La qualification générique de contrat d'entremise

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Directeur honoraire Jacques Ghestin Professeur émérite de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne Dirigée par Yves Lequette Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) BIBLIOTHÈQUE DE DROIT PRIVÉ TOME 582 LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISE David Gantschnig Préface de Matthieu Poumarède

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Directeur honoraire

Jacques Ghestin

Professeur émérite

de l’Université de Paris 1

Panthéon-Sorbonne

Dirigée par

Yves Lequette

Professeur

à l’Université

Panthéon-Assas (Paris II)

BIBLIOTHÈQUE

DE DROIT

PRIVÉ

TOME 582

LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISE

David Gantschnig

Préface de Matthieu Poumarède

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BIBLIOTHÈQUE

DE DROIT

PRIVÉ

TOME 582

Directeur honoraire

Jacques Ghestin

Professeur émérite

de l’Université Paris 1

Panthéon-Sorbonne

Dirigée par

Yves Lequette

Professeur

à l’Université

Panthéon-Assas (Paris II)

LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISE

David GantschnigMaître de conférences à l’Université de Poitiers

Préface de Matthieu Poumarède

Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole Directeur de l’Institut des Études juridiques de l’Urbanisme,

de la Construction et de l’Environnement

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Thèse retenue par le Comité de sélection de la Bibliothèque de droit privé présidé par Yves Lequette et composé de :

Laurence IdotProfesseur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

Dominique FenouilletProfesseur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

Yves-Marie SerinetProfesseur à l’Université Paris-Sud

Pierre SirinelliProfesseur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Geneviève VineyProfesseur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Guillaume WickerProfesseur à l’Université de Bordeaux

Defrénois - Gazette du Palais

Gualino - Joly - LGDJ

Montchrestien

© 2018, LGDJ, Lextenso éditions et David Gantschnig

70, rue du Gouverneur Général Éboué

92131 Issy-les-Moulineaux Cedex

I.S.B.N. : 978-2-275-05677-7 I.S.S.N. : 0520-0261

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PRÉFACE

Mandat, commission, courtage, prête-nom, mandat d’entremise, etc. ; il fal-lait du courage et de la hauteur de vue pour proposer une qualification générique, le contrat d’entremise, et construire son régime juridique. Monsieur David Gantschnig l’a fait. Alors que se profile la réforme du droit des contrats spéciaux, son livre sera d’une utilité certaine.

Le constat que l’auteur dresse était pourtant accablant : l’entremise est en crise. Une crise de croissance peut-être. L’auteur l’a souligné : ses repères, tel le mandat, la commission ou le courtage, sont brouillés, déformés, confondus dans un entrelacs inextricable. Monsieur David Gantschnig nous accompagne, alors, aux confins du droit, à la rencontre d’innombrables contrats d’agence (artistique, commerciale, de publicité, de voyages, sportive, immobilière, etc.), de commission, de courtage (matrimonial, en assurance, etc.), mais également les plus originaux ferroutages et commission-affiliation, aux qualifications aussi fragiles que leur dénomination est mal assurée. Comment alors et pourquoi continuer à les distin-guer : le législateur ne qualifie-t-il pas de mandat des contrats d’agence, en l’ab-sence même de représentation ? Une crise d’identité ensuite et précisément. Alors que le droit commun s’est doté d’une section consacrée… à la représentation, le droit spécial de l’entremise, éparpillé, peut-il s’y reconnaître ; la cote est-elle bien taillée ? La représentation est-elle encore le critère de l’entremise ou même le critère du mandat ? Où sont ses critères traditionnels passés ? Perte des repères… « Anomie », décrit Monsieur David Gantschnig ; avec la conviction, partagée, qu’elle résulte de deux manques du droit positif méthodiquement démontrés par l’étude tant de la législation que de la jurisprudence de l’entremise : non seule-ment une insuffisance des catégories de l’entremise dans l’accueil des opérations d’entremise complexe est démontrée par l’auteur mais encore les statuts spéciaux n’étant pas exhaustifs, un corps de règles appliqué à titre complémentaire et supplétif serait utile.

Pourtant, à l’heure de l’uberisation annoncée de la société conduisant à une désintermédiation en trompe l’œil, Monsieur David Gantschnig montre, avec conviction et finesse, qu’il est toujours besoin de l’entremise ; mais, d’une quali-fication générique d’entremise plus accueillante et aux critères mieux assurés. Elle permettra de combler d’un trait les lacunes révélées. Le parallèle avec le contrat d’entreprise est tentant : n’est-il pas (devenu ?) une qualification générique aux-quelles différentes espèces peuvent être subsumées ? Tel est, d’une certaine manière, l’objectif de Monsieur David Gantschnig : accueillir les opérations d’entremise dans un cadre : réconcilier les contrats, les formes, les opérations d’entremise. Pour ce faire, il fallait néanmoins révéler une substance commune que l’auteur a pu découvrir non dans la technique de représentation, parfaite ou non (ou même d’ailleurs absente) souvent mise en valeur, mais impropre à

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qualifier l’entremise. C’est donc dans l’objectif de faciliter l’établissement d’une manifestation de volonté d’un tiers, pour le compte du donneur d’ordres que Monsieur David Gantschnig a assis la qualification générique de l’entremise. À partir de cette conception réconciliée des formes et des contrats de l’entremise, l’auteur pouvait alors construire un régime juridique d’une tout autre ampleur, le conduisant à proposer un véritable droit commun. Toujours nuancé le propos n’en est pas moins ferme et apporte alors des réponses espérées à plusieurs inter-rogations : naissance du droit à rémunération, influence de l’intérêt commun sur la rupture, mais aussi, en amont sur son exécution, etc.

Le livre de Monsieur David Gantschnig s’enracine assurément dans un mou-vement doctrinal fort visant depuis une dizaine d’années au moins à s’interroger, à nouveau, sur les concepts de droit commun et de droit spécial. Il répond aussi à un besoin : la rénovation du droit commun des contrats par l’ordonnance du 10  février 2016 appelle désormais celle des contrats spéciaux dont les contrats d’entremise forment une famille nombreuse. Nul ne doute que cette thèse et les travaux de Monsieur David Gantschnig qui s’ensuivront y participeront.

Matthieu PoumarèdeProfesseur à l’Université Toulouse 1 Capitole,

Directeur de l’Institut des Études juridiques de l’Urbanisme, de la Construction et de l’Environnement

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À mon parrain, Bernard Coste À ma grand-mère, Marie-Jeanne Coste À ma marraine, Ingrid Niedertscheider

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PRINCIPALES ABRÉVIATIONS

AJDI. Actualité jurisprudentielle de droit immobilierAJ. Actualité jurisprudentielleal. AlinéaArt. ArticleAss. AssembléeAss. plén. Assemblée plénière de la Cour de cassationBDE Bibliothèque de droit de l’entrepriseBDP Bibliothèque de droit privéBull. civ. Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour

de cassationBull. crim. Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour

de cassationCA Cour d’appelCAA Cour administrative d’appelCass. Cour de cassationCass. 1re civ. Arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassationCass. 2e civ. Arrêt de la deuxième Chambre civile de la Cour de cassationCass. 3e civ. Arrêt de la troisième Chambre civile de la Cour de cassationCass. com. Arrêt de la Chambre commerciale, économique, et financière

de la Cour de cassationCass. crim.  Arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassationCass. req. Arrêt de la Chambre des requêtes de la Cour de cassationCass. soc. Arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassationCCE Communication – Commerce électroniqueciv. civilCE Conseil d’Étatch. ChambreChron. ChroniqueComm. CommentaireConcl. ConclusionCCC Contrats, concurrence et consommationD.  Recueil DallozDefrénois Répertoire du notariat DefrénoisDH. Dalloz Hebdomadairedir. DirectionDP. Dalloz Périodique Éd. ÉditionFasc. FasciculeGaz. Pal. Gazette du PalaisIbid. Ibidem – au même endroit

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LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISEX

in DansInfra Ci-dessous, plus loinIR. Informations rapidesJCP Juris-Classeur périodique (Semaine Juridique)JCP G Juris-Classeur périodique, édition généraleJCP E Juris-Classeur périodique, édition entrepriseJCP N Juris-Classeur périodique, édition notarialeJ. Cl. Juris-ClasseurJO Journal officielJORF Journal officiel de la République françaiseL.  LoiLGDJ Librairie générale de Droit et de JurisprudenceLPA. Les Petites AffichesLoc. cit. Loco citatis – endroit citén° Numéronbp. Note de bas de pageobs. ObservationsOp. cit. Opere citato – Dans l’ouvrage citép.  PagePan. PanoramaPUF Presses universitaires de FranceRDC. Revue des contratsRép. RépertoireRDI. Revue de droit immobilierRev. Crit. DIP Revue critique de droit international privéRJ com. Revue de jurisprudence commercialeRJO. Revue juridique de l’ouestRGAT. Revue générale des assurances terrestresRRJ. Revue de recherche juridique. Droit prospectifRTD civ. Revue trimestrielle de droit civilRTD com. Revue trimestrielle de droit commercials. Suivant(e)sS.  Recueil Sireysomm. Sommairespéc. Spécialementsupra Ci-dessus, plus hautt.  tomeTGI Tribunal de Grande Instancev.  Voir

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

PARTIE I L’ANOMIE DES QUALIFICATIONS DE L’ENTREMISE

Titre I : Les qualifications légales de l’entremise

Chapitre 1. Les qualifications subjectives de l’entremise

Chapitre 2. Les qualifications objectives de l’entremise

Titre II : Les qualifications prétoriennes de l’entremise

Chapitre 1. Les qualifications prétoriennes sous l’influence des qualifications légales

Chapitre 2. L’action prétorienne à l’épreuve des difficultés de qualification

PARTIE II L’APPORT DU CONTRAT D’ENTREMISE

Titre I : Le contrat d’entremise, qualification générique de l’entremise

Chapitre 1. Le choix d’une qualification générique de l’entremise

Chapitre 2. La proposition du contrat d’entremise

Titre II : Le régime du contrat d’entremise, droit commun de l’entremise

Chapitre 1. La recherche d’une manifestation de volonté d’un tiers

Chapitre 2. Une action pour le compte du donneur d’ordres

CONCLUSION GÉNÉRALE

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INTRODUCTION

1. Crise d’identité du mandat1 et de la commission. « Malgré son évolution tourmentée et sa diversification, l’élément constant de la vente est sa définition »2. Ce qui semble être une évidence pour l’un est loin d’être une réalité pour les autres. Le mandat, souvent défini comme le « contrat – en principe révocable au gré du mandant – par lequel celui-ci confère à une personne qui en accepte la charge (le mandataire) le pouvoir et la mission d’accomplir pour elle et en son nom (à titre de représentant) un acte juridique »3, a connu bien des crises d’identité tout au long de son histoire.

Un tout proche voisin du mandat, le contrat de commission, fut parfois dans une situation analogue. S’il est connu aujourd’hui comme le contrat par lequel le commissionnaire reçoit pour mission d’agir en son propre nom et pour le compte d’un commettant4, il était, il n’y a pas si longtemps, d’une tout autre nature.

L’histoire paraît sur le point de se répéter aujourd’hui, au moins pour ce qui est du contrat de mandat qui voit sa définition largement remise en cause depuis quelques décennies. En effet, alors même que de nombreux auteurs demeurent attachés à un mandat essentiellement représentatif5, le législateur qualifie de man-dat des contrats n’emportant pas toujours un pouvoir de conclusion6.

2. Distinction difficile avec le prête-nom et le courtage. Mandat et commis-sion engendrent tous les deux un pouvoir de conclure un contrat pour le compte du donneur d’ordres. Il s’agit également d’une caractéristique du contrat de

1. N. DISSAUX (dir.), Le mandat, Un contrat en crise ?, Economica, 2011. Comme le souligne Monsieur Dissaux en avant-propos, « La crise s’entend ici dans son sens premier : une transition, un moment périlleux et décisif, un changement qui survient ».

2. Ph. MALAURIE, L. AYNÈS, P.-Y. GAUTIER, Les contrats spéciaux, 8e édition, Defrénois, 2016, n° 59.

3. G. CORNU, Vocabulaire juridique, 11e édition, 2016, « Mandat », p. 638.4. Ibid., p. 285.5. Ph. MALAURIE, L.  AYNÈS, P.-Y. GAUTIER, op.  cit., n°  530. D.  MAINGUY, Contrat

spéciaux, 10e édition, Dalloz, 2016, n° 597. J. RAYNARD, J.-B. SEUBE, Droit civil, contrats spéciaux, 8e édition, LexisNexis, 2015, n°  500. P.  PUIG, Contrats spéciaux, 6e édition, Dalloz  2015, n°  899. F. LECLERC, Droit des contrats spéciaux, 2e édition, LGDJ, 2012, p. 505, mais l’auteur admet des mandats sans représentation Cet embarras suscité par la définition du mandat n’est pas isolé. Messieurs Dutilleul et Delebecque précisent que « puisqu’il agit au nom du mandant et pour lui, le mandataire est un représentant », (F. COLLART DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, 10e édition, Dalloz, 2015, n° 644) mais admettent également des « mandats sans représentation » (ibid., n°  663). Contra : A. BÉNABENT, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux, 11e édition, Montchrestien, 2015, n° 718. J. HUET, G. DECOCQ, C. GRIMALDI, H. LÉCUYER, J. MOREL-MAROGER, J. GHESTIN, Les principaux contrats spéciaux, Traité de droit civil, 3e édition, LGDJ, 2012, n° 31127.

