La Quête - Arnaud LANDREAU
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Arnaud Landreau, 6, rue du Château d’eau , 16 000 ANGOULEME ; Tél : 06.64.23.03.52 ; [email protected]
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LA QUÊTE
Arnaud Landreau
Arnaud Landreau, 6, rue du Château d’eau , 16 000 ANGOULEME ; Tél : 06.64.23.03.52 ; [email protected]
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10/05/05
Aujourd’hui, j’ai envie de crier de toutes mes forces ma tolérance face au genre
humain, envers les alcooliques, les clochards, les marginaux.
26/11/04 : l’amorce d’un rêve
Dehors le ciel est gris et l’air frais. Les oiseaux ne chantent plus trop ; ils
pleurent déjà l’automne. Les feuilles tombent en masse et se posent délicatement
sur le sol souvent reluisant d’humidité. Je suis en ville et les quelques arbres
présents me font regretter la campagne charentaise, où, je suppose, la nature offre
un spectacle désormais teinté de mille couleurs. J’aime voir ces routes recouvertes
de feuilles dorées, rouges ou orange et bordées d’arbres de toutes tailles. J’aime
fouler les sentiers recouverts de feuilles mortes où on entend à peine le bruit de ses
pas, où on se sait plus où est le haut et où est le bas, où les feuilles sont partout. En
hiver, elles auront disparu, ramassées par les hommes ou balayées par le vent. Les
arbres afficheront alors leur nudité, leur maigre ou imposant squelette. J’aime
l’image des arbres nus qui sont devant un soleil rouge, sur le déclin. Ils
apparaissent alors noirs et frêles devant l’infinité du ciel.
Précipitation. La musique s’accélère, la batterie se déchaîne, les guitares
gémissent. Oh mon Dieu que nous avons la chance d’être des hommes et de côtoyer
la beauté ! Ralentissement. Je m’imagine dansant doucement sous un soleil de
plomb, auprès des vagues, sur l’air, dans l’eau, partout. Accélération. Sens. Rêve.
Espoir. Quête. Je veux être un artiste.
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L’apparition de l’anxiété et des phobies sociales
Adolescent, je commençais à ressentir l’anxiété, déjà. Le petit bonhomme drôle
et énergique avait cédé la place à un être introverti et timide. L’anxiété s’est
amplifiée avec ma maladie, surtout avec la dépersonnalisation. Ce symptôme
entraînait chez moi, dans les cas de crise, une angoisse terrible à l’idée d’être vu. Et
ce, même avec mes proches. A Sciences Po, j’ai eu de nombreuses conduites
phobiques dues à l’anxiété. Le pire était quand je passais en exposé devant toute la
classe. J’étais là, devant tout le monde et il m’était impossible de fuir, comme je
faisais d’habitude. Il y a même eu des fois où j’avais un exposé à présenter et où
j’allais à Sciences Po pour faire demi-tour devant l’entrée, pris dans une angoisse
terrible. Etre vu, il fallait absolument éviter d’être vu. Par peur qu’ils ne démasquent
ma folie. Par peur que je sois pris pour un fou. On m’a pourtant récemment dit que
mon mal n’était pas visible. Si seulement j’avais su que la plupart de mes souffrances
étaient dues à une illusion…Je ne regrette pourtant rien. Rien de ma vie. Je l’accepte,
telle qu’elle fut. Et si je devais retraverser les ténèbres pour encore être inondé de sa
lumière, je crois que je referais le chemin. Car je suis courageux. Et l’amour est le
tuteur vers lequel mon être doit s’approcher.
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1/11/04 : errance
Je marchais seul sur la plage, contemplant l’horizon. Les derniers rayons du
soleil m’éblouissaient. La plage était déserte.
Le vent soufflait fort et la mer remontait de plus en plus à mesure que le temps
passait. L’air avait un goût salé. Le ciel s’assombrissait. Mes pas étaient lourds dans
le sable. Je laissais des traces qui étaient vouées à la disparition. Je scrutais la mer et
l’horizon, les yeux humides de l’émotion d’être là. Je pensais à Sophie. L’air
emplissait doucement mes poumons. Je regardais le ciel en pensant à elle. Je
regardais mes pas. Je me disais que je n’étais pas venu ici par hasard. Mon cœur
battait fort. J’avais trop d’air. Je pensais que ma quête s’accomplirait, qu’elle
m’adorerait comme on adore les dieux. J’étais le plus heureux des hommes.
7/11/04 : ma maladie comme extrapolation de la normalité
J’en ai marre de travailler. J’ai envie de boire et de me saouler la gueule jusqu’à
pas d’heure.
Je viens d’aller m’acheter des bières. J’en ai trop marre de travailler. Tant pis si
je ne réussis pas. De toute façon il y a longtemps que j’assume ma médiocrité à
Sciences Po et je le vis très bien. Je ne suis plus le bon élève d’autrefois et ça m’est
bien égal.
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La nuit tombait sur Bordeaux et le froid commençait à frigorifier les visages. Je
buvais, seul et très pensif. Je pensais à mon passé, à ma folie et je voulais crier
partout que je n’avais pas honte de ce que j’étais, que pour moi le mot folie n’a
aucun sens.
Je voudrais crier que je me sens différent dans le sens où Jamison l’a écrit c’est-
à-dire que les maniaco-dépressifs vivent les choses plus intensément que les
personnes normales. Certes c’est un état pathologique mais je pense, comme Freud,
qu’il existe un continuum entre le normal et le pathologique ; je pense que le
pathologique est une extrapolation du normal. Je pense qu’on retrouve dans le
pathologique le normal avec des traits beaucoup plus exacerbés et accentués. Je suis
fier de ce que je suis dans le sens où je m’accepte et je m’assume pleinement. Je n’ai
pas honte de ma folie. J’aurai tendance à avoir une certaine tendresse pour les fous et
j’adore les films qui font l’éloge de la différence comme Vol au-dessus d’un nid de
coucou ou Family Life. Pour moi, on ne peut pas juger les fous, comme s’ils avaient
choisi de ne pas être comme tout le monde. On ne peut les juger dans le sens où leur
comportement est la résultante d’un choix rationnel; c’est comme si on jugeait
quelqu’un qui a le cancer. Ca n’a aucun sens.
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Ma révolte
Je pense qu’au fonds je suis un révolté. En tout cas avant ma dépersonnalisation,
je l’étais très intensément. Mais je suis toujours autant révolté par la misère, les
clochards qui ne savent pas où dormir. Même si je me sens impuissant, ça me révolte
énormément. J’ai été très marqué par L’homme révolté, d’Albert Camus. C’est un
essai d’une profonde intelligence qui opte pour une position mesurée, des actions à la
portée de l’homme sans trop d’ambitions démesurées. Ces ambitions ont conduit aux
totalitarismes et Camus à considérer l’histoire comme un absolu.
Pour lui, il y a l’histoire et autre chose : « le bonheur, la passion des êtres » ; je me
reconnais dans cette idée que l’histoire et la politique ne forment pas un tout dans nos
existences. Il faut savoir cultiver des relations avec des êtres et surtout savoir être
surpris et admiratif. Je n’hésite pas à déclarer mon admiration ou mon affection.
Peut-être que certains ne le feraient pas, par orgueil. Je me sens très éloigné de cet
état d’esprit. C’est peut-être une faiblesse mais je suis comme ça. D’un autre côté il y
a vraiment peu d’êtres que j’admire. Ca se compte sur les doigts d’une main,
vraiment. Souvent je suis déçu par les gens. Peut-être parce que je suis trop exigeant.
Et un élément important est que souvent, comme beaucoup, je ne me comporte pas
avec les gens comme j’aimerais qu’ils se comportent avec moi. C’est pitoyable je le
sais mais j’essaie au maximum de ne pas instaurer ce rapport odieux.
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La chute ou l’entrée dans la maladie
On sonna à la porte. Pour la première fois depuis plus de vingt ans, ma mère et
mon père étaient réunis pour venir me voir. Ils venaient sûrement fêter mon
écrasante victoire. Nous eûmes une longue discussion. Ils me parlaient de tests à
faire à l’hôpital. Je refusais une première fois, ne comprenant pas vraiment le but.
Puis mon père eut le mot juste : « Peux-tu le faire par amour pour tes parents ? ». Je
ne pouvais qu’accepter. Ils me conduisirent alors à l’hôpital Charles Perrens. Je ne
me rappelle plus très bien de ce que me dit l’homme avec lequel je m’entretins. Il
finit la discussion par me demander si j’accepterai de prendre des médicaments. Sans
me rappeler pourquoi, j’acceptais. Mon père rentra alors en Charente. Une fois de
retour dans mon appartement, je dis à ma mère que mon état ne nécessitait pas de
traitement. Je voyais qu’elle était très embarrassée. Elle passa deux coups de fil. Je
l’écoutais à peine, regardant dehors par la fenêtre, perdu dans mes éternelles pensées
printanières. Quelques minutes plus tard, un médecin dans une ambulance débarqua.
Il se renseignait sur mon état. Je lui dis que je ne ressentais plus d’angoisse et que je
n’en ressentirai plus jamais. Il me demanda : « Qui peut dire ça ? ». Je ne répondis
pas, un sourire aux lèvres. J’acceptais pourtant qu’il m’emmène à l’hôpital.
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La première hospitalisation
Une ambulance m’amena aux urgences de l’hôpital. A la salle fumeur, une fille
me demanda les raisons de ma venue. Je lui répondis que mes parents l’avaient voulu
mais que j’ignorais pourquoi. Je me dis, dans les jours suivants, que j’étais là pour
guérir les malades et essayais donc de leur parler le plus possible.
Des amis de Sciences Po étaient venus me voir. Romain surtout. Nous avions
joué au ping-pong tous les deux. Il m’avait dit, décelant mon jeu : « Ne fais pas
exprès de me faire gagner ». D’autres amis venaient me voir. Je sentais chez eux un
profond respect pour moi. Je croyais qu’ils saluaient alors le grand homme qui était
en moi. Emile me racontait quel sujet il avait du traiter en cours, ayant trait à la
croyance. J’essayais de lui faire part de mes arguments et lui recommandais de
conclure sur le fait qu’il croyait en moi. Il sourit.
Au bout de quelques jours, je fus transféré vers l’hôpital Camille Claudel à
Angoulême pour être plus près de mes parents. L’hôpital était moins vieux et moins
lugubre. Je fus placé dans une chambre double en compagnie d’un homme très peu
bavard, quasiment muet, perdu dans sa souffrance et le regard vide. Je lui demandais,
à mon arrivée, s’il croyait en Dieu. Il me dit : « Certaines choses se passent et
poussent à se poser des questions ». Je fis vite la connaissance de plusieurs personnes
notamment un gitan et une jeune femme, que je devinai schizophrène. Je lui tenais
souvent la main et parlais beaucoup avec elle.
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Durant l’hospitalisation, des groupes de parole s’organisaient où les malades
devaient faire part d’éventuels dysfonctionnements du service, notamment vis-à-vis
de leur cas. Je croyais qu’en organisant ces rencontres, l’équipe soignante avait
appliqué mes idées, apprises à Sciences Po, sur l’organisation apprenante. Je croyais
pouvoir transposer ce modèle à l’humanité : l’humanité devait puiser dans ses
connaissances « implicites », issues de l’expérience, pour évoluer. Par ce biais, elle
devait nécessairement être un ensemble apprenant de son passé, sous peine de
destruction. Cette impression de vol de mes idées était assez courante durant mes
épisodes délirants. J’eus la même réaction quand ma mère m’amena une revue avec
pour titre : Ferry ou le retour du bon sens . De même le matin, très tôt je me levais
et écoutais les émissions philosophiques de France culture. Je croyais qu’ils traitaient
des thèmes qui m’aideraient dans mes réflexions, et ce de manière délibérée.
