors que certains pays latino-américains n‟avaient pas encore organisé de
Sommet sur leur territoire. Ou encore, l‟on peut donner comme exemple les pressions
exercées par JM. Aznar sur le Mexique et le Chili pour que ces pays donnent leur aval
aux positions défendues par l‟Administration Bush concernant l‟Irak au sein du Conseil
de Sécurité des Nations Unies.
Cette attitude espagnole a contribué à détruire le sentiment d‟identité commune
bâti par l‟Espagne depuis sa transition démocratique. En effet, les pays latino-américains
n‟ont pas compris ces changements et ont nourri des ressentiments envers cette Espagne
impérialiste. Non seulement cela a contribué à réduire le sens et l‟utilité des Sommets
Ibéro-américains, mais cela a causé une profonde détérioration de l‟image et du prestige
de l‟Espagne en Amérique latine. Cette détérioration a en plus été accentuée par un
contexte d‟explosion des investissements espagnols dans l‟ensemble du sous-continent
américain et les pays d‟Amérique latine ont alors pensé que les relations hispano-latino-
américaines avaient été instrumentalisées par l‟Espagne pour servir sa reconquête. Dans
le cadre de notre réflexion, la présidence de José María Aznar est donc primordiale car
elle a engendré un revirement dans les relations entre les deux continents.
D. La remise en cause des Sommets Ibéro-américains
En 2004, l‟élection de José Luis Rodríguez Zapatero marque un nouveau
changement. Le redéploiement de la politique étrangère espagnole vers l‟Union
Européenne et l‟Amérique latine a toutefois nécessité une période de transition qui a nui
au Sommet Ibéro-américain de San José (Costa Rica). Cependant, même s‟il n‟a pas été
Page 17
une grande réussite, ce Sommet a permis au gouvernement socialiste de restaurer un
climat positif de coopération politique.
En revanche, le Sommet de Salamanca (Espagne) en 2005 a montré la reprise en
main des Sommets Ibéro-américains, grâce au dynamisme de la diplomatie espagnole
lors de sa préparation et à l‟accomplissement d‟une bonne partie de ses objectifs. Ce
Sommet a surtout été marqué par la création du Secrétariat Général Ibéro-américain
(SEGIB), placé sous la direction de l‟Uruguayen Enrique Iglesias. Cette réforme avait été
présentée par le gouvernement de JM.Aznar et adoptée lors du Sommet de Bávaro
(République Dominicaine) en 2002, puis son statut avait été voté l‟année suivante lors du
Sommet de Santa Cruz de la Sierra (Bolivie). Concrètement, la SEGIB est chargée de
l‟organisation des Sommets et du suivi des accords qui y sont passés. « La création de la
SEGIB est une avancée très importante dans le chemin qui mène à la redynamisation des
Sommets, dans la mesure où elle leur permet d‟être plus opérationnels grâce à une
structure formée par un Secrétariat Général, un Secrétariat Adjoint et un Secrétariat pour
la Coopération Ibéro-américaine, et qu‟elle leur confère une plus grande visibilité
politique par son caractère permanent. » 16
Le Sommet de Montevideo (Uruguay), qui s‟est tenu en 2006 sur le thème
« Migration et Développement », a été au contraire assez décevant et a renforcé les
doutes sur l‟avenir des Sommets Ibéro-américains. La rédaction du texte intitulé
« Engagement et Déclaration de Montevideo » exprimant la position de l‟Ibéro-Amérique
sur l‟immigration a révélé l‟apparition d‟un antagonisme inhabituel entre la position
espagnole et celle des pays latino-américains. Ces derniers ont fait front commun contre
l‟Espagne et l‟Europe en critiquant les barrières dressées par l‟Union Européenne aux
migrants et, plus généralement, les « conditions imposées par les pays riches à
l‟immigration. »17
Les reproches émis par les présidents latino-américains avaient été très
dures : Álvaro Uribe avait interpellé le Roi Juan Carlos pour exprimer son souhait « que
les portes s‟ouvrent aux Latino-américains et se ferment aux drogues »18
et Evo Morales
16
Celestino Del Arenal, De la Cumbre Iberoamericana de San José de Costa Rica (2004) a la Cumbre
Iberoamericana de Salamanca (2005), Real Instituto Elcano, Documento de Trabajo (DT) n° 5/2005, Janvier 2005,
p.16. 17
Jorge Marirrodriga, « Iberoamérica pide que la UE no cierre sus puertas », El País, 05/11/2006, p.3. 18
Marco Schwartz, « Iberoamérica reprocha a España las barreras contra la inmigración », El Periódico de
Catalunya, 05/11/2006, p.14.
Page 18
avait « critiqué le fait que les marchandises aient plus de liberté de circulation que les
personnes. »19
En revanche, le Sommet de Santiago du Chili, qui s‟est tenu en novembre 2007
sous le thème « Développement et intégration sociale », a été une réussite car il a permis
la signature de vingt-quatre engagements pour « progresser vers des niveaux croissants
d‟intégration, de justice, de protection, d‟assistance sociale et de solidarité ». Le point le
plus important est l‟adoption d‟une Convention Multilatérale sur la Sécurité Sociale dont
pourraient bénéficier six millions d‟immigrants ibéro-américains. Cependant, les tensions
entre certains pays latino-américains et l‟Espagne se sont à nouveau fait sentir, ce qui a
conduit au cinglant « ¿Por qué no te callas? » du Roi d‟Espagne au président
vénézuélien Hugo Chávez et à l‟abandon du Sommet par Juan Carlos en pleine session.
Toutefois, malgré la création du Secrétariat Général Ibéro-américain, l‟on constate
toujours une baisse de l‟intérêt des pays d‟Amérique latine aux Sommets Ibéro-
américains. La manifestation la plus évidente de ce phénomène est le nombre élevé
d‟absences parmi les présidents ou chefs de gouvernement ibéro-américains lors des
derniers Sommets : sept présidents20
ne se sont pas déplacés lors du Sommet de San José
en 2004, cinq21
lors du Sommet de Salamanca de 2005, huit22
lors du Sommet de
Montevideo en 2006 et quatre23
lors du dernier Sommet de Santiago du Chili. Un autre
élément confirme ce manque d‟intérêt : le financement de la SEGIB est assumé à 80%
par l‟Espagne (soit plus de 1,8 millions de dollars).24
Ainsi une nouvelle réforme des Sommets est-elle à l‟étude afin de redonner de la
vigueur à ces Sommets éreintés non seulement par l‟appartenance de nombreux pays
ibéro-américains à des groupements régionaux distincts, mais aussi par la tenue des
Sommets UE-ALC. Le passage à des Sommets biannuels est donc envisagé.
19
Ibidem. 20
Les présidents du Chili, du Brésil, du Pérou, du Venezuela, de Cuba, du Portugal et de l‟Equateur. 21
Les présidents de Cuba, de l‟Equateur, du Salvador, du Guatemala et du Nicaragua. 22
Les présidents du Brésil, du Venezuela, du Pérou, de Cuba, du Panama, du Nicaragua, du Guatemala, et de la
République Dominicaine. 23
Les présidents du Mexique, de Cuba, de Panama et de la République Dominicaine. 24
Carlos Malamud (coord.), La política española hacia América Latina: Primar lo bilateral para ganar en lo
global, Informes Real Instituto Elcano, Numéro 3, Mai 2005, p.36.
Page 19
Cependant, la tâche est complexe car il faudrait aussi parvenir à « doser »
l‟intervention espagnole lors des Sommets Ibéro-américains. Jusqu‟à présent, l‟Espagne a
joué un rôle-clé : sans son acharnement et son travail diplomatique, les Sommets Ibéro-
américains n‟auraient pas vu le jour et n‟auraient pas été aussi productifs, car c‟est elle
qui a proposé les principales initiatives. Mais le corollaire de cette attitude est le
désintérêt et le manque d‟implication des pays latino-américains. Comme le résume
Carlos Malamud, « les Sommets ne pourront être utiles à l‟Espagne, aussi paradoxal que
cela puisse paraître, que si les pays latino-américains, surtout les plus grands, se les
approprient. Au contraire, si l‟image persiste que ce ne sont qu‟un instrument de notre
politique vers la région, leur existence sera très courte, malgré la SEGIB ou les réunions
annuelles. »25
Le risque est donc grand, car si les pays latino-américains ne s‟impliquent
pas plus dans les Sommets, ces derniers tomberont dans l‟oubli.
Section 2 - La multiplication des échanges, traités et accords
entre l’Espagne, l’Europe et l’Amérique latine
Parallèlement à la mise en place des Sommets Ibéro-américains qui ont contribué,
nous l‟avons vu, au renforcement des relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine, les
échanges entre le sous-continent américain et l‟Europe se sont considérablement accrus.
Depuis sa transition démocratique, l‟Espagne a signé seize traités bilatéraux de
Paix et de Coopération avec une grande partie des pays latino-américains. Avec son
entrée dans la Communauté Européenne, ses relations bilatérales avec les pays latino-
américains se sont réduites au profit d‟accords signés directement par l‟Union
Européenne avec des pays ou des groupements de pays latino-américains. Seuls quelques
accords isolés ont été signés directement entre l‟Espagne et des pays d‟Amérique latine
comme récemment avec la signature de plans d‟association stratégique avec le Brésil
(2003), le Mexique (2003), le Chili (mai 2006), l‟Argentine (juin 2006) et la Colombie
(janvier 2008).
25
Ibid., p.13.
Page 20
Pour ce qui est de l‟Union Européenne, elle a œuvré dans un premier temps à
institutionnaliser les dialogues politiques qu‟elle entretenait avec les différents
groupements régionaux d‟Amérique latine. En 1987, la CEE et le Groupe de Río26
ont
organisé leur première conférence ministérielle. Le 20 décembre 1990, la Déclaration de
Rome institutionnalisa ce dialogue politique. D‟autres accords instaurant un dialogue
ministériel furent passés avec le Mercosur (Accord Cadre Interrégional de Coopération
de décembre 1995), la Communauté Andine (Déclaration conjointe sur le dialogue
politique de juin 1996), le Chili (Accord Cadre de Coopération de 1996) et le Mexique
(Accord Global de 1997). De même, les ministres européens et caribéens se sont réunis
chaque année dans le cadre du Conseil conjoint des Ministres de l‟UE et de ceux des
Etats ACP (pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique).
Les relations entre l‟UE et l‟Amérique latine se sont approfondies à partir des
années 90 avec des traités plus globaux facilités par la médiation espagnole. Le premier
pays latino-américain à signer un partenariat privilégié avec l‟UE fut le Mexique avec
l‟Accord d‟Association Economique, de Concertation Politique et de Coopération signé
en 1997. Ce dernier comprenait un accord de libre échange qui est entré en vigueur en
l‟an 2000. Le Chili a été le deuxième à signer un accord d‟association avec l‟UE, en
2002, articulé autour de trois volets : le dialogue politique, la coopération et le commerce.
Le volet commercial est particulièrement intéressant : il établit une zone de libre-échange
des biens durant une période maximale de dix ans, en vue de parvenir à une libéralisation
complète pour 97,1% des échanges commerciaux. Enfin la Communauté Andine et
l‟Amérique Centrale ont signé des accords de dialogue politique et de coopération moins
ambitieux en 2003. L‟UE tente depuis de négocier des accords de libre-échange avec ces
deux groupements régionaux, ainsi qu‟avec le Mercosur. Depuis 2004, l‟Union
Européenne négocie également des accords de partenariat économique (APE) avec les
Caraïbes. Et récemment, en juillet 2007, l‟UE et le Brésil ont signé une association
stratégique, grâce au premier Sommet entre l‟Union Européenne (sous la présidence
portugaise) et le Brésil. L‟Union espère, par ce biais, donner une impulsion aux
négociations avec le Mercosur.
26
Alors composé du Brésil, de la Colombie, du Mexique, du Panama, du Pérou, de l'Uruguay et du Venezuela.
Page 21
A certains moments, la médiation espagnole a été particulièrement visible. Par
exemple, l‟idée de convoquer un Sommet des chefs d‟État et de gouvernement des pays
de l‟Union Européenne, de l‟Amérique latine et des Caraïbes, dits Sommets UE-ALC, fut
lancée par José María Aznar lors du Sommet Ibéro-américain de Viña del Mar (Chili) en
1996. A partir de 1999, cette idée s‟est concrétisée et étoffée avec d‟autres rencontres sur
des thèmes techniques (la société de l‟information, la science et la technologie, la sécurité
sociale, les travailleurs migrants…) organisées dans l‟intervalle des Sommets UE-ALC.
Le premier Sommet UE-ALC se tint à Rio de Janeiro, en juin 1999. Il fut
particulièrement important car il lança un partenariat stratégique bi-régional pour
approfondir le dialogue politique, la coopération économique, scientifique, culturelle et le
renforcement des liens commerciaux. Ce partenariat a donc fixé le cadre actuel dans
lequel se déroule la politique globale entre l‟UE et l‟Amérique latine.
Le deuxième Sommet UE-ALC se tint à Madrid en 2002. Il eut pour but
d‟approfondir le partenariat stratégique et de promouvoir l‟accroissement économique, le
commerce, la stabilité démocratique et les progrès économiques et sociaux et permit la
signature d‟une « Déclaration des Valeurs et des Positions Communes ».
Le Sommet de Guadalajara en 2004 proposa trois objectifs : la cohésion sociale,
l‟intégration régionale latino-américaine sur le modèle de l‟intégration européenne et
enfin une association bi-régionale euro-latino-américaine.
Le sommet de Vienne en 2006 a marqué une avancée avec l‟annonce de la
réouverture des négociations sur un accord d‟association avec l‟Amérique Centrale, mais
les observateurs sont sceptiques : « Si les modestes objectifs a priori fixés ont été
accomplis, il n‟a pas été possible de trouver les formes ou les mécanismes adéquats qui
nous permettraient de sortir de l‟impasse actuelle. »27
27
Carlos Malamud, Los actores extrarregionales en América Latina (III): las relaciones con la Unión Europea,
Real Instituto Elcano, ARI Nº 8/2008, 10/01/2008, p.1.
Page 22
Au niveau diplomatique, il y a cependant des divergences entre les positions
espagnole et européenne. En effet, l‟Espagne penche davantage pour une approche
bilatérale, sur le modèle de celle qui a permis la conclusion des accords avec le Mexique
et le Chili, alors que l‟UE privilégie une approche multilatérale avec des groupements
régionaux ce qui nécessite plus de temps. Ainsi, d‟une façon générale, l‟Espagne regrette
que la relation UE-Amérique Latine piétine et ne soit pas assez structurée, au risque de
voir d‟autres acteurs (asiatiques notamment) prendre la place qu‟elle estime pouvoir être
tenue par l‟Europe. L‟Espagne est donc partagée entre ces deux identités ibéro-
américaine et européenne qui se renforcent l‟une l‟autre. En effet, l‟on peut dire que
l‟identité européenne renforce le rôle de l‟Espagne en Amérique latine et, qu‟en même
temps, l‟identité ibéro-américaine renforce le rôle de l‟Espagne en Europe. Cette
singularité de la position espagnole provoque des conflits évidents entre ces deux
appartenances. Toutefois, l‟Espagne a aussi des torts et certains spécialistes de
l‟Amérique latine regrettent son manque de combativité dans ce domaine : « en de
nombreuses occasions, l‟Europe a plus servi d‟alibi que d‟élan dans la politique
espagnole vers l‟Amérique latine. C‟est assez fréquent, notamment dans des sujets tels
que le protectionnisme agraire, la Politique Agricole Commune et l‟immigration. Au lieu
d‟adopter des positions audacieuses, qui coïncident avec les propositions de nos amis
latino-américains, nous rejetons la faute sur la rigidité des positions communautaires et
sur l‟impossibilité de changer les choses. »28
Les relations entre l‟Espagne et les pays latino-américains sont complexes et il est
difficile de dire quelle a été la motivation qui a poussé l‟Espagne à s‟investir pour les
développer. Mais, en regardant la question d‟un point de vue purement géopolitique, il
est évident que le regain d‟influence sur le continent américain était primordial pour que
l‟Espagne atteigne les objectifs qu‟elle s‟était fixés. Comme le résume très bien Carlos
Malamud, « l‟Amérique latine est fondamentale pour la politique étrangère espagnole et
pour son rayonnement dans le monde : le poids de l‟Espagne dans l‟Union Européenne,
et pas seulement dans l‟Union Européenne, en dépend fortement. Ainsi, la relation ibéro-
28
Carlos Malamud (coordinador), La política española hacia América Latina : Primar lo bilateral para ganar en lo
global, Informes Real Instituto Elcano, Numéro 3, Mai 2005, p.39.
Page 23
américaine ne doit pas être vue comme quelque chose de sentimental ou de culturel, mais
comme motivée par les intérêts. »29
Section 3 - Un regard protecteur et exclusif sur l’Amérique
latine
Après avoir vu comment se sont mis en place les Sommets Ibéro-américains, qui
ont eu un rôle structurant dans les rapports entre l‟Espagne et l‟Amérique latine et ont
permis la signature de nombreux accords diplomatiques, il est nécessaire de voir
comment l‟Espagne s‟est imposée comme un modèle en Amérique latine et a revendiqué
ce rôle sur le plan international.
La nature des relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine a pris un tournant
singulier dès la naissance de la démocratie espagnole. L‟Espagne était tentée de se poser
comme un exemple à suivre auprès des autres pays latino-américains encore sous le joug
de dictatures et c‟est pourquoi l‟on parle d‟un rapport de légitimisation mutuelle. En
effet, chacune des deux parties cautionnait à leur tour l‟authenticité du processus de
démocratisation engagé par l‟autre. La première illustration de cette légitimisation
transparaît dans la reprise des contacts diplomatiques entre l‟Espagne et le Mexique. En
renouant les liens avec l‟Espagne, le Mexique, qui s‟était toujours virulemment opposé à
l‟Espagne franquiste, a conforté la légitimité du gouvernement d‟Adolfo Suárez et validé
implicitement l‟authenticité du processus démocratique espagnol. Inversement, « la
volonté affichée par l‟Espagne de diffuser les principes démocratiques hors de ses
frontières contribuait indirectement à imposer l‟image d‟un pays ayant déjà parfaitement
mené à bien son propre processus de démocratisation – et ayant désormais le loisir de
consacrer ses efforts à la propagation de la démocratie de l‟autre côté de l‟Atlantique.»30
Les multiples actions menées par l‟Espagne en Amérique latine (organisation de tables
rondes sur la possibilité de transposer le modèle espagnol aux pays latino-américains dès
1983, intervention d‟Adolfo Suárez en Uruguay, condamnation des dictatures par le Roi
Juan Carlos…) ont constitué les outils qui lui ont permis de parachever la stabilisation
29
Ibid., p.12. 30
Daniel Sabbagh, « Les facteurs externes de la démocratisation : le cas des relations entre l‟Espagne et les pays
d‟Amérique latine (1975-2000) » in Daniel Van Eeuwen (dir.), L'Amérique latine et l'Europe à l'heure de la
mondialisation, CREALC-IEP/AIX- Karthala, Paris, 2002, p.68.
Page 24
interne de la démocratie espagnole et de masquer l‟inachèvement de son processus de
démocratisation. L‟Espagne n‟a cependant pas réussi à diffuser son « modèle » et le seul
point commun entre les processus démocratiques espagnol et latino-américains est la
raison même de son inachèvement : la priorité accordée à la réconciliation pour renforcer
la stabilité du nouveau régime, à défaut de sanctionner les injustices passées. En
revanche, la transition démocratique espagnole a pu être perçue en Amérique latine
comme un signal mobilisateur et optimiste car l‟Espagne, après trente-six ans de
dictature, ne possédait pas de tradition du pluralisme politique et c‟est en ce point
qu‟ « elle a pu contribuer à la vague de démocratisations latino-américaines des années
80. »31
Depuis lors, l‟Espagne se bat toujours en faveur des idées démocratiques : « en
décembre 1996, c‟est à Madrid – et en partie grâce aux efforts de la diplomatie espagnole
– qu‟ont été signés les accords censés mettre un terme à trente-six ans de guerre civile au
Guatemala. »32
Le gouvernement de José María Aznar s‟est d‟ailleurs montré très engagé
dans ce sens en proposant la création d‟une force ibéro-américaine de maintien de la paix,
en apportant son soutien financier au Plan Colombia et en s‟opposant au régime de La
Havane.
Cet éclairage historique sur les relations hispano-latino-américaines contribue à
expliquer l‟existence d‟une véritable stratégie diplomatique envers l‟Amérique latine.
Son expression la plus visible est la déclaration de chaque nouveau président du
gouvernement espagnol soulignant que les relations avec l‟Amérique latine sont
prioritaires, sans trop expliquer ce que cela signifie. Il existe donc une volonté
diplomatique affirmée d‟être présent en Amérique latine comme le prouvent les
nombreux déplacements de la famille royale espagnole sur le continent américain. Le Roi
Juan Carlos Ier, dont l‟une des fonctions est la représentation de l‟Espagne à l‟étranger,
avait par exemple choisi comme destination l‟Amérique latine et plus précisément la
République Dominicaine pour son premier voyage officiel le 31 mai 1976, ce qui
constitua un symbole très fort. Il en fut de même pour son fils, le Prince des Asturies qui,
lors de son premier voyage officiel en 1991, avait à nouveau choisi l‟Amérique latine en
se rendant en Argentine, en Uruguay et au Mexique. En tout, depuis 1976, le Roi Juan
31
Ibid., p.63. 32
Ibid., p.69.
Page 25
Carlos a fait cinquante-quatre voyages officiels dans des pays latino-américains33
. Et son
fils s‟est déjà déplacé plus de 30 fois en Amérique latine depuis l‟an 2000.34
Ces voyages
témoignent donc de l‟intérêt primordial que porte l‟Espagne à l‟Amérique latine depuis
son retour à la démocratie. Le Roi a d‟ailleurs joué un grand rôle dans la mise en place
des Sommets Ibéro-américains, par ses discours qui portaient au plus haut le sentiment
d‟appartenance ibéro-américain, et par ses actes, puisque c‟est à sa demande que le
président mexicain Carlos Salinas de Cortari accepta d‟accueillir sur son territoire le
premier Sommet Ibéro-américain. Son intérêt pour les Sommets n‟a d‟ailleurs jamais
molli puisqu‟il s‟est rendu personnellement à tous les Sommets Ibéro-américains, même
celui organisé à Cuba en 1999, malgré l‟obligation imposée par la Casa Real que le Roi
ne se déplace que dans des pays démocratiques. Pour garantir la réussite du Sommet de
San José (Costa Rica) en 2004, il est même intervenu personnellement auprès de certains
présidents latino-américains afin de les convaincre d‟assister au Sommet et a ainsi réussi
à éviter l‟absence du président argentin Nestor Kirchner.
Le gouvernement de José Luis Rodríguez Zapatero a également réalisé de
nombreux déplacements officiels en Amérique latine. Depuis 2004, le chef du
gouvernement espagnol a réalisé treize voyages dans la région et s‟est entretenu vingt-
cinq fois avec des Présidents latino-américains venus lui rendre visite.35
Il a manifesté
son attachement à l‟Amérique latine en de nombreuses occasions et l‟une des plus
marquantes a été la création, à sa demande, d‟un Secrétariat d‟Etat chargé de l‟Ibéro-
Amérique en septembre 2006. Cela constitue un élément fondamental car, auparavant, le
Secrétariat d‟Etat des Affaires étrangères et de l‟Ibéro-Amérique se chargeait de
l‟Amérique latine. Cela témoigne donc de la volonté d‟accorder une attention particulière
à l‟Amérique latine en portant à quatre le nombre de Secrétariats d‟Etat ce qui n‟était
jamais arrivé depuis le début de la démocratie espagnole. JL. Zapatero a justifié cette
décision par la volonté de permettre à l‟Espagne de « renforcer de manière décisive son
action et sa présence dans la région » tout en lui conférant un « rôle stabilisateur ».
33
Liste des voyages officiels du Roi Juan Carlos sur le site internet de la Casa de su Majestad Real el Rey de
España : http://www.casareal.es/sm_rey/Viajes-ides-idweb.html 34
Liste des voyages officiels du Prince des Asturies sur le site internet de la Casa de su Majestad Real el Rey de
España : http://www.casareal.es/sar_principe/Viajes-ides-idweb.html 35
http://www.la-moncloa.es/Presidente/ActividadesInternacionales/default.htm
Page 26
De même JL. Zapatero a nommé récemment Felipe González ambassadeur
extraordinaire pour la commémoration de l‟indépendance des républiques ibéro-
américaines afin d‟assurer la présence de l‟Espagne à ces événements. Le chef du
gouvernement espagnol a précisé que son prédécesseur « possédait toutes les qualités
pour donner une plus grande impulsion aux relations entre l‟Espagne et l‟Ibéro-Amérique
dans les domaines politique, social et culturel. »36
Enfin, la présence diplomatique de l‟Espagne en Amérique latine est très
importante. On compte par exemple 207 personnes ayant le rang de diplomates dans les
ambassades espagnoles d‟Amérique latine.37
Ce chiffre est considérable pour une
vingtaine de pays. Le nombre de consulats généraux est également éloquent : on en
compte cinq en Argentine, quatre au Brésil, trois au Mexique et deux en Colombie et en
Equateur.38
L‟Espagne aime se présenter comme la « tutrice » de l‟Amérique latine et elle
renvoie cette image au niveau international.
Au sein de l‟Union Européenne, l‟influence de l‟Espagne en faveur de l‟Amérique
latine a été particulièrement flagrante à certains moments-clés liés à la politique envers
Cuba. Cela a d‟abord été visible en 1996, lorsque l‟Espagne a proposé que l‟UE présente
une Position Commune sur Cuba qui a été adoptée. Puis, en 2004, lorsque l‟Espagne a
défendu l‟élimination des sanctions imposées sur le régime de l‟île depuis 2003, et enfin
en 2007 lorsque l‟Espagne a décidé de renouer ses contacts avec l‟île et que l‟UE en a fait
de même. Ainsi, l‟Espagne est écoutée par l‟UE et il est fréquent d‟entendre les analystes
dire que les institutions européennes ne prennent aucune décision liée à l‟Amérique latine
sans le consentement de l‟Espagne. Cependant, cela n‟empêche pas les pays latino-
américains de s‟adresser directement à l‟UE sans passer par l‟Espagne.
