LA RECONQUETE DE L’AMERIQUE LATINE PAR L’ESPAGNE AU ...

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UNIVERSITE PAUL CEZANNE - AIX-MARSEILLE III INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES MEMOIRE pour l‟obtention du Diplôme LA RECONQUETE DE L’AMERIQUE LATINE PAR L’ESPAGNE AU TOURNANT DU SIECLE : BILAN ET PERSPECTIVES Par Mlle Claire BIASON Mémoire réalisé sous la direction de M. Daniel VAN EEUWEN Année 2008

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UNIVERSITE PAUL CEZANNE - AIX-MARSEILLE III

INSTITUT D’ETUDES POLITIQUES

MEMOIRE

pour l‟obtention du Diplôme

LA RECONQUETE DE L’AMERIQUE LATINE PAR

L’ESPAGNE AU TOURNANT DU SIECLE :

BILAN ET PERSPECTIVES

Par Mlle Claire BIASON

Mémoire réalisé sous la direction de

M. Daniel VAN EEUWEN

Année 2008

L’IEP n’entend donner aucune approbation ou improbation aux

opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées

comme propres à leur auteur.

Mots-clés :

Amérique latine, coopération, Espagne, investissements, reconquête, soft power,

Sommets Ibéro-américains, Union Européenne.

Résumé :

Dès la fin du processus démocratique espagnol, l‟Espagne a progressivement

renoué le contact avec les pays latino-américains. Reprenant son rôle de mère patrie, elle

a contribué à leur pacification et à leur démocratisation. A partir des années 80 et jusqu‟à

aujourd‟hui, elle a construit une relation unique avec l‟Amérique latine principalement

autour de l‟identité ibéro-américaine. Cette relation est fructueuse pour l‟Espagne : elle

lui a permis, sur le plan diplomatique, d‟avoir plus de poids sur la scène internationale et,

sur le plan économique, de se développer pour faire partie des grandes puissances.

Tiraillée entre son appartenance européenne et ibéro-américaine, l‟Espagne doit garder

son influence en Amérique latine pour conserver sa légitimité de pont entre les deux

continents. Ainsi a-t-elle mis au point des instruments qui garantissent et pérennisent

cette influence, mais est-ce à dire qu‟il s‟agit d‟une reconquête ?

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE :

LA RÉCENTE REPRISE D’INFLUENCE DE L’ESPAGNE EN AMÉRIQUE

LATINE : UNE PREUVE DE LA RECONQUÊTE ?

CHAPITRE 1 - UNE REPRISE DE CONTACT DIPLOMATIQUE

CHAPITRE 2 - UNE INDÉNIABLE RECONQUÊTE ÉCONOMIQUE ET COMMERCIALE

DEUXIÈME PARTIE :

LES COMPOSANTES DU SOFT POWER ESPAGNOL

CHAPITRE 1 - LA COOPÉRATION, LE PROJET PHARE DE L‟ESPAGNE

CHAPITRE 2 - LES ENTREPRISES : VECTEURS DU SOFT POWER

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

ANNEXES

TABLE DES MATIERES

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INTRODUCTION

« L‟Espagne a perdu ses dernières colonies américaines en 1898. Pourtant, depuis

deux décennies, elle a entrepris la reconquista. » Le journaliste mexicain Luis

Hernández Navarro n‟est pas le seul à penser que la reprise d‟influence de l‟Espagne en

Amérique latine n‟est pas anodine et l‟emploi du terme reconquista traduit une forte

préoccupation de la part des pays latino-américains. En effet, ce terme fait partie de

l‟imaginaire collectif espagnol : il représente la lutte pour mettre un terme à la présence

musulmane dans la péninsule ibérique et symbolise l‟unification de l‟Espagne. Cette

reconquête a marqué les esprits à la fois par sa portée symbolique et par sa durée.

L‟invasion arabe a commencé en 711 et a très vite gagné toute la péninsule, anéantissant

ainsi le royaume wisigoth. La reconquista commence en 722 avec la bataille de

Convadonga, dans les Asturies, car la grande victoire du descendant des rois wisigoths,

Don Pelayo, représente un symbole d‟espoir pour les chrétiens soumis aux troupes

musulmanes. Durant sept siècles, la résistance chrétienne s‟organise pour combattre les

Maures et l‟Espagne se trouve morcelée en multiples royaumes. A partir du XIème siècle,

le califat de Cordoue implose et la domination des Maures s‟affaiblit : à la fin du siècle,

les chrétiens reprennent Tolède, Valence et Saragosse. Au XIIème siècle, le

remplacement de la dynastie des Almohades par celles des Almoravides renforce la

domination des Maures mais pousse les royaumes chrétiens à unir leurs forces, ce qui

permet l‟éclatante victoire de Las Navas de Tolosa en 1212. Les Almoravides étant

considérablement affaiblis par cette défaite, les chrétiens s‟emparent alors de Cordoue,

Valence et Séville et, à la fin du XIIIème siècle, les musulmans n‟occupent plus que le

royaume de Grenade. La reconquista a finalement permis l‟unification de l‟Espagne : il

s‟agit d‟une part d‟une union religieuse avec la création de l‟Inquisition en 1478 et la

persécution des autres religions et, d‟autre part, d‟une union politique. La reconquête a

fait de la Castille et de l‟Aragon les deux plus grands royaumes de la péninsule. La prise

de Grenade en 1492 succédant à l‟union de ces deux royaumes avec le mariage d‟Isabelle

de Castille et de Ferdinand V d‟Aragon en 1469 a fondé les bases du royaume espagnol.

L‟Espagne est restée marquée par ces sept siècles de combat et d‟occupation, mais ce qui

est à l‟origine de l‟Espagne d‟aujourd‟hui, c‟est finalement la reconquista, élément

véritablement structurant et omniprésent.

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Employer ce concept pour définir le regain d‟influence de l‟Espagne outre

Atlantique sous-entendrait donc que l‟Amérique latine fait partie de l‟Espagne et que

cette dernière a un droit de regard sur ce qu‟il s‟y passe. Néanmoins ce terme est ambigu

car il signifie aussi reconquête au sens de « deuxième conquête ». Dans cette acception, il

fait écho à la découverte de l‟Amérique par Christophe Colomb en 1492. Cet événement

est lui aussi ancré dans l‟imaginaire des Espagnols et a renforcé d‟autant plus leur esprit

de conquête. En effet, la colonisation s‟est étendue très rapidement avec la victoire sur les

Empires aztèque et inca, si bien qu‟en 1550, l‟Espagne contrôlait presque tout le

continent sud-américain et l‟Amérique Centrale. L‟exploitation des riches ressources du

Nouveau Monde fut un élément essentiel car il permit à l‟Espagne de renforcer son unité,

de financer des guerres pour étendre sa puissance et d‟obtenir une place prépondérante en

Europe. Grâce à la découverte de l‟Amérique, le XVIème siècle, ou Siglo de Oro (le

Siècle d‟or), est marqué par l‟hégémonie espagnole qui devient non seulement le plus

grand empire colonial, mais aussi une source de prestige artistique, intellectuel et même

religieux. Si le déclin de l‟Espagne s‟est amorcé au cours du XVIIème, la colonisation en

Amérique s‟est poursuivie jusqu‟au début du XIXème siècle, période durant laquelle

l‟Amérique latine a été secouée par les mouvements d‟indépendance. L‟Espagne a alors

vite perdu toutes ses colonies : elle a cependant laissé de manière indélébile son

empreinte dans toute l‟Amérique latine. En effet, les conquistadors, pendant ces trois

siècles de colonisation, ont apporté leur langue, leur religion, leur culture, mais aussi

leurs conceptions juridiques et philosophiques et leurs modes d‟organisation politique,

économique et sociale. Or ce sont ces éléments qui ont contribué à définir l‟Espagne

comme la madre patria, la mère patrie, et donné naissance à l‟Amérique latine telle que

nous la connaissons désormais. Aujourd‟hui encore, l‟Espagne garde cette image de

madre patria mais cette expression est surtout employée pour montrer que l‟Espagne

représente l‟espérance d‟une vie meilleure pour les Latino-américains grâce à son

développement économique. Toutefois, c‟est justement cette culture identique qui a

permis l‟établissement d‟une relation singulière entre l‟Espagne et l‟Amérique latine.

Cette histoire commune a fait naître des liens ambigus entre affection,

reconnaissance et désir de domination qui pourraient s‟exprimer en un mot :

Iberoamérica ou « Ibéro-Amérique ». La difficulté de ce terme est qu‟il fait allusion de

manière simultanée à deux réalités distinctes, ce qui provoque une grande confusion.

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D‟une part, l‟Ibéro-Amérique représente la somme des pays latino-américains, de

l‟Espagne et du Portugal. Ce mot est notamment utilisé pour insister sur l‟identité à part

entière des relations hispano-latino-américaines et l‟interdépendance de ces deux régions,

comme en témoignent les déclarations du Roi d‟Espagne Juan Carlos : « L‟Ibéro-

Amérique est pour moi, comme pour l‟immense majorité des Espagnols, quelque chose

de très spécial qui dépasse amplement les intérêts politiques et économiques. […] Pour

de nombreux Ibéro-américains, l‟Espagne est leur prolongement naturel dans le monde

occidental, et inversement. »1 D‟autre part, il s‟agit d‟une expression utilisée en Espagne

à la place d‟Amérique latine et qui laisse donc transparaître une volonté d‟appropriation

de ce sous-continent ou, du moins, un désir d‟ingérence. En Espagne, l‟utilisation abusive

de ce terme suffit pour nous suggérer la résurgence de l‟esprit de conquête. Dans les deux

cas, ce mot a connu une recrudescence à partir des années 1980 lorsque la diplomatie

espagnole a fait la promotion de son idée de Communauté Ibéro-américaine des Nations.

Quoi qu‟il en soit, le regain d‟influence de l‟Espagne est une évidence. D‟ailleurs,

il a suscité une grande surprise par sa rapidité et son aspect global. La reprise de contact

s‟est surtout faite sur le plan diplomatique dans les années 80. D‟une part, la jeune

démocratie espagnole souhaitait aider les pays latino-américains à se lancer eux-aussi

dans un processus démocratique. D‟autre part, l‟Espagne avait à cœur de réaliser son idée

de communauté ibéro-américaine des nations. Autrement dit, elle désirait mettre en avant

les ressemblances entre l‟Espagne et l‟Amérique latine et créer une identité commune.

Mais l‟élément le plus visible est la fulgurante croissance des relations économiques

marquée par l‟implantation des grandes firmes multinationales espagnoles à la fin des

années 1990. C‟est alors que de nombreux journalistes et observateurs des deux côtés de

l‟Atlantique ont utilisé le terme « reconquista »2 ou « seconde conquête »

3 pour qualifier

les activités de l‟Espagne en Amérique latine. Ces conquistadors modernes, bien éloignés

de l‟image controversée de Hernán Cortés ou de Francisco Pizarro, brandissent des armes

d‟un genre nouveau dont les plus redoutables sont les investissements. Toutefois, si le

domaine économique est le plus visible, la reprise d‟influence s‟est faite aussi par

d‟autres moyens. En effet, la notion de puissance a considérablement évolué. La fin de la

1 Belén Blázquez Vilaplana, « El papel de España en las Cumbres Iberoamericanas : pasado, presente y futuro de un

deseo inalcanzable », Espiral, Estudios sobre Estado y Sociedad Vol. X No. 29, Janvier / Avril de 2004, p.112. 2 Luis Hernández Navarro, « La reconquista », La Jornada, Mexico, 18/11/2003.

3 « La segunda conquista de América », El País (supplément Domingo), 23/04/2000.

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guerre froide et la mondialisation ont provoqué de grands changements : sortis d‟une

logique de rapports fondés sur la force, les Etats ne peuvent plus définir leur place dans le

monde selon les critères classiques de la puissance. Désormais, les enjeux sont

transnationaux, tout comme certains acteurs qui limitent la puissance propre de l‟Etat. La

puissance ne se mesure donc plus dans la capacité de posséder un territoire, mais est

devenue la capacité d‟influencer les décisions des autres par la persuasion ou de « faire

en sorte que les autres veuillent la même chose que vous parce qu'ils sont persuadés que

cela leur est profitable », comme l‟explique Joseph Nye. En travaillant sur la notion de

puissance, J.Nye distingue deux catégories. La première est le hard power ou puissance

de commandement, de contrainte qui repose sur des éléments tangibles de la puissance

que sont la force militaire et économique ou encore le poids démocratique. La seconde

est le soft power ou puissance de séduction, de cooptation, qui s‟appuie sur « des

ressources intangibles telles que la culture, l‟idéologie, les institutions »4 et représente la

capacité d‟une nation de « structurer une situation de telle sorte que les autres pays

fassent des choix ou définissent des intérêts qui s‟accordent avec les siens propres. »5

En prenant en compte l‟ensemble de ces éléments, il est nécessaire de se demander

s‟il est légitime d‟employer le terme de reconquista pourtant si fort dans l‟imaginaire

espagnol. En effet, quels éléments nous permettraient d‟opter pour la reconquête plus que

pour la reprise d‟influence ? A terme, quelles sont les conséquences et l‟avenir de ces

évolutions ?

Le renforcement de la présence espagnole en Amérique latine soulève de

nombreuses questions puisque nous n‟en connaissons pas avec certitude la cause. Est-ce

une tentative de l‟Espagne de reprendre son rôle de « mère patrie » après de nombreuses

années de dictature ? Ou bien cela témoigne-t-il de la volonté de l‟Espagne

de reconquérir l‟Amérique latine et de devenir un acteur important sur la scène

internationale en s‟assurant un marché de grande taille pour ses entreprises ? Ou encore

serait-ce un moyen de gagner plus de poids au sein de l‟Union Européenne par la

construction d‟un réseau international ? Il faut également s‟intéresser aux moyens

employés par l‟Espagne pour parvenir à un tel regain d‟influence : en quelles proportions

4 Joseph Nye, Le Leadership américain : quand les règles du jeu changent, Presse Universitaire de Nancy (PUN),

Nancy, 1992, p.29. 5 Ibid., p.173.

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a-t-elle utilisé des instruments de puissance douce ou coercitive ? Cela a-t-il été un

processus continu ou morcelé en plusieurs étapes ?

Enfin, il est nécessaire de garder à l‟esprit que l‟Espagne fait partie intégrante de

l‟Union Européenne, ce qui amène à se demander si cette appartenance a joué un rôle

dans le processus de rapprochement hispano-latino-américain. De fait cela a-t-il constitué

un frein ou, au contraire, un avantage dans les relations particulières entre l‟Espagne et

l‟Amérique latine ?

Ce travail est le fruit d‟une recherche que j‟ai menée pendant un an alors que je

travaillais comme stagiaire à l‟Ambassade de France en Espagne. Ma présence à Madrid

m‟a indéniablement permis d‟enrichir mes réflexions. J‟ai ainsi pu assister à de

nombreuses conférences et à des entretiens qui m‟ont donné l‟occasion de comprendre la

complexité des relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine (cf Annexe n°1). De plus,

j‟ai beaucoup appris par le seul fait de vivre à Madrid et de discuter avec des personnes

de tous horizons. Le suivi quotidien de l‟actualité qui faisait partie des prérogatives de

mon stage au sein du service Presse et Communication a également été primordial

puisqu‟il m‟a permis d‟intégrer la vision espagnole des événements latino-américains et

de déceler par le décryptage de l‟actualité des mécanismes tels que, notamment, l‟emploi

abusif du mot Iberoamérica que j‟ai mentionné plus haut.

Nous prendrons donc l‟exemple des domaines les plus représentatifs de la relation

entre ces deux continents, en étudiant, dans un premier temps, les éléments les plus

visibles de ce regain d‟influence : la diplomatie, l‟économie et le commerce. Nous

verrons comment s‟est organisée la reprise de contacts diplomatiques entre l‟Espagne et

l‟Amérique latine, principalement autour de la construction de l‟identité ibéro-

américaine, comment aussi elle a servi de tremplin à la vague d‟investissements des

années 90 et à la multiplication des échanges commerciaux.

Dans un second temps, nous nous attarderons sur les moyens moins visibles

employés par l‟Espagne pour gagner de l‟influence. Pour cela, nous distinguerons deux

manières de mettre en œuvre les composantes de la puissance douce (ou soft power)

espagnole : la voie institutionnelle et les entreprises.

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Première partie :

La récente reprise d’influence de l’Espagne en Amérique latine :

une preuve de la reconquête ?

Dès la fin des années 70, la reprise d‟influence de l‟Espagne en Amérique latine

est flagrante. Elle s‟est manifestée d‟abord par un rapprochement diplomatique avec la

mise en œuvre progressive des Sommets Ibéro-américains. Parallèlement, l‟Espagne a

cherché à diffuser ses valeurs de paix, de démocratie et d‟économie de marché.

Rapidement, ces relations se sont concrétisées par la signature de multiples accords

diplomatiques pour dynamiser les rapports entre les deux régions. Dans la deuxième

moitié des années 1990, toutefois, les relations économiques et commerciales ont pris le

pas sur les relations diplomatiques. Or, c‟est à partir de là que surgit l‟idée de

reconquête : les entreprises espagnoles et européennes investissent massivement en

Amérique latine. Cette utilisation de la force économique devient un élément de

puissance coercitive ou hard power et fait débat parmi les dirigeants latino-américains et

la population locale. Il est donc intéressant de voir, dans le détail, comment s‟est

organisée cette reprise de contact, afin de déterminer si la diplomatie a pu servir de

tremplin à la multiplication des relations économiques, ou si ces deux domaines sont

parfaitement dissociables.

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Chapitre 1 - Une reprise de contact diplomatique

L‟Espagne de Franco s‟était considérablement éloignée de l‟Amérique latine et

dès la fin de sa transition démographique, l‟Espagne a cherché à renouer des liens de

l‟autre côté de l‟Atlantique. Ainsi les relations diplomatiques entre l‟Espagne et les pays

latino-américains se sont-elles progressivement rétablies à partir de 1977, année qui

marque la reprise de contacts officiels entre l‟Espagne et le Mexique6. Cette démarche

volontaire a rapidement porté ses fruits puisqu‟en 30 ans, des relations diplomatiques

sporadiques se sont transformées en échanges multiples et variés. D‟autre part, l‟entrée

de l‟Espagne dans la Communauté économique européenne (CEE) en 1986 a contribué à

rendre plus riches et complexes les relations entre les deux continents.

Toutefois, il est faux de penser que les relations entre l‟Europe et l‟Amérique

latine n‟ont commencé qu‟en 1986. La CEE avait, au contraire, déjà tissé des liens

élaborés avec les pays latino-américains, dès sa création. En effet, dès le 1er avril 1958,

les six États fondateurs de la CEE adressèrent un mémorandum aux pays latino-

américains suggérant l‟organisation de consultations sur des sujets d‟intérêt commun.

Puis, en 1968, la Commission ouvrit son premier bureau de représentation régionale à

Santiago du Chili. Et dès 1974, les conférences bisannuelles du Parlement européen et du

Parlement latino-américain (Parlatino) se mirent en place, ainsi que des relations entre

l‟assemblée de Strasbourg et divers forums latino-américains tels que le parlement

centre-américain, la commission parlementaire du Mercosur, ou le parlement andin.

L‟UE signa même des accords avec certains pays latino-américains au début des années

70, puis avec des groupements régionaux (le Pacte andin et l‟Amérique centrale) au début

des années 80. L‟Espagne a donc bénéficié de cette politique latino-américaine de

l‟Europe lorsqu‟elle a rejoint la Communauté. Mais il est indéniable que l‟entrée de

l‟Espagne et du Portugal a permis d‟apporter plus de dynamisme aux relations entre

l‟Union Européenne et l‟Amérique latine. Ainsi l‟Europe est-elle indissociable d‟une

réflexion sur les relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine.

Dans le cadre diplomatique, l‟élément structurant a été, sans l‟ombre d‟un doute,

la mise en place des Sommets Ibéro-américains. La préparation de ces Sommets a permis

6 Il s‟agit d‟un symbole très fort car le Mexique a toujours été un ferme opposant de l‟Espagne franquiste.

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l‟émergence d‟une identité commune grâce aux échanges continus entre l‟Espagne et

l‟Amérique latine. Cela a donc servi de base aux nombreux accords diplomatiques signés

par la suite. Et cela explique également la nature des relations actuelles entre les deux

régions, autrement dit pourquoi l‟Espagne porte un regard protecteur et exclusif sur

l‟Amérique latine.

Section 1 - La création des Sommets Ibéro-américains

Il est capital de voir la création des Sommets Ibéro-américains comme la

matérialisation de l‟idée de Communauté Ibéro-américaine des Nations. Ce concept fait

référence à la mise en place d‟un espace ibéro-américain commun, c‟est-à-dire réunissant

tous les pays latino-américains, l‟Espagne et le Portugal, afin de créer une véritable

identité collective. Cette idée est primordiale : elle a été promue dès la fin de la transition

démocratique par le gouvernement centriste d‟Adolfo Suárez et a été reprise depuis par

tous les gouvernements espagnols. L‟Espagne estime en effet qu‟il s‟agit « d‟une des

projections fondamentales de sa politique étrangère »7 pour plusieurs raisons. D‟une part,

la Communauté Ibéro-américaine des Nations revalorise le rôle de l‟Espagne dans le

monde. D‟autre part, la création d‟une identité commune distingue et renforce son action

en Amérique latine. Cette stratégie a bien fonctionné : l‟organisation des Sommets Ibéro-

américains a été un moment-clé de la reprise des relations diplomatiques entre l‟Espagne

et l‟Amérique latine. « Actuellement, les Sommets Ibéro-américains sont le principal

forum de débat politique dans le domaine intergouvernemental entre les pays ibéro-

américains. […] Ils sont, à eux seuls, la concrétisation d‟une identité culturelle qui, au-

delà des affinités linguistiques, culturelles ou historiques, a cherché à définir des

éléments qui lui ont permis d‟avancer vers la consolidation du projet démocratique dans

tout le continent. »8

7 Celestino Del Arenal, ¿Cuál debe ser el papel de España en las Cumbres Iberoamericanas?, Real Instituto

Elcano, Document de Travail (DT) 2004/12, 28/06/2004, p.3. 8 Belén Blázquez Vilaplana, « El papel de España en las Cumbres Iberoamericanas: pasado, presente y futuro de un

deseo inalcanzable », Espiral, Estudios sobre Estado y Sociedad Vol. X No. 29, Janvier/Avril 2004, p.111.

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A. La mise en place des Sommets Ibéro-américains

L‟idée d‟Adolfo Suárez était la suivante : profiter de la commémoration du

Cinquième Centenaire de la Découverte de l‟Amérique, pour organiser en Espagne un

Sommet Ibéro-américain qui réunisse tous les Chefs d‟Etat et de gouvernement des pays

latino-américains. En 1981, le gouvernement centriste créé la Comisión Nacional para la

Conmemoración del Quinto Centenario (Commission Nationale pour la Commémoration

du Cinquième Centenaire), chargée de préparer l‟événement. En 1982, le gouvernement

socialiste reprend à son compte ce projet. Afin d‟impliquer activement tous les pays

latino-américains, il demande à chaque pays de créer sa Commission Nationale pour la

Commémoration du Cinquième Centenaire, ce qui contribue à jeter les bases d‟un forum

ibéro-américain chargé de la préparation des célébrations.

C‟est alors que sont créées les Conférences Ibéro-américaines des Commissions

Nationales Cinquième Centenaire, qui constitueront des éléments précurseurs aux

Sommets Ibéro-américains dès 1983. Ces Conférences, réunissant chaque année tous les

pays ibéro-américains, ont pour finalité non seulement la préparation des actes de

Commémoration, mais aussi le renforcement des liens culturels, éducatifs et sociaux

existant dans l‟Ibéro-Amérique à travers le développement de programmes multilatéraux

de coopération.

Ces Conférences ont joué un rôle-clé dans la mise en œuvre des Sommets Ibéro-

américains. Elles ont tout d‟abord contribué à la célébration du premier Sommet de

Guadalajara (Mexique) en 1991. Mais surtout, elles ont constitué pendant presque dix ans

le seul forum de rencontre, de dialogue et de coopération entre tous les pays ibéro-

américains et ont permis l‟émergence d‟un sentiment d‟identité ibéro-américaine au fur et

à mesure de la prise de conscience des multiples intérêts communs. Cela a également

donné le temps aux pays latino-américains d‟accepter l‟idée des Sommets Ibéro-

américains en surmontant les réticences et les craintes d‟un trop fort interventionnisme

espagnol. L‟habile initiative espagnole de convoquer le premier Sommet Ibéro-américain

au Mexique, plutôt qu‟en Espagne, a d‟ailleurs facilité le succès de la mise en marche du

processus et éliminé les derniers ressentiments.

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Toutefois, les Sommets Ibéro-américains doivent aussi beaucoup à la personnalité

de Felipe González qui a contribué à ce que l‟Espagne soit perçue de façon positive en

Amérique latine. Il entretenait des relations personnelles étroites avec des leaders

politiques latino-américains comme Carlos Andrés Pérez9 ou Omar Torrijos Herrera

10,

qui lui ont permis d‟être reconnu comme un leader politique incontestable et très apprécié

par la population. De plus, F. González s‟est beaucoup investi dans les processus

démocratiques en Amérique Centrale et la participation de l‟Espagne dans plusieurs

missions de paix, comme Onuca et Onusal11

témoigna clairement de l‟engagement

espagnol dans cette région. « De cette manière, l‟Espagne est devenue en très peu de

temps l‟acteur extrarégional le plus important de toute l‟Amérique latine. » 12

B. Les premiers Sommets

Le premier Sommet de Guadalajara, qui eut lieu les 18 et 19 juillet 1991, fut un

grand succès pour l‟Espagne et marqua l‟aboutissement « du principal objectif

diplomatique de la nouvelle politique latino-américaine mise en marche en 1976 ».13

D‟après Celestino del Arenal14

, l‟on peut distinguer deux phases dans les premiers

Sommets Ibéro-américains : l‟une caractérisée par le leadership-modèle (« liderazgo

ejemplificador ») de l‟Espagne entre 1990 et 1992, et l‟autre par son leadership en déclin

(« liderazgo declinante ») entre 1993 et 1996.

De 1990 à 1992, l‟Espagne joua un rôle primordial tout en essayant d‟influer

indirectement sur l‟action des pays latino-américains et en insistant sur le caractère

égalitaire des pays ibéro-américains. Cette attitude permit l‟acceptation du projet par tous

9 Homme politique vénézuélien et président du Venezuela de 1973 à 1979 et de 1989 à 1993.

10 Militaire et homme politique qui dirigea le Panama après un coup d‟Etat de 1968 à 1978.

11 Deux opérations de paix votées par les Nations Unies. L'ONUCA (novembre 1989-janvier 1992) avait pour

mandat de vérifier que les gouvernements du Costa Rica, d‟El Salvador, du Guatemala, du Honduras et du

Nicaragua respectent leurs engagements de cesser toute assistance aux forces irrégulières et aux mouvements

insurrectionnels dans la région et d‟interdire que leur territoire soit utilisé pour mener des actes d‟agression contre

d‟autres États. L'ONUSAL (mai 1991-avril 1995) était une mission d‟observation au Salvador pour vérifier

l‟application de tous les accords négociés par le gouvernement salvadorien et le Frente Farabundo Martí para la

Liberación Nacional (FMLN), en vue de mettre un terme à dix ans de guerre civile. 12

Carlos Malamud (coord.), La política española hacia América Latina: Primar lo bilateral para ganar en lo

global, Informes Real Instituto Elcano, Numéro 3, Mai 2005, p.23. 13

Celestino Del Arenal, ¿Cuál debe ser el papel de España en las Cumbres Iberoamericanas?, Real Instituto

Elcano, DT 2004/12, 28/06/2004, p.7. 14

Ibid., pp.4-10.

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les pays de l‟Ibéro-Amérique. L‟Espagne, qui s‟était énormément investie en 1992 avec

la Commémoration du Cinquième Centenaire de la Découverte de l‟Amérique et le

deuxième Sommet Ibéro-américain de Madrid, s‟est moins engagée dans la réalisation

des Sommets à partir de 1993.

Malgré cette phase de leadership en déclin, l‟Espagne est cependant restée le

principal moteur des Sommets en présentant de nouvelles initiatives contribuant à leur

renforcement et à leur efficacité. Mais durant la présidence de Felipe González,

l‟Espagne a toujours veillé à chercher la concertation et le consensus entre les pays ibéro-

américains et à éviter de se mettre en avant. La présidence de José María Aznar marqua

une véritable rupture avec ces principes.

C. La présidence de José María Aznar (1996-2004)

Le gouvernement d‟Aznar représenta le début d‟une nouvelle phase : celle du

leadership hégémonique (« liderazgo hegemónico »)15

.

Dans un premier temps, celui du leadership hégémonique multilatéral (1997-

2001), l‟Espagne chercha le consensus avec les principaux pays latino-américains afin

que ses initiatives soient acceptées, tout en prétendant agir avec hégémonie.

Pour la première fois, l‟Espagne a utilisé les Sommets pour exposer de manière

directe ses problèmes de politique intérieure. Par exemple, lors du Sommet du Panama

(2000), JM. Aznar présenta une initiative de condamnation formelle du terrorisme de

l‟ETA qui fut approuvée par tous les pays présents, à l‟exception de Cuba.

La politisation des sommets s‟accrut de nouveau à partir de 2002 et la phase de

« leadership hégémonique unilatéral » marquée par le changement radical dans la

politique étrangère espagnole. L‟alignement inconditionnel du gouvernement de

JM.Aznar avec l‟Administration Bush eut des conséquences décisives sur la politique

latino-américaine de l‟Espagne et se traduisit par une rupture de la ligne de conduite

espagnole au sein des Sommets. Dès lors, le gouvernement présenta ses initiatives

unilatéralement, sans concertation préalable avec les autres pays ibéro-américains.

15

Ibid., pp.10-20.

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L‟expression la plus importante de cette attitude fut la proposition de réforme des

Sommets et la création de la SEGIB (Secretaría General Iberoamericana). Cette

proposition, qui supposait presque la refondation des Sommets, fut présentée en quelque

sorte par surprise et de façon absolument unilatérale par JM.Aznar lors du Sommet de

Bávaro (République Dominicaine) en 2002.