Le temps passait et je restais toujours dans cet hôpital, me sentant victime d’une
énorme injustice. J’écris même au directeur en lui disant que j’étais le patient qui
avait besoin le moins besoin de traitement. J’avais également appelé le journal
l’humanité pour leur demander de dire au directeur d’hôpital qu’ils avaient bien
parlé de moi quelques jours avant. Je voulais qu’ils organisent ma sortie. On me
conseilla de faire appel de la décision d’hospitalisation, en recourant à la charte du
patient. A la fin de la discussion avec la journaliste je lui demandai si elle croyait en
moi. Elle me répondit : « Oui, oui ». Je répétais sans cesse à mes parents de me sortir
de là. Ils ont mal vécu ces moments, se sentant certainement responsables de ma
souffrance. Je crois même qu’ils gardent de cette période un plus mauvais souvenir
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que moi. Après tout, j’étais dans mes pensées rassurantes et je ne comprenais pas ce
qu’il se passait.
15/03/05 : Je veux être un artiste
Je me rends compte qu’à chaque fois que je mets les pieds à Sciences Po je me
sens mal à l’aise car je n’ai pratiquement personne à qui parler. Je suis complètement
isolé et je crois que c’est une des raisons pour lesquelles je rechigne un peu à y aller.
Je commence à haïr ce lieu, à ne plus supporter d’être entre ces murs et d’entendre
des cons me dire : « Mais on croyait que t’étais mort » vu que je n’y vais pas
souvent. J’en ai marre. En fait je ne me plais pas du tout dans ce que je fais. J’ai
l’impression que rien ne m’intéresse, que toutes les voies sont bouchées ou sans
intérêt.
J’aspire à autre chose. Mais je ne sais pas quoi. Et c’est bien là le problème. Si,
j’ai un rêve c’est d’être musicien ou écrivain. Un rêve lointain. Une espérance. Mais
je crois que je n’ai pas assez de talent. Ou que le système ne récompense pas ceux
qui ont du talent. Car j’estime en avoir un peu. Pas assez pour faire des trucs
vraiment bien. Trop peu du « talent » nécessaire pour faire des merdes dans le style
de ce qui passe à la radio.
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Alcoolisme et solitude
Ce ne fut qu’une chute perpétuelle dès lors que la maladie s’était déclarée. Je
m’étais mis à boire et à mesure que le temps passait j’augmentais les doses.
Il arriva un temps où je buvais tout le temps, même la nuit quand je me réveillais,
transpirant de tout mon corps. Je buvais même lorsque j’étais mal physiquement,
même au bord de la nausée. Parfois, je culpabilisais, mais l’insouciance désespérée
reprenait à chaque fois le dessus. Parfois aussi, je jubilais à l’idée de boire. Et j’étais
seul, la plupart du temps, me construisant un monde.
Je buvais par ennui et solitude. Mais aussi pour tenter de retrouver des sensations
et des émotions qui avaient déserté mon âme. Pour lutter contre ma
dépersonnalisation, qui m’a fait vivre un enfer pendant longtemps. Comment ai-je pu
me sentir à ce point démuni, à ce point victime d’une injustice ?
Parfois, même de sentir la tristesse me comblait. Je ressentais au moins quelque
chose. J’étais bien vivant, dans mon âme, ce que j’ai souvent oublié.
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22/11/04
Déçu par les gens, je me réfugie souvent dans la solitude.
Il faut être exigeant ou ne pas être. Cultiver les relations fortes
Ou ne rien cultiver. Mais une fois que le jardin est déterminé,
Une fois les personnes choisies, alors surgit le sens.
Car la recherche de sens est un but noble, constitutif de nos âmes.
Et alors, l’idée que quelque chose peut être construit surgit.
L’idée que rien n’est perdu, que tout est à venir, comme
Un horizon d’espoir qui se présenterait soudainement.
La vie est cyclique, l’espoir et le désespoir se suivent
Et à chaque fois que revient l’espérance, c’est comme un étonnement,
Comme si on redécouvrait les choses et les êtres.
Et alors, dans une exigence forte, on sait qui choisir et que choisir.
La vie comme enchantement nous émerveille.
L’admiration est là et on se sent fragilement petit. Avec fierté et
Dévotion. La vie nous apparaît alors comme un miracle.
Et alors, avec les vérités de l’homme qui sait, on suit la voie...
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Bérangère
Je suis allé en Inde il y a deux ans pour faire un stage dans une organisation non
gouvernementale pour le développement rural ; le stage n’a présenté aucun intérêt
puisque c’était juste de l’observation et que je n’ai rien eu de concret à faire. Alors
j’ai écrit un mémoire en anglais là-bas, essayant de recueillir des informations ça et
là et en allant interroger les femmes dans les campagnes. J’ai mangé avec elles
quelques fois sur des feuilles de bananier et avec les mains bien sûr des plats très
épicés. Ca les faisait beaucoup rire quand elles voyaient que j’en chiais et que je
toussais très fort à cause des épices ; elles m’ont tout de suite donné de l’eau.
Malgré le peu d’intérêt que présentait le stage, j’ai beaucoup aimé le pays.
J’aimerais beaucoup y retourner. Les gens sont d’une gentillesse incroyable et d’une
lenteur apaisante pour un occidental qui vient d’un monde saturé par la vitesse. Dans
l’ONG, des femmes nous amenaient du thé au gingembre deux à trois fois par jour.
Moi je jouais souvent au démineur sur l’ordinateur. En dehors de ça, j’allais souvent
à la plage tout près de Pondichéry. Les vagues étaient très hautes ; je n’allais pas très
loin du bord car depuis que j’ai eu une grosse peur en Corse, je fais très attention. En
Inde, beaucoup de monde roule en mobylette ou en moto et tout le monde fait du
stop. Je prenais souvent des enfants en stop et des vieillards aussi.
J’y suis resté un mois et demi ; à la base, je devais y être pour deux mois mais le
manque que j’éprouvais vis-à-vis de ma copine de l’époque m’a fait revenir plus tôt.
Elle s’appelait Bérangère. Je l’ai connu à Sciences Po durant ma première année.
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Elle était dans le même groupe de TD que moi. Je ne la connaissais pas plus que ça
mais je la croisais dans des soirées.
Un soir j’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai invitée à dîner chez moi.
J’avais acheté une bouteille de vin et j’avais fait des bolognaises. Le contact est très
bien passé. Je l’ai ramené chez elle et au moment de se dire au revoir, je l’ai
embrassé tendrement. Alors on est allé chez elle et on s’est encore embrassé
énormément, comme si chacun de nous manquait cruellement de tendresse. Puis
après je lui ai proposé de retourner chez moi. Elle a accepté. J’étais tout fou. Nous
avons fait l’amour plusieurs fois dans la nuit. J’étais extrêmement fier. Nous étions le
21 mars 2002. Nous avons vécu quelques semaines très envoûtantes jusqu’à la fin de
l’année scolaire. Elle était pour moi un stimulant impressionnant. L’été qui suivit, je
partais donc en Inde et la laissais pour un mois et demi. Quand je revins j’étais
extrêmement heureux de la revoir
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25/09/04 : l’émergence d’une vie d’adulte
J’ai 24 ans et je suis né à Cognac, ce qui explique peut-être mon goût immodéré
pour l’alcool. Enfant, j’étais plutôt turbulent et je racontais souvent des blagues.
J’étais blond comme les blés et j’avais les doigts potelés. J’avais un sweat shirt avec
Mickey dessus à la maternelle ; je m’en souviens très bien. J’ai vomi une fois en
classe sur mon ardoise. J’étais en CE1. Pendant que je vomissais, tout le monde me
regardait et j’avais de la morve qui dégoulinait du nez ; c’est à ce moment que la
maîtresse dit, avec un ton hautain : « Quel grossier personnage ! ». Je garde des bons
souvenirs de l’école primaire qui se trouvait à Châteauneuf en Charente. C’est à cette
époque que j’étais hébergé par ma grand-mère et que j’ai connu Nicolas, mon
meilleur ami d’enfance, avec qui j’ai fait pas mal de conneries et avec qui je
partageais beaucoup de choses. C’est avec lui que j’ai évoqué pour la première fois
mon fort désir de faire l’amour. J’avais neuf ans, et déjà les filles m’intéressaient.
J’avais d’ailleurs une petite copine en primaire qui se prénommait Carine ; je la
retrouvais tous les soirs après la classe dans un endroit reculé de la cour de récréation
pour lui faire un bisou sur la bouche avant de me casser en courant avec mon cartable
plein de livres. Ca a été ma première petite copine mais je ne crois pas avoir eu un
désir sexuel avec elle. Je crois même que je ne savais pas comment faire l’amour.
Je l’ai sû à la découverte de mon premier film de cul à dix ans je crois. Je ne
m’en suis pas remis. Je bandais comme un taureau pendant des heures. Mais à
l’époque je n’avais pas encore connu la jouissance.
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Ce n’est venu qu’aux alentours de douze ans, quand tout d’un coup je me suis
mis à frotter mon gland contre ma couette au lit. Je me disais que c’était bien
agréable et alors je l’ai fait jusqu’à l’échéance ultime, une toute petite goutte de
sperme dont la faible densité signalait que j’étais novice en la matière et qui m’a fait
mettre un pied dans le monde des adultes. Je n’ai fait l’amour que bien plus tard, à
dix-neuf ans, en deuxième année de prépa HEC avec une fille qui se prénommait
Anne-Charlotte. C’était tout simplement génial. J’étais extrêmement fier de l’avoir
fait et après j’ai fumé une cigarette au lit en la regardant tendrement. C’était aussi
mon premier véritable amour. « Mon cœur ouvrait les bras, je n’étais plus barbare »
chante Brel dans Mon enfance. Elle m’a largué comme une merde ; j’ai eu beaucoup
de mal à le vivre. C’est en partie pour ça que je suis tombé dans une forme de
dépression et que j’ai arrêté la prépa à quelques semaines des concours. Plus
important encore, j’étais jeune et très attiré par Marx ; je me voyais mal dans un
monde de requins qui ne pensent qu’au fric. Je voulais tout arrêter et je l’ai fait.
Ensuite, je voulais vivre à cent à l’heure et je buvais pas mal. Je me rappelle être
rentré chez mon père à dix heures du matin complètement bourré après une longue
nuit blanche, au terme de laquelle avec Sylvain on passait en voiture devant notre
ancien lycée pour insulter les lycéens qui commençaient la journée. On les traitait de
drogués alors qu’on transpirait l’alcool ! Je suis donc revenu chez mon père. Ma
petite sœur m’a vu bourré ; je crois qu’elle a eu peur. Le lendemain de cette soirée je
comptais aller chez ma mère à Dignac où la maison était libre pour fêter dignement
mon anniversaire. Mais je ne retrouvais plus les clés de ma voiture ; mon père m’a
dit qu’il les avait cachées car j’en avais trop fait.
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Il les mit sur la commode dans l’entrée en me tenant ces propos solennels :
« Si tu les prends et que tu t’en vas, tu ne remets plus les pieds ici » Je suis parti.
Finalement la soirée a bien eu lieu et j’ai revu mon père trois semaines après sans
l’avoir contacté durant ce laps de temps.
18/10/2004 : idées préliminaires pour accomplir mon destin d’artiste
Je m’ennuie alors j’écris. Je pensais au fait qu’il faudrait que je me mette à
composer une nouvelle chanson pour l’envoyer aux Inrockuptibles, qui organisent un
concours depuis deux ans. L’an dernier, j’ai participé et je faisais partie de la
présélection de soixante-dix sur plus de six mille chansons reçues. J’étais très fier
mais tout de même un peu dégoûté de ne pas être sur la compilation comprenant les
vingt meilleurs. Donc cette année soit je compose une nouvelle chanson ou alors j’en
réenregistre une ancienne dans une version améliorée. Le problème est qu’en ce
moment je ne trouve pas grand chose. Je suis un peu comme le peintre dans le film
Ivre de femmes et de peinture : j’ai besoin d’une femme pour créer…Ceci rejoint ma
quête éternelle de l’amour. « Aimer jusqu’à la déchirure ; aimer, même trop, même
mal » chante Brel dans La Quête; j’adhère totalement à cet asservissement aveugle à
l’amour.
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L’évangile selon Saint Matthieu
Au printemps 2004, j’ai regardé le film de Pasolini. J’étais fasciné par cette
figure représentant à la fois la révolte et l’amour. J’ai pleuré tout le long du film,
pleuré tellement c’était beau. Je pense que tel devrait être le sort des chefs-d’œuvre :
qu’ils fassent pleurer par leur beauté-même plutôt que par les sentiments impliqués
(comme la tristesse). Dans ce cas et dans ce cas seulement on pourrait parler d’œuvre
géniale approchée par une contemplation pure selon les mots de Kant.
