La presse nouvelle_316_mai_2014

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Cycle“La Naïe Presse a 80 ans Cycle“Être juif au XXI e siècle

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27 mai 2014 : Première journée nationale de la résistance.

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MENSUEL EDITE PAR L'U.J.R.E.Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide

La PNMaborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisémitisme et deracisme, ouvertes ou sournoises. La PNMse prononce pour une paix juste au Moyen–Orient sur la base du droit de l'État d'Israël à la sécurité et sur la reconnaissance du droit à un État du peuple palestinien.

ISSN : 0757-2395Le N° 5,50 €

Ouvrir la voie à l’extrême droiteou construire une Europe démocratique ?

Invoquant les directives de l'Union européenne, le gouvernementpoursuit la privatisation du service public, le démantèlement de laproduction et de l'emploi, la baisse du pouvoir d'achat.Vous n'êtes pas d'accord ? Dites-le. ■

25 MAI - AUX URNES, CITOYENS !

N° 316 – Mai 2014 – 32e année

Après le succès de la manifestation anti-austérité du 12 avril, les élections euro-péennes du 25 mai doivent ouvrir la pos-

sibilité de se prononcer pour une Europedébarrassée du carcan du profit financier et de sonorientation politique actuelle. Cela permettraitd’exprimer la volonté d’un changement réel, pourune Europe de la coopération entre les peuples,pour le respect et le développement des droits etgaranties dont bénéficient les salariés et l'ensemblede la population, pour le respect de l’environne-ment.Au-delà, les peuples européens ont une nouvellealliance à construire. Celle-ci ne doit pas se limiterà l’influence actuelle de telle ou telle formationpolitique mais, plutôt, se baser sur la solidarité na-turelle d’intérêts, sous-jacente à tous ceux qui nevivent que de leur travail. Cette alliance doit se si-tuer à rebours de celle qui ne conçoit l’Europe quecomme un lieu où règne « la concurrence libre etnon faussée ». Elle doit refuser de faire de chaquesalarié l’ennemi d’un autre salarié et œuvrer pourl’entente entre les peuples européens, contre toutesles manœuvres belliqueuses, telles que celles vi-sibles aujourd’hui en Ukraine.Sans oublier les dangereuses négociations menéesen catimini par des représentants de la Commis-

sion européenne et des États-Unis pour créer ungrand marché transatlantique au seul profit desmultinationale,s qui mettrait à bas les acquis so-ciaux, environnementaux, culturels, alimentairesen vigueur sur le vieux continent.Les élections municipales ont été marquées par untaux d’abstention jamais atteint dans un scrutin dece type. Même si l’on retranche ceux qui, parprincipe, refusent de voter à toute élection, uneproportion importante de citoyens a refusé de s’ex-primer lors de cette consultation-ci. Ils ne pou-vaient cependant ignorer que les résultats auraientune portée s’étendant au-delà du renouvellementde leurs élus locaux. Force est aussi de constaterque pour une grande part, c’est le PS qui a fait lesfrais de ce refus de s’exprimer. Ainsi, nombre deses électeurs habituels, ne voulant pas voter àdroite et souhaitant signifier leur mécontentementde la politique d’austérité n’ont, paradoxalement,envisagé d’autre moyen de s’exprimer quel’abstention.Ils n’ont visiblement pas été entendus puisque,dans les jours qui ont suivi cette consultation na-tionale, un nouveau gouvernement a été nommé,non pour changer d’orientation mais plutôt pourpoursuivre l’ancienne – aides au patronat (30 mil-liards), augmentation de la TVA, diminution des

dépenses publiques (50 milliards) – restreignantainsi des services publics ou protections socialesdéjà insuffisants.Ce refus de tirer les leçons de l’échec devient unehabitude. Le Traité constitutionnel européen n’a-t-il pas été rejeté par referendum en 2005 ? La plusgrande substance en a néanmoins été reprise pourla mettre en œuvre deux ans plus tard. Un Pré-sident de la République n’a-t-il pas été élu en 2012pour faire son ennemi, selon ses dires, de la fi-nance internationale ? C’est, cependant, une poli-tique de subventionnement du patronat qui a étédécidée. On peut vraiment se demander si les motsde « démocratie » et de « souveraineté du peuple »ont encore un sens en France.Le refus de faire droit aux aspirations populairesne peut servir longtemps de ligne de conduite.Déjà, voit-on le soutien au gouvernement Valls– au sein même des élus PS – être plus quenuancé. Nos gouvernants, s’ils ne veulent ouvrir lavoie au populisme en France, comme ailleurs enEurope, doivent tenir compte de la terrible leçondes dernières élections municipales.C’est, tout naturellement, en conformité avec lesvaleurs qu’ont su mettre en œuvre nos aînés dèsavant de s’engager dans la Résistance, que nousagirons, et appelons à agir en ce sens. ■

Cycle“La Naïe Presse a 80 ans”Mai 1938 - Actions pour les immigrés NP 4

Histoire-MémoireRwanda 94 N. Mokobodzki 8-9Art spolié - Une enquête F. Mathieu 2Une naissance à Fresnes - I. Esther S. Gebuhrer 6

MondeEntretien sur les négociationsisraélo-palestiniennes M. Schattner 3.. . la gauche israélienne adhèreaux valeurs juives C. Avital 3Enjeux économiques desinstitutions européennes J. Lewkowicz 3Entretien sur l'Ukraine J. Geronimo 3François ne fait pas le pape H. Levart 10

Littérature"Les cercles de l'enfer"de Piotr Rawicz G. -G. Lemaire 5"Seul à Berlin" J. Galili-Lafon 7Cycle“Être juif au XXIe siècle”Un Juifde nuit M.Guedj 4

CultureThéâtre : Tartuffe - Platero y yo- Marionnettons-nous S. Endewelt 10-11Cinéma : Trois soeurs du Yunnan -- La règle du jeu - Partie de campagne- Centenaire Langlois L. Laufer 11

P. 6-7 Des résistants, en France, en Allemagne.. . ■À date anniversaire de la création du Conseil National de laRésistance, première célébration en France, cette année, d'unejournée de mémoire dédiée à la Résistance (loi du 19/07/2013).

27 MAI 2014 - 1 e journée nationalede la Résistance

Génocide du RwandaP. 8-9 20e anniversaire : faire enfin la lumière . . . ■

MAI

P. 3 lire Enjeux économiquesdes institutions européennes

PNM

25 avril 2014

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2 PNM n° 3 1 6 – MAI 201 4

Magazine Progressiste Juiffondé en 1 934Editions :

1 934-1 993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse(clandestine de 1 940 à 1 944)

1 965-1 982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1 982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l'U. J.R.EN° de commission paritaire 061 4 G 89897

Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZ

CoordinationNicole Mokobodzki ,Tauba-Raymonde Alman

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,

Nicole Mokobodzki , Roland WlosAdministration - Abonnements

Secrétaire de rédactionTauba-Raymonde AlmanRédaction – Administration

1 4, rue de Paradis7501 0 PARIS

Tel : 01 47 70 62 1 6Fax : 01 45 23 00 96

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France et Union Européenne :6 mois 28 euros1 an 55 eurosEtranger (hors U.E. ) 70 eurosIMPRIMERIE DE CHABROL

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Histoire - Art spolié

Une enquête par François MathieuI. La découverte à Munich et Salzbourg de véritables musées d’« œuvres spoliées » par les nazis a pris de courtle législateur allemand

Lorsque, fin février, début mars2012, des enquêteurs du servicebavarois des douanes pénètrent

dans l’appartement de Cornelius Gurlitt àSchwabing, dans la banlieue munichoise,ils n’en croient pas leurs yeux. Dans unamas d’objets en désordre et d’ordures, ilsdécouvrent dans des cartons plus de 1 400tableaux dus à des maîtres de l’art mo-derne de la première partie du XXe siècle,dont Picasso, Matisse, Chagall, Beck-mann, Marc, Kirchner, Kokoschka, Klee,Barlach, Munch, œuvres que les enquê-teurs ne mettent pas longtemps à identifiercomme étant en bonne partie de l’« artspolié » par les nazis. Plus encore, cer-taines œuvres, dues notamment à Dix et àChagall, étaient totalement inconnues.L’enquête commence fin septembre 2010après que, porteur d’une grosse somme,Cornelius Gurlitt, ait été contrôlé dans letrain Zurich-Munich par des inspecteursdes Douanes qui le soupçonnent defraude fiscale. Elle doit, pour les hautsfonctionnaires du ministère bavarois desFinances, rester ultrasecrète, sauf que, ennovembre 2013, un hebdomadaire àsensation révèle l’affaire.Les recherches ne s’arrêtent pas là : enfévrier 2014, des enquêteurs autrichiensdécouvrent dans la maison de campagnede Gurlitt à Salzbourg, une maison hu-mide au toit défectueux, une soixanted’autres œuvres de Picasso, Monet,Renoir, Manet, Toulouse-Lautrec, Pissar-ro, Corot. Est-ce un hasard ? Cette maisonse situe à proximité de la mine de sel oùHitler avait fait mettre à l’abri 6 500œuvres destinées à son projet de grandmusée à Linz. La commission d’enquêtemunichoise, qui pense ne pas avoir ter-miné son inventaire détaillé avant 2016,estime actuellement pouvoir identifierformellement 460 « œuvres spoliées ».Agé aujourd’hui de quatre-vingt-un ans,Cornelius Gurlitt, qui vit seul depuis lamort de sa mère, est le fils du marchandd’art Hildebrand Gurlitt (1895-1956).Dans les années 1920-1930, tour à tourdirecteur du Musée du Roi Albert deZwickau puis directeur de l’Associationartistique de Hambourg, fonction dont ildevra démissionner à cause d’une grand-mère juive, Hildebrand Gurlitt fonde danscette ville une galerie d’art moderne.Le 3 mai 1938, les nazis promulguent la« loi sur le retrait des œuvres d’art dégé-néré » laquelle stipule que les œuvresconfisquées aux ressortissants ou person-nes juridiques du Reich peuvent être ven-dues à l’étranger en échange de devises.Hildebrand Gurlitt est l’un des quatremarchands auxquels ce commerce d’Étatest confié. Après la guerre, une des juri-dictions chargées de la dénazificationl’acquitte en raison de son ascendancejuive, de sa non-appartenance à une as-sociation nazie, et de sa renommée depromoteur de l’art moderne. En 1948, ilest nommé directeur de l’Association ar-tistique de Düsseldorf. En 1950, les auto-rités américaines d’occupation lui rendentune partie de sa collection privée : le« Collecting Point » de Wiesbaden a éta-bli une liste de 165 œuvres. HildebrandGurlitt devait affirmer que le reste avait

été brûlé et qu’il n’avait détenu aucuneœuvre « spoliée ».Hildebrand Gurlitt avait menti. Les docu-ments dont disposent les enquêteurscommencent à parler. En mai 1940, parexemple, Gurlitt acquiert par contrat duministère de la Propagande de Goebbelsdeux cents toiles, aquarelles, dessins etgravures pour 4 000 francs suisses (envi-ron 3 250 euros), soit vingt francs parœuvre. Parmi celles-ci, on trouve unePromenade de Chagall, une Famille depaysans de Picasso, le Port de Hambourgde Nolde. Il apparaît également que Hil-debrand Gurlitt n’a pas vendu à l’étrangertoutes les œuvres confisquées par le mi-nistère de Goebbels mais en a aussi ven-du illégalement à des collectionneursallemands de Hambourg, Dresde et Ber-lin. Et, quoi qu’en dira sa veuve, il n’aurapas manqué de tirer quelques profits per-sonnels de sa fonction, comme en té-moigne un catalogue publié en 1954 parle musée Folkwang d’Essen dans la Ruhr,qui organise une exposition sur la pein-ture française du XIXe siècle. Le conser-vateur y remercie en particulier uncollectionneur « sans la générosité du-quel, cette exposition aurait difficilementeu lieu ». Pas besoin de gratter fort pouridentifier ce généreux collectionneur : lesfonctions de marchand d’art officield’Hitler de Hildebrand Gurlitt l’ont évi-demment conduit, durant le régime deVichy, à commercer avec des marchandsd’art parisiens, eux-mêmes récepteursd’œuvres d’art confisquées à des famillesjuives françaises.Il convient de replacer les activités deHildebrand Gurlitt dans le contexte del’« art dégénéré » comme facteur écono-mique nazi. Le 30 juin 1937, Goebbelscharge le président de la Chambre duReich des Beaux-arts, Adolf Ziegler,d’inventorier, prétendument en vue d’uneexposition, toutes les œuvres de l’« artdécadent allemand » présentes sur le soldu Reich. En juillet, la Commission miseen place s’approprie plusieurs centainesd’œuvres à travers le pays. Le mêmemois, Hitler accorde à Adolf Ziegler lespleins pouvoirs pour confisquer tous les« sous-produits de l’époque décadente »encore présents dans les musées alle-mands. La « loi sur la confiscation desproduits de l’art dégénéré » légitime laréquisition sans dédommagement desœuvres. En septembre, quelques 20 000œuvres sont ainsi stockées à Berlin.Préparant la guerre, les gouvernants nazisont besoin de devises. Les ventesd’œuvres d’art à l’étranger ne rapportentpas autant que prévu. Le 20 mars 1939,l’on aurait brûlé dans la cour de l’an-cienne caserne de pompiers de la Lin-denstrasse 1 004 huiles, 3 825 aquarelles,dessins et estampes. Des « restes irrécu-pérables » ? Non, clairement, il s’agit defaire monter les cotes marchandes, d’au-tant que Goebbels est pris à son proprepiège : qui serait tenté d’acheter à prixfort des œuvres qualifiées par celui-ci,lors d’une visite médiatisée des entrepôtsde Kreuzberg à Berlin, de « merde », unemerde « qui, lors de trois heures de visite,vous donne la nausée » ?

En fait, l’on peut s’interroger : cet auto-dafé a-t-il réellement eu lieu ? N’a-t-onpas brûlé lors de cet « exercice d’extinc-tion » que des papiers et des encadre-ments ? Les archives de la caserne ontdisparu sous les bombes !Cet acte de propagande n’aura probable-ment pas eu l’effet escompté. Le 30 juin1939, collectionneurs et marchands d’artboycottent en partie des enchères organi-sées par la galerie Fischer au Grand Hôtelnational à Lucerne : sur 125 œuvres pré-sentées, 38 n’atteignent pas l’enchère mi-nimale. Aussi le directeur du départementdes Beaux-arts du ministère de la Propa-gande relance-t-il auprès de Goebbelsl’idée d’un autodafé. Geste inutile !L’invasion de la Pologne le 1er septembre1939, et la perspective d’affaires juteuses,ajoutées au pilonnage de la propagandenazie, font effet : le Musée des Beaux-arts de Bâle, par exemple, envoie à Berlindes émissaires chargés d’acheter pour50 000 francs suisses des œuvres del’« art dégénéré ». ■■■ (à suivre)

Assemblée générale

Samedi 17 mai2014 à 15h.