6. Parmi de nombreux exemples, il est possible de citer la loi Hoguet (n° 70-9 du 2 janvier 1970) ou encore la loi relative aux agents commerciaux (Loi n° 91-593 du 25 juin 1991).

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prête-nom par lequel le prête-nom agira en son propre nom et pour le compte d’autrui, mais dans une totale opacité, en prenant soin de ne pas révéler au tiers sa véritable mission7.

Tous ces instruments contractuels, tournés vers les tiers, peuvent enfin être rapprochés du contrat de courtage8. Alors que ces derniers impliquent la conclu-sion d’un contrat pour autrui, le courtage impose au débiteur une mission de rapprochement des parties en vue de la conclusion d’un contrat, mais sans pou-voir de conclusion9.

Si le prête-nom et le courtage n’ont pas connu de crise d’identité semblable à celle du mandat ou de la commission, ils n’en demeurent pas moins, aujourd’hui, difficilement distinguables de ces derniers. Quelle est la différence entre le mandat d’entremise10 de l’agent immobilier et le courtage ? Comment distinguer mandat et prête-nom quand le second est identifié au premier11 ?

3. La perte des repères des contrats d’entremise. Crise d’identité, difficultés de distinction, il semble que ces contrats connaissent un même phénomène de perte des repères qui pourrait impliquer une étude d’ensemble. Il faut dire que les quelques figures visées semblent appartenir à une même famille contractuelle. À titre prélimi-naire, il est possible d’estimer que tous ces contrats font visiblement naître une même mission : il s’agit, d’une manière ou d’une autre, de faciliter la conclusion d’un contrat pour autrui. Cette mission commune paraît correspondre à l’action de s’entremettre, c’est-à-dire d’« intervenir (entre deux ou plusieurs personnes) pour les rapprocher, pour faciliter la conclusion des affaires qui les intéressent »12.

Le débiteur de cette obligation de s’entremettre entre son donneur d’ordres et un tiers semble pouvoir être considéré comme un intermédiaire, soit « celui qui fait profession de mettre en relation deux ou plusieurs personnes en vue de la conclu-sion d’une convention »13.

Ces intermédiaires ayant une activité d’intermédiation ou d’entremise, ils sont liés à leurs clients par ce que nous appellerons des contrats d’entremise.

4. Un opportun regard sur les crises antérieures. Si une étude d’ensemble de ces contrats d’entremise paraît opportune en ce qu’un même phénomène de perte des repères semble les atteindre, il paraît judicieux, au préalable, de se plonger dans l’histoire de ces derniers ce qui permettra de mieux appréhender le

7. P. PUIG, op. cit., n° 908.8. Et de la déclaration de command. « Le mécanisme lié à une vente est le suivant : l’acheteur (le

command) charge un ami (le commandé) d’acheter un bien en déclarant qu’il traite pour une personne qui le lui a demandé mais sans en dévoiler l’identité. (…). À l’issue du délai que s’est réservé le commandé et qui doit être très bref (…), le nom du command devra avoir été révélé au vendeur », F. LECLERC, Droit des contrats spéciaux, 2e édition, LGDJ, 2012, p. 564. « Si le nom du command est révélé dans le délai convenu, la représentation joue et la vente est réputée avoir lié dès le départ le command au vendeur ». Dans le cas contraire, « il n’y a point de représentation mais convention de prête-nom pure et simple, avec double transmission du bien », ibid.

9. Ibid., p. 287.10. Lequel n’emporte pas, en principe, un pouvoir de représentation. V. infra, n° 398 et s.11. V. infra, n° 524 et s.12. Le Petit Robert de la langue française, 2013, « Entremettre (s’) », p. 892.13. G. CORNU, op. cit., « Intermédiaire », p. 567. Ces intermédiaires sont donc à distinguer des

distributeurs qui, achetant pour revendre, n’ont absolument pas pour mission de rapprocher les individus qui le souhaitent.

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INTRODUCTION 3

phénomène actuel. En effet, il convient de s’appesantir tout particulièrement sur le contrat de mandat qui, au fil de son évolution, a pu connaître des crises com-parables à celle qu’il connaît aujourd’hui.

5. La procuratio omnium bonorum, simple service d’ami. Dès le iiie siècle avant notre ère, les conquêtes entraînaient parfois de longues absences qui impli-quaient de pouvoir confier ses biens à une personne de confiance ; la procuratio omnium bonorum le permettait14. Il ne s’agissait pas là d’un contrat, « c’était sim-plement un service d’ami, car on choisissait naturellement un ami comme rempla-çant : le mandant n’avait d’autre garantie que l’amitié du mandataire, nul moyen de le forcer à tenir sa promesse, nulle action spéciale pour lui faire rendre compte »15. Parallèlement, le mandataire désireux de rentrer dans ses avances et frais ne pou-vait compter que sur l’amitié du mandant16. C’est cette origine qui expliquerait le caractère gratuit du contrat de mandat, « car il n’est pas dans la nature de l’amitié de stipuler un salaire pour ses services »17.

6. Le mandat, contrat essentiellement gratuit en vue d’accomplir des actes matériels ou juridiques. « Puis apparaît véritablement le contrat de mandat, à la fin du II

e siècle avant notre ère »18. Avec Madame Izorche19, il faut noter la proximité des significations originaires de ces notions. La procuration viendrait de « procu-rare » qui signifie « prendre soin de », mandat viendrait du latin « mandatum » qui signifie « commission » ou « charge ». Enfin, commission pourrait venir de « committere », c’est-à-dire « confier ».

À Rome, la gratuité du mandat était donc essentielle et c’était là sa principale caractéristique20 : « un ami rendait service à son ami, en accomplissant gracieuse-ment un acte juridique ou matériel »21. Le critère de distinction du mandat et du louage d’ouvrage tenait donc au point de savoir si la mission était effectuée gra-cieusement ou contre rémunération. « Le dégraisseur à qui l’on confie ses habits, sera un locateur d’ouvrage (…) ou un mandataire, selon qu’une merces lui a été promise ou non par le contrat »22.

7. L’utile distinction de l’honor et de la merces. Toutefois, dès cette époque, le critère semble susciter quelques difficultés. Aussi, il fut permis de stipuler un salaire  sans pour autant que le contrat ne perde sa nature de mandat.  « Les romains ne l’appelaient pas merces, mais honor ou salarium, et puisque, dans cette convention, il n’y avait pas de merces proprement dite, ce n’était pas un louage

14. D.  DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, 2e édition, Economica, 2012, p.  269. Aujourd’hui encore, la procuration est parfois confondue avec le mandat, comme en témoigne l’article 1984 du Code civil.

15. J. VALÉRY, Des caractères distinctifs du contrat de mandat dans le Code civil, Thèse Aix-Marseille, 1898, p. 20.

16. Ibid.17. Ibid., p. 23.18. D. DEROUSSIN, op. cit., loc. cit.19. M.-L. IZORCHE, « À propos du mandat sans représentation », D. 1999, chron., p. 369.20. Ibid. Dans le même sens, « le mandat est un contrat essentiellement gratuit c’est là un principe

indiscuté », F. CAGNINACCI, Le mandat dans la doctrine française de l’ancien régime, XIIIe-XVIII

e siècles, Thèse Nancy, 1959, p. 20.

21. F. CAGNINACCI, op. cit., p. 24. L. PFISTER, « Un contrat en quête d’identité. Jalons pour une histoire de la qualification du mandat », in Le mandat, Un contrat en crise ?, N. Dissaux (dir.), Economica, 2011, p. 3.

22. J. VALÉRY, op. cit., p. 25.

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LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISE4

d’ouvrage »23. Ils prétendaient que la différence n’était pas seulement sémantique : alors que la merces était la véritable contrepartie du service loué et était due en vertu du contrat même, l’honor ne correspondait pas au paiement du service rendu. Il s’agissait au contraire d’un témoignage de reconnaissance, lequel ne naissait pas du contrat24. Le mandat demeurait donc gratuit puisque le salaire ne provenait pas de ce dernier.

8. L’identité perturbée du mandat. Il était également un contrat consensuel et conclu dans le seul intérêt du mandant25. Toutefois, le mandat était à cette époque l’un des rares contrats consensuels si bien qu’il fût utilisé à des fins très variées26. « En conséquence d’une évolution qui débute dès l’âge classique pour s’épanouir au Bas Empire, le mandat devient un moyen commode d’obtenir des services variés »27. Ce recours intensif et diversifié au mandat ne fut pas sans conséquence, « au Bas Empire, le mandat est toujours un contrat consensuel, mais on ne peut plus affirmer que la gratuité soit son essence même »28. « D’avoir voulu utiliser ce contrat à des fins trop diverses, n’a servi qu’à l’altérer, à le dénaturer dans son essence. Le mandat service d’ami est devenu la procuration, moyen commode d’obtenir d’une personne amie ou étrangère l’exécution d’une mission »29.

9. Un mandat désormais naturellement tourné vers les tiers. À terme, « cette extension progressive aboutit à changer la nature même du mandat, qui se définit au Bas Empire comme un contrat consensuel par lequel une personne appelée mandator charge une autre personne, mandatarius ou procurator, d’accomplir quelque chose dans son intérêt ». « Le but du mandat n’est plus de rendre un service gratuit à un ami, c’est de remplacer une personne dans l’accomplissement d’une affaire déterminée »30.

Cependant, l’objet du mandat était en réalité bien vaste, « le Digeste nous indique que construire une tombe ou affranchir un esclave du mandant est un man-dat »31. Aussi, Monsieur Didier explique que « cette mission n’est pas essentiellement tournée vers les tiers. La relation entre le mandant et le mandataire peut très bien se dénouer sans qu’un tiers intervienne, à quelque titre que ce soit ; Ainsi en est-il du fou-lon de Gaius. Mais parce qu’il remplace le mandant dans la conduite d’une affaire, le mandataire peut être amené à nouer des relations avec les tiers. La relation avec les tiers est une dimension naturelle mais non essentielle du mandat »32.

23. Ibid.24. Ibid., p. 26.25. F. CAGNINACCI, op. cit., loc. cit.26. Ibid., p. 24, il fut utilisé comme un cautionnement, pour établir une solidarité. « Le mandat

pénètre donc dans le domaine des sûretés, et dans celui des droits de créance, ce qui ne va pas sans amener quelques tiraillements », ibid., p. 25.

27. Ibid., p. 24.28. Ibid., p. 26. Bien que cela soit discuté, la grande diversité qui caractérise l’utilisation de ce

contrat à l’époque fait que parfois, un salaire sera bel et bien stipulé, ibid., p. 27.29. Ibid., p. 31. C’est dire qu’il n’est plus seulement un contrat d’amis. Pour preuve, les glossateurs

découvrent une institution aux contours bien mal définis. Chez Azon, nous explique un auteur (F. Cagninacci, ibid., p. 42), « il y aurait donc deux sortes de mandats, ceux qui sont conclus entre amis, qui doivent être gratuits suivant la saine tradition romaine, et ceux qui sont conclus entre étrangers et qui peuvent être rémunérés normalement ». Il est donc indéniable qu’à Rome, le mandat avait bien connu une crise d’identité, c’était une véritable polysémie de ce contrat qui pouvait être constatée.

30. Ibid., p. 25.31. Ph. DIDIER, De la représentation en droit privé, BDP, t. 339, LGDJ, 2000, p. 31.32. Ibid., p. 31. « Le service que l’ami rend peut-être un acte matériel ou un acte juridique, mais

entre gens de qualité, ayant à leur disposition une main-d’œuvre servile, le service sera le plus souvent un acte juridique », ibid., p. 33.

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INTRODUCTION 5

Certes, il ne s’agit là que d’un trait naturel33, mais cela veut bien dire qu’en principe, le mandat sera tourné vers les tiers.

10. Une crise romaine à rapprocher de la situation actuelle. Ce qui est à souli-gner, c’est que le mandat, contrat de service gratuit entre amis, était devenu au terme de cette évolution spontanée une figure aux contours flous, mais qui le plus souvent permettait au mandant de « se faire remplacer dans l’accomplissement d’une affaire déterminée »34 par le mandataire. Il était donc habituellement un contrat permettant de recourir à un intermédiaire pour s’occuper de ses affaires auprès des tiers.

Un rapprochement avec la situation actuelle du mandat est tentant puisque de lege lata, comme nous le verrons, le mandat tend à s’émanciper de la représen-tation. Le mandataire devient un intermédiaire qui, sans toujours bénéficier d’un pouvoir de conclusion, cherche bien souvent à faciliter la conclusion d’un contrat pour le compte du mandant.

Ainsi, à des périodes pourtant bien différentes, il est remarquable de consta-ter que le mandat a vu ses critères catégoriels altérés pour finalement répondre à ce qui pourrait bien être un besoin commun : un instrument contractuel permet-tant de confier à un intermédiaire le soin de ses affaires.