Mais d‟autres propositions générèrent des réticences comme celle de célébrer, à

nouveau, un Sommet en Espagne à l‟occasion du trentième anniversaire du règne de Juan

Carlos, alors que certains pays latino-américains n‟avaient pas encore organisé de

Sommet sur leur territoire. Ou encore, l‟on peut donner comme exemple les pressions

exercées par JM. Aznar sur le Mexique et le Chili pour que ces pays donnent leur aval

aux positions défendues par l‟Administration Bush concernant l‟Irak au sein du Conseil

de Sécurité des Nations Unies.

Cette attitude espagnole a contribué à détruire le sentiment d‟identité commune

bâti par l‟Espagne depuis sa transition démocratique. En effet, les pays latino-américains

n‟ont pas compris ces changements et ont nourri des ressentiments envers cette Espagne

impérialiste. Non seulement cela a contribué à réduire le sens et l‟utilité des Sommets

Ibéro-américains, mais cela a causé une profonde détérioration de l‟image et du prestige

de l‟Espagne en Amérique latine. Cette détérioration a en plus été accentuée par un

contexte d‟explosion des investissements espagnols dans l‟ensemble du sous-continent

américain et les pays d‟Amérique latine ont alors pensé que les relations hispano-latino-

américaines avaient été instrumentalisées par l‟Espagne pour servir sa reconquête. Dans

le cadre de notre réflexion, la présidence de José María Aznar est donc primordiale car

elle a engendré un revirement dans les relations entre les deux continents.

D. La remise en cause des Sommets Ibéro-américains

En 2004, l‟élection de José Luis Rodríguez Zapatero marque un nouveau

changement. Le redéploiement de la politique étrangère espagnole vers l‟Union

Européenne et l‟Amérique latine a toutefois nécessité une période de transition qui a nui

au Sommet Ibéro-américain de San José (Costa Rica). Cependant, même s‟il n‟a pas été

Page 17

une grande réussite, ce Sommet a permis au gouvernement socialiste de restaurer un

climat positif de coopération politique.

En revanche, le Sommet de Salamanca (Espagne) en 2005 a montré la reprise en

main des Sommets Ibéro-américains, grâce au dynamisme de la diplomatie espagnole

lors de sa préparation et à l‟accomplissement d‟une bonne partie de ses objectifs. Ce

Sommet a surtout été marqué par la création du Secrétariat Général Ibéro-américain

(SEGIB), placé sous la direction de l‟Uruguayen Enrique Iglesias. Cette réforme avait été

présentée par le gouvernement de JM.Aznar et adoptée lors du Sommet de Bávaro

(République Dominicaine) en 2002, puis son statut avait été voté l‟année suivante lors du

Sommet de Santa Cruz de la Sierra (Bolivie). Concrètement, la SEGIB est chargée de

l‟organisation des Sommets et du suivi des accords qui y sont passés. « La création de la

SEGIB est une avancée très importante dans le chemin qui mène à la redynamisation des

Sommets, dans la mesure où elle leur permet d‟être plus opérationnels grâce à une

structure formée par un Secrétariat Général, un Secrétariat Adjoint et un Secrétariat pour

la Coopération Ibéro-américaine, et qu‟elle leur confère une plus grande visibilité

politique par son caractère permanent. » 16

Le Sommet de Montevideo (Uruguay), qui s‟est tenu en 2006 sur le thème

« Migration et Développement », a été au contraire assez décevant et a renforcé les

doutes sur l‟avenir des Sommets Ibéro-américains. La rédaction du texte intitulé

« Engagement et Déclaration de Montevideo » exprimant la position de l‟Ibéro-Amérique

sur l‟immigration a révélé l‟apparition d‟un antagonisme inhabituel entre la position

espagnole et celle des pays latino-américains. Ces derniers ont fait front commun contre

l‟Espagne et l‟Europe en critiquant les barrières dressées par l‟Union Européenne aux

migrants et, plus généralement, les « conditions imposées par les pays riches à

l‟immigration. »17

Les reproches émis par les présidents latino-américains avaient été très

dures : Álvaro Uribe avait interpellé le Roi Juan Carlos pour exprimer son souhait « que

les portes s‟ouvrent aux Latino-américains et se ferment aux drogues »18

et Evo Morales

16

Celestino Del Arenal, De la Cumbre Iberoamericana de San José de Costa Rica (2004) a la Cumbre

Iberoamericana de Salamanca (2005), Real Instituto Elcano, Documento de Trabajo (DT) n° 5/2005, Janvier 2005,

p.16. 17

Jorge Marirrodriga, « Iberoamérica pide que la UE no cierre sus puertas », El País, 05/11/2006, p.3. 18

Marco Schwartz, « Iberoamérica reprocha a España las barreras contra la inmigración », El Periódico de

Catalunya, 05/11/2006, p.14.

Page 18

avait « critiqué le fait que les marchandises aient plus de liberté de circulation que les

personnes. »19

En revanche, le Sommet de Santiago du Chili, qui s‟est tenu en novembre 2007

sous le thème « Développement et intégration sociale », a été une réussite car il a permis

la signature de vingt-quatre engagements pour « progresser vers des niveaux croissants

d‟intégration, de justice, de protection, d‟assistance sociale et de solidarité ». Le point le

plus important est l‟adoption d‟une Convention Multilatérale sur la Sécurité Sociale dont

pourraient bénéficier six millions d‟immigrants ibéro-américains. Cependant, les tensions

entre certains pays latino-américains et l‟Espagne se sont à nouveau fait sentir, ce qui a

conduit au cinglant « ¿Por qué no te callas? » du Roi d‟Espagne au président

vénézuélien Hugo Chávez et à l‟abandon du Sommet par Juan Carlos en pleine session.

Toutefois, malgré la création du Secrétariat Général Ibéro-américain, l‟on constate

toujours une baisse de l‟intérêt des pays d‟Amérique latine aux Sommets Ibéro-

américains. La manifestation la plus évidente de ce phénomène est le nombre élevé

d‟absences parmi les présidents ou chefs de gouvernement ibéro-américains lors des

derniers Sommets : sept présidents20

ne se sont pas déplacés lors du Sommet de San José

en 2004, cinq21

lors du Sommet de Salamanca de 2005, huit22

lors du Sommet de

Montevideo en 2006 et quatre23

lors du dernier Sommet de Santiago du Chili. Un autre

élément confirme ce manque d‟intérêt : le financement de la SEGIB est assumé à 80%

par l‟Espagne (soit plus de 1,8 millions de dollars).24

Ainsi une nouvelle réforme des Sommets est-elle à l‟étude afin de redonner de la

vigueur à ces Sommets éreintés non seulement par l‟appartenance de nombreux pays

ibéro-américains à des groupements régionaux distincts, mais aussi par la tenue des

Sommets UE-ALC. Le passage à des Sommets biannuels est donc envisagé.

19

Ibidem. 20

Les présidents du Chili, du Brésil, du Pérou, du Venezuela, de Cuba, du Portugal et de l‟Equateur. 21

Les présidents de Cuba, de l‟Equateur, du Salvador, du Guatemala et du Nicaragua. 22

Les présidents du Brésil, du Venezuela, du Pérou, de Cuba, du Panama, du Nicaragua, du Guatemala, et de la

République Dominicaine. 23

Les présidents du Mexique, de Cuba, de Panama et de la République Dominicaine. 24

Carlos Malamud (coord.), La política española hacia América Latina: Primar lo bilateral para ganar en lo

global, Informes Real Instituto Elcano, Numéro 3, Mai 2005, p.36.

Page 19

Cependant, la tâche est complexe car il faudrait aussi parvenir à « doser »

l‟intervention espagnole lors des Sommets Ibéro-américains. Jusqu‟à présent, l‟Espagne a

joué un rôle-clé : sans son acharnement et son travail diplomatique, les Sommets Ibéro-

américains n‟auraient pas vu le jour et n‟auraient pas été aussi productifs, car c‟est elle

qui a proposé les principales initiatives. Mais le corollaire de cette attitude est le

désintérêt et le manque d‟implication des pays latino-américains. Comme le résume

Carlos Malamud, « les Sommets ne pourront être utiles à l‟Espagne, aussi paradoxal que

cela puisse paraître, que si les pays latino-américains, surtout les plus grands, se les

approprient. Au contraire, si l‟image persiste que ce ne sont qu‟un instrument de notre

politique vers la région, leur existence sera très courte, malgré la SEGIB ou les réunions

annuelles. »25

Le risque est donc grand, car si les pays latino-américains ne s‟impliquent

pas plus dans les Sommets, ces derniers tomberont dans l‟oubli.

Section 2 - La multiplication des échanges, traités et accords

entre l’Espagne, l’Europe et l’Amérique latine

Parallèlement à la mise en place des Sommets Ibéro-américains qui ont contribué,

nous l‟avons vu, au renforcement des relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine, les

échanges entre le sous-continent américain et l‟Europe se sont considérablement accrus.

Depuis sa transition démocratique, l‟Espagne a signé seize traités bilatéraux de

Paix et de Coopération avec une grande partie des pays latino-américains. Avec son

entrée dans la Communauté Européenne, ses relations bilatérales avec les pays latino-

américains se sont réduites au profit d‟accords signés directement par l‟Union

Européenne avec des pays ou des groupements de pays latino-américains. Seuls quelques

accords isolés ont été signés directement entre l‟Espagne et des pays d‟Amérique latine

comme récemment avec la signature de plans d‟association stratégique avec le Brésil

(2003), le Mexique (2003), le Chili (mai 2006), l‟Argentine (juin 2006) et la Colombie

(janvier 2008).

25

Ibid., p.13.

Page 20

Pour ce qui est de l‟Union Européenne, elle a œuvré dans un premier temps à

institutionnaliser les dialogues politiques qu‟elle entretenait avec les différents

groupements régionaux d‟Amérique latine. En 1987, la CEE et le Groupe de Río26

ont

organisé leur première conférence ministérielle. Le 20 décembre 1990, la Déclaration de

Rome institutionnalisa ce dialogue politique. D‟autres accords instaurant un dialogue

ministériel furent passés avec le Mercosur (Accord Cadre Interrégional de Coopération

de décembre 1995), la Communauté Andine (Déclaration conjointe sur le dialogue

politique de juin 1996), le Chili (Accord Cadre de Coopération de 1996) et le Mexique

(Accord Global de 1997). De même, les ministres européens et caribéens se sont réunis

chaque année dans le cadre du Conseil conjoint des Ministres de l‟UE et de ceux des

Etats ACP (pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique).

Les relations entre l‟UE et l‟Amérique latine se sont approfondies à partir des

années 90 avec des traités plus globaux facilités par la médiation espagnole. Le premier

pays latino-américain à signer un partenariat privilégié avec l‟UE fut le Mexique avec

l‟Accord d‟Association Economique, de Concertation Politique et de Coopération signé

en 1997. Ce dernier comprenait un accord de libre échange qui est entré en vigueur en

l‟an 2000. Le Chili a été le deuxième à signer un accord d‟association avec l‟UE, en

2002, articulé autour de trois volets : le dialogue politique, la coopération et le commerce.

Le volet commercial est particulièrement intéressant : il établit une zone de libre-échange

des biens durant une période maximale de dix ans, en vue de parvenir à une libéralisation

complète pour 97,1% des échanges commerciaux. Enfin la Communauté Andine et

l‟Amérique Centrale ont signé des accords de dialogue politique et de coopération moins

ambitieux en 2003. L‟UE tente depuis de négocier des accords de libre-échange avec ces

deux groupements régionaux, ainsi qu‟avec le Mercosur. Depuis 2004, l‟Union

Européenne négocie également des accords de partenariat économique (APE) avec les

Caraïbes. Et récemment, en juillet 2007, l‟UE et le Brésil ont signé une association

stratégique, grâce au premier Sommet entre l‟Union Européenne (sous la présidence

portugaise) et le Brésil. L‟Union espère, par ce biais, donner une impulsion aux

négociations avec le Mercosur.

26

Alors composé du Brésil, de la Colombie, du Mexique, du Panama, du Pérou, de l'Uruguay et du Venezuela.

Page 21

A certains moments, la médiation espagnole a été particulièrement visible. Par

exemple, l‟idée de convoquer un Sommet des chefs d‟État et de gouvernement des pays

de l‟Union Européenne, de l‟Amérique latine et des Caraïbes, dits Sommets UE-ALC, fut

lancée par José María Aznar lors du Sommet Ibéro-américain de Viña del Mar (Chili) en

1996. A partir de 1999, cette idée s‟est concrétisée et étoffée avec d‟autres rencontres sur

des thèmes techniques (la société de l‟information, la science et la technologie, la sécurité

sociale, les travailleurs migrants…) organisées dans l‟intervalle des Sommets UE-ALC.

Le premier Sommet UE-ALC se tint à Rio de Janeiro, en juin 1999. Il fut

particulièrement important car il lança un partenariat stratégique bi-régional pour

approfondir le dialogue politique, la coopération économique, scientifique, culturelle et le

renforcement des liens commerciaux. Ce partenariat a donc fixé le cadre actuel dans

lequel se déroule la politique globale entre l‟UE et l‟Amérique latine.

Le deuxième Sommet UE-ALC se tint à Madrid en 2002. Il eut pour but

d‟approfondir le partenariat stratégique et de promouvoir l‟accroissement économique, le

commerce, la stabilité démocratique et les progrès économiques et sociaux et permit la

signature d‟une « Déclaration des Valeurs et des Positions Communes ».

Le Sommet de Guadalajara en 2004 proposa trois objectifs : la cohésion sociale,

l‟intégration régionale latino-américaine sur le modèle de l‟intégration européenne et

enfin une association bi-régionale euro-latino-américaine.

Le sommet de Vienne en 2006 a marqué une avancée avec l‟annonce de la

réouverture des négociations sur un accord d‟association avec l‟Amérique Centrale, mais

les observateurs sont sceptiques : « Si les modestes objectifs a priori fixés ont été

accomplis, il n‟a pas été possible de trouver les formes ou les mécanismes adéquats qui

nous permettraient de sortir de l‟impasse actuelle. »27

27

Carlos Malamud, Los actores extrarregionales en América Latina (III): las relaciones con la Unión Europea,

Real Instituto Elcano, ARI Nº 8/2008, 10/01/2008, p.1.

Page 22

Au niveau diplomatique, il y a cependant des divergences entre les positions

espagnole et européenne. En effet, l‟Espagne penche davantage pour une approche

bilatérale, sur le modèle de celle qui a permis la conclusion des accords avec le Mexique

et le Chili, alors que l‟UE privilégie une approche multilatérale avec des groupements

régionaux ce qui nécessite plus de temps. Ainsi, d‟une façon générale, l‟Espagne regrette

que la relation UE-Amérique Latine piétine et ne soit pas assez structurée, au risque de

voir d‟autres acteurs (asiatiques notamment) prendre la place qu‟elle estime pouvoir être

tenue par l‟Europe. L‟Espagne est donc partagée entre ces deux identités ibéro-

américaine et européenne qui se renforcent l‟une l‟autre. En effet, l‟on peut dire que

l‟identité européenne renforce le rôle de l‟Espagne en Amérique latine et, qu‟en même

temps, l‟identité ibéro-américaine renforce le rôle de l‟Espagne en Europe. Cette

singularité de la position espagnole provoque des conflits évidents entre ces deux

appartenances. Toutefois, l‟Espagne a aussi des torts et certains spécialistes de

l‟Amérique latine regrettent son manque de combativité dans ce domaine : « en de

nombreuses occasions, l‟Europe a plus servi d‟alibi que d‟élan dans la politique

espagnole vers l‟Amérique latine. C‟est assez fréquent, notamment dans des sujets tels

que le protectionnisme agraire, la Politique Agricole Commune et l‟immigration. Au lieu

d‟adopter des positions audacieuses, qui coïncident avec les propositions de nos amis

latino-américains, nous rejetons la faute sur la rigidité des positions communautaires et

sur l‟impossibilité de changer les choses. »28

Les relations entre l‟Espagne et les pays latino-américains sont complexes et il est

difficile de dire quelle a été la motivation qui a poussé l‟Espagne à s‟investir pour les

développer. Mais, en regardant la question d‟un point de vue purement géopolitique, il

est évident que le regain d‟influence sur le continent américain était primordial pour que

l‟Espagne atteigne les objectifs qu‟elle s‟était fixés. Comme le résume très bien Carlos

Malamud, « l‟Amérique latine est fondamentale pour la politique étrangère espagnole et

pour son rayonnement dans le monde : le poids de l‟Espagne dans l‟Union Européenne,

et pas seulement dans l‟Union Européenne, en dépend fortement. Ainsi, la relation ibéro-

28

Carlos Malamud (coordinador), La política española hacia América Latina : Primar lo bilateral para ganar en lo

global, Informes Real Instituto Elcano, Numéro 3, Mai 2005, p.39.

Page 23

américaine ne doit pas être vue comme quelque chose de sentimental ou de culturel, mais

comme motivée par les intérêts. »29

Section 3 - Un regard protecteur et exclusif sur l’Amérique

latine

Après avoir vu comment se sont mis en place les Sommets Ibéro-américains, qui

ont eu un rôle structurant dans les rapports entre l‟Espagne et l‟Amérique latine et ont

permis la signature de nombreux accords diplomatiques, il est nécessaire de voir

comment l‟Espagne s‟est imposée comme un modèle en Amérique latine et a revendiqué

ce rôle sur le plan international.

La nature des relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine a pris un tournant

singulier dès la naissance de la démocratie espagnole. L‟Espagne était tentée de se poser

comme un exemple à suivre auprès des autres pays latino-américains encore sous le joug

de dictatures et c‟est pourquoi l‟on parle d‟un rapport de légitimisation mutuelle. En

effet, chacune des deux parties cautionnait à leur tour l‟authenticité du processus de

démocratisation engagé par l‟autre. La première illustration de cette légitimisation

transparaît dans la reprise des contacts diplomatiques entre l‟Espagne et le Mexique. En

renouant les liens avec l‟Espagne, le Mexique, qui s‟était toujours virulemment opposé à

l‟Espagne franquiste, a conforté la légitimité du gouvernement d‟Adolfo Suárez et validé

implicitement l‟authenticité du processus démocratique espagnol. Inversement, « la

volonté affichée par l‟Espagne de diffuser les principes démocratiques hors de ses

frontières contribuait indirectement à imposer l‟image d‟un pays ayant déjà parfaitement

mené à bien son propre processus de démocratisation – et ayant désormais le loisir de

consacrer ses efforts à la propagation de la démocratie de l‟autre côté de l‟Atlantique.»30

Les multiples actions menées par l‟Espagne en Amérique latine (organisation de tables

rondes sur la possibilité de transposer le modèle espagnol aux pays latino-américains dès

1983, intervention d‟Adolfo Suárez en Uruguay, condamnation des dictatures par le Roi

Juan Carlos…) ont constitué les outils qui lui ont permis de parachever la stabilisation

29

Ibid., p.12. 30

Daniel Sabbagh, « Les facteurs externes de la démocratisation : le cas des relations entre l‟Espagne et les pays

d‟Amérique latine (1975-2000) » in Daniel Van Eeuwen (dir.), L'Amérique latine et l'Europe à l'heure de la

mondialisation, CREALC-IEP/AIX- Karthala, Paris, 2002, p.68.

Page 24

interne de la démocratie espagnole et de masquer l‟inachèvement de son processus de

démocratisation. L‟Espagne n‟a cependant pas réussi à diffuser son « modèle » et le seul

point commun entre les processus démocratiques espagnol et latino-américains est la

raison même de son inachèvement : la priorité accordée à la réconciliation pour renforcer

la stabilité du nouveau régime, à défaut de sanctionner les injustices passées. En

revanche, la transition démocratique espagnole a pu être perçue en Amérique latine

comme un signal mobilisateur et optimiste car l‟Espagne, après trente-six ans de

dictature, ne possédait pas de tradition du pluralisme politique et c‟est en ce point

qu‟ « elle a pu contribuer à la vague de démocratisations latino-américaines des années

80. »31

Depuis lors, l‟Espagne se bat toujours en faveur des idées démocratiques : « en

décembre 1996, c‟est à Madrid – et en partie grâce aux efforts de la diplomatie espagnole

– qu‟ont été signés les accords censés mettre un terme à trente-six ans de guerre civile au

Guatemala. »32

Le gouvernement de José María Aznar s‟est d‟ailleurs montré très engagé

dans ce sens en proposant la création d‟une force ibéro-américaine de maintien de la paix,

en apportant son soutien financier au Plan Colombia et en s‟opposant au régime de La

Havane.

Cet éclairage historique sur les relations hispano-latino-américaines contribue à

expliquer l‟existence d‟une véritable stratégie diplomatique envers l‟Amérique latine.

Son expression la plus visible est la déclaration de chaque nouveau président du

gouvernement espagnol soulignant que les relations avec l‟Amérique latine sont

prioritaires, sans trop expliquer ce que cela signifie. Il existe donc une volonté

diplomatique affirmée d‟être présent en Amérique latine comme le prouvent les

nombreux déplacements de la famille royale espagnole sur le continent américain. Le Roi

Juan Carlos Ier, dont l‟une des fonctions est la représentation de l‟Espagne à l‟étranger,

avait par exemple choisi comme destination l‟Amérique latine et plus précisément la

République Dominicaine pour son premier voyage officiel le 31 mai 1976, ce qui

constitua un symbole très fort. Il en fut de même pour son fils, le Prince des Asturies qui,

lors de son premier voyage officiel en 1991, avait à nouveau choisi l‟Amérique latine en

se rendant en Argentine, en Uruguay et au Mexique. En tout, depuis 1976, le Roi Juan

31

Ibid., p.63. 32

Ibid., p.69.

Page 25

Carlos a fait cinquante-quatre voyages officiels dans des pays latino-américains33

. Et son

fils s‟est déjà déplacé plus de 30 fois en Amérique latine depuis l‟an 2000.34

Ces voyages

témoignent donc de l‟intérêt primordial que porte l‟Espagne à l‟Amérique latine depuis

son retour à la démocratie. Le Roi a d‟ailleurs joué un grand rôle dans la mise en place

des Sommets Ibéro-américains, par ses discours qui portaient au plus haut le sentiment

d‟appartenance ibéro-américain, et par ses actes, puisque c‟est à sa demande que le

président mexicain Carlos Salinas de Cortari accepta d‟accueillir sur son territoire le

premier Sommet Ibéro-américain. Son intérêt pour les Sommets n‟a d‟ailleurs jamais

molli puisqu‟il s‟est rendu personnellement à tous les Sommets Ibéro-américains, même

celui organisé à Cuba en 1999, malgré l‟obligation imposée par la Casa Real que le Roi

ne se déplace que dans des pays démocratiques. Pour garantir la réussite du Sommet de

San José (Costa Rica) en 2004, il est même intervenu personnellement auprès de certains

présidents latino-américains afin de les convaincre d‟assister au Sommet et a ainsi réussi

à éviter l‟absence du président argentin Nestor Kirchner.

Le gouvernement de José Luis Rodríguez Zapatero a également réalisé de

nombreux déplacements officiels en Amérique latine. Depuis 2004, le chef du

gouvernement espagnol a réalisé treize voyages dans la région et s‟est entretenu vingt-

cinq fois avec des Présidents latino-américains venus lui rendre visite.35

Il a manifesté

son attachement à l‟Amérique latine en de nombreuses occasions et l‟une des plus

marquantes a été la création, à sa demande, d‟un Secrétariat d‟Etat chargé de l‟Ibéro-

Amérique en septembre 2006. Cela constitue un élément fondamental car, auparavant, le

Secrétariat d‟Etat des Affaires étrangères et de l‟Ibéro-Amérique se chargeait de

l‟Amérique latine. Cela témoigne donc de la volonté d‟accorder une attention particulière

à l‟Amérique latine en portant à quatre le nombre de Secrétariats d‟Etat ce qui n‟était

jamais arrivé depuis le début de la démocratie espagnole. JL. Zapatero a justifié cette

décision par la volonté de permettre à l‟Espagne de « renforcer de manière décisive son

action et sa présence dans la région » tout en lui conférant un « rôle stabilisateur ».

33

Liste des voyages officiels du Roi Juan Carlos sur le site internet de la Casa de su Majestad Real el Rey de

España : http://www.casareal.es/sm_rey/Viajes-ides-idweb.html 34

Liste des voyages officiels du Prince des Asturies sur le site internet de la Casa de su Majestad Real el Rey de

España : http://www.casareal.es/sar_principe/Viajes-ides-idweb.html 35

http://www.la-moncloa.es/Presidente/ActividadesInternacionales/default.htm

Page 26

De même JL. Zapatero a nommé récemment Felipe González ambassadeur

extraordinaire pour la commémoration de l‟indépendance des républiques ibéro-

américaines afin d‟assurer la présence de l‟Espagne à ces événements. Le chef du

gouvernement espagnol a précisé que son prédécesseur « possédait toutes les qualités

pour donner une plus grande impulsion aux relations entre l‟Espagne et l‟Ibéro-Amérique

dans les domaines politique, social et culturel. »36

Enfin, la présence diplomatique de l‟Espagne en Amérique latine est très

importante. On compte par exemple 207 personnes ayant le rang de diplomates dans les

ambassades espagnoles d‟Amérique latine.37

Ce chiffre est considérable pour une

vingtaine de pays. Le nombre de consulats généraux est également éloquent : on en

compte cinq en Argentine, quatre au Brésil, trois au Mexique et deux en Colombie et en

Equateur.38

L‟Espagne aime se présenter comme la « tutrice » de l‟Amérique latine et elle

renvoie cette image au niveau international.

Au sein de l‟Union Européenne, l‟influence de l‟Espagne en faveur de l‟Amérique

latine a été particulièrement flagrante à certains moments-clés liés à la politique envers

Cuba. Cela a d‟abord été visible en 1996, lorsque l‟Espagne a proposé que l‟UE présente

une Position Commune sur Cuba qui a été adoptée. Puis, en 2004, lorsque l‟Espagne a

défendu l‟élimination des sanctions imposées sur le régime de l‟île depuis 2003, et enfin

en 2007 lorsque l‟Espagne a décidé de renouer ses contacts avec l‟île et que l‟UE en a fait

de même. Ainsi, l‟Espagne est écoutée par l‟UE et il est fréquent d‟entendre les analystes

dire que les institutions européennes ne prennent aucune décision liée à l‟Amérique latine

sans le consentement de l‟Espagne. Cependant, cela n‟empêche pas les pays latino-

américains de s‟adresser directement à l‟UE sans passer par l‟Espagne.

Sur la scène internationale, l‟Espagne veut montrer qu‟elle se préoccupe de

l‟Amérique latine. Récemment, en mars 2007, elle a tenu à organiser à Madrid la Ière

36

A. Díez, « El Gobierno encarga a González estrechar lazos con Iberoamérica», El País, 28/07/2007. 37

Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Guía de las Representaciones de España en el extranjero,

Madrid, octobre 2004. 38

Site du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération :

http://www.mae.es/es/MenuPpal/Paises/Iberoamerica/

Page 27

Conférence Intergouvernementale sur les Pays à Revenus Intermédiaires (PRI) afin

d‟attirer l‟attention sur leurs préoccupations. Or les pays latino-américains sont

majoritairement des Pays à Revenus Intermédiaires et l‟Espagne craint qu‟ils ne soient

délaissés au profit des Pays les Moins Avancés (PMA). Son but était donc de montrer que

les PRI ne devaient pas être écartés des aides car ils sont eux aussi touchés par une

grande pauvreté (revenus inférieurs à 2 dollars par jour) et qu‟ils risqueraient de devenir à

leur tour des PMA. Ainsi, l‟Espagne, par le biais de son principal organisme de

coopération, l‟AECI (Agencia Española de Cooperación Internacional), a destiné 61%

de son aide publique au développement à des Pays à Revenus Intermédiaires en 2006.39

Ces quelques exemples montrent pourquoi cette image de médiateur rejaillit dans

les journaux avec des titres tels que « Les Etats-Unis nous demande des conseils sur

l‟Amérique latine »40

ou « L‟Espagne planifie d‟être l‟interlocuteur des Etats-Unis, de la

Chine et du Japon en Amérique latine. »41

Dans ce dernier article rédigé à l‟occasion de

la trente-neuvième rencontre ibéro-américaine des entreprises, on peut lire que « les

Etats-Unis planifient une nouvelle stratégie pour leur pré carré, qui passe par l‟utilisation

des influences de l‟Espagne pour défendre ses intérêts dans le Cône Sud. Madrid et

Washington, distants depuis deux ans à cause du retrait des troupes espagnoles d‟Irak, ont

trouvé en Amérique latine une cause pour conjuguer leurs efforts : la consolidation de la

démocratie et l‟ouverture de l‟économie. »

Récemment, on a pu voir qu‟une telle attitude avait conduit à certaines dérives. En

avril 2002, José María Aznar, qui présidait l‟Union Européenne, a été accusé de soutenir

le coup d‟Etat au Venezuela en reconnaissant celui-ci, avant même que le responsable du

putsch, Pedro Carmona, ait prêté serment.42

Par le biais de cette déclaration de la

Présidence, l‟UE, défenseur des principes démocratiques, manifestait sa confiance envers

ce nouveau gouvernement qui venait de renverser un président élu. Cette intervention a

beaucoup été reprochée à JM. Aznar, et ce n‟est pas la seule. En septembre 2007, les

médias diffusèrent une transcription d‟une conversation téléphonique privée entre le

39

Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 2006. 40

Ernesto Ekaizer, Interview de Bernardino Leñn (Secrétaire d‟Etat espagnol aux Affaires étrangères), « Les Etats-

Unis nous demande des conseils sur l‟Amérique latine », El País, 08/12/2006, p.22. 41

Miriam Gidrón, « L‟Espagne planifie d‟être l‟interlocuteur des Etats-Unis, de la Chine et du Japon en Amérique

latine », Expansion, 26/12/2006, p.28. 42

Le président Aznar a fait sa déclaration à 18h09, heure de Madrid (soit 12h09 à Caracas), alors que P.Carmona a

prêté serment quelques heures plus tard à 16h, heure de Caracas (soit 22h à Madrid).

