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ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE Réunion régionale européenne Migrants et protection sociale Oslo, 21 - 23 avril 2004 La protection sociale des migrants: aspects critiques Domenico Paparella Secrétaire général Centre d'études économiques, sociales et syndicales (CESOS) Italie ISSA/EUR/OSLO/04

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ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

Réunion régionale européenne Migrants et protection sociale

Oslo, 21 - 23 avril 2004

La protection sociale des migrants: aspects critiques

Domenico Paparella Secrétaire général Centre d'études économiques, sociales et syndicales (CESOS) Italie

ISSA/EUR/OSLO/04

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La protection sociale des migrants: aspects critiques Domenico Paparella Secrétaire général Centre d'études économiques, sociales et syndicales (CESOS) Italie

La présence dans l’Union européenne d'un nombre important et désormais stable de travailleurs extra-communautaires, ainsi que l'élargissement de l’Union européenne à des pays disposant de régimes de sécurité sociale, de structures administratives et de cultures différents, rendent extrêmement urgentes des recherches, des analyses et l’élaboration de politiques nationales et supranationales actives, à même de réglementer les nouveaux aspects du phénomène migratoire et de gérer l'impact de ce phénomène sur les régimes de sécurité sociale dans les différents pays.

Concilier égalité des droits et viabilité économique à long terme pour les régimes de

protection sociale sera le principal défi que devront relever les politiques sociales au XXIe siècle.

Dans ce contexte, le projet de recherche confié par l’AISS au CESOS et à un autre centre

de recherche italien, l'IRES, avait pour objet de traiter les questions que pose la gestion des régimes de sécurité sociale en France et en Italie quand sont concernés des travailleurs immigrés d'Albanie et de Tunisie 1. Les recherches ne se sont pas limitées à l'élaboration d'un cadre comparatif de la situation des travailleurs immigrés dans différents pays; une enquête a également été menée sur les difficultés relatives à la protection des travailleurs immigrés et de leur famille, non seulement lorsqu'ils résident sur le territoire de l'Union et s'y déplacent mais aussi lorsqu'ils retournent dans leur pays d'origine.

L'objectif final du projet était de fournir des "recommandations" politiques qui pourraient

être mises en œuvre tant dans l'Union européenne qu'au plan international pour améliorer la situation des travailleurs immigrés.

Ce rapport a pour but de présenter les principaux résultats de la recherche et en

particulier les aspects critiques concernant les instruments juridiques internationaux, européens et nationaux qui réglementent l'accès des travailleurs migrants (et de leur famille) aux régimes de sécurité sociale des pays d'accueil.

Pour des informations plus approfondies, se référer au rapport final disponible auprès de

l’AISS. 2

1 Le choix de ces pays a été dicté par le fait que la Tunisie a conclu un accord tant avec la France

qu’avec l'Italie, alors que l'Albanie n'en a conclu avec aucun des deux Etats. 2 Le rapport final est en préparation.

Domenico Paparella

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L’ATTITUDE DE LA POPULATION NATIONALE À L'ÉGARD DES IMMIGRÉS

Les conditions et modalités d'accès des immigrés et de leur famille aux régimes de sécurité sociale des pays d'accueil sont l'un des aspects les plus importants des politiques migratoires mises en place par les pays d'accueil.

Pour mieux comprendre ces aspects spécifiques de la politique migratoire, il est

nécessaire de les replacer dans le contexte plus général des phénomènes liés aux politiques migratoires.

L'immigration a joué un rôle positif au sein des pays d'accueil. Nombreux sont les

observateurs qui attribuent à la grande vague d'immigration clandestine des années 80 la longue phase de croissance qu’a connue l'économie américaine pendant les années 90. De plus, les immigrés fournissent, tant en Europe qu’aux USA, un apport net aux régimes de sécurité sociale, et contribuent donc de manière significative à assurer leur viabilité dans le temps.

Malgré le fait que l'immigration constitue une source d'enrichissement économique et

social pour les pays d'accueil, nombreuses sont les personnes qui ressentent les effets de l’immigration de manière négative. Les opinions individuelles concernant les politiques d'immigration sont influencées par l’idée que chacun se fait de l'impact des immigrés sur le marché du travail, les services publics et les régimes de sécurité sociale. Ces attitudes sont dues au fait que les coûts et les avantages de la présence des immigrés sont répartis de manière inégale, et que leur impact sur l'économie dans son ensemble n'est pas directement perceptible par le citoyen en tant qu’individu.

Trois facteurs influencent l'attitude de la population des pays d'accueil à l'égard des

immigrés: • le facteur culturel, qui s'exprime parfois ouvertement par la xénophobie et le racisme; • le facteur économique, en raison de la présence des immigrés sur le marché du travail; • le facteur social, lié à l'impact des immigrés sur les régimes de sécurité sociale.

Les attitudes qui relèvent du racisme et de la xénophobie proviennent largement des préoccupations d'ordre économique que la population nationale nourrit à l'égard de son propre avenir. L'incertitude économique qui caractérise les pays développés, le phénomène de précarisation de l'emploi qui touche les jeunes et leur famille, la progression des inégalités – tout cela concourt à créer un sentiment d'incertitude par rapport à l'avenir qui sape la sécurité des classes sociales moyennes inférieures et des travailleurs peu qualifiés.

Ces sentiments sont également conditionnés par le niveau de chômage enregistré dans

le pays d'accueil, où les immigrants peuvent faire figure de concurrents sur le marché du travail. Il arrive aussi que les immigrants soient perçus comme cherchant cyniquement à profiter des possibilités offertes par le régime local de sécurité sociale.

Bien que cette vision de la réalité de l'immigration soit infondée et irrationnelle, elle

alimente néanmoins des courants d’opinion publique qui, dans certains pays, vont jusqu’à prendre la forme de mouvements et de partis politiques qui se font le porte-parole de sentiments hostiles à l’égard des immigrés.

Domenico Paparella

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Ces attitudes peuvent et doivent être combattues, mais il faut pour cela adapter les politiques d'immigration, d'intégration, d’emploi et de sécurité sociale à la nouvelle donne.

L'IMPACT DE L'IMMIGRATION SUR LES RÉGIMES DE SÉCURITÉ SOCIALE

Une des causes de la réticence manifestée par la population nationale à l'égard de l'immigration est la crainte très répandue que les immigrés épuisent les ressources financières des régimes de sécurité sociale. Plus la proportion d'immigrés est importante par rapport à la population nationale, plus cette crainte est forte.

La probabilité qu'un immigré vienne à dépendre du régime de sécurité sociale du pays qui

l’accueille est largement déterminée par son niveau d'instruction, ses compétences professionnelles et le profil socio-économique de sa famille. Le faible niveau d'instruction et le jeune âge moyen des immigrés placent la très grande majorité d'entre eux dans une position défavorable sur le marché du travail et constituent les principaux moteurs du processus d'exclusion sociale et donc de dépendance par rapport aux régimes de sécurité sociale.

Il ressort de l’ensemble de ces considérations que les pays d'accueil doivent instaurer des

politiques actives d’accueil, par le biais desquelles ils pourront contrôler les caractéristiques des migrants et maîtriser l'impact de l'immigration sur les régimes de sécurité sociale.

LES POLITIQUES ET LES INSTRUMENTS DE PROTECTION DES IMMIGRÉS Les politiques actives d'accueil

Les politiques actives d'accueil contribuent de manière significative à la réduction des risques d'exclusion sociale des immigrés dans les pays d'accueil et à la viabilité des régimes de sécurité sociale. De telles politiques, en outre, sont l’instrument idéal pour renforcer les possibilités d'intégration des immigrés, consolider leur position sur le marché du travail et favoriser une attitude plus positive de la population nationale à leur égard. Les politiques actives d'accueil devraient toutefois reposer sur des rapports de partenariat entre pays d'accueil et pays d'origine. Elles devraient, en particulier, porter sur les questions suivantes: • Réduire la tendance des immigrés à sélectionner d'eux-mêmes les pays où ils vont, en

encourageant des actions bilatérales et multilatérales qui permettent de contrôler et/ou d'optimiser les caractéristiques des immigrés, sur le plan du capital humain, afin d’offrir à ces personnes de bonnes chances de réussir leur intégration dans le marché du travail des pays d'accueil.

