La Quatrième Vologda de Varlam Chalamov

1
Du 5 au 19 décembre 2008 10 KOULTOURA Le Courrier de Russie Le Courrier de Russie Exposition Quand Turner se fait ambassadeur Moscou accueille le précurseur de l’impressionnisme Livres Quand les souvenirs s’en mêlent « Je me suis toujours senti à l’étroit partout. (…) J’avais toujours l’impression de ne pas avoir fait quelque chose, de ne pas avoir eu le temps de faire ce que je devais faire. De n’avoir rien accompli pour devenir immortel (…). J’arrivais en retard dans la vie, non pour recevoir ma part du gâteau, mais pour participer à la fabrication de cette pâte, de ce levain ivre. » Varlam Chalamov Il y a des livres dont se dégage, malgré (ou grâce) à leurs imperfections, une impression de vérité ; des livres qui frappent plus que certaines oeuvres plus achevées. Parmi eux, La Quatrième Vologda, récit autobiographique de Varlam Chalamov, tient une place de choix. Une nouvelle traduction vient de paraître chez Verdier, édition qui a entrepris la lourde et hono- rable tâche de publier, pour la première fois en français, les oeuvres complètes de Chalamov. Chalamov est longtemps resté méconnu du grand public. Pas une ligne de lui n’a été publiée de son vivant, même pendant le « dégel » lorsque paraissait, par exemple, Une journée d’Ivan Denissovitch de Soljénitsyne. Après vingt-deux ans dans les camps soviétiques, Chalamov a pourtant produit une oeuvre qui fait de lui l’un des plus grands écrivains du XXe siè- cle. Des années d’épreuves n’ont pas réussi à entamer l’intégrité de son caractère, la lucidité de son esprit, la force de son regard. La Quatrième Vologda est une autobiographie inachevée, « des mémoires teints à l’âme et au sang, où tout est document et tout est émotion ». Malgré son aspect brut et sa structure brouillonne (Chalamov n’a jamais terminé la relecture), La Quatrième Vologda est un vrai coup de poing littéraire. L’auteur y revient sur son enfance et son adoles- cence dans le Nord russe, avant, pendant et après 1917. Dans l’univers qu’il reproduit, une fièvre révolu- tionnaire règne : tout semble encore possible et « tout le monde est orateur » dans un chaos qu’on espère créateur. Cette époque, on la comprend mieux encore à travers les personnages des parents de l’auteur qui, tels des ves- tiges d’un autre monde, viennent attester par leur destin de l’irrémédiable chute de la vieille Russie. Le père d’abord : prêtre aux opinions laïques, chamane hérédi- taire, voyageur (douze ans aux îles Aléoutiennes), ora- teur colérique adepte de la « publicity » (concept qu'il adopta en Amérique). L’homme était en avance sur son temps concernant beaucoup de sujets, mais son carac- tère et sa rigidité dans l'éducation des enfants ont causé bien des souffrances au jeune Varlam. Sa mère, ensuite. « Je n’ai jamais vu maman belle », écrit Chalamov avec une simplicité impitoyable. « Maman a connu le destin habituel de la femme russe. Elle s’est totalement consacrée aux intérêts de mon père [et] a passé sa vie dans la souffrance et elle est morte (…) sans avoir su se libérer des chaînes de la famille et de la vie domestique ». Derrière chaque portrait, une généra- tion. Jamais Chalamov ne dévoile de sentiments (son écriture rappelle à cet égard celle de Primo Levi), se contentant d’observer, de décrire, de constater. Son regard agit comme une lumière qui, au fond d’une ca- verne, arracherait à l’obscurité un amas de squelettes. Une secousse. On referme La Quatrième Vologda, troublé, avec l’impression non d’avoir assisté, en cachette, aux événements décrits, mais bien de les avoir vécus. La nouvelle traduction de Sophie Benech permet de découvrir le texte original (souvent publié tronqué de plusieurs passages, même dans les éditions russes) et fait preuve de beaucoup de précision, bien que l’on puisse préférer l’ancienne traduction, de Catherine Fournier, qui se rapprochait davantage du style de l’auteur. Au long du livre, on ne cesse de ressentir la même soif de lecture que celle qui a guidé les pas de Chalamov dès son plus jeune âge. « Je n’échangerais pour aucun bonheur terrestre [… ] cette sensation voluptueuse que procure un bon livre que l’on n’a pas encore