La raison écologique est-elle soluble dans la raison économique ? Bernard PERRET 23 avril 2014.

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la raison écologique est-elle soluble dans la raison économique ?

Bernard PERRET

23 avril 2014

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Plan d’intervention

Le catastrophisme comme posture épistémologique

La notion de cadre de rationalité Économie politique du découplage De la raison économique à la raison écologique Le défi de la démarchandisation

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Le catastrophisme comme posture épistémologique

Catastrophe = une fonction décrivant l’évolution d’un phénomène change brusquement de forme (ex : lorsqu’un corps change d’état)

Le monde économique et social n’échappe pas aux catastrophes (krachs boursiers, etc.)

L’hypothèse d’une évolution catastrophique de notre modèle de développement découle logiquement de l’impossibilité de prolonger les tendances actuelles

Au-delà d’un ensemble de mutations techniques, organisationnelles et sociales, envisager l’hypothèse d’une restructuration des cadres de l’action rationnelle (à travers, notamment un changement brutal de la forme des fonctions d’utilité)

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Le cadre social de la rationalité individuelle

Les fonctions d’utilité des agents sont influencées, voire déterminées par des éléments de la structure sociale (normes, valeurs, etc.)

Elles ont un caractère mimétique (cf. la structure triangulaire du désir selon René Girard)

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Éléments du cadre social de la rationalité

Une représentation partagée de la réalité, et notamment des contraintes

Des valeurs et des finalités Des objectifs de différents niveaux, emboîtés de

manière cohérente Des modèles de raisonnement Des modèles d’action et des normes de

comportement Des outils et critères d’évaluation (Indicateurs) Des pratiques sociales stabilisées par des normes,

conventions et institutions

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L’économie comme cadre de rationalité 

Une vision moniste de la richesse/ valeur Une rationalité « fractale » (homogénéité et

emboîtement des objectifs individuels et collectifs) Une rationalité intertemporelle (en théorie) Un modèle d’action rationnelle universalisable Une gouvernance décentralisée et automatique de la

société (la « main invisible ») Un cadre de rationalité très résilient (forte capacité à

absorber les motivations et signaux déviants) (exemple : l’effet rebond)

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Un exemple de transformation partielle du cadre de

rationalité : l’économie de guerre

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Un cadre de rationalité qui suscite des comportements inadaptés aux impératifs de la transition écologique (1)

Les marchés n’informent pas sur la rareté réelle des ressources, ni sur les externalités

Les lois de la concurrence marchande imposent aux agents des objectifs d’action à court terme

Les critères d'évaluation, de rémunération et de reconnaissance sociale sont liés aux performances marchandes à court terme

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Un cadre de rationalité qui suscite des comportements inadaptés aux impératifs de la transition écologique (2)

La représentation sociale de la richesse privilégie les biens appropriables par les individus, échangeables et monétarisables

La rareté, l'utilité et l'incertitude disparaissent derrière la valeur monétaire qui est censée les subsumer ; les externalités ont toujours un statut périphérique

L’imaginaire collectif est centré sur l’abondance matérielle et la consommation d'objets appropriables et échangeables (les marchandises)

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Un changement du régime de la rareté qui rend obsolète le cadre de la rationalité économique

La sphère des activités économiques est un sous-système de l'écosystème planétaire (et donc soumis à ses lois). Exemple : la majorité de nos ressources dépendent de la photosynthèse

À vue humaine, le progrès technique n’est pas capable de nous émanciper de notre dépendance à l’égard de la biosphère (ex : surfaces cultivables)

Conséquence : les biens les plus rares et vitaux n’ont pas les caractéristiques de biens économiques (monnayables et échangeables)

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Principes d'économie écologique 

Économiser les ressources rares, et en particulier l'énergie

Privilégier l'utilisation de ressources renouvelables Inscrire l'activité humaine dans des processus

cycliques, auto-entretenus (réparation, maintenance, recyclage en boucle courte)

Créer des interdépendances mutuellement avantageuses (symbiose)

Accroître la complexité informationnelle à énergie constante

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La métaphore du vaisseau spatial

Dans son article The Economics of the Coming Spaceship Earth (1966), Kenneth Boulding compare la Terre à un vaisseau spatial, et propose de passer de l’« économie du cowboy » à celle du spationaute.