11. La procuration coutumière sous l’influence romaine. Ce schéma va, en réa-lité, se répéter plusieurs fois. Lorsque le droit romain a été redécouvert par les glossateurs et les post-glossateurs, il a peu à peu pénétré le droit coutumier35. Les coutumiers ne connaissent pas véritablement le mandat, mais ils pratiquaient la procuration, particulièrement la procuration en justice36. Celle-ci va subir l’in-fluence substantielle des idées romaines37 au point qu’il est admis que le mandat fut confondu avec la procuration38. Il faut alors souligner que les glossateurs découvrent un mandat dont les contours ne sont pas vraiment établis, « mutilé dans son essence même, le mandat apparaît dans la glose comme une institution assez mal définie dans son but »39.

Ainsi, l’influence romaine aurait « fait éclater le vieux concept de procuration, afin d’en étendre le champ à l’administration de toute affaire pour le compte d’au-trui »40. « Il est non seulement l’ami qui rend service, mais aussi et surtout le colla-borateur précieux, le personnage indispensable, rendu nécessaire par les nouvelles conditions de la vie économique »41.

33. « C’est-à-dire que l’élément en question est « présumé être présent mais peut être écarté par les parties au moyen d’une stipulation expresse », ibid., p. 28, nbp.

34. R.  MONIER, Manuel de droit romain, 5e éd., Domat-Montchrestien, 1954, réimpression 1970, tome 2, n° 138.

35. La lutte était vaine. « Notre droit se pliera et subira les leçons de son aîné, mais sans les accepter passivement », F. CAGNINACCI, op. cit., p. 71.

36. V. ibid., p. 73 et s.37. Ibid., p. 101.38. Ibid., p.  120 et s. « Pas un document médiéval ne fait la distinction entre les activités du

procureur et du mandataire », p. 122.39. Ibid., p. 50, à propos d’Accurse.40. Ibid., p. 102. « Le procureur devient celui qui gère les biens d’autrui ; il peut agir en justice, et

c’est l’application première que les auteurs feront des lois romaines de la procuration, mais ce n’est pas son rôle essentiel ; il administre, il achète, il vend pour autrui, il effectue des versements de fonds, ou au contraire perçoit des créances ; son activité s’accroît sans cesse ».

41. Ibid.

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LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISE6

En clair, lorsque les post-glossateurs rapprochent le mandat de leur procura-tion coutumière, « le mandat va être assimilé à un mécanisme destiné à établir des relations avec les tiers »42. Encore une fois, le procurateur (ou mandataire) était donc devenu une sorte d’intermédiaire qui agissait pour son mandant, gérant ses affaires dans une société toujours plus complexe.

12. Le mandat, à nouveau contrat de bienfaisance. Lorsque le mandat était confondu avec la procuration, il était l’un des seuls contrats consensuels, ce seul caractère permettait finalement de le distinguer des formules voisines. Mais lorsque tous les contrats le devinrent, il fut nécessaire de rechercher un nouveau critère de distinction43. « Quel est donc le but du mandat ? Nos juristes répondent facilement : rendre service à un ami »44. Comme l’explique Madame Cagninacci, « au Moyen Âge, le mandat avait englobé la procuration en justice et la procuration aux négoces, de telle sorte que le mandat au sens strict apparaissait, chez les derniers auteurs coutumiers du XV

e siècle, comme un parent pauvre, gênant, accueilli par cha-rité. Au XVI

e siècle, ces additions aberrantes se dissolvent. (…). Et le mandat rede-vient ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être, un service d’ami, un service rendu non dans l’intention d’obtenir une rémunération mais dans le but d’obliger autrui »45.

« Au XVIe siècle, ce qui n’était que de la nature du mandat, va devenir son

essence, son but »46.

Il est alors présenté comme « une convention simple par laquelle une personne prend gratuitement le soin de quelques affaires à la prière de celuy qui luy en commet la conduite »47. Ainsi, « contracter dans l’intérêt d’autrui, et cela sans perspective de gain, voici les deux grands aspects de ce contrat de bienfaisance, du mandat dans sa véritable conception »48.

13. Le mandat, nouvelle terre d’accueil des professions libérales. C’est égale-ment sous l’ancien droit que les professions libérales seront intégrées au man-dat.  C’est que le droit romain n’y avait pas vu une véritable relation contrac-tuelle49. « Cette assimilation a contribué à asseoir l’opposition entre le mandat embrassant les activités intellectuelles, réputées insusceptibles d’évaluation pécu-niaire et le louage d’ouvrage recouvrant les activités manuelles (« arts méca-niques »), réputées par nature estimables en argent »50. C’est dire qu’à l’instar du droit romain, notre ancien droit voit dans le mandat un contrat noble, ce qui n’est pas du tout le cas pour le louage d’ouvrage.

14. Le mandat distingué d’autres institutions. Étant un contrat essentiellement gratuit, « ceux qui reçoivent rémunération de l’activité qu’ils fournissent à autrui ne sont pas des mandataires, leur situation ne rentre pas dans le cadre du mandat. Se trouvent ainsi dissociées de notre contrat, les institutions voisines du courtage, de la

42. Ph. DIDIER, op. cit., p. 39.43. F. CAGNINACCI, op. cit., p. 164.44. Ibid., p. 164.45. Ibid., p. 132. Il apparaît à cette époque que le mandat est toujours un contrat consensuel,

« émanant de deux personnes qui traitent sur un pied d’égalité », p. 163.46. Ibid., p. 164.47. P.  De LAUNAY, Institution du droit romain et du droit français (…), Paris, 1686, L.  IV,

chap. 6, n° 116, p. 524.48. F. CAGNINACCI, op. cit., p. 165.49. F. LEDUC, « Deux contrats en quête d’identité : les avatars de la distinction entre le contrat

de mandat et le contrat d’entreprise », in Études offertes à G. Viney, LGDJ, 2008, p. 601.50. Ibid., p. 602.

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INTRODUCTION 7

commission. Toutes ces activités rentrent dans l’exercice d’un métier »51. En même temps, le mandat avait évolué vers un contrat d’intermédiaire à tout faire, il n’est donc pas étonnant qu’il englobât d’autres formules. Mais étant le plus souvent conclues à titre onéreux, ces figures devaient désormais échapper au mandat.

15. La définition constante du courtage. L’activité de courtage « apparaît dans toutes les sociétés à l’aube du commerce. À l’origine, le courtage a eu pour but de rappro-cher les commerçants de nationalités différentes. Le courtier avait pour fonction de les mettre en rapport, de constater leur accord, de rédiger les contrats et de les traduire »52.

Intermédiaire indispensable aux relations commerciales entre étrangers53, le courtier n’en était pas moins regardé avec méfiance en ce qu’il s’immisçait dans les affaires des autres. « Pour ces motifs, l’exercice du courtage fut interdit à qui n’en était pas officiellement investi »54. C’est semble-t-il en 1415 qu’un nombre limité de courtiers fut imposé à Paris55. Ils devinrent des officiers publics en 1595. Avec quelques turbulences56, ce contrôle de la profession, qui n’était pas forcément regardé d’un bon œil57, prit fin par une loi du 18 juillet 186658.

Grâce en grande partie à ce monopole, les courtiers ont depuis fort long-temps une mission très similaire à celle qu’ils assument encore aujourd’hui59.

16. La commission, forme commerciale du mandat. Les premières traces du contrat de commission sont plus difficiles à révéler. « Le contrat de commission était inconnu à Rome »60. « Nous trouvons cependant la trace d’une institution diffé-rente, les proxènes »61 mais effectivement, les auteurs restent prudents, ils pou-vaient sans doute agir tantôt au nom d’autrui tantôt en nom propre62.

51. F. CAGNINACCI, op. cit., p. 185.52. Ph. GUEZ, J. Cl. Contrats-Distribution, fasc. 850, « Contrat de courtage », 2012, n° 2.53. « Le courtier a tenu au Moyen Âge et dans le commencement de l’époque moderne, un rôle plus

important qu’aujourd’hui : il était l’indigène chez qui descendait le marchand étranger, il lui prêtait son patronage. Les marchés se traitaient par son intermédiaire, il répondait de son client et lui servait de truchement… Il certifiait par son bordereau l’opération, ainsi que le poids de la marchandise livrée, il venait déposer en justice, etc. De là, une fonction publique, qu’on a peine à comprendre si l’on s’en tient à la médiation qu’il fournit de nos jours », THALLER et PERCEROU, Traité élémentaire de Droit commercial, 8e éd., Rousseau et Cie, 1931, p. 697.

54. VIVANTE, Traité de Droit commercial, traduit de l’italien par Escarra, éd. Giard et Brière, 1910, n° 212. Il était nécessaire d’être citoyen, de jouir d’une bonne réputation, d’avoir atteint un certain âge, d’avoir passé un examen, fourni un cautionnement, etc., ibid.

55. C. THELLIER de PONCHEVILLE, Règles générales de la commission et du courtage en droit français précédées d’une étude sur le mandat en droit romain, thèse Paris 1864, p. 179.

56. Par exemple, de 1791, ce monopole fut supprimé jusqu’à son rétablissement par la loi du 28 vendémiaire an IV, pour Paris, et du 28 ventôse an IX pour la France (ibid., p. 180).

57. Ibid., p. 216 et s.58. Ph. DEVÉSA, L’opération de courtage : un groupe de contrats au service de la notion

d’entremise, BDE, t. 30, Litec, 1993, p. 6.59. « Il est l’homme des deux parties, il va de l’une à l’autre et les rapproche ; puis il les laisse traiter

elles-mêmes », C. THELLIER de PONCHEVILLE, op. cit., p. 182.60. Ibid., p. 89.61. « Ce nom de proxènes venait de Grèce. De bonne heure les petites républiques grecques avaient

eu des relations commerciales à l’étranger (…). De bonne heure elles avaient connu l’usage de représentants pour faciliter leurs transactions au dehors. Ibid., p. 90. « Mais les proxènes semblent n’être que des mandataires ordinaires ; un texte seul nous indique une classe de ces individus arrivant par l’usage à s’interposer dans les opérations commerciales », ibid., p. 90. « On en a parfois conclu qu’ils agissaient en leur nom propre », M.-P. DUMONT, L’opération de commission, BDE, t. 45, Litec, 2000, p. 11.

62. G.  SAUTEL, « L’histoire du contrat de commission jusqu’au Code de commerce », in Le contrat de commission, études publiées sous la direction de J. Hamel, Publication de l’institut des sciences juridiques et fin. appliquées aux affaires à la faculté de droit de Paris, Dalloz, 1949, p. 23 et s. spéc. p. 26.

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LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISE8

Plus tard, « l’ancien droit désignait, sous le nom de commission, tous les mandats commerciaux, par opposition au mandat civil, gratuit par essence. Le mandat commercial, salarié, était une commission. Peu importait le mode de réalisation du contrat : au nom du mandant ou en nom propre. Le terme de commission s’appliquait indifféremment »63.

17. La distinction du mandat, de la commission et du courtage sous l’ancien droit. Telle était donc la ligne de démarcation du mandat, de la commission et du courtage sous l’ancien droit. Les deux premiers pouvaient pareillement emporter une mission d’agir en nom propre ou au nom d’autrui, mais le mandat était gratuit par essence, la commission était logiquement sa forme commerciale. Quant au courtage, il était défini de la même manière qu’aujourd’hui, un contrat par lequel l’intermédiaire reçoit une mission d’entremise sans pouvoir de conclusion.

Toutefois, bien que ces critères de distinction ne furent pas remis en cause avant le xixe siècle, l’analyse du mandat et de la commission, durant les trois siècles précédant le Code civil et le Code de commerce, permet de mettre en exergue une tendance tout à fait remarquable64.

18. Un mandat naturellement représentatif à partir du XVIe siècle. Lorsque la

représentation est admise en France, « on l’applique d’abord au mandat ad litem, puis à tous les mandats. Le principe régissant le mandat s’inverse : le mandat emporte représentation. Le mandataire n’est pas tenu personnellement des engage-ments qu’il peut prendre »65. « À partir du XVI

e siècle, le principe de représentation dans le mandat est acquis. Il n’est cependant que de la nature du mandat »66.

Ainsi, durant les trois siècles précédents le Code civil, « le mandat est, avant tout, une gestion pour autrui, au nom d’autrui »67. « La représentation du mandant par le mandataire serait la grande nouveauté de la doctrine française par rapport à la conception romaine traditionnelle du mandat »68. Pour nos juristes français, « le mandataire n’est qu’un intermédiaire ; en contractant avec le tiers, il engage directe-ment le mandant »69 ce qui correspond bien au mécanisme de la représentation tel que nous le connaissons aujourd’hui70.

63. G.  FLATTET, Les contrats pour le compte d’autrui, Thèse Paris 1950, p.  97. Également, « D’après M. Dalloz, est commissionnaire dans la plus large acception du mot celui qui agit comme un commerçant. Et, dans ce sens, on peut définir la commission : “Un mandat ordinairement salarié, dans lequel le commettant donne pouvoir de faire pour lui une ou plusieurs opérations de commerce déterminées, au commissionnaire qui s’engage à les traiter pour le compte du commettant, soit au nom de celui-ci, soit en son propre nom” », C. THELLIER de PONCHEVILLE, op. cit., p. 93.

64. Tendance qui pourrait être constatée encore plus tôt. « Aux XIIIe et XIV

e siècles, les procurations contiennent le plus souvent, in fine, l’engagement du représenté de tenir pour bon et ferme ce que le représentant a pu faire dans le cadre de sa procuration », D.  DEROUSSIN, Histoire du droit des obligations, 2e édition, Economica, 2012, p. 275.