Page 28

président américain GW. Bush, le chef du gouvernement espagnol JM. Aznar, le premier

ministre britannique Tony Blair et le président italien Silvio Berlusconi. Cette

conversation s‟était déroulée le 22 février 2003 quelques semaines avant l‟entrée en

guerre contre l‟Irak et quelques jours avant la présentation par les Etats-Unis d‟une

nouvelle résolution en faveur de la Guerre en Irak au Conseil de Sécurité des Nations

Unies. On y découvre le président des Etats-Unis menaçant le Chili et le Mexique de

représailles en cas de vote ne soutenant pas l‟intervention militaire. A ce moment-là, le

Chili attendait la ratification du Traité de Libre-échange avec les Etats-Unis par le Sénat

américain et GW. Bush a exprimé clairement son intention de s‟opposer à son

autorisation. Suite à cette conversation, la diplomatie espagnole fera des pieds et des

mains pour convaincre le Chili et le Mexique de soutenir la résolution américaine.

Finalement, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, n‟ayant pas assez de soutien,

décidèrent de retirer la seconde résolution.

Enfin, il ne faut pas nier que l‟Amérique latine apprécie de temps à autre la

médiation de l‟Espagne et les dernières années nous en ont donné des exemples parfaits.

Récemment, il a été révélé que Fidel Castro avait demandé de l‟aide à José María Aznar

pour donner asile à Hugo Chávez lors du coup d‟Etat de 2002.43

Craignant pour sa vie, la

diplomatie cubaine avait tout fait pour organiser une évacuation de H. Chávez dans la

nuit du 12 avril et avait demandé l‟aide de l‟Espagne pour l‟organiser. Finalement, cette

opération ne fut pas nécessaire en raison d‟un aplanissement de la situation à Caracas et

de la décision de H. Chávez de se rendre aux généraux responsables du putsch. Cet

événement n‟en est pas moins révélateur du recours à l‟Espagne en cas de mauvaise

passe, d‟autant plus que les relations entre Cuba et l‟Espagne étaient particulièrement

délicates pendant le mandat de JM. Aznar.

Une autre illustration de la médiation espagnole est celle de « la guerra de las

papeleras »44

. Cet affrontement a commencé en 2002 lorsque le gouvernement uruguayen

présidé par Jorge Batlle Ibáðez a négocié sur son territoire l‟installation de deux grandes

usines de cellulose. En 2003, cette décision est à l‟origine d‟un conflit frontalier car les

43

Juan Aznárez, « Cuando Fidel pidió ayuda a Aznar », El País, 03/02/2008. 44

« La guerre des papeteries »

Page 29

deux usines prévoient de s‟installer le long du fleuve Uruguay qui constitue la frontière

internationale entre les deux pays. Les usines étant considérées comme polluantes, la

protestation sociale et écologiste s‟amplifie jusqu‟à ce que soit organisée une gigantesque

manifestation sur le pont international Libertador San Martín réunissant 40.000 Argentins

et Uruguayens le 30 avril 2005. C‟est alors que cette « guerre » investit le champ

diplomatique et prend une ampleur internationale. Les présidents argentin et uruguayen

s‟emparent de l‟affaire et créent une Commission Binationale pour analyser l‟impact

environnemental des usines de cellulose. Ne s‟accordant pas sur ses conclusions, la

Commission est dissoute. Parallèlement, la ville de Gualeguaychú, placée sur la rive

argentine du fleuve et faisant face aux sites octroyés aux usines, se mobilise. Les

associations écologistes et de riverains réunis dans l‟Assemblée Citoyenne

Environnementale de Gualeguaychú décident dès décembre 2005 de bloquer les trois

ponts permettant la traversée du Fleuve Uruguay. Les tensions montent entre les deux

pays qui ne parviennent pas à un accord. L‟Argentine accuse l‟Uruguay de violer le traité

bilatéral pour la garde et la protection du Fleuve Uruguay signé en 1975 et dépose une

requête au Tribunal International de la Haye. En juillet 2006, le Tribunal arbitre en faveur

de l‟Uruguay qui s‟appuie sur des études environnementales de la Banque mondiale pour

défendre le plus grand investissement privé de son histoire. Inversement, l‟Uruguay,

agacée par les blocages des ponts, dépose une plainte en prétextant que ces blocages

constituent une entrave à la liberté de circulation. Le Tribunal International de la Haye

tranche alors en faveur de l‟Argentine car ces blocages ne supposent pas un danger pour

l‟Uruguay.

Lors du Sommet Ibéro-américain de Montevideo en novembre 2006, le président

Kirchner demande au Roi d‟Espagne de « faciliter » une solution au conflit l‟opposant à

l‟Uruguay. Juan Carlos Ier accepte et celui-ci nomme Juan Antonio Yáñez Barnuevo,

l‟ambassadeur de l‟Espagne à l‟ONU, pour mener la médiation. En décembre 2006,

l‟entreprise espagnole Ence, qui devait construire l‟une des deux usines, décide de

changer d‟emplacement afin de réduire les tensions. Il ne reste plus que l‟usine de

l‟entreprise finlandaise Botnia, dont l‟implantation est la plus controversée, car elle

s‟étale sur soixante hectares. Pourtant, les tensions ne faiblissent pas et l‟Uruguay

commence à remettre en question la médiation du Roi. Le Ministre de l‟Economie

uruguayen, Danilo Astori, qualifie alors cette médiation de « manœuvre totalement

Page 30

inacceptable. L‟Argentine utilise la figure du Roi Juan Carlos pour essayer de retarder les

travaux ce qui est absolument illégitime. »45

Un an après, malgré plusieurs réunions avec

les deux parties et le médiateur, le conflit n‟est toujours pas réglé. Début novembre, le

ministre uruguayen Mariano Arana autorise la mise en fonctionnement de l‟usine de

Botnia. Quelques heures plus tard, le Roi d‟Espagne intercède pour demander la

suspension de cette décision et d‟attendre le Sommet de Santiago pour parvenir à un

éventuel accord. Lors du Sommet, le 8 novembre, les réunions échouent à nouveau et le

président uruguayen Tabaré Vázquez autorise alors la mise en marche de l‟usine. Le 11

novembre, José Luis Rodríguez Zapatero annonce que le gouvernement espagnol et le

Roi Juan Carlos poursuivront leur travail de médiation entre l‟Argentine et l‟Uruguay.

Ce recours au Roi est un événement surprenant mais aussi révélateur de la vision

latino-américaine de l‟Espagne et de son rôle. Voici un exemple de conflit purement

bilatéral entre pays latino-américains qui se transpose sur la scène ibéro-américaine par le

biais des Sommets et s‟immisce dans l‟agenda politique espagnol. La presse espagnole a

soutenu et apprécié l‟appel au Roi qu‟elle interprète comme la « démonstration que les

valeurs du consensus et de la prudence, que représente si bien Sa Majesté, sont les

symboles les plus appréciés de l‟Espagne en Ibéro-Amérique.»46

L‟Espagne agit également comme un pôle d‟analyse et de réflexion sur

l‟Amérique latine. Suivant le concept américain des think-tanks, l‟Espagne possède de

nombreuses fondations très actives qui proposent leurs analyses, dossiers, livres et

convoquent des colloques, séminaires et interventions. Chacune a sa spécificité et sa

mouvance politique, mais nombreuses sont celles à s‟intéresser aux relations

internationales et donc à l‟Amérique latine comme la FRIDE (Fundación para las

Relaciones Internacionales y el Diálogo Exterior), le GEES (Grupo de Estudios

Estratégicos) ou le CIDOB (Centro de Investigación de Relaciones Internacionales y

Desarollo). L‟une des plus importantes est le Real Instituto Elcano : par sa proximité de

la ligne gouvernementale, ses analyses permettent de mettre en avant le point de vue

espagnol dans chacun des événements étudiés. Pourtant il est paradoxal de constater que

45

C. De Carlos et L. Ayllón, « L‟ambassadeur espagnol à l‟ONU entamera la médiation entre l‟Argentine et

l‟Uruguay », ABC, 12/11/2006. 46

Editorial, « El ejemplo del Rey en Iberoamérica », ABC, 07/11/2006, p.4

Page 31

le pays où se concentre la plus grande capacité d‟analyse universitaire d‟Europe sur

l‟Amérique latine soit l‟Angleterre avec le Latin American Centre de l‟Université

d‟Oxford comme fer de lance.

Les relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine ont particulièrement évolué

depuis les années 70 jusqu‟à nos jours. Auparavant, les pays latino-américains

considéraient leur sœur espagnole comme l‟une des leurs : l‟Espagne sortait d‟une longue

dictature et rencontrait des difficultés économiques, comme bon nombre d‟entre eux.

Mais avec l‟entrée de l‟Espagne dans la Communauté européenne, la nature des rapports

entre les deux continents a changé. L‟Espagne s‟est développée beaucoup plus vite que

les pays latino-américains et la distance a commencé à s‟installer : l‟Espagne a perdu son

rôle de sœur pour reprendre celui de mère, qui donne des conseils, mène la danse et fait

parfois preuve d‟ingérence. Ainsi, les relations hispano-latino-américaines peuvent

relever, selon les opinions, de la filiation ou de la supériorité, mais il est évident que

l‟Espagne s‟évertue à être présente sur le sous-continent américain, ce qui est plus ou

moins bien reçu par les pays latino-américains. La reprise des contacts diplomatiques et

la mise en place progressive d‟une relation intense auraient pu n‟apparaître que sous

l‟angle d‟une bienveillance espagnole à l‟égard de ses anciennes colonies, mais l‟entrée

en jeu brutale des entreprises espagnoles dans le courant des années 90 a changé la donne

et permis l‟émergence d‟un sentiment de reconquête parmi les pays latino-américains.

Page 32

Chapitre 2 - Une indéniable reconquête économique et

commerciale

La coïncidence temporelle des réformes structurelles survenues en Europe et en

Amérique latine a eu une conséquence presque immédiate : l‟accroissement des

investissements d‟entreprises européennes en Amérique du Sud. L‟afflux massif des

investissements espagnols au début des années 90 représente l‟un des phénomènes les

plus marquants et importants de l‟histoire économique contemporaine de l‟Amérique

latine, par son ampleur, sa rapidité et son impact sur les économies locales. Pour

l‟Espagne, cette période marque aussi un pas dans l‟histoire économique du pays avec

l‟ouverture vers l‟étranger et l‟internationalisation de ses entreprises. Dans les années 70,

l‟ouverture commerciale de l‟économie espagnole était réduite : elle représentait 10,5%

du Produit Intérieur Brut (PIB). Cependant ce pourcentage s‟est très vite accru au fil des

décennies : il est passé de 30% dans les années 80 à 60% dans les années 90 et il avoisine

désormais les 65%, ce qui fait de l‟Espagne l‟une des dix économies les plus ouvertes du

monde.47

Cette évolution a donné une impulsion de transformation en agissant comme un

catalyseur de la discipline macro-économique et financière, qui est indispensable pour le

développement des économies développées dans l‟actuel contexte international.

L‟ouverture commerciale a également contribué à accroître la libéralisation économique

nécessaire pour l‟amélioration de l‟efficacité et le dynamisme de l‟innovation. Ce

processus très rapide s‟est traduit par un déploiement des investissements directs à

l‟étranger (IDE) qui étaient quasiment inexistants auparavant : entre 1986 et 2000, le

pourcentage des IDE par rapport au PIB espagnol est passé de 0,2 à 9,6%.48

L‟Espagne a donc considérablement évolué depuis son processus démocratique et

elle s‟est servie de son développement économique pour accroître son influence en

Amérique latine par le biais des IDE et l‟augmentation des relations commerciales.

L‟Union Européenne a elle aussi suivi le même chemin que l‟Espagne et est devenue un

grand partenaire économique des pays latino-américains.

47

Ramón Casilda Béjar, Internacionalización e inversiones directas de las empresas españolas en América latina

2000-2004, Situación y perspectivas, CIDOB, Barcelone, février 2005, p.8. 48

José Luis Malo de Molina (Directeur Général de la Banque d‟Espagne), Los efectos de la entrada de España en la

Comunidad Europea, intervention lors de la rencontre économique luso-espagnole qui s‟est tenue à Lisbonne les 15

et 16 octobre 2001, p.2.

Page 33

Section 1 - Les investissements directs des grandes entreprises

espagnoles et européennes en Amérique latine

Dans les années 80, le retour à la démocratie en Espagne et dans la plupart des

pays latino-américains, ainsi que l‟ouverture économique espagnole ont constitué les

conditions nécessaires au boom des investissements des années 90. En Amérique latine,

l‟application des mesures dites du Consensus de Washington ont facilité et attiré les

investissements étrangers. La démocratisation et la stabilisation du climat politique en

Amérique latine ont aussi encouragé de tels mouvements financiers et permis cette

reconquête économique.

A. La « década perdida » (décennie perdue)

Les années 80 sont celles de la mise en place d‟un terrain favorable aux

investissements de la décennie suivante.

D‟une part, l‟Espagne est entrée dans la Commission Economique Européenne en

1986. Pour être admise en son sein, elle a dû accepter le démantèlement de son tissu

industriel et la coordination de sa politique agricole avec celle du reste des pays

membres. En échange, elle a commencé à recevoir les fonds structurels destinés à

financer la transition vers une structure économique basée sur l‟offre de biens de

consommation et de services. Tout cela a permis le déclenchement du processus

d‟internationalisation des entreprises espagnoles. De plus, ce processus a été encouragé

par le gouvernement en établissant un cadre légal de libéralisation qui a consisté en la

réduction des conditions requises pour les flux de capitaux sortants et la mise à

disposition de fonds publics pour soutenir les investissements. Les résultats de cette

réforme du régime des investissements extérieurs de 1986 ne se sont pas fait attendre : les

investissements directs à l‟étranger (IDE) espagnols sont passés de 2 milliards de dollars

en 1988 à 6.5 milliards en 1992. A l‟époque cependant, seuls 12% d‟entre eux étaient

dirigés vers l‟Amérique latine.

Page 34

D‟autre part, deux éléments importants surviennent en Amérique latine. D‟abord,

les pays latino-américains se démocratisent. Ensuite, l‟Amérique latine est secouée par la

crise de la dette externe latino-américaine. En effet, en 1982, la hausse massive des taux

d‟intérêt américains provoque l‟incapacité du Mexique à poursuivre le remboursement de

sa dette souveraine contractée majoritairement sur l‟économie américaine. Le Mexique

déclare un moratoire du paiement de service de la dette et cette crise se propage sur tout

le continent. Cette situation d‟instabilité économique se prolongera durant toute la

décennie. Afin d‟éviter qu‟un tel événement ne se reproduise, les pays développés

proposent aux pays latino-américains de changer de modèle de développement et

d‟appliquer un certain nombre de réformes, réunies dans le Consensus de Washington de

1989, pour qu‟ils soient mieux insérés dans le commerce international. Ces mesures

visent à favoriser le développement des échanges et du commerce et à promouvoir une

politique d‟ouverture pour les IDE et de privatisation des entreprises dans des marchés

caractérisés jusqu‟alors par une forte protection douanière, des tarifs élevés et des

systèmes contingentaires. La mise en œuvre de ces mesures se fera progressivement dès

la fin des années 80 et sera capitale pour les entreprises espagnoles qui profiteront de

cette aubaine pour investir dans le sous-continent américain.

B. L’étape expansive des investissements ou la « década

dorada » (décennie dorée)

Dès 1993, le climat international est favorable aux investissements à plusieurs

titres. La période de récession économique qui touche l‟Europe depuis 1991 prend fin et

l‟on voit la création du Marché Unique Européen. En Amérique latine, l‟atmosphère

politique est stable et de nouveaux accords d‟intégration sont signés : le Mercosur et le

Système d‟intégration centre-américain (SICA)49

en 1991, l‟ALENA en 1992, l‟APEC50

et la Communauté andine des nations (CAN)51

en 1996. Enfin, l‟application des mesures

du Consensus de Washington introduit de profonds changements structurels et les

conséquences de cette politique d‟ouverture et de libéralisation sont rapidement visibles.

Les années 90 sont celles de la croissance sans précédents des investissements directs à

49

Le SICA remplace alors le Marché commun centre-américain (MCCA). 50

La création de l‟APEC (Coopération Economique Asie-Pacifique) date de 1989. En 1993, le Mexique devient le

premier pays latino-américain membre de l‟APEC, et le Chili deviendra le second en 1994. 51

La CAN remplace alors le Pacte andin.

Page 35

l‟étranger en Amérique latine. « L‟IDE net est passé de 4,25 milliards de dollars dans la

période 1988-1989 à 15,77 milliards en 1990-1994, jusqu‟à atteindre 60,9 milliards entre

1995-1999, et même 78 milliards en l‟an 2000. »52

Les entreprises espagnoles vont se

tourner de plus en plus vers l‟Amérique latine afin de profiter des nouvelles opportunités

offertes par les réformes. L‟Amérique latine est la destination rêvée pour l‟implantation

de l‟Espagne : non seulement cette région représente un marché potentiel de près de 500

millions d‟habitants, mais en plus l‟utilisation de la même langue constitue un énorme

avantage compétitif en permettant un transfert rapide et efficace de connaissances,

technologies et des techniques employées dans les entreprises.

C‟est donc en 1993, un an après la célébration du 500ème anniversaire de la

Découverte de l‟Amérique et du deuxième Sommet Ibéro-américain à Madrid, que

commence la phase d‟expansion des IDE. L‟Amérique latine est une aubaine pour les

entreprises espagnoles qui sont de petite taille et cherchent à sortir d‟un marché européen

déjà saturé. De plus, la politique de rapprochement entre les gouvernements espagnol et

latino-américains profite aux entreprises. Par exemple, les seize Traités d‟Amitié et de

Coopération signés entre l‟Espagne et des pays d‟Amérique latine de 1988 à 1995

incluent pour la première fois des protocoles financiers pour promouvoir le commerce et

les investissements. D‟après l‟analyste Christian Freres, « on peut dire, sans aucun doute,

que ces accords ont ouvert la voie à la grande vague d‟investissements espagnols qui se

sont produits dans les années 90. »53

Les entreprises espagnoles ont donc profité des

bienfaits de la diplomatie espagnole depuis le retour à la démocratie, non seulement par

le biais des accords, mais aussi en se servant de l‟image positive véhiculée par l‟Espagne

pendant toutes ces années.

Toutefois, il est important de noter que l‟un des premiers investissements en

Amérique latine fut celui d‟une entreprise publique : Telefónica. En effet, Telefónica

investit au Chili et en Argentine en 1991, puis au Pérou en 1994. Mais c‟est à partir de

1996 que les investissements prennent une ampleur inattendue, grâce à une atmosphère

favorable de l‟économie internationale stimulée par la croissance de l‟économie

52

Ramón Casilda Béjar, América Latina: Del Consenso de Washington a la Agenda del Desarrollo de Barcelona,

Real Instituto Elcano, Documento de Trabajo (DT) 10/2005, Février 2005, p.32 53

Christian Freres, La política española hacia América Latina. El papel de la cooperación al desarrollo,

intervention lors de la Conférence REAL (Relations Europe-Amérique latine) 2006 à Bratislava, Slovaquie,

29/06/2005, p.3.

Page 36

américaine et le processus de fusions et acquisitions internationales. Un nombre réduit

d‟entreprises récemment privatisées (Endesa54

, Repsol55

), sur le point de l‟être (Iberia,

Telefónica) et de groupes bancaires privés (Santander, Bilbao Vizcaya e Hispano

Americano) misent alors ouvertement sur une stratégie d‟investissements directs dans la

région et profitent des privatisations et de la libéralisation des marchés locaux. D‟autres

entreprises ne tardent pas à les suivre comme Iberdrola, Unión Fenosa56

, Gas Natural et

Aguas de Barcelona. Les investissements de ces entreprises visent des secteurs

stratégiques : 32% dans les télécommunications, 24% dans les activités bancaires, 19%

dans le pétrole et ses dérivés et enfin 12% dans les secteurs de l‟énergie électrique, du

gaz et de l‟eau. Les IDE dans ces quatre secteurs représentent 87% des investissements

de la période 1993-2000.57

L‟orientation sectorielle de ces investissements montre que les

entreprises espagnoles cherchaient des placements stratégiques, capables de déboucher

sur une position monopolistique et leur permettant de se forger une réputation

internationale.

Les IDE espagnols vers l‟Amérique latine ont augmenté de façon exponentielle

jusqu‟à atteindre 39,5 milliards d‟euros, le pic historique de 1999, année marquée par le

rachat de la société argentine Yacimientos Petrolíferos Argentinos (YPF) par Repsol.

Cette opération représente le plus gros investissement de toutes les entreprises espagnoles

avec 15.2 milliards de dollars.

Sur l‟ensemble de la période 1990-2000, les investissements espagnols en

Amérique latine ont atteint un chiffre proche des 100 milliards de dollars. En quelques

années, l‟Espagne est donc devenue l‟un des plus grands pays investisseurs de la région,

derrière les Etats-Unis : les flux annuels bruts se sont élevés à 15 milliards d‟euros en

moyenne, alors qu‟ils ne dépassaient pas les 290 millions d‟euros dans la période

précédente 1986-1992.

L‟Amérique latine a été la principale destination des IDE espagnols entre 1990 et

2000 puisqu‟elle a capté 60% du total des flux, avant les pays européens (26%).

54

Entreprise productrice d‟énergie. 55

Entreprise pétrolière. 56

Deux entreprises productrices d‟énergie. 57

Alfredo Arahuetes García et Aurora García Domonte, ¿Qué ha sucedido con la Inversión Extranjera Directa

(IED) de las empresas españolas en América Latina tras el boom de los años noventa y la incertidumbre de los

primeros años 2000?, Real Instituto Elcano, DT Nº 35/2007, 20/07/2007, p.11.

Page 37

Toutefois, les investissements espagnols ne se sont pas répartis de manière égale : deux

pays, le Brésil (37,8%) et l‟Argentine (32,3%), ont capté 70,1% des flux, suivi du Chili

(8,7%) et du Mexique (8,2%).58

Ainsi l‟Amérique latine a-t-elle grandement bénéficié des

IDE qu‟ils soient espagnols ou d‟autres nationalités.

Grâce aux IDE, le rôle de l‟Espagne dans le contexte économique mondial a

considérablement augmenté : les IDE espagnols représentaient 1,15% des IDE mondiaux

en 1995, puis 4,67% en 1999 (ce qui a permis à l‟Espagne d‟être le sixième investisseur

à l‟échelle mondiale59

) et enfin, 5,67% en 2000 (soit 59,3 milliards d‟euros, cinq fois le

pourcentage de 1995).60

Toutefois il semblerait que la diplomatie espagnole ait joué un rôle actif dans

l‟accroissement de ces investissements à partir de 1996, ce qui alimente l‟idée d‟une

reconquête menée par l‟Etat espagnol et pas seulement par ses entreprises. En effet, le

gouvernement d‟Aznar aurait contribué à défendre les entreprises espagnoles, notamment

par le biais des Sommets Ibéro-américains dans lesquels il réclamait toujours plus de

privatisation, de discipline financière et d‟ouverture des marchés. De nombreuses

irrégularités auraient également été constatées dans l‟évaluation des biens rachetés par

des compagnies espagnoles (notamment l‟acquisition des gisements de l‟entreprise YPF

par Repsol en Argentine). Nombreux61

sont ceux qui dénoncent le rôle de JM. Aznar et

son puissant réseau d‟influence composé des directeurs des grandes entreprises

espagnoles.

C. La fluctuation des années 2000

Les IDE espagnols ont considérablement baissé au début des années 2000 à cause

d‟une récession de l‟économie mondiale et de la gravité de la crise argentine. Le total des

58

Ibid., p.10. 59

UNCTAD (United Nations Conference on Trade and Development - Conférence des Nations Unies sur le

commerce et le développement), Informe sobre el Comercio y Desarrollo, Genève, 2001. » 60

Ramón Casilda Béjar, Internacionalización e inversiones directas de las empresas españolas en América latina

2000-2004, Situación y perspectivas, CIDOB, Barcelone, février 2005, p.17. 61

Luis Hernández Navarro, « La reconquista », La Jornada, Mexico, 18/11/2003.

Busto Mauleon, et Luis Miguel, Le nouveau colonialisme espagnol, RISAL (Réseau d'information et de solidarité

avec l'Amérique latine), 16/11/2005.

Juan Torres López, « Multinacionales "Made in Spain" auténticas "Aves de Rapiña" para América Latina y España

», El Correo de la diaspora argentine, Revista Temas nº 133, décembre 2005.

Denise Mendez, La stratégie de l’Union Européenne en Amérique latine, RISAL, 03/05/2006.

Page 38

IDE reçus par l‟Amérique latine était en l‟an 2000 de 78 milliards de dollars et ce chiffre

est retombé en 2003 à 36 milliards pour remonter progressivement à 40 milliards en

2004, puis à 72,4 milliards en 2006.62

Toutefois, il faut relativiser la gravité de cette

baisse car elle a été généralisée et le comportement des investissements directs

internationaux en Amérique latine est resté relativement comparable aux investissements

des pays asiatiques, à l‟exception de la Chine. Dès le début de l‟année 2004, les

investissements ont pu reprendre grâce à la croissance des économies américaine et

chinoise et les pays de la région ont pu récupérer, de manière significative, leur pouvoir

d‟attraction des investissements directs. En effet, d‟après les chiffres de la Commission

économique pour l‟Amérique latine (CEPAL) et de la Conférence des Nations Unies sur

le commerce et le développement (UNCTAD) de 2006, les pays latino-américains

devraient figurer dans les prochaines années parmi les premières destinations des

investissements directs internationaux, juste après la Chine et Singapour.

Cependant, il est vrai que les IDE vers l‟Amérique latine ont baissé alors que les

investissements espagnols se sont accrus par rapport à la décennie précédente. En effet, la

moyenne annuelle des investissements espagnols sur la période 2001-2006 a doublé celle

de la phase d‟expansion de 1993-2000. Lors de cette phase, la moyenne annuelle des

investissements directs nets (moins celle des holdings) était de 13,1 milliards d‟euros,

alors qu‟en 2001-2006 elle s‟élevait à 26,8 milliards d‟euros.63

Finalement, malgré la

décélération qui a culminé en 2003, les flux d‟investissements directs se sont situés à des

niveaux bien supérieurs à ceux des années 90 avant les pics de 1999 et 2000 : cela

témoigne de l‟importance essentielle de la dynamique des IDE pour les entreprises

espagnoles. Pourtant, la quantité d‟investissements reçus par l‟Amérique latine a

sensiblement baissé : alors qu‟entre 1993 et 2000, les investissements bruts moyens

annuels s‟élevaient à 9,6 milliards d‟euros, ceux-ci sont retombés à 8 milliards dans la

période 2001-2006.64

Ainsi a-t-on pu constater un changement significatif dans

l‟orientation géographique des flux. Pendant les années 90, 60% des IDE espagnols se

dirigeaient vers l‟Amérique latine et 26% vers les pays de l‟UE. Or, dans la période

62

Ramón Casilda Béjar, América Latina: Del Consenso de Washington a la Agenda del Desarrollo de Barcelona,

Real Instituto Elcano, Documento de Trabajo (DT) 10/2005, février 2005, p.32. 63

Alfredo Arahuetes García et Aurora García Domonte, ¿Qué ha sucedido con la Inversión Extranjera Directa

(IED) de las empresas españolas en América Latina tras el boom de los años noventa y la incertidumbre de los

primeros años 2000?, Real Instituto Elcano, DT Nº 35/2007, 20/07/2007, p.4. 64

Ibid., p.22.

Page 39

2001-2006, 72% des flux se sont tournés vers l‟UE, et seulement 15,9% vers l‟Amérique

latine.65

L‟augmentation globale des IDE espagnols a donc légèrement compensé la

baisse des investissements vers l‟Amérique latine, ce qui a permis à l‟Espagne de rester

l‟un des principaux pays à investir dans la région, derrière les Etats-Unis.

Cette période a été marquée par une évolution touchant plus particulièrement la

nature des investissements. Depuis les années 2000, les entreprises espagnoles ont mis en

place une stratégie de diversification sectorielle : dans la précédente décennie, 87% des

flux étaient regroupés dans quatre secteurs (les télécommunications, le secteur bancaire,

le pétrole et ses dérivés et enfin l‟énergie électrique, le gaz et l‟eau), or ces secteurs ne

représentent désormais que 51,2% des flux.66

En revanche, le secteur des produits

manufacturés est en plein essor (de 5 à 30%).

De plus, les entreprises espagnoles ont opté pour un renforcement patrimonial de

leurs filiales pour faire face à la récession des années 2000. Elles ont donc cherché à se

restructurer et à quitter certains pays pour se redéployer dans d‟autres. BBVA a par

exemple décidé de désinvestir au Brésil et de miser sur le Mexique. De 2001 à 2004,

l‟entreprise a mené une opération de fusion avec Bancomer. Grâce à cette opération,

BBVA Bancomer est la première banque privée d‟Amérique latine. Santander s‟est

restructurée de 1998 à 2001. D‟une part, elle a fusionné les quinze banques qu‟elle

possédait pour n‟en garder que neuf. D‟autre part, elle s‟est repositionnée dans des pays

plus stables ayant un fort potentiel de croissance comme le Brésil, le Chili et le Mexique.

Telefónica, en revanche, a adopté une autre stratégie : posséder 100% de toutes ses

filiales. Cette opération a généré un coût de 20 mille milliards de dollars. De plus,

l‟entreprise de télécommunication a pris le parti de diversifier ses services dans la région

en insistant davantage sur l‟offre téléphonie mobile et Internet.

Mais la stratégie des entreprises espagnoles reste particulièrement agressive,

puisqu‟elle vise précisément certains secteurs stratégiques, certains pays et cela avec des

sommes considérables. En 2003, par exemple, l‟investissement accumulé par les banques

65

Ibid., p.7. 66

Ibid., p.25.

Page 40

et les entreprises espagnoles en Amérique latine a atteint 87,7 milliards d‟euros. Et

presque 95% (83,2 milliards) de ces investissements ont été réalisés seulement par six

sociétés (Telefónica, Repsol YPF, Santander, BBVA, Endesa et Iberdrola). De plus ces

investissements se sont dirigés à 73% (soit 64,3 milliards d‟euros) vers les quatre pays

suivants : l‟Argentine, le Brésil, le Chili et le Mexique.67

Par conséquent, ces entreprises

espagnoles ont réussi à obtenir une position quasi monopolistique dans leurs secteurs

respectifs. Telefónica possède 90% des parts du marché de la téléphonie fixe et 60% des

parts du marché de la téléphonie mobile. Endesa et Iberdrola possèdent chacune 40% du

marché de la distribution électrique. Repsol contrôle 100% du marché de la distribution

du gaz.68

Les entreprises étrangères ont pris le contrôle de 60% du secteur bancaire dans

toute l‟Amérique latine. Selon les pays, ce chiffre est encore plus impressionnant,

notamment au Mexique où 90% des banques sont contrôlées par des entreprises

étrangères.69

D. Les investissements européens en Amérique latine

Pendant la dernière décennie du vingtième siècle, les flux d‟investissements

européens vers l‟Amérique latine et les Caraïbes ont enregistré une progression

remarquable, d‟autant plus que l‟Amérique latine est la deuxième destination des

investissements de l‟UE au sein du groupe des pays émergents. L‟IDE en provenance

d‟Europe, dont la moyenne annuelle était estimée à 2,4 milliards d‟euros au cours de la

période 1990-1994, est passé progressivement de 6,1 milliards d‟euros en 199670

, jusqu‟à

atteindre un pic en 1999 avec 88 milliards de dollars.71

Cette évolution fait donc de

l‟Union Européenne la première source d‟investissements étrangers en Amérique latine et

dans les Caraïbes, suivie des Etats-Unis.

