La recherche de variété mène-t-elle à l’infidélité : une ... filechocolat en tablettes, nous...

21
La recherche de variété mène-t-elle à l’infidélité : une analyse sur données de panel à l’aide d’un modèle de survie Victor Mejía* Maître de conférences IUT de NICE, Laboratoire GRM Philippe Aurier Professeur des Universités IAE de Montpellier, Laboratoire MRM * Université Nice Sofia-Antipolis, IUT de Nice, 41 Boulevard Napoléon 3, 06200 Nice [email protected]

Transcript of La recherche de variété mène-t-elle à l’infidélité : une ... filechocolat en tablettes, nous...

La recherche de variété mène-t-elle à l’infidélité : une analyse sur données

de panel à l’aide d’un modèle de survie

Victor Mejía*

Maître de conférences

IUT de NICE, Laboratoire GRM

Philippe Aurier

Professeur des Universités

IAE de Montpellier, Laboratoire MRM

* Université Nice Sofia-Antipolis, IUT de Nice, 41 Boulevard Napoléon 3, 06200 Nice

[email protected]

La recherche de variété mène-t-elle à l’infidélité : une analyse sur données de panel à

l’aide d’un modèle de survie

Résumé :

Cette recherche étudie les conséquences du comportement de recherche de variété sur la

fidélité. La littérature considère généralement que la recherche de variété est l’expression d’un

besoin conduisant le consommateur à changer de marque de façon transitoire, pour revenir

ensuite vers sa marque d’origine. A l’aide d’un modèle de survie appliqué à la catégorie du

chocolat en tablettes, nous montrons qu’après un changement de marque, la probabilité de

retour vers la marque d’origine est très faible, ce qui souligne le risque que représente la

recherche de variété dans la gestion de la fidélité. Nous étudions ensuite l’impact de plusieurs

variables sur cette probabilité. Les conséquences théoriques et managériales sont discutées.

Mots clés : recherche de variété, fidélité, infidélité, modèle de survie, probabilité de rachat

Abstract:

This article studies the consequences of the variety-seeking behavior on loyalty. Generally,

literature considers variety-seeking as a transient state, when a consumer switches between

brands. So, consumers are supposed to repurchase the former brand after switching. With a

duration model applied to the chocolate blocks category, we show that, after a brand

switching behavior, this repurchase probability is low, which highlights the risk represented

by variety-seeking in loyalty management process. We also study the impact of few factors on

this probability, and present managerial and theoretical implications of these results.

Keywords: variety-seeking, loyalty, defection, duration model, repurchase probability.

1

La recherche de variété mène-t-elle à l’infidélité : une analyse sur données de panel à

l’aide d’un modèle de survie

Introduction

Un consommateur, Monsieur X, achète toujours le même produit, une tablette de chocolat

noir aux noisettes de marque Nestlé. Lors d’une visite en magasin, il décide de changer pour

un autre produit, un chocolat noir aux amandes, nougat et miel de la marque Lindt. Ce

comportement, qui exprime son besoin de variété, apparaît fréquemment chez de nombreux

consommateurs et de façon imprévisible. La littérature marketing a largement étudié ce

comportement, depuis la fin des années 1960 (Laurent, 1978, Aurier, 1991). Il existe de

nombreuses modélisations de ce phénomène et de ses antécédents (McAlister et Pessemier,

1982). Généralement, la recherche de variété est conceptualisée comme étant l’opposé de la

fidélité, selon le postulat qu’un consommateur est soit fidèle (il rachète le même produit), soit

chercheur de variété (il change pour un autre produit ; Chintagunta, 1998, Erdem, 1996).

Malgré cette littérature riche, les conséquences de la recherche de variété sur la fidélité ont été

très peu étudiées. Que se passe-t-il après un achat ayant servi à satisfaire un besoin de

recherche de variété ? Dans notre exemple initial, lors de sa prochaine visite en magasin,

Monsieur X rachètera-t-il sa marque habituelle Nestlé ou aura-t-il tendance à l’abandonner

pour Lindt ? Dans le premier cas, la recherche de variété n’aura entrainé qu’un changement

temporaire de marque, alors que dans le second, elle est à l’origine d’un abandon durable.

Dans ce contexte, opposer fidélité et recherche de variété ne semble justifié que si le

consommateur abandonne définitivement sa marque habituelle. Dans le cas contraire, le

consommateur reste fidèle à la marque et continue de la racheter. D’un point de vue

managérial, les conséquences sont bien différentes pour les marques concernées : perte de

consommateur dans le premier cas ou simple perte de part d’achat d’un consommateur qui

maintient sa relation avec la marque dans le second.