65. Ph. DIDIER, op. cit., p. 39.66. Ibid., p. 39. Dans le même sens, F. LEDUC, op. cit., p. 602. V. également Domat qui nous explique

que « la procuration est un acte par lequel celui qui ne peut vaquer lui-même à ses affaires donne pouvoir à un autre de le faire pour lui, comme s’il était lui-même présent. Soit qu’il faille simplement gérer ou prendre soin de quelque bien ou de quelque affaire, ou que ce soit pour traiter avec d’autres » J. DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Paris, 1756, I, 15, 1, n° 1, p. 128. Ainsi, il est manifeste que « la relation avec un tiers n’est pas de l’essence du mandat, elle n’est qu’une forme de mandat parmi d’autres », Ph. DIDIER, op. cit., p. 39. À plus forte raison, cela veut bien dire que la représentation n’est pas de l’essence du mandat sous l’ancien droit.

67. F. CAGNINACCI, op. cit., p. 199.68. Ibid., p. 200.69. Ibid.70. V.  R. J.  POTHIER, Traité du contrat de mandat, tome  V des œuvres de Pothier, éd.  par

M. Bugnet, Paris, 1861, chap. 3, sect. 2, n° 87, p. 207.

Page 21: La qualification générique de contrat d'entremise

INTRODUCTION 9

« Le mandataire est donc, en droit français, le représentant du mandant »71. Reste que si le mandataire représente le plus souvent son mandant, ce n’est pas là une caractéristique essentielle. Il demeure un contrat d’ami, son critère essentiel est la gratuité72.

19. Un mandat essentiellement représentatif pour Wolf et Luzac. Du moins, telle est la position de la grande majorité de la doctrine à la veille de la codifica-tion. En réalité, Monsieur Pfister73 explique que quelques auteurs minoritaires avaient déjà proposé d’ériger la représentation en élément de la définition du mandat. Christian Wolf définit ainsi ce dernier certes par la gratuité du service mais également comme le contrat « par lequel nous donnons la commission de faire quelque chose en notre nom »74. Elie Luzac va jusqu’à présenter la représentation comme un « principe fondamental »75, un « caractère essentiel »76 du mandat. À propos de ces auteurs, Monsieur Pfister explique qu’« il est possible que leur défi-nition du mandat comme le fait d’agir au nom du mandant ait au moins en partie inspiré celle posée par l’article 1984 du Code civil »77.

20. Un commissionnaire agissant en nom propre selon certains usages. Comme le mandat demeure un contrat dont la caractéristique principale est la gratuité, la commission continue, à la fin de l’ancien droit, d’être la forme commerciale de celui-ci. Toutefois, comme le relève Madame Dumont78, certains usages, marseil-lais en l’occurrence, présentaient le commissionnaire comme « celui qui faisait les affaires des autres, agit en son nom, et s’oblige ainsi lui-même sans engager directe-ment ses commettants ». Selon ces mêmes usages toutefois, le mandat demeurait gratuit alors que la commission supposait un salaire limité par la coutume79.

Sautel explique, à propos de cet usage marseillais, que l’action en nom propre n’est pas le critère de la commission, mais seulement qu’« à Marseille, la commis-sion, ou mandat commercial, comporte dans l’immense majorité des cas une activité en nom propre »80. Selon ce dernier81, cette situation trouverait son explication dans le fait que le commerce marseillais est un commerce de longue portée, et que l’intermédiaire a plus de crédit sur la place que le commettant, parfaitement inconnu, d’où la nécessité pratique pour l’intermédiaire de traiter en son nom.

21. Une tendance récurrente à voir mandat et commission comme des contrats tournés vers les tiers. Ainsi, même si l’on ne saurait parler d’une nouvelle crise d’iden-tité du mandat et de la commission à la fin de l’ancien régime, une tendance existe bel et bien et mérite une attention particulière. Bien avant que la représentation ne

71. F. CAGNINACCI, op. cit., p. 209.72. V. Notamment ibid., p. 225. « Pour tous les juristes de L’Ancien Régime, le mandat est un

service d’ami, librement accepté et exécuté de bonne foi, dans l’intérêt d’autrui. C’est la structure du mandat qui commande ses effets ; le mandataire représente son maître parce que telle était la volonté du mandant », ibid., p. 265.

73. L. PFISTER, « Un contrat en quête d’identité. Jalons pour une histoire de la qualification du mandat », in Le mandat, Un contrat en crise ?, N. Dissaux (dir.), Economica, 2011, p. 14-15.

74. C. WOLF, Institutions au droit de la nature et des gens, traduit et annoté par E. LUZAC, Leyden 1772, t. 1, p. 205, 2nd partie, chap. XI, § DLI.

75. Ibid., p. 208.76. Ibid., p. 209.77. L. PFISTER, op. cit., p. 15.78. M.-P. DUMONT, op. cit., p. 13.79. Ibid.80. G. SAUTEL, op. cit., p. 35.81. Ibid.

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LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISE10

devienne le critère essentiel du mandat, elle était déjà un élément naturel de celui-ci. De surcroît, « à la veille de la codification, deux conceptions de l’identité du mandat coexistent, l’une dominante et en grande partie fidèle à la tradition juridique romaine, l’autre en rupture avec cette tradition mais minoritaire »82. Quant à la commission, au moins selon certains usages, elle tendait déjà à être un contrat par lequel le commis-sionnaire reçoit une mission d’agir en nom propre.

Un parallèle peut être fait avec la précédente crise d’identité du mandat. Alors qu’initialement, il était à Rome un service d’ami essentiellement gratuit, il avait évolué vers un contrat tourné vers les tiers au Bas Empire. Dans une bien moindre mesure, ce schéma se retrouve sous l’ancien droit : bien que redevenu un contrat essentiellement gratuit, il devient naturellement représentatif, c’est-à-dire qu’en principe, il sera bien tourné vers les tiers83. Pour un peu, on pourrait presque faire état d’une propension irrémédiable du mandat, essentiellement gratuit, à devenir autre chose, un contrat par lequel le mandataire s’occupe des affaires du mandant auprès des tiers84, un contrat d’entremise donc.

22. Le trouble jeté par le Code civil et le Code de commerce. Le Code civil et le Code de commerce définissent le mandat et la commission. Selon l’article 1984 du Code civil, « le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ». L’article 91 du Code de commerce dispose que le commissionnaire « est celui qui agit, en son propre nom ou sous un nom social, pour le compte d’un commettant ». À première vue, l’ancienne distinction du mandat et de la commission – qui tenait au fait que le mandat était un contrat de bienfaisance alors que la commission était la forme commerciale du mandat – ne paraît pas maintenue. Il faut dire que l’article 1986 du Code civil prévoyant que « le mandat est gratuit, s’il n’y a convention contraire » a vraisemblablement fait de ce critère essentiel un élément simplement naturel.

Comme chacun le sait, cette substitution des critères a bel et bien eu lieu, mais ce qui est à souligner, c’est qu’elle s’est opérée dans des circonstances qui rappellent très largement la crise actuelle.

23. L’obsolescence de l’ancien critère du mandat. À la fin de l’ancien régime, le critère du mandat demeure la gratuité. Comme les Romains l’avaient fait, il fut nécessaire de recourir à la vieille distinction de la merces et de l’honor, car les avo-cats, médecins et plus globalement tous ceux qui exerçaient une profession consi-dérée comme honorifique avaient besoin d’une rémunération. Puisque leur art n’était pas susceptible d’une évaluation pécuniaire, ils ne recevaient pas une somme regardée comme la contrepartie de leur prestation (merces), ils recevaient une récompense, une indemnité (honor), considérée comme le témoin de la recon-naissance du créancier. Cette subtilité permettait donc au mandat de demeurer le contrat de bienfaisance par excellence, un contrat tenu en grande estime contrai-rement au louage d’ouvrage, seulement relatif aux travaux manuels contre rému-nération, qui était autrefois presque assimilable à une sorte d’esclavage85.

82. L. PFISTER, op. cit., n° 19. La conception minoritaire est bien entendu celle de Wolf et Luzac qui voient déjà le mandat comme essentiellement représentatif.

83. Et c’est un schéma à peu près similaire pour ce qui est du contrat de commission.84. « Le mandat a fréquemment pour objet des traités avec des tierces personnes » expliquait Tarrible,

in FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Paris, 1829, T. XIV, p. 602.85. « Le loyer est le paiement, le prix de leur esclavage », J. VALÉRY, Des caractères distinctifs du

contrat de mandat dans le Code civil, Thèse Aix-Marseille, 1898, p. 53.

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INTRODUCTION 11

En premier lieu, il fut aisément démontré que les prestations des profession-nels libéraux et les travaux plus intellectuels que manuels étaient tout aussi éva-luables que n’importe quel travail dit mécanique86.

En deuxième lieu, il faut convenir avec Monsieur Didier qu’« à proprement parler la gratuité du mandat est un mythe car elle est défigurée par la présence de l’honoraire. De ce point de vue, le mandat a toujours été naturellement gratuit, que ce soit à Rome ou sous l’Ancien Régime »87. Il est clair que la distinction de l’honor et de la merces est largement artificielle.

En troisième lieu, l’ancienne théorie « établissait, entre les services de l’homme, une inégalité juridique, basée elle-même sur une inégalité d’estime que les mœurs avaient introduite entre les professions, et comme les mœurs ont changé, sous ce rap-port, il s’ensuit que le système juridique, qui en était la conséquence, n’est plus admissible »88. Et il est vrai que le système qui vise à considérer ce qui est gratuit comme vertueux contrairement à ce qui est effectué en contrepartie d’une rému-nération n’avait aucune chance de perdurer dans une société marchande.

24. L’attachement persistant des rédacteurs du Code civil au critère tradition-nel. Bien que le critère obsolète de la gratuité parût remis en cause par la lettre du Code civil, le passage d’un mandat, relevant essentiellement de la bienfaisance, au contrat emportant représentation à titre essentiel ne s’opéra véritablement qu’après plusieurs décennies et au terme d’une crise d’identité une fois de plus très similaire à celle que connaît actuellement le mandat.

Certes, entre l’article 1984 du Code civil définissant le mandat sans aucune référence à la gratuité et l’article 1986 du même code qui explique que le mandat peut être conclu à titre onéreux si les parties le prévoient, le Code civil ne paraît pas équivoque : le mandat n’est plus essentiellement gratuit. Pourtant, la doctrine de l’époque était encore extrêmement attachée à ce critère traditionnel si bien que la vieille distinction des hautes et basses professions continuait de perdurer89.

Monsieur Leduc explique même que l’article  1986 doit être interprété a minima : il s’agit en réalité de reproduire encore la vieille distinction de l’honor et de la merces. L’auteur, pour renforcer son propos, cite alors Berlier, Tarrible, et De Greuille, mais tout cela ne saurait véritablement convaincre puisque ces derniers, bien qu’incontestablement attachés à la tradition90, évoquaient explicitement un trait naturel et non essentiel91.

86. V. Notamment J.-B. DUVERGIER, Le droit civil français suivant l’ordre du code, T. 19 du Traité de Toullier – T. 4 de la continuation, J. Renouard, 1837, p. 288 et suivant. Cet auteur a d’ailleurs opéré une critique exhaustive de l’ancien critère.

87. Ph. DIDER, op. cit., p. 32.88. J. VALÉRY, op. cit., p. 53.89. Ibid., p. 62-63.90. Tarrible explique que « la confiance de la part du commettant, un officieux dévouement de la

part du mandataire, forment seuls le principe et le lien de ce contrat », in FENET, op. cit., T. XIV, p. 590.91. Berlier explique que « de sa nature, le mandat est gratuit ; c’est un office de l’amitié : ainsi le

définit le droit romain, et notre projet lui conserve ce noble caractère », in FENET, op.  cit., T. XIV, p. 584. Selon De Greuille, « le mandat est un échange de confiance et de bienfaisance qui a lieu entre les deux contractants ; il est donc gratuit par sa nature. Le projet reconnaît formellement ce principe », in FENET, op.  cit., T.  XIV, p.  606. Même Tarrible le dit sans équivoque, « le projet proclame que le mandat est gratuit, s’il n’y a de convention contraire. Il imprime ainsi à ce contrat le beau caractère du désintéressement et de la générosité », in FENET, op. cit., T. XIV, p. 592. Certes, le mandat demeure gratuit mais ce n’est là qu’un trait naturel…

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LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISE12

25. Le caractère essentiel de la représentation dans le mandat non affirmé explicitement par le Code civil. Il n’en demeure pas moins que si la gratuité du mandat, en tant que caractéristique essentielle, paraît abandonnée, reste à déter-miner quel sera le nouveau critère de ce contrat et au-delà, quel sera celui du louage d’ouvrage et de la commission. Or, si à notre sens l’article 1986 du Code civil n’est pas équivoque, on ne peut en dire autant de l’article 1984 du même code dont la rédaction malencontreuse ne manqua pas d’alimenter le débat. D’ailleurs, il faut reconnaître avec Monsieur Didier92 que même si ce dernier texte paraît lier le mandat à la représentation, tel n’est pas la pensée du tribun Tarrible, « le man-dat a fréquemment pour objet des traités avec des tierces personnes »93, ce qui veut bien dire que le mandat n’a pas pour caractéristique essentielle d’emporter un pouvoir de représentation.