Sur la scène internationale, l‟Espagne veut montrer qu‟elle se préoccupe de
l‟Amérique latine. Récemment, en mars 2007, elle a tenu à organiser à Madrid la Ière
36
A. Díez, « El Gobierno encarga a González estrechar lazos con Iberoamérica», El País, 28/07/2007. 37
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Guía de las Representaciones de España en el extranjero,
Madrid, octobre 2004. 38
Site du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération :
http://www.mae.es/es/MenuPpal/Paises/Iberoamerica/
Page 27
Conférence Intergouvernementale sur les Pays à Revenus Intermédiaires (PRI) afin
d‟attirer l‟attention sur leurs préoccupations. Or les pays latino-américains sont
majoritairement des Pays à Revenus Intermédiaires et l‟Espagne craint qu‟ils ne soient
délaissés au profit des Pays les Moins Avancés (PMA). Son but était donc de montrer que
les PRI ne devaient pas être écartés des aides car ils sont eux aussi touchés par une
grande pauvreté (revenus inférieurs à 2 dollars par jour) et qu‟ils risqueraient de devenir à
leur tour des PMA. Ainsi, l‟Espagne, par le biais de son principal organisme de
coopération, l‟AECI (Agencia Española de Cooperación Internacional), a destiné 61%
de son aide publique au développement à des Pays à Revenus Intermédiaires en 2006.39
Ces quelques exemples montrent pourquoi cette image de médiateur rejaillit dans
les journaux avec des titres tels que « Les Etats-Unis nous demande des conseils sur
l‟Amérique latine »40
ou « L‟Espagne planifie d‟être l‟interlocuteur des Etats-Unis, de la
Chine et du Japon en Amérique latine. »41
Dans ce dernier article rédigé à l‟occasion de
la trente-neuvième rencontre ibéro-américaine des entreprises, on peut lire que « les
Etats-Unis planifient une nouvelle stratégie pour leur pré carré, qui passe par l‟utilisation
des influences de l‟Espagne pour défendre ses intérêts dans le Cône Sud. Madrid et
Washington, distants depuis deux ans à cause du retrait des troupes espagnoles d‟Irak, ont
trouvé en Amérique latine une cause pour conjuguer leurs efforts : la consolidation de la
démocratie et l‟ouverture de l‟économie. »
Récemment, on a pu voir qu‟une telle attitude avait conduit à certaines dérives. En
avril 2002, José María Aznar, qui présidait l‟Union Européenne, a été accusé de soutenir
le coup d‟Etat au Venezuela en reconnaissant celui-ci, avant même que le responsable du
putsch, Pedro Carmona, ait prêté serment.42
Par le biais de cette déclaration de la
Présidence, l‟UE, défenseur des principes démocratiques, manifestait sa confiance envers
ce nouveau gouvernement qui venait de renverser un président élu. Cette intervention a
beaucoup été reprochée à JM. Aznar, et ce n‟est pas la seule. En septembre 2007, les
médias diffusèrent une transcription d‟une conversation téléphonique privée entre le
39
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 2006. 40
Ernesto Ekaizer, Interview de Bernardino Leñn (Secrétaire d‟Etat espagnol aux Affaires étrangères), « Les Etats-
Unis nous demande des conseils sur l‟Amérique latine », El País, 08/12/2006, p.22. 41
Miriam Gidrón, « L‟Espagne planifie d‟être l‟interlocuteur des Etats-Unis, de la Chine et du Japon en Amérique
latine », Expansion, 26/12/2006, p.28. 42
Le président Aznar a fait sa déclaration à 18h09, heure de Madrid (soit 12h09 à Caracas), alors que P.Carmona a
prêté serment quelques heures plus tard à 16h, heure de Caracas (soit 22h à Madrid).
Page 28
président américain GW. Bush, le chef du gouvernement espagnol JM. Aznar, le premier
ministre britannique Tony Blair et le président italien Silvio Berlusconi. Cette
conversation s‟était déroulée le 22 février 2003 quelques semaines avant l‟entrée en
guerre contre l‟Irak et quelques jours avant la présentation par les Etats-Unis d‟une
nouvelle résolution en faveur de la Guerre en Irak au Conseil de Sécurité des Nations
Unies. On y découvre le président des Etats-Unis menaçant le Chili et le Mexique de
représailles en cas de vote ne soutenant pas l‟intervention militaire. A ce moment-là, le
Chili attendait la ratification du Traité de Libre-échange avec les Etats-Unis par le Sénat
américain et GW. Bush a exprimé clairement son intention de s‟opposer à son
autorisation. Suite à cette conversation, la diplomatie espagnole fera des pieds et des
mains pour convaincre le Chili et le Mexique de soutenir la résolution américaine.
Finalement, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, n‟ayant pas assez de soutien,
décidèrent de retirer la seconde résolution.
Enfin, il ne faut pas nier que l‟Amérique latine apprécie de temps à autre la
médiation de l‟Espagne et les dernières années nous en ont donné des exemples parfaits.
Récemment, il a été révélé que Fidel Castro avait demandé de l‟aide à José María Aznar
pour donner asile à Hugo Chávez lors du coup d‟Etat de 2002.43
Craignant pour sa vie, la
diplomatie cubaine avait tout fait pour organiser une évacuation de H. Chávez dans la
nuit du 12 avril et avait demandé l‟aide de l‟Espagne pour l‟organiser. Finalement, cette
opération ne fut pas nécessaire en raison d‟un aplanissement de la situation à Caracas et
de la décision de H. Chávez de se rendre aux généraux responsables du putsch. Cet
événement n‟en est pas moins révélateur du recours à l‟Espagne en cas de mauvaise
passe, d‟autant plus que les relations entre Cuba et l‟Espagne étaient particulièrement
délicates pendant le mandat de JM. Aznar.
Une autre illustration de la médiation espagnole est celle de « la guerra de las
papeleras »44
. Cet affrontement a commencé en 2002 lorsque le gouvernement uruguayen
présidé par Jorge Batlle Ibáðez a négocié sur son territoire l‟installation de deux grandes
usines de cellulose. En 2003, cette décision est à l‟origine d‟un conflit frontalier car les
43
Juan Aznárez, « Cuando Fidel pidió ayuda a Aznar », El País, 03/02/2008. 44
« La guerre des papeteries »
Page 29
deux usines prévoient de s‟installer le long du fleuve Uruguay qui constitue la frontière
internationale entre les deux pays. Les usines étant considérées comme polluantes, la
protestation sociale et écologiste s‟amplifie jusqu‟à ce que soit organisée une gigantesque
manifestation sur le pont international Libertador San Martín réunissant 40.000 Argentins
et Uruguayens le 30 avril 2005. C‟est alors que cette « guerre » investit le champ
diplomatique et prend une ampleur internationale. Les présidents argentin et uruguayen
s‟emparent de l‟affaire et créent une Commission Binationale pour analyser l‟impact
environnemental des usines de cellulose. Ne s‟accordant pas sur ses conclusions, la
Commission est dissoute. Parallèlement, la ville de Gualeguaychú, placée sur la rive
argentine du fleuve et faisant face aux sites octroyés aux usines, se mobilise. Les
associations écologistes et de riverains réunis dans l‟Assemblée Citoyenne
Environnementale de Gualeguaychú décident dès décembre 2005 de bloquer les trois
ponts permettant la traversée du Fleuve Uruguay. Les tensions montent entre les deux
pays qui ne parviennent pas à un accord. L‟Argentine accuse l‟Uruguay de violer le traité
bilatéral pour la garde et la protection du Fleuve Uruguay signé en 1975 et dépose une
requête au Tribunal International de la Haye. En juillet 2006, le Tribunal arbitre en faveur
de l‟Uruguay qui s‟appuie sur des études environnementales de la Banque mondiale pour
défendre le plus grand investissement privé de son histoire. Inversement, l‟Uruguay,
agacée par les blocages des ponts, dépose une plainte en prétextant que ces blocages
constituent une entrave à la liberté de circulation. Le Tribunal International de la Haye
tranche alors en faveur de l‟Argentine car ces blocages ne supposent pas un danger pour
l‟Uruguay.
Lors du Sommet Ibéro-américain de Montevideo en novembre 2006, le président
Kirchner demande au Roi d‟Espagne de « faciliter » une solution au conflit l‟opposant à
l‟Uruguay. Juan Carlos Ier accepte et celui-ci nomme Juan Antonio Yáñez Barnuevo,
l‟ambassadeur de l‟Espagne à l‟ONU, pour mener la médiation. En décembre 2006,
l‟entreprise espagnole Ence, qui devait construire l‟une des deux usines, décide de
changer d‟emplacement afin de réduire les tensions. Il ne reste plus que l‟usine de
l‟entreprise finlandaise Botnia, dont l‟implantation est la plus controversée, car elle
s‟étale sur soixante hectares. Pourtant, les tensions ne faiblissent pas et l‟Uruguay
commence à remettre en question la médiation du Roi. Le Ministre de l‟Economie
uruguayen, Danilo Astori, qualifie alors cette médiation de « manœuvre totalement
Page 30
inacceptable. L‟Argentine utilise la figure du Roi Juan Carlos pour essayer de retarder les
travaux ce qui est absolument illégitime. »45
Un an après, malgré plusieurs réunions avec
les deux parties et le médiateur, le conflit n‟est toujours pas réglé. Début novembre, le
ministre uruguayen Mariano Arana autorise la mise en fonctionnement de l‟usine de
Botnia. Quelques heures plus tard, le Roi d‟Espagne intercède pour demander la
suspension de cette décision et d‟attendre le Sommet de Santiago pour parvenir à un
éventuel accord. Lors du Sommet, le 8 novembre, les réunions échouent à nouveau et le
président uruguayen Tabaré Vázquez autorise alors la mise en marche de l‟usine. Le 11
novembre, José Luis Rodríguez Zapatero annonce que le gouvernement espagnol et le
Roi Juan Carlos poursuivront leur travail de médiation entre l‟Argentine et l‟Uruguay.
Ce recours au Roi est un événement surprenant mais aussi révélateur de la vision
latino-américaine de l‟Espagne et de son rôle. Voici un exemple de conflit purement
bilatéral entre pays latino-américains qui se transpose sur la scène ibéro-américaine par le
biais des Sommets et s‟immisce dans l‟agenda politique espagnol. La presse espagnole a
soutenu et apprécié l‟appel au Roi qu‟elle interprète comme la « démonstration que les
valeurs du consensus et de la prudence, que représente si bien Sa Majesté, sont les
symboles les plus appréciés de l‟Espagne en Ibéro-Amérique.»46
L‟Espagne agit également comme un pôle d‟analyse et de réflexion sur
l‟Amérique latine. Suivant le concept américain des think-tanks, l‟Espagne possède de
nombreuses fondations très actives qui proposent leurs analyses, dossiers, livres et
convoquent des colloques, séminaires et interventions. Chacune a sa spécificité et sa
mouvance politique, mais nombreuses sont celles à s‟intéresser aux relations
internationales et donc à l‟Amérique latine comme la FRIDE (Fundación para las
Relaciones Internacionales y el Diálogo Exterior), le GEES (Grupo de Estudios
Estratégicos) ou le CIDOB (Centro de Investigación de Relaciones Internacionales y
Desarollo). L‟une des plus importantes est le Real Instituto Elcano : par sa proximité de
la ligne gouvernementale, ses analyses permettent de mettre en avant le point de vue
espagnol dans chacun des événements étudiés. Pourtant il est paradoxal de constater que
45
C. De Carlos et L. Ayllón, « L‟ambassadeur espagnol à l‟ONU entamera la médiation entre l‟Argentine et
l‟Uruguay », ABC, 12/11/2006. 46
Editorial, « El ejemplo del Rey en Iberoamérica », ABC, 07/11/2006, p.4
Page 31
le pays où se concentre la plus grande capacité d‟analyse universitaire d‟Europe sur
l‟Amérique latine soit l‟Angleterre avec le Latin American Centre de l‟Université
d‟Oxford comme fer de lance.
Les relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine ont particulièrement évolué
depuis les années 70 jusqu‟à nos jours. Auparavant, les pays latino-américains
considéraient leur sœur espagnole comme l‟une des leurs : l‟Espagne sortait d‟une longue
dictature et rencontrait des difficultés économiques, comme bon nombre d‟entre eux.
Mais avec l‟entrée de l‟Espagne dans la Communauté européenne, la nature des rapports
entre les deux continents a changé. L‟Espagne s‟est développée beaucoup plus vite que
les pays latino-américains et la distance a commencé à s‟installer : l‟Espagne a perdu son
rôle de sœur pour reprendre celui de mère, qui donne des conseils, mène la danse et fait
parfois preuve d‟ingérence. Ainsi, les relations hispano-latino-américaines peuvent
relever, selon les opinions, de la filiation ou de la supériorité, mais il est évident que
l‟Espagne s‟évertue à être présente sur le sous-continent américain, ce qui est plus ou
moins bien reçu par les pays latino-américains. La reprise des contacts diplomatiques et
la mise en place progressive d‟une relation intense auraient pu n‟apparaître que sous
l‟angle d‟une bienveillance espagnole à l‟égard de ses anciennes colonies, mais l‟entrée
en jeu brutale des entreprises espagnoles dans le courant des années 90 a changé la donne
et permis l‟émergence d‟un sentiment de reconquête parmi les pays latino-américains.
Page 32
Chapitre 2 - Une indéniable reconquête économique et
commerciale
La coïncidence temporelle des réformes structurelles survenues en Europe et en
Amérique latine a eu une conséquence presque immédiate : l‟accroissement des
investissements d‟entreprises européennes en Amérique du Sud. L‟afflux massif des
investissements espagnols au début des années 90 représente l‟un des phénomènes les
plus marquants et importants de l‟histoire économique contemporaine de l‟Amérique
latine, par son ampleur, sa rapidité et son impact sur les économies locales. Pour
l‟Espagne, cette période marque aussi un pas dans l‟histoire économique du pays avec
l‟ouverture vers l‟étranger et l‟internationalisation de ses entreprises. Dans les années 70,
l‟ouverture commerciale de l‟économie espagnole était réduite : elle représentait 10,5%
du Produit Intérieur Brut (PIB). Cependant ce pourcentage s‟est très vite accru au fil des
décennies : il est passé de 30% dans les années 80 à 60% dans les années 90 et il avoisine
désormais les 65%, ce qui fait de l‟Espagne l‟une des dix économies les plus ouvertes du
monde.47
Cette évolution a donné une impulsion de transformation en agissant comme un
catalyseur de la discipline macro-économique et financière, qui est indispensable pour le
développement des économies développées dans l‟actuel contexte international.
L‟ouverture commerciale a également contribué à accroître la libéralisation économique
nécessaire pour l‟amélioration de l‟efficacité et le dynamisme de l‟innovation. Ce
processus très rapide s‟est traduit par un déploiement des investissements directs à
l‟étranger (IDE) qui étaient quasiment inexistants auparavant : entre 1986 et 2000, le
pourcentage des IDE par rapport au PIB espagnol est passé de 0,2 à 9,6%.48
L‟Espagne a donc considérablement évolué depuis son processus démocratique et
elle s‟est servie de son développement économique pour accroître son influence en
Amérique latine par le biais des IDE et l‟augmentation des relations commerciales.
L‟Union Européenne a elle aussi suivi le même chemin que l‟Espagne et est devenue un
grand partenaire économique des pays latino-américains.
47
Ramón Casilda Béjar, Internacionalización e inversiones directas de las empresas españolas en América latina
2000-2004, Situación y perspectivas, CIDOB, Barcelone, février 2005, p.8. 48
José Luis Malo de Molina (Directeur Général de la Banque d‟Espagne), Los efectos de la entrada de España en la
Comunidad Europea, intervention lors de la rencontre économique luso-espagnole qui s‟est tenue à Lisbonne les 15
et 16 octobre 2001, p.2.
Page 33
Section 1 - Les investissements directs des grandes entreprises
espagnoles et européennes en Amérique latine
Dans les années 80, le retour à la démocratie en Espagne et dans la plupart des
pays latino-américains, ainsi que l‟ouverture économique espagnole ont constitué les
conditions nécessaires au boom des investissements des années 90. En Amérique latine,
l‟application des mesures dites du Consensus de Washington ont facilité et attiré les
investissements étrangers. La démocratisation et la stabilisation du climat politique en
Amérique latine ont aussi encouragé de tels mouvements financiers et permis cette
reconquête économique.
A. La « década perdida » (décennie perdue)
Les années 80 sont celles de la mise en place d‟un terrain favorable aux
investissements de la décennie suivante.
D‟une part, l‟Espagne est entrée dans la Commission Economique Européenne en
1986. Pour être admise en son sein, elle a dû accepter le démantèlement de son tissu
industriel et la coordination de sa politique agricole avec celle du reste des pays
membres. En échange, elle a commencé à recevoir les fonds structurels destinés à
financer la transition vers une structure économique basée sur l‟offre de biens de
consommation et de services. Tout cela a permis le déclenchement du processus
d‟internationalisation des entreprises espagnoles. De plus, ce processus a été encouragé
par le gouvernement en établissant un cadre légal de libéralisation qui a consisté en la
réduction des conditions requises pour les flux de capitaux sortants et la mise à
disposition de fonds publics pour soutenir les investissements. Les résultats de cette
réforme du régime des investissements extérieurs de 1986 ne se sont pas fait attendre : les
investissements directs à l‟étranger (IDE) espagnols sont passés de 2 milliards de dollars
en 1988 à 6.5 milliards en 1992. A l‟époque cependant, seuls 12% d‟entre eux étaient
dirigés vers l‟Amérique latine.
Page 34
D‟autre part, deux éléments importants surviennent en Amérique latine. D‟abord,
les pays latino-américains se démocratisent. Ensuite, l‟Amérique latine est secouée par la
crise de la dette externe latino-américaine. En effet, en 1982, la hausse massive des taux
d‟intérêt américains provoque l‟incapacité du Mexique à poursuivre le remboursement de
sa dette souveraine contractée majoritairement sur l‟économie américaine. Le Mexique
déclare un moratoire du paiement de service de la dette et cette crise se propage sur tout
le continent. Cette situation d‟instabilité économique se prolongera durant toute la
décennie. Afin d‟éviter qu‟un tel événement ne se reproduise, les pays développés
proposent aux pays latino-américains de changer de modèle de développement et
d‟appliquer un certain nombre de réformes, réunies dans le Consensus de Washington de
1989, pour qu‟ils soient mieux insérés dans le commerce international. Ces mesures
visent à favoriser le développement des échanges et du commerce et à promouvoir une
politique d‟ouverture pour les IDE et de privatisation des entreprises dans des marchés
caractérisés jusqu‟alors par une forte protection douanière, des tarifs élevés et des
systèmes contingentaires. La mise en œuvre de ces mesures se fera progressivement dès
la fin des années 80 et sera capitale pour les entreprises espagnoles qui profiteront de
cette aubaine pour investir dans le sous-continent américain.
B. L’étape expansive des investissements ou la « década
dorada » (décennie dorée)
Dès 1993, le climat international est favorable aux investissements à plusieurs
titres. La période de récession économique qui touche l‟Europe depuis 1991 prend fin et
l‟on voit la création du Marché Unique Européen. En Amérique latine, l‟atmosphère
politique est stable et de nouveaux accords d‟intégration sont signés : le Mercosur et le
Système d‟intégration centre-américain (SICA)49
en 1991, l‟ALENA en 1992, l‟APEC50
et la Communauté andine des nations (CAN)51
en 1996. Enfin, l‟application des mesures
du Consensus de Washington introduit de profonds changements structurels et les
conséquences de cette politique d‟ouverture et de libéralisation sont rapidement visibles.
Les années 90 sont celles de la croissance sans précédents des investissements directs à
49
Le SICA remplace alors le Marché commun centre-américain (MCCA). 50
La création de l‟APEC (Coopération Economique Asie-Pacifique) date de 1989. En 1993, le Mexique devient le
premier pays latino-américain membre de l‟APEC, et le Chili deviendra le second en 1994. 51
La CAN remplace alors le Pacte andin.
Page 35
l‟étranger en Amérique latine. « L‟IDE net est passé de 4,25 milliards de dollars dans la
période 1988-1989 à 15,77 milliards en 1990-1994, jusqu‟à atteindre 60,9 milliards entre
1995-1999, et même 78 milliards en l‟an 2000. »52
Les entreprises espagnoles vont se
tourner de plus en plus vers l‟Amérique latine afin de profiter des nouvelles opportunités
offertes par les réformes. L‟Amérique latine est la destination rêvée pour l‟implantation
de l‟Espagne : non seulement cette région représente un marché potentiel de près de 500
millions d‟habitants, mais en plus l‟utilisation de la même langue constitue un énorme
avantage compétitif en permettant un transfert rapide et efficace de connaissances,
technologies et des techniques employées dans les entreprises.
C‟est donc en 1993, un an après la célébration du 500ème anniversaire de la
Découverte de l‟Amérique et du deuxième Sommet Ibéro-américain à Madrid, que
commence la phase d‟expansion des IDE. L‟Amérique latine est une aubaine pour les
entreprises espagnoles qui sont de petite taille et cherchent à sortir d‟un marché européen
déjà saturé. De plus, la politique de rapprochement entre les gouvernements espagnol et
latino-américains profite aux entreprises. Par exemple, les seize Traités d‟Amitié et de
Coopération signés entre l‟Espagne et des pays d‟Amérique latine de 1988 à 1995
incluent pour la première fois des protocoles financiers pour promouvoir le commerce et
les investissements. D‟après l‟analyste Christian Freres, « on peut dire, sans aucun doute,
que ces accords ont ouvert la voie à la grande vague d‟investissements espagnols qui se
sont produits dans les années 90. »53
Les entreprises espagnoles ont donc profité des
bienfaits de la diplomatie espagnole depuis le retour à la démocratie, non seulement par
le biais des accords, mais aussi en se servant de l‟image positive véhiculée par l‟Espagne
pendant toutes ces années.
Toutefois, il est important de noter que l‟un des premiers investissements en
Amérique latine fut celui d‟une entreprise publique : Telefónica. En effet, Telefónica
investit au Chili et en Argentine en 1991, puis au Pérou en 1994. Mais c‟est à partir de
1996 que les investissements prennent une ampleur inattendue, grâce à une atmosphère
favorable de l‟économie internationale stimulée par la croissance de l‟économie
52
Ramón Casilda Béjar, América Latina: Del Consenso de Washington a la Agenda del Desarrollo de Barcelona,
Real Instituto Elcano, Documento de Trabajo (DT) 10/2005, Février 2005, p.32 53
Christian Freres, La política española hacia América Latina. El papel de la cooperación al desarrollo,
intervention lors de la Conférence REAL (Relations Europe-Amérique latine) 2006 à Bratislava, Slovaquie,
29/06/2005, p.3.
Page 36
américaine et le processus de fusions et acquisitions internationales. Un nombre réduit
d‟entreprises récemment privatisées (Endesa54
, Repsol55
), sur le point de l‟être (Iberia,
Telefónica) et de groupes bancaires privés (Santander, Bilbao Vizcaya e Hispano
Americano) misent alors ouvertement sur une stratégie d‟investissements directs dans la
région et profitent des privatisations et de la libéralisation des marchés locaux. D‟autres
entreprises ne tardent pas à les suivre comme Iberdrola, Unión Fenosa56
, Gas Natural et
Aguas de Barcelona. Les investissements de ces entreprises visent des secteurs
stratégiques : 32% dans les télécommunications, 24% dans les activités bancaires, 19%
dans le pétrole et ses dérivés et enfin 12% dans les secteurs de l‟énergie électrique, du
gaz et de l‟eau. Les IDE dans ces quatre secteurs représentent 87% des investissements
de la période 1993-2000.57
L‟orientation sectorielle de ces investissements montre que les
entreprises espagnoles cherchaient des placements stratégiques, capables de déboucher
sur une position monopolistique et leur permettant de se forger une réputation
internationale.
Les IDE espagnols vers l‟Amérique latine ont augmenté de façon exponentielle
jusqu‟à atteindre 39,5 milliards d‟euros, le pic historique de 1999, année marquée par le
rachat de la société argentine Yacimientos Petrolíferos Argentinos (YPF) par Repsol.
Cette opération représente le plus gros investissement de toutes les entreprises espagnoles
avec 15.2 milliards de dollars.
Sur l‟ensemble de la période 1990-2000, les investissements espagnols en
Amérique latine ont atteint un chiffre proche des 100 milliards de dollars. En quelques
années, l‟Espagne est donc devenue l‟un des plus grands pays investisseurs de la région,
derrière les Etats-Unis : les flux annuels bruts se sont élevés à 15 milliards d‟euros en
moyenne, alors qu‟ils ne dépassaient pas les 290 millions d‟euros dans la période
précédente 1986-1992.
L‟Amérique latine a été la principale destination des IDE espagnols entre 1990 et
2000 puisqu‟elle a capté 60% du total des flux, avant les pays européens (26%).
54
Entreprise productrice d‟énergie. 55
Entreprise pétrolière. 56
Deux entreprises productrices d‟énergie. 57
Alfredo Arahuetes García et Aurora García Domonte, ¿Qué ha sucedido con la Inversión Extranjera Directa
(IED) de las empresas españolas en América Latina tras el boom de los años noventa y la incertidumbre de los
primeros años 2000?, Real Instituto Elcano, DT Nº 35/2007, 20/07/2007, p.11.
Page 37
Toutefois, les investissements espagnols ne se sont pas répartis de manière égale : deux
pays, le Brésil (37,8%) et l‟Argentine (32,3%), ont capté 70,1% des flux, suivi du Chili
(8,7%) et du Mexique (8,2%).58
Ainsi l‟Amérique latine a-t-elle grandement bénéficié des
IDE qu‟ils soient espagnols ou d‟autres nationalités.
Grâce aux IDE, le rôle de l‟Espagne dans le contexte économique mondial a
considérablement augmenté : les IDE espagnols représentaient 1,15% des IDE mondiaux
en 1995, puis 4,67% en 1999 (ce qui a permis à l‟Espagne d‟être le sixième investisseur
à l‟échelle mondiale59
) et enfin, 5,67% en 2000 (soit 59,3 milliards d‟euros, cinq fois le
pourcentage de 1995).60
Toutefois il semblerait que la diplomatie espagnole ait joué un rôle actif dans
l‟accroissement de ces investissements à partir de 1996, ce qui alimente l‟idée d‟une
reconquête menée par l‟Etat espagnol et pas seulement par ses entreprises. En effet, le
gouvernement d‟Aznar aurait contribué à défendre les entreprises espagnoles, notamment
par le biais des Sommets Ibéro-américains dans lesquels il réclamait toujours plus de
privatisation, de discipline financière et d‟ouverture des marchés. De nombreuses
irrégularités auraient également été constatées dans l‟évaluation des biens rachetés par
des compagnies espagnoles (notamment l‟acquisition des gisements de l‟entreprise YPF
par Repsol en Argentine). Nombreux61
sont ceux qui dénoncent le rôle de JM. Aznar et
son puissant réseau d‟influence composé des directeurs des grandes entreprises
espagnoles.