67

Ramón Casilda Béjar, Internacionalización e inversiones directas de las empresas españolas en América latina

2000-2004, Situación y perspectivas, CIDOB, Barcelone, février 2005, p.63. 68

Ángeles Sánchez Díez, « La internacionalización de la economía española hacia América Latina »,

Boletín económico de ICE (Información Comercial Española), N° 2714, du 24 décembre 2001 au 6

janvier 2002, p.21. 69

Gustavo Buster, « La Unión Europea y América Latina: inversiones, estrategias empresariales y partenariado

transatlántico », intervention lors du Séminaire International “Amérique latine et Caraïbes : Sortir de l‟impasse de la

dette et de l‟ajustement ” à Bruxelles, mai 2003, p.8. 70

Jean-Michel Dasque, Union Européenne-Amérique-Latine, geopolis.net, p.11. 71

Gustavo Buster, « La Unión Europea y América Latina: inversiones, estrategias empresariales y partenariado

transatlántico », intervention lors du Séminaire International “Amérique latine et Caraïbes : Sortir de l‟impasse de la

dette et de l‟ajustement ” à Bruxelles, mai 2003, p.2.

Page 41

Toutefois, les investissements espagnols représentent la moitié des investissements

européens en Amérique latine et ce sont donc eux qui les tirent vers le haut. 72

Toutefois, les investissements européens sont bien plus diversifiés que les

investissements espagnols. Ils se concentrent principalement sur trois pays : le Brésil,

72

BID (Banque Interaméricaine de Développement), Integración y comercio en América, Note périodique de mai

2004, p.32.

Page 42

l‟Argentine et le Mexique réunissent 61% des investissements européens de la région.

Mais cela est encore plus visible si l‟on regarde la répartition sectorielle des

investissements. Contrairement aux entreprises espagnoles qui sont centrées surtout sur

les services, le capital des autres pays européens a une plus grande composante

industrielle (Michelin, Renault, Volkswagen, Philips, FIAT, Daimler) et d‟extraction

(Shell, BP, Phillips Petroleum). Ainsi, les secteurs sur lesquels portent les

investissements de l‟UE sont le secteur automobile (26%), l‟alimentation et le tabac

(19%), le commerce (11%), l‟électronique (10%) et le pétrole (9%).73

Certaines entreprises européennes du secteur automobile et électronique se servent

également de l‟Amérique latine, et surtout du Mexique, comme d‟une plate-forme

exportatrice vers le marché interne américain (Daimler-Chrysler, Michelin, Siemens, ou

Nokia). A ce titre, la récession qui a touché les Etats-Unis à partir de 2001 a eu des effets

désastreux sur ces maquiladoras et les firmes ont renvoyé 27% de leurs employés dans le

secteur électronique et 6,7% dans le secteur automobile.

En plus de la récession américaine, la crise argentine de 2001 a eu un effet très

négatif sur les investissements européens. Pendant la période 2000-2003, ces derniers ont

considérablement chuté : 46 milliards d‟euros en 2000, 29 milliards en 2001, 11 milliards

en 2002 et 5 milliards en 2003. En 2004, les flux d‟IDE sont à nouveau remontés pour

atteindre 13 milliards d‟euros. Il est nécessaire d‟ajouter que ce phénomène a également

été amplifié par la baisse significative des investissements espagnols. Enfin, il faut

replacer cette baisse dans un contexte de récession mondiale : l‟ensemble des IDE

européens à l‟étranger (hors Amérique latine) a chuté de 437 milliards d‟euros en 2000 à

115 milliards en 2003.74

Malgré cela, les multinationales européennes sont encore très présentes en

Amérique latine. Il est d‟ailleurs étonnant de constater qu‟elles sont plus nombreuses que

les firmes nord-américaines. En effet, parmi le classement des cinquante plus grandes

73

Gustavo Buster, op.cit., p.2. 74

European Union foreign direct investment yearbook 2006, Union Européenne/Eurostat, Luxembourg, 2006,

pp.58-63.

Page 43

entreprises transnationales (ET)75

opérant dans le sous-continent, plus de la moitié d‟entre

elles sont européennes (29). Et parmi les cinq plus grandes, trois sont européennes

(Telefónica, Volkswagen et Daimler-Chrysler, derrière Wal-Mart et General Motors).76

Quant aux firmes espagnoles, celles-ci ne représentaient en 2005 que 14% des 50 plus

grandes entreprises transnationales d‟Amérique latine : ce chiffre est considérable, mais

laisse tout de même la place aux entreprises de nationalité différente.77

En complément des IDE des pays membres de l‟UE, la Banque européenne

d‟investissement (BEI) a également joué un rôle en accordant des prêts pour réaliser des

projets et des investissements en Amérique latine. La BEI a été autorisée en 1993 à

intervenir dans la région. Entre 1993 et janvier 2005, elle a accordé 81 prêts dans vingt

pays d‟Amérique latine et d‟Asie pour un total de 3,5 milliards d‟euros, parmi lesquels

64% (soit 2,24 milliards) sont allés à des projets réalisés dans le sous-continent américain

(principalement au Brésil, en Argentine et au Mexique).78

Dans le nouveau mandat (ALA

IV) qui couvre la période 2007-2013, la BEI est autorisée à accorder des prêts de 3,8

milliards d'euros à la zone Amérique latine – Asie qui devraient se répartir de la façon

suivante : 2,8 milliards d'euros pour les pays d'Amérique latine et 1 milliard pour les pays

d'Asie.79

Ces sommes conséquentes et leur supériorité par rapport à celles accordées aux

pays asiatiques montrent l‟importance de la région pour l‟Europe et sa volonté d‟y jouer

un certain rôle.

E. Perspectives

La question des investissements directs à l‟étranger est polémique en Amérique

latine. Ces flux ont été si massifs et brusques que certains pays ont eu le sentiment d‟être

pris d‟assaut en voyant les investissements étrangers modifier la structure patrimoniale de

certains secteurs et altérer définitivement la forme, la qualité et le prix de ces activités.

Cela justifie la réticence d‟une part de la population comme de certains dirigeants

75

Fait à partir des ventes consolidées de l‟année 2005 76

CEPAL, La inversión extranjera en América latina y el Caribe, Santiago du Chili, 2006, p.67. 77

CEPAL, La inversión extranjera en América latina y el Caribe, Santiago du Chili, 2005, p.41. 78

Banque européenne d‟investissement (BEI), « Les financements de la Banque européenne d‟investissement en

Amérique latine et en Asie », 23/03/2005, p.8. 79

Site internet de la BEI : http://www.bei.org/projects/regions/ala/index.htm

Page 44

politiques. Afin d‟illustrer ce point, le Latinobarómetro80

est un outil indispensable : il

s‟agit d‟une étude d‟opinion publique qui organise annuellement près de 19.000

entretiens dans dix-huit pays d‟Amérique latine. Le Latinobarómetro a justement étudié

l‟évolution de la perception des privatisations en Amérique latine depuis 1998 en posant

à intervalles réguliers la question suivante : « Etes-vous d‟accord avec l‟affirmation : „les

privatisations des entreprises nationales ont été bénéfiques pour le pays‟ ». En 1998, 46%

des habitants du sous-continent avaient répondu positivement à cette interrogation. Mais

à partir de l‟an 2000, ce pourcentage a constamment chuté : 36% en 2000, 29% en 2001

et 2002 et seulement 21% en 2003, soit un écart de 25 points en cinq ans. Depuis 2005,

en revanche, le pourcentage est remonté à 31%, puis à 35% en 2007, c‟est-à-dire à un

niveau encore inférieur à celui de 1998 (cf Annexe n°2). La mauvaise image des IDE

constitue un grand problème pour les entreprises espagnoles parce qu‟il est multiple.

D‟une part, les Latino-américains ont puni le départ des entreprises lors de la récession

des années 2000, surtout en Argentine (cf Annexe n°2). D‟autre part, ils sanctionnent le

manque de qualité des services qui ont été assurés par ces nouvelles entreprises privées.

En effet, en 2004, le Latinobarómetro révèle que « seuls 19% de la population s‟estiment

plus satisfaits qu‟avant des services qui ont été privatisés ». En République Dominicaine,

par exemple, le sondage Demos‟81 a montré que 83% des personnes interrogées

considèrent le service de distribution de l‟électricité comme mauvais, ou très mauvais.

Cette opinion très négative de l‟entreprise espagnole Uniñn Fenosa a eu des

répercussions au niveau diplomatique : à cause du mécontentement lié aux pannes de

courant et aux problèmes d‟approvisionnement en électricité, le président Hipólito Mejía

a accusé l‟entreprise de ne pas remplir ses engagements et a organisé son retrait de l‟île

en novembre 2003. Enfin, l‟opposition de l‟opinion publique latino-américaine aux

privatisations montre le rejet de cette « reconquista » présente dans les esprits.81

Mais la population n‟est pas la seule à s‟exprimer sur le sujet. En s‟emparant de

secteurs entiers, les IDE jouent un grand rôle dans les domaines politique et économique

que les différents gouvernements doivent prendre en compte. En effet, les grandes

80

Corporación Latinobarómetro est une ONG à but non lucratif dont le siège se trouve à Santiago de Chile.

Latinobarómetro enquête sur le développement de la démocratie, les économies, mais aussi les sociétés avec des

indicateurs d‟opinion, d‟attitudes, de comportements et de valeurs. Ses données sont utilisées par des acteurs sociaux

ou politiques, des organisations internationales, des gouvernements et les médias. 81

Ángel Alloza et Javier Noya, Capital disonante : la imagen de las inversiones españolas en América Latina, Real

Instituto Elcano, Documento de Trabajo (DT) Nº 6/2004, 05/02/2004.

Page 45

entreprises peuvent se servir des sommes considérables investies dans tel ou tel pays pour

exercer des pressions en leur faveur, pour réclamer par exemple plus de sécurité juridique

ou de libéralisation. Le président argentin, Nestor Kirchner, est l‟un des dirigeants latino-

américains à s‟être le plus insurgé contre le comportement des entreprises espagnoles

dans son pays, notamment après la crise qui a frappé le pays en 2001. Il a alors accusé

d‟extorsion la compagnie pétrolière Repsol YPF qui se refusait à investir en Argentine à

cause de la stagnation des prix de vente du pétrole, ce qui, selon lui, contribuait à

aggraver la crise énergétique.82

En 2007, il a ajouté que « certaines manœuvres utilisées

par les entrepreneurs espagnols sont incorrigibles » (comme utiliser les investissements

pour faire pression et obtenir une hausse des tarifs des services publics) et qu‟ils

constituent un « lobby permanent. » 83

Il est préoccupant que ces reproches interviennent désormais dans le cadre

diplomatique par le biais des Sommets Ibéro-américains : lors du dernier Sommet de

Santiago, les présidents de l‟Argentine, du Venezuela et du Nicaragua ont durement

critiqué les entreprises espagnoles en place dans leur pays. Hugo Chávez a accusé la

Confederación Española de Organizaciones Empresariales (CEOE), réunissant toutes les

grandes entreprises espagnoles, d‟avoir soutenu le coup d‟Etat intenté contre lui en 2002.

D‟autre part, Nestor Kirchner a dénoncé le rôle des entreprises espagnoles en Argentine :

« les entrepreneurs espagnols ne me laissaient aucun répit et je n‟ai pas eu d‟autre choix

que celui de me battre. »84

A l‟issue du Sommet, le président vénézuélien a d‟ailleurs

annoncé qu‟il comptait soumettre à une « profonde révision » les relations de son pays

avec l‟Espagne et surveiller les activités de toutes les entreprises espagnoles installées au

Venezuela.85

Ce n‟est pas la première fois qu‟un Sommet ibéro-américain est le théâtre de telles

accusations. Déjà lors du Sommet de Montevideo, Evo Morales, le président bolivien,

avaient accusé les firmes multinationales espagnoles de se comporter en « maîtres », en

s‟affranchissant du respect des lois. Il avait alors montré du doigt les compagnies

82

« Kirchner tilda de extorsión la falta de inversión de Repsol en Argentina », Cinco Días, 06/05/2004. 83

Alejandro Rebossio, « Kirchner tacha de "incorregibles" a algunos empresarios españoles », El País, 27/07/2007. 84

Jorge Marirrodriga, « Duras críticas de Chávez y Kirchner a las empresas españolas », El País,10/11/2007. 85

« Chávez: "Las empresas españolas van a empezar a rendir más cuentas y voy a meterles el ojo" », El País,

14/11/2007.

Page 46

pétrolières, responsables, selon lui, de la spoliation des terres en menaçant de les

expulser.86

A un niveau supérieur, des associations, mouvements sociaux et des ONG se sont

réunis en marge des Sommets Union Européenne-Amérique latine et les Caraïbes de

Guadalajara (2004) et de Vienne (2006) pour créer une rencontre alternative dénommée

Enlazando Alternativas. Le but de ce contre-sommet est principalement de dénoncer le

rôle des transnationales en Amérique latine et celui des « institutions de l‟UE qui

cautionnent ces entreprises et donnent une couverture juridique aux actions des

multinationales. » En 2006, « Enlazando Alternativas 2 » a créé un Tribunal Permanent

des Peuples (composé de juristes, économistes, écrivains, syndicalistes et de

représentants de la société civile d‟Amérique Latine) qui a accusé certaines des

principales entreprises transnationales européennes de violation des Droits de l‟Homme,

et dénoncé les impacts environnementaux et sociaux de leurs actions. Voici un extrait de

la Déclaration finale de la rencontre qui ne laisse nulle équivoque sur l‟image des

entreprises européennes : « La séance du Tribunal Permanent des Peuples sur les

politiques néolibérales et les multinationales européennes en Amérique Latine a fait

apparaître clairement la nature systémique de l‟attitude des multinationales, leur lobbying

quant à la création de lois qui les protègent et le rôle stimulant des organismes

internationaux comme l‟OMC, le FMI et la Banque Mondiale pour faciliter et garantir

leurs profits. […] Nous considérons donc qu‟il est d‟une importance primordiale de

promouvoir la création d‟un espace bi-régional de surveillance, de dénonciation et de

lutte contre les compagnies multinationales, afin de stopper leurs procédés arbitraires,

fruit de leur pouvoir globalisé. »87

Certaines entreprises ont été « mises en

accusation » comme Benetton (accaparement des terres du peuple Mapuche d‟Argentine),

Telefónica (violation du droit du travail au Pérou) ou encore les banques BBVA,

Rabobank et ABN AMRO accusées de violations du droit du travail et de responsabilité

dans la paupérisation du peuple argentin par leur participation au mécanisme de la dette

publique. Ce genre de réactions est gênant pour les multinationales qui se voient accusées

86

C. De Carlos et L.Ayllón, « Morales et Uribe critican el freno europeo a los inmigrantes », ABC, 05/11/2006,

p.37. 87

« Declaración Final del Encuentro "Enlazando Alternativas 2 », Pueblos, revista de información y de debate,

16/05/2006. http://www.revistapueblos.org/spip.php?article393

Page 47

publiquement. De plus, ce mouvement persiste et a déjà lancé son appel pour organiser la

prochaine réunion alternative à Lima lors du prochain Sommet UE-ALC.

Dans un tel contexte de défiance, les firmes étrangères sont arrivées à la phase la

plus compliquée de leur présence et de leur stratégie d‟expansion sur le continent. Dans

le cas des entreprises espagnoles, la majorité d‟entre elles ont fait le choix de rester sur

place malgré le contexte délicat des années 2000. Elles sont donc décidées à rester

implantées en Amérique latine sur le long terme. Toutefois, il est important qu‟elles

agissent afin d‟obtenir la pleine acceptation et l‟assimilation de la part des marchés, des

autorités, des clients et de l‟opinion publique en général. En effet, les latino-américains se

montrent méfiants face à la position monopolistique des entreprises espagnoles et surtout

ils n‟apprécient pas que les postes de direction de ces entreprises ne soient confiés qu‟à

des Espagnols expatriés et non pas à la population locale. Finalement, l‟on peut percevoir

en filigrane la déception des Latino-américains qui est liée à la conception qu‟ils se

faisaient de l‟Espagne en tant que « mère patrie ». Par conséquent, ils espéraient que les

investissements espagnols divergent de ceux des autres pays investisseurs et qu‟ils

permettent un réinvestissement des bénéfices et une meilleure répartition de la richesse.

Or, les IDE espagnols ont cherché, comme tous les autres, la maximalisation des profits

et ce sentiment d‟être exploité a fait resurgir les stigmates de la colonisation et le

sentiment d‟une reconquête.88

L‟Espagne semble avoir pris conscience de ses faux-pas et

les entreprises cherchent désormais à s‟engager de façon plus marquée dans les pays dans

lesquels elles se sont implantées. Par le biais de leurs fondations (que nous étudierons

plus loin), elles cherchent à montrer qu‟elles ne sont pas seulement des acteurs

économiques, mais aussi des entités et des entreprises intéressées et intégrées dans le

développement économique du pays et le bien-être des citoyens. Ainsi, les

investissements des entreprises espagnoles en Amérique latine ne cesseront pas dans les

prochaines années. Il devrait d‟ailleurs y avoir de nouveaux investissements comme l‟a

annoncé José Luis Rodríguez Zapatero lors d‟un discours tenu en septembre 2004 :

« dans le domaine des entreprises, les conditions sont favorables pour entreprendre une

88

Ángel Alloza et Javier Noya, Capital disonante : la imagen de las inversiones españolas en América Latina, Real

Instituto Elcano, Documento de Trabajo (DT) Nº 6/2004, 05/02/2004, p.13.

Page 48

deuxième vague d‟investissements, dont les acteurs principaux seront maintenant les

petites et moyennes entreprises. »

Dans une autre perspective, l‟Espagne souhaiterait devenir une plaque tournante

entre l‟Europe et l‟Amérique latine, c‟est-à-dire accueillir les sièges sociaux de

nombreuses multinationales. Ce mouvement est en pleine progression. Certaines grandes

compagnies européennes comme British Telecom ou Alstom ont déplacé leurs sièges

latino-américains de New-York et Paris (respectivement) à Madrid. Inversement, des

firmes ou entités latino-américaines, comme les entreprises mexicaines Cemex et Pemex

ou la Corporation Andine de Développement, ont transféré leurs sièges européens dans la

capitale espagnole. L‟Espagne espère donc que d‟autres entreprises et entités vont suivre

le même chemin et formaliser son rôle de pont entre les deux continents.

Après avoir étudié les investissements espagnols et européens en Amérique latine,

il est nécessaire de voir l‟évolution des relations commerciales entre les deux continents,

car celles-ci constituent le deuxième volet de la puissance coercitive exercée sur les pays

latino-américains.

Section 2 - Les relations commerciales entre l’Europe et

l’Amérique latine

Sur le plan du commerce international, l‟Union Européenne est le deuxième

partenaire de l‟Amérique latine et a progressivement consolidé ses relations économiques

et commerciales au point de doubler les chiffres de 1990. L‟Espagne profite elle-aussi

des nombreux accords commerciaux entre l‟UE et le sous-continent américain et

représente l‟un des plus grands partenaires commerciaux des pays latino-américains.

Page 49

A. Le commerce entre l’Espagne et l’Amérique latine

Le degré d‟ouverture de l‟économie espagnole a commencé son ascension dans les

années 70 avec le retour à la démocratie, puis dans les années 80 avec l‟entrée de

l‟Espagne dans la Communauté Européenne. Ces évolutions considérables ont ensuite

été consacrées dans les années 1990 et 2000 qui ont vu l‟Espagne prendre place parmi les

dix économies les plus ouvertes du monde. Parallèlement, les années 90 sont aussi celles

de la grande ouverture commerciale de l‟Amérique latine puisque son coefficient

d‟ouverture (somme des exportations et importations, divisée par deux fois le PIB) est

passé de 26% sur la période 1988-1990, à 51% sur la période 1998-2000.89

Les relations commerciales entre ces deux régions ont cependant connu des

évolutions entre les années 90 et les années 2000. En effet, comme pour les IDE, l‟on voit

progressivement une réorientation géographique des liens commerciaux vers l‟Union

Européenne. Le poids de l‟Amérique latine dans le total des exportations espagnoles est

passé de 6,3% en 1998 (le maximum jamais atteint), à 4,3% en 2004. Désormais, les trois

quarts des exportations espagnoles ont pour destination l‟UE et l‟Amérique latine a un

poids égal aux exportations vers l‟Amérique du Nord. Contrairement à ce que l‟on

pourrait croire, l‟Allemagne est le plus grand exportateur européen en Amérique latine et

l‟Espagne est plus généralement en deuxième ou en troisième position. Toutefois, le

poids des exportations de l‟Espagne en Amérique latine par rapport au total des

exportations de la période 1996-2003 (entre 4,4% et 6,4%) est supérieur à la moyenne

des exportations de l‟UE (entre 1,6% et 2,4%).90

Ainsi, même si l‟on note une baisse dans

les relations commerciales entre les deux zones, celle-ci reste limitée et il est nécessaire

de faire la distinction entre les IDE (beaucoup plus sensibles à la conjoncture) et les liens

commerciaux qui sont plus stables.91

Les importations ont également baissé : dans la période 1996-2004, les

importations espagnoles depuis l‟Amérique latine représentent seulement 3,6% du total

des importations car l‟Espagne importe désormais les deux tiers de ses besoins dans

89

Juan Abascal Heredero et Antonio Hernández García, « El comercio exterior entre España y América Latina:

Tendencias estructurales », Boletín económico de ICE (Información Comercial Española), N°82866 du 26 décembre

2005 au 15 janvier 2006, p.1. 90

Ibid., p.3. 91

Ibid., p.5 (Graphique n°2).

Page 50

l‟UE. Ce pourcentage relativement faible place l‟Amérique latine derrière l‟Amérique du

Nord et l‟Afrique.

L‟un des changements majeurs est le passage d‟un solde commercial, qui était

jusqu‟en 2002 positif, à un solde négatif. Cela ne s‟explique pas par une augmentation

réelle des importations mais plutôt par la crise économique (baisse de 0,5% du PIB de la

région) et les dévaluations dans les pays avec lesquels l‟Espagne entretenait des relations

intenses (comme l‟Argentine ou le Brésil).

De manière plus générale, le Mexique a gagné de plus en plus de poids et est

devenu en 2000 le principal partenaire commercial de l‟Espagne dans la région, suivi du

Brésil et de l‟Argentine. Cette évolution est due principalement à la crise argentine qui a

réduit la part du Mercosur dans les exportations espagnoles en Amérique latine (de 45% à

25% entre 1996 et 2004). Le Mexique et le Brésil sont d‟ailleurs amenés à prendre une

place de plus en plus importante dans les exportations espagnoles car le Ministère de

l‟Industrie, du Tourisme et du Commerce a décidé en 2004 d‟inclure ces deux pays dans

son Plan Intégral de Développement des Marchés. L‟objectif de ce plan est de réduire la

concentration des exportations espagnoles dans l‟UE et de mettre en avant neuf marchés

considérés comme ayant un fort potentiel de croissance.92

B. Le commerce entre l’Union Européenne et l’Amérique

latine

Les relations commerciales entre l‟Union Européenne et l‟Amérique latine sont

assez anciennes et n‟ont pas attendu l‟entrée de l‟Espagne dans la CEE pour se mettre en

œuvre. Dès les années 70, la Commission a pris unilatéralement des mesures pour

favoriser le développement de l‟Amérique latine en la rendant bénéficiaire du Système

des Préférences Généralisées (SPG) pour l‟exportation de leurs produits manufacturés et

semi manufacturés. Mais le SPG n‟est pas parvenu à rééquilibrer les relations

commerciales entre les deux régions : entre l970 et 1982, les exportations de l‟Amérique

latine vers la CEE sont passées de 26% à 17% de ses exportations totales et ses

importations en provenance de la CEE, de 24% à 14% du total. Afin de stimuler les

92

Ibid., p.13.

Page 51

rapports commerciaux, la CEE et l‟Amérique latine signèrent des accords dits de

deuxième génération (comprenant des clauses sur la coopération économique et

industrielle) avec le Brésil (1980), les pays andins (1983) et les Républiques d‟Amérique

Centrale (1985). En 1987, elle créa le mécanisme ECIP (European Community

Investment Partners) destiné à promouvoir les entreprises conjointes en Asie, dans la

Méditerranée et en Amérique latine. Malgré cela, le déséquilibre commercial en 1990

était impressionnant : la Communauté européenne représentait en moyenne 22% du

commerce extérieur de l‟Amérique latine, alors que cette région ne représentait que 2%

du commerce extérieur de la Communauté européenne. Dès le début des années 90,

l‟Espagne a indéniablement rendu la coopération commerciale plus vigoureuse. Dès le

début des années 90, l‟UE a signé de nouveaux accords (comprenant des clauses sur la

coopération économique et les questions commerciales) avec la plupart des pays

d‟Amérique latine : l‟Argentine (1990), le Chili (1990), le Mexique (1991), le Brésil

(1992), le Paraguay (1992), l‟Uruguay (1992), le Mercosur (1992), les Républiques

d‟Amérique centrale (1993) et la Communauté andine (1993). Ces accords ont ensuite été

suivis par des accords de Coopération avec le Mercosur (décembre 1995) et le Chili (juin

1996), avant de laisser la place aux premiers Accords de Libre Echange avec le

Mexique en 1997 puis le Chili en 2002. Ces accords sont des moyens pour les pays

latino-américains de se garantir un accès aux marchés européens malgré l‟élargissement

de l‟UE et la nouvelle concurrence induite par les nouveaux entrants. En effet, l‟UE est

un partenaire important pour l‟Amérique latine, puisqu‟elle représente la seconde

puissance économique du monde et la première puissance commerciale avec ses 493

millions d‟habitants et son PIB de 10 957 milliards d‟euros. 93

Grâce à tous ces accords, l‟Union Européenne est devenue le deuxième partenaire

commercial de l‟Amérique latine et le premier partenaire du Mercosur et du Chili. Entre

1990 et 2005, les liens commerciaux ont plus que doublé (même si depuis 1999, le

commerce entre l‟UE et l‟Amérique latine et les Caraïbes s‟est peu à peu réduit à cause

d‟une conjoncture mondiale défavorable et de la décélération économique). Pendant cette

période, les exportations européennes vers l‟Amérique latine ont progressé de 17,1

milliards d‟euros à 62,2 milliards, alors que les importations du Vieux Continent

passaient de 26,7 milliards à 70,9 milliards. En 2005, l‟Amérique latine et les Caraïbes

93

Portail de l‟Union Européenne : http://europa.eu/abc/keyfigures/index_fr.htm

Page 52

(ALC) représentaient 5,6% du commerce extérieur de l'UE.94

Mais ce pourcentage s‟est

réduit par rapport à la période 1994-1999, où la part de l‟ALC dans le commerce de l‟UE

des 25 dépassait les 6% jusqu‟à atteindre 6,4% en 1998.95

De déficitaires, les échanges de l‟Europe avec ses partenaires latino-américains

sont devenus excédentaires. En effet, entre 1999 et 2005, les exportations de biens de

l‟UE2596

vers l‟ALC se sont accrues plus lentement que les importations : les

exportations ont augmenté de 49,2 milliards d‟euros à 58,2 milliards et les importations

de 40,7 milliards à 67,4 milliards. La balance commerciale de l‟UE25 avec les pays de

l'ALC est ainsi passée d‟un excédent de 8,5 milliards en 1999 à un déficit de 9,1 milliards

en 2005.

Parmi les États membres de l‟UE25, l‟Espagne n‟est pas le plus grand partenaire

commercial de l‟Amérique latine. L‟Allemagne a été de loin le premier exportateur vers

les pays de l‟ALC en 2005, avec 16,8 milliards d‟euros, soit 29% du total, suivie de

l‟Italie (8 milliards, soit 14%), l‟Espagne (7,5 milliards, soit 13%) et la France (7,1

milliards, soit 12%). Les importations des pays de l‟ALC ont été moins concentrées. Les

Pays-Bas (11,8 milliards, soit 17%) ont été le premier importateur, suivis de l'Allemagne

(10,4 milliards, soit 15%) et l‟Espagne (10,2 milliards, soit 15%).

Enfin, en 2005, les principaux partenaires commerciaux de l‟UE étaient, dans

l‟ordre, le Brésil, le Mexique (qui représentaient à eux deux 60% du commerce total de

l‟UE avec l‟Amérique latine), l‟Argentine, le Chili et la Colombie (soit 80% du

commerce total).97

Le commerce entre l‟Amérique latine et l‟Union Européenne est pleinement

satisfaisant. Alors que l‟Espagne avait un grand rôle dans les investissements européens

vers l‟Amérique latine, elle ne représente qu‟une part banale du commerce extérieur avec

le sous-continent américain. Toutefois, l‟Espagne a évidemment été d‟une aide précieuse

pour parvenir à la signature des multiples accords commerciaux entre les deux continents.

94

Site de l‟UE : http://ec.europa.eu/trade/issues/bilateral/regions/lac/index_en.htm 95

BID (Banque Interaméricaine de Développement), Integración y comercio en América, Note périodique de mai

2004, p.70. 96

Le sigle UE25 (ou Union Européenne des vingt-cinq) correspond à l‟ensemble des pays qui appartenaient à

l‟Union européenne entre 2004 et 2007. 97

Eurostat, « Un déficit commercial de 9 milliards d’euros de l’UE25 avec les pays de l’ALC en 2005 »,

Communiqué de presse n°56/2006, 11/05/2006.