C’est ici, comme nous le verrons, une similitude intéressante avec le phéno-mène actuel de perte des repères puisque, si l’ancien critère du mandat est large-ment abandonné, celui tenant à la représentation est loin d’être présenté explicite-ment comme le nouveau critère essentiel94.

26. Un mandat essentiellement représentatif proposé par Vincens et Duvergier. Émile Vincens95 en 1821 et Jean-Baptiste Duvergier96 en 1837, comme d’autres avant eux97, proposent de faire de l’action au nom et pour le compte d’autrui la caractéristique essentielle du contrat de mandat. Lorsque Duvergier98 envisage la distinction du mandat et du louage d’ouvrage, il s’attache d’abord à démontrer à quel point l’ancienne distinction n’est pas fondée. Il propose ensuite son système, pour savoir s’il y a mandat ou louage d’ouvrage, « il n’y a qu’à se demander si celui par qui la chose a été faite, a agi en son nom, a usé de sa capacité personnelle, ou bien s’il a agi au nom de l’autre et avec le pouvoir que celui-ci lui a conféré. Selon la réponse, on décidera qu’il y a louage d’ouvrage ou mandat »99.

Ce qui constitue sans doute le point fort de son système tient au fait que ce dernier s’accorde pour le mieux avec le régime du mandat100. Il cite les

92. Ph. DIDIER, op. cit., p. 46 et s.93. in FENET, op. cit., T. XIV, p. 602.94. Monsieur Pfister va également en ce sens : « le codificateur n’a pas, à notre sens, tranché la

question de la qualification du mandat.  Ni la nature libérale du service du mandataire, ni même la représentation n’apparaissent catégoriquement comme l’élément essentiel et distinctif du mandat », L. PFISTER, op. cit., p. 24.

95. Après la codification, Duvergier ne fut pas le tout premier à proposer cette nouvelle définition. Monsieur Pfister (op. cit., p. 25) estime prudemment que le tout premier était peut-être Émile Vincens qui voyait la représentation comme le « propre du mandat », E. VINCENS, Exposition raisonnée de la législation commerciale et examen critique du Code de commerce, Paris, 1821, t. 2, p. 118.

96. J.-B. DUVERGIER, op. cit., p. 288 et s.97. Wolf et Luzac, bien avant le Code civil, voient la représentation comme un caractère essentiel

(C. WOLF, op. cit.).98. Il n’en demeure pas moins que c’est véritablement sous l’impulsion de Duvergier que la

nouvelle définition du mandat va finir par s’imposer ; il « n’en est pas le père, même s’il est vrai qu’il a contribué à son succès », L. PFISTER, op. cit., p. 38.

99. Ibid., p. 313. Duvergier montre bien que le critère qu’il érige en critère essentiel, s’il n’était pas, évidemment, un critère essentiel sous l’ancien droit, était néanmoins connu. « Presque toujours les actes du mandataire obligent le mandant envers les tiers ou les tiers envers le mandant ; c’est même ordinairement dans ce but que le mandat est donné. On ne voit rien de semblable dans le louage d’ouvrage » (p. 313).

100. Ibid., p. 314.

Page 25: La qualification générique de contrat d'entremise

INTRODUCTION 13

articles 1997 et 1998101, 2004102, 2007 et enfin 1990103 du Code civil qui effective-ment se conçoivent très bien sous le prisme du critère de la représentation, et point du tout sous l’ancien critère tenant à la gratuité. Il explique enfin que cer-tains contrats, habituellement mandats, deviendront des louages d’ouvrage104.

27. La défense de l’ancien système. Si cohérent soit-il, le système de Duvergier fut très loin de faire l’unanimité. Troplong, parmi d’autres105, se lance dans une défense passionnée de l’idée selon laquelle « le mandat est plus noble que le louage »106. « Que l’ouvrage de l’homme soit une pensée, qu’il soit une œuvre mécanique, il n’importe (…). Cette donnée philosophique m’a toujours inspiré un profond dégoût ; car elle rattache tous les mobiles de l’homme à l’intérêt ». « L’homme ne travaille pas seulement pour l’argent ; il travaille aussi pour la gloire, pour la patrie, pour l’humanité. C’est ce qui fait qu’il y a entre les professions des inégalités nécessaires comme dans les conditions. Les unes sont subalternes, ce sont en général celles qui spéculent sur les besoins physiques de l’homme ; elles ont le lucre pour but et c’est avec l’argent qu’on les paie. Les autres, plus relevées, s’adressent aux besoins moraux de l’homme ; tantôt elles lui tendent la main dans ses revers, tantôt elles aspirent à le perfectionner et à le civiliser »107.

28. Une réception tardive et variable du nouveau critère par la jurisprudence. Largement discuté par la doctrine, le critère de Duvergier tardera à s’imposer dans la jurisprudence. Celle-ci continua, après la promulgation du Code civil, d’appli-quer le critère ancien tenant à la gratuité108. A priori, le tout premier arrêt qui appli-qua nettement le nouveau critère fut celui de la Cour de cassation du 14 avril 1886 : « Attendu, en droit, qu’aux termes de l’article 1984 Code civil, le mandat est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ; qu’ainsi le caractère essentiel de ce contrat consiste dans le pouvoir donné au mandataire de représenter le mandant »109.

101. L’article 1998 est le tout premier article du chapitre relatif aux obligations du mandant. Il dispose que « le mandant est tenu d’exécuter les engagements contractés par le mandataire, conformément au pouvoir qui lui a été donné ». Il est manifeste que la règle s’explique par le mécanisme de la représentation. Au contraire, cet article serait bien difficilement explicable si le mandat était toujours entendu comme un contrat de bienfaisance.

102. L’article 2004 s’explique également parfaitement sous l’angle du critère de la représentation. Parce que le mandataire représente le mandant, l’acte qu’il accomplit n’intéresse que ce dernier. Le mandataire n’ayant aucun intérêt à l’accomplissement du mandat, rien ne s’oppose à un principe de libre révocabilité par le mandant. Il faut toutefois convenir que cet article pourrait aussi se comprendre dans un mandat essentiellement gratuit, le mandant pouvant à tout moment décider de ne plus bénéficier des avantages sans contrepartie que lui offre le mandataire.

103. Le raisonnement est bien connu : le mandataire représente, il ne sera donc pas partie aux contrats qu’il conclut.  Puisque seul le mandant sera engagé et que le mandataire est totalement transparent, rien ne s’oppose à ce qu’un incapable soit mandataire. En revanche, il n’y aurait aucune raison, dans un mandat essentiellement gratuit, que la capacité du mandataire ne soit pas exigée.

104. J.-B. DUVERGIER, op. cit., p. 315-316. Mais que la nouvelle distinction n’aura sûrement pas pour effet d’annihiler la distinction des œuvres de l’esprit et des travaux manuels, ibid., p. 317 et s.

105. V. les auteurs cités par Monsieur LEDUC, op. cit., p. 612, Boileux, Demolombe ou encore Marcadé.

106. TROPLONG R.-Th., Le droit civil expliqué dans l’ordre du Code, T. 3, 1840, p. 39, n° 808.107. Ibid., p. 29 et s.108. J. VALÉRY, op. cit., p. 140 et s.109. Cass. civ., 14 avril 1886, DP. 1886. 1. 221. Mais il est vrai que d’autres décisions, moins

explicitement, semblaient déjà retenir le critère de Duvergier. Ainsi en est-il de cet arrêt de 1871 (Cass. 20 juillet 1871, S. 1871.1.41) : « c’est là ce qui distingue le commissionnaire agissant en son propre nom, lequel n’est un mandataire que vis-à-vis de son commettant, du commissionnaire agissant au nom d’un commettant, lequel seul, aux termes de la deuxième partie de l’article 94 du Code de commerce, constitue un mandataire soumis à toutes les règles du droit commun ».

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LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISE14

Il aura donc fallu attendre à peu de chose près un demi-siècle pour que la proposition de Duvergier commence à pénétrer la jurisprudence110. De plus, il faut souligner que d’autres arrêts de la Cour de cassation n’avaient pas pour autant abandonné totalement l’ancien critère111. Ainsi, pendant toute cette période, le mandat est finalement un contrat sans véritable définition, contrat de bienfaisance pour les uns, contrat de représentation pour les autres.

Cette phase pendant laquelle plus personne ne devait être en mesure de dire ce qu’était le contrat de mandat est sensiblement identique à celle que nous connaissons actuellement.

29. La nouvelle distinction du mandat et du contrat d’entreprise. Le mandat est finalement devenu le contrat par lequel le mandataire représente son mandant, du moins jusqu’à ce que ce critère ne soit lui aussi altéré à l’époque contemporaine. Parallèlement, mais cela fut encore plus tardif, le louage d’ouvrage – qui prendra le nom de contrat d’entreprise – sera considéré par la doctrine comme le contrat emportant « l’exercice indépendant d’une activité manuelle ou intellectuelle moyen-nant rémunération »112. Quant à la jurisprudence, il faut attendre un arrêt de la Cour de cassation de 1965113 par lequel un architecte est qualifié de locateur d’ouvrage et non de mandataire. Ceci s’explique largement par une réticence persistante à ranger les professions libérales dans le moule du contrat d’entreprise114. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence est constante : « le contrat d’entreprise, relatif à de simples actes matériels, ne confère à l’entrepreneur aucun pouvoir de représentation »115.

30. La crise d’identité du contrat de commission alimentée par l’article 94 du Code de commerce. Un phénomène similaire à celui qui vient d’être décrit a pu être observé à propos du contrat de commission116. La commission était la forme com-merciale du mandat mais lorsque ce dernier tendit vers un contrat emportant repré-sentation à titre gratuit ou onéreux, l’ancienne distinction fut naturellement ébran-lée. De surcroît, bien que l’article 94 alinéa 1er du Code de commerce définissait le commissionnaire comme celui qui agissait en son propre nom pour le compte d’un commettant, le second alinéa venait immédiatement jeter le trouble en énonçant que les devoirs et les droits du commissionnaire, agissant au nom d’un commettant, étaient déterminés par le régime du mandat dans le Code civil. D’un côté, le critère du contrat de commission paraît tenir à l’action en nom propre du commission-naire, mais de l’autre, le commissionnaire semble pouvoir agir au nom d’un com-mettant sans pour autant perdre sa qualité de commissionnaire.

31. La polysémie du contrat de commission. L’ambiguïté de cet article a fina-lement donné naissance à deux conceptions du contrat de commission. Selon une

110. Si l’on prend pour point de départ l’année 1804, puisque c’est à cette date que le critère de la gratuité subit une altération substantielle, il aura fallu attendre plus de huit décennies.

111. Sur ce point, J.  VALÉRY, op.  cit., p.  143. À propos d’un notaire considéré comme un mandataire, l’auteur cite plusieurs arrêts de la Cour de cassation : Cass. 30 janvier 1889 et Cass. 17 juin 1890.

112. F. LEDUC, op. cit., p. 619.113. Cass. 1re civ., 2 février 1965, D. 1965, 648, JCP G 1965, II, 14089.114. Il faut dire que ce n’est qu’en 1936 qu’un contrat est reconnu entre le médecin et son patient

(Cass. civ. 20 mai 1936, DP. 1936, 88) et la Cour de cassation y voit un contrat sui generis et non un louage d’ouvrage (Cass. civ., 13 juillet 1937, S. 1939, 1, 217 ; DH. 1937, 571).

115. Cass. 1re civ., 19 février 1968, D. 1968. 393.116. Ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’il était défini par rapport au mandat. La remise en cause

du critère essentiel de ce dernier allait nécessairement affecter le contrat de commission.

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INTRODUCTION 15

conception extensive, le commissionnaire peut aussi bien agir en nom propre qu’au nom d’autrui, « la commission serait, tout simplement, la forme commerciale du mandat »117. Il s’agit donc, grâce à l’alinéa second de l’article 94 du Code de commerce, de prôner le maintien de l’ancien critère de distinction du mandat et de la commission. Selon la conception restrictive118, il s’agit de voir la commission comme le contrat emportant une mission de représentation imparfaite. L’accent est alors mis sur l’alinéa 1er de l’article 94 du code précité qui permet de dégager une nouvelle ligne de démarcation de la commission et du mandat.

Cette controverse, alimentée par la jurisprudence119, a perduré jusqu’au milieu du xxe siècle.

32. Le renouvellement des critères de distinction de la commission et du man-dat. La Cour de cassation s’est ensuite placée dans le sens de l’acception restric-tive120. Cette tendance est allée en s’affirmant par la suite121 : « le contrat de com-mission est caractérisé par le fait que le commissionnaire agit en son propre nom et qu’au contraire le mandataire agit au nom de son commettant »122.

Le xxe siècle a donc vu se dessiner, lentement, les nouveaux critères de distinc-tion de la commission et du mandat. Le mandat emporte à titre essentiel une mis-sion de représentation dite parfaite à la charge du mandataire. Bien que cette forme de représentation n’ait pas été explicitement visée par l’ordonnance portant réforme du droit des obligations123, c’est bien la représentation parfaite qui est décrite à l’ar-ticle 1154 al. 1er du Code civil124. Quant au contrat de commission, il est caractérisé par une mission de représentation imparfaite assumée par le commissionnaire. Cette dernière forme de représentation qui consiste pour le commissionnaire à agir pour le compte d’autrui mais en son propre nom se retrouve au second alinéa de l’article 1154125. Ces deux contrats, rejoints par le contrat de courtage et le prête-nom, dont l’identité n’a pas prêté autant à discussion, forment déjà en quelque sorte une famille de contrats tournés vers les tiers.