2

La présente recherche a pour ambition de répondre à cette question en étudiant si le

changement de marque, qui est l’expression de la recherche de variété, est le signe d’une

infidélité future (c'est-à-dire la fin d’une relation de fidélité entre le consommateur et la

marque) ou si elle est simplement temporaire et donc sans effet sur la relation de fidélité.

1. Fondements théoriques

1.1. Le comportement de recherche de variété

La recherche de variété peut être définie comme un comportement motivé de changement

entre produits / marques chez un consommateur. Ses principales causes sont la lassitude vis-à-

vis d’un produit, marque ou attribut, le besoin de stimulation et le changement de cadre de

consommation (Lattin et McAlister 1985, Laurent, 1978, McAlister, 1979, Steenkamp et

Baumgartner, 1992). Van Trijp, Hoyer et Inman (1995) en distinguent deux formes : la

recherche de variété « vraie », intrinsèquement motivée, lorsque l’acte de changement est

valorisé plus que les caractéristiques des produits (Givon, 1984) et la recherche de variété

dérivée, motivée par des facteurs externes comme la présence de promotions, une rupture de

stock ou une insatisfaction avec la marque. La recherche de variété est le plus souvent

considérée comme un comportement s’exprimant au cours du temps (changement entre deux

sessions d’achats). Néanmoins, certaines analyses montrent que ce comportement peut être

anticipé, lorsque le consommateur achète simultanément plusieurs produits complémentaires,

afin de pouvoir faire varier sa consommation future (Walsh, 1995, Aurier, 1999, Dubé, 2004).

La majorité des applications empiriques utilisent des données de panels. L’objectif est de

savoir si en t un consommateur répète ses choix antérieurs. S’il répète, il est considéré comme

3

fidèle (ou inerte1). S’il change, il est considéré comme chercheur de variété, ou plus

généralement infidèle (switcher). Dans le premier cas (inertie), la probabilité d’acheter i en t

sachant que i a été acheté en t – 1 est supérieure à la probabilité d’acheter i en t – 1. Dans le

second cas (recherche de variété), c’est l’inverse (Givon, 1984, Lattin et McAlister, 1985).

Enfin il est à noter que la grande majorité des analyses sont faites au niveau « marque » : le

consommateur rachète ou non la marque, peu importe le produit spécifique choisi. En

conséquence, la recherche de variété est opposée à la fidélité et comporte une connotation

managériale négative, car elle représente une perte de part de marché pour la marque qui subit

le changement (Feinberg, Kahn et McAlister, 1992). Dans ce contexte, les marques devraient

donc tout faire pour retenir leurs consommateurs, de manière à ce que ces derniers ne

recherchent pas de la variété chez d’autres marques.

1.2. Recherche de variété et fidélité des consommateurs

Plusieurs limites ressortent de notre revue de littérature. La définition du comportement de

recherche de variété ne précise pas s’il s’agit d’un état ponctuel ou durable (Trivedi, Bass et

Rao, 1994). Le consommateur peut changer de marque pour rechercher de la variété en t, puis

revenir à sa marque originelle en t + 1 ou au contraire continuer à changer de marques. On

peut aussi imaginer que certains consommateurs seront encore plus satisfaits et fidèles à leur

marque après avoir changé pour une autre de moins bonne qualité (Ratner, Kahn et

Kahneman, 1999). Or, aucune recherche n’a étudié si la recherche de variété a un effet négatif

à long terme sur la fidélité. Cette question est pourtant importante à plusieurs titres. Tout

d’abord, selon la lecture opérée dans la littérature, la recherche de variété apparaît comme une

infidélité à la marque. Or, si la recherche de variété n’est que passagère ou motivée par des

facteurs extrinsèques (promotions, rupture de stock), il est logique de penser que le

1 Il est difficile, à partir de seules données de panels, de différencier ce qui relève de la (vraie) fidélité

d’une simple inertie.

4

consommateur maintiendra néanmoins sa relation à long terme avec la marque. Selon Frisou

(2004), la fidélité peut se renforcer ou diminuer au cours du temps. Il définit l’infidélité

comme une tendance d’achat décroissante : le consommateur se désengage progressivement

de la marque, jusqu’à ne plus l’acheter du tout. Dans le cas d’un changement ponctuel d’une

marque vers une autre, il ne s’agit pas d’une infidélité au sens de Frisou (2004), mais d’une

recherche de variété. En revanche, si le changement entraine un non-retour vers la marque, il

s’agit d’un signal précurseur d’une infidélité durable : le consommateur se désengage, choisit

une marque mieux adaptée à ses besoins ou, à travers sa recherche de variété, découvre une

marque qui se révèle supérieure à celle achetée précédemment. D’un point de vue managérial,

si la recherche de variété est un signal précurseur d’infidélité, il devient possible de détecter

les consommateurs plus tôt dans leur processus de désengagement. La marque abandonnée

doit alors agir au plus vite pour tenter de les conserver.