lu », écrit-il. On envie déjà cette découverte aux futurs lecteurs de La Quatrième Vologda. Daria Moudrolioubova Varlam Chalamov, La Quatrième Vologda, Paris, Editions Verdier, 192 p. Traduit du russe par Sophie Benech. Pour annoncer dans cette rubrique, contactez notre service commercial au 8.495.697.90.57 ou par email : [email protected] Le prix d’un module (48 mm * 60 mm) est de 4.000 roubles TTC et de 7.000 roubles TTC pour deux modules (101 mm * 60 mm). Nouveauté : création d’un espace publicitaire « Dîners et sorties » Les contemporains de Joseph Mallord William Turner aimaient à plaisanter sur la nature des matières utilisées par le peintre. Certains suppo- saient que c’était du savon ou de la crème, d’autres préféraient l’hypothèse du chocolat ou de la moutarde. C’était, en réalité, de la simple peinture à l’huile, achetée dans une boutique de quartier, que la main de Turner transformait en paysages fantastiques et hallucinogènes. Ses navires se noyant dans la lave, ses flammes dévo- rant la Tamise et ses anges naissant dans le soleil régalent aujourd’hui l’oeil du visiteur du musée des Beaux-Arts Pouchkine à Moscou. L’exposition consacrée au « peintre de la lu- mière » comprend 40 huiles et 72 dessins importés de la Tate Britain de Londres et promet d’en- chanter plus d’un amateur en Russie. « Turner est le symbole pittoresque de la Grande-Bretagne » déclarait le ministre de la Culture, Alexandre Avdeev, lors de l’inauguration. Heureusement d’ailleurs que le grand peintre est là, parce que, outre les oligarques qui se rendent fréquemment à Londres pour y faire du shopping ou placer leur argent, le Royaume de sa Majesté la Reine n’a pas toujours bonne presse en Russie. La tenue de l’exposition avait été annoncée en mars dernier, alors même que des accusations étaient portées par l’ambassade britannique contre le FSB, qui aurait tenté d’intimider le British Council à Moscou. Stephen Deuchar, directeur de la Tate Britain, déclarait alors que la coopération entre les deux musées avait été possible malgré un contexte politique tendu, et que les deux institu- tions montraient la même volonté de faire décou- vrir Turner au public russe. Les oeuvres du précurseur de l’impressionnisme, du futurisme et de l’art abstrait n’avaient été exposées qu’une seule fois, en Russie, en 1975, également au musée Pouchkine. « Il s’agit de l’exposition la plus coûteuse de l’histoire du musée, financée intégralement par des fonds privés », explique Zinaïda Bonami, directrice adjointe du musée. Le quotidien britannique The Guardian explique que l’exposition a été financée par Alisher Ousmanov, oligarque ouzbek et milliardaire à ses heures, dans le cadre de sa fondation « Art et sport ». Mécène et stratège, Ousmanov avait racheté l’année passée la collection privée de Mstislav Rostropovitch et en avait fait don à l’état russe. Il est plus connu en Angleterre pour sa par- ticipation, depuis 2007, au capital du club de foot- ball londonien Arsenal FC, à hauteur de 24%. Fils de l’ancien procureur de Tachkent, Ousmanov est aussi propriétaire de la holding Metallinvest spé- cialisée dans la métallurgie, directeur de Gazprominvestholding (département investisse- ment de Gazprom) et propriétaire du quotidien économique russe Kommersant. Ousmanov aurait déclaré à la presse peu avant l’inauguration de l’ex- position : « Je voulais faire de mon mieux pour le musée Pouchkine, (...) et quand on m’a demandé de financer l’exposition, je n’ai pas pu refuser. » D’un point de vue diplomatique, les deux parties s’accordent sur le caractère éminemment positif de l’événement. L’établissement de relations culturelles entre les deux pays tente de contreba- lancer les relations exécrables qui prévalent entre Moscou et Londres depuis l’empoisonnement en novembre 2006 de l’ancien agent du FSB Alexandre Litvinenko. Seront en tout cas présentées, entre autres, et jusqu’au 15 février, la pièce maîtresse de Turner, le Lever de soleil (1845), Venise, le Dogano (1842), Hannibal et son armée traversant les Alpes (1812), la bataille de Trafalgar (1824) et un autoportrait datant de 1798. Louis-Antoine Le Moulec J. Turner. Paix. Enterrement en mer. 1842