33. Rétrospection sur une phase d’anomie de la commission et du mandat. À l’aube du xixe siècle, les critères du mandat et de la commission subissent une atteinte préoc-cupante. Le mandat, considéré dans l’ancien droit comme essentiellement gratuit, voit sa définition remise en cause par le Code civil126. Pour autant, une nouvelle défi-nition centrée sur la représentation peine à s’imposer malgré ses avantages indéniables.

117. M.-P. DUMONT, L’opération de commission, BDE, t. 45, 2000, p. 15.118. Laquelle serait admise par la plupart des droits voisins (Belgique, Allemagne, Suisse, Italie,

Suède), ibid., p. 16.119. Ibid., p. 18.120. Cass. civ. 18 janvier 1955, Bull. civ., III, n° 30.121. Cass. com., 3 mai 1965, Bull. civ., III, n° 280 et d’autres encore, v. M.-P. DUMONT, op. cit.,

p. 18 et suivant. Il est également possible de songer l’arrêté du 5 novembre 1956 qui, bien qu’ayant été annulé, distinguait déjà nettement la commission du mandat en se basant sur l’action en nom propre du commissionnaire (ibid., p. 23-24).

122. Cass. 6 juillet 1960, Bull. civ., III, n° 279. On peut d’ailleurs encore regretter l’emploi du terme « commettant » au détriment de celui de « mandant ».

123. Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.124. « Lorsque le représentant agit dans la limite de ses pouvoirs au nom et pour le compte du

représenté, celui-ci est seul tenu de l’engagement ainsi contracté ».125. « Lorsque le représentant déclare agir pour le compte d’autrui mais contracte en son propre

nom, il est seul engagé à l’égard du cocontractant ».126. Particulièrement les articles 1984 et 1986 mais également les autres articles précités qui ne

s’expliquent plus sous l’angle de l’ancien critère.

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LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISE16

Doctrine et jurisprudence sont si partagées que pendant cette phase, personne ne peut plus donner la véritable définition du contrat de mandat.

Le phénomène est similaire pour ce qui est du contrat de commission. L’aber-ration que constitue l’article 94 du Code de commerce va alimenter un vaste débat entre les partisans de l’ancienne distinction et ceux favorables à un commission-naire agissant en nom propre. Là encore, la jurisprudence peine à se positionner et ne le fera que bien tardivement.

C’est donc un même phénomène qui a touché le mandat et la commission durant cette période. Les anciens critères de ces qualifications étaient remis en cause tandis que les nouveaux tardaient à s’imposer. Il s’agissait donc d’une phase pen-dant laquelle la définition même de ces contrats ne faisait l’objet d’aucune certitude. Mandat et commission avaient perdu leurs repères sans que d’autres apparaissent, et cela pendant plusieurs dizaines d’années. Cet état de perte des repères affectant nos qualifications peut être rapproché du phénomène sociologique d’« anomie ». L’anomie est considérée par Durkheim comme un « état de dérèglement »127 ou « état de crise »128 de la société qui pourrait avoir une certaine influence sur le taux de suicide. L’anomie correspond donc ici à une perte des repères fournis par la société. « Pour Jean Daniel Reynaud, l’anomie ne doit pas être analysée comme un moment exceptionnel, mais comme caractéristique de tout changement social »129, ce qui correspond, encore une fois, à l’idée de perte des repères.

Transposée à notre matière, il pourrait y avoir une phase d’anomie chaque fois que les critères des qualifications connaissent une altération importante sans pour autant que des critères de substitution ne s’imposent. Ce dérèglement de nos qualifications contractuelles, observé à partir du tout début du xixe siècle pour le mandat et la commission, est très comparable aux turbulences traversées actuelle-ment par le mandat et les qualifications voisines130.

34. L’altération contemporaine du critère du mandat par le législateur. Les critères selon lesquels le mandataire agit au nom et pour le compte du mandant, le commissionnaire en son nom propre pour le compte du commettant et le cour-tier rapproche les futures parties sans avoir le pouvoir de conclure peuvent être considérés aujourd’hui comme traditionnels. Mais une fois de plus, ils connaissent visiblement une altération tout à fait préoccupante. Cette crise touche tout parti-culièrement le contrat de mandat. À de multiples reprises, le législateur a régle-menté toute une série de professions, nous pensons notamment aux agents immo-biliers, commerciaux, artistiques, sportifs, de publicité.

La difficulté est que bien souvent, le législateur a qualifié ces contrats d’entremise de mandat, alors même qu’ils n’emportent pas systématiquement une mission de représentation. Ces contrats semblent plutôt, dans la plupart des hypothèses, à cheval sur le courtage et le mandat, puisqu’il s’agit de rappro-cher des individus tantôt en ayant un pouvoir de conclusion, tantôt non. Dès lors, le législateur appelle itérativement « mandat » un contrat d’entremise qui

127. E. DURKHEIM, Le suicide, 1930, 14e édition, PUF, 2013, p. 281.128. Ibid., p. 284.129. Y. ALPE, A. BEITONE, C.  DOLLO, Lexique de Sociologie, 4e édition, Dalloz  2013,

« Anomie », p. 17.130. En revanche, le terme d’anomie ne sera jamais utilisé ici dans le sens d’une absence de

normes.

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INTRODUCTION 17

n’opère pas à titre essentiel représentation, ce qui revient à altérer significative-ment le critère traditionnel du mandat.

35. L’altération contemporaine du critère du mandat par la jurisprudence. Un simple regard sur la jurisprudence permet d’avoir une première idée de l’ampleur du phénomène. Le mandat y est tantôt décrit comme emportant à titre essentiel une mission de représentation131, tantôt non132, ce qui n’est pas du tout satisfai-sant.  Ainsi, les magistrats du quai de l’Horloge nous expliquent que « l’agent commercial est un mandataire, qui représente de façon permanente une ou plusieurs personnes et fait à ce titre des actes juridiques pour le compte de ses mandants qui se trouvent ainsi engagés »133 mais aussi « que, sauf clause expresse (…), le mandat, même exclusif, donné à un agent immobilier, lui confère seulement une mission d’en-tremise et n’a pas pour effet de le substituer à son mandant pour la réalisation de l’opération envisagée »134. Dans cette dernière hypothèse où il n’est plus essentiel-lement représentatif, il est un contrat dont les contours sont bien difficiles à cer-ner. Il semble correspondre, le plus souvent, à une figure englobant le mandat et le courtage dans leurs acceptions traditionnelles.

Comme cela a pu être constaté à d’autres époques, il existe donc plusieurs acceptions d’un même contrat, une véritable polysémie du mandat.

36. Une crise d’identité profonde et durable. C’est semble-t-il une autre crise d’identité du mandat que nous connaissons aujourd’hui. Alors que la jurispru-dence est très loin de se positionner dans un sens ou dans un autre, le législateur lui-même paraît entretenir cette phase d’anomie en supprimant toute référence au contrat de mandat dans la loi de 2010 relative aux agents sportifs135. Cela pourrait éventuellement signifier que le législateur, sous l’impulsion d’une par-tie de la doctrine, est revenu sur la qualification de mandat qu’il avait apposée à un contrat n’opérant pas toujours représentation. Le cas échéant, ce « pas en arrière » jetterait largement le trouble sur l’orientation qu’il conviendrait de donner au mandat.

Les signaux semblent brouillés de toute part, l’altération du critère du man-dat paraît profonde et semble avoir vocation à perdurer.

37. L’absence d’influence perturbatrice de certaines utilisations du « man-dat ». Toutefois, il faut remarquer que toutes les utilisations non conformes du vocable « mandat » en droit positif n’aboutissent pas nécessairement à une altéra-tion des critères de ce contrat dans le Code civil. Ainsi, il est vrai que le « mandat d’arrêt »136 en procédure pénale est très éloigné du mandat du Code civil ; le pre-mier n’aura guère d’influence perturbatrice sur le second, sans doute en raison de l’autonomie des matières et des notions.

131. Par exemple : Cass.  1re civ., 28  novembre 2007, n°  05-13153, D.  2008. Pan.  2245, obs. BRÉMOND. Cass. 3e civ., 17 février 1999, n° 95-21412. Cass. com., 8 juillet 2008, n° 07-12759. Cass. com., 24 septembre 2003, n° 02-12265.

132. Notamment, Cass.  1re civ., 5  janvier 1985, Bull.  civ.  I, n°  1, n°  83-13560. Cass.  1re civ., 8 juillet 1986, n° 84-15731. Cass. 3e civ., 12 avril 2012, n° 10-28637.

133. Cass. com., 24 septembre 2003, n° 02-12265.134. Cass. 1re civ., 5 janvier 1985, Bull. civ. I, n° 1, n° 83-13560.135. Loi n° 2010-626 du 9 juin 2010.136. C’est un « ordre donné à la force publique par un magistrat instructeur ou par une juridiction

pénale de jugement des crimes ou des délits, de rechercher la personne à l’encontre de laquelle il est décerné et de la conduire devant eux pour, selon le cas, l’entendre ou la juger, après l’avoir, le cas échéant, conduite à la maison d’arrêt indiquée sur le mandat où elle sera reçue et détenue », S. GUINCHARD,

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LA QUALIFICATION GÉNÉRIQUE DE CONTRAT D’ENTREMISE18

38. L’autonomie du « mandat politique ». Il en est de même du « mandat poli-tique » : « le mandat désigne la mission que les électeurs confient à certains d’entre eux de participer à l’exercice du pouvoir »137. Ainsi, il est admis qu’est « représentant » « l’individu ou le corps qui, constitutionnellement, a le « pouvoir de vouloir » pour la Nation. En conséquence, il n’y a pas de dépendance entre le représentant et l’électeur ; il n’y a même pas de lien contractuel »138. Si le nom de mandat demeure139, force est de constater qu’il n’y a plus véritablement de lien avec le mandat du Code civil.

39. L’autonomie du mandat administratif. Mais, même s’en aller jusque-là, que dire du contrat de mandat en droit administratif ? Il est clair que le mandat est, dans cette matière, parfois très éloigné du mandat du Code civil140. Pour autant, les déformations du mandat en droit administratif n’affecteront en rien les critères du mandat dans le Code civil. Ceci s’explique par l’autonomie du droit administratif ; le mandat administratif y est alors une institution largement indé-pendante du mandat du Code civil sur lequel il ne peut avoir aucune influence.

40. L’autonomie des « mandats judiciaires » des procédures collectives. Obliga-toires dans toute procédure collective, les mandataires judiciaires sont, selon l’ar-ticle L.812-1 du Code de commerce, « les mandataires, personnes physiques ou morales, chargés par décision de justice de représenter les créanciers et de procéder à la liquidation d’une entreprise ». Leur mission varie donc selon la procédure collec-tive, dans la sauvegarde, l’article L.622-20 du Code de commerce prévoit que « le mandataire judiciaire a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers »141. Mais ce n’est qu’un aspect d’une mission plus complexe : « la mission essentielle de ce représentant des créanciers sera de vérifier les créances déclarées et de dresser l’état des créances qui sera soumis au juge-commissaire »142. Dans la liquida-tion judiciaire, il lui revient de procéder aux opérations de liquidation en organisant les cessions d’actifs et en procédant à la répartition des fonds entre créanciers143.

Dans la mesure où il ne s’agit pas d’un contrat, toute déformation du mandat du Code civil paraît une fois de plus inexistante. Il en est donc de même des admi-nistrateurs judiciaires144 ou encore des experts en diagnostic d’entreprise145.

T. DEBARD, Lexique des termes juridiques, 24e édition, Dalloz, 2016, « Mandat d’arrêt », p. 679. Il en existe d’ailleurs toute une panoplie, mandat d’amener, mandat de dépôt, etc., qui ne correspondent en rien au contrat de mandat du Code civil…

137. M. DE VILLIERS, A. LE DIVELLEC, Dictionnaire du droit constitutionnel, 10e édition, Sirey, 2015, « Mandat », p. 233.

138. M.  PRÉLOT, J.  BOULOUIS, Institutions politiques et droit constitutionnel, 11e édition, Dalloz 1990, p. 86.

139. Le mandat politique pourrait avoir pour origine le mandat du Code civil. V. L. PFISTER (op. cit., p. 35) se référant à P.-A. GARROS, (De la sauvegarde des peuples contre les abus du pouvoir, Paris, 1815, p. 9 et s.), lequel évoquait l’opportunité de fonder le système politique représentatif sur le mandat du Code civil.

140. Sur cette question, v. M. CANEDO, Le mandat administratif, Bibliothèque de droit public, t. 216, LGDJ, 2001.

141. Il peut alors « exercer les actions en justice qui mettent en jeu cet intérêt collectif, telle que par exemple les actions en nullité de la période suspecte ou les demandes de report de la date de cessation des paiements encore même les actions en responsabilité contre des tiers ». A. JACQUEMONT, R. VABRES, Droit des entreprises en difficulté, 9e édition, LexisNexis, 2015, n° 297.