1.3. Cadre conceptuel

La Figure 1 présente le triptyque fidélité – recherche de variété – infidélité.

Figure 1. Triptyque fidélité – recherche de variété – infidélité

Lorsqu’un consommateur change de marque, trois situations sont possibles (Figure 1) :

Fidélité

Recherche de variété

Infidélité

Comportement ponctuel en t

Comportement durable

5

(1). La recherche de variété caractérise une infidélité latente (désengagement de la marque),

qui se transformera en infidélité future (non-rachat durable de la marque).

(2). Le consommateur préfère la marque achetée en t à la marque habituelle. Dans ce cas, la

recherche de variété sera un antécédent à l’infidélité, le consommateur n’étant plus satisfait de

la marque antérieure ou jugeant que ses bénéfices sont inférieurs à la nouvelle marque.

(3). Si la recherche de variété n’implique ni (1) ni (2), alors le consommateur reviendra à sa

marque précédente.

La Figure 2 présente les séquences d’achats de deux consommateurs (A et B) ayant réalisés

environ 70 achats sur trois ans (68 pour A et 71 pour B) dans la catégorie du chocolat en

tablettes. En ordonnée figure la marque choisie (1, 2 ou 3). Deux types de comportements

apparaissent.

Figure 2. Séquences d’achats de deux panélistes.

Le consommateur A était fidèle à la marque 2 jusqu’à son 25ème

achat2, puis change pour la

marque 1 de façon définitive (excepté l’achat 52) et lui devient fidèle. Le consommateur B

2 Les données étant censurées à gauche (début de la période d’observation du panel), nous ne savons

pas ce qui s’est passé avant la première observation.

0

1

2

3

1 11 21 31 41 51 61 71ConsoA

0

1

2

3

1 11 21 31 41 51 61 71ConsoB

6

reste fidèle à sa marque originelle (marque 1), mais change ponctuellement pour les marques

2 et 3. Cependant, après chaque changement (expression d’une recherche de variété), il

revient vers la marque 1, signe d’une fidélité vis-à-vis de celle-ci, ou du moins d’une

préférence pour la marque. La littérature a déjà caractérisé ces deux types de comportement

(Gupta et Zeithaml, 2006, Ngobo et Devallet-Ezanno, 2010) : A est dit du type « lost for

good » (définitivement perdu), alors que B est du type « always a share » (il maintient sa

relation avec la marque, tout en achetant d’autres).

Le reste de l’article est organisé de la façon suivante : la section 2 présente le modèle ainsi

que les données et la section 3 donne les principaux résultats et apports de cette recherche.

2. Modèle

2.1. Spécification du modèle

L’objectif de cette recherche est d’observer si suite à une recherche de variété d’une marque

vers une autre3, un consommateur revient vers la marque achetée antérieurement, ou s’il ne la

rachète plus. Dans cette perspective nous utilisons un modèle de survie (Cox, 1972, Han et

Hausman, 1984). Cette classe de modèle considère la probabilité d’apparition d’un événement

f en t, comme étant dépendante de la probabilité d’apparition de f en t – 1. Les modèles de

survie (ou de durée) sont utilisés en marketing pour prévoir la diffusion d’un nouveau produit

(Kamakura, Kossar et Wedel, 2004), le moment d’un achat (Jain et Vilcassim, 1991,

Chintagunta, 1998), ou encore la rétention des clients dans un portefeuille (Gupta et Zeithaml,

2006). L’événement f modélisé ici est le rachat d’une marque, suite à un changement de

marque. Considérons un consommateur et deux marques m et n. De t – 5 à t – 1, il achète m et

3 Dès lors, nous occultons la recherche de variété au sein d’une même marque, ce qui constitue bien

sur une limite (Mejía, 2012). Cependant, cette recherche de variété intramarque sort du champ de notre

étude, car elle n’implique pas d’infidélité à la marque.

7

en t, il change pour n. Quelle est la probabilité qu’il revienne vers m en t + 1 ? Et s’il ne la

rachète pas en t + 1, quelle est la probabilité qu’il la rachète en t +2 ? Et ainsi de suite.

Soit h un consommateur (1…H), t (1…T) une période discrète de temps (session d’achats en

magasin) et m la marque focale (1…M). La première observation débute lorsque le

consommateur achète en t une marque n (n ≠ m), consécutivement à l’achat en t – 1 de m. A

chaque session d’achats suivante t, nous observons soit le rachat de la marque m, soit la

« survie », c'est-à-dire le non-rachat de m, soit la censure, c'est-à-dire la fin de la période

d’observation pour h. Dans ce dernier cas, nous savons qu’au moins jusqu’en T il n’avait

toujours pas racheté m.