Manie délirante
Le Royaume était proche, pensais-je. La guerre en Irak se déclenchait et rajoutait
un monticule de ruines à notre histoire. J’étais un révolté. Je ne dormais presque plus
et me nourrissais continuellement d’oranges. La tension me maintenait éveillé. Je
faisais des recherches, toujours des recherches. J’avais l’impression de penser
« comme si le sort de l’humanité en dépendait ». Je me disais que se dévouer jour et
nuit à une pensée salutaire était peut-être un des signes distinctifs de ceux qui on
marqué l’histoire. Un sacrifice de soi tendant vers la sainteté. Un processus de
singularisation extrême aussi. Je me sentais bizarre par moments : devenant femme,
homosexuel. Mais je pouvais contrôler tout ça ; c’était mon incroyable force.
Je me suis mis à éplucher les nouvelles sur internet. Le ton avait changé. Tous les
journaux m’évoquaient un personnage génial aux multiples facettes. Un journaliste
me murmura, entre les lignes : « Je n’ai qu’une chose à dire : deviens ce que tu es. »
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Je me disais que c’était sûrement comme ça qu’Il devait être appelé et que
son destin devait se réaliser. Par un appel, un signe. Je continuais mes recherches.
Mes idées fusaient, littéralement. Elles étaient colorées d’émotions fortes. Et je me
disais que tel devait être le cas des pensée nobles, loin d’une calme « objectivité » si
répandue.
Des pensées de sursis, en alerte. Et alors dans une intensification auto entretenue de
ma mémoire et de la pensée qui enserraient mon crâne, j’étais tout proche d’une
découverte capitale. J’ai ressenti tour à tour l’exaltation désespérée de Brel, la
mélancolie généreuse de Ferré, la révolte et l’amour du Christ. Et d’un coup, j’avais
compris ma vie et balayé génialement deux mille ans d’histoire. Mon destin
personnel et celui de l’humanité avaient convergé. Je me disais alors que c’était une
loi nécessaire inscrite dans l’ordre du monde. Oui il y avait de la nécessité dans cela.
Je l’avais dit à ma mère quand elle m’avait demandé : « Tu as trouvé quelque chose
de nouveau ? ».
Contre ma normalisation
Je ne veux surtout pas que ma psychiatre me traite en tentant de me prescrire des
médicaments qui normaliseraient mon être, dans le sens d’un « lissage » des
émotions pour me ramener dans la norme psychique du commun des mortels. Je
considère même que l’expression de mon identité réelle va de pair avec une vie
émotionnelle intense, écartelée entre l’extase et la pulsion de mort. Ces moments
extatiques sont certes dangereux pour moi, et ce pour plusieurs raisons.
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Mais mon idéal de vie se réfère à ce que j’ai vécu durant l’enregistrement de
mon album l’an dernier : une énergie bouillonnante, des émotions fortes, une forte
confiance en moi et des heures de sommeil récupérateur suffisantes. C’est seulement
dans ces cas-là que j’envisage une existence digne de ce nom.
Cette année 2007 fut celle où j’eus plus que jamais le sentiment d’avoir existé
sans jamais sombrer dans le délire. J’ai aussi mesuré à quel point la création
artistique ne peut que me conforter dans cette extase contenue, dans cette jubilation
qui ressemble à celle du chercheur en quête de vérités. Pourtant, Nietzsche disait :
« Nous avons l’art pour ne pas périr de la vérité ». Je ne sais pas si j’ai encore choisi
mon camp.
Bérangère et moi
A mesure que le temps passait, je ne pouvais concevoir l’amour que comme une
fusion dans le désespoir. Elle ne m’a pas suivi dans ma chute.
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11/12/05 : nostalgie des épisodes maniaques
J'aimerais avoir du génie....Voir les choses avec une clairvoyance redoutable,
créer de belles musiques avec des paroles profondes et sensées, être porté par une
énergie créatrice divine, énergisante, vivre dans l'euphorie, dans l'extase perpétuelle,
aimer avec passion enfin....
J'aimerais tant revivre mes épisodes maniaques. Il n'y a peut-être que là-dedans
que je peux réellement m'accomplir, exister. Ca ne serait pas dur à atteindre: il
faudrait que j'arrête mes médicaments, que je dorme peu et que je me crée des
conditions de stress....
Ca commencerait par de l'anxiété, de l'angoisse et pour surmonter tout ça je me
créerais des mondes imaginaires, euphoriques aussi où je me sens surpuissant,
invincible tout en étant fragile. Car derrière l'énergie débordante du maniaque il y a
aussi des manques, des fragilités, une angoisse perpétuelle. L'équilibre est ainsi
fragile, instable et l'euphorie peut vite faire place aux larmes et au désespoir mais au
moins on vit, on existe pleinement, on vit chaque moment de manière intense et on
ressent ainsi pleinement son humanité.
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25/05/05
Le printemps va arriver et comme d’habitude je vais me sentir mieux et je boirai
moins. J’adore cette saison. J’étais sorti avec Bérangère le jour du printemps 2001, le
21 mars. Elle avait mangé chez moi le soir du 20 et puis nous étions sortis ensemble
après minuit. Ce n’est qu’après que j’ai réalisé. En fait j’avais vu une fois dans un
horoscope détaillé qu’il allait m’arriver quelque chose quand j’aurai 21 ans. Et bien
j’avais encore 21 ans quand je suis sorti avec Bérangère, nous étions le 21 mars et
pendant l’année 2001. J’ai remanié ces choses durant mon premier délire en pensant
que 21 était mon chiffre fétiche et que le 21ème siècle serait le mien, celui du Christ
ressuscité.
Choix délibéré
Freud disait qu’une des caractéristiques des malades mentaux est qu’ils sont
incapables d’aimer et de travailler.
J’ai peut-être parfois menti à Caroline en lui disant que je l’aimais. J’étais parfois
traversé par l’euphorie mais je ne sais pas si c’était de l’amour. Ce n’est que
maintenant que je m’en rends compte. Une force inconnue me poussait constamment
à solliciter, à demander. Une force inconnue me poussait à surjouer cette demande.
Mais je ne peux en être responsable. J’étais dans une période aliénée et il m’était
alors impossible d’aimer. Et si j’écoutais ma nature profonde, je ne chercherais
même plus à tomber amoureux. Si tel était le cas, ça serait par faiblesse, en me disant
qu’une relation me ferait du bien et que la présence de quelqu’un me manque. Et puis
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je ne veux surtout pas causer de mal à quelqu’un. Mon destin m’a fait sauvage,
solitaire. Mais je le crie et haut et fort : je suis un hypercivilisé ! Car j’ai aimé
l’humanité entière d’un amour profond. Oui j’ai aimé l’humanité entière !
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18/09/05 : transe amoureuse
Ô musique! Je te chéris tant! Aucun être humain ne peut m'enivrer comme tu le fais!
J'ai envie de te crier mon amour inconditionnel!!
Tes lentes litanies sont autant de chants amoureux! Je n'ai jamais autant pleuré que
sur toi!!
Tu es ma déesse, mon seul amour éternel! Mon véritable amour...Tu n'es que beauté,
désespoir et amour!
C'est ce que j'aime tant chez toi...Tu es une source d'amour intarissable. Tu n'es
qu'harmonie! Tu es la perfection même!
Tu me réconfortes quand mes pensées sont désespérées et amorphes! Tu me
revitalises!
Et, quand je t'écoute et que tu es divine, je me sens comme bercé par une longue
source de don ! Tu es le don en lui-même!
Tu ne fais qu'inonder mon esprit d'harmonie, d'espoir ou de désespoir…Qu’importe
au final car tu me fais sentir que je suis homme parmi les hommes!
Et c'est peut-être le plus beau cadeau que tu puisses nous faire à tous : être homme
parmi les hommes! Je t'adore…Je te chéris!
J'aime souvent ta violence, ton cri désespéré! Peut-être qu'au fond tu n'attends rien et
que tu ne fais que donner et donner encore!
En tout cas tu ne peux être que noble car tu n'es que don et rien d'autre! Et Dieu sait
que le don est noble!
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Tes longues complaintes sont autant d'hymnes à la vie! Et que l'espoir prend sens
avec toi ! Tu es noble et belle! Je t'adore!
Avec toi, naissent les pensées et les émotions les plus nobles qui soient, celles qui
soulèvent les montagnes et respirent l'air pur ! Amen...
Tu es à la fois spirituelle, douce, enivrante et déchirée !! Que tu es noble...Comme je
t'adore !
Tu es désintéressée, sans condition !! Encore du don et jamais que du don ! Que ta
noblesse m'éblouit ! Comme un soleil au zénith !
Et je n'ai qu'un mot, pourtant si précieux, face à ta présence: l'espoir!
Ô musique, ma déesse, mon ange, ma rédemption ! Que ton visage est beau quand tu
souris et que tu déverses sur le sol tes hymnes sacrés !
Ici tout n'est que beauté et espoir; tout est merveilleux et les barbaries sont enterrées
à jamais, pour l'éternité !
Les sommets du délire
Conscient que peut-être ma vie se répéterait, en ce printemps 2004, je me disais
qu’il fallait que je prenne un traitement préventif. J’avais alors dit à ma mère : « Je
ne me prends pas pour le Christ, mais comme lui je suis un révolté ». Sur le chemin,
je rembobinais sans cesse la même cassette pour me passer en boucle un morceau de
Kent, Stop me June. Je regardais, pensif et ému, ce beau ciel changeant tout le long
de la route.
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De retour à Dignac, je restais tout le temps dans ma chambre. J’allai voir la télé
avec ma mère et Guy. Les Césars étaient retransmis. Quelqu’un parlait d’une
personnalité décédée en la décrivant comme un personnage mozartien : « léger et
profond ». Je croyais alors que cette personne parlait de moi. Je filai dans ma
chambre et me mis à pleurer. Des pensées presque délirantes me traversaient. Je
réécoutais toujours cette chanson.
Dans ces pensées, et plus encore pendant mon délire franc je ne peux qu’être
d’accord avec Deleuze quand il dit que le délire est une identification aux noms de
l’histoire. Il résume ainsi, à juste titre, le sommet du délire : « C’était donc moi… ».
J’ai ressenti cela d’une force incroyable. Je croyais être celui qu’annonçait Nietzsche
qui devait le comprendre, je croyais être, enfin, le Christ, de part la certitude que
j’avais d’avoir trouvé une philosophie révolutionnaire de la rédemption. Mes idées
m’avait permis, soi-disant, en même temps de cerner ma vie et mon être d’une
manière incroyablement claire et limpide. Et alors, je répétais : « Je suis donc celui-
là ».
J’ai connu deux sommets de ce délire, vraiment intenses, en rapport avec les
idées que je synthétisais dans ma tête avec fulgurance et rage. La première fois, j’ai
pleuré comme jamais, pleuré de joie. La deuxième fois, je me remémorais mes idées,
ma « philosophie » et au point ultime du délire, je ressentis comme une joie
extatique, comme celle qu’on a lorsque qu’on découvre des vérités. Au sommet de
cette joie, au plus extrême sommet et simultanément, j’eus la nausée et vomis tout le
vin rouge que j’avais bu depuis le lever.
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Ces « sommets » du délire, l’entrée dans le délire en quelque sorte, constituent
indubitablement les moments les plus intenses émotionnellement de toute mon
existence, tout comme les périodes maniaques non délirantes. J’ai des souvenirs
« extatiques » qui resteront gravés, je pense, très longtemps dans ma mémoire. Je
crois que je connais donc la joie de l’inventeur génial sans pour autant avoir trouvé
quoi que ce soit.
J’avoue que parfois, je repense aux « sommets » et je me dis qu’il devait y
avoir une part de vérité dans mes idées. Et je vis, du fait également des « signes »
extérieurs me correspondant, dans le doute quant à ma nature. Mais je sais que je suis
bon, et parfois rempli d’un amour immense pour l’humanité. Mais qui peut
l’entendre ? Qui ?