Page 53

La reprise d‟influence de l‟Espagne en Amérique latine est une évidence. Par la

mise en place des Sommets Ibéro-américains, l‟Espagne a réussi à créer une relation

unique avec l‟Amérique latine dont elle s‟est servie pour signer des accords et

partenariats touchant des domaines multiples. Grâce à cela, l‟Espagne s‟est accordée une

place de choix en se présentant comme un médiateur au sein des pays latino-américains

et comme le pont entre les continents européen et américain. L‟Union Européenne a

appuyé les choix de l‟Espagne et les a souvent reproduits. Dans le domaine économique,

l‟UE a parfaitement emboité le pas de l‟Espagne et elle participe à ses côtés à la

reconquête comme le montrent les flux d‟investissements des entreprises européennes en

Amérique latine et l‟importance des échanges commerciaux. Sur le plan diplomatique, en

revanche, l‟Union Européenne reste plus en retrait en privilégiant les relations bi

régionales : l‟Espagne le regrette et craint que son influence ne soit remplacée par

d‟autres acteurs externes.

L‟Espagne doit donc miser sur l‟identité ibéro-américaine commune pour

préserver sa relation particulière avec l‟Amérique latine. Afin de rester la mère patrie

dans l‟esprit des Latino-américains, elle a cherché à atténuer son image de conquistador

économique. Pour cela, elle a opéré un savant mélange de puissance douce et coercitive

dans sa relation outre Atlantique. D‟une part, elle transmet des valeurs démocratiques,

pacifistes et promeut la coopération et l‟aide au développement. De l‟autre, elle multiplie

les traités avec l‟Amérique latine, y investit massivement et développe ses relations

commerciales. Nous sommes donc face à une reconquête unique, utilisant, à tous les

niveaux, de la puissance douce (soft power) et donc peu détectable pour masquer ses

intérêts économiques.

Page 54

Deuxième partie :

Les composantes du soft power espagnol

La notion de soft power développée par Joseph Nye dans Le leadership américain

s‟applique parfaitement aux rapports entre l‟Espagne et l‟Amérique latine. Cette

« puissance douce » s‟appuie sur « des ressources intangibles telles que la culture,

l‟idéologie, les institutions », sur l‟image que donne d‟elle-même une société, la

réputation qu‟elle a de servir de modèle dans des domaines aussi divers que le respect des

droits de l‟homme, le pluralisme politique, la créativité culturelle, l‟innovation

technologique ou l‟attrait idéologique. Il s‟agit également, pour assurer son hégémonie,

de garantir sa suprématie informationnelle par la maîtrise des canaux de diffusion et de

leur contenu pour véhiculer ses valeurs. La promotion de l‟enseignement, de la langue, de

valeurs culturelles et humanistes sont autant d‟éléments qui sont au service de l‟Espagne

et ont une incidence sur la vision que les Latino-américains ont de ce pays. L'influence, le

prestige, l'attrait culturel ou la communication deviennent des instruments de puissance

qui influencent subrepticement les décisions des autres Etats. Ainsi faut-il étudier les

domaines de la coopération, de la culture et des médias comme des vecteurs de

puissance.

Page 55

Chapitre 1 - La coopération, le projet phare de l‟Espagne

Depuis son retour à la démocratie, l‟Espagne a cherché à véhiculer une image

positive en Amérique latine en s‟associant à des valeurs humanistes telles que l‟aide au

développement ou la coopération culturelle et éducative. L‟Espagne a donc fait de la

coopération l‟un des piliers de sa politique étrangère, c‟est pourquoi ce terme apparaît

très souvent dans l‟intitulé des accords bilatéraux signés entre l‟Espagne et les pays

latino-américains. La coopération est, par exemple, régulièrement associée au terme

Ibéro-Amérique comme le montrent l‟Institut de Coopération Ibéro-américaine (Instituto

de Cooperación Iberoamericana) créé en 1979 ou le Secrétariat d‟Etat pour la

Coopération Internationale et l‟Ibéro-Amérique créé en 1985. En faisant de l‟Amérique

latine la principale bénéficiaire de ses actions dans ce domaine, l‟Espagne a cherché à

parer aux accusations de reconquête, en montrant qu‟elle était plus intéressée par l‟aide

aux populations et par la création d‟une communauté de nations ibéro-américaines, que

par l‟exploitation économique.

Mais il est intéressant de voir que l‟Union Européenne s‟est associée à l‟Espagne

dans la coopération avec l‟Amérique latine. L‟UE a toujours porté une attention

particulière à la coopération dès ses débuts et elle est désormais la principale source

mondiale d‟aides pour le développement. Cette attitude tendrait donc à montrer que l‟UE

cherche elle-aussi à soigner son image et accroître son influence par ce biais, en se

servant de l‟ascendance espagnole en Amérique latine.

Section 1 - L’aide au développement, pilier des relations entre

l’Espagne, l’Europe et l’Amérique latine

L‟aide au développement est l‟un des éléments de la coopération qui se rapporte le

plus, dans l‟opinion publique, à des valeurs humanistes : c‟est donc ce qui est le plus

payant en termes d‟influence et de prestige. En effet, l‟aide au développement suppose un

ensemble de valeurs liées au respect des droits de l‟homme, à la paix, à la cohésion

sociale, à la bonne gouvernance, au pluralisme politique, au progrès et à l‟innovation. Il

Page 56

n‟est donc pas étonnant que l‟Espagne, comme l‟Union Européenne, fassent la promotion

de leurs engagements en la matière : cela les valorise et accroît leur soft power.

A. L’aide au développement espagnole en Amérique latine

La coopération s‟inscrit dans la politique espagnole depuis les débuts de la

démocratie. Depuis lors, les Aides Publiques au Développement (APD) ont

considérablement augmenté : 21 milliards de pesetas en 1981, 131 milliards en 1991, 208

milliards en 1998 et 317 milliards en 2001.98

Parallèlement, l‟Espagne a mis en place des

institutions chargées d‟organiser et de gérer la politique espagnole en matière de

coopération comme l‟Institut de Coopération Ibéro-américaine (1979) et surtout l‟Agence

Espagnole de la Coopération Internationale (AECI) en 1988. Le premier geste d‟aide au

développement de la jeune diplomatie espagnole s‟est dirigé vers l‟Amérique Centrale

pour promouvoir la pacification de la région par l‟envoi de jeunes coopérants. Ainsi la

coopération espagnole a-t-elle toujours privilégié l‟Amérique latine qui représentait

environ 45% de toute l‟aide espagnole au début des années 90. Cette affinité avec

l‟Amérique latine a d‟ailleurs été consacrée dans des textes, notamment la Loi 23/1998

dite « de coopération internationale pour le développement » qui définit les zones

géographiques prioritaires de l‟Espagne : l‟Amérique latine est l‟une d‟entre elles. Et

cette priorité est réaffirmée périodiquement dans les Plans Directeurs de la Coopération

Espagnole (2001-2004 / 2005-2008) et annuellement dans les Plans Annuels de

Coopération Internationale (PACI). Depuis la deuxième moitié des années 90,

l‟Amérique latine reçoit environ 40% de toute la coopération espagnole et le montant des

APD reçues a augmenté parallèlement à celui de l‟ensemble de l‟APD espagnole (cf

Annexe n°3). Par exemple, le montant des APD bilatérales nettes reçues par l‟Amérique

latine est passé de 100 millions d‟euros en 1989 à 746 millions en 2001.99

En 2002,

l‟Espagne fut la principale émettrice européenne d‟APD pour l‟Amérique latine et les

Caraïbes avec 322 millions de dollars, soit environ un cinquième de la coopération de

l‟UE à la région.100

Progressivement, l‟Espagne a pris une place très importante dans

98

Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 1997 / 2001. 99

Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 2002. 100

Banque Interaméricaine de Développement (BID), Integración y comercio en América, Note périodique de mai

2004, p.53.

Page 57

l‟aide internationale et fait désormais partie des dix pays donnant le plus d‟APD. Depuis

2004, l‟Espagne a émis la volonté d‟accentuer ses efforts dans ce domaine : dans son

discours d‟investiture, José Luis Rodríguez Zapatero avait posé comme objectif de « faire

de la coopération au développement un élément essentiel de notre politique

internationale ». Dès lors, les aides publiques au développement espagnoles ont subi une

augmentation de 1,9 milliards d‟euros en 2004 à 3 milliards en 2006. D‟ailleurs, en 2006,

l‟Espagne était le huitième pays du Comité d‟Aide au Développement (CAD) de

l‟Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) en termes de

volume d‟APD.

Mais la coopération espagnole au développement a également un trait très

particulier : la décentralisation. Depuis les années 90, les Communautés Autonomes et les

Entités Locales ont commencé à être plus actives dans la coopération internationale : en

1994, elles avaient consacré respectivement 17 et 13 millions d‟euros à l‟aide au

développement, en 1997, ces chiffres sont passés de 61 et 58 millions à 324 et 119

millions d‟euros en 2006. Ces contributions représentent donc une partie de plus en plus

importante de l‟APD globale de l‟Espagne (avoisinant les 20%), or elles se dirigent

majoritairement vers l‟Amérique latine (64% en moyenne en 1997, 50% en 2006). En

2006, la communauté ayant envoyé le plus d‟APD à l‟Amérique latine est l‟Andalousie

(26 millions soit 50% de toute son APD), suivie de la Communauté de Madrid (23

millions soit 70% de son APD totale) et de la Castille-La Manche (19 millions soit 55%

de toute son APD). De plus, les sommes engagées par les universités publiques dans

l‟aide au développement sont désormais comptabilisées dans l‟APD espagnole depuis

2006. Cette participation s‟élève à 8,5 millions d‟euros dont 4 millions ont eu pour

destination l‟Amérique latine.101

La coopération au développement se fait par le biais de programmes concrets ou

d‟aide financière visant à promouvoir la cohésion sociale et la bonne gouvernance. Elle

se sert beaucoup des Oficinas Técnicas de Cooperación de l‟AECI pour cerner les

besoins des pays latino-américains, suivre et évaluer les projets mis en œuvre. L‟Espagne

a mis au point de nombreux programmes de manière unilatérale, ou dans le cadre des

101

Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 1994 / 1997 / 2006.

Page 58

Sommets Ibéro-américains, pour aider au développement de l‟Amérique latine. L‟un

d‟entre eux est le CIDEU (Centre Ibéro-américain de Développement Stratégique

Urbain) créé en 1993, qui a permis la construction d‟un réseau de 78 villes ibéro-

américaines (Barcelone, Séville, Buenos Aires, Santiago, Bogotá, Lima…) pour

promouvoir leur développement économique et social.102

Mais les programmes proposent

des coopérations de tous types dans différents domaines comme la CYTED (programme

ibéro-américain de Science et Technologie pour le Développement)103

, la FUNDIBEQ

(Fondation Ibéro-américaine pour la gestion de la qualité) afin d‟améliorer la

compétitivité du tissu économique et social des pays ibéro-américains104

, le projet ADAI

(Appui au Développement des Archives Ibéro-américaines)105

, le RADI (Réseau des

Archives Diplomatiques Ibéro-américaines)106

, ou le récent programme de Formation

pour la gestion des ressources hydrauliques visant à améliorer l‟approvisionnement en

eau et l‟accès à l‟assainissement aux populations les plus vulnérables.

Il y a également des programmes plus atypiques comme le récent programme de

Banques de lait humain adopté en 2007 pour implanter une banque de ce type dans

chaque pays ibéro-américain et permettre l‟échange de connaissances et de technologie

dans le domaine du lait maternel, afin de réduire la mortalité infantile107

, ou encore le

Fonds pour le développement des peuples indigènes (1995) destiné à établir un

mécanisme de soutien des processus de développement des peuples autochtones.

Plus impliqué dans l‟apprentissage de la bonne gouvernance, IBERGOP (Ecole

ibéro-américaine de Gouvernement et de politiques publiques) a été approuvée lors du

Sommet Ibéro-américain de Lima en 2001 pour renforcer la gouvernance démocratique

en échangeant des expériences et en renforçant la formation et l‟enseignement des

fonctionnaires. On compte également deux autres programmes liés au développement des

entreprises : IBERPYME (programme ibéro-américain de coopération

102

http://www.cideu.org/site/index.php 103

Approuvé lors du Sommet Ibéro-américain de San Carlos de Bariloche (Argentine) en 1995 :

http://www.cyted.org/ 104

http://www.fundibeq.org/ 105

Approuvé lors du Sommet Ibéro-américain d‟Oporto (Portugal) en 1998 :

http://www.mcu.es/archivos/MC/ADAI/index.html 106

Approuvé lors du Sommet Ibéro-américain d‟Oporto (Portugal) en 1998 :

http://www.ciberamerica.org/NR/exeres/6C522D7D-7623-4B81-8C70-F9CBA434D8C4.htm 107

http://www.ciberamerica.org/Ciberamerica/Castellano/Conferencia_Iberoamericana/programasIniciativas/

Programas/Bancos+de+Leche+Humana/inicio.htm

Page 59

interinstitutionnelle pour le développement des petites et moyennes entreprises)108

et

IBEROEKA fondé en 1991 pour favoriser la coopération entre les entreprises dans le

domaine de la recherche et du développement technologique.

Enfin, d‟autres programmes prônent le développement et l‟utilisation des

nouvelles technologies comme ARCE et Ciberamérica. ARCE est un programme créé

lors du Sommet Ibéro-américain de 2002 visant à la coopération entre les différents

organismes nationaux de protection civile pour mettre sur pied un outil informatique qui

facilite l‟information entre les organismes compétents en matière de coopération

international et de gestion de crises. Ciberamérica a pour mission de doter la

communauté ibéro-américaine d‟un espace de rencontre sur Internet afin de renforcer

l‟identité ibéro-américaine.

Outre l‟aide au développement, l‟Espagne s‟est aussi impliquée dans l‟aide

humanitaire et l‟aide d‟urgence. De 2002 à 2006, l‟APD de l‟AECI liée à l‟action

humanitaire est passée de 6 à 47 millions d‟euros, soit de 2,23% de l‟APD totale à 9,17%.

Quant à l‟aide d‟urgence, celle-ci varie selon les années, mais l‟APD bilatérale liée à

l‟aide d‟urgence a globalement augmenté depuis les années 90 en passant de 870 mille

euros en 1989 à 64 millions en 1999 et enfin à 247 millions en 2006. Depuis le début des

années 2000, l‟Amérique latine a reçu 53 millions d‟euros en 2003, 16 millions en 2004,

17 millions en 2005 et 22 millions en 2006.

La coopération entre l‟Espagne et l‟Amérique latine devrait se poursuivre puisque

le gouvernement socialiste de JL.Zapatero s‟est engagé dans la coopération internationale

en annonçant sa volonté que le montant de la coopération atteigne 0,42% du PIB

espagnol en 2007, 0,5% en 2008 et 0,7% en 2012. L‟évolution est effectivement

constante depuis son arrivée au pouvoir : en 2004, le ratio était de 0,24%, en 2005 de

0,27% et en 2006, de 0,32%. Jamais ce pourcentage n‟avait été aussi haut puisqu‟il

oscillait entre 0,04 et 0,14 dans les années 80 et entre 0,20 et 0,28 dans les années 90.109

108

Approuvé lors du Sommet Ibéro-américain d‟Oporto (Portugal) en 1998 :

http://www.iberpymeonline.org/ 109

Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 1997 / 2001.

Page 60

Il est intéressant de voir que ce pourcentage suit de peu celui des pays CAD et l‟a même

dépassé à plusieurs occasions.110

Cependant, le gouvernement espagnol s‟est également engagé à atteindre les

Objectifs du Millénaire et, dans ce cadre, à diversifier les régions réceptrices d‟aides en

accordant plus d‟aides aux Pays les Moins Avancés (PMA). Or entre 2001 et 2006,

l‟APD accordée par l‟AECI aux PMA a augmenté de 325% en passant de 35 millions

d‟euros (soit 18,74% de l‟APD totale) à 114 millions (soit 33% de l‟APD totale). Ainsi

l‟Afrique et l‟Asie reçoivent-elles de plus en plus d‟aides de l‟Espagne chaque année, ce

qui fait craindre un certain détournement de l‟Amérique latine (cf Annexe n°3). En effet,

si l‟on compare les chiffres de 1999 à ceux de 2005, cette évolution apparaît clairement :

l‟Ibéro-Amérique recevait 46,4% des APD bilatéraux en 1999 contre 36% en 2005,

l‟Afrique 23,3% contre 38,7% et l‟Asie 8,9% contre 22,4%. Mais si l‟Afrique a reçu plus

d‟APD que l‟Amérique latine en 2005, ceci varie selon les années, puisqu‟en 2006,

l‟Amérique latine est repassée devant l‟Afrique avec 41,2% contre 30,3%, mais cette

tendance à la diversification suscite des inquiétudes.

Un autre élément confirme cette évolution : en octobre 2007, le Conseil des

Ministres a approuvé une réforme du statut de l‟AECI. L‟organisme répond désormais à

l‟appellation d‟« Agence Espagnole de Coopération Internationale pour le

110

Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 2006.

Page 61

Développement » (AECID). Elle devrait avoir un nouvel organe, le Bureau de l‟Action

humanitaire et accorder plus d‟attention à l‟Afrique. L‟Afrique devrait donc devenir une

nouvelle région prioritaire pour la coopération espagnole et disposer d‟un nouveau

département auquel sera attribué un budget de 150 millions d‟euros dès 2008.111

L‟opinion publique espagnole plébiscite également ce choix : à la question « selon

vous, sur quelle région la coopération espagnole devrait-elle se concentrer ? », 51% des

personnes interrogées répondent les pays du Nord de l‟Afrique, contre 47% pour les pays

latino-américains. Ces pourcentages montrent une véritable baisse de l‟intérêt pour

l‟Amérique latine car, en 2005, les pays latino-américains recueillaient 55% des votes et

les pays du Nord de l‟Afrique, 35% (cf Annexe n°4).112

Malgré ces récentes préoccupations, il reste cependant évident que l‟Espagne a fait

de l‟aide au développement l‟un de ses chevaux de bataille par l‟importance des sommes

investies et la multiplicité des programmes instaurés sur place. Par ces différents moyens

d‟action, l‟Espagne est parvenue à étoffer ses liens avec l‟Amérique latine et à

convaincre les populations et les dirigeants de son intérêt pour cette région.

B. L’aide au développement européenne en Amérique latine

L‟UE est la principale source mondiale d‟aides pour le développement et y

consacre en moyenne 500 millions d‟euros chaque année depuis 1996.113

Dans

l‟ensemble de la période 1994-2002, les flux européens combinés ont fait de l‟UE la

principale source d‟aide pour l‟Amérique latine et les Caraïbes avec environ 42% du total

des aides publiques au développement européennes (contre seulement 18% et 16% des

flux américains et japonais).114

Cette coopération s‟est notamment mise en œuvre grâce à

la signature de nombreux accords de coopération dans les années 1980 (en 1983 avec le

111

« Aprobada la nueva Agencia Española de Cooperación Internacional para el Desarrollo », El Mundo, 30/10/07. 112

« Barómetro 2006 “América Latina y la cooperación al desarrollo en la opinión pública española” », Fundación

Carolina / Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS), Madrid, noviembre 2006. 113

CEFICALE, Leda Rouquayrol-Guillemette et Santiago Herrero Villa, Guide de la coopération Union

Européenne – Amérique latine, p.45. 114

BID, Integración y comercio en América, Note périodique de mai 2004, p.56.

Page 62

Pacte Andin, et en 1985 avec l‟Amérique Centrale) et 1990 (en 1992 avec le Mercosur,

en 1995 avec le Mexique et en 1996 avec le Chili).

La communauté ibéro-américaine a toutefois joué un grand rôle dans la

coopération récente. Dans un premier lieu, le fait que l‟Espagne devienne une importante

source d‟aides dans les années 90 a contribué à contrecarrer en partie les tendances

globales à la diminution de l‟aide. Ainsi l‟Espagne a-t-elle été de 1994 à 1998 le

troisième émetteur d‟APD vers l‟Amérique latine derrière l‟Allemagne et les Pays-Bas.

Dès 1999, l‟Espagne a évincé les Pays-Bas et pris la deuxième place. Et en 2001 et 2002,

elle a pris la première place.

Dans un second lieu, l‟UE est plus encline à accorder de l‟importance à la

collaboration avec l‟Amérique latine depuis que le Portugais José Manuel Durão Barroso

préside la Commission Européenne. Par exemple, lorsque l‟Office de coopération

EuropeAid (chargé de la gestion de l‟aide extérieure) a été restructuré au début de l‟année

2005, la coopération avec l‟Amérique latine a continué d‟être gérée au sein d‟une

direction exclusivement consacrée à cette question, alors que les services chargés

d‟autres régions comme TACIS (les pays d‟Europe de l‟Est et d‟Asie Centrale) et MEDA

Page 63

(les pays du Sud et de l‟Est du bassin méditerranéen) ont été fusionnés en une seule et

même direction.

Pour ce qui est de l‟organisation de l‟aide, les secteurs et la forme de la

coopération sont définis dans les documents de stratégie régionale ou nationale (CSP) qui

font chaque année état du pays en question. La coopération prend généralement deux

formes : soit l‟aide budgétaire, soit l‟assistance macroéconomique. Et les aides se

concentrent sur trois secteurs prioritaires : la lutte contre la pauvreté qui a bénéficié de 40

% de l‟enveloppe globale, l‟intégration dans l‟économie mondiale (25 % des crédits),

enfin la consolidation de l‟État de droit et la bonne gouvernance (15 %).

Sur la période 2000-2006, ceux qui ont le plus bénéficié de l‟aide européenne sont

la Communauté Andine (surtout la Bolivie) avec 750 millions d‟euros, l‟Amérique

Centrale (surtout le Nicaragua) avec 581 millions, le Mercosur avec 250 millions, puis le

Mexique et le Chili avec respectivement 56 et 34 millions.

Tout comme l‟aide espagnole, l‟aide européenne passe généralement par la mise

en place de programmes d‟aide.

Le programme EUROsociAL, créé en 2004 lors du Sommet UE-ALC de

Guadalajara, a pour but d‟augmenter le degré de cohésion sociale des sociétés latino-

américaines en agissant sur les politiques publiques dans plusieurs domaines (éducation,

santé, administration, justice, fiscalité et emploi), grâce à l‟échange d‟expériences entre

administrations des pays de l‟UE et de l‟Amérique latine. Jusqu‟à présent, 25 échanges

de meilleures pratiques et d‟expérience ont été organisés. Elles ont impliqué 283

institutions et un total de 731 participants, dont 90% en provenance de 17 pays

d‟Amérique latine. EUROsociAL a bénéficié pour l‟instant d‟une contribution de la

Communauté Européenne de 30 millions d‟euros.115

Le programme @LIS a été créé en 2001 pour favoriser l‟élaboration de stratégies

régionales de développement de la société de l‟information et réduire la fracture

numérique qui sépare ceux qui ont accès aux nouvelles technologies de l‟information des

115

Office de Coopération EuropeAid, Rapport annuel 2007 sur la politique de développement de la Communauté

Européenne et la mise en œuvre de l’aide extérieure en 2006, Bruxelles, p.79.

Page 64

autres. Son budget (2001-2006) s‟élève à 85 millions d‟euros dont 75% correspondent à

la participation financière de l‟UE (soit 63,5 millions d‟euros). En 2006, ce programme a

obtenu des résultats significatifs sur le plan du dialogue politique, de la création de

réseaux et de la mise en œuvre de projets de démonstration dans les quatre domaines

prioritaires (éducation en ligne, santé en ligne, gouvernement en ligne et e-inclusion).

Le programme URB-AL établit des liens directs entre les villes d‟Europe et

d‟Amérique latine et favorise les échanges d‟expérience afin de développer des réseaux

de coopération décentralisée. La première phase du projet (1996-2000) a bénéficié d‟une

contribution européenne de 14 millions d‟euros et la seconde (2001-2006) d‟une

participation de 50 millions d‟euros. Ce programme est important car il a permis de tisser

des liens entre l‟Europe et l‟Amérique latine en réunissant plus de 680 autorités locales et

en convoquant presque quarante colloques internationaux auxquels ont participé 10.000

personnes.116

Lié au secteur énergétique, le programme ALURE (1995-2003) était chargé de

former à une utilisation optimale des ressources énergétiques en Amérique latine. Il a été

remplacé par le programme EURO-SOLAR, lancé en 2004 lors du Sommet UE-ALC de

Guadalajara, pour permettre aux communautés rurales isolées et jusqu‟ici privées d‟accès

à l‟électricité de profiter d‟une électricité renouvelable. Le budget total de ce programme

est de 30 millions d‟euros.

D‟autres programmes touchent plus le monde de l‟entreprise et du commerce :

comme AL-INVEST, lancé dès 1993 pour promouvoir les échanges et les

investissements entre les PME européennes et les entreprises latino-américaines par le

biais de « rencontres sectorielles ». Ce programme a un tel succès qu‟il est entré dans sa

troisième phase et a bénéficié de contributions conséquentes de la part de l‟UE (98

millions d‟euros pour les deux premières phases et 46 millions pour la troisième). Pour la

seule année 2006, plus de 10.000 petites et moyennes entreprises ont bénéficié d‟une aide

au titre de ce programme qui, depuis sa création, a généré des échanges commerciaux

entre l‟Union Européenne et l‟Amérique latine d‟une valeur excédant les 490 millions

116

http://ec.europa.eu/europeaid/where/latin-america/regional-cooperation/urbal/index_en.htm

Page 65

d‟euros.117

Deux autres programmes sont liés à AL-INVEST. Le premier est A.R.I.E.L.

(Active Research in Europe and Latin-America) qui offre aux entreprises du secteur des

technologies émergentes un service personnalisé de recherche active de partenaires

potentiels sur l'autre continent. Le second est AL-PARTENARIAT qui organise des

rencontres multisectorielles entre des entreprises d'Europe et d'une ou plusieurs régions

d'Amérique Latine. Enfin, le programme ATLAS sert d‟appui aux relations entre les

chambres de commerce et d‟industrie de l‟Union européenne et d‟Amérique latine.

Indépendamment de cela, la Commission Européenne a également créé

l‟OBREAL (Observatoire des relations UE-Amérique latine) en 2003 dans le but de créer

un réseau composé d‟institutions tant latino-américaines qu‟européennes et d‟encourager

toutes sortes de partenariat entre les deux régions. L‟Union Européenne a accordé à cet

observatoire 1,35 millions d‟euros.

Ces programmes sont également accompagnés d‟aide humanitaire ou d‟urgence de

l‟Union Européenne. L‟Office d‟aide humanitaire de l‟UE, ou ECHO, est le premier

donneur mondial en ce qui concerne la coopération au développement et l‟aide

humanitaire. Il a créé des programmes tels que le PRRAC (Programme Régional de

Reconstruction pour l‟Amérique Centrale) à la suite de l‟ouragan Mitch en 1998, ou

encore le Fonds pour le développement des peuples indigènes d‟Amérique latine et des

Caraïbes. En 2006, l‟aide humanitaire de l‟UE en Amérique latine a atteint 18,6 millions

d‟euros soit moins de 3%. Cette somme est assez faible comparée aux 38 millions de

2001.118

Mais EuropeAid a également créé un projet nommé Dipecho pour réduire en

amont les risques de catastrophes. Parmi les cinq régions prioritaires de Dipecho se

trouvent l‟Amérique du Sud, l‟Amérique Centrale et les Caraïbes.

Ces programmes sont nombreux et bénéficient de budgets conséquents, ce qui

montre que l‟Union Européenne cherche vraiment à diffuser ses valeurs en Amérique

latine et accroître son prestige au niveau international.

117

CEFICALE, Leda Rouquayrol-Guillemette et Santiago Herrero Villa, Guide de la coopération Union

Européenne – Amérique latine 2006, pp.57-59. 118

EuropeAid, DG for humanitarian aid- Echo financial Report 2006.

Page 66

En marge des programmes et de l‟aide officielle, de multiples organismes

européens sont chargés d‟étudier l‟Amérique latine. On peut noter par exemple l‟ELSNIT

(Euro-Latin Study Network on Integration and Trade) pour accroître les interactions entre

les chercheurs des deux régions, ou le CEFICALE (Centre d'études, Formation et

Information sur la Coopération Amérique Latine - Europe) pour encourager les relations

des institutions d‟enseignement et de formation entre les deux continents, ou encore le

CERCAL (Centre d'Étude des Relations entre l'Union Européenne et l'Amérique Latine).

Il est intéressant de voir qu‟il existe également des instituts dans la plupart des pays

européens : l‟IHEAL-CREDAL (Institut des Hautes Etudes de l'Amérique Latine) à

Paris, pour ne citer que lui, le LAI (Institut autrichien pour l'Amérique Latine), le

CECAL (Centre d'Echanges et Coopération pour l' Amérique Latine) à Genève, le

CEDLA (The inter-university Centre for Latin American Research and Documentation) à

Amsterdam, ou encore le CEFIAL (Centro de Formación e Información de América

Latina) à Milan.

L‟Union Européenne est donc particulièrement intéressée par l‟Amérique latine et

suit la même voie que l‟Espagne : il semble qu‟elle cherche à nuancer sa forte

participation économique dans le sous-continent américain par son implication dans

l‟aide au développement. L‟Espagne, quant à elle, utilise non seulement l‟aide au

développement mais aussi et surtout la coopération culturelle et éducative pour répandre

discrètement ses valeurs et accroître son influence en Amérique latine.

Section 2 - La coopération culturelle et éducative

La coopération culturelle et éducative entre l‟Espagne et l‟Amérique latine

découle directement des liens historiques, culturels et linguistiques qui unissent ces deux

continents, c‟est pourquoi elle est bien plus ancienne que l‟aide au développement. Afin

de rompre son isolement international, l‟Espagne de Franco avait créé deux organismes

ayant pour objectif de maintenir la présence de l‟Espagne dans l‟éducation et la culture

hispano-américaines. Le premier est le Consejo de la Hispanidad (le futur Institut de

culture hispanique et l‟actuel Institut de Coopération Ibéro-américaine), créé en 1940, qui

« propose un type de diffusion culturelle et de formation qui s‟adresse essentiellement à

Page 67

une étroite élite d‟intellectuels liée aux secteurs catholiques et conservateurs des sociétés

latino-américaines.»119

Le second est créé en 1949 : il s‟agit de la Oficina de Educación

Iberoamericana (Bureau d‟éducation ibéro-américaine, l‟actuelle Organisation des Etats

Ibéro-américains pour l‟éducation, la science et la culture) qui bénéficie dès 1957 d‟un

accord avec l‟UNESCO pour son Projet principal d‟éducation en Amérique latine et dans

les Caraïbes.