L'époque actuelle réclame l'union la pluslarge pour résister aux courants de hainequi nous menacent et à l'austérité que l'onveut nous imposer. Votre adhésion, voscotisations sont la seule source de finan-cement qui nous permette d'organiser desprojections, des débats, de participer à desévénements, d'éditer notre Presse Nou-velle Magazine, d'être présents ! Votreparticipation à la vie de votre associationest essentielle.L'Assemblée générale est un momentfort de cette vie, l'occasion de nous re-trouver pour discuter ensemble de nos ac-tions passées et à venir, d'échanger nosidées sur la situation actuelle... et de ré-élire le Bureau ! Vous êtes candidats ?Faites-nous le savoir. Et comme toujours,notre réunion se terminera par un pot del'amitié. Nous comptons sur votre pré-sence pour continuer notre action avecvous. Le Bureau sortant de l'UJRE

1 4 rue de Paradis - PARIS 10°Tel : 01 47 70 62 16

Notre amie Claude Liberman, en-tourée de trois musiciens*, nous

emmène dans l'univers chaleureux de sesgrandparents, juifs ashkénazes d'Europede l'Est. À travers un voyage "paroles etmusique", la vie quotidienne d'une petitecommunauté de langue yiddish, au-jourd'hui disparue, surgit, en français,avec force, tendresse et humour au tra-vers des chansons et anecdotes (witz)qu'avec générosité et talent, Claude saitnous offrir, pour notre plus grand plaisir.20 et 27 mai au Théâtre de Nesle :Superbes soirées en perspective !

* Cédric Ricard, clarinette, Babeth Chancel,accordéon, Tristan François, guitare

A l’aide - Une fois par mois ?

Vous aimez la PNM et appréciez le tra-vail de ses rédacteurs et rédactrices.

Une fois par mois, nous avons besoin d'aidepour plier et mettre sous enveloppes le ma-gazine. Vous n'êtes pas nécessairement librechaque fois mais vous viendriez volontiersnous donner un coup de main de temps àautre et vous acceptez que nous fassionsappel à votre bonne volonté. Notez que latâche est agréable car c’est l’occasion denous rencontrer et de nous retrouver autourd’une grande table, dans un climat debonne humeur. Thé, café, gâteaux garantis.Bavardages offerts. Si vous êtes intéres-sé(e)s, contactez-nous. Nous vous invite-rons à nos « routage parties ». Plus on estde fous, plus on rit ! ■

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3PNM n° 3 1 6 – MAI 201 4

Économie - Europe

Enjeux économiques des institutions européennespar Jacques Lewkowicz

Lasouveraineté populaire est unprincipe politique fondamentaldes pays européens. Il fait de

l’expression de la volonté générale ducorps social, obtenue par des procé-dures démocratiques, l’unique sourcede légitimité des décisions qui s’ap-pliquent aux citoyens.Or, les institutions européennes ontété construites avec l’objectif de faireéchapper à la souveraineté populaireles décisions européennes de poli-tique économique et financière. Letraité de Maastricht1 , l’ indépendancede la BCE2, le TCE3 (appliquéquoique rejeté par referendum par lescitoyens de deux pays) et le TSCG4

sont autant de moyens de priver lescitoyens européens de leur droit àdécider de leur avenir. Le fonctionne-ment de l’ensemble de ces institu-tions, qui se veut intangible par soncaractère constitutionnel, aboutit àremettre l’ensemble des décisions depolitique économique et financièreentre les mains des propriétaires decapitaux financiers (communémentdénommés à tort « marchés finan-ciers ») dont l’objectif est de minimi-ser les risques et de maximiser larentabilité. Ceci est obtenu par lecroisement de deux principes : celuide l’indépendance de la BCE et celuide la concurrence libre et non faussée.Le premier interdit à la BCE d’inter-venir pour éviter que le jeu des capi-taux financiers ne porte atteinte à lasouveraineté des États membres. Lesecond contraint les États membres àrestreindre leur intervention dansl’économie. Les capitaux financiersont la voie libre pour imposer leursexigences de rentabilité au détriment

des intérêts des citoyens qui ne viventque de leur travail. Ainsi l’Europe,tout en maintenant formellement desÉtats souverains, limite-t-elle consi-dérablement leur domaine decompétence comme le montre, no-tamment, le projet de traité transat-lantique5. Celui-ci obligerait les Étatseuropéens à restreindre leurs normessanitaires. Va-t-on imposer à laFrance, au prétexte qu’ils sont autori-sés aux États-Unis, le maïs génétique-ment modifié, le poulet aux hormonesou désinfecté au chlore, ou bien en-core l’exploitation du gaz de schiste,alors même que le GIEC soulignel’urgence d’une véritable transitionécologique ? Ce projet abolirait aussila possibilité pour les tribunaux natio-naux de juger les recours des entre-prises multinationales contre lesÉtats, ces recours étant soumis à destribunaux arbitraux composés de cesmêmes multinationales.« Interdiction » et « contrainte » telssont les mots d’ordre imposés par lesinstitutions européennes face auxÉtats qui auraient la velléité d’échap-per aux exigences des capitaux finan-ciers lesquels contrôlent la part laplus significative des moyens de pro-duction européens. Dans ces condi-tions, alors qu’on répète que laconstruction européenne est destinéeà maintenir la paix, comment s’éton-ner de la montée des nationalis-mes ? Ils ne sont que l’expression dé-tournée et manipulée d’une volontéde reconquête de la souverainetépopulaire. Il reste que ces mouve-ments nationalistes, s’ ils se servent dela colère créée par la misère socialelorsqu’ils disposent du pouvoir, sont

les plus attentifs à garantir les intérêtscapitalistes comme en son temps, lerégime nazi, complice du grand capi-tal allemand et plus près de nous, ce-lui du gouvernement ukrainien quisouhaiterait adhérer à l’Union euro-péenne et dont certains des membresles plus importants appartiennent àl’extrême droite.La seule issue positive n’est pas leretrait de l’Europe qui serait une dé-sertion face aux nécessaires luttes.C’est, plutôt, le combat pour injecterune dose massive de démocratie dansses institutions, afin que les citoyenspuissent faire prévaloir leur volonté.A titre d’exemple, on pourrait créerun Fonds de développement écono-mique, social et écologique européenqui serait financé par la BCE et dontla gestion serait soumise au Parle-ment Européen. ■

1 . Le Traité de Maastricht contraint les Étatsmembres à limiter à 3 % leur déficit budgé-taire et à 60 % du PIB leur endettement public.

2. Banque Centrale Européenne : du fait deson indépendance, un État européen ne peutlui demander de contrer des manœuvresspéculatives portant atteinte à son économie.

3. Ce Traité constitutionnel européencontraint ses signataires à appliquer leprincipe de concurrence libre et non faus-sée, réduit les services publics à la portioncongrue ce qui conduit à une privatisationgénéralisée.

4. Ce Traité sur la stabilité, la coordinationet la gouvernance oblige les États membresde la zone euro à soumettre, pour approba-tion, à la Commission européenne compo-sée de fonctionnaires non élus leurs projetsde budget, avant même qu’ils en saisissentleurs parlements nationaux.

5. Voir in PNM n° 311 (12/2013) « Négocia-tions commerciales transatlantiques » deJacques Lewkowicz.

Négociations israélo-palestiniennesPNMQue peut-on dire de l’arrêt des né-gociations ?Marius Schattner La suspension parIsraël des négociations suite à un enième« accord de réconciliation » entre l’OLPet le Hamas – mais qui pourrait cette foismarcher – ne fait qu’entériner l’impassetotale où elles se trouvaient. Aujourd’hui,nous sommes très éloignés de l’accord deprincipe voulu par le secrétaire d’Étataméricain, John Kerry, accord dont ladate butoir était fixée au 29 avril. On nenégociait plus sur le fond mais bien sur lapossibilité ou non de poursuivre ces né-gociations. Hallucinant, vingt ans aprèsles accords d’Oslo !PNMPourquoi le gouvernement deNetanyahou refuse-t-il la libération desprisonniers palestiniens ?MS Les Israéliens avaient donné leur ac-cord sur la libération des prisonniers pa-lestiniens afin de ne pas avoir à geler lescolonisations. Concernant le derniergroupe qui devait être libéré, une quin-zaine d’Arabes israéliens, le gouverne-ment a suspendu cette libération enaffirmant qu’elle ne servait à rien puisqueles négociations ne menaient nulle part.On peut donc dire que globalement laresponsabilité du blocage des négocia-tions incombe à la partie israélienne. A lafois par le refus de libérer le derniergroupe de prisonniers palestiniens maissurtout parce qu’en un an, les construc-tions ont plus que doublé dans les colo-nies. Pour les Palestiniens, c’est la preuveévidente qu’il n’y a plus matière à négo-cier.PNMQuels enjeux de ces négociationspour les Palestiniens ? La reconnais-sance d’un État juifest-elle un obstaclemajeur ?MS Les Palestiniens demandent un véri-table gel de la colonisation, la libérationdes prisonniers et l’assurance que l’ondiscutera des frontières du futur État pa-lestinien. Sur ce dernier point, Israël n’aprésenté aucun document. Netanyahouaffirme ne pas pouvoir négocier tant quel’accord de conciliation avec le Hamas,qu’il qualifie « d’organisation terroriste »,ne sera pas abrogé et ce, bien que par lepassé, Israël ait négocié des échanges deprisonniers avec ce mouvement islamiste.Le Hamas n’est de toute façon pas parte-naire de la négociation et ne demande pasà l’être. Quant à la reconnaissance d’Israëlcomme État juifpar les Palestiniens, c’estun faux problème avancé par Netanyahoupour créer un nouvel obstacle et en réa-lité, un piège tendu aux Palestiniens danslequel ils sont tombés. Il faut rappeler queYasserArafat parlait d’Israël comme d’unÉtat juif. Les Palestiniens sont prêts à re-connaître l’État d’Israël, un point c’esttout. Qu’Israël se définisse ou noncomme État juifn’est pas leur problème.PNMQuid alors de l’avenir des négo-ciations et des critiques américainescontre Netanyahou ?MS La question clé aujourd’hui est celle-ci : si Washington imputait pour de bon àIsraël la responsabilité de l’échec des né-gociations, quelles seraient les consé-quences tant internes qu’internationales ?

Cela poserait un véritable problème augouvernement Netanyahou pouvant àterme conduire à une crise politique ma-jeure mais il est actuellement trop tôtpour le prévoir. Sur le plan international,Israël se retrouverait encore plus isolé.Mais là encore, l’effet ne serait pas im-médiat car la situation internationale jouecontre les Palestiniens. Les Américainsont en effet d’autres crises à gérer,comme la Syrie ou l’Ukraine. En clair, lerèglement de la question palestiniennen’est pas leur priorité.PNMQue pense l’Israélien moyen decette situation et de la répercussion de lacampagne de boycott ?MS L’homme de la rue ne s’inquiète pastrop pour le moment. La situation écono-mique est relativement bonne (seulement6% de chômage, un taux de croissancede près de 3%). Néanmoins, l'on constateune montée de l’insécurité en Cisjor-danie où il a y eu des attentats et desincidents sur l’Esplanade des Mosquéeset à Jérusalem, liés à des provocationsd’extrémistes juifs. Autant de signes de

pourrissement dans un contexte poten-tiellement inquiétant pour le gouverne-ment israélien.PNMQuelle sera la position des États-Unis alors que le terme des négociationsapproche ?MS Les Américains en veulent au gou-vernement israélien car Kerry s’est in-vesti personnellement dans ces négo-ciations. Même si le chefde la diplomatieaméricaine décidait de prolonger le pro-cessus au-delà de fin avril, les possibilitésd’accord paraissent très faibles. LesÉtats-Unis ne vont certainement pas uti-liser la politique du rouleau compresseurcontre Israël, mais si l’État hébreu leurdemandait un soutien, ils ne mettraientsans doute pas un grand empressement àlui donner satisfaction. Preuve en estl’Iran. Les négociations sur le nucléaireavancent rapidement et les Israéliens ensont tenus à l’écart, alors qu’ils sont in-quiets de ces avancées... ■

Propos recueillis parPatrickKamenka

25/04/2014

Tout autant que la droite,la gauche israélienne

adhère aux valeurs juives

« J'appartiens à la gauche parceque je crois aux droits de l'homme

et à une société fondée sur la solidaritéhumaine. Ce sont là aussi des valeursjuives. J'ai choisi de vivre dans ce paysparce que je crois au droit du peuplejuif d’avoir un foyer national ainsiqu’au droit d'un autre peuple, les Pa-lestiniens, à la dignité et à l'autodé-termination. Ce sont là aussi desvaleurs juives à mes yeux. . .Lorsque Gideon Levy (Haaretz), rap-porte les souffrances que nous infli-geons aux Palestiniens, ce n'est pas dela haine de soi. Il nous tend un miroir etce que nous y voyons ne correspondpas aux valeurs que le judaïsme nousenseigne. La voix isolée de Gideon Levydevrait être un signal d’alarme pourceux qui croient encore qu’occuper leterritoire d’un autre peuple est un actejuste et sans conséquences… » ■

Colette AvitalNDLR Colette Avital, diplomate israélienne, enposte à Paris, députée à la Knesset de 1999 à2009, est chevalier de la Légion d’honneur.

Extraits du site i24newstraduction PNM11 mars 2014

Moyen-Orient

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4 PNM n° 3 1 6 – MAI 201 4

Yiddish translittéré

Aktsiè far di imigrirtebraytert zikh oys

Demarchn : Delegatsiès : Titoungen :

… … …

Traduction

L’action en faveur des immigrésprend de l'ampleur

Démarches Délégations Activités

… … …

1934-2014 : de la Naïe Presse à la Presse Nouvelle…

La Presse Nouvelle Magazine célèbre en 2014 son 80e anniversaire en repro-duisant des fac-similés en yiddish de laNaïe Presse.

Ci-dessous, cet extrait paru samedi 14 mai 1938. Où l’on voit que la défense desimmigrés fut un souci permanentde la Naïe Presse qui, dès sa nais-sance*, insista sur cette nécessité.L’histoire du XXe siècle l’a dé-montré, la montée des populismesen Europe le requiert : soyons tou-jours vigilants face aux dangers del’antisémitisme, du racisme, de laxénophobie, de la surexploitation. Dans notre quartier, sept employés "sans-papiers"de l'onglerie-salon de coiffure "afro" du 50 bd. de Strasbourg à Paris ont dû recourir à

la grève pendant presque 3 mois pour imposer leur régu-larisation aux employeurs et aux autorités administra-tives. La PNM félicite ces grévistes d'avoir pu, avecl'aide de la Fédération CGT Commerce Distribution etServices, imposer leur régularisation. ■* voir in PNM n° 312 (01/2014) le fac-similé du 1 er janvier 1934

Né à Alger, quartier Bab-el-Oued, je n’ai pas de relationspéciale avec la séphardité.