• Mettre en œuvre une série de politiques d'entrée sélective qui favorisent tant le regroupement familial que le recrutement de main-d'œuvre qualifiée, afin de développer l'emploi des travailleurs immigrés aussi dans les secteurs à forte intensité de savoir.

• Mettre en place une politique efficace d'immigration légale temporaire comme alternative à l'immigration clandestine. L’usage de contrats temporaires peut entraîner une optimisation des bénéfices inhérents à l'amélioration du capital humain, tant dans les pays d'accueil que dans les pays d'origine. Il serait possible d’augmenter l’efficacité de cette politique en confiant aux entreprises la responsabilité de fournir un logement et une assurance maladie aux travailleurs immigrés. L’octroi de prestations spécifiques aux

Domenico Paparella

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membres de la famille du travailleur restés dans leur pays d'origine peut également contribuer au succès de ces mesures.

• Atténuer le choc ressenti par les immigrés lors de leur arrivée dans le pays d'accueil. Il s'agit de traumatismes psychologiques, liés aux problèmes linguistiques et à l'impact d'un milieu culturel très différent de celui du pays d'origine.

• Prévenir toute discrimination basée sur l'origine ethnique, le sexe ou la religion de la part des employeurs à l’égard les immigrés.

• Encourager les liens entre immigrés d'une même ethnie, de manière à renforcer les liens de solidarité sociale et favoriser les processus d'intégration et de soutien mutuel économique et social.

• Protéger les droits acquis relatifs aux régimes de sécurité sociale, surtout en cas de retour dans le pays d'origine.

• Réduire l'emploi non ou sous déclaré qui expose les immigrés au risque de toucher un salaire inférieur au minimum vital et aggrave leur potentielle dépendance vis-à-vis des régimes de sécurité sociale.

• Développer des politiques susceptibles de mener à de nouvelles formes de citoyenneté civique, conçue comme un ensemble de droits et d’obligations auxquels le travailleur migrant accède avec le temps, et qui comprend également certaines formes de participation politique.

Les instruments

La question politique et sociale à laquelle sont confrontés les pays développés est celle de la dynamique de l'immigration, sa réglementation et les modalités d'accès des travailleurs immigrés aux prestations de sécurité sociale.

Les conventions internationales promulguées par l’Organisation des Nations Unies et les

institutions qui lui sont rattachées, comme l'Organisation internationale du travail (OIT), fournissent aux gouvernements et aux institutions nationales un cadre de référence dans lequel placer les politiques destinées à protéger les immigrants et leur accès aux régimes de sécurité sociale. Mais ces conventions ne peuvent en soi induire un processus de coordination des politiques nationales, pas plus que leur application ne garantit concrètement une protection efficace aux travailleurs immigrés.

Il semblerait que le cadre conceptuel et opérationnel de la réglementation internationale –

qu’elle soit multilatérale ou bilatérale – ne soit pas réellement capable de répondre aux nouveaux problèmes qui se posent concernant la protection et la couverture sociale des travailleurs immigrés.

L'évolution de l'immigration a entraîné une progressive diminution de l'efficacité des

conventions internationales. Les principes sur lesquels reposent les conventions bilatérales, ainsi que les politiques nationales des pays développés relatives aux phénomènes migratoires, ne sont pas toujours cohérents avec les dispositions figurant dans les conventions internationales. Ils hésitent entre l'affirmation de principes de non-discrimination et l'introduction de politiques destinées à restreindre l'immigration et à empêcher les migrants d'obtenir le droit se séjour ou la citoyenneté.

Domenico Paparella

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Il faut, en outre conserver présent à l'esprit qu'une part importante de la réglementation élaborée par les Etats européens pour contrôler l'afflux de ressortissants étrangers était axée sur les politiques d'accueil des réfugiés politiques et demandeurs d’asile. Or, cette réglementation s’est révélée totalement inadaptée pour gérer le phénomène beaucoup plus ample de l’immigration pour raisons économiques – un phénomène qui est appelé à se prolonger, dans la majorité des pays les plus avancés, jusqu’au milieu du XXIe siècle au moins, si l’on en croit les études les plus récentes. LA RÉGLEMENTATION INTERNATIONALE ET L'ÉMIGRATION Les conventions des Nations Unies (niveau multilatéral)

Les violations des droits fondamentaux et de la dignité humaine des migrants sont

aujourd’hui un sujet de préoccupation général. Les migrants servent de plus en plus souvent de bouc émissaire pour toutes sortes de problèmes sociaux, et ils ont de toute évidence besoin qu’un ensemble de normes et instruments protègent leurs droits. La convention des Nations Unies sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille est l’instrument choisi par les Nations Unies pour garantir les droits fondamentaux des migrants.

Aujourd'hui, cette convention est l'instrument international le plus complet en la matière.

Elle contient une série de règles internationales sur le traitement, les droits à la sécurité sociale des travailleurs migrants et de leur famille ainsi que sur les obligations et responsabilités des Etats concernés (pays d'origine, de transit et de destination).

Les conventions des Nations Unies contraignent les Etats membres à mettre en œuvre des politiques basées sur l'égalité de traitement entre nationaux et travailleurs immigrés dans les domaines suivants: • conditions de travail et conditions salariales; • accès à la sécurité sociale ainsi qu’aux services sociaux et sanitaires; • assistance médicale d’urgence.

Cette convention pourrait ouvrir de nouveaux horizons en étendant au plan mondial la protection des travailleurs migrants et des membres de leur famille, reconnaissant ainsi leur apport essentiel à l'économie mondiale.

Domenico Paparella

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Les conventions de l’OIT (niveau international)

Les conventions internationales de l’OIT sur l'immigration exigent des pays signataires l'adhésion aux principes suivants: • non-discrimination; • égalité de traitement entre ressortissants nationaux et immigrés; • réciprocité entre pays d'accueil et pays d'origine dans le traitement des travailleurs

immigrés; • extension du principe d'égalité des chances dont bénéficient les nationaux aux immigrés

en "séjour régulier" dans le pays d'accueil.

La Convention n° 97 de l’OIT traite essentiellement du statut des travailleurs migrants (et de leur famille) pendant leur séjour dans un Etat qui a ratifié la convention. Elle s'impose à l’Etat qui l'a ratifiée quelle que soit la nationalité des travailleurs migrants (même lorsque que le pays tiers d'où viennent les travailleurs n'a pas ratifié la convention).

Pour ce qui est du principe de "non-discrimination", il est opportun de rappeler que la

Convention n° 97 reconnaît aux pays d'immigration la possibilité "d’adapter" l'application de ce principe en ce qui concerne: • les prestations, ou fractions de prestations, payables sur les fonds publics; • les allocations versées aux personnes qui ne réunissent pas les conditions de cotisation

normalement exigées pour l'attribution d'une pension 3.

La Convention n° 118 concerne l’égalité de traitement des nationaux et des immigrés en matière de sécurité sociale. Aux termes de l'article 3 (paragraphe 1), tout Etat, pour lequel la convention est en vigueur, doit accorder, aux ressortissants de tout autre Etat pour lequel ladite convention est également en vigueur, l’égalité de traitement avec ses propres ressortissants au regard de sa législation, tant en ce qui concerne l'affiliation que le droit aux prestations, dans toute branche de sécurité sociale pour laquelle il a accepté les obligations de la convention 4.