C. La fluctuation des années 2000
Les IDE espagnols ont considérablement baissé au début des années 2000 à cause
d‟une récession de l‟économie mondiale et de la gravité de la crise argentine. Le total des
58
Ibid., p.10. 59
UNCTAD (United Nations Conference on Trade and Development - Conférence des Nations Unies sur le
commerce et le développement), Informe sobre el Comercio y Desarrollo, Genève, 2001. » 60
Ramón Casilda Béjar, Internacionalización e inversiones directas de las empresas españolas en América latina
2000-2004, Situación y perspectivas, CIDOB, Barcelone, février 2005, p.17. 61
Luis Hernández Navarro, « La reconquista », La Jornada, Mexico, 18/11/2003.
Busto Mauleon, et Luis Miguel, Le nouveau colonialisme espagnol, RISAL (Réseau d'information et de solidarité
avec l'Amérique latine), 16/11/2005.
Juan Torres López, « Multinacionales "Made in Spain" auténticas "Aves de Rapiña" para América Latina y España
», El Correo de la diaspora argentine, Revista Temas nº 133, décembre 2005.
Denise Mendez, La stratégie de l’Union Européenne en Amérique latine, RISAL, 03/05/2006.
Page 38
IDE reçus par l‟Amérique latine était en l‟an 2000 de 78 milliards de dollars et ce chiffre
est retombé en 2003 à 36 milliards pour remonter progressivement à 40 milliards en
2004, puis à 72,4 milliards en 2006.62
Toutefois, il faut relativiser la gravité de cette
baisse car elle a été généralisée et le comportement des investissements directs
internationaux en Amérique latine est resté relativement comparable aux investissements
des pays asiatiques, à l‟exception de la Chine. Dès le début de l‟année 2004, les
investissements ont pu reprendre grâce à la croissance des économies américaine et
chinoise et les pays de la région ont pu récupérer, de manière significative, leur pouvoir
d‟attraction des investissements directs. En effet, d‟après les chiffres de la Commission
économique pour l‟Amérique latine (CEPAL) et de la Conférence des Nations Unies sur
le commerce et le développement (UNCTAD) de 2006, les pays latino-américains
devraient figurer dans les prochaines années parmi les premières destinations des
investissements directs internationaux, juste après la Chine et Singapour.
Cependant, il est vrai que les IDE vers l‟Amérique latine ont baissé alors que les
investissements espagnols se sont accrus par rapport à la décennie précédente. En effet, la
moyenne annuelle des investissements espagnols sur la période 2001-2006 a doublé celle
de la phase d‟expansion de 1993-2000. Lors de cette phase, la moyenne annuelle des
investissements directs nets (moins celle des holdings) était de 13,1 milliards d‟euros,
alors qu‟en 2001-2006 elle s‟élevait à 26,8 milliards d‟euros.63
Finalement, malgré la
décélération qui a culminé en 2003, les flux d‟investissements directs se sont situés à des
niveaux bien supérieurs à ceux des années 90 avant les pics de 1999 et 2000 : cela
témoigne de l‟importance essentielle de la dynamique des IDE pour les entreprises
espagnoles. Pourtant, la quantité d‟investissements reçus par l‟Amérique latine a
sensiblement baissé : alors qu‟entre 1993 et 2000, les investissements bruts moyens
annuels s‟élevaient à 9,6 milliards d‟euros, ceux-ci sont retombés à 8 milliards dans la
période 2001-2006.64
Ainsi a-t-on pu constater un changement significatif dans
l‟orientation géographique des flux. Pendant les années 90, 60% des IDE espagnols se
dirigeaient vers l‟Amérique latine et 26% vers les pays de l‟UE. Or, dans la période
62
Ramón Casilda Béjar, América Latina: Del Consenso de Washington a la Agenda del Desarrollo de Barcelona,
Real Instituto Elcano, Documento de Trabajo (DT) 10/2005, février 2005, p.32. 63
Alfredo Arahuetes García et Aurora García Domonte, ¿Qué ha sucedido con la Inversión Extranjera Directa
(IED) de las empresas españolas en América Latina tras el boom de los años noventa y la incertidumbre de los
primeros años 2000?, Real Instituto Elcano, DT Nº 35/2007, 20/07/2007, p.4. 64
Ibid., p.22.
Page 39
2001-2006, 72% des flux se sont tournés vers l‟UE, et seulement 15,9% vers l‟Amérique
latine.65
L‟augmentation globale des IDE espagnols a donc légèrement compensé la
baisse des investissements vers l‟Amérique latine, ce qui a permis à l‟Espagne de rester
l‟un des principaux pays à investir dans la région, derrière les Etats-Unis.
Cette période a été marquée par une évolution touchant plus particulièrement la
nature des investissements. Depuis les années 2000, les entreprises espagnoles ont mis en
place une stratégie de diversification sectorielle : dans la précédente décennie, 87% des
flux étaient regroupés dans quatre secteurs (les télécommunications, le secteur bancaire,
le pétrole et ses dérivés et enfin l‟énergie électrique, le gaz et l‟eau), or ces secteurs ne
représentent désormais que 51,2% des flux.66
En revanche, le secteur des produits
manufacturés est en plein essor (de 5 à 30%).
De plus, les entreprises espagnoles ont opté pour un renforcement patrimonial de
leurs filiales pour faire face à la récession des années 2000. Elles ont donc cherché à se
restructurer et à quitter certains pays pour se redéployer dans d‟autres. BBVA a par
exemple décidé de désinvestir au Brésil et de miser sur le Mexique. De 2001 à 2004,
l‟entreprise a mené une opération de fusion avec Bancomer. Grâce à cette opération,
BBVA Bancomer est la première banque privée d‟Amérique latine. Santander s‟est
restructurée de 1998 à 2001. D‟une part, elle a fusionné les quinze banques qu‟elle
possédait pour n‟en garder que neuf. D‟autre part, elle s‟est repositionnée dans des pays
plus stables ayant un fort potentiel de croissance comme le Brésil, le Chili et le Mexique.
Telefónica, en revanche, a adopté une autre stratégie : posséder 100% de toutes ses
filiales. Cette opération a généré un coût de 20 mille milliards de dollars. De plus,
l‟entreprise de télécommunication a pris le parti de diversifier ses services dans la région
en insistant davantage sur l‟offre téléphonie mobile et Internet.
Mais la stratégie des entreprises espagnoles reste particulièrement agressive,
puisqu‟elle vise précisément certains secteurs stratégiques, certains pays et cela avec des
sommes considérables. En 2003, par exemple, l‟investissement accumulé par les banques
65
Ibid., p.7. 66
Ibid., p.25.
Page 40
et les entreprises espagnoles en Amérique latine a atteint 87,7 milliards d‟euros. Et
presque 95% (83,2 milliards) de ces investissements ont été réalisés seulement par six
sociétés (Telefónica, Repsol YPF, Santander, BBVA, Endesa et Iberdrola). De plus ces
investissements se sont dirigés à 73% (soit 64,3 milliards d‟euros) vers les quatre pays
suivants : l‟Argentine, le Brésil, le Chili et le Mexique.67
Par conséquent, ces entreprises
espagnoles ont réussi à obtenir une position quasi monopolistique dans leurs secteurs
respectifs. Telefónica possède 90% des parts du marché de la téléphonie fixe et 60% des
parts du marché de la téléphonie mobile. Endesa et Iberdrola possèdent chacune 40% du
marché de la distribution électrique. Repsol contrôle 100% du marché de la distribution
du gaz.68
Les entreprises étrangères ont pris le contrôle de 60% du secteur bancaire dans
toute l‟Amérique latine. Selon les pays, ce chiffre est encore plus impressionnant,
notamment au Mexique où 90% des banques sont contrôlées par des entreprises
étrangères.69
D. Les investissements européens en Amérique latine
Pendant la dernière décennie du vingtième siècle, les flux d‟investissements
européens vers l‟Amérique latine et les Caraïbes ont enregistré une progression
remarquable, d‟autant plus que l‟Amérique latine est la deuxième destination des
investissements de l‟UE au sein du groupe des pays émergents. L‟IDE en provenance
d‟Europe, dont la moyenne annuelle était estimée à 2,4 milliards d‟euros au cours de la
période 1990-1994, est passé progressivement de 6,1 milliards d‟euros en 199670
, jusqu‟à
atteindre un pic en 1999 avec 88 milliards de dollars.71
Cette évolution fait donc de
l‟Union Européenne la première source d‟investissements étrangers en Amérique latine et
dans les Caraïbes, suivie des Etats-Unis.
67
Ramón Casilda Béjar, Internacionalización e inversiones directas de las empresas españolas en América latina
2000-2004, Situación y perspectivas, CIDOB, Barcelone, février 2005, p.63. 68
Ángeles Sánchez Díez, « La internacionalización de la economía española hacia América Latina »,
Boletín económico de ICE (Información Comercial Española), N° 2714, du 24 décembre 2001 au 6
janvier 2002, p.21. 69
Gustavo Buster, « La Unión Europea y América Latina: inversiones, estrategias empresariales y partenariado
transatlántico », intervention lors du Séminaire International “Amérique latine et Caraïbes : Sortir de l‟impasse de la
dette et de l‟ajustement ” à Bruxelles, mai 2003, p.8. 70
Jean-Michel Dasque, Union Européenne-Amérique-Latine, geopolis.net, p.11. 71
Gustavo Buster, « La Unión Europea y América Latina: inversiones, estrategias empresariales y partenariado
transatlántico », intervention lors du Séminaire International “Amérique latine et Caraïbes : Sortir de l‟impasse de la
dette et de l‟ajustement ” à Bruxelles, mai 2003, p.2.
Page 41
Toutefois, les investissements espagnols représentent la moitié des investissements
européens en Amérique latine et ce sont donc eux qui les tirent vers le haut. 72
Toutefois, les investissements européens sont bien plus diversifiés que les
investissements espagnols. Ils se concentrent principalement sur trois pays : le Brésil,
72
BID (Banque Interaméricaine de Développement), Integración y comercio en América, Note périodique de mai
2004, p.32.
Page 42
l‟Argentine et le Mexique réunissent 61% des investissements européens de la région.
Mais cela est encore plus visible si l‟on regarde la répartition sectorielle des
investissements. Contrairement aux entreprises espagnoles qui sont centrées surtout sur
les services, le capital des autres pays européens a une plus grande composante
industrielle (Michelin, Renault, Volkswagen, Philips, FIAT, Daimler) et d‟extraction
(Shell, BP, Phillips Petroleum). Ainsi, les secteurs sur lesquels portent les
investissements de l‟UE sont le secteur automobile (26%), l‟alimentation et le tabac
(19%), le commerce (11%), l‟électronique (10%) et le pétrole (9%).73
Certaines entreprises européennes du secteur automobile et électronique se servent
également de l‟Amérique latine, et surtout du Mexique, comme d‟une plate-forme
exportatrice vers le marché interne américain (Daimler-Chrysler, Michelin, Siemens, ou
Nokia). A ce titre, la récession qui a touché les Etats-Unis à partir de 2001 a eu des effets
désastreux sur ces maquiladoras et les firmes ont renvoyé 27% de leurs employés dans le
secteur électronique et 6,7% dans le secteur automobile.
En plus de la récession américaine, la crise argentine de 2001 a eu un effet très
négatif sur les investissements européens. Pendant la période 2000-2003, ces derniers ont
considérablement chuté : 46 milliards d‟euros en 2000, 29 milliards en 2001, 11 milliards
en 2002 et 5 milliards en 2003. En 2004, les flux d‟IDE sont à nouveau remontés pour
atteindre 13 milliards d‟euros. Il est nécessaire d‟ajouter que ce phénomène a également
été amplifié par la baisse significative des investissements espagnols. Enfin, il faut
replacer cette baisse dans un contexte de récession mondiale : l‟ensemble des IDE
européens à l‟étranger (hors Amérique latine) a chuté de 437 milliards d‟euros en 2000 à
115 milliards en 2003.74
Malgré cela, les multinationales européennes sont encore très présentes en
Amérique latine. Il est d‟ailleurs étonnant de constater qu‟elles sont plus nombreuses que
les firmes nord-américaines. En effet, parmi le classement des cinquante plus grandes
73
Gustavo Buster, op.cit., p.2. 74
European Union foreign direct investment yearbook 2006, Union Européenne/Eurostat, Luxembourg, 2006,
pp.58-63.
Page 43
entreprises transnationales (ET)75
opérant dans le sous-continent, plus de la moitié d‟entre
elles sont européennes (29). Et parmi les cinq plus grandes, trois sont européennes
(Telefónica, Volkswagen et Daimler-Chrysler, derrière Wal-Mart et General Motors).76
Quant aux firmes espagnoles, celles-ci ne représentaient en 2005 que 14% des 50 plus
grandes entreprises transnationales d‟Amérique latine : ce chiffre est considérable, mais
laisse tout de même la place aux entreprises de nationalité différente.77
En complément des IDE des pays membres de l‟UE, la Banque européenne
d‟investissement (BEI) a également joué un rôle en accordant des prêts pour réaliser des
projets et des investissements en Amérique latine. La BEI a été autorisée en 1993 à
intervenir dans la région. Entre 1993 et janvier 2005, elle a accordé 81 prêts dans vingt
pays d‟Amérique latine et d‟Asie pour un total de 3,5 milliards d‟euros, parmi lesquels
64% (soit 2,24 milliards) sont allés à des projets réalisés dans le sous-continent américain
(principalement au Brésil, en Argentine et au Mexique).78
Dans le nouveau mandat (ALA
IV) qui couvre la période 2007-2013, la BEI est autorisée à accorder des prêts de 3,8
milliards d'euros à la zone Amérique latine – Asie qui devraient se répartir de la façon
suivante : 2,8 milliards d'euros pour les pays d'Amérique latine et 1 milliard pour les pays
d'Asie.79
Ces sommes conséquentes et leur supériorité par rapport à celles accordées aux
pays asiatiques montrent l‟importance de la région pour l‟Europe et sa volonté d‟y jouer
un certain rôle.
E. Perspectives
La question des investissements directs à l‟étranger est polémique en Amérique
latine. Ces flux ont été si massifs et brusques que certains pays ont eu le sentiment d‟être
pris d‟assaut en voyant les investissements étrangers modifier la structure patrimoniale de
certains secteurs et altérer définitivement la forme, la qualité et le prix de ces activités.
Cela justifie la réticence d‟une part de la population comme de certains dirigeants
75
Fait à partir des ventes consolidées de l‟année 2005 76
CEPAL, La inversión extranjera en América latina y el Caribe, Santiago du Chili, 2006, p.67. 77
CEPAL, La inversión extranjera en América latina y el Caribe, Santiago du Chili, 2005, p.41. 78
Banque européenne d‟investissement (BEI), « Les financements de la Banque européenne d‟investissement en
Amérique latine et en Asie », 23/03/2005, p.8. 79
Site internet de la BEI : http://www.bei.org/projects/regions/ala/index.htm
Page 44
politiques. Afin d‟illustrer ce point, le Latinobarómetro80
est un outil indispensable : il
s‟agit d‟une étude d‟opinion publique qui organise annuellement près de 19.000
entretiens dans dix-huit pays d‟Amérique latine. Le Latinobarómetro a justement étudié
l‟évolution de la perception des privatisations en Amérique latine depuis 1998 en posant
à intervalles réguliers la question suivante : « Etes-vous d‟accord avec l‟affirmation : „les
privatisations des entreprises nationales ont été bénéfiques pour le pays‟ ». En 1998, 46%
des habitants du sous-continent avaient répondu positivement à cette interrogation. Mais
à partir de l‟an 2000, ce pourcentage a constamment chuté : 36% en 2000, 29% en 2001
et 2002 et seulement 21% en 2003, soit un écart de 25 points en cinq ans. Depuis 2005,
en revanche, le pourcentage est remonté à 31%, puis à 35% en 2007, c‟est-à-dire à un
niveau encore inférieur à celui de 1998 (cf Annexe n°2). La mauvaise image des IDE
constitue un grand problème pour les entreprises espagnoles parce qu‟il est multiple.
D‟une part, les Latino-américains ont puni le départ des entreprises lors de la récession
des années 2000, surtout en Argentine (cf Annexe n°2). D‟autre part, ils sanctionnent le
manque de qualité des services qui ont été assurés par ces nouvelles entreprises privées.
En effet, en 2004, le Latinobarómetro révèle que « seuls 19% de la population s‟estiment
plus satisfaits qu‟avant des services qui ont été privatisés ». En République Dominicaine,
par exemple, le sondage Demos‟81 a montré que 83% des personnes interrogées
considèrent le service de distribution de l‟électricité comme mauvais, ou très mauvais.
Cette opinion très négative de l‟entreprise espagnole Uniñn Fenosa a eu des
répercussions au niveau diplomatique : à cause du mécontentement lié aux pannes de
courant et aux problèmes d‟approvisionnement en électricité, le président Hipólito Mejía
a accusé l‟entreprise de ne pas remplir ses engagements et a organisé son retrait de l‟île
en novembre 2003. Enfin, l‟opposition de l‟opinion publique latino-américaine aux
privatisations montre le rejet de cette « reconquista » présente dans les esprits.81
Mais la population n‟est pas la seule à s‟exprimer sur le sujet. En s‟emparant de
secteurs entiers, les IDE jouent un grand rôle dans les domaines politique et économique
que les différents gouvernements doivent prendre en compte. En effet, les grandes
80
Corporación Latinobarómetro est une ONG à but non lucratif dont le siège se trouve à Santiago de Chile.
Latinobarómetro enquête sur le développement de la démocratie, les économies, mais aussi les sociétés avec des
indicateurs d‟opinion, d‟attitudes, de comportements et de valeurs. Ses données sont utilisées par des acteurs sociaux
ou politiques, des organisations internationales, des gouvernements et les médias. 81
Ángel Alloza et Javier Noya, Capital disonante : la imagen de las inversiones españolas en América Latina, Real
Instituto Elcano, Documento de Trabajo (DT) Nº 6/2004, 05/02/2004.
Page 45
entreprises peuvent se servir des sommes considérables investies dans tel ou tel pays pour
exercer des pressions en leur faveur, pour réclamer par exemple plus de sécurité juridique
ou de libéralisation. Le président argentin, Nestor Kirchner, est l‟un des dirigeants latino-
américains à s‟être le plus insurgé contre le comportement des entreprises espagnoles
dans son pays, notamment après la crise qui a frappé le pays en 2001. Il a alors accusé
d‟extorsion la compagnie pétrolière Repsol YPF qui se refusait à investir en Argentine à
cause de la stagnation des prix de vente du pétrole, ce qui, selon lui, contribuait à
aggraver la crise énergétique.82
En 2007, il a ajouté que « certaines manœuvres utilisées
par les entrepreneurs espagnols sont incorrigibles » (comme utiliser les investissements
pour faire pression et obtenir une hausse des tarifs des services publics) et qu‟ils
constituent un « lobby permanent. » 83
Il est préoccupant que ces reproches interviennent désormais dans le cadre
diplomatique par le biais des Sommets Ibéro-américains : lors du dernier Sommet de
Santiago, les présidents de l‟Argentine, du Venezuela et du Nicaragua ont durement
critiqué les entreprises espagnoles en place dans leur pays. Hugo Chávez a accusé la
Confederación Española de Organizaciones Empresariales (CEOE), réunissant toutes les
grandes entreprises espagnoles, d‟avoir soutenu le coup d‟Etat intenté contre lui en 2002.
D‟autre part, Nestor Kirchner a dénoncé le rôle des entreprises espagnoles en Argentine :
« les entrepreneurs espagnols ne me laissaient aucun répit et je n‟ai pas eu d‟autre choix
que celui de me battre. »84
A l‟issue du Sommet, le président vénézuélien a d‟ailleurs
annoncé qu‟il comptait soumettre à une « profonde révision » les relations de son pays
avec l‟Espagne et surveiller les activités de toutes les entreprises espagnoles installées au
Venezuela.85
Ce n‟est pas la première fois qu‟un Sommet ibéro-américain est le théâtre de telles
accusations. Déjà lors du Sommet de Montevideo, Evo Morales, le président bolivien,
avaient accusé les firmes multinationales espagnoles de se comporter en « maîtres », en
s‟affranchissant du respect des lois. Il avait alors montré du doigt les compagnies
82
« Kirchner tilda de extorsión la falta de inversión de Repsol en Argentina », Cinco Días, 06/05/2004. 83
Alejandro Rebossio, « Kirchner tacha de "incorregibles" a algunos empresarios españoles », El País, 27/07/2007. 84
Jorge Marirrodriga, « Duras críticas de Chávez y Kirchner a las empresas españolas », El País,10/11/2007. 85
« Chávez: "Las empresas españolas van a empezar a rendir más cuentas y voy a meterles el ojo" », El País,
14/11/2007.
Page 46
pétrolières, responsables, selon lui, de la spoliation des terres en menaçant de les
expulser.86
A un niveau supérieur, des associations, mouvements sociaux et des ONG se sont
réunis en marge des Sommets Union Européenne-Amérique latine et les Caraïbes de
Guadalajara (2004) et de Vienne (2006) pour créer une rencontre alternative dénommée
Enlazando Alternativas. Le but de ce contre-sommet est principalement de dénoncer le
rôle des transnationales en Amérique latine et celui des « institutions de l‟UE qui
cautionnent ces entreprises et donnent une couverture juridique aux actions des
multinationales. » En 2006, « Enlazando Alternativas 2 » a créé un Tribunal Permanent
des Peuples (composé de juristes, économistes, écrivains, syndicalistes et de
représentants de la société civile d‟Amérique Latine) qui a accusé certaines des
principales entreprises transnationales européennes de violation des Droits de l‟Homme,
et dénoncé les impacts environnementaux et sociaux de leurs actions. Voici un extrait de
la Déclaration finale de la rencontre qui ne laisse nulle équivoque sur l‟image des
entreprises européennes : « La séance du Tribunal Permanent des Peuples sur les
politiques néolibérales et les multinationales européennes en Amérique Latine a fait
apparaître clairement la nature systémique de l‟attitude des multinationales, leur lobbying
quant à la création de lois qui les protègent et le rôle stimulant des organismes
internationaux comme l‟OMC, le FMI et la Banque Mondiale pour faciliter et garantir
leurs profits. […] Nous considérons donc qu‟il est d‟une importance primordiale de
promouvoir la création d‟un espace bi-régional de surveillance, de dénonciation et de
lutte contre les compagnies multinationales, afin de stopper leurs procédés arbitraires,
fruit de leur pouvoir globalisé. »87
Certaines entreprises ont été « mises en
accusation » comme Benetton (accaparement des terres du peuple Mapuche d‟Argentine),
Telefónica (violation du droit du travail au Pérou) ou encore les banques BBVA,
Rabobank et ABN AMRO accusées de violations du droit du travail et de responsabilité
dans la paupérisation du peuple argentin par leur participation au mécanisme de la dette
publique. Ce genre de réactions est gênant pour les multinationales qui se voient accusées
86
C. De Carlos et L.Ayllón, « Morales et Uribe critican el freno europeo a los inmigrantes », ABC, 05/11/2006,
p.37. 87
« Declaración Final del Encuentro "Enlazando Alternativas 2 », Pueblos, revista de información y de debate,
16/05/2006. http://www.revistapueblos.org/spip.php?article393
Page 47
publiquement. De plus, ce mouvement persiste et a déjà lancé son appel pour organiser la
prochaine réunion alternative à Lima lors du prochain Sommet UE-ALC.
Dans un tel contexte de défiance, les firmes étrangères sont arrivées à la phase la
plus compliquée de leur présence et de leur stratégie d‟expansion sur le continent. Dans
le cas des entreprises espagnoles, la majorité d‟entre elles ont fait le choix de rester sur
place malgré le contexte délicat des années 2000. Elles sont donc décidées à rester
implantées en Amérique latine sur le long terme. Toutefois, il est important qu‟elles
agissent afin d‟obtenir la pleine acceptation et l‟assimilation de la part des marchés, des
autorités, des clients et de l‟opinion publique en général. En effet, les latino-américains se
montrent méfiants face à la position monopolistique des entreprises espagnoles et surtout
ils n‟apprécient pas que les postes de direction de ces entreprises ne soient confiés qu‟à
des Espagnols expatriés et non pas à la population locale. Finalement, l‟on peut percevoir
en filigrane la déception des Latino-américains qui est liée à la conception qu‟ils se
faisaient de l‟Espagne en tant que « mère patrie ». Par conséquent, ils espéraient que les
investissements espagnols divergent de ceux des autres pays investisseurs et qu‟ils
permettent un réinvestissement des bénéfices et une meilleure répartition de la richesse.
Or, les IDE espagnols ont cherché, comme tous les autres, la maximalisation des profits
et ce sentiment d‟être exploité a fait resurgir les stigmates de la colonisation et le
sentiment d‟une reconquête.88
L‟Espagne semble avoir pris conscience de ses faux-pas et
les entreprises cherchent désormais à s‟engager de façon plus marquée dans les pays dans
lesquels elles se sont implantées. Par le biais de leurs fondations (que nous étudierons
plus loin), elles cherchent à montrer qu‟elles ne sont pas seulement des acteurs
économiques, mais aussi des entités et des entreprises intéressées et intégrées dans le
développement économique du pays et le bien-être des citoyens. Ainsi, les
investissements des entreprises espagnoles en Amérique latine ne cesseront pas dans les
prochaines années. Il devrait d‟ailleurs y avoir de nouveaux investissements comme l‟a
annoncé José Luis Rodríguez Zapatero lors d‟un discours tenu en septembre 2004 :
« dans le domaine des entreprises, les conditions sont favorables pour entreprendre une
88
Ángel Alloza et Javier Noya, Capital disonante : la imagen de las inversiones españolas en América Latina, Real
Instituto Elcano, Documento de Trabajo (DT) Nº 6/2004, 05/02/2004, p.13.
Page 48
deuxième vague d‟investissements, dont les acteurs principaux seront maintenant les
petites et moyennes entreprises. »
Dans une autre perspective, l‟Espagne souhaiterait devenir une plaque tournante
entre l‟Europe et l‟Amérique latine, c‟est-à-dire accueillir les sièges sociaux de
nombreuses multinationales. Ce mouvement est en pleine progression. Certaines grandes
compagnies européennes comme British Telecom ou Alstom ont déplacé leurs sièges
latino-américains de New-York et Paris (respectivement) à Madrid. Inversement, des
firmes ou entités latino-américaines, comme les entreprises mexicaines Cemex et Pemex
ou la Corporation Andine de Développement, ont transféré leurs sièges européens dans la
capitale espagnole. L‟Espagne espère donc que d‟autres entreprises et entités vont suivre
le même chemin et formaliser son rôle de pont entre les deux continents.