Je veux dire par là que j’ai avec elleune relation des plus ordinaires : fi-délité souple aux traditions, aux fêtes,aux langages. Je découvre tardive-ment l’être ashkénaze, à Londres, etdans les livres, comme mon miroir…déformant. Mais ce n’est pas le sujet.Je peux en dire autant de mes livres.Je n’écris pas de romans « spéciale-ment juifs », d’après les modèlesexistants (Saul Bellow, Philip Roth,Albert Cohen, Albert Memmi, AlbertBensoussan).J’appelle « roman juif », un romanreposant sur la proposition implicite(mais quelquefois explicite et claire-ment affichée) : « Regardez, dans cettelunette que je vous tends, lecteur,comment un juif assimile ou désassi-mile, métabolise ou régurgite, visionneou révise, digère ou « indigère » le so-cial non-juif, comme il s’en tire bien,de cette rencontre, ou comme il s’entire mal, de cette rencontre, et regardezencore comment il se sent bien (oumal) parmi les siens, et comment il sesent bien (ou mal) parmi les autres, etcomment – bien ou mal – il adhère auxmodèles juifs – ceux de la famille, ceuxde la différence des sexes, ceux de lapropriété, ceux de la filiation, ceux del’acculturation, ceux de l'étude ».Illusion ou pas, il me semble que meslivres – donc moi – fonctionnons dansun registre différent. Comment mevient la littérature ? D’abord elle mevient relativement tard : à 32 ans, jepublie mon premier roman, le Bar àCampora, chez Albin Michel. Briève-ment, le Bar à Campora raconte uneannée – quatre saisons – d’une famillepied-noir algéroise, un an avant quen’éclatent les troubles de novembre1954. Un seul personnage juif : Spor-tiche, ami et guide du fils Campora.Sportiche est un charismatique jeunehomme de Bab-el-Oued qui a du suc-cès auprès des jeunes femmes nonjuives : au bout à bout, trois pages auplus lui sont consacrées, bon poids !Pour tenir le cap du thème auquel onm’a convié (ma façon d’être juif), jevoudrais essayer de dégager dans un« petit-modèle » les traits spécifiquesdes héros de mes livres, qui parlerontde « ma façon d’être juif ». La carac-téristique principale de mes person-nages, c’est qu’on ne sait pas ce qu’ilssont. Comme ils vivent leur histoiresous le dénominateur d’un prénomfrançais ou chrétien, on peut supposerqu’il n’y a rien de spécialement juif lesconcernant. Ils ne sont pas des « Juifscachés ». Ils sont …des Juifs… denuit, mais qui ne prennent pas la nuitpour le jour. Moi-même au départ jene sais pas ce qu’ils sont.Ils ont une autre caractéristique, cesont des hommes seuls, en face d’unvaste monde. Et ce sera par hasard,dans le cours du récit, que nous ap-prendrons qu’ils sont juifs.

Deux exceptions à ce « petit-modèle » :Mort de Cohen d’Alger, mon secondroman, où je raconte un moment de lavie de mon oncle, Élie Azoulay, bou-cher à Bab-el-Oued et petit-fils derabbin, moment fécond où il se prendpour le prophète Élie, roman d’uneécriture assez oulipienne.Le Voyage en Barbarie, dont le hérosAndreu, est délibérément non-juif,pied-noir en fait, en bonne et dueforme. Roman où je raconte l’itinérairemouvementé de son retour à Alger.Concernant Andreu, Arnold Mandel,qui voyait en lui un personnage kaf-kaïen, avait conclu dans L’Arche à lajudéité d’Andreu via le syllogismeimparable : Si c’est kafkaïen c’estdonc juif (si je suis juif, je suis donckafkaïen).On écrirait donc des romans juifs sansle savoir. Je suis d’ailleurs convaincude la chose. (On pourrait même, parparenthèse, étendre ce constat à desécrivains non-juifs auteurs de romansjuifs sans le savoir : Joyce, parexemple, fut un juif imaginaire).Ma différence ? Je remplace le « Jesuis juif, et regardez ce qui m’arrive »(l’illustre ou le navrant) par « Voici cequi m’arrive et je suis juif ». Or ce« et » est peut-être un « car », ou peut-être un « mais », ou encore un « donc ».Je voudrais achever cette brève pré-sentation de mon être Juif en faisantun petit tour par la notion de figure.Appelons le mythe de Don Juan,l’histoire de Faust, ou plus banalementle complexe d’Œdipe, des figures. Onsait que ces figures – qu’on le veuilleou non – nous traversent, nécessaire-ment. Durant cette traversée, le sujetdevient "un héros", existant ou litté-raire, c’est selon, selon que cette figuresoit armée jusqu’aux dents (je pense àl’aphorisme de Colette Fellous : la lit-térature non comme art mais commearme) ou simplement esthétique.Un certain nombre de ces figuressont des « figures juives » :Pour les prendre en bloc, mes hérossont tous étrangers, inquiets et inquié-tants, en même temps que familiers :figure essentielle de « la façon d’êtreautre du Juifpour le non-Juif. » Car leJuif est dans l’Unheimlichkeit – l’in-quiétante étrangeté freudienne. Figurejuive princeps.Un par un maintenant : • Élie de Mortde Cohen d’Alger, figure de l’en-fermement (du Mellah, du ghetto, ducamp) et de la nécessaire diaspora ;• Andreu, le héros du Voyage en bar-barie, figure de la dette ;• Théophile, du Cerveau argentin,squatter d’un appartement chic duXVIIe arrondissement, figure de l’ap-propriation impérieuse, réparatrice ;• Pour Maxime, L’homme au basilic,professeur de philosophie en vacancesqui vit jusqu’à la mort une histoirepassionnelle avec une riche héritièredu lieu, figure de la résistance à l'ordreétabli – en l’occurrence la dictaturedes colonels ;

Un juif de nuit parMax Guedj

• Pour Paul, de Paul, Éléna et Java'd’Alger, ancien officier d’aviation etagrégé de géographie, c’est seulementà la fin du roman qu’on apprend qu’ilest juif. Éléna : « Tu n’es pas commetout le monde Paul. » Paul : « Maisplus personne n’est comme tout lemonde ! » ;• Vlad enfin, du Voyage de Vladimir,mon plus récent roman, qui rechercheun nommé Otis, un Otis qui lui faitperpétuellement faux bond. Figure dela recherche du messie. À la fin de sonencore vain périple, Vlad met un sucreà fondre dans un verre d’eau et décritla beauté du phénomène, le sucre fon-dant dans un champ coruscant de lu-mière : il nomme cette beauté Otis.Je propose que toutes ces figures en seconjuguant soient l’équivalent de mafaçon d’être juifséfardi.Que cette méthode respecte l’apho-risme selon lequel « Le moi est haïs-

sable », donc pas besoinde trop parler de soi.Mon autre différence.Mais chaque juiffait comme il doit.Je ne critique personne. ■

Bibliographie de Max Guedj

• Le voyage de Vladimir, Éd. Genèse, 2010• 41 As Awami, "Pour l'amour de Torico »,Éd. Théâtre Typographique, 2009

• Paul, Eléna et Java' d’Alger ouUn Balconsur la Marne, Éd. Séguier, 2008

• Poèmes d'un homme rangé, suivi de l'OcéanPacifique, Éd. l’Harmattan 1997

• Le cerveau argentin, Éd. l’Harmattan, 1996• L’Homme au Basilic, Éd. l’Harmattan, 1991• Mort de Cohen d’Alger, Éd. l’Harmattan, 1986• Le voyage en Barbarie, Éd. Albin Michel,1976

• Poèmes d'un homme rangé, Éd. PJ Oswald,1970

• Le bar à Campora, Éd. Albin Michel, 1969

Bon anniversaire, Mumia !

Le 24 avril dernier, à Paris, Sète, Philadelphie, à la prison SCI Mahanoy,la solidarité internationale* s’est manifestée à l’occasion du 60e anni-

versaire de Mumia AbuJamal, "la voix des sans-voix". Arrêté à 28 ans,condamné à mort, il n'acessé de clamer son inno-cence. Certes, sa condamna-tion a été annulée en 2011mais la justice américainerefuse toujours sa libérationsans condition. ■* NDLR On écoutera avec plaisiren replay, sur France Culture, Na-dine Epstain qui est allé l'intervie-

wer dans sa prison à l'occasion de son soixantième anniversaire. Horaires de passage àl'antenne : 6h30 - 7h10 - 7h30 - 8h - 12h30 et 1 8h - http://www.franceculture.fr/player.

Cycle "Être juif au XXIe siècle"

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5PNM n° 3 1 6 – MAI 201 4

Entretien avec

PNMEn dépit de l’accord signé àGenève visant à calmer le jeu enUkraine, la situation est de plus en plustendue. Quel est votre point de vue ?Jean Geronimo L’heure est grave,c’est évident, car nous nous trouvonsactuellement en Ukraine dans une im-passe politique. L’accord de Genève(signé le 17 avril entre Russie, États-Unis, UE et Ukraine) est fondé sur debonnes intentions, mais rien n’estprécis et aucune mesure n’a été prévuepour vérifier si l’accord est effectif.Cela permet aux deux parties demanipuler à leur guise les termes del’accord. Une des données clés de cetaccord visait à désarmer tous les grou-puscules armés. Mais sur le terrain,l’on constate qu’il n’est pas respecté etque les forces de part et d’autre restentsur leur position. Aujourd’hui, cepen-dant l’armée ukrainienne fait le forcingpour neutraliser ce que Kiev appelleles « terroristes de l’Est »**. On s’en-fonce donc dans une dangereuse im-passe et plus le temps passe, moins desolutions sont en vue.PNMKiev accuse Poutine d’entraînerla planète vers une troisième guerremondiale en raison de sa politique en-vers l’Ukraine. Que peut-on en dire ?JG Aujourd’hui, nous sommes face àune « guerre tiède » qui est une guerrefroide actualisée et désidéologisée, re-centrée sur le contrôle des États straté-giques. L’Ukraine est en réalité priseen otage et on lui fait croire ce quel’on veut. C’est ainsi qu’a démarré la« Révolution » de Maïdan à partird’une désinformation totale selon la-quelle Viktor Ianoukovitch, le pré-sident ukrainien (aujourd’hui en fuite),avait renoncé à tout jamais à l’Unioneuropéenne, alors qu’il voulait modi-fier l’accord avec l’UE pour tenircompte des intérêts du peuple ukrai-nien et ne pas s’éloigner de la Russie.Face à cette « fausse révolution », laRussie par réaction a agi pour sauverce qu’elle pouvait sauver, dont enpriorité sa base maritime de Crimée –une pièce stratégique de la guerretiède.PNM Les Russes dénoncent le jeudes Occidentaux et de l’Otan autourde la crise ukrainienne. Qu’en est-ilréellement ?JG Il est clair que chacun tire la cou-verture à soi. L’Otan profite de l’op-portunité de cette crise pour serenforcer dans la région comme dansles États baltes ou la Pologne. Ce quel’Alliance atlantique ne pouvait pasfaire auparavant sans heurter l’opinionmondiale, elle peut se le permettre dé-sormais en utilisant l’affaire de la Cri-mée et en jouant sur la défense dudroit des peuples face au « néo-impé-rialisme russe ». Il est vrai que la stra-tégie utilisée en Crimée par VladimirPoutine redonne une légitimité poli-

tique à l’Otan. Ceci permet àl’Alliance de montrer ses muscles,avec par exemple l’organisation demanœuvres en Mer Noire pour fairepeur aux « méchants » Russes, et sur-tout de poursuivre sa stratégie d’encer-clement de la Russie – via l'extensionde bases et du futur bouclier anti-mis-siles. On voit donc s’ébaucher uneconflictualité bipolaire de l’axe euro-atlantique face à l’axe eurasien.PNMFace aux cliquetis d’armes,quelle solution pour l’avenir del’Ukraine ?JG Il faut calmer les ardeurs des deuxcôtés pour limiter d’abord les risquesd’un conflit plus large, mais aussi pouréviter une partition, voire une désagré-gation « à la yougoslave », en tenantcompte des intérêts des minorités et dupeuple en général. Globalement, unstatut de neutralité de l’Ukraine seraitplausible.

Les Russes l’avaient proposé au mo-ment de Maïdan quand la pressionotanienne s’était renforcée surl’Ukraine. La Russie a perçu à ce mo-ment-là, à sa porte, cette menace mili-taire, qui s’accompagnait d’unemenace économique avec, à l’horizon,le pacte de libre échange euro-at-lantique (en négociation) et en troi-sième lieu d’une menace stratégiquequi visait à neutraliser leur potentielnucléaire avec le bouclier antimissilesaméricain. Ce qui explique la forcesymbolique de l’action de Poutine enCrimée, dont la finalité était de blo-quer l’avancée stratégique de l’Otan.

PNMQuelle issue au conflit ?

JG On atteint aujourd’hui un seuil cri-tique avec la montée des tensions oùchacun joue des muscles sans vouloirbaisser la garde.

La seule issue est donc de se mettreautour d’une table pour négocier auplus vite avec toutes les parties pre-nantes au conflit, dont évidemment lesRusses et les Américains. Et discutersur le statut futur de l’Ukraine mais enprenant le temps, sur la base de plu-sieurs réunions. Notamment en affi-nant le processus de Genève et en lerendant contraignant. Il faut que lesdeux parties s’écoutent. Car, jusqu’àprésent, seule la « bonne parole » des« Révolutionnaires » de Maïdan et desOccidentaux, au nom des droits del’Homme à géométrie variable, a voixau chapitre – ce qui est un déni de dé-mocratie. ■

Propos recueillis parPatrick Kamenka

26/04/2014

NDLR Les Russophones de l’est de l’Ukraine.

Jean Geronimo sur l'UkraineDocteur en économie, expert des questions économiques et géostratégiques russes (Université Pierre Mendès France - Grenoble II), auteur de La penséestratégique russe : Guerre tiède sur l'échiquier eurasien – Les révolutions arabes, et après ? (Sigest, 2012), Jean Geronimo publie régulièrement dansdes revues et sur des sites de géopolitique russes, français et italiens. Il suit l’évolution des rapports de force au cœur de l'Eurasie ainsi que celle de la po-

litique russe face aux avancées occidentales dans sa périphérie post-soviétique, définie comme son "Étranger proche". Dans ce cadre d'analyse, il théorise la notion de"Guerre tiède". Nous le remercions d’avoir bien voulu répondre pour nos lecteurs à nos questions sur l’actualité de l’Ukraine. PNM

Les cercles de l'enfer selon Piotr Rawiczpar Gérard-Georges Lemaire

La Collection L’imaginaire deGallimard nous offre parfois demerveilleuses surprises. La ré-

édition du roman de Piotr Rawicz(1919-1982), Le Sang du ciel, paru en1961 , nous permet ainsi de redécouvrirune œuvre magistrale. C’est d’ailleursle seul livre jamais écrit par cet auteurpolonais qui, après la guerre, en 1947,s’est réfugié en France avec son épouse.Après avoir passé deux ans à Ausch-witz, Rawicz avait été envoyé, en 1944,dans le camp de Leminz, près de Tere-zienstadt, en Bohême. Il avait été dé-porté à Auschwitz comme prisonnierpolitique et non comme juif. Les Alle-mands avaient fini par avoir des doutessur ses origines mais un subterfuge luipermit d’échapper au sort de la quasi-totalité de ses coreligionnaires.Né à Lvov, alors en Ukraine, filsd’avocat, Rawicz avait décidé en 1941de gagner la Pologne où il pensait êtremoins en danger. Il a été arrêté à Zako-pane après s’être caché pendant plusd’une année. Torturé par la Gestapo, iln’a pas cédé et n’a ni révélé sa judéiténi dénoncé des complices ou des per-sonnes qui lui étaient venues en aide. Saforce de caractère l’a sauvé du pire.Son roman, qui est une transposition dumonde concentrationnaire et, plus lar-gement, du monde en guerre totale àl’est de l’Europe, a connu un certainsuccès à sa sortie et obtenu en 1962 unprix littéraire. Écrit en français, il a ététraduit dans une quinzaine de langues.Il est bien loin de Si c’est un homme(1947) de Primo Levi ou d’Être sansdestin (1975) d’Imre Kertéz. Primo Le-vi donne une description presquescientifique des camps de la mort alorsque Rawicz, tout à l’inverse, puisqu’il