Avec l‟arrivée de la démocratie, la coopération culturelle et éducative a pris plus

d‟ampleur, notamment grâce aux Conférences Ibéro-américaines des Commissions

Nationales Cinquième Centenaire, puis aux Sommets Ibéro-américains. Enfin en 1991,

l‟Etat espagnol crée un nouvel organisme, l‟Institut Cervantes, pour promouvoir et

enseigner la langue espagnole et diffuser la culture espagnole et latino-américaine.

Cependant, la coopération culturelle, éducative et scientifique espagnole est

difficile à analyser car elle est protéiforme : de nombreux organismes en sont chargés

comme le Secrétariat d‟Etat pour la Coopération Internationale qui contrôle l‟AECI, le

Secrétariat d‟Etat pour l‟Ibéro-Amérique, le Secrétariat Général Ibéro-américain (SEGIB)

et l‟Institut Cervantes. L‟Organisation des Etats Ibéro-américains y participe aussi en sa

qualité d‟organisme international à caractère gouvernemental pour favoriser la

coopération dans les domaines éducatifs, scientifiques, technologiques et culturels. De

plus les Communautés Autonomes et les Entités Locales mènent elles-aussi des actions

dans ce domaine.

Toutes ces actions montrent bien l‟importance que l‟Espagne a toujours accordée à

la culture et à l‟éducation. Le rayonnement culturel est en effet un instrument de tout

premier ordre pour augmenter la puissance d‟un pays au sens de Joseph Nye. Il permet,

d'une part, de conforter un acteur dans la conception qu'il se fait de sa puissance et,

d'autre part, de pousser les autres à se rallier à sa conception.

119

Pablo Berchenko, « L‟Espagne et la coopération éducative entre l‟Europe et l‟Amérique latine », in Daniel Van

Eeuwen (dir.), L'Amérique latine et l'Europe à l'heure de la mondialisation, CREALC-IEP/AIX- Karthala, Paris,

2002, p.249.

Page 68

A. La coopération culturelle

La coopération culturelle est un élément primordial de la politique espagnole

depuis le XXème siècle. Elle touche un large éventail d‟activités : aussi bien la

coopération cinématographique que la protection du patrimoine ou encore la défense de

la langue. Cette approche globale du domaine culturel est donc complexe à appréhender

car elle est prise en charge par plusieurs organismes différents. En plus de ceux énoncés

plus haut, d‟autres organisations comme la Société Espagnole de Commémoration

Culturelle, la Société Espagnole pour l‟Action Culturelle Etrangère, et la Société

Espagnole pour les Expositions Internationales s‟occupent de la coopération culturelle.

Grâce à leur langue commune, l‟Amérique latine est l‟un des principaux

bénéficiaires de cette politique culturelle. Ainsi, l‟AECI a placé dix de ces douze centres

culturels en Amérique latine et, sur l‟ensemble de ces cinquante-trois délégations, trente-

trois sont encore dans cette région.120

La Direction Générale des Relations culturelles et

scientifiques de l‟AECI a également vu son budget augmenter de manière constante : de

34,5 millions d‟euros en 2002 (dont 74% pour l‟Amérique latine) à 60 millions en 2006.

De la même façon, l‟Institut Cervantes a misé sur le Brésil qui est devenu à la fin de

l‟année 2007 le pays où l‟Institut est le plus implanté avec neuf centres, soit environ un

cinquième de toute l‟action extérieure de l‟Institut.121

Ce pays est un enjeu majeur en

Amérique latine et l‟Espagne cherche à profiter de la loi de 2005 qui stipule que les

écoles brésiliennes doivent obligatoirement offrir des cours d‟espagnol aux élèves qui en

font la demande.

Récemment, le gouvernement espagnol a rappelé l‟importance de la culture en

disant qu‟elle est « indissociable de l‟action étrangère espagnole » et que c‟est « un

élément de premier ordre pour approfondir et élargir nos relations dans la Communauté

Internationale » car elle « confère une identité à la politique étrangère de l‟Etat. » De

plus, Miguel Ángel Moratinos, le Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, a

120

http://www.aeci.es/02exterior/index.htm 121

Juan Arias, « Brasil entra en la órbita del español», El País, 18/07/2007.

Page 69

ajouté : « la culture est notre meilleure carte de visite et le visage le plus aimable et

apprécié pour rendre plus dynamiques nos relations avec l‟étranger. »122

De la même manière que l‟aide au développement, la coopération culturelle passe

aussi par la mise en place de programmes sur place. Dès 1984, l‟Espagne a lancé un

Programme de Préservation du Patrimoine Culturel Ibéro-américain (PPPCI) qui prévoit

la restauration des centres historiques et des monuments, ainsi que l‟organisation

d‟Escuelas-Taller (écoles-ateliers). Ce programme a rencontré un grand succès et a été

prolongé en 2002. Les écoles-ateliers mises en place à partir de 1991 sont devenues l‟un

des instruments les plus emblématiques et les plus visibles de la coopération espagnole.

Elles ont permis à plus de 4.000 jeunes Latino-américains de recevoir une bonne

formation, surtout en maçonnerie et en charpenterie, afin de mieux s‟insérer dans le

monde du travail.123

Grâce à la tenue de dix Conférences Ibéro-américaines sur la Culture

entre 1993 et 2007124

en plus des Sommets Ibéro-américains traditionnels, ce genre

d‟initiatives s‟est multiplié.125

En 1996, le programme Ibermedia est né pour favoriser la

construction d‟un espace visuel ibéro-américain. Cette idée n‟était pas nouvelle et avait

déjà été avancée en 1989 dans l‟Accord d‟Intégration Cinématographique Ibéro-

américaine signé par les treize pays membres de la Conférence des Autorités

Cinématographiques d‟Ibéro-Amérique (CACI). Grâce à cette idée, puis à la mise en

place du programme, l‟Espagne a d‟ailleurs signé des accords de coproduction

cinématographique avec l‟Argentine (1992), le Mexique (2003) et le Chili (2003). Plus

récemment, la création d‟un fonds pour la coproduction de contenus culturels télévisuels

a été approuvée lors du Sommet de Salamanca (2005).

Suite à cela, trois programmes ont été créés lors du Sommet Ibéro-américain de

Panama en 2000 : le programme de développement des bibliothèques nationales des pays

d‟Ibéro-Amérique (ABINIA), le Programme Ibéro-américain de coopération en matière

de bibliothèques publiques (PICBIP) et le Répertoire Intégré des Livres en Vente en

Ibéro-Amérique (RILVI). En 2003, lors du Sommet de Santa Cruz de la Sierra (Bolivie),

122

Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, « El Ministro de Asuntos Exteriores y de Cooperación

afirma en SEACEX que “la cultura es parte indisociable de la acción exterior española », note de presse du

09/01/2008. 123

Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Evaluación del programa de Escuelas-taller en

Iberoamérica, Madrid, 16/12/1998, pp.1-27. 124

http://www.oei.es/cic.htm 125

http://www.ciberamerica.org/Ciberamerica/Castellano/Areas/cooperacion/iberoamerica/iberoamericana/

programas/inicio.htm

Page 70

le programme ILÍMITA a vu le jour pour faire de la lecture un facteur de développement

social, éducatif, économique et culturel, ainsi qu‟un outil d‟insertion sociale. Puis, en

2006, le Sommet Ibéro-américain de Montevideo a créé Iberescena, un programme

d‟appui à la construction d‟un espace scénique ibéro-américain autour de quatre axes : la

promotion des coproductions, la circulation des troupes et festivals, la formation en

gestion des arts scéniques et l‟appui aux représentations de productions ibéro-

américaines. Lors de ce même Sommet, la Carta Cultural Iberoamericana a vu le jour

pour encadrer l‟ensemble des projets communs et la mise en place de l‟espace culturel

ibéro-américain. Enfin en 2007, lors du Sommet de Santiago du Chili, le programme

Ibermuseos a été créé pour favoriser la coopération entre les musées et une plus grande

circulation des œuvres des principales institutions ibéro-américaines.

La coopération culturelle espagnole passe aussi par la défense de sa langue. Or, le

soutien politique qu‟a reçu cette initiative montre qu‟elle constitue un grand enjeu et est

un outil de « puissance douce ». En effet, tout au long du XIXè siècle, la Real Academia

Española n‟a pas cessé d‟œuvrer pour l‟unité de la langue, ce qui fait dire à Fernando

Lázaro Carreter126

que ce fut « la première institution espagnole à encourager la

conscience hispanique. »127

Dès 1870, la Real Academia émet le souhait de créer en

Amérique latine des Académies de Langue Espagnole. De 1871 à 1955, quelques

Académies voient le jour, mais l‟événement le plus important est l‟organisation en 1951

du Premier Congrès des Académies de la Langue Espagnole au Mexique. Les Congrès se

succèdent alors environ tous les quatre ans et insistent sur l‟importance de l‟unité de la

langue qui « constitue l‟un des facteurs qui contribue le plus à rendre les pays ibéro-

américains respectables et forts face au reste des nations. » Mais avec la création de

l‟Institut Cervantes en 1991, la réflexion sur la langue espagnole va s‟intensifier avec la

création des Congrès Internationaux de la Langue Espagnole à partir de 1997. Ces

derniers se tiennent tous les trois ans pour évoquer la situation de la langue espagnole, ses

défis et ses problèmes autour de thèmes prédéfinis tels que « La langue et les moyens de

communication » ou « Identité linguistique et globalisation ». Ces Congrès sont devenus

un élément majeur, car ils ont une grande répercussion au niveau international avec la

126

Grand linguiste et critique littéraire espagnol qui fut président de la Real Academia de 1991 à 1998. 127

Jaime Otero, De Bogotá a Rosario. La lengua española y la política regional de España en América Latina, Real

Instituto Elcano, DT Nº 36/2004, 2004, p.6.

Page 71

présence de grands auteurs. En 2007, par exemple, le Congrès de Cartagena de Indias

(Colombie) a eu un retentissement particulier grâce la présence de Gabriel García

Márquez qui fêtait ses quatre-vingt ans.

Outre ces Congrès, l‟Espagne cherche depuis le début des années 2000 à

rapprocher les systèmes de certification de la langue espagnole. D‟une part, les

certifications représentent un grand enjeu économique : avec 440 millions

d‟hispanophones, l‟espagnol est la quatrième langue en poids démographique et la

deuxième comme instrument de communication après l‟anglais. D‟autre part, elles

constituent « un élément essentiel de la politique linguistique » permettant « le maintien

de la fonction communicative de la langue et donc l‟unité linguistique. »128

Dans la

pratique, il s‟agirait de transformer le DELE (Diploma de Español como Lengua

Extranjera, le diplôme émis par le Ministère de l‟Education espagnol) en un diplôme

« pan-hispanique » qui harmoniserait les critères retenus pour la certification de la

connaissance de l‟espagnol.129

Lors du dernier Congrès International de la Langue

Espagnole, soixante universités ibéro-américaines ont rejoint le SICELE (Sistema

Internacional de Certificación del Español como Lengua Extranjera) : c‟est une bonne

nouvelle pour l‟Espagne, même si le chemin est encore long pour arriver à une

uniformisation du diplôme dans tous les pays hispanophones.

De plus, l‟Espagne a mis en œuvre plusieurs programmes de coopération pour les

questions linguistiques. L‟un des plus importants, par sa dimension internationale, est

celui des Trois Espaces Linguistiques (3EL) qui a été lancé en 2001 par l‟Organisation

des Etats Ibéro-américains (OEI). Ce projet réunit quatre organisations : l‟OEI,

l‟Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), la Communauté des Pays de

Langue Portugaise (CPLP) et l‟Union Latine (UL).130

Son objectif est de « défendre et

promouvoir les langues parlées dans leurs territoires respectifs, dans la mesure où elles

sont l‟expression d‟une identité, le témoignage de la richesse culturelle des peuples et une

128

Ibid., p.11. 129

Jaime Otero et Lía Varela, El Congreso Internacional de la Lengua Española de Cartagena de Indias: una

crónica, Real Instituto Elcano, ARI Nº 67/2007, 18/06/2007, p.11. 130

Union Latine est une organisation internationale fondée en 1954 par la Convention de Madrid pour mettre en

valeur et diffuser l‟héritage culturel et les identités du monde latin. Elle possède 37 Etats membres, principalement

des Etats d‟Amérique latine, d‟Europe, et d‟Afrique.

Page 72

condition pour le dialogue démocratique et le transfert de connaissances. » Deux de ces

projets les plus concrets sont le « Statut International des langues des 3EL » pour assurer

la présence de l‟espagnol, du français et du portugais dans les organisations

internationales et l‟« Harmonisation des systèmes d'accréditation des connaissances

linguistiques » (CERTEL) pour promouvoir le développement du plurilinguisme.131

B. La coopération éducative

De manière identique à la culture, l‟Espagne a toujours porté une grande attention

à la coopération en matière d‟éducation car elle contribue à reconstituer l‟image d‟une

Espagne qui se veut fraternelle et qui reconnaît la valeur d‟une culture à la fois commune

et différente.

Dès 1949, année de la création du Bureau d‟Education Ibéro-américaine (Oficina

de Educación Iberoamericana, OEI), des Congrès Ibéro-américains portant sur

l‟Education se sont tenus. Entre 1949 et l985, six Congrès ont eu lieu.132

Lors du dernier

Congrès de Bogota, une Réunion Extraordinaire a engendré des changements : le Bureau

d‟Education Ibéro-américaine est devenu l‟Organisation des Etats Ibéro-américains (OEI)

et les Congrès ont été remplacés par des Assemblées Générales.

Puis, à partir de 1988, la coopération en matière d‟éducation s‟est encore

accentuée avec la création des Sommets Ibéro-américains de l‟Education. Depuis lors,

dix-sept133

Sommets se sont tenus à raison d‟un par an depuis 1995. De manière

simultanée, l‟aide publique au développement (APD) espagnole destinée à l‟éducation a

beaucoup augmenté. Déjà en 1997, elle s‟élevait à 75 millions d‟euros et, depuis le début

des années 2000, elle dépasse généralement les 140 millions d‟euros. L‟Amérique latine

est la principale bénéficiaire de cette APD avec une moyenne de 60% entre 2002 et 2006

soit des montants dépassant souvent les 100 millions d‟euros.134

131

http://www.3el.org/ 132

Le premier Congrès Ibéro-américain de l‟Education s‟est tenu à Madrid en 1949, le second à Quito en 1954, le

troisième à Saint Domingue en 1957, le quatrième à Madrid en 1979, le cinquième à Lima en 1983, et le sixième à

Bogota en 1985. 133

http://www.oei.es/cic.htm 134

Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, Seguimiento PACI 1997 / 2000 / 2002 / 2006.

Page 73

Cette aide est répartie grâce à des programmes créés par les différents Sommets

Ibéro-américains.135

La coopération éducative constituait une priorité pour la politique

étrangère espagnole, c‟est pourquoi la majorité des programmes éducatifs ont été mis en

place dans la première moitié des années 90, soit très peu de temps après la mise en place

des Sommets Ibéro-américains. En effet, dès le deuxième Sommet de Madrid en 1992,

trois programmes de grande importance ont été mis en place : le Programme

d‟alphabétisation et d‟éducation élémentaire pour adultes (PAEBA) afin d‟éradiquer au

moins 25% de l‟analphabétisme dans les zones d‟intervention (El Salvador, République

Dominicaine, Nicaragua et Honduras), le programme MUTIS (Coopération au

Développement des programmes de Doctorat et de la Direction des Thèses doctorales)

permettant la mobilité des étudiants de troisième cycle en Ibéro-Amérique et enfin le

projet de Télévision Educative Ibéro-américaine (TEI) visant à contribuer au

développement de l‟éducation et de la culture dans les pays d‟Ibéro-Amérique par le biais

de la télévision par satellite et d‟autres technologies de l‟information et de la

communication. De même en 1995, trois autres programmes ont vu le jour : les

programmes Calidad Educativa (programme de coopération pour le développement des

systèmes nationaux d‟évaluation de la qualité de l‟éducation), IBERMADE (programme

de modernisation des administrations en éducation) et IBERFOP (programme de

coopération dans les secteurs de la formation professionnelle). Plus récemment en 2007,

le Sommet Ibéro-américain de Santiago du Chili a créé le Programme Pablo Neruda qui

reprend le Programme d‟Echange et de Mobilité Académique (PIMA) de 1999 pour

promouvoir la construction d‟un espace ibéro-américain commun de la connaissance en

facilitant les initiatives d‟intégration régionale.

Outre les Sommets, deux autres projets ont été créés par l‟AECI en 1997 : le

Programme de Coopération Interuniversitaire (PCI, anciennement appelé Intercampus)

pour inciter les étudiants et les professeurs à accroître la coopération éducative et

IBERCUE, un programme favorisant la coopération entre les universités et les

entreprises. Et en 2007, l‟Espagne a décidé de créer un Erasmus ibéro-américain pour

faciliter la mobilité des jeunes chercheurs.136

Dans la phase initiale du programme, les

bourses ont surtout été accordées à des étudiants de master et de doctorat afin de leur

135

http://www.ciberamerica.org/Ciberamerica/Castellano/Areas/cooperacion/iberoamerica/iberoamericana/

programas/inicio.htm 136

J. A. Aunión, « España crea un Erasmus iberoamericano para jóvenes investigadores », El País, 24/07/2007.

Page 74

transmettre des compétences répondant aux nécessités de leur pays d‟origine. L‟objectif

ultime de cet Erasmus ibéro-américain est de contribuer à ce que chaque pays

d‟Amérique latine ait les ressources nécessaires pour stimuler son développement. Mais

cette proposition fait partie d‟un projet plus grand : la création d‟un Espace ibéro-

américain de la Connaissance qui connecterait entre elles les universités latino-

américaines de la même façon que l‟Espace Européen d‟Education Supérieure.

De plus, l‟Espagne a mis en place des programmes de bourses par le biais de la

Fundación Carolina, de l‟AECI et de l‟Institut Cervantes pour encourager la mobilité des

étudiants entre les deux continents. Et la coopération éducative passe également par les

quatre Centres de formation de l‟AECI en Amérique latine (Cartagena de Indias

(Colombie), Santa Cruz de la Sierra (Bolivie), Antigua (Guatemala), Montevideo

(Uruguay)) puisqu‟ils mettent l‟accent sur le renforcement administratif, la formation

technique de fonctionnaires et la communication entre les différents pays.

Ainsi apparaît-il clairement, en étudiant ces différents programmes de coopération

que le gouvernement espagnol a tout fait pour se réserver une place significative dans la

coopération en matière d‟éducation en Amérique latine. Sa stratégie est d‟ailleurs

d‟autant plus efficace que ses programmes touchent les élites mais aussi les masses

longtemps défavorisées. C‟est pourquoi certains analystes estiment que « le Ministère des

Affaires étrangères, l‟AECI et l‟Organisation des Etats Ibéro-américains deviennent des

instruments modernes au service de la « deuxième conquête » du monde ibéro-

américain. »137

L‟importance de la coopération éducative est également renforcée par l‟attention

qu‟y porte l‟Union Européenne. En effet, l‟UE a tout intérêt à s‟impliquer dans cette

coopération pour favoriser la constitution d‟un espace hispano-portugais dans le sous-

continent latino-américain et s‟assurer que l‟Amérique latine devienne un de ses

partenaires. L‟UE a donc elle-aussi mis en place des programmes éducatifs, notamment

lfa et Alan. lfa est un programme de coopération entre les institutions

137

Pablo Berchenko, « L‟Espagne et la coopération éducative entre l‟Europe et l‟Amérique latine » in Daniel Van

Eeuwen (dir.), L'Amérique latine et l'Europe à l'heure de la mondialisation, CREALC-IEP/AIX- Karthala, Paris,

2002, p.264.

Page 75

d‟enseignement supérieur qui a été lancé en 1994. Jusqu‟à présent, il s‟est déroulé en

deux phases (1994-1999/2000-2006) et une troisième devrait être lancée prochainement.

Ce programme a été une réussite : lfa a mobilisé 1064 institutions et géré 846

microprojets dans la première phase, puis 770 institutions et 225 projets dans la seconde.

Au total, la Communauté Européenne a consacré 85 millions d‟euros à ce programme.138

Alan est un programme de bourses de formation de haut niveau adopté par la

Commission Européenne en 2002. Pendant cinq ans (2002-2006), 3319 étudiants latino-

américains ont pu en bénéficier.139

Désormais, l‟UE a adopté un nouveau programme qui

remplacera Alan : « Erasmus Mundus » afin d‟améliorer la qualité de l'enseignement

supérieur et de promouvoir la compréhension interculturelle au travers de la coopération

entre l‟Europe et des pays tiers.140

Entre 2004 et 2006, « Erasmus Mundus » a déjà

accordé 2700 bourses à des étudiants et académiciens de pays tiers pour qu‟ils étudient

dans l‟UE. La Chine, le Brésil, la Russie et l‟Inde sont les pays qui ont le plus bénéficié

de ces bourses : l‟Amérique latine n‟est donc plus mise en avant.

Les exemples de l‟aide au développement et de la coopération culturelle et

éducative montrent bien comment l‟Espagne s‟y prend pour révéler et défendre ses

valeurs de façon indirecte. L‟un des éléments les plus ingénieux est qu‟elle justifie cette

coopération par les besoins et les manques de savoir-faire des populations latino-

américaines. Autrement dit, cela lui permet d‟une part de montrer qu‟elle s‟investit à titre

gracieux pour aider les populations et, d‟autre part, de récolter les fruits de ses activités

sous forme de puissance douce. Cette stratégie est donc doublement gagnante pour

l‟Espagne. De plus, un troisième élément vient se surimposer : l‟utilisation à des fins

marchandes et stratégiques des entreprises qui contribuent au soft power comme les

médias internationaux ou encore les maisons d‟édition.

138

http://ec.europa.eu/europeaid/where/latin-america/regional-cooperation/alfa/index_en.htm 139

http://ec.europa.eu/europeaid/where/latin-america/regional-cooperation/alban/index_en.htm 140

http://ec.europa.eu/education/programmes/mundus/index_en.html

Page 76

Chapitre 2 - Les entreprises : vecteurs du soft power

Comme nous l‟avons vu, l‟Espagne se sert de la coopération pour se garantir une

bonne image sur le plan international et marquer son influence aussi bien sur la culture

que sur l‟éducation. Jusqu‟à présent, le gouvernement espagnol s‟est toujours refusé à

admettre que ses actions en Amérique latine allaient au-delà d‟un simple intérêt

humanitaire ou linguistique, mais lorsque l‟on s‟intéresse de plus près à des domaines

plus spécifiques, il apparaît évident que les entreprises, aussi bien publiques que privées,

se servent de la coopération pour assurer leurs intérêts économiques. On voit bien alors

que le comportement de l‟Espagne en Amérique latine est double : d‟une part, l‟Espagne

veut mettre en place des vecteurs du soft power et, d‟autre part, elle veut en recevoir des

bénéfices. L‟on peut distinguer deux types d‟entreprises porteuses du soft power

espagnol : tout d‟abord les entreprises dont c‟est l‟activité principale comme les médias,

les agences de presse, les sociétés éditrices, qui, par leur profession, exploitent et

promeuvent les valeurs et la culture espagnoles ; et enfin, les entreprises qui souhaitent se

racheter une bonne image en créant des fondations favorisant des activités sociales,

culturelles ou éducatives.

Section 1 - La maîtrise des canaux de diffusion

Les entreprises dont l‟activité est liée à la diffusion de la culture, de la langue et de

l‟information ont indéniablement un grand rôle dans la mise en place de la puissance

douce. Qu‟elles soient publiques ou privées, ces sociétés ont le pouvoir de contrôler les

réseaux de flux, notamment les flux d‟information. Or la maîtrise des canaux de diffusion

et de leur contenu est capitale car elle permet de véhiculer les valeurs espagnoles dans

toute l‟Amérique latine. Toutefois, ces entreprises se servent de ces mêmes valeurs

comme fonds de commerce. L‟ambigüité est d‟autant plus grande pour des entreprises ou

des initiatives publiques qui sont donc prises entre deux feux : promouvoir les valeurs et

rendre l‟activité rentable.

Page 77

A. Le rôle des entreprises publiques

L‟Espagne a décidé de beaucoup s‟investir dans le domaine des médias en

Amérique latine et d‟utiliser ces ambiguïtés à des fins politiques. Ainsi a-t-on vu les

principales entreprises de communication publiques d‟Espagne s‟intéresser au marché

latino-américain comme l‟Agence de Presse EFE et Radio Exterior de España. Un

rapport, commandé par le gouvernement espagnol en 2005 sur les médias publiques141

,

expliquait d‟ailleurs que « le service public doit créer et réaliser un plan ambitieux de

projection des cultures et langues espagnoles, et de la politique étrangère de l‟Etat dans

ses domaines, destinée non seulement aux immigrants d‟origine espagnole, mais à

l‟ensemble de la population mondiale. » L‟idée est donc d‟utiliser ces entreprises comme

de puissants outils pour transmettre au monde la véritable importance que l‟Espagne

pourrait y jouer.

L‟Agence EFE est dans ce cadre-là un outil précieux : il s‟agit de la quatrième

agence de presse mondiale et de la première agence hispanophone. Créée sous la

dictature du Général Franco en 1939, l‟agence est désormais beaucoup plus indépendante

du gouvernement, même si le Président d‟EFE est toujours nommé par le gouvernement.

EFE est une agence publique financée à 40% par l‟Etat et à 60% par ses clients. Le statut

particulier de cette agence se manifeste par la signature de contrats de services avec l‟Etat

espagnol. Dans ces contrats, il est stipulé qu‟EFE doit collaborer à la diffusion de l‟image

de l‟Espagne à l‟étranger, en particulier dans les pays ou zones d‟origine espagnole, pour

garantir ainsi la présence informative de l‟Espagne et son influence culturelle et pour

contribuer à la défense et à la normalisation de la langue espagnole dans le monde. Alex

Grijelmo García, le Président de l‟agence de presse, reconnaît lui-même que son agence a

un rôle bien plus grand qu‟il n‟y paraît : « l‟Agence EFE est la grande vitrine de

l‟Espagne face au monde parce la réalité espagnole y est exposée tous les jours et elle

constitue également un grand outil d‟échange d‟information en espagnol parmi tous les

141

Ministère de la Présidence, Informe para la reforma de los medios de comunicación de titularidad del Estado,

février 2005.

Page 78

pays d‟Amérique latine. »142

EFE sert de relais à des valeurs telles que la démocratie, la

liberté d‟expression, l‟indépendance, l‟information et cherche donc à créer une culture

ibéro-américaine commune en assurant la présence espagnole en Ibéro-Amérique et dans

le monde. En effet, l‟Agence EFE s‟est très vite installée en Amérique latine : elle y a fait

ses premiers pas en 1965 et s‟y est définitivement installé en 1966. Elle a connu une

croissance colossale dans le sous-continent américain : « en 1973, seuls 8% des nouvelles

faisant référence à la politique internationale provenaient de l‟Agence EFE dans toute

l‟Ibéro-Amérique et maintenant, ce taux avoisine les 40%. »143

Désormais l‟agence est la

principale productrice de contenus informatifs en Amérique latine et y a une très forte

implantation. EFE possède quarante-sept sièges dans le monde et vingt d‟entre eux sont

en Amérique latine. La plupart des clients de l‟agence sont sur le continent américain,

notamment aux Etats-Unis, au Mexique et en Argentine et leur nombre ne cesse

d‟augmenter (de 649 en 2002 à 884 en 2006). EFE compte par exemple parmi ses clients

des journaux latino-américains réputés tels que La Jornada et El Universal au Mexique,

El Comercio au Pérou, Clarín en Argentine, ainsi que le groupe chilien El Mercurio. En

tout, le marché d‟EFE en Amérique latine représente 6,3 millions d‟euros en 2006 (soit

une augmentation de 43% par rapport à 2004).144

Au cours de son développement, EFE a pris des décisions qui lui ont permis de se

garantir une place de choix en Amérique latine. L‟agence a réussi dans un premier lieu à

s‟assurer le marché latino-américain dans le domaine des photographies. En effet, en

s‟associant à la création d‟EPA (European Pressphoto Agency) en 1985, EFE et les sept

autres agences participantes ont décidé de se répartir les différents continents pour mettre

ensuite en commun leurs photos : EFE a donc pris en charge l‟Amérique latine. Cet

événement a été capital et a de grandes répercussions. A l‟heure actuelle, EFE a la

première place pour la publication des photos en Amérique latine avant les autres grandes

agences de presse mondiales. En 2006, 37,9% des photos publiées dans les quotidiens

latino-américains provenaient d‟EFE, 30,9% de Associated Press, 16,8% pour l‟Agence

France Presse et 14,2% pour Reuters. De plus, l‟agence EFE a développé des services

particuliers pour l‟Amérique latine. Dans la rédaction, au sein du service lié aux dépêches

142

Diario de Sesiones del Senado, Comisión de Asuntos Iberoamericanos del 28 de febrero de 2007 – Comparution

du Président de l‟Agence EFE, Alex Grijelmo García, pour évoquer la projection de l‟Agence en Ibéro-Amérique

(715/00344), pp.13-14. 143

Ibid., p.16. 144

Ibid., p.11.