Les dispositions de la convention sont également applicables aux "réfugiés" et aux

"apatrides" sans condition de réciprocité. Il faut souligner que cette convention pose des principes qui couvrent les questions de sécurité sociale, tant pendant le séjour qu'en cas de retour au pays (conservation des droits acquis), entre les 38 Etats signataires (principe de réciprocité).

La convention, qui n’a été ratifiée que par dix-huit pays 5, a comme principaux objectifs de lutter contre les migrations clandestines, l'emploi illégal de migrants et le trafic illicite de main-d'œuvre.

3 Article 6-1, b), ii) de la Convention nº 97. 4 Aux termes du troisième paragraphe de l’article 3, l’Etat en question peut, en ce qui concerne une

branche de sécurité sociale déterminée, déroger aux dispositions du paragraphe 1 à l'égard des ressortissants de tout autre Etat qui, bien qu'il possède une législation relative à cette branche, n’accorde pas, dans ladite branche, l’égalité de traitement aux ressortissants du premier Etat.

5 La France n'a pas ratifié cette convention.

Domenico Paparella

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Il est important de souligner que la Convention n° 143/75 repose sur le principe selon lequel le travailleur migrant "en situation irrégulière" est une victime et non un criminel. Elle ne s'oppose d'ailleurs pas à une régularisation, même a posteriori, de la situation de la personne étrangère dans le pays d’accueil (et sur le marché du travail). Au niveau de l’Union européenne

L’Union européenne a mis en place sa propre politique en matière d'immigration et c'est aujourd'hui l'une des principales sources de réglementation multilatérale du phénomène migratoire.

Les objectifs de la réglementation européenne ont évolué avec le temps. Dans un premier temps, la réglementation des migrations portait sur la nécessité de mener à bien deux politiques en apparence contradictoires: appliquer le principe de libre circulation de la main-d’œuvre européenne et, dans le même temps, empêcher l'arrivée en Europe d'immigrés extra-communautaires.

Dans un second temps, une fois les obstacles à la libre circulation de la main-d’œuvre européenne progressivement surmontés, on s’est demandé comment concilier ce principe avec la réglementation de l'immigration.

L’Union européenne contribue de manière significative depuis quelques années à la définition de lignes directrices supranationales destinées à favoriser, grâce à la méthode de la "coordination ouverte", l'évolution des politiques d'immigration des Etats membres.

Cette stratégie de l'Union européenne recouvre de nombreuses initiatives, dont le but est notamment d’arriver à une meilleure acceptation sociale de l'immigration par les populations locales. L’Union européenne considère, en effet, que l'intégration des immigrés est un objectif prioritaire, compte tenu de l’importance des questions sociales et économiques générées par le vieillissement de la population.

Permettre aux travailleurs migrants d'accéder au marché du travail de l’Union européenne apparaît essentiel à la réussite de la stratégie de Lisbonne, qui veut faire de l'Europe le moteur d’une croissance internationale basée sur l'économie de la connaissance.

Le cadre juridique mis en place à ce jour par l’Union européenne part des principes dont

devrait s'inspirer l'action des Etats membres. Le premier de ces principes est la garantie, pour les citoyens de pays tiers qui séjournent légalement sur le territoire des Etats membres de l’Union européenne, d’avoir les mêmes droits et obligations que les citoyens de l’Union. Les immigrés ont, en principe, le droit au regroupement familial et les membres de leur famille ont un accès garanti à l'emploi, à l'éducation et à la formation.

La Directive n° 109/2003 de l’Union européenne concerne le statut des ressortissants d'Etats tiers résidents de longue durée et prévoit que les droits qui leur sont accordés devraient être proportionnels à la durée du séjour dans le pays. L’Union européenne propose, pour accéder à ce statut, une période de séjour ininterrompu d'au moins cinq ans.

L’Union européenne envisage d'orienter, par une autre directive, l'action des Etats membres pour définir les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de Etats tiers qui prévoient d'exercer une activité professionnelle salariée ou indépendante; il s’agirait

Domenico Paparella

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d'étendre les dispositions des accords bilatéraux qui couvrent seulement les migrants salariés.

Le nouveau règlement n° 859/2003, qui modifie le règlement n° 1408/71, stipule que les régimes de sécurité sociale garantissent aux travailleurs de pays tiers les mêmes droits que ce dont jouissent les ressortissants des Etats membres lorsqu'ils se déplacent d'un pays à l'autre. L’Union européenne a également l'intention d'étendre certains principes qui régissent la mobilité des citoyens européens aux migrants qui séjournent durablement dans les Etats membres. Conventions bilatérales (niveau bilatéral)

Les conventions bilatérales sont des accords internationaux signés par deux pays dans le but de réglementer leurs rapports réciproques dans le domaine de la sécurité sociale des travailleurs migrants. Le principe fondamental sur lequel reposent de tels accords est la réciprocité de traitement réservé aux migrants ressortissants des pays signataires.

Ces accords sont fondés sur le principe de territorialité du droit de la sécurité sociale et définissent les modalités de totalisation des périodes de cotisations pour les pensions et l'ouverture des droits à la protection sociale et autres prestations de sécurité sociale. Notes concernant les accords bilatéraux

Pour la France, l'état des relations reflète son passé de puissance coloniale. En effet, parmi les pays liés à la France par un accord bilatéral figurent en première place les Etats qui, à différents degrés, se sont trouvés sous son influence 6 et qui, même après avoir accédé à l’indépendance, ont continué d’entretenir avec elle des liens étroits (et qui ont continué pendant longtemps encore à jouer le rôle de premiers fournisseurs de main-d’œuvre étrangère). Le nombre d’accords bilatéraux en vigueur (si l’on exclut les Etats membres de l’Union européenne, de l’Espace économique européen (EEE) et la Suisse, couverts par le Règlement CEE n° 1408/71) 7 dépasse aujourd'hui la trentaine.

En ce qui concerne le contenu – en limitant l'étude aux seuls pays qui présentent la plus forte immigration –, malgré des limites évidentes au niveau des champs d'application personnel et matériel (dans les faits, à quelques exceptions près, les bénéficiaires des accords sont uniquement les travailleurs ou anciens travailleurs salariés, pendant leur période d'affiliation aux régimes de sécurité sociale de salariés), le tableau qui apparaît présente une certaine homogénéité.

On remarque, en particulier, au delà des garanties inhérentes au concept d'égalité de traitement, les efforts faits par la France pour intégrer, sur le plan pratique, la pluralité des situations, et leurs conséquences, liées à l'immigration. Ainsi, les accords contenant des dispositions en matière d'assurance maladie-maternité, réglementent également des points comme: la couverture maladie pendant les congés et/ou un séjour temporaire autorisé dans le pays d'origine (pour le travailleur et les membres de sa famille résidant dans l'Etat de

6 Sous sa souveraineté directe ou par le biais d’un régime de protectorat. 7 18 Etats au total: 15 en qualité de Membres de l’UE; 3 en vertu de l’accord EEE (Norvège, Islande,

Liechtenstein); 1 en vertu de l'accord UE-Suisse.

Domenico Paparella

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l'activité professionnelle), la possibilité de conserver le droit aux indemnités de maladie et de maternité en cas de séjour temporaire dans le pays d'origine; le recours à des critères simples pour définir la "maladie" (assurance maladie) et la "famille" (allocations familiales) pour les membres de la famille restés dans le pays d'origine. Ce dispositif, appelé "droits des familles", permet aux membres de la famille restés dans le pays d'origine de bénéficier de soins de santé et d'allocations familiales dans le respect des dispositions prévues par la législation locale. Les frais encourus sont remboursés par la France directement aux organismes d'assurance de l'Etat où vit la famille. Il n'y a en général aucune restriction à l'exportation des pensions (invalidité, vieillesse, survivants); cependant pour l'invalidité s'applique le principe du versement d'une seule prestation (la pension d'invalidité n'est versée que par le pays où l'état d'invalidité est survenu et conformément à la législation en vigueur dans ce pays). La même chose vaut pour les accidents du travail et maladies professionnelles.