142. A. JACQUEMONT, op. cit., loc. cit. V. aussi P. CAGNOLI, Rép. Com. Dalloz, « Entreprises en difficulté, (Procédure et organes) », 2010, n° 125 et suivant.

143. Ibid.144. L. 811-1 du Code de commerce.145. L. 813-1 du Code de commerce.

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INTRODUCTION 19

41. Les hésitations suscitées par le « mandat légal » des dirigeants sociaux. La même situation se retrouve sans doute à propos du mandat des dirigeants sociaux. Le mandat des dirigeants sociaux « ressemble davantage à un mandat politique qu’à un contrat de mandat soumis au Code civil »146 et il a même été soutenu qu’il ne s’agit pas d’un contrat147. « Il est nécessaire de distinguer le mandat social du mandat civil. Le mandataire social n’est pas mandaté, au sens civil du terme, par la société ou les actionnaires afin de les représenter »148.

Il est vrai que le pouvoir de représentation n’a pas pour source la volonté des parties, mais la loi. Le rôle des associés va souvent se limiter à choisir le dirigeant mais le pouvoir de représentation est bel et bien déterminé par la loi. Pour s’en convaincre, il suffit de penser à l’article L.221-3 du Code de commerce qui pré-voit, à propos de la société en nom collectif, que « tous les associés sont gérants, sauf stipulation contraire des statuts ». Cela montre bien que le pouvoir de repré-sentation ne naît pas de la volonté des parties, laquelle peut être inexistante, mais bien de la loi. Également, les statuts peuvent prévoir des limitations aux pouvoirs du représentant à l’égard des tiers. Mais ces clauses sont inopposables aux tiers, même de mauvaise foi149. C’est dire que les statuts ne peuvent pas véritablement délimiter le pouvoir de représentation à l’égard des tiers.

Il s’agit donc d’un cas de représentation légale150. Dès lors que le pouvoir de représentation n’a pas pour source la volonté des associés, il est impossible d’y voir un contrat de mandat dans sa définition traditionnelle, car c’est là sa caractéristique. D’ailleurs, « dans un domaine voisin, celui de l’association, la loi n’ayant pas institué de représentant légal de l’association, le président ne peut la représenter en justice, à défaut de clause statutaire, qu’à la condition d’avoir reçu un mandat spécial »151. La représen-tation légale est donc exclusive d’un véritable contrat de mandat.

42. L’analyse peu convaincante d’un mandat inter partes. Pourtant, le diri-geant social, « s’agissant des relations avec les actionnaires, (…) est généralement qualifié de mandataire social pour justifier sa révocabilité, sa responsabilité et son obligation de rendre périodiquement compte de sa gestion »152. Il faut aussi songer à l’application par la jurisprudence153 de l’article 2007 du Code civil « pour définir le régime de la démission du mandataire social »154. Il y aurait donc bien un mandat mais uniquement dans les rapports internes.

Il faut douter de la pertinence d’une telle analyse. Que le droit du mandat du Code civil soit ici utile est incontestable. Dès lors que le dirigeant social est un

146. P. LE CANNU, B. DONDERO, Droit des sociétés, 6e édition, Montchrestien, Lextenso, 2015, n° 491.

147. V. Ph. PÉTEL, Les obligations du mandataire, BDE, t. 20, Litec, 1988, p. 16 et les nombreuses références citées.

148. R. GIANNO, A.-E. COMBES, « La dénaturation du mandat social par la pratique dans les sociétés anonymes », Gaz. Pal., 4 juin 2002 n° 155, p. 4.

149. M.COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, Droit des sociétés, 29e édition, LexisNexis, 2016, n° 346.

150. Ibid., n° 344.151. Ibid. Sur ce point, v. Cass. 1re civ., 19 novembre 2002, 00-18946, Bull. civ. I, n° 272.152. M.COZIAN, A. VIANDIER, F. DEBOISSY, op. cit., n° 752.153. V. notamment : Cass. soc., 1er février 2011, n° 10-20953, Bulletin Joly Sociétés, 1er mai 2011,

n° 5, p. 375, note B. DONDERO.154. B. DONDERO, ibid. Ainsi, « c’est bien dans le Code civil que l’on peut aller en cas de besoin

chercher de quoi compléter le statut du mandataire social », ibid.

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représentant et qu’il n’existait pas de règles générales relatives à la représentation, il n’était pas surprenant d’aller chercher les règles applicables dans le mandat du Code civil. Pour autant, il n’est nul besoin de qualifier le dirigeant de mandataire pour appliquer le régime du mandat, qui d’ailleurs n’est pas toujours adapté155. Lorsque la Cour de cassation a appliqué l’article 909 du Code civil relatif à l’inca-pacité de recevoir des médecins aux magnétiseurs156, personne n’avait songé à expliquer que les magnétiseurs étaient désormais des médecins ! Le régime du mandat peut très bien être étendu par analogie au dirigeant social sans pour autant que celui-ci ne devienne un mandataire.

Il faut également avoir à l’esprit que cette qualification de mandat ne vau-drait que dans les rapports internes, le contrat étant alors autre chose à l’égard des tiers… Comment une même opération pourrait-elle recevoir deux qualifications selon le rapport envisagé ? Le dirigeant social ne peut pas être lié par un mandat dans les rapports internes et investi légalement d’un pouvoir de représentation à l’égard des tiers. Le dirigeant social est un représentant légal et le contrat par lequel les associés nomment le dirigeant, fixent certaines limites à son pouvoir, mais aussi déterminent les apports ou encore l’objet social n’est rien d’autre que le contrat de société.

Pour toutes ces raisons, le « mandat » des dirigeants sociaux est bien trop éloigné du mandat du Code civil pour avoir une influence perturbatrice à son égard.

43. Les hésitations suscitées par le mandat des délégués syndicaux. Le doute est également permis à propos du mandat des délégués syndicaux. « La doctrine, pour sa part, s’est efforcée de qualifier le lien qui unit l’adhérent au syndicat, singulièrement le fondement de l’autorité que celui-ci exerce sur celui-là. Il semble que la conception institutionnelle l’emporte aujourd’hui sur une approche contractuelle »157. Pourtant, c’est encore le régime du mandat du Code civil qui continue d’être appliqué en cas de besoin158. Il faut dire qu’encore une fois, un délégué syndical peut avoir une mis-sion très proche de celle d’un véritable mandataire ; « sa mission de négociation, à laquelle la jurisprudence le soumet, le pousse à négocier et conclure des accords collec-tifs »159. Il n’en demeure pas moins que ces mandats sont si particuliers qu’une influence perturbatrice sur le mandat du Code civil n’est pas à craindre.

44. Une perte globale des repères. Certes, l’identité même de la commission, du courtage ou du prête-nom ne semble pas connaître les mêmes perturbations que celle du mandat, mais le phénomène les atteint d’une autre manière. Alors que le courtage est habituellement bien distingué du mandat en ce que le premier n’emporte pas représentation contrairement au second, comment les différencier si le mandat n’est plus caractérisé par la représentation ?

155. Certains dirigeants ne sont révocables qu’avec des justes motifs sous peine de dommage et intérêts, c’est le cas du gérant de SARL ou encore du directeur général dans la société anonyme.

156. Cass. 1re civ., 10 octobre 1978, n° 77-11785, Bull. civ. I, n° 296.157. B. GAURIAU, « Le mandat syndical est soumis aux règles de révocation du droit commun »,

La Semaine Juridique Social n°  1, 10  janvier 2006, 1008 (note sous Cass.  soc., 25  octobre 2005, n° 04-16089).

158. Cass. soc., 25 octobre 2005, n° 04-16.089 pour une application de l’article 2004 du Code civil.

159. B. GAURIAU, « Opposabilité à l’employeur de la révocation d’un mandat syndical », La Semaine Juridique Social n° 8, 19 février 2008, 1122 (note sous Cass. soc., 7 nov. 2007, n° 06-13702).

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Visiblement, le même schéma se retrouve à propos de la commission et du prête-nom en raison tout particulièrement d’une identification de ces qualifications au mandat. C’est que le régime de ce dernier est plutôt exhaustif en comparaison des quelques règles relatives à la commission et au prête-nom. Le juge, comme nous le verrons, a parfois tendance à qualifier ces contrats de mandat dans le dessein de leur appliquer le régime subséquent. Le phénomène est d’autant plus préoccupant qu’il n’est pas systématique. Alors que certains arrêts expliquent que la commission est un mandat160, d’autres161 refusent nettement toute identification…

Il résulte de tout ceci que ces qualifications, traditionnellement bien distin-guées, connaissent à l’heure actuelle une véritable perte des repères, une phase d’anomie.

45. Une perte des repères des qualifications de l’entremise. Le phénomène de perte des repères touchant le mandat ainsi que les qualifications voisines de ce dernier s’est clairement produit à propos des contrats d’entremise, c’est-à-dire des contrats emportant pour l’intermédiaire une mission de « mettre en relation deux ou plusieurs personnes en vue de la conclusion d’une convention »162. C’est bien sur des opérations d’entremise complexes que le législateur a apposé les qualifications trop restrictives de mandat. C’est bien à l’occasion d’opéra-tion d’entremise que le juge définit diversement le contrat de mandat, partici-pant par là même à la polysémie dont il est atteint aujourd’hui. C’est encore, pour l’essentiel, en ce même domaine que le juge a pris soin d’assimiler le com-missionnaire et le prête-nom à des mandataires.

Cela n’a rien d’étonnant puisque ces qualifications163 sont principalement utilisées à des fins d’entremise164. Il s’agira donc bien, pour le principal, de centrer nos développements sur les contrats opérant une mission d’entremise, car c’est à l’occasion d’une telle mission que nos catégories juridiques ont subi maintes déformations.

46. Une situation insatisfaisante appelant une réponse adaptée. Il n’est pas question de se satisfaire de cette situation. Nos instruments contractuels, même si une certaine souplesse est parfois utile, doivent faire l’objet d’une définition précise et pouvoir être distingués les uns des autres. Comment tolérer que per-sonne aujourd’hui ne soit en mesure de donner la définition d’un contrat aussi usité que le mandat ?

De plus, les incohérences qui caractérisent ces qualifications sont tout à fait favorables à l’insécurité juridique.

Il est donc opportun de s’inspirer des crises antérieures dans la recherche d’une solution efficace et durable à cette phase d’anomie.

47. Le besoin constant d’un instrument contractuel plus accueillant.  Dès le droit romain, le mandat avait vu son critère essentiel altéré pour devenir un

160. V. infra, n° 522 et s.161. V. infra, n° 549 et s.162. G. CORNU, Vocabulaire juridique, 11e édition, 2016, « Intermédiaire », p. 567.163. De mandat, de commission, de courtage, etc.164. Certes, le mandat peut être utilisé pour accomplir un acte juridique unilatéral mais dans la

plupart des cas, qu’il s’agisse du mandat dans son acception traditionnelle ou du mandat émancipé de la représentation, il est un contrat par lequel le mandataire reçoit une mission d’entremise.

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contrat par lequel le mandataire s’occupait des affaires de son mandant auprès des tiers. Durant les trois siècles précédant le Code civil, mandat et commission ont été largement utilisés comme instrument de représentation parfaite et impar-faite. Aujourd’hui, alors que ces contrats d’entremise permettent tous, selon diverses modalités, de s’occuper des affaires du donneur d’ordres auprès des tiers, c’est encore une figure plus globale que le mandat tend à devenir.

Il apparaît là une sorte de besoin constant : un instrument contractuel plus global permettant d’appréhender des opérations toujours plus complexes. Juste-ment, il n’a été possible de sortir de la dernière crise que lorsque les nouveaux critères ont chassé les anciens. Le renouvellement des critères du mandat et de la commission avait permis de répondre à deux préoccupations. D’abord, cela per-mettait d’abandonner l’ancien critère tenant à la gratuité qui était parfaitement obsolète. Ensuite, il s’agissait aussi, dans la précédente phase d’anomie, d’opérer un renouvellement pour répondre à certains besoins165.

Or, précisément, il semble que la même configuration se présente aujourd’hui. Le mandat apparaît alors comme le candidat idéal.

48. Le renouvellement possible d’un critère insuffisant, illégitime et accidentel du mandat. À l’heure actuelle, les critères traditionnels sont manifestement insus-ceptibles de permettre l’accueil de la plupart des contrats d’entremise susvisés. Un renouvellement est d’autant plus envisageable que certains auteurs se sont atta-chés à démontrer le caractère illégitime, voire fortuit du critère de la représenta-tion dans le mandat. Monsieur Leduc explique que le critère de la représentation n’a, à l’époque, pas véritablement été débattu et éprouvé. La discussion avait davantage été centrée sur l’obsolescence ou non de l’ancien critère. Duvergier lui-même, à dire vrai, ne s’interroge guère sur la viabilité de son critère alors juste-ment qu’ériger la représentation en critère de distinction n’allait pas forcément sans susciter quelques hésitations166.

Monsieur Didier a quant à lui un propos encore plus ferme. « La repré-sentation n’a longtemps été qu’un élément naturel du contrat de mandat. Ce n’est que par un accident de l’histoire que le droit français a lié mandat et représenta-tion, prenant ainsi le contre-pied des autres droits de la famille romano-germa-nique »167. Il est vrai qu’alors que le droit français allait lier essentiellement mandat et représentation, les droits suisses et allemands en opéraient au contraire la dissociation168.