Page 79

internationales, une équipe de journalistes est chargée de retravailler les dépêches pour

leurs clients latino-américains en adaptant le discours, le vocabulaire et en ajoutant

certains détails. Sur place, l‟Agence a créé des services spécifiques pour l‟Amérique

Centrale, le Mercosur et Puerto Rico. EFE a également décidé de créer un service en

portugais en 2001 pour augmenter sa participation au Brésil. Ce service a connu un grand

succès dans ce pays lusophone en générant un chiffre d‟affaire allant de 153.000 euros en

2002 à 609.000 euros en 2006, soit une augmentation de 296% ! Plus récemment, EFE a

lancé un nouveau service audio pour les radios latino-américaines mettant à disposition

des enregistrements recueillis par les journalistes d‟EFE, ainsi que des chroniques écrites

par des correspondants. En mars 2007, RTVE (Radiotelevisión Española) et EFE ont

annoncé qu‟elles mettront en place une Agence Ibéro-américaine de Nouvelles

télévisuelles abordant tous les sujets informatifs pour le monde hispanique, afin de servir

d‟alternative aux grands fournisseurs anglo-saxons de contenus (comme CNN en español

ou les chaînes hispanophones de Miami Telemundo et Univisión).145

Enfin, par rapport à

ses concurrents, EFE est l‟agence qui dépense le plus en Amérique hispanophone avec

316.000 euros de plus que l‟AFP, 893.000 de plus que Associated Press et 1,6 millions de

plus que Reuters.146

D‟autre part, EFE a décidé de changer son organisation pour accorder plus

d‟importance à l‟Amérique latine. En 2006, elle s‟est réorganisée au niveau commercial

pour avoir deux directeurs de ventes chargés du continent américain au lieu d‟un. En

2007, elle a déplacé sa direction éditoriale du continent américain de Miami à Bogota

afin de se rapprocher plus de l‟Amérique du Sud. Enfin, la Fundéu a ouvert un nouveau

siège à Mexico et pense en ouvrir deux autres prochainement en Argentine et au Chili. La

Fundéu, ou Fondation de l‟Espagnol Urgent, a été créée à Madrid en 2005 par Víctor

García de la Concha, le directeur de la Real Academia Española pour défendre l‟emploi

de l‟espagnol correct dans les moyens de communication et contribuer à l‟unité de la

langue espagnole en diffusant des recommandations et en attribuant des certificats de

qualité linguistique à tous types de documents. Ce nouveau service d‟EFE se place donc

parfaitement dans les objectifs du contrat de service entre le gouvernement espagnol et

l‟agence de presse.

145

« RTVE y Efe distribuirán videonoticias en América Latina », El País, 16/03/2007. 146

Juan María Calvo, Una herramienta infrautilizada: los medios de comunicación estatales con proyección

exterior, Real Instituto Elcano, ARI Nº 47-2006, 18/04/2006, p.8.

Page 80

Grâce à toutes ces actions, l‟Agence EFE a réussi à atteindre ses fins : promouvoir

les valeurs de l‟Espagne tout en réalisant des bénéfices. Une récente étude de l‟institut de

sondage madrilène Metroscopia sur les clients d‟EFE en apporte une nouvelle

confirmation : à la question « la forte implantation d‟EFE en Amérique latine permet-elle

la consolidation d‟une culture ibéro-américaine commune sur des thèmes informatifs ? »,

76% des personnes interrogées répondent positivement.

Radio Exterior de España suit exactement la même logique que l‟Agence de

presse EFE car, comme l‟explique son directeur, Eduardo Moyano Zamora, « nous avons

l‟obligation de vendre une image de l‟Espagne comme étant celle d‟un pays moderne et

démocratique. C‟est pourquoi Radio Exterior de España doit être une raison d‟Etat. »

Cette radio a été créée dès 1977 et fait partie de l‟ensemble Radio Nacional de España.

Véritable instrument de la promotion culturelle espagnole à l‟étranger, elle diffuse sur

différents canaux en plusieurs langues : espagnol, anglais, français, arabe, russe, hébreux

et portugais. Autre caractéristique, elle enregistre des programmes spécifiques pour ses

différentes aires d‟émission afin de mieux séduire son audience. D‟après un récent

rapport de la BBC, Radio Exterior de España serait la troisième radio la plus écoutée

dans le monde après la BBC et Radio Vatican avec une audience de plus de 80 millions

de personnes. La radio espagnole profite grandement des avancées technologiques,

puisqu‟elle peut désormais s‟affranchir des problèmes techniques liés à la bande FM et

être écoutée sur Internet ce qui séduit une grande partie de son audience. Radio Exterior

de España se sert également d‟Internet pour accroître sa notoriété : elle a mis à

disposition de toutes les radios des archives audio en format mp3 pouvant être utilisées

gratuitement à condition que la radio précise que Radio Exterior de España en est la

source.

Comme l‟Agence EFE, Radio Exterior de España a misé sur l‟Amérique latine et

a des tranches horaires assez large avec une émission durant toute la journée jusqu‟à

minuit. Elle a placé un émetteur au Costa Rica pour diffuser son signal sur toute

l‟Amérique latine. De plus, Radio Exterior de España a signé des accords avec plus de

600 émetteurs en espagnol, principalement dans le sous-continent américain, afin de

diversifier sa programmation. Depuis 2004, elle s‟est également engagée au Brésil avec

Page 81

l‟émission du seul programme bilingue de toute la radiodiffusion espagnole à l‟étranger :

“El español en Brasil”.

TVE Internacional est le troisième moyen de communication publique à vocation

internationale d‟Espagne. La chaîne internationale de RTVE a commencé à émettre en

1989, c‟est-à-dire beaucoup plus tardivement que sa consœur radiophonique Radio

Exterior de España. Avec une audience potentielle de plus de 400 millions de personnes,

c‟est la chaîne européenne avec le taux de pénétration le plus élevé en Amérique latine.

Malheureusement, ce média est très peu exploité. Il rencontre de grandes difficultés

financières, techniques (liés à l‟obtention de droits d‟émission hors du territoire espagnol)

et juridiques. Finalement, peu de personnels travaillent pour ce canal et les programmes

émis sont souvent identiques aux programmes des chaînes nationales espagnoles et donc

comportent peu d‟intérêt pour un auditoire latino-américain. Malgré cela, ce Canal

International bénéficie d‟un certain prestige en Amérique latine.

D‟après les analystes, il est important que les moyens de communication

nationaux soient renforcés pour être de meilleurs instruments de la politique étrangère

espagnole car ce sont des outils idéaux pour montrer que « l‟Espagne peut jouer un plus

grand rôle dans le monde et lutter afin d‟exercer un leadership international qui soit en

accord avec son poids économique. »147

Il faudrait donc que ces entreprises publiques

bénéficient de ressources économiques plus importantes.

B. Le rôle des entreprises privées

Dans le secteur privé, les entreprises des secteurs de la culture et des médias se

servent également des liens particuliers qui unissent l‟Amérique latine et l‟Espagne pour

prospérer. Le Groupe Prisa (Promotora de Informaciones SA), qui possède notamment El

País et la Cadena Ser en Espagne, est très représentatif d‟un tel comportement puisqu‟il a

orienté sa stratégie vers l‟Amérique latine. Le Groupe Prisa est leader dans le secteur des

livres scolaires en Amérique latine grâce à son groupe Santillana et possède de

147

Juan María Calvo, Una herramienta infrautilizada: los medios de comunicación estatales con proyección

exterior, Real Instituto Elcano, ARI Nº 47-2006, 18/04/2006, p.9.

Page 82

nombreuses actions dans des médias latino-américains. En plus de posséder des actions

dans des journaux locaux, le Groupe Prisa publie les journaux boliviens El Nuevo Día,

Extra et La Razón, ainsi que l‟édition mexicaine de Rolling Stone. Dans le secteur

radiophonique, Prisa est présent en Amérique latine par le biais de Unión Radio (dont il

est actionnaire majoritaire), la plus grande entreprise radiophonique sur les marchés de

langue espagnole avec plus de 1.200 émetteurs et 17 millions d‟auditeurs sur le continent

américain (principalement en Colombie avec Caracol Radio, au Mexique avec

Radiópolis et en Argentine avec Continental). Prisa a également fait l‟acquisition de

Iberoamerican Radio Chile (IARC), la chaîne de radio leader du Chili à la fin de l‟année

2006.148

Le rapprochement entre les groupes Prisa et Unión Radio représente des intérêts

considérables car ces deux entreprises aspirent à former « la plus grande corporation

radiophonique de langue hispanique du monde. »149

Leur but est notamment d‟investir

dans les marchés lusophones (grâce à l‟achat des entreprises brésilienne et portugaise

Media Capital) et américains. De plus, Prisa est actionnaire de la chaîne de télévision

ATB Bolivia. Ainsi Jesús de Polanco, le fondateur du Groupe Prisa, estimait-il lors de

l‟Assemblée du Groupe de 2007 que Prisa était le « premier et pratiquement le seul

groupe de médias de dimension ibéro-américaine ».

Un autre exemple illustre parfaitement l‟ambigüité entre diffusion des valeurs et

rentabilité : le secteur de l‟industrie éditoriale en Amérique latine. L‟industrie éditoriale

espagnole possède un total de 122 filiales dans cette région. Celles-ci correspondent à

84% de leur présence internationale (principalement au Mexique, en Argentine et au

Chili). En effet, parmi les trente-trois maisons d‟édition qui ont le plus de poids dans la

région, dix-sept ont leur maison mère en Espagne (comme Océano, Santillana, Planeta,

Everest). Le continent américain a toujours été l‟objectif principal des entreprises

éditoriales espagnoles. Ce marché représentait déjà 244 millions d‟euros en 1997, soit

74,5% de l‟ensemble des exportations des éditrices espagnoles à l‟étranger, contre 23%

pour l‟Union Européenne. Mais si la part du continent américain a presque toujours

148

« El Grupo Prisa adquiere la cadena de radio líder de Chile », Cinco Días, 23-24/12/2006. 149

Juan Manuel Pardellas, « Cebrián y Godó destacan la expansión de Unión Radio a Portugal, Brasil y EEUU », El

País, 11/11/2006.

Page 83

dépassé 200 millions d‟euros, celle de l‟Union Européenne a progressivement augmenté

en passant de 75 millions d‟euros en 1997, à 153 millions en 2006.150

En 2006, les maisons éditrices espagnoles ont exporté en Amérique latine pour un

montant de 166 millions d‟euros dont 36% au Mexique et 13% en Argentine.151

Les

exportations en Amérique latine ont représenté 45,5% du total des exportations des

maisons éditrices espagnoles à l‟étranger : elles dépassent donc les exportations du

continent européen qui représentent 42,5%. Depuis plus de dix ans, le Mexique est le

principal exportateur de livres de l‟Espagne : en 2006, le montant de ses exportations

s‟est élevé à 66 millions d‟euros, devant la France (42 millions), l‟Italie (28 millions), le

Portugal (24 millions) et l‟Argentine (23 millions).152

Pourtant, le marché offre encore de

grandes possibilités puisque seuls 29,1% des importations de livres réalisées par les pays

latino-américains en 2004 provenaient d‟Espagne, alors que 24,3% venaient des Etats-

Unis.153

Toutefois, l‟Espagne est déjà en bonne place : c‟est le cinquième exportateur

mondial de livres avec 6,3% de participation dans le commerce international de l‟édition,

après le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l‟Allemagne et la Chine.

150

Fédération espagnole des chambres du Livre, Comercio exterior del libro 2006, Madrid, 2007, p.21. 151

Ibid., p.47. 152

Ibid., p.30. 153

Elisabet Sabartes, « EE.UU. amenaza el liderazgo de la edición española en América Latina », La Vanguardia,

04/12/2006, p.31.

Page 84

Le Groupe Santillana (qui fait partie du Groupe Prisa depuis l‟an 2000) est l‟une

des grandes maisons d‟édition espagnole implantées en Amérique latine. Par sa politique

de rachat d‟autres maisons d‟édition, le groupe Santillana touche désormais tous les

publics. Santillana s‟est principalement développé vers l‟Amérique latine et possède

plusieurs filiales dans chacun des pays latino-américains : le continent américain

représente 65% de ses revenus sur la vente des livres soit 303 millions d‟euros.154

Au

Mexique, le groupe possède cinq filiales : les sociétés Editorial Santillana, Editorial

Nuevo México, Richmond Publishing, Santillana Ediciones Generales et Punto de

Lectura. Santillana a également misé sur le Brésil en acquérant récemment trois grandes

maisons d‟édition brésiliennes, Editora Moderna, Salamandra et Editora Objetiva. Les

fruits de ces investissements sont parfaitement visibles : le Brésil est le pays où Santillana

a réalisé la plus grande vente en 2006 avec presque 40 millions d‟exemplaires vendus, un

chiffre bien plus grand que dans les pays hispanophones, avec 21 millions d‟exemplaires

au Brésil et 8,5 au Venezuela.155

Une autre chaîne privée espagnole a suivi la même expansion vers l‟Amérique

latine : Antena 3 en créant Antena 3 Internacional, la première chaîne espagnole créée

par une entreprise de télévision privée pour l‟Amérique hispanophone. Elle émet depuis

l‟Espagne pour l‟Amérique, en direct et est disponible à plus de 15 millions de personnes

dans dix-huit pays du continent américain. Cependant ce canal est marginal et le groupe

concentre ses efforts sur les chaînes espagnoles.

Toutes ces initiatives montrent bien que la coopération culturelle et éducative dont

se servent les entreprises publiques comme privées jouent un rôle de projection de

l‟Espagne dans tous les pays latino-américains. Cela provoque donc une dérive vers une

utilisation marchande de la puissance douce (soft power).

154

http://www.prisa.es/static/es/accionistas/memoria2005/grupo_prisa_web.swf 155

http://www.gruposantillana.com/cifras1.htm

Page 85

Section 2 – La Responsabilité Sociétale des Entreprises

Les entreprises utilisent de plus en plus des valeurs humanistes pour accroître leur

notoriété et servir leurs intérêts économiques. Cette logique diverge de celle exprimée

précédemment puisque les domaines culturel et social sont extérieurs à l‟activité de

l‟entreprise et sont utilisés comme un moyen d‟acceptation dans les pays où ces sociétés

sont installées. Ces firmes reprennent donc à leur compte toutes les avancées de la

diplomatie espagnole et son engagement dans la coopération en faisant mine d‟y

participer. Ainsi voit-on toutes les grandes firmes espagnoles en Amérique latine créer

des fondations pour améliorer les conditions de vie des populations locales. Ces

initiatives s‟inscrivent dans le cadre de la « Responsabilité Sociétale des Entreprises ». Il

s‟agit d‟un concept, datant des années 1970, qui implique la prise en compte par les

entreprises des préoccupations sociales, environnementales et économiques de leurs

activités. La Responsabilité Sociétale des Entreprises suppose également que les sociétés

doivent prendre des responsabilités vis-à-vis de leurs parties-prenantes internes et

externes (employés, clients, autorités publiques…). Bien que cette notion ne soit pas

nouvelle, elle est redevenue d‟actualité lors du Sommet de la Terre de Johannesburg en

2002 et elle est désormais très en vogue. Le gouvernement espagnol la soutient comme le

témoigne la création, au sein de la Fundación Carolina (financée au deux tiers par l‟Etat),

d‟une nouvelle branche intitulée Responsabilidad Social de las Empresas en 2004. Les

activités de ce nouveau programme consistent à mettre en œuvre des tables rondes

auxquelles participent toutes les entreprises du comité de parrainage pour les sensibiliser

à la coopération et leur permettre d‟échanger leurs expériences.

Il est intéressant de constater que chacune des grandes entreprises espagnoles

ayant massivement investi en Amérique latine a créé une fondation ou un fonds

spécifique qui lui permet d‟aider au développement des pays dans lesquels elles se sont

implantées.

Une entreprise a été le précurseur dans ce domaine. Il s‟agit de l‟entité bancaire

BBVA (Banco Bilbao Vizcaya Argentaria) qui a parrainé dès 1993 la Ruta Quetzal, créée

originellement par le Roi d‟Espagne en 1979 pour préparer les célébrations du cinquième

Centenaire de la Découverte de l‟Amérique. Ce programme culturel et éducatif organise

Page 86

chaque année la rencontre et le voyage à travers l‟Espagne et l‟Amérique latine des

meilleurs étudiants (300-400 jeunes) de chaque côté de l‟Atlantique pour renforcer l‟idée

de communauté ibéro-américaine. La firme BBVA le dit elle-même sur son site internet :

« avec ce programme, BBVA prétend montrer son engagement dans l‟éducation, la

jeunesse, la famille et l‟environnement. »156

Outre le parrainage, les entreprises choisissent désormais plus volontiers de créer

soit des fondations (internationales comme Telefónica ou nationales comme BBVA), soit

des programmes, dans lesquels apparaissent souvent les notions d‟engagement social, de

corporatisme ou de responsabilité. Ces initiatives sont apparues à la fin des années 1990

et au début des années 2000 à cause du contexte international qui les y incitait et des

problèmes d‟image rencontrés par ces entreprises en Amérique latine. L‟une des

premières fondations créées est celle de Repsol en 1995. Son objectif est de mener des

activités à caractère culturel, social, scientifique et éducatif. Plus précisément, elle s‟est

beaucoup investie pour former des enseignants et des étudiants à l‟université et donner

une impulsion aux études liées au pétrole, au gaz, à l‟électricité et à la pétrochimie.

Repsol a ensuite créé d‟autres fondations, la fondation YPF dont la mission est de

« contribuer à ce que l‟Argentine remplisse les conditions nécessaires pour participer

activement dans un monde porté par l‟intégration » en centrant ses efforts sur l‟éducation,

la recherche et la promotion sociale ainsi que la fondation Repsol YPF Ecuador. Cette

dernière a pour objectif de contribuer au développement social de l‟Equateur. En 2006,

les fondations de l‟entreprise Repsol ont réalisé quarante-trois projets pour un montant de

9,6 millions de dollars répartis à 78% dans la Fondation Repsol YPF, 20% dans la

Fondation YPF et 2% dans la Fondation Repsol YPF de l‟Equateur.157

D‟autre part, les

investissements de Repsol dans des programmes culturels et sociaux en Amérique latine

sont en pleine expansion : leur montant est passé de 5,7 millions d‟euros en 2004 à 11,8

millions en 2006, soit une augmentation de la part de l‟Amérique latine dans ce type

d‟investissements de 35 à 46%.158

Après Repsol, les autres grandes sociétés ont adopté la même démarche comme

Telefónica qui a créé sa fondation en mars 1998, puis installé des filiales de cette dernière

156

http://ws1.grupobbva.com/TLBB/tlbb/jsp/esp/respscor/rtaquetl/index.jsp 157

http://www.repsolypf.com/es_es/todo_sobre_repsol_ypf/responsabilidad_corporativa/compromiso_social/

nuestros_datos/ 158

Ibidem.

Page 87

dans sept pays latino-américains entre 1999 et 2005. L‟objectif de ces filiales est

d‟articuler l‟action sociale et culturelle de toutes les entreprises du groupe. Telefónica a

accordé une grande attention à sa fondation en créant plusieurs programmes bien définis.

Le premier est Proniño dont l‟objectif est l‟éradication du travail des enfants (leur

nombre s‟élève à 17 millions environ) et leur scolarisation. Le second, EducaRed, est

destiné à améliorer la qualité de l‟éducation grâce aux nouvelles technologies de

l‟information et de la communication et à favoriser ainsi l‟égalité des chances. Le

troisième, Fórum, propose de créer, d‟analyser et de diffuser la connaissance en utilisant

les technologies de l‟information. Le quatrième, Arte y Tecnología (Art et Technologie),

est chargé de la gestion du patrimoine artistique, historique et technologique du Groupe

et se sert de l‟Art comme d‟un outil d‟appui à l‟éducation. Et le dernier programme,

Voluntarios Telefónica, cherche à faire participer les employés du groupe dans les

différentes activités de l‟action sociale. En 2006, le budget de la Fondation Telefónica

s‟est élevé à 33 millions d‟euros dont ont principalement bénéficié EducaRed et Proniño

(9,6 et 4,7 millions d‟euros, respectivement).159

Cette somme est considérable et la

fondation est donc très active : 674 projets et initiatives ont été réalisés en 2006, 27.579

entités et 33,5 millions de personnes ont participé ou ont bénéficié directement de ces

actions. Le programme EducaRed à lui seul mobilise plus de 11.000 collèges soit

350.000 professeurs et 3,5 millions d‟élèves.

En revanche le groupe BBVA n‟a pas de projets transversaux mais des fondations

distinctes dans certains pays. Au Mexique et au Pérou, les Fondations BBVA Bancomer et

Banco Continental ont centré leur activité sur les domaines social, éducatif, artistique et

culturel. Au Venezuela, la Fundación BBVA Provincial se focalise sur l‟éducation et la

culture. En Argentine, la Fundación BBVA Banco Francés est axée sur le développement

des entreprises et des activités du secteur tertiaire, ainsi que la promotion de l‟art et de la

culture. Ces fondations ont bénéficié d‟un budget de 5 millions d‟euros en 2006, dont

92% était destiné à la fondation mexicaine. Ce budget global a considérablement

augmenté puisqu‟il était de 3,3 millions en 2004. D‟autre part, le groupe BBVA mène

d‟autres actions et programmes en Amérique latine, indépendamment de ses fondations.

En 2006, le groupe a dépensé 6,2 millions d‟euros dans des actions éducatives, sociales,

159

Resumen Informe Anual Fundación Telefónica 2006, p.11.

Page 88

culturelles et environnementales. Cet engouement est cependant nouveau car cette

somme ne s‟élevait qu‟à 1,6 millions en 2004.160

Au-delà des fondations dont il est tout de même difficile d‟évaluer l‟impact réel,

les grandes entreprises essaient d‟être présentes au quotidien dès que survient une

catastrophe. Les derniers mois nous ont fourni un parfait exemple avec le violent

tremblement de terre qui a secoué le Pérou le 15 août 2007 à proximité de Pisco, ville

peuplée de 130.000 habitants. Devant l‟ampleur de la catastrophe qui a fait plus de 500

morts et laissé près de 90.000 familles délogées, les firmes espagnoles ont très vite

répondu à l‟appel. BBVA a ouvert un compte de 300.000 dollars pour les « Victimes du

séisme du Pérou » et a fait un appel aux dons en spécifiant que le groupe ne prendrait pas

de commissions sur les virements bancaires à destination du Pérou. De plus, une banque

locale appartenant au groupe BBVA, Banco Continental de Perú, a ouvert trois comptes

pour collecter des fonds pour les personnes affectées par le tremblement de terre et a

même mis à leur disposition des ressources économiques immédiates. Elle a apporté sa

participation sur le terrain en installant des abris pour récolter des vivres et de l‟eau et a

aidé des organismes de santé à organiser des collectes de sang. Enfin, elle s‟est engagée à

faciliter l‟obtention de crédits pour financer la reconstruction des habitats détruits. Toutes

les filiales de BBVA en Amérique latine ont elles-aussi ouvert des comptes pour aider les

personnes sinistrées.

L‟entité bancaire Santander a également fait un geste par le biais de sa compagnie

de transfert de fonds Latinoenvíos en exécutant à titre gracieux les virements de

l‟Espagne vers le Pérou. Pour chaque virement, Santander a placé deux euros sur un

compte destiné aux personnes affectées par le séisme. De plus, la filiale Santander Perú a

fait un don de 100.000 dollars pour la reconstruction des maisons des personnes sans

ressources et a envoyé des colis contenant des couvertures, de l‟eau et des aliments pour

les habitants de la ville de Pisco.

Pour sa part, la fondation Telefónica a fait un don de trois millions de dollars et

signé un accord avec la Croix Rouge et la Fédération Internationale des Sociétés de la

160

BBVA, Informe Anual de Responsabilidad Corporativa 2006, p.111.

Page 89

Croix Rouge et du Croissant Rouge pour apporter son aide lors des missions d‟assistance

aux personnes sinistrées. La firme a également mis en place dans toutes ses filiales des

comptes spéciaux pour faciliter les dons. La filiale de Telefónica, Movistar, a mis en

marche un système de SMS, « Movistar Solidario », dont les recettes étaient destinées à

deux Organisations Non Gouvernementales (ONG), Ayuda en Acción et Save the

Children, présentes dans les zones sinistrées.

Enfin, la banque catalane La Caixa a proposé à ses clients de transformer leurs

points bonus en dons : 3,8 millions d‟euros ont ainsi été recueillis et répartis dans plus de

vingt ONG.

Ces démarches ne sont pas innocentes et servent de relais et de vitrine aux

investissements. Il s‟agit d‟une manœuvre des entreprises pour se faire accepter et

montrer leur intérêt pour les populations locales. Mais au-delà de ces initiatives, la

nationalité de ces firmes rejaillit et l‟image de l‟Espagne en bénéficie.

Page 90

CONCLUSION

Les relations entre l‟Espagne et l‟Amérique latine sont, nous l‟avons vu, très fortes

et nombreuses. Au-delà des composantes des puissances douce ou coercitive (soft et hard

powers), d‟autres éléments entrent en jeu pour la création de liens solides : l‟immigration

est l‟un d‟entre eux. L‟Espagne étant le seul pays développé avec lequel les pays latino-

américains partagent la même langue, il n‟est en effet pas rare de voir des familles dont

les membres vivent de part et d‟autre de l‟Océan Atlantique. Ces attaches, qui relèvent

davantage de l‟affectif, créent des liens interpersonnels. Elles jouent un rôle non

négligeable dans cette reconquête et expliquent en partie pourquoi les Latino-américains

ont laissé l‟Espagne prendre un tel poids dans leur région. Par conséquent, l‟Espagne

reste, dans l‟esprit des Latino-américains, la mère patrie et il est très intéressant

d‟observer qu‟à chaque crise, les Latino-américains ont le réflexe, presque conditionné,

de se rendre en Espagne. Ce fut par exemple le cas lors de la crise argentine de 2001. Si

l‟on compare les chiffres des Annuaires Statistiques de l‟Immigration de 1998 et 2002161

,

les chiffres sont flagrants : le nombre de résidents argentins en Espagne est passé de

17.000 à 28.000 et le nombre de visas accordés à des Argentins de 2.000 à 9.000.

De plus, chaque fois qu‟un visa est imposé pour entrer dans l‟Union Européenne,

cela constitue un drame pour le pays latino-américain en question. Après le Pérou, la

République Dominicaine et la Colombie, la Bolivie est le dernier pays d‟Amérique latine

à s‟être vu imposer un visa le 1er avril 2007. Un an avant l‟application de cette décision

européenne, le nombre de Boliviens à voyager vers l‟Europe et celui des vols réalisés par

les compagnies aériennes ont considérablement augmenté (de deux vols hebdomadaires à

environ trois vols quotidiens). En mai 2006, 5.000 personnes de nationalité bolivienne

avaient atterri à l‟aéroport madrilène de Barajas et, à la fin de l‟année, 110.000 Boliviens

avaient voyagé en Espagne (d‟après les chiffres du Consulat espagnol de La Paz). En

conséquence, si en 2002, 13.517 Boliviens résidaient en Espagne, ils étaient déjà 139.802

161

Anuario Estadístico de Extranjería 1998, Comisión Interministerial de Extranjería.

Anuario Estadístico de Extranjería 2002, Ministerio del Interior, Delegación del Gobierno para la Extranjería y la

Inmigración.

Page 91

en 2006, sans compter tous les immigrants non déclarés.162

Cet effet d‟appel montre à

quel point l‟attrait pour l‟Espagne, et l‟Europe en général, est puissant. Lors du Sommet

Ibéro-américain de Montevideo en 2006, le Gouvernement espagnol avait annoncé à

demi-mot la possible mise en place d‟un visa pour les Argentins. L‟Argentine avait été

très choquée par une telle annonce et, en quelques heures, les prémisses d‟une crise

s‟étaient fait ressentir. Finalement, cette information avait été démentie. Une telle

réaction est tout à fait représentative : les Latino-américains veulent avoir la possibilité

d‟aller en Espagne et prennent très mal des mesures qui rendraient difficile leur venue

dans la mère-patrie. Cela est d‟autant plus critiqué que les pays d‟Amérique latine n‟ont

posé aucune barrière à la venue massive d‟Européens à la fin du XIXème siècle et au

début du XXème siècle.163

Ces mécanismes expliquent pourquoi l‟Espagne représente la deuxième

destination de l‟émigration latino-américaine dans le monde, derrière les Etats-

Unis. Depuis les années 1990, l‟immigration des pays latino-américains vers l‟Espagne

s‟est considérablement accrue. Selon le Ministère espagnol de l'Intérieur, le nombre

d'immigrés latino-américains en Espagne a plus que quintuplé de 1995 à 2003, passant de

92.642 à 514.485. En 2006, plus d‟un million de Latino-américains sont recensés en

Espagne, ce qui représente 35% des immigrants étrangers vivant en Espagne : les

Equatoriens et les Colombiens sont, après les Marocains, les deux communautés les plus

présentes en Espagne (soit 20% des immigrés).164

Or ces chiffres ne prennent pas en

compte les immigrés clandestins dont le nombre est évalué par des organisations

humanitaires à environ un million.

Inversement, les enquêtes d‟opinion de 1997 et 2002 montrent que les Espagnols

pensent que les Latino-américains s‟adaptent mieux que les immigrants d‟autre

provenance grâce à la langue commune et aux similarités culturelles et religieuses.

Longtemps terre d‟émigration, l‟Espagne est désormais en plein boom économique et a

besoin de main d‟œuvre pour continuer à se développer. Il y a donc une sorte

d‟interdépendance qui s‟est instaurée entre les deux régions. De plus, du fait du grand

162

Ana Del Barrio, « Miles de bolivianos colapsan las oficinas de Migración para llegar a España », El Mundo,

Madrid, 18/03/2007, p.26. 163

On estime que 5,8 millions d‟Européens se sont rendus en Argentine entre 1871 et 1914 et que 3,3 millions y

sont restés définitivement. Par conséquent, en 1914, les étrangers représentaient 43% de la population argentine. 164

Anuario Estadístico de Inmigración 2006, Ministère du Travail et des Affaires sociales, Secrétariat d‟Etat de

l‟Immigration et de l‟Emigration.

Page 92

nombre d‟immigrants latino-américains ayant la nationalité espagnole, l‟Amérique latine

intervient de plus en plus dans l‟agenda espagnol interne et fait partie du débat politique

quotidien.

Cette interdépendance entre l‟Espagne et l‟Amérique latine prend également

d‟autres formes, indépendamment des flux migratoires. L‟immigration latino-américaine

est porteuse d‟une composante économique croissante : les remesas ou transferts de

revenus vers les pays d'origine. L‟Espagne est la deuxième source mondiale des remesas

et la première en Europe. Leur volume a presque triplé ces cinq dernières années et

dépasse pour la première fois le seuil des 7 milliards d‟euros en 2007, alors qu‟elles

atteignaient 2,8 milliards en 2002. Environ 70% des remesas ont pour destination

l‟Amérique latine constituant par là-même le principal flux économique net de l‟Espagne

vers l‟Amérique latine. Ces fonds ont une importance capitale pour les économies des

pays latino-américains : ils représentent environ 70% des investissements directs

étrangers et dépassent de cinq fois l‟aide publique au développement.165

Dans certains

pays, les remesas forment même une partie non négligeable de leur produit intérieur brut

(PIB) : 16% du PIB du Honduras et 15% du PIB du Salvador (chiffres de 2005).

Mais bien que les liens économiques et humains entre l‟Espagne et l‟Amérique

latine soient très forts, des sources d‟inquiétude existent des deux côtés de l‟Atlantique.