description

Critique du livre de Chalamov consacré à son enfance et sa jeunesse à Vologda

Transcript of La Quatrième Vologda de Varlam Chalamov

Du 5 au 19 décembre 200810 K O U LT O U R ALe Courrier de RussieLe Courrier de Russie

Exposition

Quand Turner se fait ambassadeurMoscou accueille le précurseur de l’impressionnisme

Livres

Quand les souvenirs s’en mêlent

« Je me suis toujours senti à l’étroit partout. (…)J’avais toujours l’impression de ne pas avoir fait quelque

chose, de ne pas avoir eu le temps de faire ce que jedevais faire. De n’avoir rien accompli pour devenir

immortel (…). J’arrivais en retard dans la vie, non pourrecevoir ma part du gâteau, mais pour participer à la

fabrication de cette pâte, de ce levain ivre. »Varlam Chalamov

Il y a des livres dont se dégage, malgré (ou grâce) à

leurs imperfections, une impression de vérité ; des

livres qui frappent plus que certaines oeuvres plus

achevées. Parmi eux, La Quatrième Vologda, récit

autobiographique de Varlam Chalamov, tient une place

de choix. Une nouvelle traduction vient de paraître

chez Verdier, édition qui a entrepris la lourde et hono-

rable tâche de publier, pour la première fois en

français, les oeuvres complètes de Chalamov.

Chalamov est longtemps resté méconnu du grand

public. Pas une ligne de lui n’a été publiée de son

vivant, même pendant le « dégel » lorsque paraissait,

par exemple, Une journée d’Ivan Denissovitch de

Soljénitsyne. Après vingt-deux ans dans les camps

soviétiques, Chalamov a pourtant produit une oeuvre

qui fait de lui l’un des plus grands écrivains du XXe siè-

cle. Des années d’épreuves n’ont pas réussi à entamer

l’intégrité de son caractère, la lucidité de son esprit, la

force de son regard. La Quatrième Vologda est une

autobiographie inachevée, « des mémoires teints à l’âmeet au sang, où tout est document et tout est émotion ».

Malgré son aspect brut et sa structure brouillonne

(Chalamov n’a jamais terminé la relecture), LaQuatrième Vologda est un vrai coup de poing littéraire.

L’auteur y revient sur son enfance et son adoles-

cence dans le Nord russe, avant, pendant et après

1917. Dans l’univers qu’il reproduit, une fièvre révolu-

tionnaire règne : tout semble encore possible et « tout

le monde est orateur » dans un chaos qu’on espère

créateur.

Cette époque, on la comprend mieux encore à travers

les personnages des parents de l’auteur qui, tels des ves-

tiges d’un autre monde, viennent attester par leur destin

de l’irrémédiable chute de la vieille Russie. Le père

d’abord : prêtre aux opinions laïques, chamane hérédi-

taire, voyageur (douze ans aux îles Aléoutiennes), ora-

teur colérique adepte de la « publicity » (concept qu'il

adopta en Amérique). L’homme était en avance sur son

temps concernant beaucoup de sujets, mais son carac-

tère et sa rigidité dans l'éducation des enfants ont causé

bien des souffrances au jeune Varlam.

Sa mère, ensuite. « Je n’ai jamais vu maman belle »,

écrit Chalamov avec une simplicité impitoyable.

« Maman a connu le destin habituel de la femme russe.Elle s’est totalement consacrée aux intérêts de mon père[et] a passé sa vie dans la souffrance et elle est morte (…)sans avoir su se libérer des chaînes de la famille et de la

vie domestique ». Derrière chaque portrait, une généra-

tion. Jamais Chalamov ne dévoile de sentiments (son

écriture rappelle à cet égard celle de Primo Levi), se

contentant d’observer, de décrire, de constater. Son

regard agit comme une lumière qui, au fond d’une ca-

verne, arracherait à l’obscurité un amas de squelettes.

Une secousse. On referme La Quatrième Vologda,

troublé, avec l’impression non d’avoir assisté, en

cachette, aux événements décrits, mais bien de les

avoir vécus.

La nouvelle traduction de Sophie Benech permet de

découvrir le texte original (souvent publié tronqué de

plusieurs passages, même dans les éditions russes) et fait

preuve de beaucoup de précision, bien que l’on puisse

préférer l’ancienne traduction, de Catherine Fournier,

qui se rapprochait davantage du style de l’auteur.

Au long du livre, on ne cesse de ressentir la même

soif de lecture que celle qui a guidé les pas de

Chalamov dès son plus jeune âge. « Je n’échangeraispour aucun bonheur terrestre [… ] cette sensationvoluptueuse que procure un bon livre que l’on n’a pasencore lu », écrit-il. On envie déjà cette découverte aux

futurs lecteurs de La Quatrième Vologda.