Livres

relate comment le héros, un jeune gar-çon de l’âge de l’auteur, s’imagine queseul le jeu peut lui permettre de survivredans ce lieu maléfique : c’est l’histoired’un individu qui parvient à se sauverd’une mort programmée. Piotr Rawiczen fait une représentation du monde, unpeu à l’exemple de Dante, qui fait descercles de son Enfer, comme d’ailleursdu Purgatoire. Mais les enfers de PiotrRawicz ne connaissent pas de Paradis !Il imagine son héros, Boris (qui, on ledevine peu à peu, est son double danscette monstrueuse affaire), dans uneville soumise à la plus folle coercition.L’univers concentrationnaire est pourlui la réplique d’une ville où les lois ontchangé, où les hommes subissent desexactions sans nom, où la mort estomniprésente. Et son personnage encroise beaucoup d’autres, les uns en-core attachés aux principes de la réalité,les autres, entraînés dans des rêveriesreligieuses, mystiques, messianiques,utopiques. Cette vie grouillante et d’uneincroyable richesse ne peut se dévelop-per que sous la menace de son anéantis-sement. Les figures qui apparaissent aufil du récit (décousu par nature) sontaussi intenses que poignantes, aussigrotesques que sublimes. C’est touteune humanité avec ses croyances, sonhistoire, sa culture polymorphe, sesaberrations, ses aspects nobles et sesaspects ignominieux, qui défilent de-vant nos yeux dans une danse de mortendiablée.Dans cette cité où se prépare la GrandeAction, où il y a des ateliers, desphalanstères étranges, ces maisons Ga-rine où l’on était censé être plus ensécurité, les troupes et les agents de larépression, toujours prêts à frapper, qui

font et défont l’organisation précaire duquotidien, les hommes et les femmespris au piège tentent de survivre… Duspectacle des rues immondes et dange-reuses, l’auteur parvient à soustraire degrands moments poétiques. Il est aussicapable de montrer la beauté la plusélevée au milieu d’un mouroir aux di-mensions gigantesques où chacun serattache à l’espoir d’un laissez-passervalide.Le sang du ciel est un livre où la philo-sophie et la légende s’épousent, où leGolem resurgit, tel le Messie, dans lesesprits désespérés des habitants de cetteville fantôme comme le fol espoir d’unsauvetage de la dernière heure. À uncertain moment, Boris, qui se fait pas-ser pour un Ukrainien, Youri Goletz,est, après des semaines interminablesd’interrogatoires, finalement sauvé pardes médecins qui certifient qu’il a éténon pas circoncis mais opéré pour soi-gner un phimosis. Il retrouve la liberté.Mais quelle liberté ? Il a assisté auxscènes les plus épouvantables, a vumourir tant des siens, son épouseNoémie lui a été arrachée, et il se re-trouve nu comme Job dans une « Eu-rope qui s’effondre comme un silence ».Ces pages bouleversantes, qui semblentavoir été écrites entre deux pôles, lepremier étant l’abjection et l’horreurpures, le second, la poésie que ces êtreshumains transportent avec eux-mêmesdans les situations les plus effrayantes,inventent la dimension métaphysiquedes camps d’exterminationnazis. ■

* Piotr Rawicz, Le Sang du ciel,Gallimard, Coll. L’imaginaire,Paris, 2014, 338 p., 9,50 €

Europe de l'Est

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6 PNM n° 3 1 6 – MAI 201 4

« 53 avenue de Versailles »,la prison de Fresnes, la plusgrande prison « allemande »

de France. Madeleine Bourlon estconvoquée à l’ infirmerie de la prisonpour assister le détenu autrichien quifait office de médecin. Durant l’ac-couchement, le corps d’Esther sedéchire ; le détenu doit recoudre ladéchirure sans anesthésie. L’aiguilleest rouillée. Il la pose sur un tabouretde bois et la roule sous la chaussure.Puis il la désinfecte avec de l’alcoolà 90° et recoud.Après la naissance de l’enfant, lasage-femme sort un ruban rose (ellea également emporté un ruban bleu)et entoure le minuscule poignet dubébé. Lorsqu’Esther voit le rubanrose, elle ferme les yeux et pense« Mon enfant est née sous une bonneétoile, car elle reçoit déjà un cadeaud’une femme française. Puisse monenfant survivre et vivre en France ! »Madeleine Bourlon n’était pas obli-gée de déclarer la naissance de cetteenfant dont les deux parents ré-sistants étaient incarcérés dans laprison de Fresnes. Esther était polo-naise – Madeleine se doutait bien, vule prénom, qu’Esther était juive – deplus, le père, Willi était un allemand« de pure souche ». Mais elle avaitparfaitement saisi que si elle ne dé-clarait pas cette naissance, l’enfantserait condamné à disparaître dansles oubliettes germaniques.Les autorités allemandes de Fresnesexaminèrent le bébé selon les « cri-tères aryens ». Cheveux blonds,yeux bleus, teint clair, taille, péri-mètre du crâne… Ils déclarèrentalors que la « race supérieure » dupère germanique l’avait emporté surla « race polonaise ». Puis ils en-voyèrent une déclaration de nais-sance à Berlin, à la Mairie Rouge– das Rote Ratas – ainsi nomméeparce que construite en briquesrouges. Tous les enfants allemandsqui naissent à l’étranger sont réper-toriés et archivés dans la MairieRouge de Berlin.[…] Après l’arrestation de Willi etd’Esther par la Gestapo, le 23 no-vembre 1943, à Paris, la Gestapodécida de mettre Willi au secret, de

I . Esther par Sonja Gebuhrer

Le vingt et un mai mil-neuf-cent-qua-rante-quatre, 11heures vingt minutes,est née, 53 avenue de Versailles, Sonja,Monika, Frédérika ADAM, du sexeféminin de Wilhelm, Karl ADAM,tailleur, né à Recklinghausen (Alle-magne) le 12 août 1911 et de EsteraRAJS, couturière née à Lublin (Po-logne) le 31 juillet 1909, domiciliés à

Paris dix-septième arrondissement,63rue Dulong, son épouse.Dressé le 23 mai 1944, 9 heures sur ladéclaration de Madeleine BOURLON,sage-femme, ayant assisté à l’accou-chement, domiciliée 2, avenue de Ver-sailles, qui lecture faite, a signé avecNous Gaston DUBERNAY, Maire deFresnes, décoré de la Croix de Guerre.

La maison d’arrêt de Fresnes après-guerre.Carte postale. Collection Mémoire Vive.

Fresnes - Année 1944 - Naissance

le torturer afin de pouvoir démante-ler le réseau de résistants antifas-cistes allemands. Et dans la foulée,les autorités nazies l’accusèrent dehaute trahison et décidèrent de le dé-choir de la nationalité allemande aumotif qu’il travaillait pour la Ré-sistance française*.Compte tenu du régime carcéral, Es-ther avait fort peu de lait, et un abcèss’ insinua dans le sein. Il fallut ali-menter le bébé avec du lait condenséque la Croix Rouge faisait parvenir àquelques détenues. Ces femmes sesacrifièrent pour donner à l’aumô-nier catholique, le révérend père Bi-rin, les boîtes de lait condensé.Le révérend père Birin avait égale-ment remis au début du printemps1944 à Esther une chemise de soiebleue. Elle appartenait à JacquesHervieu qui avait été arrêté. JacquesHervieu était un excellent tailleur surmesures, élégant, courageux ; il refu-sa, même sous la torture, de donnerses compagnons de résistance. Alorsles nazis le condamnèrent à mort.Jacques Hervieu savait qu’unefemme était enceinte – en prisonbien des nouvelles transpirent – et ildonna cette chemise de soie bleue aupère Birin, afin qu’Esther puissel’utiliser pour l’enfant à venir. Torsenu, il resta dans sa cellule glaciale etaffronta le peloton sous la pluie.Esther se demandait comment proté-ger et vêtir l’enfant à venir. Elle étaitenfermée, seule, dans une cellule.Chaque fois que les gardiens l’em-menaient pour l’ interroger, elle croi-sait le jeune journaliste juif berlinoisSally Grynvogel. Le visage ensan-glanté, roué de coups, incapable demarcher, les gardiens le traînaientpour le jeter dans sa cellule. Alorselle opta pour un rôle de femme tota-lement stupide, incapable de com-prendre les questions posées enallemand, voire en français. Com-bien de fois elle entendit hurler :« Ach, diese Scheisspolaken, dieseUntermenschen, diese Idioten, dieseAnalphabeten!“ – (Ah, ces polaks demerde, ces sous-hommes, ces idiots,ces analphabètes ! ). Le visage d’Es-ther restait totalement impassible.Elle affichait un abrutissement abys-

sal, elle qui parlait l’allemand, le po-lonais, le français, lisait et écrivait leyiddish en caractères hébraïques etcomprenait le russe. Combien defois lors des interrogatoires de Willi,la Gestapo martelait : « Ta femme estune débile, une polak, une idiote ! »Et Willi reprenait espoir : Esthern’avait dénoncé personne, elle auraitpeut-être la vie sauve.Un jour, grâce à son « insondablebêtise », Esther est amenée par lesgardiens dans un atelier de couturepour réparer des parachutes alle-mands. Elle n’est plus seule. La soli-darité s’organise. On tente derécupérer des chutes de toile deparachute, du fil, des aiguilles. Maisles gardiennes fouillent de fond encomble les détenues. Enfin Estherarrive à détourner des ciseauxqu’elle cache à l’ intérieur du mate-las. Comme elle a « égaré » ses ci-seaux, elle doit couper le fil avec sesdents. Elle avale une grande quantitéde fil.Esther doit se réveiller dès cinqheures du matin pour faire de la cou-ture ; elle utilise les chutes de toilede parachutes pour confectionnerdeux brassières. Faute de bouton,elle confectionne une minusculeboule avec du tissu, l’enserre et lafixe sur la brassière, puis elle faitune bride avec le fil subtilisé dans sabouche. Afin d’enjoliver les deuxbrassières, elle se sert d’une aiguilleet du fil pour faire de petits picots dedentelle autour du col et desmanches. Ensuite, elle commence le« burnous ». Elle divise sa proprecouverture, la coupe avec les ci-seaux « égarés » ou plutôt détournés.Elle effiloche la couverture pourtrouver du fil, afin de pouvoir as-sembler, surfiler, ourler le burnous.Enfin, elle double ce vêtement avecla chemise de soie bleue du fusilléJacques Hervieu transmise par le ré-vérend père Birin. Puis elle broded’immenses initiales sur le burnousS.A. (SoniaAdam). ■■■ (à suivre)

* NDLR : Dans le cadredu Travail Allemand,notamment avec PeterGingold.

27 MAI 2014 - Première journée nationale d'hommage à la Résistance

Capitulation sansconditions de

l’Allemagne naziele 8 mai 1945

Quoi de plus naturel que de célébrer le8 mai la victoire sur le nazisme, au

terme d’une guerre qui fit 35 millions demorts en Europe ? Et pourtant : la célébra-tion sera non fériée en 1948, fériée mais nonchômée en 1953, célébrée en fin de journéeen 1968 ; abolie par Giscard qui, désireux d’« ouvrir la voie de l’avenir » décide, « aunom de la réconciliation franco-allemande…de ne plus commémorer désormais cet anni-versaire, qui sera ainsi le 30e et le dernier »,rétablie enfin par Mitterrand en 1981 .Non moins révélatrices : les fluctuations dela terminologie. Là où vous voyez une vic-toire, tel ou tel président préfèrera et ce n’estpas un lapsus, parler d’ « armistice ».Apparemment, l’histoire est plus politique qu’on nevoudrait l’ imaginer. Conclusion : toute occa-sion est bonne d’analyser et d’enseigner lanature et les causes du nazisme. En relisant,par exemple, « Le choix de la défaite »d’Annie Lacroix-Riz… ■

1914. Echec de la paix. Assassinat deJaurès. La fleur au fusil, on part pour « lader des der ». Jusqu’à la prochaine. LaSDN n’aura pu l’empêcher. Du moins laconstruction européenne devait-elle nousassurer une Europe d’où la guerre seraitbannie. Et ce sera l’ intervention enYougoslavie et aujourd’hui la déstabilisationde l’Ukraine où la violence monte.. . ■

Célébration de lapremière Journée nationale

de la Résistance.Enfin !

Quoi de plus naturel et pourtant cettejournée, les associations d’anciens

combattants la réclamaient depuis lavictoire ! Il aura fallu attendre près de 70ans pour qu’ils aient gain de cause.

C’est chose faite depuis l’adoption ennovembre 2013 de la proposition de loidéposée par Jean-Jacques Mirassou,sénateur socialiste de Haute-Garonne. Ilincombe dorénavant à l’enseignement dusecond degré de transmettre les valeurs dela Résistance, celles qui s’incarnent aussidans le programme du Conseil National dela Résistance (CNR). Mots clés que ceuxde valeur et de programme. La Résistanceest parfois réduite à quelques épisodeshéroïques, façon western. Pourtant tousceux qui ont combattu,que ce soit àLondres, dansles maquis oudans les campsont rêvé à ceque la Francedevrait être etfaire après la guerre : aux Jours heureux,pour reprendre le titre de la premièreédition du programme du CNR, constituéle 27 mai 1943, ce programme degouvernement qui sera adopté àl'unanimité le 15 mars 1944.

Nous lui devons le rétablissement dusuffrage universel, le vote des femmes, lesnationalisations, la Sécurité sociale, leslois sur la presse : tous acquis dont leMEDEF s’emploie systématiquement ànous dépouiller.

Nous lui devons des valeurs porteusesd’avenir : l'esprit de rébellion, le refus del’injustice, de l’humiliation, du déshon-neur. « Plutôt vivre debout que mourir àgenoux », disait la Pasionaria. Dire non etagir en conséquence.

Le 27 mai 2014, de multiples événementscélébreront en France cette journée. Parmieux, à Paris, les associations d'anciensrésistants tiendront des stands sur la placede l'Hôtel de Ville.

L'UJRE et Mémoire des Résistants Juifsde la M.O. I. seront heureuses de vous yrencontrer.

Cette journée s'achèvera par unecérémonie de ravivage de la flamme àl'Arc de Triomphe où se rendront nosdélégations, menées par Paulette Szlikfa-Sarcey (déportée-résistante de la sectionjuive de la MOI). ■

* loi n° 2013-642 du 19 juillet 2013 parue au JOn° 167 du 20 juillet 2013

Vu à la téléPlus jamais ça ? Et pourtant !

À voir absolument !

Sur Arte, l'excellent documentaire d'AntoineVitkine : "Populisme, l’Europe en danger",que vous pouvez vous procurer en VOD ouDVD par ce lien :

http://www.arte.tv/guide/fr/050481 -000/populisme-l-europe-en-danger

Bruit de bottes en Europe. Un documentairecoup de poing. Vitkine donne à voir lesdifférents visages du populisme, c’est-à-dire del’extrême droite, les manifestations inquiétantesde son succès et sa résistible marche vers lepouvoir. ■

1 er juinEngagés volontaires

La prochaine cérémonie du souveniren hommage aux combattants juifs

étrangers volontaires morts pour laFrance (1939-1945) se tiendra au cime-tière parisien de Bagneux le dimanche 1 er

juin à 10h30. Venez nombreux !