Après avoir étudié les investissements espagnols et européens en Amérique latine,
il est nécessaire de voir l‟évolution des relations commerciales entre les deux continents,
car celles-ci constituent le deuxième volet de la puissance coercitive exercée sur les pays
latino-américains.
Section 2 - Les relations commerciales entre l’Europe et
l’Amérique latine
Sur le plan du commerce international, l‟Union Européenne est le deuxième
partenaire de l‟Amérique latine et a progressivement consolidé ses relations économiques
et commerciales au point de doubler les chiffres de 1990. L‟Espagne profite elle-aussi
des nombreux accords commerciaux entre l‟UE et le sous-continent américain et
représente l‟un des plus grands partenaires commerciaux des pays latino-américains.
Page 49
A. Le commerce entre l’Espagne et l’Amérique latine
Le degré d‟ouverture de l‟économie espagnole a commencé son ascension dans les
années 70 avec le retour à la démocratie, puis dans les années 80 avec l‟entrée de
l‟Espagne dans la Communauté Européenne. Ces évolutions considérables ont ensuite
été consacrées dans les années 1990 et 2000 qui ont vu l‟Espagne prendre place parmi les
dix économies les plus ouvertes du monde. Parallèlement, les années 90 sont aussi celles
de la grande ouverture commerciale de l‟Amérique latine puisque son coefficient
d‟ouverture (somme des exportations et importations, divisée par deux fois le PIB) est
passé de 26% sur la période 1988-1990, à 51% sur la période 1998-2000.89
Les relations commerciales entre ces deux régions ont cependant connu des
évolutions entre les années 90 et les années 2000. En effet, comme pour les IDE, l‟on voit
progressivement une réorientation géographique des liens commerciaux vers l‟Union
Européenne. Le poids de l‟Amérique latine dans le total des exportations espagnoles est
passé de 6,3% en 1998 (le maximum jamais atteint), à 4,3% en 2004. Désormais, les trois
quarts des exportations espagnoles ont pour destination l‟UE et l‟Amérique latine a un
poids égal aux exportations vers l‟Amérique du Nord. Contrairement à ce que l‟on
pourrait croire, l‟Allemagne est le plus grand exportateur européen en Amérique latine et
l‟Espagne est plus généralement en deuxième ou en troisième position. Toutefois, le
poids des exportations de l‟Espagne en Amérique latine par rapport au total des
exportations de la période 1996-2003 (entre 4,4% et 6,4%) est supérieur à la moyenne
des exportations de l‟UE (entre 1,6% et 2,4%).90
Ainsi, même si l‟on note une baisse dans
les relations commerciales entre les deux zones, celle-ci reste limitée et il est nécessaire
de faire la distinction entre les IDE (beaucoup plus sensibles à la conjoncture) et les liens
commerciaux qui sont plus stables.91
Les importations ont également baissé : dans la période 1996-2004, les
importations espagnoles depuis l‟Amérique latine représentent seulement 3,6% du total
des importations car l‟Espagne importe désormais les deux tiers de ses besoins dans
89
Juan Abascal Heredero et Antonio Hernández García, « El comercio exterior entre España y América Latina:
Tendencias estructurales », Boletín económico de ICE (Información Comercial Española), N°82866 du 26 décembre
2005 au 15 janvier 2006, p.1. 90
Ibid., p.3. 91
Ibid., p.5 (Graphique n°2).
Page 50
l‟UE. Ce pourcentage relativement faible place l‟Amérique latine derrière l‟Amérique du
Nord et l‟Afrique.
L‟un des changements majeurs est le passage d‟un solde commercial, qui était
jusqu‟en 2002 positif, à un solde négatif. Cela ne s‟explique pas par une augmentation
réelle des importations mais plutôt par la crise économique (baisse de 0,5% du PIB de la
région) et les dévaluations dans les pays avec lesquels l‟Espagne entretenait des relations
intenses (comme l‟Argentine ou le Brésil).
De manière plus générale, le Mexique a gagné de plus en plus de poids et est
devenu en 2000 le principal partenaire commercial de l‟Espagne dans la région, suivi du
Brésil et de l‟Argentine. Cette évolution est due principalement à la crise argentine qui a
réduit la part du Mercosur dans les exportations espagnoles en Amérique latine (de 45% à
25% entre 1996 et 2004). Le Mexique et le Brésil sont d‟ailleurs amenés à prendre une
place de plus en plus importante dans les exportations espagnoles car le Ministère de
l‟Industrie, du Tourisme et du Commerce a décidé en 2004 d‟inclure ces deux pays dans
son Plan Intégral de Développement des Marchés. L‟objectif de ce plan est de réduire la
concentration des exportations espagnoles dans l‟UE et de mettre en avant neuf marchés
considérés comme ayant un fort potentiel de croissance.92
B. Le commerce entre l’Union Européenne et l’Amérique
latine
Les relations commerciales entre l‟Union Européenne et l‟Amérique latine sont
assez anciennes et n‟ont pas attendu l‟entrée de l‟Espagne dans la CEE pour se mettre en
œuvre. Dès les années 70, la Commission a pris unilatéralement des mesures pour
favoriser le développement de l‟Amérique latine en la rendant bénéficiaire du Système
des Préférences Généralisées (SPG) pour l‟exportation de leurs produits manufacturés et
semi manufacturés. Mais le SPG n‟est pas parvenu à rééquilibrer les relations
commerciales entre les deux régions : entre l970 et 1982, les exportations de l‟Amérique
latine vers la CEE sont passées de 26% à 17% de ses exportations totales et ses
importations en provenance de la CEE, de 24% à 14% du total. Afin de stimuler les
92
Ibid., p.13.
Page 51
rapports commerciaux, la CEE et l‟Amérique latine signèrent des accords dits de
deuxième génération (comprenant des clauses sur la coopération économique et
industrielle) avec le Brésil (1980), les pays andins (1983) et les Républiques d‟Amérique
Centrale (1985). En 1987, elle créa le mécanisme ECIP (European Community
Investment Partners) destiné à promouvoir les entreprises conjointes en Asie, dans la
Méditerranée et en Amérique latine. Malgré cela, le déséquilibre commercial en 1990
était impressionnant : la Communauté européenne représentait en moyenne 22% du
commerce extérieur de l‟Amérique latine, alors que cette région ne représentait que 2%
du commerce extérieur de la Communauté européenne. Dès le début des années 90,
l‟Espagne a indéniablement rendu la coopération commerciale plus vigoureuse. Dès le
début des années 90, l‟UE a signé de nouveaux accords (comprenant des clauses sur la
coopération économique et les questions commerciales) avec la plupart des pays
d‟Amérique latine : l‟Argentine (1990), le Chili (1990), le Mexique (1991), le Brésil
(1992), le Paraguay (1992), l‟Uruguay (1992), le Mercosur (1992), les Républiques
d‟Amérique centrale (1993) et la Communauté andine (1993). Ces accords ont ensuite été
suivis par des accords de Coopération avec le Mercosur (décembre 1995) et le Chili (juin
1996), avant de laisser la place aux premiers Accords de Libre Echange avec le
Mexique en 1997 puis le Chili en 2002. Ces accords sont des moyens pour les pays
latino-américains de se garantir un accès aux marchés européens malgré l‟élargissement
de l‟UE et la nouvelle concurrence induite par les nouveaux entrants. En effet, l‟UE est
un partenaire important pour l‟Amérique latine, puisqu‟elle représente la seconde
puissance économique du monde et la première puissance commerciale avec ses 493
millions d‟habitants et son PIB de 10 957 milliards d‟euros. 93
Grâce à tous ces accords, l‟Union Européenne est devenue le deuxième partenaire
commercial de l‟Amérique latine et le premier partenaire du Mercosur et du Chili. Entre
1990 et 2005, les liens commerciaux ont plus que doublé (même si depuis 1999, le
commerce entre l‟UE et l‟Amérique latine et les Caraïbes s‟est peu à peu réduit à cause
d‟une conjoncture mondiale défavorable et de la décélération économique). Pendant cette
période, les exportations européennes vers l‟Amérique latine ont progressé de 17,1
milliards d‟euros à 62,2 milliards, alors que les importations du Vieux Continent
passaient de 26,7 milliards à 70,9 milliards. En 2005, l‟Amérique latine et les Caraïbes
93
Portail de l‟Union Européenne : http://europa.eu/abc/keyfigures/index_fr.htm
Page 52
(ALC) représentaient 5,6% du commerce extérieur de l'UE.94
Mais ce pourcentage s‟est
réduit par rapport à la période 1994-1999, où la part de l‟ALC dans le commerce de l‟UE
des 25 dépassait les 6% jusqu‟à atteindre 6,4% en 1998.95
De déficitaires, les échanges de l‟Europe avec ses partenaires latino-américains
sont devenus excédentaires. En effet, entre 1999 et 2005, les exportations de biens de
l‟UE2596
vers l‟ALC se sont accrues plus lentement que les importations : les
exportations ont augmenté de 49,2 milliards d‟euros à 58,2 milliards et les importations
de 40,7 milliards à 67,4 milliards. La balance commerciale de l‟UE25 avec les pays de
l'ALC est ainsi passée d‟un excédent de 8,5 milliards en 1999 à un déficit de 9,1 milliards
en 2005.
Parmi les États membres de l‟UE25, l‟Espagne n‟est pas le plus grand partenaire
commercial de l‟Amérique latine. L‟Allemagne a été de loin le premier exportateur vers
les pays de l‟ALC en 2005, avec 16,8 milliards d‟euros, soit 29% du total, suivie de
l‟Italie (8 milliards, soit 14%), l‟Espagne (7,5 milliards, soit 13%) et la France (7,1
milliards, soit 12%). Les importations des pays de l‟ALC ont été moins concentrées. Les
Pays-Bas (11,8 milliards, soit 17%) ont été le premier importateur, suivis de l'Allemagne
(10,4 milliards, soit 15%) et l‟Espagne (10,2 milliards, soit 15%).
Enfin, en 2005, les principaux partenaires commerciaux de l‟UE étaient, dans
l‟ordre, le Brésil, le Mexique (qui représentaient à eux deux 60% du commerce total de
l‟UE avec l‟Amérique latine), l‟Argentine, le Chili et la Colombie (soit 80% du
commerce total).97
Le commerce entre l‟Amérique latine et l‟Union Européenne est pleinement
satisfaisant. Alors que l‟Espagne avait un grand rôle dans les investissements européens
vers l‟Amérique latine, elle ne représente qu‟une part banale du commerce extérieur avec
le sous-continent américain. Toutefois, l‟Espagne a évidemment été d‟une aide précieuse
pour parvenir à la signature des multiples accords commerciaux entre les deux continents.
94
Site de l‟UE : http://ec.europa.eu/trade/issues/bilateral/regions/lac/index_en.htm 95
BID (Banque Interaméricaine de Développement), Integración y comercio en América, Note périodique de mai
2004, p.70. 96
Le sigle UE25 (ou Union Européenne des vingt-cinq) correspond à l‟ensemble des pays qui appartenaient à
l‟Union européenne entre 2004 et 2007. 97
Eurostat, « Un déficit commercial de 9 milliards d’euros de l’UE25 avec les pays de l’ALC en 2005 »,
Communiqué de presse n°56/2006, 11/05/2006.
Page 53
La reprise d‟influence de l‟Espagne en Amérique latine est une évidence. Par la
mise en place des Sommets Ibéro-américains, l‟Espagne a réussi à créer une relation
unique avec l‟Amérique latine dont elle s‟est servie pour signer des accords et
partenariats touchant des domaines multiples. Grâce à cela, l‟Espagne s‟est accordée une
place de choix en se présentant comme un médiateur au sein des pays latino-américains
et comme le pont entre les continents européen et américain. L‟Union Européenne a
appuyé les choix de l‟Espagne et les a souvent reproduits. Dans le domaine économique,
l‟UE a parfaitement emboité le pas de l‟Espagne et elle participe à ses côtés à la
reconquête comme le montrent les flux d‟investissements des entreprises européennes en
Amérique latine et l‟importance des échanges commerciaux. Sur le plan diplomatique, en
revanche, l‟Union Européenne reste plus en retrait en privilégiant les relations bi
régionales : l‟Espagne le regrette et craint que son influence ne soit remplacée par
d‟autres acteurs externes.
L‟Espagne doit donc miser sur l‟identité ibéro-américaine commune pour
préserver sa relation particulière avec l‟Amérique latine. Afin de rester la mère patrie
dans l‟esprit des Latino-américains, elle a cherché à atténuer son image de conquistador
économique. Pour cela, elle a opéré un savant mélange de puissance douce et coercitive
dans sa relation outre Atlantique. D‟une part, elle transmet des valeurs démocratiques,
pacifistes et promeut la coopération et l‟aide au développement. De l‟autre, elle multiplie
les traités avec l‟Amérique latine, y investit massivement et développe ses relations
commerciales. Nous sommes donc face à une reconquête unique, utilisant, à tous les
niveaux, de la puissance douce (soft power) et donc peu détectable pour masquer ses
intérêts économiques.
Page 54
Deuxième partie :
Les composantes du soft power espagnol
La notion de soft power développée par Joseph Nye dans Le leadership américain
s‟applique parfaitement aux rapports entre l‟Espagne et l‟Amérique latine. Cette
« puissance douce » s‟appuie sur « des ressources intangibles telles que la culture,
l‟idéologie, les institutions », sur l‟image que donne d‟elle-même une société, la
réputation qu‟elle a de servir de modèle dans des domaines aussi divers que le respect des
droits de l‟homme, le pluralisme politique, la créativité culturelle, l‟innovation
technologique ou l‟attrait idéologique. Il s‟agit également, pour assurer son hégémonie,
de garantir sa suprématie informationnelle par la maîtrise des canaux de diffusion et de
leur contenu pour véhiculer ses valeurs. La promotion de l‟enseignement, de la langue, de
valeurs culturelles et humanistes sont autant d‟éléments qui sont au service de l‟Espagne
et ont une incidence sur la vision que les Latino-américains ont de ce pays. L'influence, le
prestige, l'attrait culturel ou la communication deviennent des instruments de puissance
qui influencent subrepticement les décisions des autres Etats. Ainsi faut-il étudier les
domaines de la coopération, de la culture et des médias comme des vecteurs de
puissance.
Page 55
Chapitre 1 - La coopération, le projet phare de l‟Espagne
Depuis son retour à la démocratie, l‟Espagne a cherché à véhiculer une image
positive en Amérique latine en s‟associant à des valeurs humanistes telles que l‟aide au
développement ou la coopération culturelle et éducative. L‟Espagne a donc fait de la
coopération l‟un des piliers de sa politique étrangère, c‟est pourquoi ce terme apparaît
très souvent dans l‟intitulé des accords bilatéraux signés entre l‟Espagne et les pays
latino-américains. La coopération est, par exemple, régulièrement associée au terme
Ibéro-Amérique comme le montrent l‟Institut de Coopération Ibéro-américaine (Instituto
de Cooperación Iberoamericana) créé en 1979 ou le Secrétariat d‟Etat pour la
Coopération Internationale et l‟Ibéro-Amérique créé en 1985. En faisant de l‟Amérique
latine la principale bénéficiaire de ses actions dans ce domaine, l‟Espagne a cherché à
parer aux accusations de reconquête, en montrant qu‟elle était plus intéressée par l‟aide
aux populations et par la création d‟une communauté de nations ibéro-américaines, que
par l‟exploitation économique.
Mais il est intéressant de voir que l‟Union Européenne s‟est associée à l‟Espagne
dans la coopération avec l‟Amérique latine. L‟UE a toujours porté une attention
particulière à la coopération dès ses débuts et elle est désormais la principale source
mondiale d‟aides pour le développement. Cette attitude tendrait donc à montrer que l‟UE
cherche elle-aussi à soigner son image et accroître son influence par ce biais, en se
servant de l‟ascendance espagnole en Amérique latine.
Section 1 - L’aide au développement, pilier des relations entre
l’Espagne, l’Europe et l’Amérique latine
L‟aide au développement est l‟un des éléments de la coopération qui se rapporte le
plus, dans l‟opinion publique, à des valeurs humanistes : c‟est donc ce qui est le plus
payant en termes d‟influence et de prestige. En effet, l‟aide au développement suppose un
ensemble de valeurs liées au respect des droits de l‟homme, à la paix, à la cohésion
sociale, à la bonne gouvernance, au pluralisme politique, au progrès et à l‟innovation. Il
Page 56
n‟est donc pas étonnant que l‟Espagne, comme l‟Union Européenne, fassent la promotion
de leurs engagements en la matière : cela les valorise et accroît leur soft power.
A. L’aide au développement espagnole en Amérique latine
La coopération s‟inscrit dans la politique espagnole depuis les débuts de la
démocratie. Depuis lors, les Aides Publiques au Développement (APD) ont
considérablement augmenté : 21 milliards de pesetas en 1981, 131 milliards en 1991, 208
milliards en 1998 et 317 milliards en 2001.98
Parallèlement, l‟Espagne a mis en place des
institutions chargées d‟organiser et de gérer la politique espagnole en matière de
coopération comme l‟Institut de Coopération Ibéro-américaine (1979) et surtout l‟Agence
Espagnole de la Coopération Internationale (AECI) en 1988. Le premier geste d‟aide au
développement de la jeune diplomatie espagnole s‟est dirigé vers l‟Amérique Centrale
pour promouvoir la pacification de la région par l‟envoi de jeunes coopérants. Ainsi la
coopération espagnole a-t-elle toujours privilégié l‟Amérique latine qui représentait
environ 45% de toute l‟aide espagnole au début des années 90. Cette affinité avec
l‟Amérique latine a d‟ailleurs été consacrée dans des textes, notamment la Loi 23/1998
dite « de coopération internationale pour le développement » qui définit les zones
géographiques prioritaires de l‟Espagne : l‟Amérique latine est l‟une d‟entre elles. Et
cette priorité est réaffirmée périodiquement dans les Plans Directeurs de la Coopération
Espagnole (2001-2004 / 2005-2008) et annuellement dans les Plans Annuels de
Coopération Internationale (PACI). Depuis la deuxième moitié des années 90,
l‟Amérique latine reçoit environ 40% de toute la coopération espagnole et le montant des
APD reçues a augmenté parallèlement à celui de l‟ensemble de l‟APD espagnole (cf
Annexe n°3). Par exemple, le montant des APD bilatérales nettes reçues par l‟Amérique
latine est passé de 100 millions d‟euros en 1989 à 746 millions en 2001.99
En 2002,
l‟Espagne fut la principale émettrice européenne d‟APD pour l‟Amérique latine et les
Caraïbes avec 322 millions de dollars, soit environ un cinquième de la coopération de
l‟UE à la région.100
Progressivement, l‟Espagne a pris une place très importante dans
98
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 1997 / 2001. 99
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 2002. 100
Banque Interaméricaine de Développement (BID), Integración y comercio en América, Note périodique de mai
2004, p.53.
Page 57
l‟aide internationale et fait désormais partie des dix pays donnant le plus d‟APD. Depuis
2004, l‟Espagne a émis la volonté d‟accentuer ses efforts dans ce domaine : dans son
discours d‟investiture, José Luis Rodríguez Zapatero avait posé comme objectif de « faire
de la coopération au développement un élément essentiel de notre politique
internationale ». Dès lors, les aides publiques au développement espagnoles ont subi une
augmentation de 1,9 milliards d‟euros en 2004 à 3 milliards en 2006. D‟ailleurs, en 2006,
l‟Espagne était le huitième pays du Comité d‟Aide au Développement (CAD) de
l‟Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) en termes de
volume d‟APD.
Mais la coopération espagnole au développement a également un trait très
particulier : la décentralisation. Depuis les années 90, les Communautés Autonomes et les
Entités Locales ont commencé à être plus actives dans la coopération internationale : en
1994, elles avaient consacré respectivement 17 et 13 millions d‟euros à l‟aide au
développement, en 1997, ces chiffres sont passés de 61 et 58 millions à 324 et 119
millions d‟euros en 2006. Ces contributions représentent donc une partie de plus en plus
importante de l‟APD globale de l‟Espagne (avoisinant les 20%), or elles se dirigent
majoritairement vers l‟Amérique latine (64% en moyenne en 1997, 50% en 2006). En
2006, la communauté ayant envoyé le plus d‟APD à l‟Amérique latine est l‟Andalousie
(26 millions soit 50% de toute son APD), suivie de la Communauté de Madrid (23
millions soit 70% de son APD totale) et de la Castille-La Manche (19 millions soit 55%
de toute son APD). De plus, les sommes engagées par les universités publiques dans
l‟aide au développement sont désormais comptabilisées dans l‟APD espagnole depuis
2006. Cette participation s‟élève à 8,5 millions d‟euros dont 4 millions ont eu pour
destination l‟Amérique latine.101
La coopération au développement se fait par le biais de programmes concrets ou
d‟aide financière visant à promouvoir la cohésion sociale et la bonne gouvernance. Elle
se sert beaucoup des Oficinas Técnicas de Cooperación de l‟AECI pour cerner les
besoins des pays latino-américains, suivre et évaluer les projets mis en œuvre. L‟Espagne
a mis au point de nombreux programmes de manière unilatérale, ou dans le cadre des
101
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 1994 / 1997 / 2006.
Page 58
Sommets Ibéro-américains, pour aider au développement de l‟Amérique latine. L‟un
d‟entre eux est le CIDEU (Centre Ibéro-américain de Développement Stratégique
Urbain) créé en 1993, qui a permis la construction d‟un réseau de 78 villes ibéro-
américaines (Barcelone, Séville, Buenos Aires, Santiago, Bogotá, Lima…) pour
promouvoir leur développement économique et social.102
Mais les programmes proposent
des coopérations de tous types dans différents domaines comme la CYTED (programme
ibéro-américain de Science et Technologie pour le Développement)103
, la FUNDIBEQ
(Fondation Ibéro-américaine pour la gestion de la qualité) afin d‟améliorer la
compétitivité du tissu économique et social des pays ibéro-américains104
, le projet ADAI
(Appui au Développement des Archives Ibéro-américaines)105
, le RADI (Réseau des
Archives Diplomatiques Ibéro-américaines)106
, ou le récent programme de Formation
pour la gestion des ressources hydrauliques visant à améliorer l‟approvisionnement en
eau et l‟accès à l‟assainissement aux populations les plus vulnérables.
Il y a également des programmes plus atypiques comme le récent programme de
Banques de lait humain adopté en 2007 pour implanter une banque de ce type dans
chaque pays ibéro-américain et permettre l‟échange de connaissances et de technologie
dans le domaine du lait maternel, afin de réduire la mortalité infantile107
, ou encore le
Fonds pour le développement des peuples indigènes (1995) destiné à établir un
mécanisme de soutien des processus de développement des peuples autochtones.
Plus impliqué dans l‟apprentissage de la bonne gouvernance, IBERGOP (Ecole
ibéro-américaine de Gouvernement et de politiques publiques) a été approuvée lors du
Sommet Ibéro-américain de Lima en 2001 pour renforcer la gouvernance démocratique
en échangeant des expériences et en renforçant la formation et l‟enseignement des
fonctionnaires. On compte également deux autres programmes liés au développement des
entreprises : IBERPYME (programme ibéro-américain de coopération
102
http://www.cideu.org/site/index.php 103
Approuvé lors du Sommet Ibéro-américain de San Carlos de Bariloche (Argentine) en 1995 :
http://www.cyted.org/ 104
http://www.fundibeq.org/ 105
Approuvé lors du Sommet Ibéro-américain d‟Oporto (Portugal) en 1998 :
http://www.mcu.es/archivos/MC/ADAI/index.html 106
Approuvé lors du Sommet Ibéro-américain d‟Oporto (Portugal) en 1998 :
http://www.ciberamerica.org/NR/exeres/6C522D7D-7623-4B81-8C70-F9CBA434D8C4.htm 107
http://www.ciberamerica.org/Ciberamerica/Castellano/Conferencia_Iberoamericana/programasIniciativas/
Programas/Bancos+de+Leche+Humana/inicio.htm
Page 59
interinstitutionnelle pour le développement des petites et moyennes entreprises)108
et
IBEROEKA fondé en 1991 pour favoriser la coopération entre les entreprises dans le
domaine de la recherche et du développement technologique.
Enfin, d‟autres programmes prônent le développement et l‟utilisation des
nouvelles technologies comme ARCE et Ciberamérica. ARCE est un programme créé
lors du Sommet Ibéro-américain de 2002 visant à la coopération entre les différents
organismes nationaux de protection civile pour mettre sur pied un outil informatique qui
facilite l‟information entre les organismes compétents en matière de coopération
international et de gestion de crises. Ciberamérica a pour mission de doter la
communauté ibéro-américaine d‟un espace de rencontre sur Internet afin de renforcer
l‟identité ibéro-américaine.
Outre l‟aide au développement, l‟Espagne s‟est aussi impliquée dans l‟aide
humanitaire et l‟aide d‟urgence. De 2002 à 2006, l‟APD de l‟AECI liée à l‟action
humanitaire est passée de 6 à 47 millions d‟euros, soit de 2,23% de l‟APD totale à 9,17%.
Quant à l‟aide d‟urgence, celle-ci varie selon les années, mais l‟APD bilatérale liée à
l‟aide d‟urgence a globalement augmenté depuis les années 90 en passant de 870 mille
euros en 1989 à 64 millions en 1999 et enfin à 247 millions en 2006. Depuis le début des
années 2000, l‟Amérique latine a reçu 53 millions d‟euros en 2003, 16 millions en 2004,
17 millions en 2005 et 22 millions en 2006.
La coopération entre l‟Espagne et l‟Amérique latine devrait se poursuivre puisque
le gouvernement socialiste de JL.Zapatero s‟est engagé dans la coopération internationale
en annonçant sa volonté que le montant de la coopération atteigne 0,42% du PIB
espagnol en 2007, 0,5% en 2008 et 0,7% en 2012. L‟évolution est effectivement
constante depuis son arrivée au pouvoir : en 2004, le ratio était de 0,24%, en 2005 de
0,27% et en 2006, de 0,32%. Jamais ce pourcentage n‟avait été aussi haut puisqu‟il
oscillait entre 0,04 et 0,14 dans les années 80 et entre 0,20 et 0,28 dans les années 90.109
108
Approuvé lors du Sommet Ibéro-américain d‟Oporto (Portugal) en 1998 :
http://www.iberpymeonline.org/ 109
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 1997 / 2001.