Soit λh(t) le taux de risque de la période t que nous appellerons taux de rachat et qui mesure

ici la probabilité de rachat de la marque focale m en t, sachant qu’elle n’a pas été achetée en t

– 1. Ce taux s’écrit (Cox, 1972, Han et Hausman, 1984) :

( )

00

h h∆

P τ t τ ∆| t τλ ( t ) lim λ ( τ )exp( X β )

∆→ +

< < + >= = (1)

Avec τ une période de temps (conditionnelle à la survie jusqu’en τ), Xh le vecteur des

caractéristiques de h (fréquence d’achat, dépenses, etc.) impactant la probabilité de rachat λh

et β le vecteur des paramètres associés. Le logarithme du hasard de 0 à t, s’écrit :

00

t

h hln λ ( τ )dτ X β ε= +∫ (2)

Avec εh la composante aléatoire. Si celle-ci suit une distribution à valeurs extrêmes, l’équation

(2) se ramène à un modèle Logit ordonné (Ben-Akiva et Lerman, 1985). Le modèle permet

d’estimer le taux de rachat de m lors des T sessions d’achat de h consécutives au changement

pour la marque n intervenu en t. Si le changement vers n n’est que temporaire, en lien à une

envie de variété, une offre promotionnelle ou pour une occasion de consommation

particulière, alors nous pouvons faire l’hypothèse que le taux de rachat sera élevé lors des

sessions qui suivent le changement : le consommateur h reviendra vers sa marque m. A

8

l’inverse, si le taux de rachat de m est faible, le changement sera le signe avant-coureur d’une

infidélité plus durable.

2.2. Données

Les données proviennent d’un échantillon de consommateurs issu de la base de données

MarketingScan. L’échantillon total contient 6455 consommateurs ayant réalisé 55537

sessions d’achats (soit 64627 achats) dans la catégorie des tablettes chocolatées, sur une

période de près de trois ans (du 01/01/2008 au 25/09/2010). Cette catégorie a été choisie en

raison du caractère hédonique du produit, ceci devant permettre l’observation d’une forte

activité de recherche de variété (c'est-à-dire plus de changements entre marques)4. Cette

catégorie comporte 6 marques, dont 3 principales : Lindt, Nestlé et Milka. Nous avons

sélectionné les consommateurs ayant réalisé au moins 5 sessions d’achats sur la période et

ayant réalisé au moins un changement entre marques entre deux sessions consécutives sur la

période (soit 2589 consommateurs, 42217 sessions et 50006 achats). Pour chaque marque

focale m (1…6) et chaque consommateur h, nous observons le nombre de sessions d’achats

entre le changement de marque et le rachat (éventuel) de la marque focale. Nous avons donc

13880 observations (Tableau 1), chaque observation correspondant à une durée, exprimée en

nombre de sessions d’achats, jusqu’au rachat ou à la censure pour un consommateur h.

4 Bien entendu, choisir une seule catégorie limite la validité externe de notre recherche.

9

Observations Durée moyenne

avant rachat

Nombre d’obs.,

censurées5

Achats cumulés de la marque au

moment du changement

1 (Autres)

2 (Crunch)

3 (Galak)

4 (Lindt)

5 (Milka)

6 (Nestlé)

453

951

578

4496

2345

5057

5,93

5,15

5,53

2,96

3,88

3,08

299

472

338

1174

882

1315

2,90

4,01

2,78

6,74

5,76

6,96

Tableau 1. Informations sur les 6 sous-échantillons

2.3. Variables explicatives du modèle

Le modèle (équation (2)) intègre les variables explicatives Xh pouvant avoir un impact sur le

taux de rachat. Les variables intégrées sont :

hm h mht ht mht ht

ht ht ht ht

X α ln( NBBR ) ln(TOTCAT ) ln( DEP ) ln(TOTDEP )

ln( AVDEL ) ln( SWICUM ) SWISAV BASKET

= + + + ++ + + +

(3)

t est la session où a lieu le changement de marque, NBBRmht est le nombre cumulé d’achats de

m par h en t, TOTCATht est le nombre cumulé d’achats total dans la catégorie. DEPmht et

TOTDEPht, sont les montants cumulés dépensés pour la marque m et dans la catégorie. Ces 4

variables permettent de contrôler l’impact de la fidélité comportementale pour m (nombre

d’achats et montants dépensés pour la marque) et l’importance de la catégorie pour le

consommateur h (nombre d’achats et dépenses dans la catégorie), au moment du changement.