A ces dispositions viennent en outre s’ajouter une série de mesures, adoptées en 1998, qui s'appliquent à tous les travailleurs migrants, indépendamment de l'existence d’accords bilatéraux. Ces mesures concernent en particulier: la suppression des limites territoriales (pour l'acquisition / la récupération / le maintien du droit à la pension de base) et l’abandon, pour les personnes résidant en France, de la condition de réciprocité pour l’ouverture du droit aux prestations non contributives (allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité, FNS, et allocation aux adultes handicapés, AAH).

Dans le cas de l’Italie, la situation est très différente puisque les accords bilatéraux conclus reflètent avant tout l'intensité des flux d'émigration (vers d'autres pays européens ou d'autres continents). Exception faite, ici aussi, de l'Union européenne, de l'EEE et de la Suisse, les conventions actuellement vigueur couvrent 21 pays.

L'Italie a conclu peu d'accords avec des pays d'où proviennent des migrants. Cela n’est dû que très partiellement au fait que la présence d'étrangers en Italie est un phénomène relativement récent. De plus, si on analyse les accords, qui, à l'origine, concernaient l'émigration, à la lumière des exigences actuelles de l'immigration, on constate qu'ils présentent des lacunes sur plusieurs points sensibles 8; le tableau est tout sauf encourageant.

Mais ce que l'on remarque par la suite c'est une tendance à la différenciation de ces conventions selon la zone d'origine des immigrés. Par contre pour tous les autres pays, qui pour la plupart sont situés dans les régions pauvres et/ou en développement, les accords (signés ou en cours de négociation) se caractérisent par le faible niveau de leur contenu et par la position outrageusement dominante du pays d'accueil par rapport au pays d'origine. Aucune disposition n’est prévue en matière de maladie-maternité, d'accidents et de prestations familiales. Qui plus est, l’accord dérogeant expressément au principe d’égalité de traitement pour les prestations non contributives prévues par la législation italienne, cela veut dire que, malgré l'existence d'une convention bilatérale, le droit aux prestations en 8 Dans la convention avec l'Argentine, par exemple, les dispositions relatives aux prestations

maladie ne sont prévues que pour les titulaires de pensions ou de rentes. Des lacunes similaires existent dans la section qui traitent des allocations familiales pour trois raisons: parce que l’accord ne les inclut pas au nombre des risques couverts (cas du Brésil et du Venezuela), parce que les mesures prévues concernent uniquement les titulaires de pensions ou rentes et non les travailleurs (Uruguay), ou encore parce qu’il est fait appel aux critères de réciprocité (Argentine).

Domenico Paparella

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question restera subordonné aux dispositions prévues pour l'ensemble des étrangers ("permis de séjour" et "nationalité").

La main-d’œuvre "étrangère" en Italie, en France et, d'une manière plus générale, dans l’Union européenne n'est plus exclusivement composée de travailleurs manuels. Bien qu'une grande partie des immigrés continuent d'occuper des emplois peu qualifiés, on devrait prendre en compte, pour l'implication que cela peut avoir pour la sécurité sociale, le fait qu'est particulièrement recherchée une main-d'œuvre immigrée à haut niveau de formation et de spécialisation, qui offre une plus grande mobilité grâce à la conclusion d'accords culturels et scientifiques (portant sur les études, la recherche et le développement de nouvelles technologies) et qui a de réelles chances d’accéder à un travail indépendant (y compris aux professions libérales).

Ici, une première limite objective concerne la définition du champ d'application "matériel" de ces accords.

Dans le cas de l’Italie, sont exclus principalement les régimes de sécurité sociale pour les fonctionnaires et les travailleurs indépendants 9. Cela signifie que les accords mentionnés ci-dessus s'appliquent, en général, aux travailleurs salariés du secteur privé (y compris les régimes de substitution), ainsi qu'aux travailleurs indépendants affiliés aux sections spéciales du régime général obligatoire (fermiers, métayers, commerçants et artisans) 10. Pour ce qui est des salariés affiliés aux régimes "exclusifs" (pour les fonctionnaires), le problème a été réglé, relativement récemment, et seulement pour la zone communautaire (Règlement CE n° 1606/98) 11.

La même exclusion s'applique en France, où ce qui frappe, en outre, c'est le grand nombre d'accords (presque toujours avec les pays d'où provient le plus grand nombre d'immigrés) valables uniquement dans le domaine du travail salarié (le régime général, le régime agricole et le régime spécial des mines).

D'autres limites encore peuvent en outre résulter de la tendance assez marquée à restreindre le nombre de risques couverts par les conventions (comme par exemple dans le cas de l'assurance-chômage), et des retards enregistrés dans la transposition des changements dans les régimes nationaux de sécurité sociale. On songe par exemple à l’assurance-pension complémentaire obligatoire (deuxième pilier) ou aux régimes de pré-

9 Exception faite du récent accord Italie-Etats-Unis. 10 Logiquement, suite aux innovations introduites par la loi 335/95, ces dispositions devraient

également concerner les travailleurs affiliés à l’INPS en tant que "quasi-salariés". On ne dispose toutefois à ce stade d'aucune indication de la part de l’INPS concernant la situation sur le plan international (règlements communautaires et conventions bilatérales).

11 Par conséquent, un fonctionnaire italien qui aurait travaillé dans un contexte bilatéral (par exemple en Argentine) ne peut cumuler les deux périodes pour ses droits à pension, à moins de transférer les cotisations concernées au régime général obligatoire géré par l’INPS. S'il désire continuer à bénéficier du régime spécial, il pourra tout au plus racheter la période passée en Argentine (décret n° 286/97) pour le calcul de sa pension italienne (sans aucune garantie toutefois de conserver son droit aux prestations argentines, à moins de verser les cotisations minimales requises là-bas). En vérité, étant donné les modifications apportées à la législation italienne (rapprochement du statut de sécurité sociale des deux catégories de salariés), d'autres solutions seraient applicables.

Domenico Paparella

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retraite, qualifiés "d'hybrides" car situées à mi-chemin entre les régimes ordinaires d’assurance-chômage et les régimes de pensions de vieillesse. Dans tous ces cas, les droits des travailleurs migrants dépendent donc de la seule législation nationale, ce qui les expose au risque de perdre leurs avantages s'ils transfèrent leur résidence.

Pour ce qui est en revanche du champ d'application personnel, les accords bilatéraux s'appliquent dans la majorité des cas aux ressortissants des deux Etats signataires (ainsi qu'aux membres de leur famille et aux survivants). Malheureusement, il est rare que la notion, plus large, "d'assuré" soit employée (de manière à ce que les ressortissants de pays tiers soient inclus 12) .

D'autres limites subsistent également dans le recours au concept-critère de "totalisation multiple" (critère présent dans certaines des conventions conclues par l'Italie, et pratiquement absent de celles conclues par la France).

Le principe de réciprocité s'est révélé insuffisant pour assurer une protection convenable aux travailleurs immigrés dans les Etats d'accueil. Les régimes de sécurité sociale dans les pays d'origine sont, dans la majorité des cas, peu élaborés et ne peuvent être comparés à ceux mis en place au fil du temps dans les pays d'accueil. Le principe de réciprocité empêche l'application aux travailleurs immigrés d’un grand nombre de dispositions de sécurité sociale du pays d'accueil qui ont évolué au cours du siècle dernier.