28/09/04 : l’espérance, malgré tout
J’étais seul mais heureux ; rescapé de mille tourments mais plein d’espoir. Il faut
toujours espérer, là est la clé de l’existence, une espérance quasi religieuse. Oui la vie
est parfois absurde, oui les autres déçoivent, oui nous sommes gouvernés par des
cons, oui Léo « avec le temps on n’aime plus » ; mais la plus grande et sage vertu
dans ce monde est l’espérance, si minime soit-elle. Durant mes épisodes délirants je
considérais que toute pensée vraiment universelle devait être teintée d’espérance.
L’espérance est le seul rempart contre le nihilisme et l’absurdité.
J’admire la sagesse de René Char cité par Albert Camus dans L’homme révolté :
« L’indifférence à l’histoire et l’espérance de la moisson sont les deux extrémités de
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mon arc ». Parfois cette espérance est battue en brèche et parfois elle se révèle à nous
en toute pudeur ; une relation naît : amour ou amitié remplissent alors de sens nos
vies absurdes. On reconnaît en l’autre un frère ou une moitié et plus rien n’est aussi
important. La vie devient alors divine, étonnamment libre et puissante, comme si elle
nous avait laissés de côté.
Et alors le bonheur arrive brutalement et tout nous touche : le chant des
oiseaux, un bébé qui pleure, un vieillard qui a du mal à traverser, les clochards dans
leur malheur.
A ceux qui me reprocheront d’avoir naïvement vanté les mérites de l’espérance,
je leur dirai, haut et fort, de tout mon cœur, qu’il faut avoir traversé bien des déserts
de désespoir pour comprendre la notion si fragile et précieuse d’espérance. La
cultiver dans son jardin et dans son intimité est une rare vertu. Car je suis avide de
regards brillant de mille feux qui voient, à l’horizon, le bonheur se profiler et qui
apporteront, dans une joie indicible, la moisson riche et tant attendue dont parlait
René Char.
L’émotion d’être là
J’étais là, habité par une solitude joyeuse, enivré de cet air pourtant impur et
écoutant une musique envoûtante (Explosions in the sky, The only moment we were
alone). C’était le tournant. Kant parlait d’un tuteur qui nous ramènerait à ce que l’on
devrait être. Je savais maintenant qui je devais être : un être plein d’espoir pour le
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futur. Je rêve de te rencontrer, future amoureuse, prêt pour un nouveau
bouleversement. Et si ça devait s’arrêter, je recommencerai jusqu’à ma mort avec
l’idée de Kipling selon laquelle il faut savoir, sans dire un seul mot, se mettre à
rebâtir si l’on voit détruit l’ouvrage de sa vie. C’est une éthique de la construction
incessante ; en effet, tout se construit, tout se détruit et l’espérance est un moteur
puissant qui fait le lien entre les deux.
Je regardais sereinement le ciel bleu, respirant à pleins poumons. Je ressentais
pour la première fois la « Stimmung » dont parlait Deleuze à propos de Nietzsche :
l’émotion d’être là. J’étais heureux d’être en vie.
Rapport fusionnel à la musique
Ce dernier album de Sigur Ros est une pure merveille; je suis ébloui par cette
beauté solaire, déchiré et romantique. Ca sonne comme un chant amoureux, comme
une sérénité déclarée. Ca me rend serein, paisible et joyeux à la fois. Seule la
musique me fait cela, seule elle me transporte comme cela. Je suis touché par la
musique autant que par l'amour; parfois, comme par magie, c'est un amour fusionnel
entre moi et une musique qui naît. Alors, en général, on ne se quitte plus. Et quand
cette relation dure, et bien cela veut dire que, de mon point de vue, j'ai été conquis
par quelque chose d'une beauté éternelle, un chef- d’œuvre, quelque chose qui donne
des ailes qui vous animent et vous donnent envie d'aimer, d'être bon. Peut-être que la
musique peut rendre moral. J'y crois un peu.
De plus, je me rends compte que les mots ne peuvent exprimer ce que je ressens
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au plus profond de moi même. Parfois (et c'est le cas avec Sigur Ros), cela m'inspire
des pensées, des émotions mais tout va trop vite, je ne peux l'écrire. Par contre je
pourrais le dire je pense, souvent en criant. Et alors, je pense que cela pourrait durer
des heures; je vénère la belle musique, c'est précieux et rare, ça enivre comme de
l'alcool, ça me change, ça me parle intimement. On atteint le summum de la
communion la plus spirituelle : désertez les églises et ouvrez vos oreilles à la
musique!
Dépression et délire : les deux faces de ma maladie
Chaque année, durant l’hiver la plupart du temps, je vivais des épisodes très
durs, marqués souvent par l’absence totale de désir et de vitalité. Je passais des
heures dans mon lit à me morfondre en écoutant en boucle des musiques
mélancoliques et en sirotant des bières. Tout devenait insurmontable, même le
moindre détail de l’existence.
Parfois je me forçais même à dormir pour ne plus penser à rien ou par ennui.
Une lassitude profonde me caractérisait et j’avais l’impression de devenir spectateur
de mon état, devenant impuissant face à mes problèmes. Je recourais souvent à la
procrastination1, disais non à tout ce qu’on me conseillait de faire. Le moindre effort
requis pour une activité me faisait horreur. J’avais l’impression d’être inanimé,
comme les choses, ne sentant rien, n’ayant envie de rien et ne croyant en rien. Depuis
j’ai compris à quel point Spinoza avait raison quand il disait que l’homme était avant
tout un être de désir. Car le désir est le puissant moteur de l’existence. Je pense que
1 Qui consiste à remettre toujours tout au lendemain
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le désir m’a sauvé. Le désir de matérialiser mon destin dans des œuvres d’art.
L’homme n’a souvent qu’un but en tête : le bonheur et le bien-être. Moi, je veux
créer et trouver des vérités, quitte à sacrifier mon être.
Quand je délirais je pensais avoir trouvé une philosophie révolutionnaire de la
rédemption. J’avais envoyé mon projet à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences
Sociales à Paris mais le professeur qui l’a lu m’a fait part de sa perplexité.
En fait je voulais appliquer le modèle de l’organisation apprenante de
l’entreprise (qui postule que les connaissances implicites, celles qui sont acquises par
l’expérience, doivent être davantage exploitées, c’est-à-dire : pour moi, l’humanité
était une vaste organisation dont le passé devait nécessairement servir au présent
sous peine de destruction. De plus ces idées me confortaient dans mon idée que
j’étais le Christ car j’avais entendu à la radio une émission sur Walter Benjamin qui
montrait que le Christ sera celui qui préviendra de ce qui arrivera si on ne fait rien :
la grande catastrophe, l’apocalypse. Je pensais donc avoir révolutionné la
philosophie en montrant que le passé doit nécessairement servir au présent sous
peine de destruction. Entre autres choses, Nietzsche avait écrit qu’il ne serait
véritablement compris que dans cent ans (à son époque) et je croyais être l’heureux
élu. Je n’arrêtais pas de me regarder dans la glace et d’admirer ce regard vif digne
d’un génie qui allait révéler au monde des vérités déterminantes dans l’histoire de
l’humanité. La question de la rédemption de l’humanité m’obsédait tous les jours
durant mon délire. Je me devais de trouver des choses nouvelles, d’être le Sauveur.
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Sortie de délire
Sorti de l’hôpital, je revins chez ma mère. Je ne sais plus comment cela s’est
passé et quel cheminement m’a fait rejoindre la réalité. Mais tout s’est éclairci d’un
coup. J’ai repris point par point les éléments du délire et ai reconnu que je m’étais
trompé. J’appris que Bérangère fut énormément soulagée par la nouvelle. Romain
m’avait dit qu’elle avait pris une décision à contre-cœur et qu’elle m’aimait encore.
J’ai alors espéré, pendant assez longtemps, en vain.
23/09/2005 : la logique du délire
Je me sens fragile, à fleur de peau. Complètement vulnérable, complètement
déconnecté, complètement inadapté. Ces sensations reviennent assez souvent chez
moi. Comme un retour éternel de ma nature inquiète et anxieuse. Je ne suis pas fort.
Ou alors par phases, mais ma faiblesse, ma nature reviennent vite au galop comme
pour me dire que mes sentiments d'invincibilité ne sont qu'éphémères, comme pour
me dire que la condition humaine, qui est notre lot à tous, ne peut m'échapper. Ou
plutôt que je ne peux pas lui échapper.
Je m'analyse et je me dis que je bois pour effacer ma fragilité et pour vivre
mieux la solitude. Pour devenir autre, pour devenir un être sans crainte, sans
angoisse. L'alcool est une illusion, un voile mis sur la réalité. Mais pourquoi faudrait-
il affronter les choses de pleine face ? Avec toute la vulnérabilité qui me caractérise.
Je ne me sens pas capable d'affronter une solitude sans alcool. C'est trop pesant pour
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l'instant. Cependant, je mets beaucoup d'espoir dans ma relation avec Caroline car
l'amour, l'affection apaise et rend plus fort. Mais en même temps plus fragile aussi.
C'est le dualisme de l'amour. Mais, même s’il rend plus fragile, je pense que le jeu de
l'amour en vaut la chandelle. Pour tout ce qu'il peut apporter de noble, de beau, de
transcendant. Car on se découvre (dans le sens de s'explorer mais aussi dans le sens
de se rendre vulnérable et fragile), on devient authentique; on devient réellement sa
nature virtuelle la plus aboutie, on devient ce qu'on est vraiment.
Et, à vrai dire, je pense que mes épisodes maniaques et délirants peuvent
s'expliquer par ma faiblesse originelle : le délire s'installe dans des moments de
faiblesse extrême et il agit comme un voile protecteur; il me fait oublier le monde tel
qu'il est et il m'enferme (car il s'agit un peu d'une prison en réalité où la
communication avec le monde et autrui est biaisée) dans un univers réconfortant, on
ne peut plus réconfortant, où je me sens puissant, invincible. C'est comme ça que
j'analyse mes délires récurrents. Comme l'installation d'un voile, d'un autre être au
monde que le mien véritable qui apparaît comme la seule issue à ma survie mentale.
Comme une échappatoire à ma douleur, à ma souffrance. Pour autant le contenu du
délire peut paraître arbitraire. Il se trouve que mes idées deviennent chrétiennes.
Peut-être pour signifier, dans la solitude et la douleur la plus extrêmes, que seules des
paroles d'amour et d'ouverture à l'autre sont valables.
Le délire est peut-être ce cri déchaîné qui ne s'exprime pas assez dans nos
natures égoïstes, égocentriques. Le délire est violent, on devient déchaîné,
intransigeant et révolté. Il n'est peut-être qu'une exacerbation de l’ être, une limite
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extrême. Il a donc sûrement un sens et n'est pas que déraison. La déraison peut sans
doute avoir un sens profond. Il ne faut pas s'arrêter aux symptômes négatifs mais
essayer de saisir l'essence du mouvement qui consiste, de manière assez brutale, à
devenir un autre. A essayer enfin de comprendre le sens du message de tout délirant.
Dépersonnalisation
L’Universalis définit la dépersonnalisation par rapport à la sphère du moi
psychique comme le « sentiment éprouvé par le sujet que l’ensemble de ses affects,
pensées, actes ont perdu les qualités par lesquelles, normalement, toute expérience
vécue se réfère à l’image intime que chacun se fait de sa personne. Il ne se reconnaît
pas dans ses actions, ses paroles, ses émotions, qui paraissent étrangers ou
étrangères, colorées d’irréalité. Ce sont certaines formes discrètes, d’impression de
vide intérieur, qui atteignent dans les formes plus franches le sentiment
d’anéantissement de toute vie psychique ». L’Universalis en rajoute en définissant la
dépersonnalisation comme « l’expérience » vécue d’un sujet éprouvant l’angoisse de
perdre le sens de sa personnalité, de la consistance de la réalité de l’ambiance où il
vit , et qui, se cherchant au miroir intime de sa conscience, n’en reçoit que l’image de
sa propre perplexité, d’ « être comme n’étant pas ». « Elle n’est pas perte de la
notion du réel mais du sentiment de réalité personnelles vécue ». Elle est la perte de
la notion de réalité du vécu intérieur.
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Je me reconnais totalement dans ces définitions. Depuis quatre ans (hormis les
phases maniaques et le délire), j’ai eu l’impression d’un vide intérieur, d’une irréalité
de mon vécu, pas du monde ni des personnes. J’avais lu que la dépersonnalisation
donnait l’impression d’être un observateur de son fonctionnement mental. Quand
j’étais anxieux, je savais, j’avais conscience de l’être mais je me sentais impuissant à
régler, par moi-même, en me raisonnant, cette anxiété et les sentiments d’irréalité.