AVDELht est le délai moyen en jours entre deux sessions d’achats pour h. Cette variable

permet de contrôler le rythme d’achat qui peut avoir un impact sur la recherche de variété et la

fidélité (Chintagunta, 1998). SWICUMht est le nombre cumulé de changements entre marques

réalisés par h jusqu’en t, qui mesure l’intensité de la recherche de variété chez h au sein de la

5 La censure ne pose pas de problème particulier pour la résolution du modèle (Cox et Oakes, 1984)

10

catégorie. SWISAVht est une variable binaire codée 1 lorsque le changement de marque s’est

accompagné d’un changement entre saveurs, la recherche de variété s’exprimant

généralement sur des attributs sensoriels (Inman, 2001). De cette façon nous apprécions si le

changement s’apparente à une « vraie » recherche de variété (changement de goût, envie de

nouveauté) ou à une recherche de variété dérivée (changement de marque, sans changement

de saveur). Enfin, BASKETht est la taille du panier acheté en t. Nous utilisons cette variable

pour contrôler si la présence d’achats multiples (plusieurs produits achetés lors d’une session

d’achat) a un impact sur l’infidélité (Mejía, 2012). En plus de la censure liée à la fin de la

période d’observation, nous introduisons une censure au-delà de 21 sessions sans racheter la

marque focale. Le modèle final comporte ainsi 28 paramètres : 19 paramètres « d’échelle »

(21 périodes t, avec une normalisation pour le premier et dernier niveau, soit 19 paramètres6),

une constante, et 8 paramètres associés aux variables explicatives.

3. Résultats et discussion

3.1. Résultats du modèle

Estimation : l’estimation des paramètres est réalisée avec la méthode du maximum de

vraisemblance, (NLogit 4, procédure OLOGIT ; HAZARD) (Greene, 1998). Les trois plus

petites marques ont été regroupées en « Autres marques », pour des raisons de fiabilité

statistique. Nous avons donc estimé cinq modèles : un modèle sur l’ensemble de la catégorie

et un modèle pour chaque marque focale dont « Autres marques » (Tableau 2).

6 Comme l’explique Greene (1998), ces paramètres d’échelle n’ont pas de signification réelle, ils

représentent seulement l’ordre des niveaux du modèle Logit ordonné.

11

Catégorie Autres marques Lindt Milka Nestlé

Observations

Non-censurées

Censurées

Log-Likelihood

AIC

McFadden Pseudo R²

13880

9400

4480

-19677

2,839

0,2762

1982

873

1109

-2608

2,660

0,462

4496

3322

1174

-6268

2,801

0,214

2345

1463

882

-3331

2,865

0,323

5057

3742

1315

-7178

2,850

0,214

Tableau 2. Estimation des modèles

Probabilités de rachat : ces probabilités (λt, avec t = 1 à 19 et +) pour chaque marque et pour

la catégorie sont présentées Figure 3. Toutes marques confondues (la catégorie), la probabilité

de rachat de la marque focale suite à un changement décroit rapidement. Cette probabilité

moyenne n’est que de 0,35 juste après le changement, elle tombe à 0,20 dès la 3ème

session et

à 0,10 après la 10ème

. L’analyse de cette évolution par marque montre la même tendance, mais

avec quelques différences. Les deux principales marques, Lindt et Nestlé ont des probabilités

de rachat supérieures à 0,40 suite à un changement et encore supérieure à 0,20 après 5

sessions. Lindt performe légèrement mieux que Nestlé, avec une probabilité de rachat

supérieure à 0,10 jusqu’à la 14ème

session, contre la 11ème

pour Nestlé. Les marques plus

petites ont des probabilités de rachats nettement plus faibles : à peine 0,15 pour « Autres

marques » suite à un changement et qui tombe à 0,10 dès la 4ème

session.

12

Figure 3. Taux de hasard en fonction du temps passé depuis le changement

Impact des variables du modèle : Le tableau 3 présente les paramètres estimés du modèle. Le

modèle estimé sur l’ensemble de la catégorie (toutes marques confondues) montre que le

nombre d’achats de la marque focale avant changement (NBBR) a un impact négatif sur la

probabilité de rachat. Un changement de marque, lorsque le consommateur est fidèle, apparaît

plutôt comme le signe d’une insatisfaction ou d’une infidélité à la marque, plutôt que comme

de la recherche de variété ponctuelle. Inversement, le nombre d’achats dans la catégorie

(TOTCAT) influence positivement la probabilité de rachat. Un gros consommateur (dans la

catégorie), lorsqu’il change de marque, aura une probabilité plus élevée de revenir vers la

marque, notamment s’il ne lui était pas fidèle depuis longtemps. Ceci caractérise un profil de

type « always a share », le gros consommateur ayant tendance à répartir ses achats entre

plusieurs marques et à alterner, ceci alors que le petit consommateur fidèle à une marque a un

profil de type « lost for good ». Nous observons des résultats similaires avec les montants

dépensés pour la marque (impact négatif) et les montants cumulés dans la catégorie (impact

positif, quoique non significatif).