Du côté de l‟Europe, l‟élargissement de l‟Union Européenne engendre une

certaine appréhension. Cela a des conséquences sur la compétitivité des pays latino-

américains car l‟UE recourt toujours plus à ses voisins immédiats pour satisfaire sa

demande croissante d‟exportation. Toutefois les avis divergent sur les conséquences que

cela pourra entraîner sur les relations interrégionales de l‟UE. L‟élément le plus

problématique reste néanmoins celui de la Politique Agricole Commune (PAC) qui

comprend des dispositions de caractère nettement protectionniste, tels que les

prélèvements, les quotas et les subventions à l‟exportation. Les pays d‟Amérique latine

s‟opposent donc à la PAC qu‟ils considèrent comme un obstacle à la pénétration du

165

“Tercer encuentro iberoamericano sobre remesas de emigrantes, La regulación y El papel de las Comunidades

Autónomas,” Conférence du 16 février 2007 organisé par Remesas.org et l‟Organisation des Etats Ibéro-américains,

Madrid.

Page 93

marché européen. De plus, l‟élargissement de l‟Union Européenne a donné lieu à des

modifications additionnelles du commerce intra-européen et a libéralisé complètement le

commerce agricole au sein de l‟Union agrandie. Ces changements sont donc encore plus

pénalisants pour les pays latino-américains qui réclament une réforme de la PAC.

Du côté espagnol, l‟on voit progressivement apparaître un certain détachement à

l‟égard de l‟Amérique latine. Le Baromètre 2006 sur « l‟Amérique latine et la

coopération au développement dans l‟opinion publique espagnole » réalisé par le Centre

d‟Investigations Sociologiques (CIS) et la Fundaciñn Carolina166

montre que l‟Amérique

latine n‟est plus la priorité des Espagnols (cf Annexe n°5). Dans le cadre de la politique

extérieure, ils estiment à 71% que l‟intégration européenne est plus importante que les

relations avec l‟Amérique latine qui n‟ont été citées que par 32% des personnes

interrogées. De plus, malgré une identification affective avec l‟Amérique latine, les

Espagnols ont désormais le sentiment d‟être Européens : ils considèrent avoir plus de

similitudes et d‟intérêts communs avec l‟Europe qu‟avec l‟Amérique latine ce qui est un

changement très important. Enfin, l‟Amérique latine n‟éveille plus qu‟un intérêt

secondaire et se retrouve à la cinquième place des régions dont les informations

quotidiennes intéressent les Espagnols derrière l‟Union Européenne, l‟Afrique du Nord,

les Etats-Unis et le Moyen Orient.

Du côté latino-américain, la région cherche de plus en plus à garantir son

indépendance et à trouver de nouveaux partenaires commerciaux. D‟une part, les pays

latino-américains tentent de s‟allier les uns avec les autres par des accords commerciaux.

Depuis 1999, plusieurs pays ou groupements de pays ont signé ce genre de traités : le

Chili a, par exemple, signé des accords avec le Mexique (1999), l‟Amérique Centrale

(2002) et le Pérou (2006). Les pays d‟Amérique Centrale ont aussi ratifié de nombreux

accords avec des pays tiers - la République Dominicaine (2002), le Mexique (2000) - et

entre eux - le Panama avec El Salvador (2002) et le Honduras (2002)-. Cette liste, non

exhaustive, témoigne de la volonté des pays latino-américains de profiter des avantages

166

Barñmetro 2006 “América Latina y la cooperaciñn al desarrollo en la opiniñn pública espaðola”, Fundaciñn

Carolina / Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS), Madrid, noviembre 2006.

Page 94

naturels de leur proximité géographique en ouvrant de nouveaux marchés d‟exportation

et également en facilitant la restructuration et la diversification de leurs économies. Afin

d‟être plus unis, Cuba et le Venezuela ont créé l‟Alternative bolivarienne pour les

Amériques (ALBA) en 2005, à laquelle se sont rattachés ensuite la Bolivie, le Nicaragua

et la République Dominicaine. Fondée sur des principes de solidarité, de coopération et

de réciprocité, cette organisation entend constituer une alternative d‟intégration régionale

au projet de Zone de libre échange des Amériques (ZLEA) promu par Washington.

L‟ALBA a proposé des initiatives telles que la construction d‟un Gazoduc du Sud (reliant

l‟Argentine au Venezuela), la création d‟une monnaie unique ou celle d‟une alliance

militaire. Certaines propositions ont même vu le jour comme TeleSUR, une chaîne de

télévision qui fournit une information latino-américaine échappant aux standards des

télévisions privées et à l‟influence médiatique venue du Nord, et la Banque du Sud. El

Banco del Sur, créé en novembre 2007, est le premier projet chaviste d‟envergure

régionale qui voit le jour. Cette banque de développement, à laquelle participent six pays

sud-américains (le Venezuela, la Bolivie, l‟Argentine, le Brésil, le Paraguay et

l‟Uruguay), se veut une alternative aux financements des organismes multilatéraux de

crédits traditionnels comme la Banque Mondiale et la Banque Interaméricaine de

Développement (BID). Elle devrait bénéficier d‟un capital de 5 milliards d‟euros ; les

crédits ne pourront être accordés qu‟à des pays d‟Amérique du Sud renforçant ainsi

l‟autonomie financière des pays sud-américains et leurs entreprises.167

D‟autre part, les pays latino-américains cherchent aussi à se rapprocher de leurs

voisins du Nord, les Etats-Unis et le Canada. Récemment, les Etats-Unis ont signé des

accords de libre échange avec le Chili (2004), le Pérou (2006), l‟Amérique Centrale168

et

la République Dominicaine (2006), le Panama (2006) et la Colombie (2008).169

Enfin,

l‟Uruguay et les Etats-Unis ont signé un traité d‟échange commercial (Trade Investment

Framework Agreement) en 2007. Le Canada a également signé un accord de libre

échange avec le Costa Rica en 2002. De plus, l‟Organisation des États américains (OEA),

qui réunit tous les pays du continent américain, exerce un poids et une influence non

négligeable sur l‟Amérique latine.

167

Fernando Gualdoni, « Siete países fundan el Banco del Sur », El País, Madrid, 10/10/2007. 168

Costa Rica, Guatemala, El Salvador, Honduras, Nicaragua. 169

Sous condition de ratification par le Congrès américain.

Page 95

Les pays latino-américains s‟ouvrent aussi à d‟autres pays et régions ce qui suscite

des inquiétudes pour l‟Union Européenne et les Etats-Unis. La Chine est de plus en plus

présente en Amérique latine et a fait de cette région la quatrième priorité de sa politique

étrangère (derrière la zone Pacifique, l‟Europe et l‟Afrique). Son intérêt est très marqué :

la Chine a considérablement augmenté ses relations commerciales avec les pays latino-

américains, elle y a investi presque un milliard de dollars par an ces dernières années et a

obtenu le statut d‟observateur dans l‟Organisation des Etats Américains (OEA). De plus,

le gouvernement chinois a mis en œuvre des mécanismes de dialogue avec le Mercosur et

la Communauté Andine (CAN), ainsi qu‟un Forum Chine-Amérique latine.170

Dès 2002,

la Chine a pris la place du Japon et est devenue le premier partenaire commercial de

l‟Amérique latine en Asie (cf Annexe n°6). Dans le cadre des relations commerciales,

« entre 1994 et 2003, la part de la Chine dans le marché des importations latino-

américaines est passée de 1 à 4,5%. »171

Les exportations de la région (principalement le

Brésil, le Chili et l‟Argentine) vers la Chine ont dépassé 19 milliards de dollars en 2005,

soit 3,5% des exportations totales.172

Par ailleurs, la Chine a signé des alliances

stratégiques avec l‟Argentine, le Brésil, le Mexique et le Venezuela et un traité de libre-

échange avec le Chili en 2006. Elle a également signé des accords de protection des

investissements avec l‟Argentine, la Bolivie, le Chili, Cuba, l‟Equateur, le Pérou et

l‟Uruguay et des accords de tourisme avec six pays latino-américains (l‟Argentine, le

Brésil, le Chili, Cuba, le Mexique et le Pérou).173

Outre la Chine, c‟est avec l‟ensemble

des pays asiatiques de l‟APEC que les trois pays latino-américains membres de cette

organisation (le Chili, le Pérou et le Mexique) veulent accroître leurs échanges

commerciaux et de nombreux traités sont en préparation. En 2008, la Colombie, le Costa

Rica, l‟Equateur, le Salvador et le Panama devraient demander leur incorporation à

l‟APEC : si tel était le cas, les pays latino-américains porteraient donc plus leur regard

vers le Pacifique que l‟Atlantique. Par conséquent, les relations commerciales avec

l‟Espagne pourraient en souffrir. Cette hypothèse semble également renforcée par le

comportement du deuxième géant démographique asiatique. L‟Inde a elle aussi signé des

170

Carlos Malamud, « Los actores extrarregionales en América Latina (I): China », Real Instituto Elcano, Document

de Travail Nº 50/2007, 13/11/2007. 171

BID, Integración y comercio en América, Nota periódica de Mayo 2004, p.26. 172

CEPAL, Osvaldo Rosales et Mikio Kuwayama, América Latina y China e India : hacia una nueva alianza de

comercio e inversion, Santiago du Chili, janvier 2007, pp.33-34. 173

Ibid., p.46.

Page 96

accords avec des pays latino-américains (le Chili, le Mercosur et le Brésil) et l‟initiative

IBSA (Inde, Brésil, Afrique du Sud) constitue une autre menace pour l‟Espagne qui tente

de plus en plus de s‟impliquer au Brésil. En 2003, la Déclaration de Brasilia a formalisé

la création du forum de dialogue IBSA. L‟objectif de ce rapprochement est de créer un

ensemble d‟économies du Sud qui permette à ces trois pays d‟augmenter leur visibilité et

leur poids de décision dans le cadre des institutions traditionnellement dominées par les

grandes puissances. L‟Espagne peut donc craindre de voir le Brésil parler de plus en plus

aux noms des pays latino-américains dans les grandes institutions mondiales. L‟Inde, le

Brésil et l‟Afrique du Sud veulent s‟aider les uns les autres à se développer et ces trois

pays ont signé plusieurs documents visant à renforcer leur coopération dans les secteurs

les plus importants : le commerce, le transport, l‟énergie (principalement alternative :

biocarburant et énergie solaire) et le secteur social (projets en Guinée Bissau et en Haïti,

coopération dans la lutte contre le virus du sida). Grâce à tous ces accords, le commerce

trilatéral a augmenté de 2 milliards de dollars à 4,3 milliards entre 2003 et 2006.174

Mais un autre élément est plus inquiétant : le rapprochement de certains pays

latino-américains avec des pays dont les pratiques démocratiques posent problème. Le

président vénézuélien suscite des inquiétudes : ses visites en Biélorussie et en Russie en

2007 ont abouti à l‟achat de matériel militaire (des systèmes de défense anti-aériens pour

720 millions d‟euros en Biélorussie et cinq sous-marins russes). Mais le cas de l‟Iran est

encore bien plus préoccupant. Depuis l‟élection de Mahmoud Ahmadinedjad, les liens

entre l‟Iran et l‟Amérique latine se sont considérablement renforcés, notamment grâce à

la médiation d‟Hugo Chávez qui voit en lui un partenaire au sein de l‟OPEP et dans sa

lutte contre « l‟impérialisme américain ». En deux ans, les deux présidents se sont vus

plus de dix fois et H. Chávez s‟est déplacé quatre fois en Iran. Leurs rencontres ont

abouti à la signature de plus de 150 accords de tout type d‟une valeur supérieure à 20

milliards de dollars.175

Bien que ces accords soient rarement concrétisés, il est important

de voir à quel point les relations diplomatiques se sont intensifiées entre l‟Iran et

l‟Amérique latine depuis la présidence de M. Ahmadinedjad. Le président iranien a

trouvé dans cette région de nouveaux alliés diplomatiques soutenant sa politique de

174

John de Sousa Sarah-Lea, India, Brasil, Sudáfrica (IBSA) ¿Un nuevo tipo de multilateralismo interregional del

Sur ?, FRIDE, avril 2007. 175

Carlos Malamud et Carlota García Encina, Los actores extrarregionales en América Latina (II): Irán, Real

Instituto Elcano, Analyse Nº 124/2007, 26/11/2007.

Page 97

développement nucléaire, ce qui lui a permis de rompre l‟isolement international auquel

il était contraint. En effet, en plus de Cuba et du Venezuela, M. Ahmadinedjad a reçu le

soutien des présidents nicaraguayen et bolivien en 2007 qui appuient tous deux le projet

bolivarien mené par H. Chávez. L‟Iran a souhaité renforcer ces liens et a signé de

nouveaux accords et soutenu des projets avec ses deux nouveaux partenaires latino-

américains. Outre les pays sus mentionnés, Téhéran a signé des Mémorandums d‟Entente

dans différents domaines commerciaux avec le Mexique et avec le Brésil qui a organisé

le premier sommet Amérique du Sud – Ligue arabe en mai 2005. L‟Iran continue

cependant de mener des actions en direction des pays d‟Amérique latine en organisant le

premier Congrès International de la Littérature Latino-américaine sur son territoire et en

ouvrant à nouveau ses ambassades dans la plupart des pays latino-américains en 2007.

Tous ces éléments sont effectivement porteurs de préoccupation et nécessiteraient

de plus amples examens. Toutefois, l‟Espagne a durablement pris place en Amérique

latine et a saisi, dès les années 1980, les opportunités qui se présentaient à elle.

Finalement, il est frappant de constater que la célébration du Cinquième Centenaire de la

Découverte de l‟Amérique est à l‟origine d‟une nouvelle conquête de l‟Amérique latine.

L‟Espagne a su profiter d‟une conjoncture favorable marquée, de part et d‟autre de

l‟Atlantique, par la mise en œuvre de processus démocratiques et par des réformes

structurelles. Très vite, grâce aux Conférences Ibéro-américaines des Commissions

Nationales Cinquième Centenaire, le gouvernement espagnol a réussi à donner de la

consistance à la Communauté Ibéro-américaine des Nations et à unir solidement

l‟Espagne à l‟Amérique latine. Cette identité ibéro-américaine commune qui s‟ajoute aux

liens historiques et culturels hérités du temps des colonies est précisément ce qui permet

à la relation entre ces deux régions d‟être unique et inimitable. Ainsi, malgré la

domination américaine sur l‟ensemble du continent américain durant le XXème siècle,

ces liens sous-jacents ont resurgi très rapidement dès la reprise d‟influence espagnole.

Cependant, cette histoire commune n‟est pas uniquement porteuse d‟éléments positifs,

d‟où la crainte des pays latino-américains de voir un trop fort interventionnisme espagnol

dans la région. Cela est très visible dans l‟évolution des Sommets Ibéro-américains : la

plupart des pays d‟Amérique latine étaient réticents à leur création, mais le gouvernement

espagnol a su doser son intervention pour faire accepter ces Sommets. Les pays latino-

Page 98

américains n‟en sont pas moins restés vigilants et cette réticence a rejailli dès que le

gouvernement de JM.Aznar a fait preuve de tentation hégémonique. Au sein des relations

économiques, ces tensions sont encore plus visibles. Les entreprises espagnoles qui ont

massivement investi dans les pays latino-américains jusqu‟à prendre le pouvoir de

secteurs entiers ont fait l‟objet de vives reproches de la part des populations locales

comme des dirigeants. Le pouvoir économique est perçu comme l‟emblème de la

colonisation moderne ; c‟est pourquoi les agissements de ces entreprises sont vivement

reprochés à l‟Espagne.

L‟Espagne a donc dû trouver des moyens moins perceptibles pour renforcer son

influence en Amérique latine et peser sur les décisions. Par ses actes, elle renvoie une

image de pays moderne, défendant les droits de l‟homme, le pluralisme, la coopération, la

créativité, l‟innovation ; et elle en retire par là-même des bénéfices en termes d‟image, de

prestige et d‟influence. La coopération culturelle et éducative révèle les ambigüités de

telles actions : par exemple, derrière la lutte contre l‟analphabétisme transparaît aussi la

volonté de promouvoir l‟espagnol et de contribuer à accroître son poids au niveau

international. Ce phénomène apparaît d‟autant plus dans la maîtrise des canaux de

diffusion et la volonté des entreprises espagnoles publiques comme privées de contrôler

les flux d‟information. Cela permet à l‟Espagne de transmettre des informations qui sont

préalablement passées dans le prisme de la vision espagnole. Cette puissance douce est

peu décelable et concourt grandement à la reconquête de l‟Amérique latine. En effet, la

force de cette reconquête réside précisément dans son aspect continu et global : la

puissance qu‟elle utilise est aussi bien douce que coercitive et se manifeste dans des

domaines variés comme la diplomatie, l‟économie, le commerce, la coopération, les

médias et bien d‟autres.

L‟Amérique latine représente donc beaucoup plus que d‟anciennes colonies. La

reprise de l‟influence de l‟Espagne dans cette région constitue aussi un moyen pour le

pays de prendre plus de poids dans l‟Union Européenne et sur la scène internationale. Sa

double appartenance de l‟Espagne aux identités ibéro-américaine et européenne est par

conséquent capitale. Dans ses relations avec l‟Amérique latine, l‟Union Européenne suit

globalement la stratégie espagnole ; elle agit donc comme un amplificateur et un

complément de l‟action de l‟Espagne dans la région. Par ailleurs, l‟Union Européenne

Page 99

représente parfois un frein : elle impose à l‟Espagne une certaine conduite qui peut

aboutir à délaisser ou désavantager le sous-continent américain. Toutefois, l‟Amérique

latine a rempli son rôle en faisant de l‟Espagne le pont entre les deux continents.

Finalement, cette nouvelle conquête obéit au même motif qu‟en 1492 : avoir une

plus grande influence dans le monde. Mais l‟Espagne a beaucoup changé depuis : elle

n‟est plus seulement dans une posture de conquérant. Consciente des enjeux actuels, elle

sait que son destin fondé sur de solides interdépendances est lié à celui de l‟Amérique

latine. De son côté, l‟Amérique latine connaît désormais son potentiel et n‟est plus à la

merci de l‟Espagne : elle développe de nouvelles alliances avec des pays tiers pour

garantir son indépendance. Les échanges sont désormais plus équilibrés.

La reconquista est donc bien effective ; elle est toutefois moins exclusive que par

le passé. Le risque est qu‟elle soit de ce fait beaucoup moins pérenne.

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EuropeAid, Rapport annuel 2007 sur la politique de développement de la

Communauté Européenne et la mise en œuvre de l’aide extérieure en 2006,

Bruxelles, 164 p.

Eurostat /Union Européenne, European Union foreign direct investment yearbook

2006, Luxembourg, 2006, 137 p.

Ministère de l‟Industrie, du Tourisme, et du Commerce, Secrétariat d‟Etat au

Tourisme et au Commerce, Informe trimestral de Comercio Exterior, Tercer

trimestre de 2007, Madrid, 22 p.

UNCTAD (United Nations Conference on Trade and Development - Conférence

des Nations Unies sur le commerce et le développement), Informe sobre el

Comercio y Desarrollo, Genève, 2001.

Rapports annuels des grandes entreprises espagnoles : Telefónica, Repsol, BBVA,

Santander, Endesa, Iberdrola, Grupo Prisa.

Resumen Informe Anual Fundación Telefónica 2006, 52 p.

BBVA, Informe anual de Responsabilidad Corporativa 2006, 156 p.

Conférences :

Séminaire International « Amérique Latine et Caraïbes : Sortir de l‟impasse de la

dette et de l‟ajustement », intervention de BUSTER Gustavo, La Unión Europea y

América Latina: inversiones, estrategias empresariales y partenariado

transatlántico, Bruxelles, mai 2003, 15 p.

Premier Forum International sur les Affaires Internationales des Gouvernements

Locaux (Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération), intervention de

CANO Carlos, Cooperación internacional decentralizada : el caso de España,

2006, 17 p.

Conférence REAL (Relations Europe-Amérique latine), intervention de FRERES

Christian, La política española hacia América Latina. El papel de la cooperación

al desarrollo, Bratislava (Slovaquie), 29-30/06/2005.

Rencontre économique luso-espagnole, intervention de MALO DE MOLINA José

Luis, Los efectos de la entrada de España en la Comunidad Europea, Lisbonne,

15-16/10/2001, 30 p.

Tercer encuentro iberoamericano sobre remesas de emigrantes, La regulación y

El papel de las Comunidades Autónomas, organisé par Remesas.org et

l‟Organisation des Etats Ibéro-américains (OEI), Madrid, 16/02/2007.

Presse :

El País

El Mundo

ABC

Expansión

Cinco Días

El Periódico de Catalunya

La Vanguardia

La Jornada

Sites Internet:

Site Internet de l‟Agence Espagnole de la Coopération Internationale : www.aeci.es

Site Internet de la Présidence du Gouvernement : www.la-moncloa.es

Site Internet du Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération : www.maec.es

Site Internet du Ministère de l‟Industrie, du Tourisme et du Commerce : www.mityc.es

Site Internet du Secrétariat Général Ibéro-américain : www.segib.org

Site Internet sur l‟Ibéro-Amérique : www.ciberamerica.org

Site Internet de l‟Organisation des Etats Ibéro-américains : www.oei.es

Site Internet de l‟Union Européenne : http://europa.eu/index_fr.htm

Sites Internets des Think Tanks :

- Real Instituto Elcano : www.realinstitutoelcano.org/wps/portal

- FRIDE : www.fride.org

- GEES : www.gees.org

- Cidob : www.cidob.org

- FAES : www.fundacionfaes.org/index.asp

ANNEXES

Annexe n°1 - Liste des entretiens et conférences

Annexe n°2 - La perception des privatisations en Amérique latine

Annexe n°3 - Répartition géographique de l‟aide au développement espagnole

Annexe n°4 - Enquête d‟opinion : les aires géographiques prioritaires pour la

coopération espagnole

Annexe n°5 - Enquête d‟opinion : l‟Amérique latine n‟est plus la priorité des

Espagnols.

Annexe n°6 - Augmentation des flux commerciaux entre la Chine et

l‟Amérique du Sud.

ANNEXE n°1

Liste des entretiens et conférences

Entretiens :

Avril 2007 : Entretien avec le Directeur des Relations Internationales de

l‟agence EFE, Juan María Calvo Roy, pour discuter du rôle de

l‟Agence en Amérique latine.

Mai 2007 : Entretien avec Anne Suard, Deuxième Conseillère de

l‟Ambassade de France spécialisée dans l‟Amérique latine, sur

l‟aide au développement et les relations diplomatiques entre

l‟Espagne et l‟Amérique latine.

03 juillet 2007 : Entretien avec Serge Fohr du service culturel de l‟Ambassade

de France en Espagne sur le thème de la coopération culturelle

espagnole en Amérique latine

19 juillet 2007 : Entretien avec Antonio García Ferrer, Membre Conseiller du

Cabinet Technique de l‟AECI, pour évoquer les mécanismes de

l‟aide au développement espagnole en Amérique latine.

19 juillet 2007 : Entretien avec Jaime Atienza Azcona, Responsable du

Programme Relations Economiques, du Centre d‟Etudes pour

l‟Amérique latine et la Coopération Internationale (CeALCI)

de la Fundación Carolina.

2007 : Entretiens à plusieurs reprises avec Cristian Font Calderón,

directeur de la Tribune américaine de la Casa de América, sur

le rôle de la Casa de América et les relations hispano-latino-

américaines.

Conférences :

12 septembre 2006 : Conférence sur les 10 ans de la signature de la paix au

Guatemala à la Casa de América avec Juan Pablo de la Iglesia,

ex-ambassadeur d‟Espagne au Guatemala et actuel directeur de

l‟Agence Espagnole de la Coopération Internationale pour le

développement.

30 octobre 2006 : Conférence de Trinidad Jiménez, Secrétaire d‟Etat pour l‟Ibéro-

Amérique, organisée par Nueva Economía Forum.

02 novembre 2006 : Conférence de Marco Vinicio Ruiz, Ministre du Commerce

extérieur du Costa Rica, organisée par Nueva Economía Forum.

05 décembre 2006 : Conférence de José Manuel Zelaya Rosales, Président de la

République du Honduras, organisée par Nueva Economía

Forum.

16 février 2007 : Tercer encuentro iberoamericano sobre remesas de

emigrantes, La regulación y El papel de las Comunidades

Autónomas, conférence organisée par Remesas.org et

l‟Organisation des Etats Ibéro-américains (OEI).

25 avril 2007 : Conférence de Lenín Moreno Garcés, le Vice-président de

l‟Equateur, organisée par la Casa América.

ANNEXE n°2

La perception des privatisations en Amérique latine

LES PRIVATISATIONS ONT ETE BENEFIQUES POUR LE PAYS AMERIQUE LATINE 1998-2007

Question : Etes-vous d’accord avec l’affirmation : « les privatisations des entreprises nationales ont été bénéfiques pour le pays » ? (% de réponses positives)

Source : Latinobarómetro 1998-2007

Question : Etes-vous d’accord avec l’affirmation : « les privatisations des entreprises nationales ont été bénéfiques pour le pays » ? (% de réponses positives)

Source : Latinobarómetro 1998-2007

ANNEXE n°3

Répartition géographique de

l’aide au développement espagnole

Répartition de l’APD bilatérale espagnole en Amérique latine et en Afrique (1989-2006). En pourcentage.

Source : Seguimiento PACI 2002, 2004, 2006

ANNEXE n°4

Enquête d’opinion : les aires géographiques prioritaires pour la

coopération espagnole

Les aires géographiques prioritaires pour la coopération espagnole

Selon vous, sur quelle région la coopération espagnole devrait-elle se concentrer dans un premier lieu ? Et dans un second lieu ?

Source : « Barómetro 2006 “América Latina y la cooperación al desarrollo en la opinión pública española” », Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS)/ Fundación Carolina, 2006.

ANNEXE n°5

Enquête d’opinion :

l’Amérique latine n’est plus une priorité pour les Espagnols

Les priorités en politique étrangère

Pourcentage de personnes interrogées qui estiment que les deux objectifs les plus importants pour l’Espagne sont…

(MULTI-REPONSES)

Source : « Barómetro 2006 “América Latina y la cooperación al desarrollo en la opinión pública española” », Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS)/ Fundación Carolina, 2006.

Les affinités et les intérêts de l’Espagne

Avec qui croyez-vous que l’Espagne a le plus de similitudes : avec les pays de l’Union Européens ou avec ceux de l’Amérique latine ?

Et avec lesquels croyez-vous qu’elle a le plus d’intérêts communs ?

Et avec lesquels croyez-vous qu’elle devrait être plus unie dans l’avenir ?

Source : « Barómetro 2006 “América Latina y la cooperación al desarrollo en la opinión pública española” », Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS)/ Fundación Carolina, 2006.

Les domaines d’intérêt des Espagnols

Pourcentage des personnes interrogées qui suivent avec beaucoup ou assez d’intérêt les informations qui font référence aux régions suivantes :

(MULTI-REPONSES)

Source : « Barómetro 2006 “América Latina y la cooperación al desarrollo en la opinión pública española” », Centro de Investigaciones Sociológicas (CIS)/ Fundación Carolina, 2006.

ANNEXE n°6

Augmentation des flux commerciaux

entre la Chine et l’Amérique du Sud

Balance commerciale de la Chine avec l’Amérique du Sud

Source : CEPAL (Comisión Económica para América Latina), Base de données statistiques sur le

commerce de marchandise (COMTRADE)

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ................................................................................................... 5

PREMIÈRE PARTIE :

LA RÉCENTE REPRISE D’INFLUENCE DE L’ESPAGNE EN AMÉRIQUE

LATINE : UNE PREUVE DE LA RECONQUÊTE ? ...................................... 10

CHAPITRE 1 - UNE REPRISE DE CONTACT DIPLOMATIQUE ..................................... 11

Section 1 - La création des Sommets Ibéro-américains .................................. 12

A. La mise en place des Sommets Ibéro-américains ................................. 13

B. Les premiers Sommets .......................................................................... 14

C. La présidence de José María Aznar (1996-2004) ................................. 15

D. La remise en cause des Sommets Ibéro-américains ............................. 16

Section 2 - La multiplication des échanges, traités et accords entre l’Espagne,

l’Europe et l’Amérique latine .......................................................................... 19

Section 3 - Un regard protecteur et exclusif sur l’Amérique latine ................ 23

CHAPITRE 2 – UNE INDÉNIABLE RECONQUÊTE ÉCONOMIQUE ET COMMERCIALE ... 32

Section 1 - Les investissements directs des grandes entreprises espagnoles et

européennes en Amérique latine ...................................................................... 33

A. La « década perdida » (décennie perdue) ............................................. 33

B. L‟étape expansive des investissements ou la « década dorada »

(décennie dorée) ........................................................................................... 34

C. La fluctuation des années 2000 ............................................................ 37

D. Les investissements européens en Amérique latine ............................. 40

E. Perspectives .......................................................................................... 43

Section 2 - Les relations commerciales entre l’Europe et l’Amérique latine . 48

A. Le commerce entre l‟Espagne et l‟Amérique latine ............................. 49

B. Le commerce entre l‟Union Européenne et l‟Amérique latine ............ 50

DEUXIÈME PARTIE :

LES COMPOSANTES DU SOFT POWER ESPAGNOL ................................. 54

CHAPITRE 1 - LA COOPÉRATION, LE PROJET PHARE DE L‟ESPAGNE ....................... 55

Section 1 - L’aide au développement, pilier des relations entre l’Espagne,

l’Europe et l’Amérique latine .......................................................................... 55

A. L‟aide au développement espagnole en Amérique latine ..................... 56

B. L‟aide au développement européenne en Amérique latine .................. 61

Section 2 - La coopération culturelle et éducative .......................................... 66

A. La coopération culturelle ...................................................................... 68

B. La coopération éducative ...................................................................... 72

CHAPITRE 2 - LES ENTREPRISES : VECTEURS DU SOFT POWER................................ 76

Section 1 - La maîtrise des canaux de diffusion .............................................. 76

A. Le rôle des entreprises publiques.......................................................... 77

B. Le rôle des entreprises privées .............................................................. 81

Section 2 – La Responsabilité Sociétale des Entreprises ................................ 85

CONCLUSION ...................................................................................................... 90

BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................. 100

ANNEXES ............................................................................................................ 107

TABLE DES MATIERES .................................................................................. 117