L'application de ce principe entraîne des disparités non seulement entre travailleurs immigrés et travailleurs nationaux, mais aussi entre travailleurs immigrés eux-mêmes. Première disparité, les différences qui existent entre les immigrés issus de pays qui ont signé un accord avec le pays d'accueil, et ceux issus de pays qui n’ont pas signé un tel accord. On constate aussi des disparités entre les travailleurs immigrés issus des différents pays qui ont conclu une convention. Certains de ces pays disposent en effet d'un régime de sécurité sociale élaboré, dans ce cas le principe de réciprocité est efficace. Dans d'autres pays, en revanche, le régime de sécurité sociale est beaucoup moins performant, et les travailleurs qui en viennent n'ont pas droit à des prestations importantes allouées dans le pays d'accueil.

C'est à l'existence de ces disparités, induites par le principe de réciprocité, que sont attribués les choix effectués par les pays qui bénéficient d’une longue expérience de l'immigration et qui ont développé une législation exempte de références internationales. On pourrait qualifier une telle législation "d’unilatérale" en ce qu'elle cherche à assurer une égalité de traitement aux immigrants sans prendre en compte l’existence ou non d’un accord bilatéral prévoyant un certain degré de protection aux migrants.

Voir annexe 1.

12 Pour l'Italie: Argentine, Australie, Canada, Québec, Saint Marin, Etats-Unis, Uruguay et Venezuela.

Pour la France, eu égard aux accords considérés, seul le Chili est concerné.

Domenico Paparella

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PROBLÈMES DANS LA RÉGLEMENTATION DE L'IMMIGRATION Au niveau multilatéral

Les différents pays n'ont pas transposé les conventions de l’OIT dans leur législation nationale de manière uniforme, ce qui induit des situations contraires aux principes défendus par les conventions internationales.

L'affirmation des principes d'égalité de traitement et de non-discrimination entre nationaux et immigrés, défendus par diverses conventions internationales, semble ne pas suffire à garantir – au niveau des pratiques administratives en place dans les différents pays – la mise en application effective de ces principes.

En effet, l'accès à de nombreuses prestations de sécurité sociale est subordonné à la nationalité, condition à laquelle les immigrés ne peuvent sauf exception satisfaire, et ce, en dépit des amendements apportés aux différentes législations. C'est ainsi que le principe de non-discrimination entre nationaux et travailleurs immigrés, solennellement affirmé par les instances internationales, est contourné.

Dans d'autres cas, la condition de nationalité est nuancée par l'autorisation accordée aux détenteurs de permis de séjour de bénéficier totalement ou partiellement des prestations de sécurité sociale, mais les permis de séjour jouent un rôle discriminatoire au sein même de la population des travailleurs immigrés. Dans d'autres cas encore, les droits aux prestations sont proportionnels à la longueur du séjour en situation régulière dans le pays.

Cette situation pose le problème de la garantie, pour les travailleurs immigrés, de

l’applicabilité des principes à la base des instruments internationaux, notamment le droit et l'assurance d'accéder aux prestations de sécurité sociale au même titre que les travailleurs nationaux.

A l'origine des plus graves risques de discrimination on trouve les défauts suivants dans la réglementation: • l'absence d’une norme minimale de cotisation pour l'accès aux prestations de pension

(durée minimale); • les critères d'accès des membres de la famille des travailleurs immigrés aux prestations

de sécurité sociale, aussi bien lorsque la famille réside dans le pays d'accueil que lorsqu'elle réside dans le pays d'origine;

• les critères non uniformes appliqués aux prestations destinées à la famille d’un travailleur, quand elle est polygame.

Au niveau de l’Union européenne

Le règlement récemment adopté par l’Union européenne conforte une division des tâches, concernant la réglementation de l'immigration, entre les Etats membres et l’Union. C’est la législation nationale de chaque pays qui dicte les conditions d'entrée des immigrés sur le territoire national, et la législation européenne dicte les conditions relatives à la mobilité de ces immigrés sur le territoire de l'Union.

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La législation européenne a pour objectif de réduire les obstacles à la libre circulation des travailleurs immigrés "en situation régulière" dans un pays européen. En cas de mobilité intra-européenne, il faudrait garantir aux travailleurs immigrés le maintien de leurs droits acquis, en appliquant à leur endroit les mêmes principes juridiques que ceux qui régissent, toutes choses égales par ailleurs, la mobilité des citoyens européens.

La réglementation de l’Union européenne, en introduisant la notion de séjour en situation régulière, suggère une révision des conventions bilatérales conclues par les Etats membres avec des pays tiers, afin qu'elles deviennent conformes aux normes européennes. Au niveau bilatéral

Comme cela a été constaté, les principes établis au niveau multilatéral par les conventions internationales ne trouvent qu’une application partielle dans le cadre des accords bilatéraux conclus par les différents pays. Ces accords reposent en effet sur le principe de réciprocité, élaboré dans un contexte historique dépassé, à une époque où le phénomène migratoire revêtait des dimensions beaucoup plus modestes qu'aujourd'hui.

Les limites de ce type de réglementation sont dues à au moins trois facteurs: • le très grand nombre de pays d'origine des travailleurs immigrés, dont la majorité n'a pas

conclu ou n'est pas en mesure de conclure un accord; • l'absence de réciprocité dans les flux migratoires; • l'asymétrie entre le contexte économique, politique, institutionnel et administratif dans

lequel s’inscrivent la politique des pensions et la politique de sécurité sociale dans les pays d'origine des travailleurs immigrés et dans les pays d'accueil.

La réglementation bilatérale est fortement influencée par les rapports politiques et

économiques entre les pays signataires. Les négociations qui précèdent la conclusion des accords portent, dans la plupart des cas, sur leur champ d'application, les prestations auxquelles ont droit les immigrés et les conditions d'accès à ces prestations.

La situation actuelle ne permet pas de garantir l'applicabilité effective aux travailleurs immigrés – en vertu du principe de réciprocité – de toutes les prestations prévues pour les ressortissants de l’Etat d'accueil. L'évolution des politiques de sécurité sociale dans les pays d'accueil ne s'accompagne pas, en règle générale, de la révision et de l'adaptation des accords bilatéraux, d'où le risque que le fossé entre travailleurs immigrés et nationaux concernant l'accès aux prestations de sécurité sociale se creuse encore davantage.

Le système des accords bilatéraux a par ailleurs été conçu à une époque où les formes classiques de travail dominaient; les travailleurs immigrés étaient recrutés pour exercer des activités typiques relevant du travail salarié dans le secteur privé de l'économie des pays d’accueil. Or, le marché du travail, dans ces pays, a subi de profondes mutations. De nouveaux types d'emploi temporaire sont apparus, alors que la demande de main-d'œuvre étrangère vise désormais également les travailleurs hautement qualifiés, qui sont recrutés par le secteur public ou les entreprises récemment privatisées. En règle générale, ni les nouvelles typologies de travail, ni l'emploi dans le secteur public ne sont couverts par les dispositions figurant dans les accords bilatéraux.

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L'immigration sous ses nouvelles formes concerne également un nombre croissant de travailleurs appelés à exercer une activité typique des professions libérales, qui n’implique pas de rapport employeur-employé mais l’exercice d’une activité indépendante. Or, on constate qu’il n’existe pour ces travailleurs absolument aucune réglementation concernant le versement de cotisations et l’accès aux prestations des régimes de sécurité sociale.

Voir annexe 2.

Problèmes dans l’échange de données

La croissance des flux migratoires et la multiplicité des pays d'origine mettent à rude épreuve les structures et les procédures administratives qui gèrent la sécurité sociale des migrants.

Les principales difficultés proviennent des aspects administratifs car ils créent de très graves obstacles à une gestion efficace de l'immigration. Ils bloquent les procédures d'accès à la protection sociale et aux prestations de sécurité sociale, ils gênent les échanges de données et d'information entre les institutions et organismes nationaux chargés de gérer la situation des travailleurs immigrés relative aux assurances sociales.