0,00

0,05

0,10

0,15

0,20

0,25

0,30

0,35

0,40

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19+Catégorie Autres Lindt Milka Nestlé

13

Catégorie Autres marques Lindt Milka Nestlé

Constante (α)

NBBR

TOTCAT

DEP

TOTDEP

AVDEL

SWICUM

SWISAV

BASKET

-0,01 (0,11)

-0,77 (0,08) **

0,66 (0,10) **

-0,40 (0,08) **

0,12 (0,09)

0,09 (0,02) **

0,00 (0,03)

0,08 (0,04) **

0,05 (0,07)

1,06 (0,31) **

-1,02 (0,25) **

0,03 (0,30)

0,03 (0,23)

0,41 (0,28)

0,14 (0,06) **

0,02 (0,10)

-0,31 (0,13) **

0,26 (0,19)

0,27 (021)

-1,27 (0,17) **

1,31 (0,21) **

0,24 (0,17)

-0,65 (0,21) **

-0,01 (0,04)

-0,03 (0,06)

0,13 (0,07) *

0,15 (0,14)

-0,07 (0,26)

-0,76 (0,30) **

0,56 (0,26) **

-0,37 (0,28)

0,15 (0,22)

0,18 (0,05) **

-0,05 (0,09)

0,13 (0,09)

-0,15 (0,17)

-0,69 (0,19) **

-1,34 (0,17) **

0,74 (0,18) **

0,16 (0,15)

0,26 (0,15) *

0,17 (0,04) **

-0,10 (0,06) *

0,00 (0,06)

-0,06 (0,11)

Tableau 3. Paramètres des modèles (** : P<0,05 ;* : P < 0,1)

Le rythme moyen d’achat (intervalle entre sessions d’achats, AVDEL) accroît la probabilité de

rachat : plus l’intervalle est élevé, plus le consommateur a une probabilité élevée de racheter

la marque focale. Le nombre cumulé de changements de marques (SWICUM) n’a pas

d’impact sur la probabilité de rachat. Ce résultat est plutôt contre-intuitif : les « switchers »

effectuant plus de changements que les autres, ils devraient avoir une probabilité de rachat de

la marque focale plus élevée. Le changement de saveur (SWISAV) a un impact positif sur la

probabilité de rachat : une « vraie » recherche de variété a comme conséquence un retour plus

probable vers la marque antérieurement achetée. La même structure de résultats est observée

pour les modèles estimés pour chaque marque.

3.2. Discussion

Le modèle proposé dans cette recherche met en lumière plusieurs contributions. Tout d’abord,

le principal résultat est qu’après un changement de marque, la probabilité de rachat de la

14

marque achetée antérieurement décroit rapidement : 0,35 juste après le changement, avec un

déclin rapide dès la deuxième session et ce pour toutes les marques de la catégorie. Dans ce

contexte, tout changement de marque visant à satisfaire la recherche de variété apparaît

comme très risqué pour les marques (Feinberg et al., 1992), notamment compte tenu du risque

de non-retour du client vers la marque. Si la recherche de variété est généralement définie

comme un changement « temporaire », sous entendant un retour sur la marque focale dans le

futur, nos résultats montrent que le contraire se produit souvent (perte du client à long terme).

Nous en concluons que les changements entre marques dans la catégorie sont plus souvent le

signe d’une infidélité à la marque que d’une « vraie » recherche de variété, ou encore que la

recherche de variété génère souvent de l’infidélité : le consommateur change de marque pour

satisfaire un vrai besoin de variété (donc temporaire) mais ne revient pas sur la marque car ce

changement fait évoluer ses préférences.

Un certains nombre de facteurs viennent modérer ces résultats. Tout d’abord la taille de la

marque : les grandes marques résistent mieux au risque de perte du consommateur. La

littérature a démontré l’existence du phénomène de « double peine » (« double jeopardy »,

Goodhardt, Ehrenberg et Chatfield, 1984) : les marques principales sont plus achetées et plus

souvent (Fader et Schmittlein, 1993), à l’inverse des petites marques, moins achetées et moins

souvent. Nos résultats vont dans ce sens, les deux leaders de la catégorie bénéficiant d’une

probabilité de rachat plus élevée que les marques plus petites.