L’économie du cowboy est évaluée par la quantité et la rapidité de la production et de la consommation (espace et ressources illimités, maximisation des flux)

Dans l’économie du spationaute, au contraire, « Nous sommes principalement concernés par la maintenance des stocks, et tout changement technique qui permet de maintenir un stock donné en minimisant les flux est clairement un progrès »

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Traductions concrètes

Économies d'énergie Énergies renouvelables Écoconception, recyclage, écologie industrielle Produits et process biomimétiques Partenariat, coopération, co-production Développement immatériel (culture, information,

développement relationnel) Mutualisation (transports collectifs, économie de

fonctionnalité)

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L’économie écologique implique des ruptures majeures avec le cadre de la rationalité économique

Renoncer à l’idée selon laquelle les prix de marché renseignent sur la rareté des ressources

Des modes d’organisation privilégiant la coopération au détriment de la concurrence

Une logique de relocalisation des échanges Des modes de vie orientés par des valeurs « post-

productivistes » Une culture de la copropriété responsable (dépasser

la « Tragédie des biens communs ») D’autres modes d’évaluation et de reconnaissance

sociale

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Illustration : les conditions du découplage

Création de valeur et de bien-être

Consommation d’énergie

et de matières premières

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8 octobre 2013 17Le développement durable Arras 2013

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8 octobre 2013 18Le développement durable Arras 2013

Artificialisation des sols : évolution des zones artificialisées

défi 6Les espaces artificialisés occupent 4,9 millions d'hectares en 2010, soit près de 9 % de la

métropole. Ils continuent de s'étendre aux dépens des terres agricoles et des milieux naturels.

Source : ministère chargé de l'Agriculture (SSP), enquête Teruti-Lucas, série révisée, avril 2011

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Trois niveaux de découplage 

Découplage technique : produire la même chose avec des techniques plus efficaces

Découplage « fonctionnel » : répondre aux mêmes besoins par d’autres types de biens et services

Découplage « sociétal » : agir sur l’expression des besoins et des attentes sociales

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Découplage technique  

Efficacité dans l’utilisation des ressources : Isolation thermique des bâtiments Véhicules propres Économies d’énergie dans les NTIC Processus industriels plus économes (chimie

verte, etc.)

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Découplage fonctionnel  

S’organiser autrement pour répondre aux mêmes besoins :

Dématérialisation (zéro papier...) Télétravail Mutualisation Économie circulaire (éco-conception, durabilité,

recyclage, réparation...) Économie de la fonctionnalité Éco-socio-conception (optimisation des usages

sociaux)

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Découplage sociétal  

Promouvoir une autre vision de la richesse et du bien-être :

Orientation de la demande vers le qualitatif, l’immatériel et le relationnel

Approches post-matérialistes du bien-être social et la qualité de la vie

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Découplage et remise en cause du « monisme de la valeur »  

Le découplage impose de se préoccuper distinctement des ressources et du bien-être, sans se contenter de l’information fournie par les prix de marché.

Ce qui revient à déconstruire la notion de valeur, pour retrouver les notions sous-jacentes de rareté et d’utilité.

Lien évident avec les débats sur durabilité faible/ forte, la monétarisation des indicateurs de DD (cf. rapport Stiglitz) et l’analyse coût-bénéfice (versus coût-efficacité) 

Problème : la cohérence systémique de l’économie (et de la société) repose sur la circulation de la valeur (et donc sur l’existence d’un équivalent général)

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Soutenabilité (ressources) et utilité (bien-être) doivent être mesurés distinctement

« Un compteur qui agrégerait en une seule valeur la vitesse actuelle du véhicule et le niveau d’essence restant ne serait d’aucune aide au conducteur. Ces deux informations sont essentielles et doivent être affichées dans des parties distinctes, nettement visibles, du tableau de bord. » (Rapport Stiglitz)

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L’économie circulaire

Écoconception, minimisation des impacts environnementaux dès le stade de l’élaboration des produits, recherche d’une plus grande durabilité

Écologie industrielle, coopérations et synergies entre les entreprises pour optimiser l’usage des ressources (matière et énergie) et le réemploi des déchets (y.c. vapeur d’eau)

Réparation/ maintenance des objets et équipements, en lien avec l’écoconception qui doit faciliter ces opérations.