J’étais comme à distance de moi-même ; une fois, je suis même allé jusqu’à
dire à Caroline, quand j’étais anxieux : « Je suis-je suis anxieux, qu’est ce que je suis
anxieux !!! » limite en rigolant de moi-même, ce qu’une personne normale ne peut
faire. Elle m’avait fait remarquer que j’étais très à distance de moi-même ;
maintenant je comprends mieux. Récemment, J‘étais dans un bar et l’impression de
dépersonnalisation m’a repris ; j’étais froid envers le serveur (je le voyais bien à ses
réactions… Cela s’est passé il y a plusieurs mois, mais cette impression d’être froid
n’était qu’une illusion...
Me sentant récemment dans un état comparable, ma mère m’a dit que je n’avais
pas l’air froid. Cela m’a aidé dans la mesure où je le sais et va calmer mes angoisses
je l’espère), je m’en rendais compte mais je ne pouvait rien faire pour ne pas être
froid, encore une fois, mes intentions profondes étaient en contradiction avec mes
actes, mes réactions (j’étais donc comme étranger à moi-même, observateur
impuissant de mon vécu et de mon comportement ; dans ces cas là, j’ai un
comportement de fuite, de phobie et d’évitement des situations). La plupart du temps,
dans ces cas-là, il y avait d’un côté mon comportement et de l’autre la conscience
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que j’en avais ( qui n’est pas habituelle mais qui est encore une fois marquée par « la
mise à distance de soi-même ») et cette conscience se rendait compte des choses, de
leur inadéquation avec la réalité ; ceci provoquait une gêne mais parfois, je
surmontais ça en ayant une attitude encore plus aliénée qui consistait à supprimer le
fait que j’étais un observateur de moi-même et d’assumer pleinement mon vécu
(anxieux ou stressé) sans se soucier du regard des autres.
Cela m’était arrivé à Paris ; j’étais à une terrasse d’un café, et, me laissant
aller, je regardais méchamment les autres. Devant leur regard effrayé, du moins c’est
ce que je percevais.
Cette dépersonnalisation est soudainement apparue juste avant ma bouffée
délirante vers le printemps 2003 ; elle m’a frappé après une longue période
d’angoisse, un stress intense et un genre de mutisme, où je ne parlais pas trop à ma
copine de l’époque, qui me trouvait « transformé ».
Ce qui m’est arrivé, je n’avais pas de mots pour le décrire : je disais à ma mère
que j’avais fait une régression infantile ( quand la dépersonnalisation m’a frappé
subitement, je croyais avoir perdu la raison, l’enchaînement logique des pensées), je
ne me sentais plus humain, je n’osais pas être en compagnie des autres, y compris
mes proches, mes amis ( en qui je pouvais pourtant avoir une confiance absolue) car
j’avais une grosse peur : qu’ils voient en moi quelqu’un de non humain, marqué par
la froideur ( et ne pouvant contrôler cette froideur). J’avais une attitude fuyante
envers les invitations des autres de Sciences Po quand ils voulaient me voir, je ne
pouvais tout simplement pas affronter leur regard, de peur de paraître un monstre
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avec un regard sans l’expressivité caractéristique de tout être humain. Cette
dépersonnalisation fut vécue comme un changement brutal dans le ressenti, une crise
existentielle sans précédent, un ébranlement total ce que j’étais avant, le sentiment
d’être devenu autre.
Parfois, j’étais en public et je « sentais » cette dépersonnalisation, en faisant des
exposés en cours devant les autres j’avais un stress et une anxiété grandissante à
mesure que la présentation se déroulait : encore cette impression d’être perçu comme
un homme qui n’en est pas un, avec un regard inexpressif. Je me suis rendu compte
que je me percevais totalement transparent, que je n’avais pas ce médium qu’est la
conscience, l’intimité, que j’étais à découvert vis-à-vis des autres, que je n’avais pas
d’intimité, qu’ils pouvaient directement percevoir qui je suis, au travers de mon
regard qui, même si je ne le sentais pas expressif, ne mentait pas.
En fait, souvent mon anxiété n’avait pas d’objet ; on me demandait très souvent :
« Pourquoi tu es anxieux ? », « Pourquoi tu es stressé ? », et je ne savais pas quoi
leur dire, ou je n’osais pas leur dire, ce que je savais pertinemment : j’étais tout
simplement anxieux et stressé devant les autres pour un motif qui résume tout le
processus de dépersonnalisation : j’étais anxieux, stressé d’être tel que j’étais, en
décalage avec ce que j’étais, dans un état mental que je ne reconnaissais pas comme
mien. C’est ce qui se passe à chaque fois que j’ai ces crises devant des gens : je suis
anxieux, une boule de stress, car j’ai l’impression de ne pas être moi-même devant
eux, j’ai l’impression d’être fuyant, froid, apathique, tout le contraire de ce que
voudrait ma volonté à ce moment là mais elle ne peut plus s’exprimer. Souvent dans
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ces états, je fuis les gens car cette situation est pour moi insupportable parce que les
gens pourraient se faire une fausse idée de moi ou me percevoir pour ce que je ne
suis pas, même si extérieurement je suis, effectivement, pour eux, quelqu’un de froid
et d’apathique. Un phénomène étonnant était les pertes de mémoire récurrentes dont
je faisais l’objet :
- souvent, lorsque que j’étais au lit, je pensais à quelque chose et deux minutes
après je me disais : « A quoi ai-je pensé ? » et je ne m‘en rappelais quasiment
jamais.
- une fois j’étais allé au cinéma avec une fille, j’avais beaucoup bu. A la sortie,
elle me demande si j’ai aimé le film, je lui dis : « Non pas trop », elle
demande : « Pourquoi ? », je ne savais pas quoi lui répondre ; je ne me
rappelais d’aucune seconde de ce film et j’en étais conscient en sortant du
film (je ne m’en suis pas rendu compte le lendemain mais bien sur le
moment).
- Je manquais de mémoire car j’avais vu que le souvenir est lié à l’émotion et à
son intensité. A partir du moment où je n’ai plus connu ces moments
d’intensité émotionnelle, j’ai eu très peu de souvenirs de ma période
dépersonnalisé et les souvenirs intenses de ma vie d’avant ( notamment
durant ma relation amoureuse avec Bérangère), je les vivais de manière
lointaine ; je revoyais les situations, les contextes mais sans ressentir ce qui
s’était passé et sans que ça me rende trop nostalgique, joyeux ou triste.
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- Avant, j’avais du mal à décrire ce qu’il s’était passé pour moi ; je parlais à
mes parents d’un manque de sensations, d’émotions mais en fait c’en était
l’absence totale…l’élément crucial était aussi (mais je n’arrive pas trop à le
décrire) que je n’avais pas les sensations des gens normaux quand ils
réfléchissent. J’avais l’impression (peut être fausse) que quand je trouvais une
idée pertinente (au regard des autres), je ne me rendais pas compte qu’elle
était pertinente, ça ne faisait pas un déclic dans ma tête, ce qui normalement
se passe quand on a la joie d’avoir trouvé une idée vraie, vérifiable.
Face à cela, de nombreux problèmes sont apparus : j’avais des conduites
fuyantes, anxieuses, phobiques. Je n’osais plus affronter le regard des autres. Même
devant mes proches, je ne le supportais pas. Je croyais que mon mal était visible de
l’extérieur. Ma mère m’a récemment dit que ça ne se voyait pas.
J’avais donc vécu dans un état de quasi-délire par rapport à ça pendant une grosse
partie des trois années de naufrage. Peut-être que cette dépersonnalisation est
responsable de tous mes troubles. J’en suis presque persuadé. Les phobies et
l’anxiété s’expliquant par elle et le sentiment d’être perçu comme malade ; la
recherche d’états maniaques pour l’intensité des émotions, absentes pendant les
périodes de dépersonnalisation ; les épisodes dépressifs à la fois comme nostalgie du
passé et comme détresse de ne plus rien ressentir. Les problèmes d’alcool jouant
dans les trois cas des rôles différents. L’élément essentiel qui explique peut-être toute
ma vie durant ces trois ans est la nostalgie du paradis qu’Il m’a fait entrevoir.
L’injustice avait été réparée. J’avais été touché par la grâce en contrepartie de ma
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souffrance sans nom. Cela dura quelques jours. Alors, maintenant, je vis dans
l’espoir de connaître à nouveau cet état, sachant que je n’en suis pas maître. Il faudra
peut-être traverser encore des déserts de solitude et de détresse pour que cette
puissance divine s’incarne de nouveau en moi.
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10/03/05 : je fus un génie virtuel
Ca fait du bien de découvrir de nouvelles musiques. On se dit que tout n’a pas
été fait. Il y a tout le temps un groupe, à un moment donné, qui sonne différemment.
Cette notion de « différence » me fait penser à la définition du génie que donnait
mon prof de philo en prépa : « un génie c’est quelqu’un qui voit l’humanité
différemment » et bien cette définition m’est revenue l’an dernier, lors de mon
deuxième épisode de manie délirante.
Je pensais, comme je l’ai écrit avoir découvert quelque chose de différent, de
nouveau et cette définition me faisait penser que j’étais un génie. Je me rappelle que
l’idée qu’il fallait établir une philosophie de la rédemption m’est venue juste après
les attentats d’Al Qaida en Espagne, en mars de l’année dernière je crois. J’étais chez
Yvan pour qu’on revoie le court-métrage qu’on avait réalisé et les idées farfelues sur
la rédemption de l’humanité me sont soudainement venues. En fait soudainement
n’est pas le bon mot. Car j’avais repris ce que j’avais écrit la première fois que j’ai
déliré. Je me rappelle que je pensais être le seul à avoir compris Nietzsche (alors que
je n’ai pratiquement rien lu de lui) et cet état m’a fait pleurer. J’étais intensément
(comme jamais je crois) touché et ému. On peut encore voir les traces des larmes qui
ont floué l’écriture sur la page qui a recueilli mes pensées tourmentées.
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6/11/05 L'évidence du jour, la nécessité: point de salut pour moi hors de la Création Artistique.
La voie du mysticisme
Au début une tension extrême mêlée à une révolte désespérée formaient l’être en
devenir que j’étais. Elle désespérait de ne pas pouvoir être don. Je portais sur mes
fragiles épaules la souffrance de l’humanité, et pas du tout métaphoriquement. Je la
ressentais même au plus profond de moi. Il n’y avait plus cette distance entre moi et
le monde. Le monde était en moi. J’en débordais, dans son éternelle souffrance. Un
jour, je me disais, dans une fureur et une rage qu’ont les fous : « Tous les êtres
devraient être épargnés par la violence!!! ». Les larmes me venaient, amèrement. La
tension se faisait de plus en plus oppressante. Je m’investissais dans des réflexions
philosophiques que j’avais laissées inachevées un an auparavant, juste avant
l’effondrement. Je croyais alors détenir la clé du Royaume.
La tension s’était dissipée peu à peu. Je sentais bien que je subissais une
transformation. En quelques jours, je me suis senti d’une incroyable sérénité, et
ressentais un énigmatique amour sans objet. Ma perception était radicalement
différente. J’ai commencé par vivre cette nouvelle expérience de l’existence
renfermé chez moi. J’écoutais en boucle les mêmes chansons. Une sereine obsession.
Je percevais leur lenteur magique.
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J’écoutais ces chants souffrants mais ils pénétraient en moi comme s’ils ne
m’atteignaient pas. Pas dans leur souffrance. Ils me faisaient sourire. Un sourire
mystérieusement attendri par cette douleur.
Je me suis décidé à goûter cet état contemplatif à l’air printanier, qui n’avait
jamais été aussi exquis. J’avais pris le bus pour aller dire au revoir à Marine à la gare.
Je m’étais assis vers le fond. Je regardais les visages des passagers pendant que le
son d’une guimbarde et sa vibration cyclique entretenaient lentement mon euphorie
contenue. Certains souffraient. Moi (mais s’agit-il bien de cela ?), j’étais là à les
regarder, comme si je n’étais pas de ce monde, comme si une puissance ne m’en
faisait voir que l’aspect esthétique. Son aspect majestueux. Mon regard devait en dire
long sur l’amour. Mais personne ne me regardait, du moins je ne m’en souviens pas.