Le niveau de fidélité à une marque a un impact négatif sur sa probabilité de rachat futur, en

cas de changement. Quand un acheteur est fidèle, le changement de marque apparaît plus

comme étant un signe de rupture ou comme un changement de goût irréversible (par exemple,

changement d’une marque « basique » vers une marque « dégustation »). Inversement, le

nombre d’achats dans la catégorie a un impact positif sur cette probabilité : les gros acheteurs

dans une catégorie achètent plus de produits et de marques différentes et recherchent plus de

15

variété à l’intérieur de la catégorie. Ils sont plus facilement fidèles à plusieurs marques

simultanément, illustrant le profil du « portfolio switching » (changements entre quelques

marques, McAlister, 1979, Hirschmann et Wallendorf, 1980), ou encore le modèle « always a

share », chaque marque conservant une probabilité non nulle d’être rachetée (Gupta et

Zeithaml, 2006). Au plan managérial, nous faisons donc apparaître la nécessité de veiller au

suivi des petits acheteurs fidèles, les plus à même d’avoir un profil du type « lost for good »,

les conduisant à abandonner la marque en cas de changement.

Conclusions, limites et voies de recherche

Cet article présente une contribution à l’étude du comportement de recherche de variété, en

lien avec la fidélité. Alors qu’une majorité d’études s’intéresse aux antécédents de la

recherche de variété et analysent les facteurs déclencheurs, nous abordons ses conséquences,

notamment son impact sur la fidélité. La recherche de variété, lorsqu’elle est temporaire,

devrait se traduire par un retour vers la marque achetée habituellement. Mais elle peut devenir

une source d’infidélité durable si le consommateur modifie ses préférences vers une autre

marque, suite au changement. Nos résultats dans la catégorie des tablettes chocolatées

montrent qu’un changement de marque est le plus souvent un signal précurseur d’abandon de

la marque, la probabilité de rachat étant faible et fortement décroissante avec le temps. Ces

résultats sont doublement intéressants. D’un point de vue théorique, nous remettons en cause

la dichotomie classique opposant fidélité et recherche de variété, en y intégrant un troisième

comportement, l’infidélité. Dès lors, la recherche de variété n’est pas l’opposée de la fidélité,

mais plutôt une étape intermédiaire, pouvant entraîner soit un retour vers la marque (fidélité),

soit une rupture de la relation (infidélité). D’un point de vue managérial, nous soulignons les

dangers liés au comportement de recherche de variété. Ce comportement est négatif pour la

marque, en raison de son impact négatif en t (non achat ponctuel de la marque), mais surtout

16

car il génère un risque élevé d’infidélité (non rachat à long-terme de la marque). Face à ce

risque, les marques peuvent agir de deux façons : en satisfaisant le besoin de variété des

consommateurs, notamment à l’aide d’une gamme suffisamment large, ou en cherchant à les

reconquérir rapidement dès qu’ils ont exprimé leur recherche de variété (par exemple, par le

levier des promotions). Le temps de réaction est ici une variable clef : après 4 sessions sans

racheter une marque, la probabilité de rachat d’une marque devient très faible.

Malgré ces apports, cette recherche comporte plusieurs limites. L’analyse d’une seule

catégorie restreint les possibilités de généralisation du cadre conceptuel. Il serait notamment

intéressant de comparer des catégories de produits distinctes en termes d’implication d’achat,

ou de structure (nombre de marques, importance des marques, etc.) pour valider notre cadre

conceptuel. Ensuite, en lien avec l’analyse sur données de panels, nous avons concentré notre

recherche sur la fidélité comportementale, en omettant son versant attitudinal. De fait, une

partie de la fidélité des consommateurs, liée à des variables comme l’attachement à la marque

ou l’engagement, est passée sous silence. En outre, le modèle présenté ne permet pas de dire

si la défection du consommateur pour la marque focale m s’est traduite par une fidélité à la

marque n. Il est par exemple possible que le consommateur change de m pour n, puis de n

pour o. Dans ce cas, l’infidélité pour m n’est pas bénéfique à n. Deux voies de recherche

apparaissent alors. D’une part, se concentrer sur la marque n qui bénéficie du changement

permettrait d’approfondir la relation entre fidélité, recherche de variété et infidélité. D’autre

part, il serait intéressant d’analyser les raisons du non-rachat : désengagement voulu de la

marque actuelle m, ou évolution des préférences en faveur de la nouvelle marque n ? Nous

espérons que cette recherche constitue le point de départ à d’autres études dans ce domaine.

17

Bibliographie

Aurier P (1991) La recherche de variété: un concept majeur de la théorie en marketing.

Recherche et Applications en Marketing, 6, 1, 85-106.

Aurier P (1999) Achat simultané et mesure de la substituabilité avec des données de panel

multi-catégories, Recherche et Applications en Marketing, 14, 2, 49-70.