Réemploi des produits et de leurs composants Recyclage des matières premières issues des déchets Gestion des déchets

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L'économie de la fonctionnalité (1)

Produire et vendre des services liés à l’usage des biens plutôt que les biens eux-mêmes

Penser directement en termes de solutions globales à des problématiques complexes

Exemples : Véhicules, services de transport intégrés Contrats de performance énergétique Imprimantes, photocopieuses, machines à

laver, outillage Vêtements, sacs à main

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L'économie de la fonctionnalité (2)

Effets positifs sur l’environnement : modèles d'affaire qui génèrent spontanément

des efforts d'éco-conception, impacts sur les comportements d’usage (ex :

mobilité), économies de matière et d’énergie et

réduction des externalités liées à l’usageImplications organisationnelles et sociales :

partenariats durables permettant une répartition négociée des coûts et avantages

comportements responsables vis à vis de biens mutualisés

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Des innovations qui exigent de raisonner autrement

Privilégier l’usage sur l’acquisition : la richesse n’est plus objectivée par l’objet

Raisonner en terme de solutions globales à des problématiques complexes (au-delà même de la production d’un service)

Intégrer la réduction des externalités dans les modèles de performance

Plus de coopérations et de partenariats stables, moins de concurrence

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Esquisse d’un cadre de la raison écologique  1- éléments juridico-institutionnels

Instituer les droits des générations futures Budgétisation des ressources rares (quotas, budgets

carbone) Normes techniques pour encadrer les activites

productives (éco-conception) Incitations économiques (fiscalité) Nouveaux modèles d’affaire (fonctionnalité...) Critères de performance et de progrès (qualité de la vie,

soutenabilité) Objectifs de politique publique formulés en termes de

bien-être Une finance réinscrite dans la réalité des rapports

sociaux et dans les finalités collectives

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Le cadre de la raison écologique  2- éléments socio-culturels

Intelligence écologique (conscience des interdépendances, respect du vivant...)

Nouvel imaginaire technique (approches systémiques et symbiotiques, biomimétisme)

Nouvel imaginaire économique (retrouver l’utilité et la rareté derrière la valeur d’échange)

Nouvel idéal de performance (faire mieux avec moins)

Valeurs, principes éthiques (Principe responsabilité) Éducation, contrôle social

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Quelle cohérence systémique ?

Dématérialisation/ mutualisation = démarchandisation = déflation

Comment faire fonctionner l’économie sans croissance des flux monétaires ?

Plus particulièrement : comment financer les politiques publiques et la redistribution sans accroissement de la base fiscale ?

De manière plus conceptuelle : comment développer l’échange social avec des valeurs qui ne circulent pas ?

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Imaginer une cohérence fondée sur d’autres principes que le marché et le monisme de la valeur (1)  

Solution théorique : Une « Co-évolution » de l’économie, des modes de vie

et du système social (démonétarisation coordonnée de la production, des échanges sociaux et des besoins)

Des outils économiques, monétaires et financiers subordonnés à des finalités non économiques

Un renforcement des institutions qui produisent et socialisent des valeurs non marchandes (École, etc.)

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Imaginer une cohérence fondée sur d’autres principes que le marché et le monisme de la valeur (2)  

Exemples de traductions concrètes : Aide au développement de l’économie collaborative « service public 2.0 » : vers une co-production des

services publics par les citoyens (développement du service civique, etc.),

Politiques sociales axées sur la réduction des besoins monétaires (cf. rapport sur le « Pacte de solidarité écologique » - 2011)

Partage de l’emploi et politique du temps (écologie des temps sociaux)

Pluralisme monétaire