Page 60
Il est intéressant de voir que ce pourcentage suit de peu celui des pays CAD et l‟a même
dépassé à plusieurs occasions.110
Cependant, le gouvernement espagnol s‟est également engagé à atteindre les
Objectifs du Millénaire et, dans ce cadre, à diversifier les régions réceptrices d‟aides en
accordant plus d‟aides aux Pays les Moins Avancés (PMA). Or entre 2001 et 2006,
l‟APD accordée par l‟AECI aux PMA a augmenté de 325% en passant de 35 millions
d‟euros (soit 18,74% de l‟APD totale) à 114 millions (soit 33% de l‟APD totale). Ainsi
l‟Afrique et l‟Asie reçoivent-elles de plus en plus d‟aides de l‟Espagne chaque année, ce
qui fait craindre un certain détournement de l‟Amérique latine (cf Annexe n°3). En effet,
si l‟on compare les chiffres de 1999 à ceux de 2005, cette évolution apparaît clairement :
l‟Ibéro-Amérique recevait 46,4% des APD bilatéraux en 1999 contre 36% en 2005,
l‟Afrique 23,3% contre 38,7% et l‟Asie 8,9% contre 22,4%. Mais si l‟Afrique a reçu plus
d‟APD que l‟Amérique latine en 2005, ceci varie selon les années, puisqu‟en 2006,
l‟Amérique latine est repassée devant l‟Afrique avec 41,2% contre 30,3%, mais cette
tendance à la diversification suscite des inquiétudes.
Un autre élément confirme cette évolution : en octobre 2007, le Conseil des
Ministres a approuvé une réforme du statut de l‟AECI. L‟organisme répond désormais à
l‟appellation d‟« Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le
110
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 2006.
Page 61
Développement » (AECID). Elle devrait avoir un nouvel organe, le Bureau de l‟Action
humanitaire et accorder plus d‟attention à l‟Afrique. L‟Afrique devrait donc devenir une
nouvelle région prioritaire pour la coopération espagnole et disposer d‟un nouveau
département auquel sera attribué un budget de 150 millions d‟euros dès 2008.111
L‟opinion publique espagnole plébiscite également ce choix : à la question « selon
vous, sur quelle région la coopération espagnole devrait-elle se concentrer ? », 51% des
personnes interrogées répondent les pays du Nord de l‟Afrique, contre 47% pour les pays
latino-américains. Ces pourcentages montrent une véritable baisse de l‟intérêt pour
l‟Amérique latine car, en 2005, les pays latino-américains recueillaient 55% des votes et
les pays du Nord de l‟Afrique, 35% (cf Annexe n°4).112
Malgré ces récentes préoccupations, il reste cependant évident que l‟Espagne a fait
de l‟aide au développement l‟un de ses chevaux de bataille par l‟importance des sommes
investies et la multiplicité des programmes instaurés sur place. Par ces différents moyens
d‟action, l‟Espagne est parvenue à étoffer ses liens avec l‟Amérique latine et à
convaincre les populations et les dirigeants de son intérêt pour cette région.
B. L’aide au développement européenne en Amérique latine
L‟UE est la principale source mondiale d‟aides pour le développement et y
consacre en moyenne 500 millions d‟euros chaque année depuis 1996.113
Dans
l‟ensemble de la période 1994-2002, les flux européens combinés ont fait de l‟UE la
principale source d‟aide pour l‟Amérique latine et les Caraïbes avec environ 42% du total
des aides publiques au développement européennes (contre seulement 18% et 16% des
flux américains et japonais).114
Cette coopération s‟est notamment mise en œuvre grâce à
la signature de nombreux accords de coopération dans les années 1980 (en 1983 avec le
111
« Aprobada la nueva Agencia Española de Cooperación Internacional para el Desarrollo », El Mundo, 30/10/07. 112
« Barómetro 2006 “América Latina y la cooperación al desarrollo en la opinión pública española” », Fundación
Carolina / Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS), Madrid, noviembre 2006. 113
CEFICALE, Leda Rouquayrol-Guillemette et Santiago Herrero Villa, Guide de la coopération Union
Européenne – Amérique latine, p.45. 114
BID, Integración y comercio en América, Note périodique de mai 2004, p.56.
Page 62
Pacte Andin, et en 1985 avec l‟Amérique Centrale) et 1990 (en 1992 avec le Mercosur,
en 1995 avec le Mexique et en 1996 avec le Chili).
La communauté ibéro-américaine a toutefois joué un grand rôle dans la
coopération récente. Dans un premier lieu, le fait que l‟Espagne devienne une importante
source d‟aides dans les années 90 a contribué à contrecarrer en partie les tendances
globales à la diminution de l‟aide. Ainsi l‟Espagne a-t-elle été de 1994 à 1998 le
troisième émetteur d‟APD vers l‟Amérique latine derrière l‟Allemagne et les Pays-Bas.
Dès 1999, l‟Espagne a évincé les Pays-Bas et pris la deuxième place. Et en 2001 et 2002,
elle a pris la première place.
Dans un second lieu, l‟UE est plus encline à accorder de l‟importance à la
collaboration avec l‟Amérique latine depuis que le Portugais José Manuel Durão Barroso
préside la Commission Européenne. Par exemple, lorsque l‟Office de coopération
EuropeAid (chargé de la gestion de l‟aide extérieure) a été restructuré au début de l‟année
2005, la coopération avec l‟Amérique latine a continué d‟être gérée au sein d‟une
direction exclusivement consacrée à cette question, alors que les services chargés
d‟autres régions comme TACIS (les pays d‟Europe de l‟Est et d‟Asie Centrale) et MEDA
Page 63
(les pays du Sud et de l‟Est du bassin méditerranéen) ont été fusionnés en une seule et
même direction.
Pour ce qui est de l‟organisation de l‟aide, les secteurs et la forme de la
coopération sont définis dans les documents de stratégie régionale ou nationale (CSP) qui
font chaque année état du pays en question. La coopération prend généralement deux
formes : soit l‟aide budgétaire, soit l‟assistance macroéconomique. Et les aides se
concentrent sur trois secteurs prioritaires : la lutte contre la pauvreté qui a bénéficié de 40
% de l‟enveloppe globale, l‟intégration dans l‟économie mondiale (25 % des crédits),
enfin la consolidation de l‟État de droit et la bonne gouvernance (15 %).
Sur la période 2000-2006, ceux qui ont le plus bénéficié de l‟aide européenne sont
la Communauté Andine (surtout la Bolivie) avec 750 millions d‟euros, l‟Amérique
Centrale (surtout le Nicaragua) avec 581 millions, le Mercosur avec 250 millions, puis le
Mexique et le Chili avec respectivement 56 et 34 millions.
Tout comme l‟aide espagnole, l‟aide européenne passe généralement par la mise
en place de programmes d‟aide.
Le programme EUROsociAL, créé en 2004 lors du Sommet UE-ALC de
Guadalajara, a pour but d‟augmenter le degré de cohésion sociale des sociétés latino-
américaines en agissant sur les politiques publiques dans plusieurs domaines (éducation,
santé, administration, justice, fiscalité et emploi), grâce à l‟échange d‟expériences entre
administrations des pays de l‟UE et de l‟Amérique latine. Jusqu‟à présent, 25 échanges
de meilleures pratiques et d‟expérience ont été organisés. Elles ont impliqué 283
institutions et un total de 731 participants, dont 90% en provenance de 17 pays
d‟Amérique latine. EUROsociAL a bénéficié pour l‟instant d‟une contribution de la
Communauté Européenne de 30 millions d‟euros.115
Le programme @LIS a été créé en 2001 pour favoriser l‟élaboration de stratégies
régionales de développement de la société de l‟information et réduire la fracture
numérique qui sépare ceux qui ont accès aux nouvelles technologies de l‟information des
115
Office de Coopération EuropeAid, Rapport annuel 2007 sur la politique de développement de la Communauté
Européenne et la mise en œuvre de l’aide extérieure en 2006, Bruxelles, p.79.
Page 64
autres. Son budget (2001-2006) s‟élève à 85 millions d‟euros dont 75% correspondent à
la participation financière de l‟UE (soit 63,5 millions d‟euros). En 2006, ce programme a
obtenu des résultats significatifs sur le plan du dialogue politique, de la création de
réseaux et de la mise en œuvre de projets de démonstration dans les quatre domaines
prioritaires (éducation en ligne, santé en ligne, gouvernement en ligne et e-inclusion).
Le programme URB-AL établit des liens directs entre les villes d‟Europe et
d‟Amérique latine et favorise les échanges d‟expérience afin de développer des réseaux
de coopération décentralisée. La première phase du projet (1996-2000) a bénéficié d‟une
contribution européenne de 14 millions d‟euros et la seconde (2001-2006) d‟une
participation de 50 millions d‟euros. Ce programme est important car il a permis de tisser
des liens entre l‟Europe et l‟Amérique latine en réunissant plus de 680 autorités locales et
en convoquant presque quarante colloques internationaux auxquels ont participé 10.000
personnes.116
Lié au secteur énergétique, le programme ALURE (1995-2003) était chargé de
former à une utilisation optimale des ressources énergétiques en Amérique latine. Il a été
remplacé par le programme EURO-SOLAR, lancé en 2004 lors du Sommet UE-ALC de
Guadalajara, pour permettre aux communautés rurales isolées et jusqu‟ici privées d‟accès
à l‟électricité de profiter d‟une électricité renouvelable. Le budget total de ce programme
est de 30 millions d‟euros.
D‟autres programmes touchent plus le monde de l‟entreprise et du commerce :
comme AL-INVEST, lancé dès 1993 pour promouvoir les échanges et les
investissements entre les PME européennes et les entreprises latino-américaines par le
biais de « rencontres sectorielles ». Ce programme a un tel succès qu‟il est entré dans sa
troisième phase et a bénéficié de contributions conséquentes de la part de l‟UE (98
millions d‟euros pour les deux premières phases et 46 millions pour la troisième). Pour la
seule année 2006, plus de 10.000 petites et moyennes entreprises ont bénéficié d‟une aide
au titre de ce programme qui, depuis sa création, a généré des échanges commerciaux
entre l‟Union Européenne et l‟Amérique latine d‟une valeur excédant les 490 millions
116
http://ec.europa.eu/europeaid/where/latin-america/regional-cooperation/urbal/index_en.htm
Page 65
d‟euros.117
Deux autres programmes sont liés à AL-INVEST. Le premier est A.R.I.E.L.
(Active Research in Europe and Latin-America) qui offre aux entreprises du secteur des
technologies émergentes un service personnalisé de recherche active de partenaires
potentiels sur l'autre continent. Le second est AL-PARTENARIAT qui organise des
rencontres multisectorielles entre des entreprises d'Europe et d'une ou plusieurs régions
d'Amérique Latine. Enfin, le programme ATLAS sert d‟appui aux relations entre les
chambres de commerce et d‟industrie de l‟Union européenne et d‟Amérique latine.
Indépendamment de cela, la Commission Européenne a également créé
l‟OBREAL (Observatoire des relations UE-Amérique latine) en 2003 dans le but de créer
un réseau composé d‟institutions tant latino-américaines qu‟européennes et d‟encourager
toutes sortes de partenariat entre les deux régions. L‟Union Européenne a accordé à cet
observatoire 1,35 millions d‟euros.
Ces programmes sont également accompagnés d‟aide humanitaire ou d‟urgence de
l‟Union Européenne. L‟Office d‟aide humanitaire de l‟UE, ou ECHO, est le premier
donneur mondial en ce qui concerne la coopération au développement et l‟aide
humanitaire. Il a créé des programmes tels que le PRRAC (Programme Régional de
Reconstruction pour l‟Amérique Centrale) à la suite de l‟ouragan Mitch en 1998, ou
encore le Fonds pour le développement des peuples indigènes d‟Amérique latine et des
Caraïbes. En 2006, l‟aide humanitaire de l‟UE en Amérique latine a atteint 18,6 millions
d‟euros soit moins de 3%. Cette somme est assez faible comparée aux 38 millions de
2001.118
Mais EuropeAid a également créé un projet nommé Dipecho pour réduire en
amont les risques de catastrophes. Parmi les cinq régions prioritaires de Dipecho se
trouvent l‟Amérique du Sud, l‟Amérique Centrale et les Caraïbes.
Ces programmes sont nombreux et bénéficient de budgets conséquents, ce qui
montre que l‟Union Européenne cherche vraiment à diffuser ses valeurs en Amérique
latine et accroître son prestige au niveau international.
117
CEFICALE, Leda Rouquayrol-Guillemette et Santiago Herrero Villa, Guide de la coopération Union
Européenne – Amérique latine 2006, pp.57-59. 118
EuropeAid, DG for humanitarian aid- Echo financial Report 2006.
Page 66
En marge des programmes et de l‟aide officielle, de multiples organismes
européens sont chargés d‟étudier l‟Amérique latine. On peut noter par exemple l‟ELSNIT
(Euro-Latin Study Network on Integration and Trade) pour accroître les interactions entre
les chercheurs des deux régions, ou le CEFICALE (Centre d'études, Formation et
Information sur la Coopération Amérique Latine - Europe) pour encourager les relations
des institutions d‟enseignement et de formation entre les deux continents, ou encore le
CERCAL (Centre d'Étude des Relations entre l'Union Européenne et l'Amérique Latine).
Il est intéressant de voir qu‟il existe également des instituts dans la plupart des pays
européens : l‟IHEAL-CREDAL (Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine) à
Paris, pour ne citer que lui, le LAI (Institut autrichien pour l'Amérique Latine), le
CECAL (Centre d'Echanges et Coopération pour l' Amérique Latine) à Genève, le
CEDLA (The inter-university Centre for Latin American Research and Documentation) à
Amsterdam, ou encore le CEFIAL (Centro de Formación e Información de América
Latina) à Milan.
L‟Union Européenne est donc particulièrement intéressée par l‟Amérique latine et
suit la même voie que l‟Espagne : il semble qu‟elle cherche à nuancer sa forte
participation économique dans le sous-continent américain par son implication dans
l‟aide au développement. L‟Espagne, quant à elle, utilise non seulement l‟aide au
développement mais aussi et surtout la coopération culturelle et éducative pour répandre
discrètement ses valeurs et accroître son influence en Amérique latine.
Section 2 - La coopération culturelle et éducative
La coopération culturelle et éducative entre l‟Espagne et l‟Amérique latine
découle directement des liens historiques, culturels et linguistiques qui unissent ces deux
continents, c‟est pourquoi elle est bien plus ancienne que l‟aide au développement. Afin
de rompre son isolement international, l‟Espagne de Franco avait créé deux organismes
ayant pour objectif de maintenir la présence de l‟Espagne dans l‟éducation et la culture
hispano-américaines. Le premier est le Consejo de la Hispanidad (le futur Institut de
culture hispanique et l‟actuel Institut de Coopération Ibéro-américaine), créé en 1940, qui
« propose un type de diffusion culturelle et de formation qui s‟adresse essentiellement à
Page 67
une étroite élite d‟intellectuels liée aux secteurs catholiques et conservateurs des sociétés
latino-américaines.»119
Le second est créé en 1949 : il s‟agit de la Oficina de Educación
Iberoamericana (Bureau d‟éducation ibéro-américaine, l‟actuelle Organisation des Etats
Ibéro-américains pour l‟éducation, la science et la culture) qui bénéficie dès 1957 d‟un
accord avec l‟UNESCO pour son Projet principal d‟éducation en Amérique latine et dans
les Caraïbes.
Avec l‟arrivée de la démocratie, la coopération culturelle et éducative a pris plus
d‟ampleur, notamment grâce aux Conférences Ibéro-américaines des Commissions
Nationales Cinquième Centenaire, puis aux Sommets Ibéro-américains. Enfin en 1991,
l‟Etat espagnol crée un nouvel organisme, l‟Institut Cervantes, pour promouvoir et
enseigner la langue espagnole et diffuser la culture espagnole et latino-américaine.
Cependant, la coopération culturelle, éducative et scientifique espagnole est
difficile à analyser car elle est protéiforme : de nombreux organismes en sont chargés
comme le Secrétariat d‟Etat pour la Coopération Internationale qui contrôle l‟AECI, le
Secrétariat d‟Etat pour l‟Ibéro-Amérique, le Secrétariat Général Ibéro-américain (SEGIB)
et l‟Institut Cervantes. L‟Organisation des Etats Ibéro-américains y participe aussi en sa
qualité d‟organisme international à caractère gouvernemental pour favoriser la
coopération dans les domaines éducatifs, scientifiques, technologiques et culturels. De
plus les Communautés Autonomes et les Entités Locales mènent elles-aussi des actions
dans ce domaine.
Toutes ces actions montrent bien l‟importance que l‟Espagne a toujours accordée à
la culture et à l‟éducation. Le rayonnement culturel est en effet un instrument de tout
premier ordre pour augmenter la puissance d‟un pays au sens de Joseph Nye. Il permet,
d'une part, de conforter un acteur dans la conception qu'il se fait de sa puissance et,
d'autre part, de pousser les autres à se rallier à sa conception.
119
Pablo Berchenko, « L‟Espagne et la coopération éducative entre l‟Europe et l‟Amérique latine », in Daniel Van
Eeuwen (dir.), L'Amérique latine et l'Europe à l'heure de la mondialisation, CREALC-IEP/AIX- Karthala, Paris,
2002, p.249.
Page 68
A. La coopération culturelle
La coopération culturelle est un élément primordial de la politique espagnole
depuis le XXème siècle. Elle touche un large éventail d‟activités : aussi bien la
coopération cinématographique que la protection du patrimoine ou encore la défense de
la langue. Cette approche globale du domaine culturel est donc complexe à appréhender
car elle est prise en charge par plusieurs organismes différents. En plus de ceux énoncés
plus haut, d‟autres organisations comme la Société Espagnole de Commémoration
Culturelle, la Société Espagnole pour l‟Action Culturelle Etrangère, et la Société
Espagnole pour les Expositions Internationales s‟occupent de la coopération culturelle.
Grâce à leur langue commune, l‟Amérique latine est l‟un des principaux
bénéficiaires de cette politique culturelle. Ainsi, l‟AECI a placé dix de ces douze centres
culturels en Amérique latine et, sur l‟ensemble de ces cinquante-trois délégations, trente-
trois sont encore dans cette région.120
La Direction Générale des Relations culturelles et
scientifiques de l‟AECI a également vu son budget augmenter de manière constante : de
34,5 millions d‟euros en 2002 (dont 74% pour l‟Amérique latine) à 60 millions en 2006.
De la même façon, l‟Institut Cervantes a misé sur le Brésil qui est devenu à la fin de
l‟année 2007 le pays où l‟Institut est le plus implanté avec neuf centres, soit environ un
cinquième de toute l‟action extérieure de l‟Institut.121
Ce pays est un enjeu majeur en
Amérique latine et l‟Espagne cherche à profiter de la loi de 2005 qui stipule que les
écoles brésiliennes doivent obligatoirement offrir des cours d‟espagnol aux élèves qui en
font la demande.
Récemment, le gouvernement espagnol a rappelé l‟importance de la culture en
disant qu‟elle est « indissociable de l‟action étrangère espagnole » et que c‟est « un
élément de premier ordre pour approfondir et élargir nos relations dans la Communauté
Internationale » car elle « confère une identité à la politique étrangère de l‟Etat. » De
plus, Miguel Ángel Moratinos, le Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, a
120
http://www.aeci.es/02exterior/index.htm 121
Juan Arias, « Brasil entra en la órbita del español», El País, 18/07/2007.
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ajouté : « la culture est notre meilleure carte de visite et le visage le plus aimable et
apprécié pour rendre plus dynamiques nos relations avec l‟étranger. »122
De la même manière que l‟aide au développement, la coopération culturelle passe
aussi par la mise en place de programmes sur place. Dès 1984, l‟Espagne a lancé un
Programme de Préservation du Patrimoine Culturel Ibéro-américain (PPPCI) qui prévoit
la restauration des centres historiques et des monuments, ainsi que l‟organisation
d‟Escuelas-Taller (écoles-ateliers). Ce programme a rencontré un grand succès et a été
prolongé en 2002. Les écoles-ateliers mises en place à partir de 1991 sont devenues l‟un
des instruments les plus emblématiques et les plus visibles de la coopération espagnole.
Elles ont permis à plus de 4.000 jeunes Latino-américains de recevoir une bonne
formation, surtout en maçonnerie et en charpenterie, afin de mieux s‟insérer dans le
monde du travail.123
Grâce à la tenue de dix Conférences Ibéro-américaines sur la Culture
entre 1993 et 2007124
en plus des Sommets Ibéro-américains traditionnels, ce genre
d‟initiatives s‟est multiplié.125
En 1996, le programme Ibermedia est né pour favoriser la
construction d‟un espace visuel ibéro-américain. Cette idée n‟était pas nouvelle et avait
déjà été avancée en 1989 dans l‟Accord d‟Intégration Cinématographique Ibéro-
américaine signé par les treize pays membres de la Conférence des Autorités
Cinématographiques d‟Ibéro-Amérique (CACI). Grâce à cette idée, puis à la mise en
place du programme, l‟Espagne a d‟ailleurs signé des accords de coproduction
cinématographique avec l‟Argentine (1992), le Mexique (2003) et le Chili (2003). Plus
récemment, la création d‟un fonds pour la coproduction de contenus culturels télévisuels
a été approuvée lors du Sommet de Salamanca (2005).
Suite à cela, trois programmes ont été créés lors du Sommet Ibéro-américain de
Panama en 2000 : le programme de développement des bibliothèques nationales des pays
d‟Ibéro-Amérique (ABINIA), le Programme Ibéro-américain de coopération en matière
de bibliothèques publiques (PICBIP) et le Répertoire Intégré des Livres en Vente en
Ibéro-Amérique (RILVI). En 2003, lors du Sommet de Santa Cruz de la Sierra (Bolivie),
122
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, « El Ministro de Asuntos Exteriores y de Cooperación
afirma en SEACEX que “la cultura es parte indisociable de la acción exterior española », note de presse du
09/01/2008. 123
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Evaluación del programa de Escuelas-taller en
Iberoamérica, Madrid, 16/12/1998, pp.1-27. 124
http://www.oei.es/cic.htm 125
http://www.ciberamerica.org/Ciberamerica/Castellano/Areas/cooperacion/iberoamerica/iberoamericana/
programas/inicio.htm
Page 70
le programme ILÍMITA a vu le jour pour faire de la lecture un facteur de développement
social, éducatif, économique et culturel, ainsi qu‟un outil d‟insertion sociale. Puis, en
2006, le Sommet Ibéro-américain de Montevideo a créé Iberescena, un programme
d‟appui à la construction d‟un espace scénique ibéro-américain autour de quatre axes : la
promotion des coproductions, la circulation des troupes et festivals, la formation en
gestion des arts scéniques et l‟appui aux représentations de productions ibéro-
américaines. Lors de ce même Sommet, la Carta Cultural Iberoamericana a vu le jour
pour encadrer l‟ensemble des projets communs et la mise en place de l‟espace culturel
ibéro-américain. Enfin en 2007, lors du Sommet de Santiago du Chili, le programme
Ibermuseos a été créé pour favoriser la coopération entre les musées et une plus grande
circulation des œuvres des principales institutions ibéro-américaines.
La coopération culturelle espagnole passe aussi par la défense de sa langue. Or, le
soutien politique qu‟a reçu cette initiative montre qu‟elle constitue un grand enjeu et est
un outil de « puissance douce ». En effet, tout au long du XIXè siècle, la Real Academia
Española n‟a pas cessé d‟œuvrer pour l‟unité de la langue, ce qui fait dire à Fernando
Lázaro Carreter126
que ce fut « la première institution espagnole à encourager la
conscience hispanique. »127
Dès 1870, la Real Academia émet le souhait de créer en
Amérique latine des Académies de Langue Espagnole. De 1871 à 1955, quelques
Académies voient le jour, mais l‟événement le plus important est l‟organisation en 1951
du Premier Congrès des Académies de la Langue Espagnole au Mexique. Les Congrès se
succèdent alors environ tous les quatre ans et insistent sur l‟importance de l‟unité de la
langue qui « constitue l‟un des facteurs qui contribue le plus à rendre les pays ibéro-
américains respectables et forts face au reste des nations. » Mais avec la création de
l‟Institut Cervantes en 1991, la réflexion sur la langue espagnole va s‟intensifier avec la
création des Congrès Internationaux de la Langue Espagnole à partir de 1997. Ces
derniers se tiennent tous les trois ans pour évoquer la situation de la langue espagnole, ses
défis et ses problèmes autour de thèmes prédéfinis tels que « La langue et les moyens de
communication » ou « Identité linguistique et globalisation ». Ces Congrès sont devenus
un élément majeur, car ils ont une grande répercussion au niveau international avec la
126
Grand linguiste et critique littéraire espagnol qui fut président de la Real Academia de 1991 à 1998. 127
Jaime Otero, De Bogotá a Rosario. La lengua española y la política regional de España en América Latina, Real
Instituto Elcano, DT Nº 36/2004, 2004, p.6.
Page 71
présence de grands auteurs. En 2007, par exemple, le Congrès de Cartagena de Indias
(Colombie) a eu un retentissement particulier grâce la présence de Gabriel García
Márquez qui fêtait ses quatre-vingt ans.
Outre ces Congrès, l‟Espagne cherche depuis le début des années 2000 à
rapprocher les systèmes de certification de la langue espagnole. D‟une part, les
certifications représentent un grand enjeu économique : avec 440 millions
d‟hispanophones, l‟espagnol est la quatrième langue en poids démographique et la
deuxième comme instrument de communication après l‟anglais. D‟autre part, elles
constituent « un élément essentiel de la politique linguistique » permettant « le maintien
de la fonction communicative de la langue et donc l‟unité linguistique. »128
Dans la
pratique, il s‟agirait de transformer le DELE (Diploma de Español como Lengua
Extranjera, le diplôme émis par le Ministère de l‟Education espagnol) en un diplôme
« pan-hispanique » qui harmoniserait les critères retenus pour la certification de la
connaissance de l‟espagnol.129
Lors du dernier Congrès International de la Langue
Espagnole, soixante universités ibéro-américaines ont rejoint le SICELE (Sistema
Internacional de Certificación del Español como Lengua Extranjera) : c‟est une bonne
nouvelle pour l‟Espagne, même si le chemin est encore long pour arriver à une
uniformisation du diplôme dans tous les pays hispanophones.