Les problèmes les plus sérieux apparus au niveau de la gestion administrative concernent: • les méthodes utilisées pour transposer les noms des travailleurs immigrés de pays dont la

langue n'utilise pas les caractères latins; • la diversité des critères appliqués par les pays d'accueil dans l'attribution aux travailleurs

immigrés de codes personnels d'identification, essentiels pour accéder aux régimes de pensions et de sécurité sociale;

• l'absence de documents fiables établissant l’identité des travailleurs immigrés, ce qui contraint l'administration des pays d'accueil à attribuer à ces personnes des dates de naissance conventionnelles. Ils appliquent pour ce faire des critères qui accroissent sensiblement les coûts pour accéder aux pensions et aux prestations de sécurité sociale;

• la communication entre les institutions de sécurité sociale du pays d'accueil et celles du pays d'origine des travailleurs immigrés s'établissent en général lorsque les rapports d'assurance prennent fin, c'est-à-dire au moment où le travailleur dépose une demande pour obtenir les prestations qui lui sont dues. Il est alors difficile aux administrations de reconstituer la carrière d'assuré social du travailleur, ce qui crée des délais et des contentieux sur la reconnaissance des droits acquis du travailleur;

• les justificatifs requis pour faire valoir le droit aux prestations de pension et de protection sociale sont très différents d'un pays à l'autre, ce qui rend la coopération entre institutions de sécurité sociale difficile.

Voir annexe 3.

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Problèmes concernant la protection en cas d’accidents du travail et maladies professionnelles

Dans la plupart des cas, la protection des travailleurs immigrés relative aux accidents du

travail et aux maladies professionnelles s’inspire des principes de territorialité et d'automaticité des prestations.

Malgré cette philosophie commune, l'application de ces principes entraîne des problèmes importants, concernant notamment les critères utilisés pour l'évaluation de ce que l'on qualifie de "préjudice biologique", ainsi que l'absence de critères communs pour la reconnaissance de l'invalidité et des maladies professionnelles.

Voir annexe 4.

RECOMMANDATIONS

Le tableau, qui se dessine sur la base des recherches réalisées, a permis de déterminer des domaines dans lesquels la réglementation du droit aux prestations de sécurité sociale des travailleurs migrants doit être améliorée, afin de garantir l'applicabilité des principes sur lesquels repose le droit international, et afin d'accroître la force juridique des droits qui en découlent.

Les résultats du projet reflètent les objectifs stratégiques et opérationnels décrit par le président de l’AISS, Johan Verstraeten, dans le discours qu’il a prononcé à Bruxelles lors de la célébration du 75e anniversaire de l’AISS et dans lequel il a déclaré: "L'avenir de l'Association repose sur sa capacité à formuler des recommandations pratiques et ciblées en fonction des besoins de ses membres actuels et à venir, tant au stade de la conception que de la mise en oeuvre ou de l'amélioration des systèmes de sécurité sociale".

Les présentes recommandations sont le fruit d'un long travail de consultation entre les principaux acteurs engagés dans le projet; les indications qu’elles contiennent sont censées pouvoir être traduites immédiatement sur le plan opérationnel.

Les recommandations sont suivies de quelques éléments apparus au cours de l'étude qui constituait le cadre de référence des recommandations elles-mêmes.

Les actions suivantes, qui sont décrites en détail dans le rapport final, sont

recommandées si l'on veut obtenir des améliorations. Ajuster les instruments réglementaires internationaux

Les instruments utilisés sur le plan international pour réglementer les migrations constituent un cadre de référence idéal pour la définition des politiques d'accueil et de protection des différents pays hôtes, et pour la réglementation des rapports bilatéraux entre pays d'accueil et pays d'origine.

La conclusion de conventions internationales devrait donc être encouragée, afin de favoriser l'instauration d’un espace juridique commun.

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Cependant la récente ampleur du phénomène migratoire a rendu bon nombre de principes énoncés dans les conventions internationales insuffisants pour protéger les travailleurs immigrés de manière adéquate.

Les pays d'accueil devraient donc élaborer, même unilatéralement, une législation qui permette effectivement aux travailleurs immigrés de bénéficier des pensions et des prestations de sécurité sociale que la loi accorde aux nationaux, à la seule condition qu'ils soient affiliés au régime de sécurité sociale et qu'ils soient en situation régulière du point de vue de leur séjour. Elargir le champ de la protection consentie aux travailleurs immigrés

Les changements intervenus dans la réglementation du marché du travail des pays d'accueil ont affecté la stabilité de l'emploi et la générosité des régimes de sécurité sociale. Les travailleurs immigrés devraient pouvoir accéder aux régimes de sécurité sociale mis en place par les pays d'accueil: pensions complémentaires volontaires, assurance contre le chômage involontaire, élargissement des prestations aux travailleurs immigrés du secteur tertiaire ou public dont la protection n’est pas prévue par la réglementation internationale ou bilatérale en vigueur. Etendre la protection à la famille des travailleurs immigrés

Les changements actuellement introduits par de nombreux pays pour améliorer la sélection des personnes immigrées concernent également les politiques de regroupement familial. Ces politiques deviendront plus efficaces encore lorsque la législation nationale des pays d'accueil étendra les droits des membres de la famille des travailleurs immigrés également aux familles restées dans le pays d'origine. Améliorer la protection des immigrés qui retournent dans leur pays d'origine

Les pays d'accueil devraient mettre en place, en collaboration avec les pays d'origine, des politiques qui facilitent le retour actif des travailleurs immigrés dans leur pays d'origine, en leur permettant de recevoir, dans le pays d'origine, les prestations auxquelles ils auraient eu droit s'ils étaient restés dans le pays d'accueil. La protection des travailleurs immigrés en cas d'accidents du travail et maladies professionnelles

On devrait étendre la protection des travailleurs immigrés relative aux maladies professionnelles et accidents du travail sur la base du principe de territorialité, sans considération de la régularité du séjour du travailleur dans le pays d'accueil. Les critères d'évaluation des maladies professionnelles et des niveaux d'invalidité devraient eux aussi être uniformisés. Améliorer l'échange des données administratives

Les proportions prises par le phénomène migratoire entravent l'efficience des processus administratifs entre les institutions de sécurité sociale des pays d'accueil et celles des pays d'origine. Pour remédier à ce problème, on pourrait utilement prévoir un échange continu de données actualisées entre les différentes institutions, afin de permettre une mise à jour

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permanente des dossiers personnels des travailleurs immigrés; il faudrait en outre prévoir des modalités communes de validation des droits acquis, afin de réduire au minimum les lenteurs bureaucratiques et les contentieux entre travailleurs immigrés et institutions de sécurité sociale. Instaurer des politiques de benchmarking et de participation des acteurs

On peut améliorer les services fournis par les institutions de sécurité sociale en adoptant des politiques de benchmarking et en instaurant, entre les fonctionnaires des différentes administrations, des pratiques communes. L'amélioration des services présuppose également la coopération des organisations patronales, des syndicats et des travailleurs, ainsi que des immigrés eux-mêmes, que l'on devrait encourager à constituer leurs propres associations.