Daria Moudrolioubova

Varlam Chalamov, La Quatrième Vologda, Paris, Editions Verdier, 192 p.

Traduit du russe par Sophie Benech.

Pour annoncer dans cette rubrique,

contactez notre service commercial au 8.495.697.90.57 ou par email : [email protected] prix d’un module (48 mm * 60 mm) est de 4.000 roubles TTC et

de 7.000 roubles TTC pour deux modules (101 mm * 60 mm).

Nouveauté : création d’un espace publicitaire

« Dîners et sorties »

Les contemporains de Joseph Mallord WilliamTurner aimaient à plaisanter sur la nature desmatières utilisées par le peintre. Certains suppo-saient que c’était du savon ou de la crème,d’autres préféraient l’hypothèse du chocolat oude la moutarde. C’était, en réalité, de la simplepeinture à l’huile, achetée dans une boutique dequartier, que la main de Turner transformait enpaysages fantastiques et hallucinogènes. Sesnavires se noyant dans la lave, ses flammes dévo-rant la Tamise et ses anges naissant dans le soleilrégalent aujourd’hui l’oeil du visiteur du muséedes Beaux-Arts Pouchkine à Moscou.

L’exposition consacrée au « peintre de la lu-

mière » comprend 40 huiles et 72 dessins importés

de la Tate Britain de Londres et promet d’en-

chanter plus d’un amateur en Russie. « Turner est lesymbole pittoresque de la Grande-Bretagne »

déclarait le ministre de la Culture, Alexandre

Avdeev, lors de l’inauguration. Heureusement

d’ailleurs que le grand peintre est là, parce que,

outre les oligarques qui se rendent fréquemment à

Londres pour y faire du shopping ou placer leur

argent, le Royaume de sa Majesté la Reine n’a pas

toujours bonne presse en Russie.

La tenue de l’exposition avait été annoncée en

mars dernier, alors même que des accusations

étaient portées par l’ambassade britannique contre

le FSB, qui aurait tenté d’intimider le British

Council à Moscou. Stephen Deuchar, directeur de

la Tate Britain, déclarait alors que la coopération

entre les deux musées avait été possible malgré un

contexte politique tendu, et que les deux institu-

tions montraient la même volonté de faire décou-

vrir Turner au public russe. Les oeuvres du

précurseur de l’impressionnisme, du futurisme et

de l’art abstrait n’avaient été exposées qu’une seule

fois, en Russie, en 1975, également au musée

Pouchkine. « Il s’agit de l’exposition la plus coûteuse

de l’histoire du musée, financée intégralement par desfonds privés », explique Zinaïda Bonami, directrice

adjointe du musée.

Le quotidien britannique The Guardian explique

que l’exposition a été financée par Alisher

Ousmanov, oligarque ouzbek et milliardaire à ses

heures, dans le cadre de sa fondation « Art et

sport ». Mécène et stratège, Ousmanov avait

racheté l’année passée la collection privée de

Mstislav Rostropovitch et en avait fait don à l’état

russe. Il est plus connu en Angleterre pour sa par-

ticipation, depuis 2007, au capital du club de foot-

ball londonien Arsenal FC, à hauteur de 24%. Fils

de l’ancien procureur de Tachkent, Ousmanov est

aussi propriétaire de la holding Metallinvest spé-

cialisée dans la métallurgie, directeur de

Gazprominvestholding (département investisse-

ment de Gazprom) et propriétaire du quotidien

économique russe Kommersant. Ousmanov aurait

déclaré à la presse peu avant l’inauguration de l’ex-

position : « Je voulais faire de mon mieux pour lemusée Pouchkine, (...) et quand on m’a demandé definancer l’exposition, je n’ai pas pu refuser. »

D’un point de vue diplomatique, les deux parties

s’accordent sur le caractère éminemment positif de

l’événement. L’établissement de relations

culturelles entre les deux pays tente de contreba-

lancer les relations exécrables qui prévalent entre

Moscou et Londres depuis l’empoisonnement en

novembre 2006 de l’ancien agent du FSB

Alexandre Litvinenko.

Seront en tout cas présentées, entre autres, et

jusqu’au 15 février, la pièce maîtresse de Turner, le

Lever de soleil (1845), Venise, le Dogano (1842),

Hannibal et son armée traversant les Alpes (1812),

la bataille de Trafalgar (1824) et un autoportrait

datant de 1798.

Louis-Antoine Le Moulec J. Turner. Paix. Enterrement en mer. 1842