RDV devant l'entrée principale, 45 ave-nue Marx Dormoy 92220 Bagneux.L'UJRE sera présente et invite tous sesadhérents et amis à y participer large-ment. ■

2014 - l'année de nombreuses commémorations

Page 7: La presse nouvelle_316_mai_2014

7PNM n° 3 1 6 – MAI 201 4

«  Seul dans Berlin   » de Hans Falladapar Jeanne Lafon Galili

La vie de l’écrivain allemandHans Fallada – de son vrainom Rudolf Ditzen (1893-

1947) – ressemble à un film expres-sionniste des années 30, gris et tra-gique : morphinomane, grandfumeur, alcoolique, petit voleurmaintes fois incarcéré… mais pournous grand écrivain et en particulierauteur de Seul dans Berlin (1 947), letitre allemand me paraissant beau-coup plus expressif : Jeder stirbt fürsich allein.Car les nazis font régner dans la villeune atmosphère si glauque que seshabitants semblent la traversercomme s’ils fuyaient, seuls, un dan-ger qu’ils sentent sans savoir d’où ilviendra.Mai 1940, la France a perdu laguerre, les nazis sont euphoriques.La caméra plonge dans un immeublemodeste de la rue Jablonski à Berlin.Début magistral qui permet au nar-rateur de découvrir, tout en montant ;au premier, une juive persécutée etpillée, Frau Rosenthal ; les minables,bavards et paresseux, Borkhausen etEnno Klug, le mari de la postière,petit bonhomme sans dignité, joueurmalchanceux, séducteur larmoyant :les deux, amis ennemis, figures d’unlumpenprolétariat que les nazispeuvent facilement utiliser, et enfinAnna et Otto Quangel, un couple quise veut en dehors de tout ce qui sejoue dans le pays. La mort de leurfils unique va déclencher commeune prise de conscience. Otto, visageen lame de couteau, profil en becd’aigle est là, « seul dans Berlin », etseul, il prend la décision, folle et dé-risoire, d’avertir les habitants decette grande ville prisonnière des SS.C’est donc l’histoire d’un couplesans histoire qui se lance dans uneaventure : écrire des cartes postalessur lesquelles il dénoncera les men-songes, les horreurs du nazisme.Tous les dimanches, le contremaîtreébéniste, Otto Quangel, s’applique àécrire, seul d’abord puis aidé de safemme, des phrases dénonciatrices,un appel à la Résistance sur descartes postales. Au mépris du risque,il dépose ses cartes dans les escaliersdes immeubles les plus fréquentés,sur un palier, le rebord d’une fenêtreet se perd dans la foule. Anna estd’abord désappointée d’une initia-tive qu’elle juge dérisoire, insigni-fiante. « Que ce soit vain ou non,Anna, dit-il, s’ils nous attrapent, çanous coûtera la tête ». Les SS, lecommissaire Escherich ne com-

prennent pas qui ils sont et où ilssont: espions, arrestations muscléesn’y font rien. Otto et Anna, pendantdeux ans, échappent aux recherches,aux dénonciateurs, aux mouchardsqui hantent la ville. Les dimanchesleur sont devenus sacrés, les textesqu’ils écrivent, de plus en plus longset convaincants. Mais quand Otto se-ra arrêté, le commissaire aura beaujeu de lui faire remarquer l’ inutilitéde son combat : « Toutes ces lettres,toutes ces cartes, nous ont été re-mises spontanément. Les gens ve-naient les rapporter en courant,comme si elles leur avaient brûlé lesmains… »Un homme, une femme ont défié lepouvoir nazi jusqu’à la mort aprèsavoir été torturés sans perdre uninstant leur dignité.Dans leur ombre, oppresseurs et pi-toyables acolytes donnent au romanun tour à la fois grotesque et tra-gique. . Ainsi, Enno Kluge séduisantHette, veuve « flétrie » et maternelle.Enno grotesque qui malgré ses men-songes, apitoie Hete par ses larmesqui coulent si facilement, « lente-ment d’abord, puis à torrents… » Ilne lui reste plus qu’à laisser « tom-ber le visage sur l’ample et mater-nelle poitrine de la femme » Et ce« petit bonhomme » larmoyant finitpar toucher tant il a été manipulé parle commissaire Escherich qui doit sedébarrasser de cette pièce à convic-tion et le fait « se suicider », senoyer dans une séquence drama-tique, ultime promenade vers un lac,dans la nuit de Berlin : « Deux coupsclaquèrent. Le commissaire sentitl’homme s’affaisser entre ses mains.En voyant le cadavre glisser de lapasserelle, Escherich eut un gestecomme pour le retenir ; puis haus-sant les épaules, il vit la masseinerte fouetter l’eau et disparaîtreaussitôt. »C’est un roman politique, brechtien,avec une morale, des personnagesdont certains sont d’une seule piècemais auxquels on croit, à la fois ex-térieurs à eux – un détail du visage,leur allure les caractérisent – et dansleur intériorité – par le passage auprésent par exemple. Apparente sim-plicité : les bons et les méchants.Mais comme le dit le Conseiller :« Ce ne sont pas d’autres hommes.Ils sont un peu plus nombreux, et lesautres sont un peu plus lâches » Eten effet, lâcheté. Ce qui envahit leshabitants de la ville, c’est la peur. Lapeur omniprésente. Elle rend les

gens ennemis les uns aux autres, en-nemis à eux-mêmes, elle transpiresur leurs visages, dans leur façon devivre. Elle paralyse non seulementles opprimés qu’ils sont devenusmais aussi les oppresseurs. Prêts àramper devant leurs supérieurs, celuiqui torture aujourd’hui peut être tor-turé demain.Et justement l’habileté de Falladafait émerger deux personnages anta-gonistes : le commissaire et OttoQuangel. Mais Otto a vaincu sa peur.Il peut oser affronter le commissaire.La seule faute qu’il se reproche a été« de vouloir agir seul, alors que jesais qu’un homme seul n’existepas ». Ce qui devait être un interro-gatoire se transforme en un dialoguequi écrase enfin l’assurance d’Es-cherlich. Ce dernier met fin à sa peuret à l’ inanité de sa vie. L’Obergrup-penführer SS commande à Quangelde « débarrasser » le corps. Le nar-rateur a cette conclusion pleined’ironie tragique: « Ainsi, le seulhomme qu’Otto Quangel eût conver-ti entraîna encore pour le vieuxcontremaître quelques péniblesheures de travail de nuit ».En ce moment où l’on nous rappellece que fut la Résistance en France,ce roman nous oblige à nous tourner,les yeux grands ouverts, vers lescombattants allemands qui furent ar-rêtés, torturés, déportés. La scène estBerlin tout entier. A partir d’unehistoire réelle découverte dans lesdossiers de la Gestapo, celle d’uncouple d’ouvriers, Otto et LisaHampel, exécutés le 8 avril 1 943 à laprison de Plötzensee pour faits derésistance, Hans Fallada écrit unefiction, à la fois insoutenable etpourtant humaniste, d’une ville sousinfluence, « l’un des plus beauxlivres sur la résistance allemandeantinazie » (Primo Levi). ■

* Hans Fallada, Seul dans Berlin :

Version censurée parue enRDA, traduit parA. Vandevoorde et

A. Virelle,Éd. Denoël, Folio, 2004,

560 p.,8,90€

Version non censurée,traduit par Laurence

Courtois,Éd. Denoël et d’ailleurs,

2014,736 p.,26,90€

27 MAI 2014 - Première journée nationale d'hommage à la Résistance

Capitulation sansconditions de

l’Allemagne naziele 8 mai 1945

Quoi de plus naturel que de célébrer le8 mai la victoire sur le nazisme, au

terme d’une guerre qui fit 35 millions demorts en Europe ? Et pourtant : la célébra-tion sera non fériée en 1948, fériée mais nonchômée en 1953, célébrée en fin de journéeen 1968 ; abolie par Giscard qui, désireux d’« ouvrir la voie de l’avenir » décide, « aunom de la réconciliation franco-allemande…de ne plus commémorer désormais cet anni-versaire, qui sera ainsi le 30e et le dernier »,rétablie enfin par Mitterrand en 1981 .Non moins révélatrices : les fluctuations dela terminologie. Là où vous voyez une vic-toire, tel ou tel président préfèrera et ce n’estpas un lapsus, parler d’ « armistice ».Apparemment, l’histoire est plus politique qu’on nevoudrait l’ imaginer. Conclusion : toute occa-sion est bonne d’analyser et d’enseigner lanature et les causes du nazisme. En relisant,par exemple, « Le choix de la défaite »d’Annie Lacroix-Riz… ■

1914. Echec de la paix. Assassinat deJaurès. La fleur au fusil, on part pour « lader des der ». Jusqu’à la prochaine. LaSDN n’aura pu l’empêcher. Du moins laconstruction européenne devait-elle nousassurer une Europe d’où la guerre seraitbannie. Et ce sera l’ intervention enYougoslavie et aujourd’hui la déstabilisationde l’Ukraine où la violence monte.. . ■

Célébration de lapremière Journée nationale

de la Résistance.Enfin !

Quoi de plus naturel et pourtant cettejournée, les associations d’anciens

combattants la réclamaient depuis lavictoire ! Il aura fallu attendre près de 70ans pour qu’ils aient gain de cause.

C’est chose faite depuis l’adoption ennovembre 2013 de la proposition de loidéposée par Jean-Jacques Mirassou,sénateur socialiste de Haute-Garonne. Ilincombe dorénavant à l’enseignement dusecond degré de transmettre les valeurs dela Résistance, celles qui s’incarnent aussidans le programme du Conseil National dela Résistance (CNR). Mots clés que ceuxde valeur et de programme. La Résistanceest parfois réduite à quelques épisodeshéroïques, façon western. Pourtant tousceux qui ont combattu,que ce soit àLondres, dansles maquis oudans les campsont rêvé à ceque la Francedevrait être etfaire après la guerre : aux Jours heureux,pour reprendre le titre de la premièreédition du programme du CNR, constituéle 27 mai 1943, ce programme degouvernement qui sera adopté àl'unanimité le 15 mars 1944.

Nous lui devons le rétablissement dusuffrage universel, le vote des femmes, lesnationalisations, la Sécurité sociale, leslois sur la presse : tous acquis dont leMEDEF s’emploie systématiquement ànous dépouiller.

Nous lui devons des valeurs porteusesd’avenir : l'esprit de rébellion, le refus del’injustice, de l’humiliation, du déshon-neur. « Plutôt vivre debout que mourir àgenoux », disait la Pasionaria. Dire non etagir en conséquence.

Le 27 mai 2014, de multiples événementscélébreront en France cette journée. Parmieux, à Paris, les associations d'anciensrésistants tiendront des stands sur la placede l'Hôtel de Ville.

L'UJRE et Mémoire des Résistants Juifsde la M.O. I. seront heureuses de vous yrencontrer.

Cette journée s'achèvera par unecérémonie de ravivage de la flamme àl'Arc de Triomphe où se rendront nosdélégations, menées par Paulette Szlikfa-Sarcey (déportée-résistante de la sectionjuive de la MOI). ■

* loi n° 2013-642 du 19 juillet 2013 parue au JOn° 167 du 20 juillet 2013

Vu à la téléPlus jamais ça ? Et pourtant !

À voir absolument !

Sur Arte, l'excellent documentaire d'AntoineVitkine : "Populisme, l’Europe en danger",que vous pouvez vous procurer en VOD ouDVD par ce lien :

http://www.arte.tv/guide/fr/050481 -000/populisme-l-europe-en-danger

Bruit de bottes en Europe. Un documentairecoup de poing. Vitkine donne à voir lesdifférents visages du populisme, c’est-à-dire del’extrême droite, les manifestations inquiétantesde son succès et sa résistible marche vers lepouvoir. ■

1 er juinEngagés volontaires

La prochaine cérémonie du souveniren hommage aux combattants juifs

étrangers volontaires morts pour laFrance (1939-1945) se tiendra au cime-tière parisien de Bagneux le dimanche 1 er

juin à 10h30. Venez nombreux !

RDV devant l'entrée principale, 45 ave-nue Marx Dormoy 92220 Bagneux.L'UJRE sera présente et invite tous sesadhérents et amis à y participer large-ment. ■

2014 - l'année de nombreuses commémorations

Page 8: La presse nouvelle_316_mai_2014

8 PNM n° 3 1 6 – MAI 201 4

Dernier génocide du XXe siècle

En parler est dérisoire, ne pas enparler est criminel. Raul Hilbergconclut « La destruction des Juifs

d’Europe » sur le génocide du Rwanda,avec cette amère constatation :« L’histoire s’était répétée ». Il y a vingtans, le 6 avril 1994, l’avion à bord duquelse trouvent les présidents du Burundi etdu Rwanda est abattu. Les FAR (ForcesArmées Rwandaises) et les Interahamwe(miliciens) vont alors en cent jours assas-siner un million de Tutsis. Cela fait écho.Plus d’un million de morts selon le Col-lectifdes Parties Civiles pour le Rwanda,un million selon la Croix-Rouge et huitcent mille « seulement » selon l’ONU.Tout génocide donne lieu à des protesta-tions négationnistes ainsi qu’à des ba-tailles de chiffres. Cela encore fait écho.Ajoutons que ce génocide eut aussi sesJustes : des Hutus qui cachèrent des Tut-sis, voire se battirent à leurs côtés ; desFrançais qui inlassablement œuvrent pourfaire connaître la vérité. Leur conceptionde l’honneur de la France.

Premier génocide duXXe siècle :la colonisation en question

Coïncidence : si le dernier génocide duXXe siècle s’est produit en Afrique, dansun pays colonisé par les Allemands, puisplacé sous mandat belge jusqu’à son in-dépendance en 1962, c’est aussi enAfrique qu’avait été commis, en 1904, lepremier génocide du siècle, le massacredes Héréros1 , dans une colonie alors al-lemande, dont le premier gouverneur nefut autre qu’Heinrich Goering, le pèred’Hermann Goering. Autre écho. Ils’agissait d’exterminer ceux qui, avecleur chef, Samuel Maharéro, s’étaientsoulevés contre le colonisateur. Bilan :30 à 40 000 morts. A l’occasion du cen-tenaire du massacre, la ministre alle-mande de la coopération a demandépardon au peuple Héréro de Namibie.Peut-être que le premier crime, c’était lacolonisation. Sans elle, ce massacren’aurait pas eu lieu.