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ANNEXE 1 Prestations pour les familles des travailleurs albanais/tunisiens résidant en Italie ou en France, ou dans le pays d'origine du travailleur Italie Prestations: allocations familiales. Conditions: ont droit aux allocations familiales les familles dont le revenu ne dépasse pas les limites fixées chaque année par la loi. Le revenu familial se compose du revenu du demandeur, ainsi que du revenu de tous les autres membres de la famille. Les allocations familiales sont accordées uniquement si le revenu familial issu du salaire ou d’autres revenus connexes (pension, chômage, etc.) représente entre 70 et 100 pour cent du revenu familial total. Membres de la famille (ayant droit aux prestations): les demandeurs, le conjoint (sauf en cas de séparation légale ou de fait) et les enfants à charge (légitimes, légitimés, adoptés, naturels, légalement reconnus ou officiellement déclarés, nés d'un précédent mariage du conjoint, sous tutelle légale) et les petits-enfants mineurs à la charge directe du demandeur; les enfants majeurs physiquement et mentalement handicapés et incapables d'exercer une activité rémunérée; les frères, sœurs et petits-enfants mineurs, ou majeurs et handicapés, à condition qu'ils aient perdu leurs deux parents et n’aient pas droit à une pension de survivants. Toutes ces personnes sont considérées comme faisant partie de la famille, et peuvent donc bénéficier des allocations familiales, même si elles ne vivent pas avec les demandeurs (à l'exception uniquement des enfants naturels légalement reconnus par les deux parents et des petits-enfants en ligne directe); elles ne dépendent pas économiquement du demandeur; elles ne vivent pas en Italie (les membres de la famille d'un ressortissant étranger peuvent bénéficier d’allocations familiales seulement s'ils résident sur le territoire de l’Union. Si les membres de la famille proviennent d'un pays non membre de l’UE avec lequel aucun accord n'a été signé, ils n’ont droit aux allocations que s'ils vivent en Italie). France L'assuré qui cotise au régime de sécurité sociale a droit à des prestations en nature (pour lui-même et pour sa famille), ainsi qu'à des prestations en espèces pour lui-même seul (indemnisation pour arrêts du travail, indemnités journalières), à condition de satisfaire aux conditions d’ouverture des droits à prestation définis par l'article R.313-2 du Code de la sécurité sociale (le droit à prestation est fondé sur les cotisations versées ou le nombre d'heures de travail effectuées). Aucun justificatif n'est en général requis pour l’octroi des prestations en espèces. La déclaration annuelle des données sociales faite par chaque employeur permet à la CNAMTS de vérifier si le demandeur remplit les conditions donnant droit à prestation. Si la procédure d'affiliation de l'assuré au régime de sécurité sociale n'est pas encore terminée, il lui sera peut-être demandé de fournir une fiche de paie. En l'absence de tout accord bilatéral, les travailleurs albanais et tunisiens n'ont pas de droits ouverts lorsque leur famille réside en dehors d'Italie et de France.

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Lorsqu'un accord existe, l’Italie verse des prestations (assegno famigliare) directement aux familles des travailleurs restées dans leur pays d'origine. En France (exception faite des Philippines, avec lesquelles un accord a été conclu), les différentes Caisses d'allocations familiales effectuent des paiements auprès de l'organisme public compétent dans le pays de résidence de la famille, qui, à son tour, reverse les fonds en se basant sur les critères et dispositions législatives en vigueur dans le pays (ayants droit, montants, cas de polygamie, etc.). Le paiement direct d'une indemnité (si une convention existe) ne s'applique qu'à la Turquie (dans la mesure où il n’existe à ce stade aucun régime d'allocations familiales en Turquie).

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ANNEXE 2 Acquisition de droits relatifs aux prestations d'assurance sociale, de sécurité/aide sociale et d'assurance maladie/santé pour les travailleurs albanais/tunisiens affiliés aux régimes généraux d'assurance obligatoire en Italie/France Immigrants albanais Italie Prestations individuelles: pension, prestations maladie et maternité; pension d'invalidité; prestations de chômage; allocation retraite; pension de survivants. Pour les membres de la famille: allocations familiales versées aux membres de la famille résidant en Italie ou dans d'autres Etats membres de l’Union européenne, conformément aux dispositions du Règlement (CEE) nº 859/2003. Prestations de soins de santé: administrées par le Service national de santé. France En France, le niveau de protection sociale offert aux travailleurs (montant des prestations d'assurance-maladie auxquelles ont droit les personnes salariées) ne varie pas en fonction de la nationalité. Il est fondé sur un système de cotisation ou calculé en fonction du nombre total d'heures travaillées. Dans la mesure où un ressortissant étranger travaillant en France a obtenu un permis de séjour en bonne et due forme (et une fois son numéro de sécurité sociale attribué), il est inscrit auprès d'un régime de sécurité sociale obligatoire (régime général ou régime agricole, selon l'activité exercée) et peut alors bénéficier de tous les services offerts par ce régime à condition de satisfaire aux conditions d'ouverture des droits. L'assuré qui cotise au régime de sécurité sociale a droit à des prestations en nature (pour lui-même et pour sa famille), ainsi qu'à d'autres prestations en espèces qui lui sont cette fois réservées (indemnisation des arrêts du travail, indemnités journalières), à condition de satisfaire aux critères d’ouverture des droits à prestation définis par l'articles R.313-2 du Code de la sécurité sociale (le droit à prestation est fondé sur les cotisations versées ou le nombre d'heures de travail effectuées). Les travailleurs albanais qui résident France et qui y ont payé leurs cotisations ont droit à une pension de vieillesse lorsqu'ils atteignent l'âge de la retraite. Leur pension de vieillesse peut, sous conditions de ressources et d'âge, être convertie en une "pension minimale de vieillesse", c'est-à-dire: pension de vieillesse + majoration de pension + allocation supplémentaire. La majoration de pension et l'allocation supplémentaire sont des prestations non contributives. La pension de vieillesse du travailleur peut être augmentée si ledit travailleur doit subvenir aux besoins d'un conjoint à charge (ici encore sous conditions de ressources et d'âge du conjoint). La pension de vieillesse donne droit au retraité et à son conjoint (sous conditions), s’ils résident en France, de bénéficier de l'assurance-maladie.

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Les retraités albanais peuvent également bénéficier des services sociaux fournis aux personnes âgées, comme par exemple les aides pour le maintien à domicile et l'aide ménagère. Pour obtenir une pension de retraite, le travailleur albanais doit, lorsqu'il dépose sa demande, prouver qu'il est en possession d'un permis de séjour en France. Immigrants tunisiens Italie Les prestations dont peuvent bénéficier les travailleurs tunisiens sont les mêmes que celles décrites plus haut pour les travailleurs albanais. France (CNAMTS) Les travailleurs tunisiens ont droit aux mêmes prestations que celles offertes aux travailleurs albanais. POINTS CRITIQUES La gamme des prestations offertes en Italie et en France est très vaste et diversifiée (pensions de vieillesse, pensions d'ancienneté, pensions d'invalidité et de survivants, prestations de chômage, indemnités de licenciement de la caisse nationale, allocations de mobilité, prestations de maladie et maternité). Pour avoir droit à ces prestations, les demandeurs doivent fournir des justificatifs concernant leur situation familiale ainsi qu'une déclaration de revenus.

En France, l'octroi des allocations familiales repose sur le principe du pays de résidence. En général, les différents organismes publics (Caisses d'allocations familiales) allouent des fonds aux familles résidant en France. Dans le cas des familles restées dans le pays d'origine du travailleur immigré (exception faite des Philippines, avec lesquelles un accord a été conclu), la France effectue des paiements auprès de l'organisme public compétent dans le pays de résidence de la famille, qui, à son tour, reverse les fonds en se basant sur les critères et dispositions législatives en vigueur dans le pays (ayants droit, montants, cas de polygamie, etc.). Le paiement direct d'une indemnité (si une convention existe) ne s'applique qu'à la Turquie (dans la mesure où il n’existe à ce stade aucun régime d'allocations familiales en Turquie). En Italie, pour bénéficier des allocations familiales de l’INPS, le travailleur doit fournir un certificat justifiant qu'il est dûment enregistré auprès de l’état-civil, ainsi qu’un document attestant de ses liens familiaux avec les bénéficiaires résidant à l'étranger. Ces documents doivent être traduits et authentifiés.

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Protection sociale offerte aux immigrants albanais et tunisiens qui se déplacent d’Italie en France, ou vice versa, pour raisons professionnelles

Immigrants albanais Italie Prestations d'assurance et de sécurité/aide sociale D'Italie en France: le travailleur est affilié au régime de sécurité sociale du deuxième Etat.