Du bus, je regardais les passants. Il me semblait qu’ils marchaient très
lentement. J’avais comme une sorte de perception hors du temps. Je les contemplais
(aucun autre mot ne peut traduire cela) dans leur beauté pure. C’était réellement
l’impression associée à ce « sentiment océanique » où les peurs et où toutes les
inclinations du moi avaient disparu. Ne subsistait que la perception pure entièrement
déterminée par un amour et une joie sans bornes. Elle en était submergée. Comme
une nouvelle perception qui inonde et remplit, dans laquelle chaque seconde suscite
un ravissement supérieur à la précédente. J’aurai peut-être pu leur faire part de ce
phénomène extraordinaire.
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Mais j’étais là, dans un silence délicieusement terrassant. Je ne crois pas que
j’aurai eu la force ni le courage de leur parler à ce moment-là. L’intensité de
l’événement était bien trop grande, bien trop débordante, bien trop inconnue pour
être communiquée.
Prière
Comme j’étais beau ces jours-là
Comme le monde est riche et multiple, à travers tes yeux
Comme la perception est puissante !
Pourquoi m’avais-tu choisi ?
Pourquoi moi ?
Fais-moi revivre ta puissance
Montre-moi les choses telles que tu les vois
Amen.
11/11/05 Je suis un bateau sans but aux conduites suicidaires qui se fout de tout. L'horizon
est sombre et la mort proche.
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11/02/05 : un ange nous a quitté
Le ciel était gris sur Bordeaux. Je repensais à la mère de ma mère qui est
malheureusement décédée il y a plus de dix ans maintenant. Elle était d’une
gentillesse absolue et très simple. Je repensais que nous lui en faisions voir de toutes
les couleurs avec mon cousin Pierre quand nous étions tous les deux chez elle. Elle
avait perdu son mari, mon grand-père, quand ma mère était petite. Donc elle a dû
élever ses quatre enfants toute seule, ce qui a dû nécessiter un grand courage. Elle
était aimée de tout le monde. Elle préparait les repas pour la cantine aux Métairies,
près de Cognac. Si le paradis existe et qu’elle peut me lire de là-haut, je lui dédie ce
journal. Je sais que ma mère était très proche d’elle et que la disparition de Mamie
Nova (c’est comme ça qu’on l’appelait) l’a bouleversée.
Ma mère et ma grand-mère se voyaient très souvent et s’entendaient à merveille.
Elle est morte d’un cancer. A la fin, elle portait des perruques et ça me faisait bizarre
Je l’avais vu sur son lit de mort avec un très beau poème de Lamartine à ses pieds
(qui est toujours sur sa tombe d’ailleurs) et j’étais très touché, très ému. J’avais la
gorge serrée et toute la famille avait le visage grave, sérieux. Mon père avait insisté
pour qu’on la voie, moi et mon frère, sur son lit de mort. Et quand les gens des
pompes funèbres ont mis le corps dans le cercueil froid et noir, tout le monde
pleurait. A l’église, l’adagio d’Albinoni passait et le maire de la commune des
Métairies lisait un texte qu’il avait écrit et qui montrait son admiration pour ma
grand-mère.
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Au cimetière, il faisait froid et il pleuvait quand le cercueil a été mis à côté
de celui de mon grand-père. Quand un être si parfait disparaît comme ça, si tôt, on se
dit qu’il n’y a pas de justice, qu’il n’y a pas de Dieu surtout, ou peut-être pas.
3/12/04
Le travail me coûte énormément. Je bosse depuis cinq heures et j’en ai marre.
Comme d’habitude, je m’y mets au dernier moment et je n’ai jamais le temps de finir
les choses. Ca ne me sert pas de leçon. En plus je n’aime pas ce que je fais. Ma place
aurait été dans une faculté de lettres ou de cinéma où mon activité principale aurait
été de fournir des analyses de films ou de livres. J’en ai marre de Sciences Po, je ne
m’épanouis pas du tout dans ce que je fais, les exposés me saoulent complètement. Je
ne suis pas fait pour ça. Mais on choisit souvent les choses pour ce qu’elles semblent
représenter pour la société. Sciences Po représente une formation pluridisciplinaire
destinée à former l’élite de la nation. J’avais choisi ça en voyant qu’il y a avait plein
de matières différentes enseignées, et une certaine ouverture sur le monde. En réalité
je suis très déçu par cette formation.
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15/09/05
J'écoute le dernier album de Sigur Ros qui est sorti il y a deux jours. Une
chanson est somptueuse. Elle m'inspire énormément. La musique me transporte, c'est
ma véritable drogue, bien plus que l'alcool. Je vénère la belle musique, je la ressens
intensément. Je suis en transe là; j'ai envie de crier, de chanter d'aimer comme un
fou, de vivre à 100 à l'heure. Ma joie est inexprimable, mes pensées fusent, je ne
peux le transmettre par écrit. Je suis fou...
Surmenage et stress en prépa
Le surmenage que j’ai connu en prépa HEC en 2000 représente un élément
important qui fut certainement le déclencheur de ma maladie. Le travail demandé et
une rupture amoureuse douloureuse m’ont totalement submergé et amené à
l’épuisement. Avant de démissionner, j’étais incapable de lire, de me concentrer. Je
me sentais vidé, à bout. C’était la première fois de ma vie où j’avais un problème de
stress sans arriver à le gérer. Je fumais du cannabis et parfois dans mes bad trips, je
me voyais fou, peut-être schizophrène. Parfois, je croyais, sans raison, que l’on
parlait de moi négativement. Les choses se renversèrent quelques années plus tard, et
avec plus d’intensité.
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Un malade mental dans le couple
La rentrée de la troisième année approcha et les problèmes commençaient à
émerger, surtout à partir de Noël : elle me trouvait pessimiste, dépressif et, surtout,
elle se sentait impuissante. A l’époque je prenais du lexomil pour calmer mon
anxiété et mon angoisse ; elle avait cessé d’être un refuge pour moi, rien ne pouvait
plus m’apaiser. J’étais seul et perdu dans mon angoisse. On décida de faire une pause
dans le couple. Je n’allais plus jamais être avec elle. Une nuit que je regardais les
informations sur internet, je me suis mis tout d’un coup à penser que les gens
parlaient de moi et que j’étais l’élu. Le lendemain, je sortais autour de chez moi et je
croyais que le vent transperçait mes yeux, que j’étais devenu une âme pure. Le
lendemain, je pensais que le monde attendait une apparition en public de ma part.
J’allais en voiture chez Bérangère en écoutant Brel. J’arrivais donc chez elle et je
lui disais que je n’avais plus d’angoisse et que je n’en aurais jamais plus de ma vie.
Je voulais faire l’amour avec elle alors qu’on n’était plus ensemble. Elle a
refusé alors j’ai claqué la porte et je suis parti. Le même jour la sonnette retentit chez
moi. J’ouvre et je vois apparaître ma mère et mon père, réunis pour une des rares
fois. Ils voulaient que j’aille faire des « tests » à l’hôpital. Quant à Bérangère, ce fut
le dernier jour où je l’ai vue.
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6/01/05
Je bois encore. Tout le temps. Il est 17 heures 17 et je me suis acheté douze
canettes de bière de 33 centilitres. Je compte finir ça avant de me coucher
21/09/05
Caroline : - coucou bisounours !!!
Arnaud : - coucou petite chérie!!
- ça va ?
- oui ça va bien et toi??
- oui je reviens juste de mes cours. Et toi ta journée s'est bien passée ?
- oui j'ai eu une réunion d'information…mais j'ai fait ma merde je suis pas allé au cours
d'informatique...mais aucune mauvaise conscience ni culpabilité, comme d’hab quoi!!!:)
- c'est bien d'être rebelle .... j'adore… sinon j'ai reçu tes trois mails ; qu'est ce qu'ils sont
mignons ! Je craque ! J’ai vu aussi que tu avais un emploi du temps allégé…C'est super
bien !
- ouais...Sinon tu sais quoi ma chérie???
- non mon nono ?
- ben tu m'as beaucoup manqué aujourd’hui et puis j'éprouve beaucoup de tendresse pour toi et puis
j'ai envie déjà de te protéger car tu me sembles toute fragile…je me lâche pas trop ?
- non ça va tu te lâches pas trop... Toi aussi tu m'as manqué mais j'avais pris ton CD et je
l'ai écouté en boucle dans la journée ; dans le tram, le bus, à l’IUFM ... c'est génial !
- hé hé ça me fait très plaisir tu sais ça....
- merci beaucoup d'ailleurs pour ce CD. C'est un super cadeau
-
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- sinon on ne va peut être pas partir en Espagne ce week-end à cause d'un problème de
voiture. On va certainement le repousser au week-end prochain
- ah ok...
-sinon rien à dire ?
- ben si plein de choses tu sais!!!
- ah bon ?
- oui tout le temps avec toi...enfin au moins intérieurement, même si j'extériorise pas tout le temps:)
- j'ai écrit plein de choses sur toi dans mon journal aujourd’hui
- et tu vas me le dire ce que tu as écris ?;)
- non ! Enfin je sais pas...
- non c'est ton journal, il faut que tu le gardes pour toi !
- juste un truc très gentil, enflammé…ça te dit??
- allez vas-y ! Puis après je vais au lit en pensant à tes mots enflammés ... mais aussi pour
récupérer un peu avant ce soir !
- ben …Elle est peut-être la princesse fragile et sensible que j'attendais »
- que c'est mignon, et touchant ....je rougis là
- hé hé et toi tu veux pas me dire des mots doux que tu penses sincèrement sur moi ?
- si ... mais tu le mérites ?
- ben oui…Enfin ça dépend de toi, je sais pas moi si je le mérite...
- si, tu le mérites, tu as été super mignon sur tes mails... Et puis j'ai envie de te le dire alors
bon ... ben j'aime bien faire l'amour avec toi, je te trouve super mignon super charmant et
super intéressant
-…
- j'ai beaucoup d’affection
- pareil pour moi, je sens un feeling énorme...
- oui c'est clair… Moi aussi je le ressens
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24/11/2005 : l’aspiration au bonheur Ô mon Dieu, j'attends ma renaissance avec impatience, la renaissance de la
sérénité, de la joie et de l'enchantement
Car je suis mort une première fois, mort noyé dans l'alcool, le nihilisme et
l'indifférence.
Et j'ai déjà chanté les louanges du mouvement rédempteur qui consiste à
traverser des ténèbres pour voir ensuite la lumière
Et je sais que je mérite cette rédemption. Je sais aussi qu'une force incommunicable
m'anime, et va désormais me déterminer
Je sais que je veux me transformer, devenir autre tout en restant un peu moi-même.
Je sais, ô mon Dieu, je le sais, que je vais pouvoir être enfin heureux à nouveau et me
retrouver. Car le bonheur doit se construire patiemment avec force et détermination.
Mon bonheur m'attend en musique, en amour, en amitié et sans alcool.
Mais je ne regrette pas d'avoir sombré; il ne faut rien regretter. Je l'ai fait car je
devais le faire, voilà tout. Il n'y a pas d'autre raison.
Mais rien n'est figé, rien n'est alarmant car on est tellement changeant !Et le
malheur peut céder la place à l'euphorie créatrice en si peu de temps!
Il n'y a donc pas d'être dans l'absolu : il y a un être déterminé par les conditions du
moment qui s'adapte ou qui ne s'adapte pas.
Mais rien n'est jamais perdu j'en suis certain. Tout évolue et le bonheur est à la portée
de chacun.
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17/10/05 : le nihilisme
Je ne sais pas si un jour je me sortirai de mes problèmes avec l'alcool. En ce
moment je ne pense qu'à boire, qu'à être ivre mort. Je ne pense même plus trop à ma
relation avec Caro. C'est bizarre. J'ai pourtant envie de continuer de tout cœur car je
pense que ça peut marcher, vraiment. Au fond de moi, j'y crois.
A midi j'ai mangé avec Yvan et Maxime. C'était bien. Et depuis tout à l'heure
j'arrête pas de boire des bières. Je pense que parfois, j'ai une conduite suicidaire: je
me comporte comme si j'allais mourir: je ne fais pas attention à l'argent que je
dépense, je ne suis pas du tout responsable et j'aime à penser que je ne le suis pas.