La colonisation belge

Quand la SDN place le Ruanda-Urundisous la tutelle belge, la population comptethéoriquement une majorité de Hutus,agriculteurs, une minorité de Tutsis, éle-veurs, et quelques Twas, potiers. Tousparlent la même langue et, monothéistesdès avant la colonisation, seront plus tard,à 90% de fervents catholiques. L’organi-sation de la société est clanique et certainsclans sont interethniques.Mais depuis le milieu du XIXe siècle, lescolonisateurs sont adeptes des théoriesraciales. Ainsi les Belges sont-ilsconvaincus que, remarquables par leur

haute stature, leur teint clair, leurs traitsracés, leur intelligence, les Tutsis ne sontpas de vrais Noirs : ce sont des nilotiquesqui forment une élite. Quoi de plus natu-rel dès lors que de s’appuyer sur eux pourgouverner les autres ? Le pari aurait puréussir n’était la soif d’indépendance desTutsis. Renversement d’alliance : le colo-nisateur explique aux Hutus qu’ils sontexploités, mais pas du tout par les Blancs,par les Tutsis ! Il les désigne à leur haine,à leur vindicte. Ainsi, le premier crime futbien la colonisation, qui impose de men-tionner l’ethnie sur la carte d’identité.Écho. Il y aura même un équivalent duProtocole des Sages de Sion, avec un pré-tendu plan de colonisation du très richeKivu, au Congo. Et plus tard, on dresserades listes de Tutsis pour être certain de lestuer tous.Ni l’Allemagne nazie, ni la colonisationbelge n’ont eu le monopole des théoriesraciales et du racisme. La France eut Go-bineau, Gustave Le Bon, Alexis Carrel.Dépassés ? L’école de la République apourtant enseigné la théorie des races. Ilest quand même bien commode d’avoirl’alibi de la supériorité raciale pour dé-pouiller des peuples. Et cette arrogancecouve toujours sous la cendre. Rappe-lons-nous : « Dans ces pays-là, un géno-cide, ce n’est pas trop important »*.

Spécificité du génocide rwandais

L’extermination des juifs s’est faite dansdes camps de concentration, à l’abri desregards et les voisins pourront dire :« Nous ne savions pas ». Au Rwanda,c’est en plein jour, devant les télévisionsdu monde entier que les génocidairesInterahamwe tuent, ivres de bière et desang, avec un luxe de cruauté digne d’unMalaparte. Quand La Question d’HenriAlleg parut, Sartre déclara : « Ce qu’il y ade grave, ce n’est pas qu’il y ait des tor-tionnaires dans l’armée française, c’estde savoir qu’avec 90% des appelés ducontingent, on peut faire des tortion-naires ». Cela suppose une méthode.C’est bien ce que dénoncera, à Arusha,devant le Tribunal Pénal Internationalpour le Rwanda (TPIR), l’ancien com-mandant de la MINUAR (Mission d’as-sistance des Nations Unies au Rwanda),Roméo Dallaire, auteur du terrible J’aiserré la main du diable2 : un génocide

aussi expéditif, aussi massif, cela nes’improvise pas. « Tuer un million de genset être capable d’en déplacer trois àquatre millions en l’espace de trois mois etdemi, sans toute la technologie que l’on avue dans d’autres pays, c’est tout de mêmeune mission importante. Il fallait une mé-thodologie. Il fallait des données, desordres ou tout au moins une coordina-tion. »

Faire la lumière

A l’époque, tous ceux qui doivent savoirsavent et se taisent. Il est alors urgentd’occulter la vérité. Silence assourdissant.Rôle des médias dans ce que l’on appellela fabrique de l’opinion publique. Au-jourd’hui, grâce aux révélations des té-moins, des acteurs, notamment militaires,des journalistes, des juristes, des cher-cheurs, des commissions d’enquête, de lajustice, tous ceux qui veulent savoir lepeuvent. Il suffit de le vouloir et de lire.« Que ceux qui n’auront pas le couragede lire cela se dénoncent comme com-plices du génocide rwandais », écrit Yo-lande Mukagasana3. Notre gratitude auxrescapés qui ont eu le courage de témoi-gner, à tous ceux qui, journalistes ouautres, ont inlassablement enquêté. Au-cun d’entre eux n’a vraiment guéri. On neguérit pas d’un génocide. On fait avec.

Ça ne s’est pas fait en un jour

C’est en 1959 qu’ont lieu les premiersmassacres et que commence l’exode desTutsis vers les camps des pays voisins.Cette année là, âgé de deux ans, Paul Ka-gamé fuit avec sa famille en Ouganda où,vingt ans plus tard, il combattra Idi AminDada. D’autres fuient au Burundi, au Ké-nya, en Tanzanie. Il faudra encore trenteans pour que la violence se transforme encrime d’État(s). En 1990 le journal Kan-gura publie Les dix commandements duHutu qui se résument à un seul : tout Hu-tu doit tuer les Tutsis, quand bien mêmesceux-ci seraient ses enfants. En 1994, undirecteur d’école dira benoîtement à ungendarme français éberlué: « J’avais 82enfants ; il m’en reste une vingtaine, j’aidû tuer les autres, y compris les bébéscomplices. (!) » S’ajoutent des interdic-tions rappelant les lois de Vichy. Ainsil’armée ne peut-elle recruter des Tutsis.L’idéologie est en place. Reste à la propa-ger et à la mettre en actes.

Le rôle criminel des médias

Il faut des moyens puissants pour trans-former un peuple en peuple d’assassins,de tortionnaires, de voleurs, d’incen-diaires. C’est à quoi s’emploie, entreautres, la Radiotélévision Mille Collinesdite Radiotélévision La Mort, une radioprivée : financée par quels capitaux ? Elle

participe à la déshumanisation des Tutsis :ce ne sont que des nuisibles, des cafards,des serpents. Elle alterne musique popu-laire et appels au meurtre. C’est le débutd’une effroyable chasse à l’homme.Ordre est donné à tous de se rendreaux « barrières » pour tuer les Tutsis,sans relâche : cela s’appelle « aller autravail ». Même les enfants. Théoneste,huit ans, demande à la radio : « Est-cequ’un enfant peut tuer un Tutsi ? »« Mais bien sûr, est-il mignon ! Il n’y apas d’âge pour tuer des Tutsis ». On rendcompte des exploits. Tant de morts ici,tant d’autres ailleurs.Tandis que les hommes se livrent à lachasse aux « serpents », débusquent les« cafards », les femmes volent. Au boutde quelque temps, d’ailleurs, ceux-ci seprésentent d’eux-mêmes, sûrs qu’ils sontde mourir. Ils demandent pardon et sou-doient les tueurs, implorent qu’on les tued’une balle dans la tête pour en finir avecl’angoisse, pour échapper à la machette,au viol, au sadisme.La cruauté est essentielle au condition-nement psychologique. « Manchescourtes ou manches longues ? » de-mande-t-on. Selon la réponse on coupe lamain ou le bras. Parfois les corps vic-times « coupées » mais vivantes sont je-tés dans la rivière qui les entraîne vers lessources du Nil : « Rentrez chez vous ! ».On coupe les pieds et les mains de Chan-tal, 17 ans, qui agonise sur place. Le soir

tombe. C’est l’heure de boire de la bièreet de se reposer. Le lendemain, Chantalvit toujours. Elle prie pour le salut de sesassassins. En témoigne Révérien4 qui avu tuer 43 membres de sa famille,éventrer les femmes, fracasser les bébés.Cachée dans les herbes, Yolande entend :« Muganga, on va la violer… Lui couperles seins… Moi, ce que j’aimerais c’estqu’on l’attache à un arbre et que, sousses yeux, on coupe les bras de ses enfantsavant de les tuer. »La cruauté est une drogue, le viol unearme. Combien de rescapées infectées parle SIDA?Dès octobre 1994, l’Unesco, dans unsouci déclaré de prévention, demande quesoit étudiée :« l’influence exercée par la propagandeincitant au génocide diffusée par l’inter-médiaire de la radiotélévision ou de lapresse, notamment dans des situations deconflits interethniques et interconfession-

Crânes des victimes - Mémorial de Kigali

1 994 - 2014 - 20e anniversaire du Génocide des Tutsis

Rwanda 94 parNicole Mokobodzki

L'IDÉOLOGIE COLONIALE DE LARACE

« Une histoire française,une histoire africaine,une histoire d’empire »

Patrick de Saint-Exupéry

Page 9: La presse nouvelle_316_mai_2014

9 PNM n° 3 1 6 – MAI 201 4

À lire Le remarquable travail de la Revue d’histoire de la Shoah, n° 190,janvier-juin 2009, Rwanda. Quinze ans après. Penser et écrire l’histoire dugénocide des Tutsi, Éd. Mémorial de la Shoah ainsi que Le génocide des Tutsirwandais, 20 ans après dans la revued'histoireVingtième siècle (n° 122)

À voir deux expositions :• l'une au Cercle Bernard Lazare : du9 au 30 mai 2014, de Francine MayranPortraits mémoires

• et l'autre auMémorial de la Shoah :réalisée en partenariat avec l'asso-ciation Ibuka France (Souviens-toiwww.ibuka-france.org) visible jusqu'au5 octobre + Cycle de films du 18 maiau 5 juin + Témoignages le 25 mai.

Commémorationà Beaune-la-Rolande et à Pithiviers

Dimanche 18 mai 2014

• 10h - Dépôt de gerbes au monument de Beaune-la-Rolande (rue des Déportés)

• 11h30 - Cérémonie principale au monument de Pithiviers (square Max Jacob)

• 12h30 présentation de l’implantation de 4 baraques réalisée par les étudiants du BTSGéomètre du lycée Gaudier Bredzka de Saint-Jean de Braye (45) à la demande du Cercil

InformationUDA -Union des Déportés d’Auschwitz- 01 49 96 48 48 [email protected]

Cercil -Centre d’étude et de recherche sur les camps d’internement dans le Loiret etsur la déportation juive /Musée-mémorial des enfants du Vél d’Hiv’ - 02 38 42 03 91

[email protected]

1 994 - 2014 - 20e anniversaire du Génocide des Tutsis

nels.» L’étude est confiée au CNRS. Lesrésultats en sont publiés, sous la directionde Jean-Pierre Chrétien, sous le titre« Rwanda. Les médias du génocide »5.

Le rôle déterminantde l’Église catholique

Les médias sont relayés par une partie duclergé. Mais cela, c’est le dernier tabou.On tue partout : aux barrières, dans lesstades, dans les écoles, dans les hôpitaux.On tue aussi dans les églises. Certainsprêtres tentent de faire respecter le droitd’asile. D’autres livrent les réfugiés. Unepartie du clergé, du haut clergé, est com-plice du génocide. Que les fonctionnairesd’autorité donnent des ordres, c’est dansla nature des choses. Quand, dans unepopulation d’une aussi fervente piété, desprêtres livrent leurs ouailles, ils trahissentleur mission pastorale. Pis, ils enseignentque tuer l'autre – des « cancrelats » –n’est pas pécher. Revient en écho cetteremarque d’Élie Wiesel : « Tuer des rats,ce n’est pas assassiner ». Sans la compli-cité active d’une partie du clergé, le géno-cide eut sans doute été impossible. Quandon sut que Yolande Mukagasana écrivaitson récit, on vint la voir de Rome pourtenter de l'en dissuader. Un évêque présu-mé génocidaire exerce impunément sonministère en France. Le TPIR acondamné deux prêtres pour génocide.Quant au Vatican, il n’a pas fait droit à lademande d’excommunication émise parl’évêque de Das es Salaam.

L’échec de la communautéinternationale

Restent à déterminer les responsabilitésau niveau des États et, tout d’abord, de lacommunauté internationale. Successeurde Kofi Anan, le Secrétaire général desNations Unies, Ban Ki-moon évoque,lors des cérémonies du 7 avril, la honte dene pas avoir empêché les massacres:« J'ai rencontré des rescapés du géno-cide, j'ai écouté leur chagrin. Lorsque j'aivisité pour la première fois le mémorialde Gisozi, j'ai vraiment senti le silence dela mort, le silence de ceux qui sont partiset le silence de la communauté interna-tionale. Nous aurions pu faire mieux,nous aurions dû faire plus encore. »Tous les États mêlés de près ou de loinont admis leur part de responsabilité.Tous sauf un : la France dont le Premierministre déclare, le 8 avril, dans sondiscours de politique générale: « Jen’accepte pas les accusations injustes etindignes qui pourraient laisser penserque la France s’est rendue complice d’ungénocide au Rwanda. Son honneur, c’esttoujours de s’interposer entre les belligé-rants. » Déshonorant usage du mot hon-neur. Position intenable à terme, commele président Kagamé le note : « Aucunpays n'est assez puissant – même s'ilpense l’être – pour changer lesfaits… après tout, les faits sont têtus ».

Les faits sont accablants. Lesfaire connaître et agir sur lescauses !

Le puzzle est aujourd’hui assemblé. Lesresponsabilités sont connues. Si, pourMitterrand, « Dans ces pays-là, un géno-cide, ce n’est pas trop important »*, celale fut pour des journalistes comme JeanChatain, Jean Hatzfeld, Patrick de Saint-Exupéry, pour certains militaires del’opération Turquoise qui à ce jour necomprennent toujours pas pourquoi,quand 20 000 Tutsis et Hutus solidairesétaient assassinés sur la colline de Bise-sero, ils reçurent l’ordre de se retirer.L’honneur de la France, ce sont eux qui ledéfendent. C’est l’Association Survie,c’est la Commission d’enquête Ci-toyenne, c’est le Collectifdes Parties Ci-viles pour le Rwanda. Les citoyensfrançais ont le droit, le devoir de deman-der compte de l’usage que leurs élus ontfait de leurs deniers et de leurs voix. Et,pourquoi pas, de revenir sur une Consti-tution qui octroie au président de la Ré-publique des pouvoirs régaliens. Ilmanque ici cette réparation symboliquequ’est la vérité. La refuser, c’est condam-ner Marianne à errer, moderne LadyMacbeth en proie à ses fantômes : « Latache ! La tache ! Il y a du sang sur cettepetite main-là. Tous les parfums del’Arabie ne sauraient effacer cettetache ».Tout est dans les livres à commencer par« L’inavouable » de Patrick de Saint-Exupéry, sur place en 1994, qui a ren-contré des témoins à tous les niveaux,suivi les travaux de la Commission d’en-quête parlementaire. Tout est parti de lacellule africaine de l’Élysée. La livraisond’armes avant, pendant et après le géno-cide, la formation des Interahamwe, laprotection des tueurs, le réarmement su-breptice des Forces Armées Rwandaisesc'est-à-dire des génocidaires qui, vaincus,gagnent le Congo voisin. Peu s’en fallutque Kigali ne soit bombardée : voir, si-gnalé par Le Monde, le témoignage deGuillaume Ancel, ancien capitaine del’armée française.6

Quels étaient, cela dit, les enjeux ?L’Afrique, perçue comme pauvre, est enfait mortellement riche. En diamants, parexemple, en uranium, en coltan, ce mine-rai indispensable à la fabrication de nostéléphones portables. Quant aux rouagesde l’exploitation, ils sont impitoyable-ment démontés dans les livres de Fran-çois-Xavier Ver-schave7, qui part de laFrançafrique pour enchaîner sur la Ma-fiafric internationale : mondialisation ob-lige et qui démonte les rouages des« Républiques souterraines », lesquellesn’ont pas grand-chose à voir avec les réa-lités et les illusions de « nos démocratiesoccidentales ».Tout est déjà dans Rwanda 94 8, pièceprésentée en 1999 au Festival d’Avignon,dont la représentation ne fut possible àParis que pendant trois jours : œuvre col-lective d’une troupe belge, le Groupov,

avec la participation au niveau de l’écri-ture et de la représentation d’une resca-pée : Yolande Mukagasana. C’estcertainement l’œuvre théâtrale la plusimportante de la seconde moitié du XXe

siècle. Est-ce un hasard si l’un des per-sonnages, Jacob, y apporte son grain desel ?« Ainsi les fantômes des morts ré-

clamaient justice. Et moi qui n’ai pasconnu mon père, car mon père et sonpère étaient mort un jour d’avril dans uncamp de Pologne, moi je dis : "S’il estvrai qu’il soit un temps pour chaquechose sous le ciel, alors il faut qu’il y aitaussi un temps de la justice et je suissorti dans la rue" ». Rien ne se construirasans la justice, pas la vengeance. « Ungénocide a été perpétré au Rwanda en1994 visant la communauté Tutsi. Cecrime des crimes étant imprescriptible,tous ceux qui se sont rendus coupablesd’un tel forfait doivent être jugés. Seule lajustice rendra aux victimes et auxrescapés la dignité, seule la justicepermettra aux bourreaux de réintégrer lacommunauté des hommes. »* A quoiGéraud de la Pradelle fait écho : « Leshommes qui ont rendu la Républiquefrançaise complice du "crime des crimes"nous doivent des comptes »9. Et, oui,François Chatain a raison quand il écrit «J’accuse ». Du temps de Dreyfus déjà,l’honneur de la France fut de reconnaîtreet de réparer. Elle dut pour cela sedémarquer de ceux qui l’avaientdéshonorée, elle et son armée. Elle ensortit grandie.10 ! ■

* NDLR Termes par lesquels FrançoisMitterrand qualifiait le génocide du Rwan-da, rapportés par Patrick de Saint-Exupérydans Le Figaro du 12/01 /98 et repris dansson ouvrage L’inavouable- La France auRwanda, Les Arènes, 2004.