De plus, l‟Espagne a mis en œuvre plusieurs programmes de coopération pour les
questions linguistiques. L‟un des plus importants, par sa dimension internationale, est
celui des Trois Espaces Linguistiques (3EL) qui a été lancé en 2001 par l‟Organisation
des Etats Ibéro-américains (OEI). Ce projet réunit quatre organisations : l‟OEI,
l‟Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), la Communauté des Pays de
Langue Portugaise (CPLP) et l‟Union Latine (UL).130
Son objectif est de « défendre et
promouvoir les langues parlées dans leurs territoires respectifs, dans la mesure où elles
sont l‟expression d‟une identité, le témoignage de la richesse culturelle des peuples et une
128
Ibid., p.11. 129
Jaime Otero et Lía Varela, El Congreso Internacional de la Lengua Española de Cartagena de Indias: una
crónica, Real Instituto Elcano, ARI Nº 67/2007, 18/06/2007, p.11. 130
Union Latine est une organisation internationale fondée en 1954 par la Convention de Madrid pour mettre en
valeur et diffuser l‟héritage culturel et les identités du monde latin. Elle possède 37 Etats membres, principalement
des Etats d‟Amérique latine, d‟Europe, et d‟Afrique.
Page 72
condition pour le dialogue démocratique et le transfert de connaissances. » Deux de ces
projets les plus concrets sont le « Statut International des langues des 3EL » pour assurer
la présence de l‟espagnol, du français et du portugais dans les organisations
internationales et l‟« Harmonisation des systèmes d'accréditation des connaissances
linguistiques » (CERTEL) pour promouvoir le développement du plurilinguisme.131
B. La coopération éducative
De manière identique à la culture, l‟Espagne a toujours porté une grande attention
à la coopération en matière d‟éducation car elle contribue à reconstituer l‟image d‟une
Espagne qui se veut fraternelle et qui reconnaît la valeur d‟une culture à la fois commune
et différente.
Dès 1949, année de la création du Bureau d‟Education Ibéro-américaine (Oficina
de Educación Iberoamericana, OEI), des Congrès Ibéro-américains portant sur
l‟Education se sont tenus. Entre 1949 et l985, six Congrès ont eu lieu.132
Lors du dernier
Congrès de Bogota, une Réunion Extraordinaire a engendré des changements : le Bureau
d‟Education Ibéro-américaine est devenu l‟Organisation des Etats Ibéro-américains (OEI)
et les Congrès ont été remplacés par des Assemblées Générales.
Puis, à partir de 1988, la coopération en matière d‟éducation s‟est encore
accentuée avec la création des Sommets Ibéro-américains de l‟Education. Depuis lors,
dix-sept133
Sommets se sont tenus à raison d‟un par an depuis 1995. De manière
simultanée, l‟aide publique au développement (APD) espagnole destinée à l‟éducation a
beaucoup augmenté. Déjà en 1997, elle s‟élevait à 75 millions d‟euros et, depuis le début
des années 2000, elle dépasse généralement les 140 millions d‟euros. L‟Amérique latine
est la principale bénéficiaire de cette APD avec une moyenne de 60% entre 2002 et 2006
soit des montants dépassant souvent les 100 millions d‟euros.134
131
http://www.3el.org/ 132
Le premier Congrès Ibéro-américain de l‟Education s‟est tenu à Madrid en 1949, le second à Quito en 1954, le
troisième à Saint Domingue en 1957, le quatrième à Madrid en 1979, le cinquième à Lima en 1983, et le sixième à
Bogota en 1985. 133
http://www.oei.es/cic.htm 134
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 1997 / 2000 / 2002 / 2006.
Page 73
Cette aide est répartie grâce à des programmes créés par les différents Sommets
Ibéro-américains.135
La coopération éducative constituait une priorité pour la politique
étrangère espagnole, c‟est pourquoi la majorité des programmes éducatifs ont été mis en
place dans la première moitié des années 90, soit très peu de temps après la mise en place
des Sommets Ibéro-américains. En effet, dès le deuxième Sommet de Madrid en 1992,
trois programmes de grande importance ont été mis en place : le Programme
d‟alphabétisation et d‟éducation élémentaire pour adultes (PAEBA) afin d‟éradiquer au
moins 25% de l‟analphabétisme dans les zones d‟intervention (El Salvador, République
Dominicaine, Nicaragua et Honduras), le programme MUTIS (Coopération au
Développement des programmes de Doctorat et de la Direction des Thèses doctorales)
permettant la mobilité des étudiants de troisième cycle en Ibéro-Amérique et enfin le
projet de Télévision Educative Ibéro-américaine (TEI) visant à contribuer au
développement de l‟éducation et de la culture dans les pays d‟Ibéro-Amérique par le biais
de la télévision par satellite et d‟autres technologies de l‟information et de la
communication. De même en 1995, trois autres programmes ont vu le jour : les
programmes Calidad Educativa (programme de coopération pour le développement des
systèmes nationaux d‟évaluation de la qualité de l‟éducation), IBERMADE (programme
de modernisation des administrations en éducation) et IBERFOP (programme de
coopération dans les secteurs de la formation professionnelle). Plus récemment en 2007,
le Sommet Ibéro-américain de Santiago du Chili a créé le Programme Pablo Neruda qui
reprend le Programme d‟Echange et de Mobilité Académique (PIMA) de 1999 pour
promouvoir la construction d‟un espace ibéro-américain commun de la connaissance en
facilitant les initiatives d‟intégration régionale.
Outre les Sommets, deux autres projets ont été créés par l‟AECI en 1997 : le
Programme de Coopération Interuniversitaire (PCI, anciennement appelé Intercampus)
pour inciter les étudiants et les professeurs à accroître la coopération éducative et
IBERCUE, un programme favorisant la coopération entre les universités et les
entreprises. Et en 2007, l‟Espagne a décidé de créer un Erasmus ibéro-américain pour
faciliter la mobilité des jeunes chercheurs.136
Dans la phase initiale du programme, les
bourses ont surtout été accordées à des étudiants de master et de doctorat afin de leur
135
http://www.ciberamerica.org/Ciberamerica/Castellano/Areas/cooperacion/iberoamerica/iberoamericana/
programas/inicio.htm 136
J. A. Aunión, « España crea un Erasmus iberoamericano para jóvenes investigadores », El País, 24/07/2007.
Page 74
transmettre des compétences répondant aux nécessités de leur pays d‟origine. L‟objectif
ultime de cet Erasmus ibéro-américain est de contribuer à ce que chaque pays
d‟Amérique latine ait les ressources nécessaires pour stimuler son développement. Mais
cette proposition fait partie d‟un projet plus grand : la création d‟un Espace ibéro-
américain de la Connaissance qui connecterait entre elles les universités latino-
américaines de la même façon que l‟Espace Européen d‟Education Supérieure.
De plus, l‟Espagne a mis en place des programmes de bourses par le biais de la
Fundación Carolina, de l‟AECI et de l‟Institut Cervantes pour encourager la mobilité des
étudiants entre les deux continents. Et la coopération éducative passe également par les
quatre Centres de formation de l‟AECI en Amérique latine (Cartagena de Indias
(Colombie), Santa Cruz de la Sierra (Bolivie), Antigua (Guatemala), Montevideo
(Uruguay)) puisqu‟ils mettent l‟accent sur le renforcement administratif, la formation
technique de fonctionnaires et la communication entre les différents pays.
Ainsi apparaît-il clairement, en étudiant ces différents programmes de coopération
que le gouvernement espagnol a tout fait pour se réserver une place significative dans la
coopération en matière d‟éducation en Amérique latine. Sa stratégie est d‟ailleurs
d‟autant plus efficace que ses programmes touchent les élites mais aussi les masses
longtemps défavorisées. C‟est pourquoi certains analystes estiment que « le Ministère des
Affaires étrangères, l‟AECI et l‟Organisation des Etats Ibéro-américains deviennent des
instruments modernes au service de la « deuxième conquête » du monde ibéro-
américain. »137
L‟importance de la coopération éducative est également renforcée par l‟attention
qu‟y porte l‟Union Européenne. En effet, l‟UE a tout intérêt à s‟impliquer dans cette
coopération pour favoriser la constitution d‟un espace hispano-portugais dans le sous-
continent latino-américain et s‟assurer que l‟Amérique latine devienne un de ses
partenaires. L‟UE a donc elle-aussi mis en place des programmes éducatifs, notamment
lfa et Alan. lfa est un programme de coopération entre les institutions
137
Pablo Berchenko, « L‟Espagne et la coopération éducative entre l‟Europe et l‟Amérique latine » in Daniel Van
Eeuwen (dir.), L'Amérique latine et l'Europe à l'heure de la mondialisation, CREALC-IEP/AIX- Karthala, Paris,
2002, p.264.
Page 75
d‟enseignement supérieur qui a été lancé en 1994. Jusqu‟à présent, il s‟est déroulé en
deux phases (1994-1999/2000-2006) et une troisième devrait être lancée prochainement.
Ce programme a été une réussite : lfa a mobilisé 1064 institutions et géré 846
microprojets dans la première phase, puis 770 institutions et 225 projets dans la seconde.
Au total, la Communauté Européenne a consacré 85 millions d‟euros à ce programme.138
Alan est un programme de bourses de formation de haut niveau adopté par la
Commission Européenne en 2002. Pendant cinq ans (2002-2006), 3319 étudiants latino-
américains ont pu en bénéficier.139
Désormais, l‟UE a adopté un nouveau programme qui
remplacera Alan : « Erasmus Mundus » afin d‟améliorer la qualité de l'enseignement
supérieur et de promouvoir la compréhension interculturelle au travers de la coopération
entre l‟Europe et des pays tiers.140
Entre 2004 et 2006, « Erasmus Mundus » a déjà
accordé 2700 bourses à des étudiants et académiciens de pays tiers pour qu‟ils étudient
dans l‟UE. La Chine, le Brésil, la Russie et l‟Inde sont les pays qui ont le plus bénéficié
de ces bourses : l‟Amérique latine n‟est donc plus mise en avant.
Les exemples de l‟aide au développement et de la coopération culturelle et
éducative montrent bien comment l‟Espagne s‟y prend pour révéler et défendre ses
valeurs de façon indirecte. L‟un des éléments les plus ingénieux est qu‟elle justifie cette
coopération par les besoins et les manques de savoir-faire des populations latino-
américaines. Autrement dit, cela lui permet d‟une part de montrer qu‟elle s‟investit à titre
gracieux pour aider les populations et, d‟autre part, de récolter les fruits de ses activités
sous forme de puissance douce. Cette stratégie est donc doublement gagnante pour
l‟Espagne. De plus, un troisième élément vient se surimposer : l‟utilisation à des fins
marchandes et stratégiques des entreprises qui contribuent au soft power comme les
médias internationaux ou encore les maisons d‟édition.
138
http://ec.europa.eu/europeaid/where/latin-america/regional-cooperation/alfa/index_en.htm 139
http://ec.europa.eu/europeaid/where/latin-america/regional-cooperation/alban/index_en.htm 140
http://ec.europa.eu/education/programmes/mundus/index_en.html
Page 76
Chapitre 2 - Les entreprises : vecteurs du soft power
Comme nous l‟avons vu, l‟Espagne se sert de la coopération pour se garantir une
bonne image sur le plan international et marquer son influence aussi bien sur la culture
que sur l‟éducation. Jusqu‟à présent, le gouvernement espagnol s‟est toujours refusé à
admettre que ses actions en Amérique latine allaient au-delà d‟un simple intérêt
humanitaire ou linguistique, mais lorsque l‟on s‟intéresse de plus près à des domaines
plus spécifiques, il apparaît évident que les entreprises, aussi bien publiques que privées,
se servent de la coopération pour assurer leurs intérêts économiques. On voit bien alors
que le comportement de l‟Espagne en Amérique latine est double : d‟une part, l‟Espagne
veut mettre en place des vecteurs du soft power et, d‟autre part, elle veut en recevoir des
bénéfices. L‟on peut distinguer deux types d‟entreprises porteuses du soft power
espagnol : tout d‟abord les entreprises dont c‟est l‟activité principale comme les médias,
les agences de presse, les sociétés éditrices, qui, par leur profession, exploitent et
promeuvent les valeurs et la culture espagnoles ; et enfin, les entreprises qui souhaitent se
racheter une bonne image en créant des fondations favorisant des activités sociales,
culturelles ou éducatives.
Section 1 - La maîtrise des canaux de diffusion
Les entreprises dont l‟activité est liée à la diffusion de la culture, de la langue et de
l‟information ont indéniablement un grand rôle dans la mise en place de la puissance
douce. Qu‟elles soient publiques ou privées, ces sociétés ont le pouvoir de contrôler les
réseaux de flux, notamment les flux d‟information. Or la maîtrise des canaux de diffusion
et de leur contenu est capitale car elle permet de véhiculer les valeurs espagnoles dans
toute l‟Amérique latine. Toutefois, ces entreprises se servent de ces mêmes valeurs
comme fonds de commerce. L‟ambigüité est d‟autant plus grande pour des entreprises ou
des initiatives publiques qui sont donc prises entre deux feux : promouvoir les valeurs et
rendre l‟activité rentable.
Page 77
A. Le rôle des entreprises publiques
L‟Espagne a décidé de beaucoup s‟investir dans le domaine des médias en
Amérique latine et d‟utiliser ces ambiguïtés à des fins politiques. Ainsi a-t-on vu les
principales entreprises de communication publiques d‟Espagne s‟intéresser au marché
latino-américain comme l‟Agence de Presse EFE et Radio Exterior de España. Un
rapport, commandé par le gouvernement espagnol en 2005 sur les médias publiques141
,
expliquait d‟ailleurs que « le service public doit créer et réaliser un plan ambitieux de
projection des cultures et langues espagnoles, et de la politique étrangère de l‟Etat dans
ses domaines, destinée non seulement aux immigrants d‟origine espagnole, mais à
l‟ensemble de la population mondiale. » L‟idée est donc d‟utiliser ces entreprises comme
de puissants outils pour transmettre au monde la véritable importance que l‟Espagne
pourrait y jouer.
L‟Agence EFE est dans ce cadre-là un outil précieux : il s‟agit de la quatrième
agence de presse mondiale et de la première agence hispanophone. Créée sous la
dictature du Général Franco en 1939, l‟agence est désormais beaucoup plus indépendante
du gouvernement, même si le Président d‟EFE est toujours nommé par le gouvernement.
EFE est une agence publique financée à 40% par l‟Etat et à 60% par ses clients. Le statut
particulier de cette agence se manifeste par la signature de contrats de services avec l‟Etat
espagnol. Dans ces contrats, il est stipulé qu‟EFE doit collaborer à la diffusion de l‟image
de l‟Espagne à l‟étranger, en particulier dans les pays ou zones d‟origine espagnole, pour
garantir ainsi la présence informative de l‟Espagne et son influence culturelle et pour
contribuer à la défense et à la normalisation de la langue espagnole dans le monde. Alex
Grijelmo García, le Président de l‟agence de presse, reconnaît lui-même que son agence a
un rôle bien plus grand qu‟il n‟y paraît : « l‟Agence EFE est la grande vitrine de
l‟Espagne face au monde parce la réalité espagnole y est exposée tous les jours et elle
constitue également un grand outil d‟échange d‟information en espagnol parmi tous les
141
Ministère de la Présidence, Informe para la reforma de los medios de comunicación de titularidad del Estado,
février 2005.
Page 78
pays d‟Amérique latine. »142
EFE sert de relais à des valeurs telles que la démocratie, la
liberté d‟expression, l‟indépendance, l‟information et cherche donc à créer une culture
ibéro-américaine commune en assurant la présence espagnole en Ibéro-Amérique et dans
le monde. En effet, l‟Agence EFE s‟est très vite installée en Amérique latine : elle y a fait
ses premiers pas en 1965 et s‟y est définitivement installé en 1966. Elle a connu une
croissance colossale dans le sous-continent américain : « en 1973, seuls 8% des nouvelles
faisant référence à la politique internationale provenaient de l‟Agence EFE dans toute
l‟Ibéro-Amérique et maintenant, ce taux avoisine les 40%. »143
Désormais l‟agence est la
principale productrice de contenus informatifs en Amérique latine et y a une très forte
implantation. EFE possède quarante-sept sièges dans le monde et vingt d‟entre eux sont
en Amérique latine. La plupart des clients de l‟agence sont sur le continent américain,
notamment aux Etats-Unis, au Mexique et en Argentine et leur nombre ne cesse
d‟augmenter (de 649 en 2002 à 884 en 2006). EFE compte par exemple parmi ses clients
des journaux latino-américains réputés tels que La Jornada et El Universal au Mexique,
El Comercio au Pérou, Clarín en Argentine, ainsi que le groupe chilien El Mercurio. En
tout, le marché d‟EFE en Amérique latine représente 6,3 millions d‟euros en 2006 (soit
une augmentation de 43% par rapport à 2004).144
Au cours de son développement, EFE a pris des décisions qui lui ont permis de se
garantir une place de choix en Amérique latine. L‟agence a réussi dans un premier lieu à
s‟assurer le marché latino-américain dans le domaine des photographies. En effet, en
s‟associant à la création d‟EPA (European Pressphoto Agency) en 1985, EFE et les sept
autres agences participantes ont décidé de se répartir les différents continents pour mettre
ensuite en commun leurs photos : EFE a donc pris en charge l‟Amérique latine. Cet
événement a été capital et a de grandes répercussions. A l‟heure actuelle, EFE a la
première place pour la publication des photos en Amérique latine avant les autres grandes
agences de presse mondiales. En 2006, 37,9% des photos publiées dans les quotidiens
latino-américains provenaient d‟EFE, 30,9% de Associated Press, 16,8% pour l‟Agence
France Presse et 14,2% pour Reuters. De plus, l‟agence EFE a développé des services
particuliers pour l‟Amérique latine. Dans la rédaction, au sein du service lié aux dépêches
142
Diario de Sesiones del Senado, Comisión de Asuntos Iberoamericanos del 28 de febrero de 2007 – Comparution
du Président de l‟Agence EFE, Alex Grijelmo García, pour évoquer la projection de l‟Agence en Ibéro-Amérique
(715/00344), pp.13-14. 143
Ibid., p.16. 144
Ibid., p.11.
Page 79
internationales, une équipe de journalistes est chargée de retravailler les dépêches pour
leurs clients latino-américains en adaptant le discours, le vocabulaire et en ajoutant
certains détails. Sur place, l‟Agence a créé des services spécifiques pour l‟Amérique
Centrale, le Mercosur et Puerto Rico. EFE a également décidé de créer un service en
portugais en 2001 pour augmenter sa participation au Brésil. Ce service a connu un grand
succès dans ce pays lusophone en générant un chiffre d‟affaire allant de 153.000 euros en
2002 à 609.000 euros en 2006, soit une augmentation de 296% ! Plus récemment, EFE a
lancé un nouveau service audio pour les radios latino-américaines mettant à disposition
des enregistrements recueillis par les journalistes d‟EFE, ainsi que des chroniques écrites
par des correspondants. En mars 2007, RTVE (Radiotelevisión Española) et EFE ont
annoncé qu‟elles mettront en place une Agence Ibéro-américaine de Nouvelles
télévisuelles abordant tous les sujets informatifs pour le monde hispanique, afin de servir
d‟alternative aux grands fournisseurs anglo-saxons de contenus (comme CNN en español
ou les chaînes hispanophones de Miami Telemundo et Univisión).145
Enfin, par rapport à
ses concurrents, EFE est l‟agence qui dépense le plus en Amérique hispanophone avec
316.000 euros de plus que l‟AFP, 893.000 de plus que Associated Press et 1,6 millions de
plus que Reuters.146
D‟autre part, EFE a décidé de changer son organisation pour accorder plus
d‟importance à l‟Amérique latine. En 2006, elle s‟est réorganisée au niveau commercial
pour avoir deux directeurs de ventes chargés du continent américain au lieu d‟un. En
2007, elle a déplacé sa direction éditoriale du continent américain de Miami à Bogota
afin de se rapprocher plus de l‟Amérique du Sud. Enfin, la Fundéu a ouvert un nouveau
siège à Mexico et pense en ouvrir deux autres prochainement en Argentine et au Chili. La
Fundéu, ou Fondation de l‟Espagnol Urgent, a été créée à Madrid en 2005 par Víctor
García de la Concha, le directeur de la Real Academia Española pour défendre l‟emploi
de l‟espagnol correct dans les moyens de communication et contribuer à l‟unité de la
langue espagnole en diffusant des recommandations et en attribuant des certificats de
qualité linguistique à tous types de documents. Ce nouveau service d‟EFE se place donc
parfaitement dans les objectifs du contrat de service entre le gouvernement espagnol et
l‟agence de presse.
145
« RTVE y Efe distribuirán videonoticias en América Latina », El País, 16/03/2007. 146
Juan María Calvo, Una herramienta infrautilizada: los medios de comunicación estatales con proyección
exterior, Real Instituto Elcano, ARI Nº 47-2006, 18/04/2006, p.8.
Page 80
Grâce à toutes ces actions, l‟Agence EFE a réussi à atteindre ses fins : promouvoir
les valeurs de l‟Espagne tout en réalisant des bénéfices. Une récente étude de l‟institut de
sondage madrilène Metroscopia sur les clients d‟EFE en apporte une nouvelle
confirmation : à la question « la forte implantation d‟EFE en Amérique latine permet-elle
la consolidation d‟une culture ibéro-américaine commune sur des thèmes informatifs ? »,
76% des personnes interrogées répondent positivement.
Radio Exterior de España suit exactement la même logique que l‟Agence de
presse EFE car, comme l‟explique son directeur, Eduardo Moyano Zamora, « nous avons
l‟obligation de vendre une image de l‟Espagne comme étant celle d‟un pays moderne et
démocratique. C‟est pourquoi Radio Exterior de España doit être une raison d‟Etat. »
Cette radio a été créée dès 1977 et fait partie de l‟ensemble Radio Nacional de España.
Véritable instrument de la promotion culturelle espagnole à l‟étranger, elle diffuse sur
différents canaux en plusieurs langues : espagnol, anglais, français, arabe, russe, hébreux
et portugais. Autre caractéristique, elle enregistre des programmes spécifiques pour ses
différentes aires d‟émission afin de mieux séduire son audience. D‟après un récent
rapport de la BBC, Radio Exterior de España serait la troisième radio la plus écoutée
dans le monde après la BBC et Radio Vatican avec une audience de plus de 80 millions
de personnes. La radio espagnole profite grandement des avancées technologiques,
puisqu‟elle peut désormais s‟affranchir des problèmes techniques liés à la bande FM et
être écoutée sur Internet ce qui séduit une grande partie de son audience. Radio Exterior
de España se sert également d‟Internet pour accroître sa notoriété : elle a mis à
disposition de toutes les radios des archives audio en format mp3 pouvant être utilisées
gratuitement à condition que la radio précise que Radio Exterior de España en est la
source.
Comme l‟Agence EFE, Radio Exterior de España a misé sur l‟Amérique latine et
a des tranches horaires assez large avec une émission durant toute la journée jusqu‟à
minuit. Elle a placé un émetteur au Costa Rica pour diffuser son signal sur toute
l‟Amérique latine. De plus, Radio Exterior de España a signé des accords avec plus de
600 émetteurs en espagnol, principalement dans le sous-continent américain, afin de
diversifier sa programmation. Depuis 2004, elle s‟est également engagée au Brésil avec
Page 81
l‟émission du seul programme bilingue de toute la radiodiffusion espagnole à l‟étranger :
“El español en Brasil”.
TVE Internacional est le troisième moyen de communication publique à vocation
internationale d‟Espagne. La chaîne internationale de RTVE a commencé à émettre en
1989, c‟est-à-dire beaucoup plus tardivement que sa consœur radiophonique Radio
Exterior de España. Avec une audience potentielle de plus de 400 millions de personnes,
c‟est la chaîne européenne avec le taux de pénétration le plus élevé en Amérique latine.
Malheureusement, ce média est très peu exploité. Il rencontre de grandes difficultés
financières, techniques (liés à l‟obtention de droits d‟émission hors du territoire espagnol)
et juridiques. Finalement, peu de personnels travaillent pour ce canal et les programmes
émis sont souvent identiques aux programmes des chaînes nationales espagnoles et donc
comportent peu d‟intérêt pour un auditoire latino-américain. Malgré cela, ce Canal
International bénéficie d‟un certain prestige en Amérique latine.
D‟après les analystes, il est important que les moyens de communication
nationaux soient renforcés pour être de meilleurs instruments de la politique étrangère
espagnole car ce sont des outils idéaux pour montrer que « l‟Espagne peut jouer un plus
grand rôle dans le monde et lutter afin d‟exercer un leadership international qui soit en
accord avec son poids économique. »147
Il faudrait donc que ces entreprises publiques
bénéficient de ressources économiques plus importantes.
B. Le rôle des entreprises privées
Dans le secteur privé, les entreprises des secteurs de la culture et des médias se
servent également des liens particuliers qui unissent l‟Amérique latine et l‟Espagne pour
prospérer. Le Groupe Prisa (Promotora de Informaciones SA), qui possède notamment El
País et la Cadena Ser en Espagne, est très représentatif d‟un tel comportement puisqu‟il a
orienté sa stratégie vers l‟Amérique latine. Le Groupe Prisa est leader dans le secteur des
livres scolaires en Amérique latine grâce à son groupe Santillana et possède de
147
Juan María Calvo, Una herramienta infrautilizada: los medios de comunicación estatales con proyección
exterior, Real Instituto Elcano, ARI Nº 47-2006, 18/04/2006, p.9.
Page 82
nombreuses actions dans des médias latino-américains. En plus de posséder des actions
dans des journaux locaux, le Groupe Prisa publie les journaux boliviens El Nuevo Día,
Extra et La Razón, ainsi que l‟édition mexicaine de Rolling Stone. Dans le secteur
radiophonique, Prisa est présent en Amérique latine par le biais de Unión Radio (dont il
est actionnaire majoritaire), la plus grande entreprise radiophonique sur les marchés de
langue espagnole avec plus de 1.200 émetteurs et 17 millions d‟auditeurs sur le continent
américain (principalement en Colombie avec Caracol Radio, au Mexique avec
Radiópolis et en Argentine avec Continental). Prisa a également fait l‟acquisition de
Iberoamerican Radio Chile (IARC), la chaîne de radio leader du Chili à la fin de l‟année
2006.148
Le rapprochement entre les groupes Prisa et Unión Radio représente des intérêts
considérables car ces deux entreprises aspirent à former « la plus grande corporation
radiophonique de langue hispanique du monde. »149
Leur but est notamment d‟investir
dans les marchés lusophones (grâce à l‟achat des entreprises brésilienne et portugaise
Media Capital) et américains. De plus, Prisa est actionnaire de la chaîne de télévision
ATB Bolivia. Ainsi Jesús de Polanco, le fondateur du Groupe Prisa, estimait-il lors de
l‟Assemblée du Groupe de 2007 que Prisa était le « premier et pratiquement le seul
groupe de médias de dimension ibéro-américaine ».