Le travailleur reçoit des prestations conformément à la législation de l’Etat où il réside. Lorsqu'il dépose une demande de pension, le travailleur peut procéder à la totalisation des cotisations versées en Italie et en France, conformément aux dispositions du règlement (CEE) nº 859/2003.

De France en Italie: idem.

France (CNAMTS) Le règlement (CEE) nº 859/2003 du 14/05/2003 élargit le champ d'application des règlements (CEE) n° 1408/71 et 542/72 aux ressortissants de pays tiers. Ces dispositions ne s'appliquent pas à la Norvège, à l'Islande, au Liechtenstein, à la Suisse et au Danemark. Ainsi, un travailleur albanais en visite touristique sur le territoire d'un autre Etat membre en compagnie des membres de sa famille (sauf s'il s'agit d'un des cinq pays mentionnés ci-dessus) est en droit d’obtenir un formulaire d'assurance-maladie E111 de l’Union européenne. Ces dispositions restent applicables dans le cas où le travailleur albanais passerait d’Italie en France. France (CNAV) Si un ressortissant albanais arrivé directement d'Albanie désire bénéficier de prestations de sécurité sociale (au sens large du terme), à condition qu'il soit en possession d'un permis de séjour français, les procédures formelles relatives au dépôt de la demande ne diffèrent pas de celle applicables en cas d'un déplacement d'Italie en France. Un permis de séjour lui permet d'être affilié aux régimes d'assurance-vieillesse, maladie et chômage, affiliation qui lui donne droit aux différentes prestations offertes par ces régimes ainsi qu'aux prestations familiales.

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Immigrants tunisiens Italie Prestations d'assurance et de sécurité/aide sociale D'Italie en France: les travailleurs tunisiens sont couverts par l'accord franco-tunisien (ils étaient auparavant couverts par l'accord italo-tunisien). Ce changement implique normalement la perte des prestations familiales pour les membres de la famille qui sont à charge et restés en Tunisie, la condition de résidence n’étant plus remplie.

Le travailleur reçoit des prestations sur la base des dispositions arrêtées par l’Etat où il réside. Le travailleur qui dépose une demande de pension peut le faire dans le cadre de la convention franco-tunisienne ou procéder à la totalisation des cotisations versées en Italie et en France, conformément aux dispositions du règlement (CEE) nº 859/2003.

De France en Italie: idem (vice versa).

Documents requis: permis de séjour; certificat de résidence; documents de l’Union européenne. France Le règlement (CEE) nº 859/2003 du 14/05/2003 élargit la portée des règlements (CEE) n° 408/71 et 542/72 aux ressortissants de pays tiers. Ces dispositions ne s'appliquent pas à la Norvège, à l'Islande, au Liechtenstein, à la Suisse et au Danemark. Ainsi, un travailleur tunisien en visite touristique sur le territoire d'un autre Etat membre en compagnie des membres de sa famille (sauf s'il s'agit d'un des cinq pays mentionnés ci-dessus) est en droit d’obtenir un formulaire d'assurance-maladie E111 de l’Union européenne. Ces dispositions restent applicables dans le cas où le travailleur tunisien passerait d’Italie en France. Si un ressortissant tunisien arrivé directement de Tunisie désire bénéficier de prestations de sécurité sociale (au sens large du terme), à condition qu'il soit en possession d'un permis de séjour en France, les procédures formelles relatives au dépôt de la demande ne diffèrent pas de celle applicables en cas de déplacement d'Italie en France. Un permis de séjour lui permet d'être affilié aux régimes d'assurance-vieillesse, maladie et chômage, affiliation qui lui donne droit aux différents prestations offertes par ces régimes ainsi qu'aux prestations familiales. POINTS CRITIQUES Les travailleurs albanais et tunisiens sont assujettis aux lois de l’Etat dans lequel ils résident. Lorsqu'ils déposent une demande de pension, ils peuvent procéder à la

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totalisation des cotisations versées en Italie et en France, conformément aux dispositions du règlement (CEE) nº 859/2003. Le problème pour les travailleurs albanais découle du fait que, contrairement aux travailleurs tunisiens qui peuvent totaliser les différentes périodes de cotisations en vertu des accords italo-tunisien et franco-tunisien, les travailleurs albanais, faute d'un tel accord, ne peuvent procéder au cumul des cotisations précédemment versées en Albanie et de cotisations versées ultérieurement dans les pays de l’Union européenne.

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ANNEXE 3 En Italie, l’INPS et l’INAIL gèrent leurs dossiers différemment. L’INAIL, par exemple, a pu fournir des données très détaillées sur les circonstances ouvrant droit à prestation et sur le type de services fournis. L’INPS, en revanche, n'a pu donner des informations complètes sur le nombre et la nationalité des immigrants bénéficiant de prestations en Italie. Cela est dû au fait que champ concernant la nationalité dans la base de données n'est pas systématiquement renseigné par les opérateurs; il est donc difficile de distinguer le groupe des immigrés et celui, beaucoup plus grand, des ressortissants italiens.

Concernant à nouveau la gestion des dossiers, il apparaît que l’Italie devra fusionner les systèmes informatiques et banques de données des différents organismes actifs dans le domaine de l'immigration et de l'emploi (INPS, ministère du travail et de la politique sociale, ministère des affaires étrangères, ministère de l’intérieur), afin que les données générées par PESO (la banque de données chargée de l’enregistrement des permis de séjour) soient accessibles à tous.

En France, il n’est pas possible d'obtenir des données sur la nationalité des personnes affiliées auprès des différents organismes d'assurance sociale. Cela est dû à l'existence d'une loi sur la protection de la vie privée, qui interdit la publication d'informations concernant la nationalité des personnes enregistrées dans les différentes bases de données publiques.

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ANNEXE 4 Assurance contre les accidents du travail en Italie/France pour les travailleurs albanais/tunisiens Italie: concernant les accidents du travail et les maladies professionnelles, les principes de territorialité et d’automaticité des prestations s'appliquent sur l'ensemble du territoire italien. Il découle de l'application conjuguée de ces deux principes que, dans le domaine de l'assurance accident, les travailleurs des pays non membres de l’Union européenne bénéficient du même traitement que les ressortissants italiens, indépendamment de l'existence ou non d'une convention de sécurité sociale entre leur pays d'origine et l'Italie. Même les travailleurs qui ne disposent pas d'un permis de travail en règle sont couverts en cas d'accident. En revanche, attendu qu'ils ne sont pas assurés par leur employeur, ils ne recevront aucune indemnité en cas de maladie professionnelle.

En France également, chaque travailleur, indépendamment de sa nationalité et de l'existence ou non d'un accord entre pays d'accueil et pays d'origine, est couvert par l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Seule condition posée à l'accès aux prestations: le travailleur doit être affilié à un régime d'assurance.

Prestations pour les travailleurs albanais/tunisiens en cas d'accident sur le lieu de travail en Italie occasionnant un handicap permanent Il est nécessaire d'harmoniser les critères pour l'octroi des prestations en cas d’invalidité et de maladie professionnelle. Des problèmes apparaissent notamment lorsque la reconnaissance du préjudice causé intervient dans un pays autre que celui où l'accident s’est produit. La reconnaissance et la certification de l'accident/du préjudice causé doivent être soumises à des critères d’évaluation standard, afin de garantir leur équivalence d'un pays à l'autre. De même, concernant les maladies professionnelles, une proposition a été avancée concernant l’élaboration d’un tableau de maladies, valable dans toute l’Union européenne, assorti d’un processus d'évaluation standard, pour chacune, concernant la réduction de la capacité professionnelle.

Des questions se posent également pour les travailleurs qui, au cours d'un séjour temporaire dans leur pays d'origine, tombent malades ou ont un accident. La législation actuelle ne leur garantit pas les prestations auxquelles ils auraient droit si l'accident ou la maladie étaient survenus dans le pays d'accueil.

Domenico Paparella

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Domenico Paparella