1 . Tristan Mendès France, Les Héréros, legénocide oublié, film sur www.lautre-site.com/new/edition/explo/hereros

2. Roméo Dallaire, J’ai serré la main dudiable - La faillite de l’humanité au Rwan-da, Éd. Libre expression, 2003, 684 p., 26€

3. Yolande Mukagasana, La mort ne veutpas de moi, biographie, Éd. Laffont, 1 997,268 p., 20,50€

4. Révérien Rurangwa, Génocidé, Éd.Presses de la Renaissance, 2006

5. Jean-Pierre Chrétien, François Dupa-quier, Marcel Kambanda, Joseph Nga-rambe, Les médias du génocide , Éd.Karthala avec RSF, 1995

6. Guillaume Ancel, Vents sombres sur lelac Kivu, The Book Edition sur Internet,2014

7. François-Xavier Verschave, Complicitéde génocide ? La politique de la France auRwanda, Éd. La Découverte, 1 994 ; LaFrançafrique- Le plus long scandale de laRépublique, Éd. Stock, 1 998 ; Noir silence- Qui arrêtera la France Afrique ?, Éd. LesArènes, 2000 ; De la Françafrique à laMafiafrique », Éd. Tribord, 2004 et avecPhilippe Hauser, Au mépris des peuples - lenéocolonialisme franco-africain », Éd. LaFabrique, 2004

8. Le Groupov, Rwanda 94 - Une tentativede réparation symbolique envers les mortsà l’usage des vivants, Éd. Théâtrales, pas-sages francophones, 2002 ; DVD chezl’Harmattan.

9. Géraud de la Pradelle, Imprescriptible -L'implication française dans le génocidetutsi portée devant les tribunaux, Éd. LesArènes, 2005.

1 0. Cf. l’excellent site de l’associationSurvie Rwanda : http://survie.org/

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10 PNM n° 3 1 6 – MAI 201 4

Un festival de marionnettes jeunepublic au Théâtre aux Mains

Nues. Comme tous les ans à lamême époque, une sélection despectacles à partir de 3 ans. Un francsuccès. Le programme est consul-table sur theatre-aux-mains-nues.fr.Réservation : 01 43 72 19 79.Éloi Recoing, directeur artistique etpédagogique du Théâtre aux MainsNues, metteur en scène, écrivain ettraducteur, maître de conférences àl’ Institut d’Études Théâtrales de

l’Université Sorbonne Nouvelle-Pa-ris III, vient d’êtrenommé à la Direc-tion de l’Institutinternational de laMarionnette deCharleville-Mé-zières.Dans le quartierSaint Blaise, avec son équipe, il faitun travail culturel au niveau duquartier, de ses habitants et desécoles. ■

Le premier anniversaire del’élection du nouveau pape adonné lieu à une kyrielle de

qualificatifs dont l’énumérationpourrait, à elle seule, éviter l’écritured’un article. Énumérons néanmoins :Un renouvellement en marche –L’espoir ressuscité – François portela parole dans les plaies de la société– Le pape François invite à com-battre la misère – Un pape révolu-tionnaire – Le pape est-il libéral ? –Le Vatican face aux attentes des fi-dèles – Vatican, famille, morale : lepape François bouscule l’Église –François a su devenir le curé d’unvillage mondial – L’effet François –François pape star – La papauté eneaux troubles – Le pape François faitle ménage – Tous fans du pape Fran-çois – Un remède au vide spirituel –Le pape François et la parole de vie –Le pape François, un charisme fondésur la pratique des vertus – François,le printemps de l’Évangile – Fran-çois, un pape pour tous. …Un pape pour tous ? S’il s’agit du de-venir de l’humanité, acceptons-enl’augure car le souverain pontifesemble s’impliquer dans de nom-breux domaines allant bien au-delà dudialogue interreligieux, s’agissant dessphères de la pensée ou de la vie ma-térielle. Adepte de la doctrine socialede l’Église, se limitera-t-il à la théo-logie de la pauvreté ?Un renouvellement en marche ?Contrairement à ses deux prédéces-seurs, le pape, sur le chemin tracé parJean XXIII, multiplie les déclarations,les décisions, les gestes symboliquesouvrant des fenêtres au catholicismetant du ressort de l’idéologie, de lamorale, du fonctionnement ecclé-siastique que des problèmes sociauxet sociétaux.

Sans oublier, évidemment, les travauxd’Hercule, ardus et périlleux : la ré-forme de la Curie. Ajoutons l’ouver-ture des archives de Pie XII.Les forces progressistes ne peuventfaire la fine bouche face à cette situa-tion nouvelle. Un grand nombre deconcitoyens catholiques étaient ef-fectivement en attente de parolesfortes, hostiles aux dogmes libéraux.Certes, le pape n’est pas marxiste etvraisemblablement pas en passe de ledevenir. Cependant ses analyses ducapitalisme prédateur, des marchésfinanciers coupables des horreursanti-civilisationnelles sont un formi-dable apport aux combats émancipa-teurs. Le négliger, y être indifférentpar un anticléricalisme soupçonneuxporterait un grave préjudice à nos ob-jectifs unitaires. L’extrême droite, lesintégristes de tous bords, les néonazisne s’y sont pas trompés, profitant dudébat sur le mariage pour tous afin deberner et d’entraîner de braves gensdans leur sillage. Ce qui ne fut passans dommages lors des électionsmunicipales où s’exprimèrent an-goisse, souffrance et colère à l’en-contre d’une politique aux antipodesdes promesses présidentielles.S’il faut espérer que la réaction neparvienne pas à rendre éphémèrel’espoir suscité par les positionne-ments actuels du Vatican, en les bor-nant à l’horizon interne de l’Église, ilconvient plus que jamais de tendre lamain, d’écouter, de dialoguer avecrespect. Bref, il est urgent de se ras-sembler avec les croyants dont lagrande majorité est désireuse d’unesociété juste et fraternelle, d’unmonde pacifique. ■* Le titre de la chronique est emprunté à descatholiques, pour qualifier la simplicité affi-chée par le pape.

La Journée mondiale de la Li-berté de la presse est l’occasion

de dénoncer les graves atteintescommises au-delà de l'hexagonecontre le droit à une presse libre quifonde les démocraties. Mais cette li-berté ne se divise pas. En France, laliberté de presse est l'un des nom-breux acquis du CNR qui est remisen question. L’ indépendance desjournalistes et le pluralisme sontmenacés par la constitution degroupes médiatiques entraînantl’uniformisation des contenus. L’en-semble des journalistes, en précari-sation croissante, doit faire moinsavec plus tandis que la qualité s’enressent et que la confiance des lec-teurs est en baisse.Cette Journée est aussi l'occasion de

saluer le grand journaliste que futGabriel Garcia Marquez : la litté-rature a perdu un grand écrivain,l’ information un grand journaliste.Après le coup d’ État de Pinochet,Garcia Marquez avait décidéde « mener la guerre de l’informa-tion », une guerre que pour leur partles États-Unis menaient avec unevirtuosité assassine. Il la mena encollaborant d’abord à l’agence cu-baine Prensa Latina, puis en créant àCarthagène la Fondation pour lenouveau journalisme ibéro-améri-cain, lieu de formation qui grâce àune réflexion exigeante sur l'éthiqueet la pratique du journalisme eut uneprofonde influence sur le traitementde l’ information dans tous les paysde l’Amérique latine. ■

3 mai - Journée mondiale de la liberté de la presse -

Gabriel Garcia Marquez : un grand journaliste

De nombreuxmetteurs enscène se sont

frottés au Tartuffe deMolière. La versionscénique de Luc Bondyfait entrer les vers pro-sodiés de Molière dansla salle à manger d’unefamille de la bourgeoisieprovinciale contempo-raine, pratiquante, serviepar des domestiques àdemeure. Orgon fait fi-gure d’un homme d’affaires auxprincipes bien trempés qui a recueillisous son toit un homme pauvreapparemment très pieux, dont il s’estentiché au point d’en être complète-ment aveuglé. Même procédé quepour « Les fausses confidences » deMarivaux, la scène est ouverte et lespectateur est dès son installation in-vité à porter son regard sur ce micro-cosme familial. C’est un peu commeun laboratoire où l’on serait au cœurmême de la respiration des person-nages, où l’on observerait la patholo-gie d’une famille ordinaire, avec sesfailles, que viendrait révéler l’arrivéed’un tiers extérieur. La scénographiedu renommé Richard Peduzzi nousoffre un vaste plateau clair (sol à da-miers, murs blancs, étage balconnet,rideaux de velours lourds), où les ac-teurs évoluent (mouvements, dépla-cements très étudiés et signifiants) etqui permet des entrées et des sortiescontinuelles, des jeux de cache et desurveillance.Plus que l’histoire d’un imposteur,Luc Bondy a voulu mettre en lumièrecelle « d’un aveuglement, d’un mani-pulé et d’une famille ébranlée parl’introduction d’un tiers ». L’angle duregard est très important chez LucBondy, d’autant que la pièce tourneautour « du voir et ne pas voir », del’influence. Comme le dit le metteuren scène : « Qu’est-ce qui fait qu’Or-gon puisse être manipulé par Tartuffesinon que ce dernier s’insinue dansune fêlure ».On a beau connaître le Tartuffe deMolière, celui de Luc Bondy est un

Luc Bondy met en scène unTartuffe haut en talents et en finesse

Lorella Cravotta, Gilles Cohen, Pierre Yvon,Françoise Fabian, Yasmine Nafidi, Clotilde Hesme

Tartuffe©ThierryDepagne

Chronique

de

Simone

Endewel

tÀ voir

«  Marionnettons-Nous  !  »du 15 au 25 mai

Religions

François ne fait pas le pape*parHenri Levart

concentré de talents et d’intelligence.On y rit au moment où le dramepoint, où les contradictions s’exa-cerbent. Tout se déroule à fleur depeau. Du talent, il y en a à foison,d’abord Dorine (Lorella Cravotta)avec son franc-parler, la merveilleuseElmire (Clotilde Hesme), Orgon(Gilles Cohen), Damis (Pierre Yvon)débordé par ses affects, Mme Pernelle(Françoise Fabian) campée dans unfauteuil roulant, et le fabuleux MichaLescot**, Tartuffe entre contrition si-mulée et désirs non contenus ; latalentueuse Cécile Kretschmar nous aconcocté des maquillages et coiffuresincroyables ; et bien sûr le brillantmetteur en scène, « attentif à ce quifait parler les corps », « à ce quitrouble les esprits et les désirs », saitparfaitement, à partir de la personna-lité de chaque acteur, faire s’exprimerles corps, les passions. Le mouve-ment est signifiant, et pas seulementle texte ; il s’échappe comme un trop-plein, les désirs contenus s’exprimentmalgré eux, sous forme d’explosiondes sens, ou bien de ratés qui fontsourire. ■* Jusqu’au 6 juin à l’Odéon-Théâtre del’Europe/Ateliers Berthier** Micha Lescot, jeune acteur reconnu (plu-sieurs Molières), l'inoubliable narrateur d'À larecherche du temps perdu, téléfilm de NinaCompaneez, est issu d'une famille d'acteurs quinous est proche : Jean, son père, comédien, an-cien des foyers de La Commission centrale del’enfance auprès de l’UJRE, David, son frère,dramaturge, musicien et metteur en scène, auteurde l'épopée musicale La Commission centrale del'enfance qui lui valut le Molières 2009.

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Chronique deLaura LauferLa règle du jeuPartie de campagne

de Jean Renoir

Après la sortie de La Règle du jeu (1939), c’est le tourde Partie de campagne (1936).