Un autre exemple illustre parfaitement l‟ambigüité entre diffusion des valeurs et
rentabilité : le secteur de l‟industrie éditoriale en Amérique latine. L‟industrie éditoriale
espagnole possède un total de 122 filiales dans cette région. Celles-ci correspondent à
84% de leur présence internationale (principalement au Mexique, en Argentine et au
Chili). En effet, parmi les trente-trois maisons d‟édition qui ont le plus de poids dans la
région, dix-sept ont leur maison mère en Espagne (comme Océano, Santillana, Planeta,
Everest). Le continent américain a toujours été l‟objectif principal des entreprises
éditoriales espagnoles. Ce marché représentait déjà 244 millions d‟euros en 1997, soit
74,5% de l‟ensemble des exportations des éditrices espagnoles à l‟étranger, contre 23%
pour l‟Union Européenne. Mais si la part du continent américain a presque toujours
148
« El Grupo Prisa adquiere la cadena de radio líder de Chile », Cinco Días, 23-24/12/2006. 149
Juan Manuel Pardellas, « Cebrián y Godó destacan la expansión de Unión Radio a Portugal, Brasil y EEUU », El
País, 11/11/2006.
Page 83
dépassé 200 millions d‟euros, celle de l‟Union Européenne a progressivement augmenté
en passant de 75 millions d‟euros en 1997, à 153 millions en 2006.150
En 2006, les maisons éditrices espagnoles ont exporté en Amérique latine pour un
montant de 166 millions d‟euros dont 36% au Mexique et 13% en Argentine.151
Les
exportations en Amérique latine ont représenté 45,5% du total des exportations des
maisons éditrices espagnoles à l‟étranger : elles dépassent donc les exportations du
continent européen qui représentent 42,5%. Depuis plus de dix ans, le Mexique est le
principal exportateur de livres de l‟Espagne : en 2006, le montant de ses exportations
s‟est élevé à 66 millions d‟euros, devant la France (42 millions), l‟Italie (28 millions), le
Portugal (24 millions) et l‟Argentine (23 millions).152
Pourtant, le marché offre encore de
grandes possibilités puisque seuls 29,1% des importations de livres réalisées par les pays
latino-américains en 2004 provenaient d‟Espagne, alors que 24,3% venaient des Etats-
Unis.153
Toutefois, l‟Espagne est déjà en bonne place : c‟est le cinquième exportateur
mondial de livres avec 6,3% de participation dans le commerce international de l‟édition,
après le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l‟Allemagne et la Chine.
150
Fédération espagnole des chambres du Livre, Comercio exterior del libro 2006, Madrid, 2007, p.21. 151
Ibid., p.47. 152
Ibid., p.30. 153
Elisabet Sabartes, « EE.UU. amenaza el liderazgo de la edición española en América Latina », La Vanguardia,
04/12/2006, p.31.
Page 84
Le Groupe Santillana (qui fait partie du Groupe Prisa depuis l‟an 2000) est l‟une
des grandes maisons d‟édition espagnole implantées en Amérique latine. Par sa politique
de rachat d‟autres maisons d‟édition, le groupe Santillana touche désormais tous les
publics. Santillana s‟est principalement développé vers l‟Amérique latine et possède
plusieurs filiales dans chacun des pays latino-américains : le continent américain
représente 65% de ses revenus sur la vente des livres soit 303 millions d‟euros.154
Au
Mexique, le groupe possède cinq filiales : les sociétés Editorial Santillana, Editorial
Nuevo México, Richmond Publishing, Santillana Ediciones Generales et Punto de
Lectura. Santillana a également misé sur le Brésil en acquérant récemment trois grandes
maisons d‟édition brésiliennes, Editora Moderna, Salamandra et Editora Objetiva. Les
fruits de ces investissements sont parfaitement visibles : le Brésil est le pays où Santillana
a réalisé la plus grande vente en 2006 avec presque 40 millions d‟exemplaires vendus, un
chiffre bien plus grand que dans les pays hispanophones, avec 21 millions d‟exemplaires
au Brésil et 8,5 au Venezuela.155
Une autre chaîne privée espagnole a suivi la même expansion vers l‟Amérique
latine : Antena 3 en créant Antena 3 Internacional, la première chaîne espagnole créée
par une entreprise de télévision privée pour l‟Amérique hispanophone. Elle émet depuis
l‟Espagne pour l‟Amérique, en direct et est disponible à plus de 15 millions de personnes
dans dix-huit pays du continent américain. Cependant ce canal est marginal et le groupe
concentre ses efforts sur les chaînes espagnoles.
Toutes ces initiatives montrent bien que la coopération culturelle et éducative dont
se servent les entreprises publiques comme privées jouent un rôle de projection de
l‟Espagne dans tous les pays latino-américains. Cela provoque donc une dérive vers une
utilisation marchande de la puissance douce (soft power).
154
http://www.prisa.es/static/es/accionistas/memoria2005/grupo_prisa_web.swf 155
http://www.gruposantillana.com/cifras1.htm
Page 85
Section 2 – La Responsabilité Sociétale des Entreprises
Les entreprises utilisent de plus en plus des valeurs humanistes pour accroître leur
notoriété et servir leurs intérêts économiques. Cette logique diverge de celle exprimée
précédemment puisque les domaines culturel et social sont extérieurs à l‟activité de
l‟entreprise et sont utilisés comme un moyen d‟acceptation dans les pays où ces sociétés
sont installées. Ces firmes reprennent donc à leur compte toutes les avancées de la
diplomatie espagnole et son engagement dans la coopération en faisant mine d‟y
participer. Ainsi voit-on toutes les grandes firmes espagnoles en Amérique latine créer
des fondations pour améliorer les conditions de vie des populations locales. Ces
initiatives s‟inscrivent dans le cadre de la « Responsabilité Sociétale des Entreprises ». Il
s‟agit d‟un concept, datant des années 1970, qui implique la prise en compte par les
entreprises des préoccupations sociales, environnementales et économiques de leurs
activités. La Responsabilité Sociétale des Entreprises suppose également que les sociétés
doivent prendre des responsabilités vis-à-vis de leurs parties-prenantes internes et
externes (employés, clients, autorités publiques…). Bien que cette notion ne soit pas
nouvelle, elle est redevenue d‟actualité lors du Sommet de la Terre de Johannesburg en
2002 et elle est désormais très en vogue. Le gouvernement espagnol la soutient comme le
témoigne la création, au sein de la Fundación Carolina (financée au deux tiers par l‟Etat),
d‟une nouvelle branche intitulée Responsabilidad Social de las Empresas en 2004. Les
activités de ce nouveau programme consistent à mettre en œuvre des tables rondes
auxquelles participent toutes les entreprises du comité de parrainage pour les sensibiliser
à la coopération et leur permettre d‟échanger leurs expériences.
Il est intéressant de constater que chacune des grandes entreprises espagnoles
ayant massivement investi en Amérique latine a créé une fondation ou un fonds
spécifique qui lui permet d‟aider au développement des pays dans lesquels elles se sont
implantées.
Une entreprise a été le précurseur dans ce domaine. Il s‟agit de l‟entité bancaire
BBVA (Banco Bilbao Vizcaya Argentaria) qui a parrainé dès 1993 la Ruta Quetzal, créée
originellement par le Roi d‟Espagne en 1979 pour préparer les célébrations du cinquième
Centenaire de la Découverte de l‟Amérique. Ce programme culturel et éducatif organise
Page 86
chaque année la rencontre et le voyage à travers l‟Espagne et l‟Amérique latine des
meilleurs étudiants (300-400 jeunes) de chaque côté de l‟Atlantique pour renforcer l‟idée
de communauté ibéro-américaine. La firme BBVA le dit elle-même sur son site internet :
« avec ce programme, BBVA prétend montrer son engagement dans l‟éducation, la
jeunesse, la famille et l‟environnement. »156
Outre le parrainage, les entreprises choisissent désormais plus volontiers de créer
soit des fondations (internationales comme Telefónica ou nationales comme BBVA), soit
des programmes, dans lesquels apparaissent souvent les notions d‟engagement social, de
corporatisme ou de responsabilité. Ces initiatives sont apparues à la fin des années 1990
et au début des années 2000 à cause du contexte international qui les y incitait et des
problèmes d‟image rencontrés par ces entreprises en Amérique latine. L‟une des
premières fondations créées est celle de Repsol en 1995. Son objectif est de mener des
activités à caractère culturel, social, scientifique et éducatif. Plus précisément, elle s‟est
beaucoup investie pour former des enseignants et des étudiants à l‟université et donner
une impulsion aux études liées au pétrole, au gaz, à l‟électricité et à la pétrochimie.
Repsol a ensuite créé d‟autres fondations, la fondation YPF dont la mission est de
« contribuer à ce que l‟Argentine remplisse les conditions nécessaires pour participer
activement dans un monde porté par l‟intégration » en centrant ses efforts sur l‟éducation,
la recherche et la promotion sociale ainsi que la fondation Repsol YPF Ecuador. Cette
dernière a pour objectif de contribuer au développement social de l‟Equateur. En 2006,
les fondations de l‟entreprise Repsol ont réalisé quarante-trois projets pour un montant de
9,6 millions de dollars répartis à 78% dans la Fondation Repsol YPF, 20% dans la
Fondation YPF et 2% dans la Fondation Repsol YPF de l‟Equateur.157
D‟autre part, les
investissements de Repsol dans des programmes culturels et sociaux en Amérique latine
sont en pleine expansion : leur montant est passé de 5,7 millions d‟euros en 2004 à 11,8
millions en 2006, soit une augmentation de la part de l‟Amérique latine dans ce type
d‟investissements de 35 à 46%.158
Après Repsol, les autres grandes sociétés ont adopté la même démarche comme
Telefónica qui a créé sa fondation en mars 1998, puis installé des filiales de cette dernière
156
http://ws1.grupobbva.com/TLBB/tlbb/jsp/esp/respscor/rtaquetl/index.jsp 157
http://www.repsolypf.com/es_es/todo_sobre_repsol_ypf/responsabilidad_corporativa/compromiso_social/
nuestros_datos/ 158
Ibidem.
Page 87
dans sept pays latino-américains entre 1999 et 2005. L‟objectif de ces filiales est
d‟articuler l‟action sociale et culturelle de toutes les entreprises du groupe. Telefónica a
accordé une grande attention à sa fondation en créant plusieurs programmes bien définis.
Le premier est Proniño dont l‟objectif est l‟éradication du travail des enfants (leur
nombre s‟élève à 17 millions environ) et leur scolarisation. Le second, EducaRed, est
destiné à améliorer la qualité de l‟éducation grâce aux nouvelles technologies de
l‟information et de la communication et à favoriser ainsi l‟égalité des chances. Le
troisième, Fórum, propose de créer, d‟analyser et de diffuser la connaissance en utilisant
les technologies de l‟information. Le quatrième, Arte y Tecnología (Art et Technologie),
est chargé de la gestion du patrimoine artistique, historique et technologique du Groupe
et se sert de l‟Art comme d‟un outil d‟appui à l‟éducation. Et le dernier programme,
Voluntarios Telefónica, cherche à faire participer les employés du groupe dans les
différentes activités de l‟action sociale. En 2006, le budget de la Fondation Telefónica
s‟est élevé à 33 millions d‟euros dont ont principalement bénéficié EducaRed et Proniño
(9,6 et 4,7 millions d‟euros, respectivement).159
Cette somme est considérable et la
fondation est donc très active : 674 projets et initiatives ont été réalisés en 2006, 27.579
entités et 33,5 millions de personnes ont participé ou ont bénéficié directement de ces
actions. Le programme EducaRed à lui seul mobilise plus de 11.000 collèges soit
350.000 professeurs et 3,5 millions d‟élèves.
En revanche le groupe BBVA n‟a pas de projets transversaux mais des fondations
distinctes dans certains pays. Au Mexique et au Pérou, les Fondations BBVA Bancomer et
Banco Continental ont centré leur activité sur les domaines social, éducatif, artistique et
culturel. Au Venezuela, la Fundación BBVA Provincial se focalise sur l‟éducation et la
culture. En Argentine, la Fundación BBVA Banco Francés est axée sur le développement
des entreprises et des activités du secteur tertiaire, ainsi que la promotion de l‟art et de la
culture. Ces fondations ont bénéficié d‟un budget de 5 millions d‟euros en 2006, dont
92% était destiné à la fondation mexicaine. Ce budget global a considérablement
augmenté puisqu‟il était de 3,3 millions en 2004. D‟autre part, le groupe BBVA mène
d‟autres actions et programmes en Amérique latine, indépendamment de ses fondations.
En 2006, le groupe a dépensé 6,2 millions d‟euros dans des actions éducatives, sociales,
159
Resumen Informe Anual Fundación Telefónica 2006, p.11.
Page 88
culturelles et environnementales. Cet engouement est cependant nouveau car cette
somme ne s‟élevait qu‟à 1,6 millions en 2004.160
Au-delà des fondations dont il est tout de même difficile d‟évaluer l‟impact réel,
les grandes entreprises essaient d‟être présentes au quotidien dès que survient une
catastrophe. Les derniers mois nous ont fourni un parfait exemple avec le violent
tremblement de terre qui a secoué le Pérou le 15 août 2007 à proximité de Pisco, ville
peuplée de 130.000 habitants. Devant l‟ampleur de la catastrophe qui a fait plus de 500
morts et laissé près de 90.000 familles délogées, les firmes espagnoles ont très vite
répondu à l‟appel. BBVA a ouvert un compte de 300.000 dollars pour les « Victimes du
séisme du Pérou » et a fait un appel aux dons en spécifiant que le groupe ne prendrait pas
de commissions sur les virements bancaires à destination du Pérou. De plus, une banque
locale appartenant au groupe BBVA, Banco Continental de Perú, a ouvert trois comptes
pour collecter des fonds pour les personnes affectées par le tremblement de terre et a
même mis à leur disposition des ressources économiques immédiates. Elle a apporté sa
participation sur le terrain en installant des abris pour récolter des vivres et de l‟eau et a
aidé des organismes de santé à organiser des collectes de sang. Enfin, elle s‟est engagée à
faciliter l‟obtention de crédits pour financer la reconstruction des habitats détruits. Toutes
les filiales de BBVA en Amérique latine ont elles-aussi ouvert des comptes pour aider les
personnes sinistrées.
L‟entité bancaire Santander a également fait un geste par le biais de sa compagnie
de transfert de fonds Latinoenvíos en exécutant à titre gracieux les virements de
l‟Espagne vers le Pérou. Pour chaque virement, Santander a placé deux euros sur un
compte destiné aux personnes affectées par le séisme. De plus, la filiale Santander Perú a
fait un don de 100.000 dollars pour la reconstruction des maisons des personnes sans
ressources et a envoyé des colis contenant des couvertures, de l‟eau et des aliments pour
les habitants de la ville de Pisco.
Pour sa part, la fondation Telefónica a fait un don de trois millions de dollars et
signé un accord avec la Croix Rouge et la Fédération Internationale des Sociétés de la
160
BBVA, Informe Anual de Responsabilidad Corporativa 2006, p.111.
Page 89
Croix Rouge et du Croissant Rouge pour apporter son aide lors des missions d‟assistance
aux personnes sinistrées. La firme a également mis en place dans toutes ses filiales des
comptes spéciaux pour faciliter les dons. La filiale de Telefónica, Movistar, a mis en
marche un système de SMS, « Movistar Solidario », dont les recettes étaient destinées à
deux Organisations Non Gouvernementales (ONG), Ayuda en Acción et Save the
Children, présentes dans les zones sinistrées.
Enfin, la banque catalane La Caixa a proposé à ses clients de transformer leurs
points bonus en dons : 3,8 millions d‟euros ont ainsi été recueillis et répartis dans plus de
vingt ONG.
Ces démarches ne sont pas innocentes et servent de relais et de vitrine aux
investissements. Il s‟agit d‟une manœuvre des entreprises pour se faire accepter et
montrer leur intérêt pour les populations locales. Mais au-delà de ces initiatives, la
nationalité de ces firmes rejaillit et l‟image de l‟Espagne en bénéficie.
Page 90
CONCLUSION
Les relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine sont, nous l‟avons vu, très fortes
et nombreuses. Au-delà des composantes des puissances douce ou coercitive (soft et hard
powers), d‟autres éléments entrent en jeu pour la création de liens solides : l‟immigration
est l‟un d‟entre eux. L‟Espagne étant le seul pays développé avec lequel les pays latino-
américains partagent la même langue, il n‟est en effet pas rare de voir des familles dont
les membres vivent de part et d‟autre de l‟Océan Atlantique. Ces attaches, qui relèvent
davantage de l‟affectif, créent des liens interpersonnels. Elles jouent un rôle non
négligeable dans cette reconquête et expliquent en partie pourquoi les Latino-américains
ont laissé l‟Espagne prendre un tel poids dans leur région. Par conséquent, l‟Espagne
reste, dans l‟esprit des Latino-américains, la mère patrie et il est très intéressant
d‟observer qu‟à chaque crise, les Latino-américains ont le réflexe, presque conditionné,
de se rendre en Espagne. Ce fut par exemple le cas lors de la crise argentine de 2001. Si
l‟on compare les chiffres des Annuaires Statistiques de l‟Immigration de 1998 et 2002161
,
les chiffres sont flagrants : le nombre de résidents argentins en Espagne est passé de
17.000 à 28.000 et le nombre de visas accordés à des Argentins de 2.000 à 9.000.
De plus, chaque fois qu‟un visa est imposé pour entrer dans l‟Union Européenne,
cela constitue un drame pour le pays latino-américain en question. Après le Pérou, la
République Dominicaine et la Colombie, la Bolivie est le dernier pays d‟Amérique latine
à s‟être vu imposer un visa le 1er avril 2007. Un an avant l‟application de cette décision
européenne, le nombre de Boliviens à voyager vers l‟Europe et celui des vols réalisés par
les compagnies aériennes ont considérablement augmenté (de deux vols hebdomadaires à
environ trois vols quotidiens). En mai 2006, 5.000 personnes de nationalité bolivienne
avaient atterri à l‟aéroport madrilène de Barajas et, à la fin de l‟année, 110.000 Boliviens
avaient voyagé en Espagne (d‟après les chiffres du Consulat espagnol de La Paz). En
conséquence, si en 2002, 13.517 Boliviens résidaient en Espagne, ils étaient déjà 139.802
161
Anuario Estadístico de Extranjería 1998, Comisión Interministerial de Extranjería.
Anuario Estadístico de Extranjería 2002, Ministerio del Interior, Delegación del Gobierno para la Extranjería y la
Inmigración.
Page 91
en 2006, sans compter tous les immigrants non déclarés.162
Cet effet d‟appel montre à
quel point l‟attrait pour l‟Espagne, et l‟Europe en général, est puissant. Lors du Sommet
Ibéro-américain de Montevideo en 2006, le Gouvernement espagnol avait annoncé à
demi-mot la possible mise en place d‟un visa pour les Argentins. L‟Argentine avait été
très choquée par une telle annonce et, en quelques heures, les prémisses d‟une crise
s‟étaient fait ressentir. Finalement, cette information avait été démentie. Une telle
réaction est tout à fait représentative : les Latino-américains veulent avoir la possibilité
d‟aller en Espagne et prennent très mal des mesures qui rendraient difficile leur venue
dans la mère-patrie. Cela est d‟autant plus critiqué que les pays d‟Amérique latine n‟ont
posé aucune barrière à la venue massive d‟Européens à la fin du XIXème siècle et au
début du XXème siècle.163
Ces mécanismes expliquent pourquoi l‟Espagne représente la deuxième
destination de l‟émigration latino-américaine dans le monde, derrière les Etats-
Unis. Depuis les années 1990, l‟immigration des pays latino-américains vers l‟Espagne
s‟est considérablement accrue. Selon le Ministère espagnol de l'Intérieur, le nombre
d'immigrés latino-américains en Espagne a plus que quintuplé de 1995 à 2003, passant de
92.642 à 514.485. En 2006, plus d‟un million de Latino-américains sont recensés en
Espagne, ce qui représente 35% des immigrants étrangers vivant en Espagne : les
Equatoriens et les Colombiens sont, après les Marocains, les deux communautés les plus
présentes en Espagne (soit 20% des immigrés).164
Or ces chiffres ne prennent pas en
compte les immigrés clandestins dont le nombre est évalué par des organisations
humanitaires à environ un million.
Inversement, les enquêtes d‟opinion de 1997 et 2002 montrent que les Espagnols
pensent que les Latino-américains s‟adaptent mieux que les immigrants d‟autre
provenance grâce à la langue commune et aux similarités culturelles et religieuses.
Longtemps terre d‟émigration, l‟Espagne est désormais en plein boom économique et a
besoin de main d‟œuvre pour continuer à se développer. Il y a donc une sorte
d‟interdépendance qui s‟est instaurée entre les deux régions. De plus, du fait du grand
162
Ana Del Barrio, « Miles de bolivianos colapsan las oficinas de Migración para llegar a España », El Mundo,
Madrid, 18/03/2007, p.26. 163
On estime que 5,8 millions d‟Européens se sont rendus en Argentine entre 1871 et 1914 et que 3,3 millions y
sont restés définitivement. Par conséquent, en 1914, les étrangers représentaient 43% de la population argentine. 164
Anuario Estadístico de Inmigración 2006, Ministère du Travail et des Affaires sociales, Secrétariat d‟Etat de
l‟Immigration et de l‟Emigration.
Page 92
nombre d‟immigrants latino-américains ayant la nationalité espagnole, l‟Amérique latine
intervient de plus en plus dans l‟agenda espagnol interne et fait partie du débat politique
quotidien.
Cette interdépendance entre l‟Espagne et l‟Amérique latine prend également
d‟autres formes, indépendamment des flux migratoires. L‟immigration latino-américaine
est porteuse d‟une composante économique croissante : les remesas ou transferts de
revenus vers les pays d'origine. L‟Espagne est la deuxième source mondiale des remesas
et la première en Europe. Leur volume a presque triplé ces cinq dernières années et
dépasse pour la première fois le seuil des 7 milliards d‟euros en 2007, alors qu‟elles
atteignaient 2,8 milliards en 2002. Environ 70% des remesas ont pour destination
l‟Amérique latine constituant par là-même le principal flux économique net de l‟Espagne
vers l‟Amérique latine. Ces fonds ont une importance capitale pour les économies des
pays latino-américains : ils représentent environ 70% des investissements directs
étrangers et dépassent de cinq fois l‟aide publique au développement.165
Dans certains
pays, les remesas forment même une partie non négligeable de leur produit intérieur brut
(PIB) : 16% du PIB du Honduras et 15% du PIB du Salvador (chiffres de 2005).
Mais bien que les liens économiques et humains entre l‟Espagne et l‟Amérique
latine soient très forts, des sources d‟inquiétude existent des deux côtés de l‟Atlantique.
Du côté de l‟Europe, l‟élargissement de l‟Union Européenne engendre une
certaine appréhension. Cela a des conséquences sur la compétitivité des pays latino-
américains car l‟UE recourt toujours plus à ses voisins immédiats pour satisfaire sa
demande croissante d‟exportation. Toutefois les avis divergent sur les conséquences que
cela pourra entraîner sur les relations interrégionales de l‟UE. L‟élément le plus
problématique reste néanmoins celui de la Politique Agricole Commune (PAC) qui
comprend des dispositions de caractère nettement protectionniste, tels que les
prélèvements, les quotas et les subventions à l‟exportation. Les pays d‟Amérique latine
s‟opposent donc à la PAC qu‟ils considèrent comme un obstacle à la pénétration du
165
“Tercer encuentro iberoamericano sobre remesas de emigrantes, La regulación y El papel de las Comunidades
Autónomas,” Conférence du 16 février 2007 organisé par Remesas.org et l‟Organisation des Etats Ibéro-américains,
Madrid.
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marché européen. De plus, l‟élargissement de l‟Union Européenne a donné lieu à des
modifications additionnelles du commerce intra-européen et a libéralisé complètement le
commerce agricole au sein de l‟Union agrandie. Ces changements sont donc encore plus
pénalisants pour les pays latino-américains qui réclament une réforme de la PAC.
Du côté espagnol, l‟on voit progressivement apparaître un certain détachement à
l‟égard de l‟Amérique latine. Le Baromètre 2006 sur « l‟Amérique latine et la
coopération au développement dans l‟opinion publique espagnole » réalisé par le Centre
d‟Investigations Sociologiques (CIS) et la Fundaciñn Carolina166
montre que l‟Amérique
latine n‟est plus la priorité des Espagnols (cf Annexe n°5). Dans le cadre de la politique
extérieure, ils estiment à 71% que l‟intégration européenne est plus importante que les
relations avec l‟Amérique latine qui n‟ont été citées que par 32% des personnes
interrogées. De plus, malgré une identification affective avec l‟Amérique latine, les
Espagnols ont désormais le sentiment d‟être Européens : ils considèrent avoir plus de
similitudes et d‟intérêts communs avec l‟Europe qu‟avec l‟Amérique latine ce qui est un
changement très important. Enfin, l‟Amérique latine n‟éveille plus qu‟un intérêt
secondaire et se retrouve à la cinquième place des régions dont les informations
quotidiennes intéressent les Espagnols derrière l‟Union Européenne, l‟Afrique du Nord,
les Etats-Unis et le Moyen Orient.
Du côté latino-américain, la région cherche de plus en plus à garantir son
indépendance et à trouver de nouveaux partenaires commerciaux. D‟une part, les pays
latino-américains tentent de s‟allier les uns avec les autres par des accords commerciaux.
Depuis 1999, plusieurs pays ou groupements de pays ont signé ce genre de traités : le
Chili a, par exemple, signé des accords avec le Mexique (1999), l‟Amérique Centrale
(2002) et le Pérou (2006). Les pays d‟Amérique Centrale ont aussi ratifié de nombreux
accords avec des pays tiers - la République Dominicaine (2002), le Mexique (2000) - et
entre eux - le Panama avec El Salvador (2002) et le Honduras (2002)-. Cette liste, non
exhaustive, témoigne de la volonté des pays latino-américains de profiter des avantages
166
Barñmetro 2006 “América Latina y la cooperaciñn al desarrollo en la opiniñn pública espaðola”, Fundaciñn
Carolina / Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS), Madrid, noviembre 2006.