Ben-Akiva M., Lerman S. R. (1985), Discrete choice analysis: theory and application to

travel demand, MIT Press, 390 p.

Chintagunta P. K. (1998), Inertia and Variety Seeking in a Model of Brand-Purchase Timing,

Marketing Science, 17, 3, 253-270

Cox D. R. (1972), Regression Models and Life-Tables, Journal of the Royal Statistical

Society. Series B (Methodological), 34, 2, 187-220.

Cox D. R., Oakes D. (1984), Analysis of Survival Data, Chapman and Hall, 201 p.

Dubé J.-P. (2004), Multiple discreteness and product differentiation: demand for carbonated

soft drinks, Marketing Science, 23, 1, 66–81.

Erdem T. (1996), A dynamic analysis of market structure based on panel data, Marketing

Science, 15, 4, 359-378

Fader P. S., Schmittlein D. C. (1993), Excess Behavioral Loyalty for High-Share Brands:

Deviations from the Dirichlet Model for Repeat Purchasing, Journal of Marketing Research,

30, 4, 478-493

Feinberg F. M., Kahn B. E., McAlister L. (1992), Market Share Response When Consumers

Seek Variety, Journal of Marketing Research, 29, May, 227-237

Frisou J. (2005), Une approche tendancielle du comportement de fidélité : du concept à sa

mesure, Recherche et Applications en Marketing, 20, 2, 105-125

Givon M. (1984), Variety seeking through brand switching, Marketing Science, 3, 1, 1-22

18

Goodhardt G. J., Ehrenberg A. S. C., Chatfield C. (1984), The Dirichlet: A comprehensive

model of Buying Behaviour, Journal of the Royal Statistical Society, 147, 5, 621-655.

Greene W. (1998), Limdep 7.0 User’s Manual, Econometric Software inc., 925 p.

Gupta S., Zeithaml V. (2006), Customer Metrics and Their Impact on Financial Performance,

Marketing Science, 25, 6, 718-739

Han A., Hausman J. A. (1984), Flexible parametric estimation of duration model and

competing risk models, Journal of Applied econometrics, 5, 1-28

Hirschman E. C., Wallendorf M. (1980), Some implications of variety seeking for advertising

and advertisers, Journal of Advertising, 9, 2, 17-19 et 43-44

Inman J. J. (2001), The Role of Sensory-Specific Satiety in Attribute-Level Variety Seeking,

Journal of Consumer Research, 28, June, 105-120

Jain D. C., Vilcassim N. J. (1991), Investigating household purchase timing decisions: a

conditional hazard function approach, Marketing Science, 10, 1, 1-23

Kamakura W. A., Kossar B. S., Wedel M. (2004), Identifying Innovators for the Cross-Selling

of New Products, Management Science, 50, 8, 1120-1133

Laurent G. A (1978), A study of multiple variant consumption for frequently purchased

consumer products, Thèse de Doctorat, Massachusetts Institute of Technology, 621 p.

Lattin J. M., McAlister L. (1985), Using a variety-seeking model to identify substitute and

complementary relationships among Competing Products, Journal of Marketing Research, 22,

3, 330-339

McAlister (1979), Choosing multiple items from a product class, Journal of Consumer

Research, 6, December, 213-224

McAlister L., Pessemier E. (1982), Variety-seeking : an interdisciplinary Review, Journal of

Consumer Research, 9, December, 311-322.

19

Mejía V. (2012), Modélisation de la recherche de variété intramarque : comprendre la

recherche de variété au sein d’une gamme de produits d’une marque par l’analyse des choix

des consommateurs, Thèse de doctorat en sciences de gestion, Université Montpellier II

Ngobo P. V., et Devallet-Ezanno D. (2010), L’infidélité est-elle une question de génération ?,

Recherche et Applications en marketing, 25, 3, 85-113

Ratner R. K., Kahn B. E., Kahneman D. (1999), Choosing Less-Preferred Experiences for the

Sake of Variety, Journal of Consumer Research, 26, June, 1-15

Steenkamp J. B. E. M., Baumgartner H. (1992), The role of optimum stimulation level in

exploratory consumer behaviour, Journal of Consumer Research, 19, December, 434-448

Trivedi M., Bass F. M., Rao R. C. (1994), A model of Stochastic Variety-Seeking, Marketing

Science, 13, 3, 274-297

Van Trijp H. C. M., Hoyer W. D., Inman J. J. (1996), Why Switch? Product Category-Level

Explanations for True Variety-Seeking Behavior, Journal of Marketing Research, 33, 3, 281-

292

Walsh J. W., (1995) Flexibility in consumer purchasing for uncertain future tastes, Marketing

Science, 14, 2, 148-165