La règle du jeu est considérée comme l’un des plus beauxet influents films de l’histoire du cinéma. Or, pour l’avoirréalisé, Jean Renoir fut copieusement insulté, conspué etdes spectateurs enragés saccagèrent les salles qui mon-traient le film. La critique de gauche aussi abandonna Re-noir, jugeant qu’il se fourvoyait dans un film où valets etmaîtres se mêlent dans un même hallali. Quittant la voie ducinéma naturaliste et réaliste inspiré de Zola (La bête hu-maine, 1938) ou de Flaubert (Madame Bovary, 1933), Re-noir avait placé ce film sous les auspices mêlés du Mariage de Figaro deBeaumarchais, de Marivaux et des Caprices deMarianne de Musset.Le cinéaste a poussé très loin sa direction d’acteurs dans un jeu inspiré de laCommedia dell’arte et du vaudeville. La virtuosité du jeu de Dalio, comme dureste de la troupe, nous éblouit encore aujourd’hui. Si pour les personnages,l’amour et les cœurs voltigent à toute vitesse, c’est dans le chaos d’une époque etd’une société pourries. Nul autre film, en 1939, ne donne autant l’avant-goût amerde la catastrophe dans laquelle sombrera bientôt l’humanité. La Règle du jeu bou-leversera aussi les codes de l’image cinématographique par sa conception de laperspective dans la construction de sa profondeur de champ et par la simultanéitéde son action. Le film est révolutionnaire par sa critique d’une société et par sonesthétique. Aujourd’hui, sa virtuosité comme sa modernité ne se démentent pas,film dont François Truffaut disait qu’il était le « film des films ».Partie de campagne, inspiré de la nouvelle homonyme de Guy de Maupassant,reste fidèle à la critique sociale du texte d’origine et célèbre la sensualité et la na-ture, dans un esprit qui rappelle les peintures d’Auguste Renoir, son père. ■

Trois sœurs du YunnandeWang Bing

Ce film est un documentairede surprenante beauté sur le

quotidien âpre de trois petitesfilles du Yunnan abandonnées àelles-mêmes quand la mère estpartie et le père travaille à laville. Le cinéaste montre uneChine noyée dans la brume et lesmontagnes où le sort cruel fait àl’enfance perpétue le passé an-cestral, loin de la Chine industrielle et urbaine qu’il filmait dans À l’Ouest des rails.Le cinéma de Wang Bing, c’est l’humain, avant tout. Le Centre Georges Pompi-dou lui rend hommage, en en sa présence, jusqu’au 26 mai. ■

Un spectacle deMarie Vitez*,

tendre et poétique

P latero y yo est le célèbre récit poétique deJuan Ramon Jiménez (prix Nobel de littéra-ture en 1956), qui décrit la vie et la mort de

l’âne Platero, compagnon du poète. Berçant le quo-tidien et les rêves des habitants de l’Espagne et del’Amérique Latine, les écoles s’y sont référées pourl’apprentissage de la lecture. Marie Vitez, elle, a eubeaucoup de chance puisqu’elle y a appris à lire àl’âge de 5 ans, en grande section de maternelle, dansla version jeunesse traduite en français. Elle sesouvient encore combien la beauté des textes a bercéson enfance, et de ce petit âne qu’elle dessinait et quiest devenu son ami pour la vie. C’est cela qu’elle avoulu transmettre à d’autres enfants. Elle s’emparede l’esprit du récit de Jiménez dont on fête cette an-née le centenaire, pour en faire un spectacle qui a la

douceur de la ouate, les senteurs, les odeurs et lescouleurs de l’Andalousie. Ce n’est pas une histoire àproprement parler mais un voyage, une traversée dessaisons dans cette belle campagne andalouse mar-quée par les fleurs odorantes et colorées, les insectesbruissants, « bourdonnant le jour et stridulant la nuitsous la lune », la lumière. Il y a quelque chosed’intime dans la relation entre Platero et la narra-trice, « une suite d’instants de vie, de sensations, desentiments. » Tandis que Marie Vitez, la comé-dienne, raconte à l’intérieur de « la lanterne ma-gique » tout en projetant des couleurs, des matièreset des silhouettes d’ombre, Fred Costa, le musicien,accompagne l’univers sonore avec sa clarinettebasse : évocation de l’enfance, de l’amitié, du midi,de la nature. Nous entendons gambader le petit Âneavec brio et gaité. Passant à l’extérieur, la comé-dienne manipule des masques, des pliages, des ob-jets d’enfance : autant de représentations de l’Âne.Avec ce petit âne gris, devenu compagnon de la nar-ratrice, nous faisons une virée dans la poésie desmots et c’est un vrai bain de bonheur et de tendresse.À voir les enfants dans la salle de « l’Ogresse », ruedes prairies, les yeux écarquillés et n’en perdant pas

une miette, courez vousaussi, avec vos enfants etpetits-enfants, à la pro-chaine représentation, le21 mai, au Théâtre auxmains nues**.Vous ne serez pas dé-çus. ■

* Marie Vitez, comédienne,gère l’association « Les amisd’Antoine Vitez»

** Platero est mon ami, à par-tir de 3 ans au 7 Square descardeurs (niveau 43 de la rueSaint Blaise) Paris 20e

Réservations : 01 43 72 60 28

Culture

Cinémathèque française

Henri Langlois, le centenaire

Henri Langlois a collectionnédes trésors sur lesquels ilveillait « tel le dragon ». Per-

sonnellement, je le connaissais bien etlui dois beaucoup. Henri m’a invitéeplus d’une fois à voir des films en sacompagnie, à rencontrer des gens de ci-néma chez lui et Mary Meerson, dansleur appartement près du parc Mont-souris, ou à visiter le bric-à-brac in-croyable de son musée qui demeuralongtemps fermé au public.Henri aimait aussi susciter des ren-contres incroyables. C’est grâce à lui,par son intermédiaire, que j’ai pu passerune soirée entière avec King Vidor ouêtre présentée à Charles Chaplin. Au-delà du bonheur de ces rencontres, j’aitoujours connu Henri manquant d’ar-gent pour lui-même et pour la Cinéma-thèque. Le faste, il le réservait à laréception de ses artistes, toujours logésdans les plus grands hôtels. Les sub-ventions de la Cinémathèque étaientmaigres et le personnel en souffrait,stoïque, attendant parfois son salairedurant des mois.Si Henri Langlois a été un formidablecollectionneur-montreur de films, ilfaut reconnaître qu’il n’a pas été un trèsbon administrateur et la gouvernance

de la Cinémathèque exigeait que del’ordre y soit mis.C’est à Dominique Païni que l’on doitcela. Sous sa direction, la Cinéma-thèque française a rationalisé sa gestionet l’a modernisée, entreprenant une po-litique de stockage, d’inventaire, deconservation et de restauration desfilms, puis la réintégration dans la Fé-dération des Archives du film.Sciatique oblige, je n’ai pu jusqu’ici al-ler voir l’exposition Henri Langlois**,mais de ce que je connais de Domi-nique Païni, qui dirigea aussi la Ciné-mathèque française, il semble que sonexposition soit conçue loin de toutenostalgie passéiste, et en lien avec lamodernité et les créations d’avant-gardenotamment dans les arts plastiques.Ce que n’aurait certainement pas reniéHenri Langlois, qui a toujours regardéle cinéma d’abord comme œuvreplastique. ■

* En mai, sur mon site www.lauralaufer.com :mes souvenirs sur Henri Langlois et deséchanges de courrier de la Cinémathèque fran-çaise avec l’Association des usagers de la Ci-némathèque que j’ai présidée, des extraitsd’une émission de France culture où j’étais in-vitée pour cette association disparue en 1982.

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Livres « Il s’acharnait tout le jour au tissage,Nul ouragan n’aurait pu le plier » (p.46)

Avec Ma mère, etc. , roman, Charles Dobzyns-ki nous peint le panorama poétique d’une vieet d’un siècle dont il fut à la fois le témoin et

l’acteur. Comme son précédent opus, Je est un juif,roman, ce livre est un roman en vers (des décasyl-labes), divisé en strophes toutes égales, de vingt verschacune, au sein de dix chapitres. Ne vous étonnezpas de cette forme versifiée du roman : elle se rattacheà une très ancienne tradition, puisque les premiers ro-mans français – épopées et romans d’amour – furentécrits en vers, en décasyllabes justement.Il s’agit bien ici de l’épopée du vingtième siècle etd’une histoire d’amour : amour pour sa mère, venuede Pologne, pleine d’espoir, s’usant à des travaux aunoir sur sa machine à coudre, mais « sachant Peretzpar cœur » ; et plus en demi-teinte, mais non moinsimportante, l’histoire de son père, résistant dans le ré-seau Solidarité. Pour l’épopée, vous y trouverez lerécit incroyable, mais véridique de la façon dont iléchappa, ainsi que sa mère, à la rafle du Vel’ d’Hiv’grâce à la réminiscence soudaine d’une chanson deMistinguett.C’est sa mère qui l’incite à écrire, lorsqu’ils sont réfu-giés, complètement démunis, dans une ferme isolée.Son père, retrouvé à Paris, en pleine guerre, lui en-seigne l’alphabet hébraïque et l’allemand. Tout jeuneadolescent, il entre dans le réseau de la Jeunesse juiveet, comme Gavroche, « déplace les pavés » pour laLibération de Paris. Il publie alors son premier poèmedans Jeune Combat. Mais la mort de son père en1946 l’oblige, tout jeune, à reprendre, dans son atelier,le travail de tisserand, et la mort dans l’âme, à aban-donner études et poésie, entre les remontrances sa-voureuses (traduites directement) et les mots d’amourde sa yiddishe mame.Arrêtons-nous un instant, car ce résumé ne rend pascompte de la verve de l’écriture : les vers et les rimesrythment les événements, et les mots s’y rencontrenten de belles métaphores inattendues :

J’entends toujours le tic-tac des machinesQui mélangeaient le brique et l’abricot,ou, à propos de son père :

Moi je voyais dans ses toiles célestesCet astre que l’amour porte à son front (p.46).La poésie fut la plus forte. À partir du chapitre 4,Charles Dobzynski retrace l’histoire de son itinérairepoétique, intellectuel, politique. Sa mère le soutientdans son amour de la poésie, cette mère dont il tracele portrait tout au long du livre, cette mère si confianteen Staline à cause des « exploits de l’Armée Rouge »(p.60), croyante mais sans trop, préférant « la Répu-

blique emblème du savoir » aux « prêches du rabbi »(p.65). Il publie d’abord des poèmes dans la revue dulettriste Isidore Isou, mais se rend compte que la puredéconstruction lettriste n’est pas son avenir ; et c’estÉluard qui parraine, en 1949, la publication de deuxde ses poèmes dans Les Lettres françaises. Puis ElsaTriolet le lance dans l’Anthologie de La Belle Jeu-nesse en compagnie du poète haïtien René Depestre,d’Alain Guérin, de Jacques Roubaud et d’autresjeunes poètes. Ses amis se nomment Jean Sénac,Gaston Baissette.Soutenu par Aragon, il entre ensuite à Ce soir et sontravail de journaliste modèle son écriture, jusqu’àl’heure actuelle :

Mon écriture est celle d’un journalTant pis pour les arcanes poétiques ;C’est dans le minerai des mots banalsQue l’écriture aussi prend sa mesure (p.179) ;et c’est ce parti-pris qui rend ce livre si facile à lire :car ne croyez pas que lire ces vers soit compliqué, aucontraire, tant ils ont l’air primesautiers – « ont l’air »seulement, car ils sont travaillés ; par exemple ce por-trait de sa mère :

Là de ta bouche un sourire s’échappe,un papillon cousu par la clarté,une aile en toi,frange d’éternité,et l’on dirait qu’un nuage te drapede ce bonheur comme une ombre fugace…Au fil des pages, Charles Dobzynski dresse aussi unbeau portrait d’Aragon dont il fut l’un des auditeursattentifs ; surgissent ainsi des strophes : Aragon en sonjardin, Aragon à l’imprimerie des Lettres françaises,ou au café d’à côté… Il rend également hommage àElsa Triolet, avec laquelle il travailla pour son antho-logie de La poésie russe, « Elsa femme courage »,« Elsa flamboyante » enthousiasmée par JohnnyHalliday…Formé par Georges Sadoul à la critique cinématogra-phique, il fut amené à rencontrer les plus grands ci-néastes, parmi lesquels Godard, Losey, Louis Malle,Tavernier, tous ceux de la Nouvelle Vague. Passentaussi dans ce panorama tous les artistes qui firent lagloire de ce grand journal culturel que fut Les Lettresfrançaises, auquel il collabora également. OutreBlaise Cendrars et Jean Marcenac, le poète-philo-sophe-résistant, défilent ainsi dans le chapitre 6 les« Amis et illuminateurs » : le poète Henri Pichetteavec qui il reçut le prix du Comité National desÉcrivains en 1954, Jean Lurçat à Saint-Céré, AndréSchwartz-Bart, Marc Chagall dont il traduisit lespoèmes yiddish pour Les Lettres françaises, René

Char, Nicolas Guillén, Philippe Soupault, Pablo Ne-ruda, Guillevic, Tristan Tzara, Aimé Césaire, RoubenMélik, Asturias, Nezval… qui se lèvent, vivants, deces pages.Puis viennent, au chapitre 7, les soubresauts du stali-nisme : comment il apprit l’exécution de Markish,cher au cœur de sa mère, ainsi que de onze autresécrivains yiddish en 1952 ; ce que devinrent les poètesTibor Tardos, Brodsky ; sa visite à Paradjanov toutjuste libéré ; la condamnation, dans Les Lettres fran-çaises de l’intervention soviétique à Prague en 1968.Il consacre alors une grande partie de sa vie à faireconnaître la littérature yiddish, que ce soit par la tra-duction de Dora Teïtelbom, du poète israélien AvromSutzkever, la revue Domaine yiddish, ou la rédactionde sonAnthologie de la poésie yiddish :

Pour toi aussi mère,c’était pour toiQu’il me fallait recueillir tant de graines »écrit-il (p.136).Il adapte et publie en France des œuvres de son amiNazim Hikmet, si proche en écriture :

Je reprenais un par un les maillonsDe ce tissu du sien du mien langageécrit-il (p.147). Cette métaphore du fil et du tissageparcourt non sans raison le livre, texte et tissu ayantmême étymologie ; par exemple il écrit au début dulivre, à propos de son père, dont il parle peu, maisdont on comprend, dans cette sorte d’absence ou deprésence en creux, l’importance capitale :

Je suis issu de ces tissus sans nombreQu’il caressait avant de les lier (p.45)comme si les tissus réels avaient donné naissance autissu du langage.Puis, tourné vers tout ce qui annonce le futur, il écritdes récits de science-fiction ; et – autre sorte de jour-nalisme – il entre à la direction de la revue Europe…La dernière partie du livre dessine, en écho au début,un portrait touchant de sa mère âgée. Combien il luifut difficile de se dégager de son emprise ! Et la mortde cette mère tant aimée coïncide presque avec celled’Aragon, autre ombre tutélaire…

En quoi pourrais-je enfin me reconnaître ?s’interroge pour finir le poète.

Se reconnaître juif »,répond-il Car être juif n’est rien que débusquerEn chaque chose un peu de sens masqué (p.181),c’est être « entre deux mondes », à la fois « autre » et« pareil » – et surtout en avoir conscience, pourrait-onajouter, car chaque homme est à la fois autre et pareil.Mais c’est aussi l’écriture qui l’a créé :

Ce qui se crée en moi d’originalTient dans le chant,le seul roseau qui pense ;Un fil sans fin par les mots se délieQui l’a tissé ? se demande-t-il (p.182) ; et cette même métaphorenous renvoie de nouveau au début du roman, au fil delaine tissé par son père dans son atelier :

père enchanteur de lainages subtilsentretissait la lumière avec l’ombre,et se tramait ma mémoire en leurs fils :« fil », « fils » dans les deux sens du terme, de sonpère autant que de sa mère, car que fait-il d’autre, toutau long du roman, que de tisser la lumière avecl’ombre et nous montrer la moire de sa mémoire ? ■

* Charles Dobzynski,Ma mère, etc. , roman, Éd. Orizons,2013, 192 p., 18 €

INVITATION - Chers lecteurs de la PNM,

Notre amiGabriel Garran serait très honoré devotre présence à la lecture de :

« Géographie Française »parMarie-Christine Barraultle Lundi 19 mai 2014 a 20Hau Reid Hall, Paris 6°

organisée par Nadine Eghels - Tschann libraire - Leséditions Flammarion, avec le concours de laDRAC, de la Région Ile-de-France et de la Villede Paris.

Participation aux frais : 12 €, étudiants 6 € (caisse

ouverte à partir de 19h15 à la librairie Tschann).

Réservation : [email protected]

REID HALL

4 rue de Chevreuse Paris 6°

(M° Vavin, RERC Port-Royal)

www.textes-et-voix.asso.fr

TSCHANN LIBRAIRIE

125 boulevard duMontparnasse Paris 6°

www.tschann.fr

« . . . Écrit dans une langue française sublime et riche,légèrement surannée, c’est un livre très attachant quinous apprend beaucoup sur nous-mêmes et sur lesautres, au-delà d’une destinée peu commune.C’est une leçon de vie, un témoignage unique,un roman de formation. » ■

Simone Endewelt,in laPNMn° 315 d'Avril 2014

* Gabriel Garran, Géographie française, Éd. Flammarion, 2014, 305 p., 18 €

Charles Dobzynski :

          "Ma mère, etc., roman" parMarianne Delranc-Gaudric