Parfois je me dégoûte, parfois je m'aime. J'ai envie de parler de mes problèmes
d'alcool à Caro car je me dis que les relations avec les filles, au début, ça tourne
souvent autour du fait qu'on doit être bien sous tout rapport. Moi j'aimerais qu'une
fille connaisse mes vices, ma maladie et pouvoir être bien avec elle. Mais je suis un
idéaliste. Les femmes et les hommes ne sont pas comme ça ; pas au début d'une
relation.
15/11/2005 : L’injustice s’est abattue sur moi
Qu'ai-je fait au monde pour être dépersonnalisé et pour ne pas me sentir homme?
Si seulement les autres pouvaient me comprendre. Ils ne le peuvent pas pour une
raison simple: ce que j'ai ressenti et qui me mine n'est pas de l'ordre du rationnel.
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Pour résumer, c'est l'impression inédite d'être devenu un autre et cet autre n'a
plus trop d'émotions et de sentiments et cette expérience, par définition, est
l'expérience-même de quelque chose d'inhumain, d'inconcevable donc
d'incompréhensible.
En fait j'ai l'impression que quand j'en parle aux autres, ils sont comme "à côté"
de ce que je dis. Quand je dis à Grégoire que j'ai l'impression de ne plus ressentir les
choses comme avant il me dit que c'est normal. Il est à côté car ce n'est pas comme si
je ressentais les choses mais différemment; c'est que je ne ressens quasiment plus
rien et que ce qui faisait mon charme avant c'était mon côté ultra sensible et à fleur
de peau. Et je le ressentais.
Pourtant j'ai l'impression que mes proches et les gens autour de moi me
considèrent comme tel. Le problème est que moi non.
Enfin, si…Dans un sens je sens que je suis tourmenté dans mes réactions mais
beaucoup moins qu'avant pour ce qui est du ressenti. Et j'aimerais qu'on m'éclaire sur
le fait que les "à côtés" de mes épisodes délirants me rendent comme avant.
J'aimerais aussi qu'on me comprenne profondément quand je dis que j'aimerais
« redélirer ». J'aimerai qu'on aille au-delà de l'idée selon laquelle on ne peut pas
vouloir la folie, que ça ne se fait pas.
J'aimerais qu'on relise les passages précédents sur ma souffrance liée à la
dépersonnalisation et qu'on reconnaisse avec moi qu’effectivement la folie délirante
peut être une issue pour moi, la seule peut-être.
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Ou l'amour peut-être, si jamais il vient un jour m'enlacer dans ses bras. Moi je
n'attends que ça. Au final, il y a trois issues possibles: la folie, l'amour ou la mort. Je
sais que c'est radical mais j'estime bien résumer la situation.
Ecrire
A chaque printemps, je ressentais un puissant besoin d’écrire. Et je reprenais,
année après année, les mêmes idées initiales en y apportant des développements.
Souvent, quand je me relisais, quelques semaines plus tard, les idées paraissaient
confuses, entassées les unes sur les autres. Mais ce besoin d’écrire était puissant. Il
était comme un défouloir contenu de ma révolte, ma rage et ma soif de justice. L’idée
que j’avais fait une découverte capitale pour l’histoire de l’humanité est le deuxième
événement le plus marquant de ma vie.
Elle s’est présentée avec une telle intensité, une telle pertinence que je ne pouvais
absolument pas soupçonner son caractère illusoire et factice. C’est paradoxalement
l’idée qui s’est imposée à moi, dans mon existence, avec la plus grande puissance.
Etait-ce seulement du délire ?
12/12/05
Au final, il n'y a que l'art et l'amour. L'art et l'amour!
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Les signes émis par la nature
Quand je suis allé en Inde à l’été 2002, je venais de passer quelques mois
magiques avec Bérangère. J’avais laissé tomber Angélique pour elle et je l’aimais
d’un amour immense. J’eus pour la première fois l’impression de savoir ce qu’était
vraiment l’amour. Au début j’avais peur de partir comme ça, à l’autre bout du monde
et ma vie là-bas fut souvent dure. Mais parfois, je pensais à elle et j’étais pris de joie.
Je crois que mes premiers états d’euphorie datent de ma période avec elle. Jamais je
n’aurai pu être comme ça avec Angélique. Dans un sens, Bérangère m’a révélé à
moi-même.
De minces éléments délirants sont apparus en Inde, date à laquelle ma sensibilité
aux « signes » s’est déclenchée. Je jouais souvent de la guitare dans cette maison
ouverte sur le dehors avec pour fenêtres de minces grilles. Je chantais ma souffrance
et le vent se levait alors, pendant que les oiseaux se mettaient à chanter.
Je ne sais plus exactement ce que j’ai pensé à ce moment là mais je l’ai perçu comme
un signe et évidemment surtout quand mon être fut, quelques mois plus tard, poussé
dans ses limites les plus extrêmes.
Le signe qui revenait le plus souvent lors de mes épisodes délirants était lié à
l’évolution du temps qu’il faisait.
Je croyais non pas que je contrôlais le temps mais qu’il s’accordait toujours
parfaitement avec mon état mental. Quand le soleil perçait et resplendissait dans le
ciel, c’était comme une porte ouverte en même temps qu’un signe de ma divinité.
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56
Comme si le processus climatique était le reflet de mon processus mental. J’ai ainsi
plusieurs fois interprété la canicule de 2003 comme un signe de mon effondrement
quelques mois avant. J’ai ainsi interprété, a posteriori la tempête de décembre 1999
comme le reflet de ma perte de connaissance le soir du 1er de l’an 2000. Cet
événement fut le plus marquant pour moi, à tous les niveaux et bien sûr pour son
symbolisme.
Ces épisodes délirants sont pour moi d’immenses brassages de signes qui
convergent tous vers une idée, auto-entretenue par l’obsession : l’idée de ma divinité.
Et dans ces cas-là, rien ni personne ne saurait me faire penser autrement. J’avais
raison, contre tous.
18/06/08 : aspiration à la joie suprême
Revenant d’une clinique près d’Angoulême où j’ai beaucoup réfléchi, je me suis
trouvé un projet d’envergure : composer, écrire et vivre la joie suprême. Aérienne,
puissante, inconditionnelle.
Puisses-tu me faire revivre cette joie.
Arnaud Landreau, 6, rue du Château d’eau , 16 000 ANGOULEME ; Tél : 06.64.23.03.52 ; [email protected]
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Le vide intérieur
Ma maladie va sûrement me forcer à prendre un traitement à vie. Parfois je
l’abandonne et cela se ressent dès le lendemain matin : j’ai alors envie de pleurer et
suis enclin à l’anxiété. Parfois je suis beaucoup plus en forme. J’ai le sentiment que
le neuroleptique que je prends (le risperdal) bloque mes émotions et annihile ma vie
psychique émotionnelle. J’ai appris à vivre ces états dépersonnalisés (états, qui
s’expliquent autant par la nature de ma maladie que par le biais d’un effet secondaire
du risperdal), à ne plus me les représenter comme une fatalité. Peut-être certains
auraient mis fin à leur jour en ayant le sentiment d’être inhumains et de ne plus rien
ressentir (c’est la solution pour laquelle j’avais opté, une nuit de l’hiver 2005, quand
j’ai avalé vingt fois ma dose de risperdal et bu quatre litres de bière).
Mais chaque jour où les émotions sont lointaines, qu’elles soient positives ou
négatives, je vis dans l’espoir qu’un être, qu’une œuvre d’art, que mes pensées
s’accompagnent d’un frisson émotionnel.
Le fait d’être ému est donc devenu chez moi un élément rare de ma vie que je
célèbre chaque fois qu’il se présente à moi. C’est la raison pour laquelle je suis si
nostalgique des périodes maniaques de ma vie et surtout de mon épisode mystique,
qui fut tout en affectivité et en émotivité. Pour moi, l’épanouissement et
l’intensification de cet aspect-là de la vie psychique de l’homme est une des
conditions d’accès au mysticisme.
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L’ange déchu
Je fus cet ange déchu. Ma rage de réussir et ma révolte étaient pourtant si
intenses. J’étais un anarchiste et je crois que c’est bien le lot de tous les vrais
révoltés. Mon être fut poussé dans ses extrêmes limites mais peut-être qu’ici réside la
source suprême de la connaissance. La vérité dans la révolte absolue, qu’on gueule
ou qu’on dit en pleurant. Aux antipodes de ce que font habituellement les adultes : se
résigner à accepter le monde tel qu’il est. Je ne voulais pas être de ceux-là mais je
suis allé bien trop haut et j’ai brûlé mes ailes. Angelus Novus, regarde aussi, horrifié,
ma chute et avec elle, l’espoir d’un renouveau déserter les lieux. .
Prière pour mon destin
Je ne sais si je dois aimer une femme ou si je dois sacrifier ma vie
Mais comme ce sacrifice serait éblouissant !
Je ne sais quel est mon destin. Il me faudrait un signe, mon Dieu.
Je ne sais si je ne peux qu’être - simplement mais pleinement.
Ou si je dois simplement vivre
Quelle est ma véritable nature ô mon Dieu ?
Quel est mon destin ?
Par pitié, manifeste-toi
Par pitié, donne-moi un signe
Car en ce jour, ma peine est grande
Amen.
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L’amour ?
Je ressens désormais l’insociable sociabilité dont parlait Kant, comme si c’était
réellement de la physique. J’oscille entre l’attraction qui espère et la répulsion
horrifiée. Parfois, j’en viens à penser que la vie est impossible avec ou sans les
autres. Qu’ils seront toujours là pour nous décevoir et qu’on sera toujours là pour en
attendre trop ou ne rien en attendre du tout. Une attente proportionnelle à ce que l’on
pourrait espérer donner. J’avais passé 6 mois seul chez moi à faire mon album, que
j’espérais alors sublime, porté par une énergie surhumaine. Désormais, je suis revenu
à mon état médiocrement normal et je vis ma solitude avec ennui et mélancolie.
Je repensais avec quelle passion et quelle admiration un ami me parlait de sa
copine, peu après Noël. J’admirais la beauté de ses propos et la beauté de son amour.
Je me disais aussi que ce n’était là qu’une illusion et que leurs difficultés devaient
être insupportables quand il me disait qu’ils n’étaient pas d’accord sur certains points
de leur vie commune.
Je ne supporterais pas que la moindre chose se passe de nouveau mal avec quelqu’un.
J’en viens à n’être qu’au fond qu’une bête, une fleur sauvage qui se refermerait à
chaque fois que l’on essaierait de l’approcher brutalement. Je ne suis plus cette fleur
éternellement ouverte, même lorsque l’orage gronde. La vie m’a appris à mieux me
considérer et à mieux savoir ce que je vaux. A mieux connaître la manière idéale et
justifiée d’être traité. A mieux agir en conséquence. Alors je sais que même si mon
cœur aspire à voler, il n’atteindra que difficilement les cimes.
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Moi l’artiste et le philosophe, ma véritable thérapie
Durant mes épisodes maniaques, je me posais avant tout en artiste, avec une
force inégalée. Cela revenait, même dans les idées délirantes. Un soir délirant je dis à
un ami que j’allais passer la nuit à écrire 50 pages sans ponctuation ; et j’étais
certain d’y arriver. Avant, je composais, tout de même, mais timidement; pas avec la
rigueur d’un travail et sans trop d’ambition. Mais il y a une barrière à franchir, en
tout cas pour moi, pour se définir artiste. Une prise de conscience à avoir. Je l’ai eu
progressivement ; je me suis équipé de matériel il y a un an et j’ai commencé à
enregistrer mon album deux mois après. En 2007, je n’ai pas fait de rechutes et
jamais je ne me suis senti aussi équilibré. Il faut avouer, contre ceux qui ne voient
que par le traitement médicamenteux, que je m’en suis sorti par moi-même. J’ai
trouvé ma voie.
Je suis un artiste et un philosophe. Voilà ma véritable thérapie, ma vérité qui n’a
émergé que récemment dans ma tête. Je m’épanouis pleinement dans ces
« activités ». Peut-être sauront-elles même me faire vivre en solitaire, sans que
l’ennui me trouble. Tel est mon idéal de vie. J’ai bien trouvé un sens puissant à ma
vie : créer !