Ainsi, l’auteur explique que « la liaison de ces deux éléments n’a été que tar-dive. Elle ne semble s’être faite qu’accidentellement. Ce n’est que parce que la dis-tinction des activités mécaniques et des activités libérales a décliné que s’est posé le problème du critère du mandat. Le choix fait par Duvergier de la représentation comme critère du mandat ne nous apparaît ainsi que comme une solution par

165. Un contrat emportant représentation était apparu comme utile et le fait que le mandat emportait le plus souvent une mission de représentation des siècles avant le Code civil en attestait suffisamment.

166. Comme nous le verrons, Monsieur Leduc met l’accent une part d’ombre du critère de la représentation qui tient à la délicate distinction du représentant et du nuntius. F. LEDUC, op. cit., p. 623 et s.

167. Ph. DIDIER, De la représentation en droit privé, BDP, t. 339, 2000, p. 28.168. Cette césure s’opère dans le Code suisse des obligations de 1881 puis dans le BGB allemand

de 1900, ibid., p. 42-43.

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élimination. Sa proposition n’a pas été une réponse à une attente mais résulte uni-quement de l’impossibilité de conserver d’autres critères »169.

Dans ces conditions, il est vrai qu’une nouvelle substitution des critères du mandat ne paraît pas particulièrement intolérable.

49. Un renouvellement utile du critère du mandat. De plus, si aujourd’hui, la plupart des qualifications opérées par le législateur l’ont été au prix d’une défor-mation du contrat de mandat, c’est peut-être parce qu’il n’existait aucune catégo-rie juridique permettant d’accueillir de telles opérations d’entremise complexes. Un mandat bénéficiant d’une capacité d’accueil plus conséquente pourrait donc permettre de répondre à ce besoin.

Parallèlement, il semble bien que les régimes lacunaires de la commission et du prête-nom ont incité la jurisprudence à qualifier ces contrats de mandat. On pressent encore l’opportunité d’un mandat susceptible d’accueillir tous ces contrats d’entremise : le régime en résultant serait un véritable droit commun qui pourrait être appliqué en cas de besoin.

50. La poursuite de l’évolution du contrat de mandat. Ainsi, les deux préoccu-pations qui avaient sans doute conduit au renouvellement de l’ancien critère tenant à la gratuité semblent se retrouver à l’époque contemporaine. Il s’agirait aujourd’hui d’abandonner des critères insuffisants et peu légitimes en vue de créer un nouveau mandat susceptible de regrouper l’ensemble des contrats d’entremise.

Tout porte donc à reproduire le même schéma en permettant au mandat d’achever son évolution. La poursuite de l’évolution du mandat fera de ce dernier la qualification globale que le droit positif semble requérir actuellement170. Il conviendrait donc de se lancer dans la recherche de ses nouveaux critères.

51. Un choix naturel et non accidentel des critères traditionnels. Cependant, il serait quelque peu hâtif de se lancer dans une telle démarche, si séduisante soit-elle. Que le choix de nouveaux critères ait été imposé par l’obsolescence des anciens ne fait pas de doute, tout comme il est certain que le mandat essentielle-ment représentatif est une nouveauté du xixe siècle. Toutefois, considérer la liai-son essentielle du mandat et de la représentation comme accidentelle171, c’est-à-dire « qui arrive par hasard, qui est produit par une circonstance occasionnelle »172, semble bien excessif. Cela faisait des siècles que la représentation était liée au mandat, certes pas à titre essentiel, mais tout de même à titre naturel. C’est dire que le mandat emportait représentation, sauf stipulation contraire des parties. La démarche de Duvergier n’a donc rien d’hasardeuse. Le mandat était un contrat essentiellement gratuit et naturellement représentatif ; si la gratuité ne pouvait plus demeurer le critère essentiel, il était bien normal de s’intéresser à cette

169. Ibid., p. 50.170. Cette proposition de faire du mandat un instrument bénéficiant d’une capacité d’accueil

plus importante a été développée, notamment, par Monsieur Dissaux qui définit ce nouveau mandat comme « le contrat par lequel une personne, appelée mandant, donne le pouvoir à une autre, appelée mandataire, de participer à la procédure de conclusion d’un acte juridique en son nom et pour son compte ». Cela revient en fait à regrouper les domaines respectifs du mandat et du courtage dans leurs acceptions traditionnelles. N.  DISSAUX, La qualification d’intermédiaire dans les relations contractuelles, BDP, t. 485, LGDJ, 2007, p. 133.

171. Ph. DIDIER, op. cit., p. 28 et p. 50.172. Le Petit Robert de la langue française, 2013, « accidentel », p. 16.

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caractéristique naturelle du contrat de mandat173. De plus, elle n’est pas tant un choix par élimination174 qu’une solution dictée par la force des choses. Pourquoi aller chercher ailleurs le critère du mandat quand un lien indéniable existait déjà entre ce contrat et la représentation ?

Également, expliquer que l’adoption de ce critère n’est pas une réponse à une attente particulière175 n’est pas totalement convainquant. Si le mandat emportait naturellement représentation des siècles avant le Code civil, c’est sans doute parce que c’était utile, utilité qui n’aura sans doute pas décru lorsque Duvergier aborda le renouvellement du critère du mandat.

Il faut, par ailleurs, avoir à l’esprit que le contrat de courtage était depuis fort longtemps ce contrat d’entremise n’emportant aucun pouvoir de conclusion. Quant à la commission, il s’agissait déjà, selon certaines coutumes, d’un contrat emportant une mission d’agir en nom propre et pour le compte d’autrui.

Les critères qui se sont imposés après par la promulgation du Code civil et du Code de commerce sont donc le fruit d’une histoire, de pratiques et de coutumes commerciales. Loin d’être le fruit d’une rupture brutale ou d’un accident, le chan-gement catégoriel s’opère, au contraire, dans une certaine continuité176.

52. Les systèmes suisse et allemand, les mauvais exemples ? Que la liaison de la représentation et du mandat en France ait pris « le contre-pied des autres droits de la famille romano-germanique » est une réalité177 mais elle n’impose absolument rien. Le Code suisse des obligations de 1911, d’inspiration allemande, en atteste suffisamment. La représentation y est détachée du mandat, elle est conférée par un acte juridique unilatéral, la procuration. Mais quel est alors le critère du man-dat ? C’est bien toute la difficulté, « plutôt que de rechercher un hypothétique cri-tère recueillant l’assentiment de tous, on renversa la perspective ». Le mandat sera donc celui qui « porte sur un service ou une affaire » et qui « n’est ni un louage de travail, ni un louage d’ouvrage (…), ni aucun autre contrat de service prévu par le code des obligations »178. Le mandat, faute de mieux, y apparaît donc comme un contrat résiduel de prestation de service, si bien qu’« encore aujourd’hui, la défini-tion du mandat reste une question épineuse du droit suisse »179.

173. De plus, cette nouvelle acception du mandat est presque critiquée en ce qu’elle « rend essentiel un trait du mandat qui ne lui est que naturel », (Ph. DIDIER, op. cit., n° 810). Mais puisqu’il s’agissait justement de la proposition de nouveaux critères, rien n’est plus naturel…

174. Également contre cette idée d’un choix par élimination ou accidentel, L. PFISTER, « Un contrat en quête d’identité. Jalons pour une histoire de la qualification du mandat », in Le mandat, Un contrat en crise ?, N. Dissaux, (dir.), Economica, 2011, p. 36 et s.

175. Ph. DIDIER, op. cit., p. 50.176. Une continuité qui pourrait être bien plus marquée qu’il n’y paraît. Sous l’ancien droit,

certains voyaient déjà la représentation comme un caractère essentiel du mandat, (C. WOLF, Institutions au droit de la nature et des gens, traduit et annoté par E. LUZAC, Leyden 1772, t. 1, p. 205 et s., 2nd partie, chap. XI, § DLI). Or, comme le souligne Monsieur Pfister, ces auteurs n’étaient sans doute pas inconnus des rédacteurs du Code Civil, (L. PFISTER, op. cit., p. 15). Il est donc tout à fait possible que Wolf et Luzac aient eu une certaine influence sur la rédaction de l’article 1984 du Code civil, rédaction qui aura bien entendu inspiré Duvergier dans la proposition de sa nouvelle définition.

177. Le codice civile de 1942 n’opère pas non plus de liaison à titre essentiel. Le mandat « se caractérise par l’obligation pour le mandataire de faire des actes juridiques pour le compte d’autrui », (Ph. DIDIER, op. cit., p. 45).

178. Ibid., p. 44.179. Ibid., p. 44.

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Quant au système allemand180, il paraît bien difficilement transposable en droit français en raison de l’importance considérable accordée à un acte juridique unilatéral. En outre, la distinction du mandat et de l’entreprise, basée sur la gra-tuité, n’est pas vraiment justifiable. Alors qu’en droit français, l’accent est plutôt mis sur la prestation caractéristique, c’est-à-dire la contrepartie de l’obligation de payer le prix (ou la seule obligation du contrat s’il est conclu à titre gratuit), le droit allemand accorde au contraire une importance majeure à la stipulation d’une rémunération, laquelle ne détermine pourtant pas substantiellement le régime du contrat.

Pour ces raisons, être allé à contre-courant des systèmes voisins n’est peut-être pas une mauvaise chose.

53. Des critères traditionnels à éprouver. Il est vrai que dans la précédente crise d’identité du contrat de mandat, une substitution des critères s’impo-sait. L’ancien critère était le reflet d’une société opérant une discrimination selon le type de travail qui était fourni. Lorsque ces discriminations apparurent de plus en plus insoutenables, le critère dut inévitablement être remis en cause.

Mais ce qui était inéluctable à cette époque ne l’est pas nécessairement aujourd’hui. En effet, même si le critère de la représentation n’a initialement pas été débattu et éprouvé, il n’apparaît pas pour autant aujourd’hui comme particu-lièrement obsolète. À première vue, il ne semble pas superflu qu’un instrument contractuel fasse naître la représentation parfaite, un autre la représentation imparfaite ou encore une mission d’entremise sans pouvoir de conclusion.

Il ne faut donc pas opter trop promptement pour l’éviction de ce dernier. En réalité, il convient plutôt de déterminer si les critères des qualifications de l’entre-mise sont intrinsèquement viables. Ce n’est qu’une fois la réponse à cette question connue qu’il sera possible de se prononcer valablement sur leur maintien ou leur remise en cause.

54. La piste d’une qualification générique de l’entremise. Parallèlement, il est vrai que l’esquisse historique que nous avons menée sur le mandat semble révéler un besoin constant : un instrument contractuel tourné vers les tiers permettant de confier à un intermédiaire de soin de ses affaires. Aujourd’hui, cette attente se ressent tout particulièrement puisque pléthore de contrats d’entremise ne peuvent être appréhendés par nos qualifications traditionnelles181. Il conviendrait donc encore une fois de répondre à celle-ci par la proposition d’une qualification sus-ceptible d’accueillir tous les contrats d’entremise. À l’image du contrat d’entre-prise qui peut être considéré comme une qualification générique182, c’est-à-dire un genre auquel différentes espèces pourraient être subsumées, il s’agirait de propo-ser ici une qualification générique de l’entremise. Cette attente pourrait donc être comblée sans pour autant que les critères traditionnels ne soient remis en cause, si cela s’avérait opportun.

180. Le mandat (« Auftrag ») est la gestion gratuite d’une affaire, ce qui peut correspondre à une activité « juridique ou factuelle, libérale ou mécanique ». Ce qui le distingue du contrat d’entreprise (« Werkvertrag ») tient donc à la gratuité. Par ailleurs, il est possible de conférer un pouvoir de représentation, mais cela se fait par un acte juridique unilatéral appelé « Bevollmächtigung », ibid., p. 42-43.

181. Sans parler d’un certain nombre de contrats d’entremise dont le régime est largement insuffisant. Ces régimes gagneraient peut-être à être complétés par un droit commun de l’entremise…

182. P. PUIG, La qualification du contrat d’entreprise, thèse Paris, éd. Panthéon-Assas, 2002, p. 23.

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55. Une qualification générique pour répondre au phénomène de perte des repères. Mais même s’il s’agit là de pistes particulièrement séduisantes, il existe peut-être d’autres propositions qui mériteraient sans doute une certaine atten-tion183. On le voit clairement, il ne serait guère opportun de se lancer hâtivement dans l’exploration d’une piste plutôt qu’une autre. À la vérité, il convient au pré-alable de prendre davantage de hauteur sur ce phénomène de perte des repères. Ce n’est véritablement que lorsque les causes à l’origine de ce dernier auront été mises en exergue qu’il sera possible d’opter pour la réponse la plus adaptée.

Il nous faut donc nous attacher à comprendre ce phénomène d’anomie en en révélant les principales causes, qui se confirmeront être des lacunes du droit posi-tif (Partie I).

Au fait des carences à l’origine de la perte des repères des qualifications de l’entremise, il sera possible de choisir et de développer la réponse la plus adaptée. Cela nous conduira finalement à la proposition d’une qualification générique de l’entremise (Partie II).

183. Une nouvelle acception de la représentation ou encore de l’acte juridique par exemple.