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naturels de leur proximité géographique en ouvrant de nouveaux marchés d‟exportation
et également en facilitant la restructuration et la diversification de leurs économies. Afin
d‟être plus unis, Cuba et le Venezuela ont créé l‟Alternative bolivarienne pour les
Amériques (ALBA) en 2005, à laquelle se sont rattachés ensuite la Bolivie, le Nicaragua
et la République Dominicaine. Fondée sur des principes de solidarité, de coopération et
de réciprocité, cette organisation entend constituer une alternative d‟intégration régionale
au projet de Zone de libre échange des Amériques (ZLEA) promu par Washington.
L‟ALBA a proposé des initiatives telles que la construction d‟un Gazoduc du Sud (reliant
l‟Argentine au Venezuela), la création d‟une monnaie unique ou celle d‟une alliance
militaire. Certaines propositions ont même vu le jour comme TeleSUR, une chaîne de
télévision qui fournit une information latino-américaine échappant aux standards des
télévisions privées et à l‟influence médiatique venue du Nord, et la Banque du Sud. El
Banco del Sur, créé en novembre 2007, est le premier projet chaviste d‟envergure
régionale qui voit le jour. Cette banque de développement, à laquelle participent six pays
sud-américains (le Venezuela, la Bolivie, l‟Argentine, le Brésil, le Paraguay et
l‟Uruguay), se veut une alternative aux financements des organismes multilatéraux de
crédits traditionnels comme la Banque Mondiale et la Banque Interaméricaine de
Développement (BID). Elle devrait bénéficier d‟un capital de 5 milliards d‟euros ; les
crédits ne pourront être accordés qu‟à des pays d‟Amérique du Sud renforçant ainsi
l‟autonomie financière des pays sud-américains et leurs entreprises.167
D‟autre part, les pays latino-américains cherchent aussi à se rapprocher de leurs
voisins du Nord, les Etats-Unis et le Canada. Récemment, les Etats-Unis ont signé des
accords de libre échange avec le Chili (2004), le Pérou (2006), l‟Amérique Centrale168
et
la République Dominicaine (2006), le Panama (2006) et la Colombie (2008).169
Enfin,
l‟Uruguay et les Etats-Unis ont signé un traité d‟échange commercial (Trade Investment
Framework Agreement) en 2007. Le Canada a également signé un accord de libre
échange avec le Costa Rica en 2002. De plus, l‟Organisation des États américains (OEA),
qui réunit tous les pays du continent américain, exerce un poids et une influence non
négligeable sur l‟Amérique latine.
167
Fernando Gualdoni, « Siete países fundan el Banco del Sur », El País, Madrid, 10/10/2007. 168
Costa Rica, Guatemala, El Salvador, Honduras, Nicaragua. 169
Sous condition de ratification par le Congrès américain.
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Les pays latino-américains s‟ouvrent aussi à d‟autres pays et régions ce qui suscite
des inquiétudes pour l‟Union Européenne et les Etats-Unis. La Chine est de plus en plus
présente en Amérique latine et a fait de cette région la quatrième priorité de sa politique
étrangère (derrière la zone Pacifique, l‟Europe et l‟Afrique). Son intérêt est très marqué :
la Chine a considérablement augmenté ses relations commerciales avec les pays latino-
américains, elle y a investi presque un milliard de dollars par an ces dernières années et a
obtenu le statut d‟observateur dans l‟Organisation des Etats Américains (OEA). De plus,
le gouvernement chinois a mis en œuvre des mécanismes de dialogue avec le Mercosur et
la Communauté Andine (CAN), ainsi qu‟un Forum Chine-Amérique latine.170
Dès 2002,
la Chine a pris la place du Japon et est devenue le premier partenaire commercial de
l‟Amérique latine en Asie (cf Annexe n°6). Dans le cadre des relations commerciales,
« entre 1994 et 2003, la part de la Chine dans le marché des importations latino-
américaines est passée de 1 à 4,5%. »171
Les exportations de la région (principalement le
Brésil, le Chili et l‟Argentine) vers la Chine ont dépassé 19 milliards de dollars en 2005,
soit 3,5% des exportations totales.172
Par ailleurs, la Chine a signé des alliances
stratégiques avec l‟Argentine, le Brésil, le Mexique et le Venezuela et un traité de libre-
échange avec le Chili en 2006. Elle a également signé des accords de protection des
investissements avec l‟Argentine, la Bolivie, le Chili, Cuba, l‟Equateur, le Pérou et
l‟Uruguay et des accords de tourisme avec six pays latino-américains (l‟Argentine, le
Brésil, le Chili, Cuba, le Mexique et le Pérou).173
Outre la Chine, c‟est avec l‟ensemble
des pays asiatiques de l‟APEC que les trois pays latino-américains membres de cette
organisation (le Chili, le Pérou et le Mexique) veulent accroître leurs échanges
commerciaux et de nombreux traités sont en préparation. En 2008, la Colombie, le Costa
Rica, l‟Equateur, le Salvador et le Panama devraient demander leur incorporation à
l‟APEC : si tel était le cas, les pays latino-américains porteraient donc plus leur regard
vers le Pacifique que l‟Atlantique. Par conséquent, les relations commerciales avec
l‟Espagne pourraient en souffrir. Cette hypothèse semble également renforcée par le
comportement du deuxième géant démographique asiatique. L‟Inde a elle aussi signé des
170
Carlos Malamud, « Los actores extrarregionales en América Latina (I): China », Real Instituto Elcano, Document
de Travail Nº 50/2007, 13/11/2007. 171
BID, Integración y comercio en América, Nota periódica de Mayo 2004, p.26. 172
CEPAL, Osvaldo Rosales et Mikio Kuwayama, América Latina y China e India : hacia una nueva alianza de
comercio e inversion, Santiago du Chili, janvier 2007, pp.33-34. 173
Ibid., p.46.
Page 96
accords avec des pays latino-américains (le Chili, le Mercosur et le Brésil) et l‟initiative
IBSA (Inde, Brésil, Afrique du Sud) constitue une autre menace pour l‟Espagne qui tente
de plus en plus de s‟impliquer au Brésil. En 2003, la Déclaration de Brasilia a formalisé
la création du forum de dialogue IBSA. L‟objectif de ce rapprochement est de créer un
ensemble d‟économies du Sud qui permette à ces trois pays d‟augmenter leur visibilité et
leur poids de décision dans le cadre des institutions traditionnellement dominées par les
grandes puissances. L‟Espagne peut donc craindre de voir le Brésil parler de plus en plus
aux noms des pays latino-américains dans les grandes institutions mondiales. L‟Inde, le
Brésil et l‟Afrique du Sud veulent s‟aider les uns les autres à se développer et ces trois
pays ont signé plusieurs documents visant à renforcer leur coopération dans les secteurs
les plus importants : le commerce, le transport, l‟énergie (principalement alternative :
biocarburant et énergie solaire) et le secteur social (projets en Guinée Bissau et en Haïti,
coopération dans la lutte contre le virus du sida). Grâce à tous ces accords, le commerce
trilatéral a augmenté de 2 milliards de dollars à 4,3 milliards entre 2003 et 2006.174
Mais un autre élément est plus inquiétant : le rapprochement de certains pays
latino-américains avec des pays dont les pratiques démocratiques posent problème. Le
président vénézuélien suscite des inquiétudes : ses visites en Biélorussie et en Russie en
2007 ont abouti à l‟achat de matériel militaire (des systèmes de défense anti-aériens pour
720 millions d‟euros en Biélorussie et cinq sous-marins russes). Mais le cas de l‟Iran est
encore bien plus préoccupant. Depuis l‟élection de Mahmoud Ahmadinedjad, les liens
entre l‟Iran et l‟Amérique latine se sont considérablement renforcés, notamment grâce à
la médiation d‟Hugo Chávez qui voit en lui un partenaire au sein de l‟OPEP et dans sa
lutte contre « l‟impérialisme américain ». En deux ans, les deux présidents se sont vus
plus de dix fois et H. Chávez s‟est déplacé quatre fois en Iran. Leurs rencontres ont
abouti à la signature de plus de 150 accords de tout type d‟une valeur supérieure à 20
milliards de dollars.175
Bien que ces accords soient rarement concrétisés, il est important
de voir à quel point les relations diplomatiques se sont intensifiées entre l‟Iran et
l‟Amérique latine depuis la présidence de M. Ahmadinedjad. Le président iranien a
trouvé dans cette région de nouveaux alliés diplomatiques soutenant sa politique de
174
John de Sousa Sarah-Lea, India, Brasil, Sudáfrica (IBSA) ¿Un nuevo tipo de multilateralismo interregional del
Sur ?, FRIDE, avril 2007. 175
Carlos Malamud et Carlota García Encina, Los actores extrarregionales en América Latina (II): Irán, Real
Instituto Elcano, Analyse Nº 124/2007, 26/11/2007.
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développement nucléaire, ce qui lui a permis de rompre l‟isolement international auquel
il était contraint. En effet, en plus de Cuba et du Venezuela, M. Ahmadinedjad a reçu le
soutien des présidents nicaraguayen et bolivien en 2007 qui appuient tous deux le projet
bolivarien mené par H. Chávez. L‟Iran a souhaité renforcer ces liens et a signé de
nouveaux accords et soutenu des projets avec ses deux nouveaux partenaires latino-
américains. Outre les pays sus mentionnés, Téhéran a signé des Mémorandums d‟Entente
dans différents domaines commerciaux avec le Mexique et avec le Brésil qui a organisé
le premier sommet Amérique du Sud – Ligue arabe en mai 2005. L‟Iran continue
cependant de mener des actions en direction des pays d‟Amérique latine en organisant le
premier Congrès International de la Littérature Latino-américaine sur son territoire et en
ouvrant à nouveau ses ambassades dans la plupart des pays latino-américains en 2007.
Tous ces éléments sont effectivement porteurs de préoccupation et nécessiteraient
de plus amples examens. Toutefois, l‟Espagne a durablement pris place en Amérique
latine et a saisi, dès les années 1980, les opportunités qui se présentaient à elle.
Finalement, il est frappant de constater que la célébration du Cinquième Centenaire de la
Découverte de l‟Amérique est à l‟origine d‟une nouvelle conquête de l‟Amérique latine.
L‟Espagne a su profiter d‟une conjoncture favorable marquée, de part et d‟autre de
l‟Atlantique, par la mise en œuvre de processus démocratiques et par des réformes
structurelles. Très vite, grâce aux Conférences Ibéro-américaines des Commissions
Nationales Cinquième Centenaire, le gouvernement espagnol a réussi à donner de la
consistance à la Communauté Ibéro-américaine des Nations et à unir solidement
l‟Espagne à l‟Amérique latine. Cette identité ibéro-américaine commune qui s‟ajoute aux
liens historiques et culturels hérités du temps des colonies est précisément ce qui permet
à la relation entre ces deux régions d‟être unique et inimitable. Ainsi, malgré la
domination américaine sur l‟ensemble du continent américain durant le XXème siècle,
ces liens sous-jacents ont resurgi très rapidement dès la reprise d‟influence espagnole.
Cependant, cette histoire commune n‟est pas uniquement porteuse d‟éléments positifs,
d‟où la crainte des pays latino-américains de voir un trop fort interventionnisme espagnol
dans la région. Cela est très visible dans l‟évolution des Sommets Ibéro-américains : la
plupart des pays d‟Amérique latine étaient réticents à leur création, mais le gouvernement
espagnol a su doser son intervention pour faire accepter ces Sommets. Les pays latino-
Page 98
américains n‟en sont pas moins restés vigilants et cette réticence a rejailli dès que le
gouvernement de JM.Aznar a fait preuve de tentation hégémonique. Au sein des relations
économiques, ces tensions sont encore plus visibles. Les entreprises espagnoles qui ont
massivement investi dans les pays latino-américains jusqu‟à prendre le pouvoir de
secteurs entiers ont fait l‟objet de vives reproches de la part des populations locales
comme des dirigeants. Le pouvoir économique est perçu comme l‟emblème de la
colonisation moderne ; c‟est pourquoi les agissements de ces entreprises sont vivement
reprochés à l‟Espagne.
L‟Espagne a donc dû trouver des moyens moins perceptibles pour renforcer son
influence en Amérique latine et peser sur les décisions. Par ses actes, elle renvoie une
image de pays moderne, défendant les droits de l‟homme, le pluralisme, la coopération, la
créativité, l‟innovation ; et elle en retire par là-même des bénéfices en termes d‟image, de
prestige et d‟influence. La coopération culturelle et éducative révèle les ambigüités de
telles actions : par exemple, derrière la lutte contre l‟analphabétisme transparaît aussi la
volonté de promouvoir l‟espagnol et de contribuer à accroître son poids au niveau
international. Ce phénomène apparaît d‟autant plus dans la maîtrise des canaux de
diffusion et la volonté des entreprises espagnoles publiques comme privées de contrôler
les flux d‟information. Cela permet à l‟Espagne de transmettre des informations qui sont
préalablement passées dans le prisme de la vision espagnole. Cette puissance douce est
peu décelable et concourt grandement à la reconquête de l‟Amérique latine. En effet, la
force de cette reconquête réside précisément dans son aspect continu et global : la
puissance qu‟elle utilise est aussi bien douce que coercitive et se manifeste dans des
domaines variés comme la diplomatie, l‟économie, le commerce, la coopération, les
médias et bien d‟autres.
L‟Amérique latine représente donc beaucoup plus que d‟anciennes colonies. La
reprise de l‟influence de l‟Espagne dans cette région constitue aussi un moyen pour le
pays de prendre plus de poids dans l‟Union Européenne et sur la scène internationale. Sa
double appartenance de l‟Espagne aux identités ibéro-américaine et européenne est par
conséquent capitale. Dans ses relations avec l‟Amérique latine, l‟Union Européenne suit
globalement la stratégie espagnole ; elle agit donc comme un amplificateur et un
complément de l‟action de l‟Espagne dans la région. Par ailleurs, l‟Union Européenne
Page 99
représente parfois un frein : elle impose à l‟Espagne une certaine conduite qui peut
aboutir à délaisser ou désavantager le sous-continent américain. Toutefois, l‟Amérique
latine a rempli son rôle en faisant de l‟Espagne le pont entre les deux continents.
Finalement, cette nouvelle conquête obéit au même motif qu‟en 1492 : avoir une
plus grande influence dans le monde. Mais l‟Espagne a beaucoup changé depuis : elle
n‟est plus seulement dans une posture de conquérant. Consciente des enjeux actuels, elle
sait que son destin fondé sur de solides interdépendances est lié à celui de l‟Amérique
latine. De son côté, l‟Amérique latine connaît désormais son potentiel et n‟est plus à la
merci de l‟Espagne : elle développe de nouvelles alliances avec des pays tiers pour
garantir son indépendance. Les échanges sont désormais plus équilibrés.
La reconquista est donc bien effective ; elle est toutefois moins exclusive que par
le passé. Le risque est qu‟elle soit de ce fait beaucoup moins pérenne.
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2006, Luxembourg, 2006, 137 p.
Ministère de l‟Industrie, du Tourisme, et du Commerce, Secrétariat d‟Etat au
Tourisme et au Commerce, Informe trimestral de Comercio Exterior, Tercer
trimestre de 2007, Madrid, 22 p.
UNCTAD (United Nations Conference on Trade and Development - Conférence
des Nations Unies sur le commerce et le développement), Informe sobre el
Comercio y Desarrollo, Genève, 2001.
Rapports annuels des grandes entreprises espagnoles : Telefónica, Repsol, BBVA,
Santander, Endesa, Iberdrola, Grupo Prisa.
Resumen Informe Anual Fundación Telefónica 2006, 52 p.
BBVA, Informe anual de Responsabilidad Corporativa 2006, 156 p.
Conférences :
Séminaire International « Amérique Latine et Caraïbes : Sortir de l‟impasse de la
dette et de l‟ajustement », intervention de BUSTER Gustavo, La Unión Europea y
América Latina: inversiones, estrategias empresariales y partenariado
transatlántico, Bruxelles, mai 2003, 15 p.
Premier Forum International sur les Affaires Internationales des Gouvernements
Locaux (Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération), intervention de
CANO Carlos, Cooperación internacional decentralizada : el caso de España,
2006, 17 p.
Conférence REAL (Relations Europe-Amérique latine), intervention de FRERES
Christian, La política española hacia América Latina. El papel de la cooperación
al desarrollo, Bratislava (Slovaquie), 29-30/06/2005.
Rencontre économique luso-espagnole, intervention de MALO DE MOLINA José
Luis, Los efectos de la entrada de España en la Comunidad Europea, Lisbonne,
15-16/10/2001, 30 p.
Tercer encuentro iberoamericano sobre remesas de emigrantes, La regulación y
El papel de las Comunidades Autónomas, organisé par Remesas.org et
l‟Organisation des Etats Ibéro-américains (OEI), Madrid, 16/02/2007.
Presse :
El País
El Mundo
ABC
Expansión
Cinco Días
El Periódico de Catalunya
La Vanguardia
La Jornada
Sites Internet:
Site Internet de l‟Agence Espagnole de la Coopération Internationale : www.aeci.es
Site Internet de la Présidence du Gouvernement : www.la-moncloa.es
Site Internet du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération : www.maec.es
Site Internet du Ministère de l‟Industrie, du Tourisme et du Commerce : www.mityc.es
Site Internet du Secrétariat Général Ibéro-américain : www.segib.org
Site Internet sur l‟Ibéro-Amérique : www.ciberamerica.org
Site Internet de l‟Organisation des Etats Ibéro-américains : www.oei.es
Site Internet de l‟Union Européenne : http://europa.eu/index_fr.htm
Sites Internets des Think Tanks :
- Real Instituto Elcano : www.realinstitutoelcano.org/wps/portal
- FRIDE : www.fride.org
- GEES : www.gees.org
- Cidob : www.cidob.org
- FAES : www.fundacionfaes.org/index.asp
ANNEXES
Annexe n°1 - Liste des entretiens et conférences
Annexe n°2 - La perception des privatisations en Amérique latine
Annexe n°3 - Répartition géographique de l‟aide au développement espagnole
Annexe n°4 - Enquête d‟opinion : les aires géographiques prioritaires pour la
coopération espagnole
Annexe n°5 - Enquête d‟opinion : l‟Amérique latine n‟est plus la priorité des
Espagnols.
Annexe n°6 - Augmentation des flux commerciaux entre la Chine et
l‟Amérique du Sud.
ANNEXE n°1
Liste des entretiens et conférences
Entretiens :
Avril 2007 : Entretien avec le Directeur des Relations Internationales de
l‟agence EFE, Juan María Calvo Roy, pour discuter du rôle de
l‟Agence en Amérique latine.
Mai 2007 : Entretien avec Anne Suard, Deuxième Conseillère de
l‟Ambassade de France spécialisée dans l‟Amérique latine, sur
l‟aide au développement et les relations diplomatiques entre
l‟Espagne et l‟Amérique latine.
03 juillet 2007 : Entretien avec Serge Fohr du service culturel de l‟Ambassade
de France en Espagne sur le thème de la coopération culturelle
espagnole en Amérique latine
19 juillet 2007 : Entretien avec Antonio García Ferrer, Membre Conseiller du
Cabinet Technique de l‟AECI, pour évoquer les mécanismes de
l‟aide au développement espagnole en Amérique latine.
19 juillet 2007 : Entretien avec Jaime Atienza Azcona, Responsable du
Programme Relations Economiques, du Centre d‟Etudes pour
l‟Amérique latine et la Coopération Internationale (CeALCI)
de la Fundación Carolina.
2007 : Entretiens à plusieurs reprises avec Cristian Font Calderón,
directeur de la Tribune américaine de la Casa de América, sur
le rôle de la Casa de América et les relations hispano-latino-
américaines.
Conférences :
12 septembre 2006 : Conférence sur les 10 ans de la signature de la paix au
Guatemala à la Casa de América avec Juan Pablo de la Iglesia,
ex-ambassadeur d‟Espagne au Guatemala et actuel directeur de
l‟Agence Espagnole de la Coopération Internationale pour le
développement.
30 octobre 2006 : Conférence de Trinidad Jiménez, Secrétaire d‟Etat pour l‟Ibéro-
Amérique, organisée par Nueva Economía Forum.
02 novembre 2006 : Conférence de Marco Vinicio Ruiz, Ministre du Commerce
extérieur du Costa Rica, organisée par Nueva Economía Forum.
05 décembre 2006 : Conférence de José Manuel Zelaya Rosales, Président de la
République du Honduras, organisée par Nueva Economía
Forum.
16 février 2007 : Tercer encuentro iberoamericano sobre remesas de
emigrantes, La regulación y El papel de las Comunidades
Autónomas, conférence organisée par Remesas.org et
l‟Organisation des Etats Ibéro-américains (OEI).
25 avril 2007 : Conférence de Lenín Moreno Garcés, le Vice-président de
l‟Equateur, organisée par la Casa América.
ANNEXE n°2
La perception des privatisations en Amérique latine
LES PRIVATISATIONS ONT ETE BENEFIQUES POUR LE PAYS AMERIQUE LATINE 1998-2007
Question : Etes-vous d’accord avec l’affirmation : « les privatisations des entreprises nationales ont été bénéfiques pour le pays » ? (% de réponses positives)
Source : Latinobarómetro 1998-2007
Question : Etes-vous d’accord avec l’affirmation : « les privatisations des entreprises nationales ont été bénéfiques pour le pays » ? (% de réponses positives)
Source : Latinobarómetro 1998-2007
ANNEXE n°3
Répartition géographique de
l’aide au développement espagnole
Répartition de l’APD bilatérale espagnole en Amérique latine et en Afrique (1989-2006). En pourcentage.
Source : Seguimiento PACI 2002, 2004, 2006
ANNEXE n°4
Enquête d’opinion : les aires géographiques prioritaires pour la
coopération espagnole
Les aires géographiques prioritaires pour la coopération espagnole
Selon vous, sur quelle région la coopération espagnole devrait-elle se concentrer dans un premier lieu ? Et dans un second lieu ?
Source : « Barómetro 2006 “América Latina y la cooperación al desarrollo en la opinión pública española” », Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS)/ Fundación Carolina, 2006.
ANNEXE n°5
Enquête d’opinion :
l’Amérique latine n’est plus une priorité pour les Espagnols
Les priorités en politique étrangère
Pourcentage de personnes interrogées qui estiment que les deux objectifs les plus importants pour l’Espagne sont…
(MULTI-REPONSES)
Source : « Barómetro 2006 “América Latina y la cooperación al desarrollo en la opinión pública española” », Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS)/ Fundación Carolina, 2006.
Les affinités et les intérêts de l’Espagne
Avec qui croyez-vous que l’Espagne a le plus de similitudes : avec les pays de l’Union Européens ou avec ceux de l’Amérique latine ?
Et avec lesquels croyez-vous qu’elle a le plus d’intérêts communs ?
Et avec lesquels croyez-vous qu’elle devrait être plus unie dans l’avenir ?
Source : « Barómetro 2006 “América Latina y la cooperación al desarrollo en la opinión pública española” », Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS)/ Fundación Carolina, 2006.
Les domaines d’intérêt des Espagnols
Pourcentage des personnes interrogées qui suivent avec beaucoup ou assez d’intérêt les informations qui font référence aux régions suivantes :
(MULTI-REPONSES)
Source : « Barómetro 2006 “América Latina y la cooperación al desarrollo en la opinión pública española” », Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS)/ Fundación Carolina, 2006.
ANNEXE n°6
Augmentation des flux commerciaux
entre la Chine et l’Amérique du Sud
Balance commerciale de la Chine avec l’Amérique du Sud
Source : CEPAL (Comisión Económica para América Latina), Base de données statistiques sur le
commerce de marchandise (COMTRADE)
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION ................................................................................................... 5
PREMIÈRE PARTIE :
LA RÉCENTE REPRISE D’INFLUENCE DE L’ESPAGNE EN AMÉRIQUE
LATINE : UNE PREUVE DE LA RECONQUÊTE ? ...................................... 10
CHAPITRE 1 - UNE REPRISE DE CONTACT DIPLOMATIQUE ..................................... 11
Section 1 - La création des Sommets Ibéro-américains .................................. 12
A. La mise en place des Sommets Ibéro-américains ................................. 13
B. Les premiers Sommets .......................................................................... 14
C. La présidence de José María Aznar (1996-2004) ................................. 15
D. La remise en cause des Sommets Ibéro-américains ............................. 16
Section 2 - La multiplication des échanges, traités et accords entre l’Espagne,
l’Europe et l’Amérique latine .......................................................................... 19
Section 3 - Un regard protecteur et exclusif sur l’Amérique latine ................ 23
CHAPITRE 2 – UNE INDÉNIABLE RECONQUÊTE ÉCONOMIQUE ET COMMERCIALE ... 32
Section 1 - Les investissements directs des grandes entreprises espagnoles et
européennes en Amérique latine ...................................................................... 33
A. La « década perdida » (décennie perdue) ............................................. 33
B. L‟étape expansive des investissements ou la « década dorada »
(décennie dorée) ........................................................................................... 34
C. La fluctuation des années 2000 ............................................................ 37
D. Les investissements européens en Amérique latine ............................. 40
E. Perspectives .......................................................................................... 43
Section 2 - Les relations commerciales entre l’Europe et l’Amérique latine . 48
A. Le commerce entre l‟Espagne et l‟Amérique latine ............................. 49
B. Le commerce entre l‟Union Européenne et l‟Amérique latine ............ 50
DEUXIÈME PARTIE :
LES COMPOSANTES DU SOFT POWER ESPAGNOL ................................. 54
CHAPITRE 1 - LA COOPÉRATION, LE PROJET PHARE DE L‟ESPAGNE ....................... 55
Section 1 - L’aide au développement, pilier des relations entre l’Espagne,
l’Europe et l’Amérique latine .......................................................................... 55
A. L‟aide au développement espagnole en Amérique latine ..................... 56
B. L‟aide au développement européenne en Amérique latine .................. 61
Section 2 - La coopération culturelle et éducative .......................................... 66
A. La coopération culturelle ...................................................................... 68
B. La coopération éducative ...................................................................... 72
CHAPITRE 2 - LES ENTREPRISES : VECTEURS DU SOFT POWER................................ 76
Section 1 - La maîtrise des canaux de diffusion .............................................. 76
A. Le rôle des entreprises publiques.......................................................... 77
B. Le rôle des entreprises privées .............................................................. 81
Section 2 – La Responsabilité Sociétale des Entreprises ................................ 85
CONCLUSION ...................................................................................................... 90
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................. 100
ANNEXES ............................................................................................................ 107
TABLE DES MATIERES .................................................................................. 117