Je conçois tout à fait que ce qui est à l’œuvre dans l’inspiration, c’est bien une
puissance extérieure dont la manifestation ne se prévoit pas et ne se commande pas.
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Je reconnais que lorsque j’ai composé et enregistré mon album pendant 5
mois, je vivais une phase hypomaniaque de joie et d’énergie intenses. Tous les
matins, je me levais à 4h, tombant du lit pour me retrouver directement devant
l’ordinateur. Chaque fois avec le même enchantement. Chaque fois avec le même
désir. Le désir était ma puissance créatrice, tout comme la joie. Je me sentais porté
par quelque chose. Je n’étais pas du tout conscient des choix que je faisais. En fait les
choix se faisaient et je me rendais compte qu’ils me donnaient, a posteriori, une
grande satisfaction. Il y a des aspects de ma musique dont je prends conscience juste
maintenant et qui m’échappaient lors de leur création.
Je suis ainsi pleinement d’accord avec l’idée que l’artiste ignore ce qu’il fait. Il
est le dévot d’une puissance extérieure. Cette puissance, dans mon cas, se retrouve
dans l’humour, dans la séduction. Elle est la source de mon énergie. Et quand elle
n’est plus là, je suis plongé dans une profonde nostalgie qui me pousse à
m’interroger sur la véritable nature de mon être. En tout cas, je vis dans une éternelle
insatisfaction tant que cette énergie n’est pas revenue. Parfois, je me demande même,
tristement, si elle reviendra un jour.
A vrai dire, j’ai découvert qu’il m’était impossible de vivre sans créer. Sans ce
souffle, cette vitalité. Sans ce délicieux sursis qui pousse à extérioriser la part d’âme
qui est inexprimable, comme si on était au seuil de la mort et que l’on avait envie de
pousser son dernier cri pour qu’il résonne à l’infini, jusqu’à la fin des temps. On fait
bien de l’art pour être immortel.
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Ce qui se dévoile dans l’art, c’est l’âme dans ce qu’elle est au plus profond d’elle
même. Ce qu’il est impossible de dire face à une personne car il existe bel et bien
une incommunicabilité entre les âmes. L’objet de cette incommunicabilité est
pourtant, à mon plus grand désespoir, ce qui a le plus de valeur et d’authenticité
parmi les hommes. C’est un sentiment métaphysique. Les hommes le fuient
continuellement, se protégeant. Ce sentiment est le sentiment « océanique » qui
voudrait faire fusionner l’homme avec l’Autre : autrui dans le pire des cas, Dieu dans
l’autre. L’âme humaine aspire à s’extirper de sa solitude, qui s’impose à elle dès la
naissance.
La cure et l’arrêt de l’alcool
J’ai arrêté l’alcool depuis plus d’un an maintenant, sans que ça ne me demande
trop d’efforts, paradoxalement. Je n’ai pas fait de rechutes non plus et c’est sûrement
pour ça que je n’ai pas eu de difficulté. Le choix d’arrêter complètement est lié à la
connaissance de ma nature et de son rapport avec l’alcool. Je me sens tout
simplement incapable de reconsommer de l’alcool sans reprendre des cuites.
La reprise de l’alcool
Je me suis remis à boire il y a une quinzaine de jours. L’anxiété et de fortes
pulsions m’ont donné une forte envie d’alcool que j’ai directement satisfaite en
buvant une pinte au bar et ensuite toute une soirée. Depuis je bois tous les jours,
certes de manière inégale.
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Je me demande si je suis capable de m’imposer la contrainte de l’alcool zéro.
J’y trouvais tout de même un plaisir, même si le goût de la bière m’écœure
maintenant.
J’ai pris la décision de refaire un séjour à la clinique. Nous sommes vendredi et
je serai en cure à partir de la semaine prochaine. J’espère que ce passage en clinique
va me permettre de faire un retour sur moi-même et à nouveau me remettre dans la
peau d’un créateur joyeux, plus qu’heureux d’être en vie. La joie est mon but, même
en esthétique. En ce moment je me passe en boucle le dernier mouvement de la 6ème
symphonie de Beethoven. C’est une des premières fois où une musique peut susciter
chez moi une joie aussi profonde, en même temps sereine. Beethoven est mon génie
du moment.
Edouard
Je repense souvent à Edouard, avec ses belles mains d’argent2, et la symbolique
qu’il incarne. Ses mains d’argent sont à la fois signe d’inhumanité mais elles sont
aussi source de création.
Edouard porte en lui un stigmate qui pourtant lui donne le statut de créateur de
choses exceptionnelles. Il fait figure d’étranger dans ce monde de l’apparence et de
commérages.
2 Le film Edouard aux mains d’argent, de Tim Burton, avec Johnny Depp
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Le parallèle avec la figure du poète décrite dans L’Albatros est évident. « Ses
ailes de géant l’empêchent de marcher ». Le poète est majestueux quand il crée ; il a
un statut de créateur surhumain mais il ne peut se mouvoir parmi les hommes. Le
poème traite du stigmate physique mais c’est une allégorie du stigmate psychique qui
est souvent associé à la figure de l’artiste. Peut être suis-je cet Albatros ?
Prière
Donne-moi la force d’être amour
Fais que la grâce me soit donnée
Fais de moi un illuminé
Je serai ton dévot, ton disciple
Amen.
3/10/04
Je ne me tiens pas beaucoup au courant de l’actualité ; je vis un peu en dehors du
monde car je sens que tout ça me dépasse en quelque sorte. Certes à titre informatif
cela est utile mais on ne peut rien en faire.
Ca reste cantonné aux dissertations d’étudiant ou aux discussions dans les dîners
pour montrer qu’on est un citoyen avide d’informations. Je déteste les « relations »,
les « connaissances » avec qui on pourrait avoir ce genre de discussions pour se faire
mousser, montrer qu’on a de la culture.
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Je pense que ces relations ne valent pas la peine d’exister. Je pense que seule
l’amitié (ou l’amour) permet d’entretenir des vraies relations, honnêtes, sans aucune
volonté de se la jouer. C’est pour ça que je ne connais pas beaucoup de « collègues »
à Sciences Po ; je n’y ai pas trouvé de vrais amis comme Sylvain ou Vincent, mes
copains du lycée. Les gens y sont en général très politisés, avides de débats et
d’échanges sur les grandes questions politiques de l’époque. Parfois, j’ai
l’impression d’être anarchiste tant je ne peux supporter le pouvoir sous toute ses
formes. Je pense simplement que tout pouvoir d’un homme sur un autre ne saurait
être justifié.
En fait je suis un anarchiste indifférent au monde politique. Je ne peux pas
supporter les hommes de pouvoir, qui pensent au prestige et à la gloire. Pour moi, les
plus grands de ce monde sont ceux qui ont su rester humbles, comme Gandhi. Sa
philosophie de la non-violence est l’une des plus belles qui soit, peut-être trop naïve
pour être pris au sérieux par un occidental. « La guerre est horrible mais parfois elle
est nécessaire », répondrait un occidental « sage » ; je crois qu’il faut avoir une
philosophie du non totale. Je suis un radical ; quoi de plus normal que le radicalisme
quand on sait qu’il désigne l’attitude qui consiste à « prendre les choses à leur
racine ».
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Présence
L’autre jour, en me remémorant des périodes de ma vie, j’ai comme senti
l’existence de Dieu. J’ai senti qu’il était amour. Mon épisode mystique et ceux des
autres m’a fait pleinement croire au divin dans l’homme. Il se trouve que chez les
mystiques une puissance extérieure se manifeste et elle les unit en se manifestant
invariablement comme amour universel. Cette puissance, je l’ai ressentie comme
existant en dehors de moi, ne s’incarnant pas en moi. Je ne sais pas où elle est, je ne
sais pas non plus si elle « est quelque part ».
Mais je la sens.
L’authentique religion
Bergson a raison quand il dit que l’authentique religion est celle des mystiques,
celle qu’il nomme « religion dynamique » qui s’enrichit à chaque nouveau
« témoignage » venant de mystiques. Eux, et eux seulement, détiennent un sentiment
religieux qui soit véritablement pur. Leur religion prônée est bien loin de celle
répandue par l’église chrétienne. A partir du moment où des hommes d’église ont le
pouvoir et que ce ne sont pas des mystiques, la religion dynamique est mise en branle
et des contraintes qui ne sont pas libératrices émergent. Et on voit alors se mettre en
place un diktat des mœurs, diktat professé par les hommes d’église ayant du pouvoir.
Pour moi, mysticisme et pouvoir institutionnel sont incompatibles. Si on veut avoir
une authentique idée de la foi, il faut s’en remettre aux sentiments et idées de nos
mystiques.
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Le véritable renouveau de la religion chrétienne viendra de nouveaux
mystiques qui tenteront de parachever la rédemption de l’humanité en rendant
compréhensible leur mode de fonctionnement. Pour moi, il s’agit en fait de savoir
quelle modification de l’état de conscience (dans une certaine mesure, le mysticisme
se définit comme cela) se produit et pourquoi nous devrions adhérer aux valeurs,
sentiments, idées qu’il implique. Là est la clé de l’avenir du christianisme.
Bergson dit aussi des mystiques qu’ils possèdent une sorte de « science innée ».
Me remémorant mon épisode mystique, je ne peux qu’adhérer à cela. La vérité
jaillissait en moi à la vitesse de la lumière. Je me disais alors, tentant de me justifier :
quand on sait, on sait qu’on sait.
Je connais le caractère indémontrable de cette thèse mais je peux l’affirmer haut et
fort : le mysticisme est l’accès immédiat au savoir suprême.
La puissance perdue
Le sentiment d’être déterminé par une puissance extérieure dans les épisodes
maniaques ou mystiques est maintenant une évidence pour moi. Mais je connais
aussi l’autre face de cette puissance, un sentiment de solitude qui revient
éternellement chez moi, sous la forme d’une sorte de délire mélancolique qui
s’exprime au travers une fragilité côtoyant des envies de suicides. Dans ces cas-là,
l’anxiété est dominante, j’ai l’impression d’être inanimé, incompris. Il y a, et c’est ce
qui est très angoissant chez moi, une part d’incommunicabilité de mon état, qui est
faussé, et invariablement mal compris.
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Je fonctionne comme une machine et cet état représente l’arrêt de la machine. Je ne
lui ai pas encore trouvé de nom, je n’en ai encore jamais parlé à quelqu’un. Cet état
désigne un aspect du secret de mon être que j’espère pouvoir un jour mieux
définir…Car souvent, je reste sans voix, isolé dans mon lit, incapable de
communiquer, fébrile et fragile à la fois
Et, au final, c’est la musique qui me sauve. Personne n’a jamais eu de
comportement tel que je puisse me sortir de cet état-là. La musique le peut. Elle est
ma compagne secrète qui m’emmène où elle veut. C’est alors que la machine se
remet doucement en marche, aspirant à atteindre d’autres « sommets extatiques du
monde ».
Vision
J’aspire à ne plus être moi-même, à me débarrasser de tout ce qui relève de mon
ego. Parfois, il me fait même horreur de jubiler à l’idée d’être aimé et pire, de se
contenter de ça pour vivre. L’illusoire énergie du narcissique. Pour être un être
solaire, il faut renoncer à l’intérêt et à tout ce qui émane de la personnalité. Il faut
tuer l’individu qui est en nous et faire émerger l’être dans sa pure jouissance
cosmique. L’être émerveillé, ébloui. Il faudrait pour cela retourner à l’état
indifférencié, et nouvellement différencié. La question essentielle serait de savoir ce
qui pourrait, culturellement, favoriser l’avènement du mysticisme.
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Car aujourd’hui, le mysticisme ne peut être que dissidence et marginalité. Il ne
peut être vu que comme un phénomène résiduel de maladies mentales, dans nos
sociétés envahies par le pouvoir de la science. Il est pourtant cette lumière limpide
qui pourrait irradier l’humanité et rendre possible un espoir révolutionnaire. Son
étonnante actualité tient à sa perpétuelle « conscience » transhistorique. A sa soif
anarchique de liberté et de justice. Une explosion de la véritable « nature humaine »
qui ne se manifeste que chez une poignée d’élus. Je fus un de ces élus.